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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session extraordinaire de 2002-2003 - 4ème jour de séance, 10ème séance

1ère SÉANCE DU VENDREDI 4 JUILLET 2003

PRÉSIDENCE de M. Jean LE GARREC

vice-président

Sommaire

      ARCHÉOLOGIE PRÉVENTIVE 2

      EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ 8

      QUESTION PRÉALABLE 21

La séance est ouverte à neuf heures trente.

ARCHÉOLOGIE PRÉVENTIVE

L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat après déclaration d'urgence, modifiant la loi du 17 janvier 2001 relative à l'archéologie préventive.

M. Jean-Jacques Aillagon, ministre de la culture et de la communication - Le projet de loi que j'ai l'honneur de vous présenter vise à réformer la loi du 17 janvier 2001 relative à l'archéologie préventive.

Cette loi donnait un cadre juridique à cette discipline et créait l'Institut national de recherche et d'archéologie préventive, l'INRAP, établissement public administratif à qui elle confiait le monopole des opérations. Paradoxalement, elle a entraîné de nombreux conflits entre l'INRAP et les aménageurs, au premier rang desquels les collectivités locales, et conduit en peu de temps l'INRAP au bord de la faillite financière.

Pourquoi un tel naufrage ?

Si la loi du 17 janvier 2001 a eu le mérite de consolider le service public de la recherche archéologique, elle portait en elle les germes de nombreux dysfonctionnements.

Le contrôle systématique des aménagements est évidemment nécessaire pour éviter que soient détruits, sans étude préalable, des vestiges enfouis. L'absence de régulation, conjuguée au monopole de l'INRAP, a cependant introduit un premier dysfonctionnement dans la prescription des opérations archéologiques, dont le nombre est passé de 2000 en 2001 à 4000 en 2002. Ce doublement n'a pas été sans conséquence sur les effectifs de l'INRAP et sur les délais d'exécution.

Le second dysfonctionnement tient aux mécanismes de financement de l'INRAP, qui se sont vite révélés inadaptés. Complexes et inéquitables, ils ont exposé les aménageurs, et notamment les petites communes rurales, à des coûts importants, sans pour autant assurer à l'INRAP des ressources suffisantes. Le déficit de l'INRAP, qu'il appartiendra au ministère de résorber, a donc atteint 45 millions d'euros pour 2002 et 2003. L'amendement Garrigue adopté à la fin de l'année dernière, qui réduisait de 25 % la redevance pour les opérations prescrites en 2003, n'a pas amélioré une situation déjà considérablement dégradée.

Enfin, l'absence de dialogue entre le prescripteur - l'Etat -, l'opérateur qu'est l'INRAP et l'aménageur a donné aux élus le sentiment d'un arbitraire insupportable et abouti à un blocage de fait de l'archéologie préventive.

L'enjeu est donc bien de sauver cette archéologie préventive nationale et de lui donner l'organisation publique et l'ambition scientifique qu'elle mérite.

Conscient de l'urgence, le Gouvernement a voulu présenter dans les plus brefs délais ce projet de loi au Parlement. Il vise à donner un cadre juridique et financier durable à l'archéologie préventive nationale, à renforcer sa dimension scientifique et à mieux l'intégrer aux réalités économiques de notre pays et de nos régions. Il repose sur un juste équilibre entre le rôle de l'Etat, éminent et fondamental, et celui des collectivités locales, dont chacun reconnaît la légitimité.

Son premier objectif est de garantir un financement suffisant et pérenne à l'archéologie préventive. Depuis la loi du 17 janvier 2001, les opérations archéologiques sont financées par une ressource fiscale, la redevance, que l'Etat lève en fonction de ses projets de diagnostics ou de fouilles. Ce système peu équitable fait peser le coût de l'archéologie préventive sur les seuls aménageurs directement concernés.

A l'avenir, les opérations de fouilles ne seront plus financées par une redevance, mais sur la base d'un prix convenu entre l'aménageur et l'opérateur. Elles pourront être réalisées, selon le choix de l'aménageur et sous réserve de l'accord de l'Etat, soit par l'INRAP, soit par les services archéologiques des collectivités locales ou par des opérateurs scientifiques, publics ou privés, agréés par l'Etat.

En revanche, les opérations de diagnostic en amont, l'exploitation et la diffusion des recherches en aval seront financées, elles, par une redevance générale d'archéologie perçue sur tous les dossiers d'aménagement au-delà d'un certain seuil. Les diagnostics seront réalisés soit par l'INRAP, soit par les services archéologiques des collectivités locales. Le monopole du service public sur ces opérations est donc maintenu afin d'en garantir la parfaite objectivité.

Cette redevance, dont l'assiette sera élargie, permettra de mieux répartir la charge de l'archéologie préventive entre les différents aménageurs, qu'ils soient ou non concernés par les opérations archéologiques.

Elle viendra abonder un fonds de péréquation qui accordera des subventions aux aménageurs les plus impécunieux pour les aider à supporter le coût des fouilles. Ces subventions, qui permettront d'atteindre les objectifs scientifiques des opérations, seront accordées par l'Etat en fonction de critères objectifs déterminés par une commission composée d'élus, d'agents de l'Etat et de personnalités compétentes. Elles n'étaient pas envisageables dans le système précédent, puisque l'intégralité des opérations était financée par une ressource fiscale : aucun contribuable ne peut bénéficier d'une subvention pour alléger le coût de son impôt.

Le texte initial du Gouvernement proposait qu'une nouvelle redevance, la redevance générale d'archéologie, soit perçue par l'INRAP sur tous les dossiers d'aménagements au-delà d'un seuil de 5 000 mètres carrés.

Le Sénat, estimant que ce seuil ne rétablirait pas un équilibre satisfaisant entre les zones rurales et les zones urbaines, l'a abaissé à 1 000 mètres carrés. Il a également préféré que la redevance soit liquidée par les directions départementales de l'Equipement et perçue par les services du Trésor.

Vos rapporteurs proposent de revenir au seuil initial de 5 000 mètres carrés et souhaitent clarifier le rôle des services de l'Etat dans la liquidation et dans la perception de la redevance. Ils proposent d'amender le texte pour assurer un meilleur fonctionnement du fonds de péréquation. Nous en débattrons au cours de la discussion des articles, mais je rends dès à présent hommage au travail de MM. Herbillon et Hénart, remarquable illustration du rôle du Parlement, qui a permis de trouver un équilibre satisfaisant.

La réforme vise également à ériger les collectivités territoriales en acteurs à part entière du service public de l'archéologie préventive.

Le système actuel ne permet l'intervention des organismes scientifiques qu'en tant que sous-traitants de l'INRAP. Il n'a pas assuré de véritable adéquation entre les pratiques opérationnelles et le contexte archéologique spécifique à chaque région. Le développement de l'archéologie préventive doit aujourd'hui mieux prendre en compte les réalités régionales et la capacité des collectivités locales à s'y engager.

Les services archéologiques agréés des collectivités territoriales ont trop souvent été considérés comme de simples supplétifs du ministère. Ils se verront désormais confier, s'ils le souhaitent, la pleine responsabilité des diagnostics et des fouilles. Leur développement est l'une des clés de la réforme.

Ces services partageront le monopole de la réalisation des diagnostics avec l'INRAP. Les collectivités territoriales pourront décider soit de réaliser ponctuellement un diagnostic, soit d'assurer tous ceux qui seront prescrits sur leur territoire pendant au moins trois ans. La collectivité qui aura fait ce choix recevra l'ensemble des redevances dues sur son territoire en application de la présente loi.

Le projet de loi préserve cependant le principe de libre administration des collectivités territoriales et les prérogatives de maîtrise d'ouvrage de l'aménageur public. Si plusieurs collectivités sont intéressées par la même opération de diagnostic, le projet privilégie la plus proche. De même, l'aménageur public peut préférer l'établissement public au service archéologique territorial.

Enfin, les collectivités pourront, de façon dérogatoire, recruter des agents de l'INRAP afin de s'appuyer pleinement sur leurs compétences.

Mon troisième objectif consiste à confirmer le rôle éminent de l'Etat. Loin d'affaiblir les missions régaliennes de l'Etat, comme l'affirment certains, ce projet lui confère un rôle essentiel dans l'ensemble du processus (M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances, approuve). Nulle « privatisation » n'est à entrevoir. La réforme crée une ouverture vers un ensemble d'intervenants qui seront tous agréés par l'Etat et satisferont donc à toutes les exigences scientifiques requises.

C'est l'Etat qui accordera son agrément aux différents opérateurs. Les critères qui seront identiques sur l'ensemble du territoire garantiront notamment le caractère permanent des structures et la présence d'archéologues qualifiés. En cas de manquement, l'agrément pourra être retiré. Le Sénat ayant souhaité assouplir ce dispositif à l'égard des collectivités locales, je remercie Michel Herbillon et la commission des affaires culturelles d'avoir proposé de le rétablir, car il me paraît essentiel.

C'est encore l'Etat qui autorisera les fouilles, après contrôle du cahier des charges et qui veillera au respect des règles de déontologie. Il désignera le responsable de l'opération, contrôlera le déroulement des actions de terrain et enfin évaluera et fera connaître leurs résultats.

Les services déconcentrés du ministère, et notamment les services régionaux d'archéologie des DRAC, devront maîtriser, à partir de critères scientifiques incontestables, la prescription des opérations de diagnostic et de fouille car l'Etat doit jouer ici le rôle qui lui revient. Je rends hommage à ces services pour leur action efficace.

Le quatrième objectif de ce projet est de stabiliser l'INRAP. Cet établissement public, créé par la loi du 17 janvier 2001, conservera son caractère administratif et le statut de son personnel. La crise que nous connaissons aujourd'hui ne doit faire oublier à personne la grande qualité de ses agents qui contribuent de façon décisive à la connaissance de notre histoire et au développement de la science. L'INRAP restera donc un acteur essentiel dans tous les secteurs de la recherche archéologique nationale. Il assurera, à ce titre, des missions de service public et garantira au nom de l'Etat la continuité du service public de l'archéologie préventive.

Tel est le contenu de cette réforme. Elle a suscité des réactions contrastées mais notre responsabilité politique nous commande de mettre en place les conditions d'un fonctionnement stable, apaisé et durable de l'archéologie préventive nationale.

C'est de cette manière que nous garantirons la pérennité de cette discipline précieuse pour notre pays, dans le respect de la recherche scientifique et des réalités économiques (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Michel Herbillon, rapporteur de la commission des affaires culturelles - Chacun d'entre nous, sur chacun des bancs, a conscience de l'urgence qu'il y a à réformer la loi du 17 janvier 2001 sur l'archéologie préventive. Cette loi, qui visait à conférer toute sa légitimité à la discipline qui a tant fait progresser nos connaissances, a pourtant provoqué une crise sans précédent. Personne ne conteste que cette loi était nécessaire : en consacrant l'archéologie préventive comme discipline scientifique relevant du service public et en créant l'INRAP, elle répondait à de réels besoins. Elle a marqué la reconnaissance officielle du travail des archéologues et de leur utilité pour la nation. Elle a doté l'archéologie préventive, qui s'était développée de façon empirique dans les trente dernières années, d'un cadre cohérent. Le fait que l'Etat se décharge de la gestion de l'archéologie préventive sur l'Association pour les fouilles archéologiques nationales avait en effet conduit à des pratiques dénoncées par la Cour des comptes. Enfin, la réforme de 2001 a permis à la France de se conformer aux exigences de la convention européenne de Malte sur la protection du patrimoine, pour laquelle notre pays avait beaucoup milité.

Malheureusement, un certain nombre des solutions retenues se sont révélées désastreuses en pratique. La loi de 2001 a d'abord fait resurgir les polémiques sur le coût et la place de l'archéologie préventive. La création d'un monopole de fait pour l'INRAP, l'absence de prise en compte de la dimension territoriale de l'archéologie préventive, la mise à l'écart des aménageurs, réduits au rôle de porte-monnaie, ont fortement dégradé les relations entre les parties prenantes. Par ailleurs, l'INRAP n'a pu faire face à l'accroissement considérable du nombre des prescriptions. L'allongement des délais a encore accru les tensions avec les aménageurs et les élus, déjà fort mécontents du mode de calcul de la redevance. Surtout, l'INRAP n'a pas été doté d'un financement suffisant. Les recettes et dépenses ont mal été évaluées et le déficit cumulé de 2002 et 2003 est de 45 millions.

Il est donc impérieux aujourd'hui de sauvegarder cette discipline essentielle qu'est l'archéologie préventive. La présente réforme a fait l'objet de nombreuses négociations avec l'ensemble des partenaires. Elle veut à la fois conforter les éléments positifs de la loi de 2001, restaurer la sérénité du dialogue et garantir le financement de l'archéologie préventive. Pour cela, elle prévoit en premier lieu d'ouvrir l'archéologie préventive à plusieurs acteurs. L'INRAP conserve une place majeure, mais perd son monopole de fait. Il partagera la phase de diagnostic avec les services archéologiques des collectivités locales et celle des fouilles avec l'ensemble des opérateurs : laboratoires universitaires, CNRS, collectivités locales ou entreprises privées... Cette ouverture n'a rien de commun avec une privatisation. Le projet confère en effet un rôle central à l'Etat et réaffirme clairement la qualité de service public de l'archéologie préventive.

