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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2002-2003 - 44ème jour de séance, 116ème séance

1ère SÉANCE DU MERCREDI 15 JANVIER 2003

PRÉSIDENCE de M. Jean-Louis DEBRÉ

Sommaire

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT 2

CONSULTATION DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE
SUR L'AVENIR DES INSTITUTIONS EUROPÉENNES 2

SOUHAITS DE BIENVENUE
À UNE DÉLÉGATION ÉTRANGÈRE 2

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT
(suite) 3

PRÉSIDENCE DE L'UNION EUROPÉENNE 3

SERVICES PUBLICS 4

SÉCURITÉ DU TRANSPORT MARITIME 5

RENOUVELLEMENT DE LA FLOTTE DE PÊCHE 5

CONSÉQUENCES DES CHUTES DE NEIGE
SUR L'AUTOROUTE A10 6

COUVERTURE MALADIE UNIVERSELLE
ET AIDE MÉDICALE D'ÉTAT 7

DIFFUSION DE RFO
SUR LE CONTINENT NORD-AMÉRICAIN 7

CHASSE AU GIBIER D'EAU 8

FRACTURE SOCIALE 9

CLONAGE HUMAIN 10

SÉCURITÉ ROUTIÈRE 10

SÉCURITÉ INTÉRIEURE (suite) 11

La séance est ouverte à quinze heures.

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

M. le Président - Je rappelle que les quatre premières questions au Gouvernement du premier mercredi de chaque mois seront désormais consacrées aux thèmes européens.

CONSULTATION DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE
SUR L'AVENIR DES INSTITUTIONS EUROPÉENNES

M. Jacques Floch - C'est par la presse que l'Assemblée nationale a appris que la France formule des propositions précises concernant les institutions européennes : elle n'a pas été consultée. Nos concitoyens s'intéressent aux institutions européennes, et plus encore à la politique qui sera menée par les responsables européens et français dans le domaine social et dans ceux de l'environnement, de l'économie, des services publics, des collectivités territoriales.

Le Gouvernement français est trop souvent en contradiction avec lui-même. Le ministre des affaires étrangères et son homologue allemand ont ainsi déposé une contribution sur la gouvernance économique dans laquelle ils revendiquent une meilleure coordination des politiques économiques et le renforcement des procédures de surveillance budgétaire des Etats membres de l'Union européenne. Mais après le débat budgétaire, le Gouvernement persiste à agir comme si l'Europe n'existait pas. Quand le Gouvernement présentera-t-il ses propositions en particulier sur le modèle social européen ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Mme Noëlle Lenoir, ministre déléguée aux affaires européennes - Tout d'abord, permettez-moi, Monsieur le président, de saluer votre initiative, inédite dans notre histoire parlementaire, qui va nous permettre d'aborder régulièrement les thèmes européens. Monsieur Floch, je ne partage pas votre interprétation. Nous avons effectivement déposé une contribution sur la gouvernance économique. Nous proposons de renforcer les pouvoirs de la Commission en matière de discipline budgétaire. Et, parallèlement, nous avons contenu le déficit budgétaire de notre pays. Vous évoquez l'Europe sociale. Savez-vous que la France a réussi à obtenir la création d'un groupe de travail sur ce sujet ? La coordination entre les politiques économiques et les stratégies pour l'emploi sont à l'étude. Soyez rassuré, nous sommes à l'avant-garde pour promouvoir un modèle social auquel nous sommes tous également attachés (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

SOUHAITS DE BIENVENUE À UNE DÉLÉGATION ÉTRANGÈRE

M. le Président - Mes chers collègues, je suis heureux de souhaiter en votre nom la bienvenue à une délégation parlementaire conduite par Mme Katalin Szili, présidente du Parlement de Hongrie.

(Mmes et MM. les députés ainsi que les membres du Gouvernement se lèvent et applaudissent)

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT (suite)

PRÉSIDENCE DE L'UNION EUROPÉENNE

M. François Bayrou - Permettez-moi de vous interroger sur l'accord intervenu hier soir entre les dirigeants français et allemands au sujet d'une proposition de réforme des institutions européennes. Nous avons été nombreux à souhaiter un président pour l'Europe, et cette idée a fait son chemin. Mais voilà que vous avez décidé de nous en donner deux : un président du Conseil, élu par les gouvernements, et un président de la Commission, élu par le Parlement européen. Cette idée est dangereuse : avez-vous mesuré les risques de concurrence et d'affrontement entre ces deux légitimités ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, sur de nombreux bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe des députés communistes et républicains)

Nous avons fait chez nous l'expérience funeste de la cohabitation. Et la France est un pays unitaire depuis des siècles. Qu'adviendrait-il alors d'une cohabitation entre deux présidents, au sein d'une Europe à vingt-cinq, dont feraient de surcroît partie des pays non européens comme la Turquie ?

Monsieur le Premier ministre, renoncez à cette idée funeste. A propos de l'Irak, les médias scrutent le moindre froncement de sourcil du président Bush. Nous sommes nombreux à rêver d'un président européen aussi influent. Il faut que l'Europe soit lisible par ses citoyens et audible par les puissances extérieures (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF).

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre - Permettez-moi de corriger une légère inexactitude. Vous dites « vous avez décidé », alors que la France et l'Allemagne ont proposé une contribution à la convention (Protestations sur les bancs du groupe socialiste). Les mots ont leur importance, d'autant que la France ne doit pas souffrir d'une image d'arrogance. L'histoire a montré que l'Europe avance au rythme des accords franco-allemands. Encore une fois, il ne s'agit pas d'une décision, mais d'une contribution sur un sujet souvent débattu, et particulièrement défendu par M. Valéry Giscard d'Estaing (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). L'Europe a une double culture : celle des Etats-nations, qui s'exprime dans le cadre du Conseil, et celle des peuples, représentée par le Parlement. L'une et l'autre doivent être respectées (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Il y a certes les partisans de l'intégration et ceux du fédéralisme. L'Allemagne est ainsi favorable à l'intégration, et alors la Commission jouerait un rôle central, tandis que la France, prudente, redoute les dérives technocratiques d'une Europe éloignée des préoccupations de nos concitoyens (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; protestations sur les bancs du groupe socialiste). Le Chancelier allemand et notre Président de la République ont donc décidé d'éclaircir la situation et d'adresser une contribution à M. Giscard d'Estaing. Chacun a fait un pas vers l'autre, comme en leur temps le général de Gaulle et Adenauer, Valéry Giscard d'Estaing et Helmut Schmidt, François Mitterrand et Helmut Kohl. Nous acceptons que le président de la Commission soit élu à la majorité qualifiée par le Parlement européen et que l'élection soit ratifiée par le Conseil.

En retour, nous obtenons que le président du Conseil soit doté de la durée et de la stabilité nécessaires. Il sera élu par ses pairs pour cinq ans, ou deux ans et demi renouvelables.

Nous allons soumettre cette contribution à l'Europe, nous espérons la convaincre. Et je salue avec émotion la présidente du Parlement hongrois (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF) dont le pays appartiendra à une Europe nouvelle, aux institutions partagées par tous, mais inspirées par l'entente franco-allemande (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

SERVICES PUBLICS

M. Jacques Desallangre - Monsieur le Premier ministre, vous avez présenté la liste des services publics que vous souhaitez offrir à la concurrence et privatiser dans le cadre des négociations de l'AGCS au sein de l'organisation mondiale du commerce. Le commissaire européen, Pascal Lamy, nous invite avec raison à prendre nos responsabilités politiques. Au lieu de collaborer à une libéralisation débridée, la France pourrait exporter son modèle de service public, seul à même d'assurer l'égalité d'accès à tous. En revanche, M. Lamy a tort d'affirmer que l'AGCS est élaboré en toute transparence et ne menace pas nos services publics.

L'AGCS, qui tire astucieusement les leçons du projet Lamy, s'élabore en-dehors de tout contrôle démocratique. Qui connaît précisément la liste des services publics que la France soumettra au marché : les transports, l'énergie, l'enseignement, la santé, la poste ? Le vote des députés UMP hier à Strasbourg en faveur d'une libéralisation totale du rail n'incite guère à l'optimisme.

Le colloque organisé par mon collègue Jean-Claude Lefort a permis de lever le voile sur cet abandon de souveraineté, mais le contenu de la liste ne nous est toujours pas connu. Le courage vous manquerait-il, Monsieur le Premier ministre, sachant que votre décision ne recueille pas l'adhésion de ce que vous qualifiez avec condescendance de France d'en bas ? (Protestations sur les bancs du groupe UMP) L'AGCS a pour objet de libéraliser les services publics. Demain, la Poste, EDF-GDF, la SNCF, les écoles, les hôpitaux, les mutuelles et les assurances sociales... (Interruptions sur les bancs du groupe UMP)... seront bradés aux entreprises privées...

Plusieurs députés UMP - La question !

M. Jacques Desallangre - ...chargées d'en extraire le maximum de bénéfices plutôt que d'assurer le meilleur service à tous.

M. le Président - Monsieur Desallangre, veuillez poser votre question.

M. Jacques Desallangre - Monsieur le Premier ministre, allez-vous exiger un moratoire sur ces négociations donnant des garanties juridiques précises sur la sauvegarde de nos services publics ? La France ne ferait alors pas preuve d'arrogance, elle défendrait simplement un héritage précieux.

M. François Loos, ministre délégué au commerce extérieur - Si vous vous interrogez sur la transparence dans laquelle seront menées ces négociations, je vous assure que la France défendra une position issue de la plus large concertation avec les parlementaires et les ONG. Si vous voulez dire que la négociation sur le commerce des services n'a aucune importance, vous vous trompez.

M. Jacques Desallangre - C'est scandaleux !

M. le Ministre délégué - Cette négociation est au contraire fondamentale : l'Union européenne est le premier commerçant de services dans le monde. La France est au troisième rang, et son commerce extérieur de services représente 10 % de ses emplois. Elle a donc une action à la fois offensive et défensive à mener.

Sur le premier plan, la banque, le traitement de l'eau et des déchets, les assurances sont pour nous des spécialités importantes. Dans ces domaines, nous aurons donc des demandes à formuler envers les autres pays. Sur le plan défensif, depuis 1999, nous avons donné mandat à l'Union européenne pour sanctuariser les biens culturels et audiovisuels. Le Gouvernement a déclaré en juin 2002 que la santé et l'éducation ne devront jamais être libéralisées. Quant aux autres sujets qui sont en négociation, imaginer que nos partenaires nous demandent des libéralisations massives relève du fantasme ! Il n'y a guère que la Suisse qui demande la libéralisation des services de l'énergie et le Japon qui souhaite de petites modifications techniques...

Je vous invite donc à prendre connaissance précisément de ces questions. Le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin ne veut pas subir la mondialisation, mais la construire, (« Ah ! » sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste) en partenariat avec tous ceux qui ont quelque chose à nous apporter (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

SÉCURITÉ DU TRANSPORT MARITIME

M. Pierre Lequiller - Je voudrais tout d'abord saluer le compromis franco-allemand qui a été trouvé hier soir. Tout le monde attendait une proposition commune de la part de nos deux pays.

L'opinion a été traumatisée par le naufrage du Prestige. Les Français se félicitent des décisions qui ont été prises par le Président de la République et le Gouvernement. La Commission européenne va proposer des mesures de limitation du transit des pétroliers à simple coque transportant du fuel lourd, comme la France et l'Espagne l'ont déjà fait dans l'accord de Malaga. Cela doit aller de pair avec une réforme d'envergure du droit maritime international qui mette en place un régime de responsabilité civile et pénale.

Il faut empêcher ces voyous des mers de sévir. Quelles sanctions pourront être prises à l'égard de l'armateur, de l'affréteur, du capitaine et des sociétés d'agrément ? Comment passer de l'impunité à la tolérance zéro ? Qu'envisage le Gouvernement pour combattre ces crimes contre l'environnement ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

Mme Noëlle Lenoir, ministre déléguée aux affaires européennes - La catastrophe du Prestige n'était pas une fatalité. Depuis, la France et l'Espagne ont pu éloigner de leurs côtes les navires dangereux, et la mesure est reprise par l'Europe tout entière. Grâce à l'insistance du Président de la République, le Conseil européen a adopté le principe d'une réforme du régime de responsabilité et des sanctions des pollueurs de la mer. Il faut maintenant la mener à bien.

Deux points sont essentiels. Il faut d'abord relever les plafonds d'indemnisation, qui sont manifestement inadaptés. Il faut ensuite responsabiliser non seulement les propriétaires de navires, mais l'ensemble des opérateurs, au premier rang desquels les affréteurs. Mme Bachelot et M. Bussereau agissent au quotidien pour que la communauté internationale fasse enfin évoluer la situation. Je m'efforce pour ma part que l'Europe soit le moteur de cette réforme. Vous avez eu raison de le souligner : il n'y a pas de droit de la mer et donc de liberté de circulation sans véritable responsabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Président - Nous en avons terminé avec les questions spécialement relatives à l'Europe.

RENOUVELLEMENT DE LA FLOTTE DE PÊCHE

Mme Hélène Tanguy - Vendredi 20 décembre, les territoires qui vivent de la pêche, et qui étaient suspendus aux menaces du commissaire Fischler, ont recommencé à respirer, à l'issue des laborieuses négociations sur la politique commune de la pêche. Votre détermination inébranlable et vos habiles alliances ont permis de sauvegarder l'avenir de la pêche française. Fort du soutien du Président de la République lors du sommet de Copenhague, vous avez obtenu que les aides à la modernisation et au renouvellement de la flottille soient maintenues. La sécurité des hommes en mer en sera accrue, de même que l'attractivité d'un métier boudé par les jeunes.

Si les dossiers d'aide doivent être déposés avant le 31 décembre 2004, de combien disposeront ensuite les patrons pêcheurs et les sociétés d'armement pour construire les navires ? Le choix des plans les plus adaptés puis la construction elle-même nécessitent du temps. Or, aujourd'hui, le délai de mise en service ne doit pas dépasser deux ans après l'obtention du permis de mise en exploitation. Serait-il possible de l'allonger ? La circonscription que j'ai l'honneur de représenter ici (Protestations sur les bancs du groupe socialiste) effectue près de 20 % de la pêche française.

Plusieurs députés socialistes - La question !

Mme Hélène Tanguy - Vous comprenez combien je suis attachée à ce dossier. Je compte aujourd'hui sur l'engagement des services de l'Etat dans la mise en route de ce plan de relance tant espéré (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales - Il est vrai que cette négociation a été difficile. Certains ont voulu artificiellement opposer les amis de la pêche à ceux des poissons. Nous avons su faire des contre-propositions pragmatiques et surtout consolider l'alliance qui nous a permis d'obtenir un accord équilibré.

La Commission voulait supprimer les aides à la modernisation et au renouvellement de la flotte, diminuer les quotas de pêche de 50 à 75 % et interdire la pêche pour certaines zones ou espèces. Nous avons obtenu pour 2003 des quotas justes, qui assurent à la fois le maintien de l'activité de pêche et le renouvellement des espèces. La zone Manche-est est exclue de la zone d'interdiction de pêche du cabillaud et les aides au renouvellement et à la modernisation de la flotte sont maintenues.

Sur ce point, les engagements de dépense seront clos au 31 décembre 2004. Les factures seront acceptées jusqu'au 31 décembre 2006 et les paiements seront effectués courant 2007. Quant aux permis de mise en exploitation, toute la souplesse nécessaire sera assurée. Il en va de l'avenir de notre flottille et je souhaite que l'Etat et les collectivités locales puissent ensemble mettre en place ce plan tant attendu (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

CONSÉQUENCES DES CHUTES DE NEIGE SUR L'AUTOROUTE A10

Mme Geneviève Colot - Monsieur le ministre des transports, mes collègues Christine Boutin et Pierre Lellouche s'associent à cette question.

Dans la nuit du 4 au 5 janvier, 15 000 personnes ont été bloquées sur l'A10, à quarante kilomètres de Paris. 15 000 naufragés de la route sont restés coincés dans leur voiture sans aucune information sur l'évolution de la situation. Il faut avant tout remercier les pompiers, la Croix-Rouge et les bénévoles qui sont intervenus. Toute la nuit, ils ont réchauffé, nourri et réconforté ces galériens de l'autoroute qui ont, surtout les personnes âgées et les bébés, connu des heures très difficiles. Grâce à eux, aucune victime n'est à déplorer.

Dès le lendemain, une enquête a été diligentée pour connaître les causes de ces dysfonctionnements. Des solutions doivent être proposées pour qu'ils ne se reproduisent plus.

Quelles sont les conclusions de cette enquête ? Quelles mesures compte prendre le Gouvernement pour empêcher que de tels dysfonctionnements puissent se reproduire à l'avenir ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer - Vous avez parfaitement décrit la situation extrêmement douloureuse qu'ont vécue dans la nuit du 4 au 5 janvier des dizaines de milliers d'automobilistes bloqués sur l'autoroute A10, parmi lesquels des personnes âgées et des parents avec de jeunes enfants. Je tiens, après vous, à souligner le vaste mouvement de solidarité qui s'est développé entre les automobilistes eux-mêmes, pris au piège d'une situation inacceptable, qui pour résulter d'abord de conditions météorologiques tout à fait exceptionnelles, est aussi le fruit de carences qu'il faut identifier. Dès le lendemain, en accord avec le Premier ministre, j'ai diligenté une mission d'enquête. Le mardi, j'ai reçu des représentants de la société d'autoroute et des services publics concernés, et le mercredi, une délégation de victimes. Le rapport d'enquête m'a été remis avant-hier.

Celui-ci montre d'une part que les pouvoirs publics ne sont pas exempts de tout reproche (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UDF). Nous avons donc, avec Nicolas Sarkozy, demandé une enquête complémentaire et soyez assurés que nous n'avons absolument pas l'intention de masquer leurs lacunes éventuelles. Il révèle également que la société concessionnaire, Cofiroute, n'a à l'évidence pas pris la mesure de la situation et n'a pas donné les informations qui auraient été nécessaires.

Au-delà de la recherche des responsabilités, il nous faut empêcher qu'un tel chaos se reproduise. Dès cette semaine, j'adresserai le rapport d'enquête au président de Cofiroute et lui demanderai quelles mesures sa société compte prendre. Le rapport en propose certaines qui doivent être mises en _uvre rapidement : installation de panneaux d'information à messages variables à l'intention des usagers, meilleure utilisation des radios autoroutières, équipement des points sensibles en caméras de surveillance et création de stations de gîtage. Les sociétés concessionnaires seront en outre appelées à élaborer une charte de bon usage, garantissant le respect des usagers. Nous l'appliquerons dans les meilleurs délais (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP).

