Accueil > Archives de la XIIe législature > Les comptes rendus > Les comptes rendus analytiques (session ordinaire 2002-2003)

Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2002-2003 - 67ème jour de séance, 167ème séance

2ème SÉANCE DU MARDI 18 MARS 2003

PRÉSIDENCE de M. Jean-Louis DEBRÉ

Sommaire

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT 2

IRAK 2

EMPLOI 5

SÉCURITÉ INTÉRIEURE 6

SITUATION DES FINANCES PUBLIQUES 7

ÉVASIONS DE DÉTENUS 8

CONVENTIONNEMENT DES ÉTABLISSEMENTS POUR PERSONNES ÂGÉES DÉPENDANTES 8

ÉDUCATION NATIONALE 9

ENTREPRISES DE TRANSPORT AÉRIEN 10

EXPLICATIONS DE VOTE 12

ALLOCATION PERSONNALISÉE D'AUTONOMIE 14

CAUSES ÉCONOMIQUES ET FINANCIÈRES

DE LA DISPARITION D'AIR LIB 19

POSTE ET TÉLÉCOMMUNICATIONS 28

SAISINE DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL 39

ORDRE DU JOUR DU
MERCREDI 19 MARS 2003 39

La séance est ouverte à quinze heures.

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

IRAK

M. le Président - J'ai souhaité, en accord avec la Conférence des présidents, que les quatre premières questions portent sur l'Irak et fassent l'objet d'une réponse commune, ce que le Premier ministre a bien voulu accepter (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Alain Bocquet - Nous vivons des jours et des heures d'une gravité exceptionnelle. George Bush a confirmé avec morgue et cynisme, cette nuit, sa volonté de faire la guerre en Irak contre la volonté internationale, en torpillant l'ONU, au mépris de sa charte, du droit, des résolutions du Conseil de sécurité, de l'opinion publique mondiale massivement opposée à cette entreprise militaire d'occupation.

Chacun mesure la responsabilité historique prise par les Etats-Unis - membres permanents du Conseil de sécurité, toujours prompts à en appeler aux valeurs morales - en décidant d'user de la force au nom de la défense de leurs intérêts stratégiques, financiers et pétroliers, au nom de leurs visées hégémoniques. Les Etats-Unis veulent ainsi déstabiliser le monde pour le dominer sur tous les plans. Ils s'érigent en maîtres et gendarmes du monde : c'est inacceptable.

La guerre de George Bush est une aventure illégale et illégitime mais aussi dangereuse, dont on connaît les conséquences, et notamment l'escalade incontrôlable des tensions et du terrorisme. Une telle attitude ouvre la porte à tous les excès. Nous pensons aux destructions, aux souffrances infligées au peuple irakien, déjà victime de la dictature sanglante de Saddam Hussein et de l'embargo. Des enfants, des hommes et des femmes, des vieillards vont périr sous les bombes, dans le fer et le feu.

Nous avons apprécié la ténacité et la fermeté de la France pour éviter, avec d'autres pays, le désastre annoncé et pour que le désarmement de l'Irak se fasse par des voies pacifiques.

La guerre semble imminente ; nous ne pouvons nous y résigner. Nous ne pouvons accepter l'instauration d'un monde unipolaire où régnerait la loi de la jungle et du plus fort. Des millions de personnes attendent de la France la poursuite de son engagement pour faire triompher la voix de la raison et du droit en refusant toute contribution, si minime soit-elle, à l'entreprise guerrière américaine.

Quelles initiatives le Gouvernement compte-t-il prendre pour enrayer la logique de guerre ? L'ONU a démontré son rôle irremplaçable pour opposer à l'arrogance de la puissance brute la voix des peuples et la recherche de solutions pacifiques. Ne faut-il pas que la question de la paix et de la guerre fasse l'objet d'une réunion exceptionnelle de l'assemblée générale de l'ONU ? Nous proposons qu'une adresse du Parlement français soit transmise à tous les parlements d'Europe et du monde pour peser dans le sens de la paix.

Le refus de la fatalité de la guerre doit s'exprimer avec détermination (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).

M. Philippe Douste-Blazy - Le groupe UMP est fier de voir la France s'imposer sur la scène internationale pour défendre la paix et rappeler que l'ordre mondial ne peut exister sans le respect du droit international comme l'a rappelé M. le Président de la République il y a quelques heures (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Malgré les efforts de la diplomatie française, les hostilités sont sur le point d'être déclenchées. Les Français se posent deux questions : quelles mesures le Gouvernement entend-il prendre pour prévenir les éventuelles conséquences de ce conflit sur notre sol - menaces terroristes ou tensions entre communautés ? Quelles initiatives entendez-vous prendre pour que l'Union européenne tire les conséquences de cette crise pour son avenir politique ? Un seul devoir s'impose à l'Europe : l'union, dans l'affirmation de ses valeurs universelles (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Marc Ayrault - L'ultimatum de M. Bush à l'Irak a fermé la voie d'une issue pacifique à la crise. Combien paieront de leur vie cet aveuglement ?

J'exprime la solidarité des socialistes à l'égard du peuple irakien qui subit le double joug de la guerre et de la dictature ; je salue la noblesse du geste de M. Robin Cook, qui démissionne pour ne pas cautionner cette aventure guerrière ; je salue les millions de personnes qui ont dit non au recours à la force, y compris aux Etats-Unis.

Le Président américain prend la responsabilité de déclencher une guerre hors-la-loi, contre l'avis du Conseil de sécurité de l'ONU. Un coup terrible est porté à la grande idée qui guide la communauté internationale depuis cinquante ans : une sécurité collective fondée sur des règles de droit partagées par tous. Cette guerre porte en elle une onde de choc tragique pour le monde - crise avec le monde arabo-musulman une nouvelle fois soumis à la loi de la guerre, au risque de provoquer un choc des civilisations ; crise de l'ONU réduite au rôle de chambre d'enregistrement impuissante et délégitimée ; crise de l'OTAN, où les alliés n'ont d'autre choix que de se soumettre ou de se démettre ; crise de l'Europe, dont certains dirigeants ont préféré jouer les supplétifs d'une mauvaise cause ; crise de la France, ami loyal et historique que le gouvernement américain ose menacer de représailles. Le Président Bush doit savoir que toute notre nation est meurtrie par cette injuste campagne. Le refus de la guerre n'est pas l'expression d'un seul homme - fût-il Président de la République - mais la voix du peuple français dans son écrasante majorité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Je demande que le Parlement soit informé et consulté à tout instant. Ne nous résignons pas à l'inéluctable ; restons les militants d'un ordre international fondé sur le respect du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Aujourd'hui, la France est écoutée du monde ; qu'elle utilise cette force pour restaurer les pouvoirs de l'ONU et _uvrer à une conférence de paix au Proche et au Moyen-Orient.

Depuis le mois de septembre, nous avons manifesté notre opposition à cette guerre ; nous sommes favorables à l'utilisation du droit de veto et nous nous réjouissons que telle soit la position de la France.

Que la France retrouve l'ambition de construire une Europe maîtresse de son destin, capable de parler d'une même voix ! Monsieur le Premier ministre, êtes-vous prêt pour ces rendez-vous ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Philippe Folliot - L'honneur et la grandeur d'une nation se mesurent à sa capacité à être ferme et digne dans des circonstances exceptionnelles.

Derrière le Président de la République se trouve une France rassemblée, symbole du respect du droit international et de la paix. Rien ne saurait justifier qu'un Etat, seul, se comporte comme un empire, au mépris de la communauté internationale et de ses organes représentatifs et puisse engager le monde entier dans une tourmente dont nul, à ce jour, ne peut mesurer les terribles conséquences politiques, stratégiques, économiques, sociales, environnementales et, surtout, humanitaires.

La politique française est juste ; nous la soutenons depuis le premier jour ; fidèles à notre tradition, nous avons vocation à être un maillon indispensable dans la chaîne des peuples et des nations pour rapprocher l'Occident du Moyen-Orient, le Nord du Sud.

Dans quelques semaines ou quelques mois, viendra le temps de la reconstruction. La France s'honorerait à aider le peuple irakien qui, en moins de vingt ans, aura subi trois guerres et un embargo, avec leur cortège de morts, de souffrances et de désolation. Comment et dans quel cadre la France pourra-t-elle jouer le rôle que tous les peuples du monde attendent d'elle dans la paix future, la reconstruction de l'Irak, l'aide à son peuple et le nouvel ordre mondial ?

Aujourd'hui, le droit international cède devant la force, l'ONU est désavouée et l'Europe écartelée. Quelle initiative compte prendre le Gouvernement pour ressouder cette Europe en miettes qui, hélas, ne pèse pas dans les affaires du monde ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF)

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre - Je vous remercie, Monsieur le Président, de votre initiative de grouper en début de séance quatre questions ayant trait à la crise irakienne, permettant ainsi d'exprimer l'unité de toute la nation derrière les positions de la France, défendues par le Président de la République et notre diplomatie.

La guerre n'est pas encore déclarée et jusqu'au bout, nous nous battrons pour la paix. En dépit de l'ultimatum de 48 heures adressé par le Président des Etats-Unis, nous continuons et continuerons à affirmer les principes et les convictions qui ont guidé la démarche de la France jusque là. Tel est le message que vient d'adresser il y a quelques heures le Président de la République, tel est aussi le message d'une majorité de nations aujourd'hui dans le monde.

Notre première conviction est que l'ONU, née de la volonté commune, aux termes même de sa Charte, de « préserver les générations futures du fléau de la guerre », doit demeurer le lieu de la légalité internationale et le Conseil de sécurité le seule instance à pouvoir autoriser l'emploi de la force (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). Pour nous, il ne saurait y avoir de recours unilatéral à la force sans risque de fragiliser ce lieu de paix, ce lieu de légalité internationale que sont les Nations unies.

Notre deuxième conviction est qu'à l'occasion de la crise irakienne, l'ONU a trouvé, par le biais des inspections, un moyen pertinent de lutte contre le terrorisme et la prolifération. Nous regrettons donc profondément que cette démarche, qui a donné des résultats, ne puisse aller à son terme. Ces inspections, qui ont déjà conduit le dictateur irakien - à l'égard duquel nous n'avons aucune sympathie -, à détruire plus de 70 missiles Al-Samoud, sont la solution alternative à la guerre. C'est pourquoi la France a proposé, propose et continuera de proposer que l'on donne davantage de temps aux inspecteurs pour obtenir le désarmement pacifique de l'Irak.

Notre troisième conviction est que le recours unilatéral à la force par les Etats-Unis n'est pas la bonne réponse aux attentats du 11 septembre 2001, face auxquels nous avons témoigné au peuple américain notre révolte et notre solidarité. Ce qu'il faut combattre aujourd'hui, c'est le terrorisme et la prolifération des armes de destruction massive. Et cette guerre-là exige l'unité de la communauté internationale et que le Conseil de sécurité soit le lieu de la légalité internationale. A défaut, comment empêcher que des défenseurs de causes diverses, partout dans le monde, se sentant agressés, ne se croient autorisés à user du terrorisme et à menacer le monde ? Or, on le sait, le terrorisme est aujourd'hui beaucoup plus dangereux dans la mesure où les armes sont plus facilement accessibles et où de petites équipes suffisent à conduire des actions terrifiantes. Nous n'avons aucune sympathie, je le redis, pour le régime irakien et souhaitons obtenir le désarmement de l'Irak. Mais la voie unilatérale choisie par les Etats-Unis n'est pas la bonne. Preuve en est d'ailleurs qu'ils n'ont pas réussi à obtenir une majorité aux Nations unies sur cette question.

Comme le Président de la République l'a réaffirmé, nous demeurons les amis et les alliés des Etats-Unis (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP). La France est aujourd'hui en désaccord avec eux sur cette guerre mais ce sont précisément notre amitié avec le peuple irakien, notre gratitude pour le sang américain versé en Europe, qui nous autorisent à leur dire, en toute franchise et sincérité, que cette guerre n'est pas la réponse appropriée à la situation actuelle du monde et qu'il existe une autre solution. Cela, nous le dirons jusqu'à la dernière heure.

J'ai bien entendu les inquiétudes exprimées par MM. Bocquet, Douste-Blazy, Ayrault et Folliot, notamment sur l'avenir des Nations unies. Sachez que nous nous battrons pour faire en sorte que si, hélas, la guerre est lancée sans, voire contre l'avis des Nations unies, la paix, elle, se construise au sein de leur Conseil de sécurité. Nous mettrons toute notre énergie pour que l'OTAN et la construction européenne ne soient pas fragilisées par cette crise mondiale. J'ai personnellement veillé à rester en contact permanent avec l'ensemble des premiers ministres de l'Union européenne, de façon à expliquer nos divergences sur la crise irakienne mais aussi notre foi dans le projet européen. J'espère et je crois aujourd'hui possible un rapprochement entre la position franco-allemande sur l'avenir de l'Europe et la position hispano-britannique. Ni l'Espagne ni le Royaume-Uni ne sont des adversaires de la France, en dépit de la différence de nos points de vue sur l'Irak. N'oublions jamais que ni l'histoire ni la géographie n'ont jamais rendu l'Europe naturelle. C'est la capacité à surmonter les difficultés, à y puiser même des forces nouvelles, qui a donné à la construction européenne tout son sens. Nous le réaffirmerons au Conseil européen dans les prochains jours. Nos engagements en faveur de la paix et en faveur de l'Europe sont d'une égale extrême fermeté. La France est déterminée à s'adresser franchement à ses alliés mais tout autant, à ne pas se tromper d'adversaire. La France n'est pas devenue militante du pacifisme, elle l'est, comme elle l'a toujours été, des droits de l'humanité (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

EMPLOI

M. Bernard Accoyer - Ma question, qui s'adresse au ministre des affaires sociales, concerne la situation économique et sociale - l'emploi en particulier - encore aggravée dans le contexte de tension international actuel. Notre pays est confronté aux conséquences des mesures prises par le précédent gouvernement... (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste ; applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Gaspillage des fruits de la croissance, complexité accrue de la réglementation et judiciarisation croissante de la vie des entreprises, 35 heures généralisées et obligatoires... (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Face à cette situation, ce gouvernement a déjà pris plusieurs mesures comme la création des contrats jeunes en entreprise et l'allégement des charges, destinées à favoriser l'emploi. D'autres sont en préparation comme l'octroi de crédits supplémentaires pour les contrats aidés comme les CES et les CEC (Protestations sur les bancs du groupe socialiste), la mise en place des contrats d'insertion dans la vie sociale et des contrats d'initiative emploi, la transformation du RMI en revenu minimal d'activité.

Une conférence nationale pour l'emploi a été convoquée cet après-midi. Vous avez l'intention d'y travailler en concertation avec l'ensemble des partenaires sociaux, de façon à mobiliser toutes les énergies en faveur de l'emploi. Quels sont les objectifs assignés à cette conférence et quels résultats peut-on en escompter ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité - Face à la dégradation de la situation économique internationale, le Premier ministre a souhaité que l'Etat et les partenaires sociaux se mobilisent pour l'emploi. Je vais donc réunir cet après-midi l'ensemble des partenaires autour de cinq thèmes. Le premier est la formation professionnelle. Les partenaires sociaux ont engagé une négociation en vue d'honorer l'engagement pris par la majorité en faveur de l'assurance emploi. Cette négociation est de leur responsabilité, mais la situation actuelle nous conduit à leur demander d'avancer plus vite. A cette fin, nous dégagerons des moyens pour que réussisse cette négociation ; elle permettra à chaque Français de disposer d'un compte individuel de formation professionnelle.

Le deuxième thème est la nécessité de faciliter le maintien au travail des salariés de plus de cinquante ans. Pour encourager la négociation sur ce point, le Gouvernement accroîtra les aides aux entreprises qui recrutent ces salariés.

Le troisième dossier est celui des restructurations industrielles. Le Gouvernement souhaite que la négociation en cours s'articule avec le rôle de la mission chargée, dans le domaine des restructurations, tant de l'action préventive que des plans sociaux. Un effort particulier sera consenti en faveur des moyens affectés notamment aux cellules de reclassement et aux contrats de site.

Enfin, le Gouvernement souhaite poursuivre sa politique de réorientation des contrats aidés, dans le sens voulu par la majorité : plus de responsabilité, mise au travail de tous ceux qui le souhaitent, moins d'assistance. Nous avons besoin d'activer les dépenses de solidarité. Dans cet esprit, le Gouvernement vous proposera une réforme du RMI, avec l'institution d'un revenu minimum d'activité (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). Et il vous proposera de rendre plus attrayants les CIE, délaissés ces dernières années, mais qui permettent aux entreprises de recruter des chômeurs de longue durée. Nous allons proposer la création de 25 000 contrats d'insertion dans la vie sociale et, comme l'a annoncé le Premier ministre, engager 20 000 contrats emploi solidarité par mois d'ici à la fin 2003.

L'ensemble de ces mesures représente un effort supplémentaire de 300 millions d'euros. Le Gouvernement a en effet décidé, face à une situation économique qui s'aggrave, d'accélérer le rythme des réformes (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

SÉCURITÉ INTÉRIEURE

M. le Président - Je me fais l'interprète de l'Assemblée pour saluer la mémoire des policiers morts la nuit dernière dans l'exercice de leur mission.

M. François Calvet - Hier soir, en effet, trois jeunes policiers ont été tués et un quatrième grièvement blessé lors d'une course-poursuite dans les Hauts-de-Seine. Vous vous êtes immédiatement rendu sur place, Monsieur le ministre de l'intérieur. Au nom de tous mes collègues, je tiens à dire combien nous nous associons à la douleur des familles et espérons que la quatrième victime se rétablira rapidement.