C'est l'Etat qui prescrit les opérations, qui désigne le chef d'opérations et contrôle les travaux. C'est encore lui qui coordonne la carte archéologique nationale et qui met en _uvre le fonds de péréquation. L'objectivité du diagnostic est garantie par le maintien du monopole public en la matière. Tout intervenant autre que l'INRAP devra être agréé : la commission des affaires culturelles de l'Assemblée a rétabli l'agrément pour les collectivités locales, qui avait été supprimé par le Sénat. Toutefois, le projet de loi reconnaît la légitimité du rôle des collectivités territoriales. L'archéologie préventive doit mieux prendre en compte les réalités régionales et l'engagement des collectivités. C'est aussi un des objectifs de la réforme que d'ancrer le développement du service public de l'archéologie préventive dans une approche territoriale.

Par ailleurs, la réforme vise à rétablir le dialogue entre les parties prenantes. C'est une convention entre l'aménageur et l'opérateur qui définira les délais de réalisation de l'opération, les indemnités en cas de non-respect et le prix des fouilles.

Dans le texte initial, la prescription par l'Etat devait être précédée d'une concertation entre l'aménageur et l'opérateur. Le Sénat a remplacé cette concertation par l'obligation pour l'Etat de motiver ses prescriptions, ce qui paraît plus réaliste compte tenu du délai très réduit prévu pour l'édiction des prescriptions.

Un autre objectif essentiel de la réforme est le financement de l'archéologie préventive. Nous devons parvenir à une solution réaliste et efficace sur ce point, sous peine de compromettre toute la réforme.

Le projet du Gouvernement apporte des progrès substantiels par rapport au système actuel.

Il substitue aux deux redevances de diagnostic et de fouilles une redevance unique d'archéologie préventive à l'assiette élargie, puisqu'elle s'appliquera à l'ensemble des travaux affectant le sous-sol. Cette extension garantit une plus grande mutualisation des charges.

De surcroît, le mode de calcul - 0,32 € par mètre carré - est d'une très grande simplicité, qui tranche avec la complexité du système actuel.

Troisième amélioration, le projet créé un fonds de péréquation pour financer les fouilles ne pouvant être assumées par l'aménageur ou concernant les constructions exonérées de redevance. Ce fonds sera alimenté par un prélèvement de 30 % sur la redevance. La commission des finances a proposé que si la redevance dépasse les prévisions initiales, le taux de prélèvement soit accru pour abonder le fonds de péréquation. Cette idée me paraît judicieuse.

Reste la question du seuil à partir duquel s'applique la redevance. Le Sénat a souhaité l'abaisser à 1 000 m2, au lieu des 5 000 m2 proposés par le Gouvernement et la commission des affaires culturelles s'était rangée à cette position. Mais il apparaît que cet abaissement ferait passer le nombre de dossiers à traiter de 7 000 à près de 40 000 par an. Une telle charge supplémentaire pour les services de l'Etat générerait des coûts disproportionnés. C'est pourquoi nous vous proposons de revenir au seuil initial de 5 000 m2.

Quant aux opérations de fouilles, elles ne seront plus financées par une redevance, mais sur la base d'un prix convenu entre l'aménageur et l'opérateur.

L'archéologie préventive vit aujourd'hui une période d'incertitude, qui a provoqué une exacerbation des passions. Il est temps de revenir à plus de sérénité. Nous avons tous à c_ur de garantir la pérennité de cette discipline qui, grâce au travail d'hommes et de femmes de grande qualité, a fait tant progresser la connaissance de notre passé. Les polémiques politiciennes n'ont pas leur place lorsqu'il s'agit de la défense de notre patrimoine.

C'est pourquoi je vous invite à soutenir la réforme proposée par le ministre de la culture. C'est une réforme nécessaire parce que garante d'efficacité, de dialogue et d'équité (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Laurent Hénart, rapporteur pour avis de la commission des finances - Notre commission s'est saisie de ce texte, dans le sillage du travail effectué par la mission d'évaluation et de contrôle, à l'initiative de tous les groupes parlementaires, sur la mission des archéologues et des architectes pour la sauvegarde du patrimoine.

Ce travail avait abouti à des propositions consensuelles allant dans trois directions : l'ouverture de l'archéologie à une pluralité d'acteurs, le développement de l'archéologie « prévisionnelle », la simplification et la sécurisation du financement de l'archéologie préventive.

En ce qui concerne la pluralité des acteurs, il faut d'abord tordre le cou à une fausse rumeur : ce n'est pas ce projet qui introduit d'autres opérateurs que l'INRAP, la loi de 2001 le prévoyait déjà et six opérateurs ont été agréés sur la base de cette loi, dont une société privée. Le projet propose simplement, conformément aux v_ux de la MEC, que ce soit l'Etat, et non l'INRAP, qui régule cette diversité d'opérateurs par une politique d'agrément claire.

La fonction scientifique et culturelle de l'INRAP est clairement réaffirmée dans les articles 2, 4 et 7.

Notre objectif n'est pas de permettre l'irruption d'opérateurs privés, dont on sait qu'ils seront peu nombreux et de petite taille, mais de permettre aux collectivités locales de s'impliquer dans l'archéologie préventive. C'est un élément très positif...

M. Patrick Bloche - C'est un chèque en blanc ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

M. le Rapporteur pour avis - Mais non, ne dites pas cela, vous qui avez fait en 1982 une loi de décentralisation confiant aux collectivités locales des éléments majeurs de sauvegarde du patrimoine !

Les collectivités locales seront les mieux placées pour harmoniser les délais et pour mettre les _uvres à disposition du public, afin qu'elles ne soient pas exploitées seulement scientifiquement, mais aussi culturellement. C'est ce qu'avait préconisé la MEC.

Deuxième point important, la question des délais : plus encore que l'argent, c'est le temps perdu qui inquiétait les aménageurs, publics ou privés. Concilier le temps de la préservation du patrimoine avec celui de la construction et du développement du territoire est un enjeu-clé de ce projet.

Il impose le respect des délais fixés par contrat, faute de quoi celui-ci devient caduc. Un amendement de notre commission propose d'enserrer également la procédure de prescription dans des délais légaux.

Pour faciliter l'anticipation, le Sénat a prévu que la carte archéologique indique les zones sensibles. Nous vous proposerons également un amendement permettant une anticipation même en dehors de ces zones.

Toute cette architecture d'acteurs pluriels, de délais encadrés et de prévisibilité ne tiendra que si le financement est garanti. Notre commission a beaucoup travaillé sur ce point, avec pour objectif que la redevance soit d'un calcul clair et simple et surtout qu'elle soit collectée par l'Etat. C'est l'Etat qui doit gérer le fonds de péréquation et payer le diagnostic, c'est aussi lui qui doit collecter la redevance.

Pour que son côut soit raisonnable, nous proposons le retour au seuil des 5 000 m2. Moyennant la suppression de quelques exonérations, nous pourrons maintenir le taux de 32 centimes d'euros par m2.

Deuxième élément important, un fonds de péréquation est créé et divers amendements en préciseront les modalités de gestion. La commission souhaite que les objectifs et principes de ce fonds soient clairement indiqués dans la loi, en particulier la priorité à accorder aux secteurs ruraux et aux projets à objectif social, la prise en compte du potentiel fiscal, le subventionnement non seulement des fouilles, mais aussi des aménagements à apporter aux projets du fait de ces fouilles. Ces priorités ont été définies avec les acteurs que nous avons auditionnés : l'INRAP, le ministère, les archéologues, les aménageurs, les collectivités locales.

Je rappellerai qu'à côté des 1 400 archéologues de l'INRAP, 700 archéologues oeuvrent dans les services territoriaux, les associations, etc. Il convient de les mobiliser tous, mais c'est à l'Etat de définir les projets prioritaires, sous l'angle culturel ou sous l'angle de l'aménagement du territoire.

Je remercie, enfin, la commission des affaires culturelles pour la qualité du travail que nous avons eu ensemble (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - Toute la difficulté est de trouver un juste équilibre entre le besoin d'équipement et de modernité, qui amène à détruire le patrimoine, et un besoin culturel d'histoire et de racines, qui amène à vouloir le préserver.

Durant les vingt dernières années, les aménageurs ont peu à peu participé au financement des fouilles préventives, mais sans base légale claire, sinon une loi de Vichy, validée par une ordonnance de septembre 1945.

C'est à cette situation que la loi du 17 janvier 2001 entendait mettre fin, en donnant un socle juridique à l'archéologie préventive et en permettant que toutes les opérations soient désormais traitées de manière homogène.

Malheureusement, elle s'est révélée totalement inadaptée aux réalités du terrain et suscite des critiques tant de la part des collectivités territoriales que des praticiens de l'archéologie préventive eux-mêmes. Les raisons profondes du malaise tiennent au caractère excessivement centralisateur de la loi. Le mode de financement du système est en outre jugé opaque et inégalitaire.

Cette loi a institué le principe « casseur-payeur » à travers un système complexe de redevance, mais les communes rurales n'ont tout simplement pas les moyens d'acquitter les sommes exigées. Nombre d'entre elles peinent désormais à créer des zones d'habitation ou des zones industrielles.

Par ailleurs, l'établissement public créé par la loi, l'INRAP, n'arrive pas, du fait du nombre de prescriptions émises, à remplir sa mission dans des délais raisonnables. Cette situation est rarement préjudiciable au développement de nos territoires et décourage les investisseurs. Pour couronner le tout, la mauvaise appréciation du rendement de la redevance a conduit l'INRAP au bord de la faillite financière. Au total, la loi est donc devenue un frein au développement économique et à l'aménagement du territoire.

Ce constat appelait une révision rapide des textes. Votre projet de réforme, Monsieur le ministre, concerne le financement de l'archéologie préventive. Mais il cherche également à améliorer le fonctionnement de l'ensemble constitué par l'INRAP et les autres acteurs de l'archéologie préventive, tout en conciliant les exigences respectives de la recherche scientifique, de la conservation du patrimoine et du développement économique et social.

Élaborée dans le strict respect des principes fixés par la convention de Malte, la réforme institue une phase de dialogue entre l'Etat qui décide des opérations d'archéologie préventive, l'aménageur et l'organisme qui conduira ces opérations de sauvetage ; les services agréés des collectivités territoriales sont autorisés à effectuer diagnostics et fouilles et l'aménageur peut choisir l'opérateur parmi les organismes publics et privés agréés par l'Etat, la commission ayant en effet rétabli le principe d'un agrément.

En tout état de cause, l'Etat conserve un rôle essentiel, puisqu'il accordera son agrément aux différents opérateurs. En matière de diagnostic, c'est le principe du maintien d'un monopole public qui prévaut afin de garantir l'objectivité de celui-ci : l'INRAP et les services archéologiques des collectivités territoriales s'en partagent la charge. La réalisation des opérations de fouilles, en revanche, est ouverte à d'autres intervenants, mais il est probable que l'INRAP et les services archéologiques des collectivités territoriales continueront à effectuer la plupart des travaux, la France ne comptant que très peu d'organismes privés agréés.

Concernant le financement, le système est simplifié, stabilisé et rendu plus équitable, via l'instauration d'un système de redevance générale payée par tous les aménageurs au-delà d'un certain seuil, la fin de la surtaxation des aménagements en milieu rural, le rétablissement de l'équilibre financier. Et le projet met en place un mécanisme de péréquation nationale destiné à prendre partiellement ou totalement en charge le coût des fouilles qui ne pourraient être assumées par l'aménageur ou qui concernent des constructions exonérées de redevance.

En clarifiant les règles de l'archéologie préventive et en stabilisant son mode de financement, nous allons, d'une part, préserver les avancées de la loi du 17 janvier 2001 - notamment la consécration de l'archéologie préventive comme service public -, d'autre part, concilier durablement la valorisation de la richesse historique de notre sous-sol et l'aménagement de l'espace (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ

M. le Président - J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une exception d'irrecevabilité déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. Patrick Bloche - Dans son beau livre intitulé Richesses invisibles - Que nous apporte la culture ?, Bruno Ory-Lavollée raconte la passion de son oncle fermier pour l'archéologie : « Il conservait les tessons, monnaies, fossiles, morceaux d'outils... qui remontent régulièrement des labours comme des messages venus du passé. Il avait entrepris des fouilles pour mettre au jour les vestiges de bâtiments médiévaux de la ferme. Un jour, il apprit qu'une grange ancienne, très belle quoique en mauvais état, une « grange aux dîmes », était condamnée à la démolition. Il s'y rendit immédiatement et acheta le bâtiment.

« Avec ses ouvriers agricoles, il le démonta, poutre par poutre et pierre par pierre, puis le remonta à l'extrémité de sa propre cour et le restaura.

« Une fête eut lieu pour inaugurer l'édifice. A la vue du vaste et bel espace créé par ces piliers et ces poutres de chêne, je dis à mon oncle : « Il faut organiser ici des concerts ! »

« A chaque nouvelle rencontre, je lui reparlais du projet avec enthousiasme : il finit par y consentir. J'invitai quelques amis à découvrir les lieux et ils s'enrôlèrent dans l'organisation du premier festival d'Eloguette - tel est le nom de la ferme ».

