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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2002-2003 - 77ème jour de séance, 188ème séance

2ème SÉANCE DU MARDI 8 AVRIL 2003

PRÉSIDENCE de M. Jean-Louis DEBRÉ

Sommaire

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT 2

MODES DE SCRUTIN 2

PÉNALITÉS INFLIGÉES À DES ORGANISATIONS AGRICOLES 2

AVENIR DU SYSTÈME DE PROTECTION SOCIALE
ET DE RETRAITE 3

GIAT INDUSTRIES 4

PÉNALITÉS INFLIGÉES À DES ORGANISATIONS AGRICOLES 5

CORSE 5

GIAT INDUSTRIES 6

COOPÉRATION JUDICIAIRE EUROPÉENNE 7

ÉNERGIES RENOUVELABLES 8

POLITIQUE ÉCONOMIQUE ET SOCIALE 8

LOGEMENT LOCATIF 9

STATIONS BALNÉAIRES 10

ÉLOGE FUNÈBRE DE JEAN-MARC CHAVANNE 10

NOUVELLE DÉLIBÉRATION DE
L'ARTICLE 4 DE LA LOI RELATIVE
À L'ÉLECTION DES CONSEILLERS RÉGIONAUX ET DES REPRÉSENTANTS
AU PARLEMENT EUROPÉEN 12

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ 16

MOTION DE RENVOI EN COMMISSION 25

ART. 4 30

La séance est ouverte à quinze heures.

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

MODES DE SCRUTIN

M. René Dosière - Monsieur le Premier ministre, les Français viennent de découvrir votre capacité d'innovation et d'improvisation en matière électorale. En fixant un seuil de 10 % des électeurs inscrits, en deçà duquel une liste de candidats ne pourrait figurer au second tour des élections régionales, vous avez menacé le pluralisme et provoqué la colère de la totalité des partis politiques de l'opposition comme de la majorité, à la seule exception de l'UMP. Fuyant le débat à l'Assemblée nationale, vous avez utilisé l'article 49-3, auquel votre prédécesseur, Lionel Jospin, n'avait jamais eu recours en cinq ans de législature ! (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste ; protestations sur les bancs du groupe UMP)

Le Conseil constitutionnel a été saisi par des députés issus de tous les partis politiques représentés à l'Assemblée, à l'exception, encore une fois, de l'UMP. C'est la première fois dans l'histoire de la République qu'un recours au Conseil constitutionnel est cosigné de manière aussi large et diverse. Le verdict du Conseil constitutionnel est sans appel : votre innovation hasardeuse est annulée (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

A cette occasion, le Conseil vous a rappelé l'obligation de « respecter le pluralisme des courants d'idées et d'opinions, lequel est un des fondements de la démocratie ».

Allez-vous persévérer dans l'erreur en considérant que vous avez raison seul contre tous ? Allez-vous vous lancer dans une nouvelle improvisation arithmétique ? Ou bien allez-vous revenir à la règle républicaine, respectueuse du pluralisme démocratique ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales - Monsieur Dosière, sans vouloir polémiquer, mieux vaut, avant de donner des leçons de vertu, prendre garde à son propre bilan ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste) Au cours des cinq dernières années, c'est à trente-six reprises que le Conseil constitutionnel a sanctionné le gouvernement de Lionel Jospin (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP), dont quatre fois à l'occasion de textes électoraux ! C'est un lourd bilan ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; protestations sur les bancs du groupe socialiste)

Quant à nous, nous allons faire ce que vous n'avez pas voulu faire à l'époque. Nous nous inclinons devant la décision du juge constitutionnel (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) et en tirons les conséquences. Nous faisons ainsi la preuve de notre bonne foi et de notre comportement républicain scrupuleux ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

Il me reste à espérer que vous agirez de même si d'aventure les Français vous redonnent un jour la majorité, et que vous cesserez de critiquer tant le Sénat que le Conseil constitutionnel, lorsqu'ils n'iront pas dans votre sens ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF ; protestations sur les bancs du groupe socialiste)

PÉNALITÉS INFLIGÉES À DES ORGANISATIONS AGRICOLES

M. François Sauvadet - Les agriculteurs sont descendus nombreux hier dans les rues pour protester contre la décision de la Commission européenne de condamner six organisations syndicales agricoles françaises au paiement d'une amende de 16,7 millions d'euros pour une prétendue entente illicite sur le prix de la viande. Le groupe UDF éprouve, comme les professionnels eux-mêmes, un sentiment de profonde injustice face à cette condamnation d'organisations qui ont su assumer leurs responsabilités.

Pour avoir présidé la commission d'enquête sur la vache folle, l'ESB et les farines animales, je sais que c'est précisément parce que la Commission européenne n'a pas su imposer les mêmes règles sanitaires à tous les pays de l'Union européenne, qu'une concurrence déloyale s'est exercée jusqu'à fin 2000 entre ceux qui ont respecté ces règles, et ceux qui ont nié jusqu'à la présence de l'ESB sur leur territoire (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP), et que tout a été tenté par les autorités et par les professionnels pour enrayer cette baisse dramatique des prix.

Comment le Gouvernement compte-t-il aider les professionnels à sortir de cette crise, nouveau coup dur porté au modèle agricole que nous défendons, et obtenir le retrait de cette sanction ? Il en va de l'avenir du syndicalisme français (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP).

M. Jean-François Copé, secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement - Je vous prie d'excuser M. Gaymard, retenu à Luxembourg par un conseil des ministres de l'agriculture.

La décision que vous évoquez, conséquence d'une procédure engagée il y a plus d'un an et demi par la Commission européenne, a surpris par son extrême sévérité - plus de 16 millions d'euros d'amendes, dont 12 millions pour la seule FNSEA - et par le fait qu'elle ne tient pas compte de la réalité des faits, ni de leur contexte. Elle intervient en effet plus de dix-huit mois après l'accord incriminé, et méconnaît l'ampleur de la crise et le traumatisme de la profession.

Des voies de recours existent, dont le recours de pleine juridiction devant le tribunal de première instance, lequel pourra supprimer, réduire, voire majorer l'amende.

Ce recours n'est toutefois pas suspensif, et seul le tribunal pourrait décider, suite à une procédure de référé diligentée parallèlement au recours principal, de suspendre l'obligation de paiement de l'amende. Quoi qu'il en soit, le Gouvernement restera très attentif aux actions contentieuses engagées par les organisations agricoles (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP).

AVENIR DU SYSTÈME DE PROTECTION SOCIALE ET DE RETRAITE

M. François Liberti - Le 3 avril dernier, plus de 500 000 salariés du public et du privé se sont mobilisés pour l'avenir de notre système de protection sociale et de retraite. Depuis le lendemain, dans nombre d'établissement des régions PACA et Languedoc-Roussillon, les enseignants sont en grève reconductible.

Après cette journée d'action du 3 avril, vous avez déclaré, Monsieur le Premier ministre, que vous ne modifieriez pas vos objectifs. Vous continuez à parler de dialogue et de concertation avec les syndicats, mais rien ne prouve qu'ils soient entendus, loin de là !

Pourtant, les attentes sont fortes : réévaluation du pouvoir d'achat des retraités, retraite à 60 ans, ou après 40 ans de cotisation, - ainsi que le groupe communistes et républicains le propose dans sa proposition de loi.

Le régime de répartition, fondé sur la solidarité, a besoin d'une politique ambitieuse de création d'emplois pour accroître le nombre des cotisants. La réforme des retraites doit se traduire par une grande avancée sociale : tel est le sens que les parlementaires communistes et républicains donnent au forum social qui se tiendra le 23 avril à l'Assemblée nationale, à leur initiative.

Allez-vous enfin entendre ces aspirations ? (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et quelques bancs du groupe socialiste)

M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité - Le Gouvernement est attentif à toutes les formes d'expression des Français, y compris quand ils manifestent, mais également à l'avenir de notre régime de retraite par répartition, mis à mal par la démographie et par l'immobilisme dont le gouvernement précédent a fait preuve (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF ; protestations sur les bancs du groupe socialiste)

Le Gouvernement a organisé une concertation avec les partenaires sociaux, concertation dont il est ressorti un texte reprenant les différents objectifs mis en avant par les organisations syndicales : sauver le régime de retraite par répartition ; assurer un haut niveau de retraite, en particulier pour les bas salaires ; permettre à ceux qui ont soixante ans d'exercer leurs droits à la retraite...

M. François Liberti - Après trente-sept ans et demi !

M. le Ministre des affaires sociales - Assurer l'équité entre tous les régimes de retraite (« Très bien ! » sur de nombreux bancs du groupe UMP) ; instaurer une véritable liberté de choix pour que chaque Français prenne sa retraite comme il l'entend.

M. Maxime Gremetz - A soixante-dix ans ?

M. le Ministre des affaires sociales - Je suis persuadé qu'une large majorité de Français est favorable à ces principes, et vous le sauriez, du reste, si vous aviez eu le courage, au cours des cinq dernières années, d'organiser cette concertation pour préparer une réforme attendue par tout le pays ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

GIAT INDUSTRIES

M. Pascal Clément - La direction de GIAT Industries vient d'annoncer la suppression de 3 750 emplois, sur un effectif actuel total de 6 250 salariés. Dans le seul département de la Loire, il est non seulement prévu la fermeture complète du site de Saint-Chamond, où travaillent 734 personnes, mais aussi la suppression de 935 emplois à Roanne, soit les trois quarts de l'effectif de l'établissement.

La fermeture du site de Cusset et des compressions d'effectifs partout en France complètent ce tableau tragique. Des personnels à la compétence reconnue, déjà traumatisés par des restructurations successives, sont durement touchés. Cette instabilité récurrente est due à des erreurs commerciales, de mauvais choix de gestion et une marge de man_uvre insuffisante laissée à la direction de l'entreprise. GIAT Industries, acteur majeur de l'économie locale, doit faire l'objet de l'attention la plus vigilante du Gouvernement, car il y va aussi de la capacité de la France à conserver une industrie d'armement autonome et cohérente.

Pouvez-vous préciser de quelle marge de man_uvre disposent encore les partenaires sociaux ? Quelles dispositions le Gouvernement prendra-t-il pour assainir durablement la situation de l'entreprise ? A quoi l'Etat s'engagera-t-il ? Quelles mesures concrètes de reclassement sont prévues (« Aucune ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains), notamment pour les salariés de Saint-Chamond qui ne sont ni fonctionnaires ni ouvriers d'Etat ? Comment sera compensée la disparition des sites de GIAT Industries ? Je n'hésite pas à le dire : à ce jour, les perspectives de réimplantations d'activités sont trop imprécises, et radicalement insuffisantes pour corriger les effets de ce désastre industriel (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense - Le sixième plan de restructuration de GIAT Industries vise à rendre l'entreprise viable à long terme, et constitue même la condition indispensable de sa survie. Il comporte un projet industriel que le Gouvernement souhaite, cette fois, exactement dimensionné (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). Un contrat d'entreprise formalisera donc les commandes de l'Etat, qu'il s'agisse des véhicules légers VBCI ou des opérations de MCO des chars Leclerc et AMX10P, comme le permet la loi de programmation militaire enfin votée. De même, seront déterminées les commandes de munitions sur six ans. Voilà ce qui constituera le noyau dur de l'activité d'une entreprise assainie, qui pourra ensuite envisager des alliances européennes. GIAT Industries pourra donc compter sur un chiffre d'affaires annuel de 450 millions, en plus d'un apport en capital de 1 milliard.

Je tiens à souligner que la configuration retenue correspond à celle des entreprises semblables, dans le secteur de l'armement terrestre, au Royaume-Uni et en Allemagne (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

S'agissant du projet social, le Gouvernement a tenu à ce que le cas de chaque salarié soit étudié et que, quel que soit son statut, une ou plusieurs solutions de reclassement lui soient proposées (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). Pour ce qui est de l'aménagement du territoire, un système a été défini, visant à ce que s'installent, sur les sites les plus touchés, de nouvelles entreprises, dont certaines entreprises de défense. Des négociations sont en cours depuis plusieurs semaines, et des projets concrets existent déjà (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains ; applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP).

PÉNALITÉS INFLIGÉES À DES ORGANISATIONS AGRICOLES

M. Jean-Marie Sermier - Comme mon collègue François Sauvadet, je suis inquiet pour notre agriculture et l'avenir de ses instances représentatives. En 2001, à l'heure la plus noire de la crise bovine, des négociations ont eu lieu, dans une parfaite transparence, qui visaient à sauver la filière, et qui ont abouti, avec l'accord du Gouvernement, qui considérait qu'à situation exceptionnelle il fallait des remèdes exceptionnels.

On notera que, quinze jours après que la FNSEA a fait connaître son opposition au plan de M. Fischler, la Commission européenne a cru bon de condamner, avec un empressement inhabituel, six organisations syndicales françaises à une amende de 16,7 millions. J'ai reçu une délégation d'éleveurs du Jura qui sont, comme bien d'autres, éc_urés par cette décision. En imposant le paiement de cette amende sous trois mois, sans même que le recours soit suspensif, on prend toute une profession en otage, on asphyxie ses syndicats et on remet en cause le droit syndical (« C'est scandaleux ! » sur plusieurs bancs).

Quelle position prendra le Gouvernement en faveur de ceux qui ont _uvré en faveur de la santé publique et de l'intérêt général ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. Jean-François Copé, secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement - Je l'ai dit, M. Hervé Gaymard est retenu à Luxembourg. Comme vous, le Gouvernement est étonné - et le mot est faible - par la sévérité d'une sanction qui semble avoir été prise sans que ses auteurs se rappellent rien du contexte de l'époque à laquelle ils se réfèrent, ni des drames économiques et humains qui secouaient l'élevage français, alors même que la réglementation communautaire avait privé le marché de tout instrument de régulation. Ce traumatisme ayant été oublié, l'approche retenue est, pour le moins, sujette à caution, pour ne rien dire de l'ampleur de l'amende : que dirait-on si l'on infligeait à une organisation de salariés une pénalité équivalente à deux fois ses ressources annuelles ? C'est l'existence même de la FNSEA qui est en cause.

Il appartient, bien sûr, aux organisations syndicales concernées d'étudier les suites qu'elles entendent donner à cette condamnation, mais le Gouvernement sera très attentif à cette affaire, qui touche des organisations ayant _uvré pour le bien commun (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

CORSE

M. Dominique Tian - Depuis bien trop longtemps, l'actualité, en Corse, est marquée par les actes terroristes d'une minorité agissante et par des négociations politiques interminables.

