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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session extraordinaire de 2003-2004 - 6ème jour de séance, 16ème séance

1ère SÉANCE DU JEUDI 8 JUILLET 2004

PRÉSIDENCE de M. François BAROIN

vice-président

Sommaire

      BIOÉTHIQUE (CMP) 2

      EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ 4

      ASSURANCE MALADIE (suite) 12

      ART. 7 13

      ERRATUM 18

La séance est ouverte à neuf heures quarante-cinq.

BIOÉTHIQUE (CMP)

M. le Président - M. le Premier ministre soumet à l'approbation de l'Assemblée le texte de la commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la bioéthique. En conséquence, l'ordre du jour appelle la discussion du texte de la commission mixte paritaire.

M. Pierre-Louis Fagniez, rapporteur de la CMP - Le projet de loi sur la bioéthique, dont nous allons achever la discussion après trois ans de travail, sous deux législatures, traite de questions fondamentales : l'éthique et la biomédecine, les droits de la personne, le don et l'utilisation des éléments du corps humain, leur non-brevetabilité, la procréation et l'embryologie. Près de dix ans après l'adoption des précédentes lois de bioéthique, le Parlement a beaucoup et bien travaillé. Je tiens à rendre hommage à MM. Mattei et Douste-Blazy, mais aussi à Mme Guigou et à M. Kouchner, et à exprimer ma gratitude à Alain Claeys, rapporteur en première lecture, qui nous a fait profiter de son important travail. Sur les 40 articles restant en discussion après la deuxième lecture à l'Assemblée nationale, 25 ont été adoptés conformes par le Sénat. La CMP est parvenue à un accord très satisfaisant sur les quinze derniers.

Le Sénat a apporté des modifications mineures, mais bienvenues, au titre premier relatif à l'éthique et à la biomédecine, et la CMP les a avalisées. Il s'agit notamment de permettre aux espaces de réflexion éthique d'organiser des débats publics. L'Agence de biomédecine pourra donner des avis de son propre chef aux autorités administratives. Son rapport intégrera un état des lieux des recherches sur l'embryon et des trafics d'organes. Elle pourra demander l'intervention d'agents habilités à contrôler l'application des règles de préservation de la santé publique. Le recours hiérarchique contre les décisions de son directeur, introduit en deuxième lecture à l'Assemblée, a été supprimé par le Sénat et la CMP s'est ralliée à cette position. L'intervention des ministres chargés de la santé et de la recherche est préservée. L'Assemblée et le Sénat étaient divisés sur la création de collèges d'experts scientifiques. La CMP s'est ralliée à une possibilité de groupes d'experts, formule beaucoup plus souple.

Le titre II, relatif à l'identification des caractéristiques génétiques, traite notamment de la douloureuse question de l'information de la famille d'une personne atteinte d'une affection génétique. La CMP a adopté une rédaction de compromis. A l'initiative de Mme Pecresse, rapporteure pour avis de la commission des lois, que je salue pour la qualité de ses interventions, ainsi que le professeur Dubernard, l'Assemblée nationale avait prévu que le médecin devait informer la personne de l'engagement de sa responsabilité si elle ne prévenait pas les membres de sa famille, dès lors que des mesures de prévention ou de soin pouvaient leur être proposées. Le Sénat avait voulu que le patient soit incité à prévenir ses proches, sans que sa responsabilité puisse être engagée et en lui offrant une alternative : la procédure de l'information médicale à caractère familial. Mme Pecresse a fait part de ses vives réserves juridiques sur ce dispositif : la jurisprudence du Conseil constitutionnel interdit au législateur de prévoir une exonération absolue de responsabilité. La CMP a donc adopté, à l'unanimité, une nouvelle rédaction : la responsabilité de la personne n'est engagée que si elle refuse de manière absolue d'informer les membres de sa famille. Cette solution permet de concilier les droits du malade et le devoir d'information des personnes en danger. La CMP a précisé que dans le cas où l'information des membres de la famille est assurée par l'Agence de biomédecine, l'information est délivrée par un médecin, pour humaniser le processus.

Concernant le titre III, relatif au don et à l'utilisation des produits et éléments du corps humain, la CMP s'est ralliée à la position de l'Assemblée nationale en élargissant à tous les donneurs potentiels, sauf le père et la mère, l'intervention du comité d'experts. Elle a précisé que le don s'effectue dans l'intérêt thérapeutique direct du receveur. Elle a validé des modifications apportées par le Sénat : les prélèvements ou la collecte de produits du corps humain utilisés par l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé doivent s'effectuer selon les règles d'information et de consentement des personnes ; par ailleurs, les compétences du ministre en matière de déclaration de collections d'échantillons biologiques et d'autorisation de cession de ces collections sont transférées aux agences régionales d'hospitalisation, lorsqu'elles sont constituées dans des établissements de santé.

Le Sénat a apporté plusieurs améliorations au titre IV relatif à la procréation et à l'embryologie. Il a précisé que seul le médecin prescripteur des analyses pratiquées en vue d'établir un diagnostic prénatal est habilité à en communiquer le résultat à la femme enceinte, et que les rapports d'évaluation des recherches sur les cellules souches embryonnaires et adultes présentent une dimension comparative permettant d'apprécier l'intérêt et les perspectives de ces deux types de recherche. L'extension très encadrée du champ du diagnostic pré-implantatoire, que nous avions adoptée en deuxième lecture, est maintenue, le Sénat ayant simplement rappelé qu'il doit s'inscrire dans le doit commun de l'assistance médicale à la procréation. En revanche, des points de divergence sont apparus à l'article 18 : les sénateurs l'ont intégralement réécrit en deuxième lecture, limitant les recherches aux embryons surnuméraires existant à la date de publication de la loi. Le débat a souligné que cette limitation n'était pas compatible avec l'article 19 et surtout que rien ne différenciait, d'un point de vue éthique, les embryons conçus avant et après l'adoption de la loi. La CMP est donc revenue au texte adopté par l'Assemblée. Elle a réaffirmé aussi que la stimulation ovarienne doit désormais faire l'objet de recommandations de bonne pratique.

Il faut enfin saluer deux mesures importantes introduites au Sénat dans le titre V, relatif à la procréation et à l'embryologie. Un amendement du Gouvernement a été adopté pour accélérer la mise en œuvre du dispositif transitoire de recherche sur l'embryon, dans l'attente de la création de l'Agence de biomédecine. Les chercheurs français pourront ainsi postuler à l'appel d'offres, prévu en novembre, pour le financement par l'Union européenne de recherches sur les cellules souches embryonnaires. En outre, la présente loi fera l'objet d'une évaluation, d'ici quatre ans, par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques.

Ce projet de loi constitue un des textes fondamentaux de notre ordre juridique. Il est attendu avec impatience par les patients, les familles, les professionnels, les chercheurs. Je vous invite donc à adopter les conclusions de la commission mixte paritaire (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Philippe Douste-Blazy, ministre de la santé et de la protection sociale - Je suis très heureux d'être ici pour conclure ce travail de révision de la loi de bioéthique, qui fait honneur à la représentation nationale. Le parcours a été long et le travail parlementaire intense. J'en remercie particulièrement le président de la commission, le professeur Dubernard, et le rapporteur, le professeur Fagniez. Il s'agissait de trouver un chemin entre les aspirations des uns et les craintes des autres, de prendre en compte les progrès de la science et des techniques et de prévoir leur évolution. Simone Veil, en 1994, avait déjà souhaité une réévaluation régulière des textes sur la bioéthique. La révision de la présente loi est prévue d'ici cinq ans. Elle s'appuiera sur les rapports de l'Agence de biomédecine et de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et techniques.

Le présent texte est équilibré. Il rappelle des principes fondamentaux et comporte des dispositions importantes. En ce qui concerne la recherche sur l'embryon et les cellules embryonnaires, les chercheurs sont actuellement soumis à l'interdit posé par la loi de 1994, qui n'autorise que les études qui ne portent pas atteinte à l'embryon. Le projet de loi autorise la recherche, à titre dérogatoire et pour cinq ans, une évaluation devant décider de la suite.

Le texte fixe, pour la première fois en France, un cadre juridique à la recherche sur l'embryon et sur les cellules embryonnaires. Les chercheurs l'attendaient depuis longtemps, car ils tiennent le retard accumulé en France pour préjudiciable à la mise au point de nouvelles thérapeutiques très prometteuses. On se félicitera donc de l'adoption de mesures transitoires, qui leur permettront de participer à un appel d'offres européen.