COUVERTURE MALADIE UNIVERSELLE ET AIDE MÉDICALE D'ÉTAT

M. Claude Evin - Monsieur le Premier ministre, deux mesures adoptées par votre majorité à la fin décembre se sont ajoutées à la liste des nombreuses régressions sociales que votre Gouvernement a permises depuis juin dernier (Interruptions sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). Je pense au report de l'ouverture des droits pour les bénéficiaires de la CMU et de l'instauration d'un ticket modérateur pour ceux de l'aide médicale d'Etat. Ces mesures, dont les effets économiques sont des plus discutables, sont inconséquentes sur le plan social et absurdes, voire dangereuses, en matière de santé publique. Qui, en effet, peut imaginer que retarder le début des soins pour les bénéficiaires de la CMU en réduira le coût global pour la collectivité, ou qu'un étranger en situation irrégulière va se faire soigner sans être gravement malade puisqu'il prend alors un grand risque au regard de sa situation administrative ? Les personnes en situation de précarité ont tendance à renoncer à se soigner si l'accès aux soins devient trop difficile. Elles consultent ensuite trop tard, pour elles-mêmes mais aussi pour leurs proches si leur affection est contagieuse. Dans ces conditions, ne pensez-vous pas qu'il serait préférable d'annuler ces mesures ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées - Vous avez raison, Monsieur le député, de profiter de ce que vous êtes dans l'opposition pour souligner les défauts de la CMU (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF ; exclamations sur les bancs du groupe socialiste).

En effet, cette bonne réforme présente de graves défauts et je vais vous expliquer ce que compte faire le Gouvernement pour y remédier.

Le premier de ces défauts est l'effet de seuil créé par la CMU. C'est plutôt à ce propos qu'il convient de parler d'inconséquence (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). Alors que vous aviez, vous, exclu du bénéfice de la CMU les titulaires de l'allocation adulte handicapé ou du minimum vieillesse, nous avons décidé que seraient désormais prises en charge les personnes ayant des revenus jusqu'à 10 % supérieurs au seuil. Nous proposerons avant la fin de l'année une réforme de la CMU qui lissera définitivement l'effet de seuil.

Vous n'aviez jamais modifié le montant du forfait de déduction des organismes complémentaires, alors même que, fixé à 223 euros, il était manifestement sous-estimé. Nous avons, nous, procédé aux réajustements nécessaires.

Enfin, le dispositif que vous proposiez était certes généreux mais il n'était pas responsable (Mêmes mouvements). Nous avons mis en place les moyens de contrôle indispensables. Je vous précise que la CMU sera toujours accordée pour une année et que la prise en charge sera immédiate en cas d'urgence.

Pour ce qui est de l'aide médicale d'Etat, laquelle représente tout de même un montant de 500 millions, nous avons, je le crois, amélioré le dispositif en permettant notamment aux bénéficiaires désormais de se faire soigner en ville alors qu'ils étaient auparavant obligés d'aller à l'hôpital. Quant au décret relatif au ticket modérateur, il sera pris après consultation avec les associations. L'aide médicale d'Etat sera généreuse mais désormais responsable (Applaudissements prolongés sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

DIFFUSION DE RFO SUR LE CONTINENT NORD-AMÉRICAIN

M. Gérard Grignon - L'outre-mer, c'est le rayonnement de la technologie, de la langue et de la culture françaises dans le monde. Ainsi, depuis novembre 1999, les émissions de RFO Saint-Pierre-et-Miquelon et RFO SAT, sont, avec l'autorisation de l'instance de régulation canadienne, diffusées par câble et satellite au Canada. De Saint-Jean de Terre-Neuve à Vancouver, sur l'ensemble du continent nord-américain, la France peut ainsi faire entendre sa voix. Il y va de la promotion de l'ensemble de l'outre-mer français, y compris des Antilles et de la Guyane.

Or, instruction a été donnée à TDF d'installer une cage de Faraday devant l'émetteur local pour empêcher cette diffusion... et ce, alors même que les Américains, eux, sachant que pour promouvoir leur langue et leur culture, il faut largement les diffuser, installent des émetteurs à la frontière canadienne - nous sommes envahis de leurs émissions, souvent de qualité douteuse. Il ne s'agit donc rien moins de la part de la France que d'une auto-mutilation linguistique et culturelle, qui de surcroît enterre la vocation même de son outre-mer.

Rien ne justifie cette décision. En effet, ces retransmissions ne coûtent rien, ni à RFO ni à l'Etat. Quant aux ayants droit, ils peuvent, à condition qu'ils le demandent, recevoir leur dû du diffuseur. Si des problèmes apparaissaient néanmoins avec eux, pourquoi ne pas permettre à notre archipel, comme le permettrait la législation canadienne sur le débord hertzien, de créer un canal de télévision spécifique programmant des émissions propres à RFO et des émissions libres de droits destinées à l'ensemble du public francophone nord-américain ? Ce serait une chance pour le développement de Saint-Pierre-et-Miquelon et de toute la francophonie. Cela serait aussi une source d'emplois qualifiés.

Quelle est, Monsieur le ministre de la culture, votre position sur ce dossier ? Quelle mesures comptez-vous prendre pour que la langue et la culture françaises ne soient pas bâillonnées dans notre archipel alors que celles de l'Amérique du Nord s'y font largement et officiellement entendre ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. Jean-Jacques Aillagon, ministre de la culture et de la communication - La France est attachée à la diffusion de sa langue, de sa culture, de ses valeurs, et bien sûr de ses programmes audiovisuels dans le monde. Il est vrai que depuis plusieurs années, les programmes de RFO Saint-Pierre-et-Miquelon étaient diffusées au Canada par voie hertzienne et par le câble. Cette situation, flatteuse, n'en était pas moins illégale dans la mesure où RFO n'acquerrait de droits pour la diffusion de ses programmes que dans les territoires ultra-marins. Il a donc été décidé d'empêcher cette diffusion par l'installation d'une cage de Faraday. Je ne peux, hélas, qu'approuver cette décision, elle est conforme au droit. Les programmes de nos chaînes publiques sont par ailleurs largement diffusés par TV5, qui a vocation à être la grande chaîne de télévision francophone internationale. Enfin, les programmes de RFO libres de droit continuent à être diffusés par satellite. Cela étant, je comprends votre préoccupation et je rencontrerai, dans les prochains jours, le président de RFO afin de voir ce qu'il est possible de faire (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

CHASSE AU GIBIER D'EAU

M. Joël Hart - Madame la ministre de l'écologie et du développement durable, pour respecter un arrêt du Conseil d'Etat, vous avez pris un arrêté fixant la fermeture de la chasse au gibier d'eau au 31 janvier. Je ne crois pas être le seul ici à vous prier de demander instamment à Bruxelles une dérogation pour qu'il soit possible de chasser au-delà de cette date au moins l'oie cendrée, voire certaines espèces de canards, en petite quantité, dans les régions de France où ces espèces sont encore nombreuses en février. En vous appuyant sur des données scientifiques mais aussi sur les carnets de prélèvements des chasseurs, en invoquant l'article 9 de la directive 74-409, vous disposez d'arguments solides pour solliciter une dérogation qu'ont déjà obtenue des pays comme l'Espagne, l'Angleterre ou l'Irlande. Pourquoi notre pays, qui s'y est refusé les années précédentes, ne le ferait-il pas cette année ?

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de l'écologie et du développement durable - Je veux d'abord réaffirmer mon attachement à une chasse rigoureuse et démocratique (Exclamations sur divers bancs) et je ne peux que regretter les récentes décisions du Conseil d'Etat (Protestations sur les bancs du groupe socialiste). Néanmoins elles comportent quelques avancées et c'est pourquoi je souhaite les respecter.

Le Conseil d'Etat a, en effet, réaffirmé clairement la responsabilité de l'Etat national dans la fixation des dates de chasse et il a aussi validé mon arrêté sur les mustélidés.

Néanmoins ses décisions s'appuient sur des travaux largement dépassés et je regrette qu'il n'ait pas suivi les avis du comité d'experts, ce qui nous aurait permis de publier des arrêtés mieux adaptés à la réalité de la faune sauvage. C'est pourquoi la création de l'observatoire de la faune sauvage, que nous avons décidée avec le Premier ministre, me semble un élément très important.

En ce qui concerne les possibilités de dérogation, j'ai dépêché le directeur de mon cabinet et le conseiller Chasse auprès de la Commission de Bruxelles : il leur a été assuré que toute demande de dérogation serait repoussée (Protestations et interruptions sur divers bancs).

Quant aux dates de chasse, je présenterai dans quelques semaines au Conseil des ministres le calendrier des mesures législatives et réglementaires que je compte prendre en ce domaine et je vous garantis que sur ce point j'apporterai des réponses qui vous donneront satisfaction (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

FRACTURE SOCIALE

M. Michel Françaix - Monsieur le Premier ministre, vous vous êtes rendu à l'assemblée générale du MEDEF et, après tout, ce n'est pas en soi choquant (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; exclamations sur divers bancs) si vous ne faites pas du patronat un partenaire privilégié.

Devant le MEDEF, vous avez souligné que vous aviez suspendu la loi de modernisation sociale et abaissé les taux les plus élevés de l'impôt sur le revenu, vous avez également annoncé une adaptation de la fiscalité du patrimoine et il ne faut pas être grand clerc pour deviner qu'il s'agit de supprimer l'ISF (Interruptions sur les bancs du groupe UMP).

En d'autre termes, vous avez dit aux patrons : « Je vous ai compris ». Ce n'est guère surprenant. Mais lorsque vous semblez acquiescer aux propos du président du MEDEF - je le cite : « je vous demande de siffler la fin de la récréation et de remettre les Français au travail » - cela ternit l'image humaniste à laquelle vous tenez ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

Que vous vous moquiez des socialistes dans vos v_ux, c'est de bonne guerre et cela peut même nous faire du bien : enfin un spécialiste de la communication qui nous fait de la pub !

Mais pouvez-vous nous rassurer sur votre rôle d'arbitre, sur le fait que vous ne privilégiez pas la France d'en haut ? Sinon, je connais un président de la République qui pourrait vous reprocher de recréer la fracture sociale (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; protestations sur les bancs du groupe UMP).

M. Renaud Dutreil, secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat, aux professions libérales et à la consommation - Notre politique économique est facile à décrire et les Français la comprennent : c'est une politique de croissance active (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste), alors que pendant les cinq années précédentes il y a eu croissance passive - les pouvoirs publics n'y ont pas contribué (Protestations sur les bancs du groupe socialiste).

La croissance doit mobiliser tous les acteurs de notre société et ce n'est pas en traitant comme des pestiférés les 2,4 millions d'artisans, de commerçants et de patrons de PME, qui créent de la richesse dans notre pays (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF) que l'on soutiendra l'investissement.

Lorsque des mesures fiscales sont nécessaires pour stimuler l'investissement et transformer l'argent dormant en argent actif, qui crée l'emploi, alors nous modifions la fiscalité. Laissons de côté les tabous politiques et les vieilles lunes, ayons une politique de rassemblement et de dynamisation de l'économie, c'est l'intérêt de tous ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

CLONAGE HUMAIN

M. Alain Gest - Le 27 décembre dernier, la présidente de la société Clonaid a annoncé la naissance du premier bébé cloné, c'est-à-dire du premier bébé conçu sans intervention de la sexualité.

Depuis, aucune confirmation n'a pu être apportée par cette société, émanation du mouvement Raël, classé comme secte dans le rapport parlementaire de 1995. La crédibilité de cette annonce, qui pourrait n'être qu'un effet publicitaire, est à rapprocher de celle du voyage dans l'espace de M. Claude Vorilhon, alias Raël, avec ses amis extra-terrestres.

Mais il faut en tirer deux conséquences. La première, c'est qu'il ne faut pas relâcher la vigilance vis-à-vis des mouvements sectaires. Notre assemblée et les deux gouvernements précédents ont joué un rôle fondamental à cet égard et je me réjouis que le Premier ministre réactive la mission interministérielle de lutte contre les sectes.

Seconde conséquence, cette annonce relance un débat vertigineux, celui du clonage reproductif. Les spécialistes estiment très douteuse la faisabilité même du clonage humain et critiquent des méthodes quasi industrielles, mettant en cause la santé des femmes. Les Français se déclarent à 77 % scandalisés par le clonage reproductif. Quelles sont les mesures qui peuvent être prévues pour éviter ces dérives ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées - Je sais qu'en posant cette question, vous poursuivez la lutte contre les sectes, lutte engagée sur tous les bancs de cette Assemblée au cours des législatures précédentes et que nous continuerons.

Le clonage reproductif est unanimement condamné. Je ne suis pas plus convaincu que vous de la réalité des annonces faites, mais ce qui a été possible sur une brebis et d'autres mammifères doit être réalisable aussi sur l'homme et c'est pourquoi nous ne pouvons relâcher notre vigilance. En janvier dernier, l'Assemblée avait voté à l'unanimité, en première lecture, un article condamnant le clonage reproductif.

Mais nous voulons aller plus loin et, avec l'appui du Premier ministre et du Garde des Sceaux, nous proposerons fin janvier au Sénat un texte créant l'incrimination de crime contre la dignité humaine (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP, du groupe UDF, sur quelques bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). Cette incrimination devrait pouvoir devenir internationale - vous savez le rôle joué par le Président de la République dans l'initiative franco-allemande. La France a vocation à défendre les droits de l'homme et les idéaux humanistes (Mêmes mouvements).

SÉCURITÉ ROUTIÈRE

M. Jean-Michel Bertrand - En faisant de la sécurité routière l'un des grands chantiers de son quinquennat, le Président de la République a décidé de mettre fin à l'inacceptable. Lors des Etats généraux sur la sécurité routière, en septembre dernier, tous les acteurs ont exprimé leur volonté de faire respecter les règles et de sanctionner les comportements dangereux.

Après le comité interministériel du 18 décembre sur ce sujet, le Premier ministre a annoncé un plan cohérent pour faire cesser ce scandale national - 116 745 accidents corporels et 7 720 tués en 2001 ! - en responsabilisant les conducteurs par des contrôles efficaces. Les élus s'engagent aussi, en particulier par la création d'un groupe de travail et l'organisation, le 30 janvier, d'une journée parlementaire de la sécurité routière.

Pourriez-vous nous fournir des précisions sur la politique du Gouvernement, sur les premiers résultats obtenus et sur les orientations à donner à tous les acteurs publics et privés de cette mobilisation contre une exception française meurtrière ?

M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer - Je rappellerai d'abord le calendrier des mesures prises.

Juin 2002 : la mesure d'amnistie est pour la première fois très restrictive.

Le 14 juillet 2002, le Président de la République demande de faire de la sécurité routière un grand chantier du quinquennat.

En septembre 2002, se réunissent les Etats généraux de la sécurité routière.

Le 18 décembre 2002, le Premier ministre préside un comité interministériel sur ce sujet.

En février 2003, avec Dominique Perben, je présenterai au Parlement un projet de loi reprenant les mesures annoncées et, en attendant, des textes réglementaires alourdiront les sanctions.

Quant aux résultats, en 2002, 490 vies ont été sauvées par rapport à 2001. Le premier semestre avait été marqué par une légère augmentation des victimes, mais au deuxième semestre 522 vies ont été sauvées et 8 641 personnes de moins ont été blessées dans des accidents automobiles. Pour le seul mois de décembre, la différence par rapport à 2001 est de 217 vies humaines sauvées et de 1 735 personnes blessées en moins.

Ces chiffres se passent de commentaires. J'appelle tout le monde à poursuivre la mobilisation. Il n'y a pas lieu à autosatisfaction, mais nous pouvons, aujourd'hui, avoir une véritable espérance (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

La séance, suspendue à 16 heures, est reprise à 16 heures 15, sous la présidence de M. le Garrec.

PRÉSIDENCE de M. Jean LE GARREC

vice-président

SÉCURITÉ INTÉRIEURE (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, après déclaration d'urgence, pour la sécurité intérieure.

M. le Président - Nous abordons la discussion générale.

M. Patrick Braouezec - Après la loi de programmation consacrée aux moyens, le présent projet nous indique à quoi le Gouvernement destine cet effort. Vous nous avez demandé cette nuit, Monsieur le ministre, en réponse à la question préalable de M. Gerin, de ne pas entrer dans de vaines polémiques. Permettez-moi cependant de défendre ce en quoi je crois et de dire tout d'abord que ce projet instrumentalise délibérément l'insécurité et en fait une arme dans le débat politique. Vous laissez entendre en effet que ceux qui s'opposent aux restrictions des libertés, aux discriminations et aux stigmatisations que contient votre projet sont indulgents face à la délinquance. S'opposer à votre projet sécuritaire, ce serait forcément se faire le complice de celle-ci.

Il n'en est rien. Notre opposition à ce projet se fonde sur des principes et sur une bonne connaissance du terrain. Nous récusons la sempiternelle opposition entre prévention et répression, car l'un ne va pas sans l'autre. La prévention comporte en effet une part de sanctions et par ailleurs les sanctions pénales peuvent aussi être conçues comme préventives, sauf à considérer les auteurs d'infractions comme irrécupérables et à voir dans la récidive une fatalité.

La prévention n'a pas échoué. Partout où elle est véritablement mise en _uvre, elle a donné des résultats. C'est à cause du manque de moyens que ceux-ci ne sont pas meilleurs. En Seine-Saint-Denis, par exemple, plus de 400 mesures éducatives sont en attente faute d'éducateurs. En 1998, dans notre département, plus de 80 % de l'activité de la Protection judiciaire de la jeunesse s'est concentrée sur le pénal et sur l'urgence, au détriment de l'intervention en amont et du signalement des enfants en danger. La tendance croissante à l'incarcération des mineurs illustre le risque d'une fuite en avant répressive. Il n'est pas rare que des mineurs primodélinquants soient déférés et incarcérés, alors que la prison devrait être l'ultime recours.

Dans la presse de ce matin, on pouvait lire que votre ambition était de faire reculer le « sentiment d'insécurité ». Cela vient corroborer mon impression initiale, à savoir que ce gouvernement n'a pas pour objectif de combattre réellement l'insécurité et la violence, mais simplement de séduire l'opinion, grâce à une mise en scène habile.

