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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2002-2003 - 38ème jour de séance, 100ème séance

1ère SÉANCE DU JEUDI 12 DÉCEMBRE 2002

PRÉSIDENCE de M. Rudy SALLES

vice-président

Sommaire

      PROTECTION DES MINEURS
      CONTRE LA VIOLENCE ET LA PORNOGRAPHIE 2

      AVANT L'ARTICLE PREMIER 22

      ARTICLE PREMIER 24

La séance est ouverte à neuf heures.

PROTECTION DES MINEURS CONTRE LA VIOLENCE ET LA PORNOGRAPHIE

L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. Yves Bur et plusieurs de ses collègues visant à protéger les mineurs contre la diffusion de programmes comprenant des scènes de violence gratuite ou de pornographie.

M. Yves Bur, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - En France, ainsi que le stipule l'article premier de la loi du 30 septembre 1986 modifiée, « la communication audiovisuelle est libre » ; le CSA garantit l'exercice de cette liberté dans les conditions définies par la loi. La proposition de loi dont nous discutons ce matin et que j'ai déposée avec mes collègues Mme Marie-Jo Zimmermann et M. Jérôme Rivière n'entend remettre en cause ni ce principe de liberté, ni la mission de régulation confiée au CSA.

Cependant, personne ne peut prétendre que l'image en général et la télévision en particulier n'ont pas d'impact sur les esprits. Après le rapport du collectif interassociatif enfance et médias, la commission présidée par Mme Blandine Kriegel « s'est accordée à reconnaître un effet net de l'impact de la diffusion de spectacles violents sur le comportement des plus jeunes ». Dès lors, nous ne pouvons plus ignorer qu'il existe un « effet télé » incontestable dans un certain nombre de comportements agressifs - ces études semblent avoir établi que les variations des comportements violents sont liées à la durée d'exposition aux images.

Les propositions formulées ne doivent pas rester lettre morte : notre proposition de loi ne constitue qu'une première réponse très partielle, qui en appellera d'autres plus globales, car la télévision n'est pas le seul vecteur de représentation d'une violence exacerbée et d'images pornographiques : la vidéo, l'Internet, la presse spécialisée sont autant de débouchés pour ce qui constitue avant tout un marché. Comme le préconise le pédopsychiatre Claude Allard, « il faut qu'ensemble tous les acteurs prennent conscience que les médias sont maintenant des institutions de socialisation pour les enfants, comme la famille et l'école ». Tout en respectant la liberté de création et de diffusion des images, nous devons être plus attentifs au respect de l'individualité de l'enfant et plus exigeants sur ce que proposent les médias.

Faut-il accepter que cette prise de conscience soit taxée par certains de retour à la censure et à l'ordre moral ? Il faut raison garder et ne pas engager de faux débats. L'épanouissement de nos enfants est en jeu, face à l'impact grandissant des médias.

Faut-il pour autant imposer l'interdiction absolue de diffusion pour des émissions ou des films contenant des scènes de grande violence ou pornographiques ? Non ! Je souscris sans réserve au principe de liberté tel qu'il a été explicité dans le rapport Kriegel : « Les sociétés démocratiques ont appris à se montrer très précautionneuses à l'égard de la restriction de la liberté des opinions, d'expression et de communication... Elles ont bien raison, notamment pour tout ce qui touche la vie et les m_urs privées des adultes qui, en démocratie est placée sous leur seule responsabilité ».

La commission Kriegel ne préconise par conséquent aucune mesure liberticide mais a réfléchi sur tous les moyens qui peuvent mettre hors de portée des enfants les spectacles violents ou pornographiques.

La réglementation européenne - souvent citée pour justifier une interdiction totale de diffusion - reste ambiguë car elle effectue une distinction entre les programmes « susceptibles de nuire » et les programmes « susceptibles de nuire gravement » à l'épanouissement physique, mental et moral des mineurs. Seuls ces derniers sont interdits de toute diffusion et il revient à chaque Etat membre de déterminer les programmes touchés par cette interdiction. Par courrier au président du CSA, Mme Viviane Reding, commissaire européenne, a confirmé, le 26 août dernier, la conformité des dispositions législatives françaises avec la directive européenne.

Mme Christine Boutin - C'est plus nuancé que cela !

M. le Rapporteur - Notre proposition de loi vise à renforcer la protection des enfants face au déferlement des images lié à la multiplication des chaînes. Elle donne au CSA un outil supplémentaire pour la protection efficace des publics mineurs en conditionnant la diffusion de programmes de catégorie V, déconseillés aux moins de 18 ans ou interdits en salle aux moins de 18 ans, à la mise en place d'un dispositif de « déverrouillage volontaire » pour accéder à ces programmes qui ne sont déjà diffusés que sur des chaînes payantes et cryptées.

Les programmes visés par la proposition de loi comprennent des scènes de pornographie, dont la définition existe dans la jurisprudence de la Cour de cassation comme dans celle de la commission de classification. Un amendement que je présenterai tout à l'heure vous proposera de viser également, non les scènes de « violence gratuite », comme le prévoit la proposition de loi, mais les scènes de « très grande violence », celle-ci se situant entre « la grande violence » dont il est fait état pour les films de catégorie IV interdits aux moins de 16 ans et « la violence extrême » qui entraîne l'interdiction absolue de diffusion du film. Cette gradation semble cohérente avec la signalétique des programmes applicable à l'ensemble des chaînes. Les programmes visés de catégorie V continueront à ne pouvoir être diffusés qu'entre minuit et 5 heures et feront l'objet d'un double cryptage.

Nous renforçons ainsi le pouvoir de régulation du CSA, à qui incombera la responsabilité de contrôler la mise en _uvre de ces mesures et de s'assurer de la validité des procédures de déverrouillage avec l'aide d'experts en matière de cryptage. Ce pouvoir sera encore renforcé si nous adoptons les amendements présentés par notre collègue M. Martin-Lalande, qui permettront au CSA de prononcer des sanctions pécuniaires dès qu'une infraction qui pourrait faire l'objet de sanctions pénales aura été constatée - quitte à ce que, si la procédure pénale aboutit, leur montant soit déduit de l'amende prononcée par le juge. Ces amendements facilitent aussi le prononcé d'une sanction efficace par la diffusion d'un communiqué de presse à l'antenne.

Il serait souhaitable que les abonnements aux chaînes proposant des programmes interdits aux mineurs soient détachés des autres services proposés. L'adoption de cette proposition de loi ne doit pas entraîner la multiplication de programmes relevant de la catégorie V au motif que le double déverrouillage assurerait la protection des mineurs. Sur ces deux points, le rôle de régulation du CSA sera essentiel.

Avec mes deux collègues qui ont cosigné cette proposition de loi, nous n'avions pas la prétention d'apporter une réponse définitive à une préoccupation partagée par tous nos concitoyens. Sa portée limitée à la seule diffusion audiovisuelle laisse entière la question de l'accès des mineurs à des images de violences sexuelles, physiques ou morales, sur tous les autres supports médias : cassette vidéo, DVD ou Internet.

En adoptant cette disposition législative, nous répondons à une urgence : protéger nos enfants du flux d'images qui peut perturber la construction de leur système de valeurs et de références. Le double déverrouillage permet de responsabiliser les parents, qui doivent assurer leur responsabilité éducative.

Nous avons bien conscience que ce court débat en appelle d'autres pour aller au fond des problèmes soulevés par les rapports du CIEM et de Mme Kriegel. Nous savons bien que trop souvent, comme l'écrivent Divina Frau-Meigs et Sophie Jehel : «  les parents se sont délestés de leur rôle auprès des enfants au profit des médias les laissant seuls devant le petit écran sans s'assurer que ces médias prennent en charge un minimum de responsabilité éducative ».

De nombreux collègues ont souhaité que ce débat permette à la représentation nationale d'approfondir la réflexion en s'inspirant des recommandations des deux rapports : responsabiliser tous ceux que concerne la protection des enfants ; prendre en compte tous les supports d'images ; enfin, redéfinir le rôle de la commission de classification qui doit mieux veiller à la protection des jeunes spectateurs. J'ai déposé, avec le Président de notre commission, un amendement en ce sens. Il serait aussi souhaitable que les associations concernées par la famille, l'enfance et l'éducation participent davantage à une régulation qui devrait être plus attentive au jeune public. Il convient, enfin, de promouvoir une véritable éducation aux médias, par les familles et par l'école.

Parce que la télévision est devenue l'unique référence culturelle pour de nombreuses familles et qu'elle a un fort impact sur le comportement de nos enfants, nous ne devons pas fuir ce débat. Et même si nous ne faisons que l'effleurer, ce n'est pas une raison pour ne pas adopter cette proposition qui nous permettra, en responsabilisant les parents, de mieux protéger les enfants d'images de violence et de pornographie qu'ils ont été trop nombreux à découvrir de par la négligence des parents et une prise de conscience tardive des responsables publics (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Jacques Aillagon, ministre de la culture et de la communication - J'ai souhaité, dès mon arrivée au ministère, travailler sur la place de la télévision dans notre société et sur les responsabilités qui en découlent. A cette fin, j'ai confié à différentes personnalités le soin d'élaborer des rapports, qui m'ont été remis. Ainsi, Mme Clément a traité de la culture et de la télévision publique, M. Charpillon de l'adaptation des programmes télévisés aux personnes sourdes et malentendantes et Mme Kriegel de la violence à la télévision. Les conclusions de ce dernier rapport mettent l'accent sur l'impact des images, en soulignant qu'elles peuvent influencer positivement ou négativement la constitution de la personnalité. C'est dire que le débat qui nous rassemble intéresse la société dans son ensemble. Il est à l'honneur du Gouvernement et de la majorité de l'avoir suscité, provoquant une prise de conscience généralisée et la volonté partagée d'agir.

L'action et la décision vous reviennent aujourd'hui, au travers de la proposition que nous devons à Mme Zimmermann et à MM. Bur et Rivière. Le souci exprimé par votre commission est incontestablement celui du Gouvernement, puisqu'il s'agit de renforcer le respect des droits de l'enfant en se fondant sur la liberté et l'esprit de responsabilité de tous les acteurs concernés, qu'il s'agisse des pouvoirs publics - au premier rang desquels le CSA -, des responsables de chaînes ou, surtout, des parents.

Dans cet esprit, la proposition tend à protéger notre jeunesse de l'exposition à certains programmes télévisés à caractère pornographique ou de très grande violence. D'autre part, ses auteurs s'interrogent sur le fonctionnement de la commission de classification des films. Enfin, plusieurs amendements visent à renforcer les pouvoirs de sanction du Conseil supérieur de l'audiovisuel, ce qui va dans le sens des conclusions du rapport Kriegel, que j'approuve.

Je tiens à remercier votre rapporteur pour son travail exigeant, qui allie salutairement précision et pondération.

S'ils ont pris acte de ce que la France n'enfreint pas la directive « télévisions sans frontière », comme la commissaire Viviane Reding l'a confirmé, M. Bur et ses collègues n'en ont pas moins recherché les moyens de mettre la pornographie et la très grande violence hors de portée de nos enfants. De fait, notre dispositif législatif doit être amélioré ; la proposition de loi et les amendements approuvés par la commission me paraissent généralement aller dans le bon sens. En effet, il ne s'agit pas d'un texte de censure : il ne vise pas à interdire, et il laisse aux adultes le libre choix de ce qu'ils regardent, mais il donne aux parents les moyens pratiques d'exercer leur responsabilité de manière plus assurée.

Le texte propose en premier lieu de rendre obligatoires des mesures de contrôles d'accès aux programmes comportant des scènes de très grande violence ou de pornographie. Dans son principe, cette mesure innovante me paraît très positive. Ce texte doit toutefois tenir compte de la rapidité extrême des évolutions techniques ; il faut également proposer aux quelques trois millions de Français abonnés à Canal Plus « analogique » une solution compatible avec cette technologie en attendant qu'ils choisissent le numérique. C'est dire l'intérêt des amendements proposés.

Sur un autre plan, j'approuve les amendements qui visent à étendre la capacité de sanction du CSA, conformément aux conclusions du rapport Kriegel. Le Conseil doit en effet pouvoir prendre des sanctions financières même si le manquement d'un éditeur de chaîne est constitutif d'une infraction pénale, comme c'est souvent le cas pour les questions liées à des programmes violents.

S'agissant enfin de la commission de classification des _uvres cinématographiques, on sait que depuis plusieurs décennies, elle a été un instrument efficace pour la protection des mineurs. Des critiques ont été exprimées récemment, qui portent d'une part sur sa composition, d'autre part sur un excès de souplesse supposé au regard de ce qui serait pratiqué à l'étranger.

La présence en son sein des professionnels du cinéma serait-elle excessive ? J'observe que si, dans les années 1960, la parité entre représentants des professionnels et des pouvoirs publics était strictement respectée, la composition de la Commission de classification a ensuite évolué, et un équilibre a été trouvé que j'estime satisfaisant. En effet, aujourd'hui, les professionnels ne représentent plus qu'un tiers de la commission et les pouvoirs publics un second tiers. Les autres membres sont des représentants de la société : experts désignés par les ministères, tels que magistrats pour enfants, médecins ou éducateurs mais aussi des représentants du CSA, de l'UNAF, de l'Association des maires de France. Tout récemment, la défenseure des enfants a été nommée membre de la commission. Enfin, un collège des jeunes a été créé en 1990.

La présence des professionnels du cinéma présente l'avantage de les responsabiliser. J'en veux pour preuve le petit nombre de décisions qui donnent lieu à des contestations ou à des recours.