C'est ainsi, dans notre vieux pays, que nos concitoyens tout autant épris de culture que de leur histoire, tissent spontanément des liens entre archéologie, patrimoine et spectacle vivant. Liens précieux car notre mémoire collective est sans conteste l'un des creusets les plus féconds pour tous les créateurs des temps actuels.

Parler d'archéologie, c'est donc aborder un aspect majeur de l'action culturelle. Hélas ! Le projet qui nous est proposé aujourd'hui est un mauvais coup supplémentaire porté à la politique culturelle de notre pays.

Il est d'ailleurs un peu irréel de se retrouver dans cet hémicycle en ce début du mois de juillet, pour débattre précipitamment en un domaine où l'encre du législateur est encore fraîche et alors que les intermittents du spectacle se sont dressés pour refuser l'inacceptable précarisation que leur impose le mauvais accord signé le 27 juin dernier. M. Fillon avait préparé le terrain, l'été dernier, en introduisant dans un texte supprimant les emplois-jeunes un cavalier visant à modifier le code du travail pour mettre fin à la solidarité interprofessionnelle de l'assurance chômage. Ce qui lui permettait peu après d'agréer un premier accord de l'UNEDIC marquant le début de l'offensive du Medef contre les annexes 8 et 10 entraînant le doublement des cotisations, part employeurs comme part salariés, des intermittents du spectacle.

En douze mois, la liste est déjà longue des décisions préjudiciables aux acteurs culturels de notre pays. Comment ne pas évoquer d'abord le repli qui a caractérisé votre budget, Monsieur le ministre, et qui conduit régulièrement à l'annulation de crédits par arrêté, le 12 juin dernier encore, pour 2,4 millions d'euros d'interventions culturelles d'intérêt national...

M. le Rapporteur pour avis - C'est un débat sur l'archéologie préventive.

M. Patrick Bloche - ...et pour 6,8 millions d'euros d'interventions culturelles déconcentrées. Qu'est donc devenue la promesse du Président de la République de sanctuariser le budget de la culture ?

Puisque le budget craque, pourquoi ne pas faire appel au privé ou se décharger sur les collectivités territoriales ? Tel semble être le raisonnement de votre gouvernement, qui s'apprête à décentraliser l'Etat par appartements, sans véritable vision d'ensemble, comme en témoigne le projet sur le mécénat. Autres mesures contestables : la réorganisation des musées en faveur des grands et au détriment des petits, la nouvelle législation sur les marchés publics au bénéfice des promoteurs et contre les architectes...

M. le Rapporteur - Si nous parlions d'archéologie préventive !

M. Patrick Bloche - Rassurez-vous, j'aurais l'occasion d'en parler longuement.

Parfois, il vous arrive de pécher par omission, par exemple lorsque vous ne réagissez pas au démantèlement de Vivendi Univesal, alors que la vente de VUP conduit à une concentration sans précédent du secteur de l'édition.

A ce rythme de dévastation programmée du champ culturel national, quel crédit faudra-t-il accorder bientôt aux discours officiels sur l'exception culturelle ?

Celle-ci perdra un peu plus de son sens lorsque votre gouvernement aura agréé, avant la fin de ce mois, puisque telle est votre intention, l'accord du 27 juin dernier modifiant les règles du régime spécifique d'assurance chômage des intermittents du spectacle.

Le Medef, par la voix de son président Ernest-Antoine Seillière, nous a livré une interprétation de cet accord qui devrait au moins vous faire réfléchir. Pour le patron des patrons, il « évitera que des gens vivent de l'assurance chômage au lieu de vivre de leur travail. Le milieu du spectacle est habitué à ce qu'on ne touche pas à ses privilèges, on y touche comme à d'autres et c'est ça qu'on appelle la réforme ». La si légitime et si forte mobilisation des intermittents du spectacle, qui a conduit à l'annulation des premiers festivals d'été, a pourtant montré que la culture suscitait en fait une extraordinaire création de richesses, dont le pays tout entier est redevable aux professionnels du spectacle vivant et aux acteurs culturels en général.

Arrêtez donc, Monsieur le ministre, de prétendre que vous avez évité la fusion des annexes 8 et 10 dans l'annexe 4 de la convention UNEDIC concernant les intérimaires, alors que c'est la proposition de loi de notre collègue Jean Le Garrec, votée sous la précédente législature, qui a comblé un vide juridique autrement plus menaçant. Plutôt que d'attaquer vos prédécesseurs et d'essayer de nous faire croire que l'accord du 27 juin contient « des avancées considérables », prenez en considération la détresse de ces artistes et de ces techniciens qui ont déjà des difficultés à atteindre les 507 heures en une année. Mesurez le coût social de votre agrément, qui va exclure de l'assurance chômage plus d'un tiers des bénéficiaires actuels.

Certes, le déficit comptable de l'UNEDIC sera réduit, en faisant l'économie de la réforme des annexes 8 et 10, nécessaire pour lutter contre les abus. Mais à quel prix ? Celui que paiera la collectivité tout entière, puisque l'accord contesté conduira nombre de professionnels du spectacle vivant à gonfler les rangs des allocataires du RMI.

Alors qu'intermittents et archéologues manifestent au coude à coude, il est temps que vous écoutiez M. Sarkozy et que votre gouvernement arrête de diviser les Français : hier, sur le dossier des retraites, en opposant salariés du privé et salariés du public ; aujourd'hui, à partir de ce mauvais accord en opposant les artistes aux festivaliers, les intermittents du spectacle aux autres salariés ; et avec ce projet, les archéologues aux aménageurs, tout particulièrement lorsque ceux-ci sont des élus locaux.

C'est donc au nom du pacte républicain, ciment de l'unité nationale, que je vais aborder l'exception d'irrecevabilité sur ce projet, qui suscite l'opposition la plus vive du groupe socialiste.

Pour appréhender votre vision contestable de l'archéologie préventive et en mesurer la dimension foncièrement réactionnaire, il n'est pas inutile de rappeler la situation antérieure à la loi du 17 janvier 2001.

Créée en 1973 à l'initiative des ministères de l'économie et des affaires culturelles sous la forme d'une association de droit privé, l'AFAN obéissait à une logique de démembrement de l'administration.

Cette formule, adoptée en raison de sa souplesse, qu'il s'agisse de la gestion des crédits ou du recrutement des personnels, a très vite montré ses limites, l'AFAN ayant été critiquée pour sa « gestion de fait » par la Cour des comptes.

Pourtant, l'AFAN a contribué à réduire le retard de la France en matière d'archéologie préventive. Elle pratiquait environ 1 300 opérations par an ; 90 % de son personnel relevait de la filière « recherche et technique ». L'association disposait de 1 100 agents en contrat à durée indéterminée et de plusieurs centaines en contrat à durée déterminée.

Cependant, le mode de financement de l'AFAN posait un problème. Son budget, qui se montait à 400 millions de francs par an, était alimenté pour l'essentiel par le produit des prestations issues de son activité, c'est-à-dire par les fouilles. Le financement était donc assuré par les aménageurs, selon des tarifs fixés de manière unilatérale.

Comment se déroulaient alors, en pratique, les fouilles d'archéologie préventive ? Elles se décomposaient en trois phases : l'étude et la prospection ; les fouilles proprement dites ; enfin, l'analyse et la diffusion des résultats.

Avant d'engager des fouilles, il était indispensable de s'interroger sur l'existence de vestiges sur l'emprise des travaux et, le cas échéant, d'en déterminer la nature et l'intérêt scientifique. Le diagnostic préliminaire reposait sur des études documentaires qui faisaient appel, en particulier, aux données de la carte archéologique nationale, dont la réalisation constituait l'une des missions de l'AFAN. Il était suivi de prospections qui permettaient de localiser et d'identifier les sites par des techniques de décapages et de sondages.

Quand des fouilles semblaient s'imposer, une convention était conclue entre l'aménageur, l'Etat prescripteur et l'opérateur de fouilles. Ce document fixait les conditions générales du déroulement des travaux. Un cahier des charges, établi par le conservateur régional de l'archéologie, définissait les objectifs scientifiques et la nature des interventions, ainsi que le nombre et la qualification des personnels requis. Le cahier des charges était adressé à l'AFAN pour l'établissement de son devis, qui était ensuite transmis à l'aménageur. Les fouilles pouvaient alors commencer.

Ce système a fait l'objet d'interrogations et de critiques, parce que les coûts variaient selon les régions ou la nature des travaux. De fait, il existait ce qu'on appelait « une négociation préalable » qui permettait à chaque aménageur de discuter le montant de la redevance. Cette méthode était pour le moins critiquable car elle ouvrait la porte à toutes les dérives et elle brisait l'égalité entre les aménageurs. On a pu soupçonner que la hauteur des coûts pouvait être liée à la solvabilité de l'aménageur. J'aurai l'occasion d'y revenir puisque nous craignons, Monsieur le ministre, de connaître à nouveau cette situation si votre texte était adopté.

Par ailleurs, la logique purement économique qui prévalait à l'AFAN s'imposait au détriment d'autres considérations comme l'exigence scientifique ou l'aménagement du territoire. Ainsi, tout un pan de la démarche archéologique était négligé, le « rendu » des fouilles. L'évaluation, la valorisation et l'encadrement scientifique des agents n'étaient pas non plus assurés convenablement.

La question du financement a logiquement débouché alors sur celle du statut et, à l'évidence, la forme associative s'est révélée inadaptée. Au-delà, l'interrogation de fond portait sur la nature même de l'archéologie préventive : activité économique ayant vocation à s'ouvrir à la concurrence, ou discipline scientifique relevant du service public ?

Sans nier la fonction économique de l'archéologie préventive, la loi de janvier 2001 a mis l'accent sur cette seconde approche.

Cette loi a fondé l'archéologie préventive sur quatre principes directeurs : l'archéologie est une science ; l'archéologie préventive est une composante à part entière de la recherche archéologique ; l'archéologie préventive, discipline scientifique, assure en même temps une fonction économique spécifique ; enfin, l'Etat doit être le garant du régime de l'archéologie préventive.

M. Jean-Jack Queyranne - Très bien !

M. le Rapporteur - Aucun de ces principes n'est respecté aujourd'hui.

M. Patrick Bloche - A partir de ces principes, quatre grandes orientations ont été dégagées. L'archéologie préventive a été considérée comme un service public national. Elle a été confiée à un établissement public. Ces mécanismes d'intervention ont été réformés en profondeur. Enfin, on a choisi de ne pas bouleverser pour autant la loi de 1941.

L'article premier de la loi de 2001 définit l'archéologie préventive en tant que composante de la recherche archéologique et fixe les prérogatives de l'Etat.

L'article 2 crée un nouvel établissement public national à caractère administratif, dont il précise les règles d'organisation et de fonctionnement.

Les articles 3, 4 et 5 définissent le financement de cet établissement, qui repose sur deux redevances versées par les aménageurs, l'une portant sur les opérations de sondages et de diagnostics, l'autre sur les opérations de fouilles elles-mêmes.

Ce dispositif cohérent a permis de mettre fin à la crise de l'archéologie préventive, en substituant entre les parties prenantes la confiance à la méfiance, en instaurant une réelle transparence. C'est l'occasion pour moi de rendre hommage à notre ancien collègue Marcel Rogemont à qui doit tant ce texte fondateur, devenu une référence pour les archéologues du monde entier.

L'archéologie préventive n'est pas une marchandise, car la mémoire, le patrimoine sont des valeurs collectives auxquelles nos concitoyens sont particulièrement attachés.

Mais vous vous inscrivez dans une logique de marchandisation...

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances - Voilà le mot !

M. Patrick Bloche - Celle-ci marque de son empreinte nombre de projets depuis le début de la législature. Le parallèle entre ce texte sur l'archéologie préventive et celui dont nous débattrons, dans quelques jours, sur le sport est à cet égard frappant. Place à la marchandisation !

M. le Président de la commission des finances - C'est incroyable, d'en arriver à ce niveau de mensonge !

M. Patrick Bloche - Ce mot vous gêne.

M. le Président de la commission des finances - Vous êtes un menteur ! On ne peut pas caricaturer à ce point le débat !

M. Patrick Bloche - Monsieur le président de la commission des finances, vous pouvez me critiquer, mais pas me traiter de menteur.

La création artificielle d'un marché concurrentiel des fouilles, la privatisation rampante à laquelle vous procédez nous fait craindre un fantastique bond en arrière. C'est en cela que votre projet est réactionnaire.

Comme la nuée annonce l'orage, votre texte peut renouer avec une époque funeste, celle des années 1950 à 1970 au cours de laquelle on a détruit en masse des biens archéologiques majeurs. Dois-je rappeler les pertes inestimables provoquées par les aménagements du parvis de Notre-Dame-de-Paris ou la construction de la bourse de Marseille ?

M. Frédéric Dutoit - C'est vrai !

M. Patrick Bloche - Ne faut-il donc pas que notre mémoire collective soit préservée de toute velléité marchande ? L'intérêt général n'est-il pas là ?

C'est pour ces raisons que la loi de 2001 a créé un établissement public administratif doté de droits exclusifs mais pouvant s'adjoindre les services des collectivités territoriales ou de toute autre société publique ou privée compétente. L'Institut national de recherche d'archéologie préventive a ainsi remplacé l'ancienne AFAN, association de droit privé, simplement liée au ministère de la culture par convention, mais en situation de monopole de fait. La loi a maintenu un régime conventionnel entre l'aménageur et l'INRAP, mais en le limitant aux délais des diagnostics et des fouilles et à la fourniture des matériels nécessaires.