Vous avez annoncé, Monsieur le Premier ministre, qu'une consultation aurait lieu en juillet, afin de simplifier l'administration d'une île qui, pour 260 000 habitants, comprend deux départements et une région. Mais les Corses sont habitués à d'incessantes modifications de leur statut... En quoi cette réforme permettra-t-elle à la Corse de relever les défis auxquels elle est confrontée, comme elle le peut et comme elle le doit ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre - La question est grave, car nous avons tous en mémoire les crimes commis en Corse, et ces attentats qui sont allés jusqu'au lâche assassinat d'un préfet de la République. Ces drames se jouent, depuis des années, dans un contexte intolérable associant violence, retards économiques et incertitude institutionnelle. De nombreux gouvernements se sont efforcés, de bonne foi, de trouver des solutions. Le ministre de l'intérieur négocie, depuis onze mois, avec les uns et les autres, la définition d'un projet dont nous avons voulu qu'il ne soit pas partisan. Je souligne à cet égard que le programme d'investissement exceptionnel décidé lors du vote de janvier 2002 est appliqué, dans le respect de la continuité républicaine et de l'engagement de l'Etat envers la Corse. Il fallait cependant tracer des perspectives nouvelles, car l'immobilisme ne peut que susciter des difficultés.

C'est pourquoi nous avons décidé de soumettre aux Corses (« Lesquels ? » sur les bancs du groupe socialiste) un projet de simplification, de cohérence et de proximité, dans le droit fil de l'objectif de la République décentralisée qui est celui du Gouvernement. Nous proposerons donc aux Corses, qu'une collectivité territoriale unique se substitue aux trois collectivités actuelles. L'action publique, allégée d'une paperasserie inutile et de rivalités avérées, s'en trouvera facilitée. La cohérence et la proximité retrouvées permettront un développement multipolaire (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) car la simplification institutionnelle n'empêchera en rien Bastia, dont le potentiel économique est important, de participer activement au développement de l'île. C'est une simplification ; c'est un projet populaire et républicain (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Car la grande différence entre nous et les donneurs de leçons, c'est qu'il ne s'agit pas d'un projet fabriqué dans les palais nationaux (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), mais d'un projet élaboré avec le terrain, et soumis aux citoyens ! Quand on est pour la République, on n'a pas peur des citoyens, on leur fait confiance, en Corse comme ailleurs. C'est pourquoi nous souhaitons que, le 6 juillet, les Corses se rassemblent pour ce pacte populaire et républicain, qui définira leur avenir dans la ligne droite de nos institutions (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Ce bruit n'a dégagé jusqu'à présent que de l'impuissance ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur quelques bancs du groupe UDF) Nous, nous faisons appel au peuple. Nous avons un projet de cohérence et de simplification. Nous formulons une proposition de la République, pour que la Corse soit dans la République, pour qu'on retrouve la France en Corse et la Corse en France ! Et nous le faisons sans avoir peur du peuple ; nous lui faisons confiance, en lui demandant son avis (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur quelques bancs du groupe UDF).

GIAT INDUSTRIES

Mme Chantal Robin-Rodrigo - Monsieur le Premier ministre, alors que jour après jour se succèdent les plans de licenciement qui jettent à la rue des milliers de salariés, le Gouvernement donne lui aussi un bien mauvais exemple en annonçant un plan de restructuration sans précédent de GIAT, touchant plus de 3 800 salariés. Ce plan porte à GIAT un coup terrible dont il ne pourra se remettre, comme l'indique une note due à un contrôleur général des armées, qui avance des contre-propositions, dont vous n'avez pas voulu tenir compte puisque vous avez refusé le moratoire que demandaient syndicats et élus. C'est la fin annoncée de GIAT et de l'industrie française d'armement terrestre.

Ce plan porte également un coup terrible aux salariés des bassins d'emplois concernés. Un sentiment de colère gronde un peu partout en France, et particulièrement dans les sites les plus frappés, comme celui de Tarbes. Contrairement à ce que vous dites, vous n'avez pas tenu vos engagements en termes d'aménagement du territoire : les sites les mieux protégés ne sont pas ceux qui connaissent les conditions économiques les plus défavorables. Et le dispositif d'accompagnement est dérisoire.

Ma question est donc simple : allez-vous, oui ou non, tenir compte des propositions des syndicats et des élus, et amender ce plan de restructuration inacceptable ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense - (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) C'est probablement parce que certains plans précédents, et notamment le dernier, ont manqué de courage, que le plan d'aujourd'hui revêt une telle ampleur (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; protestations sur les bancs du groupe socialiste). Ce que je constate, c'est que le dernier plan, en 1998, donnait pour unique perspective à GIAT les chars Leclerc qui, certes, représentaient 70 % de son activité, mais dont on savait déjà qu'ils seraient épuisés en 2003 ou 2004... On a donc créé des illusions au lieu de prendre des décisions courageuses (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Aujourd'hui nous prenons des décisions difficiles : nous le devons aux salariés qui vont rester, et qui auront enfin une industrie viable, à la taille des industries britanniques et allemandes. Mais, parce que nous avons aussi le souci des salariés qui vont perdre leur emploi et des sites qui seront touchés, nous avons fait des recommandations à l'entreprises, et nous prenons nos propres responsabilités, afin que l'accompagnement social soit le meilleur possible et offre à chacun des solutions. Pour les communes touchées, en sus de ses propres responsabilités, que l'Etat assume, nous avons fixé, avec GIAT et les entreprises chargées de la reconversion, un certain nombre de priorités. Il ne s'agit pas d'aménagements à très long terme, mais de mesures concrètes, car notre souci est de créer rapidement des emplois. Voilà ce qu'est la responsabilité : nous faisons en sorte d'avoir enfin, dans trois ans, une industrie d'armement viable, avec des salariés qui auront repris confiance (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et quelques bancs du groupe UDF).

COOPÉRATION JUDICIAIRE EUROPÉENNE

M. Michel Zumkeller - Rachid Ramda, Patrick Henry : deux cas que tout sépare, mais qui interpellent l'opinion. Tous deux ont fait l'objet d'une demande d'extradition vers la France, et depuis quelques jours une étape semble avoir été franchie vers ce résultat. Il reste toutefois d'autres étapes avant qu'ils puissent faire face à leurs juges.

Ces deux cas illustrent combien nos concitoyens appellent de leurs v_ux une coopération judiciaire internationale et européenne plus efficace. Est-il normal qu'au sein de l'Europe les procédures soient si complexes et les systèmes judiciaires si différents ?

Comment comptez-vous y porter remède, Monsieur le Garde des Sceaux ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice - Dans le cas de Patrick Henry, le juge espagnol s'est prononcé définitivement. Nous n'avons plus qu'à attendre la décision du gouvernement espagnol. Compte tenu de mes contacts avec mon collègue, je tiens pour probable qu'elle sera positive et rapide.

Pour ce qui est de Rachid Ramda, à la suite des informations que nous avons communiquées à la justice britannique, une cour de Londres a pris la décision de rouvrir la possibilité d'extradition de celui qui fut sans doute l'organisateur financier des attentats du RER. Nous attendons avec impatience qu'il puisse être jugé en France. Mais la décision de cette cour n'épuise pas le sujet : il faut encore, après que l'avocat de Ramda aura mis en _uvre les possibilités de recours dont il dispose, que le ministère britannique de l'intérieur prenne une décision positive, ce qui est probable, et que la cour de Londres en décide de même si appel est interjeté.

Ces deux affaires soulignent la nécessité d'aller plus loin dans la coopération judiciaire, notamment en Europe. Vous avez approuvé en Congrès la création du mandat d'arrêt européen, qui sera une étape importante. Nous devrons ensuite faire que magistrats et policiers puissent coopérer plus efficacement. C'est dans cet esprit que je travaille avec mes collègues européens à une reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires. C'est dans cet esprit que j'ai rencontré hier à Lyon les procureurs de vingt pays, qui _uvrent à une meilleure coopération contre le terrorisme et la criminalité. Et c'est dans cet esprit que j'ai visité Interpol, afin de souligner l'intérêt pour les magistrats d'utiliser davantage cet outil. L'opinion européenne attend de nous cette efficacité, que permettra une meilleure coopération (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

ÉNERGIES RENOUVELABLES

M. Claude Girard - Ma question s'adresse à Mme la ministre de l'écologie. Depuis janvier se tiennent dans toute la France des réunions d'information sur le projet de charte de l'environnement que le Président de la République a souhaité adosser à notre Constitution. C'est l'occasion pour les élus locaux, les associations et tous les citoyens de réfléchir aussi au problème des énergies renouvelables, auxquelles le Gouvernement et votre ministère ont souhaité donner la priorité.

Aujourd'hui la France est en retard pour ces infrastructures. Il va de soi que le développement des énergies renouvelables, en particulier éolienne, doit se conjuguer avec une bonne intégration dans le paysage. C'est possible grâce à la loi du 19 décembre 2002, qui soumet la construction d'éoliennes à permis de construire, étude d'impact et enquête publique.

Certaines collectivités se mobilisent pour ces énergies nouvelles. Ainsi mon département, le Doubs, a lancé en 1999 un programme de développement des énergies renouvelables.

Quelles mesures compte prendre le Gouvernement pour que la France rattrape son retard ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP)

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de l'écologie et du développement durable - La France ne tire pas un parti suffisant de son potentiel éolien. Le Gouvernement a donc décidé d'agir dans quatre directions. Tout d'abord, simplifier la réglementation : un groupe de travail a formulé des propositions relatives au permis de construire, à l'étude d'impact et à l'enquête publique concernant les éoliennes. Mme Fontaine a intégré ces dispositions dans la loi de janvier 2003 sur le marché du gaz et de l'électricité, et une circulaire interministérielle viendra prochainement éclairer ce dispositif.

Deuxième axe : améliorer l'acceptabilité des éoliennes par nos concitoyens. Chacun veut de l'éolien, mais personne ne veut les pylônes... Nous voulons, par la même circulaire, éclairer le dispositif des schémas régionaux d'installation d'éoliennes, et Mme Fontaine poursuit le débat sur les énergies renouvelables.

En troisième lieu, nous nous attachons à développer l'innovation et la recherche avec Claudie Haigneré et notre collègue chargée de l'industrie. Nous promouvons l'initiative française destinée à mobiliser l'Union européenne.

Enfin, nous voulons utiliser tous les outils d'incitation financière, en particulier par la programmation pluriannuelle des investissements de production d'électricité, qui prévoient l'installation, d'ici 2007, de 6 000 mégawatts d'origine éolienne, dont 500 à 1 500 en mer. Dès octobre le cahier des charges de l'appel d'offres sera établi. De plus, comme cela existe en Italie et en Angleterre, je réfléchis à un marché de certificats verts (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

POLITIQUE ÉCONOMIQUE ET SOCIALE

M. Daniel Vaillant - Semaine après semaine, Monsieur le Premier ministre, nous vous alertons sur les graves conséquences de votre politique, économiquement inefficace et socialement injuste.

Vous réduisez le budget de l'éducation nationale, et 30 000 postes seront supprimés à la rentrée. Votre ministre supprime la subvention de 615 000 € au Salon de l'éducation, tout en dépensant en même temps 1,2 million pour distribuer gratuitement son livre d'autopromotion (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste ; protestations sur les bancs du groupe UMP). Vous réformez l'APA, en mettant davantage à contribution les personnes âgées dépendantes, et vous conduisez une politique fiscale qui creuse les inégalités. Vous annonciez un plan Marshall contre la ghettoïsation des quartiers, vous évoquez la lutte contre les exclusions sans rien faire dans ce domaine, et vous gelez dramatiquement les crédits de la politique de la ville (Interruptions sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

Loin d'en rester là, vous réduisez maintenant de moitié le budget du fonds d'action et de soutien à l'intégration et à la lutte contre les discriminations. Cette mesure injuste et choquante (Interruptions sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF) frappe brutalement le travail des associations (Mêmes mouvements).

Voilà quelques mois, le Président de la République et vous-même annonciez la création d'un contrat d'intégration. Toujours des promesses ! Aujourd'hui, vous privez les acteurs locaux de l'intégration des moyens dont ils ont besoin (Mêmes mouvements). Autant de mesures qui privent d'aide ceux qui en ont le plus besoin, et qui privent le pays des leviers indispensables à la croissance, à l'emploi, à la consommation, à l'investissement et à la confiance.

Chacun reconnaît votre talent pour les effets d'annonce et les plans bien relayés par les médias (Vives protestations sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). Pourtant, systématiquement, vos actes contredisent vos promesses, vos plans sont en plan ! Êtes-vous prêt à revenir sur vos choix et à dire enfin la vérité aux Français ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; exclamations sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité - Oui, nous avons décidé de relancer la politique de l'intégration. Aussi allons-nous réunir le comité interministériel à l'intégration (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), qui ne s'était pas réuni depuis 1990 ! (« Hou ! » sur les bancs du groupe UMP) A une politique choisie et maîtrisée de l'immigration doit correspondre, pensons-nous, une politique ferme et généreuse d'intégration. Car notre avenir est plus dans la République que dans le communautarisme (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

Dans cet esprit, loin d'avoir réduit les crédits destinés à l'intégration, nous les avons accrus (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste). Nous allons proposer au comité interministériel de fusionner l'OMI et le service social d'accueil des étrangers en une agence française de l'accueil et des migrations internationales, qui sera dotée de 18 millions supplémentaires par rapport au budget actuel, lui-même en augmentation par rapport à celui de 2002 (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Les crédits du FASILD ne sont pas annulés (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) : ils s'élèvent à 170 millions, et augmenteront de 11 millions pour tenir compte des décisions du comité interministériel. Voilà la réalité. Bien entendu, nous n'engageons ces crédits que pour la moitié (Mêmes mouvements), comme vous l'avez fait l'an dernier, mais il n'y a aucune annulation.