Le projet porte par ailleurs création de l'Agence de biomédecine. D'autre part, son article 17 étend les indications du diagnostic pré-implantatoire au cas de révélation chez l'un des ascendants immédiats d'une maladie gravement invalidante, à révélation tardive et mettant prématurément en jeu le pronostic vital, telle que la chorée de Huntington. Le DPI pourra également être autorisé, à titre expérimental, si son utilisation permet, en concevant un bébé indemne de l'anomalie génétique dont son aîné est porteur, d'améliorer le pronostic vital de l'enfant premier-né atteint d'un mal incurable, par l'application sur celui-ci d'une thérapeutique nouvelle. C'est un sujet difficile, mais le projet est rédigé de manière à éviter toute dérive.

Le texte aborde d'autres sujets importants, tels que le renforcement de l'indépendance du Comité consultatif national d'éthique, dont les avis ont directement inspiré plusieurs articles du projet. Il précise les conditions du consentement et de l'information en cas d'examens des caractéristiques génétiques et les place clairement dans le cadre du colloque singulier. Il précise aussi les conditions du don et de l'utilisation des produits du corps humain en essayant de garantir au maximum la sécurité sans entraver la possibilité de dons, dont on sait que notre pays manque.

Le texte interdit le clonage et fait du clonage reproductif un crime. Il affirme la non-brevetabilité des éléments du corps humain.

L'élaboration de cette loi a conduit à des interrogations fondamentales sur l'homme et sur la société, auxquelles le texte ne peut apporter toutes les réponses, d'autant que les connaissances et la société évoluent. Mais cette possibilité d'évolution est inscrite dans le projet. C'est pourquoi je vous demande de voter ce texte. Je m'engage à accélérer au maximum la rédaction des décrets afin que votre travail trouve une application rapide (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ

M. le Président - J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une exception d'irrecevabilité.

M. Alain Claeys - Notre satisfaction de parvenir au terme de la révision, très attendue par les malades et les chercheurs, des lois de 1994, est tempérée par une inquiétude qui tient au choix fait à l'article 12 bis concernant la brevetabilité d'éléments du corps humain et notamment d'un gène ou de la séquence d'un gène.

L'inquiétude que j'avais déjà exprimée ici même, le 9 décembre dernier, ne m'est pas propre : le Président de la République et Lionel Jospin, alors Premier ministre, l'avaient conjointement exprimée auprès des autorités communautaires et le Comité consultatif national d'éthique l'avait fait en son temps. Notre Assemblée elle-même a confirmé à l'unanimité, lors de l'examen du projet en première lecture, le refus, exprimé en 1994, d'une telle brevetabilité.

Pourtant, avec l'article 12 bis, nous nous résignons à accepter le brevet de produits. La démonstration faite par Jean-François Mattei, au moment où il présentait l'amendement dont est issu cet article, était visiblement imprégnée de cette résignation, comme le furent nos débat du 11 décembre dernier. Pourquoi cette inquiétude ? Parce que les brevets de produits dans le champ desquels sont inclus un gène ou la séquence d'un gène créent un lien de dépendance à l'égard du premier déposant pour tous les inventeurs qui découvriraient ultérieurement une autre fonctionnalité de ce gène. Autrement dit, les redevances qui découleront de ce brevet s'apparenteront à de véritables péages qu'il faudra régler pour pouvoir s'engager dans de nouvelles voies de recherche. Et cela, même si le détenteur du brevet initial n'a jamais envisagé la possibilité d'une telle innovation !

On peut évidemment vouloir se rassurer, en observant qu'un brevet n'est que temporaire ; on peut aussi arguer de ce qu'un retour sur investissement est nécessaire pour attirer de nouveaux capitaux qui permettront de nouveaux progrès. La vérité m'impose de dire que personne n'a défendu l'article12 bis avec de tels arguments, car personne n'a voulu être dupe : chacun, dans notre Assemblée, savait bien qu'il s'agissait de limiter les dégâts. Je pense, quant à moi, que c'est en pure perte. Comment ne pas voir les risques encourus pour les progrès de la recherche ? Le brevet est systématiquement présenté comme un moyen de favoriser l'innovation ; or, les brevets de produits, entendus largement, conduiront à limiter la sphère des connaissances et à favoriser la rente. Les travaux du Conseil d'analyse économique à ce sujet sont éclairants.

Vous expliquez que les offices de brevet et, en dernier ressort, les juges, éviteront les excès ; la meilleure preuve en serait la récente décision de l'Office européen des brevets au sujet du texte de la société Myriad Genetics. Peut-être ; mais que de coûts administratifs pour savoir si le gène est « libre » et, s'il ne l'est pas, pour savoir si la revendication est faite à bon escient ! Une chose est certaine, l'article 12 bis sera une source de progrès dans la recherche juridique sur la propriété intellectuelle... Et quelles conséquences détestables pour l'innovation et la recherche aurait eu une décision contraire de l'Office européen des brevets !

A l'inverse, de simples brevets d'application garantissent le retour sur investissement de l'invention, sans faire obstacle au développement de recherches futures à partir d'une même donnée biologique. Enfin, le raisonnement fait en termes de « découpage des gènes » méconnaît le débat scientifique en cours, qui tend à réévaluer fortement le rôle de l'environnement physico-chimique du génome.

Il nous est parfois expliqué que cette nouvelle approche répond à des préoccupations économiques : il faudrait combler le retard européen dans l'industrie biotechnologique. On peut pourtant douter du bien-fondé d'un choix qui consiste à permettre aux entreprises européennes d'instituer à leur tour leur propre péage. Vous nous dites : « On ne peut plus faire autrement ». C'est là que nous divergeons. En effet, selon vous, le droit communautaire nous interdirait de maintenir nos choix éthiques et constitutionnels, qui sont ceux de nombreux autres pays. Mais vous expliquez que vous continuerez d'œuvrer pour convaincre nos partenaires de la validité du refus de la brevetabilité du vivant. Autrement dit, vous nous proposez d'autoriser le brevet de produits pour pouvoir prouver que la marchandisation du vivant est une erreur, de manière à corriger celle-ci en revenant à la législation qui, aujourd'hui en vigueur, nous empêche de la commettre...

Aujourd'hui, comme le 9 décembre dernier, le groupe socialiste estime plus efficace d'en rester aux choix éthiques et constitutionnels affirmés en 1994. Le débat constitutionnel ne se limite pas à l'exigence de transposition de la directive du 6 juillet 1998 : il doit tenir compte, aussi, du nécessaire respect de l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qui garantit la libre communication des pensées et des opinions, laquelle vaut aussi pour la connaissance scientifique. L'article 12 bis du projet méconnaît cette exigence. Il nous apparaît préférable de fixer une limite éthique claire à l'appropriation du vivant plutôt que de s'en remettre à une appréciation au cas par cas de demandes de brevet « au regard d'un consensus moral ». Cette intelligibilité immédiate des limites éthiques est la justification même des lois de bioéthique. Nous ne souhaitons nullement entraver les progrès de la recherche mais, au contraire, en garantir la possibilité en mettant les chercheurs à l'abri des abus de position dominante.

Comme je l'avais indiqué le 9 décembre dernier, les socialistes déféreront l'article 12 bis devant le Conseil constitutionnel (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

L'exception d'irrecevabilité, mise aux voix, n'est pas adoptée.

M. Alain Claeys - Le ministre souhaitait s'exprimer avant le vote. C'est invraisemblable !

M. Claude Evin - Nous devrions saisir le Conseil constitutionnel du déroulement même de nos travaux !

M. le Président - Le Règlement prescrit qu'une fois le vote annoncé, il doit avoir lieu. Cela étant, je donne maintenant bien volontiers la parole au ministre.

M. le Ministre - Je comprends les inquiétudes légitimes de M. Claeys concernant la brevetabilité du génome humain. La France, qui fait actuellement l'objet d'une procédure en manquement pour non-transposition de la directive 98-44 portant protection juridique des inventions biotechnologiques, doit se conformer au droit communautaire. Bien que le Gouvernement soit réservé sur certaines dispositions de cette directive et qu'il compte agir au niveau communautaire pour en lever les ambiguïtés et obtenir des garanties éthiques, il ne pouvait accepter des amendements la contredisant.