Elle fixe également la répartition des participations financières : des subventions de l'Etat ou de collectivités publiques et deux redevances d'archéologie préventive dues par les aménageurs, la première portant sur les diagnostics, la seconde sur les fouilles. Leur montant est calculé selon des critères très précis et n'est donc plus négociable comme il l'était préalablement. C'est sur ce changement fondamental que vous voulez revenir. L'assiette de la redevance a été établie selon le type de travaux envisagés et son montant en fonction de la surface. Des exonérations ont été prévues. Les aménageurs bénéficient d'un recours auprès d'une commission administrative paritaire. Le Gouvernement devait remettre au Parlement, au plus tard le 31 décembre 2003, un bilan de l'application de cette loi.

Mais ce gouvernement et sa majorité n'ont pas jugé utile d'attendre ce rendez-vous pour procéder à une remise en cause fondamentale de cette loi.

M. le Rapporteur - Pour cause, l'INRAP est en faillite...

M. Patrick Bloche - La première agression est venue du Sénat où un amendement à une proposition de loi sur l'urbanisme a tenté de réintroduire le système préalable à la loi de 2001 ce qui aurait permis à l'aménageur d'imposer à l'INRAP des tarifs à sa convenance. Ce dispositif annulait aussi toutes les décisions de prescriptions archéologiques antérieures. Fort heureusement, cette initiative contestable est restée sans suite.

Las ! Le groupe UMP de l'Assemblée a pris le relais. Ainsi un amendement au projet de loi de finances pour 2003 a réduit de 25 % le montant des deux redevances. L'INRAP a été touché de plein fouet par cette réduction brutale de son financement. Une période d'incertitude s'est ainsi ouverte pour l'établissement public, injustement attaqué de toutes parts. Rappelons-nous ces propos offensants pour les professionnels sur l'argent public dépensé pour déterrer des canettes de Coca-Cola...

Le refus de Bercy, au début de cette année, de valider le budget de l'INRAP a déstabilisé durablement l'Institut. L'INRAP est actuellement autorisé par le ministère des finances à utiliser, chaque mois, un montant équivalent au 1/12ème du budget primitif de l'année précédente. Cette autorisation devant être renouvelée mensuellement, on imagine les conditions de travail des archéologues, incapables de prévoir leurs missions au-delà d'un mois... De plus, l'Institut a dû se séparer de plus de 500 agents en CDD et de nombreux chantiers ont pris du retard ou été suspendus.

Avec ce projet, vous prétendez poursuivre trois objectifs : proposer un système mieux adapté aux projets des petits aménageurs, rendre plus lisible pour les aménageurs le calcul des redevances, réduire un déficit estimé à 40 millions. Mais au lieu de vous contenter de modifier l'assiette et le calcul pour répondre à la demandes des petites collectivités locales qui ont parfois du mal à payer les redevances dues à l'occasion d'opérations d'aménagement, vous avez fait le choix aussi extravagant qu'injustifié de bouleverser l'équilibre général de la loi de janvier 2001 en ouvrant le marché des fouilles à la concurrence privée et étrangère et en mettant à mal la mission de service public remplie par l'INRAP.

Votre projet sonne le glas d'un grand service public de l'archéologie préventive, référence internationale incontestée.

Les opérations de diagnostic et de fouilles ne seront plus effectuées ni dans le même cadre réglementaire, ni par le même organisme, ni dans l'intérêt général, mais au bénéfice de l'aménageur dont la logique a été délibérément privilégiée.

Le rôle et la composition du CNRA et des CIRA et le statut des personnels des services archéologiques territoriaux sont remis en cause, autorisation étant donnée aux collectivités territoriales de recruter des agents non titulaires.

En instaurant une redevance à taux unique de 0,32 € par m2 avec de larges exonérations, le projet compromet gravement la pérennité budgétaire de l'INRAP. En exonérant les opérations portant sur des surfaces de moins de 5 000 m2, le Sénat a d'ailleurs ramené cette exonération à 1 000 m2. Hélas, notre commission des finances a imposé son point de vue et nous revenons à 5 000 m2, ce qui favorise grandement les aménageurs urbains. Avec une telle proposition, vous signez la mort financière de l'INRAP. Vous amputez son pouvoir d'intervention en lui retirant l'exclusivité des opérations de fouilles et en partageant, de manière peu claire, les opérations de diagnostic. Vous le soumettez à la concurrence et à la recherche active de financements en ne lui donnant l'exclusivité que sur les opérations non rentables.

C'est la même logique qui vous conduit à ouvrir la possibilité pour les collectivités territoriales de recruter les anciens agents de l'INRAP en qualité d'agents non titulaires de leurs services archéologiques.

Avec votre choix incohérent de privatiser l'archéologie préventive, désormais les aménageurs choisiront l'opérateur public ou privé.

M. le Rapporteur - Mais tout sera encadré par l'Etat !

M. Patrick Bloche - L'article 5 est sans ambiguïté : « La réalisation des prescriptions de fouilles d'archéologie préventive incombe à la personne projetant d'exécuter les travaux ». Le choix opéré par l'aménageur se fait selon le projet financier proposé : il n'y a plus de barème, plus de mutualisation du coût.

L'INRAP ne pouvant refuser de réaliser « des opérations de fouilles à la demande de l'aménageur au cas où aucun autre opérateur ne s'est porté candidat », toutes les opérations les plus onéreuses seront à sa charge.

Ce projet aura donc pour conséquences de limiter les interventions archéologiques, mais aussi de privatiser les archives archéologiques et d'éclater les collections. Les conséquences seront désastreuses pour le service public de l'archéologie et pour les institutions qui en ont la charge. Les services régionaux archéologiques ne pourront plus assurer une politique scientifique raisonnée et homogène. Les prescriptions de l'Etat seront négociées au coup par coup avec les aménageurs. Le contrôle scientifique deviendra impossible. L'hétérogénéité des pratiques sera renforcée.

Dans le cadre d'une décentralisation à la carte et du libre choix pour les aménageurs de l'opérateur de fouille, l'INRAP deviendra la voiture-balai de l'archéologie préventive.

Vous tentez de diviser pour mieux régner, mais personne n'est dupe : les archéologues des collectivités territoriales savent que votre projet ne permettra pas une meilleure collaboration avec l'INRAP. Leur travail est pourtant important, ils méritent beaucoup mieux que le sort que vous leur réservez ! Ils refusent, eux aussi, la privatisation.

Le coup est tout aussi rude pour les autres organismes de recherche en raison de la mise en concurrence commerciale, et non scientifique, des équipes de fouilles. La réduction drastique des crédits de recherche de l'INRAP entravera les collaborations institutionnelles.

L'irruption de la propriété privée en ce qui concerne la documentation des fouilles va bloquer la circulation de l'information.

Les aménageurs ruraux sont aussi touchés par votre projet : ils paieront encore plus pour les aménageurs urbains. Les délais seront allongés par les appels d'offres du marché concurrentiel et le paiement au coup par coup sera facteur d'inégalité.

Votre projet comporte finalement cinq dangers : primauté de l'intérêt particulier sur l'intérêt général, négation du service public de l'archéologie, concurrence financière des différents intervenants; limitation drastique des budgets d'intervention publique, dispersion de l'information scientifique et du mobilier archéologique. Il a réussi à mobiliser contre lui l'ensemble de la communauté archéologique. La conférence des conservateurs de l'archéologie préventive a demandé son retrait et les conservateurs l'ont qualifié d' « inacceptable » car il consacre une rupture de la chaîne scientifique de l'archéologie préventive. Dans le cadre de l'ouverture à la concurrence, cette rupture risque de provoquer une considérable perte d'information et la déstructuration d'un des milieux scientifiques les plus performants d'Europe, ce qui empêchera l'émergence d'une véritable programmation de l'archéologie préventive.

Le Conseil national de la recherche archéologique condamne lui aussi votre projet. L'archéologie préventive, insiste-t-il, n'est pas un poids, un fardeau pour le pays, mais a pour but de produire de la connaissance, une valeur qui ne se mesure pas en euros. Elle sert l'intérêt général de la communauté nationale, et non des intérêts particuliers.

L'Etat doit assumer, notamment par un choix budgétaire, ses responsabilités et affirmer son attachement à la connaissance du patrimoine et de l'histoire. Il doit montrer l'exemple, et les aménageurs doivent être mis à contribution afin qu'ils soient dissuadés de lancer des projets en zone archéologique.

Ni risque, ni hypothèque, ni nuisance, le patrimoine archéologique est un atout exceptionnel pour peu qu'on sache le valoriser. Cela explique la mobilisation de tous ces professionnels hautement qualifiés et motivés en faveur de la grande loi du 17 janvier 2001. Un article paru dans La Croix a bien décrit la situation : « Chantiers arrêtés, pelleteuses bloquées, banderoles furieuses..., les archéologues sont en colère ! Depuis vingt ans, ces professionnels chargés des fouilles de sauvetage en amont des travaux d'aménagement du territoire, n'ont pas cessé de revendiquer un statut et des moyens.

« Cette fois, le conflit est de nature différente et la profession a reçu l'appui de nombreuses personnalités du monde de la recherche et de l'université dans son combat contre la privatisation rampante de l'archéologie française ».

Des professeurs au Collège de France - Yves Coppens, Jean Guilaine, John Scheid, Christian Goudineau -, des membres du très officiel Conseil national de la recherche archéologique - qui dépend directement de votre ministère - et bien d'autres scientifiques redoutent que dans le contexte social actuel, un « petit » projet de loi passe inaperçu. De plongeons dans la Seine en reconstitutions gauloises, sans oublier un remake du film Full Monty, les archéologues ont au moins conjuré ce danger !

Passionnés par leur métier qu'ils vivent comme une vocation, ils restent mobilisés pour défendre leur outil de travail. Comment demeurer insensible à leurs actions symboliques, parfois désespérées ?

Craignez, Monsieur le ministre, qu'ils n'aient convaincu les Français ! Nos concitoyens sont attachés à leur histoire séculaire et à leur patrimoine. Je rends hommage à tous les professionnels de l'archéologie, notamment à ceux de l'INRAP et à M. Jean-Paul Demoule, qui doit gérer une structure précarisée.

Je poursuis la lecture de l'article de La Croix : « Ce texte modifie la philosophie de l'archéologie préventive, c'est-à-dire de ces fameuses fouilles de sauvegarde. (...) Autrement dit, les sociétés privées d'archéologie, pour l'instant inexistantes en France, conquièrent désormais une légitimité et pourront être mises en concurrence avec les équipes du service public. Ce qui pose, aux yeux des chercheurs, un problème éthique grave. David Billoin, archéologie à l'INRAP, résume : Nous avons peur que les aménageurs développent leurs propres filiales d'archéologie ou que les chantiers prestigieux qui peuvent être rentables en terme d'image aillent aux opérateurs privés et les autres, plus ingrats, à l'INRAP.

« Et même en admettant que l'Etat n'agrée que des sociétés de professionnels reconnus qui ne cherchent qu'à vivre de leur travail et non à faire du profit, pour être compétitifs, ceux-ci devront proposer les coûts les plus bas et obtenir le plus de chantiers possible. Comment ne pas imaginer que, très vite, comme cela s'est passé en Italie et en Grande-Bretagne, ils « expédient » les fouilles, bâclent le travail d'interprétation des données ? Et comment l'INRAP pourra-t-il contrôler un travail qui, par essence, détruit son objet ? »

Or, comme le résume un article paru dans Paris Match, « nos voisins en reviennent ». Ils ont découvert que les instituts privés ne communiquaient pour ainsi dire pas leurs résultats. Il y a une quinzaine d'années, la Grande-Bretagne a fait le choix funeste que vous voulez faire pour notre pays, en thatchéristes attardés que vous êtes. Un rapport des Lords a dénoncé les conséquences désastreuses de ce choix pour la recherche scientifique. Selon une tribune parue récemment dans Libération, « si le nombre d'opérations archéologiques a augmenté depuis 1990 en Angleterre, si certaines compétences et techniques de terrain se sont perfectionnées, il n'en reste pas moins que la sélection aléatoire des opérateurs, la qualité parfois inégale de leurs interventions, ainsi que les défauts de publications et de dissémination des connaissances acquise, rendent difficiles la poursuite de programmes de recherche ou d'élaboration de synthèses ».

La conclusion de cette tribune explique le désarroi des archéologues : « Que penser enfin de la communauté archéologique, chercheurs, enseignants, étudiants, conservateurs, bénévoles, forcés à voir dans l'archéologie un business alors qu'elle est pour eux, en toute rigueur scientifique, une vocation sinon une passion, un engagement intellectuel et culturel encouragé autant par le grand public que par les instances nationales et internationales ? »

Au Portugal, le passage à un régime concurrentiel s'est soldé par le même échec : toute archéologie préventive a cessé pendant deux ans !