Enfin, le Gouvernement a décidé de geler 6 % des crédits du ministère de la ville, qui s'élèvent à 260 millions. Mais 35 millions de crédits sont reportés de l'exercice précédent. Alors Monsieur Vaillant, vous qui parlez si bien, dites-moi plutôt pourquoi en 2000, 68 % seulement des crédits du ministère de la ville ont-ils été consommés ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste) Nous, nous faisons en sorte que les crédits soient réellement utilisés ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

LOGEMENT LOCATIF

M. Georges Siffredi - Depuis quatre ans et l'application de la loi Besson, le nombre de ménages éprouvant des difficultés à se loger n'a cessé de croître, en particulier à Paris et en proche banlieue. Les classes moyennes sont particulièrement touchées. A Paris, pour un appartement mis en location, il est fréquent que plus de 45 demandeurs se présentent.

Un tel déséquilibre profite rarement, on s'en doute, aux demandeurs. Il était donc indispensable de créer un nouveau dispositif, capable de débloquer la situation en redynamisant le locatif intermédiaire privé et de renouer avec le succès du système Périssol.

Suite à l'amendement que vous avez déposé jeudi dernier, pouvez-vous, Monsieur le ministre de l'équipement, nous préciser la nature du nouveau dispositif, et indiquer les effets que vous en escomptez sur l'offre locative, en particulier en région parisienne ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer - Depuis plusieurs années sévit une forte tension sur le logement locatif, allongeant les listes de demandeurs et entraînant une hausse des loyers. Le Gouvernement a décidé de remédier à cette situation insupportable, en créant un dispositif beaucoup plus incitatif pour les investisseurs. Il s'agit de proposer des loyers légèrement inférieurs aux prix du marché : afin d'enrayer la spéculation, de supprimer le plafond des ressources et de faciliter les investissements par les SCPI.

Ce dispositif est entré un application le 3 avril. Nous espérons l'étendre prochainement à l'investissement dans l'ancien, pour remettre sur le marché des logements vacants, fussent-ils insalubres. Nous comptons rendre ainsi disponibles entre 10 000 et 15 000 logements supplémentaires chaque année, ce qui accroîtra l'offre de logements, soutiendra l'activité du bâtiment et profitera donc à l'emploi (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP).

STATIONS BALNÉAIRES

M. Dominique Caillaud - A quelques jours du début de la saison touristique, des maires s'efforcent d'offrir aux visiteurs de nos côtes des plages propres et attrayantes. C'est particulièrement vrai sur la côte atlantique, pour tous ceux qui ont souffert de la catastrophe du Prestige .

Depuis 1985, chaque année, la F.E.E.E. octroie un label dit « pavillon bleu » aux stations balnéaires et aux ports qui répondent à des critères de qualité des eaux et d'éducation à l'environnement. Or, les modalités d'obtention de ce label médiatisé ont provoqué de nombreuses polémiques avec les maires des communes côtières. Un pavillon noir pirate est même venu concurrencer ce pavillon bleu. Vous avez mandaté, Monsieur le ministre d'Etat au tourisme, une mission d'inspection générale interministérielle pour étudier la façon d'améliorer la situation actuelle et définir les rôles respectifs de l'Etat et de l'association attribuant ce label. Quelles sont les conclusions de cette mission ? Comptez-vous créer un label technique de qualité incontestable ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. Léon Bertrand, secrétaire d'Etat au tourisme - C'est vrai, une confusion fâcheuse régnait entre les campagnes privées « pavillon bleu » ou « pavillon noir » et la campagne gouvernementale sur la qualité des eaux de baignade.

Le Gouvernement a diligenté une mission interministérielle qui, mandatée le 6 août, a remis ses conclusions le 18 septembre. Le Gouvernement a décidé de repositionner le pavillon bleu vers un « éco-label » d'éducation à l'environnement, de clarifier le rôle de l'Etat, et de créer un label acceptable pour tous, plus transparent et plus réactif, par concertation entre la F.E.E.E. et l'Etat. Nous espérons que l'expérimentation commencera dès la saison 2004 (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. le Président - Nous en avons terminé avec les questions au Gouvernement.

ÉLOGE FUNÈBRE DE JEAN-MARC CHAVANNE

(Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement se lèvent)

M. le Président - Le 11 mars dernier, notre ami Jean-Marc Chavanne nous quittait. Sa maladie, contre laquelle il avait lutté courageusement jusqu'au bout, triomphait. Il a alors forcé notre admiration, l'admiration de ceux qui savaient, de ceux qui se doutaient. Sans rien dire, il a assumé sa maladie avec courage, avec lucidité. Avec Jean-Marc Chavanne disparaît un élu de la nation comme la République sait les forger, un homme respectueux des autres, un homme attentif aux autres, une personnalité toujours accessible, disponible, un député soucieux, d'abord, de servir son pays.

Jean-Marc Chavanne a été appelé à devenir député par des circonstances qu'il n'a pas cherché à provoquer mais qui se sont imposées à lui. Et il a accompli son mandat, du premier au dernier jour, comme il avait assumé toutes les fonctions que le suffrage universel lui avait confiées : avec humilité, avec sérieux, avec fidélité aux convictions gaullistes qui n'avaient jamais cessé de l'habiter.

Jean-Marc Chavanne connaissait trop, en effet, les aléas de la vie politique pour ne pas la considérer avec une sagesse qu'il nous faut méditer. Il refusait d'y voir un métier ou une carrière, il la regardait comme une forme élevée du service de nos concitoyens.

Et depuis 1978, date à laquelle il est sollicité pour se présenter au conseil municipal de Saint-Jeoire, ce goût, cette passion de se mettre à la disposition de la collectivité ne le quittera plus. Maire de Saint-Jeoire en 1980, il donnera à cette commune de Haute-Savoie un nouvel essor, qui lui vaudra d'y être ensuite systématiquement réélu. Conseiller général du canton de Saint-Jeoire à partir de 1985, il y laissera le souvenir d'un élu sur lequel on peut compter, disponible, exerçant avec détermination ses fonctions de président de la commission de l'éducation, de la formation, des universités et des transports scolaires, puis de vice-président du conseil général chargé de l'éducation et de la formation.

Ses fonctions d'élu local suffisaient amplement à cet enfant de Haute-Savoie qu'était Jean-Marc Chavanne : à ce fils d'agriculteur de montagne né dans une famille de dix enfants où il avait puisé, pour toute une vie, le sens du devoir, du travail bien fait, de l'effort, de l'honnêteté et de la loyauté ; à cet amoureux de sa terre natale sur laquelle, à l'exception d'une héroïque guerre d'Algérie qui le marquera à jamais, il effectuera la majeure partie d'une existence professionnelle dédiée à l'entreprise d'abord, puis à l'assurance.

Une nouvelle - et déterminante - étape de son itinéraire politique l'attendait cependant, puisqu'en 1988 Pierre Mazeaud, alors député de la 5e circonscription de Haute-Savoie, lui demande de devenir son suppléant, mission dont il s'acquittera avec une conscience aiguë de ses devoirs. Le député qu'il deviendra en 1998 sera brillamment réélu en 2002, preuve, s'il en était besoin, de son enracinement et de ses qualités propres.

Car Jean-Marc Chavanne avait su, au fil des années, développer des liens de confiance avec la population qu'il représentait à l'Assemblée nationale, parce qu'il savait écouter, dialoguer, et parce qu'il savait rassembler, dès lors que l'intérêt général était en jeu.

De la même manière qu'il avait su, au Palais-Bourbon, dans les deux commissions où il siégea, celle des affaires culturelles, familiales et sociales d'abord, celle de la défense nationale ensuite, gagner l'estime et le respect de tous et de toutes.

Nous retiendrons de lui, au-delà de ses appartenances partisanes, de sa fidélité à sa terre d'élection, de son patriotisme sincère et désintéressé, l'image d'un homme qui répondait présent quand on avait besoin de lui, qui ne se dérobait pas lorsqu'il était sollicité, qui s'effaçait derrière les causes qu'il avait choisi de défendre.

Mesdames et messieurs, chers collègues, en pensant avec affection à ses proches, à sa famille, à son épouse Suzanne, comme à ses enfants Bruno et Eric, à qui j'adresse les condoléances émues et sincères de notre assemblée, je vous demande de bien vouloir vous recueillir à la mémoire de celui qui fut notre collègue, mais aussi notre ami (Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement se lèvent et observent une minute de silence).

M. le Premier ministre - C'est avec une immense tristesse que je rends aujourd'hui hommage, au nom du Gouvernement, à la mémoire de Jean-Marc Chavanne. La maladie l'a injustement soustrait à l'affection, à l'estime et à l'amitié de toutes celles et de tous ceux qui l'appréciaient. Toute sa vie durant, Jean-Marc Chavanne eut pour devise, selon sa propre expression, « le sens de la discipline, de l'abnégation, de l'obéissance et de la loyauté ».

S'il s'engagea assez tard en politique, ses convictions et son sens aigu de l'intérêt général n'en furent que plus affirmés.

En 1978, bien qu'il n'habite pas la commune de Saint-Jeoire, on vient le chercher et on lui demande de se présenter au conseil municipal. Deux ans plus tard, il devient maire, et sera dès lors toujours brillamment réélu. Egalement élu conseiller général du canton de Saint-Jeoire en 1985, il devient, trois ans plus tard, le suppléant du député Pierre Mazeaud. Lorsque ce dernier entre au Conseil constitutionnel en 1998, il lui succède tout naturellement. Il sera ensuite réélu à une très large majorité.

Tout ceux qui ont approché Jean-Marc Chavanne ou travaillé avec lui s'accordent à reconnaître ses grandes qualités d'homme, façonnées au fil d'une existence qui, pour être riche d'expériences, ne l'avait pas toujours épargné.

De son enfance au sein d'une famille rurale d'agriculteurs de montagne - une famille de dix enfants - de son service militaire en grande Kabylie, ou encore de son parcours professionnel, aux établissements Gambin à Saint-Jeoire, puis dans les assurances, Jean-Marc Chavanne conservera un sens inégalé du dévouement, du courage et de la détermination, qui marqueront son expérience de responsable. C'est cette idée exigeante de la vie qui alimentera son itinéraire personnel et sa vie d'homme politique.

Décoré de la Croix du combattant commémorative Algérie, Jean-Marc Chavanne recevra également la médaille du travail, les palmes académiques, la médaille d'argent de la jeunesse et des sports, ainsi que la Légion d'honneur. « L'homme supérieur est celui qui remplit son devoir », disait Eugène Ionesco. Jean-Marc Chavanne fut, à ce titre, un exemple.

A son épouse, à ses fils Bruno et Eric, à ses frères et à ses s_urs, à ses trois petits-enfants, à ses nombreux amis et à ses collègues, au nom du Gouvernement, j'exprime ma compassion attristée et nos très sincères condoléances.

La séance, suspendue à 16 heures 10, est reprise à 16 heures 20.

NOUVELLE DÉLIBÉRATION DE L'ARTICLE 4 DE LA LOI RELATIVE
À L'ÉLECTION DES CONSEILLERS RÉGIONAUX ET DES REPRÉSENTANTS
AU PARLEMENT EUROPÉEN

L'ordre du jour appelle la nouvelle délibération de l'article 4 de la loi relative à l'élection des conseillers régionaux et des représentants au Parlement européen, ainsi qu'à l'aide publique aux partis politiques.

M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales - De ce projet qui vous a été soumis en février, le Conseil constitutionnel a validé, le 3 avril, toutes les dispositions à l'exception d'une seule. A l'évidence donc, ce gouvernement a mené à bien une réforme que tous ses prédécesseurs depuis dix ans n'avaient pu imposer, pour des raisons d'ailleurs très diverses. Les députés européens seront donc élus dans huit circonscriptions - sept en métropole et une outre-mer -, ce qui leur assurera un réel ancrage territorial et permettra aux Français de se reconnaître en eux. Il en sera de même pour les conseillers régionaux, les listes étant présentées par sections départementales et le nombre de représentants étant fonction de la population de chaque département. Ces conseillers seront élus à la proportionnelle et une prime majoritaire de 25 % rendra les régions gouvernables : nous ne reverrons donc plus le spectacle de 1998 !

Cette loi renforce aussi la parité, grâce à l'alternance entre hommes et femmes sur les listes, et les conseils régionaux devraient donc, comme notre représentation au Parlement européen, compter davantage de femmes. D'autre part, l'expression des courants minoritaires sera facilitée, grâce à l'abaissement à 3 % du seuil des suffrages exprimés pour l'attribution de l'aide publique.

Enfin, la révision des règles de financement des partis nous garantira contre les détournements scandaleux que nous avons connus par le passé et les candidats pourront se faire rembourser plus facilement de leurs frais.

Ce bilan n'est pas négligeable et tous les gouvernements de la dernière décennie, qu'ils soient de gauche ou de droite, auraient aimé s'en prévaloir. Cependant, il nous reste à mettre le point final à cette réforme, le Conseil constitutionnel ayant annulé pour un défaut de procédure l'article 4 de cette loi, fixant le seuil requis pour accéder au second tour des élections régionales.

Ce n'est pas la première fois que la censure frappe un projet gouvernemental : sous la précédente législature, saisi 61 fois, le Conseil a invalidé, totalement ou partiellement, 36 textes, dont quatre relatifs aux régimes électoraux. Ces décisions ne doivent pas nous émouvoir outre mesure : elles relèvent du fonctionnement normal de la République. Le Gouvernement n'entend, en tout cas, pas contester celle-ci : un tel débat serait inutile et déplacé dans un Etat de droit.

Nous nous inclinons donc devant la décision du juge constitutionnel, faisant ainsi la preuve de notre bonne foi, de notre honnêteté intellectuelle et de nos convictions républicaines (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Je doute d'ailleurs que les Français mettent cette question au premier rang de leurs préoccupations. Réglons donc rapidement ce point pour passer à d'autres, plus importants ou délicats !

Le Conseil a fait plusieurs recommandations : l'une a trait à l'information des électeurs sur le fonctionnement des sections départementales, une autre à l'application de la parité en Corse. Sur ce deuxième point, notre réponse va de soi : quel argument imaginer pour refuser cette parité aux Corses ?

M. Robert Pandraud - Très bien !

M. le Ministre - Le projet que nous venons de leur présenter doit d'ailleurs permettre de passer de conseils généraux sans aucune femme à une assemblée territoriale unique composée pour la moitié de femmes ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Le seuil de 10 % des inscrits, proposé à l'article 4, a suscité beaucoup de débats dans toutes les familles politiques...

M. Michel Françaix - Y compris à l'UMP ?

M. le Ministre - Pourquoi aurait-elle fait exception ? La preuve qu'il y a eu débat, c'est que le texte initial fixant le seuil à 10 % des suffrages exprimés, venait également du Gouvernement !