Contrairement à ce qu'il prétend, ce gouvernement n'est pas du côté des victimes. S'il l'était, aurait-il supprimé des milliers d'emplois de surveillants dans les collèges et les lycées, alors que les élèves représentent 86 % des victimes d'agressions physiques ? Ces suppressions - aggravées par la fin des emplois-jeunes - constituent un gigantesque plan de licenciement et en tout état de cause un abandon des adolescents.

Le Gouvernement s'affirme volontariste. Le texte témoigne au contraire de l'impuissance de l'Etat. Incapable de faire appliquer les textes existants, ce gouvernement crée de nouveaux délits, comme celui d'« entrave à la libre circulation dans les halls d'immeubles », alors que la réglementation sur les troubles de jouissance permettrait déjà aux policiers et gendarmes de verbaliser et disperser les personnes occasionnant des nuisances.

M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales - Non.

M. Patrick Braouezec - Les six mois d'emprisonnement prévus en cas de stationnement illégal - qui visent particulièrement les gens du voyage - témoignent eux aussi de cette impuissance, notamment à imposer aux communes la réalisation des aires de stationnement nécessaires. Mettre fin à l'impuissance publique consisterait à appliquer enfin la législation plutôt qu'à en rajouter de façon spectaculaire.

« L'Etat doit être fort pour protéger les faibles », dites-vous volontiers. Je pense qu'avant d'être fort, l'Etat doit être juste. C'est la condition préalable pour que son autorité soit reconnue, car tout recours abusif à la force appelle d'autres violences en retour.

Cette volonté d'un Etat fort se limite d'ailleurs à la seule répression. Votre Etat est en effet des plus faibles quand il s'agit d'organiser la protection sociale ou d'encadrer le pouvoir économique et financier. En clair, il est dur pour les faibles et faible face aux puissants ! Plus d'Etat pour la police, l'armée et les prisons, moins d'Etat pour les écoles, le logement, l'emploi, le contrôle des licenciements ou la santé...

Ce système est connu, c'est celui qui prévaut aux Etats-Unis. Dans ce pays, le système carcéral public et privé est le troisième employeur. Il faut bien en effet contenir et réprimer les effets de l'aggravation des inégalités, de la ségrégation ou de la dérégulation du marché du travail. Aux Etats-Unis, plus de deux millions de personnes sont en prison. A l'échelle de la France, un taux équivalent se traduirait par 400 000 personnes incarcérées au lieu des 50 000 actuelles...

Si nous nous opposons à ce projet, c'est tout simplement parce qu'il met à mal la devise de notre société - « liberté, égalité, fraternité »- et son contrat social.

M. le Ministre - Grotesque !

M. Patrick Braouezec - Il s'agit tout d'abord d'un projet contre la liberté.

En effet, le fichage policier est élargi avec ce fichier STIC qui englobe avec les coupables les suspects, les témoins et les victimes, mineurs ou majeurs, soit 5 millions de personnes et qui peut être consulté pour l'accès à certains emplois ou la naturalisation. La majorité parlementaire propose même d'étendre la consultation des fichiers aux policiers municipaux.

La protection des libertés individuelles exige pourtant de limiter strictement leur utilisation aux seules fins de police ou de sécurité. L'an passé, la commission nationale informatique et libertés a pu constater que dans un cas sur quatre, le fichier comportait une erreur. Or, si ce texte est voté, une erreur peut se traduire par le refus d'une embauche, d'une naturalisation, d'un titre de séjour ou autre.

Le projet n'apporte aucune garantie en matière de droit à rectification ou d'accès aux données.

Il s'agit ensuite d'un texte contre l'égalité. Il désigne non pas des actes condamnables mais des catégories de personnes : gens du voyage, jeunes, prostituées, SDF... Il crée des délits à partir de situations sociales comme la mendicité ou le racolage, il en renforce d'autres comme le squat. C'est d'autant plus grave que dans le même temps le Gouvernement ne fait rien pour apporter des réponses à ces situations sociales extrêmes.

Vous affirmez, Monsieur le ministre, que « la peur doit changer de camp ». Ne croyez-vous pas que les prostituées, les mendiants, les gens du voyage, les squatters vivent déjà dans la précarité, la violence et la peur du lendemain ?

Le projet aggrave également les discriminations à l'encontre des étrangers. Loin d'amorcer la réforme annoncée de la double peine, il crée de nouveaux motifs de retrait des titres de séjour.

Ce texte ne s'attaque qu'à la petite délinquance visible dans l'espace public. Par contre, la grande délinquance, qui déstructure profondément notre société mais qui ne remplit pas la rubrique des faits divers peut dormir tranquille. Les délinquants en cols blancs, les paradis fiscaux, les réseaux de trafic d'armes, de fausses factures ou de drogues, n'ont rien à craindre de votre action.

Ce texte est également lourd d'inégalités territoriales. D'ores et déjà, les interpellations et condamnations pour usage simple de cannabis ne s'appliquent réellement que dans les quartiers populaires... Vous avez déclaré, Monsieur le ministre, que « ce n'est pas parce que l'on habite un HLM que l'on est délinquant ». On peut tout d'abord s'étonner que vous ayez besoin de le préciser... On est ensuite obligé de constater que les interventions de centaines de membres des forces de l'ordre - 300 policiers et gendarmes à Nanterre en juillet dernier - ne concernent que les quartiers populaires. Je ne pense pas que vous auriez toléré pareille opération à Neuilly, ni que vous l'ayez jamais envisagée. Les « zones de non-droit » que vous stigmatisez le sont effectivement par le traitement d'exception que vous leur réservez. Le non-droit, ce n'est pas tel ou tel endroit, mais une politique inégale selon les conditions sociales des uns et des autres et les quartiers dans lesquels ils vivent.

Pourquoi ne pas vous contenter de mesures opérationnelles, comme André Gerin en a proposées hier, qui permettraient de réduire effectivement les délits ? Je pense, en particulier, à l'obligation pour les opérateurs de téléphonie mobile de créer un fichier commun afin de neutraliser les appareils volés.

Ce projet nuit aussi à la fraternité car les ruptures d'égalité déferont plus encore le lien social et conduiront à s'opposer entre elles des populations qui subissent les conséquences de vos politiques sociales. C'est la notion de « vivre ensemble » qui sera ainsi mise à mal.

Dans le débat public sur l'insécurité, les boucs émissaires varient. Tantôt on désigne un urbanisme et une architecture considérés comme criminogènes. Tantôt on stigmatise en bloc une jeunesse violente. C'est ensuite au tour de l'immigration d'être montrée du doigt, sans oublier - et votre texte ne les oublie pas - les pauvres, les gens du voyage, les prostituées, qu'il suffirait de déplacer, d'enfermer ou de cacher... Toutes ces explications avancées avec beaucoup de certitude, créent des tensions, provoquent des humiliations, et ne mènent à rien. Pour notre part nous refusons ces amalgames et nous restons fidèles à une conviction fondatrice de la gauche française et d'une tradition humaniste qu'elle ne devrait jamais lâcher : on ne combat efficacement.toutes les formes d'insécurité que si l'on s'attaque à leurs causes profondes. Il est vrai qu'il est plus facile de faire croire que l'on va régler les problèmes en flattant une opinion publique particulièrement bien préparée. Vous êtes comme un médecin qui, au lieu d'agir sur les causes d'une maladie, n'en traiterait que les symptômes.

Le Gouvernement ne s'attaque pas aux insécurités primaires que sont le chômage, la précarité de l'emploi, les bas salaires qui empêchent de vivre dignement, le manque de plus en plus grand de logements qui laisse des dizaines de milliers de personnes sans toit. Il ne s'attaque pas aux inégalités de traitement ou d'accès aux services publics, aux discriminations à l'embauche, dans le logement ou dans les loisirs. Et cette énumération, n'en déplaise au président Clément, ne relève pas d'une vaine philosophie.

Ce qui est proposé aux millions de personnes qui subissent ces insécurités-là, c'est de choisir entre la résignation, la marginalisation ou l'enfermement.

Ne voyez dans mes propos ni la reconnaissance d'un déterminisme sociologique, ni une justification sociale donnée à des actes qui méritent d'être sanctionnés et que la simple application des lois actuelles permet d'ailleurs de réprimer. Je veux simplement faire comprendre aux citoyens qu'il est vain, illusoire et dangereux de croire que ce projet pourra guérir les vraies maladies de notre société. Rejeter le déterminisme social est une chose, refuser de s'en prendre à la machine à exclure en est une autre. Il n'y a aucune fatalité sociologique à la délinquance. Rien ne serait pire que de figer une personne dans un statut de victime ou de coupable, ce serait nier son individualité. Les choses ne sont pas figées, les maires le savent bien. Le sauvageon d'hier est souvent le demandeur de logement d'aujourd'hui et le papa demandeur de place en crèche de demain.

M. Guy Teissier - Et de place en maison de retraite après-demain ?

M. Patrick Braouezec - Le vrai laxisme, c'est la déresponsabilisation, l'enfermement dès le plus jeune âge dans le rôle de délinquant, que ces mesures strictement répressives risquent de favoriser. Pour revenir sur le débat que vous avez lancé hier, Monsieur le ministre, je considère que la gauche n'a pas perdu par son incapacité à agir sur les question de l'insécurité...

M. Gérard Léonard - En partie quand même...

M. Patrick Braouezec - ...mais bien par la timidité avec laquelle elle s'est attaquée aux insécurités primaires dont je viens de parler.

Il arrivera un moment où les mesures spectaculaires et sécuritaires ne seront plus suffisantes pour masquer cette réalité. Car une politique qui espère venir à bout des phénomènes d'insécurité et qui, dans le même temps, en aggrave les causes en acceptant des plans massifs de licenciements, en s'attaquant à la sécurité sociale, en réduisant les crédits de l'école publique, en ne reconnaissant plus dans les faits le droit d'asile, et en n'offrant pas la moindre lueur d'espoir à la jeunesse ; une telle politique est vouée à l'échec. Vous avez tenté hier d'enfermer le débat dans l'inventaire de faits que personne ne nie, mais qui ne reflètent pas l'exacte réalité des lieux et des personnes que vous montrez du doigt. La réalité est moins manichéenne. Quand j'entendais hier M. Estrosi énumérer jusqu'à la caricature, ce que - et c'est la force de votre supercherie - chacun a pu un jour ou l'autre connaître...

M. Guy Teissier - Ce n'est donc pas une caricature...

M. Patrick Braouezec - ...je ne pouvais m'empêcher de penser à la ville dans laquelle je vis depuis trente-trois ans. Saint-Denis n'est pas, c'est le moins que l'on puisse dire, à l'abri des violences et des insécurités. J'y ai enseigné pendant vingt ans avant d'en être le maire, mes enfants y ont été scolarisés, le plus jeune étudie encore dans un de ces collèges dits « sensibles ». Mais je ne me reconnais pas et je ne reconnais pas dans votre description ces centaines, ces milliers de personnes qui vivent, travaillent et étudient à Saint-Denis. Vous ne décrivez pas la réalité : vous cherchez à justifier une ligne politique choisie par avance. Mis bout à bout, les fragments de réalité que vous sélectionnez donnent, comme bien des films habilement montés, une image déformée d'une réalité beaucoup moins caricaturale. Et c'est cette construction idéologique - dont je ne vous attribue pas la paternité - qui a abouti à ce que dans nos campagnes les plus paisibles, le vote d'extrême droite ait été aussi fort le 21 avril.

Mme Christine Boutin - C'est incroyable !

M. Robert Pandraud - C'est n'importe quoi !

M. Patrick Braouezec - Monsieur le ministre, votre texte, dont je crains fort qu'il ne soit que le premier d'une longue liste, relève d'un projet de société qui tourne le dos à nos valeurs, à nos principes républicains et qui, calqué sur le modèle américain, mène aux mêmes résultats : abandon des politiques sociales et des principes de solidarité, politique de plus en plus répressive en direction des plus fragilisés. Il favorise une société d'exclusions, de ségrégations accentuées, à laquelle nous continuerons d'opposer une société de liberté et de responsabilité,...

M. Guy Teissier - Le goulag !

M. Patrick Braouezec - ...dont un projet commun à des gens divers par leur condition, leur origine et leur âge, resterait la base. C'est sans doute un tel projet qui a fait défaut en avril et mai derniers.

Chacun l'aura compris, le groupe communiste votera résolument contre ce projet qui porte atteinte aux libertés, renforce les inégalités devant la loi, criminalise les situations sociales les plus difficiles et qui n'améliorera pas la sécurité des biens et des personnes (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste).

Mme Christine Boutin - Le parti communiste est mal parti...

M. André Gerin - Il va vous surprendre !

M. Gérard Léonard - L'insécurité est bien pour notre pays un défi majeur. Il l'est par son ampleur et la gravité des réalités humaines qu'il recouvre, mais aussi parce qu'il met en cause les fondements mêmes de notre pacte républicain.

Il y a encore quelques années, oser aborder le sujet vous valait d'être taxés de fantasmes sécuritaires et menacés d'être traduits devant un tribunal populaire. Encore aujourd'hui, M. Braouezec...

M. Christian Estrosi, rapporteur de la commission des lois, et M. le ministre - Il est parti !

M. Gérard Léonard - C'est bien la preuve qu'il ne vient que pour égrener sa litanie éculée et que le débat républicain ne l'intéresse pas ! (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP) Les statistiques officielles, qui n'appréhendent qu'une partie du phénomène, sont accablantes. Leur publication régulière est d'ailleurs un acte de courage républicain qu'il convient de saluer.

La véritable dérive qu'elles enregistrent est devenue insupportable pour nos concitoyens, victimes accablées ou témoins révoltés d'une délinquance dont la montée semble inexorable.

Les chiffres sont éloquents. Il ne faut pas cesser de les rappeler même si cela irrite ceux qui refusent de voir les choses en face ou qui tentent de masquer la lourde responsabilité qui leur incombe. Il faut les rappeler, ne serait-ce que pour bien apprécier les moyens à mettre en _uvre pour remédier à la situation qu'ils révèlent. La lucidité est une condition essentielle de l'efficacité de l'action publique, alors que l'aveuglement idéologique, la surdité dogmatique, voire le cynisme partisan mènent à l'échec et à la trahison de l'idéal proclamé.

M. Jean-Pierre Blazy - Oh là là !

M. Gérard Léonard - Lorsqu'on prétend défendre les plus démunis, la moindre des choses est de prendre en considération ce qu'ils vivent quotidiennement...

Mme Christine Boutin - Absolument !

M. Gérard Léonard - ...et non de les assommer d'incantations moralisatrices voire culpabilisantes, ce qui revient en fait à leur témoigner du mépris. Et le mépris finit toujours par être sanctionné. C'est ainsi qu'au printemps dernier, le peuple français a infligé un désaveu cinglant à ceux qui négligeaient trop ses préoccupations. Mais s'il convient de se réjouir d'une alternance salutaire pour notre pays, il ne faut pas oublier l'exaspération et le désespoir exprimés à cette occasion par un grand nombre de nos concitoyens qui se sont réfugiés dans l'abstention ou dans le vote extrême. Cela donne la mesure de la responsabilité historique de notre majorité au regard des valeurs républicaines qui fondent nos institutions.

Cette responsabilité nous oblige à considérer le phénomène de l'insécurité dans toutes ses dimensions pour y apporter les réponses les plus adaptées. La réalité, c'est une véritable explosion de la criminalité et de la délinquance avec une augmentation de plus de 40 % en 20 ans, et une accélération ces cinq dernières années, au cours desquelles le nombre des crimes et délits a progressé de près de 16 %.

On voit bien surtout qu'il n'y a là nulle fatalité, puisque entre 1986 et 1988, puis entre 1994 et 1997, la tendance a été nettement inversée.

M. Guy Geoffroy - Eh oui !

M. Gérard Léonard - Malheureusement, l'arrivée aux affaires des socialistes, à chaque fois, a ruiné les efforts déployés ; je pense en particulier à la LOPSI de 1995, dont j'ai eu l'honneur d'être le rapporteur. Les résultats désastreux de l'abandon de la politique déterminée que nous avions engagée dans un contexte économique et budgétaire difficile n'ont pas tardé à se manifester.

Au delà de cette alarmante approche quantitative, le plus inquiétant est la nature de cette délinquance et son évolution.

Les atteintes volontaires contre les personnes - coups et blessures, menaces, viols - ne cessent d'augmenter, ayant progressé de 90 % en dix ans, et de 10 % pour la seule année 2001.

Pire, la forte progression de la délinquance des mineurs : plus 80 % en dix ans. Mis en cause dans moins de 12 % des affaires dans les années 70, ils le sont dans 21 % des cas en 2001, et participent à 36 % des délits de voie publique, alors même que les 13-18 ans représentent moins de 8 % de la population française. Parallèlement, se développent des réseaux mafieux de mieux en mieux organisés, dont la dimension internationale ne cesse de s'affirmer.

Cette nouvelle forme de délinquance se caractérise enfin par une mobilité croissante et une diffusion sur l'ensemble du territoire.

Une activité criminelle et délictuelle en progression, toujours plus violente, plus jeune, plus organisée, et plus mobile, tel est le nouveau fléau auquel la France est confrontée et que les pouvoirs publics doivent réprimer durablement - car la répression est nécessaire (« Bravo ! » sur les bancs du groupe UMP).

Face à cette situation très dégradée, et sous l'impulsion du Président de la République, la lutte contre l'insécurité est enfin devenue une grande priorité nationale. Rompant avec les atermoiements et la politique timide du précédent gouvernement (Protestations sur les bancs du groupe socialiste), une nouvelle politique audacieuse s'attache à restaurer l'autorité de l'Etat, et à lui donner les moyens de sa mission constitutionnelle de protection des personnes et des biens. Dès cet été, le Parlement a adopté deux grandes lois d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure et pour la justice, engageant ainsi, pour les cinq prochaines années, des moyens d'une ampleur sans précédent : mobilisation de 9 250 millions d'euros, et création de 23 600 emplois. 5 600 millions d'euros seront affectés à la gendarmerie et à la police, et 15 500 postes seront créés.

