Version PDF

COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES,
DE L'ENVIRONNEMENT ET DU TERRITOIRE

COMPTE RENDU N° 39

(Application de l'article 46 du Règlement)

Jeudi 16 mars 2006
(Séance de 10 heures)

Présidence de M. Patrick Ollier, Président

SOMMAIRE

 

pages

- Audition de M. Carlos Ghosn, Président de Renault

2

- Information relative à la Commission

 

·  Nomination des membres de la mission d'information sur les délocalisations

12

   

La Commission a entendu M. Carlos Ghosn, Président de Renault.

Le Président Patrick Ollier a accueilli M. Carlos Ghosn, rappelant que la Commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire était soucieuse d'écouter les chefs des grandes entreprises et de prendre en compte leurs préoccupations. Il a demandé au président de Renault de présenter le contrat 2009 de l'entreprise, et l'évolution du marché automobile, se demandant si le maintien de deux grands constructeurs français était viable. Il a souligné l'importance que la Commission accordait aux enjeux énergétiques, abordés notamment à travers la loi de programme du 13 juillet 2005 fixant les orientations de la politique énergétique et la loi d'orientation agricole du 5 janvier 2006 ; se déclarant surpris que de nombreux pays étrangers développent les biocarburants avec beaucoup plus de dynamisme que la France, il a souhaité connaître l'avis de M. Ghosn sur les perspectives ouvertes sur les biocarburants par la Commission.

M. Carlos Ghosn, président de Renault, a rappelé l'importance de l'entreprise, et de son alliance avec Nissan : Renault emploie 126 600 personnes dans le monde (dont 55 % en France), qui produisent chaque année 2,5 millions de voitures. Le chiffre d'affaires s'élève à 41 milliards d'euros, et la marge opérationnelle à 3,2 %, pour un résultat net de 3,3 milliards d'euros. Il a expliqué l'écart entre le résultat net très satisfaisant, et les résultats opérationnels notamment par les participations de Renault dans des entreprises prospères : Renault détient 44 % du capital de Nissan, et 20 % de Volvo.

Il a affirmé que la performance de Nissan était due elle aussi à l'alliance avec Renault, depuis 1999. Il a indiqué que Nissan employait 220 000 personnes, et réalisait un chiffre d'affaires de 80 milliards d'euros. Il a souligné que le taux de croissance de l'entreprise atteignait des records depuis trois ans, et que sa marge opérationnelle, à 9,5 %, était la plus forte de toute l'industrie automobile.

Abordant le plan « Renault contrat 2009 », M. Carlos Ghosn a déclaré que Renault devait avoir un développement propre. Il a mis en avant les atouts de l'entreprise, notamment l'alliance avec Nissan, l'existence de projets très prometteurs dans plusieurs régions du monde (Iran, Inde, Roumanie, Asie du Sud Est, Amérique latine), un bilan sain avec de beaux actifs et une dette marginale. Il s'est félicité de la réactivité de l'entreprise, rappelant ses cinq victoires consécutives en Formule 1, alors que Toyota, le constructeur le plus compétitif au monde n'avait jamais accédé au podium, et affichant la volonté de Renault, qui détient les meilleurs scores de résistance aux crash tests, d'être le constructeur le plus sûr au monde.

Il a aussi évoqué une gamme trop étroite, des coûts d'investissement trop élevés, une présence insuffisante sur les marchés internationaux, la nécessité de faire entrer les notions de clients et de profit dans la culture de l'entreprise, voyant là des opportunités de progrès. Il a développé l'idée que le profit était un outil de management, estimant que c'était le seul indicateur de satisfaction du client et donc le signe que l'entreprise faisait bien son travail.

Il a ensuite présenté les trois engagements de « Renault contrat 2009 » :

- faire de la future Laguna, qui sera lancée en 2007, l'une des trois meilleures voitures de son segment en qualité de produit et de service ;

- porter la marge opérationnelle de Renault à 6 % en 2009, alors que le plafond historique atteint en 1999 était de 5,9 %, afin de rejoindre le club des constructeurs performants comprenant aujourd'hui Nissan, Toyota, Honda et BMW, seuls constructeurs automobiles à atteindre ce niveau ;

- vendre 800 000 voitures de plus en 2009 qu'en 2005, sans acquisitions.