J'estime donc que la composition de la commission de classification des films est aujourd'hui équilibrée, mais je considère, comme plusieurs de mes collègues dont Christian Jacob, que sans modifier ses équilibres, nous pouvons améliorer son fonctionnement. Nous veillerons en particulier à renforcer la présence d'experts de la jeunesse : médecins et éducateurs, mais aussi spécialistes des sciences humaines sur l'enfance et sur l'impact de l'image. Le Gouvernement approuvera donc les amendements déposés à cette fin.

J'ai, en outre, demandé au directeur général du Centre national de la cinématographie de mener une concertation avec les professionnels pour que l'avis d'interdiction aux mineurs de moins de dix-huit ans puisse être rendu à la majorité simple des votants plutôt qu'à la majorité des deux tiers.

Le remarquable travail parlementaire que représente cette proposition de loi, (Rires sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe UDF) ...complétée et améliorée par plusieurs amendements, illustre le dynamisme de la majorité et sa parfaite synergie avec le Gouvernement. Je me réjouis de l'équilibre du texte, qui renvoie chacun à ses responsabilités pour remplir cette mission sacrée qu'est la protection des jeunes esprits, sans négliger la tout aussi impérieuse nécessité de garantir la liberté de chacun (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme Marie-Jo Zimmermann - Le 3 juin 2002, à Nantes, une lycéenne de quinze ans était poignardée à mort par un camarade de deux ans son aîné qui, lors de son arrestation, déclara avoir décidé de tuer quelqu'un sous l'influence du film Scream. Le 25 septembre 2000, Vincent, quinze ans, tuait ses parents dans leur sommeil d'une trentaine de coups de couteau. Il indiquera par la suite avoir reçu des messages tirés de ce même film. Quelques mois plus tôt, le 20 avril, le lendemain de la sortie du troisième volet de la trilogie de Wes Craven, un autre adolescent avait tenté de tuer son père et sa belle-mère en les poignardant revêtu de la panoplie du tueur. Ces tragédies, certes exceptionnelles, ne peuvent laisser le législateur indifférent. Yves Bur, Jérôme Rivière et moi-même avons donc souhaité apporter notre contribution. Le 15 octobre dernier, nous déposions une proposition de loi visant à protéger des mineurs contre la diffusion de programmes comprenant des scènes de violence. Le groupe UMP a estimé que c'était faire _uvre utile puisqu'il a décidé d'y consacrer la séance qui lui est réservée au titre des textes d'initiative parlementaire.

La pornographie étant un sujet très médiatique, le débat autour de ce texte s'est jusqu'à présent focalisé sur cet aspect particulier du problème. Or, notre démarche est avant tout motivée par la violence, la pornographie n'étant à notre sens qu'une forme parmi d'autres de violence gratuite. Face à ce phénomène, nous nous sommes posé quelques questions simples : la violence télévisuelle progresse-t-elle ? Exerce-t-elle une influence sur le jeune public ? Faut-il protéger les jeunes de la violence médiatique ?

S'agissant de la diffusion d'images violentes, nous percevons tous que le problème est plus aigu que jamais. Il y a quelques années l'intervention des autorités de régulation était, en ce domaine, accueillie par des sourires - voire par des sarcasmes. La mise en avant d'un possible retour à l'ordre moral l'emportait alors sur toute autre considération.

La situation a bien changé. Enseignants, associations de parents, psychiatres militent pour que des bornes soient posées et que la liberté des médias soit conciliée avec le principe de responsabilité à l'égard du public.

Le CSA estime qu'un enfant assiste aujourd'hui à neuf séquences violentes - crimes ou agressions - par heure dans une fiction télévisée et que 45 % des émissions pour enfants reposent sur des scènes de violence. Le rapport du collectif inter-associatif Enfance et médias intitulé L'environnement médiatique des jeunes de zéro à dix-huit ans : que transmettons-nous à nos enfants ?, commandé par Mme Royal, démontre qu'avant douze ans, un enfant sur deux a visionné un film pornographique. Olivier Mongin, directeur de la revue Esprit, auteur de La violence des images ou comment s'en débarrasser, va jusqu'à interpréter la situation actuelle comme « un flux de violence qui ne rencontre plus d'obstacles et auquel rien, ni personne, ne résiste ».

Le développement des images violentes est aussi qualitatif. Il existe désormais une dérive, difficilement mesurable, qui conduit à une exacerbation de la violence, et à un véritable étalage de violence pure. Du reste, le public adolescent est particulièrement friand de films gore. Le journal La Croix relevait ainsi en juin dernier qu'il ne se passe pas un mois sans qu'apparaissent au rayon nouveautés des vidéo-clubs les derniers méfaits d'un tueur en série, les sanglantes éclaboussures d'un film gore ou les tranchantes aventures d'un thriller produit à la chaîne... Le phénomène n'est pas nouveau, ce qui surprend, c'est la précocité des amateurs ».

Dans une tribune du Monde, intitulée « Le cinéma peut-il tuer ? » le psychiatre Daniel Zagury notait : « Le problème, c'est l'avènement d'un cinéma pervers, au sens de la perversité morale, de la perversion narcissique et de la perversité sexuelle. Le nouveau défi n'est plus la sexualité, y compris la sexualité perverse. La limite à franchir est ailleurs, du côté de l'érotisation de la cruauté, de la prédation absolue, de l'omnipotence du démiurge qui s'arroge le droit de vie ou de mort sur un autre chosifié ».

Face à la progression des images violentes, il n'est pas inutile de rappeler que les enfants passent autant de temps devant leurs écrans que dans les salles de classe et que la télévision est devenue la première gardienne de nombre de très jeunes enfants.

Cette violence médiatique a-t-elle une influence sur le jeune public ? A l'heure où les publicitaires parviennent à modifier nos habitudes de consommation, peut-on soutenir que ce bain prolongé de violence puisse rester sans effet sur des personnalités non encore formées ? La puissance de la publicité constitue une preuve éclatante du pouvoir de l'image. L'une des études les plus récentes de la revue Science, menée sur une période de dix-sept ans par une équipe de psychologues, a établi un lien étroit entre le temps passé par des adolescents devant la télévision et leur comportement agressif. Il ressort de ces travaux que plus les jeunes regardent le petit écran, plus ils commettent des actes violents. Ainsi près de 42 % des garçons ayant passé plus de trois heures par jour devant la télévision à l'âge de quatorze ans ont, huit ans plus tard, agressé ou blessé quelqu'un, alors que cette proportion descend à 9 % lorsqu'ils regardaient la télé moins d'une heure par jour.

Nous disposons de milliers d'études sur les relations entre médias et violence car, depuis les années 1930, les chercheurs en sciences sociales on multiplié les travaux sur l'impact des films sur la psychologie des spectateurs. A l'évidence, la violence dans les médias peut contribuer à un comportement agressif, à des troubles divers - cauchemars, stress - et, à plus long terme, à des attitudes négatives telles une désensibilisation vis-à-vis de la violence ou une dépréciation du monde extérieur.

L'influence de la violence médiatique sur le comportement n'est toutefois jamais mécanique. Elle ne s'exerce pleinement que sur certaines catégories d'individus, dans des circonstances particulières. L'environnement familial et social joue un rôle essentiel. Les enfants sur lesquels s'exerce l'autorité parentale la plus faible, ceux qui pratiquent peu d'activités sportives, culturelles ou associatives, ceux qui vivent en milieu défavorisé sont nettement plus vulnérables à la violence télévisée que les autres. L'image est un élément déclencheur, qui accroît les fragilités individuelles. Dès lors, la société n'a-t-elle pas le devoir de protéger les plus faibles, les plus fragiles ?

Le débat n'est, certes, pas nouveau. En 1971, Stanley Kubrick s'était déjà attiré les foudres de la censure britannique, après la multiplication d'agressions calquées sur certaines scènes d'Orange mécanique. L'adolescence est une période hautement sensible. Elle semble même particulièrement dangereuse pour les jeunes Français qui détiennent de tristes records au sein de l'Union européenne en matière de suicide, de toxicomanie, de tabagisme, d'alcoolisme, d'anorexie.

Loin de nous l'idée de vouloir cacher aux enfants la violence du monde dans lequel ils vivent. La violence inhérente au monde moderne est un fait. Il faut leur apprendre à s'y adapter. Lorsqu'une catastrophe se produit, elle fait partie de la vie quotidienne et doit, à ce titre, être montrée, même s'il est préférable de ne pas reproduire son image à l'infini. Face à la violence de la vie quotidienne, mieux vaut montrer et expliquer plutôt que garder le silence.

Dans la fiction, la violence est délibérée. Elle y est en outre souvent associée à un désir et à une jouissance.

La pornographie, qui n'est en réalité qu'un type de violence particulier, s'inscrit dans cette perspective et nombre de psychiatres s'accordent pour nous mettre en garde contre elle. Le rapport de Mme Brisset, remis au Garde des Sceaux le 10 décembre dernier, insiste sur le lien entre la diffusion croissante d'images de pornographie et l'apparition de pratiques criminelles tels les viols collectifs, dont la progression constitue une atteinte insoutenable aux droits de l'homme. Alors que faire ?

Mme Christine Boutin - Eh oui !

Mme Marie-Jo Zimmermann - L'une des solutions serait l'interdiction absolue des images de violence gratuite - et notamment de pornographie - en transposant en droit interne, dans l'article 15 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, la formulation précise de l'article 22 de la directive européenne « Télévision sans frontières ». Mais cette solution nous semble devoir être conservée comme ultime recours, d'autant que la commissaire européenne, Mme Reding, a fait publiquement savoir que la transposition actuelle de la directive en droit français était suffisante. En outre, dans les démocraties occidentales, la liberté d'expression et de création est posée comme principe fondamental par des dispositions constitutionnelles. L'interdiction ne manquerait donc pas de se heurter à ce principe, auquel nous sommes tous attachés (Murmures sur les bancs du groupe UMP).

Telles sont d'ailleurs les raisons pour lesquelles l'interdiction stricte de ce type d'images sur les chaînes publiques et privées n'est appliquée qu'en Allemagne. Or, l'Allemagne est le plus gros consommateur et producteur de films X de l'Europe.

M. le Président - Il faut conclure.

Mme Marie-Jo Zimmermann - La prohibition, qui est toujours motivée par les intentions les plus louables, se traduit immanquablement par une mise en valeur de l'objet interdit. Il y a fort à parier que, dans le cas présent, une interdiction de diffusion en analogique et numérique susciterait automatiquement un transfert vers Internet, qui n'est pas réglementé, ainsi que vers les clubs vidéo. Il faut se rendre à l'évidence : l'interdiction absolue, dans des sociétés modernes, ouvertes, curieuses, attachées aux libertés et à la diffusion des idées via des technologies sans cesse plus performantes, est vouée à l'échec.

Devons-nous pour autant nous contenter des solutions actuelles ?

En matière de signalétique des programmes violents, l'action de simplification engagée par le CSA en juillet dernier mérite d'être saluée, même si elle est loin de tout régler.

Au reste, nous savons bien que les producteurs de télévision sont très attentifs aux évolutions du marché international des programmes et que leur choix en faveur de fictions particulièrement violentes n'est jamais anodin.

M. le Président - Veuillez conclure.

Mme Marie-Jo Zimmermann - La violence fait vendre, la pornographie aussi. Le débat suscité par cette proposition est déjà utile, puisqu'il a incité les chaînes à l'autodiscipline. La proposition déposée par Yves Bur, Jérôme Rivière et moi-même, comme celle de Mme Boutin, ne sont pas étrangères à l'attitude plus conciliante des chaînes.

L'objet de notre texte est de donner un cadre légal au système de double cryptage à déverrouillage volontaire. Il ne s'agit pas d'une démarche partisane. D'autres avant nous, sur d'autres bancs, ont fait le même raisonnement. Canal Plus s'est engagé à procéder au double cryptage des films de catégorie V pour tous ses abonnés. Pour lever ce double cryptage, il faudra en faire la demande expresse auprès d'un serveur vocal interactif.

Le rapporteur va nous présenter un amendement visant à préciser que la commission de classification des films doit penser aux jeunes téléspectateurs. Patrice Martin-Lalande proposera de renforcer le pouvoir de sanction du CSA, ce qui me paraît opportun.

Au nom du groupe UMP, je vous demande de voter cette proposition (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. le Président - Je vous demande à tous de respecter strictement votre temps de parole, sans quoi nous n'aurons pas fini ce débat à 13 heures et le vote du texte sera reporté sine die.

M. Didier Mathus - Cette proposition constitue une mauvaise réponse à une vraie question. Elle vient de loin, puisque c'est Bill Clinton - paradoxe de l'histoire ! - qui proposa, pendant la campagne présidentielle de 1996, la « puce antiviolence » dans les décodeurs.

La vraie question, c'est la présence de la violence et de la pornographie dans de nombreuses formes d'expression. C'est l'impact de ces images sur les rapports humains et leur influence sur la construction de l'imaginaire des adolescents. C'est aussi l'abandon de la dimension éducative de la télévision. L'éducation nationale est totalement absente sur ce terrain. L'éducation à l'image en reste aux balbutiements, alors qu'elle devrait être une discipline obligatoire depuis longtemps.

Les réponses des experts sont très contradictoires. Rien ne permet de trancher, s'agissant de l'impact des images sur le comportement. Ont-elles un effet d'entraînement ou un effet cathartique ? Il n'y a pas de réponse étayée scientifiquement, et le rapport de commande de Mme Kriegel ne peut nous servir de viatique.

Principe de précaution, alors ? Mais vous savez vous-mêmes que vous apportez une mauvaise réponse à une vraie question en faisant du cinéma votre bouc émissaire (Protestations sur les bancs du groupe UMP).

M. Michel Françaix - C'est vrai !

M. Didier Mathus - Les films ne sont qu'une part minoritaire de la programmation télévisuelle. Quant aux films de catégorie IV ou V, ils ne représentent qu'une part infime des programmes.

