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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2002-2003 - 95ème jour de séance, 227ème séance

1ère SÉANCE DU JEUDI 5 JUIN 2003

PRÉSIDENCE de M. Jean-Louis DEBRÉ

Sommaire

      DROIT D'ASILE 2

      EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ 9

      QUESTION PRÉALABLE 18

La séance est ouverte à dix heures.

DROIT D'ASILE

L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi modifiant la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952 relative au droit d'asile.

M. Dominique de Villepin, ministre des affaires étrangères - Chacun sait que la France, patrie des droits de l'homme est une terre d'asile, que le droit d'asile est un principe qui remonte à 1793 quand les Constituants proclamaient que « le peuple français donne asile aux étrangers bannis de leur patrie pour la cause de la liberté ».

Il faut pourtant raconter l'histoire de cet homme ou de cette femme que le fanatisme, l'intolérance ou la guerre a chassé de sa terre.

Au terme d'un voyage en forme de calvaire, il est arrivé chez nous pour franchir les portes d'une préfecture ou de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides. Il a raconté un itinéraire de douleur. On lui a remis un document provisoire et indiqué que la décision lui serait communiquée plus tard. C'était il y a près de deux ans. Dans l'incertitude et la précarité, il attend : il n'a qu'une autorisation provisoire de séjour et n'a pas le droit de travailler. Fragilisé, il est exposé à toutes les compromissions...

Pourtant, la France s'est engagée en signant la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur les réfugiés, puis en adoptant la loi du 25 juillet 1952, qui a créé l'OFPRA et la Commission des recours des réfugiés, la CRR.

Ce dispositif a été complété en 1998, notamment pour faire face à la crise algérienne. La loi Réséda a ainsi créé deux nouvelles formes d'asile : l'asile « constitutionnel » accordé par l'OFPRA à toute personne persécutée en raison de son action en faveur de la liberté ; l'asile territorial, accordé par le ministre de l'intérieur aux étrangers menacés dans leur pays ou exposés à des traitements inhumains ou dégradants.

Or, l'exercice du droit d'asile est en crise.

Nous sommes confrontés à quatre difficultés : notre dispositif est engorgé ; il rend ses décisions dans des délais trop longs ; il est source de détournements de procédure et de plus en plus coûteux.

L'engorgement. En cinq ans, le nombre de demandes d'asile conventionnel reçues par l'OFPRA est passé de 23 000 à 53 000. Les demandes d'asile territorial enregistrées par le ministère de l'intérieur ont atteint 30 000 demandes en 2002.

Comme l'a souligné M. Leonetti dans son rapport, notre pays est devenu l'un des premiers pays d'accueil d'Europe. Les équipes de l'OFPRA et de la CRR, comme celles du ministère de l'intérieur, sont submergées, malgré les nouveaux moyens mis en place par le Gouvernement depuis un an.

Les délais. Il n'est pas rare qu'il s'écoule dix-huit mois entre le dépôt d'une demande à l'OFPRA et la décision finale de la CRR. Pour l'asile territorial, les délais sont encore plus longs.

Pendant ce temps, quelles conditions de vie offrons-nous à ces femmes et à ces hommes ?

Les centres d'accueil sont saturés. Bien des demandeurs d'asile ont recours au dispositif d'accueil d'urgence prévu pour les sans-abri.

Détournements de procédure. Certes, l'afflux de demandeurs d'asile témoigne de l'aggravation des violations des droits de l'homme et des persécutions à l'échelle de la planète, mais les personnes réellement persécutées sont loin de représenter la majorité des demandeurs : alors qu'il reconnaissait le statut de réfugié pour près d'un dossier sur cinq il y a peu, l'OFPRA ne l'accorde plus qu'à moins de 13 % des demandeurs. Et pour l'asile territorial, le taux de décisions favorables n'a pas dépassé 0,3 % en 2002.

Beaucoup d'étrangers sollicitent notre système d'asile, non pour obtenir la protection de notre pays, mais pour des raisons d'ordre économique.

Hormis les Algériens, près de 90 % des demandeurs d'asile sont entrés irrégulièrement sur notre territoire grâce à des filières d'immigration clandestine, par voie terrestre ou aérienne : sur plus de huit cents demandes d'asile à la frontière reçues au mois d'avril à l'aéroport de Roissy, une trentaine seulement font l'objet d'un avis favorable du ministère des affaires étrangères.

La juxtaposition des procédures de l'asile conventionnel et de l'asile territorial permet aux demandeurs d'asile abusifs de se maintenir jusqu'à trois ans dans notre pays avant le rejet définitif de leur demande.

Soyons lucides : c'est le pacte social et républicain lui-même que ces errements mettent en péril.

Le dérapage des coûts, enfin. Ces réfugiés, maintenus dans une situation précaire n'ont pas accès au marché du travail alors qu'ils devraient trouver une vraie place dans notre société. Dépendants de notre aide sociale, ils contribuent à en déséquilibrer le financement : en deux ans, le coût du dispositif d'accueil est passé de 150 à 270 millions d'euros ; si rien n'est fait, cette tendance s'accentuera et cumulera tous les inconvénients : charge financière de plus en plus lourde, situation de moins en moins digne pour les réfugiés.

Le Président de la République l'a dit le 14 juillet dernier : cette situation est intolérable. Il faut y remédier, en trouvant un nécessaire équilibre entre la rigueur et la générosité.

C'est un dispositif rénové qui vous est soumis, autour de quatre objectifs : offrir une meilleure protection à ceux qui la méritent ; unifier nos procédures pour réduire les délais ; inscrire notre droit dans un cadre européen ; rationaliser les moyens alloués au dispositif.

Deux mesures essentielles illustrent la volonté du Gouvernement de mieux protéger les demandeurs d'asile : l'abandon - pour mieux appliquer la convention de Genève - du critère jurisprudentiel de l'origine étatique des persécutions pour l'octroi du statut de réfugié ; la substitution de la protection subsidiaire de l'asile territorial.

Le statut de réfugié pourra être accordé même si les persécutions proviennent d'acteurs non étatiques, comme c'est de plus en plus souvent le cas. Le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés ainsi que les associations et organisations d'aide aux réfugiés souhaitaient depuis longtemps cette évolution.

La protection dite « subsididiaire » - parce qu'elle sera accordée aux personnes qui ne remplissent pas les conditions d'octroi du statut de réfugié prévues par la convention de Genève - remplacera l'asile territorial. L'OFPRA vérifiera si le demandeur relève des critères de la convention de Genève avant d'envisager, si tel n'est pas le cas, l'octroi éventuel de la protection subsidiaire, dont les critères sont plus précis que ceux de l'actuel asile territorial, ce qui devrait diminuer le risque d'arbitraire.

Cette hiérarchisation témoigne de ce que le Gouvernement n'a aucunement l'intention de marginaliser la convention de Genève.

En outre, alors que l'asile territorial laissait une grande marge d'appréciation au ministère de l'intérieur, l'OFPRA sera tenu d'accorder la protection subsidiaire dès lors que les critères en seront réunis.

Les officiers de protection de l'OFPRA, spécialistes du droit d'asile, indépendants et bons connaisseurs des pays d'origine examineront désormais les demandes, tandis que les recours se feront devant la CRR avec un caractère suspensif, ce qui n'est pas actuellement le cas devant les tribunaux administratifs.

Certains se sont émus de ce que l'OFPRA reçoive la responsabilité de vérifier que la « présence du demandeur d'asile sur le territoire ne constitue pas une menace pour l'ordre public, la sécurité publique ou la sûreté de l'Etat ».

Il est essentiel que l'appréciation de la demande soit tout entière dévolue à l'OFPRA plutôt que de souffrir encore un démembrement de cette compétence qui occasionnerait divergences d'appréciation et délais. Et il me semble préférable que cette appréciation soit confiée à un agent indépendant dont la mission est de veiller à l'application du droit d'asile.

Il ne serait pas responsable d'ignorer en matière d'asile la sécurité de nos concitoyens. Nous savons tous que les déplacements internationaux comportent des risques de trafics et de violences. Reste à évaluer cette menace et à éviter qu'elle ne devienne un prétexte trop facile pour refuser l'asile. Le Gouvernement est prêt à réfléchir avec vous sur ce point.

En second lieu, pour unifier les procédures et réduire les délais d'instruction, trois innovations vous sont proposées.

Le Gouvernement veut instaurer un « guichet unique ». L'OFPRA sera donc seul compétent en matière d'asile conventionnel et de protection subsidiaire. Son encadrement sera renforcé, notamment par la création d'un véritable conseil d'administration. Y siégeront trois personnalités qualifiées, le représentant du HCR, ainsi que, ce qui est nouveau, un représentant du personnel de l'Office. Le Gouvernement soutiendra l'amendement de la commission assurant la présence d'au moins un représentant des associations compétentes.

A ce guichet unique correspondra une procédure unique. C'est à l'OFPRA qu'il appartiendra de qualifier la demande d'asile lors de l'instruction du dossier, évitant ainsi le dépôt de demandes successives sur des fondements juridiques différents, avec les abus qui en résultent.

Un recours juridictionnel unique, devant la CRR complétera ce dispositif.

J'ai entendu la préoccupation des rapporteurs, de nombreux représentants d'associations et de plusieurs parlementaires, quant à la présence du HCR au sein de cette juridiction : je ne m'opposerai pas à un amendement restituant au Haut Commissaire pour les réfugiés la responsabilité de désigner lui-même ses représentants au sein des sections de jugement de la CRR. Le Gouvernement se félicite de cette contribution de la commission des lois, qui lève l'ambiguïté sur la participation du HCR.

Cette rationalisation de notre système d'asile va permettre de raccourcir très sensiblement les délais d'instruction des demandes par l'OFPRA. Cette réduction ne se fera pas au détriment des demandeurs d'asile, au contraire, elle lèvera bien plus vite l'incertitude sur leur sort.

Elle ne sera en fait défavorable qu'à ceux qui misaient jusqu'à présent sur la longueur de la procédure pour se maintenir le plus longtemps possible sur notre territoire.

Je le répète, les garanties offertes aux demandeurs d'asile vont être étendues, puisque sont assurés un examen au fond de leur demande, la présence d'un conseil au cours des auditions et un recours juridictionnel à effet suspensif pour les deux types d'asile.

La question de la convocation pour audition de chaque demandeur d'asile a été posée avec insistance. Prévue dans le projet de loi initial, cette disposition en a été retirée car de nature réglementaire. Il faut savoir que le principe d'un entretien systématique avec chaque demandeur entraînerait des coûts supplémentaires de personnel, d'interprétariat, de locaux et donc par un accroissement des charges pesant sur le budget de l'Etat. Des efforts sont déjà en cours pour augmenter le nombre de convocations. Ayons donc en la matière des ambitions réalistes.

Notre troisième objectif est d'inscrire notre droit d'asile dans un cadre européen.

Avec le traité d'Amsterdam, nous nous sommes engagés dans une harmonisation des droits de l'asile et de l'immigration. L'expérience de Sangatte a montré les dérives auxquelles peuvent conduire les divergences entre Etats membres. Il faut absolument éviter ces flux secondaires de migration.

Le projet s'inspire donc de deux directives en cours de discussion à Bruxelles, portant l'une sur le statut de réfugié et la protection subsidiaire, l'autre sur les procédures d'asile.

Outre la création d'une procédure unique et de la protection subsidiaire, l'inspiration communautaire du projet se traduit par l'introduction de deux nouveaux concepts dans notre ordre juridique : l'asile interne et les pays d'origine sûrs.

Il faut en effet prendre en compte la diversité des situations dans les pays d'origine. Ce n'est pas parce qu'une partie de la Côte d'Ivoire ou de la République démocratique du Congo est en proie à la rébellion ou aux massacres que tous les citoyens de ces deux pays ont vocation à demander l'asile à la France.

Les concepts d'asile interne et de pays d'origine sûrs sont d'ailleurs déjà en vigueur chez la plupart de nos partenaires européens et reconnus par le HCR.

La notion d'asile interne permettra à l'OFPRA de refuser l'asile à une personne qui aurait accès à une protection sur une partie du territoire de son pays d'origine et qui pourrait y être renvoyée sans crainte d'y être persécutée.

La rédaction du projet garantit une application prudente car il sera procédé à une évaluation au cas par cas.