Il a indiqué que le plan d'action permettant d'atteindre ces objectifs avait été bien accueilli à l'intérieur de l'entreprise, malgré des craintes initiales de restructuration, et que la notion d'engagement était également appréciée à l'extérieur de l'entreprise.

Il a enfin précisé que ce plan s'appuyait sur le lancement offensif de nouveaux produits (26 étant prévus sur cette période), sur des avancées technologiques, en termes de sécurité et de performance environnementale notamment, sur une gestion plus compétitive des coûts, et un management par le profit. Il a estimé que la mise en œuvre de ce plan était bien partie, et que chaque acteur de l'entreprise s'était s'approprié ce « contrat 2009 » et connaissait sa propre contribution à sa réalisation.

S'exprimant au nom du groupe UMP, M. Jean-Marc Nudant s'est associé aux propos du Président Patrick Ollier, soulignant son attachement à l'entreprise Renault, et rappelant ses excellents résultats aux compétitions de Formule 1, notamment la performance récente de Fernando Alonso à Varenne. Il s'est néanmoins interrogé quant aux raisons du départ de l'équipe Renault du sportif ainsi que du team manager, prévu en 2006.

Revenant sur les quatre objectifs que s'était fixés le constructeur automobile, il a rappelé que Renault souhaitait mettre sur le marché 26 nouveaux modèles d'ici 2009, ce qui n'a jamais été proposé par aucune marque généraliste. Il a jugé insuffisants les progrès de l'entreprise en matière de respect de l'environnement, s'agissant aussi bien de l'émission de particules, que du saccage des réserves naturelles ou de l'émission de gaz à effet de serre. Il s'est par conséquent interrogé quant aux moyens mis en œuvre par Renault en faveur de la recherche sur les énergies renouvelables pour les voitures propres.

En outre, il a souhaité obtenir des éclaircissements quant aux conséquences de l'amélioration de la compétitivité du constructeur sur les effectifs salariés en France, et sur la sous-traitance. Rappelant que Renault avait historiquement constitué une vitrine sociale parmi les entreprises françaises, il a souhaité savoir si l'actuel dirigeant du groupe s'inscrivait dans ce mouvement historique. Il a également rappelé à cet égard que, le plus souvent, les marchés boursiers se portaient d'autant mieux que les décisions prises par les entreprises étaient délicates sur le plan social.

Pour conclure, il a rappelé les objectifs affichés par Renault en termes de baisse des coûts, et des frais de distribution, et s'est interrogé quant au maintien, dans ce contexte, d'un réseau de vente et de services efficace et satisfaisant pour le consommateur.

S'exprimant au nom du groupe communiste, M. Daniel Paul a rappelé qu'il y avait actuellement à Sandouville 4 700 salariés des usines Renault, et que l'entreprise constituait également un débouché primordial pour le port du Havre, premier port français d'import-export. Rappelant qu'il avait été président en 1997 de la mission d'information sur l'avenir de l'industrie automobile en Europe après la fermeture du site de Vilvoorde, il a évoqué les craintes qu'avait suscité le contrat 2009. Il s'est associé aux préoccupations exprimées par le Président Patrick Ollier, soulignant que le constructeur automobile s'intéressait peu aux moteurs hybrides, et qu'en termes de gamme de produits, il était impératif que Renault se positionnât sur l'ensemble des segments du marché ; Il s'est interrogé sur l'objectif de rentabilité annoncé par la direction de l'entreprise. Rappelant en effet que Renault souhaitait dégager des marges opérationnelles de 6 % en 2009, en baissant ses coûts, et en instaurant un « pilotage par le profit », il a estimé que cela revenait à exercer une pression toujours plus intense sur les salariés, au seul profit des actionnaires.

Il s'est interrogé dans ce contexte sur de possibles délocalisations et a suggéré que d'autres relations devraient être nouées avec les sous-traitants et les équipementiers de Renault, afin de construire une filière de production complètement intégrée. Rappelant l'absence de projet nouveau à Sandouville, il a déploré que le chômage technique imposé aux salariés allât croissant, s'élevant en moyenne à 40 jours, tandis que l'on en prévoyait 60 en 2006. Plus encore, il a regretté la baisse continue des effectifs du groupe, interrogeant le Président de Renault sur ses intentions quant au remplacement, par de jeunes ouvriers, des 258 ouvriers âgés de Sandouville devant partir en retraite de longue carrière en 2006.