L'article 12 bis du présent texte apporte, je le crois, les garanties souhaitables, disposant notamment que la simple découverte d'un gène ne pourra en aucun cas être protégée par un brevet, non plus que la découverte de la fonction qui lui est associée, ce qui revient à interdire les brevets d'amont dont vous craignez, à juste titre, qu'ils freinent les recherches. Seules les applications techniques concernant cette fonction pourront être brevetées, étant entendu que ce brevet ne pourra faire obstacle à ce que de nouvelles applications techniques concernant la même fonction soient brevetables si elles répondent aux critères exigés d'inventivité. Telle est la position que le Gouvernement défendra au niveau européen. La voie que nous ouvrons peut constituer une issue satisfaisante pour d'autres Etats européens également réticents à une application totale de la directive et inciter la Commission à reconsidérer sa position.

Je comprends le refus exprimé par M. Claeys de la brevetabilité du vivant, refus d'ailleurs quasi-général, exprimé également au plus haut niveau de l'Etat. Mais j'ai la conviction que le présent texte répond à ce souci légitime, tout en respectant le droit communautaire.

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - Très bien !

M. Alain Claeys - J'entends bien ces arguments. Mais la représentation nationale doit savoir que, quelles que soient les restrictions apportées par l'article 12 bis du présent projet de loi, celles-ci ne sont pas opérantes. Aujourd'hui, à l'Office européen des brevets, c'est bel et bien l'article 5 de la directive qui, en dépit de toutes ses ambiguïtés, s'applique, permettant l'octroi de brevets larges. L'article 12 bis ne fait que « limiter les dégâts ». Il faut aller plus loin car il n'est que deux solutions. Ou bien nous laissons faire, et alors ce sont les avocats qui régleront le problème à notre place, ou bien nous allons au bout de notre logique et saisissons le juge constitutionnel de cette question de la marchandisation du vivant. Il faut qu'une réponse de droit soit apportée à ce problème, qui sera l'un des problèmes majeurs en matière de propriété intellectuelle dans les années à venir (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean Leonetti - Peut-on légiférer en matière d'éthique ? L'éthique, c'est en effet la réflexion, l'interrogation, le doute quand la loi, c'est la norme qui réglemente et qui tranche. « Bioéthique », le mot lui-même n'est-il pas contradictoire ? Est-ce la biologie appliquée à l'éthique ou l'éthique appliquée à la biologie, c'est-à-dire au vivant ? Mais pourrait-il exister une éthique qui ne s'applique pas au vivant ?

La vérité est que, paradoxalement, l'éthique est née de la technique. Tant que la médecine et la science étaient impuissantes, elles n'avaient pas besoin de s'interroger sur la morale. Avec le principe d'Hippocrate primum non nocere, la compassion suffisait. Aujourd'hui, le progrès de la science et des techniques nous oblige à nous interroger sur l'éthique. L'individu peut-il être instrumentalisé au profit d'un autre ou de plusieurs autres ? On entend dire çà et là que les chercheurs sont parfaitement capables de définir eux-mêmes leur éthique. Nous savons pourtant que la passion du savoir, l'intérêt généreux de la découverte, éventuellement bénéfique pour beaucoup, peuvent nuire à la vigilance nécessaire pour garantir totalement le respect dû à chaque personne humaine. Nous avons aussi que nous vivons dans un monde d'échanges marchands et de compétition scientifique internationale, et que notre pays ne peut se tenir à l'écart des découvertes européennes et mondiales. C'est pourtant la dignité due à toute personne humaine qui doit guider nos décisions, afin d'éviter tout conflit d'intérêts et de valeurs.

L'homme ne peut être considéré comme un matériel de rechange pour d'autres hommes et tout ou partie de son corps ne peut être commercialisé. On ne peut choisir entre l'intérêt d'un individu et celui de tous. On ne peut instrumentaliser ou négliger une personne au profit d'autres.

L'éthique doit-elle évoluer en fonction du progrès des techniques de façon que, de transgression en transgression, elle s'adapte « pour le moindre mal », comme le disait tout à l'heure M. Claeys ? Ou doit-elle être particulièrement vigilante à ces évolutions et dire périodiquement ce qui est acceptable et ce qui ne l'est pas ? C'est à cet équilibre difficile, recherché de façon modeste et prudente, que ce texte est parvenu grâce au remarquable travail de l'Assemblée et du Sénat, et de leurs excellents rapporteurs.

Le respect de la personne humaine est sans ambiguïté préservé par les articles 3 et 7. Le premier, en insistant sur l'utilité pour les personnes porteuses d'une anomalie génétique d'informer leur famille sans en faire pour elles une obligation sanctionnée pénalement en cas de refus concilie la liberté de la personne qui a droit au respect du secret médical et la sécurité de son entourage. De même, le second, en limitant les donneurs d'organes entre vifs aux parents proches, limite le risque de marchandisation du don d'organes et évite tout doute sur l'authentique générosité des dons.

Le refus de considérer l'humain comme une marchandise s'illustre également dans le refus de breveter le génome humain et l'interdiction du clonage reproductif, considéré comme un crime contre l'espèce humaine. Je sais que le terme même d'espèce humaine a pu choquer certains. Mais c'est une réalité, l'humanité est d'abord une espèce. On naît homme sans pouvoir échapper, qui que l'on soit, à l'appartenance à l'humanité tout entière et, comme l'écrivait Montaigne, « chaque homme porte en lui la forme entière de l'humaine condition. » L'humanité se définit ainsi plus par la filiation que par l'esprit, par l'essence que par le devenir. Comme l'écrit André Comte-Sponville, « l'homme n'est pas d'abord une création, mais une transmission. » C'est au nom de cette fidélité que le clonage doit être considéré comme un crime contre l'espèce humaine : cette barbarie biologique porte atteinte à notre bien commun et notre idéal suprême.

Notre rapporteur a proposé et fait adopter un amendement dit du « bébé du double espoir ». Le diagnostic pré-implantatoire permettra à un couple d'éviter de mettre au monde un enfant porteur d'une anomalie génétique, mais aussi, sans porter atteinte à l'intégrité de l'embryon, de prélever des cellules dans le cordon ombilical pour soigner un enfant déjà né porteur de l'anomalie. Cela est très différent de la conception d'un « bébé-médicament », chosifié, instrumentalisé pour sauver une autre personne.

Mme Christine Boutin - Ce n'est pas différent. C'est seulement plus acceptable.

M. Jean Leonetti - Reste le problème, à mes yeux le plus difficile, de l'autorisation pour cinq ans des recherches sur les embryons surnuméraires pour développer des thérapies cellulaires. Cette autorisation transgresse-t-elle l'éthique ? Beaucoup diront que de toute façon ces embryons surnuméraires ne font plus l'objet d'un projet parental et sont donc condamnés à la destruction. Ils font également valoir que ces pratiques, attestées partout ailleurs dans le monde, seront tôt ou tard bénéfiques à toute l'humanité. Malheureusement, les choses ne sont pas aussi simples et d'autres jugent que les mêmes pratiques portent atteinte à la personne humaine, qu'elles contribuent à chosifier ; ils ajoutent qu'elles détournent de l'intention de parentalité pour un bénéfice lointain et aléatoire. De fait, le doute est légitime en la matière et si le texte qui nous est soumis apparaît acceptable, c'est en raison des limitations dans le temps qu'il pose et de l'interdiction qu'il oppose à la création d'embryons à des fins expérimentales. Nous devons refuser l'idée même d'embryons « surnuméraires » : là se situe en effet la transgression car considérer qu'il peut y avoir création d'une vie « en trop », c'est aller contre la conception que nous avons de l'homme.

Il semble donc que nous ne préparions pas une escalade de transgressions, mais que nous encadrions plutôt, pour une durée limitée, des transgressions déjà acceptées, cela non pour répondre aux besoins de la science mais pour échapper à une situation ambiguë. D'où la révision périodique des lois sur la bioéthique, la création d'une Agence de biomédecine et l'évaluation au bout de quatre ans, prévue par le Sénat.

Il est en effet rassurant, paradoxalement, que cette loi ne soit pas inscrite dans le marbre, qu'elle puisse être défaite et refaite en fonction des apports de la science et, surtout, des doutes éthiques qui nous font un devoir de vigilance.

Au moment où la mission sur l'accompagnement de la fin de vie remet ses conclusions, la deuxième lecture des lois de bioéthique nous renvoie aux mêmes interrogations : qu'est-ce que l'homme ? Quelle est la valeur de la vie humaine ? Celle-ci doit être défendue avec la plus grande force quand elle commence et quand elle se termine, car c'est alors qu'elle est la plus fragile. La dignité humaine ne se négocie pas ni ne souffre d'être fragmentée : elle commande le respect car chaque personne est, conformément à la morale kantienne, une fin en soi.