Fait sans précédent, dès le budget pour 2003, ce sont 40 % de cette enveloppe qui ont été engagés, 30 % des emplois nouveaux pour la police et 17 % pour la gendarmerie feront l'objet de recrutements pour cette année. Parallèlement, une réorganisation des services de sécurité a été entreprise, visant à plus de cohérence et de synergie entre les actions menées.

Le placement sous un commandement unique de la police et de la gendarmerie, la création des groupes d'intervention régionaux, la réorientation des Compagnies républicaines de sécurité et des escadrons de gendarmerie mobile vers la lutte contre l'insécurité quotidienne, le redéploiement des zones de police et de gendarmerie sont autant de réformes engagées avec vigueur et dans un temps record.

Vous avez, Monsieur le ministre, relancé la coopération internationale bilatérale et européenne avec la mise en place des nouveaux centres de coopération policière et douanière, le règlement franco-anglais sur Sangatte et la relance des échanges avec les polices des différents pays européens.

On ressent déjà les premiers effets de votre action, notamment la remotivation et la remobilisation des fonctionnaires de police et des militaires de gendarmerie.

La délinquance, en hausse de 5 % en janvier et avril 2002, a baissé de 1,22 % entre mai et novembre, et tend aujourd'hui à se stabiliser, voire à reculer.

Félicitations, Monsieur le ministre, mais nous savons que vous n'en resterez pas là : votre projet de loi en témoigne.

Vous donnez aux acteurs de la sécurité les moyens juridiques adaptés à la réalité de la délinquance, assurant du même coup une meilleure protection des victimes, dont on s'occupe enfin.

Dans sa remarquable intervention, notre rapporteur, a mis en évidence les avancées marquantes contenues dans ce texte tout en évoquant les principaux enrichissements que notre commission des lois dans sa grande sagesse a souhaité y apporter.

Je saluerai également l'excellent travail du Sénat, en particulier l'adjonction du chapitre relatif à la lutte contre la traite des êtres humains et le proxénétisme.

L'atout majeur de ce dispositif est de donner aux forces de police et de gendarmerie les moyens juridiques de leur action dans le strict respect - contrairement à ce qu'a dit hier M. Le Roux - de nos règles constitutionnelles et en tirant le meilleur parti des nouvelles techniques d'investigation.

Par ailleurs, l'élargissement du territoire d'intervention des OPJ répond à la mobilité croissante des délinquants.

Mais surtout, un champ nouveau est ouvert au traitement automatisé des informations et le fichier des empreintes génétiques étendu.

La réalité est que le taux d'élucidation des affaires incriminées, qui était supérieur à 50 % dans les années 1970, est aujourd'hui tombé à 22 % pour la police et à 32 % pour la gendarmerie, d'autant que la mobilisation de moyens importants au profit de la police de proximité s'est faite au détriment des services d'investigation.

A ceux qui s'émeuvent d'un recours accru à des fichiers, rappelons que notre FNAEG comporte actuellement 2000 empreintes alors que le fichier de la Grande-Bretagne, qui n'est apparemment pas le berceau du fascisme, en compte près de 2 millions.

Autres aspects majeurs de ce texte : une protection accrue des agents des forces de sécurité et de leur famille d'une part, et la prise en considération des victimes des réseaux esclavagistes d'autre part.

Par ailleurs, ce texte a le mérite de répondre à de nouvelles formes de délinquance face auxquelles les pouvoirs publics sont aujourd'hui désarmés : mendicité agressive, vol des téléphones portables, attroupements portant atteinte à la libre circulation des personnes dans les parties communes des immeubles d'habitation, occupation sauvage de terrains privés ou communaux. De nouvelles incriminations permettront de défendre la tranquillité de nos concitoyens.

Bien entendu les ligues et collectifs habituels n'ont pas manqué de s'indigner.

Mais comme ils ont acquis leurs lettres de noblesse dans des combats historiques menés sous la houlette de Staline, Mao Tsé-Toung ou Fidel Castro, leurs discours ont pris un sacré coup de vieux et la faiblesse de leur audience n'est guère encourageante pour eux. Violations des libertés ! Chasse aux pauvres ! Stigmatisation de la jeunesse ! Tout y passe.

Vous avez aisément répondu, Monsieur le ministre, à ces faux procès nourris d'amalgame et de caricature et qui témoignent d'ailleurs d'une bien piètre opinion des catégories qu'ils prétendent défendre. Les pauvres seraient-ils donc tous des délinquants potentiels ? Toute la jeunesse serait-elle menacée par la lutte contre les activités répréhensibles d'une petite minorité ? Je l'ai dit, il y a là du mépris.

Avec bon sens, et bonne foi, nous pourrions tous ici nous entendre pour reconnaître qu'une lutte efficace et durable contre l'insécurité passe, certes, par une politique généreuse de prévention, mais nécessite qu'au préalable la paix publique soit rétablie.

M. Rocard nous avait expliqué, à cette même tribune, que pour lutter contre l'insécurité, il fallait réhabiliter les cages d'escaliers des HLM. Il faut en effet s'attaquer résolument aux racines du mal.

M. le Président - Il faut conclure.

M. Gérard Léonard - L'orateur précédent a dépassé son temps de parole.

Faillite du système éducatif, urbanisme concentrationnaire, échec de l'intégration... Autant de graves problèmes à résoudre pour restaurer la cohésion sociale. Mais certains semblent croire qu'il suffit de scander « prévention ! prévention ! ». Ils me font penser à ceux qui, à l'époque du général de Gaulle, sautaient comme des cabris sur leurs sièges en répétant « Europe ! Europe ! ».

Plusieurs députés socialistes - On connaît !

M. Gérard Léonard - Mais qu'avez-vous fait en matière de prévention ? Des dizaines de milliers de jeunes sortent chaque année du système scolaire en situation d'échec. La politique de la ville a englouti des milliards dans une gestion bureaucratique et dispendieuse, dénoncée par la Cour des comptes. La politique de l'intégration a donné lieu à un développement alarmant des communautarismes de tout poil... Avant de nous donner des leçons, balayez donc devant votre porte. Cela serait tout à votre honneur, et en tout cas dans l'intérêt de la France.

Monsieur le ministre, une politique de prévention sera coordonnée sous votre responsabilité. Les élus de base que nous sommes sont conviés à y participer, et nous y apporterons notre esprit concret, loin de tout dogmatisme.

M. André Gerin - Vive le libéralisme !

M. Gérard Léonard - Au début de l'année, j'avais formé le v_u qu'un consensus se dégage autour de ce projet. Après avoir entendu les défenseurs des motions de procédure, je dois reconnaître qu'il s'agissait d'un rêve. Mais le peuple français y adhère, et c'est l'essentiel (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. le Président - Il est normal de laisser un peu de souplesse dans les temps de parole, mais je tiens à préciser, Monsieur Léonard, que vous avez parlé 24 minutes, contre 21 pour M. Braouezec.

M. Jean-Pierre Blazy - Monsieur le ministre, avec ce texte, vous prétendez avant tout être efficace. Vous l'avez présenté comme éloigné de toute idéologie et visant à répondre aux attentes des citoyens les plus défavorisés, les plus touchés par l'insécurité.

Je vous ai trouvé parfois excessif, lorsque vous avez essayé de faire croire, par exemple, que la gauche était hostile aux policiers et aux gendarmes. Nous leur avons pourtant donné entre 1997 et 2002 des moyens que vous leur aviez refusés depuis 1993 !

M. Manuel Valls - Très bien !

M. Jean-Pierre Blazy - J'ai préféré votre réponse à André Gerin : vous vous interrogez, comme nous, sur le décrochage des couches populaires qui se sont éloignées de la République. Lors de la discussion de la loi sur la sécurité quotidienne, votre rapporteur nous assénait que la France était à feu et à sang et qu'il n'y avait plus un de nos concitoyens qui ne craigne pour ses proches, pour ses enfants sur le chemin de l'école et pour les anciens, barricadés chez eux.

M. le Rapporteur - Je le maintiens !

M. Jean-Pierre Blazy - Aujourd'hui, vous croyez déceler un recul de l'insécurité. Il se réduit au vote des lois de programmation pour la sécurité intérieure et la justice, au redéploiement et à la remobilisation de la police et de la gendarmerie et au vote du budget 2003. M. Estrosi considère que le présent projet de loi est fidèle à la LOPSI et qu'il sera efficace sans porter atteinte aux libertés individuelles. Bruno Le Roux est intervenu sur la question essentielle du respect des libertés. Puisque pour l'heure, 63 % des Français déclarent approuver ce projet, (M. le rapporteur applaudit) je voudrais l'examiner sous l'angle de son efficacité.

Vous voulez en premier lieu renforcer les pouvoirs propres des forces de sécurité intérieure. En votant la loi du 15 novembre 2001, nous avions soutenu la volonté du gouvernement de l'époque de disposer des moyens nécessaires dans la lutte contre le terrorisme. Le trafic de stupéfiants et d'armes alimente en effet le terrorisme. Nous ne pensons pas aujourd'hui que la banalisation des fouilles de véhicules que vous proposez soit efficace, en raison d'un encadrement juridique insuffisant. Vous proposez également d'étendre plusieurs fichiers et d'élargir les possibilités offertes par la LSQ en la matière. Là non plus, les dispositions juridiques et les garanties des droits individuels ne sont pas assez rigoureuses.

Quant à la tranquillité et à la sécurité publique, les attentes de nos concitoyens, qui subissent les incivilités au quotidien, sont fortes. L'article 21 crée une nouvelle incrimination pour groupement abusif dans les parties communes d'immeuble. La LSQ avait tenté d'apporter une réponse équilibrée à ce problème, dans le cadre de la coproduction de la sécurité, qui ne semble d'ailleurs pas être remise en cause. Le maire et la police municipale, la police et la gendarmerie, mais aussi le bailleur ou la copropriété se doivent d'intervenir. Il est vrai que la voie civile est peu utilisée, parce que les bailleurs et les locataires répugnent à engager un contentieux, mais vous vous exposez, avec cette proposition, à une grande désillusion. Avec deux ans de prison et 3 750 euros d'amende, les forces de sécurité seront-elles réellement plus motivées pour intervenir ?

M. Jean-Christophe Lagarde - Elles n'attendent que ça !

M. Jean-Pierre Blazy - J'en doute, connaissant les effectifs indispensables pour assurer les missions de nuit... La base juridique existe : outre la LSQ, il y a des textes pour sanctionner les nuisances sonores et la rébellion contre agent de la force publique. Je crois vraiment que cette proposition ne dépassera pas l'effet d'affichage. Allez-vous mettre en prison des jeunes simplement parce qu'ils auront occupé des halls d'immeuble, même plusieurs fois ?

Les articles 24 et 25 prétendent lutter contre les nuisances provoquées par les établissements de ventes à emporter. Mais c'est au maire que doit revenir la responsabilité de la sanction, non au préfet. Quant aux véhicules à deux roues, nous attendons toujours le décret d'application de l'article 19 de la LSQ.

M. Jean-Christophe Lagarde - Proposé par l'opposition de l'époque ! Vous étiez contre !

M. Robert Pandraud - Vous ne l'avez pas publié, lorsque vous étiez au gouvernement !

M. Jean-Pierre Blazy - Raison de plus pour le faire sans tarder ! Il ne suffit pas d'élaborer un nouveau texte, il faut appliquer ceux qui sont déjà votés.

En ce qui concerne la lutte contre les vols de téléphones portables, nous sommes d'autant plus d'accord avec vous, Monsieur le ministre, que la concertation avec les opérateurs vous a largement précédé. Si vous pouvez proposer aujourd'hui les articles 26 et 27...

M. le Ministre - C'est grâce à M. Vaillant !

M. Jean-Pierre Blazy - Et à son efficacité bien connue.

Enfin, quelle application concrète l'article 19, sur l'occupation illicite des terrains, pourra-t-il recevoir ? Outre qu'il entraîne une double peine, comment la police et la gendarmerie vont-elles pouvoir interpeller les contrevenants, toujours nombreux, et confisquer leurs véhicules alors que les caravanes, étant juridiquement des domiciles, ne peuvent être saisies ?

Nous sommes d'accord avec certaines dispositions de votre texte, relatives aux armes par exemple, aux polices municipales ou aux autorités de sécurité privée. Mais un projet relatif à la sécurité doit être apprécié sous l'angle de la sécurité. Vous entendez réarmer l'Etat répressif, face à l'augmentation de la délinquance, qui a commencé bien avant 1997. Il est indispensable que l'Etat, qui a montré ses faiblesses sur le plan économique et social, n'échoue pas sur ce terrain. Mais contrairement à ce que vous prétendez, la gauche l'avait compris. Elle a mis en _uvre, pendant cinq ans, une politique globale de la sécurité (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

Mme Sylvia Bassot - Les Français ne s'en sont pas rendu compte !

M. Gérard Léonard - Comment auraient-ils pu ?

M. Jean-Pierre Blazy - Vous avez le même temps devant vous, les Français jugeront aux actes.

Mme Sylvia Bassot - Ils l'ont déjà fait !

M. Jean-Pierre Blazy - Or les premiers résultats ne sont pas au rendez-vous, même si vous prétendez avoir accompli un miracle. A qui fera-t-on croire qu'à partir de mai 2002, la délinquance a baissé de 0,74 %, contre une hausse de 4,8 % entre janvier et avril ?

Plusieurs députés UMP - Les chiffres !

M. Jean-Pierre Blazy - Je reconnais que 2001 a connu un pic de délinquance. Mais en 1999, elle a augmenté de 0,07 % !

M. le Ministre - Et en 2000 ?

M. Jean-Pierre Blazy - Vous avez annoncé la création d'un observatoire national de la délinquance. Mais vous savez que l'instrument de mesure est vicié, ainsi que l'a montré le rapport de MM. Caresche et Pandraud. Les chiffres n'intègrent pas les relevés de main courante, que les commissariats privilégient pourtant sur les dépôts de plainte. Les chiffres officiels sont, en outre, bien loin de la réalité puisqu'une victime sur six seulement porte plainte en cas de dégradation d'un véhicule, et une sur deux pour les cambriolages. Nos concitoyens sont en effet souvent persuadés que leur plainte n'aboutira pas.

En réalité, la délinquance occupe toujours, depuis mai dernier, une bonne place dans les médias. Vous étiez hier à Evry, vous auriez pu être au lycée la Tournelle de la Garenne Colombes, où une enseignante a été poignardée par une de ses élèves, ou dans le Val-d'Oise où le taux de criminalité a augmenté plus que la moyenne nationale. Récemment, le tribunal de grande instance de Pontoise a été incendié, fait sans précédent, et un lycéen a été agressé à la sortie des cours à Gonesse. Et les voitures brûlent toujours...

M. le Président - Monsieur Blazy, veuillez conclure...

M. Jean-Pierre Blazy - La faiblesse de ce texte est qu'il confond ordre et sécurité. Vous abandonnez sans le dire la police de proximité : il n'y a qu'à voir ses effectifs dans le Val-d'Oise ! Ce sont les habitants des quartiers sensibles qui me disent qu'ils en voient de moins en moins.

M. le Président - Il faut conclure, Monsieur Blazy.

M. Jean-Pierre Blazy - Il faut répondre à l'inquiétude et à la colère des habitants de nombreux quartiers fragilisés, qui vivent en effet mal l'insécurité, mais aussi l'exclusion sociale. Or, votre texte ne prend pas assez en compte les aspects sociaux et en dépit du discours, assez nouveau, que nous avons entendu hier de votre part sur la prévention, vous la négligez. Nous n'avions pas besoin d'une loi créant de nouvelles incriminations. Il aurait suffi de mieux appliquer les dispositions de la loi sur la sécurité quotidienne. Le plus important est la présence effective des forces de sécurité sur le terrain, non pas pour des opérations coup de poing télégéniques, mais pour assurer au quotidien, durablement, prévention et dissuasion autant que répression. C'est dans cet esprit que les députés socialistes défendront leurs amendements (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

M. Jean-Christophe Lagarde - M. Blazy vient de nous expliquer, à la suite de plusieurs orateurs hier soir, que toutes les mesures actuellement prises en matière de sécurité sont l'_uvre de M. Vaillant. Que ne lui érige-t-on une stèle au ministère ! Mais comment alors expliquer que la délinquance n'a cessé de croître ou bien encore que les mesures concernant par exemple les deux roues, qui avaient été, paraît-il, adoptées alors qu'il était ministre, n'ont jamais été appliquées ?

Lors du débat sur la LOPSI comme lors du débat budgétaire, vous n'aviez cessé de répéter, à juste titre, que vous jugeriez le ministre sur ses résultats, c'est-à-dire sur les chiffres de la délinquance. Or, aujourd'hui que les résultats sont là, voilà que vous les mettez en doute ! Je ne sais pas si, depuis mai, on voit moins de policiers dans votre circonscription. Toujours est-il que les Français, eux, pensent que ceux-ci sont plus présents sur le terrain et que de ce fait assurément, la progression de la délinquance a ralenti, ce qui d'ailleurs ne saurait suffire. Vous l'avez dit vous-même, Monsieur le ministre, vu l'explosion constatée ces dernières années, elle doit reculer (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP).

Il est rare qu'un texte comme celui que nous examinons aujourd'hui soit aussi attendu par les Français. Loin des milieux parisiens bien-pensants qui vous ont fait entendre toutes sortes de choses ces derniers temps, Monsieur le ministre, je souhaiterais vous livrer une anecdote. Savez-vous ce que me demande désormais, chaque fois qu'elle me rencontre, une habitante d'un quartier difficile de ma commune, seule à travailler dans sa famille, pour un salaire d'ailleurs à peine supérieur au SMIC ? Elle a milité trente-cinq ans au parti communiste et ne peut être soupçonnée de complaisance à l'égard de l'extrême-droite. Elle préside avec dévouement une association de locataires : « Alors, me dit-elle, cette loi sur le squat des halls d'immeubles, c'est pour quand ? » Voilà qui en dit plus que de longs discours et montre bien toute la duperie de ceux qui prétendent que vous voulez faire la guerre aux pauvres. Ceux qui tiennent ces discours, prétendument généreux, ne sont pas pauvres et ne vivent pas dans les quartiers difficiles. Et cette femme, qui exige seulement de l'Etat qu'il rétablisse la sécurité là où elle habite, et lui permette de retrouver une vie normale, ne supporte plus que certains milieux parisiens parlent en son nom.