Précisant que le groupe communiste était opposé à un plan fondé sur le diktat du profit, il s'est interrogé sur l'avenir du site de Sandouville qui repose sur la seule Laguna alors qu'il apparaît urgent de renforcer la gamme, lorsqu'on sait qu'à peine 5 automobiles de la gamme Velsatis sont commercialisées chaque jour. Il a en outre souhaité savoir si Renault comptait créer une gamme de voitures à bon marché, et a souligné que la fiabilité des modèles haut de gamme était essentielle à la réussite de ce segment.

Prenant la parole au nom du groupe UDF, M. Jean Dionis du Séjour a interrogé M. Carlos Ghosn quant à la stratégie de Renault dans le secteur des poids lourds, soulignant le caractère crucial de cet enjeu en région lyonnaise. Il a rappelé l'existence d'un partenariat de Renault avec Volvo. Il a également souhaité connaître les attentes de Renault à l'égard du Gouvernement et du Parlement en termes de politique de l'emploi des jeunes.

Il a souhaité connaître l'opinion du Président de Renault sur le niveau de la participation de l'État dans la structure du capital de Renault et a estimé que, s'agissant des biocarburants, les constructeurs étaient au cœur de leur processus de développement, et ce, d'autant plus que le Premier ministre s'était engagé à ce que la France incorpore 5,5 % de biocarburants dans les carburants traditionnels d'ici 2008. Il a souligné à quel point les biocarburants faisaient partie intégrante des débouchés futurs de l'agriculture. Il a également souhaité savoir si Renault comptait soutenir le développement des huiles végétales pures, qui est une filière de biocarburants importante et présente dans le Sud-Ouest.

Au nom du groupe socialiste, M. Christian Bataille a rappelé que le Nord-Pas-de-Calais était également une grande région de constructeurs automobiles, évoquant notamment les sites de Douai et Maubeuge. Estimant que les constructeurs sont désormais des assembleurs de pièces détachées, il a déploré que les équipementiers auxquels recourent ces constructeurs soient soumis aux sempiternels aléas de leurs commandes. Il a interrogé M. Carlos Ghosn sur la localisation de ces équipementiers : souhaite-t-il qu'ils se situent à proximité des usines, ou préfère-t-il recourir aux équipementiers polonais ou slovènes ?

Enfin, rappelant qu'en tant que partie au protocole de Kyoto, la France s'était engagée à réduire ses émissions de CO2, il a précisé que dans la mesure où l'électricité était peu émettrice de gaz à effet de serre, grâce au choix français de privilégier l'énergie nucléaire et hydroélectrique, les espoirs en la matière étaient désormais placés dans le secteur du transport et a donc interrogé M. Carlos Ghosn sur l'état des recherches chez Renault dans ce domaine.

Rappelant qu'un projet de loi sur la participation était en préparation, le Président Patrick Ollier a demandé quelle était la position de M. Carlos Ghosn sur le rôle de l'actionnariat salarié dans la structuration du capital de l'entreprise d'une part, et comme moyen d'améliorer le pouvoir d'achat des salariés d'autre part.

En réponse aux premiers intervenants, M. Carlos Ghosn a apporté les précisions suivantes :

- l'environnement est au cœur du métier de Renault, mais le véhicule propre n'a de perspective que s'il est proposé à des prix abordables. Les biocarburants sont une solution immédiate, abordable et réaliste. À l'instar du modèle brésilien, qui permet de faire fonctionner des voitures avec du biocarburant réalisé à partir de la canne à sucre de ce pays, ou encore sur le modèle américain du bio-fuel, Renault a prévu des solutions réalistes de développement du recours aux biocarburants dans le cadre de son contrat pour 2009, en rendant les moteurs de la marque compatibles avec l'éthanol et le diester. La technologie de Renault se développe en France et au Japon, grâce aux deux centres de recherche de l'Alliance. S'agissant de véhicules hybrides, la technologie nécessaire mise au point au Japon par Nissan est la disposition de Renault. Renault de son côté a mis sa technologie en matière de flex fuels au service de Nissan. Les technologies sont prêtes. Elles seront commercialisées le jour où les clients en feront la demande

- Renault n'a plus d'activités dans le domaine des poids lourds depuis sa prise de participation à hauteur de 20 % dans la marque Volvo, qui gère désormais Renault Trucks. La stratégie de l'entreprise consiste donc désormais à soutenir son partenaire, qui est par ailleurs une entreprise en forte croissance.

