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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2003-2004 - 30ème jour de séance, 75ème séance

1ère SÉANCE DU MARDI 25 NOVEMBRE 2003

PRÉSIDENCE de M. Marc-Philippe DAUBRESSE

vice-président

Sommaire

      FIN D'UNE MISSION TEMPORAIRE 2

      SERVICE CIVIQUE POUR LES JEUNES 2

      FIXATION DE L'ORDRE DU JOUR 15

      SERVICE CIVIQUE POUR LES JEUNES (suite) 15

      A N N E X E ORDRE DU JOUR 18

La séance est ouverte à neuf heures trente.

FIN D'UNE MISSION TEMPORAIRE

M. le Président - Le Premier ministre m'a informé, par lettre du 19 novembre, que la mission temporaire confiée à M. Emmanuel Hamelin, député du Rhône, prenait fin le 21 novembre 2003.

SERVICE CIVIQUE POUR LES JEUNES

L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de MM. Jean-Marc Ayrault, Daniel Vaillant et plusieurs de leurs collègues tendant à créer un service civique pour tous les jeunes.

M. Daniel Vaillant, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - Je suis très honoré de rapporter devant vous la proposition de loi du groupe socialiste visant à créer un service civique obligatoire pour tous les jeunes. Ce projet ambitieux est nécessaire, voire urgent. Député d'un arrondissement populaire parisien, je prends chaque jour la mesure du désarroi de nos concitoyens devant la montée de l'individualisme qui engendre incivilité et violence et dilue le sentiment d'appartenance à la nation. De toute évidence, le lien social s'est distendu et une confusion entoure droits et devoirs. Il est indispensable de remettre les valeurs de la République à l'ordre du jour.

Face à ce constat, il faut agir, en renforçant le rôle de l'école publique et la place de la famille, et en créant le service civique et citoyen. Il s'agira d'un véritable investissement républicain, qui témoignera de la volonté de l'Etat de redonner du sens au pacte social. Le service militaire, qui a disparu en 1997, était devenu obsolète et inégalitaire. Il ne visait que les garçons et était vécu comme une contrainte préjudiciable à leur carrière professionnelle. 150 000 appelés bénéficiaient d'ailleurs d'une exemption... Néanmoins, il possédait des vertus évidentes : il permettait à de nombreux jeunes de sortir du giron familial et de rencontrer des personnes d'origine différente. Il leur faisait connaître une discipline de vie et donnait un sens au « vivre ensemble ». Il était le lieu où se transmettaient un certain nombre de valeurs. L'historien Raoul Girardet a souligné que sa disparition participe sans doute de la fracture sociale, car c'était le lieu où l'étudiant bourgeois pouvait rencontrer le fils de paysan. Enfin, il donnait l'occasion d'acquérir une formation ou de se découvrir des capacités professionnelles.

C'est cela que nous souhaitons recréer, en nous appuyant sur le constat de la politologue Anne Muxel : les jeunes ne sont ni dépolitisés, ni démobilisés. Ils font preuve au contraire d'une conscience aiguë des problèmes touchant à la collectivité. Ils considéreront donc certainement le service civique et citoyen comme une chance d'enrichissement personnel. Ce service obligatoire n'est pas un retour en arrière, mais une innovation. Ailleurs en Europe, dans les Etats qui ont maintenu le service militaire, comme l'Allemagne ou les pays scandinaves, le service civil obligatoire n'est accessible qu'aux objecteurs de conscience. Dans les autres, seuls existent des dispositifs largement basés sur le volontariat. Notre assemblée a enregistré une proposition de loi de Claude Greff, qui tend à créer un « temps citoyen » de trois semaines pour tous les jeunes. Il semble que notre collègue émette une réserve essentielle sur le caractère obligatoire de notre proposition, mais je pensais que celle-ci serait accueillie favorablement par la majorité. Il est toutefois à noter que seule la nôtre est inscrite à l'ordre du jour. Celle de notre collègue ne serait-elle qu'un acte d'affichage ? Notre texte est le fruit d'un long travail, et porte un projet clair et facilement réalisable. Il serait souhaitable que l'Assemblée l'adopte aujourd'hui.

Si le service civique n'était pas obligatoire, il risquerait de ne pas toucher bon nombre des jeunes auxquels nous souhaitons nous adresser en priorité. Il sera proposé sur la base du volontariat, en revanche, aux jeunes de nationalité étrangère résidant régulièrement sur notre sol. J'insiste particulièrement sur le caractère universel du service civique : la République ne doit laisser personne sur le bord du chemin. Ce sera une occasion d'acquérir certaines bases, tant pour ceux qui ont quitté l'école sans diplôme et sans formation que pour ceux qui y ont réussi. Pour tous, il sera un lieu de rencontre et de découverte des autres, un temps donné à la République et offert par elle. Il permettra aux jeunes d'accepter les autres dans toutes leurs différences, sociologiques, idéologiques, ethniques ou religieuses. Bref, il s'agira d'un moment d'insertion sociale, d'un creuset républicain qui constituera un véritable investissement républicain pour notre société.

Le service devra s'effectuer en deux périodes d'un mois chacune, généralement étalées sur deux ans. Il n'altérera en rien la formation ou le parcours professionnel des jeunes, puisqu'il s'effectuera pendant les congés, après le bac ou à 18 ans pour ceux qui ont quitté l'école plus tôt. La première période sera consacrée à une formation théorique basée sur les fondamentaux de notre société : les valeurs de la République, la laïcité, le civisme, le respect des autres et de soi-même, mais aussi quelques règles élémentaires d'hygiène de vie - pour lutter par exemple contre le sida et les maladies sexuellement transmissibles, l'alcoolisme, le tabagisme ou la drogue - et des cours de culture générale ou pratique. Les éléments de l'actuelle journée de préparation à la défense seront intégrés à cette période. Seront enfin proposés des stages d'initiation pratique dans des domaines très différents, tels que le secourisme, la sécurité civile, la restauration du patrimoine, la préservation de l'environnement, l'éducation, la santé ou l'action humanitaire.

La seconde période permettra aux jeunes, en fonction de leurs centres d'intérêt, d'appréhender ces matières de façon plus pratique, au travers de modules spécialisés qui s'effectueront dans les établissements scolaires, écoles de police et de gendarmerie, hôpitaux, casernes de l'armée ou des pompiers, maisons de retraite ou parcs naturels par exemple. Toute la souplesse nécessaire sera conférée au dispositif, notamment dans le choix des périodes, qui pourront d'ailleurs s'effectuer dans la même année, pour s'adapter aux contraintes universitaires ou professionnelles des jeunes. Une période de service prolongé, d'une durée de six mois à un an, sera offerte à ceux qui le souhaiteront pour valider certains acquis. Elle permettra à certains de consolider les bases qu'ils n'ont pas acquises durant leur scolarité et constituera pour d'autres une première étape vers la vie professionnelle. Ce service prolongé fera, bien sûr, l'objet d'une indemnisation.

Un délégué interministériel sera chargé de coordonner les services des différents ministères concernés par le dispositif. L'organisation devra être décentralisée, prenant appui sur les structures existantes et créant des partenariats avec les collectivités ou même des structures privées. L'encadrement devra être à la fois motivé et motivant. Les jeunes seront en effet amenés à se côtoyer pendant un mois, exception faite du repos hebdomadaire. Il apparaît difficile de puiser dans le vivier de l'armée, puisque les postes des 35 000 sous-officiers et des 3 000 à 4 000 officiers qui avaient la charge du service militaire ont été supprimés. Il paraît en revanche envisageable de se tourner vers l'éducation nationale et les associations pour trouver des formateurs. De jeunes retraités pourront également être sollicités. Notre pays regorge de bonnes volontés et de personnes qualifiées. Utilisons leur énergie au service du pacte républicain et de la cohésion sociale !

Pour ce qui est de la transmission des savoirs, l'encadrement existe déjà. Les associations connaissent bien ce type de travail. Certaines entreprises rappellent de jeunes retraités, l'Etat peut faire de même. Des ateliers pourraient ainsi être animés par des agents de la sécurité civile, de l'armée, de l'école ou des services sanitaires et sociaux.

Bien sûr, ce service aura un coût, je l'ai estimé à deux milliards environ. Ce n'est pas rien, mais la France peut le financer. C'est l'équivalent de la baisse de l'impôt sur le revenu mais le service civique me paraît bien plus efficace pour l'avenir... Là encore, nous proposons une utilisation plus juste et plus dynamique de l'argent public.

Ce service civique et citoyen est bien un investissement républicain. Il sera tout autant utile au développement personnel des jeunes qu'à celui de la société. Ce n'est donc en aucun cas une « usine à gaz » mais une proposition concrète, transversale qui touche à tous les domaines de notre vie collective et qui a une utilité sociale forte. Pour les jeunes, c'est du « gagnant-gagnant » - ils offrent de leur temps, la République leur offre toute ce qu'elle est -, pour la société aussi.