Ces jeunes policiers ont été victimes d'un grave accident dans l'exercice de leurs fonctions. Cela nous rappelle le trop lourd tribut que paie la police nationale dans sa lutte contre la délinquance. Nos policiers doivent être soutenus chaque jour davantage, par des moyens, et par un cadre législatif adapté. A cet égard, nous avons voté le 13 février une loi sur la sécurité intérieure que le Conseil constitutionnel vient de déclarer conforme à la Constitution.

Mme Chantal Robin-Rodrigo - Avec des réserves !

M. François Calvet - Les attentes des Français sont grandes dans ce domaine. Pouvez-vous nous dire quelles seront les modalités d'application de ce texte ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales - Le moins que nous puissions faire, je crois, est d'entendre ces noms : Hubert Paris, trente-deux ans, marié, deux enfants ; Florent Niel, trente ans, marié, deux enfants ; et Cyrille Farre, vingt-cinq ans, sont morts brûlés vifs dans leur voiture qui s'est enroulée autour d'un platane, alors qu'ils poursuivaient quatre malfaiteurs montés sur deux motos. Ils n'ont écouté que leur devoir, en voulant rattraper les malfaiteurs qui avaient dérobé le sac d'une femme seule. Un délinquant a été arrêté cette nuit ; un autre, identifié, le sera bientôt. C'est l'occasion, pour la représentation nationale tout entière, de considérer combien les métiers de policier, de gendarme, de sapeur-pompier sont dangereux, de s'associer, comme l'a demandé le Président de l'Assemblée, à la douleur des familles, et d'exprimer son respect pour l'engagement de ces jeunes hommes et de ces jeunes femmes.

Il est difficile de passer de ce sujet à un autre, mais je vous confirme que, la semaine dernière, le Conseil constitutionnel a validé les 143 articles de la loi sur la sécurité intérieure : pas un article annulé, pas un passage modifié, qu'il s'agisse de l'ouverture des coffres de voitures, des fichiers, des perquisitions... Tout cela va maintenant pouvoir entrer dans la réalité. Les propos selon lesquels ce texte était liberticide et contraire aux droits de l'homme sont réfutés ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF) Le Conseil a tranché. La décision s'impose maintenant à tous, sauf à contester le juge, auquel cas nous ne serions plus dans une démocratie (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). Dès demain, la loi sera promulguée. Dès la semaine prochaine, une circulaire d'application sera envoyée dans tous les départements. Dès le mois prochain, tous les fonctionnaires de police et les gendarmes recevront une brochure. J'ai d'autre part élaboré un tableau de bord des nouvelles infractions, pour qu'enfin, quand vous votez des lois, elles se traduisent par des faits que vous puissiez évaluer et dont le Gouvernement puisse vous rendre compte ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF) Enfin, tous les décrets d'application seront pris avant juin (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

SITUATION DES FINANCES PUBLIQUES

M. Didier Migaud - Nous avions décidé, Monsieur le Premier ministre, de plafonner le prix des carburants et du fioul domestique. C'était un choix politique, celui d'éviter aux consommateurs les conséquences de la hausse du prix du pétrole. Vous avez supprimé cette TIPP flottante. C'est là aussi un choix politique, mais c'est celui d'alourdir les taxes payées par le plus grand nombre, alors que vous allégez l'impôt des plus aisés. C'était non seulement injuste, mais illégal : le Conseil d'Etat vient de condamner le Gouvernement et de vous obliger à rembourser. Il ne s'agit pas, contrairement à ce que vous affirmez avec mauvaise foi, de rembourser les compagnies pétrolières, qui n'en ont pas besoin, mais de faire que ces sommes servent à baisser les prix pour les consommateurs. Et ces sommes sont beaucoup plus importantes que vous ne le dites. Quand et comment allez-vous les rembourser ? Allez-vous saisir cette occasion de rétablir une TIPP flottante, alors que la hausse des prix a été de 15 % en un an ?

Tout comme vous avez menti sur la TIPP, vous mentez sur la réalité de la situation économique (Vives protestations sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). L'Irak n'explique pas tout, et votre politique porte une large responsabilité. Vous êtes aujourd'hui contraints d'assurer que la croissance n'atteindra que la moitié du taux que vous annonciez, et d'instaurer un véritable plan d'austérité, annulant 1,5 milliard d'euros de dépenses - soit la moitié des crédits civils supplémentaires inscrits pour 2003 - cependant que 2,5 milliards sont gelés. Êtes-vous prêt à demander un audit sur les raisons de la dégradation des finances publiques ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; huées sur les bancs du groupe UMP) Quand nous soumettrez-vous un collectif budgétaire ? (Mêmes mouvements)

M. Alain Lambert, ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire - Vous avez bien choisi votre jour pour parler de la TIPP : le prix du pétrole a connu une forte baisse aujourd'hui... Vous le savez comme moi : une demi-douzaine de fois par an, le Conseil d'Etat fait une analyse du droit différente de celle du Gouvernement. En pareil cas, certains gouvernements réagissent en faisant adopter un article de validation... Ce que je n'ai pas fait, par courtoisie républicaine (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

Cela étant, Monsieur Migaud, il est remarquable, de la part d'un député socialiste comme vous, que le recours que vous avez déposé ait pour effet que 22 millions d'euros seront prélevés sur les Français pour être remboursés aux compagnies pétrolières, qui ne le demandaient pas ! (Huées sur les bancs du groupe UMP ; protestations sur les bancs du groupe socialiste) Une TIPP flottante pourra être rétablie si cela se révèle nécessaire. A ce jour, elle ne l'est pas, les prix à la pompe étant inférieurs à ce qu'ils étaient en 2000 quand vous avez pris cette mesure.

Quant à votre deuxième question, vous avez parlé de mensonge. Parliez-vous de 2002 ? Parliez-vous de la prévision de 2,5 % de croissance ? C'est ce que vous aviez approuvé à l'Assemblée. Vous le savez aujourd'hui : en 2002, la croissance a été de 1,2 %... Voilà la valeur de vos évaluations ! (Huées sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

A la différence de la pratique du gouvernement que vous souteniez, le présent gouvernement a choisi la sincérité (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), meilleur gage de la confiance. Il vous a constamment fourni les éléments à sa disposition. Dans la correction de ses prévisions, il est parvenu à un taux de 1,3 %. A quelques semaines des élections présidentielle et législative, vous aviez bien omis de communiquer sur votre correction à 1,5 % ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP)

ÉVASIONS DE DÉTENUS

M. Jean-Pierre Door - Monsieur le Garde des Sceaux, les évasions, à quelques jours d'intervalle, de deux gangsters fichés au grand banditisme sont inquiétantes à plusieurs titres (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). A Fresnes comme à Borgo, il y a eu assaut des bâtiments avec des armes de guerre. Dans les deux cellules, on a découvert des portables et même des armes et des explosifs. Dans les deux cas, la résistance des personnels était impossible. Les policiers sont éc_urés de voir leur travail réduit à néant, travail difficile et parfois mortel, comme en témoigne le malheureux accident de la nuit dernière.

Nous savons votre détermination à faire respecter la loi et la justice et nous soutenons votre action. Ces deux évasions sont peut-être imputables à une mauvaise loi des séries. Quelles mesures comptez-vous prendre pour que les malfrats restent derrière les barreaux ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice - Je partage votre émotion et votre colère. Vous pouvez compter, effectivement, sur la détermination du Gouvernement (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste).

Entre 2001 et 2002, le nombre des évasions a été divisé par deux, mais en même temps leur violence a augmenté.

Contre ce phénomène, nous avons pris des mesures techniques, ce que n'avaient pas fait nos prédécesseurs (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) : matériel de détection par rayons X et de reconnaissance des détenus dans les établissements, contrôles dans les parloirs, renforcement des miradors.

Outre ces mesures matérielles, il convient de renforcer les effectifs des personnels, dont le travail devient de plus en plus difficile, compte tenu de la violence croissante dans les prisons. J'étais ce matin même à Fleury-Mérogis et j'ai pu constater combien nous avions eu raison de prévoir le recrutement de 2 000 surveillants pénitentiaires supplémentaires en 2003 ; le mouvement se poursuivra durant les prochaines années.

Troisième type de mesures, le renforcement de la discipline et le respect des procédures. J'ai réuni vendredi les directeurs régionaux de l'administration pénitentiaire pour leur donner des instructions précises : fouilles individuelles, fouilles régulières des bâtiments, regroupement des détenus les plus dangereux dans certaines parties des établissements. Nous allons renforcer les équipes de surveillants par des équipes régionales d'intervention. Je veux rendre quasiment impossibles les évasions, mais je veux surtout renforcer la sécurité des personnels (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

CONVENTIONNEMENT DES ÉTABLISSEMENTS POUR PERSONNES ÂGÉES DÉPENDANTES

M. Jean-Pierre Dupont - Monsieur le secrétaire d'Etat aux personnes âgées, la question porte sur la réforme de la tarification des établissements pour personnes âgées dépendantes (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste). C'est un sujet d'actualité car certains syndicats manifestent aujourd'hui à l'initiative de M. Luc Broussy, délégué général du Synerpa et responsable du dossier « personnes âgées » au parti socialiste (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste).

La qualité de la prise en charge des personnes âgées en établissement est un enjeu majeur pour notre société. Afin d'inciter les établissements à promouvoir cette démarche de qualité, le principe d'une réforme de leur tarification a été adopté par notre assemblée en 1997. Sa mise en _uvre grâce à des conventions tripartites entre les établissements, les DDASS et les conseils généraux a connu des difficultés et actuellement seuls 20 % des établissements ont signé - mais 50 % dans mon département, la Corrèze.

La loi de financement de la sécurité sociale pour 2003 tire les conséquences de ces retards et prévoit un report de la date de signature. Vous avez relancé la dynamique de ces conventionnements. Quelles sont vos prévisions de financement et les crédits inscrits seront-ils maintenus ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Hubert Falco, secrétaire d'Etat aux personnes âgées - L'enjeu est effectivement important : 10 000 établissements, 650 000 personnes accueillies, 300 000 salariés méritent toute notre attention. Dès notre arrivée, nous nous sommes attachés à amplifier la dynamique de conventionnement : 330 conventions signées en 2000-2001, 1 200 en 2002 (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste). Pour la première fois, un objectif volontariste a été inscrit dans la loi de financement de la sécurité sociale : 1 800 conventions seront signées en 2003. Nous appliquerons à certains l'article 33 du décret du 26 avril 1999, pris par nos prédécesseurs. Nous faisons face à nos engagements et aux leurs - car en la matière, les donneurs de leçons ne sont pas toujours les payeurs ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

ÉDUCATION NATIONALE

M. Yves Durand - Monsieur le ministre de l'éducation nationale, pour la troisième fois, vous contraignez enseignants et parents à faire grève (Protestations sur les bancs du groupe UMP) contre l'hémorragie des crédits pour l'école : après un mauvais budget, un décret d'annulation des crédits est paru ce matin. Les choses sont claires : l'éducation nationale est sacrifiée ! (Mêmes mouvements) Il y a plus d'annulations de crédits que d'annonces de gels !

Face à la colère des enseignants, vous pratiquez un dialogue social qui s'apparente plus à une discussion de salon qu'à une concertation sérieuse.

En particulier, en ce qui concerne la décentralisation, votre désinvolture se double de duplicité (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Aux représentants de toutes les catégories, inquiets, vous aviez dit « n'être pas demandeur » et ne vouloir rien faire sans leur avis. Or c'est par la presse qu'ils ont appris la décision du Premier ministre d'exclure de l'éducation nationale plus de 110 000 d'entre eux (Protestations sur les bancs du groupe UMP). Ou vous la connaissiez et vous avez dupé vos interlocuteurs, ou vous l'ignoriez et on peut s'interroger sur votre rôle. Entre la duplicité et l'inutilité, que choisissez-vous ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; protestations sur les bancs du groupe UMP)

M. Luc Ferry, ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche - Avec M. Darcos, nous écoutons et comprenons manifestants et grévistes. Mais entre comprendre et renoncer à exercer ses responsabilités, il y a une limite que je ne franchirai pas (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

A qui ferez-vous croire qu'un système gérant près d'1,5 million de personnes n'aurait rien à gagner à une petite dose de décentralisation ? Que la participation des collectivités territoriales ne sera pas bénéfique à notre système éducatif comme cela a été le cas dans les années 1980 ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF) C'est Pierre Mauroy qui, le 17 octobre 2000, écrivait à Lionel Jospin que la logique de la décentralisation impliquait de placer sous l'autorité des collectivités territoriales les 95 000 personnes affectées à l'entretien et à la maintenance des bâtiments qu'elle gèrent (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

Il faut maintenant ouvrir la négociation. J'ai reçu les partenaires sociaux et ils savent parfaitement que rien de ce qui touche au service public ne sera abandonné : ni la définition des diplômes nationaux, ni celle des voies de formation, ni le recrutement national des professeurs.

Leur inquiétude est réelle, je ne la sous-estime pas, mais tous les sujets seront abordés sans tabou, y compris la définition de leurs missions par la loi, et non plus par le décret ou la circulaire. Je rappelle que les personnels concernés auront le choix entre rester dans la fonction publique d'Etat, en détachement, et intégrer tout de suite la fonction publique territoriale.

Je crois qu'il y a là un grand progrès à attendre, que Pierre Mauroy appelait de ses v_ux. Ne comptez pas sur moi pour manquer de courage ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. le Président - Le temps de retransmission des débats étant écoulé, nous allons arrêter là la séance de questions au Gouvernement. MM. Cosyns et Suguenot peuvent prendre contact avec leur groupe pour poser leur question demain ou ultérieurement.

La séance, suspendue à 16 heures, est reprise à 16 heures 15.

    ENTREPRISES DE TRANSPORT AÉRIEN

L'ordre du jour appelle les explications de vote et le vote, par scrutin public, sur le projet de loi, adopté par le Sénat, relatif aux entreprises de transport aérien et notamment à la société Air France.

M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer - Au terme de ce débat, je veux saluer le travail accompli par vos rapporteurs. Ils ont rappelé les raisons pour lesquelles la privatisation d'Air France a été prévue dès 1993 : aucun gouvernement n'est d'ailleurs revenu sur cette décision.

Le gouvernement Raffarin a décidé l'été dernier de poursuivre ce processus afin de donner à l'entreprise les espaces de liberté nécessaires à son développement. Il s'agit de permettre à Air France de renforcer sa stratégie de partenariats et de lui donner les moyens de faire appel au marché pour soutenir sa politique d'investissement.

Ce projet vise, d'une part, à défendre les intérêts des compagnies aériennes françaises cotées en Bourse, d'autre part les intérêts propres d'Air France et de ses salariés. Ce n'est pas, contrairement à ce que certains ont pu dire, une nouvelle loi de privatisation, mais un texte qui doit permettre de mener la privatisation décidée en 1993 dans les meilleures conditions possibles, en préservant les intérêts des salariés, de la société et des actionnaires.

Ce projet va donner à une entreprise de transport aérien les moyens de préserver sa licence d'exploitation et ses droits de trafic. Il permet également d'associer tous les salariés à la future ouverture de capital avec, en complément des offres classiques réservées aux salariés, la possibilité d'échanger du salaire contre des actions. Enfin, le texte prévoit un délai de deux ans pour donner le temps aux partenaires sociaux de négocier un accord d'entreprise qui se substituera au statut actuel.

Le travail des rapporteurs a permis d'améliorer ce texte très technique. Il est de l'intérêt d'Air France, de ses salariés et de ses actionnaires que ce projet soit maintenant adopté.

Après son adoption définitive, le Gouvernement devra encore finaliser le décret d'application et Air France devra tenir une assemblée générale. Alors, les conditions seront réunies pour permettre au Gouvernement de décider, lorsque la situation s'y prêtera, de mettre effectivement sur le marché un second paquet d'actions pour réduire de nouveau la participation de l'Etat au capital de la compagnie.

Le Gouvernement n'entend nullement brader les intérêts des contribuables et cette opération n'interviendra que lorsque les conditions du marché le permettront.

La société Air France disposera alors de tous les atouts pour valoriser la compétence et le savoir-faire de son équipe dirigeante et de ses personnels auxquels, avec Dominique Bussereau, qui a suivi de près ce dossier, je rends hommage pour le travail accompli au cours des dernières années, lequel permet à cette compagnie de nourrir de grandes ambitions à l'échelle mondiale (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP).

M. Charles de Courson, rapporteur de la commission des finances - Ce projet n'est pas un texte de privatisation d'Air France. Il ne fait que tirer les conséquences de la loi qui a permis en 1993 de privatiser Air France.

Le premier argument en faveur de la privatisation est juridique. Le transport aérien n'est pas un service public, mais un secteur concurrentiel. La part du chiffre d'affaires d'Air France correspondant à un service public, n'est que de 6,2 % et la compagnie, une fois privatisée, continuera d'assurer des missions de service public, conformément à la directive communautaire du 23 juillet 1992.

Le deuxième argument est économique : le maintien du caractère public d'Air France nuit à la conclusion d'alliances commerciales et capitalistiques. Les présidents Blanc et Spinetta l'ont rappelé, c'est pour cette raison qu'il n'y a pas eu de rapprochement avec Alitalia, KLM et Iberia. Maintenir le caractère public d'Air France, c'est signer l'arrêt de mort de la compagnie, qui se retrouvera isolée. En outre, l'état de nos finances publiques est tel que l'Etat n'est pas capable d'apporter à Air France les moyens financiers de son développement.

Le troisième argument est européen : en 1994, la France s'est engagée devant la Commission européenne à privatiser Air France, dans le cadre de la recapitalisation de la compagnie. Ne pas privatiser, ce serait ne pas respecter les engagements de la France.