- s'agissant de la Formule 1, la victoire de l'écurie Renault en 2005, ainsi que son bon début de saison en 2006 laissent bien augurer de l'avenir de la marque dans ce domaine, même si ces perspectives n'ont que peu d'influence sur l'éventuelle décision de Fernando Alonso de changer d'écurie pour la prochaine saison ; les retombées de l'investissement dans la Formule 1 sont indéniables pour la marque dès lors qu'elle gagne, tant au niveau de la perception de la qualité des véhicules que de la fierté ressenties par les Français, mais un meilleur retour sur investissement doit être recherché et c'est pourquoi l'entreprise va étendre sa gamme de voitures de sport ;

- la bonne qualité des relations entre un constructeur automobile et ses fournisseurs est déterminante, dans la mesure où la santé financière des seconds a beaucoup d'influence sur la prévisibilité de l'activité du premier. Il n'y a pas de constructeur performant sans fournisseur performant et profitable. Par conséquent, lorsque Renault annonce vouloir réduire ses coûts de production, cela ne signifie pas que cette réduction devra résulter d'une marge bénéficiaire plus faible des fournisseurs : l'exemple japonais montre qu'il existe une corrélation positive entre la marge bénéficiaire du constructeur et des fournisseurs, et l'exemple américain démontre, a contrario, qu'une pression du constructeur sur la marge bénéficiaire des fournisseurs n'est qu'une solution transitoire, qui finit par se retourner contre le constructeur. La profitabilité de la marque Renault ne pourra donc se construire qu'en partenariat avec ses fournisseurs ;

- le profit d'une entreprise n'est pas que le résultat d'une bonne gestion ; la seule force d'une entreprise aujourd'hui réside dans l'implication et la motivation de l'ensemble de son personnel et Renault ne pourra atteindre l'objectif affiché dans ce domaine en 2009 qu'avec l'engagement total de tous ses salariés.

- La nécessité de maintenir une gamme bon marché, soulignée par certains députés, suppose par ailleurs que Renault reste attentive à ses coûts, faute de quoi elle finira par perdre le crédit particulier dont elle dispose auprès de ses clients, en particulier sur notre territoire ;

- lorsque l'entreprise annonce vouloir baisser ses coûts de distribution, cela n'implique pas que les distributeurs soient amenés à baisser leur marge. Cette réduction passe notamment par une meilleure maîtrise des pratiques promotionnelles. En outre, les véhicules de la marque Renault sont en moyenne 3 % moins chers que ceux de la marque Peugeot et 7 à 8 % moins chers que ceux de la marque Volkswagen. Ainsi, si le différentiel avec Peugeot avait été résorbé, la marge opérationnelle de Renault aurait atteint, en 2005, non pas 3 % mais 6 %. Le renforcement de l'image de marque de Renault implique, pour le constructeur, d'offrir des produits attractifs et de mobiliser son réseau, et pour ce dernier, d'améliorer la qualité de son service.

- l'activité des usines ne peut être maintenue artificiellement : elle est très directement liée au volume des ventes. En fixant un objectif de vente de 800 000 voitures supplémentaires d'ici 2009, l'entreprise devrait permettre d'éviter que certaines usines, au Brésil mais aussi en France par exemple à Sandouville, ne fonctionnent qu'à 40 % de leur capacité. Pour le patron de l'entreprise, c'est une situation difficile à accepter, dont il faut sortir par le haut, par la croissance et par le lancement de produits attractifs. Nous devons réussir le contrat 2009. Il ne s'agit pas d'une menace mais d'un constat. Il faut réussir la nouvelle Laguna, ce qui sera déterminant pour Sandouville.

M. Jean-Yves Besselat s'est félicité de voir en M. Ghosn un «gagneur », et s'est déclaré persuadé qu'on ne pouvait que « gagner » quand on s'engageait comme il le faisait. Il a relevé la formule : « Le profit, c'est du travail bien fait », en indiquant qu'elle méritait d'être relayée dans le contexte français d'aujourd'hui. Il a demandé à M. Goshn comment il appréciait, compte tenu des succès qu'il avait déjà rencontrés à la tête de son entreprise, la contribution du développement sur les marchés étrangers à l'emploi en France, comment il analysait l'échec de la stratégie de Renault dans le haut de gamme, qui pénalisait l'usine de Sandouville, et quels enseignements il en avait tiré pour le lancement de la Laguna ?