Hippocrate disait : « La vie est courte, la technique est longue, l'occasion favorable fugitive, l'expérience trompeuse et le jugement difficile. » (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. Alain Claeys - Je tiens à rendre hommage au rapporteur pour le travail qu'il a réalisé en vue d'une synthèse dans cette matière difficile. Certains, y compris dans cette enceinte, critiquent les lois de bioéthique, pour des raisons souvent contradictoires : pour les uns, elles contribuent à freiner la recherche ; pour d'autres - et cela semble être la position de l'orateur précédent -, elles reviennent au bout du compte à accepter ce que souhaitent les scientifiques.

M. Jean Leonetti - Ce n'est nullement ma position !

M. Alain Claeys - Je ne partage aucune de ces conceptions. Je pense que ces lois sont véritablement des lois des droits de l'homme : des droits du chercheur...

Mme Christine Boutin - Non !

M. Alain Claeys - ...chercheur qui peut mener ses travaux en toute sécurité ; des droits du patient, qui peut espérer bénéficier un jour d'un traitement ; et des droits de l'humanité à la dignité et au respect de la vie. Notre mission est de rechercher en permanence une synthèse de ces différents droits.

Je voudrais m'adresser aujourd'hui aux chercheurs et aux malades.

Aux premiers, je rappellerai que l'opinion doute d'une science en quoi elle ne voit plus l'instrument certain du progrès. La faute en est sans doute en partie aux médias, qui donnent par exemple la parole à la secte Antinori sans permettre que s'exprime une contradiction. Nous devons donc faire preuve de pédagogie et il est à l'honneur de la démocratie représentative de s'y attacher, mais tous les chercheurs que nous avons rencontrés ont la même préoccupation citoyenne.

Aux malades, je dirai que, si nous espérons tous que ces recherches auront des applications thérapeutiques, l'honnêteté intellectuelle commande de reconnaître que nous n'en sommes toujours qu'au stade des recherches fondamentales.

Et ce constat nous ramène au débat relatif aux recherches sur l'embryon. Celles-ci sont nécessaires à la recherche fondamentale, mais il faut les encadrer. Or, autant j'étais satisfait de la rédaction adoptée en première lecture, autant celle d'aujourd'hui suscite des réserves de ma part. En effet, on y dit non à ces recherches, mais on décrète un moratoire de cinq ans. Pourquoi limiter ainsi la recherche fondamentale, et pourquoi cinq ans ? Mais ce qui me gêne le plus, c'est qu'on exige des protocoles de recherche qu'ils conduisent à une application thérapeutique : comment un chercheur qui commence à travailler sur les cellules souches pourrait-il s'engager à aboutir à de telles applications ? Peut-être le programme ne permettra-t-il « que » de mieux comprendre la différenciation cellulaire et les mécanismes du cancer... Je respecte ceux qui rejettent de telles recherches, mais, dès lors qu'on les admet, il faut aussi accepter la recherche fondamentale.

S'agissant du diagnostic pré-implantatoire, je suis prêt à admettre les formules telles que « double espoir » ou « bébé de l'amour » - toutes les formules sauf une : celle de « bébé-médicament » ! Et j'ai soutenu sur ce point le rapporteur. Simplement, j'insiste pour que l'on n'élude pas le débat sur le droit de l'enfant.

Monsieur le ministre, les chercheurs attendent la promulgation de cette loi pour participer aux programmes européens de recherches sur l'embryon. Qu'entendez-vous faire, avant même que l'Agence de biomédecine soit installée, pour que les protocoles concernés soient autorisés ? D'autre part, sur un tel sujet, on ne peut se borner à légiférer à l'échelon national. L'Europe doit être présente. Il y a trois ans, sous l'impulsion du Président de la République et du Premier ministre, la France et l'Allemagne ont pris une initiative visant à faire interdire partout dans le monde le clonage reproductif humain. Cette initiative est aujourd'hui bloquée, les Etats-Unis cherchant à faire interdire dans la foulée tout clonage à visée thérapeutique. Je souhaiterais donc savoir si la France maintient sa position. Si oui, de nouvelles initiatives s'imposent.

Sur le clonage thérapeutique, nos opinions divergent. Rapporteur du projet en première lecture, je n'avais pas souhaité qu'il y figure, en raison du risque que le don d'ovocytes tourne à la marchandisation et parce que de nombreux chercheurs m'avaient convaincu que la recherche sur les embryons surnuméraires suffit. Aujourd'hui, les progrès de la recherche nous font penser que le moment est venu pour le Gouvernement et le Parlement de prendre une initiative afin de faire lucidement le point sur l'état des travaux relatifs au clonage thérapeutique. La nouvelle Agence de biomédecine sera bien placée pour réaliser un rapport sur ce sujet.

Nous avons commencé à examiner ce projet alors que nous étions dans la majorité. Aujourd'hui, nous sommes dans l'opposition. Quelle que soit la situation respective de chacun de nous, il est à l'honneur de la démocratie parlementaire d'avoir traité de tous ces sujets dans un grand esprit de tolérance. La mission d'information qui a travaillé durant un an fut exemplaire de notre capacité collective à nous exprimer chacun et à écouter l'autre (Applaudissements sur tous les bancs).

M. Olivier Jardé - Nous voici parvenus au terme d'un débat législatif de trois années, entrecoupé d'effets d'annonce puisque les Raëliens nous avaient annoncé il y a deux ans la production d'un clone humain. C'est un texte équilibré que nous allons adopter, après avoir traité de questions aussi importantes que le clonage, le don d'organes, l'aide à la procréation médicale assistée, la brevetabilité du vivant, en prenant la mesure de toute leur dimension morale. Le clonage reproductif permettrait de programmer génétiquement le destin d'un enfant à naître. Nous avons été unanimes à refuser cette possibilité, qualifiant ce clonage de crime contre l'espèce humaine.

Si l'on n'a pas le droit d'interrompre la recherche, on ne l'a pas davantage de porter atteinte au projet humain. Le délai de cinq ans, Monsieur Claeys, ne me choque pas, car toute recherche appelle un bilan au bout d'un certain temps. Nos chercheurs avaient besoin que nous définissions des principes. Celui de la non-commercialisation du corps humain n'est pas le moindre. Le développement des greffes d'organes se heurte à un déficit de dons. La possibilité d'en réaliser entre vifs est donc un progrès important. Nous avons reconnu que l'information est nécessaire en cas de maladies génétiques graves au sein d'une famille : les porteurs doivent se déclarer. Outre l'acte d'amour que représente l'arrivée d'un bébé, l'aide à la PMA permettra que cet enfant contribue à la guérison d'un frère aîné.

Au total, cette loi de bioéthique est conforme à la dignité de la personne humaine, aux droits des patients et aux nécessités de la recherche. La France fut le premier pays à se doter d'une loi de bioéthique. C'était en 1994. Il était nécessaire d'actualiser cette loi, et nous aurons à le refaire encore. Notre groupe votera ce projet, qui respecte nos convictions morales (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme Jacqueline Fraysse - Ce projet a effectué un parcours singulier. Commencé sous la précédente législature, près de quatre ans nous furent nécessaires pour mener à bien sa discussion. Est-ce dû à de réelles difficultés à répondre à certaines questions soulevées, ou à un conflit grandissant entre des valeurs humanistes et des pressions économiques ?

Les sujets abordés touchent à la personne humaine et à la conception que nous en avons. Ils nous interpellent individuellement et collectivement et font appel au sens le plus élevé de nos responsabilités, au-delà de nos clivages partisans. Ce dont nous traitons est l'affaire de la société tout entière, dans sa diversité. Nous avions donc à faire l'effort d'une véritable réflexion, afin de définir des règles imposant le respect de l'être humain, de son intégrité, de sa dignité et de sa liberté. Si le principe est aisé à énoncer, le traduire dans les faits est apparu beaucoup plus difficile. Nos échanges, souvent riches, ont aussi révélé des divergences profondes entre nous sur l'éthique du vivant. Il n'est pas simple en effet de rassembler l'ensemble du Parlement alors que dans notre société l'argent est de plus en plus considéré comme une fin en soi et que la connaissance évolue à une vitesse inégalée. Comment concilier les nouvelles connaissances sur le fonctionnement humain avec le respect de la personne et des libertés fondamentales ? Les reculs et revirements dont le texte a fait l'objet sous la nouvelle législature n'ont pas contribué à nous rassembler comme nous l'aurions pu. Dans les deux chambres, vous avez cherché sans relâche à imposer vos conceptions. En première lecture, à la suite d'un amendement de notre groupe, le Parlement a interdit la brevetabilité du génome humain, face aux injonctions européennes. Renonçant à cette attitude courageuse et responsable, vous choisissez maintenant de composer avec la directive plutôt que d'engager une nouvelle négociation, et vous sacrifiez sur l'autel de l'Office européen des brevets et de l'OMC un élément du patrimoine commun de l'humanité. Nous étions également tous convenus de réduire les risques de discrimination liés à l'usage des caractéristiques génétiques d'une personne. Vous avez ensuite renoncé, comme vous l'avez fait aussi face à notre proposition de favoriser concrètement le don d'organes. Nous nous étions rassemblés sur la condamnation du clonage reproductif, et heureusement nous le sommes toujours, mais nous nous refusons à incriminer comme vous le faites le clonage thérapeutique, qui nous paraît acceptable s'il est strictement encadré. Vous prenez le risque d'entraver l'avancée de la recherche sur des maladies aujourd'hui encore incurables.