Le quatrième argument est d'ordre social. La privatisation d'Air France facilitera le dialogue social au sein de l'entreprise, parce qu'elle entraînera la signature de conventions collectives, plus protectrices qu'un statut. Trois syndicats ne sont pas hostiles à la privatisation et ces organisations ont d'ailleurs progressé aux dernières élections.

La privatisation permettra d'accroître la part du capital détenue par les salariés : si l'échange « salaire contre actions » et l'offre de participation fonctionnent à plein, cette part passera de 13 à presque 30 %.

Des problèmes de fond ont été soulevés au cours de nos débats : ils ont trouvé une réponse adaptée et équilibrée. Je me réjouis du dialogue nourri qui a rendu possible l'adoption de vingt-deux amendements de la commission ou du Gouvernement.

L'article premier a été substantiellement modifié. Il prévoit un mécanisme de contrôle et de régulation visant à préserver un certain équilibre entre les nationalités des actionnaires et à sécuriser leur activité. Les amendements adoptés précisent la portée et la nature juridique des procédures introduites.

Par ailleurs, si nous avons reconduit, par les articles 2 et 4 du projet de loi, les modalités actuelles de représentation des salariés au conseil d'administration d'Air France, nous le faisons sans empêcher la compagnie de pouvoir revenir, à terme, dans le droit commun des sociétés.

Nous avons, de plus, modifié l'article 3, qui ménage une transition de deux ans pour permettre à Air France de négocier, avec les organisations syndicales, la banalisation de son statut. La compagnie pourra ainsi mener ces négociations dès la promulgation de la loi, et non à compter de la privatisation.

Enfin, nous avons introduit deux modifications substantielles de l'article 5 lequel aménage certaines mesures de promotion de l'actionnariat salarié à la société Air France. D'une part, les modalités de l'échange « salaire-actions » ont été utilement précisées. D'autre part, il était important de définir la nature juridique de la convention de remboursement entre l'Etat et Air France. Nous avons clairement identifié la compétence juridictionnelle du juge judiciaire en spécialisant le TGI de Paris dans ce contentieux, évitant un inutile conflit de compétences. C'est donc un bon projet que l'Assemblée nationale va adopter aujourd'hui, comme la commission des finances l'y invite (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP).

EXPLICATIONS DE VOTE

M. François Goulard - Vous avez bien fait de rappeler que la privatisation d'Air France est demandée par une loi de 1993 : à entendre, la semaine dernière, les orateurs de l'opposition, on aurait pu penser qu'elle était tout l'objet de ce texte. Non seulement la majorité précédente n'a pas cru bon d'abroger la loi de 1993, mais elle l'a même utilisée pour ouvrir le capital de la compagnie. Certaines critiques me semblent donc contradictoires.

Air France est une entreprise en concurrence avec des compagnies privées. Elle est appelée à nouer des alliances et à recourir aux marchés financiers. Comme toute entreprise, Air France doit prendre des risques : il faut que ce soit les risques des actionnaires et non ceux des contribuables.

Parce que la gestion récente de la compagnie, qui est excellente, l'a fait oublier, je veux rappeler qu'Air France a coûté au contribuable davantage que ce qu'elle pouvait lui rapporter. La privatisation va donc dans l'intérêt de l'entreprise comme dans celui du contribuable. Vous l'engagez dans des conditions de nature à préserver les intérêts de l'Etat, dans le respect des droits du personnel : une convention collective se substituera, de manière harmonieuse, au statut actuel.

Ce texte comporte enfin des dispositions techniques pour adapter notre législation à l'environnement juridique particulier de l'aviation civile, qu'il s'agisse des accords bilatéraux ou de la jurisprudence communautaire.

Ce projet a été amélioré, grâce à une excellente collaboration entre le Gouvernement et les commissions de l'Assemblée. C'est donc avec satisfaction que le groupe UMP le votera (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

Mme Odile Saugues - S'il est un secteur exposé aux conséquences d'un conflit international et d'une flambée des cours du pétrole, c'est bien le transport aérien. Nous sommes donc étonnés de voir ce gouvernement proposer la privatisation d'Air France dans de telles circonstances - d'autant que rien ne justifie vraiment cette privatisation.

Vous n'osez pas formuler le seul argument de poids : le Gouvernement est condamné à brader la première compagnie aérienne française parce que les recettes de cette privatisation sont déjà inscrites dans votre budget pour 2003.

Qu'importe, dès lors, le contexte international, le cours de l'action d'Air France - actuellement au plus bas -, les difficultés sociales de ce secteur, les protestations des collectivités locales, les inquiétudes des salariés, les contribuables français qui, en 1994, ont sauvé la compagnie et qui seront grugés - vous annoncez que cette privatisation ne rapportera pas même le tiers du montant de la recapitalisation. En fait, seule compte, pour vous l'idéologie (Exclamations et rires sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). Vous êtes dans la lignée des gouvernements Balladur et Juppé et vous n'avez qu'une obsession : faire reculer la présence de l'Etat au mépris de l'emploi et de l'organisation du territoire.

Vous prétendez qu'Air France est isolée sur la scène internationale alors que la compagnie a participé à la création de l'alliance SkyTeam en juin 2000, alliance qui représente un trafic annuel de 204 millions de passagers et 512 destinations dans plus de 110 pays.

Vous décrivez une compagnie sclérosée, mais vous omettez de dire qu'après les attentats du 11 septembre 2001, Air France a été l'une des seules grandes compagnies mondiales à ne pas licencier. Air France a su évoluer, grâce à ses salariés, à sa direction, au nouveau cadre législatif mis en place par votre prédécesseur, Monsieur le ministre, au travers d'une ouverture du capital qui répondait aux attentes européennes.

Vous-même avez mesuré l'intérêt, pour l'Etat, de demeurer majoritaire dans le capital d'Air France puisque vous avez convoqué les entreprises sous votre tutelle pour reclasser une partie des 3 200 salariés d'Air Lib. Le statut d'Air France aurait-il du bon quand le Gouvernement tente de sauver socialement la face et deviendrait-il honteux quand ce même gouvernement répond aux injonctions du Medef ? L'Etat, actionnaire majoritaire d'Air France, a toujours assumé ses responsabilités économiques, sociales et morales. Peut-on en dire autant de la société Wendel et de M. Seillière ? Peut-on en dire autant de ces compagnies à bas coûts, dont les pratiques de prédateur et les tendances au cannibalisme devraient davantage préoccuper le Gouvernement que le statut d'Air France ? Sur ce point, votre projet de loi est étonnamment muet.

Pourquoi prendre le risque de déstabiliser une entreprise qui réussit et la sacrifier sur l'autel de l'ultra libéralisme ? Allez-vous engager la privatisation d'Aéroports de Paris après celle d'Air France et livrer aux low cost l'aéroport d'Orly ? Pourquoi votre projet de loi se refuse-t-il à définir les règles de service public ? Il n'échappe pas à l'effet d'aubaine et à l'effet pervers, deux risques stigmatisés par le Premier ministre dans l'une de ses déclarations au Medef.

Les socialistes refuseront le bradage annoncé de la société Air France et voteront contre votre projet de loi (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. le Président - Je fais annoncer le scrutin dans l'enceinte du Palais.

M. Christian Blanc - Le problème n'est pas la privatisation, mais le développement et l'avenir d'Air France (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; protestations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains) Nous aurons donc le plaisir de voter ce projet de loi.

M. Maxime Gremetz - Revanchard !

M. Christian Blanc - Air France n'est pas un service public. Que l'on me démontre que les lignes Paris-Tokyo, Paris-Los Angeles ou Paris-Pékin sont des lignes de service public ! Rien ne permet, en droit français, de l'affirmer. Air France est financée par ses clients et non par des subventions. Certes, il peut y avoir des devoirs de recapitalisation, puisqu'Air France est une entreprise publique, mais ces recapitalisations ont été rares et là s'arrête l'intervention des deniers des Français.

Air France pourra assumer des missions de service public, mais pour l'essentiel, ses missions sont commerciales, dans un marché mondialisé, concurrentiel et fortement concentré. Il faut donner à cette compagnie les moyens d'affronter cette concurrence, à armes égales avec les autres.

M. Daniel Paul - On verra les résultats !

M. Christian Blanc - Le capital sera maîtrisé par l'actionnariat français et communautaire, comme c'est le cas de toutes les grandes entreprises privées européennes.

Il est donc nécessaire de privatiser Air France, après dix ans d'attentisme (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). Si nous l'avions fait en février 1998, Air France serait aujourd'hui la quatrième compagnie mondiale (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP).

Je remercie M. Gilles de Robien d'avoir inscrit rapidement ce projet à l'ordre du jour de notre assemblée et d'avoir fait en sorte que l'on puisse presser sur le bouton au moment où le cours du marché sera favorable ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. François Asensi - En 1993, le gouvernement Balladur inscrivait vingt et une entreprises sur la liste des « privatisables ». Depuis lors, le chantier de la déconstruction sociale est allé bon train (Protestations sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF) puisque les capitaux publics ne sont plus majoritaires que dans deux de ces entreprises : la SNECMA et Air France.

Aujourd'hui, le Gouvernement se prépare à enterrer Air France (Protestations sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). Il s'agit bien d'un texte de privatisation puisque vous abandonnez le statut public, ce qui est une condition sine qua non pour le changement de propriété.

Au cours de l'exercice 2001-2002, Air France a, parmi les compagnies aériennes, réalisé le seul résultat bénéficiaire en Europe et le troisième sur le plan mondial. L'image est moins glorieuse du côté des entreprises privées : British Airways, sur le même exercice, a enregistré un déficit de 232 millions d'euros.

La privatisation d'Air France fait partie des priorités du Gouvernement alors que la guerre en Irak est imminente. En privatisant dans ces circonstances, il ne pourrait obtenir une juste rémunération de son patrimoine qui, si l'on s'en réfère aux décisions du Conseil constitutionnel des 25 et 26 juin 1986, serait contraire à la Constitution.

A travers la consolidation et le développement de participations croisées, c'est bien la disparition d'Air France que vous programmez et l'avènement d'une grande entreprise européenne privée qui s'appellera Air Europe. Une telle mesure ne sera pas sans conséquences sur toute la filière aéronautique : qu'adviendra-t-il des aéroports de Roissy et d'Orly ? L'abandon du troisième aéroport s'inscrit-il déjà dans cette logique visant à constituer des plates-formes européennes et non plus mondiales ?

Lorsque vous limitez les missions de service public d'Air France aux subventions versées, vous adoptez une approche restrictive. Une des missions majeures du service public est l'aménagement du territoire, qui nécessite une vision à long terme. La décentralisation encouragera, de plus, la concurrence des territoires : des autorités locales font déjà la part belle aux compagnies low cost.

Avec le soutien de la chambre de commerce de Strasbourg, Ryanair a proposé un aller-retour Strasbourg-Londres pour un euro. Renonçant à utiliser l'article L. 324-1 du code de l'aviation civile, vous avez avalisé ces pratiques illicites. Comment, dès lors, le Gouvernement peut-il prétendre mettre des garde-fous pour lutter contre l'anarchie du marché boursier ?

Quant aux effets sur l'emploi, nous pouvons craindre le pire, d'autant que vous vous préparez à privatiser les transports ferroviaires et l'énergie, secteurs pourtant trop stratégiques pour être abandonnés à la volatilité des marchés boursiers.

Le groupe communiste et républicain votera contre ce projet de bradage du patrimoine national (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).

A la majorité de 343 voix contre 152 sur 497 votants et 495 suffrages exprimés, l'ensemble du projet de loi est adopté.

La séance, suspendue à 16 heures 45, est reprise à 17 heures 10.

ALLOCATION PERSONNALISÉE D'AUTONOMIE

L'ordre du jour appelle les explications de vote et le vote, par scrutin public, sur la proposition de loi, adoptée par le Sénat, portant modification de la loi du 20 juillet 2001 relative à la prise en charge de la perte d'autonomie des personnes âgées et à l'allocation personnalisée d'autonomie.

M. Hubert Falco, secrétaire d'Etat aux personnes âgées - Vous avez été nombreux à participer à ce débat, et je vous en remercie. Je salue l'excellent travail de votre rapporteur Georges Colombier, et sa diligence. Et je remercie M. Dubernard, président de la commission des affaires sociales, qui a été présent tout au long de ce débat, et M. Méhaignerie, président de la commission des finances qui s'est impliqué dans ce dossier.

L'APA était menacée par une grosse erreur d'évaluation et, en conséquence, par l'insuffisance de son plan de financement. La charge qu'elle faisait peser sur les départements était insupportable. Malgré la situation tendue des finances publiques, ce texte permettra de la sauvegarder, grâce à un apport supplémentaire de 400 millions d'euros effectué par l'Etat, les départements fournissant le complément, et les mesures que nous allons adopter assurant le tiers restant. Grâce aussi à une meilleure maîtrise des dépenses, en accord avec la nature de la prestation. Ainsi pourrons-nous financer le 1,2 milliard qui manquait en 2003.

Cette réforme allie responsabilité et engagement déterminé envers les personnes âgées. Responsabilité : nous ne pouvions accepter les dérives financières qu'on nous avait léguées, ni un alourdissement excessif de la fiscalité locale, qui aurait frappé notamment les personnes âgées. Engagement déterminé, car l'effort de la nation à l'égard des personnes âgées en perte d'autonomie continue à progresser fortement : un milliard en 2001, deux en 2002, et plus de trois en 2003, soit un triplement en trois ans.

Cette proposition de loi est une première étape, un texte d'urgence qui assure l'équilibre financier de l'APA en 2003, en intervenant avant le 31 mars, date limite du vote de leur budget par les départements. Nous attendons que les évaluations en cours nous soient remises pour pouvoir, dans un deuxième temps, et conformément à la loi, défini en fin d'année les modalités d'un financement pérenne de l'APA. Vous le voyez, celle-ci reste notre préoccupation : nous avons réussi à la sauvegarder, et à lui conserver son caractère social et universel, en garantissant son financement. La dignité de nos personnes âgées est au c_ur de nos préoccupations (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Georges Colombier, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - Sauver l'APA sans la démanteler : telle était la mission de la majorité. Nous avons su y faire face en assurant son financement pour 2003. Alors que la loi du 20 juillet 2001 n'a pas deux ans, cette allocation est déjà victime de son succès, et certains départements sont menacés d'asphyxie financière. La situation exigeait l'adoption de mesures d'urgence pour 2003 : tel est l'objet de ce texte, qui ne peut être considéré que comme un dispositif transitoire. Une réflexion plus large s'impose ; elle est d'ailleurs annoncée pour l'automne.

Cette proposition sauvegarde donc l'APA pour 2003. Elle a su éviter deux écueils : le recours sur succession, lourdement dissuasif, et l'exclusion des personnes âgées classées en GIR4, laquelle aurait privé d'aide une catégorie qui en a pourtant besoin. La véritable solution au problème de la dépendance, c'est la création d'un risque spécifique au sein de la sécurité sociale (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). La conjoncture actuelle ne permet pas de lancer cette mesure dans l'immédiat, mais je souhaite que le Parlement s'y intéresse quand la croissance reprendra.

De nombreuses propositions ont été formulées au cours du débat et certaines auraient mérité un meilleur sort. Néanmoins, pour des raisons d'efficacité, je préconise l'adoption conforme de ce texte. Sur plusieurs des sujets abordés, comme l'avenir des professions d'aide à domicile, ou la pérennisation des CLIC, le ministre nous a rassurés.

Malgré un délai très court, la commission a pu auditionner le directeur du FFAPA et faire préciser des chiffres-clés.

Notre intention n'est pas de démanteler l'APA, mais de la financer pour 2003, de remédier aux carences de la loi initiale et de sauver ainsi cette prestation en lui conservant son caractère universel (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme Paulette Guinchard-Kunstler - La mise en place de l'APA a tout à la fois montré l'immense besoin d'accompagnement des personnes dépendantes et répondu à ce besoin.

Créant un véritable droit, l'APA répond à un nouveau risque que notre société a le devoir de prendre en charge. La grande majorité des départements se sont investis de façon exemplaire dans la mise en place de ce nouveau droit.

Mais depuis plusieurs mois, des informations alarmistes sur le coût de cette allocation sont répandues : le président de la commission a ainsi affirmé que la Haute-Garonne a dû augmenter sa fiscalité de 30 % - en réalité, ce sont 4 %. Vous n'avez eu de cesse de manipuler les chiffres et de vous fonder sur des approximations : le rapport de la commission en est l'exemple flagrant (Interruptions sur les bancs du groupe UMP). Il a fallu attendre l'audition, à ma demande, du directeur du FFAPA pour entendre les véritables chiffres.

Vous prétendez que le financement de l'APA n'était pas prévu (« C'est vrai ! » sur les bancs du groupe UMP). Or, les crédits dépensés en 2002 sont plus faibles que ce que nous avions annoncé ! C'est vous qui n'avez pas voulu financer l'APA lors de la préparation du budget 2003 : vous avez préféré alléger l'ISF et augmenter les réductions d'impôt pour emploi à domicile, qui ne profitent qu'aux plus aisés.

De plus, le rôle de l'Assemblée nationale a été nié. Après l'utilisation de l'article 49-3 pour la réforme des scrutins, vous avez exigé un vote conforme et interdit à votre propre majorité de déposer des amendements (Interruptions sur les bancs du groupe UMP).

Plus encore que ce texte, le décret que vous allez prendre est inacceptable car vous faites porter les économies sur les revenus les plus modestes (« C'est faux ! » sur les bancs du groupe UMP). Apparemment, vous n'avez pas fait le lien entre les deux dispositifs, l'augmentation des avantages fiscaux pour les emplois à domicile et la réduction de l'APA pour les revenus les plus modestes...

Le choix du Gouvernement est clair : lancer le soupçon sur les personnes âgées et leurs familles... (Vives protestations sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean Auclair - C'est tout le contraire !