Votre projet est positif parce qu'il est pragmatique. Quand d'autres se gargarisaient de grands principes et n'hésitaient pas à culpabiliser ceux qui ressentaient un sentiment d'insécurité, vous avez, vous, cherché, à répondre aux difficultés rencontrées sur le terrain par les acteurs de la sécurité.

Quelques exemples. Les halls d'immeubles sont squattés par des individus agressifs. Les forces de l'ordre pourront désormais intervenir et procéder à des interpellations - bien entendu, les personnes en question ne seront pas condamnées à deux mois de prison, ce qui serait assurément excessif (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste). Mais aujourd'hui, les policiers ne peuvent que constater la présence des individus, lesquels les humilient, sans qu'ils puissent faire quoi que ce soit s'ils n'invoquent pas l'outrage. La mesure que vous proposez heurte peut-être quelques beaux esprits qui veulent flatter des bandes de voyous. Nous préférons, nous, prendre la défense de leurs victimes (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP). Même quelques personnalités de gauche, toujours fidèles à Lionel Jospin, commencent à comprendre nos positions. M. Arditi déclarait chez Ardisson la semaine dernière que sans renier ses convictions, il se garderait bien de dire quoi que ce soit contre le ministre de l'intérieur qui « fait le sale boulot ».

La loi Besson n'est pas applicable d'une part parce que les communes ne s'y sont pas conformées, d'autre part parce que les procédures d'expulsion sont trop longues. Résultat : sur le terrain, les commissariats et les gendarmeries en sont réduits à négocier l'envahissement d'un terrain dans une circonscription voisine. Cela est inadmissible, je le dis d'autant plus volontiers que j'ai personnellement respecté la loi. Votre texte permettra enfin d'appliquer la loi de manière équilibrée - en obligeant d'une part les communes à s'acquitter de leurs obligations, et en mettant d'autre part un terme à l'impunité de nomades qui se croient tout permis et vont jusqu'aux injures et aux violences à l'encontre des forces de l'ordre.

D'une manière générale, d'ailleurs, les agressions contre les agents publics ne cessent d'augmenter. Quand il ne s'agissait que des policiers et des gendarmes, personne ne s'en émouvait et l'on n'a commencé à s'émouvoir que lorsque les agressions ont concerné des pompiers, des agents de transports, des agents des services sociaux...

M. Nicolas Perruchot - Des médecins !

M. Jean-Christophe Lagarde - Et aujourd'hui, dans ma commune, on s'en prend aux balayeurs.

Il est bon que, par votre projet, vous cherchiez à faire savoir que, dans ce pays, on n'accepte plus qu'un seul agent public soit insulté et agressé dans les fonctions que la société lui a confiées.

Mais dérangée par votre pragmatisme, une gauche en panne d'idées a choisi de vous accuser de faire la guerre aux pauvres. Nous lui répondons que ce sont les pauvres qui ont le plus besoin d'être protégés et que l'impuissance publique aboutit toujours à l'oppression du plus faible par le plus fort.

La question aujourd'hui n'est pas de savoir si le Gouvernement veut protéger les riches contre les méchants pauvres, comme vous voulez le faire croire, mais si les habitants des quartiers de HLM ont le même droit à la sécurité que les habitants des quartiers protégés. Notre réponse est oui, et c'est pourquoi nous voterons ce texte.

Je répondrai au passage à une observation de M. Braouezec. Dire qu'on ne lutte pas contre la grande criminalité en luttant contre les petits trafics est un non-sens, car la grande criminalité s'alimente aussi des petits trafics.

Dans un même esprit de pragmatisme, Monsieur le ministre, le groupe UDF a déposé une trentaine d'amendements pour répondre à de nouvelles formes de troubles de l'ordre public et donner aux maires davantage de moyens de lutte contre l'insécurité - v_u que nous avions déjà émis à propos de la LOPSI. Nous nous félicitons d'avoir, sur ce point, pu rapprocher nos positions, Monsieur le ministre, et de pouvoir aboutir à une plus grande implication des maires dans ce domaine. Nous proposons notamment que les maires soient informés des moyens mis en _uvre et des résultats obtenus, qu'ils puissent faire intervenir les polices municipales contre l'occupation des halls d'immeubles et pour enlever les épaves qui se multiplient dans nos villes, qu'ils puissent également prononcer des fermetures administratives de commerces qui troublent l'ordre public.

Nous proposons également que l'objet - voiture ou motocyclette - qui a servi à commettre un délit puisse être confisqué.

Nous ferons aussi des propositions au sujet des violences de plus en plus souvent commises dans les avions. Enfin, pour pénaliser ceux qui profitent des difficultés des sans-logements, nous nous rallierons à l'amendement de notre rapporteur.

Oui, Monsieur le ministre, pour 2003, nous souhaiterions que tous les ministres proposent à la représentation nationale des projets de loi aussi concrets, ancrés dans la réalité des Français plutôt que dans les souhaits de leur haute administration !

Nous voterons ce projet en attendant avec impatience que la politique concernant la justice accompagne votre démarche. Car sans une justice efficace, tous vos efforts demeureraient vains. Or les Français ne supportent plus que ceux qui ne respectent pas nos règles de vie en commun s'en sortent mieux que ceux qui les respectent : tel est le message du 21 avril (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP).

M. Guy Teissier - Je regrette moi aussi l'absence de M. Braouezec qui parlait tout à l'heure de « chimères ». Je lui aurais conseillé la lecture d'un quotidien du soir qui montre que, malheureusement, ces « chimères » sont bien réalité. Les professeurs d'un lycée de la Garenne-Colombes y racontent la violence au quotidien.

Ambitieux, inventif, musclé, ce projet de loi vise à lutter résolument contre la délinquance à laquelle nos concitoyens sont quotidiennement confrontés et que nous, élus, ne connaissons que trop bien. Il ne se passe pas une journée sans que l'un de nos administrés ne nous alerte sur un fait délictueux ou sur des délits commis près de son domicile ou sur son lieu de travail. Nous devenons le réceptacle de toutes les peurs et de tous les mécontentements, souvent attisés par une médiatisation à outrance.

Les maires se trouvent trop souvent impuissants face à cette progression de la délinquance. Nous savons tous que les politiques de prévention ne suffisent plus. Certains délinquants refusent la main qui leur est tendue, préférant s'installer dans l'oisiveté et une vie en marge de la loi. Ils s'insèrent dans des microsociétés à l'échelle de la cité ou du quartier, prenant un rôle dans l'économie souterraine et s'excluant ainsi eux-mêmes de la société plus que la société ne les rejette.

Certes notre société souffre de la rupture fréquente du lien social - familles éclatées, maltraitance, échec scolaire, chômage, urbanisme inadapté -, héritage des gouvernements socialo-communistes.

M. André Gerin - Et de la droite !

M. Guy Teissier - Bien souvent aussi, ces jeunes gens portent le lourd héritage de deux ou trois générations sans travail. Mais est-ce une raison pour ne rien faire ou pour tout excuser ? Certains nous expliqueront que ces nouveaux modèles asociaux occupent le vide laissé par la disparition des repères traditionnels et que l'acte délictueux est ressenti comme une affirmation de soi et une marque de liberté. Mais la liberté n'est pas d'empêcher les citoyens honnêtes de vivre tranquillement, de brûler les voitures, de racketter les écoliers ou d'agresser les enseignants !

On nous explique, enfin, que les délinquants seraient les victimes d'une société inégalitaire. Ce discours d'égalisation absolue, qui refuse toute hiérarchie et toute autorité, dans la famille comme à l'école, nous le subissons depuis vingt ans. Mais ni Jaurès, ni Péguy ni Condorcet ne parlaient ainsi ! (Interruptions sur divers bancs).

Vous avez décidé, Monsieur le ministre, d'agir énergiquement pour que tous les Français puissent retrouver confiance et sérénité. La tâche est immense. Votre « activisme » n'en a que plus de mérite et témoigne de votre volonté d'agir avec fermeté, mais discernement, avec rigueur mais aussi justice. A la théorie de l'excuse, des incantations, de l'impuissance, vous préférez la théorie de la responsabilité, de l'action et de l'efficacité. Incontestablement vous avez décidé de vous attaquer aux racines du mal et nous nous en réjouissons.

Les Français vous soutiennent dans cette démarche, qui correspond à leurs attentes. Toutes les dispositions de votre projet s'attaquent à des problèmes réels. Elles visent à améliorer le fonctionnement des forces de sécurité, mais aussi à fournir un arsenal juridique mieux adapté à la protection des personnes et des biens.

Quelques exemples : vous avez décidé d'agir contre la prostitution pour faire cesser cette forme d'esclavage, mais aussi pour mettre fin au trouble à l'ordre public que constitue la présence massive de prostituées sur la voie publique - dans certains quartiers de ma ville, Marseille, elle rend la vie impossible à nos concitoyens. En abordant ce problème avec humanité, mais aussi fermeté, vous apportez une réponse concrète à un problème bien réel.

Vous avez décidé d'agir contre l'occupation permanente de certains halls d'immeubles par des groupes qui ont des comportements agressifs et s'adonnent à des trafics en tous genres : ceux d'entre nous qui ont des cités dans leur circonscription savent l'exaspération et la crainte que suscitent ces regroupements chez les honnêtes citoyens.

Vous voulez aussi permettre la confiscation des véhicules de certains délinquants, qui s'affichent dans des voitures haut de gamme, alors qu'ils ne déclarent pas de revenus. Ces véhicules pourront être mis à la disposition des services d'enquête : c'est une mesure juste.

Vous avez décidé de sanctionner sévèrement les délinquants qui insultent et agressent les forces de l'ordre, les pompiers, les conducteurs de transports collectifs. J'ai déposé un amendement visant à y ajouter les surveillants de prison et je vous remercie de l'avoir accepté.

Les dispositions de ce projet sont justes, de bon sens et profondément humaines. Elles réaffirment les limites entre ce que notre société peut accepter et ce qu'elle ne peut pas accepter. Vous avez pris en considération l'appel lancé le 21 avril dernier par tous ces Français moyens qui en ont assez d'être humiliés, écrasés par une société arrogante. Pour eux, vous avez raison de n'écouter que votre c_ur et vos convictions, ignorant tous ces bien-pensants qui s'indignent à la moindre situation de détresse, mais qui n'échangeraient pour rien au monde leur place confortable contre celle d'un smicard vivant dans une HLM bruyante et peu sûre. Vive l'humanisme !

M. André Gerin - Vive le libéralisme !

M. Guy Teissier - Vive l'humanisme ! Je voterai ce texte sans états d'âme (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme Martine David - La déclaration des droits de l'homme et du citoyen dispose que la propriété et la sûreté sont, au même titre que la liberté, « des droits imprescriptibles » (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP). Plus que jamais tous ces droits doivent être garantis par la puissance publique. En effet, l'insécurité et l'angoisse qui pèsent sur nos concitoyens, surtout sur les plus modestes, sont intolérables et on ne peut accepter que ces problèmes ne soient pas pris en compte (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). En tant qu'élue d'une circonscription urbaine subissant durement la délinquance malgré vos annonces de statistiques meilleures, j'estime qu'il est de ma responsabilité, de notre responsabilité de représentants de la nation, d'_uvrer pour la tranquillité d'esprit et la protection de nos concitoyens.

Cette préoccupation fait d'ailleurs partie depuis longtemps, contrairement à certaines descriptions caricaturales, des priorités des responsables politiques successifs. Le gouvernement précédent s'est engagé avec détermination dans le traitement de ces problèmes. Je rappellerai simplement la création de la police de proximité et de la justice de proximité, dotées de moyens budgétaires importants, auxquels la majorité actuelle s'était d'ailleurs opposée. Il ne faut pas renier cela, ce serait tomber dans la caricature.

Mme Sylvia Bassot - C'est vous, la caricature !

Mme Martine David - Restez correcte, je vous en prie !

M. Yves Fromion - Le problème, c'est que les résultats n'ont pas été au rendez-vous !

Mme Martine David - Nous avons également adopté des lois relatives au régime des armes, aux infractions sexuelles, à la protection des convoyeurs de fonds.

La loi sur la sécurité quotidienne, votée il y a un an, a ouvert de nouvelles pistes. Nous avons aussi mis en _uvre un véritable accompagnement des victimes, avec l'ouverture de lieux d'accueil disposant d'un personnel compétent.

Aujourd'hui, Monsieur le ministre, vous voulez mener cette lutte contre la délinquance d'une autre manière, c'est votre droit.

Pour autant, vous comprendrez que nous soyons en désaccord avec la philosophie générale du projet. Nous ne pouvons pas vous suivre quand vous affaiblissez l'autorité judiciaire, quand vous stigmatisez la misère ou quand vous ouvrez la voie au fichage « tous azimuts ». Nous avions des réponses différentes, il aurait fallu les amplifier, les approfondir, voire les corriger sur certains points, car je reconnais que nous n'avons pas toujours eu des résultats à la hauteur des problèmes (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Je crains, Monsieur le ministre, que votre projet n'apporte pas de réponses efficientes aux problèmes. Certaines d'entre elles sont même dangereuses. Au-delà de la désignation de boucs émissaires, je remarque surtout le caractère parcellaire et déséquilibré du projet. Parcellaire, car il ne traite par exemple pas de la criminalité liée à l'utilisation d'Internet, ni de la délinquance économique et financière, qui est au moins aussi dangereuse et coûteuse pour notre pays que des délits plus visibles. Déséquilibré, car il fait disparaître la justice de l'_uvre de sécurité collective, au seul profit de la police. Or, une société fondée exclusivement sur la répression tend dangereusement vers l'autoritarisme.

Plusieurs articles renforcent les pouvoirs des forces de l'ordre sans les assortir des nécessaires garanties sur les libertés publiques. Je pense en particulier aux articles 6, 7 et 9. Ce texte minimise, voire ignore la responsabilité du procureur et le rôle du juge dans la lutte contre la délinquance. L'équilibre déjà précaire entre magistrats de l'instruction et forces de l'ordre se trouve aussi bouleversé. Les Français ne demandent pas, Monsieur le ministre, une police toute puissante et incontrôlable...

Je m'inquiète également des articles qui risquent de porter atteinte aux libertés individuelles. Je pense notamment à ceux relatifs aux fichiers et je m'appuie sur l'avis de la CNIL - que vous avez ignoré. Ce n'est pas l'existence de fichiers que nous contestons mais la manière dont ils peuvent être mis en place et utilisés. Il nous semble impératif de préciser la nature des infractions susceptibles de donner lieu à une inscription dans le fichier, l'âge à partir duquel un individu peut y figurer et sous quel contrôle l'OPJ peut décider d'y intégrer des données personnelles. Je m'inquiète notamment de l'arbitraire qui autorise le terme « clauses plausibles » et de l'absence de contrôle par un juge. Il me paraît par ailleurs nécessaire de préciser quels utilisateurs auront accès à ces fichiers, dans quelle mesure ces derniers peuvent être croisés et pour quelle durée les individus y sont inscrits.

Certains articles - je pense notamment aux articles 17 et 24 - répondent de façon tout à fait inadaptée à des problèmes fondamentaux tels que la prostitution et l'esclavage moderne. L'ensemble témoigne d'une légèreté confondante. Comment imaginer en effet que la question de la prostitution ou celle de la mendicité forcée puisse être résolue en quelques articles d'une loi sur la sécurité intérieure ?

Nous nous efforcerons d'être constructifs, Monsieur le ministre, au cours de ce débat, car nous refusons l'instrumentalisation à des fins politiques du thème de l'insécurité. Notre seule volonté est de promouvoir des réponses opératoires aux angoisses de nos concitoyens, car nous aussi, élus de gauche, sommes confrontés à la délinquance. Mais nous, nous plaçons sur un même plan la lutte pour la sécurité des personnes et des biens et celle pour l'emploi, la croissance et la réduction des inégalités. Nous pensons en effet que la priorité à la sécurité ne peut pas être efficace si d'autre part on délaisse la lutte contre l'exclusion.

J'en appelle à tous ceux qui, comme moi, sont bouleversés par chaque agression et chaque acte de violence gratuite. L'enjeu me semble être aujourd'hui de concilier les exigences du combat pour la dignité et pour la responsabilité. Ce sont les valeurs sur lesquelles nous fonderons nos propositions (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

M. Nicolas Perruchot - Je vous remercie, Monsieur le ministre, de proposer des solutions pragmatiques et humaines aux problèmes quotidiens de sécurité que nous rencontrons dans nos circonscriptions, qu'elles soient rurales ou urbaines.

L'ambition de ce projet est grande, puisqu'il s'agit de garantir enfin à nos concitoyens les plus modestes - qui vivent dans des quartiers déshérités où pas un d'entre nous ne voudrait vivre - leurs droits les plus élémentaires. Le premier des droits est en effet le droit à la sécurité, car sans celle-ci il ne peut y avoir de vie libre, encore moins heureuse.

Comment s'étonner que les banlieues dangereuses soient devenues des foyers de l'extrême-droite ? Ce que nous essayons de faire aujourd'hui, c'est de répondre efficacement, humainement et démocratiquement à l'inquiétude qui est à l'origine du vote du 21 avril 2002. J'espère que l'opposition s'associera à cette démarche, étant entendu que le Gouvernement ne propose pas autre chose que de supprimer la première des inégalités sociales, à savoir l'insécurité. Je le vois tous les jours dans ma circonscription : ce sont les plus pauvres qui sont les plus touchés par les agressions et menaces.

Que l'on ne nous accuse pas de porter atteinte aux droits de l'homme, alors que le premier d'entre eux, celui qui fonde tous les autres, c'est la sécurité : voyez la Déclaration des droits de l'homme et la Déclaration universelle des droits de l'homme. A force de penser que l'Etat était la première menace pour les individus, certains ont oublié que des individus pouvaient constituer une menace pour d'autres. Ce n'est que dans une société où toute violence entre les individus aurait disparu que l'Etat, ce monstre froid, pourrait constituer la principale menace. Nous ne vivons pas dans un tel monde...

Nous approuvons donc les trois axes de ce projet : adaptation de la législation aux nouvelles formes de délinquance et de criminalité, rénovation des procédures existantes et amélioration de l'efficacité des forces de l'ordre.