J'ai entendu les préoccupations des associations engagées dans la protection des demandeurs d'asile et je vous proposerai un amendement qui devrait mieux répondre au souci de prudence dans l'appréciation de cette possibilité locale d'asile.

Quant à la notion de pays d'origine sûr, chacun peut comprendre qu'une demande d'asile devra être traitée différemment selon que la personne provient d'un Etat de droit ou d'une dictature.

Un pays d'origine sûr est celui qui respecte les principes de liberté et de démocratie, les droits de l'homme et l'Etat de droit et où des persécutions ne peuvent être autorisées ni demeurer impunies.

Il ne s'agira pas de rejeter systématiquement les demandes d'asile déposées par des ressortissants de ces pays, mais simplement de les traiter selon une procédure accélérée, dite « prioritaire », avec la garantie d'un examen de fond de chaque dossier.

Nous devons aboutir rapidement à la fixation par l'Union européenne d'une liste commune de pays présumés sûrs, facilement révisable pour tenir compte des évolutions de la situation internationale.

En attendant, le conseil d'administration de l'OFPRA sera chargé d'établir cette liste à titre provisoire.

Le dernier objectif de la réforme est la rationalisation des moyens alloués au dispositif, afin de ramener à deux mois en moyenne le délai de traitement des dossiers par l'OFPRA.

Ce devrait être chose faite au 1er janvier 2004, grâce aux moyens, substantiels mais temporaires, qui ont été dégagés sur le budget 2003 pour traiter le grand nombre de dossiers en attente.

Au-delà, des moyens permanents seront nécessaires à l'OFPRA et à la Commission des recours pour absorber la charge supplémentaire issue de la réforme. La réduction de la durée des procédures devrait aboutir à celle du coût de la prise en charge sociale des demandeurs d'asile.

J'ai demandé au directeur de l'OFPRA, au président de la Commission des recours et à mes services d'élaborer rapidement, en liaison avec le ministère délégué au budget, un contrat d'objectif et de moyens, reposant sur une évaluation lucide de l'impact de la réforme et de l'augmentation des demandes et proposant des innovations dans l'organisation du travail. Les personnels seront évidemment associés à ce contrat.

Permettez-moi de rendre ici hommage à tous ceux qui assument chaque jour la lourde mission dévolue à l'Office, avec un dévouement exemplaire, un sens aigu de leurs responsabilités et le souci de préserver ce service public si particulier. Le Gouvernement veillera, dans un contexte budgétaire difficile, à leur donner les moyens adaptés à leur mission.

Les questions que nous évoquons aujourd'hui sont difficiles, elles concernent le destin d'hommes et de femmes qui souffrent et croient en la France.

C'est un système d'asile plus juste et plus efficace que le Gouvernement vous propose pour que la France reste fidèle à une tradition d'accueil qui a tant contribué à sa réputation.

Il ne faut plus que les désordres de notre dispositif d'asile soient porteurs d'injustices, d'inquiétudes et de précarité. Il faut au contraire qu'ensemble, nous redonnions à l'asile ses lettres de noblesse et que nous soyons fiers de ce droit si intimement lié aux valeurs et aux convictions que la France entend défendre à travers le monde (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Jean Leonetti, rapporteur de la commission des lois - Le droit d'asile est profondément ancré dans notre tradition républicaine, c'est un droit constitutionnel et une liberté fondamentale. Notre pays a toujours été un ardent défenseur des réfugiés et des combattants de la liberté : faut-il rappeler que la qualité de réfugié n'est pas octroyée, mais reconnue comme un droit ?

Pourtant, ces principes sont aujourd'hui en grande partie vidés de leur sens. Comme l'a relevé le Président de la République le 14 juillet 2002, quand quelqu'un demande l'asile, la décision prend dix-huit mois, c'est absurde.

Raccourcir les délais, faire face à l'augmentation des demandes tout en offrant toutes les garanties nécessaires aux personnes susceptibles de bénéficier d'une protection, harmoniser ces dispositions avec le droit européen, tels sont les objectifs de ce projet de loi.

Si l'on regroupe, en effet, les différentes formes d'asile, le nombre des demandeurs d'asile est passé de 17 405 en 1996 à près de 80 000 en 2002, dont la majorité proviennent d'Afrique.

Alors qu'au niveau européen, le nombre total des demandes d'asile reste stable, autour de 380 000 par an, la France, le Royaume-Uni, la Suède et l'Autriche connaissent une forte progression.

Le délai de traitement des demandes atteint en moyenne deux ans et participe à l'augmentation des coûts, qui ont doublé en deux ans pour atteindre 270 millions de francs.

Enfin, alors que le taux de réponses positives était en 1981 de 80 %, il est tombé à 17 %, après recours, pour l'asile conventionnel et à moins de 2 % pour l'asile territorial.

Menacé d'engorgement, cumulant le désordre et l'injustice, le dispositif français du droit d'asile doit être réformé, par respect pour les réfugiés et même pour les déboutés qui, reconduits tardivement aux frontières après avoir noué des liens dans le pays d'accueil, se retrouvent dans des situations humaines quelquefois dramatiques.

Le premier objectif de ce projet de loi est une meilleure efficacité, grâce à l'unification des procédures autour de structures rénovées.

Désormais, seul l'OFPRA traitera les demandes d'asile, y compris la « protection subsidiaire » ; celle-ci remplace l'asile territorial, qui était décidé par les préfectures - une décision non motivée et non susceptible de recours.

La reconnaissance de persécutions d'origine non étatique accroît les garanties offertes aux demandeurs d'asile par rapport à la précédente législation. C'est une avancée considérable, qui a été saluée comme telle.

La commission des lois a maintenu - et je remercie le ministre d'accueillir cet amendement avec bienveillance - le rôle du HCR au sein de la Commission des recours ; elle a aussi réaffirmé la possibilité pour les demandeurs d'asile de présenter tous les éléments à l'appui de leur demande et réintroduit les associations s'occupant de réfugiés dans le conseil d'administration de l'OFPRA, en y adjoignant deux parlementaires.

Si le directeur de l'office est nommé conjointement par les ministères de l'intérieur et des affaires étrangères, l'OFPRA reste sous tutelle du ministère des affaires étrangères.

Enfin, la confidentialité est assurée pendant toute la durée de la procédure et les informations ne sont transmises aux préfectures qu'à l'issue des recours.

Sur les 83 % de demandeurs d'asile déboutés, moins de 5 % sont renvoyés dans leur pays d'origine. la rigueur doit donc accompagner la générosité.

Par ailleurs, nous devons harmoniser les politiques européennes car si le nombre de demandeurs d'asile est stable dans l'Union, il fluctue en raison des disparités entre les législations nationales. Ainsi 2 % seulement des réfugiés de Sangatte demandaient l'asile en France, les autres souhaitant profiter des conditions plus favorables en Grande-Bretagne.

Le projet définit la notion d'asile interne : la demande peut être rejetée au motif que la personne peut trouver une protection sur une partie du territoire de son pays de la part d'acteurs non étatiques. Mais il faudra qu'il n'y ait « aucune raison » de craindre que la personne soit persécutée et qu'il soit « raisonnable » de penser qu'elle peut rester dans cette partie du pays. Cette notion sera donc utilisée avec prudence.

Le projet donne également une définition restrictive, donc protectrice du « pays sûr ». Il s'agit d'un pays respectant les principes de la liberté, de la démocratie, des droits de l'homme et de l'Etat de droit dans lequel on peut présumer que des persécutions ne sauraient être ni perpétrées, ni autorisées, ni laissées impunies.

Pour ne pas encombrer l'OFPRA et la Commission des recours de demandes manifestement infondées, Jean-Pierre Chevènement avait prévu la procédure d'examen des demandes dites prioritaires, c'est-à-dire accélérées, pour les ressortissants des pays devenus ou redevenus démocratiques comme la Roumanie.

Sous le terme de clause de cessation, existait déjà cette notion de pays sûr. Mieux vaut établir une liste évolutive que donner un pouvoir discrétionnaire de décision à une seule personne.

En attente d'une liste au niveau européen, la commission en a confié le soin à l'OFPRA à titre transitoire.

Cette réforme ne sera efficace qu'à plusieurs conditions : d'abord, les moyens matériels et humains doivent continuer à progresser en particulier pour la Commission des recours. Ensuite, les décrets d'application doivent donner des précisions sur la généralisation de la convocation à des entretiens et sur les délais de recours.

L'OFPRA et la Commission des recours, organismes indépendants et impartiaux, doivent pouvoir, après examen, rejeter les demandes relevant manifestement de détournements de procédure.

Enfin, le droit européen doit être harmonisé au plus vite, en particulier le droit du travail.

Ce projet, enrichi par les travaux de la commission des lois, remédie à de graves anomalies dans l'application du droit d'asile. Nous faisons ainsi progresser la cause de ceux qui sont persécutés dans leur pays (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Eric Raoult, rapporteur de la commission des affaires étrangères - La commission des affaires étrangères voulait s'assurer que cette indispensable réforme ne remettait pas en cause la tradition française en matière de droit d'asile, marquée par un fort attachement aux conventions internationales, notamment à la convention de Genève et par une culture de l'accueil, qui est inscrite dans la Constitution.

Pour ce faire, j'ai rencontré les promoteurs de la réforme, ainsi que des observateurs indépendants comme le délégué du Haut Commissaire pour les réfugiés en France, M. Boukry, le président de la commission sociale de l'épiscopat, Mgr Berranger, et les représentants des associations membres de la coordination française pour le droit d'asile. Par ailleurs je passerai trois jours dans les services de l'OFPRA à Fontenay-sous-bois en juillet pour évaluer les conséquences de la réforme.

De ces rencontres, ressort un constat partagé : le droit d'asile est en crise, l'augmentation du nombre de demandes ayant accru considérablement les délais d'instruction. Chacun s'accorde sur les avancées de ce projet, et d'abord l'unification des procédures d'asile conventionnel et d'asile territorial. Mais des craintes existent à l'égard de concepts nouveaux, comme l'asile interne ou les pays d'origine sûrs.

Or la réforme du droit d'asile en France ne peut pas être dissociée des évolutions en cours en Europe. On l'a dit, les demandes affluent dans les Etats où la législation est la plus attractive, comme le Royaume-Uni qui ne pratique pas de contrôles d'identité et accordait une autorisation de travail aux demandeurs d'asile jusqu'à juillet 2002.

En l'absence d'harmonisation, il est probable que des « transferts » auront lieu.

Ainsi, si le nombre de demandeurs d'asile a crû de 8 % en France en 2002, il a baissé, parfois de façon spectaculaire au Danemark, aux Pays-Bas, en Italie, voire en Allemagne, pays qui ont procédé à des réformes, qui reviennent parfois sur le principe de la liberté d'aller et de venir du demandeur d'asile, ce qui n'est absolument pas le cas avec ce projet.

Les pays européens évoluent clairement vers un encadrement plus strict du droit d'asile. Pour autant, il n'est pas question pour la France de renoncer à sa tradition d'accueil, ni à l'inspiration libérale de son système d'attribution du droit d'asile. La réforme, indispensable, ne le fait pas.

En effet, la France qui joue un rôle majeur dans l'élaboration de la convention de Genève de 1951, défend l'ardente obligation de protéger ceux qui en ont besoin. Aussi a-t-elle mis en place des procédures spécifiques pour l'attribution de la qualité de réfugié, alors que de nombreux pays européens laissent cette question à la police de l'immigration.

Le point fort du projet est l'unification du dispositif d'asile autour de l'OFPRA, qui sera désormais compétent pour les demandes d'asile formulées en application de la convention de Genève ainsi que pour l'asile subsidiaire, qui remplace l'asile territorial. Rappelons que ce dispositif créée en 1998 par la loi Chevènement pour répondre au problème spécifique de la persécution des démocrates algériens par le GIA a, si l'on en juge par un taux de rejet de 95 % à 98 %, été détourné de son objet.

Ce projet est favorable aux demandeurs. Jusque-là, les juridictions françaises n'attribuaient le statut de réfugié que si les persécutions étaient le fait d'un Etat. Cette notion de réfugié sera élargie.

