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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2002-2003 - 64ème jour de séance, 161ème séance

3ème SÉANCE DU MARDI 11 MARS 2003

PRÉSIDENCE de M. Rudy SALLES

vice-président

Sommaire

      ENTREPRISES DE TRANSPORT AÉRIEN (suite) 2

      MOTION DE RENVOI EN COMMISSION 14

      ORDRE DU JOUR DU MERCREDI 12 MARS 2003 20

La séance est ouverte à vingt et une heures quinze.

ENTREPRISES DE TRANSPORT AÉRIEN (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, relatif aux entreprises de transport aérien et notamment à la société Air France.

M. le Président - Cet après-midi, l'Assemblée a commencé d'entendre les orateurs inscrits dans la discussion générale.

M. Frédéric Dutoit - Vous nous proposez de privatiser Air France, l'un des fleurons de notre industrie nationale. C'est une totale aberration. Une décision anti-industrielle, anti-économique, antirationnelle, qui peut s'apparenter à un acte d'hostilité vis-à-vis de la compagnie, dont l'activité est peu compatible avec les exigences des marchés boursiers pour plusieurs raisons.

La première, c'est la faiblesse des marges bénéficiaires.

Air France est l'une des trois seules compagnies bénéficiaires au monde. Mais dans la meilleure des conjonctures, le transport aérien ne dégage que 1 à 3 % de marges bénéficiaires. Comment un si faible profit pourrait-il intéresser les marchés boursiers ? Le transport aérien est une activité instable. Comment son instabilité ne serait-elle pas encore aggravée par la volatilité naturelle des marchés ? Prétendre que ce secteur convient aux marchés financiers, c'est céder à l'entêtement idéologique.

La deuxième raison, c'est le poids du capital fixe dans les coûts de gestion.

Vous connaissez le coût d'un Boeing ou d'un Airbus. Un Airbus A340 vaut quelque 90 millions de dollars et son entretien coûte également très cher. Ces coûts incompressibles font du transport aérien une activité qui exige de grosses immobilisations de capital. A qui voulez-vous faire croire que les investisseurs seront attirés ?

La troisième raison est l'accélération du renouvellement des flottes.

Un appareil qui auparavant pouvait avoir une durée de vie de quinze ans ne dépasse guère maintenant dix années de vol, et l'âge moyen de la flotte d'Air France dépasse de peu les huit ans. Cette activité consomme ainsi toujours plus de capital. Sans parler du prix des assurances qui a doublé depuis le 11 septembre. Qui peut penser, dans ces conditions, qu'acquérir une grande compagnie internationale soit une affaire financièrement intéressante ?

Le caractère cyclothymique de l'activité est la quatrième raison.

Le transport aérien est sensible à la conjoncture. La guerre, le terrorisme, le prix du pétrole, des catastrophes aériennes peuvent provoquer des renversements de tendance et la dépression est alors toujours longue à surmonter. Comment, en ajoutant l'instabilité du marché à ces aléas de la conjoncture, feriez-vous d'Air France une entreprise encore plus forte et solide ?

M. Jean-Claude Lefort - Voilà !

M. Frédéric Dutoit - La cinquième raison, c'est le catastrophique exemple américain.

Les Etats-Unis soutiennent leurs compagnies. Le Trésor américain a déboursé 15 milliards de dollars en aides diverses après les attentats du 11 septembre. Une disposition permet aux compagnies américaines de reporter en arrière les déficits et de bénéficier de remboursements fiscaux sur les impôts payés les cinq années précédentes. Le bilan américain est édifiant : 6 milliards de dollars de profit en vingt quatre ans, 12 milliards de perte en deux ans. Le contribuable est ainsi amené à payer pour revaloriser le profit des actionnaires.

En livrant notre compagnie aux turpitudes du marché, le Gouvernement fait le chemin inverse par rapport aux autorités américaines.

M. Jean-Claude Lefort - Très bien !

M. Frédéric Dutoit - Par dogmatisme, il se montre plus viscéralement libéral que son homologue d'outre-Atlantique. Mais pourquoi privatiser la compagnie si c'est pour la recapitaliser lorsqu'elle ira mal ?

La sixième raison, c'est l'inéluctabilité de l'Etat.

Dans une activité aussi fragile, l'Etat est le seul recours. L'économiste Patrick Artus indique à juste titre que la crise a montré aux Etats-Unis « l'échec dû à la privatisation totale des télécommunications, du transport aérien, de l'électricité ». Ces activités, dans une situation de concurrence, ne parviennent pas à rentabiliser le capital investi sans aide publique. Un article du International Herald Tribune du 22 février 2001 titre sur quatre colonnes : « La privatisation des services publics peut être un désastre ». Est-ce le modèle que vous souhaitez pour notre compagnie ?

La septième raison : la menace sur l'emploi

La situation de l'emploi dans le secteur aérien est catastrophique. Les faillites sont consommées ou potentielles. 160 000 emplois ont été perdus depuis fin 2001. La compagnie Air France, au contraire, n'a cessé depuis cinq ans de créer des emplois - elle en a créé 17 000 depuis 1997.

Alors que le Gouvernement ne cesse de dénoncer l'impôt et d'en favoriser la baisse sous prétexte de renforcer l'emploi, il poignarde l'entreprise qui crée vraiment des emplois. Vous pouvez tout dire, sauf que le sort que vous réservez à Air France aidera à créer des emplois !

La huitième raison, c'est le renoncement des pouvoirs publics à orienter les stratégies industrielles.

Air France a joué un rôle capital pour le lancement d'Airbus en offrant au constructeur une garantie d'achat ; Air France stimule la recherche et la construction aéronautique. Une fois que la compagnie sera livrée à la loi de la bourse, plus personne ne pourra lui imposer d'acheter des Airbus. La déstabilisation de toute la chaîne aéronautique ne peut qu'avoir des incidences sur les bassins d'activité, notamment dans les régions parisienne et toulousaine.

La neuvième raison, c'est le renoncement à relier le territoire.

En livrant l'entreprise à une autre logique de gestion, c'est le principe même de la péréquation territoriale que vous remettez en cause. Qu'est-ce qui empêchera la suppression des lignes intérieures déficitaires ? Certainement pas les regrets des responsables politiques. Vous abandonnez le principe de la continuité territoriale qu'Air France maintient avec les DOM-TOM. Souhaitez-vous vous en remettre à la grande main invisible du marché ?

La dixième raison, c'est, pour les personnels, une mystification salariale.

L'échange salaire-actions n'a jamais été à l'avantage des personnels.

M. Charles de Courson, rapporteur de la commission des finances - C'est libre !

M. Frédéric Dutoit - L'échange commence toujours par un renoncement à du pouvoir d'achat dans la perspective d'un profit hypothétique. A quoi sert d'être actionnaire dans une société en faillite ? Les salariés d'United Airlines, qui étaient majoritaires dans le capital de leur entreprise, n'avaient plus le choix qu'entre perdre leur capital ou perdre leur emploi. En quoi le transfert du risque au salarié serait-il un progrès ?

Vous savez très bien que, statistiquement, à l'issue de la période de blocage, la moitié des salariés se désengagent. Les salariés d'Air France ont déjà perdu la moitié de leur portefeuille depuis janvier 2002 et le Gouvernement se propose de rééditer l'opération. Comment leur faire retrouver confiance dans l'actionnariat salarié ?

Onzième raison : vous proposez de démanteler un système qui marche. De nombreux observateurs jugent le système d'alliance au sein d'un regroupement comme SkyTeam plus performant que l'échange proprement capitalistique. Le président de la compagnie lui-même a écrit que cette formule permettait d'éviter la confrontation des cultures d'entreprise. La consolidation sous forme d'alliance opère un rapprochement progressif et on voit tous les bénéfices qu'Air France, qui en est le pivot, pourrait en tirer. En 1997, avant l'alliance, le président de Delta Airlines avait déclaré qu'il ne réclamait ni la privatisation de son partenaire, ni l'échange d'actions. Le président de General Electrics, avec qui la Snecma fabrique le moteur le plus utilisé au monde, ne trouvait lui que des avantages à ce que son partenaire français soit public, car cela garantissait sa fiabilité.

La douzième raison, c'est la menace de régression sociale. Le transport aérien est, globalement, en difficulté. Parmi les grandes compagnies nationales, seules trois, dont Air France, sont encore bénéficiaires. Les compagnies à bas coût sont celles qui dégagent le plus de profit parce qu'elles réduisent aussi la sécurité, le confort, le service, l'emploi et les salaires. Les compagnies à bas coût sont d'ailleurs aussi les compagnies des coups bas : le billet Strasbourg-Londres à 1 € chez Ryanair en est un exemple. Ces compagnies sont les championnes du dumping social.