Oui, il y a une vraie question. Mais votre réponse schématique et caricaturale ne vise qu'à adresser un signal à la frange la plus droitière de votre électorat (Protestations sur les bancs du groupe UMP).

Mme Françoise de Panafieu - Donneur de leçons !

M. Didier Mathus - Oui, il y a une banalisation de la violence et de la sexualité dans la publicité, à la radio et à la télévision. Mais il y a des vecteurs infiniment plus dangereux que le cinéma. Ecoutez cette publicité pour un jeu vidéo, diffusée sur certaines radios : « Apprends à tuer, deviens un serial-killer ! » Ecoutez, sur ces mêmes radios, les émissions destinées aux jeunes, dans lesquelles on se livre à une douteuse surenchère sémantique. Regardez les émissions de télé-réalité. Et pour prendre un exemple familier à vos électrices, Madame de Panafieu, les publicités de Madame Figaro ne relèvent-elles pas de ce qu'il est convenu d'appeler le « porno-chic » ?

Où est l'obscénité ? Dans L'Ile de la tentation, diffusée en prime-time, ou dans un film X disponible par abonnement et diffusé à une heure avancée de la nuit ?

L'essentiel des images pornographiques se trouve d'ailleurs en vidéo ou sur Internet, supports plus familiers aux jeunes qu'à leurs parents.

Et peut-on faire l'impasse sur la question de la violence dans les informations télévisées ?

Vous avez vous-mêmes rencontré de grandes difficultés à définir les notions de « très grande violence » ou de « violence gratuite ». Ce débat occupe les philosophes depuis plus de vingt siècles. La régulation de sa propre violence par la société est un sujet de réflexion sans fin.

Votre proposition n'est qu'une gesticulation à but électoral.

La question du double cryptage n'avait nullement besoin d'un véhicule législatif. La quasi-totalité des opérateurs ont déjà adopté ce dispositif et l'accès aux films de catégorie IV et V est encadré depuis 1989. Personne ne peut prétendre avoir à son insu des films pornographiques en libre accès sur son téléviseur. Il faut toujours un abonnement. C'est donc bien la responsabilité parentale qui est en cause.

M. Pierre-Christophe Baguet - Ce n'est pas exact.

M. Didier Mathus - Même dans le cas de Canal Plus en analogique, il suffit de retirer la carte à puce du décodeur pour empêcher la réception.

J'ai entendu en commission des affirmations surprenantes, qui montrent le caractère irrationnel et idéologique de votre démarche. Une de nos excellentes collègues a déclaré qu'on pouvait voir des films pornographiques sur TV5 : cette respectable chaîne de la francophonie se serait donc transformée en véhicule de la dépravation ! Ou bien notre collègue n'a jamais regardé TV5 ou bien elle ne sait pas ce qu'est un film pornographique !

J'évoque cette anecdote parce qu'elle est révélatrice de l'exaltation idéologique avec laquelle une partie de la majorité aborde ce débat. Ce problème de société est réel, mais ce qui vous intéresse, c'est une restauration des valeurs conservatrices. Je pense à l'amendement Boutin adopté en commission, qui vise à donner au ministère de la famille la co-tutelle de la commission de contrôle du cinéma. Voilà une vision rafraîchissante ! Placer la création cinématographique sous les auspices du ministère de la famille est révélateur d'une pensée un peu datée.

Maîtriser la classification des films, c'est maîtriser leur diffusion et donc leur financement. C'est avoir droit de vie ou de mort sur les _uvres. On nous annonce la disparition de cet amendement, ce qui ne changera rien : modifier la composition de la commission par décret sera certes plus discret, mais l'effet sera le même.

Votre petit dispositif législatif s'inscrit dans un mouvement plus vaste, si bien qu'on serait presque reconnaissant aux auteurs de la proposition d'avoir pris les devants pour éviter la surenchère. La criminalisation de la prostitution et des clients par M. Sarkozy, le rapport Kriegel, les propositions moralisatrices qu'on dépose ces temps-ci montrent qu'il y a dans vos rangs la tentation d'un retour à l'ordre moral, d'une restauration néo-conservatrice à l'américaine ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP) Procureurs et moralisateurs sont légion, mais il n'est jamais bon de jouer avec les libertés publiques. Ces boutefeux de l'ordre moral sont en général d'autant plus exigeants sur les m_urs qu'ils sont complaisants envers la violence et l'obscénité sociales ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains ; protestations sur les bancs du groupe UMP)

Mme Françoise de Panafieu - Continuez comme cela !

M. Pierre-Christophe Baguet - Nous sommes ici pour mettre fin à des excès de plus en plus fréquents et de moins en moins acceptables, mais aussi pour revoir la loi marathon d'août 2000, qui a épuisé deux ministres et qui est déjà obsolète. C'est là un dramatique constat d'échec.

Faut-il que nous légiférions à chaque nouvelle dérive, chaque fois qu'un nouveau concept d'émission apparaît ? Non. Nous devons faire face à une guerre économique qui se fait au détriment de la qualité, alors que les obstacles juridiques et techniques au contrôle se multiplient.

L'UDF est pour la liberté, mais pas pour la liberté sans la responsabilité. Les droits ne peuvent se concevoir sans devoirs. Nous devons protéger les plus faibles, à commencer par les enfants. Nous devons respecter la dignité humaine. Enfin, il n'est pas de liberté individuelle sans liberté collective.

En commission, on a reconnu l'influence déterminante de la télévision et en particulier des images violentes ou pornographiques sur les plus démunis. La télévision est un produit grand public qui se subit plus qu'il ne se choisit.

Comme législateurs, nous devons organiser la prévention. Je ne suis pas pour un retour de la censure politique, mais je souhaite qu'on ait le courage de donner un vrai pouvoir de régulation aux professionnels compétents, à commencer par le CSA pour l'audiovisuel.

La même approche doit prévaloir en ce qui concerne le cinéma. Grâce à Mme Kriegel, qui a confondu un peu hâtivement télévision et cinéma, nous avons connu une esquisse de politique conjointe du ministre de la culture et du ministre de la famille, politique qui s'est finalement révélée salutaire. En effet, s'il faut préserver la création, on ne peut laisser les experts s'expertiser entre eux. Par ailleurs, une double tutelle prépare souvent un enterrement de première classe... Il est donc heureux que le ministère de la culture continue à assumer seul la tutelle de la Commission de contrôle du cinéma, mais il ne l'est pas moins que le ministère de la famille ait obtenu une plus grande participation d'experts de la famille et de la santé dans cette même commission. Le contrôle des _uvres cinématographiques, qui touchent un public de plus en plus vaste grâce à la télévision, à la vidéo, au DVD et au Net, devait s'ouvrir dans le respect des auteurs et des réalisateurs.

A ce propos, si le cinéma n'est pas toute la télévision, nous avons pu mesurer leur interdépendance aux inquiétudes manifestées par les professionnels, inquiétudes qui portaient peut-être davantage sur le financement du cinéma que sur la protection de la création. Ce financement est extrêmement fragile : que Canal Plus éternue et le cinéma français s'enrhume ! On ne pourra donc faire l'économie d'une réflexion sur le sujet : il est urgent par exemple de réformer les SOFICA, de développer les aides régionales, de réaménager les taxes sur la vidéo et les DVD et de soutenir les industries techniques.

S'agissant de la télévision, qui nous occupe seule aujourd'hui - ce que je regrette car les images pornographiques ou violentes sont diffusées par d'autres supports et il faudra bien élargir la réflexion -, nous ne devons pas nous focaliser sur les seules _uvres cinématographiques diffusées par ce média. Il nous faut aussi ouvrir le très médiatique dossier de la pornographie, car on atteint là des sommets inacceptables, avec plus de 840 diffusions mensuelles, toutes chaînes confondues. Il faut empêcher les accès accidentels, favorisés par de trop grandes facilités techniques de visionnage. A défaut d'une interdiction totale, le double cryptage serait la réponse minimale, surtout vis-à-vis d'offres commerciales de « bouquets » qui piègent les familles, les films pornographiques voisinant avec les émissions de cinéma, de sport et de divertissement. Nous devons exiger un avertissement clair lors de la souscription de l'abonnement, mais surtout nous devons obtenir que les parents aient les moyens techniques d'assumer leur responsabilité et leur autorité.

Mais la protection des mineurs ne s'arrête pas là : il est d'autres émissions faciles d'accès dont les conséquences sont également graves : ce sont celles qui portent atteinte à la dignité humaine. Je proposerai un amendement sur le sujet.

On a parlé il y a quelques années de « télé-poubelle ». Aujourd'hui, on promeut le concept de « télé-réalité » mais, si les mots ont changé, le fond reste le même. De confidences humiliantes en enfermement ou en mise sous condition dégradante, notre télévision s'achemine tout droit vers des dérives dont on avait juré que notre pays saurait les conjurer. Qu'en sera-t-il demain avec le combat pour leur survie que livreront des chaînes proliférantes ? Qui peut garantir qu'il n'y aura pas surenchère dans l'horreur ? En ajoutant les termes « atteinte à la dignité humaine », nous permettrons au CSA d'agir sur l'ensemble des programmes et de ne plus être pris de court par tel ou tel concept nouveau : il pourra réguler dans la durée !

La télévision évolue vite, en effet, alors que le CSA ne délivre que tous les dix ans les autorisations d'émettre et ne renouvelle que tous les cinq ans les conventions intermédiaires. Qui doit intervenir entre-temps ? Certainement pas le législateur, sauf en cas d'urgence. C'est à l'autorité régulatrice, composée de professionnels, d'agir. Encore faut-il lui en donner les moyens. Elle doit disposer de toute une gamme de sanctions, la plus efficace étant à l'évidence la sanction pécuniaire administrative. Mais une telle mesure n'est possible que si l'infraction en cause n'a pas de caractère pénal : d'où les trois amendements que j'ai co-signés avec M. Martin-Lalande, pour doter le CSA de pouvoirs analogues à ceux de la COB.

Ces dispositions et celles de la proposition de loi régleront certains problèmes, mais il restera à en régler au moins trois autres. Le premier tient à la rédaction floue de l'article 227-24 du code pénal, rédaction qui fait que les tribunaux hésitent à appliquer la mesure, privant ainsi d'un outil efficace contre la prolifération d'images violentes. Une réforme spécifique s'impose donc pour permettre à la justice de prononcer des peines justes, rapides et dissuasives.

Le deuxième problème est celui de la chaîne ARTE qui, régie par un traité franco-allemand, échappe à la loi et peut donc diffuser des films interdits aux moins de seize ans dès 20 heures 30.

Le troisième a trait aux bandes-annonces. Etre empêché de programmer à certaines heures est une chose, ne pas tenter en est une autre. En diffusant aux heures dites normales des bandes aguicheuses annonçant des émissions programmées après 22 heures 30, on donne aux enfants l'envie de veiller un peu plus tard, on suscite chez eux le désir de braver l'interdit...

On le voit, le dossier est complexe et ne peut appeler de solutions simplement techniques. Est en cause toute une vision de notre société. Le sujet aurait donc mérité moins de précipitation et plus de travail.

M. Michel Françaix - Très bien !

M. Pierre-Christophe Baguet - Mais, si la proposition ne règle pas tout, elle apporte un début de solution. C'est pourquoi, sous réserve d'un travail complémentaire, le groupe UDF la votera (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Frédéric Dutoit - Quelques jours à peine après la publication du rapport Kriegel, voici que le groupe UMP sort de ses cartons une proposition de loi diantrement médiatique mais pour le moins partielle. Nos collègues de droite auraient pu attendre que le ministre de la culture tire ses conclusions de ce rapport et de celui de Mme Clément plutôt que de légiférer dans l'urgence, surtout sur un point aussi limité que le double cryptage !

S'il fallait une nouvelle fois modifier la loi de 1986, nous aurions pu le faire plus complètement, dans un climat plus serein, après avoir nous-mêmes travaillé en commission. Les réactions suscitées par le rapport Kriegel militaient d'ailleurs en ce sens.

Nous savons la place que la télévision occupe, dans notre emploi du temps, dans la fabrication de notre imaginaire collectif et dans la perception que nous avons du monde. Elle est, et restera longtemps, le principal outil d'information et de culture. Or, chaque fois que la droite revient aux commandes, on a le sentiment que renaissent de vieux démons qui ont pour noms censure et pudibonderie. N'a-t-on pas envisagé cet été d'interdire des livres qui n'étaient pas destinés à la jeunesse ? Le ministre de la culture a dû rappeler à son collègue de l'intérieur ce qu'était le principe de liberté de création. Rappelons aussi le malheureux épisode de l'exclusion de l'association des parents gays et lesbiens et de la CADAC des structures de concertation avec le ministre de la famille. Monsieur le ministre, vous devez avoir fort à faire dans un gouvernement qui se sent à ce point investi de la mission de contrôler ce que doivent penser les Français !

Le groupe communiste est attaché aux droits de l'enfant. Année après année, il a déposé une proposition de loi pour faire du 20 novembre la journée des droits de l'enfance. Il a sans relâche demandé les moyens de lutter contre la pédo-criminalité. Il a interpellé le Gouvernement pour que celui-ci agisse contre l'exploitation sexuelle des mineurs. Dans le même temps, il a toujours défendu la liberté d'expression, et cela peut-être plus fort que d'autres parce que des gens se réclamant de l'idéologie communiste ont bafoué ces droits dans des pays où ils avaient le pouvoir. Jack Ralite a ainsi été le premier à défendre le concept d'exception culturelle.