M. Denis Merville a indiqué qu'il se préoccupait beaucoup du sort de l'usine de Sandouville, implantée dans sa circonscription. Il a demandé, en se déclarant prêt à apporter toute son aide, comment un élu national, et aussi comment le Conseil général, pouvaient participer à la mobilisation nécessaire pour redresser la situation de cette usine. Il s'est interrogé sur le rôle que pourrait jouer, dans cet effort de redressement, le pôle de compétitivité NOVEO labellisé par le dernier CIAT. Il s'est inquiété du sort de l'usine de Dieppe, point d'appui de la marque Alpine.

M. André Chassaigne, soulignant que sa question, d'intérêt local, soulevait un problème plus général ayant valeur d'enseignement, a indiqué que l'entreprise DAPTA à Thiers venait de déposer son bilan en février, mettant en péril 450 emplois ; qu'il s'agissait d'un sous-traitant de l'automobile réalisant 13 % de son chiffre d'affaires avec Renault, qui avait récemment remis en cause une commande, contribuant à l'accélération des difficultés de l'entreprise. Il s'est interrogé sur la possibilité d'un rétablissement de cette commande, pour aider au maintien de cette entreprise dotée d'un savoir faire reconnu, mais qui s'était trouvée pénalisée par des erreurs de gestion.

Mme Chantal Brunel a interrogé M. Goshn sur la possibilité qu'une usine d'automobiles implantée en France soit compétitive, sur la part que représentent les coûts salariaux dans le prix d'une voiture moyenne, sur la part des bénéfices réalisés par son entreprise en France, sur la place qui sera faite au marché français dans la politique de commercialisation de la Logane, sur la part des fournisseurs français de Renault. Elle a demandé enfin à M. Goshn son sentiment sur le contrat « première embauche ».

M. Christian Blanc a préalablement félicité le Président Patrick Ollier d'avoir organisé l'audition de M. Goshn. Il s'est réjoui de voir démontrer que la force des entreprises dépendait de leur capacité à motiver leur personnel, mais a craint qu'un tel message ne soit guère compris, notamment par la classe dirigeante. Il a observé que M. Goshn situait son action dans un cadre de moyen terme, et a souligné l'importance pour un dirigeant d'asseoir ainsi sa crédibilité sur un engagement explicite assorti immanquablement d'une sanction en cas d'échec, puisque cet échec se traduirait alors par une perte de légitimité dont il ne pourrait alors que tirer les conséquences, son conseil d'administration l'y contraignant au besoin. Il a demandé à M. Goshn, d'une part, ce qu'il avait appris de son expérience japonaise à la tête de Nissan, dont il tirait le fruit aujourd'hui à la tête de Renault, et d'autre part, s'il avait trouvé en France, mis à part pour ce qui concerne le moteur diesel, une plateforme scientifique et technologique à la hauteur de ses besoins, capable d'appuyer ses ressources japonaises dans ce domaine.

Mme Marie-Anne Montchamp s'est interrogée sur les leçons qu'on pouvait tirer du parcours remarquable de Renault qui, autrefois vitrine du syndicalisme, est devenue aujourd'hui une vitrine sociale, et a demandé quelle politique Renault entendait mener en faveur de l'emploi des handicapés et pour l'application de la loi du 11 février 2005.

M. Jean-Michel Bertrand a salué la pertinence du double choix stratégique de Renault d'avoir racheté Nissan, et nommé à sa tête M. Goshn. Observant que les entreprises de l'automobile recouraient beaucoup à l'intérim, il s'est interrogé sur la manière dont Renault concilierait cette pratique avec les nouveaux contrats de type CNE et CPE. Il a demandé si Renault s'engagerait plus avant dans l'intégration à ses voitures de dispositifs favorisant la sécurité, comme par exemple ceux enregistrant la vitesse lors d'un impact, qui permettent de lever toute ambiguïté au moment du constat.