Enfin, la dernière raison, la plus immédiate, la plus évidente, est liée à la conjoncture géopolitique. Après le 11 septembre, plus rien ne sera comme avant. Les menaces d'une intervention en Irak ne peuvent qu'accentuer la dépression du secteur, alors que le pétrole coûte aujourd'hui plus de 30 dollars du baril et risque d'augmenter encore. Ce poste, très important, joue directement sur la santé financière des entreprises. Un conflit en Irak, avec les profondes répercussions géopolitiques qu'il emporterait, pèserait durablement sur la croissance du secteur.

On ne peut trouver plus mauvais moment pour privatiser une compagnie aérienne.

M. Jean-Claude Lefort - Absolument !

M. Frédéric Dutoit - Depuis le 11 septembre, le transport aérien est devenu un champ de ruines et de nouveaux nuages menacent. Voulez-vous vraiment, Monsieur le ministre, en pleine conscience, jeter notre compagnie nationale dans le tourbillon des faillites actuelles ? Croyez-en un communiste de notre temps : ne vous laissez pas guider par un dogmatisme toujours destructeur. Soyez ouvert à l'avenir de notre monde ! N'appliquez pas les vieilles lunes libérales ! (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste)

M. Jérôme Chartier - La privatisation d'Air France est une bonne nouvelle : la justification de la propriété de l'Etat, tutelle protectrice à l'origine, a disparu à l'heure de la libéralisation des marchés. Nous nous accordons pour accepter de rendre au secteur privé ce qui relève de son initiative. C'est le prolongement logique de la démarche engagée par le précédent gouvernement dont je tiens à saluer, une fois n'est pas coutume, la clairvoyance. La privatisation d'Air France est de nature à assurer son développement, dans un contexte d'ouverture des marchés, de libéralisation internationale et d'alliances entre compagnies aériennes, lesquelles sont des sociétés privées. Air France n'en sera que plus performante, pour le plus grand bénéfice de tous, salariés et clients.

Le présent projet de loi constitue un dispositif d'accompagnement dont les maîtres mots sont sagesse et pragmatisme. La privatisation n'emportera aucune incidence sur le service public et l'aménagement du territoire : Air France restera soumise à ses obligations de service public. Mais, là où, hier, l'avion était le lien principal entre les Français, les autres moyens de communication se sont considérablement développés. Hier, le TGV a rendu la liaison aérienne Paris-Lille obsolète. Aujourd'hui, il relie la capitale à Marseille ou à Bordeaux en trois heures. Demain, le réseau ferroviaire rapide sera encore plus étendu, comme vous l'avez précisé lors des questions au Gouvernement, Monsieur le ministre.

M. Jean-Louis Idiart - Il n'a guère été précis !

M. Jérôme Chartier - Les liaisons aériennes intra-métropolitaines sont donc de moins en moins importantes pour l'aménagement du territoire. Les compagnies sont libres de faire concurrence au rail ou à la route, mais leur présence a peu d'incidences sur l'accessibilité du territoire. En revanche, il importe de conserver certaines liaisons, vitales, avec les territoires dont la desserte est moins diversifiée, telles que la Corse ou, surtout, nos départements et territoires d'outre-mer. Elles représentent alors la garantie d'une certaine continuité territoriale.

L'Etat peut imposer des obligations spécifiques au transport aérien dès lors qu'il justifie de leur caractère vital pour le développement économique de la région de destination, comme c'est le cas pour la Corse et les DOM-TOM. Air France les respectera tout aussi bien lorsqu'elle sera privée qu'elle le fait aujourd'hui. Elle concourra d'ailleurs d'autant mieux au service au public et à l'aménagement du territoire qu'elle constituera un pôle majeur dans les alliances internationales.

Là ne réside donc plus le débat, dès lors que nous renonçons aux antiennes idéologiques et que nous nous tournons résolument vers l'avenir, le développement et le progrès.

M. Jean-Pierre Blazy - C'est de Gaulle, qui a créé Air France !

M. Jérôme Chartier - Le débat concerne la nature du service public des transports que nous voulons pour notre territoire. Or, force est de constater que ses insuffisances ne sont pas dues à une carence législative. Les règles ne manquent pas pour assurer sa pérennité, sa qualité, son accessibilité, par des coûts modérés, et sa régularité. Ce sont les moyens d'intervention qui manquent cruellement.

J'alerte ce soir la représentation nationale sur la faiblesse de la partie « desserte » du fonds d'intervention pour les aéroports et le transport aérien. A ce jour, la totalité de ses crédits sont engagés. Les autres aides promises ne pourront donc être honorées. Comment parler de service public des transports alors qu'aucune compensation n'est attribuée au déficit d'exploitation de certaines liaisons, pourtant essentielles pour l'aménagement du territoire ? Sans moyens d'intervention, l'Etat perd tout crédit, au sens moral cette fois. Or, quelles que soient les exigences de service public, le marché a ses lois, qui finissent toujours par s'imposer. Elles le font de la façon la plus dure si les pouvoirs publics n'interviennent pas de façon efficace.

Un autre fonds d'intervention me paraîtrait tout aussi essentiel que le FIATA : ce serait un fonds d'intervention pour les riverains des aéroports et du transport aérien - le FIRATA.

M. Jean-Pierre Blazy - Belle trouvaille !

M. Jérôme Chartier - La cession de ses parts par l'Etat va constituer une recette importante. Symboliquement, il pourrait affecter tout ou partie de cette somme à la diminution des nuisances causées par le transport aérien. Air France s'appuie en effet fortement sur le territoire national pour son développement. Le hub de Roissy-Charles de Gaulle 2 s'accroît.

M. Jean-Pierre Blazy - Et le troisième aéroport ?

M. Jérôme Chartier - Ce développement n'est pas terminé. Il ne s'inscrit pas dans la logique du développement durable, à laquelle je vous sais particulièrement attaché, Monsieur le ministre. Si le développement durable doit concilier activité économique et qualité de la vie, l'obstacle essentiel est le bruit. Pendant quinze ans, les motoristes d'avion ont engagé d'importants efforts, dont le résultat se mesure à l'oreille. Les avions les plus bruyants ont disparu. L'industrie aéronautique a réalisé là des prouesses qui n'ont rien à envier à l'industrie automobile. Mais ces efforts semblent avoir cessé, sans doute en raison d'une concurrence accrue entre les constructeurs.

M. Jean-Pierre Blazy - Vous ne parlez pas du troisième aéroport !

M. Jérôme Chartier - J'estime donc qu'il est du devoir de l'Etat d'encourager les motoristes, notamment en aidant les compagnies aériennes pour l'acquisition de moteurs moins bruyants. La gêne occasionnée par le transport aérien devenant résiduelle, bien moindre que celle engendrée par les automobiles ou les deux roues, le développement des aéroports nationaux pourra se poursuivre harmonieusement.

M. Jean-Pierre Blazy - C'est incroyable !

M. Jérôme Chartier - En conséquence, la construction du troisième aéroport ne sera peut-être plus indispensable.

M. Jean-Pierre Blazy - Les Valdoisiens apprécieront !

M. Jérôme Chartier - Les incidences relatives à la constructibilité inclues dans la révision du plan d'exposition au bruit seront donc caduques. Certes, il s'agit d'un rêve, mais il n'appartient qu'à nous qu'il devienne réalité (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Jean-Pierre Blazy - Attention au crash, Monsieur Chartier !

M. Jérôme Chartier - Je ne suis pas bien sûr que vous ne me rejoigniez pas un jour.

M. Claude Bartolone - Monsieur le ministre, après avoir entendu toutes les premières interventions, le sentiment qui prime est le doute concernant l'opportunité de présenter ce projet maintenant. Doute que vous avez d'ailleurs évoqué vous-même en commission, alors que la législation communautaire n'est pas stabilisée.

Le doute porte aussi sur la situation à la corbeille. Le cours de l'action, à l'annonce de la privatisation, a atteint son plus bas niveau : 7,32 € le 10 octobre 2002. Un mois auparavant, il était de 11,63 €.

Doute encore sur les recettes attendues de l'Etat qui, en proie à des difficultés économiques, recherche de l'argent de poche. Ce projet intervient au plus mauvais moment, puisque fin décembre 2000, la part du capital d'Air France détenue par l'Etat représentait 3,74 milliards d'euros et qu'au 30 septembre 2002, les 54 % détenus par l'Etat ne représentent plus que 873 millions d'euros. Pourtant, Air France a présenté des résultats positifs ces six dernières années - un résultat net moyen de 313 millions d'euros sur trois ans.