Pour autant, le droit d'asile ne saurait constituer un moyen de régulariser une présence illégale sur le territoire français. Si tout réfugié peut éventuellement s'y installer, le retour dans un pays devenu démocratique est une autre solution. Le projet prévoit également que si des personnes peuvent obtenir une protection effective de la part d'organisations non étatiques, la France pourra refuser de leur octroyer la qualité de réfugié. Parallèlement, la notion d'asile interne permettra à l'OFPRA de refuser des demandes d'asile si le demandeur peut trouver un protection sur une partie de son territoire d'origine.

Dans cet esprit, il est utile d'instaurer une procédure d'examen plus rapide, et sans recours suspensif, pour les ressortissants de pays dits sûrs. Cette notion est très encadrée par le projet de loi et la commission des affaires étrangères a émis le v_u qu'une liste en soit établie, afin d'éviter une application trop subjective de ce concept.

Par ailleurs, il lui est apparu normal de permettre à l'OFPRA de communiquer au ministère de l'intérieur des documents d'état civil ou de voyage de personnes dont la demande d'asile a été rejetée, afin de permettre la mise en _uvre d'une mesure d'éloignement. Actuellement, 3 à 4 % seulement des demandeurs déboutés sont effectivement reconduits à la frontière.

La commission des affaires étrangères a estimé de façon unanime que le succès de cette réforme dépendrait des moyens accordés à l'OFPRA et à la Commission des recours.

Des crédits, non reconductibles, ont été inscrits dans la loi de finances 2003 afin de résorber le stock de dossiers en attente. Si cet effort n'est pas accentué en 2004, les délais de traitement des demandes ne pourront que s'allonger. Certes, la conjoncture budgétaire est difficile, mais la réforme du droit d'asile est une priorité, annoncée par le Président de la République en personne en juillet dernier.

Parce que la détresse des demandeurs d'asile commence à Haïti ou à New Delhi mais se termine bien souvent à Clichy ou à Bobigny, l'élu de Seine-Saint-Denis qu'est votre rapporteur pour avis vous invite à adopter ce projet (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Raoult remplace M. Debré au fauteuil présidentiel.

PRÉSIDENCE de M. Éric RAOULT

vice-président

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ

M. le Président - J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une exception d'irrecevabilité déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. Serge Blisko - Le droit d'asile, dont l'origine remonte aux cités grecques, est inséparable de la démocratie. Cet ultime droit de l'homme s'exerce lorsque tous les autres ont disparu, lorsque monte vers le ciel le cri des suppliciés.

La déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 l'énonce dans son article 14 : « Devant la persécution, toute personne a le droit de chercher asile et de bénéficier de l'asile en d'autres pays ». En conserver toute la force est essentiel pour l'image de la France. Votre projet ne le permet pas.

Je remarque avec plaisir, Monsieur le ministre des affaires étrangères, que c'est vous qui présentez le projet et non votre collègue de la place Beauvau dont on sait qu'il piaffait d'impatience de vous ravir la responsabilité du droit d'asile.

M. Christophe Caresche - Après l'éducation nationale !

M. Serge Blisko - Nous verrons, hélas, qu'il n'y a pas entièrement renoncé.

Vous paraissez fonder votre démarche sur une motivation quantitative, en affirmant que les demandeurs sont trop nombreux : 80 000 en 2001, dont 50 000 par la voie de l'asile conventionnel, et 30 000 par celle de l'asile territorial. Personne ne conteste ces chiffres, même s'il faut se méfier des doubles comptes. Cet afflux vers la France coûte de plus en plus cher, 270 millions, avez-vous dit.

Une autre motivation tiendrait à la mise en conformité avec l'esprit des dispositifs déjà adoptés en particulier par l'Allemagne, le Royaume-Uni et les Pays-Bas. En effet, la législation sur l'asile est demeurée de la compétence des Etats membres jusqu'au traité d'Amsterdam, dont l'article 63 a communautarisé le droit d'asile, avec période transitoire de cinq ans à l'issue de laquelle le Conseil des chefs d'Etat et de gouvernement pourra, après consultation du Parlement européen et à l'unanimité, décider de statuer désormais à la majorité qualifiée.

La France, qui a su résister lors de la crise irakienne à la pensée unique, doit résister au nivellement par le bas préparé par l'Union européenne. Pour commencer, refusons absolument l'amalgame entre asile et immigration, qui paraît sous-tendre le projet, tout comme l'idée, entretenue par beaucoup de nos collègues de la majorité, que tout candidat à l'asile est un fraudeur potentiel qui n'utilise la procédure d'asile que pour mieux détourner les lois sur l'immigration. Une troisième idée paraît être, au vu de votre projet et de celui que M. Sarkozy présentera sur l'immigration, que les réfugiés et les immigrés sont plutôt un mal pour notre pays alors qu'ils apportent à nos yeux beaucoup à la République.

Battons en brèche ces idées reçues. L'asile et l'immigration n'ont que peu de rapport. Ainsi, depuis les années 1952, arrivent en France entre 100 et 150 000 immigrés tous les ans par le biais des procédures légales. Le ministre de l'intérieur s'enorgueillit d'avoir fait baisser ce chiffre en un an de 120 000 à 100 000. Ce résultat ne tiendrait-il pas plutôt aux difficultés économiques accrues de la France ?

Au titre de la convention de Genève, depuis cinquante ans, le nombre des demandes d'asile varie beaucoup d'une année à l'autre, parce qu'elles dépendent des crises géopolitiques, des guerres civiles, des persécutions.

Ainsi, les demandeurs d'asile furent-ils très nombreux juste après la chute du mur de Berlin. Une crise grave secoua alors l'OFPRA, dont les effectifs furent renforcés par le gouvernement de Michel Rocard. Jusqu'en 1998, l'Office put ainsi traiter convenablement tous les ans 15 à 22 000 demandes d'asile. Par la suite, notamment en raison du conflit du Kosovo et à cause des désordres qui minent le Moyen-Orient, en particulier l'Afghanistan et l'Etat-fantôme du Kurdistan, ainsi que le Caucase et l'Asie centrale, le nombre des demandeurs d'asile conventionnel est passé de 31 000 en 1999 à 51 000 en 2002. Dans le même temps, les demandes d'asile territorial ont gonflé de 1 300 en 1998 à 31 000 en 2002.

Ce chiffres impressionnant ont eu pour effet d'« emboliser » totalement le travail de l'OFPRA et de la Commission des recours, ce qui, vous avez raison de le souligner, entraîne des délais de traitement insupportables, de dix-huit mois à deux ans en moyenne.

Pourtant, ce n'est pas parce qu'un dispositif est saturé ou coûte de plus en plus cher qu'il faut le modifier profondément sans analyser de très près la réalité. Il serait absurde que de restreindre un droit constitutionnel sous prétexte qu'un trop grand nombre de personnes veulent l'utiliser. A suivre ce raisonnement, il faudrait fermer les hôpitaux en cas d'épidémie, refuser d'enregistrer les plaintes dans les commissariats quand la délinquance augmente, radier les demandeurs d'emploi dans les agences de l'ANPE dès que le chômage croît... Personne n'y songe.

Aussi, pour résoudre le problème de l'OFPRA, aurait-il été plus simple de lui donner plus de moyens pour lui permettre, ce que vous faites partiellement, de résorber très vite les dossiers des demandeurs d'asile, comme l'avait fait le gouvernement Rocard. Un traitement juste mais rapide aurait de toute façon un effet dissuasif pour les « demandeurs abusifs », car il en existe bien entendu, qui tentent leur chance parce que le système est totalement engorgé, ce qui est une aubaine pour eux mais une grande gêne pour les autres.

En effet, déposer une demande d'asile ne garantit pas du tout son acceptation. Malgré leur crise de fonctionnement, l'OFPRA et la Commission des recours restent des filtres sévères qui permettent de distinguer les réfugiés, au sens de la convention de Genève, de ce que vous appelez les « faux réfugiés ». L'OFPRA, sans doute trop sévère, a donné son accord à moins de 13 % des demandeurs et, avec la Commission des recours, on arrive à peine à 17 %.

Asile et immigration ne se confondent pas, sinon dans le fantasme de certains de nos collègues : la carte d'origine des demandeurs d'asile montre, à l'exception des Algériens, qu'il ne s'agit pas des mêmes pays d'origine que ceux de l'immigration. Pour les pays classiques d'immigration, le taux d'accord est extrêmement faible. Sur les 3 000 personnes provenant de Chine, seules trente ont obtenu le droit d'asile. Sur les 2 413 Maliens, dont le pays vit en démocratie depuis plus de dix ans, grâce aux magnifiques efforts des présidents Konaré et Touré, dix seulement ont obtenu l'asile en France, et c'est sans doute normal.

Le record appartient aux Rwandais : 300 l'ont demandé, 85 % l'ont obtenu. Pour les 266 Cambodgiens, Laotiens et Vietnamiens demandeurs, le taux est de 57 %. On trouve aussi des Irakiens, et l'OFPRA fait même preuve de finesse par rapport aux ex-Yougoslaves puisque le taux moyen de 30 % atteint 60 % quand ils arrivent de Bosnie. Citons aussi les originaires de la République démocratique du Congo, les Tchétchènes, quelques dizaines d'Afghans.

Ainsi, l'OFPRA travaille trop lentement, mais parvient à faire la différence entre asile et immigration et sait reconnaître « là où notre siècle saigne », comme le disait Aragon. Au total, la France, qui représente 5 % du PNB mondial et 1 % de la population mondiale, accueille aujourd'hui 130 000 réfugiés au titre de la convention de Genève, soit 0,5 % d'un total de 22 millions, contre 180 000 en 1986 et près de 400 000 au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.

La patrie des droits de l'homme n'est donc pas submergée par les réfugiés. Trois quarts des réfugiés sont accueillis dans les pays du tiers-monde : 2 millions au Pakistan, près de 2 millions en Iran et des centaines de milliers dans les Etats voisins du Congo-Kinshasa.

M. Leonetti a montré que le phénomène se stabilise en Europe. Alors qu'un pic de 692 000 demandes avait été enregistré dans l'Union européenne en 1992, ce chiffre n'atteint que 380 000 en 2002, composé en majorité de ressortissants afghans, yougoslaves et russes, Irakiens et Turcs. Pour ces deux dernières nationalités, il s'agit en vérité de Kurdes.

Reste le problème très particulier de l'asile territorial, mis en place par le précédent gouvernement pour les personnes menacées dans leur pays, non par l'autorité étatique mais par des mouvements terroristes. Ainsi, trois-quarts des 30 000 demandeurs d'asile territorial de ces dernières années sont des algériens menacés parce que francophones, libres-penseurs, femmes émancipées, journalistes... 1 % à 2 % seulement de ces demandes ont reçu une réponse positive.

Réfugiés et immigrés, dit-on souvent, sont source d'ennuis, porteurs de bien des maux. Or contrairement à ce qui est affirmé depuis vingt ans et répété démagogiquement par le ministre de l'intérieur, la France a plutôt un faible taux d'immigrés, compte tenu de la fermeture théorique des frontières à l'immigration depuis juillet 1974. Les flux migratoires sont cinq fois plus importants en Allemagne, deux fois plus en Grande-Bretagne et davantage encore en Espagne, en Italie, ou en Grèce.

Dans les années 1930, les politiques restrictives que notre pays avait mises en place par malthusianisme et déjà sous la pression de l'extrême-droite, nous ont conduits à refuser d'accueillir des dizaines de milliers d'Allemands ou d'Autrichiens fuyant le nazisme. La plupart est partie en Angleterre ou aux Etats-Unis où ils ont contribué à l'essor culturel de ces pays. Sait-on qu'un quart des prix Nobel américains font partie de ces réfugiés ? Beaucoup ont regretté de n'avoir pas été accueillis en France à ce moment-là. Pire encore, le régime de Vichy a persécuté Allemands et Autrichiens antinazis et les a remis aux nazis, comme le relate Anna Seghers dans son beau roman Transit. A la fin de la Seconde Guerre mondiale, le souvenir brûlant de ces épisodes peu glorieux avait fait mûrir dans notre pays la volonté, exprimée notamment par René Cassin, de devenir exemplaire dans ce domaine.

Aujourd'hui, je regrette que l'on parle davantage de chasse aux fraudeurs que de droits de l'homme, alors que le nombre de réfugiés n'a jamais été aussi important dans le monde, passant de 1 million en 1951 à 22 ou 23 millions.