M. Alfred Trassy-Paillogues a signalé d'abord que nombre des salariés de l'usine de Sandouville étaient domiciliés dans sa circonscription. Il a souhaité savoir si l'entrée de Renault dans l'alliance sur la motorisation se traduirait par une augmentation de la puissance des moteurs installés sur les véhicules du constructeur ; si la déclinaison des nouveaux modèles sur les différents types de véhicule, break, coupé cabriolet, trois volumes, s'effectuerait d'un coup ou de manière échelonnée sur plusieurs années ; si le renouvellement des modèles hybrides permettrait de suivre l'effort très important fait par Toyota dans ce domaine, pour répondre à une véritable attente de la clientèle ; si la marque Alpine, à laquelle s'attache une forte image sportive, et dont les unités de production sont à Dieppe, continuerait à être promue. Il s'est félicité d'apprendre qu'en matière de design, M. Goshn avait indiqué publiquement que le goût des clients devait dorénavant primer sur le goût des concepteurs ; et s'est interrogé sur la mise en pratique de ce principe pour la Logane, qui ressemblait par certains côtés à une Traban. Il a demandé enfin de quelle manière la fiscalité sur l'automobile, s'agissant de la taxe sur les véhicules de société par exemple, pouvait être aménagée pour accompagner Renault dans sa nouvelle stratégie de gamme.

Mme Hélène Tanguy, après avoir constaté que ses interrogations sur le devenir de la formule 1 chez le constructeur avaient déjà trouvé réponse, et s'être félicitée du message fort envoyé par M. Goshn sur l'importance que l'entreprise soit dirigée à partir d'objectifs annoncés et d'engagements précis, et dans le cadre d'une démarche qui fait une grande place à la motivation des salariés, s'est interrogée sur l'engagement de Renault dans la recherche sur la voiture propre, et sur le rôle que peut jouer l'État pour appuyer l'effort de l'entreprise dans ce domaine.

M. Hervé Novelli a souhaité savoir quelle stratégie le groupe Renault entendait développer sur les marchés émergents, en particulier les marchés chinois et indien, et s'est interrogé sur les conséquences pour les équipementiers, s'agissant de l'implantation géographique des sites de production, du développement international de l'entreprise.

M. Antoine Herth, observant que la stratégie des constructeurs automobiles consistait pour partie à valoriser le haut de gamme ainsi que les véhicules 4×4, véhicules lourds dont les rejets de CO2 excèdent souvent les 200 grammes par kilomètre, s'est interrogé sur la compatibilité de cette démarche avec les réflexions en cours au sujet des biocarburants ou de la lutte contre l'effet de serre. Rappelant que l'État détient 15,7 % du capital de Renault, il s'est demandé dans quelle mesure celui-ci pouvait infléchir la politique de l'entreprise en vue d'en faire une vitrine du développement durable.

M. Didier Quentin, en sa qualité de Président du groupe d'amitié France-Japon, a questionné M. Carlos Ghosn sur les leçons qu'il avait pu tirer de son expérience japonaise, ainsi que sur l'appréciation qu'il portait, à la lumière de cette expérience, sur la situation économique et sociale française.

Évoquant le règlement (CE) n° 1400/2002 du 31 juillet 2002 concernant l'application de l'article 81, paragraphe 3, du traité à des catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées dans le secteur automobile, le Président Patrick Ollier, au nom de M. Jean-Paul Charié, a interrogé M. Carlos Ghosn sur l'opportunité de ces dispositions communautaires, et sur le rôle que pourraient jouer les grandes surfaces dans l'évolution du prix des véhicules. Il a également souhaité connaître le sentiment du Président de Renault sur la pratique des enchères inversées. Enfin, et soulignant qu'il s'agissait d'un de ses centres d'intérêt personnels, le Président Patrick Ollier a réitéré sa question sur la place que la participation pouvait tenir dans une entreprise comme Renault, et en particulier le dividende du travail, qui figure dans le projet de loi sur la participation qui sera prochainement présenté au Parlement.

En réponse aux différents intervenants, M. Carlos Ghosn a apporté les précisions suivantes.

S'agissant de la participation des salariés aux résultats de l'entreprise, il s'est déclaré favorable au développement de l'actionnariat salarié, dont la stabilité est particulièrement précieuse et qui permet d'injecter du pouvoir d'achat et de favoriser l'épargne. Il a toutefois souligné que la distribution d'actions gratuites ne devait pas avoir pour effet de créer un actionnariat salarié artificiel, et qu'il importait que les salariés fussent volontaires pour devenir actionnaires.

Il a ensuite évoqué la question posée sur l'avenir des entreprises situées en France, soulignant qu'il s'agissait d'une question cruciale pour le long terme. Le maintien des sites de production sur le territoire national lui a paru possible, quoique n'allant pas de soi. Revenant sur son expérience japonaise, il a insisté sur les similitudes entre la situation nippone et la situation française, les deux pays étant confrontés à la concurrence de pays émergents géographiquement proches. Il a estimé qu'il fallait être conscient d'un risque pour pouvoir le surmonter. Ainsi a-t-il rappelé que les usines japonaises n'avaient jamais autant tourné que lorsque les investissements japonais à l'international étaient à leur sommet. Il a jugé que la solution reposait autant sur le développement de la compétitivité des sites nationaux que sur le développement international.