Redistribué totalement sous forme de dividendes, cela correspond à une manne annuelle de 169 millions d'euros pour l'Etat.

Or la valeur actuelle de la part que vous proposez de céder ne représente pas un tiers du montant de la recapitalisation opérée entre 1993 et 1997. Financièrement, nous ne retrouvons pas la valeur que nous avons donnée à cette entreprise, et nous perdons avec ce projet de loi toute capacité à exercer des missions d'intérêt général spécifiques au transport aérien. Pour l'Etat, pas d'avantages.

Quid des usagers ? Ils attendent de la compagnie Air France qu'elle garantisse, quel que soit son statut, une couverture homogène de l'ensemble du territoire, avec des prix et des horaires équilibrés entre les régions. Mais comment répondre à cette exigence si, au lendemain de la guerre contre l'Irak, la situation se détériore ? Avec moins de bénéfices, une entreprise peut difficilement se montrer citoyenne.

Pour Air France, troisième compagnie mondiale, ce projet devrait permettre de nouer des alliances et des partenariats. Mais en juin 2000, Air France n'a-t-elle pas créé avec succès l'alliance SkyTeam, avec la très américaine Delta Airlines ? Or, elle était à l'époque considérée comme le vilain petit canard, et il a fallu les efforts de son président Christian Blanc, de ses salariés, et de l'Etat, pour restaurer son image et faire d'elle, aujourd'hui, une mariée convoitée.

Quant aux salariés, ils vont entrer dans une grande période d'instabilité, car il est difficile de négocier avec un chef d'entreprise lorsque l'horizon est nuageux. Rappelez-vous, il a fallu six ans aux compagnies aériennes pour retrouver un environnement stable après la première guerre du Golfe.

Certes, le précédent gouvernement avait ouvert le capital, mais l'Etat, l'entreprise et les usagers y avaient trouvé leur intérêt. Aujourd'hui, nous ne voyons pas qui sera gagnant, aussi sommes-nous opposés à ce texte (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jacques Le Guen - Ce projet s'inscrit dans un contexte particulier, le ralentissement économique du début de 2001 ainsi que les conséquences des attentats du 11 septembre ayant plongé le secteur aérien dans la plus importante crise de son histoire : nombreuses faillites outre-Atlantique, et en Europe, un millier de licenciements chez SAS - compagnie scandinave -, 2 500 chez Alitalia, 7 000 chez British Airways, liquidation de Swissair et de Sabena, et il y a quelques semaines, dépôt de bilan d'Air Liberté. Dans ce contexte, la société Air France a bien résisté, enregistrant les meilleurs résultats d'Europe, voire du monde, grâce à sa remarquable capacité d'adaptation, embauchant 19 000 salariés en CDI et modernisant sa flotte.

Aussi la privatisation peut-elle être aujourd'hui envisagée pour deux raisons. L'Etat a investi en 1994 20 milliards de francs, soit un peu plus de 3 milliards d'euros qui, conjugués à l'action de Christian Blanc, ont permis de sauver la compagnie. Par ailleurs, la loi du 19 juillet 1993, qui n'a jamais été remise en cause par le précédent gouvernement, autorise cette privatisation. M. Gayssot avait d'ailleurs autorisé l'ouverture du capital de l'entreprise à hauteur de 44,3 %...

M. Jean-Claude Lefort - 54 % !

M. Jacques Le Guen - ...et l'avait transformée en société cotée en bourse.

Le texte autorise une ouverture de capital en toute sécurité, dans le respect des droits des salariés, et permettra de mener à bien la privatisation le moment venu.

Ces dispositions sont indispensables et raisonnables.

Indispensables car, face à l'évolution du transport aérien, il est temps d'aller plus loin et de permettre à Air France de bénéficier des financements adéquats. Air France n'est plus en situation de monopole, et doit affronter la concurrence. De nombreux experts estiment que le secteur aérien n'a pas achevé son évolution. Ainsi, il y a quelques jours, Ryanair annonçait un vaste plan de restructuration du réseau aérien de la compagnie Buzz en France et en Europe. Nous devons donner à Air France les moyens d'accéder à de nouvelles ressources sur les marchés financiers pour accompagner son développement et poursuivre sa modernisation.

Aussi l'Etat doit-il diminuer rapidement sa participation au capital - passant sous la barre des 50 % - pour permettre aux investisseurs de prendre les décisions stratégiques qui s'imposent.

Si les statuts de la compagnie ont déjà été modifiés par une loi du 4 juillet 2001 pour renforcer le rôle du conseil d'administration face à la tutelle de l'Etat, il faut aller plus loin, en consolidant les réseaux d'alliances notamment. SkyTeam est l'une des alliances les plus puissantes, et le maintien de ce réseau n'est réaliste que si les échanges de capital sont possibles, ce que le statut public d'Air France lui interdit aujourd'hui.

Attaché à l'aménagement du territoire, je suis convaincu que si on lui donne les moyens d'agir, Air France saura assurer une couverture homogène du territoire.

Ces dispositions sont d'autre part raisonnables, car il ne s'agit pas d'abandonner au marché la totalité des parts de l'Etat, qui demeurera actionnaire pour 20 % du capital d'Air France. Il est vrai que le contexte boursier marqué par les nombreuses incertitudes macro-économiques impose la prudence ; aussi êtes-vous sage, Monsieur le ministre, de procéder par étapes pour laisser à l'entreprise le temps de s'adapter à son nouveau statut. Mais il est aussi nécessaire de rassurer les salariés d'Air France, inquiets après le dépôt de bilan d'Air Lib.

Votre projet a le mérite de démocratiser l'accès au capital de l'entreprise, en prenant en compte l'ensemble du personnel. Enfin, vous préservez le caractère national des entreprises de transport aérien, grâce au mécanisme de la cession forcée.

Ainsi, votre projet de loi est équilibré, et assure dans de bonnes conditions la mise en route du processus de privatisation (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Pierre Blazy - Le projet de loi relatif aux entreprises de transport aérien, et notamment à Air France, est significatif de la politique libérale débridée menée par le gouvernement de M. Raffarin. La privatisation d'Air France n'est pas une nécessité, encore moins une urgence. Aujourd'hui, la situation financière de la compagnie est assainie et elle a renoué avec les bénéfices. Son statut d'entreprise publique n'a nui ni à son développement, ni à son rayonnement.

Air France est la seule compagnie à avoir réalisé en 2002 un résultat bénéficiaire en Europe dans le difficile contexte du ralentissement économique et de l'après 11 septembre 2001. Elle conforte sa position sur les cinq continents, notamment en Europe où elle gagne des parts de marché.

Dès lors, votre projet de privatisation est la marque de votre dogmatisme idéologique.

Air France est sans doute considérée par le Gouvernement comme l'entreprise publique la plus facile à privatiser.

Sauf à brader l'entreprise, le Gouvernement devra cependant attendre : le cours de l'action, inférieur à 8 euros, ne plaide pas en faveur de son projet. Au demeurant, ni le calendrier, ni les modalités de la privatisation ne sont connus. Vous avez parlé tout à l'heure, Monsieur le ministre, de la fin de 2003. Le Gouvernement veut attendre des jours meilleurs... qui ne se profilent guère à l'horizon.

Ce texte ouvre la voie à la privatisation de nombre de nos entreprises et services publics. Je pense notamment, en dépit des démentis du ministre des finances, à Aéroports de Paris.

L'histoire récente d'Air France est pourtant celle d'une réussite. En dix ans, la compagnie a su surmonter une grave crise, se restructurer, moderniser sa flotte, résister à la chute du trafic après le 11 septembre 2001 et prendre l'initiative d'un réseau d'alliances, SkyTeam.

Nous ne pouvons vous suivre car que serait devenue Air France en 1993 si son actionnaire n'avait pas été l'Etat ? Quel investisseur aurait mobilisé plus de 3 milliards d'euros pour la redresser ? Je passe sur l'externalisation du fret ou de la maintenance et sur les risques que ferait peser, en matière de sécurité, la seule recherche du profit.

Jean-Claude Gayssot avait décidé en 1999 d'ouvrir le capital d'Air France en ramenant la part de l'Etat à 54,5 %. Il faut aujourd'hui dresser un bilan de cette opération.

La privatisation que vous proposez fait fi de l'intérêt stratégique d'Air France, intérêt pourtant invoqué par le Premier ministre dans sa déclaration de politique générale pour justifier le maintien de l'Etat dans le secteur concurrentiel.