« La période récente vient de démontrer combien l'ambition collective, républicaine pouvait être malmenée. Mon engagement est de restaurer ce vouloir vivre ensemble. A la générosité du projet consistant à tout mettre en oeuvre pour favoriser le rapprochement entre les différentes composantes de la société doit correspondre une exigence, proclamée haut et fort : celle du respect intangible, dans l'espace public, des principes républicains », déclarait le Premier ministre, le 24 octobre 2002. Eh bien, le groupe socialiste vous propose maintenant de passer aux actes.

Car il y a urgence ! Le pacte républicain est réellement fragilisé. Cela se traduit par davantage d'individualisme, par le non-respect des règles, par la montée de la violence et par celle des communautarismes. Les jeunes eux-mêmes sont conscients de ces dégâts. Pis, ils en sont les premières victimes. Le coût en est finalement très élevé pour la société.

Cette réforme sera bien acceptée si elle est bien expliquée. Je vous demande donc de donner une suite favorable à cette proposition, d'en discuter les articles et les amendements, de la considérer avec toute l'ouverture d'esprit que les Français attendent de la représentation nationale (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Christian Jacob, ministre délégué à la famille - Avec cette proposition, le groupe socialiste cherche, de façon quelque peu maladroite et improvisée, à instaurer un service civique obligatoire qui visera à approfondir l'esprit citoyen de notre jeunesse. L'objectif est louable, mais les modalités envisagées ne sont guère convaincantes.

Nul ne le conteste : contre la culture de l'individualisme ou du communautarisme, contre les réflexes de la violence et du rejet de l'autre, notre pays a plus que jamais besoin d'être rassemblé. Dans cet esprit, il faut ranimer l'idéal républicain, organisé autour des valeurs qui fondent notre communauté de destin et qui font de chaque individu des citoyens.

Si les auteurs de cette proposition sont inspirés par des motifs légitimes, les réponses qu'ils apportent ne sont pas adaptées aux enjeux que la République doit affronter. Le sens de l'intérêt général tient davantage de l'exigence morale et républicaine qui anime la société et son système éducatif, que d'un kit fourni « clefs en main » au terme de deux mois de stage !

Après un grand débat national, la France a mis un terme à la conscription. Pour des raisons qui tiennent autant à la géopolitique et à la stratégie qu'à la technicité croissante des systèmes d'armes, le service national ne remplissait plus que très partiellement son rôle. En outre, les jeunes appelés qui ne comprenaient plus véritablement ce qu'on attendait d'eux, ressentaient un sentiment de frustration et d'injustice. Bref, le creuset républicain ne jouaient plus son rôle et le service national fit place à la professionnalisation des armées.

Pour autant, les textes qui ont suivi ont permis de préserver une certaine conception de la défense et du service de l'intérêt général. Par la journée d'appel et de préparation à la défense, tous les jeunes Français, garçons ou filles, reçoivent une information sur les questions de défense. Au-delà, ce rendez-vous « citoyen » permet de montrer que l'unité nationale est l'affaire de tous. S'y ajoute l'indispensable devoir de mémoire, afin de maintenir vivant le souvenir du sacrifice des générations précédentes au service de la France.

Par ailleurs, différentes formes de volontariat civil permettent aux jeunes d'exprimer toute leur générosité dans des actions humanitaires ou sociales. Je pense particulièrement au volontariat de solidarité internationale et au volontariat civil de cohésion et de solidarité, qui permet aux jeunes de mener au sein d'associations, des actions de prévention et de lutte contre toutes les exclusions.

A l'opposé de ces dispositifs ciblés et fondés sur le volontariat, le « stage civique » proposé par le groupe socialiste est hasardeux d'un point de vue tant conceptuel qu'opérationnel. Les jeunes disposeraient d'une formation « patchwork » d'un mois, qui mêlerait civisme et cours de vie pratique, valeurs républicaines et règles d'hygiène de vie... Sans se soucier ni de l'organisation technique ni de l'encadrement nécessaire, il est aussi proposé que les jeunes rejoignent pendant un autre mois une association ou une administration dont les missions ne sont en rien précisées.

Les auteurs de cette proposition sous-estiment les moyens financiers et surtout humains que réclamerait un service civique obligatoire. Ils sous-estiment aussi l'investissement que représente, par exemple, l'accueil d'un stagiaire dans une association. Que peut-on proposer d'intéressant et de formateur durant quatre petites semaines ? Quel apport crédible peut-on attendre d'un jeune qui n'a pas été rompu au travail associatif ? Dans les missions sociales et humanitaires, il n'y a pas place pour l'improvisation. Par ailleurs, est-il raisonnable de demander deux mois à des jeunes qui, pour beaucoup, se battent pour décrocher un premier emploi ?

On ne peut réduire la question de la citoyenneté à la seule civilité ! Le groupe socialiste pense-t-il vraiment que c'est en faisant visiter des casernes de pompiers ou en aidant de jeunes enfants à traverser les rues que l'on transmettra les fondements du pacte républicain ?

M. Jacques Floch - Caricature !

M. le Ministre délégué - Nul n'est hostile au renforcement de cette sociabilité, mais la citoyenneté est surtout affaire d'éducation ; c'est même l'affaire de l'éducation !

La France a confié à l'école la formation des citoyens et la charge de leur promotion, indépendamment de leurs origines sociales et culturelles. Sans vivre dans la nostalgie de l'« Instruction publique » de la IIIe République, n'oublions pas l'ambition des pères fondateurs de l'école publique : en faire le creuset de la citoyenneté !

Lorsque les auteurs de cette proposition nous expliquent que le service civique « sera un lieu essentiel de rappel de ce qui constitue le ciment de notre société : les valeurs de la République, la laïcité, le civisme, le respect des autres », ils se trompent d'endroit ! C'est à l'école d'enseigner les rudiments du vivre ensemble. C'est à l'école que l'on acquiert les valeurs de la République, dont celle de l'égalité et de la laïcité ! C'est à l'école que l'on apprend le respect des autres ! C'est par conséquent à l'école que nous devons consacrer nos efforts et les millions d'euros que coûterait ce service civique.

Sous l'impulsion du Président de la République, le Gouvernement a lancé un grand débat sur l'école qui sera suivi d'un projet de loi dont l'objectif sera de rénover notre institution scolaire. C'est dans ce cadre que les réflexions du groupe socialiste sur la citoyenneté devraient s'inscrire.

Si c'est à l'école que la devise républicaine doit être apprise pour s'ancrer dans les c_urs et les esprits, il faut aussi mener une politique qui donne du sens à cette devise.

Pour que la liberté ne soit pas un slogan mais une réalité, il faut que la peur de l'insécurité soit chassée, partout, car, en République, il ne peut y avoir de zones de non-droit

Pour que l'égalité entre les hommes et les femmes soit une réalité, il convient que les droits reconnus aux femmes dans tous les pans de la vie économique et sociale s'appliquent concrètement, avec une attention particulière aux jeunes femmes issues de l'immigration. L'égalité des chances pour l'accès à l'emploi est un enjeu essentiel pour la cohésion sociale de notre nation : nul ne doit se voir refuser un travail pour des raisons étrangères à sa compétence.

L'égalité doit également être entendue comme la capacité offerte à chacun de surmonter le manque de reconnaissance sociale vécu comme une fatalité. Or, à plus de 80 %, la trajectoire scolaire, professionnelle ou salariale des enfants issus de milieux ouvrier ou employé est identique à celle de leurs parents. Il n'est pas étonnant qu'un certain nombre de jeunes finissent par se convaincre que l'on ne leur donne pas la possibilité de libérer leur énergie au service de leur pays. Stage civique ou pas, la tentation du repli communautaire est alors grande.

C'est à cette fatalité qu'il faut s'attaquer, non par un stage improvisé et obligatoire de deux mois, mais en dotant chacun des armes de l'insertion et de la promotion sociale. La réforme de la formation professionnelle répond à cet objectif, ainsi que les contrats jeunes en entreprise, offrant un vrai contrat de travail dans le privé à des jeunes peu qualifiés, qui oscillaient jusqu'alors entre petits stages et grande galère !

La fraternité républicaine, c'est épauler tous ceux qui s'engagent dans le secteur associatif, ils sont nombreux. C'est dans cette perspective que nous avons créé le CIVIS. La fraternité, c'est aussi offrir aux 100 000 personnes qui rejoignent chaque année de façon légale la France les clefs de leur insertion dans la société et, pour ceux qui choisissent de devenir Français, les conditions de leur assimilation pleine et entière. C'est ainsi que nous avons amélioré les conditions d'accueil des étrangers en leur fournissant une formation civique et linguistique.

Face au risque de fragmentation du corps social et à toutes les formes d'égoïsme, l'idéal républicain doit être réaffirmé et imposé partout où cela est nécessaire.