Les nouvelles qualifications prévues par ce texte donneront aux policiers les moyens d'agir. Il fallait réagir aux entraves à la circulation et aux menaces dans les immeubles qui pourrissent la vie de nos concitoyens. Nous souhaitons d'ailleurs élargir le champ de l'article qui en traite aux bâtiments publics et aux commerces. Il fallait sanctionner l'occupation illégale de terrains communaux ou privés et nous voulons donner tout son sens à cette mesure en accordant aux petites communes la possibilité de transférer le coût de la procédure judiciaire sur la collectivité nationale, en saisissant le préfet. Il fallait, enfin, réagir face à l'explosion de la prostitution et au développement d'une forme extrêmement violente du proxénétisme. Nous soutenons la pénalisation de la prostitution, car elle seule peut permettre de lutter efficacement contre les réseaux mafieux. Nous attendons en contrepartie un renforcement des possibilités de réinsertion des prostituées et nous défendons un amendement en ce sens. A titre personnel, je souhaiterais aussi que l'on se penche sur le problème des mariages blancs, qui font aujourd'hui l'objet d'un véritable trafic.

Nous proposerons un renforcement des pouvoirs du maire pour les délits et les troubles à l'ordre public relevant de la police de proximité. En tant qu'élu local, je tiens à dire ma satisfaction que le maire soit enfin reconnu pour ce qu'il est, à savoir l'interlocuteur privilégié de nos concitoyens et un acteur central de la sécurité en tant que chef de la police municipale.

L'efficacité de la politique de sécurité dépendra en grande partie de la rénovation des procédures judiciaires - recentrage du juge sur les affaires prioritaires, amélioration de la protection des victimes, diminution du coût d'accès à la justice, notamment pour les petites communes.

Au total, ce texte va dans le bon sens. Le groupe UDF apportera sa pierre à l'édifice, en espérant que sa voix sera entendue (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP).

M. Émile Zuccarelli - En cinq minutes, je me contenterai de vous donner mon sentiment général et d'insister sur deux points particuliers.

Mon sentiment général, c'est que le droit à la sécurité pour tous doit en permanence être affirmé, tant il est vrai que ce sont nos concitoyens les moins privilégiés qui subissent l'insécurité au quotidien. La criminalité et la délinquance augmentent inexorablement depuis des lustres. Il faut inverser la tendance, c'est impératif.

Le dire ne signifie évidemment pas que l'on néglige la réflexion et l'action sur les problèmes sociaux générateurs de délinquance. Mais il faut sortir de l'opposition, surréaliste, entre prévention et répression car, je le dis tranquillement de cette tribune, il ne peut y avoir de politique de prévention qu'adossée à une politique de répression et de sanction, et crédibilisée par celle-ci (« Très bien ! » sur quelques bancs du groupe UMP).

De ceci, d'ailleurs, nous sommes de plus en plus nombreux à convenir. Sous la précédente législature, le Gouvernement avait d'ailleurs pris un certain nombre de dispositions qui allaient dans le bon sens pour les effectifs des forces de l'ordre et pour la police de proximité.

Je souhaite sincèrement, Monsieur le ministre, que vous réussissiez à faire reculer l'insécurité, mais certains de ceux qui vous soutiennent ici devraient attendre que votre action ait produit quelque effet pour donner de cinglantes leçons et s'adonner à la caricature.

Si des initiatives législatives peuvent donner plus d'efficacité à l'action publique, je ne m'y opposerai pas. Bien sûr, cela doit s'accompagner de garanties pour le citoyen en termes de protection des libertés individuelles, de droits de la défense et de déontologie des forces de l'ordre. Mais, l'insécurité étant gravement attentatoire à la liberté, un équilibre doit être respecté. On doit faire preuve dans ce domaine de vigilance, pas de frilosité.

La possibilité offerte aux policiers et aux gendarmes de fouiller les coffres de voiture, loin de me paraître liberticide, est pertinente et nécessaire. C'est une mesure pouvant permettre aux forces de police et de gendarmerie de lutter contre le transport d'armes et d'engins explosifs ou de drogue. Je ne peux pas demander à l'Etat de lutter en Corse contre les poseurs de bombes et refuser une telle mesure (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP).

Quand les choses me conviennent, je le dis.

M. Gérard Léonard - C'est une attitude honnête.

M. Émile Zuccarelli - Cette disposition contribuera en outre à « désanctuariser » l'automobile. Le caractère inviolable de la voiture n'est pas l'une des caractéristiques les plus efficaces de notre droit. Au contraire, elle crée un rapport psychologique dangereux, rapprochant le statut de l'automobile de celui du domicile particulier. Cet amalgame est sans doute à l'origine de comportements insupportables de très nombreux automobilistes et des piètres performances de la France en matière de sécurité routière.

M. Jean Leonetti - Très bien !

M. Émile Zuccarelli - J'ai quelques réserves à faire, à propos de la prostitution. J'ai bien cru comprendre qu'il ne s'agissait pas de l'interdire. Ce serait satisfaisant peut-être pour la morale mais hypocrite comme le fut la prohibition aux Etats-Unis, pour le plus grand bénéfice des voyous en tout genre.

En revanche, il faut dire que les prostitués sont, dans leur immense majorité, les victimes de la pire exploitation et très souvent des pires violences, et mener en conséquence une lutte impitoyable contre le proxénétisme sous toutes ses formes. Or, ce projet, à travers l'incrimination bien floue de « racolage passif », va frapper les prostitué(e)s, qui sont des victimes, et éventuellement leurs clients qui sont souvent, eux aussi, des victimes de la solitude et pas assez les proxénètes. Je sais que vous êtes attentif au démantèlement des réseaux en provenance de l'étranger. Mais tout ne saurait être réduit à cela.

Par ailleurs, aurez-vous réellement les moyens de protéger les prostitués qui accepteront de témoigner ? Il conviendra, au moins, de renforcer considérablement les peines à l'encontre de ceux qui tenteront d'empêcher le témoignage, ou qui exerceront des violences à titre de représailles.

Telles sont mes réflexions à l'orée d'un débat où il conviendra, article après article de tenir la ligne de recherche d'efficacité qui sous-tend le texte, mais en évitant tout dérapage dangereux pour nos valeurs (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP et du groupe UDF et sur quelques bancs du groupe socialiste).

M. Marc Le Fur - Ces cinq dernières années se caractérisent par l'accroissement de la délinquance mais aussi par une baisse du taux d'élucidation, tombé de 36 % en 1991 à 24 % en 2001. Ce phénomène est lié au découragement des policiers...

M. François Goulard - C'est vrai !

M. Marc Le Fur - ...qui font un travail très difficile et qui doivent sentir le soutien de l'opinion. Il est lié aussi à l'alourdissement de la procédure pénale et à l'insuffisance des moyens de la police. Parmi ces moyens, je veux insister sur la police scientifique. C'est un sujet qui pourrait nous rassembler : Pierre Joxe en fut un pionnier, avant Charles Pasqua et vous-même, Monsieur le ministre.

M. Gérard Léonard - Jean-Louis Debré aussi...

M. Marc Le Fur - Sur 4 millions de crimes et délits, seuls 250 000 donnent lieu à un transport sur place des forces de police ou de gendarmerie. C'est très peu en termes d'efficacité comme à l'égard de victimes qui ont le sentiment que tout s'arrête une fois qu'elles ont déposé plainte.

M. François Goulard - Très juste !

M. Marc Le Fur - Il est affligeant que nous n'utilisions pas davantage les ressources de la science, qui doit être considérée comme un auxiliaire de justice. Cela m'amène au fichier des empreintes génétiques.

En ma qualité de rapporteur du budget de la sécurité, je me suis rendu à Ecully, où j'ai pu vérifier la détermination des policiers mais constater aussi que 2 000 personnes figurent dans ce fichier, alors que les Anglais en sont à 1,7 million. Il est dommage de ne pas utiliser davantage un outil dont le rapport de notre collègue Cabal montre l'efficacité. A partir d'une simple trace de salive sur une cigarette, on peut désormais identifier quelqu'un. On peut aussi agir vite, dans les limites de la garde à vue. Encore faut-il utiliser ce moyen.

Les réticences tiennent sans doute au fait que les mots « fichier » et « génétique » sont chargés de peurs et de fantasmes. C'est pourquoi le politiquement correct a jusqu'ici prévalu sur la justice, sur la vérité et sur les moyens de la police. Il a fallu attendre les initiatives de nos collègues Marsaud, Léonard, Estrosi pour qu'enfin on se penche sur cette question. La loi du 17 juin 1998 a permis d'esquisser un fichier national, mais bien trop restreint puisqu'on l'a limité aux seuls crimes sexuels.

On l'a aussi limité aux personnes condamnées. Il ne peut donc servir qu'à identifier des récidivistes. La loi « sécurité quotidienne » du 15 novembre 2001 a certes ouvert une petite brèche, en étendant le fichier à d'autres crimes, mais il faut aller beaucoup plus loin.

Ce texte le permet en étendant ce fichier à tous les crimes ainsi qu'aux délits associés à des actes de violence. Il est fréquent qu'une information recueillie à l'occasion d'une affaire modeste se révèle très utile à la manifestation de la vérité dans une grosse affaire. Ainsi, c'est une empreinte digitale relevée lors d'un simple vol de voiture qui a permis de prouver la présence de Kelkal à bord du TGV en 1995.

Ce texte étend également le fichier aux personnes qui font l'objet d'une procédure. C'est indispensable pour permettre, au cours de l'enquête, de rapprocher des affaires distinctes, dans des juridictions différentes.

Du reste, je veux rappeler aux éternels pétitionnaires que ce fichier peut aussi servir à disculper, on l'a vu dans l'affaire Dickinson.

M. Yves Fromion - Tout à fait !

M. Marc Le Fur - Enfin, rappelons que les personnes qui ne seront pas condamnées à l'issue de la procédure seront systématiquement sorties du fichier et que la traçabilité de celui qui demande une information sera assurée. Ne nous privons donc pas de l'apport de la science !

Je me réjouis, Monsieur le ministre, de l'annonce que vous avez faite à propos de l'observatoire de la délinquance. J'avais déposé un amendement en ce sens en juillet dernier.

Mais la mesure de l'activité de la police doit être légèrement distincte de la police elle-même. L'IHESI réunit toutes les caractéristiques pour ce faire. Comme le préconisent nos collègues Caresche et Pandraud, les parlementaires doivent être associés à cet observatoire : il est légitime que notre contrôle de l'action du Gouvernement nous amène à vérifier l'efficacité de l'action policière.

Au-delà de la mesure des faits, l'observatoire doit pouvoir apprécier le taux d'élucidation mais aussi le taux de jugement, car il n'y a rien de plus irritant pour les policiers comme pour les victimes que de constater qu'une affaire élucidée donne lieu à un classement sans suite. Il faudra aussi s'intéresser à l'application de la peine. Mme Lebranchu reconnaissait elle-même que, dans un tiers des affaires, la sanction n'est jamais appliquée.

Il reste beaucoup à faire mais vous avez eu, Monsieur le ministre, l'immense mérite de faire avancer les choses, de sortir le débat de l'impasse. Il y a encore quelques mois, nous étions tous engoncés dans le fatalisme des politiques, dans le sentiment d'abandon dont souffraient policiers et gendarmes, dans le désespoir qui gagnait l'opinion. Merci pour cette leçon de détermination (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Arnaud Montebourg - La République ressemble à nos anciennes institutrices : elle peut être sévère et ferme à condition d'être juste. La justice est le sentiment que chacun, en ce pays, peut être entendu et respecté, et a droit à une chance. De ce point de vue, Monsieur le ministre, lorsque vous réclamez l'application de la loi, toute la loi, rien que la loi, nul ne peut vous en faire le reproche. J'ai, moi aussi, exigé que la loi s'applique à tous, et en particulier à l'égard d'illustres délinquants à col blanc, pour lesquels l'administration judiciaire se montrait étrangement clémente. Sans esprit de polémique... (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

M. Yves Fromion - Ce n'est pas votre genre !

M. Arnaud Montebourg - Je voudrais citer l'appel des juges européens, signés notamment par M. Van Ruymbeke, Mme Joly, M. Baltasar Garzon : « Des circuits occultes empruntés par des organisations délinquantes et criminelles se développent en même temps qu'explosent les échanges financiers internationaux pour recycler l'argent de la drogue, du terrorisme, des sectes, de la corruption, et des activités mafieuses. Certaines personnalités, et certains partis politiques eux-mêmes ont, à diverses occasions, profité de ces circuits. Les autorités politiques se révèlent incapables de s'attaquer clairement à cette Europe de l'ombre ».

Votre texte ignore ces questions, et préfère accroître la répression contre certaines catégories sociales - les prostituées, les gens du voyage, les occupants occasionnels de halls d'immeubles, et même les mendiants. Quid de la grande délinquance d'affaires internationales ou de la corruption du monde économique ? Réclamer l'impunité zéro n'a de sens que si l'on se l'applique à soi-même.

Le cheminement de votre politique fait penser à ce qu'il y a de plus détestable en Silvio Berlusconi : amnistie pour l'argent sale placé hors d'Italie, reprise en main des juges pour entraver leur travail, affairisme au sommet, violence autoritaire en bas. C'est ainsi que l'on brise le contrat républicain. M. le président de la commission des lois sourit, non pas d'acquiescement, mais peut-être d'incertitude (Sourires).

M. le Ministre - Quel jugement pour les héritiers de Mitterrand !

M. Arnaud Montebourg - Croyez-vous que ceux auxquels l'on ne pardonnera pas le plus petit écart ne s'indigneront pas de l'impunité accordée à des plus puissants ?

M. Jean Leonetti - Surtout depuis 1981 !

M. Arnaud Montebourg - Vous avez décidé d'aggraver la répression, en créant de nouvelles infractions pénales et de nouvelles règles relatives à la procédure pénale, sans vous poser la question des contrepoids. D'autres députés, hier dans l'opposition, MM. Devedjian, Houillon, Blessig, Albertini, regrettaient il y a quelques années, que l'avocat ne soit pas toujours présent au cours de la garde à vue, car il était le meilleur rempart contre certaines pratiques indignes. M. Devedjian rappelait d'ailleurs les 246 constats de violations des droits de l'homme par la Cour européenne. Ils se plaignaient déjà d'abus dans un Etat pourtant beaucoup plus protecteur que celui dont vous accouchez. L'équilibre entre l'objectif de répression pénale et la nécessité de contrepoids pour éviter tout arbitraire doit demeurer la préoccupation essentielle du législateur. Tout homme disposant de tous les pouvoirs est naturellement porté à en abuser, telle est la leçon des pères fondateurs de la République.

Relisez les philosophes des Lumières !

Votre texte ne garantit pas suffisamment les citoyens contre les excès. En matière de garde à vue, le contrôle de l'avocat est en voie de disparition, en matière de perquisition domiciliaire, le contrôle du juge d'instruction tend à disparaître. Les policiers auront les mains libres sous la direction d'un procureur que vous pouvez contrôler. Où sont les contre-pouvoirs ? Quid de l'exigence constitutionnelle relative au contrôle de la sincérité des preuves ? La loi n'est pas faite pour châtier des innocents, mais pour sanctionner les coupables.

M. Jean Leonetti - Vous devriez sortir de votre cabinet d'avocats de riches !

M. Arnaud Montebourg - Vous avez cherché, Monsieur le ministre, à équilibrer votre discours, en promettant de sanctionner chaque dysfonctionnement ou bavure. Aussi permettez-moi de vous faire part du communiqué du syndicat CFDT d'Air France, du 7 janvier, à propos du décès d'un passager expulsé de notre territoire, à bord d'un avion de cette compagnie.

M. le Ministre - C'est inadmissible ! C'est une insulte à l'encontre des policiers !

M. Arnaud Montebourg - Il en ressort que les brutalités policières à l'encontre de personnes reconduites à la frontière ne sont pas rares (Protestations sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). Par ailleurs, Maître Daniel François, avocat à la Cour, a dénoncé dans une lettre adressée au bâtonnier de l'ordre des avocats de Paris, le 3 janvier dernier, les violences policières dont il a été victime au commissariat d'Aulnay-sous-Bois.

Plusieurs députés UMP - C'est du Guigou !

M. Arnaud Montebourg - Enfin, hier soir, Monsieur le ministre, vous nous avez mis au défi de relever dans vos déclarations quelque propos contraire aux valeurs de la République. J'en citerai un, relatif à la prostitution : « tous les droits-de-l'hommistes de la création passent devant la porte de Saint-Ouen en disant « Mon Dieu les pauvres ! » puis s'en vont dîner en ville ».

M. le Ministre - C'est juste.

M. Arnaud Montebourg - Cette phrase, qui ridiculise les « droits-de-l'hommistes », est inacceptable. Combien sont morts pour défendre les droits de l'homme, notion qui recouvre aussi bien la sûreté que la lutte contre l'arbitraire ? L'arbitraire peut aussi être le fait des institutions ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). Les « droits-de-l'hommistes » que vous insultez, ce sont aussi vos ancêtres politiques. Le gaullisme de la résistance n'était-il pas la restauration des droits de l'homme contre l'idéologie vichyste, aujourd'hui réhabilitée par le lepénisme ? (Protestations sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF ; applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. le Ministre - Permettez-moi de répondre immédiatement à M. Montebourg qui, peu assidu aux séances de l'Assemblée, risque de ne plus être là tout à l'heure (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Prenez garde de ne pas utiliser le même procédé, particulièrement odieux, que Mme Guigou il y a peu : dans une affaire non tranchée par la justice, livrer à la vindicte populaire, sur la base d'un témoignage non vérifié, des fonctionnaires qui n'ont pas le droit de répondre et sont victimes de personnalités qui aiment, comme vous, se faire de la publicité, fût-ce au détriment de leurs concitoyens. Tout comme vous, je suis avocat, et certainement meilleur, car je ne donne pas autant de leçons, mais permettez-moi de vous en donner une belle : en vous servant d'un document que nul n'a vérifié, vous prenez en otage de querelles politiques des personnes qui, avec un petit salaire, font leur travail. Quel bel exemple de défense des droits de l'homme ! Prendre à parti des gens qui ne peuvent se défendre est contraire à l'image que nous devrions donner. Beaucoup de vos collègues politiques, qui vous connaissent bien, ont cette image de vous, et moi qui vous connais peu, mais vous ai entendu, je partage leur opinion (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Bruno Le Roux - Il est d'usage que le ministre réponde à la fin des interventions, même s'il a le droit de le faire à n'importe quel moment.