L'Europe a redécouvert, après la chute du mur de Berlin, que ce phénomène n'était pas réservé aux dictatures du tiers-monde ou aux affres de la décolonisation. De 500 000 en 1990, le nombre de réfugiés est remonté à 5 millions en 1994, témoins des désordres affectant notre continent.

En restant muet sur le grand dérangement du monde que vous connaissez mieux que personne, l'exposé des motifs projet se borne à un raisonnement un peu étriqué : il y en a trop, ça coûte cher et en plus ce sont des fraudeurs !

Le deuxième présupposé est que l'on ne peut guère faire mieux, en raison des contraintes européennes qui devraient aboutir à un statut commun au 1er mai 2004, à l'issue d'une communautarisation marquée par les accords de Schengen en 1985, le mécanisme de Dublin en 1990 et le traité de Maastricht du 7 février 1992.

Ainsi, aux termes du traité d'Amsterdam, les questions relatives au droit d'asile et à l'immigration, hélas mélangées, relèvent désormais de politiques communautaires, en vue de rapprocher les législations et les pratiques mais aussi, à terme, de transférer définitivement cette prérogative des Etats aux institutions européennes. A l'échéance de la première phase d'harmonisation, le 1er mai 2004, un règlement devra avoir défini les critères permettant de déterminer l'Etat responsable de l'examen de la demande d'asile, ainsi que les normes minimales communes - minimales seulement !- pour l'accueil des demandeurs, pour les procédures et pour les critères de reconnaissance de la qualité de réfugié.

En raison des sanctions prises contre les transporteurs acheminant des personnes dépourvues de documents d'entrée et d'une politique des visas restrictive, les demandeurs d'asile sont contraints pour la plupart de franchir illégalement les frontières et donc de recourir aux filières de passeurs, parfois au prix de leur vie. Ainsi, en 2002, 11 000 personnes sont entrées sur notre territoire en passant par Roissy, ce qui implique que 40 000 demandeurs d'asile conventionnel entrent par la voie terrestre, clandestinement le plus souvent.

Si lors du Conseil de Tampere, en octobre 1999, les chefs d'Etat et de gouvernement ont, dans un esprit « libéral » au sens où M. Raoult a employé le mot, réaffirmé leur attachement à la convention de Genève et leur solidarité à l'égard des réfugiés, les préoccupations sécuritaires, l'ont emporté après le 11 septembre et à Laeken, en décembre 2001, les Quinze ont décidé que la construction d'un système d'asile devait prendre en considération un critère nouveau, la sécurité intérieure de l'Union, ainsi que les capacités matérielles d'accueil.

L'expérience montre que les propositions de la Commission sont dénaturées en cours de route, les Etats membres les réduisant au plus petit commun dénominateur. C'est ainsi que, dernièrement, l'Allemagne et le Royaume-Uni sont venus, pour des raisons internes, au secours de la France afin d'écarter du droit au travail les demandeurs d'asile. Les Etats se repassent le mistigri !

Malgré la très proche arrivée à échéance de la première phase d'harmonisation dans un dernier réflexe souverainiste, les Etats membres de l'Union ne se sont pas privés de modifier leur législation dans un sens défavorable aux demandeurs d'asile. Le Royaume-Uni a privé ceux-ci de l'accès au marché du travail, le Danemark a supprimé l'asile diplomatique, l'Allemagne a revu les conditions de séjour des réfugiés, L'Italie a durci les conditions d'entrée, et, en Autriche, le statut social des demandeurs a été précarisé... Et voici que la France fait de même : s'agissant du droit d'asile, vous proposez, sous prétexte de modernisation, un texte qui bafoue notre Constitution et nos principes fondamentaux.

Monsieur le ministre, je vous en conjure, ne laissez pas renier « nos valeurs les plus nobles ». Nous devons penser en cet instant à « ceux pour qui, les mots « liberté » et « France » sont synonymes d'espoir », comme vous l'avez déclaré à Genève le 24 mars dernier.

Rappelons des choses simples mais essentielles : des propositions, fussent-elles européennes, surtout lorsqu'elles ne sont pas encore signées ni ratifiées, ne sauraient primer sur notre charte fondatrice ni sur nos principes de valeur constitutionnelle.

En premier lieu, le droit d'asile fait partie du bloc de constitutionalité. C'est pour la France un devoir affirmé comme tel par le Conseil constitutionnel. Dans sa décision du 5 mai 1998, celui-ci a posé, en effet que la France peut négocier l'organisation ou la mise en _uvre du droit d'asile, comme le prévoit d'ailleurs la convention de Genève, mais qu'elle ne peut en aucun cas déléguer ses prérogatives quant à l'appréciation des conditions d'attribution de la qualité de réfugié. Notre pays ne peut donc se soustraite à l'obligation d'examiner individuellement toutes les demandes d'asile qui lui sont présentées. A l'occasion de la révision constitutionnelle de 1993, ce principe a été solennellement réaffirmé : la France doit offrir au demandeur d'asile, comme au réfugié, un véritable statut comprenant la liberté d'aller et venir, la mise à disposition de tous les documents utiles, une information suffisante et bien évidemment la garantie des droits de la défense. Le 22 avril 1997, le Conseil a jugé qu'il incombait au législateur de transcrire dans la loi ces garanties constitutionnelles.

Autant de principes simples que vous semblez oublier dans ce projet.

D'autre part, ce texte aboutira à distinguer deux catégories de réfugiés dans la mesure où il propose, à côté du droit d'asile, un « sous-droit » d'asile, alors que le concept, pour le Conseil constitutionnel, est un et indivisible.

Vous m'opposerez que la loi de 1998 a créé, à côté de l'asile « convention de Genève », un asile territorial destiné à étendre la notion de réfugié...

M. le Rapporteur - Vous lisez dans nos pensées !

M. Serge Blisko - Mais il s'agissait de répondre à des situations exceptionnelles, où l'agent de persécution n'était pas étatique. Même si le dispositif a mal fonctionné, il fut regardé à l'époque comme un progrès et vous semblez poursuivre dans cette voie en posant dans le présent projet que les personnes persécutées par un agent non étatique méritent protection. En fait, par ce moyen, vous manipulez l'ensemble du droit d'asile pour l'affaiblir, rompant ainsi avec l'esprit de la loi Reseda. En effet, généralisant la notion d'asile territorial, au lieu d'étendre les droits reconnus au réfugié, vous restreignez la portée du droit d'asile. Paradoxe extrême : le risque encouru par ceux qui agissent pour la liberté n'est plus un critère permettant de leur ouvrir nos frontières. On exigera en effet du demandeur la preuve complémentaire que sa vie ou son intégrité physique sont menacées.

Et vous ne vous arrêtez pas là. Vous vous apprêtez à dire à un demandeur d'asile : « Vous avez droit à l'asile, mais pas chez nous » - c'est la notion d'asile « subsidiaire » - ou encore : « Vous avez le droit de demander l'asile, mais sachez que vous ne l'aurez pas » - c'est la notion, terriblement contestable, de pays « sûr ».

Introduite au troisième alinéa du III de l'article premier, cette notion est parfaitement étrangère à notre droit. De plus, l'OFPRA devra prendre en compte des données dont elle n'aura pas la maîtrise - elle ne dispose pas de toutes les informations que reçoit le ministre - et, pour la France, il s'agira de porter un véritable jugement, ce qui sera difficile à gérer diplomatiquement. Comment expliquer aux pays avec lesquels nous avons des relations commerciales importantes et où vit une communauté française expatriée, qu'ils cessent tout à coup d'être considérés sûrs ? Ce concept, qui ne saurait être que subjectif, induira une rupture d'égalité dans la mesure où, pour des situations identiques, les solutions seront nécessairement différentes. Imaginez-vous par exemple de refuser à la Côte d'ivoire la qualité de « pays d'origine sûr » ou de la déclasser suivant l'avancée des forces rebelles ? Et la Tunisie où les ONG ne peuvent contrôler le respect des droits de l'homme, est-elle sûre ou non ? Les critères de l'Union vous interdisent de la qualifier de pays d'origine sûr : sommes-nous prêts à l'assumer, compte tenu de nos liens avec ce pays ? Quand on sait les difficultés que pose au GAFI l'établissement de listes de pays sûrs, est-il si utile de s'enfermer dans un système similaire ?

C'est peu dire que cette disposition porte en elle-même un germe d'anticonstitutionnalité : elle génère des discriminations insupportables et est contraire à l'idée que le Conseil constitutionnel se fait de la souveraineté.

En effet, dans sa décision du 31 décembre 1997, celui-ci a déclaré contraire à la Constitution « le transfert de compétences au profit de la Communauté dans les domaines de l'asile... », par un vote à la majorité se substituant à un vote à l'unanimité dès mai 2004, dans la mesure où se trouveraient « affectées les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale... ».

L'étendue d'un droit constitutionnel ne peut dépendre d'une décision de l'Union, surtout lorsque le vote à la majorité doit être mis en _uvre cinq mois après l'entrée en vigueur de la loi !

En clair, le Conseil réaffirme qu'il est des domaines, tel le droit d'asile, dans lesquels la France ne peut envisager de se défaire de sa souveraineté, quelles que soient les modalités de ce transfert !

La notion de pays sûrs n'est acceptable, juge également le Conseil, qu'en matière de délivrance de visa dans les pays tiers, car le problème posé n'est pas le même.

En résumé, le législateur ne peut, s'agissant d'un droit constitutionnel, refuser de définir la notion de pays considéré comme sûr, ni transférer cette compétence à l'Union. Or le projet de loi renvoie à celle-ci le soin d'établir cette liste. Outre le fait que cette délégation n'a ni base constitutionnelle ni fondement européen, il n'est pas possible de faire dépendre la portée d'un droit constitutionnel de décisions prises à l'étranger.

En tout état de cause, ce mécanisme est contraire à la Constitution car il aura pour effet d'affaiblir le droit d'asile. Or, le 13 août 1997, le Conseil a estimé que « le législateur ne peut se contenter d'appliquer une convention internationale car il a le devoir absolu d'assurer en toute circonstance l'ensemble des garanties légales ». Dans sa décision du 3 septembre 1986, il avait déjà indiqué que, le droit d'asile étant un principe de valeur constitutionnelle, mis en _uvre par des conventions internationales et par la loi interne, chaque organe de l'Etat français avait en charge de veiller à l'application de ces conventions internationales « dans le cadre de leurs compétences respectives ». En conséquence, le législateur ne peut dénaturer, gravement méconnaître ou affaiblir les garanties accordées. Il peut seulement en réglementer les conditions d'exercice « en vue de le rendre plus effectif ou de le concilier avec d'autres règles de valeur constitutionnelle ». C'est le fameux « effet-cliquet » !

Si on poursuivait le raisonnement jusqu'à son terme, l'établissement d'une liste des pays considérés comme sûrs, qui inclut déjà les pays membres de l'Union européenne, auxquels s'ajouteront bientôt les dix Etats candidats à l'adhésion, aurait pour effet de faire disparaître le droit d'asile en France.

Ce projet résulte, me semble-t-il, d'une confusion entre la question du droit d'asile et celle de l'immigration. Le droit d'asile résulte du fait que le demandeur n'a pas d'autre solution, alors que l'immigration résulte d'un choix ; en conséquence, le premier s'impose à la France, sous réserve des vérifications nécessaires, tandis qu'il nous est possible de refuser la seconde, eu égard notamment à la situation de l'emploi.

Vous nous proposez deux statuts, l'un et l'autre en deçà des garanties reconnues par le Conseil constitutionnel et la convention de Genève. Vous nous présentez le premier, le plus noble, comme l'équivalent du droit d'asile actuel, mais il est en réalité rogné par l'introduction de l'asile interne, qui nous fait peur puisqu'il autoriserait la France à refuser l'asile à des personnes dont l'OFPRA a pourtant reconnu l'éligibilité. Où renvoyer un Kosovar sans qu'il ait à passer par Belgrade ? Que dire du Kurde de Turquie à qui l'on désignerait Dyarkarbir comme place sûre ?

On ne peut pas dire à un demandeur d'asile « Monsieur, Madame, vous avez droit au statut, mais pas chez nous » ! Peut-on imaginer une seconde que cela soit conforme à la Constitution ?