Indiquant que Renault réalisait 50 % de son bénéfice en France, il a estimé que ce chiffre était trop élevé, insistant sur la nécessité de développer la profitabilité du groupe à l'international.

S'agissant de l'introduction de la Logan sur le marché français, il a fait part de ses réticences, d'une part parce ce véhicule, destiné dans un premier temps aux marchés émergents, est produit sous la marque Dacia, ce qui pourrait engendrer une confusion regrettable dans l'esprit des consommateurs, d'autre part parce que l'offre par Renault de véhicules de catégorie identique lui paraît suffisante. Il a toutefois admis une demande des consommateurs, insistant sur le fait que le développement de la Logan ne devait pas se faire au détriment de la Twingo ou de la Clio.

Il a par ailleurs précisé que 75 % des fournisseurs de Renault étaient des fournisseurs européens, pour certains d'entre eux des groupes internationaux dont la production pouvait être assurée ailleurs qu'en Europe.

Au sujet de l'emploi des jeunes, il a jugé, invoquant son parcours personnel, qu'une première expérience était ce qu'il y avait de plus précieux et de plus formateur à offrir à un jeune, et que sans entrer dans le détail technique et juridique des dispositifs légaux, tout ce qui va en ce sens lui paraissait devoir être soutenu.

Évoquant son expérience japonaise, il a rappelé qu'il lui avait fallu mettre en œuvre au bout de trois mois un plan de redressement de Nissan, alors deuxième constructeur d'un pays dont la culture lui était totalement inconnue. Il a souligné que de nombreuses habitudes, ancrées dans la culture japonaise, avaient été mises en cause, tel le principe de « séniorité », ou bien encore du keiretsu. Il a jugé que ces changements n'avaient pas été accueillis avec hostilité dans la mesure où il avait pris l'engagement personnel de démissionner si, au terme de la première année de mise en œuvre du plan, l'entreprise ne dégageait pas de profit.

Tirant les leçons de son séjour au Japon, il a estimé qu'aucune mission de redressement n'était a priori impossible, et a par ailleurs indiqué que l'Asie lui semblait appelée à jouer un rôle incontournable dans l'économie du XXIème siècle. Il a souligné à cet égard qu'il lui semblait impropre de parler de l'Asie au singulier, compte tenu de l'extrême diversité des aires japonaises, chinoises, indiennes, ou du Sud-Ouest asiatique.

S'agissant de la possibilité de créer des plates-formes technologiques en France, il a dressé le constat de la grande qualité des solutions techniques élaborées par la recherche française, déplorant toutefois un certain désintérêt pour l'exploitation par le marché de ces solutions. Il a appelé de ses vœux une meilleure continuité entre recherche, développement et commercialisation.

Au sujet des méthodes de transformation d'une entreprise, il a évoqué la nécessité d'une vision recueillant l'adhésion de l'ensemble des personnels, ce qui suppose une bonne communication dans l'entreprise, de l'identification de la contribution de chacun à la concrétisation de cette vision, et de l'association de chacun à la transformation de la réalité de l'entreprise.

Estimant que la profitabilité était une condition nécessaire mais non suffisante d'une entreprise qui réussit, M. Carlos Ghosn a ensuite évoqué le rôle societal de l'entreprise, qu'il s'agisse de la sécurité routière, de la place des handicapés ou de l'emploi des jeunes. Il a notamment rappelé que la première préoccupation de Nissan au Japon en 1999 était de retrouver le chemin de la croissance mais que six ans plus tard, une fois cet objectif - essentiel à la survie de l'entreprise - atteint, sa préoccupation principale consistait désormais à définir le rôle joué par l'entreprise dans la société, le personnel demandant des réponses en termes d'éducation, d'intégration ou d'actions en faveur de l'environnement. Il a défendu dans le cadre de Renault la prise en compte concomitante des enjeux liés à la compétitivité de l'entreprise et la contribution de cette dernière à une société meilleure, sur tous les sites d'implantation et non pas uniquement en France.