S'agissant de l'embryon, la discussion générale a fait apparaître nos désaccords. Il nous semblait utile d'autoriser des recherches très encadrées sur l'embryon, à condition de ne pas faire naître un marché de l'ovocyte. Vous avez préféré une logique d'exception, au risque de brimer des pans entiers de la recherche. Certes, un amendement a été adopté à l'unanimité pour intégrer au Conseil d'orientation des associations de malades et des usagers du système de santé. Il s'agit d'une ouverture démocratique qui reste cependant bien timorée.

Soit nous adoptons un projet de loi qui cède au conservatisme et opère un recul par rapport à la première rédaction, soit nous nous enfermons dans une attitude d'opposition, ce que nous ne souhaitons pas sur un sujet d'une telle importance. Même si nous le regrettons, nous ne pouvons cependant que confirmer notre premier vote contre la mouture définitive de ce projet.

Mme Christine Boutin - 1992, 1994, 2004 : nous sommes peu nombreux ici à avoir suivi l'ensemble du processus des lois de bioéthique. Il s'agit là d'enjeux essentiels pour l'homme et pour la société. Or, le rapporteur du Sénat l'a reconnu avec courage, ce texte représente une véritable transgression. Sans doute, comme l'a dit M. Leonetti, cette transgression existait-elle déjà en 1992. Mais aujourd'hui, la France l'officialise par l'autorisation « dérogatoire » - il faut bien nous rassurer - de la recherche sur l'embryon. M. le ministre assure qu'il s'agit du premier cadre juridique sur l'embryon, mais celui-ci ouvre la porte à sa réification : l'embryon devient chose, il pourra être créé pour guérir.

La formule magique du « double espoir » était astucieuse, elle passe mieux que le « bébé médicament » ! Mais la réalité est là ! Avec ce texte, l'embryon n'existe plus en tant que tel, mais en fonction de sa destination. C'était déjà vrai lors de l'autorisation de la PMA dans le cadre d'un projet parental, et c'est aujourd'hui consacré pour les embryons surnuméraires qui seront donnés à la recherche s'ils ne font plus l'objet d'un projet parental. Je me demande pourquoi nous n'appliquons pas à la chaîne humaine le principe de précaution dont nous nous réclamons tant, à droite comme à gauche ! Que vaut la distinction entre le clonage thérapeutique et le clonage reproductif ? La technique est la même, et l'on nous prépare à accepter dans cinq ans le clonage thérapeutique.

Ce texte représente un danger pour la dignité de l'homme, et je remercie mon groupe de laisser le vote libre. M. Nesme, absent, m'a chargé de vous dire qu'il voterait contre, et vous ne serez pas surpris que je fasse de même.

M. Jean Leonetti - On applaudit quand même (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Président de la commission - Je voudrais féliciter l'ensemble des intervenants qui ont donné beaucoup de dignité à ce débat, et saluer le remarquable travail du rapporteur (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Quelques remarques au terme de cette discussion. D'abord, la révision de la loi tous les cinq ans est l'un des élément forts de ce texte. Certains y étaient opposés, mais nous aurons ainsi le suivi souhaité par Alain Claeys, ainsi que par la commission.

Ensuite, le moratoire. Il est important d'inscrire dans la loi que les recherches commencées avant l'expiration du délai de cinq ans pourront être poursuivies au-delà si elles ne sont pas arrivées à leur terme, et nous répondons en ce sens aux inquiétudes de M. Claeys.

Enfin, le don d'organe. Celui-ci a été quelque peu oublié par les médias, alors qu'il a fait naître la loi bioéthique à la suite des réflexions du sénateur Caillavet et de Mme Veil il y a 25 ans. Je vous engage à ne pas sous-estimer les pressions des associations de malades en attente de greffes, ni celles des médecins transplanteurs.

Le risque serait que l'on arrive à une commercialisation. Le Sénat et l'Assemblée, sous l'impulsion de M. Fagniez, ont résisté à la tentation d'élargir le cercle des donneurs vivants. Mais certains, en Allemagne par exemple, veulent légaliser le commerce de dons d'organes, pour le rendre « équitable » ! Le corps humain n'est pas une marchandise, il est le véhicule de la dignité de l'homme. Si nous ne favorisons pas le développement du prélèvement d'organes à partir de sujets en état de mort cérébrale, nous risquons d'en arriver à cette commercialisation. Il faudrait renforcer la loi, qui n'est pas bien appliquée aujourd'hui, sur le consentement présumé, grâce à la notion d'appropriation conditionnelle dont j'ai déjà parlé (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Ministre - Je remercie M. Leonetti d'avoir posé le problème de l'agence de biomédecine. C'est vrai, même si les professionnels ont posé des règles de bonne pratique, celles-ci concernent l'ensemble de la société, et doivent être débattues par la représentation nationale.

Parce que les techniques ne cessent d'évoluer, il importe de maintenir la vigilance, et de revoir cette loi tous les cinq ans. Le conseil d'orientation de l'agence de biomédecine pourra, dans son rapport annuel, alerter les pouvoirs publics sur les problèmes causés par les avancées biomédicales. Le Parlement sera représenté à ce conseil, et il pourra s'appuyer sur les rapports de l'agence et de l'office parlementaire des choix scientifiques et techniques.

Monsieur Claeys, merci pour votre discours, et pour avoir reconnu la continuité entre les différents gouvernements sur un sujet aussi essentiel. Vous avez parlé de nos concitoyens qui doutent de la science, et c'est vrai, certaines émissions ne peuvent que nous interpeller : la recherche conduit-elle toujours au progrès ? Les chercheurs eux-mêmes sont demandeurs d'une législation montrant que la société accepte la recherche. S'agissant des applications, le texte exige des « perspectives thérapeutiques » mais non une obligation de résultats.

Les droits de l'enfant sont garantis par l'exigence d'un projet parental pour la procréation médicalement assistée et par la protection de l'enfant issu du diagnostic pré-implantatoire. De plus, s'il y a un tiers donneur, l'enfant aura accès aux informations médicales relatives à la personne qui a donné ses gamètes en cas de maladie génétique ou de problème de santé grave.

Vous avez évoqué le dispositif transitoire. En application de l'article 27, je prendrai en septembre, avec François d'Aubert, un arrêté autorisant les chercheurs à faire une demande d'importation de cellules et à présenter des protocoles de recherche, ce qui leur permettra de répondre aux appels d'offre européens.

Nous devons garder l'esprit ouvert en matière de clonage thérapeutique.

Mme Christine Boutin - Et voilà !

M. le Ministre - Je demanderai à l'Agence de biomédecine un rapport spécifique sur ce sujet.

Monsieur Jardé, je vous remercie d'avoir rappelé les avancées contenues dans ce texte qui, vous l'avez dit, est équilibré. J'ai soutenu l'inscription dans la loi d'une possibilité de révision et de rapports pouvant être commandés à l'Agence de biomédecine, car il nous faut rester vigilants en permanence.

Madame Fraysse, vous avez souligné la nécessité de trouver un équilibre entre les différents courants de pensée. S'agissant de la brevetabilité du vivant, je souhaite que la directive européenne puisse être rediscutée. Par ailleurs, ce projet va rendre les recherches effectives, ce qui constitue une avancée.

Je répondrai enfin à Christine Boutin que le risque de réification de l'embryon a bien sûr été pris en compte dans le texte, qui limite fortement l'extension du diagnostic pré-implantatoire. Nous avons aussi pris en compte la souffrance des parents et des malades. Mais je salue votre constance, Madame la députée.

Si je viens m'exprimer à la fin du processus législatif, je n'oublie pas que ce texte est d'abord l'œuvre de mon prédécesseur Jean-François Mattei ainsi que de MM. Dubernard et Fagniez, que je félicite pour leur travail (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Le texte de la CMP, mis aux voix, est adopté.