Je ne voudrais pas terminer mon propos sans vous faire par d'une réelle inquiétude concernant le poids du ministère de l'intérieur dans les procédures d'asile.

Vous renforcez la mainmise du ministère de l'intérieur sur l'OFPRA, dans un domaine qui relève du ministère des affaires étrangères. J'en veux pour preuve le nouveau système de nomination de son directeur, sur proposition conjointe. L'OFPRA n'est pas une autorité administrative indépendante.

Par ailleurs, vous ouvrez au ministre de l'intérieur un droit de recours contre une décision de l'OFPRA qui aurait le malheur de lui déplaire. Compte tenu de la présence du ministère de l'intérieur dans les organes de l'Office, c'est un moyen de remettre en cause sa propre décision...

Je m'étonne également de la modification de la composition de la Commission des recours et de la place limitée du représentant du HCR. Laissons le HCR nommer son représentant ! Mais sur ce sujet, je vous remercie des annonces que vous venez de faire.

Enfin, comment osez-vous prévoir la transmission au ministère de l'intérieur de documents d'état civil ou de voyage des demandeurs d'asile déboutés ? Sans doute souhaitez-vous ainsi rendre effective une mesure d'éloignement mais serez-vous en mesure de résister aux demandes de transmissions d'information dans le cadre d'Europol ou d'Interpol ? On peut en douter ; l'étranger débouté et sa famille courront donc de grands dangers.

Dans sa décision du 22 avril 1997, le Conseil constitutionnel a affirmé que tout document nécessaire à la mise en _uvre des mesures d'éloignement des personnes dont la demande d'asile aurait été rejetée porterait atteinte à une garantie essentielle du droit d'asile, celle qui touche à la confidentialité des éléments d'information détenus par l'OFPRA relatifs à la personne sollicitant en France la qualité de réfugié. C'est une décision de bon sens, comme le prouve l'affaire du GAL : de 1983 à 1987, des informations nominatives concernant des militants basques réfugiés en France furent vendues par des policiers français à ce groupuscule antiterroriste mis sur pied par le gouvernement espagnol ; résultat des dizaines de réfugiés furent exécutés en France sur ordre de cette officine. Le gouvernement espagnol a fait amende honorable et a condamné les auteurs de cette opération.

Je suis vraiment très choqué, comme l'ensemble de mes collègues du groupe socialiste, par cette infiltration de l'OFPRA par le ministère de l'intérieur. Le droit d'asile n'est pas un volet ordinaire de la sécurité intérieure, et le demandeur d'asile, qui dévoile son identité dès la frontière passée, ne doit pas être confondu avec un immigré clandestin. Nous savons que dans le monde entier, les policiers n'aiment pas les demandeurs d'asile, auxquels la convention de Genève reconnaît des droits exceptionnels eu égard aux risques qu'ils encourent : droits aux faux visas, à une fausse identité, droit de franchir les frontières sans visa. Ces gens fuient vers l'Europe des Lumières, et plus spécialement vers la France, qu'ils ont appris à aimer du fond de leur nuit, peut-être et apprenant par c_ur l'article 120 de la Constitution du 24 juin 1793 qui proclame que « le Peuple français donne aide aux étrangers bannis de leur patrie pour cause de la liberté. Il la refuse aux tyrans ».

Monsieur le ministre, que vont-ils trouver en arrivant dans notre pays ? Des policiers qui dans les zones d'attente, les terrifiantes SAPI de Roissy, les dissuaderont trop souvent de faire une demande d'asile. Passeront-ils cet obstacle, ils devront attendre longtemps, très longtemps leur convocation devant l'OFPRA, lequel ne réussit à convoquer pour un entretien que 60 % des demandeurs, faute de moyens - mais vous vous êtes heureusement engagé à les augmenter.

Où peuvent-ils être hébergés ? Seuls 10 000 d'entre eux trouvent une place en centre d'accueil des demandeurs d'asile. Or les chances d'obtenir le statut de réfugié varient suivant le type d'hébergement : on a 70 % de chances si l'on est hébergé dans un CADA géré par France terre d'asile, 50 % dans un CADA géré par une autre association comme Lyon-Forum-Réfugiés, moins de 20 % quand on est à la rue ou chez des amis.

Les déboutés du droit d'asile restent en France pour plus de 80 % d'entre eux, alimentant la cohorte des « sans-papiers », c'est-à-dire des immigrés en situation irrégulière, après avoir épuisé tous les recours. Ni réfugiés, ni expulsables parce que le retour dans leur pays d'origine est risqué. A trop verrouiller le droit d'asile, on crée des réfugiés sans droit.

La France a été longtemps le phare du continent européen pour ce qui concerne l'accueil et la protection des étrangers exilés. L'Europe occidentale d'hier avait fondé la convention de Genève pour oublier l'Europe d'avant-hier, celle qui n'avait pas voulu accueillir les 4 500 juifs allemands partis de Hambourg sur un vieux cargo, l'Altona. Parfois la France hésite et nous ne reconnaissons pas son visage, mais le plus souvent, elle est grande, en restant fidèle à ses valeurs ; elle est grande quand elle accueille plusieurs centaines de milliers de républicains espagnols en 1939. Ils furent nombreux, ces exilés, à rejoindre les jeunes Français dans les maquis et dans les chars qui libérèrent Paris en août 1944. Et nous saluons avec vous les combattantes de la Liberté, comme Ingrid Bettancourt, Rigoberta Menchu ou Aung San Sui Kyi.

Une personnalité hors du commun vient de disparaître, le prince Sadruddin Aga Khan, Haut Commissaire aux réfugiés, qui partout dans le monde a porté le message de l'universalité des droits de l'homme. Nous aurions souhaité que la nécessaire amélioration des procédures de demande d'asile dans notre pays s'inscrive dans le droit-fil de son _uvre. Nous regrettons cette occasion manquée.

M. le Ministre - Il s'agit bien de faire en sorte que la France puisse être pleinement fidèle à sa vocation.

Le projet qui vous est soumis, à quelques détails près, est celui qu'a adopté, le 10 avril, l'assemblée générale du Conseil d'Etat, après un examen exigeant. Si des inquiétudes se sont exprimées, c'est sur les moyens, non sur les principes.

La plupart des notions qui viennent d'être contestées ne font qu'anticiper le droit communautaire de l'asile qui sera adopté avant la fin de l'année, conformément au Conseil européen de Séville. En retarder l'application serait différer inutilement une réforme nécessaire. Ce serait également prendre le risque de la non-harmonisation des droits respectifs des pays de l'espace Schengen.

M. Blisko demande la suppression de la référence à l'asile interne qui, selon lui, réduirait l'efficacité du droit d'asile et reposerait sur une évaluation subjective et circonstancielle de la situation internationale.

Notre monde a changé, depuis la conclusion de la convention de Genève. Il faut prendre en compte ces changements. Le bénéfice de la protection a ainsi été élargi aux personnes victimes de persécutions d'origine non étatique. De même, si un demandeur d'asile peut accéder à une protection sur tout ou partie de son territoire d'origine, l'OFPRA pourrait lui refuser le statut de réfugié - pourrait, et non devrait. Un examen de la demande au fond est bien prévu.

Je suis au demeurant disposé à mieux cerner la notion d'asile interne et cela fera l'objet d'un amendement. Il faut que l'évaluation des possibilités d'asile interne se fasse en fonction des évolutions les plus récentes de la situation dans le pays d'origine et de la situation personnelle du demandeur. Mais l'asile interne recueille d'ores et déjà l'accord de tous les Etats de l'Union.

M. Blisko s'est ému de ce que les agents de protection ne se réduiront plus aux seuls Etats. La protection connaît, elle aussi, de nouveaux acteurs : le HCR ou l'ONU. Cette externalisation ne conduit pas à amoindrir le droit d'asile.

M. Serge Blisko - Elle nous fait peur.

M. le Ministre - Une protection non étatique peut être efficace. La France a tiré les leçons de Sebrenica. Nos interventions - directement ou sous l'égide de l'ONU - sont très fréquentes. Songez au Kosovo ou à l'Afghanistan. Un bataillon français sera bientôt détaché au nord-est du Congo, dans le cadre d'une force multilatérale pour arrêter les massacres qui s'y déroulent.

M. Blisko demande la suppression de la notion de « pays d'origine sûr » au motif qu'elle serait contraire au préambule de la Constitution. Mais de quels pays parlons-nous ? De ceux où n'existe pas de risque sérieux de persécution. Cette notion, déjà utilisée par certains de nos partenaires européens, renvoie à l'idée de pays stables, disposant de structures démocratiques. Elle permet de traiter les demandes d'asile en procédure accélérée ou prioritaire. L'OFPRA aura quinze jour pour statuer, voire moins si la personne est placée en centre de rétention administrative. Les demandeurs d'asile auront la garantie d'un examen au fond de leur demande. Il n'est donc pas question de rejeter automatiquement une demande, au motif qu'elle serait présentée par une personne venant d'un pays d'origine sûr. Et je vous confirme que la liste de ces pays sera arrêtée au niveau communautaire selon des critères et une procédure en cours de discussion.

M. Blisko estime ensuite que l'OFPRA ne devrait pas avoir à examiner les menaces contre l'ordre public. J'ai déjà souligné combien il est essentiel, pour le Gouvernement, que l'appréciation de la demande soit tout entière dévolue à l'OFPRA plutôt que de souffrir un démembrement qu'entraînerait des délais trop longs. Quant à exclure le paramètre de la sécurité de nos concitoyens, ce ne serait pas réaliste. La loi Reseda elle-même avait d'ailleurs intégré cet aspect du problème.

Le ministère de l'intérieur applique et appliquera les décisions de l'OFPRA et de la Commission des recours. Une cellule du ministère, placée sous l'autorité du directeur de l'OFPRA, assurera la liaison quotidienne avec les préfectures. Elle veillera à l'application des décisions de l'OFPRA et de la Commission des recours, notamment pour la délivrance de documents de séjour mais aussi pour la reconduite à la frontière.

Corollaire logique, le droit de recours contre les décisions de l'OFPRA ne sera plus réservé aux seuls déboutés du droit d'asile. L'OFPRA rend et rendra ses décisions en toute indépendance, mais si l'Etat s'oppose à l'une d'entre elles, il pourra désormais porter le désaccord devant le juge indépendant qu'est la commission des recours.

M. Blisko a souhaité que le HCR soit représenté au sein des sections « Jugements » de la Commission et que le Haut Commissaire nomme lui-même ses représentants. Il n'est pas dans nos intentions de marginaliser le rôle du HCR. Au contraire, sa présence au sein du conseil d'administration de l'OFPRA est réaffirmée. Son rôle, au sein de la CRR, est élargi. La Commission, à partir du 1er janvier 2004, connaîtra tous les recours contre toutes les décisions de l'OFPRA et la mission de surveillance du HCR sera élargie à la protection subsidiaire. Compte tenu de cette extension de compétence, certains juristes se sont demandé s'il était encore possible, pour des raisons constitutionnelles, de maintenir en l'état le mode de désignation des représentants du HCR à la Commission des réfugiés, dès lors que la justice de notre pays est rendue « au nom du peuple français » ?

Le projet a donc prévu que les assesseurs du HCR seront désormais proposés par le Haut Commissaire, mais désignés par le vice-président du Conseil d'Etat, ce qui est un gage supplémentaire d'indépendance. Le Gouvernement ne s'opposera pas à un amendement qui pourrait préserver au mieux la participation du HCR dans la nomination de ses assesseurs.

M. Blisko s'est inquiété du rôle de la place des associations au sein du futur conseil d'administration de l'OFPRA. Les trois personnalités qualifiées qui seront nommées par décret sur proposition du ministre des affaires étrangères le seront en fonction de leur compétence. En outre, la commission des lois a adopté un amendement qui assure la présence d'un représentant des associations, et le Gouvernement l'accepte.

Rien, dans l'esprit ou la lettre de cette réforme, ne me paraît contraire à la Constitution et j'invite votre assemblée à rejeter cette exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Christian Vanneste - M. Blisko me paraît animé par un sentiment contradictoire. Il a manifesté un soupçon habituel en prétendant que le projet confond asile et immigration, puis il a parlé d'une « infiltration » de l'OFPRA par le ministère de l'intérieur. Nous sommes habitués à cette prévention systématique, pour ne pas dire instinctive, à l'égard de la police nationale.