S'agissant des types de mesures destinées à lancer la voiture propre, il a considéré qu'il n'était pas sain pour un constructeur automobile de se baser sur l'existence d'aides pour faire quelque chose. S'il est possible d'initier une technologie par l'octroi d'une aide, il a souligné que celle-ci devait rester ponctuelle et qu'il était opposé au développement d'un produit s'appuyant de façon durable sur une aide fiscale. Il a également estimé que les aides devaient être identiques pour les différentes technologies apportant les mêmes bénéfices, par exemple en terme de réduction de dioxyde de carbone, et qu'il n'y avait pas de raison de privilégier une technologie plutôt qu'une autre.

En ce qui concerne les stratégies adoptées à l'égard des quatre pays émergents que sont la Chine, l'Inde, la Russie et le Brésil, il a expliqué qu'un partage des tâches s'était instauré au sein de l'alliance, Nissan s'implantant en Chine et Renault dans les trois autres pays. Il a précisé que Nissan avait massivement investi en Chine en rachetant 50 % de Dongfeng, une entreprise chinoise, pour un montant d'un milliard d'euros, que l'entreprise disposait de quatre usines en Chine et qu'elle vendait quatre ans après son entrée sur le marché 200 000 voitures dans ce pays, l'objectif étant d'atteindre le nombre de 500 000 en 2008. Il a indiqué qu'il était actuellement en discussion avec le gouvernement chinois pour un accord de présence de Renault en Chine avec le même partenaire mais que ces discussions n'avaient pas encore abouti en l'absence d'accord sur la localisation des sites, la logique industrielle s'opposant à celle de la création d'emplois. Il a ajouté que la stratégie était analogue en Inde ou en Russie, où Nissan commençait à prospecter en s'associant aux partenaires de Renault. Il a observé qu'en tout état de cause une très grande partie de la croissance dans les prochaines années viendrait de la percée sur ces marchés émergents. Il a également affirmé que les équipementiers accompagnaient l'entreprise dans la conquête de ces nouveaux marchés.

S'agissant de l'objectif de 140 g de CO2, M. Carlos Ghosn a souligné que Renault était avec PSA le seul constructeur à l'avoir quasiment atteint. Il a cependant attiré l'attention sur le fait que la réalisation de cet objectif ne pouvait être obtenue au détriment du client. Soulignant que les voitures générant le plus de profit étaient actuellement les 4X4, les voitures de sport et le haut de gamme, il a regretté que Renault ne soit pas présent sur des segments de marché où l'essentiel des constructeurs font leur profit. Il a estimé une percée sur le haut de gamme particulièrement nécessaire pour rééquilibrer et renforcer Renault.

S'appuyant sur l'expérience de Nissan au Japon depuis 1999, il a jugé particulièrement pertinente l'idée selon laquelle il est possible de s'inspirer des leçons de la réussite d'une entreprise pour appliquer ces bonnes pratiques à l'échelle d'un pays. Il a notamment considéré que le succès d'une entreprise française faisait partie du patrimoine national et que les entreprises constituaient de bons laboratoires de la société, qu'il s'agisse de la création de valeur, de la répartition de richesses ou des relations humaines en général.

Enfin, il a jugé inéluctable la libéralisation de la distribution mais a souligné que 35 % des clients achetaient leur voiture à une personne et non à un constructeur et que le client était donc plus attaché à un distributeur qu'à une marque particulière. Il a ainsi considéré la confiance dans le distributeur comme un élément essentiel, le facteur humain étant difficilement remplaçable. Il en a conclu que la sélection allait se faire sur la qualité du service.

Remerciant M. Carlos Ghosn d'être venu s'exprimer devant la Commission, le Président Patrick Ollier s'est félicité du succès de cette audition et du nombre particulièrement important de parlementaires présents.

--____--

Information relative à la Commission

La Commission a procédé à la nomination des membres de la mission d'information sur les délocalisations.

Ont été désignés :

Groupe de l'Union pour un Mouvement Populaire :

Mme Chantal Brunel

M. Jérôme Bignon

M. Jean-Marie Binetruy

Mme Arlette Franco

MM. Michel Roumegoux

Alain Marty

Groupe Socialiste :

Mme Claude Darciaux

MM. Pierre Ducout

Jean-Paul Chanteguet

Groupe de l'Union pour la Démocratie Française :

M. Rodolphe Thomas

Groupe des Député-e-s Communistes et Républicains :

Mme Janine Jambu.

--____--


© Assemblée nationale