Deux arguments en faveur de la privatisation sont avancés : il s'agirait d'accélérer la modernisation de la flotte et de consolider les alliances et de nouer des partenariats. Ces arguments ne tiennent pas.

La flotte d'Air France est en bon état et régulièrement renouvelée : 8,3 ans de moyenne d'âge contre plus de 10 au niveau mondial.

La force d'Air France, c'est qu'elle valorise ses atouts principaux : SkyTeam et le hub de Roissy. Sur ce dernier point, il est essentiel d'avoir une vision claire des perspectives de développement de Roissy dans le cadre d'une politique de développement durable du transport aérien. Il faut, plus encore, répondre à la question du troisième aéroport dans le grand bassin parisien. La saturation environnementale en Ile-de-France interdira de développer davantage le hub de Charles de Gaulle. Monsieur Chartier, je ne comprends pas vos propos. Vous méconnaissez le problème du bruit dans les aéroports mais vous êtes bien le seul dans le Val-d'Oise !

M. Jérôme Chartier - C'est tout le contraire !

M. Jean-Pierre Blazy - Je suis pour la réduction du bruit à la source mais nous avons atteint les limites. Les gros porteurs poseront bientôt le problème du bruit aérodynamique.

Votre texte entend conforter dans le capital social la place des salariés. Mais ces derniers qui sont en grève aujourd'hui, craignent - les 14 000 pétitions reçues le montrent - de perdre leur statut. Ils ne souhaitent pas de nouvel échange salaires-actions et demandent que le capital soit composé de pôles stables, ce que ne garantit absolument pas votre projet.

Il est naturel que les salariés s'inquiètent de leur changement de statut dans les prochaines années. Un délai de deux ans suffira-t-il pour conduire les négociations collectifs menant à une convention ? L'accès des salariés au capital de la compagnie est-il suffisamment large et s'opère-t-il vraiment dans des conditions préférentielles ?

J'évoque une fois de plus la question des anciens salariés d'UTA qui n'a été réglée ni par M. Blanc, ni par son prédécesseur, ni par son successeur. Si l'on privatise, il serait équitable de résoudre ce problème ; c'est l'objet d'un amendement du groupe socialiste. L'indemnisation des anciens salariés d'UTA pourrait prendre la forme d'une attribution d'actions, solution qui mettrait un terme à un vieux conflit et aurait le double mérite d'être supportable pour les finances de la compagnie et d'éviter de rouvrir le dossier ténébreux de la fusion UTA-Air-France.

J'en viens à l'emploi - point essentiel. Au moment où les plans sociaux se multiplient, où le secteur aérien traverse une crise qui a mis en difficulté nombre de compagnies aériennes, privatiser, c'est aller contre l'emploi.

Aux Etats-Unis comme en Europe, les compagnies privées ont réduit de manière drastique leurs effectifs depuis la fin de l'année 2001.

Jusqu'à présent, Air France a mieux résisté au ralentissement du trafic aérien. On mesure donc la différence entre une gestion purement privée et une gestion publique, où le long terme prime sur les circonstances conjoncturelles et où l'intérêt général du secteur et celui des salariés sont pris en compte !

Nous avons besoin, Monsieur le ministre, non d'un bradage mais d'un véritable pôle public de transport aérien, ouvert à la concurrence, contribuant, avec les autres modes de transport, à l'aménagement de notre territoire, dans la perspective du développement durable.

Non seulement vous abandonnez le principe de la péréquation tarifaire, condition sine qua non d'un développement équilibré de notre territoire, mais vous n'intégrez pas la nécessaire complémentarité des modes de transport et des infrastructures dans un souci d'économie d'énergie, de réduction des durées de trajets et de diminution de la pollution.

C'est notre secteur public que vous sacrifiez avec un tel projet de loi !

Le dispositif financier non plus que les mesures conservatoires destinées à préserver la nationalité du capital ne dotent l'Etat d'aucun levier décisif pour préserver nos intérêts stratégiques dans le secteur et y assurer le maintien des missions de service public. C'est bien une dérégulation totale du secteur qui se profile, ce qui n'est pas acceptable.

La preuve est faite que la détention majoritairement publique du capital n'est pas un handicap pour Air France.

Les stratégies d'alliances démontrent que le transport aérien se structure non sur des échanges capitalistiques, mais bien sur des partenariats commerciaux. Dans la mesure où les enjeux des alliances se situent moins sur le terrain financier que sur le terrain commercial, le statut public d'Air France ne peut être invoqué comme un frein à de nouveaux partenariats.

Derrière les arguments avancés, on voit poindre les vraies motivations du Gouvernement, motivations idéologiques, mais aussi budgétaires.

Le Gouvernement doit en effet impérativement exploiter de nouvelles mannes budgétaires pour tenir ses promesses électorales de baisse des impôts pour les plus riches sans encourir de blâme européen quant au déficit budgétaire.

Après le sacrifice d'Air Lib, deuxième compagnie nationale, au profit des compagnies low cost étrangères dont vous assurez la promotion - en particulier Easy Jet -, vous nous proposez de privatiser Air France. En cette période incertaine, c'est un risque majeur pour l'avenir du transport aérien français, auquel nous ne pouvons que nous opposer fermement (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean Proriol - Ce projet de loi s'inscrit dans la continuité de l'ouverture effective du capital d'Air France en 1999, mais il revêt une dimension prospective et bien plus large. Il offre les moyens juridiques indispensables à la pérennisation de l'exploitation et des droits de trafic des compagnies françaises. Il ne s'agit donc ni d'un transfert de propriété ni d'une nouvelle privatisation d'Air France : celle-ci a été votée le 19 juillet 1993, avec la loi justement dénommée « de privatisation ».

J'ai relevé quelques propos dogmatiques ou idéologiques...

M. Jean-Louis Idiart - Ne critiquez pas votre ministre !

M. Jean Proriol - ...dans la défense de l'exception d'irrecevabilité et de la question préalable, voire dans certaines interventions.

L'argument selon lequel la diminution déjà opérée de la participation de l'Etat créerait une situation immuable et viable pour la compagnie, grâce aux accords déjà passés, balaye d'un revers de main l'échec des discussions avec KLM, Alitalia ou Iberia. Comment des compagnies étrangères accepteraient-elles de prendre des participations dans une compagnie majoritairement détenue par un Etat étranger ?

La volonté de s'en tenir au modèle des entreprises publiques dans un marché concurrentiel va à l'encontre des réalités de la mondialisation. C'est se cramponner aux modèles du siècle passé et se refuser à repenser l'action de l'Etat. La théorie juridique du service public - ou de la mission de service public, dont a parlé tout à l'heure Christian Blanc - a plus d'un siècle. A nous de l'enrichir, à nous de sauvegarder les droits des salariés. Ne feignons pas de croire que les monopoles nationaux ont dynamisé le trafic aérien et permis d'accroître l'offre tandis que la libéralisation signerait l'appauvrissement des dessertes ! C'est la libéralisation du ciel européen en 1993 qui a fait émerger les plates-formes de correspondance. Les hubs parisiens ou provinciaux assurent aujourd'hui pour une grande part la croissance du trafic.

Certes, le projet ne concerne aujourd'hui qu'Air France. Il met en place un système de garantie de la nationalité de l'entreprise cotée en Bourse. C'est ainsi qu'il prépare l'avenir, en conciliant le droit international - issu de la convention de Chicago, qui fonde le droit de trafic sur la nationalité des compagnies, dans le cadre d'accords de réciprocité bilatéraux et le droit communautaire, qui interdit la discrimination entre ressortissants d'Etats membres. Comment empêcher le changement de nationalité de la compagnie tout en préservant ce principe vis-à-vis de nos partenaires européens ? Le projet de loi a le mérite d'y parvenir.

Ce projet se définit donc à la fois comme la traduction du respect de l'engagement souscrit en 1993 auprès de la Commission européenne et comme une nécessité commerciale, ainsi que l'a rappelé notre collègue Christian Blanc, ancien président d'Air France.

En effet, l'enjeu de la desserte régionale suppose la réinvention des modes juridiques de régulation économique de l'Etat. La libéralisation du secteur aérien et l'ouverture des marchés nationaux à la concurrence intracommunautaire a eu une double conséquence : en premier lieu, la concentration par rachats successifs, confinant à un monopole de fait qui n'est pas sans rappeler la situation des marchés énergétiques nationaux.