M. Blisko a enfin prétendu que le projet « bafoue les droits constitutionnels », ce qui me paraît bien excessif.

Mais M. Blisko s'est montré également satisfait de voir ce projet de loi présenté par le ministre des affaires étrangères et non pas celui de l'intérieur. Notre volonté était donc bien de séparer les questions du droit d'asile et de l'immigration.

Ce projet vise à ce que le traitement des demandes d'asile soit suffisamment respectueux à l'égard des demandeurs.

M. Blisko a donné une vision un peu rapide de la situation actuelle en disant que de nombreux pays connaissent une situation troublée. On pourrait aussi donner l'argument inverse : la grande nouveauté, c'est qu'il y a de plus en plus de démocraties sur la planète - et donc plus de liberté de circulation, ce qui encourage l'immigration économique.

Il est vrai aussi qu'il y a de plus en plus de pays à situation instable, où l'Etat ne contrôle pas la totalité du territoire, ce qui justifie l'asile interne.

J'ai reçu un jour un Kosovar albanais qui voulait demander l'asile... parce qu'il avait collaboré avec les Serbes ! En fait, il venait en France chercher du travail. On voit bien que le nombre des demandes d'asile évolue dans chaque pays en fonction du contexte économique et de la législation sociale. Pourquoi Sangatte ? Parce qu'en Grande-Bretagne le demandeur d'asile a le droit de travailler au bout de six mois ! Inversement quand la législation devient plus restrictive, le nombre des demandes d'asile baisse. Entre 1998 et 2001, il a ainsi diminué de 10 % en Allemagne et de 28 % aux Pays-Bas, alors qu'il augmentait de 235 % en France !

Vous dîtes que le droit d'asile fait partie du bloc de constitutionnalité, mais c'est vous qui, en 1998, avez institué deux statuts différents !

Vous dénoncez une atteinte à la souveraineté nationale - ce qui fait sourire de votre part ! Mais il faut prendre en compte la convergence des droits des pays européens, tout en se réservant une marge de man_uvre, comme le fait M. Mariani dans sa proposition d'amendement. C'est ainsi que la commission n'a pas admis la notion de pays tiers « sûr ». Mais s'appuyer sur une notion exacerbée de la souveraineté, c'est bien une réalité magnifique, la constitution d'un espace européen de droit et de liberté. Le groupe UMP rejettera l'exception d'irrecevabilité.

M. André Gerin - Le groupe communiste votera cette exception d'irrecevabilité. Où est passé, dans ce projet, l'esprit de générosité et d'hospitalité de notre pays ? Au-delà des propos rassurants du ministre, dont j'apprécie par ailleurs la politique étrangère, il y a trop d'hypocrisie et d'amalgames. On multiplie les mesures restrictives qui discréditent l'idéal démocratique et on stigmatise les demandeurs d'asile en les amalgamant aux immigrants.

Pour notre part, nous avons toujours revendiqué l'abrogation des lois Pasqua-Debré et regretté que le gouvernement Jospin ne l'ait pas réalisée (Interruptions sur les bancs du groupe UMP).

Le processus qui se met en route avec ce projet et celui qui va être présenté sur l'immigration nous paraît très dangereux.

M. Christophe Caresche - La défense d'une exception d'irrecevabilité est parfois un exercice un peu formel mais, en l'occurrence, nous pensons qu'il y a un vrai risque d'inconstitutionnalité.

Les deux notions nouvelles introduites par le projet - les pays sûrs et l'asile interne - sont contraires à la fois à la tradition républicaine et à la Constitution.

M. François Goulard - Quel article ?

M. Christophe Caresche - Elles aboutissent, en effet, à réduire la possibilité pour un demandeur d'asile de voir sa demande examinée.

Je ne comprends pas pourquoi le Gouvernement prend ce risque. Il invoque les projets de directives européennes, mais ceux-ci n'ont pas encore été adoptés. Pourquoi anticiper et affaiblir ainsi prématurément la position de la France Pourquoi risquer la censure du Conseil constitutionnel sur ce sujet complexe ?

Nous voterons l'exception d'irrecevabilité.

L'exception d'irrecevabilité, mise aux voix, n'est pas adoptée.

QUESTION PRÉALABLE

M. le Président - J'ai reçu de M. Alain Bocquet et des membres du groupe des députés communistes et républicains une question préalable déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. André Gerin - Une fois de plus, la République est face au droit d'asile. Pourquoi faire, pour aller vers quelle société ? Les inégalités n'ont jamais été aussi grandes dans ce monde, à l'heure du capitalisme triomphant.

Avec ce projet, vous allez poursuivre la logique des années 1970, où, au nom de la crise économique, les gouvernements ont fermé les frontières à l'immigration.

La France n'a été généreuse avec les réfugiés que lorsqu'elle a eu besoin de main-d'_uvre. Aujourd'hui, c'est fini et les propos lénifiants sur l'intégration masquent mal une politique de plus en plus répressive. Le droit d'asile est une notion éminemment politique, qui a été au c_ur du siècle des Lumières. Mais depuis les années 1980, on la vide de son sens au profit de deux discours : le discours humanitaire et le discours bureaucratique. La suspicion est permanente, chaque demandeur d'asile est suspecté d'être un faux réfugié.

La France et nous, citoyens français et européens, sommes-nous prêts à payer le prix nécessaire pour préserver nos traditions d'accueil et d'hospitalité ? Les gouvernements veulent nous faire croire qu'ils peuvent défendre le droit d'asile et fermer les frontières.

Aujourd'hui, comme Michelet, Sartre, Hugo, Anatole France ou Romain Rolland, nous voulons relancer le droit, en mobilisant les citoyens dans un combat essentiel qui honorerait la France.

Comment admettre l'argument fallacieux de la fraude, qui permet de rejeter sur les étrangers la responsabilité de la répression qui les vise, tout en faisant croire que l'on reste fidèle aux grands principes de 1789 ? Le couplet habituel sur « nos traditions d'accueil » cache des mesures de plus en plus restrictives à l'égard des immigrants comme des réfugiés.

En ce sens, la grande victoire du Front national a été d'imposer non pas ses réponses, mais bel et bien ses questions. Il a réussi un véritable tour de passe-passe. Du fait de problèmes sociaux comme le chômage et les difficultés de vie dans les quartiers populaires, le fossé entre la sphère politico-médiatique et le reste de la société française ne cesse de grandir.

On l'occulte en diabolisant les immigrés, le danger communautariste. Cette stigmatisation est dangereuse. Les milieux populaires, notamment la jeunesse, sont marginalisés.

Le débat sur le droit d'asile, dans les années 1980, a montré le repli, l'égoïsme, le refus d'affronter cette question politiquement et de demander au peuple français s'il était prêt à honorer ses traditions d'hospitalité en accueillant plus généreusement les victimes de l'oppression politique. La question a été éludée par crainte de faire le jeu de l'extrême droite. Tel était le sens de la loi Pasqua en 1993, et en dépit des promesses électorales, le gouvernement Jospin ne l'a pas abrogée, même si la législation de 1998 en a atténué la sévérité.

En poussant jusqu'à l'absurde une logique de « lepénisation », le Gouvernement a mis des centaines de milliers de personnes dans une situation intolérable qu'ont révélée les mouvements de sans-papiers et les grèves de la faim. Le collège des médiateurs a d'ailleurs déploré que l'administration, en exigeant des preuves de persécution impossibles à fournir, ait porté atteinte au droit d'asile.

Et votre projet va aggraver la situation. Vous l'avez justifié par l'augmentation du nombre des demandeurs et, par conséquent des délais de traitement des dossiers, qui atteignent aujourd'hui deux ans. Selon vous, le cumul des demandes d'asile conventionnel et d'asile territorial encombre inutilement les services, et c'est l'une des voies de l'immigration irrégulière. Sur ce premier point, nous divergeons.

Le droit d'asile est un droit fondamental, déjà inscrit dans la Constitution de 1793. Sous la Troisième République, son application dépendit des aléas de la politique intérieure. Vichy le mit au rebut. Le préambule de la Constitution de 1946 en consacra le principe, tout de suite après celui de l'égalité entre les hommes et les femmes, mais, limité aux persécutions «pour action en faveur de la liberté », ce droit constitutionnel fut rarement usité. Néanmoins, il donnait corps à une tradition qui a toujours été celle de la France.

Le droit d'asile fut ensuite défini au niveau international par la déclaration des droits de l'homme de 1948 et la convention de Genève de 1951. Celle-ci est devenue la référence en la matière, mais n'offre pas une protection complète. C'est pourquoi le ministre de l'intérieur a toujours fait bénéficier d'autres personnes menacées, au titre de l'asile territorial.

Le droit est donc complexe. Il est appliqué de façon de plus en plus restrictive, et au mépris du droit international. C'est au nom de la défense des intérêts de la nation que l'on remet en cause le respect de ce droit de l'homme. Selon Gérard Noiriel, dans Réfugiés et sans-papiers, les pouvoirs publics n'invoquent jamais de raisons de politique intérieure pour restreindre le droit d'asile, mais le fait que beaucoup de demandeurs ne sont pas « vraiment » victimes. Cette stratégie est payante, et s'applique désormais dans la plupart des Etats européens.

C'est pourquoi le précédent gouvernement n'a pas abrogé les lois Pasqua de 1993. La loi Chevènement de 1998 n'en a modifié que les dispositions les plus décriées par les associations. Elles restent au fondement de votre projet.

Selon l'exposé des motifs, il s'agit ici de raccourcir les délais d'instruction en rationalisant les procédures autour d'un OFPRA rénové, ce qui est louable en soi. Mais vos postulats sont que cet allongement des délais nourrit l'immigration irrégulière et qu'il est coûteux pour l'Etat puisque la prise en charge des demandeurs est estimée à 150 millions d'euros pour 2000, 200 millions en 2001 et 270 millions en 2002, dont 10 % seulement pour le traitement administratif.

On le voit, ce projet s'inscrit bien dans le contexte de lutte contre l'immigration. Il est inadmissible à nos yeux de présumer la mauvaise foi des demandeurs et de mettre en avant le coût de la prise en charge de miséreux auxquels la France refuse depuis 1991 le droit de travailler pendant l'instruction du dossier. Disons-le clairement, il s'agit de diminuer les dépenses et de renvoyer les « fraudeurs ».

Ce texte reflète bien le climat de suspicion généralisée qui règne depuis un an contre les jeunes issus de l'immigration, les prostituées, les mendiants, les gens du voyage. Ils dérangent, il faut en nettoyer nos rues. C'est ce qu'a fait la loi sur la sécurité intérieure, en alourdissant les peines et en créant le délit de racolage passif. C'est l'esprit qui inspirait le projet du Garde des Sceaux pour lutter contre la criminalité organisée, qui donne le pas à la police sur la justice. Quant au vôtre, il donne un avant-goût du projet sur la maîtrise de l'immigration et le séjour des étrangers en France. Ce sera du Pasqua-Debré puissance trois !

Par arrière-pensée politique, vous entretenez la confusion entre asile et immigration. Le Conseil européen d'octobre 1999 comme la loi du 11 mai 1998, l'ordonnance du 2 novembre 1945 comme la loi du 25 juillet 1952 ont bien distingué ces deux notions.

Nicolas Sarkozy parle de politique d'accueil « généreuse » alors même que l'on ferme les frontières, que l'on renvoie les arrivants par charters, sans même leur laisser poser le pied sur notre sol ! A l'évidence, il n'y a plus de statut du réfugié, si celui-ci ne peut même pas déposer une demande ! Quel engagement prenez-vous pour garantir le croit d'asile dans ces conditions ?

Il faut mettre fin à l'amalgame entre l'immigration et l'asile accordé à ceux qui fuient la persécution et doivent être mis en lieu sûr, au moins à titre temporaire. Or, ce projet sur le droit d'asile, puis celui sur la maîtrise de l'immigration, visent surtout à restreindre le plus possible leurs chances de parvenir sur le territoire français. Ce sont les outils d'une gestion sécuritaire des flux migratoires.