Nous voulons régler la question en refusant tout faux semblant et en escomptant que chacun aura à c_ur d'affirmer honnêtement ses convictions. En proposant de fixer le seuil à 10 % des suffrages exprimés,...

M. René Dosière - ...Le Gouvernement revient à la case départ !

M. le Ministre - Le Gouvernement espère recueillir une quasi-unanimité, les communistes et les Verts ayant seuls, et avec une constance qu'il faut reconnaître, milité contre cette disposition. Notre amendement devrait en effet bénéficier d'un consensus qui remonte à loin : n'est-ce pas en 1983 qu'on a retenu ce même seuil pour les élections municipales ?

En 1999, le Gouvernement de Lionel Jospin avait proposé de réserver l'accès au second tour des élections régionales aux listes qui avaient recueilli 10 % des suffrages exprimés. Face à la polémique, et au risque d'éclatement de sa majorité, il avait concédé, à contrec_ur, 5 % des suffrages exprimés. Par honnêteté, je reconnais au parti socialiste la paternité de cette idée (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). En 1999, le débat portait déjà sur le projet d'article 4 fixant à 10 % le seuil d'accès au second tour, et, fait rare, permettez-moi de rendre hommage à M. Ayrault qui, s'adressant aux députés communistes avec son autorité habituelle, leur expliquait qu'un seuil de 5 % des suffrages exprimés permettrait au Front national de se maintenir au second tour.

Il ne l'a sans doute pas oublié, à moins que sa confiance dans la politique de sécurité menée par l'actuel Gouvernement soit telle qu'il considère le problème du Front national comme définitivement réglé (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Si tel n'est pas le cas, pourquoi réclamerait-il aujourd'hui un seuil de 5 % alors qu'il demandait 10 % hier ?

Le ministre de l'intérieur de l'époque ne défendait-il pas lui-même le seuil des 10 %, pour assurer un juste équilibre entre la bonne gestion des régions et le respect du pluralisme ? Mieux, le premier secrétaire du parti socialiste, qui aime tant donner des leçons sans pour autant accepter d'en recevoir, déclarait il y a quelques jours, après la décision du Conseil constitutionnel, que « si le Gouvernement revenait au seuil de 10 % des suffrages exprimés, cela permettrait à l'ensemble des familles politiques, de droite comme de gauche, de concourir à l'expression du suffrage ». Nous touchons à l'unanimité ! Merci, Monsieur Hollande, de ce soutien à l'amendement du Gouvernement (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Celui-ci devrait aussi recevoir l'approbation du groupe UDF, puisque son président, M. Hervé Morin, rappelait le mois dernier, dans cet hémicycle, qu'il suffisait de remplacer « inscrits » par « exprimés » pour que le consensus soit presque parfait. J'ai trop de considération pour la qualité des parlementaires UDF pour penser qu'ils pourraient avoir changé d'avis.

Enfin, je rends hommage à la sagesse du groupe UMP, notamment à son président, qui a soutenu la volonté d'apaisement du Premier ministre.

Certains ont avancé que ce seuil ne permettrait pas d'éliminer le Front national des élections régionales. Or, un mode de scrutin n'a jamais servi à gagner des élections - M. Mitterrand et ses amis nous en ont fait la démonstration - non plus qu'à éliminer durablement un parti politique dont les idées sont par ailleurs à bannir. La gauche a beaucoup exploité, dans le passé, les divisions provoquées par le Front national, et la droite a sa part de responsabilité dans le sentiment des électeurs que nous avions renoncé à nos convictions sur l'immigration et la sécurité (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Même si 5 millions et demi de Français ont voté pour Jean-Marie Le Pen, la France de 2002 n'est pas l'Allemagne de 1932 ! On ne peut parler ni de tentation fasciste, ni de montée de la peste brune mais de millions d'électeurs, souvent issus de milieux défavorisés, qui ont été abandonnés par cinq années de socialisme (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) et ont grossi les rangs d'un mouvement politique dont je ne dirai même pas, à l'instar de M. Fabius, qu'il pose les bonnes questions en apportant les mauvaises réponses. Rien ne sert de défiler dans la rue pour stigmatiser ces gens qui votaient bien, avant, pour des partis républicains de droite ou de gauche ! A nous de changer, et de tenir nos engagements. La règle des 10 % des exprimés ou des inscrits n'est pas une réponse à la hauteur de la situation.

Cela dit, le Conseil constitutionnel a tranché, et le Gouvernement en tire les conséquences en proposant de porter le seuil à 10 % des suffrages exprimés. Un candidat déterminé et une majorité solide, Monsieur Soisson, suffisent pour emporter l'élection, indépendamment du mode de scrutin. Bref, nous pouvons désormais sortir de ce débat qui intéresse fort peu les Français (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. Jérôme Bignon, rapporteur de la commission des lois - La commission des lois a été saisie par le Président de l'Assemblée nationale, à la suite du décret du Président de la République demandant au Parlement, en application de l'article 10 de la Constitution, une nouvelle délibération de l'article 4 de la loi relative à l'élection des conseillers régionaux et des représentants au Parlement.

M. François Hollande - Jusque là, c'est clair !

M. Jean-Michel Ferrand - Ils ne peuvent pas suivre !

M. le Rapporteur - Le Conseil constitutionnel a censuré, pour vice de procédure, la règle selon laquelle les listes de candidats aux élections régionales devaient avoir obtenu 10 % des suffrages des électeurs inscrits pour participer au second tour.

Le Conseil constitutionnel a fait ainsi une application stricte de l'article 39 alinéa 2 (Rires sur les bancs du groupe socialiste) selon lequel les projets de loi sont délibérés en Conseil des ministres après avis du Conseil d'Etat. Il a considéré - ce qui ne fut pas toujours le cas -, que le Conseil des ministres peut toujours modifier le contenu d'un projet de loi mais à condition d'être éclairé par l'avis du Conseil d'Etat. S'il va de soi que cet avis ne lie pas le Conseil des ministres, celui-ci ne peut cependant introduire dans le projet une disposition qui n'y figurait pas dans la version soumise au Conseil d'Etat.

La commission des lois a pris acte de cette décision, a examiné l'article 4 ainsi que l'amendement du Gouvernement, et a relevé deux points intéressants, sans pour autant remettre en cause une décision du Conseil constitutionnel, quelle que soit notre appréciation personnelle ou politique, ce que vous n'avez pas toujours fait dans le passé (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP).

Tout d'abord, il est paradoxal que le Conseil constitutionnel puisse être saisi à la suite de l'avis du Conseil d'Etat, réputé secret. Ensuite, selon une application stricte de l'article 39 alinéa 2, le texte examiné en Conseil des ministres doit avoir été soumis au Conseil d'Etat. Or, en réalité, le Conseil des ministres a délibéré à deux reprises dans le cas qui nous intéresse : quand il a approuvé le texte qui a fait débat et une seconde fois en autorisant le Premier ministre à engager la responsabilité du Gouvernement, hypothèse dans laquelle l'avis du Conseil d'Etat n'a pas à être sollicité (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

La commission s'est donc interrogée un moment sur le point de savoir si, dans ces conditions, le vice de forme invoqué par le Conseil constitutionnel n'était pas purgé...

M. Jean-Pierre Soisson - Très bien !

M. Jean Le Garrec - Pas vous, Monsieur Soisson !

M. le Rapporteur - ...mais la volonté d'apaisement du Gouvernement a trouvé un très large écho en son sein, et la commission a adopté le projet qui lui était présenté. Je tiens toutefois à rappeler que l'enjeu était de permettre la constitution de majorités stables dans les conseils régionaux - et le Picard que je suis sait de quoi il parle... - tout en permettant la représentation des courants politiques. Le Conseil constitutionnel a tenu à privilégier l'expression du pluralisme, ce dont tous les démocrates ici rassemblés ne pourront que se réjouir (« Il est temps ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). La commission propose donc à l'Assemblée de faire sien l'article 4 modifié (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Président - Nous allons aborder les motions de procédure. Il y aura une exception d'irrecevabilité et une motion de renvoi en commission, mais pas de question préalable. En effet, la dernière phrase de l'article 10 de la Constitution, suivant laquelle « Cette nouvelle délibération ne peut être refusée », s'oppose à ce que l'Assemblée soit saisie d'une motion « dont l'objet est de faire décider qu'il n'y a pas lieu à délibérer ».

Je vous indique également qu'à mon initiative et en application de la compétence que lui donne l'article 91, alinéa 4, du Règlement, la Conférence des présidents a fixé à trente minutes la durée de la discussion de chacune des motions de procédure.

Monsieur Jean-Marc Ayrault, vous m'avez demandé la parole au titre de l'article 58. Je vous la donne.

M. Jean-Marc Ayrault - M. le ministre de l'intérieur m'a mis en cause et, à travers moi, tout le groupe socialiste, en se livrant à la caricature comme il en a l'habitude lorsqu'il est en difficulté. Comment ne le serait-il pas, alors que le Conseil constitutionnel vient de censurer le Gouvernement ? Le rapporteur vient certes de nous exposer savamment que la censure ne s'expliquerait que par un vice de forme, mais si tel était le cas, pourquoi le ministre de l'intérieur, qui a défendu avec passion le seuil de 10 % des inscrits, ne défend-il pas aujourd'hui un texte rédigé sur la même base ? Parce que le Gouvernement se déjuge ! Et s'il y est contraint, c'est qu'il a été contrarié dans sa volonté d'imposer l'hégémonie d'un seul parti, au point que le Premier ministre lui-même a concédé qu'il recherchait l'apaisement.

Quant à nous faire sempiternellement les mêmes procès, c'est un peu facile. Dois-je vous rappeler que nous avons accepté la discussion au sein de notre majorité en 1999 ? Et dois-je vous rappeler que jamais, en cinq ans, le gouvernement Jospin n'a eu recours à l'article 49-3 ?

Ce qui vous est reproché, c'est d'avoir voulu passer en force. Voilà ce qui inquiète les Français, qui craignent que vous ne recommenciez. S'agissant enfin du vote Front national, vous êtes bien mal placés pour nous donner des leçons, vous qui - n'est-ce pas, Monsieur Soisson ? - avez fait alliance avec le Front national en Bourgogne, ou encore en Picardie pour garder la région ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains ; protestations sur les bancs du groupe UMP).

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ

M. le Président - J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et les membres du groupe socialiste une exception d'irrecevabilité déposée conformément à l'article 91 alinéa 4 du règlement.

M. René Dosière - Le cheminement de ce texte explique sans nul doute les passions qu'il déchaîne, car il demeurera, dans l'histoire parlementaire, comme un texte riche en précédents.

S'agissant de l'élaboration du projet, on retiendra que le Gouvernement devra sans doute, à l'avenir, être plus respectueux des avis du Conseil d'Etat. S'agissant de l'utilisation de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution, si elle n'est pas inhabituelle dans l'histoire de la Ve République, ce n'est que la deuxième fois en trente ans qu'il est invoqué avant la discussion générale.

M. Francis Delattre - Et les treize mille amendements ?

M. René Dosière - Et encore : c'est une première qu'un texte fasse contre lui l'unanimité de tous les groupes, UMP exceptée, et c'est une autre première qu'un recours soit fait auprès du Conseil constitutionnel par tous les groupes représentés à l'Assemblée, UMP exceptée, naturellement. Quant à la demande de seconde délibération à ce stade, c'est aussi une procédure exceptionnelle, puisque c'est la deuxième fois seulement dans l'histoire de la Ve République. Il y a d'ailleurs quelque humour involontaire à proposer une seconde lecture quand la première lecture a eu lieu sous le signe de l'article 49 alinéa 3...

Le motif de la censure serait, nous dit-on, de pure forme et dû à un vice de procédure. C'est là un argument de mauvais perdant. Il faut, bien sûr, outrepasser les apparences, et lire attentivement le libellé de la décision. On constate ainsi que le Conseil constitutionnel considère que le Gouvernement modifie la nature de la question qui avait été posée au Conseil d'Etat. Mais le Conseil ne juge pas inutile de rappeler que le pluralisme doit être respecté, ce qui est lourd de signification. D'évidence, la question n'est pas uniquement procédurale. D'ailleurs, l'aurait-elle été que le Gouvernement n'aurait pas décidé de modifier son texte.

M. Francis Delattre - Nous avons autre chose à faire !

M. René Dosière - Il faut beaucoup d'orgueil pour penser que l'on peut avoir raison contre tous ! Le recours, par la diversité de ses auteurs, a permis au Conseil constitutionnel de faire ce qu'il pouvait dans sa composition actuelle... mais personne n'est dupe ! Le Conseil ne va-t-il pas jusqu'à exprimer les plus vives réserves sur l'intelligibilité de la loi, exigeant du Gouvernement qu'il la rende parfaitement compréhensible aux électeurs ? Je ne doute pas que vous leur fournirez, en temps voulu, le livret explicatif qui s'impose... Et s'agissant de la Corse, les juges estiment encore qu'aucune particularité locale ne justifie que l'on déroge aux règles de la parité. Pointant la rupture d'égalité, le Conseil somme le Gouvernement de mettre fin à cette inégalité dès la prochaine loi relative à l'Assemblée de Corse mais ne le censure pas à ce sujet, considérant sans doute qu'une censure à la fois suffit...

Quant aux élections européennes, l'objectif de proximité affiché initialement a disparu du texte, dès lors que le Gouvernement, dans le cadre de la procédure de l'article 49-3, a retiré le mode de répartition des députés européens par région - heureusement, pourrais-je dire, car il a ainsi évité une autre censure. Il subsiste donc de grandes circonscriptions dont on voit mal en quoi elles répondent à l'objectif de proximité. En quoi l'électeur de Bonifacio et celui de Bourg-en-Bresse, celui d'Avranches et celui de Laon auront-ils un sentiment commun d'appartenance ? Parler de proximité à propos de circonscriptions hétérogènes de plusieurs millions d'habitants, dont chaque élu en représentera près de huit cent mille, est une plaisanterie.

En validant ce nouveau mode de scrutin, le Conseil a également validé le fait que de nombreux Français de l'étranger vont perdre leur droit de vote, car tous ne pourront se faire inscrire sur une liste métropolitaine.

Comme vous ne cessez, Monsieur le ministre, de vous référer à notre pratique, vous pourriez me dire que nous-mêmes avions étudié un tel mode de scrutin. Mais nous avons dialogué avec nos partenaires de la majorité, et pris en compte leur opposition ; et le texte a été retiré. Dialogue et écoute d'un côté ; autoritarisme et article 49-3 de l'autre - écoutez la différence...