D'autre part, la libéralisation a permis le développement d'un important maillage aérien par la création de liaisons provinciales. Mais cette évolution a eu pour corollaire une hiérarchisation dans la gestion des dessertes, au bénéfice des liaisons entre les agglomérations les plus rentables et au détriment des villes petites et moyennes, sans même parler de la politique de rabattage intensif, uniquement destinée à alimenter le hub de Roissy. Et c'est ainsi que l'on assiste, depuis deux ou trois ans, à la suppression de lignes transversales.

Mme Odile Saugues - Et ce n'est pas fini !

M. Jean Proriol - Peut-être ! Mais le mouvement a commencé au cours de la précédente législature !

Ce double phénomène pose clairement la transformation du rôle de l'Etat. Aux acteurs économiques, la gestion des intérêts d'entreprise, à l'Etat, la garantie de l'intérêt du public et la définition des logiques prioritaires. Dès lors qu'est levée l'hypothèque d'un Etat qui pèse effectivement sur les décisions via sa mainmise d'actionnaire, de nouvelles régulations sont possibles. S'agissant des plates-formes de correspondances, les risques de voir les utilisateurs se désengager sont réels. Or, comme le notait récemment notre collègue Louis Giscard d'Estaing s'agissant de l'aéroport de Clermont-Ferrand-Auvergne, l'Europe via le FEDER, l'Etat par le FNADT et les collectivités territoriales ont largement contribué au financement d'importants travaux d'infrastructure dont la finalité serait remise en cause si la compagnie régionale CAE prenait la décision unilatérale de fermer des lignes, sans qu'il soit possible de peser sur ces décisions.

Face à ces logiques contradictoires, il appartient donc au politique de trancher résolument en faveur d'une politique d'aménagement et de développement de l'économie du territoire. Le mode de subvention et de péréquation via le FIATA devra sans doute être remis à plat. La redéfinition d'un partenariat autorités publiques-transporteurs-usagers se révèle inéluctable. La signature de conventions pluri-partites associant Etat, collectivités territoriales, chambres de commerce et transporteurs et qui imposeraient à ces derniers un cahier des charges spécifiques pour chacune des liaisons concernées en contrepartie de l'aide publique nationale et locale, comme le préconise le rapport d'information sénatorial de Jean-François Le Grand de mai 2001, m'apparaît comme une bonne solution. On ne peut donc que louer votre initiative, Monsieur le ministre, visant à lancer une réflexion sur l'exercice des missions d'intérêt général spécifiques aux transports aériens. Je souhaite que l'examen de ce texte soit l'occasion de débattre de ces enjeux cruciaux tant pour le transport international que pour la desserte et donc l'avenir de nos territoires (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Michel Pajon - Ce projet est aussi inopportun qu'approximatif. Inopportun, parce que vous avez choisi de le présenter au Parlement dans une conjoncture particulièrement inadaptée pour débattre sereinement des questions relatives au transport aérien et pour envisager une cession de capital dans ce secteur.

Vous avez pris la responsabilité de faire voter ce texte précipitamment, alors que l'attention de l'opinion publique est captée par la question irakienne, alors que le transport aérien français est lourdement frappé par le dépôt de bilan d'Air Lib, alors que les marchés financiers sont au plus bas et que les tensions internationales hypothèquent encore un peu plus l'avenir du secteur aérien.

A l'annonce d'un déficit public évalué à 3,4 % du PIB, on comprend que vous ayez d'ardentes motivations pour brader à la hâte nos entreprises publiques (Protestations sur les bancs du groupe UMP) . Mais il faut tout de même beaucoup de légèreté et bien peu de réalisme pour envisager de vendre, d'ici deux ans, l'action Air France, qui a atteint son cours le plus bas des cinq dernières années !

Malgré des indicateurs économiques très favorables pour une entreprise publique qui n'a enregistré aucune perte après les attentats du 11 septembre 2001 et qui a maîtrisé son endettement, l'action Air France a perdu 60 % de sa valeur en un an. D'évidence, l'entreprise n'est pas cotée à sa valeur réelle et il est plus que téméraire d'envisager sa vente dans des conditions satisfaisantes dans le délai de deux ans que vous prévoyez.

Du reste, les objectifs de valorisation que vous vous êtes fixés ne sont guère rassurants : un milliard d'euros pour plus de 30 % du capital d'Air France, voilà qui paraît très inférieur à la valeur historique de cette compagnie performante.

Il est vrai que cet objectif n'est même pas inscrit dans votre projet : c'est un des nombreux non-dits de ce texte, dont la rédaction lacunaire se garde bien de faire encadrer ou garantir par la puissance publique les dispositifs envisagés.

S'agissant ainsi de la nationalité de l'entreprise, l'Etat ne disposera plus que d'une procédure de dernier ressort pour intervenir en urgence en cas de prise de contrôle par des intérêts étrangers. C'en est donc terminé de la « golden share » qui permettait un contrôle souple et régulier du capital de l'entreprise.

Concernant le passage des salariés au régime de droit commun, le Gouvernement abandonne à la seule négociation collective la responsabilité de redéfinir les conditions de travail du personnel d'Air France. Une fois de plus, la loi s'abstient de poser des garde-fous et de garantir certains acquis sociaux qui sont aussi des gages de la qualité d'Air France.

Enfin, le projet supprime purement et simplement l'obligation faite à la compagnie en matière d'aménagement du territoire. Le texte ne détermine pas les conditions dans lesquelles le service pourra continuer à être assuré sur des liaisons non rentables.

En réalité, ce projet est sous-tendu par une idéologie libérale débridée qui n'est pas à une approximation près. Ainsi, vous laissez entendre qu'une gestion privée serait plus performante qu'une gestion publique, mais vous n'expliquez pas ce qui fait aujourd'hui la force d'Air France, deuxième compagnie européenne et troisième compagnie mondiale pour le transport aérien de personnes.

De même, vous prétendez que la transformation d'Air France en société privée cotée en Bourse facilitera les alliances nécessaires dans un contexte économique mondialisé, mais vous omettez de relever que ces alliances étaient déjà pratiquées, comme l'illustre la constitution réussie du réseau SkyTeam.

Vous évoquez enfin la possibilité ouverte par la privatisation de recapitalisation par les marchés financiers, feignant d'oublier que la recapitalisation par l'Etat d'une entreprise publique est parfaitement compatible avec les règles de la concurrence européennes, pourvu que l'Etat se comporte en actionnaire de droit commun, comme il l'a fait en 1994.

Il n'est pas jusqu'au remplacement d'une partie des rémunérations salariales par une cession d'actions qui ne soit très politiquement marquée. En substituant partiellement à l'impôt progressif sur le revenu l'imposition proportionnelle sur les plus-values de cession de valeurs mobilières, cette disposition profitera en effet en priorité, une fois de plus, aux plus hauts revenus.

De toute évidence, votre texte n'est pas opportun ; il offre peu de garanties ; il repose sur des préjugés idéologiques. Nous y sommes donc défavorables (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer - J'ai entendu avec intérêt M. Goulard exposer quels inconvénients il y aurait à maintenir Air France dans le secteur public. La compagnie a déjà coûté cher aux contribuables, et l'on ne peut prendre le risque qu'elle ne lui coûte à nouveau très cher (Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). Nous sommes dans le domaine concurrentiel, faut-il vous le rappeler ? Certains, ici, semblent ne pas s'en être encore rendu compte ; qu'ils se réveillent ! (Mêmes mouvements) C'est parce que vous ne l'avez pas compris que les Français vous ont sanctionnés ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

S'agissant du contrôle du capital, si vous refusez de m'entendre, écoutez au moins votre collègue Christian Blanc, ancien président d'Air France, expliquer en quoi il est important pour de futures alliances que la compagnie soit privatisée !

Je remercie M. Goulard d'avoir dit pourquoi il fallait poursuivre la privatisation engagée par la loi de 1993 qui n'a jamais été abrogée, le gouvernement précédent l'actuel ayant d'ailleurs largement ouvert le capital d'Air France.