La proposition de loi est empreinte de bons sentiments mais, si j'approuve les dispositions relatives à la pornographie et au double cryptage, je considère que la définition de la « violence gratuite » est d'un flou total dans l'état actuel du texte. Les professionnels s'en sont légitimement émus car, sans définition, le CSA et les directeurs de chaînes et de programme auront tout pouvoir. D'autre part, ne risque-t-on pas d'écarter des films qui, bien que mettant en scène la violence, sont d'une vraie qualité artistique ? Quid de Nikita de Besson, ou La Haine de Kassovitz ou des films de Catherine Breillat et de Jacques Nollot ?

Si vous passez une journée à regarder des séries pour la plupart américaines, vous assistez à plus d'une quinzaine de meurtres, plus ou moins violents. Si vous regardez les émissions de plateau, y compris sur les chaînes publiques, vous assisterez plusieurs fois par semaine à des débats ayant pour produits d'appel votre vie intime, pour ne pas dire votre vie sexuelle. Bien loin d'informer sur les contours de l'amour ou sur les mécanismes de la sexualité, ces émissions ne sont souvent qu'une suite d'exposés intimes censés avoir valeur universelle. Le témoignage remplace désormais l'analyse. Il vaut vérité. Ce déballage de l'intime, simple reproduction des schémas nord-américains, va même jusqu'à des émissions dont le seul et unique objet est de faire ou de défaire des couples !

La version soft est pour le prime time, la version hard pour les internautes. Je traduis, pour ceux qui, comme moi, sont attachés à la loi Toubon pour la défense de la langue française, que le CSA peine à faire appliquer : « la version douce est pour la première partie de soirée, la version dure pour les utilisateurs d'Internet »...

Peut-on réellement parler de séduction dans un lieu clos ? Loft Story ou l'Ile de la tentation sont bien des prisons, même si elles sont dorées. Et on a rarement vu l'amour naître en prison. A Patrice Carmouze, qui venait de lui dire que « la télé n'est que le reflet des Français tels qu'ils sont. On a la télé qu'on mérite », Guy Carlier, chroniqueur de France Inter, répondait la semaine dernière dans VSD : « Evidemment la démagogie attire les masses, mais ce que vous dites est populiste et notre télé est populacière. » Je partage presque cet avis.

Il aurait été judicieux de travailler aussi sur le sujet de la télé réalité, très regardée par les jeunes à des heures choisies pour eux, et qui est selon moi tout aussi pernicieuse. Les jeunes ne sont pas seulement victimes de la violence ou de la pornographie, et ils le sont aussi de la niaiserie et de la médiocrité des programmes qui leur sont destinés.

Tout autre est notre proposition pour une télévision moderne.

J'ai l'impression que nous n'avons pas lu les mêmes pages du rapport Kriegel, dont la presse n'a voulu retenir que les aspects les plus polémiques. La mission trace des pistes intéressantes en matière de programmes pédagogiques : créer des émissions de promotion d'une culture de respect d'autrui et de dépassement de la violence ; créer un programme éducatif à l'apprentissage de la lecture critique de l'image - il n'en existe qu'un, sur la cinquième ; créer des émissions de fiction ou d'information pour entraîner à la vie citoyenne et démocratique ; généraliser l'éducation à l'image à l'école.

Voilà ce qui nous sépare, Mesdames et Messieurs de la majorité : vous ne retenez du rapport que l'aspect répressif et vous ignorez le volet éducatif. Il est vrai que telle est votre politique depuis votre retour aux affaires : réprimer, réprimer et encore réprimer ! Nous, nous avons une vision plus globale et plus généreuse de la société. Nous, nous faisons confiance aux parents et aux éducateurs. Nous, nous voulons d'abord que l'on prenne en compte les mouvements de la société qui donnent désormais plus de place à l'image qu'à la lecture. Il faut que les enfants et les jeunes aient les mêmes armes pour décrypter l'image que celles que l'école leur a transmises pour décrypter le livre ou le journal. C'est de cela que j'aurais aimé que l'on parle aujourd'hui.

Certes, les propositions de Mme Kriegel ont un coût et on ne peut, par conséquent, se contenter de l'actuel budget des chaînes publiques, notamment parce qu'il faut faire travailler des scénaristes, des réalisateurs, des techniciens à des émissions éducatives et ludiques de qualité. Tel n'est pas votre projet, je le regrette. Les moyens que vous venez d'accorder aux chaînes publiques ne leur permettront de créer ni plus, ni mieux.

Ce texte de circonstance est bien loin d'une vraie réflexion sur la télévision de qualité dont nous rêvons tous. Il faut en effet poser certaines questions. La télé ne risque-t-elle d'être un bouc émissaire pour un phénomène qui la dépasse largement ? Est-elle la cause de la violence ? Ne participe-t-elle pas tout simplement à un phénomène plus général qui rend notre société et nos médias plus violents ? La violence, la pornographie, mais aussi la glorification de l'argent facile, sont les modèles que la société offre aujourd'hui à notre jeunesse.

Sur ce débat complexe, évitons les solutions simplistes. Mme Kriegel a relevé « un effet net de l'impact de la diffusion de spectacles violents sur le comportement des plus jeunes ». Si cette affirmation est de nature à conforter les peurs de nos concitoyens, nous sommes en droit de nous interroger sur son fondement : aucune étude scientifique ne confirme ni n'infirme de telles idées car la violence est bien difficile à mesurer.

Nous sommes hostiles aux propositions de Mme Kriegel d'étendre les pouvoirs de la Commission de classification des films. Bien sûr, en cas de conflit entre le principe de liberté et celui de protection de l'enfant, c'est ce dernier qui doit l'emporter, mais il ne faudrait pas que cela puisse servir de paravent à un quelconque ordre moral.

Je vous demande donc, Monsieur le ministre, d'organiser, au Parlement et dans le pays, un grand débat sur la violence et la pornographie pour envisager les moyens d'agir tous ensemble pour la protection de l'enfance et la liberté de création.

Notre vote sera déterminé par la suite de ce débat (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Mme Christine Boutin - La demande par le président du CSA, conformément à la directive Télévision sans frontières et à l'article 227-24 de notre code pénal, de voir interdire purement et simplement la pornographie et la violence gratuite à la télévision aura au moins eu le mérite d'ouvrir le débat.

Mais avant d'entrer dans la discussion des articles, je veux revenir sur ce qui a obéré le débat depuis le mois de juillet, la censure. On a prêté de bien mauvaises intentions à ces parlementaires, qui n'ont fait que reprendre, à la virgule près, le texte de la directive européenne, et qui souhaitaient seulement protéger la jeunesse - et quelques adultes -, dont la résistance psychologique à l'image est trop faible pour qu'on les y expose.

La commission Kriegel, à la demande de M. Aillagon, a rendu sur cette question un rapport très éclairant. Oui, il y a un « effet net » de l'image sur le comportement, en raison duquel nous devons veiller à ne pas tout mettre à portée de toutes les télécommandes.

La clarté de ce diagnostic dérange. Elle rappelle aux artistes et aux diffuseurs que leurs _uvres ne sont pas sans conséquences. Ceci aurait dû pousser à prendre la question à bras-le-corps, mais on a préféré hurler à la censure. Qui peut, sérieusement prétendre qu'on a voulu la rétablir ? Où a-t-on lu qu'il faut supprimer la liberté d'expression et de création ?

Nous devons d'abord le reconnaître, la censure existe en France et nous nous en félicitons chaque jour, quand elle interdit toute forme d'atteinte à la dignité des personnes ; quand on poursuit le racisme, les injures, la diffamation. La déclaration des droits de l'homme précise bien, dans son article 4, que « la liberté consiste à faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ». Et la Convention européenne des droits de l'homme pose le même principe. La jurisprudence constante de la Cour de cassation prévoit également une limitation stricte de la liberté d'expression lorsque les restrictions répondent à un besoin social impérieux ou constituent des mesures nécessaires dans une société démocratique. Et, dans un arrêt de 1997, la Cour a considéré que la protection de la santé justifie également de limiter cette liberté fondamentale. Cette liberté ne saurait donc être considérée comme une fin en soi, ni préservée contre vents et marées. Elle s'efface chaque fois que la dignité personnelle ou le bien public est en cause. Elle ne donne pas tous les droits. Telle est la position constante de notre démocratie, et je n'ai pas l'impression que celle-ci en ait particulièrement souffert. C'est au nom de cette priorité que l'article 227-24 du nouveau code pénal a été rédigé. Les auteurs et artistes ont, comme tous les autres citoyens, ainsi que des droits, des devoirs. Rien ne justifierait qu'ils en soient exemptés.

La question est donc de savoir non pas si une interdiction de la violence et de la pornographie à la télévision constituerait ou non une censure mais si la protection de notre jeunesse, de nos enfants, est un bien, une valeur supérieure à la liberté d'expression, et plus généralement aux intérêts économiques d'une certaine industrie.

M. Michel Françaix - Bonne question !

Mme Christine Boutin - Les journalistes de Libération, de Marianne, et du Nouvel Observateur ont relevé les effets dangereux que peut avoir ce genre d'images sur le psychisme des adolescents. Laurent Joffrin écrivait, le 25 juillet dernier : « La question de la censure obscurcit le débat. Il faut se recentrer sur l'essentiel : la prise de conscience. Beaucoup d'intellectuels, peut-être parce qu'ils avaient 20 ans en 1968, croient qu'ils restent jeunes en gardant les réflexes de l'époque. L'ennui, c'est que l'époque a changé ».

M. Patrick Delnatte - Ce sont les « nouveaux réacs »... (Sourires)

Mme Christine Boutin - Faut-il donner raison au rapport Kriegel, aux téléspectateurs et à l'opinion publique, très majoritairement favorables à une sévère restriction de la diffusion de ces images ? Ou faut-il renoncer devant un lobby qui ne cherche qu'à défendre des intérêts économiques au mépris des conséquences de ses productions sur le psychisme des plus jeunes et des autres ? Faut-il continuer de donner autant de place, par l'image, à la constante érotisation de notre société et à la violence, alors que cette image contribue sans aucun doute à les nourrir ? Est-il si illégitime d'intimer aux réalisateurs pornographiques de confiner leurs _uvres sur les étagères des vidéoclubs ? Remettrait-on alors en cause leur liberté de créer ? Bien sûr que non !

On a beaucoup craint l'amendement de notre commission instituant la double tutelle des ministères de la culture et de la famille sur les visas d'exploitation. Et les métiers du cinéma s'en sont émus.

Mais personne ne songe sérieusement à inquiéter ces auteurs, auxquels je tiens à redire ici mon soutien, comme je l'ai fait par voie de presse. J'ai été parmi les premiers parlementaires à se rendre à Strasbourg pour défendre l'exception culturelle française. Leur crainte est parfaitement infondée : il faut comparer ce qui est comparable. Qu'ils prennent garde à ne pas devenir les otages non d'une cause juste, celle de la création, mais d'intérêts financiers.

La commission et le Gouvernement ont voulu laisser perdurer la diffusion de films pornographiques à la télévision et s'orientent vers une solution de double cryptage. Souhaitons, dans l'intérêt des enfants et des plus fragiles, qu'il ne s'agisse pas d'un marché de dupes !

Pour l'heure, le texte que nous adopterons doit atteindre quatre objectifs : donner aux parents tous les moyens de protéger les enfants contre les images nuisibles ; donner à notre autorité de régulation, le CSA, tous les moyens de contrôler techniquement les dispositifs que nous déciderons ; accélérer et renforcer les moyens de sanction à l'égard des contrevenants ; prévoir la reprise du débat sur la protection des jeunes publics et l'impact des images.

Ce débat a été mal mené, il n'a pas permis de mesurer tous les enjeux.

M. Jean-Marie Le Guen - C'est vrai !

Mme Christine Boutin - Avec quatre collègues, nous avons déposé ce matin une proposition de résolution en vue de la création d'une commission d'enquête nous permettant de traiter sérieusement de l'impact de l'image sur le passage à l'acte.

J'espère que cette commission d'enquête sera créée et que ce débat aura lieu, afin que le principe « Il est interdit d'interdire » ne signifie pas « Il est interdit de réfléchir » (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.

M. Michel Françaix - Sans doute, Madame Boutin, ne serai-je pas toujours d'accord avec vous dans la suite du débat, mais vos derniers propos me paraissent une bonne façon d'aborder le sujet. Vive cette commission ! Sur ce point, vous avez l'appui des socialistes.

Nous croulons sous les rapports : le rapport de M. Boyon sur la télévision numérique - qui a ratiboisé le service public -, le rapport de Mme Clément sur l'offre culturelle à la télévision - qui tel Jean Vilar préconise l'élitisme pour tous -, enfin, le rapport de Mme Kriegel sur la violence - qui, appliqué à la lettre, pourrait mettre en péril les coproductions du service public télévisuel avec le cinéma.

Pour les uns, il fallait enterrer ce rapport avec quelques mesurettes et quelques garde-fous - c'est peut-être l'objectif de la proposition de loi ; c'est peut-être la pensée profonde de M. le ministre. Pour les autres, tenants de l'ordre moral, il s'agit de mener une croisade contre la création cinématographique, pourtant la seule encadrée en matière de protection des mineurs. C'est peut-être l'objectif d'un certain nombre de parlementaires qui ont proposé les amendements que nous connaissons.

Non, ce rapport n'est pas liberticide : il est rarement opératoire. Que l'exposition fréquente à la violence contribue à une désensibilisation du spectateur, soit ; que le temps considérable qu'enfants et adolescents passent devant le petit écran nous préoccupe tous, soit ; qu'en réduisant la sexualité à une mécanique la pornographie la prive de l'essentiel puisqu'elle abolit le langage, soit. N'est-ce pas enfoncer des portes ouvertes ? J'aurais préféré une vision plus globale, qui ne se focalise pas sur le seul cas de l'image télévisuelle violent ou pornographique, mais considère l'ensemble du flux d'images auquel nous sommes soumis : vidéo, jeux, publicité, Internet. Et que fait-on des images d'actualité qui repassent en boucle comme celles du 11 septembre ? Le comble de l'obscénité, n'est-ce pas de faire rire en humiliant ou de rechercher l'audimat avec le spectacle de la souffrance ?