Mme Paulette Guinchard-Kunstler - ...pour les culpabiliser et les noyer sous les procédures administratives, en oubliant que l'APA est un levier essentiel pour l'emploi, notamment en milieu rural. En diminuant le financement, vous diminuez mécaniquement les emplois créés. En Creuse, plus de 400 postes ont été créés (Interruptions sur les bancs du groupe UMP).

Après la non-renconduction des emplois-jeunes, après la suspension des 35 heures et celle du volet anti-licenciements de la loi de modernisation sociale, vous mettez à mal un secteur extrêmement créateur d'emplois et renvoyez ces professions dans la non-reconnaissance.

Vous cassez l'emploi et bloquez une grande réforme. Pourtant, les familles vous ont dit leur inquiétude. Pour la première fois en France, des retraités, des syndicats et des associations...

Un député UMP - ...emmenés par la gauche !

Mme Paulette Guinchard-Kunstler - ...se mobilisent pour défendre les personnes âgées dépendantes. Plus de 6 000 établissements dénoncent ce recul, y compris M. Larcher, sénateur de droite et président de la fédération hospitalière de France ! Vous remettez en cause les progrès apportés par le gouvernement de Lionel Jospin (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) au service des personnes âgées.

Le groupe socialiste votera contre ce texte (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

M. Jean-Luc Préel - Une société se juge à la manière dont elle honore ses anciens qui l'ont façonnée.

La dépendance liée au vieillissement est l'un des défis majeurs que nous devons relever. Physique, mais surtout psychique, elle est particulièrement douloureuse pour les personnes et leurs familles. L'aide de la société leur est indispensable.

L'APA a constitué un progrès important, mais elle accuse des insuffisances en raison de la difficulté à trouver des intervenants compétents pour l'aide à domicile et parce qu'elle ne couvre pas les besoins des établissements.

En effet, si la logique de la réforme de la tarification met l'hébergement à la charge de la famille, le soin à la charge de l'assurance maladie et fait financer la dépendance par l'APA, on constate que cette dernière ne permet pas de rémunérer le personnel nécessaire à une prise en charge de qualité.

L'APA a d'ailleurs souffert de sa mise en _uvre concomitante avec la réforme des 35 heures et avec celle de la tarification, qui a conduit à un surcoût important à la charge des familles.

Beaucoup aujourd'hui, dont le rapporteur et le porte-parole de l'UMP, Denis Jacquat, demandent la création d'un cinquième risque de la sécurité sociale, c'est-à-dire le financement de la dépendance par la solidarité nationale. L'Allemagne l'a fait il y a quelques années, prenant en charge la dépendance jusqu'à 2 000 € par mois. Une telle réforme coûterait sans doute en France 2 % de CSG - aux Français de dire s'ils le souhaitent.

Le gouvernement précédent, à la demande des conseils généraux, a confié l'APA aux départements. Mais son succès dépassant les prévisions, nous nous trouvons confrontés à un problème de financement, car les socialistes comme d'habitude ont proposé une solidarité à crédit ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP ; protestations sur les bancs du groupe socialiste)

Les départements ont déjà augmenté la fiscalité locale en 2002 et prévu l'augmentation pour 2003. Mais l'Etat peine à financer sa part.

Le texte qui nous est soumis doit être jugé avec le décret prévu. Il n'est pas possible de les dissocier. Or, ce décret nous paraît très injuste, car les économies sont mal réparties, avec l'abaissement du plancher et le maintien d'une aide aux revenus supérieurs (« Bravo ! » sur les bancs du groupe socialiste). Il ne s'agit nullement d'une prise en charge pérenne de la dépendance.

L'UDF n'a été associé ni à la réflexion ni à la décision. Nous pensons que les Français pourraient comprendre la nécessité d'un effort national pour prendre en charge la dépendance.

Le coût politique de cette réforme sera bien supérieur à l'économie réalisée. Dans ces conditions, la majorité de l'UDF ne peut l'accepter et s'abstiendra (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

M. Maxime Gremetz - Nous devons nous prononcer sur une proposition de loi cadenassée, après un débat bâclé. Sous prétexte d'adoption conforme au texte du Sénat, il a été impossible d'y modifier une virgule.

Vous n'avez pas apporté de réponse à la question de fond : comment financer l'APA de façon pérenne ? Vous êtes restés hermétiques à nos propositions.

C'est un texte inique, remettant en cause une avancée sociale qui concerne 800 000 personne et leurs familles. Vos « solutions » sont inadmissibles : vous restreignez l'accès à l'APA, au moment même où vous allégez l'ISF (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) et multipliez les cadeaux aux grands groupes qui licencient (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

Particulièrement révoltante est la suspicion que vous jetez sur les personnes âgées et leurs familles, obligées de justifier au centime près le bénéfice de leur allocation, alors que dans le même temps, vous fermez les yeux sur l'utilisation des exonérations de cotisation patronale et les aides publiques, allant jusqu'à supprimer les commissions de contrôle de l'utilisation des fonds publics ! Aussi ne suis-je guère étonné par votre refus d'examiner notre proposition de loi sur les patrons voyous.

Nous avons, en accord avec les associations et les organisations syndicales, réitéré notre proposition d'instituer un droit - il ne s'agit pas de charité - pour la dépendance, en créant un risque financé par la sécurité sociale et impliquant la participation financière des entreprises. Cette mesure aurait permis une meilleure prise en charge de la perte d'autonomie, alors que vous vous êtes enfermés dans un bricolage financier dépourvu de perspective d'avenir. Si les charges continuent de croître, quel financement pour demain ?

Afin de faire face aux soucis financiers de cette année, nous avons avancé des propositions alternatives, mais votre gouvernement a préféré piocher dans les poches des personnes âgées et de leurs familles pour donner aux plus riches et au Medef. Belle image de la solidarité nationale !

Parce que votre proposition se résume au règlement d'un problème financier, parce que vous vous contentez de poser une rustine budgétaire, parce que vous amputez l'APA de sa portée originelle, nous voterons contre cette proposition. L'APA est juste, et doit se développer pour devenir une prestation de sécurité sociale. Aujourd'hui, vous donnez le signal de son démantèlement, aussi continuerons-nous de militer pour imposer un nouveau droit (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).

M. Denis Jacquat - Lorsque notre assemblée a été saisie au printemps 2001 de l'examen du projet de loi relatif à la création de l'allocation personnalisée d'autonomie, nous avons salué cette initiative, qui accordait enfin aux personnes en perte d'autonomie une prestation conforme à leurs souhaits et à leurs besoins.

Aussi nous sommes-nous engagés sur la suppression du recours sur succession, dissuasif pour certains bénéficiaires potentiels de la prestation spécifique dépendance, ainsi que sur l'extension de la prestation aux personnes classées GIR4.

Il y a deux ans, nous avons largement approuvé de nombreuses dispositions du texte proposé, que nous saluons et qu'il serait inopportun de remettre en cause.

Cependant, au printemps 2001, en dépit de ces avancées, un grand nombre de députés de l'opposition se sont abstenus sur ce texte. Cette abstention se voulait constructive car nous voulions le succès de cette prestation et surtout sa pérennité, ce qui supposait que le financement, clé de voûte du dispositif, soit amélioré.

Malheureusement, nos craintes étaient justifiées : il manque, pour 2003, 1,2 milliard d'euros.

Un certain nombre de départements ont dû dans l'urgence augmenter fortement leur fiscalité pour faire face aux besoins des personnes en perte d'autonomie sans trop déstabiliser leurs finances (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste).

Aujourd'hui, il nous appartient de remédier au plus vite au déséquilibre financier auquel l'APA se heurte, car le 31 mars 2003 est une date butoir pour les budgets des conseils généraux. L'adoption de ce texte de transition permettra d'assurer le financement de la prestation pour l'année en cours.

Laisser perdurer la situation actuelle reviendrait à mettre en péril la survie de ce dispositif, attendu par plusieurs centaines de milliers de personnes dans notre pays. D'ici la fin de l'année et à la lumière des résultats du nouveau bilan, il faudra s'orienter vers un montage financier stable.

L'UMP adhère pleinement à ce texte grâce auquel nous allons sauver l'allocation personnalisée d'autonomie, en attendant une refonte plus globale qui permettra d'asseoir définitivement cette prestation dans notre édifice social (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. le Président - Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.

A la majorité de 341 voix contre 145, sur 498 votants et 486 suffrages exprimés, l'ensemble de la proposition de loi est adopté.

La séance, suspendue à 17 heures 40, est reprise à 17 heures 55, sous la présidence de M. Baroin.

PRÉSIDENCE de M. François BAROIN

vice-président

CAUSES ÉCONOMIQUES ET FINANCIÈRES DE LA DISPARITION D'AIR LIB

L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire sur la proposition de résolution de MM. Patrick Ollier et Jacques Barrot, tendant à la création d'une commission d'enquête sur les causes économiques et financières de la disparition d'Air Lib.

M. Patrick Ollier, président et rapporteur de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire - Le 17 février 2003, le tribunal de commerce de Créteil prononçait la mise en liquidation judiciaire de la société d'exploitation AOM-Air Liberté, communément appelée Air Lib, jugeant « absolument impossible » le redressement de cette compagnie dont la licence d'exploitation avait déjà expiré le 6 février. Cette décision a mis fin aux espoirs placés dans la holding Holco, qui avait accepté de reprendre la société le 27 juillet 2001, avec l'aide des pouvoirs publics.

Les conséquences de ces événements sont considérables.

Sur le plan social, pour faire face au licenciement des 3 200 salariés du groupe, le Gouvernement a organisé la concertation avec d'autres entreprises afin de permettre le reclassement du plus grand nombre possible d'entre eux.

Sur le plan économique, la disparition d'Air Lib, qui transportait chaque année 3,3 millions de passagers sur des vols réguliers, signifie la suppression du deuxième pôle aérien français, représentant 6,5 % du trafic aérien en 2002. Cette disparition laisse Air France sans véritable concurrent d'origine nationale. Une telle situation n'est pas optimale.

Sur le plan territorial enfin, cette faillite porte atteinte à l'équilibre régional du transport aérien, puisque cette compagnie assurait en 2000 un tiers des dessertes vers les DOM et la Polynésie française ainsi que, plus récemment, une desserte compétitive pour de nombreuses villes de province.

Une telle conclusion pouvait-elle être évitée ? L'observation des événements les plus récents montre que cette issue était inéluctable depuis quelques mois, sauf à engager plus encore les finances publiques dans le sauvetage d'une société privée. En effet, le plan de reprise proposé en décembre dernier par le groupe néerlandais Imca supposait non seulement l'acquisition de nouveaux avions à des prix réduits qui n'avaient pas l'accord du groupe Airbus, mais encore l'obtention de crédits de l'Etat à hauteur de 300 millions d'euros, dont 172 millions sous forme de subventions non remboursables.

Comment en est-on arrivé à une telle dégradation de la santé financière de cette entreprise, malgré un soutien public important ?

Les salariés, le citoyen et le contribuable doivent être informés de l'utilisation des 130 millions d'euros accordés par les pouvoirs publics et notamment du prêt de 30,5 millions accordé le 4 janvier 2002 par le Gouvernement.

Face à cette situation, la commission des affaires économiques a été saisie d'une proposition de résolution de MM. Jacques Barrot et Patrick Ollier, tendant à la création d'une commission d'enquête sur les conditions de gestion d'Air Lib et sur l'utilisation des fonds publics par cette compagnie aérienne.

En vertu de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, ainsi que des articles 140 et 141 de notre règlement, une telle proposition de résolution doit, pour être recevable, remplir deux conditions cumulatives. Elle doit d'abord déterminer avec précision les faits donnant lieu à enquête. La proposition initiale faisait référence aux « conditions de gestion d'Air Lib ». Pour éviter toute ambiguïté quant aux intentions du Parlement, qui n'a pas à s'immiscer dans une gestion privée, mais doit contrôler l'emploi des deniers publics, la commission des affaires économiques a préféré mentionner les « causes économiques et financières de la disparition d'Air Lib ».

La proposition de résolution mentionne « l'utilisation des fonds publics par cette compagnie aérienne », formule qui recouvre l'ensemble des crédits français et communautaires qui ont été accordés. Elle indique ainsi que la commission d'enquête doit permettre d'établir l'emploi de ces fonds, dont le caractère public justifie un contrôle parlementaire, et de déterminer si cet emploi était conforme à l'objectif de redressement.

Seconde condition, les faits ayant motivé le dépôt de la proposition de résolution ne doivent pas faire l'objet de poursuites judiciaires. La réponse de M. le Garde des Sceaux à la notification, par le Président de l'Assemblée nationale, du dépôt de la proposition de résolution indique que les faits en cause « font actuellement l'objet d'une enquête judiciaire, ordonnée par le procureur de la République le 26 février 2003 ». Toutefois, il ne s'agit que d'une enquête de police, n'ayant pas conduit à engager des poursuites. La condition relative à l'absence de poursuites judiciaires est donc satisfaite.

S'il paraît opportun de créer cette commission d'enquête, c'est que les circonstances qui ont conduit à la liquidation judiciaire d'Air Lib restent troubles. Lorsque le « projet Holco » de M. Corbet avait été retenu pour la reprise d'Air Lib, le groupe Swissair s'était engagé à verser 180 millions d'euros en échange de l'abandon des poursuites engagées à son encontre pour sa gestion catastrophique de la société. Il en a versé en réalité 152,5 millions, mais qui n'ont pas entièrement bénéficié à Air Lib. Le système de holding mis en place par le président a conduit au versement de sommes très importantes sur les comptes de deux filiales d'Holco établies au Luxembourg et aux Pays-Bas. La holding Holco a eu recours en outre à des cabinets d'avocats et de consultants pour un coût démesuré et la rémunération des personnels dirigeants a été très importante.

Le comité d'entreprise de la compagnie n'a jamais pu être correctement informé sur la gestion comptable de la société Air Lib ni sur le périmètre véritable de la holding. A ce jour, 10 millions d'euros détenus par le groupe Holco échappent toujours à la procédure de liquidation judiciaire.

Or, le Parlement a vocation à contrôler l'usage des fonds publics accordés à Air Lib, qui a perçu les 9 janvier et 28 février 2002 plus de 30 millions d'euros de crédits communautaires sur décision du précédent gouvernement. Ce prêt du FDES devait être remboursé le 9 juillet, puis le 9 novembre 2002. M. Corbet n'a jamais soumis au Gouvernement le plan de restructuration crédible que lui a réclamé plusieurs fois le nouveau gouvernement ; les sommes prêtées n'ont pas été restituées, et elle ne pourront plus l'être.

Air Lib a bénéficié de nombreuses remises dans le paiement de taxes et impositions diverses. Au 31 janvier 2003, les principales dettes publiques de l'entreprise concernaient l'URSSAF pour 29 millions d'euros, la DGAC pour 31,6 millions et Aéroports de Paris pour 27,2 millions.

Votre rapporteur estime que le champ d'investigation de la commission d'enquête devrait inclure les conditions dans lesquelles les fonds publics ont été engagés.

La commission d'enquête disposerait des moyens appropriés pour permettre aux citoyens de déterminer si les fonds publics ont été réellement affectés au sauvetage de la compagnie Air Lib et d'en comprendre l'échec. Une telle démarche supposera un examen approfondi du périmètre et du fonctionnement de la holding Holco. Le sort injuste des salariés d'Air Lib et les enjeux stratégiques associés à l'existence de cette compagnie appellent une réaction parlementaire.

Je vous demande d'approuver, par votre vote, la constitution de cette commission d'enquête (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. le Président - Nous abordons la discussion générale.

M. Charles de Courson - Pourquoi est-il opportun de créer cette commission d'enquête ? Trois types de questions justifient le vote de cette proposition de résolution de Patrick Ollier et Jacques Barrot. On lit beaucoup de choses sur les causes du dépôt de bilan d'Air Lib et sur la gestion de l'entreprise. Au-delà des rumeurs, la représentation nationale doit se saisir de ce sujet pour tirer tous les enseignements économiques et stratégiques de la disparition d'Air Lib et informer nos concitoyens de l'usage qui a été fait de leur argent. Le groupe UDF et apparentés s'associe à votre démarche et votera avec conviction votre proposition de résolution.

La première série de questions porte sur l'utilisation des fonds publics. Sur les conseils des cabinets Mazars et KPMG, le gouvernement de l'époque a accordé un crédit-relai à Air Lib pour financer l'exploitation de la compagnie jusqu'à son retour à l'équilibre. L'aide publique a pris la forme d'un prêt remboursable au moyen d'un GIE fiscal auquel s'ajoutait un report de charges publiques : plus de 30 millions d'euros ont été prêtés en février 2002 à Air Lib au titre du FDES et 90 millions de report de charges qui restent impayées au 31 janvier 2003. La dette publique d'Air Lib s'élève à environ 120 millions, dont l'Etat et les contribuables français régleront la facture. Ces chiffres devront faire l'objet d'un examen attentif pour savoir si l'Etat a agi en investisseur avisé en sauvant une première fois l'entreprise du dépôt de bilan en décembre 2001. Le business plan proposé par la compagnie était-il réaliste ? Il faut d'ailleurs s'interroger sur les responsabilités de la défaillance de Swissair dans le montage précipité de ce sauvetage financier.

La deuxième série de questions porte sur la gestion de l'entreprise par ses dirigeants : il n'est pas interdit de penser à des malversations, ou à des abus de biens sociaux. Notre travail ne doit certes pas interférer avec des enquêtes judiciaires, mais des mystères restent à lever : que sont devenues les sommes versées à Air Lib par Swissair, et notamment ces 20 millions d'euros dont n'a pas bénéficié directement Air Lib ? Nous devons la vérité aux 3 200 salariés qui sont aujourd'hui en difficulté.