Puisque cette nouvelle délibération nous permet de nous exprimer, ce qui nous a été impossible en première lecture, je ferai quelques autres observations. Tout d'abord le Gouvernement ne dit pas la vérité quand il présente cette loi. Que déclarait le Premier ministre, ici-même, le 29 janvier 2003 ? « Je dépasse la vie partisane pour penser aux grandes institutions. Dans le texte proposé ne voyez ni malice ni man_uvre. Nous souhaitons donner à des majorités régionales stabilité et clarté. J'ai été quinze ans président de région : j'ai vu les combinazioni, j'ai vu le rôle joué par le FN en 1998, au point que l'on a pu s'écrier : quelle honte pour les régions que cette situation ! Ma réponse - poursuivait M. Raffarin - est simple : la stabilité, grâce à une prime, comme c'est le cas pour les municipales. » Le problème est que ce n'est pas « sa » réponse : c'est celle du gouvernement Jospin ! C'est bien la loi de 1999 qui accorde une prime majoritaire au niveau régional, que vous n'avez aucunement modifiée. Ainsi l'héritage n'est pas toujours mauvais ! En revanche, la captation d'héritage, ce n'est pas bien...

En outre, quand tout à l'heure le Premier ministre parlait d'immobilisme, en évoquant la gauche, au sujet du mode de scrutin régional, il aurait mieux fait de se taire. L'immobilisme en la matière, ce fut bien le fait du gouvernement Juppé, qui, de septembre 1995 à février 1997, n'est pas parvenu à modifier ce mode de scrutin ! C'est ainsi qu'il s'est appliqué aux élections de 1998.

Deuxième remarque : le Gouvernement ne dit pas la vérité quand il parle de donner un nouvel élan à la région. Votre texte, en effet, c'est le retour au départementalisme. Pour rapprocher l'élu du citoyen, la répartition individuelle des sièges s'effectuera entre sections départementales. Vous maintenez une départementalisation de la région. Le texte enterre le projet régional : il n'y aura plus, à l'occasion des élections régionales, qu'une addition de projets départementaux. Certains membres de la majorité actuelle ne disent d'ailleurs pas autre chose, et certaines de leurs propositions de loi exprimaient le désir, grâce à une circonscription régionale, de faire que les élus régionaux prennent en compte l'intérêt régional avant les intérêts locaux.

C'est le contraire qui se produit, et il est paradoxal de voir que c'est un président de région qui empêche la région de prendre son envol... Lionel Jospin avait une vision d'avenir plus forte, en faisant de la région une vraie collectivité, avec un vrai territoire - la circonscription régionale - et un vrai projet.

Le texte de 1999 était clair, simple, mobilisateur pour l'opinion.

Pourquoi effectuez-vous ce recul ? C'est que vous avez à nouveau cédé au conservatisme du Sénat, où les présidents de conseils généraux sont influents. D'ailleurs, au printemps 1996, le groupe de travail du Sénat sur les modes de scrutin préconisait le maintien du cadre départemental pour l'élection des conseils régionaux. Dans les débats de 1999, on a d'ailleurs bien senti la réserve des départementalistes. Ils n'ont pas confiance en eux, avec des budgets de 40 milliards d'euros, 120 000 fonctionnaires et cent trente ans d'âge qui leur donnent pourtant les moyens d'exister au côté des régions, qui n'ont que 14 milliards d'euros de budget, 6 000 fonctionnaires et trente ans d'âge...

Sans doute la crainte qu'une circonscription régionale ignore les département peu peuplés est légitime, mais est-elle sérieuse ? Quel parti prendrait le risque de sous-représenter un département ? En supposant une répartition des sièges par département, vous exprimez votre méfiance envers les élus, les partis et les électeurs. Vous refusez de doter la France de véritables régions dynamiques : fallait-il alors faire tant de communication sur un texte constitutionnel censé donner toute sa place à la région ? En vous opposant à la montée en puissance de la région, vous allez à contre-courant de nos voisins européens, notamment l'Italie et l'Espagne. Ce sera un handicap pour nos collectivités.

Troisième observation : le Gouvernement ne dit pas la vérité quand il évoque les rapports avec le Front national. En effet, que constate-t-on en mars 1998 ? Que la collusion entre la droite et le Front national apparaît au grand jour dans quatre régions. En Picardie, Charles Baur est élu au deuxième tour avec trente voix, dont les onze voix du Front national. Certains élus de droite ont pris leurs distances, comme Alain Gest ; d'autres s'en sont accommodés. Aujourd'hui Charles Baur est réintégré dans l'UMP, et il gouverne toujours avec le Front national... En Languedoc-Roussillon, Jacques Blanc, un récidiviste, est élu dès le premier tour par trente-cinq voix, dont les treize voix du Front national. Il fait aujourd'hui partie de l'UMP. Je pourrais également rappeler les péripéties de l'élection de Charles Millon en Rhône-Alpes ou de Jean-Pierre Soisson, un autre récidiviste, en Bourgogne. Aucune de ces alliances n'avait été annoncée aux électeurs avant l'élection. Elles ont été conclues pour maintenir au pouvoir des hommes dont les soutiens étaient minoritaires en voix dans la région. Ces alliances banalisent les idées de l'extrême-droite. Ce n'est pas seulement « une honte pour les régions », mais pour tous ceux qui s'y sont prêtés et s'y prêtent encore.

Pour éviter ces man_uvres, il fallait modifier le mode de scrutin : nous l'avons fait. La loi Jospin est la réponse aux difficultés des régions. Elle concilie justice et efficacité, capacité de gouverner et représentation des minorités. Nous nous sommes inspirés de la loi municipale, nous en avons tiré les leçons, puisque la prime majoritaire accordée au niveau régional est plus faible
- 25 % - ce qui permet de mieux représenter les minorités. En bref, c'est une formule à dominante majoritaire et à correctif proportionnaliste.

En évoquant tout à l'heure les débats sur le texte de 1999, Monsieur le ministre, vous avez oublié un point : c'est que vos amis du RPR étaient contre ce mode de scrutin... Je note avec satisfaction leur évolution : ils portent aux nues ce qu'ils condamnaient hier.

Votre texte est porteur d'une autre régression : celle qui permet à nouveau de cumuler un mandat de député européen avec la présidence d'un conseil général ou régional. C'est l'opposition farouche du Sénat qui a interdit d'harmoniser le traitement des députés nationaux et européens. Mais ce cumul va-t-il améliorer la présence française au Parlement européen ? Le mandat européen n'est-il pas un travail à temps plein ? Les autres pays de l'Union ont retenu cette règle de non-cumul. Ce qu'on pourrait reprocher à nos textes sur le cumul n'est pas leur rigueur, mais plutôt leur insuffisance. Cette disposition est d'autant plus incompréhensible que le Premier ministre a imposé à ses ministres la doctrine Jospin, qui refuse le cumul des fonctions ministérielles et d'un mandat local - sauf dans le cas de M. Falco, qui continue donc à être un ministre à temps partiel...

C'est incompréhensible, sauf pour les lecteurs réguliers du Monde. Ce journal écrivait le 13 septembre 2002 : « La succession de Charles Pasqua à la tête du département des Hauts-de-Seine n'est peut-être pas pour demain. Démissionnaire de la présidence du conseil général, le 25 juillet, l'ancien ministre de l'intérieur avait décidé, pour se conformer à la loi sur le cumul des mandats, de ne conserver que son siège de député européen, tout en restant l'élu du canton de Neuilly-Nord ». Mais, poursuivait le quotidien, un nouveau scénario s'est fait jour : M. Pasqua pourrait se présenter à nouveau à la présidence du conseil général, grâce à une réforme discrètement préparée par M. Sarkozy, et qui reviendrait sur l'interdiction pour un député européen de présider un exécutif local... Ce dont M. le ministre aurait avisé son aîné, comme le reconnaît volontiers ce dernier, d'après le journal.

L'entourage de M. Sarkozy ne conteste pas l'échange et confirme que l'harmonisation du régime des parlementaires européens sur celui des députés est à l'ordre du jour (Interruptions sur les bancs du groupe UMP).

M. le Ministre - N'est pas Alain Decaux qui veut !

M. René Dosière - A ce niveau, ce n'est plus de la cuisine électorale, c'est de l'arrière-cuisine (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

M. le Ministre - C'est minable ! C'est vraiment tout petit !

M. René Dosière - Quand on est un député de base, on emploie des arguments de base !

Depuis les élections du printemps dernier, il revient au parti de gouvernement de répondre aux attentes qui se sont exprimées. La droite dispose désormais, fait unique, de tous les pouvoirs : présidence de la République, Gouvernement, Assemblée, Sénat, majorité au Conseil constitutionnel et au CSA (Interruptions sur les bancs du groupe UMP) et elle a même l'appui du patronat et des principaux médias. Elle ne pourra invoquer aucune excuse pour justifier l'impossibilité de conduire des réformes. Pourquoi alors la droite se montre-t-elle si dominatrice et autoritaire ? (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) L'opposition, à commencer par le parti socialiste, a quant à elle le devoir de critiquer, de contrôler, de proposer afin de défendre les intérêts de tous ceux qui se reconnaissent dans nos valeurs. Il nous est même possible d'approuver telle ou telle initiative gouvernementale, ce qui n'est pas le cas cet après-midi. Mais il nous revient à tous, chacun à sa place, d'éradiquer les peurs qui traversent la société française et de lui fournir des repères qui la rassurent. Si nous oublions cette exigence commune, que Péguy appelait une « mystique républicaine », alors le risque est grand d'assister à un véritable bouleversement de notre société, et si le séisme du printemps devait se renouveler, il serait beaucoup plus ravageur.

Le texte relatif aux modes de scrutin n'est pas à la hauteur de cette exigence. C'est pourquoi l'hostilité que lui a manifestée le groupe socialiste ne peut que s'étendre à cette deuxième délibération, qui n'est pas détachable de l'ensemble du projet (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

M. le Président - Il est difficile, pour le respect des institutions de la République, de dire que le Conseil constitutionnel comporte une majorité et une opposition.

Mme Martine David - C'est pourtant vrai !

M. le Président - Cette institution est en-dehors de la politique (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP, de la commission et du Gouvernement).

Monsieur le ministre, souhaitez-vous intervenir après l'exception d'irrecevabilité ?

M. le Ministre - Ce que j'ai entendu n'en vaut pas la peine !

M. le Président - Nous en venons aux explications de vote sur l'exception d'irrecevabilité.

M. Michel Vaxès - En première lecture, le Gouvernement n'a pas osé affronter l'opinion publique en proposant de fixer le seuil à 10 % des inscrits. Le ballon d'essai devait être envoyé par sa majorité. Comme l'a dit Jean-Marc Ayrault, ni le ministre ni la majorité ne prennent le risque aujourd'hui, après la décision de forme du Conseil constitutionnel, de revenir à la charge. Vous manquez soit de cohérence, soit de courage, à votre choix.

M. Claude Goasguen - Vous, vous ne manquez pas de culot !

M. Michel Vaxès - Dans les deux cas, nous assimilons votre conduite à une reculade peu glorieuse mais, hélas, insuffisante. Aussi l'exception d'irrecevabilité emporte-t-elle notre adhésion. Le Conseil constitutionnel ne s'est pas prononcé sur les atteintes aux principes de pluralisme, de liberté et d'égalité, il a simplement statué sur un vice de procédure, en application de l'article 39 de la Constitution.

L'article 4 du projet méritait pourtant un examen au fond car, sans aucun doute, il bafoue les principes de pluralisme, de liberté et d'égalité posés par les articles 3 et 4 de la Constitution, et les articles 4 et 6 de la Déclaration de 1789. L'article 4 est clairement le plus antidémocratique du projet (Interruptions sur les bancs du groupe UMP). Ce pourrait être là l'unique motif pour l'Assemblée de voter l'exception d'irrecevabilité, et c'est la raison pour laquelle nous la voterons (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Claude Goasguen - L'article 91-4 du Règlement dispose que l'exception d'irrecevabilité a pour objet de « faire reconnaître que le texte proposé est contraire à une ou plusieurs dispositions constitutionnelles ». Comme nous débattons sur un article qui vient d'être sanctionné par le Conseil constitutionnel, il me paraît abusif d'utiliser le Règlement... (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste). Votre exception d'irrecevabilité, en réalité, n'en est pas une. M. Dosière n'a absolument pas parlé de l'article 4, parce que c'est votre article. Je m'attendais à ce que M. Dosière reprenne in extenso la motion qu'avait dû défendre un de nos collègues RPR sur la loi Jospin. Cela m'aurait fait plaisir d'entendre à nouveau cet argumentaire. Mais non ! Et comme vous n'aviez rien à dire sur l'article 4, vous avez développé des élucubrations politiciennes.

Je m'attendais à ce que ce soit la majorité qui s'irrite de la décision du Conseil constitutionnel (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Je connaissais d'avance le sottisier que vous nous auriez infligé si le Conseil constitutionnel avait annulé une des dispositions de votre texte, comme il l'a fait en d'autres occasions. Écoutez ce que disait le prédécesseur de M. Raffarin quand les décisions du Conseil constitutionnel n'allaient pas dans le sens voulu par le Gouvernement : à deux mois des législatives, M. Jospin déclarait que le Conseil était « un organe politique », dont M. Montebourg, comme M. Hue, demandait la disparition (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste). Sur le respect de la légalité, nous n'avons pas de leçons à recevoir de vous ! Vous avez constamment bafoué le Conseil constitutionnel ! (Même mouvement) Après le numéro de M. Dosière, même si certains d'entre nous avaient quelque réticence à suivre le Gouvernement (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), c'est sans ambiguïté que nous disons que dura lex sed lex, et que nous soutiendrons le Gouvernement en votant contre votre pseudo-exception d'irrecevabilité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

L'exception d'irrecevabilité, mise aux voix, n'est pas adoptée.

M. François Liberti - Si le Conseil constitutionnel a censuré l'article 4, c'est que le Premier ministre n'avait pas hésité à le modifier après son passage en Conseil d'Etat, afin de relever le seuil de 10 % des suffrages exprimés à 10 % des inscrits. Cette modification était due aux judicieux conseils de M. Juppé, qui avait parié sur la bipolarisation de notre vie politique, en commençant par l'installer dans les régions.