Des spécialistes incontestables, comme Yves Coppens, ont également appelé l'attention de nos citoyens sur les dangers d'une mise en concurrence : « A l'étranger, tous les systèmes mis en place dans un cadre concurrentiel ont échoué, parce que le moins-disant a toujours été le moins performant en termes de résultats scientifiques. Voilà qui ne signifie pas que l'INRAP constitue le « top » en la matière, mais la structure offre de meilleures garanties : aux organes de direction, aux conseils scientifiques de déterminer la politique adéquate, en collaboration avec toutes les forces vives de l'archéologie ». Il paraîtrait même, d'après certains échos, que le Président de la République, actuellement passionné par des fouilles archéologiques en Mongolie, soit plus que réservé sur ce projet.

Fin mai, vous avez osé déclarer au Figaro, Monsieur le ministre : « Il faut aujourd'hui sauver l'archéologie préventive nationale et lui donner, à l'instar des autres pays européens, l'organisation publique et l'ambition scientifique qu'elle mérite ». Dans la même tribune, vous cédez à l'autosatisfaction en glorifiant votre méthode de travail qui aurait, d'après vous, associé l'ensemble des acteurs...

Comment expliquez-vous alors que tous les acteurs concernés, sans exception, s'opposent violemment à votre vision réactionnaire de l'archéologie préventive ? Curieuse conception du dialogue que vous partagez, on l'a vu sur d'autres sujets, avec l'ensemble du Gouvernement !

Même dans Le Figaro, qui n'est pas, a priori, le porte-parole du mouvement social, votre projet n'est pas bien passé. Y sont dénoncées avec pertinence vos intentions, en expliquant parfaitement combien votre projet va casser tout le système de sauvegarde du patrimoine mis en place par la loi de janvier 2001. Une phrase résume cet article qui déplore la livraison à la concurrence de l'archéologie française : « L'archéologie perd son statut d'exception culturelle pour entrer dans la jungle du marché ». C'est Le Figaro qui le dit !

Peut-être convient-il finalement de suivre Yves Coppens qui dit qu'il faut arrêter de considérer l'archéologie préventive comme un luxe et peut-être, pour mieux assurer la protection de ce patrimoine, passer à une norme législative supérieure en l'intégrant à la Constitution.

Or, je vais justement montrer que votre projet de loi comporte des dispositions contraires à la Constitution.

M. le Rapporteur - C'est un exercice d'équilibriste !

M. Patrick Bloche - Ses articles 3 et 4 sont contraires à l'article 55 de la Constitution, qui dispose que « les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie ».

En effet, l'existence de l'archéologie préventive en France s'appuie d'abord sur la convention européenne signée à Malte le 16 janvier 1992 et ratifiée par la France par la loi du 26 octobre 1994.

Elle impose aux Etats de garantir que les opérations de recherche archéologique sont menées de manière scientifique. Elle énumère les principaux moyens de l'archéologie et montre bien que les opérations de terrain sont inséparables d'une démarche intellectuelle. La communauté scientifique a toujours réaffirmé le caractère insécable de la chaîne des opérations, de l'information matérielle à l'élaboration de la synthèse historique, et le rapport Pêcheur-Poignant-Demoule, qui a posé les bases de la loi du 17 janvier 2001, a repris cette position. Ces principes ont été validés par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 16 janvier 2001, reconnus conformes aux traités de l'Union européenne par la Commission et entérinés par le Conseil d'Etat dans son arrêt du 30 avril 2003.

La loi de 2001 a donc apporté à l'archéologie préventive le cadre dont elle avait besoin. L'INRAP, seul ou en collaboration, assure actuellement l'ensemble des opérations. Mais votre réforme tronçonne le dispositif : les diagnostics pourraient être effectués par l'INRAP ou par un service territorial, la fouille par un opérateur privé et la recherche postérieure à nouveau par l'INRAP. Mis en garde par certains exemples étrangers, votre projet veut garantir l'objectivité du diagnostic en le laissant dans le cadre du service public. C'est affirmer de manière implicite que les fouilles archéologiques ne nécessitent pas une telle objectivité !

Par ailleurs, pour justifier le recours à la concurrence, le Gouvernement affirme que la prescription et le contrôle de l'Etat suffisent à prévenir toute dérive et qu'il existe déjà des entreprises privées dans le domaine de la restauration des monuments historiques et des _uvres d'art. Mais cette justification est un non-sens scientifique. La restauration est pour l'essentiel un geste technique et le contrôle de qualité a posteriori est possible, alors que pour l'archéologie, la fouille terminée, il n'y a plus de possibilité de vérification. Par ailleurs, aucune prescription détaillée n'est possible puisqu'on ignore la qualité et la quantité de ce que l'on va trouver. Les travaux ne sont pas réversibles puisque la fouille détruit définitivement l'objet de son étude.

La notion de marché régulateur du prix n'a pas plus de sens dans ce projet. Le marché est le lieu où les consommateurs se procurent au meilleur prix des biens ou des services. Or l'aménageur, devenu maître d'ouvrage de la fouille, ne demande nullement les meilleurs résultats scientifiques possibles ! Il souhaite que son terrain soit libéré au plus vite et au moindre coût. Et la recherche scientifique n'est en aucun cas un service rendu à l'aménageur. C'est ce qui explique la baisse de la qualité des fouilles dans les pays qui les ont privatisées.

Or, la convention de Malte a pour but de protéger le patrimoine archéologique en tant que source de la mémoire collective et qu'instrument d'étude scientifique. Pour cela, les Etats doivent s'engager à faciliter les échanges à des fins scientifiques, à faire en sorte que cette circulation ne porte en aucune manière atteinte à leur valeur et à contribuer à l'organisation de programmes de recherche internationaux. Le transfert de la maîtrise d'ouvrage des fouilles aux aménageurs et l'intervention d'entreprises privées contreviennent donc de manière flagrante à cette convention, le partage des objets et de la documentation de fouilles entre les différents propriétaires et la mise en concurrence des équipes n'étant guère favorables aux échanges entre chercheurs.

En ce qui concerne la propriété des objets archéologiques, le projet s'est référé à la loi du 27 septembre 1941. Il entraîne ainsi leur dispersion dans de multiples collections privées. Le Sénat a tenté de limiter ces effets néfastes en adoptant un article 4 bis selon lequel le mobilier est partagé pour moitié entre l'Etat et le propriétaire du terrain, la part du propriétaire tombant dans le domaine public s'il ne fait pas valoir ses droits pendant un an après la remise du rapport de fouilles. Cet article aggrave en fait la confusion. Selon la loi de 1941, les objets sont soit intégralement propriété du propriétaire du terrain - en cas de maîtrise d'ouvrage privée - soit partagés pour moitié entre le propriétaire et l'Etat - en cas de maîtrise d'ouvrage de l'Etat - soit partagés pour moitié entre le propriétaire et l'inventeur - en cas de découverte fortuite. L'article 4 bis transpose, pour les seules fouilles préventives, le régime de la maîtrise d'ouvrage de l'Etat aux maîtres d'_uvre privés. Il abroge la possibilité de revendication qu'a l'Etat sur les objets de valeur artistique pour lui substituer, en cas de silence du propriétaire, la déchéance dans le domaine public.

La loi de 1941 assimile les objets archéologiques découverts dans les deux derniers cas à des trésors. Cette option se comprend aisément dans le contexte de l'époque, mais la jurisprudence limite les trésors aux objets précieux. Or, comme l'a souligné le rapport de M. Papinot, la très grande majorité des objets découverts sont des tessons de céramique, objets en métal rouillés et ossements d'animaux... Le partage des objets entre le propriétaire du terrain - qui n'en a généralement que faire - et l'Etat aboutit à disperser les collections et à limiter la recherche et l'information du public. Il faut résoudre cet imbroglio juridique et nous souhaiterions des garanties sur ce point.

La conservation et l'accessibilité des objets archéologiques ne peuvent être assurées que par les collections publiques. Le rapport remis au ministère en 1999 préconisait d'élever la loi française au niveau de celle des autres pays européens, pour que les objets autres que les trésors soient intégralement propriété de la collectivité nationale. Contrairement à ce qui a été affirmé au Sénat, cette solution ne porte en rien atteinte au principe de propriété puisque le code civil dispose que les biens qui n'ont pas de maître appartiennent à l'Etat, et que leur propriété est réglée par des lois particulières. Nul ne conteste que les objets archéologiques, une fois sortis du sol, sont des biens sans maître.

Le transfert de la maîtrise d'ouvrage aux aménageurs et la mise en concurrence ont des conséquences graves sur la circulation des informations et sur la coopération des équipes. Il aboutirait à une privatisation de l'information scientifique. Certes, le Sénat a prévu que le rapport de fouilles constitue un document administratif, mais l'article 4 en restreint l'utilisation. Cet article prévoit par ailleurs que la documentation afférente à l'opération doit être remise à l'Etat, ce qui constitue une atteinte manifeste au droit de la propriété intellectuelle, mais le champ de cette documentation n'est pas défini juridiquement... Or, les minutes de fouilles et les observations de terrain sont les seuls éléments permettant a posteriori de valider ou d'infirmer les hypothèses présentées dans le rapport de fouilles. Un opérateur privé mis en concurrence tendra naturellement à la rétention de ces informations, pour prouver son savoir-faire.

Enfin, le projet de loi met à bas le principe d'association des équipes de recherche posé par l'article 4 de la loi de 2001. Les collectivités locales, l'INRAP, le CNRS mais aussi les entreprises privées devront dénoncer les conventions de collaboration qu'ils ont passées et qui seront assimilées à des ententes illicites susceptibles d'aboutir à des abus de position dominante. Au-delà, l'ensemble de la recherche archéologique française sera paralysée par cette concurrence économique.

L'article 2, VI, troisième alinéa, viole sur un autre point l'article 55 de la Constitution en disposant qu'une prescription de diagnostic décidée par l'Etat devient caduque si l'étude d'impact n'a pas été réalisée dans des délais fixés conventionnellement entre l'aménageur et l'opérateur. Cet article rend ainsi possible la non-exécution d'une prescription de diagnostic.

Il contrevient aussi à l'article 5 de la convention de Malte, selon lequel « les études d'impact sur l'environnement et les décisions qui en résultent prennent en compte les sites archéologiques », ainsi qu'à la directive communautaire du 27 juin 1985 qui dispose que les projets susceptibles d'avoir une incidence notable sur... le patrimoine culturel... doivent être soumis à une évaluation.

Enfin, le projet de loi est aussi contraire aux articles 5 et 6 de la convention de Malte, qui garantissent des délais et des moyens suffisants pour effectuer une étude convenable du site, avec publication des résultats.

En effet, le projet, en transférant la maîtrise d'ouvrage des fouilles aux aménageurs, leur transfère également la maîtrise du temps, la négociation des délais se trouvant au c_ur de la négociation entre opérateur et aménageur. Il ne permettra pas à l'Etat de garantir ses engagements sur ce point.

L'article 5 de la convention de Malte pose pour principe que toute étude de site comprend la phase d'exploitation scientifique consécutive aux travaux de terrain, suivie de la publication des résultats. Le coût de ces publications et communications doit figurer au budget des travaux d'aménagement.

En segmentant le processus d'archéologie préventive, le projet ne garantit ni la publication complète des travaux, ni le financement de celle-ci. En effet, il ne précise pas si l'aménageur est réputé financer la fouille et sa publication. Et rien ne garantit que l'établissement public aura les moyens nécessaires à cette publication.

J'en viens aux dispositions contraires à l'article 72-2 de la Constitution.

L'article 2, III, du projet permet aux collectivités territoriales de réaliser, prioritairement à l'INRAP, les diagnostics archéologiques lorsqu'elles le souhaitent. Ce transfert de compétences peut s'effectuer soit au coup par coup, soit pour une durée minimale de trois ans.

Quand la collectivité opte pour le « coup par coup », l'INRAP lui reverse les redevances perçues pour le projet et, dans le cas d'une expérimentation de plus longue durée, la « redevance » est recouvrée directement par la collectivité. Mais la taxe instaurée n'est nullement proportionnelle à l'utilisation du service.

Or, selon l'article 72-2 de la Constitution, tout transfert de compétences entre l'Etat et les collectivités territoriales s'accompagne de l'attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice. Quelles seraient donc les conséquences de ce projet s'il était adopté ? Prenons l'exemple de la ville de Douai, dotée d'un service archéologique. Aujourd'hui, dans le cadre d'une convention passée entre l'INRAP, elle réalise, seule ou en partenariat, la totalité des diagnostics d'archéologie rendus nécessaires par une prescription de l'Etat. Les aménagements sur les terrains supérieurs à 1 000 m2 sont peu fréquents dans cette ville ancienne, là ou l'accumulation des sédiments archéologiques rend les opérations de diagnostic très coûteuses.

Si la ville de Douai entendait maintenir sa politique actuelle, c'est à dire faire jouer l'article 4-2, deuxième alinéa, de la future loi, elle ne percevrait pratiquement aucune ressource fiscale, alors que l'Etat, en prescrivant, à juste titre, des diagnostics sur des projets exonérés, pourrait lui imposer des dépenses considérables. Trois mois à peine après son adoption, l'article 72-2 de la Constitution est donc violé par ce projet.

Il viole également l'article 34 de la Constitution. En effet, les dispositions conservées des articles premier et 2 de la loi du 17 janvier 2001 affirment que l'archéologie préventive est une mission de service public dont la responsabilité incombe à l'Etat. Les fouilles ne se font pas au service de l'aménageur, dont les préoccupations sont autres.