M. le Ministre - J'ai été pris à parti !

M. Bruno Le Roux - Mais sur le fond, je n'ai pas entendu de réponse aux arguments de M. Montebourg. Je n'ai entendu qu'une mise en cause, et des plus graves (Protestations sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF) au regard de la liberté de chacun de s'exprimer à la tribune. Je vous demande donc une suspension de séance pour réfléchir à cet événement et reprendre la discussion sur des bases plus sereines.

M. le Président - Le ministre peut intervenir quand il le souhaite. Vous avez donné votre opinion dans un rappel au Règlement, et l'incident est clos. Quant à la suspension, elle est de droit.

La séance, suspendue à 18 heures 30, est reprise à 18 heures 35.

M. Thierry Mariani - La sécurité est un des droits les plus fondamentaux de nos concitoyens : cette affirmation a été prononcée des centaines de fois par les tenants de tous les bords politiques. Elle a été brandie par l'actuelle opposition pendant la campagne présidentielle, sans toutefois leurrer les électeurs, qui connaissent bien la différence entre énoncer un principe et le mettre en _uvre. Il ne suffit pas d'en faire un point de son programme et d'affirmer qu'on a compris les Français pour avoir des résultats ! Et, après avoir entendu M. Montebourg, j'ajoute qu'il ne suffit pas de parler de la délinquance internationale et de prétendues brutalités policières en oubliant le quotidien vécu par les Français...

Ceux-ci vous ont sanctionnés le 21 avril, pour mettre un terme à la naïveté coupable qui avait prévalu pendant cinq ans, et ils ont recommencé à l'occasion des législatives. L'actuel gouvernement, lui, se tient au programme qu'il a énoncé. En juillet, nous étions déjà au travail : nous avons voté une loi de programmation sur la sécurité intérieure qui donnait de nouveaux moyens à la police et à la gendarmerie et prévoyait des recrutements massifs, pour leur permettre d'agir et compenser une fois de plus l'effet des 35 heures. Vous nous affirmiez alors que le texte était trop général et vous y cherchiez des mesures concrètes.

Contrairement à ce dont vous aviez l'habitude, nous avons tenu le cap : après avoir énoncé des principes, nous les avons appliqués. Le budget a été sensiblement augmenté, mais nous avions compris que cela ne suffirait pas à enrayer la spirale de la délinquance. Les effets de cette nouvelle politique se voient déjà dans les chiffres les plus récents, même s'ils doivent encore être confirmés. Le fait est que la hausse de l'insécurité ne paraît plus inéluctable.

Toujours pour appliquer les principes énoncés cet été, le Gouvernement nous demande aujourd'hui de mettre en place les instruments juridiques nécessaires. Je soutiens sans réserves les orientations de ce projet de loi équilibré et efficace, qui est en mesure de restaurer enfin l'autorité de l'Etat et de protéger les citoyens. Ces mesures répondent à un seul critère : celui du réalisme, que le ministre et le rapporteur ont appliqué en allant sans relâche sur le terrain.

Ce principe de réalisme nous invite à en finir avec la culture de l'excuse. Depuis vingt ans, la gauche plurielle rêve d'un modèle préventif permettant d'éviter toute répression. La grande habileté du diable, c'est de faire croire qu'il n'existe pas, que l'individu ne doit pas être puni et que la société est responsable de tout. On mesure aujourd'hui les dégâts de cette utopie. Il faut dorénavant se donner les moyens de protéger notre population contre les voyous qui ont été si longtemps ménagés. La culture de l'excuse n'a eu pour résultat que de terroriser la société, paralyser la justice et la police et désespérer les victimes, qui n'osaient même plus porter plainte. Elle a été le terreau de ces réseaux parallèles et de ces petits caïds qu'il faut enfin éliminer. Le présent texte nous permettra à la fois d'améliorer la recherche des auteurs de délits, de moderniser notre droit et de renforcer l'autorité et la capacité des agents publics.

Les maires que nous sommes connaissent bien les nombreuses atteintes qui peuvent être portées jour après jour à la sécurité et donc à la liberté de nos concitoyens, perturbant leur vie quotidienne et l'éducation de leurs enfants. L'accroissement considérable de la délinquance bouleverse la vie de chacun, dans les villes et dans les campagnes. Elle n'épargne ni les domiciles, ni les commerces, ni les écoles, ni même les hôpitaux.

Les maires ont assisté à l'augmentation statistique des crimes et délits, mais aussi à celle des atteintes à la tranquillité publique. Dans ma circonscription du Haut Vaucluse, des associations m'interpellent régulièrement parce que des personnes âgées n'osent plus sortir de chez elles. Bien sûr, certains membres de l'opposition vont disserter sur la différence entre insécurité et sentiment d'insécurité...

M. Manuel Valls - Vous datez !

M. Thierry Mariani - Vous l'avez fait pendant des années ! Il est vrai que pour la gauche mondaine que vous représentez...

M. Manuel Valls - Je vous en prie !

M. Thierry Mariani - ...l'insécurité n'est qu'un sentiment diffus.

M. Manuel Valls - Je ne fais pas de mondanités en Irak !

M. Thierry Mariani - Pour la gauche mondaine, l'insécurité est un sentiment d'autant plus diffus qu'elle vit éloignée de nos concitoyens qui la subissent au quotidien. Pour notre part, il ne nous semble pas inutile de lutter contre des phénomènes ne paraissant anodins qu'à ceux qui, coupés du réel, ne les vivent pas au quotidien.

Je vous remercie Monsieur le ministre, d'avoir dépassé un débat stérile, et choisi d'agir sur les deux aspects. Que la peur de l'agression soit réelle ou imaginaire, il n'est pas admissible que la liberté d'aller et venir d'une partie de nos concitoyens soit restreinte par l'explosion de la délinquance, en particulier de voie publique.

Pour ce qui est des gens du voyage, je prendrai un exemple dans ma circonscription. En avril 2001, j'ai interpellé M. Vaillant, alors ministre de l'intérieur, sur le fait que, tous les ans, malgré l'existence à proximité d'une aire d'accueil pour les gens du voyage, une quarantaine de caravanes s'installaient en toute illégalité dans le parc des expositions de la foire de la principale ville de ma circonscription. En juillet, 2001, celui-ci m'a répondu que, cette commune ayant rempli ses obligations, il revenait au maire de prendre un arrêté interdisant les stationnements en-dehors des aires d'accueil et que cet arrêté pris, le maire pouvait, en cas de stationnement illicite, saisir le président du tribunal de grande instance pour faire ordonner l'évacuation. Bref, une procédure civile particulièrement longue et peu efficace même si l'article 9 de la loi du 5 juillet 2000 permet de demander un référé.

En outre, il reste ensuite à obtenir du préfet les moyens humains permettant d'exécuter la décision de justice, et ce, avant que les occupants ne soient repartis saccager plus loin un nouveau terrain.

Les maires ni les propriétaires privés n'en peuvent plus de voir envahir leur propriété par des personnes qui détruisent leurs plantations et leurs clôtures, se branchent sur leurs compteurs électriques ou leur bouche d'eau, salissent, ravagent, puis repartent avec leurs caravanes et leurs véhicules, parfois rutilants, pour revenir quelques mois après, quant tout aura été réparé.

Cet été, lors de l'examen de la LOPSI, vous nous aviez promis, Monsieur le ministre, des mesures concrètes, notamment l'octroi de nouveaux moyens juridiques. Je constate avec satisfaction que vous avez tenu cette promesse. Aussi étonnant que cela soit, il n'existe pas, aujourd'hui, dans le code pénal d'incrimination délictuelle pour les faits consistant à s'installer sans l'autorisation du propriétaire sur un terrain en vue d'y établir une habitation.

L'article 19 de votre texte crée un délit spécifique qui permettra de sanctionner de six mois d'emprisonnement et de 3 750 euros d'amende, ainsi que de saisir le véhicule, pour toute occupation non autorisée d'un terrain appartenant à autrui.

Les opposants à votre projet - les mêmes d'ailleurs qui n'ont pas su gérer ce problème par le passé - tentent de faire croire que ce texte stigmatise une partie de la population. S'il stigmatise quelqu'un, ce n'est que la proportion des gens du voyage qui trouvent plus confortables de s'installer où bon leur semble, de violer la propriété privée et publique alors que les communes leur aménagent des aires d'accueil. Ce texte ne vise en aucun cas à empêcher les gens du voyage de vivre comme ils l'ont désiré : il vise seulement à préserver le droit de propriété.

Il prévoit deux peines complémentaires : la suspension du permis de conduire pour une durée de trois ans au plus et, le cas échéant, la confiscation du véhicule ayant servi à commettre l'infraction. Les élus locaux, en particulier les maires, sont très sensibles à ce renforcement des sanctions et notamment à la possibilité de saisir les véhicules. L'interdiction de confisquer les véhicules destinés à l'habitation, introduite par le Sénat, comporte néanmoins des risques. En effet, il est fort probable que dans ces conditions les gens du voyage achètent des camping-cars. J'aurai l'occasion de présenter des amendements à ce sujet.

En conclusion, je vous remercie encore de la qualité de ce projet de loi sur lequel vous avez notre entier soutien.

Elément majeur de la restauration de l'autorité républicaine, il sera le signal d'une remise en ordre qui rassurera notre population et inquiétera, comme il se doit, les délinquants (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

Mme Marylise Lebranchu - Monsieur le ministre, vous nous avez appelé hier soir à nous écouter les uns les autres au cours de ce débat. Or, je dois avouer que le ton des interventions de votre majorité, tant hier soir que cet après-midi, m'a choquée - et votre intervention elle-même, Monsieur le ministre, m'a choquée. Vous semblez dire en effet que nous n'aurions rien fait en matière d'insécurité par choix délibéré...

M. Pierre Cardo - Par idéalisme !

Mme Marylise Lebranchu - ...comme s'il y en avait parmi nous qui aimeraient la délinquance, qui considéreraient la prostitution comme un beau métier ou qui accepteraient que les zones de non-droit se multiplient !

Je comprends que vous puissiez critiquer ce que nous avons fait...

M. le Ministre - C'est heureux !

Mme Marylise Lebranchu - Je n'admets pas que vous pensiez à notre place et que vous nous soupçonniez d'avoir choisi une société de violence et de désordre. Le grand débat démocratique que M. le ministre appelait hier soir de ses v_ux méritait davantage que ces procès d'intention.

Que nous n'ayons pas entièrement réussi, peut-être, je ne le nie pas. Mais nous n'avons aucune religion de la non-sanction, comme vous le prétendez. Au contraire, je suis de ceux qui pensent que la sanction est la seule façon d'être reconnu digne d'une réinsertion. Ne pas sanctionner quelqu'un, c'est penser qu'il est incapable de comprendre la loi et qu'il est donc indigne de vivre dans notre République (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). Comme je crois à la sanction, je crois aussi qu'elle doit avant tout être proportionnée aux faits qui l'ont déclenchée.

Je me félicite de la mise en place du fichier des empreintes génétiques, à laquelle j'ai d'ailleurs participé au ministère de la justice. Je suis convaincue qu'il faut y recourir chaque fois que nécessaire - encore qu'il ne faille pas le banaliser, comme lorsqu'on a pris les empreintes génétiques de toutes les personnes qui avaient participé à la destruction de plants de maïs génétiquement modifiés ! Pourquoi se priverait-on en effet, dans les enquêtes, d'un progrès permis par la science ? Le problème est que ce fichier est discriminatoire, dans la mesure où les empreintes génétiques ne sont pas relevées chez tout le monde, contrairement aux empreintes digitales. Il convient donc de contrôler ce fichier. Mieux vaudrait, me semble-t-il, débattre en profondeur du sujet car ce fichier pourrait en effet être utilisé à de toutes autres fins que celles prévues. Le sujet est grave. Par ailleurs, l'existence de ce fichier n'empêchera pas qu'un tueur en série, qui a purgé sa peine mais sort de prison sans avoir été soigné, récidive. Il conviendrait que le ministère de la justice et le ministère de la santé obtiennent davantage de moyens pour la psychiatrie.

Oui, il faut résolument lutter contre les réseaux de prostitution - j'ai d'ailleurs eu l'honneur de signer une convention avec le ministre de la justice roumain à ce sujet quand j'étais Garde des sceaux. Mais s'attaquer seulement aux prostituées, comme le fait votre texte, ne suffira pas. En effet, celles-ci ont beaucoup plus peur de leur proxénète, lesquels leur ont souvent infligé des barbaries et menacent leur famille, que des policiers. Et leur garde à vue ne contribuera en rien à démanteler les réseaux, tout en étant profondément discriminatoire.

Discriminatoire aussi le traitement réservé aux gens du voyage. Je connais bien ce problème pour avoir eu, en tant que maire, à faire évacuer 350 caravanes d'un terrain de ma commune. Je vous fais observer au passage que la confiscation des véhicules ne facilitera pas l'évacuation des caravanes ! (Sourires) La plupart des gens du voyage ne sont pas des délinquants. Or, pour la première fois, ils vont être visés comme catégorie dans la loi. Je suis au contraire convaincue que la lutte contre la violence, l'apaisement de la société passent plutôt, certes par le droit à la sanction, indispensable pour la société comme pour le délinquant, mais aussi par la reconnaissance de la dignité.

Pour notre part, notre action n'a certes pas été parfaite, mais nous ne pouvons pas accepter que l'on nous accuse d'avoir voulu favoriser la délinquance. Certains d'entre nous sont membres de la Ligue des droits de l'homme et ont bien l'intention de le rester car la garantie des droits de l'homme passe par la sécurité, donc une répression contrôlée, mais aussi par l'avenir de notre démocratie. Merci, Monsieur le ministre, de nous avoir entendus, et merci aux futurs orateurs d'éviter des amalgames dangereux, car l'opposition que nous constituons aujourd'hui est parfaitement responsable (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean Leonetti - Le maire que je suis, qui a vu dans sa ville, pourtant une station chic de la Côte d'Azur, des enfants contraints par des réseaux à mendier, et s'est vu reprocher de stigmatiser la jeunesse lorsque, dans le seul but de protéger ces enfants, il a pris un arrêté pour leur interdire de circuler la nuit, ne peut qu'être profondément satisfait de votre texte. J'ai aussi eu à faire face à l'envahissement de terrains par les gens du voyage, alors même que ma commune a aménagé une aire d'accueil. J'ai dû aller négocier des départs, accompagné de policiers humiliés de ne pouvoir intervenir ! J'ai dû me rendre dans des halls d'immeubles squattés par des individus agressifs. C'est toujours le maire qui se trouve en première ligne dans ces cas : on lui reproche de ne rien faire ! Impuissant, il se sent même coupable, conscient d'avoir des responsabilités sans avoir les moyens de les exercer. Pour toutes ces raisons, votre texte ne peut que nous satisfaire.

En matière de sécurité, force est de reconnaître que nous avons tous échoué, depuis vingt ans, en ne nous attaquant pas aux véritables problèmes. Nous portons tous la responsabilité de cet échec collectif, mais ces dernières années, la délinquance a véritablement explosé. Julien Dray a lui-même reconnu que les socialistes, du moins certains d'entre eux, avaient un problème avec la sanction.

Mais aujourd'hui, avec l'action de ce Gouvernement, la délinquance diminue. Pour faire une politique efficace, il faut généralement trois éléments : des moyens - c'est la loi d'orientation -, une législation adaptée - c'est ce projet - et une volonté politique.

Monsieur le ministre, vous n'avez aujourd'hui ni les moyens, puisque la loi d'orientation n'a pas encore produit ses effets, ni la législation : et pourtant la délinquance baisse. La presse appelle cela « l'effet Sarkozy ». Moi, je constate que la confiance est revenue au sein de la police et la gendarmerie, si souvent vilipendées et démotivées, et aussi dans la population. Deuxième raison de ce succès, c'est la méthode, le fait de voir la réalité avec lucidité, d'appeler un chat « un chat ». Parler d'immigration non contrôlée, de zones de non-droit, d'intégrisme religieux, ce n'est pas antirépublicain. En revanche, il faut des solutions humanistes et républicaines à ces problèmes. Je note que ce projet est parfaitement équilibré entre fermeté et respect des droits de l'homme. J'ai noté aussi que M. Estrosi, qui a fait l'effort de dialoguer avec beaucoup de personnes, a montré l'ouverture de la majorité aux propositions, à condition qu'elles s'inscrivent dans une démarche d'efficacité.

L'efficacité, c'est une responsabilité immense et un bon équilibre entre l'aval et l'amont.

En aval, il y a des situations dramatiques, des enfants à la dérive, une prévention à mettre en place. Mettre en place, cela veut dire remettre en cause : comment se fait-il qu'on dépense, depuis des années, des milliards d'euros pour si peu de résultats ? La prévention, elle aussi, doit faire l'objet d'une évaluation, qui conduira à abandonner certaines missions. Mettre deux paniers de basket dans une banlieue et couper un ruban tricolore, c'est indigne des jeunes, qui veulent un travail et l'égalité des chances.

M. Jean-Pierre Blazy - C'est un peu caricatural !

M. Jean Leonetti - Si dans cinq ans, nous n'avons pas réussi, vous serez les premiers à nous montrer les chiffres de la délinquance. En même temps on sent bien une hésitation chez vous : d'un côté vous prétendez que nous ne faisons que vous suivre, de l'autre vous parlez d'atteintes aux droits de l'homme. Ce serait une atteinte aux droits de l'homme d'ouvrir les coffres de voitures, alors que M. Vaillant l'a fait ? Ce serait une atteinte aux droits de l'homme d'empêcher les violences dans les halls d'immeubles ? Je terminerai par une anecdote significative. À la télévision, devant les voitures brûlées, un journaliste demandait à une femme ce qu'elle souhaitait. Elle a répondu : « Je veux vivre normalement ».

Ce texte est une loi normale, faite pour que les Français normaux vivent dans une France normale (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Michel Pajon - Premier texte examiné en 2003, ce projet est un moment important pour le Gouvernement, qui a fait de la lutte contre l'insécurité sa priorité, pour les Français, qui attendent une réponse à leurs inquiétudes, mais aussi pour l'opposition, trop souvent caricaturée et reléguée dans la catégorie des idéologues ou des laxistes.

Monsieur le ministre, vous avez déclaré le 13 novembre dernier devant le Sénat que ce projet visait à accroître l'efficacité des forces de l'ordre, à apporter une réponse pénale à des comportements non sanctionnés actuellement, à restaurer la sécurité publique.