Cette proposition est inspirée par des intentions louables. Mais elle est un gadget improvisé, qui ne répond que très partiellement et bien maladroitement aux défis qui sont lancés à notre République (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Jean-Marc Ayrault - Comme vous, Monsieur le rapporteur, je veux croire que la République a encore quelque chose à dire, qu'elle est encore capable de transmettre ses valeurs ; qu'elle continue de porter un projet collectif qui transcende les barrières de classe, de naissance et d'origine. Notre pays est en proie au désarroi. Il a le sentiment que notre modèle républicain se délite. Le marché envahit progressivement toutes les sphères de la société. L'argent, l'individualisme, la réussite deviennent les références dominantes. Les solidarités traditionnelles s'affaiblissent. Le monde du travail s'atomise. Le sentiment du déclin français, qui fait aujourd'hui des succès de librairie, vient autant de la crise économique que de l'érosion de nos valeurs communes.

Que veut dire la fraternité quand on meurt de pauvreté dans la canicule d'un été parce que l'Etat n'est pas là, parce que les voisins sont en vacances, parce que les services d'urgence sont débordés pour répondre aux appels de détresse ?

Mme Claude Greff - Et vous, vous étiez où ?

M. Jean-Marc Ayrault - Que veut dire la solidarité quand des hommes et des femmes tombent dans l'exclusion et l'oubli à cause d'un licenciement ou d'un divorce ? Que signifie la citoyenneté quand tant de jeunes titulaires d'une carte d'identité nationale sont sans cesse renvoyés à leur couleur de peau, à leur nom ou à leur origine ? Que veut dire l'unité de la République quand le communautarisme et le corporatisme tentent de prendre l'Etat en otage ?

Le 21 avril nous a explosé à la figure parce que nous n'avons pas su mesurer la profondeur de cette crise de valeurs. La leçon n'a pas été retenue par l'actuelle majorité. Eloigné dans les stratosphères diplomatiques, dépourvu de vision nationale, le chef de l'Etat se montre impuissant à fédérer autour d'un projet collectif. Le gouvernement de M. Raffarin en est réduit à culpabiliser les Français, qui penseraient trop à l'argent et pas assez au c_ur. Terrible renversement de sens.

Non, la générosité et l'altruisme ne font pas défaut à la France. Il suffit de regarder ces bénévoles qui s'investissent dans les associations, ces étudiants, ces enseignants qui donnent de leur temps pour sauver les élèves de l'échec scolaire, ces infirmières, ces médecins qui s'engagent dans des opérations de secours aux peuples en détresse.

Ce n'est pas le peuple qui est coupable d'égoïsme, c'est le modèle de société qu'on lui propose.

Tous ces gestes, tous ces mouvements de solidarité ont besoin d'une impulsion, d'un cadre, qui permettent de mobiliser la société.

C'est à l'Etat de faire vivre les valeurs du pacte républicain. C'est à lui d'organiser le cadre qui permettra de fédérer les énergies. Mais l'Etat ne peut pas tout. La solidarité, l'intégration sont le résultat d'une alchimie qui implique un engagement personnel, une volonté de participer à un projet collectif. Le citoyen ne peut se réduire à un consommateur de droits ou de prestations. Il doit être un acteur conscient et responsable. Les droits qui lui sont reconnus sont inaliénables, les devoirs qu'il lui faut assumer sont imprescriptibles. « Chacun seul est responsable de tous », disait Antoine de Saint-Exupéry. C'est dans cet esprit que le groupe socialiste propose d'instaurer un service civique pour tous les jeunes Français, filles et garçons.

Ce projet a une histoire qui dépasse les frontières partisanes. Il a été conçu, il y a plus de dix ans par le secrétaire d'Etat à l'action humanitaire, Bernard Kouchner. Il a été étudié en 1996 par la commission Séguin pour remplacer le service militaire, avant d'être enterré par le ministre de la défense de l'époque, Charles Million, qui le trouvait trop coûteux. Il a été repris dans le programme présidentiel du candidat Jospin, afin de relancer un processus d'intégration en panne.

Qu'une proposition de cette importance rapproche les républicains des deux rives est salutaire : nous avons tous pris conscience qu'il fallait redonner un tronc commun à notre société. Ni l'école, submergée par les problèmes sociaux, ni la journée de préparation à la défense, qui se réduit à une évaluation des connaissances, ni les associations qui ont tout juste les moyens de subvenir à l'urgence, ni la famille ne sont en mesure à elles seules de former les jeunes à la citoyenneté.

Le service civique donnera aux jeunes la possibilité de participer activement à des projets de solidarité. Il leur ouvrira des voies nouvelles pour s'insérer dans le monde du travail. Il sera l'université d'une nouvelle citoyenneté.

Sa première originalité est d'établir un véritable partenariat entre l'Etat, les collectivités locales et les associations agréées. Ouvert à tous les jeunes Français, garçons et filles, au terme de leur cursus scolaire ou universitaire, il s'organisera de manière souple et décentralisée. La durée de deux mois pourra se décomposer en deux périodes distinctes. Après un apprentissage des valeurs qui fondent notre pacte républicain, chaque jeune effectuera un stage de formation dans des organismes publics où dans des associations. Au terme de cette période obligatoire, chaque jeune se verra proposer une période facultative, de six mois à un an, qui lui permettra de réaliser un projet d'engagement civique.

Parce qu'il doit être un véritable creuset, ce service civique, pris intégralement en charge par l'Etat, fera l'objet d'une compensation financière et d'une validation professionnelle. Il sera aussi proposé, facultativement, aux jeunes étrangers vivant sur notre territoire.

Imaginons l'aide qu'auraient pu apporter tous ces jeunes aux personnes âgées isolées pendant la canicule ! La solidarité ne doit plus être vécue par procuration, mais s'exercer dans le réel. Les nouvelles générations ont le même altruisme que les précédentes. Ce qu'elles veulent, c'est être responsabilisées pour des causes qu'elles savent justes, nobles et utiles à la société.

Certains ont ironisé, mais cette proposition est tout sauf passéiste. Nous n'avons pas la nostalgie des organisations de jeunesse qui quadrillaient l'espace social. Nous ne cherchons pas à ressusciter le service militaire qui a certes été un vecteur d'intégration, mais aussi le règne de l'ennui et du passe-droit. Nous voulons retrouver un ciment qui unisse la communauté nationale autour de ses valeurs fondatrices. Alors, la République regagnera le terrain perdu.

Bien sûr, j'entends déjà les critiques et les ricanements : « Vous ressuscitez les chantiers de jeunesse », « les jeunes ne veulent pas d'une nouvelle obligation », « le mouvement de l'histoire, c'est l'incitation, le mécénat, la libération des énergies individuelles, le desserrement des règles ». Sommes-nous donc si peu assurés de la force de nos principes que nous ne nous sentions plus en mesure de demander à nos concitoyens un effort partagé équitablement ? Croyons-nous que l'Etat soit si peu respecté qu'il ne puisse plus transcender les individualismes ? Avons-nous donc abdiqué toute volonté de changer le cours des choses ? La République est à mes yeux un progrès continu vers plus de droits et d'égalité. Elle est aussi un projet collectif fondé sur des obligations communes.

A se prosterner dans le culte de l'individu, nous laissons la sphère privée commercialiser l'espace public. A ne plus raisonner qu'en consommateurs, nous ouvrons la voie aux incivilités. A réduire l'Etat aux acquêts, nous faisons le lit du communautarisme et du corporatisme. Est-ce là notre communauté de destin ?

Je ne m'y résigne pas. Je crois que la République française est une idée originale et universelle qui nous permet d'affronter tous les défis de la modernité. Elle est encore capable de faire progresser les droits et de marier la liberté à la solidarité.

Certes, le service civique ne suffira pas à retisser le lien social, s'il n'existe pas une grande politique de solidarité et d'intégration qui combatte les discriminations et l'exclusion. Mais c'est un acte de refondation, une volonté de réappropriation de nos valeurs.

Cette volonté n'est pas notre exclusive. Je la sais partagée sur beaucoup de ces bancs. C'est pourquoi, Mesdames et Messieurs de la majorité, je veux croire que dans ce combat-là vous serez capables de dépasser les frontières partisanes et de voter avec nous cette proposition qui n'a qu'un seul but : retrouver la République (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Claude Leteurtre - L'idée d'un service civique n'est pas neuve. Elle serait même plutôt récurrente depuis la suppression du service national, en 1997. Facteur de cohésion sociale, celui-ci était cependant perçu comme une contrainte par les jeunes, qui s'efforçaient d'y échapper. Il faut d'ailleurs noter la forte augmentation du nombre des objecteurs de conscience durant les dernières années du service national : 1 707 en 1983 et 10 000 en 1995 ! Quoi qu'il en soit, depuis 1997, aucun gouvernement n'a pris depuis l'initiative d'une véritable proposition de remplacement. Cependant, chacun y a réfléchi et plusieurs partis politiques ont fait, sur ce sujet, des propositions. L'UDF avait d'ailleurs imaginé, dans son programme pour les dernières législatives, la création d'un service civil humanitaire. Notre débat, aujourd'hui, aura au moins la vertu de clarifier les positions des uns et des autres sur le sujet.