Comment oublier que la télévision fait du marketing ? Chaque émission est prévendue aux annonceurs publicitaires et prépare plus nos enfants à être des consommateurs que des citoyens.

La télévision est à l'image de la société. Ne ressemblons pas à cet homme qui a perdu ses clés et les cherche uniquement sous le réverbère parce que c'est là qu'il y a de la lumière. Il y a du puritanisme à nier l'existence de certaines choses, et je ne suis pas sûr, Madame Boutin, que développer à la télévision la seule image de la vertu me rendrait forcément plus vertueux.

Mme Christine Boutin - Ai-je dit cela ?

M. Jean-Marie Le Guen - Votre vertu n'est pas en cause, Madame Boutin !

M. Michel Françaix - Le système du double cryptage ? Pourquoi pas ? Il existe, mais c'est un peu court pour répondre à Nietzsche selon qui « la conscience est une conquête ».

Avec les amendements, en tout cas, trop c'est trop. Faire du cinéma le bouc émissaire de la lutte contre la violence à la télévision, soit en interdisant la diffusion de films interdits aux moins de douze ans avant 22 heures - adieu Hitchcock et Les Oiseaux, Patrice Chéreau et La Reine Margot, Chabrol et Truffaut -, soit en soumettant les visas d'exploitation des films à la tutelle du ministère de la famille, c'est livrer les cinéastes soit à une commission de classification, soit aux chaînes qui ne prendront plus le risque de financer un film interdit de passage aux heures de grande écoute. Aux exigences économiques s'ajouterait alors l'arbitraire. On croit protéger nos enfants et on condamne le cinéma d'auteur.

S'il s'agit de prendre conscience que les médias sont des instruments de socialisation, que cela implique des droits mais aussi des devoirs - en particulier le respect de l'enfant -, s'il s'agit de réfléchir à la corégulation de l'environnement médiatique, à la coresponsabilité des professionnels, des parents et des éducateurs, à une politique de la jeunesse dans les médias, oui, nous pouvons travailler ensemble et il faut mettre en place cette commission d'enquête parlementaire. Au lieu de cette pâle mise en scène, recherchons une telle mise en perspective.

Monsieur le ministre, vous avez parlé d'une loi « remarquable », d'un rapport « remarquable ». Il y avait peut-être des idées intéressantes et des idées nouvelles ; malheureusement, les idées nouvelles étaient rarement intéressantes et les idées intéressantes n'étaient pas nouvelles (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean-Marie Le Guen - Excellent !

M. Patrice Martin-Lalande - La question du contrôle de la pornographie et de la violence à la télévision, pour n'être pas un sujet budgétaire direct, a des incidences fortes sur les équilibres économiques de certaines chaînes privées et sur l'équilibre du paysage audiovisuel en général. C'est pourquoi, dans mon rapport sur le budget, j'avais consacré un développement à la pornographie et à la violence en souhaitant que des réponses conjuguant responsabilité et éducation soient trouvées. Le problème a été mis en évidence par le CSA, par le CIEM et par le rapport de Mme Kriegel. Les solutions doivent être graduées et tenir compte de l'équilibre nécessaire entre liberté des adultes et protection des enfants.

La protection que constitue le double cryptage ne doit pas se transformer en travestissement de la réalité. Les enfants eux-mêmes sont d'ailleurs sensibles à la nécessité d'être protégés. Dans le cadre du Parlement des enfants, la classe de ma circonscription a ainsi proposé l'an dernier un texte sur ces questions.

Une signalétique harmonisée est un premier instrument de contrôle, mais elle ne règle pas toutes les difficultés. Les pouvoirs publics devraient rechercher les justifications d'une tolérance dans la classification des _uvres cinématographiques très supérieure, en France, à celle de nos voisins européens. L'exception culturelle française suffit-elle à expliquer que sur 102 films, entre 1997 et 2000, la commission de classification ait accordé 62 visas « tout public » quand, pour les mêmes films, le Royaume Uni n'en accordait que 29, les Pays-Bas 22 et l'Allemagne 16 ?

Il faut rendre cohérents les systèmes de signalétique ; le classement des films diffère de celui de la télévision ; il n'y a pas de classement pour les vidéos, le DVD, Internet.

Je partage les conclusions du rapport du CIEM sur l'environnement médiatique des jeunes de zéro à dix-huit ans. Les pouvoirs publics doivent développer les capacités d'évaluation systématique de l'incidence des médias sur la formation des enfants, qui doivent être guidés dans leur approche des médias ; l'éducation à l'image doit favoriser le dialogue entre enfants, parents et éducateurs, d'autant que les enfants passent en moyenne 3 h 30, chaque jour, devant la télévision.

Nous franchissons aujourd'hui une première étape. Il nous faut continuer à travailler tous ensemble (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Jean-Marie Le Guen - Dès l'âge de deux ans, nos enfants regardent la télévision plus de deux heures par jour ; après la famille et l'école, la télévision est devenue le troisième pilier de l'éducation dans notre pays. Son financement est assuré, essentiellement, par la publicité. Les professionnels sont dans la logique de l'audimat, de l'efficacité commerciale. A aucun moment n'interviennent, dans ce processus, des pédagogues.

Les valeurs promues sont celles de la consommation. Les enfants doivent pourtant s'appliquer à distinguer le réel du fictif et du commercial - peut-être ce premier apprentissage n'est-il pas toujours fait avec suffisamment de distance. Nous sommes dans la période de Noël. Regardez n'importe quel programme et vous verrez ce dont il s'agit. Chacun est à même de constater les sollicitations incessantes auxquelles nos enfants sont soumis, qu'il s'agisse des jouets - alors que de nombreuses familles n'ont pas les moyens d'en acheter - ou de la confiserie - alors que l'obésité est un problème de santé publique. C'est bel et bien la publicité qui conditionne les programmes télévisés, c'est elle qui a créé la situation insupportable que nous connaissons, toute de laxisme et de facilité !

Je le reconnais, la précédente législature n'a pas fait grand-chose à ce sujet, sinon commander le rapport Dagnaud et recommander l'adjonction d'une chaîne « jeune » au bouquet numérique terrestre, ce qui est insuffisant. Et dire qu'il suffirait de quelque 250 millions pour transformer complètement le paysage audiovisuel !

D'évidence, il est parfaitement légitime d'intervenir dans les relations entre les jeunes et la télévision, car nous ne pouvons que souhaiter une amélioration. Mais telle est l'immensité de nos responsabilités que nous ne pouvons nous satisfaire d'un débat un peu ridicule sur une proposition un peu riquiqui. Il est grand temps, en effet, de créer une commission d'enquête parlementaire. La représentation nationale, bombardée de rapports de valeur inégale, à la vision partielle sinon partiale, ne peut être la dernière à se saisir de pareil sujet. Nous n'en sommes qu'à l'amorce d'une prise de conscience...

M. le Rapporteur - C'est exact.

M. Jean-Marie Le Guen - ...aussi nous attendons un engagement de la majorité...

M. Patrice Martin-Lalande - Nous ferons ce que vous n'avez pas fait !

M. Jean-Marie Le Guen - Ne mésestimez pas les travaux de Monique Dagnaud ! Que l'on vote la proposition, soit, mais que l'on ne s'en tienne pas là, et que l'on crée une commission d'enquête parlementaire sur les relations entre la jeunesse et l'audiovisuel (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jérôme Rivière - Pour décrire l'esprit dans lequel a été rédigée la proposition, je dirai ce qu'elle n'est pas : ce n'est ni un outil de censure ou d'interdiction, ni un instrument visant à empêcher le bon fonctionnement d'une chaîne de télévision. Ce dont il s'agit, c'est de faire pièce au sectarisme de la gauche plurielle, à son ardeur à choisir à la place des individus, en replaçant au c_ur du pacte républicain voulu par le Président Chirac l'expression de la liberté et de la responsabilité. Ce dont il s'agit, c'est de rappeler que, dans une conception libérale et humaniste de la société, ce sont les parents qui ont la responsabilité première de l'éducation de leurs enfants, mais que cette liberté ne peut être l'alibi permettant de faire n'importe quoi.

De fait, les enfants, qui s'en passeraient bien, sont trop souvent exposés à des images pornographiques ou violentes qui nuisent à leur équilibre. L'objectif de la proposition est donc double : adresser un message non crypté aux chaînes de télévision pour leur indiquer la voie à suivre, et renforcer les pouvoirs du CSA. On constatera que nous avons été entendus, puisque Canal Plus a déjà pris des engagements sérieux ; encore doivent-ils être respectés, ce qui suppose d'octroyer au CSA un pouvoir de sanction accru.

On le voit bien, la proposition ne vise en aucun cas à imposer ou à interdire ; ce que souhaitent ses auteurs, c'est concilier esprit de responsabilité et protection des enfants, dans une démarche pragmatique qui rejoint les conclusions du rapport Kriegel. J'ai entendu notre collègue Mathus nous demander de faire davantage. Mais nous n'avons jamais prétendu pouvoir remédier par un seul texte à cinq années d'inaction ! (M. Le Guen proteste) Certes, il faudra faire plus, et notamment créer une commission chargée de contrôler le contenu des jeux vidéos, dont certains ont des thèmes scandaleux, qu'il s'agisse de voler des véhicules ou de perpétrer le plus d'assassinats de personnages virtuels possible. Comment être certain que les jeunes esprits, confrontés à de telles sollicitations, font la part du réel et de l'imaginaire Il restera à déterminer sous quelle tutelle la nouvelle commission exercera ses fonctions.

Quant aux amendements tendant à accroître les pouvoirs du CSA, ils vont dans le bon sens en ce qu'ils précisent les responsabilités de chacun.

A nos collègues tentés, pour des raisons estimables, par une approche plus sévère, je recommanderai la prudence. Leur souci de bien faire ne doit pas les conduire, comme ces louveteaux qui croient accomplir une bonne action en obligeant les aveugles à traverser, à prendre des mesures liberticides. Tout ce dont il s'agit, c'est d'en finir avec la période de déresponsabilisation voulue par la gauche (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Patrick Bloche - Cette proposition déposée et débattue dans la précipitation suscite la perplexité. A entendre certains commentaires, nous aurions échappé au pire, à savoir l'interdiction pure et simple de certains programmes télévisés comportant des scènes pornographiques ou violentes. Cette proposition serait donc un moindre mal, après les offensives successives du ministre de la famille, du président du CSA, de M. de Courson, de Mme Boutin et d'une centaine de ses collègues de l'UMP... Une mention particulière peut d'ailleurs être décernée à M. Baudis, si peu pressé d'appliquer la loi lorsqu'il s'agit de sanctionner des propos insultants ou discriminatoires, mais si prompt à jouer les père-la-pudeur, quitte à se faire désavouer par la Commission européenne. D'ailleurs, en vertu de quel principe républicain, et de quelle légitimité, le président d'une autorité administrative peut-il se permettre de vouloir ainsi tenir la main au législateur ? (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

La seule question qui vaille est de savoir quelle peut être l'utilité de l'inscription dans la loi du double cryptage alors que cette technique - efficace pour le numérique seulement ! - est déjà proposée par les diffuseurs concernés, Canal Plus en tête. Quelle curieuse pratique que celle qui consiste à légiférer pour rien ! Mais voilà ! Vous avez ouvert la boîte de pandore et les apprentis censeurs qui vous cernent (Protestations sur les bancs du groupe UMP) - lesquels sont d'ailleurs beaucoup plus obsédés par la pornographie que par la violence - en ont profité.

Ainsi, l'examen en commission a fait surgir un article 2, plus préoccupant encore. On passe d'une simple initiative de « père Fouettard » à une offensive concertée pour mettre en place une censure d'Etat à l'encontre de la création cinématographique (« Scandaleux ! » sur les bancs du groupe UMP).

J'évoque à dessein une offensive concertée, tant les déclarations d'hier du ministre chargé de la famille ont été édifiantes. M. Jacob - dont la journaliste qui l'interroge souligne qu'il profite de la vague pour forcer la porte de la commission de classification des films, où siègent déjà des représentants des associations familiales...

M. Dominique Richard - Un seul !

M. Patrick Bloche - ...annonce ainsi la parution de son décret dans les quatre prochains mois !

Plus préoccupante encore est la détermination de M. Jacob à faire sauter ce qu'il considère comme un verrou, à savoir la minorité de blocage dont disposent, au sein de la commission, les réalisateurs et producteurs pour s'opposer à l'interdiction de certains films aux moins de dix-huit ans.

M. le Rapporteur - C'est si rare de toute façon !

M. Patrick Bloche - Après le coup de semonce qu'a été la publication du rapport hors sujet de la commission Kriegel, on peut finalement se demander si la télévision ne sert pas de prétexte, et si ce n'est pas, en réalité, le cinéma qui est visé par les agressions caractérisées d'un lobby familialiste bien identifié au sein de notre hémicycle et au-delà ! Si notre collègue Brard était là, il ne manquerait sans doute pas d'y voir, une nouvelle fois, la main de l'Opus Dei ! (Exclamations et rires sur de nombreux bancs ; protestations sur les bancs du groupe UMP).

Ce qui est plus qu'une impression ne peut être que renforcé par le fait que l'interdiction des programmes violents et pornographiques entre sept heures et vingt deux heures trente est effective depuis plus de treize ans, et que, par ailleurs, les films de cinéma ne représentent que 3 % de la programmation des chaînes de télévision hertzienne en clair.