L'état UMP était alors en marche et les parlementaires, qui demandaient un débat démocratique sur un texte attentatoire au pluralisme, ont été tout simplement muselés.

En effet, M. Raffarin n'avait, selon lui, pas d'autre possibilité que recourir à l'article 49-3 afin de ne pas paralyser son ministre de l'intérieur pendant 170 jours disait-on, qu'aurait duré le débat si tous les amendements avaient été examinés. Pourtant, au Sénat, M. Sarkozy n'a pas semblé très préoccupé d'être absent quasiment tout au long de l'examen du texte.

Le projet fut adopté par la majorité, mais la censure du Conseil constitutionnel sonne comme un désaveu flagrant de ce coup d'état électoral et partisan.

M. Eric Raoult - Tout ce qui est excessif...

M. François Liberti - En effet, le Conseil constitutionnel a censuré un vice de forme, en considérant qu'« en substituant, pour l'accès au second tour des élections régionales, un seuil égal à 10 % du nombre des électeurs inscrits au seuil de 10 % au total des suffrages exprimés retenu par le projet de loi soumis au Conseil d'Etat, le Gouvernement a modifié la nature de la question posée au Conseil d'Etat ».

Le Conseil constitutionnel ayant déclaré la procédure irrégulière, il a également rappelé, sans se prononcer sur le fond, que « s'il est loisible au législateur d'introduire des mesures tendant à inciter au regroupement des listes en présence, il ne peut le faire qu'en respectant le pluralisme des courants d'idées et d'opinions, lequel est un des fondements de la démocratie ».

Il a toutefois reconnu que le seuil de 5 % des suffrages exprimés au premier tour pour avoir la possibilité de fusionner avec une autre liste au second tour, ne porte pas atteinte au pluralisme, ce que nous contestons et nous avons déposé un amendement tendant à revenir aux seuils fixés par la loi de 1999.

Le vice de forme de l'article 4 a empêché le Conseil constitutionnel de se prononcer au fond sur l'atteinte au pluralisme résultant du seuil des 10 % des inscrits ; la réserve qu'il émet ensuite peut être considérée comme une recommandation de prudence à cet égard. Il appartiendra aux parlementaires de veiller à ce que le pluralisme politique puisse s'exercer le plus démocratiquement possible.

Votre réforme interviendra dans l'année qui précédera les prochaines échéances électorales de mars 2004, ce qui constitue une transgression de la tradition qui veut que les modes de scrutin ne peuvent être modifiés moins d'un an avant les élections.

Le Premier ministre en appelle au Président de la République afin de proposer, ou plutôt d'imposer, une nouvelle délibération sur l'article 4. Cette procédure a été préférée au dépôt d'un nouveau projet de loi par le Gouvernement qui aurait permis un vrai débat ; c'est ainsi que le Président de la République intervient dans l'ordre du jour parlementaire, le Parlement se voyant réduit au simple rôle de marionnette manipulée par l'exécutif. Il modifie l'ordre du jour des deux assemblées en utilisant l'article 10 alinéa 2 de la Constitution, qui n'a été invoqué que deux fois au cours de la cinquième République - en 1983 et en 1985. Cette procédure est d'autant plus contestable que l'article 10 de la Constitution précise que cette nouvelle délibération ne peut être refusée.

Mais la démocratie s'exerce pourtant grâce à l'expression de toutes les formations politiques. L'atteinte que votre projet porte au pluralisme prouve le peu de considération que vous avez à l'égard des petites formations politiques et de nos concitoyens, qui ne se retrouvent pas forcément dans les deux grands partis que sont l'UMP et le parti socialiste.

Faut-il vous rappeler que M. Chirac n'a obtenu qu'un peu plus de 19 % des suffrages exprimés au premier tour de l'élection présidentielle de l'année dernière ?

M. Eric Raoult - Vous avez voté pour lui !

M. François Liberti - La vie politique française ne se résume pas à deux partis.

En instaurant une prime majoritaire de 25 % des sièges à la liste arrivée en tête, la loi de 1999 favorisait déjà la constitution d'exécutifs stables à la tête des régions. Pourquoi ne pas avoir attendu qu'elle soit appliquée ?

Votre soif du pouvoir vous a poussés à produire un texte d'une rare complexité qui demeurera incompréhensible pour nos électeurs en raison de la création de sections départementales. Ils auront toutes les peines du monde à mesurer la portée de leur vote, le candidat placé en tête de liste, qu'ils auront choisi, pouvant ne pas figurer en rang utile pour être élu conseiller régional.

Sous prétexte que le Parlement a un ordre du jour très chargé, vous usez de toutes les procédures constitutionnelles propres à abréger les débats parlementaires. Mais cet ordre du jour, qui en est le maître ? Comment prétendre qu'il sera trop chargé alors que vous prévoyez un dessaisissement considérable du Parlement dans moins de quelques heures ?

Pour toutes ces raisons, nous voterons résolument contre cette nouvelle rédaction de l'article 4 de ce projet (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).

M. Claude Goasguen - Le problème que nous abordons n'est pas de pure forme, puisqu'il n'est pas question de remettre en cause la décision du Conseil constitutionnel - ce qui fait justice d'un certain nombre de critiques selon lesquelles la concentration des pouvoirs au sein d'une même formation politique provoquerait la domination exclusive de l'exécutif sur la vie politique française.

Le Conseil constitutionnel, en s'opposant au Gouvernement, a affirmé son autonomie institutionnelle et politique. Pendant cinq ans, il a été attaqué par ceux qui, aujourd'hui, pourfendent le Gouvernement : le précédent Premier ministre demandait que le Conseil constitutionnel soit encadré ; le leader du parti communiste en demandait la suppression.

Cette loi apporte des modifications positives en assurant la stabilité de l'exécutif régional et, grâce aux sections départementales, en favorisant l'affirmation de l'identité régionale. Ces structures permettront la mise en _uvre, dans les meilleures conditions, de la future loi de décentralisation.

L'enjeu des élections européennes, auparavant, était en réalité politicien. Des députés qui figuraient alors sur la liste Tapie sont aujourd'hui les plus grands moralisateurs de l'Assemblée nationale - je pense au maire de Bègles, qui n'arrête pas de nous dire qu'il faut moraliser le scrutin.

M. le Ministre - Très bien !

M. Claude Goasguen - Les élections européennes sont d'abord la valorisation d'une institution importante, l'Europe.

La parité deviendra, en outre, une réalité au sein des conseils régionaux.

L'ancien article 4 prenait acte de la situation née le 21 avril. Nos concitoyens avaient alors voté « contre », derrière des démagogues de droite ou de gauche. Nous sommes les seuls, en Europe, à avoir un électorat tribunitien. Cet électorat, à gauche, est en pleine émergence. Nous avons assumé, contre les lois électorales les plus élémentaires, les difficultés nées de la présence d'un électorat tribunitien à droite. La gauche devrait regarder sur sa gauche, quand elle s'acoquine avec M. Besancenot, Mme Laguiller et M. Bové, qui n'ont d'autres intentions que de mettre à bas notre système politique

M. François Liberti - Parlez-nous un peu du Front national !

M. Claude Goasguen - Le parti communiste pleure après cet électorat perdu !

Les élections intermédiaires avaient une signification qui dénaturait leur objectif : les élections régionales étaient l'occasion, pour les électeurs, de sanctionner la politique du Gouvernement.

La réponse réglementaire et législative du Gouvernement permettait aux citoyens de voter pour une gestion régionale. Il ne faut pas la regretter, mais nos formations politiques doivent relever le défi démocratique du nouvel article 4.

Je souhaite que la gauche agisse de même car nous ne pouvons nous résigner à ce que tant de Français cessent de croire en la démocratie et en l'Etat de droit. Quant au Gouvernement, ce devrait être pour lui une incitation à agir encore plus fermement qu'il n'a commencé à le faire pour réduire la part de cet électorat « tribunitien » qu'on a fait émerger en 1986 : si nous pouvons y parvenir un jour, c'est que nous aurons réglé les problèmes de l'insécurité, de l'immigration et du décalage entre ville et campagne. La démocratie nous commande en effet de reprendre à notre compte certaines des inquiétudes de cet électorat, qui n'a rien à voir avec les démagogues anti-républicains, et d'essayer d'y répondre de façon républicaine.

Le nouvel article 4 devrait, dans cet esprit, changer la nature des élections intermédiaires et empêcher qu'elles n'altèrent le climat politique. Les partis politiques, espérons-le, se préoccuperont enfin de l'Europe lors des élections européennes et de la gestion des régions lors des élections régionales ! Nous voterons donc sans réserve et sans regret ces dispositions et nous ne condamnerons certes pas le Conseil constitutionnel, mais nous aurons à c_ur de relever le défi de la démocratie en cherchant à réconcilier avec la République ceux qui s'en sentent exclus. Puisse le Gouvernement entendre ce message du groupe UMP ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. René Dosière - Je serai bref, ayant le souci de ne pas me répéter...

M. le Président - Nous verrons bien !

M. René Dosière - Pour exceptionnelle qu'elle soit, cette nouvelle délibération est parfaitement constitutionnelle. Ce rappel peut être utile, la première application de l'article 10 de la Constitution, à propos de la Nouvelle-Calédonie, ayant été contestée par l'opposition d'alors, qui avait même parlé de détournement de procédure. Fort heureusement, le Conseil constitutionnel a tranché le 23 août 1985 et son interprétation s'impose, n'est-ce pas, Monsieur Goasguen ? Mais même les professeurs de droit peuvent se tromper... (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

Je regrette que cette nouvelle délibération ne porte que sur l'article 4, et non sur l'article 9 par exemple, mais, même confinés à ce cadre restreint, nous ne pouvons faire abstraction de l'ensemble de la loi ni oublier l'usage fait de l'article 49-3, en rupture avec la pratique observée sous le précédent gouvernement et avec nos propositions.

Nous nous félicitons de l'issue d'un combat qui, pour n'être pas uniquement le nôtre, n'aurait jamais pu aboutir sans le groupe socialiste. Cette loi maintient en effet la région dans son statut actuel : elle continuera de n'être qu'une addition de départements ! La prime majoritaire, introduite en 1999, garantira certes une majorité, mais rien n'assure que la campagne électorale permettra de construire un vrai projet régional. Que n'a-t-on conservé le mode de scrutin de 1999, moyennant quelques modifications ? Quelle allure aurait alors eue, en Ile-de-France, une campagne menée par une vraie tête de liste, vrai Président de région, alors que celui qui conduira la liste telle que vous l'avez conçue ne sera qu'une tête parmi sept autres, comme au Politburo ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) Au lieu d'un projet pour la région, nous n'aurons qu'une somme d'intérêts départementaux !

Vous pouviez séparer pouvoir exécutif et pouvoir délibératif et préciser le statut des présidents de région tout en conservant le mode de scrutin de 1985. Vous aurez donc manqué une chance de constituer de vraies régions, capables de dialoguer avec leurs homologues d'Europe et de s'inscrire pleinement dans une France décentralisée. Je le regrette profondément.

Quant au mode de scrutin européen, je ne le crois pas, contrairement à M. Goasguen, de nature à conforter en France l'idée européenne : les nouvelles circonscriptions ne semblent pas présenter plus d'avantages ou moins d'inconvénients que la circonscription nationale, qui permettait au moins à nos compatriotes de l'étranger de voter.

Enfin, ce texte marque un recul en ce qui concerne le cumul des mandats. La démocratie commanderait en effet d'aller vers une séparation entre mandat parlementaire et mandats locaux, voire vers le mandat unique. Sans doute cela doit-il se faire progressivement mais vous donnez là un signe tout à fait contraire, pour des raisons qui me semblent n'avoir que peu à faire avec l'intérêt général.

Pour toutes ces raisons, le groupe socialiste votera contre les dispositions proposées (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Nicolas Perruchot - S'il est loisible au législateur de prendre des mesures pour favoriser la constitution de majorités au sein des conseils régionaux, il ne peut le faire que dans le strict respect du pluralisme, fondement de la démocratie. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UDF) Tel est, en substance, le sens de la décision rendue par le Conseil constitutionnel. En effet, Monsieur le Ministre, la censure a porté, plus que sur la forme - le non-respect de l'article 39 de la Constitution -, sur le fond même de votre projet, car les Sages savent bien qu'il n'est pas de démocratie réelle sans liberté de choix. Notre pays n'a jamais été terre de bipartisme : sa nature est de se plaire dans une diversité que même la société industrielle n'a pu anéantir.

Jamais d'ailleurs les candidats issus des grands partis politiques n'ont rassemblé si peu de suffrages : la moitié des 85 % de voix recueillies dans les années soixante-dix. Ce n'est pas la multiplicité des candidatures qui en est cause, mais bien l'offre politique, qui ne convient pas aux Français. Et c'est parce que les Français éprouvent un ressentiment profond à l'égard de la classe politique que les candidatures se multiplient (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UDF). De cinq candidats à l'élection présidentielle à la fin des années soixante, on est passé à une petite dizaine à la fin des années quatre-vingt, puis à seize tout dernièrement !

Cette nouvelle délibération ferait le jeu du Front national, nous dit-on.

Il serait vain de croire que le combat contre le Front national passe par la réforme du mode de scrutin. Ce serait oublier le message du premier tour des présidentielles. Comment imaginer que le meilleur moyen de lutter contre les ennemis de la démocratie est de leur fermer l'accès à la démocratie ? Comment peut-on nier la vérité des urnes en ne les ouvrant que partiellement ? Quel démocrate peut penser à empêcher l'expression d'une partie des Français en leur interdisant d'avoir des représentants ? Si l'on considère que l'extrême droite doit être combattue par tous les moyens, excluons des groupes parlementaires les présidents de région qui ont obtenu une majorité grâce aux voix du Front national ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. René Dosière - Très bien !

M. Nicolas Perruchot - Mieux vaudrait que l'extrême droite soit présente dans tous les hémicycles, y compris celui-ci, pour que les Français puissent juger son projet politique. Et ce que je dis vaut aussi pour l'extrême gauche.

On ne fera reculer le vote extrême qu'en menant des réformes courageuses, sinon aucune réforme des modes de scrutin n'empêchera les Français d'exprimer leur exaspération.