L'UDF considère que la proposition du groupe socialiste est une fausse bonne idée, en raison de son caractère obligatoire et de la durée proposée. L'exposé des motifs, plein de bonnes intentions, montre tout l'ambiguïté de la démarche.

On nous propose une première période de formation théorique, pendant laquelle seront rappelées les bases de notre société : les valeurs de la République, la laïcité, le civisme, l'égalité entre les hommes et les femmes, le respect des autres et de soi... Cet inventaire à la Prévert me met mal à l'aise. N'est-ce pas au sein de l'école que tout cela doit s'apprendre ? Si à l'âge de dix-huit ans ces bases ne sont pas acquises, c'est à désespérer de notre enseignement.

M. Daniel Vaillant - C'est pourtant la réalité.

M. Claude Leteurtre - S'ils ne sont pas acquis à cet âge, ils ne le seront pas plus à l'âge adulte, quoi qu'on fasse !

Favoriser l'engagement des jeunes, renforcer le lien intergénérationnel, encourager le brassage social, l'intention est certes louable, mais ce n'est pas en créant une obligation contraignante qu'on va multiplier les gestes gratuits. Par essence, le bénévolat et le volontariat sont des actes de libre adhésion. Vouloir les embrigader, les canaliser, les étatiser, c'est tout simplement vouloir les détruire. Il est à la mode de dire que le bénévolat n'existe plus. Pourtant, jamais les associations n'ont été aussi vivaces, jamais elles n'ont rendu autant de services à notre société. Faut-il rappeler l'action des Restos du c_ur, de la Croix-Rouge, des établissements d'accueil des handicapés ? Il n'y a pas de crise du bénévolat et la générosité des Français demeure.

Au nom de la solidarité, on va obliger les salariés de notre pays à offrir une journée de leur travail. Je suis persuadé que le résultat serait meilleur si on faisait appel au bénévolat, en laissant chaque salarié décider s'il souhaitait participer à cette action en donnant un, deux, voire plusieurs jours de son travail (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). Ne soyons pas hypocrites, ne parlons pas de solidarité lorsqu'il s'agit de solidarité obligatoire !

Oui, libérons la générosité naturelle de la jeunesse, mais n'usons pas de la contrainte. Du reste, quelle est la légalité d'un service civique obligatoire ? Je doute de sa compatibilité avec la charte européenne des droits de l'homme, ainsi qu'avec la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne qui dispose, dans son article 5, que nul ne peut être astreint à accomplir un travail forcé ou obligatoire.

De surcroît, vous proposez un service civique obligatoire pour une durée minimale de deux mois. A partir du moment où c'est une contrainte, on comprend que vous l'ayez réduit à sa plus simple expression. Pour l'UDF, favorable à un service civique basé sur la libre adhésion, c'est une durée minimum de six mois qu'il faudrait. Ne mettons pas en place un simple gadget, mais une véritable organisation qui permette à tous ceux qui le souhaitent de donner de leur temps. Je comprends votre recherche de l'équilibre mais la solidarité ne se satisfait pas de demi-mesure : une part obligatoire pour l'Etat, une part facultative pour les autres. Compte tenu du coût important de ce dispositif - 2 milliards d'euros à la charge du contribuable - , l'efficacité doit être au rendez-vous de la générosité.

L'UDF n'est pas contre un service civique, à condition qu'il soit fondé sur la libre adhésion, qu'il soit ouvert à tous et qu'il s'inscrive dans une durée assez longue.

« Du choc des idées jaillit la vérité », disait Platon. Votre proposition a au moins l'avantage de fixer les opinions des uns et de autres sur le sujet et permettra au Gouvernement de s'emparer rapidement de ce sujet sur lequel existe un consensus. L'UDF vous reconnaît ce mérite, Monsieur le rapporteur, mais ne vous suivra pas sur la façon dont vous le concevez.

M. René Couanau - Très bien !

M. François Liberti - A partir du constat d'une société de plus en plus inégalitaire et individualiste, et du risque de disparition du pacte social, vous proposez, Monsieur le rapporteur, de créer une institution susceptible de transmettre les valeurs fondamentales de la République. Après la crise de cet été, vous voulez développer, pour les jeunes, un moment d'échange, d'égalité et de partage au nom des valeurs de la République : laïcité, civisme, respect des autres et de soi-même, respect des différences.

Depuis 1997, le service militaire, devenu obsolète et inégalitaire, n'existe plus. Nous nous étions abstenus de voter sa suppression, car il nous semblait nécessaire de défendre une armée mixte, plus professionnelle, tout en offrant aux jeunes un minimum d'instruction militaire et civique.

En renforçant le sentiment d'appartenance à la communauté française, le service national tissait un lien fort entre l'individu et la nation, et était, en soi, facteur de cohésion sociale.

Votre proposition de loi tend à réhabiliter les valeurs de la République, en rendant obligatoire le service civique pour les jeunes Français, garçons et filles, après leur baccalauréat, ou à leur majorité s'ils sont sortis précocement du système scolaire.

Une première période d'un mois serait consacrée à un stage théorique sur la République et ses valeurs, et comprendrait un tronc commun de culture générale, composé de divers modules spécialisés. Ce « stage » serait complété, l'année suivante, par un travail dans des lieux spécifiques, travail qui pourrait être poursuivi sur une période plus longue - de six mois à un an - autorisant la validation de certains acquis après formation et évaluation.

Votre proposition soulève un certain nombre de problèmes et d'interrogations, et le groupe CR reste très réservé à son sujet. En qualifiant ce système de transversal, vous confondez volontariat et obligation, bénévolat et activité rémunérée, civisme et projet professionnel.

Tout d'abord, vous vous tournez vers l'éducation nationale et le milieu associatif pour recruter des formateurs compétents, alors qu'il vaudrait mieux ne pas confondre les lieux et les fonctions de nos différentes institutions. De surcroît, cette méthode pourrait occulter la mission de formation à l'esprit civique qui incombe à l'école.

Autre point discutable : le caractère obligatoire de ce service civique. Les jeunes, quelle que soit leur origine sociale ou culturelle, sont, par nature, généreux et curieux. Ils s'engagent aujourd'hui volontiers, en effet, dans des actions humanitaires ou de solidarité, qui peuvent les aider à prendre confiance en leur utilité ou leur valeur. Un service civique obligatoire pourrait dévoyer le sens et le bénéfice de l'engagement de notre jeunesse.

Vous confondez encore engagement citoyen et élaboration d'un projet professionnel. En ouvrant la possibilité de proroger le service, en contrepartie d'une indemnité, vous créez un nouveau « sous-emploi-jeune », dans lequel vont s'engouffrer les plus démunis. Il y a là un effet d'aubaine que certaines employeurs ne manqueront pas de saisir.

Pour rester dans le domaine de l'insertion professionnelle, des dispositifs préparent déjà l'entrée des jeunes dans la vie active, en collaboration avec les partenaires économiques et sociaux. Même s'il y a beaucoup à redire à ces dispositifs, pourquoi ajouter un nouvel élément à un système déjà complexe, au moment où, de surcroît, l'instauration du RMA, dictée par le Medef, livre au patronat une main-d'_uvre précaire quasi gratuite ? (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) Les garanties s'imposent face au risque de voir des emplois déjà précaires remplacés par des emplois encore plus précaires et largement subventionnés. Et n'y a-t-il pas non plus un risque d'amalgame avec le CIVIS, qui n'est rien d'autre qu'un sous-emploi d'utilité sociale ? Et que dire du projet d'instaurer un service minimum dans les services publics ? Ces jeunes volontaires sous-payés tomberaient fort à propos...

Quant aux jeunes étrangers, votre proposition ne les oblige pas à participer au service civique. Or, il a été clairement affirmé, en commission, que leur participation pourrait devenir un critère d'« intégration satisfaisante » pour la naturalisation ou l'obtention d'une carte de séjour de longue durée. Qu'entend-on par « intégration suffisante » ? Il n'est guère de critère plus subjectif !

Fort réservé sur cette proposition, le groupe des députés communistes et républicains estime nécessaire une réflexion plus approfondie, et votera donc le passage à la discussion des articles.

Mme Claude Greff - La citoyenneté mérite un débat, nous sommes tous d'accord sur ce point, mais celui-ci doit être abordé dans un autre état d'esprit.

Il y a encore quelques années, les valeurs républicaines avaient un sens pour tous. Aujourd'hui, notre pacte républicain est fragilisé. Les hommes ont changé, au point que la lumière républicaine s'estompe derrière l'individualisme. Pour autant, les Français, et notamment les jeunes, ont encore envie de s'investir, mais il faut leur en donner les moyens.