Tous les citoyens sont concernés, car je vous rappelle l'article 15 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ». Ce principe prend tout son sens aujourd'hui. Le Parlement, représentant de « la société » a le devoir de faire toute la lumière sur cette affaire.

Le ministre des transports du précédent gouvernement a usé de toute son influence pour suspendre la dette d'Air Lib envers les Aéroports de Paris et l'URSSAF. De l'aveu même de Jean-Charles Corbet, « peu de temps avant les élections présidentielles, l'Etat était devenu le prêteur de deniers d'une société virtuellement en cessation de paiements »...

Enfin, on ne doit pas faire l'amalgame entre Air France privatisée et Air Lib. Dès sa création, celle-ci a été un gouffre financier ; ni AOM ni Air Liberté n'ont jamais disposé des fondamentaux qui leur auraient permis de concurrencer Air France.

Je me réjouis que notre assemblée joue son rôle de contrôle de l'utilisation des deniers publics. On dit souvent que gouverner c'est prévoir, mais on oublie que prévoir, c'est tirer les leçons du passé. Pour donner à l'Etat et aux acteurs économiques les moyens de réussir, les conclusions de cette commission d'enquête seront utiles et permettront d'esquisser les principes d'une nouvelle gouvernance après avoir caractérisé les causes d'un échec (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP).

Mme Odile Saugues - L'annonce, le 17 février dernier, de la mise en liquidation judiciaire d'Air Lib par le tribunal de commerce n'a certes pas été une surprise. Elle n'en a pas moins été un choc, surtout pour les 3 200 salariés de la compagnie.

Nous avons tous en mémoire leurs manifestations à Orly pour protester contre le non-renouvellement de sa licence d'exploitation à la compagnie, les banderoles brocardant le Gouvernement pour avoir traité « à la hussarde » les problèmes des salariés, les interventions musclées des forces de l'ordre pour disperser des manifestations quelque peu dérangeantes sur le plan politique. Je ne m'étends pas sur l'étonnante partie de poker menteur jouée depuis juillet dernier entre le Gouvernement, le président d'Air Lib et la société Imca...

Un député UMP - Et les syndicats !

Mme Odile Saugues - Nous espérons que la commission d'enquête nous permettra de revenir sur cette période pour comprendre les motivations réelles du Gouvernement, et faire la lumière sur la défaillance de l'actionnaire principal, Swissair, sur l'échec du GIE destiné à financer le remboursement du prêt octroyé par l'Etat, enfin sur la revente de deux Airbus A 340 à Air Tahiti Nui. Toute la chaîne des responsabilités dans la faillite d'Air Lib devra être établie. Le groupe socialiste souhaite que le dossier soit examiné globalement et que nul n'échappe à sa part de responsabilité.

Sous la précédente législature, une proposition de commission d'enquête relative au regroupement d'AOM, Air Liberté et Air Littoral, sous les auspices de Swissair, n'avait pu voir le jour. Nous estimions alors prioritaire la recherche d'un repreneur et la sauvegarde de l'emploi. Aujourd'hui, l'aventure d'Air Lib est terminée, il convient d'en faire le bilan. Or, la majorité semble atteinte de schizophrénie, certains se réjouissant de la disparition d'Air Gayssot, sans vouloir entendre parler d'Air Seillière. Pourtant, si Air Lib a été acculé à la faillite, c'est bien à cause d'une gestion aventureuse.

D'une manière générale, le dossier Air Lib est révélateur des dérives nées de la déréglementation du secteur aérien, qui ouvre l'appétit d'investisseurs peu crédibles et encourage des pratiques commerciales particulièrement inquiétantes. Les compagnies à bas coûts fleurissent aujourd'hui, assurant même 95 % du trafic de certains de nos aéroports. Elles ne cessent de renforcer leurs exigences, comme la prise en charge par les régions des frais d'hébergement des pilotes ou des campagnes de communication lors de l'ouverture d'une ligne. Certaines survolent déjà Orly, impatientes de récupérer les créneaux horaires d'Air Lib. Il conviendra d'ailleurs de faire la lumière sur les promesses faites à ces compagnies. De récents propos du secrétaire d'Etat aux transports ne laissent pas d'inquiéter à ce sujet, puisqu'il estime que le développement des compagnies à bas coûts « continuera de contribuer au développement du transport aérien. 

Je terminerai par deux observations. D'abord, il est pour le moins paradoxal que la majorité réclame aujourd'hui une commission d'enquête sur l'utilisation des fonds publics faite par une entreprise en particulier alors qu'elle a, lors de la discussion du collectif 2002, abrogé la loi Hue du 4 janvier 2001 relative au contrôle de l'utilisation des fonds publics par les entreprises, et a refusé la semaine dernière encore, comme nous le proposions, la mise en place de commissions régionales de contrôle des aides au transport aérien.

Ensuite, cette commission d'enquête démontre finalement que l'Etat ne peut se désintéresser du transport aérien, secteur fragile et hautement stratégique. Il devrait en demeurer un acteur majeur, en définissant des obligations de service public, et en conservant une part prépondérante au capital d'Air France. Or, le même jour où nous votons la création de cette commission d'enquête, l'Assemblée vient de voter un texte qui va profondément déstabiliser Air France, sans lui assigner aucune obligation de service public. Vous réclamez un contrôle des comptes de la seconde compagnie aérienne française, mais vous supprimez celui de la Cour des comptes sur Air France !

Enfin, prétendre, comme l'a fait le ministre aujourd'hui sur LCI, que 80 % des salariés d'Air Lib seront reclassés d'ici un an et demi, me paraît hasardeux au moment où l'Etat se désengage d'Air France et ne pourra plus peser sur les choix de la compagnie.

Le moment est bien mal choisi pour livrer le transport aérien aux lois du marché et multiplier des promesses qui ne pourront pas être tenues, alors que le transport aérien va beaucoup souffrir de la crise internationale qui va entrer ces prochaines heures dans une phase militaire. Les salariés d'Air Lib n'attendent plus du Gouvernement des déclarations d'intention ni des tours de table médiatiques.

Nous espérons que nos amendements, qui tendent seulement à établir toute la vérité sur l'histoire d'Air Lib et mettre à jour les responsabilités dans sa faillite, seront retenus (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. François-Michel Gonnot - Je salue l'initiative salutaire du président de la commission des affaires économiques qui, en proposant la création de cette commission d'enquête, nous permettra de voir clair dans un dossier complexe, d'explorer les voies qui auraient permis d'éviter la liquidation d'Air Lib et de sauver 3 200 emplois, ainsi que, d'une façon plus générale, de réfléchir à l'utilisation des fonds publics par une entreprise privée. Il est du rôle du Parlement, assisté par la Cour des comptes, de veiller à la bonne utilisation des deniers publics et il eût été dommage qu'ils manquent cette occasion d'assumer pleinement sa compétence. Mais cette commission d'enquête n'a, bien sûr, pas vocation à se substituer à une procédure judiciaire.

La liquidation d'Air Lib a eu des conséquences dramatiques. Humaines, tout d'abord, avec 3 200 personnes privées d'emploi, ballottées au gré des propositions de reclassement. Pour le service public ensuite, puisqu'Air Lib jouait un rôle crucial dans l'aménagement du territoire, assurant un tiers des dessertes vers les DOM et la Polynésie française. Pour la concurrence enfin, la disparition du second pôle aérien français laissant Air France en situation de monopole.

Air Lib, héritière de Air Liberté et AOM, n'est jamais parvenue à trouver son créneau de rentabilité sur un marché aérien intérieur très largement dominé par Air France. Les reprises successives par British Airways et Swissair se sont soldées par des échecs. La compagnie a obtenu un sursis grâce à un jugement du tribunal de Créteil retenant le projet Holco, présenté par M. Corbet, ancien commandant de bord d'Air France, grâce aux 152 millions d'euros versés par Swissair pour solde de tout compte, mais aussi à la perfusion régulière de fonds opérée par l'Etat pour un montant total de 130 millions.

Il ne s'agit pas ici de désigner un bouc émissaire. Cette commission d'enquête a pour seule vocation de lever des doutes concernant la gestion de la compagnie et l'utilisation réelle des fonds, notamment publics, qui lui ont été alloués.

La structure en gigogne d'Air Lib dissimule-t-elle une fuite de capitaux et une utilisation de fonds publics à des fins autres que les intérêts de la compagnie ? Il est classique, contrairement à ce que l'on a pu dire dans les médias, que des compagnies aériennes filialisent des activités comme la maintenance, la restauration ou la gestion des appareils, pour une meilleure lisibilité. Ce qui l'est moins en revanche, ce sont les actifs placés à l'étranger pour des raisons fiscales, comme Holcolux au Luxembourg ou Mermoz UA aux Pays-Bas. Mermoz a été capitalisé à hauteur de 14 millions d'euros, officiellement pour les frais de maintenance des avions, et Holcolux à hauteur de 5 millions pour développer la formation par internet et prendre des participations dans d'autres sociétés. Ces deux capitalisations ont été réalisées au moyen de l'argent versé par l'ex-actionnaire Swissair à la holding Holco pour le redémarrage de la compagnie. Or, il apparaît aujourd'hui que ces sommes, représentant 25 % des fonds versés par Swissair, n'ont pas servi directement les intérêts de la compagnie. En effet, Holcolux est uniquement une société de portefeuille, sans lien avec l'industrie aéronautique.

Autre annonce étrange : la direction de la holding Holco assure que le sauvetage des filiales d'Air Lib est possible. Etrange quand on sait qu'ATL, responsable de la maintenance, avait pour seul client Air Lib. Holco ne cherche-t-elle pas à soustraire le patrimoine de certaines filiales à la liquidation judiciaire ? « Le privilège des grands, assure Giraudoux, c'est de regarder les catastrophes d'une terrasse ». Force est de constater que la situation du dirigeant d'Air Lib est nettement plus favorable que celle des 3 200 salariés, en proie aux problèmes de reclassement.

Par ailleurs, l'Etat a versé au total 130 millions, notamment un prêt de 30,5 millions décidé le 30 janvier 2002 par le précédent gouvernement et que la compagnie n'est pas aujourd'hui en mesure de rembourser. En effet, son actif disponible se réduit à 2,5 millions alors que son passif atteint près de 280 millions, dont 130 millions d'arriérés de paiement auprès de l'URSSAF, la DGAC et ADP.

On peut également penser que le prêt du FDES présente des irrégularités flagrantes. Le versement des 30 millions devait être la contrepartie d'un plan de restructuration, lequel n'a jamais été présenté, et les sommes prêtées ne pourront plus être restituées désormais.

Cette commission d'enquête devra permettre de dire si les fonds publics versés ont vraiment été utilisés dans l'intérêt de la compagnie. La complexité du montage juridique et l'existence de filiales strictement financières ne permettent pas aujourd'hui de l'affirmer avec netteté, loin de là. Il est donc naturel que le Parlement cherche la vérité.

Autre question à laquelle il faudra répondre : la disparition d'Air Lib était-elle inexorable ? Air Lib assurait 360 vols hebdomadaires au départ d'Orly et transportait chaque année 3,3 millions de passagers sur des vols réguliers, ce qui en faisait le deuxième pôle aérien français, avec 6,5 % du trafic aérien, contre 77 % pour Air France et les compagnies franchisées. Air Lib assurait aussi en 2000 un tiers des dessertes vers les DOM et la Polynésie française ainsi que, plus récemment, une desserte compétitive pour de nombreuses villes de province. Les vols assurés par ses 33 appareils desservaient 31 lignes, dont 19 en France métropolitaine.

Beaucoup d'observateurs ont noté dès le lancement d'Air Lib des failles dans le modèle de gestion de la compagnie, notamment l'impossibilité de réduire les coûts de personnels, liée à leur mauvaise gestion évidente et à leur sous-emploi. Les pilotes se voyaient réduits à ne travailler que quarante heures par mois alors que leurs contrats de travail en prévoyaient au minimum soixante. Pour compenser le manque de primes de vol, certains personnels navigants se partageaient, dit-on, les recettes des ventes de produits offerts par des sponsors...

Air Lib semblait également pénalisée par des créneaux horaires moins favorables que ceux d'Air France. Par ailleurs, la volonté d'être compétitif sur les tarifs ne pouvait constituer une stratégie viable à terme, les coûts de gestion d'Air Lib étant sensiblement les mêmes que ceux d'Air France. En effet, la compagnie avait développé une stratégie de bas coûts, à l'instar d'Easy Jet et de Ryanair, mais sans la structure d'exploitation propre à ce type de compagnies. Le segment de marché choisi par Air Lib semblait finalement inadapté. Le repreneur, Jean-Charles Corbet, avait développé une stratégie expansionniste, multipliant les dessertes, se saisissant des marchés algérien et libyen et ouvrant des lignes en Afrique où, depuis la disparition de Sabena, Air France se retrouve en situation de monopole. Mais la faiblesse financière du projet rendait cette stratégie peu réaliste. Un tel constat conduit naturellement à se demander si l'échec pouvait être évité.

La disparition d'Air Lib a été ressentie, à juste titre, comme un drame national. C'est l'échec d'un projet à dimension humaine et celui d'un deuxième pôle aérien à côté d'Air France. Et cette disparition pose le problème de l'avenir des lignes desservies par Air Lib vers les Antilles, Cayenne ou Papeete, essentielles pour l'aménagement du territoire de la métropole vers les DOM.

Pour toutes ces raisons, le groupe UMP votera la présente proposition de résolution (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. François Asensi - Cette proposition tend à contrôler l'usage des fonds publics : très bien ! Mais l'une des priorités de la majorité actuelle fut de remettre en cause la loi Hue, qui instaurait le contrôle des fonds publics accordés aux entreprises, et notamment à celles qui licencient et mettent en place des plans sociaux... Cette loi, dont les élus du groupe communiste et républicain s'étaient faits les défenseurs, constituait une avancée majeure, plus nécessaire que jamais aujourd'hui si l'on considère l'ampleur des aides de l'Etat aux entreprises.

Aux termes de la loi de financement de la sécurité sociale et du projet de loi de finances pour 2003, le total des exonérations de charges sociales accordées aux entreprises dépasse le budget du ministère du travail. A ces sommes considérables, il faut en outre ajouter les aides fiscales à l'investissement.

C'est un des rôles du Parlement que de contrôler l'usage des fonds publics et d'y assurer la transparence. Mais vous menez une politique de contrôle au cas par cas, une politique des petits pas bien éloignée des grandes avancées sociales qu'appelle un temps de crise économique et sociale, où les plans sociaux se multiplient. S'il est utile de contrôler l'usage des fonds publics pour Air Lib, ne le serait-ce pas tout autant pour Metaleurop, et pour beaucoup d'autres ?

Ne nous trompons pas non plus sur les responsables. Ne réduisons pas le périmètre de l'enquête pour des raisons de convenance politique. Je ne sais pas qui est visé, mais on a le sentiment que l'ancien ministre communiste est quelque peu dans le collimateur... Tragique pour des milliers de salariés et leurs familles, la faillite d'Air Lib est le résultat de quinze années de turbulences au cours desquelles on croise des banques et des holdings qui ont défrayé la chronique en leur temps, comme la banque Rivaud ou le Crédit Lyonnais. Un autre acteur important de la tragédie d'Air Lib fut la holding financière Marine Wendel, présidée par le baron Seillière. Le prêt de 30 millions d'euros accordé au nom du fonds européen de développement ne constitue pas le fond de l'affaire. Ne crions pas haro sur l'aide publique !

Il ne s'agit pas non plus de remettre en cause la liberté de gestion des entreprises privées, mais cette liberté est encadrée par la loi, et il est légitime de s'assurer de la légalité de leurs activités. Or, dans ce dossier, certaines irrégularités semblent avoir été commises. Par ailleurs, analyser en profondeur tous les mécanismes qui ont mené à cette tragédie, c'est montrer à quoi le Gouvernement expose Air France en la privatisant...

En 1999, après le dépôt de bilan d'AOM-Air Liberté, Air France avait fait une offre de rachat qui n'a pu aboutir : le ministère des finances s'y est opposé, au nom de la concurrence, en imposant des conditions inacceptables. Air France devait ainsi restituer 120 % des « slots » détenus par AOM-Air Liberté. Le gouvernement de l'époque a manqué l'occasion de créer un grand pôle public du transport aérien ; nous ne serions sans doute pas dans la situation que nous connaissons, tant pour Air Lib que pour Air France, s'il avait fait ce choix.

Quant au plan présenté par Holco, et approuvé par le tribunal de commerce de Créteil, il s'inscrivait dans une autre logique : il ne s'agissait plus de faire concurrence à l'entreprise nationale, mais plutôt d'assurer par rapport à elle une certaine complémentarité.

La mise en place de cette stratégie a été contrecarrée par les événements du 11 septembre, et par la défaillance de Swissair, qui n'a pas honoré tous ses engagements. Pour surmonter ces difficultés conjoncturelles, le Gouvernement a octroyé un prêt FDES de restructuration, gagé sur la mise en place d'un GIE fiscal adapté, et sur la créance Swissair. Ce montage n'a jamais vu le jour alors qu'en janvier dernier, le gouvernement actuel se déclarait l'approuver. Quant à Swissair, elle n'a jamais honoré sa dette.

Le gouvernement actuel a renouvelé ce prêt. Celui-ci arrivait à nouveau à échéance en janvier 2003 : il fut reconduit. Mais subitement, en février, les avions d'Air Lib sont cloués au sol. La compagnie est abandonnée par le Gouvernement. A croire qu'il s'agissait véritablement d'ouvrir le ciel français et européen aux compagnies à bas coûts... Les repreneurs éventuels d'Air Lib ne furent pas non plus soutenus : aucune remise ne fut accordée sur les avions Airbus alors que, peu avant, Monsieur le ministre, vous faisiez accorder à EasyJet des prix plus intéressants...