La séance, suspendue à 11 heures 20, est reprise à 11 heures 30.

ASSURANCE MALADIE (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi relatif à l'assurance maladie.

M. Jean-Marie Le Guen - Je voudrais faire un rappel au Règlement, fondé sur l'article 58. Les parlementaires sont censés disposer de tous les éléments nécessaires au débat. Je voudrais donc savoir si le Gouvernement, que je félicite pour avoir décidé que les prix du tabac ne baisseraient pas, et donc que les politiques de santé publique mises en œuvre avec le soutien de l'opposition seraient maintenues, compte attribuer le produit de ces recettes fiscales à l'assurance maladie. Pour l'instant, elles sont malheureusement encore affectées au budget de l'Etat. L'effort demandé aux consommateurs devrait-il servir à boucher les trous du budget de l'Etat, miné par les baisses d'impôts pour les plus fortunés ?

Par ailleurs, plusieurs études mettent en cause, dans la presse de ce matin, le plan de financement proposé par le Gouvernement. La note de Bercy avait été présentée comme l'œuvre de technocrates malintentionnés, mais l'Observatoire français des conjonctures économiques, laboratoire indépendant de grande notoriété, vient de confirmer nos analyses : votre plan ne permettra pas d'atteindre l'équilibre financier en 2007. Une autre publication, du cercle des économistes, affirme que le plan n'est pas financé et que ses prévisions sont parfaitement infondées. Le Gouvernement a déclaré l'urgence sur ce texte, objet de la session extraordinaire, pour régler les problèmes majeurs du financement de l'assurance maladie. Mais les mesures qu'il veut faire voter ne sont pas de nature à assurer le retour à l'équilibre.

M. Jean-Michel Dubernard, rapporteur de la commission spéciale - En ce qui concerne les prix du tabac, les ministres vous répondront. Je pense que le Gouvernement a adopté une position très courageuse. Quant au reste, nous n'allons pas refaire encore le match ! Les publications auxquelles vous faites allusion sont à prendre avec prudence, car elles ne font pas la différence entre court, moyen et long termes et surtout parce qu'elles sont fondées sur un raisonnement purement financier. Or, depuis quinze jours, nous ne parlons que d'amélioration de la qualité ! Le dossier médical personnel, le médecin traitant, le parcours de soins vont dans ce sens : tout le monde l'admet, même Mme Aubry ! Les prévisions de ces techniciens, qui ne voient rien d'autre que l'aspect financier, n'ont pas grand sens.

J'ajoute, et Claude Evin est bien placé pour le savoir, qu'il existe un gisement d'économies au niveau de l'hôpital, qui permettront d'améliorer la qualité du service. Le plan hôpital 2007 aura donc lui aussi des conséquences positives sur le plan financier.

M. Claude Evin - Je m'exprime ici avec toute la liberté d'un parlementaire, bien que le rapporteur et le ministre aient l'habitude de faire allusion à d'autres responsabilités que j'exerce par ailleurs. Les études qui ont été évoquées vont beaucoup plus loin que le seul aspect financier des choses. Elles dénoncent notamment l'aspect limité de la réforme. L'OFCE relève en particulier que la référence incantatoire à certains principes de la médecine libérale, notamment en ce qui concerne les modes de rémunération, exclut une remise en cause qui semble pourtant indispensable.

M. le Rapporteur - Voulez-vous la suppression du paiement à l'acte ?

M. Claude Evin - La question n'est pas taboue. Tous les économistes de la santé reconnaissent que le paiement à l'acte est inflationniste. Si vous décidez qu'il est hors de question d'y toucher, dites-le, mais affirmez en même temps qu'il n'est pas possible de lutter contre cette inflation ! Ne prétendez pas que vos réformes y suffiront ! Je pense que sans réforme des modes de rémunération des professionnels libéraux, beaucoup des mesures annoncées ici demeureront très limitées.

Quant aux gisements d'économies, je partage votre objectif : il n'y a aucune raison pour que l'hôpital ne participe pas à l'effort général. Toutefois, je reviendrai en détail sur les mesures que vous proposez dans l'article 7.

ART. 7

M. Jean-Luc Préel - En ce qui concerne le problème du tabac, on connaît le nombre de décès qui y sont liés et la politique sur les prix, comme la politique de prévention et d'éducation à la santé, doivent être soutenues.

L'article 7 est relatif aux bonnes pratiques. Même si nous disposons d'un excellent système de soins, des progrès sont indispensables en termes de qualité. Nous souhaitons tous la mise en œuvre de bonnes pratiques, qui seront définies par la Haute autorité, à partir de conférences de consensus. Restera ensuite à les mettre en pratique et à les évaluer. Le rôle de la formation médicale continue devrait être majeur en la matière, mais nous en connaissons les insuffisances. Elle doit devenir le plus vite possible obligatoire, et être évaluée. Nous devons établir une véritable culture de la qualité.

L'article 7 instaure un dispositif contractuel, avec intervention des URCAM, approbation des contrats par le directeur de la caisse d'assurance maladie, et participation des assurances complémentaires, notamment pour l'évaluation et l'amélioration des pratiques. J'espère que ce dispositif complexe permettra des progrès. Il faudra, pour cela, impliquer les professionnels de santé dans une « démarche qualité ». Quant à l'idée d'étendre le dispositif à l'hôpital, elle est intéressante, mais il reste à savoir comment la mettre en œuvre. Qui évaluera les économies réalisées à l'hôpital, et comment ?

M. Alain Vidalies - Avec l'article 7, nous abordons pour la première fois le rôle que les assurances complémentaires seront appelées à jouer - toutes les complémentaires : mutuelles, mais aussi assurances privées. Aussi ne peut-on passer sous silence l'interprétation que les compagnies d'assurance donnent à ce projet : elles considèrent que le texte leur ouvre de nouveaux marchés. Le rapporteur a d'ailleurs précisé lui-même que chaque assuré pourrait souscrire une assurance complémentaire pour éviter d'avoir à régler lui-même les pénalités prévues s'il ne se plie pas au parcours de soins prévu dans le texte ou pour s'exonérer du surcoût qu'engendrera l'accès direct aux spécialistes. On voit bien qu'un champ nouveau s'ouvre aux assurances complémentaires, mais avec une orientation toute différente des principes qui ont fondé notre sécurité sociale, puisque l'on privilégie désormais le traitement individuel et non plus le traitement collectif de l'assurance maladie.

Jusqu'à présent, le rôle de la mutualité dans l'assurance maladie était clairement défini, tant du point de vue financier qu'en matière de participation à la gestion. Aujourd'hui, conformément au droit communautaire, tout ce qui est ouvert aux mutuelles l'est également aux assurances privées. Dans ces conditions, il est intéressant de connaître l'opinion exprimée sur le projet par M. Gérard de la Martinière, président de la fédération française des sociétés d'assurance, telle qu'elle ressort de l'interview qu'il a accordée au journal La Tribune. Et que dit-il ? Que la réforme ouvre « un champ important de développement pour les complémentaires » ; que « la reconnaissance du rôle des assureurs santé dans le dispositif de couverture des soins est un signe encourageant » ; qu' « il faut que se développe une offre concurrentielle de marché ». Si le comble du cynisme est atteint lorsque M. de la Martinière explique qu' « en matière de lobbying, les responsables de la mutualité française bénéficient, par certains aspects, d'atouts considérables dont les assureurs ne disposent pas, pourquoi ne pas en profiter indirectement ? », le plus inquiétant tient à la priorité clairement affichée d'avoir accès aux données individuelles de santé.

Dans ces conditions, il est inutile de continuer à prétendre que la réforme ne servira pas les intérêts des assurances privées (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Richard Mallié - Caricature !

M. Alain Vidalies - Je ne fais que citer M. de la Martinière !

Mme Jacqueline Fraysse - Je partage l'inquiétude exprimée par M. Vidalies. L'Assemblée devrait réfléchir : jusqu'à présent, le danger de la privatisation, sur lequel nous l'alertons depuis le début de l'examen de ce texte, lui avait échappé. La main sur le cœur, chaque député de la majorité se déclare favorable à un système d'assurance maladie solidaire - et pourquoi ne pas les croire ? Mais alors, tous les yeux étant à présent dessillés, le temps n'est-il pas venu de revoir le texte et d'en modifier les dispositions dangereuses ?