La sauvegarde et la transmission d'informations sur les sociétés qui nous ont précédées incombent à la collectivité.

En outre, ce sont des services ou établissements publics qui, dans la quasi-totalité des cas, vont continuer de réaliser les fouilles préventives. En 2001, il n'existait en France que deux entreprises privées d'archéologie, et elles employaient moins de dix salariés.

Il n'y a que trois types de recettes possibles pour financer le service public : cotisations sociales, impôt, redevance pour service rendu. Le caractère obligatoire du paiement des fouilles est incompatible avec une redevance pour service rendu, comme l'a confirmé la jurisprudence concernant le paiement par les sociétés d'autoroutes des frais de gendarmerie et celui des secours pompiers par les centrales nucléaires. Ainsi, l'obligation de « réaliser les fouilles d'archéologie préventive » faite aux aménageurs constitue donc bien un impôt payé en nature. Selon l'article 34 de la Constitution, c'est la loi qui fixe l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toute nature. Or, le projet ne précise rien à ce sujet. L'assiette de la « redevance » résultera d'une prescription de l'Etat, son montant d'une négociation entre le redevable et son opérateur.

L'article 6 du projet est aussi contraire au principe constitutionnel, de l'égalité de traitement devant l'impôt. Pour caricaturer, un particulier qui construirait un garage de 40 m2 sur une parcelle de dix hectares se verrait imposé à hauteur de 32 000 €, en application des nouveaux articles 9-I et 9-II du projet, tandis qu'un promoteur construisant un projet immobilier de 999 m2 en centre urbain ne serait pas frappé par l'impôt ! De manière encore plus injuste que dans la loi du 17 janvier 2001, l'aménagement des campagnes devrait subventionner celui des villes.

Les amendements adoptés par le Sénat ne résolvent en rien ces difficultés et celui qui concerne l'article 6-II les aggrave : l'assiette de l'impôt serait variable en fonction de la profession des constructeurs !

Enfin, ce projet contient des dispositions contraires à l'égalité de traitement du citoyen devant le service public. Les aménageurs, déjà traités de manière inégale en ce qui concerne la redevance, le seront encore davantage dans la négociation pour le financement des fouilles. Dans la plupart des cas, ils n'auront en effet qu'un seul interlocuteur, l'INRAP. C'est entre autres pour prévenir cette inégalité de traitement et les risques d'abus de position dominante que le législateur avait institué en janvier 2001 un monopole public financé par l'impôt pour la réalisation des fouilles d'archéologie préventive.

Du reste, statuant en contentieux sur la situation antérieure à la loi du 17 janvier 2001, le Conseil de la concurrence avait estimé qu'avant même les dispositions de celle-ci, l'archéologie préventive échappait au droit commercial du fait des prérogatives de puissance publique qu'elle implique. Et dans son arrêt UNICEM du 30 avril 2003, le Conseil d'Etat a estimé que pour garantir l'égalité de traitement des citoyens devant le service et la mission d'intérêt général, il était nécessaire de prévoir un monopole public financé par l'impôt.

Pour toutes ces raisons, je vous invite, au terme d'une intervention sans doute trop concise (Sourires), à voter l'exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. le Président - Nous en venons aux explications de vote sur l'exception d'irrecevabilité.

M. Jean-Pierre Door - Nous ne sommes pas étonnés des propos de M. Bloche, qui reprennent le discours et le combat médiatiques de certains membres de l'INRAP. Il déforme avec démagogie les brillants rapports de MM. Herbillon et Hénart, et noircit le tableau avec assurance. Nous savons pourtant que la législation de 2001 s'est révélée inadaptée et inéquitable. Ayant su entendre les aménageurs et les élus locaux, le ministre propose donc de la modifier sur certains points, de façon à concilier la défense du patrimoine et les exigences de l'aménagement du territoire ainsi qu'à trouver un bon équilibre entre passé et avenir.

La « privatisation de l'archéologie » dont parle M. Bloche n'est qu'un procès d'intention. D'ailleurs, il se garde bien de citer tous les universitaires et archéologues qui ne sont pas de son avis.

Le groupe UMP votera bien sûr contre l'exception d'irrecevabilité.

M. Frédéric Dutoit - En quelques semaines à peine, le Gouvernement prétend détruire ce qui a été patiemment construit avec la loi du 17 janvier 2001. Une loi qui dérange et inquiète certains grands aménageurs privés, lesquels n'entendent pas investir du temps et de l'argent dans l'étude des sols. Le Gouvernement affirme que la prescription a priori et le contrôle de l'Etat suffisent à prévenir toute dérive, mais comme chacun sait, le marché est un lieu où des consommateurs souhaitent se procurer au meilleur coût des biens ou des services. Or, l'aménageur devenu, si ce projet est adopté, maître d'ouvrage de la fouille n'est nullement demandeur des meilleurs résultats scientifiques possibles.

Le transfert de cette maîtrise d'ouvrage aux aménageurs et la possibilité offerte aux entreprises privées de réaliser les fouilles contreviennent de manière flagrante à la convention de Malte.

Le dispositif concocté par le Gouvernement aura au moins deux conséquences fâcheuses : partager les objets mis à jour par les fouilles entre différentes propriétaires publics et privés et favoriser une concurrence commerciale entre équipes publiques et privées. Il est en outre probable que le service public devra intervenir au pied levé, pour les fouilles estimées trop coûteuses.

Nous proposons, quant à nous, d'organiser une table ronde, un espace d'échanges et de réflexion débarrassé des contraintes idéologiques et budgétaires, et nous disons que ce projet commet l'erreur de considérer les fouilles archéologiques comme une activité marchande et concurrentielle. Elaboré dans la plus stricte intimité, il ne s'est d'ailleurs pas attiré la sympathie des professionnels et des experts de l'archéologie préventive, lesquels savent bien que celle-ci est avant tout une activité de nature scientifique, qui contribue à la connaissance de l'histoire et à la préservation de notre patrimoine.

Pour toutes ces raisons, nous voterons l'exception d'irrecevabilité.

M. Pierre-Christophe Baguet - M. Patrick Bloche s'est lancé dans un long plaidoyer en faveur de l'archéologie avec le c_ur et la sincérité qu'on lui connaît, mais aussi avec une pointe d'excès et de naïveté, même s'il a posé quelques bonnes questions.

Notre devoir aujourd'hui est de trouver le juste équilibre entre patrimoine et développement. Telle est l'aspiration du groupe UDF, qui attendra l'issue des débats pour se prononcer sur le texte. Dans l'immédiat, nous nous abstiendrons sur cette exception d'irrecevabilité.

M. le Ministre - En écoutant M. Bloche, je croyais lire le Discours sur l'histoire universelle de Bossuet - ouvrage qu'aucun d'entre nous ne lit tous les matins. C'est long, très long, pompeux, plein de digressions, partisan...

M. Patrick Bloche - C'est le Parlement, tout simplement.

M. le Ministre - Je parle de Bossuet. C'est partisan, disais-je, car Bossuet cherchait à plaire au Dauphin et au roi.

Bref, je dois vous dire, très cordialement, que je n'ai pas trouvé votre propos très convaincant, Monsieur Bloche. Sur le fond, je suis bien sûr en désaccord avec vous, mais j'y reviendrai dans la discussion des articles. Quant à vos arguments sur la prétendue inconstitutionnalité du texte, je les ai plutôt trouvés de nature dilatoire. D'ailleurs, ni le Conseil d'Etat ni le Sénat n'ont fait état de tels risques (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

L'exception d'irrecevabilité, mise aux voix, n'est pas adoptée.

La séance, suspendue à 12 heures, est reprise à12 heures 5.

QUESTION PRÉALABLE

M. le Président - J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une question préalable déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. Jean-Jack Queyranne - Défendre une question préalable sur le projet relatif à l'archéologie préventive ne procède pas d'un détournement de procédure. Une question préalable vise en effet à conclure que le Parlement n'a pas motif à délibérer. En cette circonstance, elle me paraît tout à fait fondée et je ne doute pas que vous aurez toutes les raisons de l'approuver.

Pourquoi revenir sur la loi du 17 janvier 2001, qui a consacré l'archéologie préventive et organisé l'exercice de cette mission d'intérêt général ? Pourquoi agir dans la précipitation, en l'absence de toute concertation, contre l'avis unanime de la profession mobilisée depuis plusieurs mois ? Pourquoi avoir déclaré l'urgence sur ce projet et vouloir le faire voter de force avant les vacances d'été ?

J'ai le sentiment que le Gouvernement a perdu la raison. Il n'agit que par dogmatisme, avec la volonté de détruire ce qui a été fait sous la législature précédente, sans mesurer les conséquences de ses décisions.

Vous êtes, Monsieur le ministre, un homme passionné de culture, un esprit ouvert qui a la réputation d'agir sans sectarisme. Je ne comprends pas comment vous pouvez cautionner un tel projet, qui fait prévaloir la logique économique sur la dimension culturelle et scientifique de la préservation du patrimoine historique, bien commun de tous les Français.

Aujourd'hui, le monde de la culture est en effervescence, en colère, je dirai même en état de révolte. Les architectes s'insurgent contre le projet de code des marchés publics qui va les inféoder aux grands groupes de travaux publics. Les intermittents du spectacle combattent la réforme de leur régime d'indemnisation du chômage, au point de menacer les festivals de l'été et, pire, l'économie du spectacle vivant.

Nous avions pourtant mis en garde le Gouvernement quand il a décidé, l'été dernier, d'abroger la loi du 5 mars 2002, votée à l'initiative du président Le Garrec. Le Gouvernement n'en a pas tenu compte. Il a livré les intermittents au bon vouloir du Medef. Des milliers de comédiens, de techniciens, sont aujourd'hui menacés de perdre leurs allocations chômage si la convention est agréée.

M. Jean-Pierre Gorges - Hors sujet !

M. Jean-Jack Queyranne - Le laisser-faire libéral va provoquer une précarisation des métiers de la culture. Le Gouvernement a pourtant annoncé sa volonté d'apaisement en matière sociale !

M. Jean-Pierre Blazy - C'est mal parti !

M. Jean-Jack Queyranne - La casse se poursuit dans le secteur de l'archéologie. Six cents archéologues en contrat à durée déterminée auprès de l'INRAP seront ou sont déjà licenciés. Que leur proposez-vous ? De créer leur entreprise, pour répondre aux futurs appels d'offres que votre projet veut généraliser ! Jamais un tel cynisme libéral n'avait été affiché dans un domaine qui devrait pourtant échapper aux lois du marché.

A quoi sert de proposer une charte de l'environnement si, dans le même temps, le Gouvernement affaiblit, voire massacre, l'archéologie préventive ?

Comment ne pas se reconnaître dans la mise en garde d'Yves Coppens ? « C'est important de chercher la souche, le terroir, les racines. Surtout à une époque où le développement de la science et des technologies inquiète ». Comment négliger la dimension écologique du patrimoine ? Pourquoi inscrire le principe de précaution pour l'environnement et ne faire litière pour l'archéologie ?

A quoi sert-il de défendre l'exception culturelle au niveau international, si les professions de la culture sont démantelées et démotivées ? C'est le Figaro, sous la plume d'Anne-Marie Romero, qui titrait fort justement, le jour de la présentation de votre projet en Conseil des ministres : « L'archéologie sort de l'exception culturelle ».

J'en reviens à la loi du 17 janvier 2001, chargée à vos yeux de tous les péchés. Cette loi est l'aboutissement de plusieurs décennies de combat pour éviter la destruction de sites mis à jour lors des grands travaux d'aménagement du territoire ou de la réalisation de projets urbains.

Grands travaux, grandes destructions, grands scandales : en cinquante ans, on a probablement détruit plus de vestiges du passé qu'au cours des vingt siècles précédents. Patrick Bloche a rappelé les scandales retentissants du parvis de Notre-Dame ou de la bourse de Marseille.

M. Edouard Landrain - C'était Defferre !

M. Jean-Jack Queyranne - Dans leur combat contre les pelleteuses, les archéologues ont aussi remporté des victoires. Ils ont réussi à préserver la mémoire et les traces du passé, mais ce fut toujours de haute lutte, alors que l'administration restait trop souvent passive.

Elu du Grand Lyon, je veux souligner le caractère exemplaire des actions qui ont été menées dans la capitale des Gaules, où M. Dubernard s'en souviendra, il fallait pourtant faire face à la fureur destructrice d'un maire qui avait gagné le surnom de : « Zizi-béton » (Sourires). C'est grâce à l'action de bénévoles regroupés dans l'association Sauvegarde et Renaissance du Vieux-Lyon que ce quartier fut préservé in extremis, devenant le premier des secteurs sauvegardés institués par la loi Malraux de 1962. Quarante ans plus tard, une restauration réussie a valu au Vieux-Lyon de figurer au patrimoine mondial de l'humanité, reconnu par l'UNESCO.