Visiblement, le ministre ne souhaite pas s'en tenir à l'introduction du visa conjoint, véritable épée de Damoclès sur la liberté de création cinématographique (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Il y a aussi l'Internet, invariablement associé à la pédophilie. Alors, de grâce, s'il faut naturellement lutter contre ce fléau en développant des moyens de filtrage efficaces, ne cédons pas au fantasme qui voudrait que le « réseau des réseaux » soit un espace échappant à toute réglementation. Depuis la loi du 1er août 2000, les prestataires techniques sont responsables, sous l'autorité du juge, des contenus qu'ils hébergent.

M. le Président - Je vous remercie de bien vouloir conclure.

M. Patrick Bloche - A ce rythme-là, on peut craindre qu'avant la fin de la législature, nos enfants ne puissent plus lire Titeuf, qui est pourtant l'une de leur BD préférées, car elle aborde des sujets pouvant apparaître comme subversifs à certains membres de la majorité ! (« Caricature ! » sur les bancs du groupe UMP).

M. le Président - Concluez.

M. Patrick Bloche - Nous aurions pu avoir ce matin un vrai débat de société, en nous référant notamment aux propositions du collectif interassociatif « Enfance et médias », souvent détournées allègrement. Nous aurions ainsi pu débattre de la corégulation de l'environnement médiatique, de la coresponsabilité des professionnels avec les parents, les éducateurs et les partenaires sociaux, de l'éducation aux médias, à l'image et à l'importation dès le plus jeune âge, d'une politique audacieuse de programmes pour la jeunesse dans les médias du service public... Au lieu de cela, par des initiatives intempestives, et parce que votre proposition de loi, Monsieur le rapporteur, est finalement inutile, vous nous amenez à nous demander tout simplement si l'ordre moral n'est pas de retour dans cet hémicycle ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; exclamations sur les bancs du groupe UMP)

Mme Henriette Martinez - Faut-il rappeler que nous parlons aujourd'hui de protéger les mineurs ?

Mme Christine Boutin - Absolument !

Mme Henriette Martinez - Il ne s'agit pas, comme certains s'efforcent de le faire croire, de censurer mais de protéger les jeunes. Qui pourrait être contre cela ?

Certes, il est difficile, Monsieur le ministre, de définir où commencent la violence et la pornographie. Chacun peut avoir de ces limites sa propre conception. Mais nous en sommes tous ici d'accord : il faut protéger nos enfants. A cet égard, nous voulons que la commission de classification des films joue pleinement son rôle.

Certains programmes perturbent l'équilibre psychologique des jeunes. La violence qu'ils voient cause des troubles graves - telles les violences nocturnes dont témoignaient, hier encore, à la télévision plusieurs enfants -, et peut conduire les esprits les plus fragiles à reproduire des actes violents. La pornographie perturbe les plus petits qui n'ont pas encore découvert la sexualité, et brouille les repères des adolescents (« Tout à fait ! » sur les bancs du groupe UMP).

Pourquoi débattre seulement de la télévision ? Simplement parce qu'elle est en libre accès dans la plupart des foyers français. Nos enfants passent chaque jour trois heures, en moyenne, devant le petit écran, et ceux dont les deux parents travaillent la regardent souvent seuls. Or, les chaînes programment cinq à dix scènes violentes par heure aux horaires de grande écoute. Et si les parents peuvent mettre sous clé certaines cassettes vidéo, magazines et DVD ou refuser d'acheter certains jeux vidéo, ils ne peuvent aujourd'hui empêcher l'accès à des programmes qui arrivent dans leur foyer à leur corps défendant. Sur l'Internet, où certains sites sont particulièrement indignes, il est possible de choisir des fournisseurs d'accès sécurisés. Il doit en être de même aujourd'hui, pour la télévision, et les moyens préconisés sont simples. Le double cryptage remplira ce rôle de régulation. La nouvelle composition de la commission de classification et la réforme de ses modalités de fonctionnement que nous a annoncée, M. le ministre permettra, je l'espère, de mieux prendre en compte les droits de l'enfant.

Ainsi que le constate Mme Kriegel, la France ne classe que 20 % des films - contre 80 % pour ce qui concerne la plupart de nos voisins - en se fondant sur des critères particulièrement laxistes.

En débattant de cette proposition de loi, nous voulons affirmer les droits de l'enfant et la responsabilité des parents dans le choix des programmes. Mais nos échanges auront aussi le mérite de sensibiliser l'ensemble de nos concitoyens. Souhaitons que cela incite chacun à prendre ses responsabilités à l'égard des enfants.

Pour ma part, je considère que, s'il est nécessaire de protéger les mineurs des images les plus violentes, il conviendra d'aller plus loin et de les protéger aussi des violences qu'ils subissent dans leurs corps par les maltraitances physiques et sexuelles dont ils sont trop souvent encore les victimes. Si ce texte marque le premier acte de la volonté du Gouvernement de mieux protéger nos enfants, réjouissons-nous et votons-le sans états d'âme (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Dominique Richard - « Il est temps qu'on admette, une fois pour toutes, que les enfants ne sortent pas indemnes de la répétition d'images dégradantes ». En faisant cette déclaration le 16 mars 2002 après avoir installé le CIEM, Mme Royal rendait bien compte de l'ampleur du débat « transclivages » qui nous réunit aujourd'hui.

Il est tout à votre honneur, Monsieur le ministre, d'avoir commandé dès votre arrivée à Mme Kriegel un rapport sur la violence et la pornographie à la télévision. Il n'est que temps en effet de trouver le point d'équilibre entre la liberté de création et le devoir républicain de protéger le plus faible. L'exercice est difficile. Pour réussir, n'est-il pas plus indiqué de réaffirmer les valeurs essentielles qui fondent le pacte républicain plutôt que de se soumettre à l'air du temps ?

Au reste, notre pacte républicain repose aussi sur les engagements de la France. La convention internationale des droits de l'enfant, ratifiée par notre pays le 2 juillet 1990, stipule ainsi que les Etats signataires « s'engagent à protéger les enfants contre la violence et les traitements cruels ». Or, le rapport du CIEM affirme qu'une « forme de maltraitance » est subie par les enfants soumis à la pornographie télévisuelle ; les jeunes téléspectateurs reçoivent ces images comme une agression dont les conséquences sont assimilables à celles d'un abus sexuel. Et, comme le rappelle le pédopsychiatre Claude Allard, l'enfant totalement immergé dans les images, a de plus en plus de mal à discerner ce qui s'adresse à lui.

Violence extrême, pornographie, l'heure n'est pas aux querelles sémantiques ! La pornographie est un avatar de la dérive sociétale qui conduit à ne pas respecter l'autre en tant que personne et à penser, dans une démarche purement consumériste : sa vie ou son corps m'appartiennent pour peu que j'en aie décidé ainsi !

L'actualité du printemps dernier est à cet égard des plus édifiantes. Mme Zimmermann l'a rappelé. Banlieue nantaise, 3 juin : un lycéen de dix-sept ans poignarde mortellement une voisine de quinze ans après avoir revêtu la panoplie du tueur du film Scream ; Lyon, 11 mai : huit collégiens violent collectivement une adolescente de quinze ans. Cinq d'entre eux avoueront ne pas très bien comprendre ce qu'on leur reproche ! Comment s'étonner, dès lors, d'entendre cette jeune fille déclarer le 19 novembre : « Ça fait peur d'être une fille dans une cité » ?

Les recherches menées depuis trente ans ont montré l'influence de la télévision sur les passages à l'acte violent. Ainsi, l'étude de Huesman met en évidence que les garçons qui visionnent régulièrement des images violentes à l'âge de huit ans, sont porteurs, à trente ans, d'un casier judiciaire plus chargé que les autres ; les travaux de Hearold, attestent de leur côté que, la multiplication d'émissions violentes est liée à l'apparition de comportement plus agressifs. Pour des êtres faibles, et dépourvus de sens critique, la frontière entre le virtuel et le réel est ténue.

Notre propos est bien de protéger l'être faible en apportant une réponse au conflit d'intérêt entre le principe de liberté, qui est au c_ur de notre société démocratique, et la protection du droit des enfants, ainsi que de l'image de la femme, voire de la mère, souvent présentée comme une marchandise.

Mme Christine Boutin - Excellent !

M. Dominique Richard - Il est certains propos que nous ne voulons plus entendre tels ceux d'une ancienne responsable de la Haute autorité, passée dans une société de production de films X et invoquant le « manque à gagner d'une industrie spécialisée » ! Mes chers collègues, quels que soient les bancs sur lesquels nous siégeons, comment ne pas nous révolter devant un tel cynisme ? Comment ne pas ressentir l'impérieux devoir de réagir ?

C'est ce que vous avez fait, Monsieur le rapporteur, en déposant cette proposition avec Mme Zimmermann et M. Rivière, et je vous en remercie ainsi que vous, Monsieur le ministre, qui apportez votre soutien à cette initiative parlementaire. Elle ouvre enfin le débat et apporte une solution qui constitue un progrès certain. Ne boudons pas notre plaisir.

Mais le compte y est-il ? Je crains que non. L'institution d'un double cryptage n'est en effet qu'une des solutions préconisées par le rapport Kriegel.

Il faut évidemment voter ce texte, mais n'imaginons pas, comme Ponce Pilate, que nous avons définitivement réglé le problème.

Nous ne pourrons indéfiniment éluder la question de la classification des films et productions audiovisuelles, ni celle de la place du service public : d'une certaine façon, le rapport de Mme Catherine Clément ne dit pas autre chose. Le débat sur la TNT nous permettra de réfléchir de nouveau à ce que nous voulons transmettre à nos enfants. Le reste est accessoire (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

La discussion générale est close.

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - Je remercie l'ensemble de nos collègues pour la mesure de leurs propos.

Je considère comme normal que nous demandions aux chaînes de mettre la pornographie et la violence extrême hors de portée des enfants. Nous sommes en droit d'exiger des dispositifs efficaces, qui devront être validés par des experts indépendants. Il ne s'agit que d'un ajustement, et nous recherchons une solution de bon sens.

Il ne saurait être question d'aseptiser le petit écran en prohibant toute représentation de violence ou d'érotisme.

Le vrai débat porte sur la capacité de notre société à s'autolimiter. Nous devons fixer des limites, des interdits, car ceux-ci nous structurent. Yves Bur, Marie-Jo Zimmermann et Jérôme Rivière ont bien fait d'ouvrir le débat sur la protection des mineurs, menacés par deux phénomènes concomitants. Tout a été dit du premier, à savoir l'influence de la télévision. Mais il y a aussi le fait que la sphère privée n'est plus régie par les mêmes règles qu'auparavant : la violence, la sexualité, tout ce qui relevait de l'intimité tend à devenir public. On nous montre de manière incessante les victimes de conflits, le responsable de l'attentat d'Oklahoma City avait demandé que son exécution soit retransmise en direct. La promotion, sur les plateaux de télévision de certains acteurs de films pornographiques, les émissions de Mireille Dumas, certains écrits même montrent que nous arrivons peut-être à la fin de la vie privée. Se dessinent ainsi les nouvelles normes du vivre ensemble, pour le meilleur et pour le pire.

M. le Ministre - Je tiens à saluer la qualité de ce débat ainsi que sa mesure, qu'a déjà soulignée M. Dubernard.

Cette discussion était nécessaire, et nous ne pouvions en faire l'économie. Elle a été alimentée par une abondante réflexion préalable.

J'ai apprécié la façon nuancée dont tous ont évoqué la place de la télévision dans le déversement quotidien des images. Certes, la télévision doit être régulée, mais elle ne diffuse qu'une partie des images en cause, et sa part devrait même tendre à se réduire. L'Internet aussi est pourvoyeur d'images, dont certaines sont bien plus redoutables que celles diffusées sur le petit écran. Quant à la vidéo, elle est devenue le principal mode d'accès familial au cinéma.

M. Le Guen me fera observer que ce n'est pas la même chose. La télévision occupe encore, c'est vrai, une part prépondérante dans la diffusion des images et nos concitoyens lui consacrent plusieurs heures par jour. Dans les familles, on voit souvent des enfants devant le poste dès le petit matin.

Mais la prolifération d'images a aussi d'autres sources. J'ajoute que le cinéma n'occupe qu'une part marginale des programmes télévisés : environ 7 %

M. Jean Le Garrec - Ce chiffre est intéressant !

M. le Ministre - Qui plus est, bien d'autres programmes peuvent jouer un rôle déstabilisant, en donnant une image très brutale de la société.

MM. Jean-Marie Le Guen et Patrick Bloche - Très juste.

M. le Ministre - Nous devons poser des barrières, définir des normes, empêcher les dérives, mais, de même que la responsabilité individuelle des parents continuera à s'exercer, les éditeurs de programmes ont celle de veiller à ne pas inclure, dans ce qui est diffusé, des représentations inadmissibles du monde, de l'homme et de la société.

J'ai noté avec intérêt le souhait de tous que se développe l'éducation à l'image. Mon collègue Xavier Darcos a récemment rappelé cette nécessité.

M. Jean-Marie Le Guen - Il parlait de la vidéo-surveillance ! (Sourires sur les bancs du groupe socialiste)

M. le Ministre - Cette discipline doit occuper une place plus importante dans l'Education nationale.

Je veux également évoquer le travail engagé pour modifier l'article 227-24 du code pénal. Mon ministère s'est rapproché de la Chancellerie pour revoir ce dispositif dont la rédaction est si vague que les procureurs hésitent à l'invoquer.