L'article vise, nous dit-on, à promouvoir les bonnes pratiques, et l'on nous explique, comme à l'habitude, que c'est dans l'intérêt des patients. Pourtant, ces accords avaient été critiqués dès 1999, parce qu'ils fixaient des objectifs quantifiés, confirmant une démarche comptable. Que l'on cherche à éviter des dépenses inutiles, soit, mais éviter des dépenses à tous prix au détriment de la qualité des soins, c'est une démarche beaucoup plus contestable. Quand on voit, par exemple, qu'un accord de bon usage tendrait à réduire le nombre des visites à domicile, on se rend compte qu'une nouvelle fois on cherche à pénaliser les patients. Mieux vaudrait un effort pédagogique, car toute mesure justifiée est compréhensible. Cet article est particulièrement préoccupant, non seulement parce qu'il annonce une privatisation mais aussi parce qu'il permet d'anticiper le rationnement des soins à l'hôpital, comme ils ont été rationnés à la ville. Nous proposerons donc la suppression de dispositions qui n'ont rien à voir avec l'amélioration de la qualité des soins et qui méconnaissent l'intérêt général.

M. Augustin Bonrepaux - A mon sens, l'article 7 devrait être intitulé « Promotion des pratiques minimales ». On sait bien, en effet, à quel point la répartition des médecins sur le territoire est inégalitaire. Dans son projet relatif au développement des territoires ruraux, le Gouvernement le reconnaît, mais il s'apprête à porter à la charge des communes l'offre de soins en les « autorisant » à créer des services de soins - sans, bien entendu, que l'Etat leur en donne les moyens - et en les « autorisant » aussi à réduire la taxe professionnelle des médecins libéraux. Dans ce texte, on envisage tout bonnement la privatisation...

Mme Claude Greff - Il n'a jamais été question de privatisation !

M. Augustin Bonrepaux - Et vous trouvez sans doute que ce n'est pas rompre le principe de l'égalité d'accès aux soins que de laisser aux collectivités locales la charge d'attirer des médecins sur leur territoire ? Vous approuvez une telle orientation ? (Interruptions sur les bancs du groupe UMP)

Le projet de loi relatif au développement des territoires ruraux dit bien qu'en matière de santé - je résume, mais c'est la vérité -, chaque collectivité n'a qu'à se débrouiller comme elle peut. L'accès aux soins sera-t-il donc fonction des moyens de chaque collectivité ? Voilà pourquoi cet article devrait parler non de « bonnes pratiques de soins », mais de « pratiques minimales » (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Gérard Bapt - Que les URCAM puissent déléguer certaines de leurs compétences en matière de gestion des risques et passer des contrats avec les réseaux de professionnels va dans le sens de la régionalisation que nous souhaitons. Nous pourrions donc être d'accord avec cette partie de l'article 7. Hélas, il comporte d'autres dispositions que nous ne pouvons accepter, comme la possibilité pour les complémentaires d'être partie aux contrats conclus entre les URCAM et les réseaux. Voilà que les complémentaires, déjà entrées au Conseil d'orientation et parties prenantes aux conventions entre les caisses et les syndicats de médecins, voient encore leur champ d'intervention élargi ! Nous sommes inquiets.

M. de la Martinière, président de la Fédération française des sociétés d'assurance, explique qu'il n'est pas besoin aux compagnies d'assurance de faire du lobbying en matière de santé, la Mutualité jouant pour elle. En réalité, elles s'en servent comme d'un cheval de Troie pour investir le champ de la protection sociale : M. de la Martinière lui-même le reconnaît dans une déclaration particulièrement éclairante, où il demande pourquoi les assurances ne profiteraient pas « des atouts considérables de la Mutualité ». La direction de la Mutualité en est-elle consciente et mesure-t-elle les conséquences ? Sur les cotisations de ses adhérents bien sûr, qui ont déjà considérablement augmenté et continueront de le faire, mais aussi sur les pratiques commerciales appelées à se développer avec une concurrence acharnée entre mutuelles et assurances. Des contrats seront proposés incluant des surcomplémentaires qui permettront aux assurés en ayant les moyens de s'affranchir des contraintes imposées à ceux qui n'auront qu'un contrat de base.

Le champ d'intervention des complémentaires est bel et bien augmenté, d'une part par les déremboursements massifs, d'autre part par la modification du périmètre de soins, nouvelle formule pour désigner le panier de soins. Et ce ne sera pas sans conséquence pour les mutualistes. Leurs cotisations augmenteront, je l'ai déjà dit, mais les actions même des mutuelles en seront affectées. Ainsi une revue aussi remarquable et précieuse par la qualité de son information que Santé et travail, éditée par la Mutualité française, se trouve menacée. La Mutualité ne souhaite plus en supporter le coût, pourtant modeste, son directeur général faisant valoir qu'il lui appartient de « bien gérer les cotisations des adhérents ». Comme si pointer les dangers des éthers de glycol, décrire les ravages du dopage dans les bureaux n'était pas « bien gérer l'argent des mutualistes » ! La véritable raison de cette suppression est qu'avec la concurrence exacerbée avec les assurances, la Mutualité doit désormais rechercher la rentabilité à tout prix. D'où nos inquiétudes (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean-Marie Le Guen - Je me limiterai, pour ma part, au II de l'article qui concerne les établissements de santé. Si nous ne pouvons qu'approuver l'objectif proposé d'amélioration de la qualité des soins, nous nous interrogeons sur les moyens prévus pour l'atteindre. Pour imposer aux établissements de santé, comme aux médecins libéraux, de bonnes pratiques cliniques, comment la réunion annuelle prévue entre les responsables de l'URCAM et ceux de l'ARH pourrait-elle suffire ? Ne serait-ce que pour des raisons de fongibilité des enveloppes, ce sera inopérant. Et ce n'est assurément pas à la hauteur de l'enjeu ! Si certaines bonnes pratiques, comme la coordination entre services au bénéfice du malade, peuvent relever des établissements seuls, d'autres exigent une coopération avec la médecine de ville, par exemple pour assurer la continuité des soins. Or, sur ce point, aucune garantie n'est apportée et ce n'est pas une réunion par an entre URCAM et ARH qui changera quoi que ce soit. Le Gouvernement aurait dû avoir le courage de proposer la création d'agences régionales de santé, que nous souhaitons quasi unanimement. Nous étions tous prêts à prendre nos responsabilités. Hélas, le Gouvernement, alors même qu'il est convaincu de la nécessité de le faire, nous dit que l'on ne peut pas aller aussi vite. Pourquoi ? En tout cas, sans ARS, il sera impossible de mettre en œuvre le II de cet article.

M. Claude Evin - Je regrette d'intervenir sur un tel sujet alors que M. Douste-Blazy n'est pas dans l'hémicycle, même si je ne doute pas que le secrétaire d'Etat lui transmettra mes interrogations. Je me félicite moi aussi des exigences introduites par le II de cet article pour les praticiens hospitaliers. Un récent rapport de la CNAM, consacré notamment au traitement du cancer du sein, montre combien les établissements ont encore de progrès à faire.

Un accord-cadre national de bonnes pratiques hospitalières sera conclu entre le ministère, l'UNCAM et les fédérations représentatives des établissements, auquel s'ajouteront des accords entre URCAM et ARH au niveau régional. Soit, mais comment ces accords s'appliqueront-ils concrètement à l'intérieur des établissements ? Il n'existe aucun rapport de dépendance entre les praticiens hospitaliers, nommés par le ministre, et la direction de l'établissement où ils exercent. La disposition proposée obéit donc sans doute à une intention louable, mais sa portée est limitée du fait de cette organisation des responsabilités. Celle-ci devrait par conséquent être revue - et je ne parle pas seulement du problème de la nomination des praticiens. Je sais que le rapporteur va proposer un amendement visant à associer leurs représentants à la négociation, mais, contrairement à ce qui se passe dans le cadre libéral, personne ne peut obliger ces praticiens à respecter les obligations contractuelles souscrites auprès du conseil d'administration de l'hôpital, à supposer qu'il en existe. Des objectifs peuvent être fixés par l'établissement, mais quelle sera la sanction s'ils ne sont pas atteints ?

Il convient donc de poursuivre la réflexion. Il faut le faire, bien entendu, en liaison avec les syndicats de praticiens et dans le respect des statuts, mais tant que l'on n'aura pas revu la procédure de nomination de manière à conférer un réel pouvoir à l'établissement, il sera impossible de parvenir au but que vous vous fixez.

M. Richard Mallié - J'ai le sentiment que l'opposition ne parle que pour meubler ou pour prolonger le débat ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) Après avoir décelé une volonté d'étatisation, voici qu'on nous parle de privatisation. Mais j'ai lu attentivement le projet et j'ai constaté qu'il excluait l'une et l'autre.