C'est Lyon qui fut, à la même époque, la plaque tournante de l'archéologie qu'on appelait encore « de sauvetage ». Un trop modeste secteur fut ainsi sauvé à proximité de la cathédrale Saint-Jean, ainsi que l'église paléo-chrétienne Saint-Laurent-de-Choulans, menacée par le percement du tunnel sous Fourvière. Juste retour d'intérêt, puisque c'est à Lyon même qu'au XVIe siècle, un médecin humaniste, Jacob Spon, avait inventé le mot « archéologie » pour désigner « la science des vestiges du passé ». Et c'est encore à Lyon que l'expression « archéologie préventive » fut inventé, en juin 1979, au cours d'un colloque au musée gallo-romain. Le résultat de trente ans d'archéologie préventive est actuellement présenté dans ce musée, où se tient une exposition intitulée « Lyon avant Lugdunum ». Je vous invite, Monsieur le ministre, à vous y rendre et je vous remettrai le catalogue.

Pourquoi « Lyon avant Lugdunum » ? Jusqu'à une époque récente, on apprenait aux Lyonnais que la ville avait été créée sous le soc de la charrue de Munatius Plancus, en 43 avant Jésus-Christ. Auparavant, il n'y avait rien, pas de vie avant la ville romaine. Trente ans de recherches nous ont appris que le site avait été occupé depuis le néolithique. De ces hommes et de ces femmes qui nous ont précédés, nous découvrons les outils, les bijoux, les poteries. Bien plus, grâce au travail des archéologues, nous pénétrons dans leur intimité : leur habitat, leur nourriture, leurs fêtes et même l'odeur des marécages où ils chassaient...

Ces dernières années, grâce à l'archéologie préventive, nous avons été invités à revisiter les grandes pages de notre histoire. Comme le Malet-Isaac de notre jeunesse paraît aujourd'hui désuet : il y avait une riche civilisation gauloise, bien avant la colonisation romaine et le Haut Moyen Âge n'était pas cette période de barbarie qu'on nous enseignait.

Toutes ces recherches, d'abord empiriques, ont été peu à peu perfectionnées mais sans base juridique spécifique, notre législation sur la préservation du patrimoine archéologique datant de la loi Carcopino de 1941, époque où le concept d'archéologie préventive n'existait pas et où l'archéologie restait l'apanage d'un cercle de connaisseurs.

A partir des années 1950, une nouvelle génération d'archéologues formés aux méthodes scientifiques s'est donné une mission plus ambitieuse : retrouver l'homme et inscrire sa trace dans l'histoire des civilisations. Les fouilles préventives se sont organisées dans un cadre contractuel, archéologues et aménageurs cherchant à s'accorder sur les fouilles avant la disparition d'un site et sur le financement des recherches. Là encore, Lyon a été la première à se doter d'un plan d'occupation des sols définissant des périmètres archéologiques et à organiser une concertation institutionnelle entre archéologues et constructeurs-aménageurs.

Le système conventionnel a suscité de nombreux errements : il donnait lieu à des négociations souvent peu scrupuleuses et favorisait une banalisation des sauvetages. Le suivi sous forme de comptes rendus scientifiques des fouilles, était insuffisant, en dépit de la création de l'Association pour les fouilles archéologiques nationales. Cette situation a justifié l'intervention du législateur, avec la loi du 17 janvier 2001 qu'on nous propose aujourd'hui de modifier en profondeur, au point d'en dénaturer l'esprit.

La loi de 2001 consacre l'archéologie préventive et légitime l'intervention publique. Son article premier fait de l'archéologie préventive une mission de service public, innovation saluée comme exemplaire par les autres pays. L'article 2 dispose que l'Etat veille « à la conciliation des exigences respectives de la recherche scientifique, de la conservation du patrimoine et du développement économique et social ». Ce texte ancre scientifiquement l'archéologie préventive, comme activité de recherche et non comme activité commerciale.

La France s'est ainsi mise en conformité avec la convention signée à Malte le 16 janvier 1922, qui stipule que chaque Etat doit intervenir pour protéger le patrimoine archéologique en tant que « source de la mémoire collective européenne et comme instrument d'étude historique et scientifique ». A l'évidence, votre texte contrevient sur de nombreux points à cette convention, pourtant ratifiée par le Parlement et je suis donc persuadé que le Conseil constitutionnel le censurera.

La loi de 2001 venait comme en écho à la supplique de Victor Hugo qui, en 1825, réclamait « une loi pour l'_uvre collective de nos pères, une loi pour l'histoire, une loi pour l'irréparable que l'on détruit, une loi pour ce qu'une nation a de plus sacré après l'avenir, une loi pour le passé. La loi de 2001 a légitimement reçu la consécration du Conseil constitutionnel qui, saisi par l'opposition d'alors, soulignait dans sa décision du 16 janvier 2002 « l'intérêt général de l'objectif qui lui est assigné », dont la mission de service public.

Ses quatre grands principes sont aujourd'hui mis à mal. En effet, elle établit une stricte distinction entre le service archéologique national qui prescrit les fouilles et l'opérateur qui les assure ; elle confie les fouilles à un établissement public qui intervient sur l'ensemble du territoire, l'INRAP ; cet institut a l'obligation d'organiser la coopération avec les autres structures de recherche ; le financement des fouilles est fondé sur une contribution imposée aux aménageurs et assurant une péréquation des coûts.

J'appartenais alors au gouvernement et je sais que ce texte, sur lequel l'urgence n'avait pas été déclarée, avait été préparé par une large concertation et qu'il avait fait l'objet de travaux parlementaires de haute tenue. Un rapport sur les conditions de son application devait être soumis au Parlement d'ici à la fin 2003. Pourquoi ne pas l'avoir attendu ?

M. Jean-Pierre Blazy - Bonne question !

M. Jean-Jack Queyranne - Personne ne nie les difficultés d'application d'une loi aussi novatrice. Le rapport des inspecteurs généraux Vander Malière, Aubin et Preschez qui vous a été remis en janvier, les recensent en toute objectivité. Il souligne surtout que la loi de 2001 a fait naître « une dynamique ». C'est cette dynamique que vous allez briser à la suite des récriminations de quelques élus grincheux de voir leurs projets différés ou d'aménageurs d'abord soucieux de leur profit immédiat.

M. Jean-Pierre Door - C'est faux !

M. Jean-Jack Queyranne - Je regrette que le Gouvernement n'ait pas su résister à ces pressions.

Le calcul de la redevance a été l'objet de la colère de certains de nos collègues notamment issus du monde rural. Plutôt que d'essayer d'en corriger les bases, fallait-il, après avoir étendu les exonérations à la quasi-totalité des lotisseurs, en réduire de 25 % le montant dans la loi de finances pour 2003, au point de priver l'INRAP de ressources ? L'Institut n'a plus de budget. Il est contraint de fonctionner par douzièmes provisoires et a dû procéder à six cents licenciements. Certes, il souffre de quelques faiblesses de jeunesse, mais il offre les meilleures garanties pour mener une politique cohérente, en collaboration avec toutes les forces de l'archéologie française. Plutôt que de le fragiliser, il faut lui laisser le temps de faire ses preuves, et d'abord lui garantir un budget suffisant et stable. En défendant l'INRAP, je ne défends pas un monopole, mais un service public. Je souhaite que les services archéologiques des collectivités territoriales contractualisent davantage avec lui.

Vous devez trouver un complément d'au moins 28 millions d'euros pour cette année. Je doute que vous trouviez oreille favorable à Bercy, compte tenu de l'état de nos finances publiques. Vous serez probablement contraint de redéployer des crédits de votre ministère. Au détriment de quelles actions ? De la carte archéologique, des fouilles programmées déjà menacées par des budgets dérisoires ? Vous prendrez, là encore, au détriment de la recherche scientifique et de la préservation du patrimoine archéologique, le risque de casser ce qui a été lancé.

Sur le terrain, la loi de 2001 a permis de rééquilibrer les opérations et de stabiliser les personnels. Dans la région Rhône-Alpes, des zones peu explorées, comme la Drôme et l'Ardèche, ainsi que les tracés TGV, sont devenus des territoires de recherche à part entière. Ces déserts archéologiques ont pu être intégrés à la carte archéologique, outil essentiel de l'archéologie préventive.

Les archéologues de l'INRAP Rhône-Alpes basé dans ma circonscription montrent une évolution significative des opérations sur le terrain. On ne peut parler, comme le rapporteur, d'une « inflation des prescriptions et des délais d'opération ». La réalité est que l'évolution positive a été stoppée par les coupes budgétaires opérées dès la fin 2002.

M. le Rapporteur - C'est faux !

M. Jean-Jack Queyranne - Monsieur le ministre, le 3 janvier dernier, vous demandiez aux préfets de région de faire « un usage raisonné et maîtrisé » de leur pouvoir de prescrire des opérations d'archéologie préventive et de « réexaminer les prescriptions de diagnostic émises au cours de l'année 2002 et qui n'ont pas fait encore l'objet d'une convention signée entre l'aménageur et l'INRAP ». Cette lettre n'augurait rien de bon pour l'archéologie, pour preuve les fouilles sont arrêtées ou annulées dans de nombreuses régions, elle préparait ainsi le terrain à ce projet qui indigne toute la communauté des archéologues.

On peut reconnaître une belle franchise à notre collègue Garrigue déclarant : « L'archéologie préventive coûte trop cher aux aménageurs et il faut réfléchir à une nouvelle répartition de son financement ». Mais vous n'êtes pas obligé, Monsieur le ministre, d'emboîter le pas aux chevau-légers de votre majorité. En d'autre temps, André Malraux et Jacques Duhamel ont su résister aux pressions de leurs majorités de droite. Ils ont laissé leur empreinte sur l'histoire de la culture en France. Sachez, vous aussi, résister !

Quatre professeurs au Collègue de France, Yves Coppens, Christian Goudineau, Jean Guilaine et John Scheid, d'opinions très différentes, vous demandent de « ne pas enterrer l'archéologie préventive ».

M. le Rapporteur - Nous la sauvons !

M. Jean-Jack Queyranne - Reprenez l'avis très argumenté de la conférence des conservateurs régionaux de l'archéologie préventive qui, le 24 juin dernier, a fait des propositions raisonnables pour résoudre « la grave crise actuelle et permettre de retrouver la sérénité nécessaire à la mission fondamentale de préservation du patrimoine archéologique ».

Relisez l'avis du Conseil national de la recherche archéologique qui, le 14 avril dernier, soulignait que « le patrimoine n'est ni un risque, ni une hypothèque, ni une nuisance, ni une souillure, mais un atout exceptionnel si l'Etat et les collectivités territoriales savent le valoriser et non le détruire ».

Ecoutez les protestations et le désespoir de centaines de jeunes archéologues qui, parvenus à une pleine maturité scientifique, sont brutalement privés d'emploi et demeurent sans perspectives d'avenir après des années d'études exigeantes. Quel gâchis !

M. Jean-Pierre Door - Quel toupet !

M. Jean-Jack Queyranne - Je les ai reçus à plusieurs reprises. C'est un vent d'incompréhension qui balaye l'ensemble de la profession et le monde de la recherche, déjà considérablement maltraité par des budgets réduits.

Contrairement à ce que vous affirmez, loin de préserver l'archéologie préventive, votre projet arrête un mouvement, bloque la recherche, crée des fractures qui ne pourront être réparées avant longtemps.

Le 30 mai 2003, vous écriviez dans Le Figaro « Oui à l'ouverture, non à la privatisation ». Vous inventez en réalité le moins-disant culturel, à l'image d'un gouvernement que les Français découvrent plus libéral à chacune de ses réformes ! Ouverture à qui ? Cela ne peut être qu'au privé et qu'il soit agréé, voire indépendant, comme a souhaité le préciser le Sénat, ne changera rien. Votre texte conserve certes l'article premier de la loi de 2001 sur les missions de service public, mais de manière purement cosmétique. Le Parlement avait alors estimé que l'archéologie préventive ne constituait pas un acte commercial et que l'aménageur ne payait pas pour acheter un service, mais pour que l'Etat, par l'intermédiaire de l'INRAP, répare un dommage causé au patrimoine archéologique national !

En Suisse, en Allemagne, en Grande-Bretagne, en Italie, partout où les entreprises privées sont devenues majoritaires, les services d'archéologie se sont atrophiés et leurs activités scientifiques réduites.

Votre article 5 instaure une concurrence pour les opérations de fouilles entre l'INRAP, les services archéologiques des collectivités territoriales et des opérateurs privés agréés. Ce système est totalement illusoire, le choix étant laissé à l'aménageur. Aucun critère n'est précisé. C'est le retour au conventionnement d'avant 2001. Les opérateurs privés seront en général les premiers sollicités et l'établissement public, comme le prévoit hypocritement la loi, ne sera que la voiture-balai récoltant les opérations n'ayant pas reçu d'appel d'offres des entreprises.

M. le Rapporteur pour avis - Quel pessimisme !

M. Jean-Jack Queyranne - La Grande-Bretagne a lancé une réforme du même esprit en 1990 avec la loi sur l'archéologie du gouvernement Thatcher. Un rapport remis en janvier 2003 au Parlement par le professeur Colin Refrew déplore que la privatisation ait provoqué la sélection aléatoire des opérations, l'inégale qualité de leurs interventions et la marginalisation de la culture au profit du commerce.

M. Jean-Pierre Blazy - Eh oui !

M. Jean-Jack Queyranne - Ce rapport est édifiant : le moins-disant est toujours le moins-performant en termes de résultat scientifique.