C'est pourquoi j'ai déposé une proposition de loi visant à créer un temps citoyen. Le monde associatif est un facteur d'intégration sociale et je n'ai pas attendu le 21 avril ou la canicule pour comprendre combien il était urgent de répondre à la demande des Français.

Après avoir été membre actif de nombreuses associations, j'ai aujourd'hui la possibilité, comme députée, de pouvoir apporter des réponses à un souhait souvent exprimé : valoriser l'engagement des Français et les inciter à mieux vivre ensemble.

21 millions de Français sont engagés dans le bénévolat. Si les « seniors » sont 58 % à s'investir largement, ils ne sont que 37 % parmi les 27-29 ans. Mais mon expérience m'a prouvé que les jeunes souhaitent agir davantage. A vous de savoir les intéresser, les valoriser, nous adapter à leurs disponibilités, et non les contraindre.

La première mission d'un député est de répondre aux attentes des Français. S'il y a unanimité pour rendre vigueur à la citoyenneté, il est nécessaire de redonner une signification forte à des mots trop galvaudés, comme « citoyen » ou « civisme ».

Nous ne pouvons adhérer à votre proposition de loi qui rend obligatoire le service civique pour tous les jeunes. Il y aurait, dans ce cas, de jeunes citoyens, et d'autres, plus âgés, qui n'auraient pu accomplir leur service civique. Il y aurait les Français, pour qui le service serait obligatoire, et les étrangers, qui n'y seraient pas astreints.

Eh bien, vous vous trompez : le civisme, la solidarité, les valeurs humaines concernent chacun d'entre nous. Une fois de plus, vous montrez que vous ne connaissez plus la France et les Français (Protestations sur les bancs du groupe socialiste).

M. Alain Néri - Quelle arrogance !

Mme Claude Greff - Vous souhaitez imposer vos idées sans écouter nos concitoyens. Vous procédez de la même façon qu'avec la loi sur les 35 heures ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

M. François Loncle - C'est de la confusion mentale !

Mme Claude Greff - Comment faire adhérer les jeunes citoyens à l'idée républicaine sous la contrainte ? Où est la liberté de choix et d'initiative ? L'obligation ne correspond pas à l'esprit de notre République, dont la devise, je le rappelle, est « liberté, égalité, fraternité ».

Etant donné les responsabilités qui furent les vôtres, Monsieur Vaillant, comment pouvez-vous croire que l'on puisse contraindre ainsi des jeunes dont l'horizon est de plus en plus large ? Il faut plutôt leur permettre de vivre leur citoyenneté concrètement, avec fierté et honneur. C'est une éducation qui se fait au sein de la cellule familiale et de l'école. Nous devons leur faire confiance.

M. le Rapporteur - Donc, pour vous, tout va bien ?

Mme Claude Greff - Ma proposition de loi sur le temps citoyen, au contraire, fait confiance à la nature humaine. Elle est optimiste et pragmatique. Son but est de rassembler les Français, non de les diviser. L'engagement citoyen que je propose est volontaire et répond à la demande des jeunes eux-mêmes. La citoyenneté, en effet, se vit et ne se proclame pas.

La mise en place du service civique impliquerait, dites-vous, 2 milliards d'euros et 39 000 personnels supplémentaires, mais sur quel budget ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) Sur quels critères recruter ces personnels, et avec quel statut ?

De telles difficultés ne se posent pas avec le temps citoyen que je préconise. Comme il repose sur le volontariat, il ne sera pas nécessaire de recourir aux forces de l'ordre pour aller chercher les récalcitrants (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Il sera possible, en outre, de valoriser l'esprit civique par la délivrance d'un brevet d'honneur de citoyenneté, qui attesterait également les savoir-faire acquis.

Accomplir un stage théorique, une formation de deux mois, comme vous le proposez, ce n'est pas du civisme. Outre que votre proposition, uniquement axée sur l'individu, apporterait une pierre supplémentaire au triste édifice de l'individualisme, pourquoi deux mois de formation seulement ?

Certes, votre proposition permet au jeune de mettre en place un projet, mais pourquoi une telle disposition ? Le travail accompli par les travailleurs sociaux et les associations d'insertion ne vous conviendrait-il pas ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

Pour ma part, je trouve leur travail remarquable. Ne confondez pas formation professionnelle et action tournée vers les autres ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

Chacun peut, à sa façon et selon ses possibilités, se montrer solidaire. Ainsi, les générations issues du baby-boom et arrivant à la retraite ne demandent qu'à partager leur expérience. La solidarité est aussi intergénérationnelle.

Le temps citoyen, quant à lui, permet de recréer un lieu d'humanité et constitue un moyen d'intégration à la communauté républicaine. Sa durée est limitée à trois semaines consécutives ou bien fractionnables en cent heures. Il est également renouvelable.

M. Alain Néri - Vous en reparlerez lorsque nous débattrons de votre proposition !

Mme Claude Greff - Il est compatible avec la vie personnelle, professionnelle et familiale. Sa souplesse constitue un réel avantage. Il permet à des bonnes volontés de répondre aux besoins exprimés. Il s'agit de ne plus vivre à côté des autres, mais avec eux. C'est un engagement altruiste qui ne sera perverti par aucune compensation financière.

Le temps citoyen, c'est la cohésion sociale - avec l'accompagnement des personnes âgées, l'aide aux sinistrés -, c'est l'action humanitaire, la prévention et l'éducation, l'accompagnement des clubs sportifs, le développement durable, la préservation de l'environnement - avec le nettoyage des plages et des rivières.

Votre proposition à vous est une régression. Nous avons un autre idéal pour la France ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean-Pierre Dufau - Je souhaite revenir à la proposition de loi sur le service civique, car en écoutant Mme Greff, j'ai cru que nous étions en train de discuter de sa propre proposition de loi...

Nous sommes aujourd'hui confrontés au déplacement de la problématique du civisme, cette « vertu privée d'utilité publique » selon Hélène Bellanger. Au risque extérieur de l'invasion s'est substituée la menace intérieure de la dislocation sociale. Patriotisme et défense de la nation doivent donc se muer en défense du lien social pour contrecarrer les égoïsmes et les communautarismes.

Trop nombreux sont ceux qui se résignent à accepter l'inégale répartition des richesses et de l'emploi, et trop nombreuses sont les tentatives idéologiques pour substituer un vague concept d'équité à celui d'égalité.

Il convient dès lors de remettre à l'honneur les valeurs communes de droits et devoirs pour agréger l'individu au corps social, et rétablir le lien entre démocratie représentative, participative et sociale.

Le civisme, enfant de la IIIe République et de l'école de Jules Ferry, a été enfermé dans une image que l'on se plaît à railler. Faites en l'éloge, et l'on vous taxera d'archaïsme. L'objectif n'est certes plus de « mourir pour la patrie » : la logique européenne, la professionnalisation de la défense, la mondialisation et la notion de citoyen du monde nous ont détourné d'une vision belliciste du patriotisme. Pourtant, le civisme reste d'actualité puisqu'il est avant tout un dévouement à la République. Mais ni la démocratie ni la République ne sont plus « naturelles » que d'autres organisations. Par conséquent, elles sont en permanence à construire et à protéger. Dans une société où l'abstentionnisme est devenu monnaie courante, il n'est pas vain de rappeler que le modèle politique qui nous permet de vivre libres a constamment besoin d'être contrôlé et animé. Chacun sait que, selon la formule consacrée, la démocratie est le pire des systèmes politiques... mais qu'on n'en a pas trouvé de meilleur. Il faut donc préparer la jeunesse à l'exercice de la citoyenneté.

A ce civisme « vertical » envers les institutions s'ajoute un civisme « conjoncturel » à l'égard des actes citoyens : le vivre ensemble. Penser le civisme comme une vertu consistant à remplir ses devoirs à l'égard de la République et des autres citoyens, au nom de la solidarité, n'a rien de conservateur ou de « ringard ». Au contraire, le civisme dans cette acception est d'autant moins conservateur qu'il délivre le sujet politique de son statut de simple consommateur de droits et qu'il définit une éthique de la responsabilité politique. Le choc du 21 avril est là pour nous rappeler à quel point cette éthique est capitale.

Si le civisme est bien la vertu du citoyen, la question demeure : quel citoyen pour quelle cité ? La réponse a évolué depuis le XIXe siècle, de même que les conditions de la délégation que la société accorde à l'école pour socialiser la jeune génération. Les valeurs communes que véhiculait le civisme de la IIIe République n'ont toutefois rien d'obsolète : liberté, égalité, fraternité, justice et solidarité. Comment renouer avec cet apprentissage de valeurs ? En n'oubliant pas que le civisme ne se réduit pas au simple patriotisme et au nationalisme. Il n'est que l'émanation de ce que la République défend.