Monsieur Lurel, vous avez parlé de manière scandaleuse de l'action du Gouvernement à propos d'Air Lib. Modérez donc vos propos, vous qui parlez d' « indécence » ! Si indécence il y a eu, ce fut celle de faire croire trop longtemps à 2 700 personnes que l'entreprise était viable, et de laisser le dossier en l'état en mai 2002 (Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). Drôle d'héritage que celui-là ! (« Et Seillière ? » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) Si assassinat programmé il y a eu, ce fut le fait du gouvernement précédent, qui a prêté 30,5 millions d'euros à Air Lib pour six mois - autrement dit, le temps que les élections soient passées ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) Vos gesticulations et vos dénégations n'y changeront rien ! Nous, nous avons donné toutes leurs chances aux repreneurs mais, malheureusement, la reprise a échoué et le tribunal a prononcé la liquidation. Aujourd'hui, notre seul souci, ce sont les salariés (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

M. Jean-Pierre Blazy - La compassion, toujours la compassion !

M. le Ministre - Et je n'ai rien imposé au président d'Air France. C'est lui qui a proposé de réserver mille postes aux salariés d'Air Lib dans son plan de recrutement de 3 000 agents. Reconnaissez-lui le mérite d'avoir tendu la main aux salariés d'Air Lib !

M. Jean-Pierre Blazy - On verra bien !

M. le Ministre - Il est tout aussi faux de prétendre que l'article 6 supprime les dispositions communautaires sur les liaisons de service public.

M. Charles de Courson, rapporteur de la commission des finances - Evidemment !

M. le Ministre - Les obligations de service public liées à la desserte de l'outre-mer continueront à s'appliquer quel que soit le statut. Voilà une autre contrevérité démolie et je ne reviens pas sur votre condamnation parfaitement contradictoire du duopole Air France-Corsair sur les DOM-TOM.

Mme Saugues a évoqué les mouvements sociaux. Lors de la grève de février, il n'a été recensé que 5,8 % de grévistes parmi les personnels au sol et il semble que la participation ait été plus faible encore aujourd'hui.

Mme Odile Saugues - Lorsqu'on craint pour son emploi, on hésite à faire grève !

M. le Ministre - Monsieur le député Christian Blanc, vous avez rappelé qu'une entreprise privée peut se voir confier des missions de service public et vous avez eu raison de le faire car bien des confusions sont entretenues à ce sujet. Le texte n'a aucun impact sur l'accomplissement des missions de service public. D'autre part, Air France pourra jouer à armes égales, dans un champ concurrentiel. C'est votre expression et j'y souscris pleinement. Notre but est bien de donner toutes ses chances à Air France. C'est pourquoi nous avons conservé la structure actuelle du conseil d'administration. Cette disposition - qui constitue une possibilité et non une obligation - a pour but de ne pas compliquer les discussions sociales à venir en laissant aux négociateurs toutes la souplesse requise.

M. Chartier a insisté sur les besoins financiers du FIATA et je partage son point de vue. Les besoins sont pressants mais le fonds est alimenté par la taxe de l'aviation civile qui pèse sur le prix du billet. J'ai demandé à mes services une étude d'ensemble en vue d'améliorer le système en révisant certaines règles.

M. Dutoit estime qu'Air France joue un rôle capital pour le lancement d'Airbus. Air France évolue dans un environnement concurrentiel et doit faire jouer la concurrence entre les constructeurs comme le font toutes les autres compagnies. Elle a du reste adopté une politique bien connue : 50 % d'Airbus, 50 % de Boeing environ.

M. Bartolone se demande si la démarche obéit à la logique du gagnant-gagnant. Le gagnant, c'est l'entreprise qui va bénéficier de la même souplesse de gestion que ses concurrentes et c'est l'Etat facilitateur - et non « capitaliste » - qui donne sa chance à la compagnie. Ainsi, l'Etat ne courra plus le risque de la faire échouer : si elle venait à devoir augmenter son capital, elle fera - comme toutes les entreprises - appel au marché !

Merci, Monsieur Le Guen, d'avoir souligné le caractère raisonnable de ce texte. A ce stade, l'Etat gardera environ 20 % du capital. Le projet prévoit une démocratisation de l'accès au capital et un dispositif clair pour garantir les droits de trafic d'Air France.

M. Blazy s'inquiète pour le personnel. Puisque la privatisation est légale depuis 1993 et que nul ne l'a remise en cause, je crois utile de rappeler que ce projet de loi vise deux objectifs : Air France doit rester - et cela a été peu souligné - une compagnie majoritairement française et ses personnels seront protégés. Au reste, le personnel de la compagnie est beaucoup plus nuancé que M. Blazy ! Sur 70 000 personnes, une pétition a recueilli 14 000 signatures : c'est beaucoup, mais cela ne représente que 20 % du total. Quant à la manifestation de tout à l'heure, elle n'aurait, me dit-on, rassemblé que 150 personnes soit 2 % de l'effectif... Voyez aussi le résultat des élections professionnelles du 6 mars : toutes les organisations hostiles au projet reculent ; celles qui le soutiennent progressent ! (Murmures sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

Merci, Monsieur Proriol, pour votre excellente analyse et pour vos réflexions sur la nécessaire amélioration du FIATA. Si vous pouvez nous faire part de vos réflexions pour optimiser le système, je suis certain que la plupart de nos régions en bénéficieront.

M. Pajon nous accuse de vouloir brader Air France, alors que nous n'avons pas cédé une seule action ? C'est vous qui avez cédé des actions ! (Murmures sur les bancs du groupe socialiste) Peut-on sérieusement parler de bradage lorsqu'il s'agit de protéger les salariés de la compagnie et de faire en sorte qu'elle reste française ! Reparlons-en lorsqu'on aura vendu ! Dans la loi, il n'y a aucun chiffre de vente. Il serait déraisonnable de s'avancer là-dessus dans le climat boursier actuel alors que l'action est au-dessous des 8 €...

M. Jean-Pierre Blazy - Alors quand ?

M. le Ministre - Faites-nous confiance, on attendra que le marché soit porteur ! Quant au service sur des lignes non rentables, il continuera d'être assuré comme aujourd'hui, conformément au droit de la concurrence (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP).

MOTION DE RENVOI EN COMMISSION

M. le Président - J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une motion de renvoi en commission.

M. Jean-Louis Idiart - Merci, Monsieur le ministre, d'avoir répondu à la volonté majoritaire des syndicats d'Air France : à vous entendre, vous allez privatiser parce que les syndicats y sont favorables !

A vous entendre, il y aurait ceux qui savent et ceux qui ne comprennent rien, la France d'en haut et l'autre France...

Je voudrais d'abord dénoncer l'organisation de nos travaux. Nous ne pouvons qu'en regretter la précipitation. La surcharge de travail imposée à la commission des affaires économiques a conduit à retenir une organisation différente de celle du Sénat et c'est fâcheux.

La commission des finances a donc été saisie au fond et les commissaires des affaires économiques n'ont pu auditionner le ministre sur ce texte très important.

Voici donc une commission des finances qui auditionne le ministre, désigne dans la foulée un rapporteur et examine tout de suite plusieurs amendements de ce rapporteur à peine nommé ! Décidément, les pratiques se dégradent alors que nos concitoyens attendent de l'exécutif plus de transparence et du législatif un travail plus approfondi !

Nous avons eu à neuf heures ce matin le rapport sur ce texte qui venait en discussion à seize heures ! Il est tout aussi anormal que la commission des finances se soit réunie sur un autre sujet alors même que débutait dans l'hémicycle la discussion de ce projet.

Mais l'opposition n'a pas le sentiment d'être respectée. Libre à la majorité de s'accommoder de pratiques aussi expéditives.

Les rapporteurs de la majorité ainsi que vous-même, Monsieur le ministre, avez rappelé qu'Air France faisait partie des entreprises privatisables depuis la loi de 1993... Vous conviendrez que cet argument est bien faible pour éviter un débat sur l'avenir de la compagnie, de la politique de transport aérien et du service public.

Quelles que soient les faibles dénégations des rapporteurs, au Sénat ou dans cette Assemblée, il est bien évident que les autres compagnies aériennes ne sont guère prises en compte.

D'abord, parce qu'elles sont de moins en moins nombreuses. La concomitance de nos débats et des déboires de la compagnie Air Lib n'aura échappé à personne.

Vous vous êtes contenté de donner des instructions à Air France pour qu'elle participe au traitement du choc social engendré par la disparition d'Air Lib. Mais les premiers éléments dont bénéficient les salariés semblent indiquer que les « reclassements » évoqués risquent d'être limités à des embauches sans que soit prise en compte l'expérience.

Au contraire, l'état des lieux doit être fait au plus vite - ce qui à soi seul justifierait un examen plus approfondi en commission.

Les entreprises de transport aérien autres qu'Air France, c'est-à-dire, essentiellement, les compagnies low cost, ne sont guère prises en compte.

Une réflexion devrait être menée sur leur comportement face à l'Etat - application des réglementations sociales, participation à l'aménagement du territoire - et face aux collectivités locales - décisions d'implantation.

Votre texte ne définit aucun cadre pour l'exercice des missions de service public qui pourraient être confiées aux transporteurs aériens.