M. Gérard Bapt - Vous l'avez lu avec les yeux de l'amour !

M. Richard Mallié - Il est exact qu'il y a deux ans, le gouvernement a porté le prix de la visite à 20 €, mais il y a eu une contrepartie : la réduction du nombre des visites abusives, et progressivement, les choses reviennent effectivement à la normale. Il ne s'agit en aucun cas de déremboursement !

Quant aux incitations à l'installation, maire pendant treize ans et demi, j'ai toujours considéré qu'il valait mieux avoir un peu que n'avoir rien du tout. Or, sans médecin, il n'y a pas de taxe professionnelle pour la commune et, s'il y en a un, il y a taxe professionnelle, même si on lui consent un avantage en ce domaine !

Comme celles de la précédente, les dispositions de cette section 2 visent à dépenser mieux pour soigner mieux. Comment nier l'intérêt d'une promotion des bonnes pratiques et d'une coordination entre médecine de ville et hôpital ? Pour ma part, je ne puis que me féliciter de cet article 7 (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Marc Bernier - Je regrette que M. Bonrepaux soit reparti...

M. Gérard Bapt - Il est allé à la MEC !

M. Richard Mallié - En pèlerinage ?

M. Marc Bernier - Contrairement à ce qu'il a avancé, on ne remet nullement en cause la compétence de l'Etat en matière de santé lorsqu'on veut permettre aux collectivités d'inciter à l'installation de médecins ou au regroupement des professions médicales et paramédicales. D'ailleurs, n'étions-nous pas tous d'accord à ce sujet lorsque nous avons débattu de la loi sur le développement des territoires ruraux ? Mme Royal elle-même n'a-t-elle pas demandé cette mesure pour les régions ? Ayant rédigé un rapport sur la démographie médicale, je puis assurer à notre collègue que ces regroupements sont de nature à combattre la désertification : quelle famille irait s'installer dans une région dépourvue de médecin, par exemple ? Ce mouvement permet aussi de rompre l'isolement, qui dissuade les praticiens, surtout femmes, de prendre la succession d'un collègue partant à la retraite.

Pour ma part, j'avais proposé que les praticiens libéraux puissent occuper un poste à mi-temps à l'hôpital, ce qui aurait le mérite de pourvoir des postes vacants tout en favorisant une meilleure coordination entre médecine de ville et médecine hospitalière. Je suis heureux que le ministre ait repris l'idée, d'autant que cette coordination permettrait de lutter plus efficacement contre des maladies telles que le cancer du sein : actuellement, il n'y a que 38 % des femmes qui bénéficient d'un dépistage organisé cependant que 80 % des mammographes se trouvent dans les cabinets libéraux. Cessons donc d'opposer médecins libéraux et hôpital ! Nous avons intérêt à ce que tous travaillent ensemble et dans de bonnes conditions (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Xavier Bertrand, secrétaire d'Etat à l'assurance maladie - Nous gagnerions tous à éviter la caricature. Ce projet s'inscrit dans la logique de la sécurité sociale à la française et, comme l'a souligné M. Mallié, il refuse aussi bien l'étatisation que la privatisation. Nous rejetons avec la même force le système américain, qui est en fait un système double - l'un pour les riches, l'autre pour les pauvres -, et le système britannique qui est, lui, un système pauvre ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Nous pensons que le système français a un avenir pour peu qu'on prenne son courage à deux mains pour moderniser notre assurance maladie. Dès lors, ne cherchons pas à effrayer les Français en nous faisant peur à nous-mêmes avec des mots ! Les acteurs complémentaires interviennent déjà auprès de neuf Français sur dix. Dans 62 % des cas, ce sont des organismes régis par le code de la mutualité et dans 23 %, des assureurs, le reste étant constitué par des instituts de prévoyance. Ces organismes complémentaires couvrent à peu près 12 % des dépenses de santé. Quant à cet article, il ne fait que reprendre les préconisations du Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie, qui a recommandé un partenariat intelligent entre les différents régimes.

D'autre part, ce plan de modernisation est le premier à ne pas faire bouger la frontière entre régime obligatoire et régimes complémentaires. Nous demandons certes des efforts aux Français, mais c'est pour préserver notre système d'assurance maladie ! Des acteurs du secteur complémentaires ont sans doute demandé à avoir accès aux données de santé individuelles, mais le Gouvernement l'a refusé avec la plus grande netteté, et il a même souhaité que des sous-amendements renforcent les garanties déjà offertes par le projet : c'est ainsi que le dossier personnel ne pourra être consulté ni lors de la conclusion d'un contrat ni au cours de son exécution. Je tiens à le souligner. Nous voulons élaborer un cahier des charges pour garantir aux Français un accès de même qualité aux prestations des complémentaires.

Madame Fraysse, les accords entre assureurs complémentaires et professionnels de santé peuvent avoir d'heureux effets pour les assurés sociaux. Songeons à l'expérience pilote développée par la MSA. Ne cherchons pas toujours le mauvais côté des choses, et n'oublions jamais que la prééminence de l'assurance maladie est sauvegardée en toute circonstance, puisque son régime n'est modifié en rien.

En quoi, Monsieur Bonrepaux, vouloir introduire une logique de bon usage des soins à l'hôpital, et jouer la carte de la coordination serait-il condamnable ? Pourquoi écarter ce qui peut tourner au profit des malades ?

Monsieur Vidalies, rien dans ce qui vous est présenté ne peut laisser croire au début d'une esquisse de sélection des risques, d'autant que la loi Evin apporte sur ce point des garanties solides, et que nous-mêmes avons refusé l'accès aux données de santé personnelles. Monsieur Le Guen, vous avez reconnu l'intérêt de l'article...

M. Jean-Marie Le Guen - De son paragraphe II seulement !

M. le Secrétaire d'Etat - Vous souhaitez que les contrats soient mis en œuvre sous l'égide de l'ARS. Nous en reparlerons en examinant l'article 37, et nous verrons alors si chacun conçoit le rôle des ARS de la même façon.

Monsieur Evin, nous approuverons un amendement appelant les représentants des médecins hospitaliers à participer aux contrats locaux. La gouvernance de l'hôpital, dont certaines associations importantes sont co-contractantes, prévoit bien une co-nomination des chefs de pôle et de service pour le binôme président-directeur de la CME. Nous y voyons donc plus clair aujourd'hui dans ce domaine. Dans la future négociation avec les praticiens hospitaliers, le problème des liens hiérarchiques au sein de l'équipe médicale sera bien posé.

J'apprécie vivement le ton serein qui préside ce matin à nos débats (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) .

M. le Président - Les amendements 892 à 903 sont identiques.

Mme Jacqueline Fraysse - Notre demande de supprimer l'article pourrait laisser croire que notre groupe ne s'intéresse pas aux bonnes pratiques médicales ni à la façon dont est dépensé l'argent consacré à la santé, et qu'il ne veut pas que les mutuelles et les complémentaires participent à la réflexion sur le fonctionnement de notre système de soins. Naturellement, il n'en est rien ! C'est à la façon dont vous procédez que nous nous opposons, par exemple à la limitation à cinq médicaments pour les ordonnances délivrées aux personnes âgées. En quoi une telle mesure contribue-t-elle à améliorer la pratique médicale ? Attirer l'attention des médecins sur la longueur de certaines ordonnances, chercher à savoir à quoi tient ce gonflement, pourquoi pas ? Mais permettez au médecin que je suis de qualifier votre décision d'imbécile. Quand une personne est malade, il s'agit de la traiter le mieux possible, et c'est tout, même s'il faut six médicaments.

M. Richard Mallié - La mesure que vous critiquez figure-t-elle dans le projet ?

Mme Jacqueline Fraysse - Nulle part ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) Mais elle se cache sous la notion de « bonne pratique », vous le savez et ne le dites pas aux Français. Pourquoi cinq médicaments plutôt que quatre ? Votre démarche est arbitraire et inadmissible.

M. Richard Mallié - C'est de la désinformation !

Mme Jacqueline Fraysse - Au reste, cette disposition sera inapplicable.

Les amendements 892 à 903, repoussés par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu cet après-midi, à 15 heures.

La séance est levée à 12 heures 40.

            Le Directeur du service
            des comptes rendus analytiques,

            François GEORGE

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ERRATUM

au compte rendu analytique de la première séance du mercredi 7 juillet 2004.

Page 18, après l'intervention de Mme Génisson, lire :

« Monsieur le Ministre - Je pensais que vous aviez au moins lu le texte... » (le reste sans changement).


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