Dans les pays où des entreprises privées travaillent dans le domaine de l'archéologie, on tente de remédier à cette perte de qualité scientifique en élaborant des chartes déontologiques et des codes d'éthique exigeant des standards de recherche élevés. Malgré ces textes remplis de bonnes intentions, les maîtres d'ouvrage choisissent le plus souvent l'opérateur le moins coûteux et le plus rapide pour les débarrasser de vestiges archéologiques encombrants pour leurs activités immobilières.

Actuellement, notre pays ne compte que deux entreprises privées employant une vingtaine de personnes. On peut certes vouloir encourager la création d'entreprises - c'est le dogme du Gouvernement...

M. le Rapporteur - Vous êtes contre les entreprises ?

M. Jean-Jack Queyranne - Mais ne risque-t-on pas d'ouvrir le marché à des sociétés étrangères ou de laisser les grands groupes du BTP (« Ah ! » sur les bancs des commissions) créer des filiales qui s'échangeront des services ?

Il faut donc garantir le caractère d'intérêt général de la recherche archéologique par la maîtrise d'ouvrage publique des opérations préventives, et l'unicité de la recherche archéologique, en confiant l'ensemble de la chaîne opératoire à l'opérateur public, sous la prescription et le contrôle de l'Etat.

M. Jean-Pierre Gorges - C'est la pensée unique !

M. Jean-Jack Queyranne - Le texte opère en effet un découpage absurde entre les fonctions de diagnostic, confiées à l'INRAP ou aux services archéologiques territoriaux, les fouilles, qui peuvent être réalisées par un opérateur privé, et la diffusion des résultats, qui relève de l'INRAP ou des organismes de recherche. Le professeur Dubernard me suivra sans peine si je fais une comparaison avec la recherche médicale. Prenons l'exemple d'une recherche sur le mélanome : une première équipe aurait pour mission de cerner les contours du sujet et de définir une méthodologie ; une seconde se chargerait de l'expérimentation et la troisième de la synthèse et de la diffusion des travaux.

M. le Président de la commission des affaires culturelles - C'est une comparaison hasardeuse !

M. Jean-Jack Queyranne - On voudrait donner un coup d'arrêt à la recherche qu'on ne s'y prendrait pas autrement.

Quant au nouveau système d'assiette et de perception de la redevance, je crains qu'il n'aboutisse à une restriction des moyens. Avec la multiplication des exonérations, ce sont les collectivités locales qui en seront victimes, malgré la péréquation.

Le coût de l'archéologie préventive représente 0,1 % du chiffre d'affaires des entreprises du BTP. Ne serait-il pas plus judicieux de s'en tenir à ce principe pour instituer une taxe à la hauteur des enjeux de notre patrimoine national ? Mais il est vrai que cela irait à l'encontre de l'objectif affiché par le Gouvernement de baisse des prélèvements obligatoires. Le rapporteur n'a-t-il pas estimé que s'agissant des opérations de fouilles, il fallait assurer une régulation par les prix, autrement dit renvoyer l'archéologie préventive dans le secteur marchand ?

En définitive, vous apportez des réponses dogmatiques à des problèmes techniques. Vous instaurez le service minimum archéologique et vous provoquez un véritable traumatisme dans la communauté scientifique, au point de menacer la recherche pour de nombreuses années.

L'archéologie mérite mieux. Comme le disait Fernand Braudel, « le présent sans passé n'a pas d'avenir ». Il n'y a pas de déshonneur à renoncer à un projet néfaste. Il faut, selon le bel adage, savoir donner du temps au temps. Il faut rouvrir la concertation, rétablir la confiance, réunir archéologues, élus et aménageurs.

Il est encore temps, je m'adresse en particulier à la majorité, d'éviter la casse de notre archéologie et la démobilisation d'un secteur qui sait valoriser notre pays. Je vous invite donc à voter cette question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. le Président de la commission des affaires culturelles - M. Queyranne a été brillant comme à l'accoutumée, pertinent sur quelques points - notre ville, Bron, la région Rhône-Alpes - un peu moins sur d'autres - je veux parler du mélanome !

En somme, vous conseillez au ministre de ne pas légiférer, ce qui serait une grave erreur. J'ai reçu - comme vous, sans doute - de nombreux archéologues et leurs propos étaient plus nuancés que vous ne l'avez dit.

M. Jean-Pierre Blazy - Vous les avez mal entendus !

M. le Président de la commission des affaires culturelles - Ils ont une vision objective de la situation...

M. Patrick Bloche - Qui avez-vous rencontré ?

M. le Président de la commission des affaires culturelles - ...et souhaitent simplement que des améliorations soient apportées à la loi de janvier 2001, que nous devons à notre président de séance.

Nous devons légiférer aussi pour les élus locaux. La MEC a reçu le 27 mars M. Demoule, président de l'INRAP, et son directeur général. Les élus locaux, pas seulement ruraux, qui sont intervenus à cette occasion ne sont pas des « grincheux ». Traiteriez-vous Jean-Pierre Brard de « grincheux » ? Pour lui faire honneur, je le citerai : « Dans ma ville (...) j'ai un problème de ce type. Personne ne sait combien de temps cela va durer. Face à nous, nous avons des gens arrogants, indifférents, absents (...) Pour moi, c'est une opération de logement social qui est bloquée par la conduite de ces gens qui prétendent parler au nom de l'intérêt général. La finalité du programme de logements sera changée (...) par l'incurie de ronds-de-cuir, dans la mesure où les coûts supplémentaires sont tels que le programme original ne pourra être réalisé. Les personnes qui s'occupent de cela s'en fichent comme de leur première chemise. Quel irrespect pour l'intérêt général (...) ! Jusqu'à présent, l'indifférence aux coûts supportés par la société est absolue (...) On ne sait pas quand leur bon plaisir permettra de redémarrer enfin le chantier. (...) Je voudrais que nos interlocuteurs comprennent le ras-le-bol qu'ils ont généré (...) Quand on réussit à faire un tel consensus contre soi, comment prétendre que l'on peut avoir raison contre les représentants de nos concitoyens, qui, seuls, ont la légitimité du suffrage universel ? »

A la fin de son audition, M. Demoule a reconnu qu'il fallait revenir à une gestion normale et raisonnable de notre patrimoine archéologique, qui est notre bien commun.

Ce projet, de bon sens, adapte les grands principes de la loi de 2001 aux réalités du terrain (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Ministre - La loi de 2001 a exposé les élus à des difficultés considérables, et je tiens à votre disposition les courriers qu'ils m'ont adressés. Vous constaterez qu'ils émanent aussi bien des élus socialistes et communistes que des autres. Cette affaire nous concerne tous, et nous devons tous tenter de faire face au mieux à une situation d'urgence. Le budget de l'INRAP ne peut pas continuer à être fixé par douzièmes provisoires.

M. Jean-Pierre Blazy - La faute à qui ?

M. le Ministre - Vous avez évoqué les employés en contrat à durée déterminée que l'INRAP utilise ponctuellement parce que la masse des chantiers à traiter est fluctuante. Il n'y a pas eu de nouveaux CDD ces derniers mois car de nombreux chantiers ont été interrompus dans le pays. De nouveaux recrutements interviendront dès que les chantiers seront rouverts. J'espère que cela dissipe votre inquiétude. Quant à la convention de Malte, elle demande aux Etats d'organiser les opérations d'archéologie préventive mais ne leur fait nulle obligation d'en confier le monopole à un quelconque organisme. C'est pour cela que les pays signataires ont élaboré des mécanismes très différents et on ne peut affirmer, quelle que soit la qualité des agents de l'INRAP, que leur travail soit immanquablement supérieur à celui qui est effectué dans d'autres pays. Nous connaissons notamment quelques défaillances en ce qui concerne l'exploitation des travaux. Il est donc de notre devoir de tenter d'améliorer la situation (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Président - Nous en venons aux explications de vote sur la question préalable.

M. Frédéric Dutoit - Monsieur Dubernard, comme on dit à Marseille, je suis estomaqué ! Qui a dit que nous ne voulions pas permettre aux aménageurs, y compris privés, de travailler ? Qui a dit que les aménageurs n'ont pas un rôle éminent, en particulier les collectivités locales ? Je suis député d'une ville, Marseille, qui a 2 600 ans d'histoire. Chaque fois qu'on y fait un petit trou, on trouve quelque chose ! Dans les quartiers nord, on vient de trouver des traces encore antérieures à 2 600 ans. Les spécialistes se passionnent pour l'affaire et cherchent pourquoi le village serait tourné vers la mer et non vers la vallée et un éventuel cours d'eau... Et ce sont ces quartiers qui connaissent le plus fort développement économique de Marseille !

Monsieur le ministre, du passé ne faisons pas table rase. L'archéologie préventive nous permet de connaître notre histoire et d'enrichir le patrimoine de l'humanité. C'est avec ce passé-là que nous pourrons construire notre avenir, et l'avenir n'est ni de gauche ni de droite. Nous devons ensemble mettre en place une archéologie préventive pérenne et le groupe communiste et républicain votera la question préalable.

M. Pierre-Christophe Baguet - Y a-t-il motif à légiférer à nouveau ? Oui ! Y a-t-il des raisons de le faire en session extraordinaire, un vendredi de juillet ? Non. Toutefois, si nous sommes peu nombreux, toutes les familles politiques sont représentées. Dans l'attente de la suite du débat, le groupe de l'UDF s'abstiendra sur cette motion de procédure.

M. Patrick Bloche - Nous pensions, par ces motions, ouvrir le débat et commencer à confronter nos arguments. Nous sommes surpris de n'avoir reçu aucune réponse. Pourquoi discutons-nous un vendredi 4 juillet, en session extraordinaire ? Pourquoi a-t-on déclaré l'urgence sur ce texte, alors que nous avions prévu un rendez-vous au 31 décembre 2003 ? Cette précipitation est liée à la baisse brutale des crédits consacrés par le projet de loi de finances aux fouilles, qui a créé une période d'incertitude pour tous ces hommes et ces femmes passionnés de leur métier. Si l'INRAP fonctionne avec un budget par douzièmes provisoires, c'est que son budget pour 2003 n'a pas été validé par le ministère de finances, ce qui lui ôte par ailleurs toute visibilité dans ses actions ! Quant aux CDD, ils n'ont par nature pas vocation à durer, mais on ne peut nier que la fin brutale de 500 ou 600 contrats à la fois pose problème...

Nous sommes pour la plupart des élus locaux. Comment oser diviser les élus entre ceux qui sont passionnés d'aménagement, de construction de logements sociaux et du bien de leurs concitoyens et les autres ? N'introduisez pas une querelle des anciens et des modernes ! Nous avons tous déjà voté des textes très importants pour l'urbanisme, et nous continuerons, assurant la démocratie participative et la concertation préalable dans ce domaine... Nous savons que les opérations de fouilles contribuent à l'intérêt général !

Le groupe socialiste considère qu'il fallait corriger l'assiette et les modalités de calcul de la redevance. Votre projet, lui, bouleverse totalement la loi de 2001.

M. le Rapporteur - Il l'améliore !

M. Patrick Bloche - Nous légiférons dans une telle précipitation que je crains que le Conseil constitutionnel n'en retire beaucoup de travail... (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean-Pierre Gorges - Après Lyon et Marseille, je parlerai de Chartres, dont chaque mètre carré a une valeur archéologique. C'est d'ailleurs sans doute un peu grâce à l'archéologie préventive que j'en suis maire, car ce dossier a beaucoup gêné mon prédécesseur. La loi de 2001 était nécessaire, mais je ne voudrais pas en être la victime. Elle est en effet trop idéologique, comme toutes celles qui ont été prises par la majorité précédente. Elle est fondée sur des principes déterministes et non probabilistes. Toute sa logique repose sur des procès d'intentions et des craintes d'arrangements entre les aménageurs et les responsables de fouilles, créant ainsi un climat très déplaisant. Il faut laisser les choses se faire et prendre rendez-vous plus tard pour un bilan.

La loi de 2001 était notamment nécessaire pour clarifier les coûts. Elle aurait pu aller plus loin en la matière. Elle précise également certains délais, ce qui était primordial. Certains ont parlé d'un présent qui ne s'occupe pas de son passé et n'aurait pas d'avenir. Je subis moi, aujourd'hui, le poids d'un passé qui obère l'avenir et crée un climat très pesant. Je pense que de nombreuses autres agglomérations sont dans le même cas. Il est donc nécessaire de revoir les choses.

Sur la forme, Monsieur Queyranne, je ne peux m'empêcher d'être surpris que vous vous soyez adressé plus aux tribunes qu'aux élus de l'hémicycle. Votre regard était tourné vers le haut, vers le ciel...

M. Patrick Bloche - Le paradis socialiste ! (Sourires)

M. Jean-Pierre Gorges - ...alors que les députés ici présents sont très concernés par le problème. Il faut cesser d'empêcher l'installation d'entreprises dans les territoires (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Le groupe UMP ne votera pas cette motion.

La question préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance qui aura lieu, cet après-midi, à 15 heures.

La séance est levée à13 heures.

            Le Directeur du service
            des comptes rendus analytiques,

            François GEORGE

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne trois heures après la fin de séance.

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

www.assemblee-nationale.fr


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