Ces valeurs s'inscrivaient hier dans des frontières. Ce n'est plus le cas, mais elles demeurent capitales dans une société qui a une tendance au repli individualiste du chacun pour soi. Faut-il accepter que ce repli impose un passage du civisme à la civilité, un moindre respect des textes compensé par le respect d'autrui ? Cela ne tiendrait pas longtemps. Il est en revanche possible de tenir compte de l'évolution sinon des valeurs, du moins de l'appréhension qu'en ont la société en général et les jeunes en particulier. Et de combattre le « chacun pour soi » cher à la société libérale. Le civisme sert alors de contrepoids dans une république sociale soucieuse de n'abandonner personne sur le bord de la route.

Les jeunes sont porteurs de valeurs qu'ils expriment plus précocement qu'autrefois. Cette maturité n'est pas toujours exempte d'une méfiance née du sentiment de l'écart entre discours officiels et pratiques sociales. C'est le paradoxe du 21 avril d'avoir mis en avant à la fois le décalage entre les jeunes et la politique et leur mobilisation pour la défense des valeurs républicaines. Les manifestations qu'ils organisent, contre l'extrême droite par exemple, sont bien souvent spontanées et affichent à l'égard du politique. Les jeunes ne voient plus le lien direct entre les problèmes de leur vie quotidienne et les questions débattues au sommet de l'Etat ou dans cet hémicycle. Il convient donc plus que jamais de resserrer le lien social et de redonner aux jeunes un rêve collectif. C'est dans cet esprit que s'inscrit la présente proposition de loi.

Simple et facile d'application, elle s'adresse à tous les jeunes majeurs et s'étale sur deux périodes d'un mois réparties sur un ou deux ans. Pas plus que l'éducation civique ne peut résoudre à elle seule les problèmes de l'école, le service civique ne peut résoudre tous les problèmes auxquels est confrontée la société, mais il a le mérite d'apporter une formation théorique aux valeurs fondamentales de notre société : celles de la République, de la laïcité, de l'égalité entre les hommes et les femmes... Il est en effet urgent que chacun se souvienne que les droits ne durent que tant que les devoirs les soutiennent.

Le service civique permet ensuite de travailler à l'intérêt commun sans ignorer l'intérêt de l'individu qui y contribue. Il propose ainsi des stages d'initiation dans des domaines tels que le secourisme, la sécurité civile, la restauration du patrimoine ou la préservation de l'environnement. Cette seconde période obligatoire d'un mois permettra aux jeunes d'appréhender de manière pratique les causes qui les intéressent. L'action humanitaire, la solidarité, la prévention, l'éducation ou l'environnement sont autant de domaines qui serviront de creusets à l'intégration républicaine. Les étrangers pourront aussi se porter volontaires. C'est un facteur d'intégration à ne pas négliger.

Le service civique intégrera la journée d'appel de préparation à la défense mais en approfondissant l'initiation aux institutions qui y est dispensée. Cette journée paraît en effet de l'avis général, un peu courte... Le service civique concrétise ensuite le contenu des cours d'éducation civique scolaires. En aidant les jeunes à _uvrer à un rêve collectif, l'on passera d'une formation initiale à une formation continue et de l'éducation civique à un engagement civique. Cet engagement marquera les jeunes, filles et garçons, pour toute leur vie de citoyen.

L'opportunité d'un tel texte coule de source pour la gauche. Le combat pour le civisme est en effet indissociable des valeurs affirmées à gauche depuis le XIXe siècle : liberté, égalité, fraternité, laïcité, tolérance. Le civisme est ainsi vecteur de défense des droits sacrés de l'individu face à la raison d'Etat, il a partie liée avec une action suivie de l'Etat en direction des plus faibles et avec une culture républicaine illustrée par la reconnaissance des libertés fondamentales.

C'est dans cet esprit déjà que s'inscrivait la loi du 10 novembre 1997 portant sur l'inscription d'office des personnes âgées de 18 ans sur les listes électorales. Le rapport d'information sur le suivi de cette loi, que j'avais eu l'honneur de présenter en 2001, prévoyait en effet des actions de sensibilisation en faveur de la citoyenneté dans le cadre de cours d'éducation civique, juridique et sociale, ou dans celui de la journée d'appel de préparation à la défense ou encore par le biais d'une fête de la citoyenneté. Ce service civique fait aussi écho au corps de « volontaires européens du développement » et au projet Globus, lancés sous les deux septennats de François Mitterrand. Il y était alors question d'une approche humanitaire et civique du service national.

Cette proposition de loi s'inscrit donc dans la perspective des idéaux défendus par la gauche. Toutefois, les idées républicaines sont aujourd'hui partagées sur tous les bancs de cet hémicycle. L'heure n'est heureusement plus aux attaques contre ce qu'une certaine droite appelait « la gueuse », il y a un siècle. J'espère donc qu'un accord sera possible sur ce texte, de même qu'il y eut naguère, en période de cohabitation, un accord sur la professionnalisation de l'armée. Tout comme l'usage abusif du mot « citoyen », l'appel au civisme est trop souvent un symptôme : il convient d'en faire un espoir (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jacques Floch - la IIIe République avait rêvé de faire se rencontrer tous les Français pour qu'ils comprennent bien leur communauté de destin. C'est dans cet esprit que les grands républicains de la fin du XIXe siècle surent imposer l'école obligatoire pour tous. Elle fut assurément un lieu de rencontrer et un creuset, mais dans certaines limites : filles et garçons étaient en effet séparés, l'accès à l'enseignement secondaire et supérieur restait largement réservé aux jeunes dont les familles avaient quelques moyens.

Il fallut attendre la fin du XXe siècle pour entendre affirmer l'objectif d'amener 80 % d'une classe d'âge au niveau du baccalauréat. Malgré cela, les enfants de milieux modestes ont toujours d'énormes difficultés à accéder à l'université ou aux grandes écoles. Il suffit pour s'en convaincre de voir qui fréquente « Sciences Po » à Paris, ou qui entre à l'ENA...

Comment alors penser au creuset commun qui enseigne les fondements de notre société républicaine, qui apprenne à mieux vivre ensemble, à respecter l'autre, à développer les idées de démocratie et de solidarité ?

Nos grands ancêtres avaient cru voir dans le service militaire le lien de cet enseignement et de ce brassage social. Mais n'oublions pas que la moitié de la population - les femmes - en était exclue. Sans parler de tous les petites arrangements - en particulier financier - qui permettaient à une partie de la population masculine d'être dispensée de ce dernier. J'ajoute que les conditions dans lesquelles s'effectuaient le service militaire ne favorisait guère l'éducation civique, l'objectif inavoué étant surtout de former de la chair à canon.

Ce creuset a tout de même fonctionné pendant des années et beaucoup reconnaissent aujourd'hui que le mélange des classes sociales, la diversité des origines, des formations, des religions, des expériences professionnelles ont fait de cette période du service militaire un moment qui leur a permis de mieux comprendre la France.

D'un commun accord, le Président Jacques Chirac et le Premier ministre Lionel Jospin ont décidé de suspendre - et non de supprimer - le service militaire, mais ils ont voulu que les jeunes sachent que la France a une politique et des moyens de défense. C'est ainsi qu'a été instaurée la journée de préparation à la défense. J'ai eu l'honneur de suivre le fonctionnement de cette journée pendant quelques mois et je n'en suis pas sorti enthousiasmé. Les 800 000 jeunes gens concernés n'y trouvent pas leur compte : la session est trop courte, avec des programmes surchargés, les locaux trop scolaires... Malgré les qualités de ceux qui les accueillent, ils n'en retirent qu'un vague souvenir - et un certificat permettant de passer le permis de conduire... C'est un peu insuffisant pour leur donner l'esprit civique !

Pourtant, une grande partie d'entre eux voudraient servir les autres, et donc la France. Aussi le service civique pourrait-il être complété par un volet spécifique consacré à la défense. Les jeunes Français sont souvent généreux ; encore faut-il leur donner les moyens d'agir. Beaucoup ont su défendre la République en 2002 et beaucoup voudraient, à la suite du drame de cet été, relancer la rencontre entre les générations, source de savoir, de solidarité et de compréhension. Notre proposition de loi répond à ces besoins, vous pouvez l'adopter (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

La discussion générale est close.

FIXATION DE L'ORDRE DU JOUR

M. le Président - L'ordre du jour, qui a été fixé ce matin en Conférence des présidents et qui sera annexé au compte rendu de la présente séance, comporte plusieurs modifications relatives à nos travaux d'aujourd'hui et de demain. Cet après-midi, après le vote solennel sur le projet de loi relatif au RMI et au RMA, nous procéderons au vote sans débat de six conventions internationales, puis nous commencerons la discussion du projet autorisant la ratification du traité d'élargissement de l'Union européenne, les autres textes initialement prévus pour aujourd'hui étant retirés de l'ordre du jour. Les explications de vote et le vote par scrutin public sur ce projet auront lieu demain après les questions au Gouvernement.