Nous savons tous que les individus, les jeunes en particulier, sont exposés à l'influence des images, mais la violence et la pornographie sont aussi la face noire de notre humanité. Nos aïeux n'ont-ils pas voulu penser que la nature même de l'homme était corrompue par une faute originelle ? Gilles de Rais n'avait subi l'influence d'aucun programme télévisé, ce qui ne l'a pas empêché d'occuper une place éminente dans l'histoire de la noirceur. Les guerres de religion n'ont pas été conditionnées par des images violentes, mais elles ont tristement marqué l'histoire de l'Europe.

Cela ne signifie pas qu'il n'y ait rien à faire. Nous devons agir avec détermination, mais en ayant conscience que le mieux est toujours devant nous (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

AVANT L'ARTICLE PREMIER

Mme Christine Boutin - Nous avons tous souhaité que les parents puissent assumer leurs responsabilités. Mes amendements 21 et 22 visent à faire en sorte que l'avertissement public actuellement diffusé en début de programme reste visible pendant toute la durée de la diffusion, de façon que les parents soient éclairés.

M. le Rapporteur - La nouvelle signalétique a amélioré l'information du public. Elle a remplacé les anciens pictogrammes, incompréhensibles. Définie par le CSA, elle est entrée en vigueur le 18 novembre sur l'ensemble des chaînes, à l'exception d'Arte. Un message d'avertissement est diffusé pendant une minute, après quoi un pictogramme suffisamment explicite reste visible pendant toute la durée du film. La commission a donc repoussé l'amendement.

M. le Ministre - Même avis.

M. Jean-Marie Le Guen - Je crois deviner dans quelle direction s'engage Mme Boutin mais j'aimerais néanmoins qu'elle précise le sens de son amendement : ne s'agit-il que de faire respecter l'obligation en vigueur ou s'agit-il de poser, en surimpression, une sorte de filtre, destiné à voiler pudiquement certaines scènes ? (Sourires)

Mme Christine Boutin - Vous avez parfaitement compris ! Si vous ne le savez déjà, apprenez que je suis personnellement opposée à la censure. Mon propos n'est donc pas de poser un filtre...

M. Jean-Marie Le Guen - Un voile !

Mme Christine Boutin - ...sur certaines images. La signalétique a certes gagné en clarté depuis quelque temps - et j'y suis peut-être pour quelque chose, mon rapport de 1994 ayant été à l'origine des premiers essais en ce domaine -, mais les indications écrites ne sont données que fugitivement, au début des films. Je propose simplement que cette mention expresse d'une interdiction figure tout au long de la diffusion, en bas de l'écran et à côté du pictogramme.

M. Jean-Marie Le Guen - Madame,... (Protestations sur les bancs du groupe UMP : « Vous voulez donc vous opposer au vote de la loi ? »)

Mme Henriette Martinez - Cessez, vous avez parfaitement compris !

M. Jean-Marie Le Guen - Si l'on veut censurer l'opposition, il faut le dire ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

M. le Président - Mme Boutin vous a répondu, il est temps de passer au vote.

L'amendement 21, mis au vote par assis et levé après une épreuve à main levée jugée douteuse, n'est pas adopté.

M. le Président - La parole est à M. Barrot (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jacques Barrot - Nous sommes dans le cadre d'une « niche » parlementaire...

M. Jean-Marie Le Guen - A la niche ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

M. Jacques Barrot - Je vous en prie ! Vous-même avez bénéficié et bénéficierez de niches semblables. Le droit d'initiative parlementaire doit s'exercer dans la sérénité.

En raison du nombre élevé de nos orateurs, nous avons besoin de nous concerter, Monsieur le Président (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste). Cela ne prendra que cinq minutes, et cela nous permettra ensuite de mieux nous plier aux contraintes de l'horaire (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste).

Ne donnez pas de cette Assemblée une image qui ne soit pas digne d'une vraie démocratie ! J'ai d'ailleurs l'intention de soumettre, au nom du groupe UMP, des propositions visant à améliorer notre Règlement : les Français ont droit à un Parlement qui fonctionne normalement, sans obstruction ! (Mêmes mouvements)

M. Michel Françaix - Scandaleux !

M. Jacques Barrot - Un président de groupe ne pourrait-il donc demander une suspension de séance afin de voir comment organiser le débat dans le temps dont nous disposons ?

M. le Président - La suspension est de droit.

La séance, suspendue à 11 heures 35, est reprise à 11 heures 45.

M. Didier Mathus - Rappel au Règlement, sur la base de l'article 58-1, relatif à l'organisation des débats !

Nous venons d'assister à un spectacle surprenant : le président du principal groupe de notre assemblée qui tente d'interférer dans le débat et même d'en modifier l'organisation dans un sens conforme à ses v_ux (Protestations sur les bancs du groupe UMP).

M. Richard Mallié - Caricature !

M. Didier Mathus - Nous comprenons qu'il cherche à mettre un peu d'ordre dans une majorité singulièrement divisée... (Protestations sur les bancs du groupe de l'UMP)

Mme Marie-Jo Zimmermann - Vous êtes mal placé pour dire cela...

M. Didier Mathus - ...mais il y a de quoi être choqué. Aussi demandons-nous une suspension de séance.

M. Frédéric Dutoit - Le jeune parlementaire que je suis est fort surpris par le déroulement de ce débat, que l'on semble vouloir empêcher de se poursuivre normalement. Je m'associe donc à cette demande de suspension.

M. le Président - La suspension est de droit.

Je vous rappelle que le président Barrot s'est exprimé au nom de l'UMP, et qu'il a demandé, comme c'est son droit, une suspension pour permettre à son groupe de se concerter (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste).

Par ailleurs, ce débat est organisé en un temps imparti et il ne semblait pas illégitime de faire à un moment donné le point sur son déroulement. Jusqu'ici, chacun a pu s'exprimer normalement.

La séance, suspendue à 11 heures 50, est reprise à 11 heures 55.

M. le Président - Je constate que l'amendement 22 de Mme Boutin n'est pas soutenu.

Plusieurs députés de l'UMP - Il est retiré ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

ARTICLE PREMIER

M. Jean Le Garrec - Plusieurs orateurs étaient inscrits avant moi. Manifestement, il a dû se passer des choses, pour qu'ils renoncent à s'exprimer... J'aurais en particulier aimé entendre M. Herbillon, qui a joué un rôle important au sein de la mission sur le cinéma que j'avais créée au sein de la commission, et qui a rendu un rapport extrêmement intéressant.

Il y a entre nous un accord assez général sur la question de la violence, mais je crois que nous devrions aussi tous convenir que cet article n'en traite pas à fond. C'est d'ailleurs pourquoi nous souhaitons la création d'une commission d'enquête.

L'article 2 est, lui, carrément dangereux, car il ne vise qu'un seul support, le cinéma, dont le ministre a reconnu lui-même qu'il n'est à l'origine que de 7 % des images diffusées à la télévision. Il y a donc bien d'autres véhicules - dont on n'a absolument pas parlé - de la violence, du racisme, du machisme qui influencent les jeunes. Quand, à Star Academy, deux garçons tabassent une fille, personne ne réagit : on continue à ne parler que du cinéma !

Le cinéma est un art, mais aussi une industrie très fragile, comme l'est d'ailleurs l'exception culturelle française. Son équilibre dépend pour une large part du financement par la télévision. Il est déjà extrêmement contrôlé par une commission qui fait un travail très sérieux. Bien sûr, on peut la trouver laxiste au regard des règles appliquées en Grande-Bretagne, où le dernier film de Ken Loach est interdit aux moins de 18 ans, où Le fabuleux destin d'Amélie Poulain est interdit aux moins de 15 ans, tout comme Les Visiteurs, au motif que certains dialogues sont trop gaulois... Mais la comparaison n'a aucun sens, car nous n'avons pas la même conception de l'art de raconter des histoires.

Certes, j'ai compris que vous n'aviez pas l'intention de conserver cet article 2, mais si vous voulez, Monsieur le ministre, réviser le décret sur la commission de contrôle, il est impératif que vous le fassiez en concertation avec les producteurs et avec les diffuseurs. Il y a, à cet égard, deux aspects très différents : la composition du Collège 1, au sein duquel le ministère chargé de la famille pourrait remplacer celui de l'intérieur, ce que je peux comprendre ; et le régime de l'interdiction aux moins de dix-huit ans, ce qui, en revanche, m'inquiète beaucoup. L'interdiction aux moins de dix-huit ans a été réintroduite par Mme Tasca à la suite de l'arrêt rendu par le Conseil d'Etat à propos du film intitulé - que l'on me pardonne cette citation très crue - Baise-moi. Ce que je crains, c'est que cette interdiction, destinée à rester exceptionnelle, et qui ne peut actuellement être décidée qu'à la majorité des deux tiers, devienne plus courante si l'on y substitue la majorité simple. Les conséquences, en effet, pourraient être graves pour la diffusion des films et, donc, pour le financement du cinéma.

Monsieur Barrot, cessez de regarder votre montre ! Faites plutôt confiance au Président pour présider ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. Bernard Accoyer - Mêlez-vous de vos affaires !

M. Jean Le Garrec - Ma question est simple : Monsieur le ministre, quels engagements prenez-vous concernant la modification du décret ?

M. Didier Mathus - Je m'étonne du climat dans lequel se déroule désormais notre débat. Tout à l'heure, nous étions tous d'accord pour avoir une vraie discussion, maintenant nous voyons le président du groupe UMP, au nom d'un « ordre non moral, mais procédural », s'employer à resserrer les boulons d'une majorité qui partait lâchement dans tous les sens. Je m'interroge sur cette façon d'escamoter tout le débat ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. le Président - Venez-en, je vous prie, à l'article lui-même.

M. Didier Mathus - J'y suis. Cette proposition de loi est, Monsieur le ministre, un artifice, dont use la majorité pour déborder le Gouvernement sur la thématique, dans laquelle il excelle pourtant, de l'ordre moral ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP). L'article premier n'a aucune portée, car tous les opérateurs concernés - à l'exception de Canal Plus analogique dont le cas est à régler - proposent déjà le double cryptage. Nul besoin, donc, de légiférer ! Je rappelle au passage qu'une solution plus simple encore existe pour empêcher les enfants de voir un film X : c'est d'enlever la carte à puce du décodeur !

La question la plus difficile est celle de la violence, et la majorité n'a pas de solution car la définition même fait problème : qu'appellera-t-on « violence excessive », « violence gratuite » ? Le sujet doit être délicat, car les philosophes se disputent entre eux depuis l'Antiquité sur les façons de réduire la violence... La commission Kriegel définit celle-ci comme « la force déréglée qui enlève l'humanité d'autrui », mais cela ne permettrait pas de couvrir, par exemple, le cas d'une chaîne qui retransmettrait l'exécution de condamnés à mort américains, puisqu'il s'agit justement d'une force légale et organisée.

Cette proposition de loi n'a pas d'objet. Elle témoigne d'un mouvement intellectuel profond qui traverse la majorité, et qui tend à la restauration de valeurs néo-conservatrices (Protestations sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Marie Le Guen - Nous avons eu ce matin une discussion intéressante, et nos points de vue étaient plutôt convergents. L'ensemble des orateurs ont reconnu que le texte ne traitait que d'un aspect très étroit d'un problème bien plus général. Or, du moment où nous passons à la discussion des articles, des crispations apparaissent au sein de la majorité (Protestations sur les bancs du groupe UMP).

Mme Françoise de Panafieu - Avons-nous l'air crispé ?

M. Jean-Marie Le Guen - Je suis très favorable, pour ma part, à la proposition de Mme Boutin de créer une commission d'enquête, car je souhaite, contrairement au président du groupe UMP, que le débat soit enfin ouvert, et non pas repoussé.

La mission éducative de la télévision - et spécialement du service public - n'a pas été évoquée, alors qu'elle relève de la responsabilité première du politique, en tant qu'elle est un élément fondamental de l'éducation civique - mais aussi sanitaire, entre autres.

Quelles que soient les divergences entre nous, ou même au sein de chaque groupe, il nous faut débattre. C'est pourquoi nous sommes opposés à ce que la discussion s'achève en queue de poisson par la simple adoption d'un article mineur.

M. Michel Herbillon - Nous avons bien compris que vous ne voulez pas que nous votions ce texte ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

M. Jean-Marie Le Guen - Je n'ai pas le souvenir qu'une majorité ait jamais été traitée de cette façon (Protestations sur les bancs du groupe UMP).

M. Michel Herbillon - Vous avez des trous de mémoire !

M. Jean-Marie Le Guen - Notre débat dépasse les clivages politiques. Aussi voulons-nous que possibilité soit donnée à chacun de s'exprimer. J'avais essayé, sous la majorité précédente, et non sans difficultés, de poser ce type de questions, et il faut continuer dans cette voie. Ainsi, comme avec la loi Evin, nous pourrons adopter une législation en avance sur celle des autres pays européens.

M. Frédéric Dutoit - Je pourrais être d'accord avec M. Barrot s'il s'agissait d'écourter la discussion de l'article pour mieux engager un vrai débat de fond sur une question aussi importante que celle dont il s'agit. mais je m'inquiète de la tournure prise par le débat. Que vont devenir les amendements de nos collègues de la majorité ? Pour sa part, mon groupe n'en a déposé aucun, dans l'espoir que la discussion se déroulerait dans les meilleures conditions. Nous souscrivons, nous aussi, à la proposition de Mme Boutin de créer une commission d'enquête.

Chacun peut être d'accord sur la nécessité du double cryptage, même s'il pose un certain nombre de problèmes techniques. Sera-t-il fourni d'office, ou seulement sur demande de l'abonné ? Sera-t-il suffisamment efficace pour que des enfants ne puissent le contourner ?

Il aurait fallu, en tout cas, en rester à l'article unique. Pour autant, il conviendrait encore de définir ce qu'il faut entendre par « scène de violence ». En l'état, il m'est donc difficile de savoir dans quel sens voter...