L'exposé des motifs renvoie à des propositions de directives européennes. Mais le projet n'en reprend que certaines dispositions, en oubliant celles qui donnent de meilleures garanties aux demandeurs d'asile. De toute façon, si l'Europe propose un cadre minimal, rien n'empêche la France d'être plus généreuse envers le Sud. C'est pourquoi nous proposons des amendements pour améliorer le droit existant.

Votre texte tend à réduire le droit d'asile comme peau de chagrin, pour n'en faire qu'un instrument de maîtrise des flux migratoires.

Sans doute la substitution de la protection subsidiaire à l'asile territorial a-t-elle l'avantage de ne plus donner un pouvoir discrétionnaire au ministre de l'intérieur. Bien préférable à l'asile territorial, dépourvu de garanties sérieuses, la protection subsidiaire souffre néanmoins de deux défauts. Elle est accordée, précise l'article premier, à « toute personne qui ne remplit pas les conditions d'octroi du statut de réfugié ». La protection subsidiaire ne risque-t-elle pas alors de devenir la règle au détriment du statut issu de la convention de Genève, alors qu'elle paraît beaucoup moins précise ? De plus, son champ est plus étroit que celui de l'asile territorial, puisqu'il n'est plus fait état de la menace pesant sur la vie du demandeur ou sur sa liberté dans son pays, comme c'est le cas dans la loi du 25 juillet 1952.

L'exposé des motifs indique que les dispositions sur la protection subsidiaire s'inspirent de l'article 15 de la proposition de la directive communautaire du 12 septembre 2001. Pourtant les garanties figurant dans le projet sont plus faibles que celles offertes par la directive, elle-même sujette à caution.

Enfin, l'article premier dispose que l'OFPRA peut refuser d'accorder la protection subsidiaire si « on a des raisons sérieuses de penser » que la présence de la personne sur le territoire « constitue une menace pour l'ordre public, la sécurité publique ou la sûreté de l'Etat ». Quelle est cette autorité désignée par le pronom indéfini « on » ? Sur quels éléments reposent ces « raisons sérieuses de penser » ? Nous nous sommes toujours opposés, s'agissant de la sécurité intérieure, à la notion de « raison plausible de soupçonner » pour permettre d'élargir les possibilités de contrôle d'identité ou de placement en garde à vue, cette notion laissant trop de place à l'arbitraire alors que celle d'« indices graves et concordants » est juridiquement acceptable.

De plus, la notion d'ordre public autorise, par son imprécision, toutes les interprétations et tous les abus. Ajouter la sécurité publique et la sûreté de l'Etat n'aura, pour effet, que d'aggraver le sentiment d'arbitraire et de souligner la dérive sécuritaire que subit notre pays. Les questions d'ordre public et de protection doivent être impérativement dissociées. Les secondes relèvent de l'OFPRA et de la Commission des recours, les premières des autorités de police.

S'il est normal qu'un Etat cherche à se prémunir contre les agressions de toute nature, il est contraire à nos valeurs républicaines de jeter a priori l'opprobre sur des personnes victimes de graves atteintes à leurs droits fondamentaux. Cette pratique de la suspicion généralisée dans laquelle s'obstine le Gouvernement est intolérable. Quelle désolation, alors que la France avait trouvé des accents de vérité pour s'opposer à l'agression américaine en Irak, comme vous le savez, Monsieur le ministre, mieux que personne.

La restriction que ce projet fait subir au droit d'asile est d'autant plus regrettable que la France a toujours accueilli plus généreusement qu'ailleurs en Europe les populations persécutées. La France ne devrait pas s'aligner sur d'autres Etats dont les conceptions sont beaucoup plus restrictives.

Aussi l'introduction de la notion d' « asile interne » nous choque-t-elle, ainsi que celle d'« acteurs de protection », car elle pourrait empêcher de nombreux demandeurs d'obtenir la protection de la convention de Genève ou la protection subsidiaire.

D'abord, l'idée d'une protection accordée par des autorités internes non étatiques est incompatible avec la convention de Genève : seul un Etat internationalement reconnu peut offrir une protection effective à ses ressortissants. De plus, la directive du 12 septembre 2001, à laquelle vous empruntez la notion d'acteurs de protection, dispose, ce que ne fait pas votre texte, que ces acteurs doivent pouvoir protéger juridiquement les ressortissants du pays d'origine.

Quant à la notion d'asile interne, elle permet à l'OFPRA de rejeter la demande « d'une personne qui aurait accès à une protection sur une partie du territoire de son pays d'origine si cette personne n'a aucune raison de craindre d'y être persécutée ou d'y être exposée à une atteinte grave et s'il est raisonnable d'estimer qu'elle peut rester dans cette partie du pays ».

Cette disposition contrevient à l'article premier A de la convention de Genève, lequel donne du réfugié une définition interdisant d'opposer à celui-ci qu'il aurait pu demeurer sur une partie de son pays d'origine. Comment concevoir qu'un demandeur d'asile doive chercher d'abord protection à l'intérieur de son propre pays avant d'envisager un refuge à l'étranger ? Mais le concept d'asile interne vous permettra d'écarter les personnes venant de pays où existe une zone de protection de l'ONU ou tenue par une ONG. Or de telles zones n'offrent nulle part une réelle protection, sauf à ce que vous nous prouviez le contraire. De même, la sécurité assurée dans une partie délimitée d'un pays par des forces internes à ce pays ne peut offrir qu'une protection précaire et aléatoire, en raison des renversements de situation. En introduisant la notion d'asile interne, le Gouvernement prend la lourde responsabilité d'empêcher des personnes persécutées de bénéficier de la protection internationale au risque même de les exposer à des traitements inhumains. Voilà qui est indigne de notre pays, et d'autant plus grave que l'Europe pourrait justifier par notre position les restrictions qu'elle s'apprête à apporter au droit d'asile.

La notion de « pays d'origine sûr » nous inquiète en raison de son caractère sécuritaire, voire malsain - elle sera en effet source d'opprobre, de stigmatisation, quelle que soit votre volonté contraire. Est-elle même opératoire ? Il n'est sans doute pas une « démocratie moderne » qui, face à la guerre ou à tout autre danger national, n'ait à un moment ou un autre renoncé à certains droits fondamentaux ! Je pense bien sûr aux Etats-Unis, mais la France elle-même n'a pas toujours été exemplaire : au début des années 1930, des hauts fonctionnaires ont refusé d'accueillir des juifs allemands parce que, de bonne foi, ils tenaient l'Allemagne pour un pays sûr.

Selon l'exposé des motifs, « l'objectif du Gouvernement est d'aboutir à la fixation, par l'Europe, d'une liste commune de pays présumés sûrs, qui s'imposera à l'ensemble des Etats membres » et sera « facilement révisable pour tenir compte des évolutions de la situation internationale ». Une sorte de G8, de groupe de pays se prétendant développés et démocrates, va donc fixer arbitrairement la liste des pays dangereux : selon quels critères ? Mais peu importe sans doute, puisque cette liste sera « facilement révisable »... Les demandeurs subiront alors toute espèce de fluctuations politiques, un jour déboutés, un autre jour accueillis pour être finalement expulsés ! Un pays « ami », même peu respectueux des droits de l'homme, pourra être jugé sûr en raison des relations économiques et financières qu'on entretient avec lui - pensons à l'Irak !

Sans doute de bonne foi, vous prétendez nous rassurer en précisant que l'on ne rejettera pas systématiquement les demandes présentées par des ressortissants de pays sûrs et en garantissant qu'il y aura dans tous les cas examen au fond, mais je ne lis rien de tel dans l'article 6, qui pose simplement que l'admission ne pourra « être refusée que si le demandeur a la nationalité d'un pays considéré comme un pays d'origine sûr ». Encore ne s'agit-il là que de l'admission en France, et non de l'admission au séjour : l'intéressé pourra donc être refoulé avant même d'avoir pu déposer une demande d'asile !

Cette notion est en outre contraire à l'esprit même de la convention de Genève qui, aux termes de son article 3, doit être appliquée « sans discrimination quant à la race, la religion ou le pays d'origine ». Or le projet autorisera un refus sur le seul fondement de la provenance.

La notion est dangereuse également parce que sélective. Elle traduit le mépris du droit universel de la personne, elle obéit comme le discours du président américain à la conception d'un monde coupé entre le Bien et le Mal, elle reflète une volonté d'apartheid planétaire. Nous refusons ce monde « à deux vitesses » !

Le projet tend à refondre en profondeur le dispositif du droit d'asile : il réforme aussi bien la composition des organes de détermination, la définition du réfugié et de l'asile que les procédures d'admission au séjour et de protection. Pour résumer, il vise à faire passer la gestion des flux migratoires avant la protection, comme le montrent les pouvoirs donnés aux préfets en matière de réexamen des demandes. Le ministère de l'intérieur fait main basse sur le droit d'asile ! L'AFP ne s'y est d'ailleurs pas trompée, qui titrait hier : « Droit d'asile : premier volet contre l'immigration illégale devant les députés »...

Vous gardez certes la tutelle sur l'OFPRA, Monsieur le ministre, mais le président de l'Office sera désigné conjointement avec le ministre de l'intérieur et, pour faciliter les mesures d'éloignement, ses décisions seront transmises à la place Beauvau - ce qui est totalement contraire au principe constitutionnel de confidentialité. Il est choquant de voir ainsi votre collègue de l'intérieur entrer par la grande porte quand on fait, dans le même temps, passer à la trappe le HCR - mais vous venez de nous rassurer sur ce dernier point, Monsieur le ministre.

La convention de Schengen a donné dès 1988 une idée de ce que sera l'Europe des polices : le nationalisme européen en prend à son aise, empruntant à l'extrême droite l'idée selon laquelle la « distance culturelle » serait un obstacle à l'intégration des immigrés ou des réfugiés du tiers-monde. Le Gouvernement, s'inscrivant dans cette régression, remet en cause un des biens les plus précieux légués par la Révolution française. Mais nous sommes à la croisée des chemins : jamais l'écart entre pays riches et tiers-monde n'a été aussi grand, jamais les réfugiés n'ont été aussi nombreux, mais, premiers pays d'exil, les pays du tiers-monde sont aussi devenus les premiers pays d'asile, accueillant douze des quatorze millions de réfugiés que compte la planète. Nous sommes donc entrés dans une phase nouvelle de l'histoire. Les déséquilibres nés de l'expansion du capitalisme nourrissent la violence de masse, la misère, les fanatismes. Tous les jours, dans le pays des idéaux proclamés par la Révolution française, se fabriquent de nouveaux exclus - les déboutés, les « réfugiés sur orbite », qui, ne pouvant être expulsés, sont condamnés à errer d'un pays à l'autre. Si les avions ont remplacé les bateaux, il y a toujours de nouveaux Exodus : l'OFPRA rejette 90 % des demandes d'asile - ce qui aurait rempli d'aise les ministres de l'intérieur des années 1930 !

Peut-on fonder une politique des droits de l'homme sur l'hypocrisie d'Etat sans courir le risque de discréditer encore davantage les idéaux démocratiques ? Le 14 février, Monsieur le ministre, nous aurions applaudi votre intervention devant le Conseil de sécurité si nous avions été présents, car elle rendait fier d'être Français. Vous disiez : « Dans ce temple des Nations unies, nous sommes les gardiens d'un idéal, nous sommes les gardiens d'une conscience. La lourde responsabilité et l'immense honneur qui sont les nôtres doivent nous conduire à donner la priorité au désarmement dans la paix. Et c'est un vieux pays, la France, d'un vieux continent comme le mien, l'Europe, qui vous le dit aujourd'hui, qui a connu des guerres, l'occupation, la barbarie. Un pays qui n'oublie pas et qui sait tout ce qu'il doit aux combattants de la liberté venus d'Amérique ou d'ailleurs. Et qui pourtant n'a cessé de se tenir debout face à l'histoire et devant les hommes. Fidèle à ses valeurs, il veut agir résolument avec tous les membres de la communauté internationale. Il croit en notre capacité à construire ensemble un monde meilleur ».

Avec le droit d'asile, n'est-ce pas notre capacité à construire un monde meilleur qui est en cause ? Pourtant, vous persistez à construire une machine à exclure, par une politique intransigeante qui ressemble de moins en moins à la France. La République est de plus en plus défigurée et ce projet de loi franco-français, ce projet de régression va donner de notre pays une image frileuse, dérisoire au regard des ambitions que vous affichiez à l'ONU.