SERVICE CIVIQUE POUR LES JEUNES (suite)

M. le Ministre délégué - Le Gouvernement partage le souci de la plupart des orateurs de réaffirmer les valeurs de la République et de lutter contre l'individualisme et le communautarisme. La République emporte des droits et des devoirs, et l'idée d'un service civique obligatoire n'est pas neuve. Je crois néanmoins que c'est une fausse bonne idée, qui se heurte à plusieurs obstacles.

Il existe déjà de nombreux dispositifs qui permettent l'engagement citoyen, et qui fonctionnent bien. Par ailleurs, ainsi que l'a brillamment montré Mme Greff, il ne faut pas transformer en obligation un acte de générosité, car le plus urgent est de répondre au désir des jeunes de s'investir et de s'engager. Mme Greff a fait, ainsi que Patrick Beaudouin, des propositions intéressantes à ce sujet, qui s'appuient sur les dispositifs en place en les améliorant et les adaptant. Rien ne serait pire que de caricaturer les jeunes ou de cultiver la nostalgie d'une certaine époque. Il faut au contraire faire preuve de pragmatisme et de capacités d'adaptation, pour définir le cadre qui permettra à tous nos concitoyens de s'engager sur des projets d'intérêt général. C'est dans cet esprit que le Gouvernement continuera à travailler (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Rapporteur - Il est clair que quelque chose ne va pas, même si les orateurs de la majorité se sont souvent gardés de détailler quoi. Si tout allait bien, j'imagine que Mme Greff n'aurait pas déposé sa proposition de loi ! Je lui fais d'ailleurs remarquer que c'est grâce à la niche socialiste qu'elle a pu s'exprimer sur son projet, car la majorité n'avait pas jugé utile de l'inscrire à l'ordre du jour (Protestations sur les bancs du groupe UMP).

Mme Claude Greff - C'est faux !

M. le Rapporteur - On nous a dit que notre idée était bonne et généreuse et qu'elle répondait à un besoin constaté par tous. Nous pensions donc que vous feriez plus de cas de cette proposition : la discussion parlementaire aurait permis d'aboutir à un texte largement consensuel entre « républicains des deux rives », comme les appelle Jean-Marc Ayrault. Mais vous allez exciper d'arguments techniques pour rejeter cette proposition. Permettez-moi de vous faire remarquer cependant que l'école ou la famille, qui sont les lieux de l'enseignement du civisme et de la citoyenneté, ne remplissent pas toujours leur rôle. Vous savez bien que certaines couches sociales en difficulté n'assurent pas la transmission des valeurs. Certaines familles en sont absolument incapables et, s'il faut le regretter, il ne faut pas les accabler. Force est de prendre ces cas en considération, même s'ils sont marginaux. Et pour que l'école de la République remplisse ce rôle, encore faudrait-il que le Gouvernement arrête de l'affaiblir (Protestations sur les bancs du groupe UMP) en réduisant ses crédits et son personnel ! Votre premier geste fut de supprimer les emplois-jeunes dans l'éducation nationale ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; protestations sur les bancs du groupe UMP)

La vérité est qu'entre « républicains des deux rives », il y a des différences philosophiques et idéologiques. Nous voulons placer les jeunes sur un pied d'égalité et assurer le brassage social.

M. René Couanau - Il est temps !

M. le Rapporteur - Il n'est jamais trop tard pour rattraper les erreurs qu'on a commises, y compris en période de cohabitation ! (Interruptions sur les bancs du groupe UMP) Mais nous ne pensions pas créer un clivage sur ce sujet, puisque le constat de dysfonctionnement est partagé par tous. Le caractère obligatoire du dispositif est le seul moyen d'assurer le brassage social indispensable, la confrontation avec les autres, tout en veillant à ne pas perturber le cursus universitaire ou professionnel des jeunes. Il faut inculquer les valeurs de la République et le respect de l'autre et de soi-même à tous les jeunes, y compris à certains diplômés qui comptent plusieurs années d'étude après le bac...

Le représentant de l'UDF a parlé de travail forcé. Nous n'avons pas pensé à proposer que le service civique ait lieu à Cayenne... (Sourires) Il faut garder une certaine mesure, Monsieur le député ! Vous évoquez même ce « travail forcé » comme motif d'inconstitutionnalité. Je vous rappelle que l'éducation nationale est obligatoire et que vous n'avez pas encore remis en cause ce caractère ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Vous avez également parlé d'embrigadement... L'UDF aurait-elle fait le rapprochement entre le service civique et le fonctionnement de l'UMP ? (Mêmes mouvements ; rires sur les bancs du groupe socialiste) Je puis la rassurer, il ne s'agit que d'offrir une chance à tous les jeunes, et je vous affirme qu'ils l'apprécieraient beaucoup plus que vous ne le croyez.

Je n'ai pas bien compris l'intervention de M. Liberti : je croyais que nous partagions au moins le souci de faire acquérir aux jeunes un certain nombre de valeurs.

Mme Nadine Morano - L'école !

M. le Rapporteur - Nous ne souhaitons pas concurrencer l'école ni faire du service civique un emploi obligatoire. Il s'agit d'offrir aux jeunes des pistes pour se former et s'orienter vers un métier. Mais la question pour vous n'est pas là : il s'agit de problèmes budgétaires (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

M. Patrick Ollier - Merci de nous les avoir légués !

M. le Rapporteur - Vous ne voulez pas consacrer les 3 milliards de la baisse de l'impôt des plus riches (Interruptions sur les bancs du groupe UMP) à inculquer aux jeunes les valeurs de la République, c'est-à-dire les droits du civisme et les devoirs de la citoyenneté.

Mme Nadine Morano - L'école !

M. le Rapporteur - Cet objectif semble vous poser un problème, mais je ne sais pas si les désaccords sont entre vous ou avec le Gouvernement (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). En tout état de cause, M. Jacob l'a fermement rejeté. C'est toute la différence entre ceux qui veulent agir et ceux qui restent dans l'immobilisme (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - Le rapporteur s'est quelque peu laissé emporter et je regrette que la fin de ce débat ait été ternie par ses propos. Les emplois-jeunes ont été remplacés par des assistants d'éducation, qui ont un autre mode de fonctionnement et des contrats beaucoup plus solides (Protestations sur les bancs du groupe socialiste). Quant aux allusions sur le mode de fonctionnement de l'UMP, j'en laisse la responsabilité à leur auteur, mais je ne peux m'empêcher de penser qu'elles pourraient être appliquées avec profit au parti socialiste !

Le ministre a, dans son propos introductif, très bien posé le problème soulevé par Mme Greff. Il a parlé de louables intentions, qu'un large débat pourrait permettre de concrétiser, mais certains préalables restent à lever. D'abord, la question de l'encadrement est soigneusement éludée par la proposition de loi ; or, ce dispositif serait très difficile à gérer. De plus, le service civique pourrait concurrencer certains emplois sociaux : il ferait intervenir les jeunes dans les hôpitaux, les maisons de retraite, les établissements pour handicapés, les parcs naturels, et le risque de suppression d'emplois permanents est donc réel. Enfin, une assimilation est bel et bien possible avec le travail forcé. Quelle différence existe-t-il, en effet, entre travail forcé, obligatoire ou contraint ? Même pour un mois ou deux, il s'agit d'un travail sous-rémunéré et effectué sous la contrainte (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste).

Nous avons tous à c_ur de trouver des remèdes à l'évolution vers toujours plus d'individualisme. L'isolement des plus faibles qui s'est tristement illustré cet été avec la canicule, le recours systématique à l'Etat-providence ne sont pas les signes d'une société en bonne santé.

Nous sommes favorables à un lieu ou à un temps, permettant aux jeunes d'exprimer leur solidarité avec toutes les couches de la nation. Cela pourrait prendre la forme d'un service civil, mais sur une base volontaire, comme l'a proposé Claude Greff. Le volontariat lèverait tous les obstacles d'ordre éthique et juridique. Il favoriserait l'ajustement de la durée du service en fonction des profils de postes. Il permettrait une gestion « sur mesure », voire « à la carte », sous peine de décourager les vocations.

On le voit, la création d'un tel service doit être précédée d'un vaste débat ouvert à tous.

Pour le reste, nous devons faire confiance aux jeunes qui sauront, comme les générations précédentes, vivre la générosité, le dévouement, la solidarité, le civisme et, s'il le fallait, le patriotisme (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Président - La commission des affaires culturelles n'ayant pas présenté de conclusions, l'Assemblée, conformément à l'article 94, alinéa 3, du Règlement, est appelée à statuer sur le passage à la discussion des articles du texte initial de la proposition.

Conformément aux dispositions du même article, si l'Assemblée vote contre, la proposition de loi ne sera pas adoptée.

M. Jean-Pierre Dufau - La majorité, qui qualifie cette proposition de « fausse bonne idée », s'y oppose pour de fausses bonnes raisons.

Le constat est unanimement partagé. Le ministre et le président de la commission ont même appelé à un large débat sur cette question. Eh bien chiche ! Puisque nous sommes déjà d'accord sur le fond, il ne nous faudra que quelques heures pour nous mettre d'accord sur les modalités concrètes...