L'une des grandes escroqueries de ce dossier est une infraction à la législation européenne. D'après celle-ci, le capital d'une compagnie aérienne doit être majoritairement détenu par des investisseurs européens. C'est pourquoi, en 1999, lors du rachat d'Air Liberté-AOM par Swissair, Marine Wendel était majoritaire dans le capital, ce qui a permis le feu vert des autorités françaises et européennes. Pourtant, lors des difficultés qu'a connues la compagnie en 2001, le baron Seillière a reconnu qu'il n'était qu'un prête-nom et que, de fait, Swissair était le véritable gestionnaire, en violation du droit communautaire. De fait Ernest-Antoine Seillière s'est prêté à un « portage », avant de se désengager d'Air Liberté, et de provoquer son dépôt de bilan, sans payer ses dettes. En effet, d'après le rapport établi par Ernst & Young pour le compte des autorités helvétiques, ni Swissair ni Marine Wendel n'ont jamais honoré leurs dettes à l'égard d'Air Lib.

Attaché à la réglementation du marché et à la sanction des patrons voyous, le groupe communiste et républicain se prononce pour une commission d'enquête, en espérant qu'elle fera la clarté sur les causes de cette tragédie (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).

La discussion générale est close.

M. Dominique Bussereau, secrétaire d'Etat aux transports et à la mer - Je souhaite saisir l'occasion que m'offre cette proposition de résolution pour donner le point de vue du Gouvernement à son sujet, et pour faire brièvement le point sur le dossier Air Lib. Comme l'ont rappelé de nombreux orateurs, cette société, née de la fusion des compagnies AOM et Air Liberté, a été sous-capitalisée dès sa création. L'affaire remonte au 27 juillet 2001, quand la société Holco, propriété de Jean-Charles Corbet, a été désignée par le tribunal de commerce de Créteil comme repreneur d'une partie des actifs et des personnels des compagnies AOM et Air Liberté. Le tribunal avait retenu l'offre qui maintenait le maximum d'emplois.

Dès l'origine, la nouvelle compagnie Air Lib était fortement sous-capitalisée - d'au moins 80 millions d'euros - et le projet de reprise était trop ambitieux pour la faiblesse des moyens financiers du repreneur. Le gouvernement précédent lui a pourtant attribué une licence temporaire.

Dès les premiers mois, les résultats d'Air Lib ne sont pas bons. Sa situation s'est rapidement dégradée pour diverses raisons, dont certaines extérieures à l'entreprise : citons en particulier la défaillance de Swissair, qui n'a pas versé la totalité des sommes prévues dans le cadre de la reprise, et reste redevable de 60 millions d'euros.

Air Lib a, de sa propre initiative, cessé de payer les charges URSSAF et ASSEDIC d'octobre 2001 à mars 2002. Le gouvernement précédent a laissé faire, car la situation financière de l'entreprise se détériorait progressivement. Par ailleurs, le 9 janvier 2002, trois mois avant les élections, il a accordé à Air Lib un prêt du FDES de 30 millions d'euros, qui devait être remboursé le 9 juillet 2002. Le gouvernement précédent a en outre toléré qu'à partir de mars 2002, l'entreprise cesse de payer la totalité de ses charges. Le problème de sa survie était donc clairement posé à partir d'avril dernier.

Le nouveau gouvernement a tenu compte de cette situation, et il a voulu, au nom de l'emploi, donner toutes ses chances à Air Lib. Nous avons fait réaliser un audit sur les conditions d'exploitation des services de la compagnie et sur sa situation financière. Il s'agissait notamment de préciser le potentiel offert par la réorganisation du réseau moyen courrier avec l'introduction des services Air Lib Express. Dans un souci d'objectivité, nous avons choisi les mêmes cabinets d'audit auxquels s'était adressé le gouvernement précédent. Nous étions conscients de la place d'Air Lib dans le transport aérien français, de son rôle pour l'aménagement du territoire et la desserte de l'outre-mer ; et nous sommes soucieux de l'emploi.

Nous nous sommes donc efforcés, avec M. de Robien, de donner à l'entreprise toutes ses chances de trouver un partenaire qui l'aide à se redresser. L'échéance du prêt du FDES a été prolongée une première fois jusqu'au 9 novembre, et un moratoire sur l'ensemble du passif échu vis-à-vis des administrations publiques a été accordé à la compagnie. Mais nous avons demandé à Air Lib de préparer, conformément au droit communautaire, un plan de restructuration permettant son redressement durable.

En novembre dernier, le président d'Air Lib a présenté au Gouvernement un investisseur potentiel, le groupe néerlandais Imca. Pour lui donner le temps de préparer un plan de redressement, les échéances de remboursement ont été une nouvelle fois reportées jusqu'au 9 janvier 2003, et la licence de la compagnie renouvelée jusqu'au 31 janvier.

Le 9 janvier, l'investisseur n'avait toujours pas finalisé ses propositions. Le Gouvernement a alors demandé que s'engage la conciliation proposée par Air Lib pour préciser les conditions de remboursement des dettes publiques et la participation d'Imca au financement du plan de restructuration. L'Etat a indiqué que ces dettes, d'un montant total de 120 millions d'euros, ne devaient plus s'accroître, ce qui supposait qu'Imca apporte de la trésorerie à Air Lib.

Au terme de deux semaines de négociations, le conciliateur, désigné par le président du tribunal de Créteil, a finalisé le 30 janvier un protocole de conciliation qui recueillait l'agrément de toutes les parties, y compris l'Etat.

Mais Imca a subordonné sa signature à l'aboutissement des négociations engagées, d'une part, avec les personnels d'Air Lib en vue d'aboutir à une réduction des coûts de production, d'autre part, avec Airbus en vue d'acquérir des appareils pour renouveler la flotte d'Air Lib, trop ancienne et coûteuse en entretien.

Afin de permettre ces négociations, nous avons à nouveau prolongé la licence d'exploitation d'Air Lib jusqu'au 5 février. Malheureusement ce délai n'ayant pas permis à Imca de trouver un accord avec Airbus, elle n'a pas signé le protocole de conciliation et la licence n'a pu être renouvelée, Air Lib ne disposant plus de la trésorerie nécessaire pour poursuivre son activité.

Les vols de la compagnie ont donc été arrêtés le 6 février. Le 13, le président de l'entreprise l'a déclarée en cessation de paiements, et le président du tribunal de commerce de Créteil a prononcé sa liquidation le 17 février.

Pour le Gouvernement, cette commission d'enquête est tout à fait justifiée. La disparition d'Air Lib a de nombreuses conséquences au plan social, mais aussi pour l'aménagement du territoire. Il me paraît donc légitime que votre commission enquête sur les circonstances qui ont conduit à la dégradation irréversible de la situation d'Air Lib et sur l'utilisation des aides apportées par les pouvoirs publics pour tenter de sauver cette entreprise.

Par ailleurs, il est exact que le repreneur d'Air Lib a mis en place un système complexe de holding, avec plusieurs sociétés dans divers pays de la Communauté européenne. Ceci complique l'appréciation de l'utilisation des sommes versées par Swissair au titre du protocole signé en juillet 2001. Votre enquête paraît bienvenue pour y voir plus clair sur le groupe Holco et sur les fonds qui ont pu transiter entre ces sociétés. Cette information avait été réclamée sans succès par le comité d'entreprise d'Air Lib et il me paraît intéressant de la mettre à disposition des employés.

Enfin votre enquête aura des vertus pédagogiques et permettra peut-être d'éviter de s'engager dans des processus d'aides répétitives et coûteuses de l'Etat, quand certaines conditions ne sont pas réunies au départ.

J'ajouterai quelques précisions pour votre information. A ce jour, la quasi-totalité des lignes exploitées par Air Lib et utiles à l'aménagement du territoire ont été reprises. Air France et Corsair ont accru leur offre sur les départements d'outre-mer. La desserte de Perpignan, Lannion et d'Annecy a été reprise. Pour Tarbes-Lourdes, des solutions se dessinent.

Le processus de liquidation est en cours et une reprise partielle des actifs a été proposée par une société toulousaine et par la compagnie britannique Virgin. Il appartiendra au tribunal de se prononcer.

En réponse à Mme Saugues, je précise que le Gouvernement ne met pas en doute la parole de M. Spinetta, qui a proposé spontanément la reprise par Air France d'une partie des salariés. D'autres sociétés, dont la SNCF, ADP, la RATP ont fait des propositions. Donc quand M. de Robien exprime à la télévision son espoir de voir tout le personnel repris, cela correspond à des démarches bien réelles de la cellule de reclassement.

Reste la détresse de 3 200 salariés qui paient les pots cassés et le Gouvernement est heureux que l'Assemblée se penche sur les raisons de ce gâchis.

M. le Président - Je suis saisi de deux amendements.

Mme Odile Saugues - Notre amendement 1 corrigé tend à permettre à la commission d'enquête de remonter plus loin dans le temps pour examiner la gestion, semble-t-il contestable, de la compagnie avant même qu'elle ait bénéficié d'aides publiques.

M. le Rapporteur - La commission est défavorable à cet amendement, car son objectif est seulement d'examiner les conditions d'utilisation des fonds publics et les raisons du dépôt de bilan.

M. le Secrétaire d'Etat - Le Gouvernement partage cet avis.

L'amendement 1 corrigé, mis aux voix, n'est pas adopté.

Mme Odile Saugues - J'avais retiré en commission l'amendement 2, qui tendait à enquêter sur les pratiques commerciales des compagnies à bas coûts, car le président de notre commission nous a convaincus que nous pourrions auditionner les responsables de ces compagnies sans modifier le titre de la commission d'enquête.

M. le Rapporteur - Le cadrage de cette commission d'enquête est claire. Le point de départ des investigations, c'est l'injection de fonds publics en janvier 2002. Dans la mesure où Air Lib a été en concurrence avec ces compagnies à bas prix jusqu'à son dépôt de bilan, je ne vois aucun inconvénient à entendre leurs responsables.

Mais il n'est pas question d'étendre l'enquête au problème général des compagnies à bas prix, c'est un autre sujet.

Mme Odile Saugues - Compte tenu de ces assurances, je confirme le retrait de l'amendement.

M. le Président - L'amendement 3 qui portait sur le titre n'a plus d'objet du fait de la non-adoption des amendements 1 et 2.

Le vote sur l'article unique auquel nous allons procéder maintenant aura donc valeur de vote sur l'ensemble de la proposition de résolution.

L'article unique, mis aux voix, est adopté.

M. le Président - Afin de permettre la constitution de la commission d'enquête dont l'Assemblée vient de décider la création, MM. les présidents des groupes voudront bien faire connaître, conformément à l'article 25 du Règlement, avant le mardi 25 mars 2003, à 17 heures, le nom des candidats qu'ils proposent.

La nomination prendra effet dès la publication de ces candidatures au Journal officiel.

La séance, suspendue à 19 heures, est reprise à 19 heures 10.

POSTE ET TÉLÉCOMMUNICATIONS

L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi modifiant l'article 1-1 de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de la poste et des télécommunications.

Mme Nicole Fontaine, ministre déléguée à l'industrie - La présentation de ce court projet de loi me donne l'occasion de faire le point sur la situation de France Télécom et la mise en _uvre du plan d'action adopté en décembre.

L'entreprise est aujourd'hui sur la voie du redressement. Les comptes publiés le 5 mars dernier, pour l'année 2002, marquent un tournant pour l'entreprise. Ils soldent le passé - l'ampleur de la perte nette de 20,7 milliards d'euros s'explique par les provisions et amortissements exceptionnels liés aux acquisitions malheureuses réalisées dans le passé. Mais ces comptes préparent aussi l'avenir : la performance opérationnelle de l'entreprise est remarquable, et le résultat d'exploitation en hausse de 30,9 % par rapport à l'année précédente.

Au cours des derniers mois, sous l'impulsion de son nouveau président et de ses équipes, et grâce à l'action méthodique du Gouvernement, France Télécom a repris son avenir en main. Un nouveau président a été désigné le 2 octobre, avec pour mission de rétablir la situation financière de l'entreprise en restaurant la confiance. Sur sa proposition, le conseil d'administration a approuvé deux mois plus tard, après un audit approfondi, un plan d'action global en trois volets équilibrés.

Tout d'abord, améliorer les performances de l'entreprise, afin de dégager 15 milliards d'euros de trésorerie supplémentaire d'ici fin 2005. Ce programme porte déjà ses fruits puisque la progression des résultats s'est accélérée fin 2002.

Ensuite, refinancer la dette, pour au moins 15 milliards d'euros, ce qui a déjà été réalisé, puisque France Télécom a pu retourner sur les marchés et lever en décembre 2002 et janvier 2003 plus de 9 milliards d'euros à moyen et long terme ; les lignes bancaires ont par ailleurs été renégociées. France Télécom a ainsi retrouvé une visibilité financière jusqu'à la fin de l'année 2004.

Enfin, renforcer les fonds propres, pour 15 milliards d'euros. L'Etat s'est engagé à faire son devoir d'actionnaire, et souscrira à hauteur de sa part dans le capital, soit 9 milliards d'euros. L'opération sera réalisée lorsque les conditions de marché le permettront, sachant que France Télécom, en ayant sécurisé son financement, a maintenant le choix du moment.

Les marges dégagées par l'entreprise reposeront sur une gestion plus intégrée du groupe, une réduction des dépenses de fonctionnement et d'investissement, et une meilleure maîtrise des besoins de trésorerie du groupe. Ce plan est ambitieux, mais réaliste, et il intègre d'indispensables marges de sécurité.

La mobilisation de l'ensemble de l'entreprise, salariés et dirigeants, autour de ces objectifs a déjà permis de rétablir son image auprès des investisseurs. Nous avons confiance en M. Thierry Breton, en l'équipe de direction, et dans le dynamisme de l'ensemble des personnels de France Télécom pour mener à bien ce projet.

Dans le cadre de ce plan, France Télécom a mis en place une politique de mobilité des personnels, fondée sur le volontariat. Le Gouvernement a décidé la création d'une mission « mobilité », dont le principe avait été annoncé le 5 décembre dernier par Francis Mer, et qui aura pour but de satisfaire les fonctionnaires de France Télécom qui souhaiteront poursuivre leur carrière au sein des fonctions publiques.

L'ensemble de ces mesures assouplira la gestion des effectifs de France Télécom et contribuera à sa compétitivité.

Du fait de ce plan, France Télécom mérite le soutien de ses actionnaires, et notamment de l'Etat.

Le plan d'action présenté par Thierry Breton offre des perspectives de retour sur investissement. L'entreprise ne demande pas à ses actionnaires d'éponger un passif, mais de l'aider à retrouver un bilan équilibré. Aussi l'Etat participera-t-il au renforcement des fonds propres de 15 milliards d'euros en souscrivant 9 milliards d'euros. Cette somme représente un réel effort de la collectivité nationale, mais est à la mesure de la très grande entreprise qu'est France Télécom, dont la marge d'exploitation sur la seule année 2002 représente 1,6 fois ce montant.

D'autre part, il ne s'agit pas d'une dépense à fonds perdus. En souscrivant au renforcement des fonds propres, l'Etat défend son propre intérêt patrimonial dans cette entreprise. Cet investissement ne pèsera pas sur les déficits publics, car il devrait recevoir la qualification d'opération financière en comptabilité européenne. Il ne modifie pas non plus l'équilibre budgétaire présenté par le Gouvernement pour l'année 2003.

La réalité de l'effort fourni par le contribuable se traduira dans le décompte de la dette publique. L'endettement nécessaire pour souscrire au renforcement des fonds propres sera retracé dans le solde de la dette des administrations publiques. L'augmentation devrait représenter 0,6 % du PIB en 2003.

Nous pensons, compte tenu du plan présenté par Thierry Breton, que cet effort est nécessaire et répond à l'intérêt patrimonial et financier de l'Etat. La confiance des investisseurs dans le plan d'action de France Télécom a été démontrée par le redressement du cours en bourse, multiplié par trois depuis cet automne et par la capacité de France Télécom à lever des emprunts obligataires. Cette confiance des investisseurs ne peut que conforter l'Etat, actionnaire majoritaire, sur le bien-fondé de la stratégie arrêtée.

Le 25 février dernier, l'assemblée générale de France Télécom a donné au conseil d'administration l'autorisation de procéder à une augmentation du capital lorsque les conditions lui paraîtront réunies. L'entreprise a indiqué qu'elle pourrait réaliser cette opération, compte tenu des moyens financiers dont elle dispose, à trois périodes : avant l'été 2003, à l'automne 2003 ou au printemps 2004. Le Gouvernement souhaite que cette opération se déroule en tenant le plus grand compte des actionnaires individuels et salariés.

En participant au renforcement des fonds propres à hauteur de sa part au capital, l'Etat agit en investisseur avisé au regard des règles communautaires. La Commission européenne a été pleinement informée du plan de redressement et des modalités selon lesquelles l'Etat jouera son rôle d'actionnaire majoritaire.

Le Gouvernement a précisé à la commission que le rôle de l'Etat serait strictement celui d'un actionnaire avisé, soucieux de défendre ses intérêts patrimoniaux. D'autres Etats membres de l'Union européenne, actionnaires de leur opérateur historique de télécommunications, n'ont pas agi différemment lorsque ces entreprises ont été confrontées aux mêmes besoins de fonds propres que France Télécom. Cela a notamment été le cas de KPN aux Pays-Bas et de Sonera en Finlande.

Le 30 janvier dernier, la Commission européenne a décidé d'ouvrir une procédure d'enquête formelle sur la participation de l'Etat au plan d'action de France Télécom et sur le régime de taxe professionnelle applicable à l'entreprise. Cette procédure d'enquête ne préjuge en rien de la qualification d'aide d'Etat et ne retarde pas le plan d'action de l'entreprise. Il est normal que nous ayons à expliquer nos choix aux autorités européennes.