Le sommet du G8 laisse le Sud sur sa faim : comment croire que l'économie de marché est la seule réponse à la misère, alors que tout démontre qu'elle en est la cause principale ? Le club des Etats les plus riches ne peut ainsi traiter par dessus la jambe une question aussi cruciale pour l'avenir des civilisations !

En définitive, cette question préalable s'énonce en termes simples : allons-nous enfin oser une mondialisation de la solidarité, de la justice et de la fraternité ? Les députés communistes, tout en reconnaissant à ce projet certains mérites techniques, ne peuvent que s'opposer de toute leur conviction à la philosophie qui l'inspire ! (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste)

M. le Ministre - Vous avez raison de rappeler solennellement au respect du droit d'asile et au devoir de générosité, mais il nous faut aussi prendre en compte la réalité et nous souvenir que l'honneur des politiques est d'agir avec exigence et lucidité et de remédier aux blocages et aux insuffisances qui empêchent la France d'assumer pleinement sa vocation de terre d'asile, au bénéfice de tous ceux qui sont persécutés en raison de leurs opinions, de leur religion ou de leur ethnie. L'asile est un droit. Ce droit doit être respecté. Il doit devenir réalité vécue.

Vous parlez d'hypocrisie. Eh ! bien, évitons-la, ne cédons pas aux vertiges de la bonne conscience facile, à la logique des épileurs de chenilles ou des rétameurs d'échos, pour citer un grand poète français de surcroît résistant, René Char, alias capitaine Alexandre. En laissant prospérer les abus, on tue le droit la main sur le c_ur, on ne le défend pas. Or notre ambition commune n'est-elle pas de le faire vivre ? Regardons plutôt les choses en face.

Sur les 80 000 demandes d'asile reçues en 2002 par l'OFPRA et les préfectures, plus de 90 % ne peuvent être rattachées au droit d'asile, dont bénéficie selon la convention de Genève « toute personne qui, craignant d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou ne veut y retourner ». Telle est la réalité : plus de 90 % des demandes n'ont pu être retenues parce qu'elles se fondaient sur des motivations économiques et sociales, qui méritent sans aucun doute d'être prises en considération, mais qui n'ont pas de lien avec le droit d'asile.

Certes, les nations riches ont le devoir de venir en aide aux populations les plus démunies, mais ce devoir-là ne s'appelle pas l'asile. Il s'appelle solidarité, aide au développement, coopération, aide humanitaire. Comme vous le savez, le Président de la République et ce gouvernement en ont fait une priorité.

Pour démontrer qu'il n'y a pas lieu de légiférer sur la question de l'asile, Monsieur Gerin, vos arguments rejoignent ceux du groupe socialiste sur l'asile interne, les pays d'origine sûrs ou la protection subsidiaire. Vous me permettrez donc de ne pas revenir sur les explications que j'ai déjà données. Je rappellerai néanmoins que plusieurs candidats à l'élection présidentielle, en particulier M. Chirac et M. Jospin, avaient inscrit la réforme du droit d'asile à leur programme. Le Président de la République a souligné le 14 juillet dernier la nécessité de la réforme en rappelant qu'une décision en matière d'asile peut demander jusqu'à dix-huit mois, ce qui n'est pas acceptable.

La commission des affaires étrangères de l'Assemblée a émis un avis favorable à l'adoption du projet sur la base du rapport d'Eric Raoult, qui fait état d'« une situation devenue ingérable du fait de l'explosion des demandes d'asile en partie déconnectée des évolutions géopolitiques ». La commission des lois, sur le rapport de Jean Leonetti, a estimé de son côté que la procédure actuelle se caractérisait à la fois par le désordre et l'injustice, ce dont M. Blisko a lui-même convenu.

Il me paraît évident que le statu quo auquel nous invite cette question préalable n'est pas possible, d'abord pour les raisons que j'ai déjà évoquées dans mon intervention initiale : l'engorgement du dispositif, les retards de plus en plus importants constatés dans la prise de décision, les détournements opérés pour développer une nouvelle forme d'immigration, le coût du traitement social des demandeurs d'asile.

De surcroît, la loi Reseda, adoptée en 1998, a montré ses limites, puisqu'en matière d'asile territorial, moins de 1 % des demandes sont satisfaites. N'est-il pas rationnel de faire évoluer notre législation en y inscrivant sans tarder les dispositions sur lesquelles les partenaires européens sont en train de se mettre d'accord ? Peut-on les soupçonner de vouloir instaurer des régimes juridiques contraires à la convention de Genève ?

Enfin, peut-on défendre le statu quo quand votre commission relève, comme le Gouvernement, que les procédures d'asile sont de plus en plus utilisées par des réseaux d'immigration clandestine, voire par des mafias ?

J'en viens, Monsieur Gerin, à l'inquiétude que vous avez exprimée au sujet du ministère de l'intérieur. Celui-ci, avec nos forces de police, applique déjà les décision de l'OFPRA et de la Commission des recours des réfugiés. En ce domaine, il n'y aura pas de changement. Ce qui va changer, c'est que le ministère de l'intérieur va perdre la compétence sur l'asile territorial que lui avait attribuée la loi Reseda.

Il faut par conséquent veiller à ce que les services du ministère, et notamment la police de l'air et des frontières, préservent des relations de travail nourries avec l'OFPRA. En pratique, une cellule placée sous l'autorité du directeur de l'OFPRA assurera la liaison quotidienne avec les préfectures et le ministère. Elle devra en particulier veiller à l'application des décisions de l'OFPRA et de la CRR, notamment pour la délivrance des documents de séjour, mais aussi pour la reconduite à la frontière si le rejet de la demande d'asile est définitif.

Il reste que certains voudraient voir dans la démarche du Gouvernement une tentative pour mettre ce droit d'asile au service de la politique d'immigration. A l'évidence, il n'en est rien. Je vous rejoins totalement, Monsieur Gerin, quand vous dites qu'il y a une différence entre l'asile et l'immigration. L'asile est un droit, l'immigration un choix. En présentant sur le droit d'asile un projet de loi distinct de celui sur l'immigration, les pouvoirs publics témoignent de leur volonté de ne pas mélanger deux sujets, importants tous les deux, mais inspirés par des philosophies très différentes.

L'indépendance et le devoir d'asile sont au c_ur de la culture de l'OFPRA et de la CRR. Il n'est pas question de revenir là-dessus. Le Gouvernement ne présente pas une réforme confiant les asiles conventionnel et territorial à un établissement placé sous la tutelle du ministère de l'intérieur. Au contraire, il consolide l'esprit de la convention de Genève en l'étendant à toutes les formes d'asile. Il valorise les vertus d'indépendance, d'expertise et d'écoute de l'OFPRA en lui confiant toute la responsabilité de l'asile.

Au demeurant, ce serait se tromper de cible que de vouloir traiter la question de l'immigration par le biais de l'asile. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : il y avait 3 350 000 étrangers en France au 1er janvier 2002 ; cette même année, le ministère de l'intérieur a délivré 207 000 titres de séjour à des premiers arrivants, tandis que l'OFPRA accordait l'asile conventionnel à 8 500 demandeurs d'asile. Quant à l'asile territorial, le ministère de l'intérieur l'a accordé à 1 296 personnes depuis cinq ans !

Notre objectif est uniquement de mettre un terme à la situation actuelle en matière d'asile, caractérisée par l'incertitude, la précarité et le doute. Nous voulons rendre confiance à tous ceux qui continuent de croire à la vocation d'accueil de notre pays, nous voulons nous montrer dignes de cette tradition qui a été et doit redevenir notre fierté commune. Remettre à plus tard cette réforme indispensable ne serait pas responsable. Parce qu'il y a urgence, je demande à votre assemblée de rejeter cette question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Christian Vanneste - Monsieur Gerin, « tout ce qui est excessif est insignifiant »... Si votre humanisme mérite le respect, en revanche on ne peut que regretter certains automatismes dans votre discours.

Apartheid, dites-vous : eh bien oui, c'est vrai qu'on est en pays moins sûr à Cuba qu'au Canada ou en Belgique.

« Lepénisation des esprits », ajoutez-vous. Vraiment, que ferez-vous quand vous n'aurez plus cet argument !

En ce qui concerne la fermeture des frontières, je vous invite à considérer ce qu'a dit hier le ministre de l'intérieur devant la commission des lois : entre les deux attitudes extrêmes consistant pour l'une à accepter toute immigration et pour l'autre à prétendre qu'on peut arriver à l'immigration zéro, il y a place pour la défense d'une immigration raisonnable et contrôlée.

Enfin, vous avez fait référence à 1793. Il est vrai que pour vous, c'est la véritable année de la Révolution. Pour ma part, je pense plutôt comme Furet qu'elle a eu lieu entre 1789 et 1791. C'est peut-être en 1793 qu'on a écrit les plus beaux textes, mais jamais on ne les a mis en pratique, et Condorcet a dû fuir dans la mort la dictature de Robespierre.

A un texte idéal mais inapplicable, nous préférons, nous, un texte réaliste et appliqué (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP). Faisons donc en sorte que les véritables demandeurs d'asile soient traités avec respect et humanité, et repoussons cette question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Christophe Caresche - Je voudrais lever toute ambiguïté sur la position du groupe socialiste. Nous reconnaissons que le droit d'asile en France est en crise, et que ne rien faire serait le compromettre.

Votre projet contient des points positifs, ainsi de l'OFPRA constitué un guichet unique.

Nous n'acceptons pas, en revanche, les notions de « pays sûr » et d' « asile interne ». Il ne faut pas caricaturer notre position.

Estimant que la réforme et le débat sont urgents, nous nous abstiendrons sur la question préalable.

M. Noël Mamère - Je suis frappé, pour ne pas dire choqué, Monsieur le ministre, par l'immense décalage entre vos propos concernant la guerre en Irak, où vous avez défendu le droit - contre l'imposition d'une démocratie par la force - et votre projet de loi qui vise à restreindre la protection due aux victimes de la tyrannie. L'accélération des procédures du droit d'asile tend à privilégier une gestion restrictive des flux migratoires, au motif que les délais d'attente favoriseraient l'immigration clandestine.

Vos arguments ne sont pas convaincants, notamment en ce qui concerne l'alignement sur les directives européennes. Les décisions prises par l'Union européenne sont a minima. Rien n'empêche les Etats de les améliorer.

Un milliard trois cents millions d'êtres humains n'ont toujours pas accès à l'eau potable ; 20 % des pays consomment 80 % des ressources de la planète ; au-delà des réfugiés victimes de la tyrannie et du sous-développement, nous connaîtrons peut-être bientôt des réfugiés diplomatiques. Que fera-t-on d'eux ?

Votre projet constitue un recul par rapport à la convention de Genève. A propos de la notion de « pays sûr », mon collègue Gerin a évoqué l'Allemagne des années 1930. Mais pour un Kurde de Turquie, la Turquie est-elle un « pays sûr » ? L'Algérie est-elle un « pays sûr » pour un Algérien qui ne partage l'avis ni des généraux ni des islamistes ? La Côte d'Ivoire est-elle un « pays sûr » pour qui ne partage pas l'avis du pouvoir ? Non. Cette notion est dangereuse.

En tant que député Vert, non inscrit, je soutiens la question préalable de M. Gerin. Contrairement à nos amis socialistes, les Verts ne voteront pas cette réforme.

Nous avons réclamé une réforme. J'ai été moi-même candidat à l'élection présidentielle, et j'ai fait des propositions visant à renforcer la protection des persécutés. Mais vous, vous amalgamez la gestion des flux migratoires et la question du droit d'asile.

Ce n'est pas pour rien qu'à partir du 19 juin, nous aurons à débattre du projet de loi du ministre de l'intérieur sur l'immigration. Nous savons que pour vous, cette question est emblématique, idéologique. Vous prétendez que nous sommes les alliés objectifs de M. Le Pen. Ce n'est pas vrai. C'est avec vos propositions sur le droit d'asile et l'immigration que vous chaussez les bottes cloutées de M. Le Pen (Protestations sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

La question préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée.

La suite de la discussion du projet de loi est renvoyée à la prochaine séance, cet après-midi, à 15 heures.

La séance est levée à 13 heures 10.

            Le Directeur du service
            des comptes rendus analytiques,

            François GEORGE


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