Le problème mérite un débat serein et réfléchi, au cours duquel des propositions complémentaires pourront être formulées. Pour ma part, je considère par exemple que le Conseil national de la jeunesse devrait être associé aux travaux de la commission de classification des films, laquelle ne doit pas tomber sous la tutelle du ministère de la famille. D'autre part, quel sort réserver aux cassettes vidéo qui sont en accès libre ? Et comment régler les modalités d'accès à l'Internet ? Un débat national doit avoir lieu sur ces questions. Quels engagements le ministre est-il prêt à prendre ?

M. Michel Françaix - Je n'ai aucune honte à dire qu'au sein du groupe socialiste l'opinion n'est pas unanime sur la manière de traiter la question de l'accès aux images violentes ou pornographiques. Il n'est donc pas surprenant que les mêmes divergences apparaissent au sein de la superpuissance qu'est le groupe UMP. Ces différences enrichissent un débat important.

S'il ne s'était agi, comme nous avions cru le comprendre, que d'adopter une petite loi technique, nous aurions pu vous suivre, bien que l'utilité de légiférer en cette matière soit contestable, puisque le dispositif est déjà en application. Encore faudrait-il que le débat de fond ait lieu et que, pour cela, le président du groupe UMP fasse sienne la proposition de Mme Boutin tendant à créer une commission d'enquête parlementaire. On ne peut en effet s'en tenir à cette vision plus que limitée du problème, et se séparer satisfaits, alors que rien n'aura été réglé de ce qui touche à la vidéo, aux jeux télévisés, à la publicité ou à Internet.

Je ne suis d'ailleurs pas loin de penser que le ministre est le premier à se demander ce qu'il est venu faire dans cette galère ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

Mme Françoise de Panafieu - Voyez la bonne âme !

M. Jacques Barrot - La majorité n'a pas considéré avoir épuisé le sujet, tant s'en faut. En soumettant à l'Assemblée cette proposition, de portée modeste, j'en conviens volontiers, elle souhaite accélérer une prise de conscience indispensable et donner une suite aux conclusions du rapport Kriegel.

Nous aimerions, bien sûr, que le débat se poursuive, mais la Conférence des présidents a fixé à 13 heures la fin de nos travaux...

M. Jean-Marie Le Guen - Créez la commission d'enquête que demande Mme Boutin !

M. Jacques Barrot - ...si bien qu'il nous faut choisir entre deux maux : écourter le débat - qui a toutefois déjà eu lieu en commission - alors qu'une dizaine d'orateurs souhaitent s'exprimer, ou ne rien voter. Le débat reprendra, j'en suis certain, sous une forme qu'il ne m'appartient pas de décrire. En attendant, il serait regrettable de donner en ne votant pas cette proposition, l'image d'une Assemblée impuissante à se prononcer sur le bien-fondé d'une mesure ponctuelle visant à faciliter l'exercice de l'autorité parentale. Je remercie donc ceux de nos collègues qui ont renoncé à leurs observations et à leurs amendements pour nous permettre de nous concentrer sur l'essentiel : donner un signal, en attendant d'aller plus avant (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean Le Garrec - Je souhaite répondre à M. Barrot, avec toute la courtoisie qui lui est due...

Plusieurs députés UMP - Il n'y a pas à répondre !

M. le Président - S'agit-il, Monsieur Le Garrec, d'un rappel au Règlement ?

M. Jean Le Garrec - Précisément, et il porte sur l'organisation de nos travaux. Nous assistons en effet à une véritable confiscation du débat (Vives protestations sur les bancs du groupe UMP)

M. Barrot nous explique qu'il ne s'agit finalement que d'une mesure ponctuelle. Nous doutons, pour notre part, que le double cryptage soit l'arme absolue.

Plusieurs députés UMP - Ce n'est pas un rappel au Règlement, il n'est pas temps de rouvrir le débat !

M. Jean Le Garrec - Pour ponctuelle quelle soit, la proposition a fait l'objet d'un débat suffisamment poussé en commission pour que surgisse un article 2, lequel menace directement notre industrie cinématographique... (Interruptions sur les bancs du groupe UMP)

Mme Marie-Jo Zimmermann - Vous êtes hors sujet ! Ce n'est pas un rappel au Règlement !

M. Jean Le Garrec - J'ai encore le droit de m'exprimer ! (Murmures sur les bancs du groupe UMP) Loin d'être « ponctuel », ce texte pose donc des problèmes de fond - je pense notamment au rôle de la commission de classification - et je propose de répondre à une préoccupation majeure de nos compatriotes. Le travail de la commission des affaires culturelles n'est pas anodin. L'article 2 va à l'encontre de notre souci constant de défendre l'exception culturelle. Et peut-on s'en tenir là, alors que le Gouvernement se proposait de défendre un amendement à l'article 2 ? Je rappelle que nous nous sommes montrés particulièrement responsables en ne déposant pas d'amendement, et en limitant nos demandes d'intervention sur les articles. Vous n'avez pas eu la même discipline : vingt-sept amendements, dix inscrits sur l'article premier...

M. Michel Françaix - Ce n'est pas de la bonne gestion !

M. Jean Le Garrec - Tout cela ne fait que renforcer nos inquiétudes quant à la suite des événements. On ne peut se permettre de porter atteinte à la légère à notre industrie du cinéma !

Je demande une suspension de séance.

M. le Président - Elle est de droit.

La séance, suspendue à 12 heures 35, est reprise à 12 heures 40.

M. François Loncle - En attendant que MM. Mallié, Hugon, Delnatte, Vitel, Poniatowski, Hamelin, Herbillon, Nesme, Pinte et que Mme de Panafieu se soient exprimés et que les vingt-sept amendements de nos collègues de l'opposition aient été défendus, je souhaite dire que je m'étonne de la tournure que ce débat a pris et appeler l'attention de notre Assemblée sur son caractère préjudiciable, y compris pour la majorité ! Sur des sujets aussi fondamentaux, qui touchent aussi bien aux libertés qu'au devenir du septième Art, et alors même que notre industrie cinématographique est la seule au monde qui résiste à la production américaine, on ne présente pas une proposition de circonstance !

Et sur des sujets qui touchent aussi directement aux libertés, je m'étonne que M. le président Barrot - qui nous a habitués à mieux - exerce une sorte de censure. C'est Jacques Anastasie Barrot ! (« Honteux ! » sur les bancs du groupe UMP) Sur un sujet où la censure est en jeu, vous êtes devenu le censeur de votre groupe ! (« Détestable ! » sur les bancs du groupe UMP) Souffrez que je termine...

Mme Françoise de Panafieu - Vous n'êtes pas digne de conclure ! Demi-portion !

M. François Loncle - Il faut faire confiance aux instances publiques et aux professionnels. Ils sont suffisamment responsables pour qu'il ne soit pas nécessaire d'alourdir les procédures.

En passant par-dessus les instances, vous donnez au monde de la création un signal extrêmement négatif. Prenez garde que cette dérive n'annonce pas de nouvelles atteintes aux libertés ! (« Caricature ! » sur les bancs du groupe UMP)

Pour ce qui nous concerne, nous disons oui à la poursuite du débat, oui à la commission d'enquête parlementaire que demande Mme Boutin et non à ce texte bâclé et de circonstance (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; exclamations sur les bancs du groupe UMP).

M. le Président - L'amendement 17 de Mme Boutin est retiré.

M. Jean-Marie Le Guen - Je le reprends !

M. le Président - Impossible. Il n'a pas été retiré en séance mais avant la mise en discussion de l'article (Protestations sur les bancs du groupe socialiste). L'amendement 18 de Mme Boutin est également retiré (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. Frédéric Dutoit - Je ne suis pas encore très familier de la procédure parlementaire...

Plusieurs députés UMP - Allez vous former !

M. Frédéric Dutoit - ...et je me demande où nous allons. Je souhaite une suspension de séance pour me concerter avec les membres de mon groupe.

M. le Président - Je ne puis vous l'accorder (Protestations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste). Nous en sommes à l'amendement 7 de M. Bur.

M. le Rapporteur - Nos collègues de l'opposition montrent leur vrai visage ! Vous voulez faire obstacle à des dispositions de protection de la jeunesse que Mme Royal elle-même préconisait à la suite du rapport du CIEM, et que Mme Kriegel a largement reprises.

Vous avez souhaité dénaturer ce débat en essayant de faire croire que nous allions vers un retour de la censure, alors que ce texte ne vise qu'à responsabiliser les parents et les chaînes : le dépôt même de cette proposition a fait évoluer la situation (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste), puisque même Canal Plus s'est engagé dans le processus.

Mais vous ne voulez pas protéger les enfants, et vous en porterez la responsabilité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

La qualification de la violence est toujours difficile. Ainsi l'amendement 7 de la commission a-t-il été rédigé au terme d'une longue concertation avec le CSA. Il vise à substituer à la notion de « violence gratuite » celle de « très grande violence », qui se situerait entre la violence de catégorie IV et la violence « extrême », laquelle est interdite de diffusion.

M. le Ministre - Avis favorable.

M. Jean-Marie Le Guen - Rappel au Règlement ! (Interruptions sur les bancs du groupe UMP) Nous avons souhaité que ce débat reste serein (Même mouvement).

M. le Président - M. Le Guen a seul la parole. Mais son temps est limité.

M. Jean-Marie Le Guen - Je suis interrompu par les vociférations de la majorité !

Ce débat a commencé dans d'excellentes conditions, alors que les positions de départ étaient très éloignées, et nous convergions sur l'idée qu'il serait intéressant de débattre de manière plus approfondie, car c'est à ce texte au contenu incertain que nous nous opposons, et non au débat lui-même. Or vous avez brutalement décidé de le refermer, pour des raisons tactiques ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP) Vous avez voulu faire un beau coup, en flattant une certaine frange de l'opinion publique !

M. le Président - Je vous demande de conclure.

M. Jean-Marie Le Guen - Monsieur le Président, n'allez pas au delà de votre rôle ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP) Je parle de la manière dont nous débattons. Je parle du contenu même de l'amendement, c'est-à-dire la substitution de la « très grande violence » à la « violence gratuite ». Vous avez peut-être noté que c'est de cela dont nous discutons... (Interruptions sur les bancs du groupe UMP)

La majorité veut refermer le débat, alors qu'elle pouvait voter la création d'une commission d'enquête. Nous ne voulons pas, quant à nous, que le Parlement légifère dans la précipitation.

M. le Président - Votre temps de parole est épuisé.

M. Jean-Marie Le Guen - Restez dans votre rôle !

M. le Président - Je ne vous permets pas de dire cela.

M. Jean-Marie Le Guen - Ne vous laissez pas impressionner par une majorité d'autant plus énervée qu'elle a été privée de parole (Protestations sur les bancs du groupe UMP).

L'amendement 7, mis aux voix, est adopté.

M. François Loncle - Rappel au Règlement, sur la base de l'article 58 alinéa 1 !

Monsieur le Président, je voulais répondre au Gouvernement sur l'amendement 7. Vous ne m'avez pas donné la parole. Vous n'avez pas respecté les droits de l'opposition, et je demanderai une suspension de séance.

En légiférant dans la précipitation, vous oubliez complètement le problème de la violence dans les journaux télévisés...

M. le Président - Ce n'est plus un rappel au Règlement. Je dois vous retirer la parole.

M. François Loncle - Vous m'avez empêché de répondre au Gouvernement. Je demande une suspension de séance !

M. Bernard Accoyer - Rappel au Règlement, au titre de l'article 58, alinéa 3.

Nous débattons d'une question très importante, que le groupe UMP a souhaité mettre à l'ordre du jour en inscrivant cette proposition dans sa niche parlementaire.

La commission a travaillé sérieusement et nous avons trouvé un équilibre. Il était donc possible d'aboutir, de façon que ce texte entre en vigueur rapidement, ce qui constituerait une avancée pour notre jeunesse.

M. Jean-Yves Le Déaut - Et ça, c'est un rappel au Règlement ?

M. Bernard Accoyer - Or, depuis deux heures, l'opposition fait une obstruction grossière à ce texte (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF ; exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Elle a multiplié les provocations, les suspensions de séance, les rappels au Règlement, au lieu d'enrichir le débat et d'améliorer la proposition. C'est donc l'opposition elle-même qui réduit les droits du Parlement ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF ; protestations sur les bancs du groupe socialiste).

A l'heure qu'il est, on voit bien que nous ne pourrons plus voter cette proposition ce matin. Nous devons prendre acte de ce que l'opposition a voulu retarder une mesure en faveur de nos enfants, de l'éducation de la jeunesse et de la nation.

Je souhaite, au nom du groupe UMP, que la Conférence des présidents soit saisie de cette situation grave (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) et organise la poursuite de ce débat dans les meilleurs délais.

M. Pierre-Christophe Baguet - Rappel au Règlement ! Le groupe UDF regrette que des artifices de procédure nous empêchent de débattre au fond. Mon groupe a retiré ses amendements, mais nous restons déterminés à défendre la liberté et la responsabilité. Nous sommes plus que jamais attachés à la famille et au rétablissement de l'autorité parentale. Nous entendons plus que jamais défendre la dignité humaine. Nous considérons comme nécessaire l'organisation d'un débat sur la « télé réalité ».

M. Jean-Marie Le Guen - Rappel au Règlement !

M. le Président - Votre groupe en a déjà fait un (Protestations sur les bancs du groupe socialiste). Je constate que l'heure nous oblige à interrompre nos travaux. Il appartiendra à la Conférence des présidents de déterminer les conditions dans lesquelles ce débat se poursuivra.

Prochaine séance cet après-midi, à 15 heures.

La séance est levée à 13 heures.

            Le Directeur du service
            des comptes rendus analytiques,

            François GEORGE


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