La réalisation d'un investissement aussi exceptionnel nécessitait des dispositions particulières, que le Gouvernement a prises, dans un souci d'efficacité et de transparence. Ainsi, a-t-il fait le choix de confier l'ensemble des titres détenus par l'Etat dans le capital de France Télécom à une structure juridique identifiée : l'ERAP, dont les statuts ont été modifiés pour lui permettre de détenir des participations dans le secteur des télécommunications. Votre assemblée et le Sénat lui ont accordé, dans la loi de finances rectificative pour 2002, la garantie explicite de l'Etat pour les emprunts qu'il réalisera afin de participer au renforcement des fonds propres de France Télécom.

Ainsi, sans que les relations entre l'Etat et France Télécom s'en trouvent autrement modifiées, cet établissement public gérera à la fois la dette nécessaire au renforcement des fonds propres et les titres de l'entreprise. Il sera ainsi possible de suivre, au fil du temps, le produit et le coût de l'investissement de la collectivité nationale.

Ce projet permettra à l'Etat de transférer à l'ERAP l'ensemble des titres France Télécom qu'il détient, et, le moment venu, à l'ERAP de souscrire au renforcement des fonds propres. Il a commencé à préparer un programme d'emprunts dont le premier a été lancé la semaine dernière. Le remboursement de ces emprunts sera financé par des produits de cession de titres détenus par l'Etat ou, à plus long terme, après le succès du plan de redressement, par la cession de titres France Télécom.

Cette opération est exemplaire de la politique du Gouvernement vis-à-vis des entreprises dont l'Etat est l'actionnaire (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Jean Proriol, rapporteur de la commission des affaires économiques - Voici un projet minuscule pour un problème gigantesque. Il est minuscule, car il ne vise qu'à ajouter deux mots à la loi : la conjonction de coordination « ou » et l'adverbe « indirectement ». Il concerne un problème gigantesque car il s'agit de la dette de France Télécom : 68 milliards d'euros, un record absolu en la matière.

Les conditions dans lesquelles ce minuscule et ce gigantesque s'articulent sont un peu complexes.

Nous connaissons bien les circonstances dans lesquelles cette dette s'est constituée : le groupe France Télécom a été amené à participer à la très rapide restructuration du secteur des technologies de l'information au cours des années 1999-2001, en acquérant des entreprises et en prenant des participations qu'il a dû payer en s'endettant, car il n'avait pas la possibilité, comme d'autres entreprises, d'offrir en échange ses propres titres. En effet, France Télécom était tenu de respecter la loi qui réserve à l'Etat français au moins 50 % de son capital.

Ces opérations industrielles ont pris des dimensions financières très importantes. Ainsi l'acquisition d'Orange en mai 2000 a coûté 50 milliards d'euros. Au total, près de 100 milliards d'euros ont été investis par le groupe France Télécom pour sa politique de développement industriel durant ces années de rapides évolutions technologiques, dont 80 % ont été payés en cash. L'entreprise avait certes fait appel à son actionnaire de référence, l'Etat, mais le gouvernement de l'époque lui avait conseillé d'emprunter. Le service de la dette qui en résulte représente aujourd'hui une charge d'environ 4 à 5 milliards d'euros par an.

Le nouveau président, Thierry Breton, a présenté le 5 décembre un plan pour assurer le redressement de l'entreprise. Ce plan comporte notamment un volet d'économies de 15 milliards jusqu'en 2005.

Il se révèle assez réaliste au vu des comptes présentés pour l'année 2002. L'entreprise a une véritable capacité de rebond, puisqu'elle dégage un résultat d'exploitation de 6,8 milliards d'euros, en augmentation de 30 % par rapport à 2001, qui lui permet de faire face au service de la dette, et même de dégager un résultat avant impôts, amortissements et provisions, de 2,2 milliards d'euros.

Si le résultat net s'établit néanmoins à un déficit de 20,7 milliards d'euros, c'est pour l'essentiel l'effet du niveau très élevé des provisions exceptionnelles passées en 2002, à hauteur de 18,3 milliards d'euros.

Ce niveau très élevé des provisions traduit l'échec de certaines opérations industrielles décidées dans les années 1999-2001, comme l'achat d'Orange ou les prises de participation dans l'entreprise allemande MobilCom et dans l'entreprise britannique NTL.

S'il est normal qu'une entreprise subisse parfois des revers - c'est la contrepartie de la prise de risque économique -, il est normal aussi de s'interroger sur les conditions dans lesquelles les investissements ont été décidés, lorsque les revers prennent des proportions aussi considérables. Et je rappelle que la commission d'enquête sur la gestion des entreprises publiques a pour rôle d'examiner le contexte dans lequel ont été prises ces décisions désastreuses.

Heureusement, le passage de provisions pour les échecs industriels ne s'effectue qu'une fois et ce résultat net négatif de 2002 va libérer, en quelque sorte, les marges opérationnelles de l'entreprise pour l'avenir.

Parmi les mesures de redressement figure aussi une augmentation de capital de 15 milliards d'euros. C'est ce volet du plan de redressement de France Télécom qui nous ramène à notre minuscule projet de loi. ?

En effet, compte tenu de la part que l'Etat possède dans le capital de France Télécom, à savoir nominalement 55,4 %, soit une part effective de près de 60 % des droits de vote en tenant compte des 8,5 % d'autocontrôle, l'Etat devrait logiquement contribuer à hauteur de 9 milliards d'euros à cette augmentation de capital. Cette opération est conforme au principe de l'investisseur avisé qui rend compatible une telle prise de participation avec l'article 87, paragraphe 1, du traité instituant la Communauté européenne, qui interdit les aides publiques qui faussent la concurrence. La participation de l'Etat doit être telle que, dans des circonstances similaires, un investisseur privé aurait été amené à procéder à des apports de capitaux de la même importance.

Pour ne laisser aucun doute à ce sujet, le Gouvernement a décidé de confier la gestion de la participation de l'Etat dans France Télécom à un établissement public, l'ERAP. Il s'agit à l'origine d'une entreprise spécialisée en recherche pétrolière, qui a dû abandonner ce type d'activité en métropole.

M. Alain Cousin - Hélas !

M. le Rapporteur - Hélas pour l'Aquitaine, en effet.

Il y aura donc une séparation comptable de toutes les opérations entre France Télécom et son actionnaire public.

L'ERAP a une longue pratique de la gestion des participations de l'Etat dans les entreprises, puisqu'elle a géré, jusqu'en 1996, le capital détenu par l'Etat dans Elf. Puis elle a géré des participations de l'Etat dans des entreprises du secteur nucléaire. Dès lors que l'ERAP aura récupéré la gestion de la part de l'Etat dans France Télécom, la contribution publique à l'augmentation de capital pourra s'effectuer selon la règle de « l'investisseur avisé ».

La mise en place du dispositif s'est effectuée en trois temps : le décret du 2 décembre 2002 a modifié celui du 17 décembre 1965 portant organisation administrative et financière de l'ERAP, afin de permettre à l'ERAP de prendre des participations dans des entreprises appartenant au secteur des télécommunications ; l'article 80 de la loi de finances rectificative pour 2002 a accordé à l'ERAP le bénéfice de la garantie de l'Etat dans la limite de 10 milliards d'euros en principal ; cette garantie est indispensable car l'ERAP n'a pas d'activité industrielle visible et reconnue, puisqu'il ne s'agit que d'une structure de portage financier employant un faible effectif ; le présent projet de loi constitue le troisième volet juridique de la préparation de l'augmentation de capital : il vise à permettre une détention « indirecte » par l'Etat de la majorité du capital de France Télécom.

Le Gouvernement a décidé de traiter cette question sur ce minuscule projet de loi pour aller vite, et mettre l'entreprise France Télécom en position de profiter d'une évolution de la Bourse pour lancer l'opération d'augmentation de capital dont elle a besoin pour assainir sa situation financière.

Jacques Attali, dans un article de L'Express du 19 septembre 2002, écrivait : « Les entreprises publiques concurrentielles ne doivent pas être placées sous la tutelle des ministres mais sous celle d'une instance spécifique chargée des seuls intérêts patrimoniaux de l'Etat. Pour y parvenir, il conviendrait de regrouper l'ensemble des participations concurrentielles de l'Etat dans une ou plusieurs sociétés publiques d'investissement. Ironie du temps, il appartient à un gouvernement libéral de mettre en pratique une réforme que la gauche aurait dû oser » (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. le Président - Nous abordons la discussion générale.

M. Gilbert Biessy - Ce projet de loi institue une adaptation structurelle et fonctionnelle du service public de La Poste et des télécommunications dont l'enjeu est réel.

Certes, nous ne pouvons que souscrire à une participation de l'Etat dans le capital, au renforcement des fonds propres de France Télécom en tant qu'entreprise publique. Cette opération vise à renforcer l'équilibre financier de l'opérateur historique sans que la participation publique au capital soit remise en cause - participation qui, par le biais de l'ERAP, permet d'éviter une condamnation quasi certaine des institutions communautaires dans le cas où l'Etat aurait agi directement. Nous sommes stupéfaits face à une situation qui conduit la France, Etat souverain, à ne pouvoir agir librement dans un domaine aussi sensible que les services publics. Cette situation est d'autant plus dommageable que le droit communautaire est régi par les dogmes du libéralisme économique. Ces postulats idéologiques constituent autant de contraintes juridiques qui se traduisent par des options politiques nationales - processus de privatisations des entreprises publiques, déréglementations, atteinte au statut des personnels.

Ce projet de loi n'est anodin qu'au premier abord. Le déficit de France Télécom ne prouve-t-il pas l'échec des stratégies de privatisations ? N'est-il pas temps d'être plus attentif aux options d'investissement choisies par les dirigeants de nos entreprises publiques ? N'a-t-on rien retenu de l'épisode désastreux du Crédit Lyonnais ?

France Télécom a été victime de choix stratégiques plus que douteux destinés à satisfaire les marchés boursiers.

Les investissements en cause n'ont profité ni aux usagers ni aux personnels, au contraire.

Depuis l'ouverture du capital, l'exploitant s'est lancé dans une course effrénée à la rentabilité, guidée par des choix politiques dont personnel et usagers payent les conséquences : hausse de l'abonnement du fixe, tarifs élevés des mobiles, couverture insuffisante du territoire, files d'attentes qui s'allongent, délais de réponse interminables, suppression de points de paiement, de facturation et d'accueils pour les uns, dégradation du quotidien au travail pour les autres.

Ces stratégies ont fragilisé France Télécom. Les entreprises publiques, comme les services publics, ont besoin de se transformer. Les données technologiques évoluent, modifiant les conditions d'exploitation. L'environnement social et institutionnel se transforme, faisant apparaître de nouveaux besoins. Les problèmes de financement sont aigus. Tout statu quo devient problématique. Mais il faut débattre afin d'imposer telle ou telle solution. Or, le pays a été privé d'une confrontation permettant d'élaborer les grandes lignes d'une politique de développement. Quand elle a eu lieu, c'est la question des moyens financiers qui a été occultée. Or, dans une démocratie moderne, les usagers et les salariés doivent pouvoir proposer et décider. C'est à eux d'exprimer leurs besoins, et aux populations de faire les choix en toute transparence.

Si le projet de loi avait pour but de conforter le capital de l'entreprise publique, il serait susceptible de recueillir notre assentiment. Mais l'accepter, c'est souscrire à tous les enjeux sous-entendus. M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie s'est d'ailleurs exprimé ainsi : « Une loi sera nécessaire pour que l'ERAP puisse recevoir l'ensemble des participations de l'Etat et, ultérieurement, une loi de privatisation permettra, le cas échéant, de descendre en-dessous de 50 % du capital par des cessions d'actifs ».

La première étape a été l'avance de 9 milliards d'euros pour renforcer les fonds propres de l'entreprise par l'ERAP. L'objectif final est la recapitalisation.

La deuxième étape sera le transfert de l'intégralité du capital vers l'ERAP. La troisième étape sera, peut-être, la privatisation totale de France-Télécom.

Notre groupe votera contre ce projet de loi (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).

M. Alain Cousin - Ce projet de loi constitue un aménagement technique à la loi du 2 juillet 1990 destinée à sauver France Télécom d'une situation financière dégradée, résultat de la politique financière du précédent gouvernement faite d'inertie et de passivité.

Le cas de France Télécom est lié à l'échec de nombre d'opérations industrielles menées dans le cadre de stratégies d'expansion internationale qui entraînent de lourdes provisions pour dépréciation d'actifs. Ces stratégies semblent avoir été motivées par la recherche de l'effet de taille sans prise en compte sérieuse des coûts, ce qui a pu conduire la précédente direction de France Télécom à d'incontestables erreurs stratégiques. La situation financière de France Télécom est extrêmement dégradée avec un endettement net de 68 milliards d'euros, ce qui représente sept fois celui d'Eurotunnel et cinq fois celui du Crédit Lyonnais.

M. François Brottes - Cela n'a rien à voir !

M. Alain Cousin - Le cas de France Télécom met en évidence un grave problème de gouvernance des entreprises publiques. Acquisition d'une licence UMTS sans évaluation du rapport qualité-prix, rachat d'Orange au prix fort, participations prises dans NTL et MobilCom : autant de défaillances dans les décisions du conseil d'administration. Le précédent gouvernement a par ailleurs incontestablement failli dans son rôle de tutelle. Telles sont en partie les raisons du bilan financier désastreux de France Télécom en 2002, que la commission d'enquête parlementaire sur la gestion des entreprises publiques tâchera de mettre en lumière.

Contrôlé par l'Etat à un peu plus de 56 %, France Télécom compte aujourd'hui près de 121 000 salariés et 92 millions de clients dans le monde, dont 40 % hors de France. Ce projet de loi doit lui permettre de profiter dès que possible d'une évolution favorable de la Bourse. Il faut en effet armer France Télécom pour lancer son augmentation de capital, dont la date ne sera dévoilée qu'au dernier moment afin d'éviter toute spéculation et une chute supplémentaire du titre.

Ses pertes se sont élevées à 20,7 milliards d'euros en 2002, les plus importantes jamais enregistrées par une entreprise française. Le bénéfice d'exploitation et le résultat brut d'exploitation ayant encore fortement augmenté l'an passé, la perte nette de l'entreprise s'explique par un montant record de provisions exceptionnelles pour dépréciation d'actifs, à hauteur de 18,3 milliards d'euros. Il faut rappeler qu'elle avait procédé à 100 milliards d'euros environ d'achats entre 1999 et 2001, dont près de 80 % payés en cash, et que son endettement est passé de 14,5 milliards d'euros début 2000 à plus de 60 milliards en 2001 et près de 70 milliards en juin 2002. Le cours de son titre est tombé de 191 € en mars 2000 à 10,63 € en septembre 2002, chutant de 75 % en 2002.

Lors de son audition par la commission des finances, Thierry Breton a estimé que les résultats nets du groupe pour 2002 devraient être négatifs de 18 ou 20 milliards d'euros, soit deux fois plus élevés qu'en 2001.

Il y a plusieurs causes à cette situation financière catastrophique. Tout d'abord, la multiplication des acquisitions : Orange pour 46,5 milliards d'euros, une participation dans NTL pour 7,3 milliards ; une autre dans Mobilcom pour 3,8 milliards ; Freeserve pour 2,5 milliards ; enfin, Equant et de multiples start-up, toutes surévaluées, pour 4 milliards, sans compter les 32,5 milliards programmés pour l'achat d'une licence UMTS, ramenés à 4 milliards d'euros suite aux premières difficultés de l'opérateur. Ensuite, ces opérations ont été essentiellement réglées en cash et non par échanges de titres. Les réductions de valeur portées au bilan de l'entreprise ont été autant de pertes pour l'actionnaire, et pour le contribuable. Enfin, la détention majoritaire du capital par l'Etat a poussé France Télécom à des opérations financières hasardeuses. L'obligation juridique d'une détention majoritaire du capital de l'entreprise par l'Etat a été, selon Francis Mer, l'une des causes de sa crise financière.

Comment sauver France Télécom ? Le plan « TOP » du redressement de l'entreprise pour 2003-2005, destiné à réduire la dette et à renforcer les fonds propres, prévoit un rééchelonnement de la dette obligataire pour 15 milliards d'euros ; une augmentation de capital pour 15 milliards ; un plan d'économies internes pour 15 milliards. Le refinancement par emprunt auprès des banques et des marchés financiers est déjà effectué pour 15 milliards d'euros. En 2003, le groupe espère dégager jusqu'à 30 milliards de liquidité, comptant sur 6 milliards dont il dispose déjà, auxquels s'ajoutent 9 milliards de l'Etat, 6 milliards d'émissions obligataires et environ 2 milliards des cessions en cours.

Trois étapes juridiques sont nécessaires pour permettre l'augmentation de capital. Le décret du 2 décembre 2002 autorise l'ERAP à prendre des participations dans des entreprises du secteur des télécommunications. L'article 80 de la loi de finances rectificative pour 2002 accorde la garantie de l'Etat dans la limite de 10 milliards. Enfin, le présent projet de loi permet à l'Etat de détenir indirectement une partie du capital de France Télécom, puisqu'il détient 100 % du capital de l'ERAP.

Deuxième phase : le transfert par l'Etat de sa participation à l'ERAP. La loi Quilès du 2 juillet 1990 ne prévoyait pas une détention de la majorité du capital de France Télécom par le biais d'une structure intermédiaire. Mais cette augmentation de capital doit s'effectuer en toute transparence afin de respecter le cadre fixé par la Commission européenne pour l'utilisation des aides d'Etat aux entreprises. Cela passe notamment par une séparation comptable entre l'Etat et la structure qui apportera les capitaux. A défaut, la Commission aurait pu enclencher une procédure « d'aide d'Etat » à l'encontre de la France, et imposer des restructurations. Elle a indiqué attendre la notification exacte du plan de sauvetage, avant de se prononcer sur sa validité au regard de la législation européenne en matière de concurrence.