Permettez-moi, Monsieur le ministre, de conclure en vous citant : « Je n'ai jamais pensé qu'on gagnait une élection par un mode de scrutin. La question du Front national interpelle tous les Républicains ; elle ne se règle pas par un niveau de participation à 10 % des inscrits, elle se règle par un nouveau comportement de la classe politique, elle se règle par l'action ». Le groupe UDF votera l'article 4 ainsi modifié (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF).

M. Christian Estrosi - La réforme des modes de scrutin nous revient aujourd'hui. Ce n'est, pour la majorité, ni une offense ni une humiliation...

M. René Dosière - Si !

M. Christian Estrosi - ...sauf à assimiler le contrôle du juge constitutionnel à une décision politique. Contrairement à l'opposition, si souvent censurée dans le passé, nous respectons le juge constitutionnel, pilier de notre démocratie, et prenons acte de sa décision dans la sérénité, loin des polémiques et des anathèmes.

Le Conseil constitutionnel a censuré une disposition non fondamentale d'un projet de loi fondamental, dont il a par ailleurs validé l'économie générale.

Cette disposition ne méritait ni tant d'honneur, ni tant d'indignité. Elle était le prétexte à tous les faux semblants et discours de dupes. Quoi qu'il en soit, ce débat mérite d'être conduit dans la sérénité. Suivons donc la volonté d'apaisement du Premier ministre et du ministre de l'intérieur.

Après une longue concertation avec l'ensemble des formations politiques, le Gouvernement a souhaité améliorer le fonctionnement de notre démocratie, en s'appuyant sur des principes clairs. La démocratie n'est forte qu'à condition de dégager des majorités stables et légitimes, d'instaurer dans la clarté un lien direct entre le mandant et son représentant, d'inviter la grande majorité des citoyens à participer aux élections.

Or, depuis quelques années, du fait en particulier d'un mode de scrutin inadapté pour les élections régionales et européennes, nous nous sommes éloignés de ces grands principes. L'abstention, la confusion, voire la compromission se sont substituées à la participation, à la transparence et à la liberté de choix. Qui souhaite revoir en 2004 le spectacle des régionales de mars 1998 ? Personne ! Sauf peut-être ceux qui, depuis 1981, ont fait leur fonds de commerce du Front national à des fins électorales. Le Front national est en effet l'enfant illégitime de la gauche ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF) Cette créature, avec laquelle vous tentez une nouvelle fois de jouer, vous a pourtant déjà brûlé les doigts au printemps dernier !

Rien ne se gagne jamais dans la combinaison politicienne. Rappelez-vous l'épisode de l'inversion du calendrier électoral qui vous a conduits là où l'on sait ! Faites donc preuve, Mesdames et Messieurs de l'opposition, d'un peu de pudeur et de mémoire !

Que ce soit avec 10 % des inscrits ou 10 % des suffrages exprimés, cette réforme garantira un meilleur fonctionnement de nos institutions.

M. Jean-Pierre Blazy - C'est le contraire de ce qu'on avait entendu !

M. Christian Estrosi - Elle accompagne la deuxième étape de la décentralisation. Elle est moderne, car elle rapproche nos concitoyens des institutions européennes. Aucun système électoral n'est parfait, mais celui-ci comble incontestablement des lacunes.

Je vous donne rendez-vous sur le terrain. Nous, nous n'avons jamais sombré dans des combinaisons de couloir, ni dans des alliances contre nature (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). Vous rêvez d'un Front national au-dessus de 10 % des votes exprimés dans toutes les régions, mais les régionales et les européennes qui s'annoncent nous permettront de contrarier vos desseins obscurs !

M. Jean-Pierre Blazy - Toujours aussi modéré !

M. Christian Estrosi - Quoi qu'il advienne, grâce à ce texte, en mars prochain, les régions seront gouvernées, par la gauche ou par la droite, par des majorités claires et stables. Les Français en seront seuls juges. Le défi qui nous a été lancé, nous le relèverons une nouvelle fois en toute confiance (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

Mme Martine Billard - Que de temps perdu avec cette réforme électorale, alors que le contexte social et le contexte international devraient nous inviter à d'autres préoccupations ! Au nom des députés Verts, je vous rappelle que cette réforme avait été repoussée par l'ensemble des formations politiques, sauf une, et par la majorité des Français si l'on en croit les sondages. Ainsi le Gouvernement, qui dispose pourtant dans cette assemblée d'une forte majorité, a-t-il recouru à l'article 49-3 - pour se voir opposer la décision du Conseil constitutionnel ! Mieux aurait valu laisser intacte la loi votée en 1999, d'autant qu'elle comportait déjà un système propre à dégager des exécutifs stables dans les régions.

Et cessez de dire que la gauche fait le jeu du FN ! Qui gère aujourd'hui trois régions avec les élus FN ? Ni la gauche, ni les écologistes. D'ailleurs, le 21 avril, tous les partis de gauche ont pris leurs responsabilités pour faire barrage au Front national au second tour des présidentielles, vous l'oubliez trop souvent !

M. Jean-Pierre Blazy - Absolument !

Mme Martine Billard - Si le Conseil constitutionnel a relevé un vice de procédure, il a aussi émis des réserves sur le respect du pluralisme et l'intelligibilité du dispositif.

Le Gouvernement et sa majorité ont finalement été pris à leur propre piège. N'ayant plus le choix, le Gouvernement a décidé d'abaisser le seuil à 10 % des suffrages exprimés. Voulons-nous continuer à nier tous les courants politiques émergents et grossir ainsi les rangs des abstentionnistes ? Nous sommes opposés au nouveau mode de scrutin des européennes. Le découpage des grandes régions, incompréhensible pour le commun des mortels, limitera le débat sur la question européenne et la possibilité de représentation des formations émergentes, et cela parce que vous avez peur d'affronter un scrutin national où vous pourriez être désavoués. La réforme de ce mode de scrutin entraîne un recul de la parité, car la majorité des têtes de liste sont des hommes, un recul par rapport à la limitation du cumul des mandats, un recul de la démocratie, un recul de la simplicité.

Pour toutes ces raisons, les députés Verts voteront contre cette réforme.

La discussion générale est close.

MOTION DE RENVOI EN COMMISSION

M. le Président - J'ai reçu de M. Bocquet, et des membres du groupe des députés communistes et républicains, une motion de renvoi en commission déposée en application de l'article 91, alinéa 6, du Règlement.

M. Michel Vaxès - Le 3 avril dernier, le Conseil constitutionnel a rendu sa décision sur la loi relative à l'élection des conseillers régionaux et des représentants au Parlement européen ainsi qu'à l'aide publique aux partis politiques, et censuré la disposition relative au seuil de 10 % des inscrits.

Nous avions saisi le Conseil constitutionnel essentiellement sur cette question parce que cette disposition violait les articles 39 et 4 de la Constitution ainsi que l'article 4 de la Déclaration de 1789 en matière de liberté et de pluralisme, et les articles 3 de la Constitution et 6 de la Déclaration de 1789 en matière d'égalité.

Cet article 4 nous avait été imposé, avec toutes les autres dispositions du projet, par le recours à l'article 49-3, alors qu'il porte atteinte à la liberté et au pluralisme, et qu'il entrave l'expression et la représentation de courants d'idées et d'opinion dans notre pays, en obligeant les listes qui n'ont pas atteint ce seuil à fusionner avec un grand parti au second tour, alors que leur maintien ne menacerait en aucun cas l'existence d'une majorité stable, après le vote de la loi de 1999. Voilà en quoi l'article 4 est contraire à la Constitution.

Ces contraintes ne limitent pas seulement les droits des partis : elles restreignent aussi ceux des électeurs, obligés à des choix réducteurs. En ce sens, l'article porte atteinte au principe d'égalité, puisque des minorités pourront ne pas être représentées au sein des assemblées délibérantes en raison des distorsions induites par le mode de scrutin entre le premier et le deuxième tour.

Le Conseil constitutionnel ne s'est pas prononcé sur ces points, et a fondé sa décision sur un vice de procédure, en relevant que la question posée à l'Assemblée différait de beaucoup de celle qui avait été posée au Conseil d'Etat. Mais pourquoi un gouvernement qui voulait faire passer la réforme en force se serait-il encombré de l'avis du Conseil d'Etat ? A vrai dire, cette attitude n'a rien d'étonnant de la part d'un gouvernement qui poursuit la décentralisation à marche forcée, sans prendre le temps de consulter les Français, et qui s'apprête à demander au Parlement l'habilitation de légiférer par ordonnances dans des proportions inédites ? Rien d'étonnant, non plus, de la part d'un gouvernement qui estime normal que l'ordre du jour de l'Assemblée soit réglé par le Président de la République. Telle est, donc, la nouvelle forme de gouvernance. Nous voilà prévenus, ce qui ne signifie aucunement que nous nous habituerons. Nous ne cesserons de dénoncer ces méthodes inacceptables, qui dénaturent la République.

S'agissant du texte proprement, il convient de rappeler les conditions de son élaboration. Au terme d'un examen bâclé en commission, sans même que le Premier ministre soit venu défendre le projet dont il avait pourtant demandé la discussion en urgence, le Gouvernement a refusé d'examiner les modifications demandées par l'Assemblée et, satisfaisant un groupe UMP aux ordres et méprisant, (Protestations sur les bancs du groupe UMP) il a invoqué l'article 49, alinéa 3 de la Constitution pour passer en force. Aucune place n'a donc été laissée au débat et il a suffi de 4 heures 30 pour anéantir des décennies de travail parlementaire. C'est une première dans l'histoire parlementaire récente !

M. Claude Goasguen - Et treize mille amendements ?

M. Michel Vaxès - En bâillonnant ainsi l'Assemblée, le Gouvernement a confirmé la nocivité d'un projet contesté sur la presque totalité des bancs, pensant masquer son méfait en étouffant le débat. C'était compter sans le Conseil constitutionnel, qui nous permet ce que le Gouvernement nous a refusé hier : examiner l'article 4 et, plus largement le projet dans son entier, qui, au-delà de la forme, suscite des critiques essentielles. Comment pourrait-il en être autrement, s'agissant d'une réforme électorale élaborée à quelques mois des élections ?

Le 21 avril 2002, la droite a réalisé un score désastreux, en ne rassemblant que 13 % des inscrits, et le Gouvernement en a tiré des enseignements immédiats.

M. Claude Goasguen - Et quel a donc été le score du parti communiste ?

M. Michel Vaxès - ... Mais nous n'avons jamais exercé le pouvoir ! Le Gouvernement, lui, s'est empressé de se lancer dans une réforme électorale, qui ne peut être dissociée ni de la loi de décentralisation, ni des projets de la Convention sur l'avenir de l'Europe, car ces textes, qui constituent une véritable machine de guerre contre le pluralisme, renforceront immanquablement le bipolarisme déjà fortement aggravé par le quinquennat. Déjà, le Parlement est déshonoré, car la fonction subalterne à laquelle il est ravalé fait que la République dérive vers une République de courtisans et de spectateurs. Le danger pour la démocratie est grand et vous aggravez ce déséquilibre entre les pouvoirs et les majorités politiciennes.

Quel mépris pour les citoyens que de prétendre, comme vous le faites dans l'exposé des motifs de la loi, qu'elle tend à renforcer la responsabilité des élus et à redonner de la clarté à l'expression des suffrages tout en permettant une représentation équitable et la constitution de majorités stables ! Quel mépris, puisque vos objectifs sont inverses des ambitions affichées ! S'il ne s'agissait pas d'un coup de force, je dirais que tout cela tient du mensonge burlesque. En effet, votre réforme ne remplit aucun des objectifs déclarés. La réforme des modes de scrutin pervertit la logique proportionnelle, et porte une atteinte extrêmement grave au pluralisme. Le système d'élection, tellement complexe qu'il en devient presque incompréhensible, n'assure aucunement une meilleure proximité entre électeur et élu, bien au contraire.

Quant à l'émergence de majorités unies au sein des conseils régionaux, la loi votée en 1999 mais jamais appliquée puisqu'il n'y a pas eu d'élections régionales depuis lors, la permet indubitablement, et vous le savez. Quant à l'abstention, elle risque d'atteindre une hauteur vertigineuse si votre objectif inavoué « d'américanisation » de la vie politique française se réalise un jour ! Alors qu'une nouvelle loi a été votée en 1999, tout a été fait comme si elle n'existait pas. Ce projet était la conséquence directe des élections régionales de mars 1998 et de la course sans principes à la présidence des exécutifs régionaux qui a suivi, course qui a révélé le comportement honteux et l'alliance avec l'extrême droite d'une partie des amis de la majorité actuelle. N'oublions pas que dans les conseils régionaux de Picardie, de Languedoc-Roussillon et de Bourgogne cette situation honteuse perdure. Et certaines personnalités à l'origine de cette majorité contre-nature siègent sur les bancs de l'UMP ici et au Sénat !

Lors de ce débat, nous avions souligné le danger des lois de circonstance, et l'illusion qu'il y avait à croire que la lutte contre le Front national passerait par des artifices électoraux. Nous avions également rappelé l'importance à nos yeux, de la proportionnelle, consubstantielle à la démocratie. Mais nous avions aussi admis que les conseils régionaux connaissaient de réels problèmes de gouvernabilité, auxquels le législateur se devait d'apporter une réponse. C'est pourquoi nous avions accepté le principe d'une prime de sièges accordée à la liste arrivée en tête, et celui de seuils, soit pour être présent au second tour soit pour fusionner avec une autre liste. Mais à une condition : la prime et les seuils ne devaient pas pénaliser l'expression de la démocratie pluraliste. Ce qui impliquait que les pourcentages retenus ne soient pas trop élevés : nous souhaitions les pourcentages les plus bas compatibles avec l'émergence de majorités stables. Le projet retenait le seuil de 10 % des suffrages exprimés pour pouvoir être présent au deuxième tour et de 5 % des suffrages exprimés pour fusionner avec une autre liste. Pour nous ces seuils, trop élevés, pénalisaient l'expression du pluralisme, et cela sans raison valable puisque la prime garantissait qu'il y aurait une majorité. Et nous avions dit à nos collègues socialistes que nous ne transigerions pas sur cette question. Le problème de la gouvernabilité des régions ne saurait servir de prétexte pour réduire l'expression du pluralisme, ni pour assurer une hégémonie à quelque formation politique que ce soit. Lors de ce débat, Jacques Brunhes avait d'ailleurs rappelé cette évidence : on ne luttera pas contre le Front national par une loi électorale, mais par un engagement politique impliquant une mobilisation sur le terrain, une attention soutenue auprès des victimes de la crise, une politique donnant effectivement la priorité à l'emploi et au développement de l'activité pour prévenir l'exclusion et la précarité. Un tel engagement politique, précisait-il, exclut les alliances contractées par la droite dans trois régions au moins et dont on voit les désastreux résultats.