Qu'avez-vous déclaré en commission des finances, Monsieur le ministre ? Vous avez reconnu, sans en tirer les conséquences, qu'un problème se posait pour les dessertes outre-mer : « La desserte de l'outre-mer ne pose pas de problème en termes d'offre mais il semblerait qu'elle en pose en terme de coût pour les passagers ».

M. Victorin Lurel - Ah oui !

M. Jean-Louis Idiart - Quel aveu de faiblesse ! Dois-je vous rappeler que même dans le cadre minimal du service universel défini au niveau communautaire, l'accès au service de l'ensemble des usagers doit être assuré à des tarifs raisonnables ?

Vous affirmez que la création d'une autre entreprise est envisageable, sans guère plus de précision qu'un nom hypothétique : « Air Dom ». Ne pensez-vous pas que la discussion de ce projet de loi ne peut souffrir de telles imprécisions ?

M. Victorin Lurel - Les ayatollahs du marché !

M. Jean-Louis Idiart - Un débat plus approfondi en commission serait nécessaire.

Autre sujet essentiel : la définition de nouvelles règles de service public. Pourquoi vous êtes-vous contenté de supprimer le cadre actuel et avoir renvoyé à plus tard la redéfinition des règles ?

Il est évident qu'il sera beaucoup plus difficile de négocier face à un ensemble d'opérateurs privés, c'est-à-dire si vous ne créez pas un monopole privé contesté seulement par les compagnies low cost !

Le modèle que vous nous présentez - privatisation puis réflexion sur un éventuel cahier des charges pour les opérateurs privés afin que les obligations de service public soient remplies - est assez inédit... Je vous cite : « Cette évolution pose toutefois la question d'un nouveau cadre pour l'exercice de missions d'intérêt général spécifique aux transports aériens permettant de pallier les inconvénients de la contractualisation et de la réquisition. Une réflexion a été lancée sur ce sujet afin de déterminer quelles missions d'intérêt général l'Etat pourrait confier aux entreprises de transport aérien et quel cadre juridique, prenant en compte l'ensemble des compagnies françaises, pourrait, dans cette perspective, être mis en place »...

On ne saurait mieux dire à quel point votre texte est incomplet ! Vous nous dites préparer la privatisation et vous avouez que vous n'en êtes qu'au stade de la réflexion sur l'organisation du transport aérien et du service public qui devra pallier la disparition de l'opérateur public !

Même si vous n'osez plus tenir les discours de 1986 et de 1993, ce sont les mêmes modèles dérégulateurs qui inspirent votre action.

Ce gouvernement n'a qu'une obsession, faire reculer la présence de l'Etat, même au mépris de l'emploi et de l'organisation du territoire.

En commission, il suffisait d'entendre nos collègues de l'UMP apporter leur soutien à M. Trichet pour le funeste projet de la Banque de France. Certains même s'immolaient au nom de leur propre ville ! Je ne reviens pas de ma circonscription sans que l'on m'ait annoncé de nouvelles fermetures de services publics. Quand l'Etat fait des économies, il le fait sur le dos des mêmes !

L'idéologie thatchérienne gagne tous les secteurs gouvernementaux.

Pourquoi ne parlez-vous plus de British Airways, le modèle de la droite en 1993, cette si grande compagnie dégageant des bénéfices au contraire de « la passéiste » Air France ?

Dix ans plus tard, regardez les résultats d'Air France. Qui a gagné ? Que sont devenus les grands exemples de ses concurrents privés que vous ne cessiez de vanter ? Vos prévisions sont contredites. Votre projet de loi est également lacunaire sur la privatisation proprement dite d'Air France.

Vous affirmez que la privatisation est nécessaire pour avoir accès aux marchés de capitaux, assurer le financement de la flotte et le développement de la compagnie.

Faut-il rappeler les déboires que connaissent nombre de compagnies qui ont transféré aux banques et organismes financiers la propriété d'une grande partie de leurs flottes, jusqu'à 80 % pour British Airways ?

Avoir accès aux marchés signifie réduire les coûts pour répondre aux attentes des actionnaires. Ainsi les entreprises cherchent à réduire de plus en plus leurs besoins en capitaux en utilisant l'endettement.

Une brusque chute de demande, des difficultés de trésorerie de court terme peuvent conduire à de graves difficultés pour régler les loyers mensuels dus aux banques.

L'exemple le plus marquant de ces dérives est American Airlines : la première compagnie américaine et mondiale a ainsi présenté un bilan 2002 marqué par des dettes financières de 11 milliards de dollars pour des fonds propres de 4 milliards.

Vous affirmez que la privatisation est nécessaire pour permettre de nouer des alliances.

Ma collègue Odile Saugues a bien montré que la logique du transport aérien réside dans des alliances commerciales et non capitalistiques.

Les rares protections prévues en 1986 et 1993 autour des actions préférentielles données à l'Etat ont disparu au profit d'un dispositif de dernier recours permettant d'éviter la perte des licences et droits de la compagnie, dont le contrôle serait pris par des investisseurs étrangers.

J'entends déjà vos remarques quant à la difficulté de mettre en place ce type d'action préférentielle. Mais la difficulté ne doit pas conduire à un abandon.

Examiner ce texte aujourd'hui n'est pas plus opportun lorsqu'on songe combien la confiance des épargnants est mise à mal par la situation des marchés et les différentes affaires de transparence des comptes, certes venues des Etats-Unis, mais auxquelles nous n'échapperons pas totalement. Nous ne pouvons que déplorer que vous ayez choisi de lancer la privatisation d'Air France avant d'avoir entamé la discussion du projet de loi relatif à la sécurité financière, qui permettra d'aborder la question du gouvernement d'entreprise.

Concrètement, le texte ne propose que de sauvegarder l'organisation actuelle du conseil d'administration, qui assure une représentation des salariés plus favorable que le droit commun. Le rapporteur a intenté de mauvais procès et songe à remettre cette particularité en cause pour mettre fin à l'émiettement syndical... Mais on voit mal comment, dans le contexte actuel, réduire la représentation des Stackholder, c'est-à-dire des ayants droit, dont font partie les salariés, garantirait une meilleure paix sociale à très court terme...

En ce qui concerne le mécanisme prévu à l'article premier pour la sauvegarde des licences, il conviendra de s'assurer que les salariés pourront y participer, puisque leur emploi est en jeu, au même titre que les actionnaires. Les amendements du rapporteur soulèvent la question, mais sans y apporter de réponse satisfaisante. Ce point essentiel mériterait également un examen plus approfondi au sein des commissions des finances et des affaires économiques, qui gagneraient à être éclairées par notre travail sur le texte relatif à la sécurité financière.

Enfin, vous affirmez que les salariés pourront renégocier leur statut à l'identique. Cela me paraît manquer de respect à l'encontre des salariés. Comment prétendre que des propriétaires privés ne chercheront pas par tous les moyens à remettre en cause ce statut, à plus ou moins long terme, afin d'abaisser les coûts ? Dois-je vous rappeler que la majorité ne manque pas une occasion, notamment par la mise en place d'une commission d'enquête sur la gestion des entreprises publiques...

M. François Goulard - Il en faudrait plusieurs !

M. Jean-Louis Idiart - Vous êtes plus inspiré maintenant que lorsqu'il s'agit de nous permettre d'examiner correctement les textes !

Vous ne manquez donc pas une occasion de mettre en cause « une dérive généralisée des coûts, et particulièrement des charges de personnel ». Ayez au moins le courage de vos opinions ! Si, comme le groupe socialiste, vous jugez effectivement essentiel de préserver le statut des salariés, n'instaurez pas une période de deux ans et des renégociations... Seul un retour en commission permettra d'améliorer ce dispositif. Sans cela, ainsi que le disait Odile Saugues, c'est la mort annoncée des dispositions essentielles du statut.

En ce qui concerne enfin les aspects budgétaires de la privatisation, la commission doit pouvoir travailler sur le produit que vous en attendez et sur son calendrier, qui nous restent largement inconnus (Protestations sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

Il est inadmissible, Monsieur le ministre, que la représentation nationale ne soit pas informée précisément du montant des recettes que vous attendez (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste).

Faute d'informations complémentaires sur vos estimations, nous sommes tenus de procéder par des calculs approchés. Nous déduisons du montant du compte d'affectation spéciale 902-24, relatif aux « ouvertures de capital privatisantes », que les recettes que vous envisagez sont inférieures à 1,6 milliard. Le rapporteur pour avis du Sénat, M. Fréville, a du reste indiqué que les recettes pourraient être de l'ordre d'un milliard. Je suppose qu'il disposait de quelques informations.