Maire de Noisy-le-Grand, ville de 60 000 habitants située en Seine-Saint-Denis, qui connaît, comme d'autres, des faits de délinquance, je partage largement ces objectifs. Nous abordons donc ces débats sans sectarisme ni dogmatisme. Néanmoins force est de constater le fossé qui sépare vos déclarations de principe et la réalité des mesures proposées. Par exemple, j'aimerais qu'on explique à « la France des oubliés », dont vous vous faites le héraut, en quoi la réécriture de mesures déjà existantes va améliorer leur sécurité. Le délit de « demande de fonds sous contrainte », créé par l'article 23, n'est qu'une pâle copie du délit d'extorsion de fonds, inscrit depuis longtemps dans notre code pénal.

Lutter contre l'insécurité est une chose, faire croire que le racket n'était pas sanctionné auparavant en est une autre. Il est illusoire de s'imaginer que créer de fausses « nouvelles » infractions répondra aux attentes de nos concitoyens. Mais sans doute ne s'agit-il que d'une opération de marketing politique. Ce projet tend, pour l'essentiel, à renforcer les pouvoirs de la police au détriment de ceux des magistrats, notamment en concentrant dans les mains du préfet la direction des officiers de police judiciaire. En fait, le contrôle des fonctionnaires par l'autorité judiciaire va être restreint. Ne soyons pas dupes : les quelques avancées que contient ce projet pèsent peu face aux inquiétudes qu'il soulève. Il s'enferme dans la voie d'une répression peu encadrée, d'un affaiblissement du pouvoir judiciaire et il sacrifie sur l'autel du tout-répressif une approche plus équilibrée et plus partenariale des problèmes de délinquance.

Nous ne sommes pas opposés à l'action, mais au mode d'action que vous proposez (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Georges Fenech - Les remarques de nos collègues m'étonnent. Je n'ai pas vu dans ce texte d'atteinte à l'autorité judiciaire, ni d'affaiblissement du rôle du procureur, ni de hiatus entre justice et police. En revanche, il y avait bien un vide juridique que ce Gouvernement a raison de combler. C'était aussi le cas lorsque cette Assemblée a voté à la quasi-unanimité le délit de sujétion psychologique par des groupements sectaires. Deuxième sujet d'étonnement, ce projet s'inscrirait « dans le sillage de 1997 ». La loi sur la sécurité intérieure présentée par M. Vaillant se résumait à un renforcement des contrôles dans l'Eurostar, à la répression des escroqueries à la carte bancaire et à l'euthanasie des pitbulls (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste). Voilà les grandes réformes qui devaient rétablir la sécurité publique !

M. Jean-Pierre Blazy - Et la loi de 2001 ?

M. Georges Fenech - Elle est intervenue juste avant les municipales, dans un contexte électoraliste, et n'a produit aucun effet sur la délinquance (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste).

Des moyens juridiques nouveaux étaient attendus, nous les aurons. Faut-il rappeler que nous avons vu, sous la précédente législature, pour la première fois, défiler dans la rue des policiers, des magistrats et des gendarmes qui se plaignaient du manque de moyens juridiques et matériels ?

Troisième sujet d'étonnement, on nous ressort la vieille opposition entre prévention et répression. En Grande-Bretagne, citée souvent comme exemple de démocratie, Tony Blair avait proclamé, bien avant nous : « Dureté avec le crime, dureté avec le criminel, mais aussi dureté avec les causes du crime. »

Ce gouvernement n'oublie pas, lui non plus , la prévention, qui fera l'objet d'un prochain projet.

Il était important de mettre un terme à l'explosion de la délinquance. En 1960, notre pays enregistrait 500 000 crimes et délits : en 1970, 1 million ; en 1980, 2 millions ; en 1990, 3 millions et en 2001, 4 millions. Fallait-il encore attendre pour agir ?

Je voudrais dire enfin mon étonnement d'entendre encore affirmer que le chômage constituerait la principale cause du crime. Nous savons bien que c'est une contrevérité : la croissance économique génère au contraire de la délinquance et en période de chômage, elle baisse.

En revanche, la délinquance produit du chômage : je pense aux commerçants qui, dans certains quartiers, finissent par tirer leur rideau.

Je n'ai pas vu dans ce projet la moindre atteinte aux libertés individuelles. Chaque mesure nouvelle est au contraire assortie de moyens de sauvegarde. C'est ainsi que le fichier des empreintes génétiques est placé sous le contrôle des autorités judiciaires, qui pourront ordonner l'effacement d'un signalement, et que l'extension des possibilités de fouille des véhicules s'accompagne de garanties tout à fait conformes à la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

Prétendre que ce projet s'attaque aux plus démunis constitue un faux procès. En réalité, les mendiants, les prostitués et autres populations défavorisées doivent être considérés aussi comme des victimes et c'est ce que vous faites, Monsieur le ministre, à l'instar de ce que notre droit prévoit déjà pour les toxicomanes. Vous correctionnalisez donc le racolage passif, mais en même temps vous proposez des mesures de protection et d'aide au séjour.

Au total, ce texte réalise un subtil équilibre entre la lutte contre la criminalité et le respect des libertés individuelles. Je le voterai (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Julien Dray - Vous êtes-vous déjà demandé comment Gérard Depardieu pouvait tourner autant de films ? C'est une des questions auxquelles répond Michel Blanc dans son film intitulé « Grosse fatigue » : Gérard Depardieu aurait en fait un sosie qui le remplacerait sur les tournages. Vous voyez où je veux en venir, Monsieur le ministre... Je ne sais pas si vous avez un clone, mais on ne peut que vous reconnaître une activité débordante et un sens de la communication efficace (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

A en croire les chroniqueurs politiques, il y aurait donc un « effet Sarkozy », mais cet effet durera-t-il ? Quel regard pourrez-vous porter dans quelques années sur votre bilan de Ministre de l'intérieur ? Aurez-vous fait baisser durablement la délinquance ? Serez-vous parvenu à réformer efficacement votre ministère ?

Le projet que vous nous soumettez aujourd'hui est un élément de réponse à ces questions. Vous y proposez vos solutions pour lutter contre la prostitution, la mendicité agressive, les rassemblements dans les cages d'escaliers, mais je n'y vois rien qui concerne le trafic de cannabis. Ce n'est pourtant pas là une question mineure, car le trafic de cannabis n'est rien moins que la clé de voûte de l'économie souterraine qui gangrène nos cités, mises en coupe réglée par les réseaux délinquants. La rivalité entre ces derniers est à l'origine de violents affrontements et d'une montée des homicides, étant entendu que, dans les circuits illicites, les litiges se règlent rarement devant les tribunaux.

Malheureusement, ces violences qui frappent tant l'opinion, ne constituent que des éruptions sporadiques d'un mal dont la racine est plus profonde. Un quartier calme n'est pas pour autant un quartier pacifié. Ce calme peut en effet reposer sur le « business ». Les activités lucratives illicites ont besoin d'une tranquillité relative, et si les forces de l'ordre sont sans cesse appelées dans une cité pour réprimer vandalisme et émeutes, les dealers et autres convoyeurs ne peuvent plus travailler en toute quiétude et les affaires sont désorganisées. Les apparences sont donc trompeuses, et la baisse des statistiques ne signifie pas toujours recul de la délinquance.

La solution de facilité serait de s'accommoder de cette « paix » d'un type particulier. D'ailleurs, les réseaux qui règnent sur ces cités sont loin d'être stupides et interprètent chaque signe des pouvoirs publics selon sa juste signification.

Si on les laisse tranquilles, ils feront tout pour que perdure cette « paix des lâches ». Un tel modus vivendi ne ferait que renforcer la logique du ghetto dans laquelle sont déjà tombées de trop nombreuses citées de banlieue. Selon cette logique, chacun est maître chez soi et les fortes têtes font donc la loi dans les cités, tandis que les forces de l'ordre se concentrent dans les beaux quartiers afin de les débarrasser des formes les plus visibles de la misère. Le triomphe de cette logique serait une lourde défaite pour la République.

Vu de la banlieue, l'« effet Sarkozy » est tout relatif et nous avons plutôt l'impression que rien ne change pour nous. Ce constat est d'autant plus amer que nous constatons, dans les centres villes, une présence plus marquée des forces de police. Je saisis d'ailleurs l'occasion de cette tribune pour vous demander si vous envisagez de fournir à la représentation nationale un premier bilan de l'action des GIR. Quelle est leur efficacité, notamment en terme de réseaux démantelés ?

Les seules améliorations sensibles dont j'ai pu être le témoin dans ma circonscription ne peuvent qu'être mises au crédit de la police de proximité. J'ai pu observer notamment une bien meilleure coordination entre la police et les maires. Nous commençons donc à récolter les fruits concrets de cette grande réforme, dont malheureusement l'achèvement a pris du retard.

Outil essentiel dans la reconquête des zones de non-droit, la police de proximité n'atteindra cependant sa pleine efficacité que si elle est adossée à une police d'investigation renforcée. Notre police peut et doit encore faire des progrès en ce qui concerne la réunion des preuves, l'élucidation des affaires et le démantèlement des trafics. Nous avons besoin pour cela de moyens techniques modernes mais aussi d'un recrutement substantiel d'OPJ et d'une formation conséquente. Il nous faut non seulement davantage d'OPJ, mais aussi plus d'OPJ hautement qualifiés. La priorité immédiate est celle d'un saut qualitatif. Malheureusement, le choix a été fait de limiter le corps des OPJ. Et les écoles de police dans leur ensemble auront la lourde tâche de former davantage de policiers avec moins de moyens.

Outre que ces choix ne répondent pas aux besoins les plus pressants de la police, ils peuvent être à l'origine de quelques dérapages de la part de jeunes policiers qui, faute d'expérience et d'une formation suffisante, interpréteraient de façon trop zélée votre discours de fermeté, Monsieur le ministre.

Que l'on me comprenne bien : il ne s'agit pas de vous attendre au coin du bois et, à la première bavure, de « faire la fête à Sarko ». Ce serait une défaite collective et non pas individuelle. Je veux seulement vous demander d'être vigilant : de nouvelles générations de policiers arrivent, nous devons redoubler de précautions face à ce métier qui est à risques et qui mérite toute notre considération.

La fermeté revendiquée peut conduire à des excès. En témoigne le récent verdict du tribunal correctionnel de Bourg-en-Bresse, qui a condamné une mère célibataire à un mois de prison avec sursis et trois ans de mise à l'épreuve parce que deux de ses fils avaient été trouvés ivres et étaient soupçonnés d'avoir participé à des dégradations. « Il vaudrait mieux qu'on m'aide », déclarait cette mère de famille débordée.

M. le Ministre - C'est une décision d'un magistrat du siège. Rien à voir avec mes compétences.

M. Julien Dray - Oh, vous occupez une telle place dans le Gouvernement ! ...

J'ai cherché à joindre le procureur de la République pour avoir des explications sur cette décision de justice, mais il était absent. Le rôle de la justice est-il de mettre la tête sous l'eau à une mère de famille dépassée ou de l'aider ?

M. Pierre Cardo - Il y a des mesures d'aide pour les familles. Ce n'est pas de ces parents-là qu'il est question dans le projet.

M. Julien Dray - Je veux simplement attirer l'attention sur les risques liés à la façon dont un certain type de discours peut être interprété par des fonctionnaires et sur les problèmes que cela peut ensuite poser sur le terrain.

M. Pierre Cardo - Les dégâts constatés sur le terrain sont plus souvent le fait de jeunes délinquants que de policiers !

M. Julien Dray - Nous devons être vigilants, voilà tout.

Lutter contre l'économie parallèle, rattraper le retard pris dans la mise en place de la police de proximité, s'appuyer sur une police d'investigation renforcée dans ses moyens, telles doivent être nos priorités.

Je ne suis pas persuadé que le démantèlement des réseaux de prostitution passe par des dispositions juridiques spécifiques. Il y faut surtout de la détermination et des moyens. La plupart des proxénètes ne sont pas en France.

M. le Rapporteur - En effet.

M. Julien Dray - Ils communiquent en dialecte sur des téléphones mobiles. Il faut donc disposer des éléments techniques nécessaires et de policiers formés pour utiliser les informations afin de casser les réseaux.

M. le Rapporteur - Ça ne suffit pas !

M. Julien Dray - Or, en mélangeant dans ce texte prostitution, mendicité agressive et occupation des halls d'immeubles, qui sont des formes très différentes de délinquance, que vous le vouliez ou non, vous stigmatisez certaines catégories, ce qui n'est certainement pas la meilleure façon de résoudre les problèmes.

J'espère, Monsieur le ministre, que vous entendrez nos remarques et que vous ne serez pas saisi d'une « grosse fatigue »... (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Mme Christine Boutin - Le débat est lancé depuis quelque temps déjà : l'insécurité recule-t-elle ? Ce texte, que certains qualifient de liberticide, sera-t-il à la hauteur de ses ambitions ? Ne s'agit-il pas d'un simple effet d'annonce ? Je laisse les esprits chagrins répondre car l'essentiel n'est pas là. Ce projet présente surtout l'intérêt de rompre avec d'anciennes pratiques et de respecter la dignité humaine en se préoccupant des plus faibles.

Le texte rompt avec la culture de l'excuse, avec la victimisation des coupables. Non, dans une démocratie, tous les choix individuels ne sont pas respectables. La sécurité publique, c'est-à-dire le bien être de chacun, commence par le respect des lois auquel il incombe en toutes circonstances aux services de l'Etat de veiller.

Rompre avec la culture de l'excuse, c'est affirmer la primauté du droit sur la volonté personnelle, c'est rappeler que les circonstances atténuantes ne peuvent exonérer de toute responsabilité.

Pour faire reculer durablement l'insécurité sous toutes ses formes, il faut s'attaquer à toutes les catégories de délinquants, sans en stigmatiser aucune. Parce qu'il s'inscrit dans cette démarche, ce texte est équilibré.

On l'a qualifié de « liberticide », « sécuritaire » ou « anti-jeunes ». Il est vrai qu'on ne rétablit pas l'ordre public bafoué sans prendre le risque de quelques abus, que vous vous attacherez à punir et dont les victimes devront obtenir réparation.

La sanction d'un acte coupable est une marque de respect pour la dignité d'autrui et pour la capacité d'autodétermination de chacun. Avant même de réparer un dommage, la sanction replace le coupable en face de sa propre liberté et de sa dignité.

Il faudra néanmoins apporter quelques compléments à ce projet, notamment pour permettre au délinquant - mais aussi au corps social tout entier - de mieux comprendre le sens de la sanction et pour l'aider à ne pas tomber dans la récidive, en facilitant sa réinsertion. C'est ainsi que l'on donnera à cette loi sa pleine dimension humaine, qu'un ministre de l'intérieur, d'abord occupé à maintenir l'ordre, ne peut atteindre que par surcroît.

C'est parce que je souhaite pleine réussite à votre entreprise, au nom des plus fragiles, des pauvres, des enfants, mais aussi des maires que j'ai consultés sur la difficile question des gens du voyage, que j'appelle de mes v_ux ces compléments. Confiante, je soutiendrai votre texte (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

Mme Danielle Bousquet - Tous ici nous avons la volonté de débattre au fond de la question de la sécurité et d'apporter des réponses efficaces au besoin de sécurité qu'expriment nos concitoyens. Mais nous devons aussi entendre leur demande tout aussi légitime, de voir respecter les libertés individuelles et collectives et la personne humaine.

La première des libertés, c'est effectivement celle de vivre en sécurité mais si l'on ne respecte pas la dignité des personnes, on court le risque de porter atteinte à la liberté elle-même, de donner la prééminence au sécuritaire sur la sécurité. De fait, avec ce projet, tout citoyen pourrait se trouver livré à l'arbitraire.

Avec les nouvelles incriminations que vous prévoyez, certaines catégories de la population, en particulier les prostituées vont être désignées comme des délinquants. Or, les victimes de la traite des êtres humains doivent être protégées et assistées et non considérées comme responsables de la violence urbaine. Si violence il y a, c'est celle qui est exercée contre ces victimes de l'esclavage et de l'exclusion que votre texte vise à criminaliser. Lorsque la France a ratifié, en 1960, la convention internationale pour la répression de la traite des êtres humains et de l'exploitation de la prostitution d'autrui, elle a affirmé que ces activités étaient incompatibles avec la dignité de la personne humaine.

Aujourd'hui, pour tenir ces engagements et maîtriser l'augmentation de la prostitution, il faut une politique cohérente et globale qui s'attache à lutter de façon accrue contre le proxénétisme ; à renforcer les actions de réinsertion ; à mener un vrai travail de prévention et d'éducation, qui fait cruellement défaut à ce texte car on ne peut se dissimuler que c'est notre société qui fabrique le client,...

M. Christian Cabal - Pas du tout ! Vous en êtes encore au XIXe siècle...

Mme Danielle Bousquet - Enfin, il faut responsabiliser le client, qui achète le corps d'un autre.

Au lieu de cela, vous vous apprêtez à accroître la répression à l'égard des personnes prostituées, au risque de les pousser vers la clandestinité. L'ordre public sera sans doute préservé, mais les réseaux se déplaceront des trottoirs vers les routes, les forêts, les zones industrielles, les bars à hôtesses et autres lieux discrets, sans que le problème de fond soit en rien résolu.

On nous dit que pénaliser le racolage permettrait à la police de pouvoir nouer des liens avec les prostituées, de manière à les inciter à dénoncer proxénètes et réseaux. Quelle méconnaissance de la réalité mafieuse et terriblement dangereuse de ces gangs, pour qui ces femmes ne sont que du bétail ! Lorsqu'une prostituée tombera dans les mains de la police, on lui fera courir des risques graves, sauf à préciser bien davantage comment la protéger, elle et sa famille. Ce n'est donc pas en punissant les victimes qu'on fera régresser la prostitution. Cette grave question mérite une vaste réflexion,...

M. Yves Fromion - Il y a des années qu'on réfléchit, pour quels résultats ?

Mme Danielle Bousquet - ...un vrai débat, une véritable politique et non deux ou trois articles de répression au détour d'un tel texte, d'autant que je me demande en quoi le fait de traiter les prostituées comme des délinquantes permettra d'améliorer la sécurité intérieure (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

La suite du débat est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce soir à 21 heures 30.

La séance est levée à 19 heures 40.

            Le Directeur du service
            des comptes rendus analytiques,

            François GEORGE

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne trois heures après la fin de séance.

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

www.assemblee-nationale.fr


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