Toute augmentation de capital diminue la part de capital détenue par les actionnaires préexistants. Or, ici elle sera effectué à due proportion de la part détenue par l'Etat. Si bien qu'il n'y aura pas de dilution. En d'autres termes, l'ERAP empruntera 9 milliards pour souscrire 9 milliards d'actions mises sur le marché.

Le retour de France Télécom à une situation financière saine dépendra de l'amélioration de ces performances opérationnelles sur la période 2003-2005, qu'il s'agisse de la rentabilité retrouvée de ses investissements ou des économies retirées de sa restructuration. En d'autres termes, il s'agit pour le groupe de se recentrer sur ses activités principales : le mobile, le fixe, l'Internet et les services aux entreprises. Dans l'immédiat, le déploiement de l'UMTS sera décalé d'un ou deux ans. De même, le groupe devrait, selon toute vraisemblance, geler ses recrutements jusqu'à mi-2003, sans qu'il y ait aucun licenciement sec, et diminuer ses investissements de 10 % l'année prochaine.

Pour toutes ces raisons, nous soutiendrons ce projet de loi.

M. François Brottes - A écouter le Gouvernement nous aurions rendez-vous aujourd'hui avec le pragmatisme, ce texte court, « minuscule », pour reprendre les termes du rapporteur, ne faisant que proposer la solution juridique qui s'imposait naturellement pour France Télécom eu égard au droit communautaire.

Le contexte est connu de tous, je n'y reviens pas. France Télécom est une très belle entreprise publique, à la pointe de l'innovation technologique - issue, soit dit au passage, de la recherche publique -, à l'origine de plusieurs projets industriels de très grande envergure - je pense notamment au site de Crolles II et ses deux mille emplois, inauguré il y a peu par le Président de la République, et qui n'aurait pu voir le jour sans la complicité du CEA Leti et de France Télécom. Elle peut compter sur le savoir-faire, l'éthique et le sens du service public de ses personnels qui la rendent proche de tous les Français. Le niveau d'excellence qu'elle a atteint dans la téléphonie fixe et mobile, mais aussi le haut débit, lui permet d'enregistrer une forte croissance, son chiffre d'affaires ayant encore progressé de 8 % en 2002 et son résultat d'exploitation de 21 %. Son rayonnement international, enfin, lui permet d'être aujourd'hui un opérateur de télécommunications à part entière, alors qu'une stratégie de repli l'aurait conduit à n'être qu'un sous-traitant de transport de télécommunications.

Il faut ici rappeler que France Télécom a assumé seul tous les risques du développement des nouvelles technologies de l'information et de la communication dans notre pays. Alors, certes, la bulle spéculative a fait tourner la tête à tous les opérateurs, mais fallait-il attendre que la raison revienne pour prendre position sur les nouveaux marchés ? D'ailleurs, Vivendi ou Deutsche Telekom sont encore plus endettés que France Télécom, n'en déplaise aux détracteurs patentés de notre opérateur historique...

Il y a eu également l'inconséquence de la Commission européenne en matière d'UMTS, puisqu'elle a laissé tous les Etats se lancer dans une surenchère pour vendre les licences le plus cher possible, au motif d'engranger ainsi des recettes exceptionnelles. Seule la France a d'ailleurs fait preuve de sang-froid et de responsabilité, en dépit des pressions de plusieurs députés de droite, dont certains sont devenus ministres. J'espère que les pompiers-pyromanes pourront être identifiés par la commission d'enquête.

Bien sûr, il y a eu le poids énorme de la régulation par l'ART, décidée dans la loi de 1996 - c'était la même majorité qu'aujourd'hui. Le jeu consiste à pénaliser au maximum l'opérateur historique pour mieux laisser le champ aux opérateurs entrants. De là à dire que certains d'entre eux se sont conduits en prédateurs, il n'y a qu'un pas ; je n'ose le franchir, étant vice-président de la commission d'enquête sur le loup - prédateur lui aussi protégé... (Sourires)

Bien sûr, on n'aurait peut-être pas dû libérer France Télécom de l'obligation de soumettre toute acquisition à l'étranger à l'accord préalable de l'Etat - mais n'est-ce pas un ancien Premier ministre, proche de la majorité actuelle qui a coupé ce lien ? Mais il est vain de réécrire l'histoire. Le fait demeure que, dans la durée, France Télécom a déjà plus rapporté à l'Etat que ce qui est demandé à ce dernier pour mener à bien le plan préconisé par Thierry Breton, le nouveau président de l'entreprise.

Ces préalables étant rappelés, Madame la ministre, j'en viens à votre projet de loi. Il permet à l'Etat de transférer à l'ERAP, établissement public national à caractère industriel et commercial, l'intégralité de sa participation dans le capital de France Télécom, et de participer le cas échéant à une augmentation de celui-ci, conformément au plan d'action annoncé le 5 décembre. J'observe que ce plan a un caractère strictement financier, sans volet social, alors que, par touches successives, des décisions lourdes sont prises dans ce domaine ; mais ce n'est pas aujourd'hui notre sujet. Le groupe socialiste se déterminera sur votre projet en fonction des réponses que vous voudrez bien apporter aux questions que je vais maintenant vous poser. Nous voudrions être sûrs que le blanc-seing donné à l'Etat pour détenir indirectement ses parts à travers un intermédiaire, l'ERAP, n'est pas un tour de passe-passe pour échapper à la législation en vigueur. Nous souhaitons donc de votre part, Madame la ministre, des précisions utiles, qui vaudront engagement du Gouvernement.

Tout d'abord, même si, techniquement, le passage par l'ERAP n'est en rien assimilable à une privatisation, l'ERAP pourra-t-il, au détour de sa participation à une augmentation de capital de France Télécom, contribuer à faire passer la part de l'Etat en dessous des 50 % du capital sans revenir devant le Parlement pour modifier la loi ?

En second lieu, on sait que l'ouverture à la concurrence n'exige pas la privatisation, mais seulement la régulation. Dans l'hypothèse toutefois d'un retrait, que nous ne souhaitons pas, de l'Etat du capital de France Télécom, pourriez-vous nous préciser les intentions du Gouvernement et dans quels délais il souhaite les mettre en _uvre ?

Troisième question : même si vous n'avez pas souhaité attendre les résultats de la commission d'enquête parlementaire sur la gestion des entreprises publiques pour installer la nouvelle agence des participations de l'Etat, quelle sera la présence de l'Etat au conseil d'administration de France Télécom ? Et si vous me répondez que c'est l'ERAP qui se substituera à l'Etat dans ce conseil, quel sera le contrôle de l'Etat sur cet établissement public ?

Quatrième question : même si je considère que la Commission européenne n'est pas étrangère à la tourmente spéculative qui a dévasté le secteur des télécommunications il y a quelques mois, quelle sera sa position, elle qui est toujours prête à donner des leçons, face au montage juridique que vous nous proposez ? Quelles seraient les conséquences d'une éventuelle requalification de l'opération patrimoniale en cours en une aide directe de l'Etat ?

Enfin, la création de l'ERAP étant de niveau réglementaire, toute évolution de son statut se fera par la même voie. Quelles assurances avons-nous dès lors sur la pérennité de l'établissement ? En cas de disparition de celui-ci par décret, quel sera le sort de son patrimoine ? Et quel contrôle parlementaire pourrons-nous exercer en cas de changement de vecteurs ?

Ces précisions doivent éclairer la représentation nationale, mais aussi les salariés et les autres actionnaires de France Télécom et je vous remercie par avance des réponses précises que vous voudrez bien nous apporter (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Philippe Folliot - Tout d'abord, je voudrais excuser mon collègue Dionis du Séjour qui a eu un empêchement de dernière minute. Ce travail est le fruit de notre collaboration.

Ce projet, comme l'a dit notre rapporteur, est minuscule dans sa forme mais gigantesque dans sa portée. Pour réformer en profondeur, nul besoin de textes pléthoriques : le principe d'efficacité, qui met en jeu le minimum de causes pour le maximum d'effets, inspire l'action pragmatique du Gouvernement et la vôtre, Madame la ministre, et je vous en félicite. Mais, puisque la nature même du texte réduit grandement nos possibilités de l'améliorer, profitons de la discussion générale pour le restituer dans son contexte : l'avenir de France Télécom et la politique gouvernementale dans le domaine des télécommunications et des nouvelles technologies. Où va France Télécom ? Que veut l'Etat, son actionnaire principal ?

Où va France Télécom, d'abord ? Ses 220 000 salariés, ses 1,6 million d'actionnaires et tous les contribuables français se posent la question. A nos yeux, la nécessité de renforcer les fonds propres de l'entreprise est indiscutable. Face à 38 milliards d'euros de dettes, le seul moyen de rééquilibrer son compte de bilan et de recréer la confiance des marchés, c'est bien pour les actionnaires actuels, et d'abord pour l'Etat, d'amener des fonds propres. Nous approuvons donc sans réserves ce volet du plan Ambition 2005.

Le montage financier choisi par l'Etat pour remplir ses obligations d'actionnaire principal ne nous pose pas de problème. Nous savons tous que le transfert de la participation de l'Etat à un établissement public, l'ERAP, vise à rendre le renforcement des fonds propres de France Télécom conforme aux règles européennes. La démarche d' « investisseur avisé », mise en avant pour justifier cette procédure, devrait le permettre, si l'on se réfère à l'arrêt de la Cour de justice. Le groupe UDF et apparentés approuve donc aussi bien le renforcement des fonds propres de France Télécom que le mode opératoire choisi, et nous voterons sans réserve pour ce texte.

Nous jugeons pour le moins déplacées les leçons que nous donne à ce sujet l'opposition. Il reviendra à la commission d'enquête parlementaire d'établir les responsabilités dans la constitution de la dette aberrante de France Télécom, mais certaines questions peuvent déjà être posées. Où était donc passé l'Etat actionnaire, dirigé par le gouvernement socialiste, entre 1999 et février 2001 ? Quel contrôle a-t-il assuré sur la gestion de France Télécom ? La réponse est malheureusement claire : l'Etat actionnaire était le plus souvent aux abonnés absents. Ou bien, parfois, il imposait une idéologie archaïque, lorsqu'il exigeait en mai 2000 que le rachat d'Orange s'opère par emprunt, pour ne pas descendre en dessous du seuil sacro-saint de 50 % de participation de l'Etat.

Soyons donc clairs : nous n'avons pas peur de l'adverbe « indirectement », et même nous ne faisons pas d'une participation majoritaire de l'Etat dans le capital de France Télécom un principe absolu. Nous sommes prêts à une discussion à ce sujet, pourvu qu'elle serve une politique d'avenir pour le secteur des nouvelles technologies.

Le reste du plan Ambition 2005 nous pose toutefois plus de problèmes. La pression mise sur l'opérationnel ne risque-t-elle pas de casser l'élan confirmé par les brillants résultats 2002, alors que la crise est d'abord financière, et que justement les réponses financières sont très timides ? Nous rejoignons sur ce point l'avis de la Commission supérieure du service public des postes et télécommunications.

Nos réserves portent aussi sur le « troisième 15 » du plan France Télécom 2005 dit « 15+15+15 ». Il est étonnant, alors que la crise France Télécom est d'abord une crise financière, que le volet concernant spécifiquement la dette se limite à un réaménagement de 15 milliards sur une dette de 68 milliards. Nous avons compris, et nous soutenons la politique des dirigeants de France Télécom qui consiste à conserver l'intégrité du groupe, telle qu'elle a été dessinée par Michel Bon, autour d'activités et de marques solides, connues et ayant de l'avenir : France Télécom, Orange, Wanadoo et Equant. Mais nous comprenons moins bien pourquoi France Télécom, aujourd'hui en très grande difficulté financière, se refuse à explorer la piste de la séparation des réseaux et des services, à moins qu'il ne s'agisse de conserver un avantage concurrentiel difficilement compatible avec l'esprit des directives européennes que nous devrons bientôt transposer.

M. François Brottes - C'est faux !

M. Philippe Folliot - Le groupe UDF et apparentés, lors de la discussion du budget des postes et télécommunications, s'était déjà exprimé en faveur de la vente du réseau par France Télécom, soit à l'Etat, soit, mieux encore, à un ensemble de sociétés d'économies mixtes régionales, dont l'actionnariat pourrait rassembler l'Etat, les conseils régionaux et les conseils généraux. La vente de son réseau ne pourrait-elle pas apporter à France Télécom une recette de 15 à 20 milliards d'euros, lui permettant de diminuer de manière décisive son endettement ?

M. François Brottes - Ce n'est pas du chemin de fer !

M. Philippe Folliot - Cela permettrait une concurrence plus loyale, plus transparente, donc bénéfique pour tous les acteurs du secteur. Enfin, cela permettrait aux collectivités locales de se mobiliser, comme va le leur permettre la loi pour la confiance dans l'économie numérique, afin de devenir opérateurs des télécommunications pour atteindre l'objectif fixé par le Premier ministre dans le plan RESO 2007. Même si nous ne sous-estimons pas les difficultés de cette solution, nous demandons que le Gouvernement et le Parlement, en liaison avec l'entreprise, l'étudient le plus rapidement possible.

Il est urgent de créer une cohérence entre le plan RESO 2007 et le plan Ambition France Télécom 2005. Le présent projet répond clairement à chacun des deux plans. Il aura donc tout notre soutien. A nous de montrer de l'audace, encore de l'audace, toujours de l'audace, pour qu'il en soit de même au niveau du volet opérationnel et financier du plan Ambition 2005. Le groupe UDF et apparentés est prêt à prendre toute sa place au sein de la majorité pour accomplir cette tâche (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP).

La discussion générale est close.

Mme la Ministre - Je veux tout d'abord vous remercier de votre intérêt pour la situation de France Télécom et le secteur des télécommunications. Vous avez rappelé, Monsieur le rapporteur, la portée technique de ce projet, et sa place dans le calendrier de l'action gouvernementale. Vous avez justement souligné le rôle de la structure juridique de l'ERAP, qui ne modifie pas les relations entre France Télécom et l'Etat. Vous avez insisté d'autre part sur le souci d'efficacité et de transparence qui a conduit le Gouvernement à retenir cette solution, et je vous remercie de votre appui.

En réponse à M. Folliot, je voudrais souligner que les efforts propres de l'entreprise pour dégager une capité de désendettement de 15 milliards d'euros d'ici 2005 sont à la fois indispensables et réalistes. Indispensables car sinon les perspectives de désendettement seraient insuffisantes et ne justifieraient pas un effort des actionnaires. Réalistes, parce que le plan repose sur une meilleure gestion opérationnelle du groupe, sur une réduction mesurée des charges et sur des investissements.

Vous avez évoqué la séparation des réseaux. Cette solution a été étudiée mais n'a finalement pas été retenue car elle ne crée pas de valeur ajoutée et ne correspond pas à l'ambition industrielle que nous avons pour France Télécom.

Monsieur Brottes, le choix de l'ERAP comme structure juridique ne change rien aux relations entre l'entreprise et l'Etat : le Gouvernement continuera d'assumer toutes ses responsabilités d'actionnaire, y compris la présence au conseil d'administration. Si la détention du capital par l'ERAP devait devenir inférieure à 50 %, cette décision serait soumise au Parlement. Le Gouvernement, pour sa part, n'y ferait pas obstacle.

La Commission européenne vérifiera très précisément les relations entre l'ERAP et France Télécom. L'Etat souscrira à hauteur de sa part aux côtés d'autres investisseurs - France Télécom a déjà pu lever près de 14 milliards d'euros en deux mois.

Si l'ERAP venait d'aventure à être dissous, ce qui est une hypothèse totalement théorique, son patrimoine reviendrait à l'Etat, y compris les actions de France Télécom.

Je voudrais rassurer enfin M. Biessy : non, l'objectif du Gouvernement n'est pas de nuire au personnel de France Télécom, ni de constater l'échec de la politique européenne des télécommunications, mais au contraire, dans l'intérêt même des salariés, maintenir la position de France Télécom comme un grand groupe industriel européen. Nous voulons lui donner les moyens que le gouvernement précédent lui avait refusés.

Monsieur Cousin, le Gouvernement partage pleinement votre analyse et c'est ce qui l'a conduit à apporter son soutien au plan présenté par le président de France Télécom (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

L'article unique du projet de loi, mis aux voix, est adopté.

SAISINE DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL

M. le Président - J'ai reçu de M. le Président du Conseil constitutionnel une lettre m'informant qu'en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, plus de soixante sénateurs ont saisi le Conseil constitutionnel d'une demande d'examen de la conformité à la Constitution de la loi relative à l'élection des conseillers régionaux et des représentants au Parlement européen ainsi qu'à l'aide publique aux partis politiques.

Prochaine séance demain, mercredi 19 mars, à 15 heures.

La séance est levée à 20 heures 20.

                      Le Directeur du service
                      des comptes rendus analytiques,

                      François GEORGE

ORDRE DU JOUR
DU MERCREDI 19 MARS 2003

A QUINZE HEURES : 1ère SÉANCE PUBLIQUE

1. Questions au Gouvernement.

2. Discussion du projet de loi (n° 638) renforçant la lutte contre la violence routière.

M. Richard DELL' AGNOLA, rapporteur au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

(Rapport n° 689).

A VINGT ET UNE HEURES : 2ème SÉANCE PUBLIQUE

Suite de l'ordre du jour de la première séance.

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne trois heures après la fin de séance.

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

        www.assemblee-nationale.fr


© Assemblée nationale