Le président de la commission des lois a estimé que le seuil exorbitant de 10 % des inscrits prévus par la réforme n'avait rien de choquant, puisque ce seuil avait toujours prévalu pour les élections cantonales. Mais comment comparer un mode de scrutin uninominal avec un scrutin proportionnel, dont la logique et les modalités sont différentes ?

Il n'est pas moins irrecevable de soutenir que les petites formations politiques doivent aujourd'hui s'organiser au sein d'une coalition, parce que ce serait la modernité. Car il y a une grande différence entre les conditions de scrutin qui laissent ces formations libres de former ou non des alliances politiques et celles qui, en leur imposant ce choix, leur ôtent toute indépendance. Cette loi est dangereuse pour toutes les minorités. Vous voulez les étouffer : vous n'y parviendrez pas. En empêchant leur expression dans les assemblées élues, vous en accroîtrez le volume dans la rue, car la voix de la conscience finit toujours par se faire entendre.

La loi de 1999 a retenu, sur nos propositions, les seuils de 5 % et 3 % des suffrages exprimés respectivement pour le maintien des listes au second tour et pour leur fusion. Cette solution de compromis a conduit notre groupe à voter le projet car il permettait d'allier le respect de la proportionnalité avec la gouvernabilité des régions. Il répondait donc au souci que vous exprimez, Monsieur le ministre. Or, avant sa première application, qui aurait permis d'en mesurer l'efficacité, vous changez la donne. Et quel changement ! Le seuil pour la fusion est élevé à 5 % des suffrages exprimés, celui requis pour le maintien à 10 % des inscrits - et non plus des suffrages exprimés, contrairement au projet soumis au Conseil d'Etat.

Quel est le but de cette opération ? Si vous pensiez vraiment que la loi de 1999 ne suffisait pas à garantir la constitution d'une majorité claire et stable, pourquoi ne pas avoir relevé le pourcentage de la prime ? C'est que votre but est différent. On murmure qu'il s'agirait de réduire l'influence de l'extrême-droite dans la région PACA, dans le fief de M. Gaudin, qui par ailleurs a obtenu un redécoupage cantonal sur mesure à Marseille avant la refonte globale des cantons ! Mais je le répète : ce n'est pas par le code électoral qu'on combat le Front national, c'est par des actes politiques forts. Charles Pasqua, ministre de l'intérieur, en 1986, justifiait déjà son charcutage électoral et le retour au scrutin majoritaire par la nécessité de marginaliser le Front national. Les députés du Front national ont certes disparu de notre Assemblée. Mais cela n'a nullement empêché Le Pen d'augmenter les scores de son parti, et même d'être présent au second tour de l'élection présidentielle. De même que la barrière des 500 signatures pour la présidentielle a été pour lui un argument de campagne plutôt qu'un obstacle. Il est donc permis de penser que, loin de réduire l'influence de l'extrême-droite, les tripatouillage électoraux lui permettront de se poser en martyr et stimuleront son activité.

En revanche, et là est l'essentiel, ce seuil, qui équivaut, compte tenu de l'abstention, à 15 ou 20 % des suffrages exprimés, sonne le glas de la représentation indépendante sur la scène régionale des partis autres que les deux partis dominants. Les autres formations devront soit s'allier dès le premier tour avec les « deux grands », soit solliciter des places sur leur liste au second tour ! Comme écrivait récemment le politologue Jean-Luc Parodi, « elles sont pratiquement condamnées à choisir entre la fusion inéquitable et la disparition ».

Certes, le problème des alliances politiques se pose à tous dans un pays comme le nôtre. Mais ces alliances doivent résulter d'un choix fondé sur la proximité des idéologies et des programmes, sans mettre en cause l'indépendance de chaque formation. Si le système électoral ne permet la survie des divers courants politiques qu'au prix de leur inféodation aux deux partis dominants, nous passons à un régime bipolaire imposé. La tentation d'un tel bipolarisme existe chez les formations dominantes, et sa logique a imprégné toutes les réformes institutionnelles mises en _uvre depuis quelques années, comme le quinquennat ou l'inversion du calendrier électoral, qui conduisent à une République de spectateurs et de courtisans.

Or ce régime est étranger à notre culture politique, heurte l'attachement du peuple français à la diversité politique. De surcroît, il est contraire à l'article 4 de la Constitution, selon lequel les partis et groupements politiques qui concourent à l'expression du suffrage doivent pouvoir se former et exercer leur activité librement. M. Raffarin s'était d'ailleurs élevé en 1999 contre les dangers d'un système qui aboutirait à l'émergence de deux grands blocs quasi hégémoniques. Il n'était pas encore Premier ministre ; depuis il a changé d'avis...

Le relèvement des seuils de maintien et de fusion des listes pervertit complètement la logique même du scrutin proportionnel qui est à la base des élections régionales. Dans la plupart des régions, la représentation du peuple français sera quasiment réduite aux seuls élus de l'UMP et du PS, dont les candidats à la présidentielle n'ont rassemblé le 21 avril que 36 % des suffrages exprimés et 25 % des inscrits.

C'est inacceptable. Le peuple français a clairement exprimé sa demande de pluralisme. Un sondage CSA-Le Parisien effectué le 2 septembre 2002, indique que 73 % des Français souhaitent favoriser la diversité politique et la juste représentation de tous les partis, que seule la proportionnelle peut garantir.

Le groupe communiste et républicain reste profondément attaché à la proportionnelle, scrutin le plus conforme à l'esprit de notre Constitution qui a pour principe que le suffrage doit être égal pour tous. Ce qui devrait signifier que la voix de chaque électeur compte autant qu'une autre, et que chaque élu devrait représenter le même nombre d'électeurs.

Nous récusons le reproche souvent fait à la proportionnelle de ne pas dégager de majorité ou de favoriser l'émiettement des partis. Comme le déclarait Jaques Brunhes devant la commission Vedel en octobre 1992, le mode de scrutin « ne peut ni ne doit avoir pour objet de créer artificiellement une majorité pour maintenir la stabilité gouvernementale, mais seulement d'amener l'ensemble des citoyens à une exacte représentation ». La perversion de la proportionnelle qu'introduit votre projet, aura de très graves conséquences pour la démocratie.

Alors que l'abstention progresse de scrutin en scrutin depuis 1989, qu'on a compté le 21 avril 12 millions d'abstentionnistes - un record pour une élection présidentielle -, et que le taux a atteint 35,5 % lors des législatives suivantes, c'est jouer avec le feu que de vouloir, par des artifices législatifs, réduire aux partis dominants la représentation du peuple français dans les régions. Ce filtre déformant renforcera soit l'abstention de ceux qui pensent qu'ils n'ont pas voix au chapitre, soit la tentation populiste de nombreux électeurs. Ce qui pourrait bien se retourner comme un boomerang contre les concepteurs de ce projet : prenez-y garde ! En effet cette réforme, comme l'a écrit Jean-Claude Casanova dans un quotidien, alimentera les frustrations, les ressentiments et la vindicte que créent inévitablement la non-représentation et l'effet majoritaire, qui a souvent pour effet de donner le pouvoir à la plus forte des minorités.

L'expérience des autres pays européens montre que les conditions qui favorisent la proportionnelle réduisent les tensions, modèrent les extrêmes et appuient les majorités réelles. Votre projet va aggraver la crise de la politique, et creuser l'abîme entre le pays réel et sa représentation légale. Est-ce ainsi que le Gouvernement compte rapprocher l'élu de l'électeur ? (Bruits sur les bancs du groupe UMP)

Nous regrettons que le Conseil constitutionnel n'ait pas examiné nos arguments de fond. Au-delà du vice de procédure, la loi au service de l'UMP aurait mérité la censure. De même, l'amendement du Gouvernement qui tend à imposer un seuil de 10 % des suffrages exprimés (Bruits sur les bancs du groupe UMP) reste contraire à notre Constitution.

M. le Président - Laissez M. Vaxès s'exprimer !

M. Michel Vaxès - C'est difficile lorsqu'un bruitage indigne du travail parlementaire est organisé. Mais cela ne m'impressionne pas (Interruptions sur les bancs du groupe UMP).

L'indépendance des partis politiques est une dimension constitutive de la démocratie pluraliste. Or, l'article 4 amendé par le Gouvernement ne permettrait pas à une liste ayant obtenu moins de 10 % des suffrages exprimés de se présenter au second tour. Avec ce seuil ne seront présents que l'UMP, le parti socialiste et, hélas le Front national.

Le respect du pluralisme appelle un abaissement sensible de ce seuil, afin que les partis puissent choisir librement de négocier pour faire liste commune au second tour ou de s'y présenter seul. C'est une question d'identité pour les formations politiques, c'est aussi une invitation pour chacune d'elles à la responsabilité devant les électeurs. Un abaissement du seuil de 10 % à 5 %, comme dans la loi de 1999, ne conduirait pas à une multiplication des listes au second tour, mais permettrait des négociations sans abus de position dominante de l'un des partis. Ce seuil de 5 % permettrait de garantir le pluralisme, principe essentiel de notre République.

M. André Gerin - Il a raison !

M. Michel Vaxès - De même, toute liste ayant obtenu plus de 3 % au premier tour devrait pouvoir fusionner avec des listes ayant obtenu au moins 5 % des suffrages exprimés.

Enfin je dirais à M. Juppé, à qui cet article 4 et sa censure peuvent être dédiés (Interruptions sur les bancs du groupe UMP), et pour qui la décision du Conseil constitutionnel est « une très belle victoire pour le Front national qui va se retrouver en position d'arbitre dans un grand nombre de régions », que cet argument lui permet de donner à démocratie le sens inverse de la signification originelle. Ainsi, il se fait l'ennemi de la démocratie au nom de la démocratie. Le procédé est habile, mais grossier (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

On le voit, l'enjeu de ces seuils est capital pour la démocratie française. Le recours à une nouvelle délibération de l'article 4, en toute urgence, ne satisfait pas aux exigences d'un travail sérieux. C'est pourquoi la représentation nationale s'honorerait de voter cette motion de renvoi en commission (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste).

La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n'est pas adoptée.

ART. 4

M. le Président - J'appelle maintenant l'article 4, soumis à nouvelle délibération. Cette délibération portant sur ce seul article, aucun amendement portant article additionnel ou s'appliquant à un autre article ne pouvait être reçu.

L'objet de cette limitation est d'assurer le respect d'une prérogative constitutionnelle du Président de la République, qui a seul compétence pour définir le champ de la nouvelle délibération, en l'espèce l'article 4 et rien d'autre.

C'est pourquoi j'ai dû déclarer irrecevable un amendement présenté par un de nos collègues, trois amendements, recevables ceux-là, étant soumis à notre discussion.

M. Michel Vaxès - L'article 4 est sans doute le plus clairement antidémocratique (Interruptions sur les bancs du groupe UMP). En effet l'élévation des seuils à 10 % et 5 % est une réforme de pure circonstance. Elle s'inscrit dans la plus pure tradition du tripatouillage électoral dans l'année précédant les élections. Le projet n'est pas tant celui du Gouvernement que celui d'un parti, qui concentre tous les pouvoirs et qui entend asseoir sa domination dans les régions françaises.

M. Gilbert Meyer - Il l'a déjà dit !

M. le Président - Il a le droit de le redire ! Monsieur Vaxès, terminez je vous prie ; chacun vous a bien compris.

M. Michel Vaxès - Je pense pas qu'un texte de cette importance ait mérité, depuis sa première lecture, aussi peu de débats...

M. le Président - Je vous ai laissé tout-à-l'heure vous exprimer au-delà de votre temps de parole. Je vous prie donc de conclure.

M. Michel Vaxès - Au total, cet article 4 marque une avancée supplémentaire vers un système à l'_uvre depuis des décennies outre-Atlantique. Telle n'est pas notre conception de la démocratie, ni celle de l'immense majorité des citoyens français, désireux du pluralisme. Nous refusons votre projet d'appauvrissement de l'offre politique. Le système bipartisan bride les choix démocratiques. Aux Etats-Unis, il détourne des urnes plus de la moitié des citoyens. Ce modèle d'alternances molles n'a rien à voir avec la culture démocratique française, qui est marquée par des projets véritablement alternatifs. C'est cette possibilité d'alternative qui demain pourrait ramener les électeurs vers les urnes. C'est pourquoi nous demandons par l'amendement 2, la suppression de cet article (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).

M. le Rapporteur - La commission n'a pas examiné l'amendement, auquel je suis hostile. Revenir aux seuils de 5 % et 3 % serait tourner le dos à l'esprit du projet.

M. le Ministre - Avis défavorable.

L'amendement 2, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Michel Vaxès - L'amendement 3 est défendu.

L'amendement 3, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. le Ministre - L'amendement 1 est défendu.

M. le Rapporteur - Avis favorable.

M. René Dosière - Tout à l'heure, le ministre de l'intérieur, avec un peu trop de suffisance, a ironisé sur les positions du groupe socialiste en 1999 (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Le ministre a omis de rappeler qu'à l'époque, ses amis disaient pis que pendre du mode de scrutin proposé. Ils le trouvent excellent aujourd'hui ; je m'en réjouis, même si je trouve leur raisonnement un peu court.

Dans son texte initial, le gouvernement d'alors avait fixé le seuil à 10 % des suffrages exprimés. Nos partenaires de la majorité y étaient hostiles, tout comme nos adversaires de l'opposition, pour des raisons différentes. Le Gouvernement n'avait donc pas de majorité. Il avait alors le choix entre dialoguer avec sa majorité ou passer en force. Lionel Jospin n'a pas voulu utiliser l'article 49-3. Il avait pour l'Assemblée davantage de respect que son successeur. Nous avons choisi le dialogue, et non pas la contrainte. Si vous aviez recouru à la même démarche, vous auriez évité la censure du Conseil constitutionnel (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

L'amendement 1, mis aux voix, est adopté.

L'article 4 modifié, mis aux voix, est adopté.

Prochaine séance, ce soir, à 21 heures.

La séance est levée à 19 heures.

              Le Directeur du service
              des comptes rendus analytiques,

              François GEORGE

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne trois heures après la fin de séance.

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

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