Mme Odile Saugues - Soldes à tous les rayons !

M. Jean-Louis Idiart - Tout ce que vous avez consenti à nous apprendre est que vous n'envisagez pas, « bien sûr », de vendre à un cours de 8 €. Une nouvelle fois, vous refusez le pire... pour ne faire que le très mauvais. Cette information est la bienvenue, si l'on se souvient qu'en 1994, les contribuables avaient consacré 3 milliards d'euros à la recapitalisation de l'entreprise, mais elle ne nous renseigne que modérément sur les projets précis du Gouvernement...

Vendre la totalité des parts de l'Etat à un cours de 8 € rapporterait près de 997 millions, si l'on se base sur le dernier rapport « Trésor et entreprises publiques » de M. Diefenbacher. Vendre 35 % du capital, pour ramener la participation de l'Etat autour de 20 %, rapporterait donc près de 650 millions. Pour tirer un milliard des mêmes 35 %, il faudrait vendre à un cours de 12,3 €. Cela reste bien loin du cours de 25 € de la fin 2000, mais cela équivaut au cours du 30 septembre 2001, quinze jours après les attentats contre les Etats-Unis... Personne ne songe, je pense, à présenter ce cours comme représentatif de la valeur réelle de l'entreprise.

Si vous acceptiez sinon d'abandonner, du moins de remettre la privatisation à de meilleurs jours, après 2003, se poserait bien sûr le problème d'un milliard manquant, dans un climat budgétaire déjà assombri par la situation internationale et par vos malheureuses options de politique économique. Le ministère des finances, après avoir expliqué qu'il ne gelait pas les crédits, mais les mettait en réserve, se dirige visiblement vers la rigueur, avec son cortège de demandeurs d'emplois et de fermetures dans les villes moyennes. Je comprends que vous n'ayez, dans cette perspective, guère de marges de man_uvre... Votre dilemme se situe donc entre le bradage et le gel, mais nous n'en savons pas plus !

Il apparaît donc que ce projet de loi est mal préparé, précipité pour de pures raisons d'affichage, sans qu'aucune réflexion sérieuse sur l'avenir du service public des transports n'ait été conduite. Le retour en commission nous permettra de procéder à ce travail, qui aurait dû être préalable. Je vous appelle donc à voter cette motion de renvoi en commission (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

M. le Rapporteur - Sur la forme, d'abord, permettez-moi de vous rappeler que ce texte a été adopté en conseil des ministres en décembre et que le Sénat n'y a apporté qu'un amendement de forme. Vous disposiez donc de trois mois pour l'examiner. Nous avons eu le temps d'en discuter. Le ministre a été auditionné. Vous n'avez d'ailleurs pas déposé d'amendements dans le cadre de l'article 88.

M. Jean-Louis Idiart - Nous ne disposions pas du rapport !

M. le Rapporteur - Cela n'a pas empêché vos collègues communistes d'en déposer une dizaine. Quant au fait que le rapport n'ait été distribué que ce matin, je vous rappelle que je l'ai écrit en huit jours. Vous aviez du reste tout le temps de le lire avant le début de la séance.

Venons-en au fond. Vous avez soulevé un véritable problème : celui des pratiques anticoncurrentielles des compagnies de low cost. C'est un des points que je développerai d'ailleurs dans mon rapport sur le transport aérien, dans le cadre du projet de budget pour 2004. Mais ce problème n'a rien à voir avec le texte dont nous discutons ! Il s'agit de la politique de la concurrence que nous voulons mener.

Ensuite, vous avez, pour la énième fois, repris le thème du service public. Mais qu'avez-vous dit du caractère de service public du transport aérien ? Dois-je vous rappeler encore une fois que la part du chiffre d'affaires d'Air France liée au service public est de 6,2 % ? Air France n'est pas un service public, et, qu'elle soit publique ou privée, elle assurera le service public, qui concerne essentiellement les DOM-TOM et la Corse. Ces activités ne donnent d'ailleurs pas lieu actuellement à des compensations.

Vous avez également demandé pourquoi le Gouvernement n'avait pas choisi l'action spécifique. J'ai écrit dans mon rapport qu'il y avait songé, mais a dû y renoncer en raison de l'arrêt du 4 juin 2002 de la Cour de justice des communautés, qui a annulé une série d'actions spécifiques, dont une concernant la France et qui portait sur Elf.

Il faut garder la tête froide : vous utilisez le terme de « bradage ». Mais le ministre s'est bien gardé de répondre, lorsqu'on lui a demandé à quelle date il envisage de privatiser ! A moins d'être fou, on ne vend pas lorsque le prix est au plus bas ! On attend des circonstances plus favorables ! (Murmures sur les bancs du groupe socialiste)

Si j'avais un conseil à donner au Gouvernement, c'est de surtout ne pas dire à quelle date il compte vendre, car cela a toujours pour conséquence la dépréciation du bien.

Pour toutes ces raisons, je vous propose de repousser cette motion (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP).

M. François Goulard - M. Idiart a trop d'expérience pour s'étonner de voir un rapport sortir quelques heures avant le début de la discussion. Ce sont malheureusement nos conditions habituelles de travail, dont nous nous accommodons, dans la majorité comme dans l'opposition.

Pour ce qui est du calendrier des cessions d'action, M. Idiart interfère avec le pouvoir réglementaire. Quant à son souhait d'avoir plus de marge pour apprécier l'opération, il a eu tout le temps d'y réfléchir depuis 1993, date à partir de laquelle les gouvernements ont eu la possibilité de privatiser Air France. Sa démonstration atteste qu'il a su mettre ce délai à profit.

Nous ne voyons aucune raison de renvoyer ce texte en commission (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Claude Bartolone - Vous nous dites qu'il n'est pas question de mettre l'action d'Air France sur le marché tant qu'elle vaudra moins de huit euros. Raison de plus pour prendre le temps de retourner en commission, d'autant que ni les prévisions du Medef sur le taux de croissance et l'amélioration de la situation économique, ni celles des économistes sur les conséquences de la guerre en Irak ne sont optimistes.

De surcroît, l'échange que vous avez eu avec un représentant des DOM-TOM plaide en ce sens, tant le transport aérien est important dans cette région.

Je revois le Président de la République calmer les inquiétudes des DOM-TOM et aujourd'hui, M. le rapporteur voudrait nous faire croire que les DOM-TOM représentent une faible part du chiffre d'affaires d'Air France.

Pour ce qui est de la nouvelle réglementation au niveau européen, il est vrai que nous devons renégocier les droits des pays extracommunautaires, et là encore l'incertitude où nous sommes justifie le renvoi en commission. Quant au personnel, vous avez cité, Monsieur le ministre, un chiffre de manifestants, alors que vous savez bien que celui-ci n'est pas révélateur de l'inquiétude des salariés. Comment les salariés d'Air France pourraient-ils manifester leur angoisse quand ils savent qu'aucune autre compagnie aérienne ne pourrait les reprendre aujourd'hui ? Songez qu'il a fallu six ans aux compagnies aériennes pour retrouver une certaine stabilité après la première guerre du Golfe. Comment alors n'accorder que deux ans aux salariés pour négocier avec leur direction ? De l'Etat, des salariés ou des usagers, je ne vois pas où sont les gagnants ! Aussi voterons-nous cette motion de renvoi (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n'est pas adoptée.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance qui aura lieu demain, mercredi 12 mars, à 15 heures.

La séance est levée à 23 heures 25.

            Le Directeur du service
            des comptes rendus analytiques,

            François GEORGE

ORDRE DU JOUR
DU MERCREDI 12 MARS 2003

A QUINZE HEURES : 1ère SÉANCE PUBLIQUE

1. Questions au Gouvernement.

2. Suite de la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat (n °632), relatif aux entreprises de transport aérien et notamment à la société Air France.

M. Charles de COURSON, rapporteur au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du plan. (Rapport n° 654).

M. Jean-Pierre GORGES, rapporteur pour avis au nom de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire. (Avis n° 655).

3. Discussion de la proposition de loi, adoptée par le Sénat (n° 642), portant modification de la loi n° 2001-647 du 20 juillet 2001 relative à la prise en charge de la perte d'autonomie des personnes âgées et à l'allocation personnalisée d'autonomie.

M. Georges COLOMBIER, rapporteur au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. (Rapport n° 685).

A VINGT ET UNE HEURES : 2ème SÉANCE PUBLIQUE

Suite de l'ordre du jour de la première séance.


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