On nous dit que ce service civique obligatoire est une demi-mesure. Mais en quoi un dispositif volontaire serait-il une mesure pleine ? Nous proposons, quant à nous, un service obligatoire de deux mois et un service volontaire de six mois à un an, c'est-à-dire, si l'on vous suit, une mesure et demie...

La durée, variant de six mois à un an, de la période optionnelle permettrait, comme l'a souhaité le président Dubernard, un ajustement en fonction du champ d'action choisi.

En ce qui concerne les modalités d'encadrement, la discussion des articles nous permettrait de progresser, et d'autres réponses pourraient être apportées par les circulaires d'application.

Il est tout de même surprenant de dire que ce service civique pourrait concurrencer les emplois sociaux. Je n'ai pas l'impression que tel aurait été le cas cet été dans nos hôpitaux... (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

Comment, par ailleurs, parler de « travail forcé » ? A moins que nos collègues aient voulu faire référence au texte sur le RMA... (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; exclamations sur les bancs du groupe UMP)

M. René Couanau - N'importe quoi !

M. Jean-Pierre Dufau - Nul n'a jamais remis en cause le caractère obligatoire de l'école. Je suppose que personne ici ne remet non plus en cause la nécessité d'une formation civique obligatoire, qui fait l'objet de cette proposition... La majorité adopte donc à son égard une attitude purement politicienne. A l'inverse, sous la précédente législature, nous avions accepter de discuter et de voter la proposition sur le bracelet électronique, parce qu'elle allait dans le bon sens. Montrez donc votre sens des responsabilités !

Certes, ce texte peut être amélioré mais, pour cela, ouvrons la discussion pour que les jeunes puissent recevoir une formation civique. Cette proposition n'est pas faite pour nous, mais pour la jeunesse. Ne la désespérons pas ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Mme Claude Greff - Il est aujourd'hui nécessaire de parler de la citoyenneté, ...

M. Philippe Vuilque - Alors passons aux articles !

Mme Claude Greff - ...mais nos collègues socialistes sont hors sujet quand ils évoquent les emplois sociaux ou le RMA.

Nous devons nous adresser non seulement aux jeunes mais encore à toute la population, car le civisme concerne chacun d'entre nous. Nous pouvons, tous, mener une action citoyenne.

C'est son caractère obligatoire qui prive votre dispositif de toute capacité fédératrice. Le volontariat serait bien plus incitatif. Nous devons faire confiance aux Français, les aider à retrouver la fierté d'être Français, à la traduire dans le civisme. Votre proposition est bien éloignée de cet objectif et il n'y a donc pas lieu de passer à la discussion des articles (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Claude Leteurtre - Chacun s'accorde sur le bien-fondé de la démarche de nos collègues, mais le caractère obligatoire de ce service civique est à notre avis rédhibitoire. En effet, les jeunes sont rétifs à toute contrainte. Comme l'écrit le rapporteur lui-même, ils « refusent l'embrigadement ». Il n'y a donc pas lieu de poursuivre la discussion.

L'Assemblée, consultée, décide de ne pas passer à la discussion des articles. En conséquence, la proposition de loi n'est pas adoptée.

Prochaine séance, cet après-midi, à 15 heures.

La séance est levée à 11 heures 25.

            Le Directeur du service
            des comptes rendus analytiques,

            François GEORGE

A N N E X E
ORDRE DU JOUR

L'ordre du jour des séances que l'Assemblée tiendra jusqu'au vendredi 12 décembre 2003 inclus a été ainsi fixé ce matin en Conférence des présidents :

CET APRÈS-MIDI, à 15 heures, après les questions au Gouvernement, et à 21 heures 30 :

_ Explications de vote et vote, par scrutin public, sur l'ensemble du projet, adopté par le Sénat, portant décentralisation en matière de revenu minimum d'insertion et créant un revenu minimum d'activité ;

_ Projet, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de la convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République d'Afrique du Sud ;

_ Projet, adopté par le Sénat, autorisant la ratification de l'accord sur le commerce, le développement et la coopération entre la Communauté européenne et ses Etats membres, d'une part, et la République d'Afrique du Sud, d'autre part (ensemble dix annexes, deux protocoles, un acte final et quatorze déclarations) ;

_ Projet, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de l'avenant à la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Sultanat d'Oman en vue d'éviter les doubles impositions (ensemble un protocole) ;

_ Projet autorisant l'approbation de l'accord portant création de l'Organisation internationale de la vigne et du vin ;

_ Projet, adopté par le Sénat, autorisant la ratification de l'accord euro-méditerranéen établissant une association entre la Communauté européenne et ses Etats membres, d'une part, et la République algérienne démocratique et populaire, d'autre part, (ensemble six annexes, sept protocoles, un acte final, cinq déclarations communes et neuf déclarations unilatérales) ;

_ Projet, adopté par le Sénat, autorisant la ratification de l'accord euro-méditerranéen instituant une association entre la Communauté européenne et ses Etats membres, d'une part, et la République libanaise, d'autre part (ensemble deux annexes, cinq protocoles, un acte final, treize déclarations communes et deux déclarations unilatérales) ;

(ces six textes faisant l'objet d'une procédure d'examen simplifiée, en application de l'article 107 du Règlement)

_ Projet autorisant la ratification du traité relatif à l'adhésion à l'Union européenne de la République Tchèque, de l'Estonie, de Chypre, de la Lettonie, de la Lituanie, de la Hongrie, de Malte, de la Pologne, de la Slovénie et de la Slovaquie ;

MERCREDI 26 NOVEMBRE, à 15 heures, après les questions au Gouvernement :

_ Explications de vote et vote, par scrutin public, sur l'ensemble du projet autorisant la ratification du traité relatif à l'adhésion à l'Union européenne de la République Tchèque, de l'Estonie, de Chypre, de la Lettonie, de la Lituanie, de la Hongrie, de Malte, de la Pologne, de la Slovénie et de la Slovaquie ;

_ Deuxième lecture du projet portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité ;

à 21 heures 30 :

_ Éventuellement, texte de la commission mixte paritaire sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2004 ;

_ Suite de la deuxième lecture du projet portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité.

JEUDI 27 NOVEMBRE, à 9 heures 30 :

_ Proposition de MM. Patrick BLOCHE, Jean-Marc AYRAULT et plusieurs de leurs collègues portant pénalisation des propos à caractère discriminatoire ;

(séance d'initiative parlementaire)

à 15 heures et à 21 heures 30 :

_ Suite de l'ordre du jour de la veille.

ÉVENTUELLEMENT, VENDREDI 28 NOVEMBRE, à 9 heures 30, à 15 heures et à 21 heures 30 :

_ Suite de l'ordre du jour de la veille.

MARDI 2 DÉCEMBRE, à 9 heures 30 :

_ Questions orales sans débat ;

à 15 heures, après les questions au Gouvernement, et à 21 heures 30 :

_ Déclaration du Gouvernement sur les rapatriés et débat sur cette déclaration ;

_ Projet, adopté par le Sénat, relatif à l'accueil et à la protection de l'enfance.

MERCREDI 3 DÉCEMBRE, à 15 heures, après les questions au Gouvernement, et à 21 heures 30 :

_ Projet de loi de finances rectificative pour 2003.

JEUDI 4 DÉCEMBRE, à 9 heures 30, à 15 heures et à 21 heures 30 :

_ Suite de l'ordre du jour de la veille ;

_ Projet, adopté par le Sénat, relatif aux obligations de service public des télécommunications et à France Télécom.

VENDREDI 5 DÉCEMBRE, à 9 heures 30, à 15 heures et à 21 heures 30:

_ Suite de l'ordre du jour de la veille.

MARDI 9 DÉCEMBRE, à 9 heures :

_ Débat sur la conciliation des exigences de la continuité du service public des transports et du droit de grève ;

(séance d'initiative parlementaire).

à 15 heures, après les questions au Gouvernement, et à 21 heures 30 :

_ Projet, adopté par le Sénat, relatif à la parité entre hommes et femmes sur les listes de candidats à l'élection des membres de l'Assemblée de Corse ;

_ Deuxième lecture du projet relatif à la bioéthique.

MERCREDI 10 DÉCEMBRE, à 15 heures, après les questions au Gouvernement, et à 21 heures 30 :

_ Suite de l'ordre du jour de la veille ;

JEUDI 11 DÉCEMBRE, à 9 heures 30 :

_ Proposition de M. Luc-Marie CHATEL tendant à redonner confiance aux consommateurs ;

(séance d'initiative parlementaire).

à 15 heures et à 21 heures 30 :

_ Éventuellement, suite de l'ordre du jour de la veille ;

_ Projet relatif à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social.

VENDREDI 12 DÉCEMBRE, à 9 heures 30, à 15 heures et à 21 heures 30 :

_ Suite de l'ordre du jour de la veille.


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