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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2003-2004 - 63ème jour de séance, 160ème séance

1ère SÉANCE DU JEUDI 12 FÉVRIER 2004

PRÉSIDENCE de Mme Hélène MIGNON

vice-présidente

Sommaire

      INFORMATION DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE
      SUR L'APPLICATION DES LOIS 2

      ARTICLE PREMIER 9

      APRÈS L'ARTICLE PREMIER 12

      ART. 2 13

      APRÈS L'ART. 2 13

      SECONDE DÉLIBÉRATION 13

La séance est ouverte à neuf heures trente.

INFORMATION DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE SUR L'APPLICATION DES LOIS

L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de résolution de MM. Jean-Luc Warsmann et Jean-Louis Debré modifiant le Règlement en vue d'informer l'Assemblée nationale sur la mise en application des lois.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur de la commission des lois - Quand les lois sont trop nombreuses, trop confuses, elles perdent l'essentiel de leur portée. Lorsqu'elles sont appliquées trop tardivement ou partiellement, la parole même de l'Etat est affaiblie.

Nos concitoyens apprennent aujourd'hui l'existence d'un projet de loi par le conseil des ministres, six à douze mois sont ensuite nécessaires pour que la loi voie effectivement le jour, et des mois, voire des années avant qu'elle ne s'applique. Ce n'est plus admissible.

Un rapport du Sénat a établi que, depuis 1981, 193 lois n'ont pas été appliquées, ou ne l'ont été que partiellement, faute de textes d'application.

Jusqu'ici, nous n'avons pas réussi à mettre en place un dispositif permanent de contrôle de l'application des lois, malgré les travaux de la commission des finances, auxquels je rends hommage, et plusieurs tentatives qui, depuis les années 1970, n'ont pu aboutir.

Nous proposons donc de compléter le Règlement de l'Assemblée pour poser le principe d'un contrôle systématique de l'application des lois, à l'exception évidemment des textes d'application directe et des lois de ratification d'accords internationaux.

Un contrôle doit être effectué six mois après la promulgation de la loi. Un amendement étend ce contrôle aux recommandations des commissions d'enquête. En revanche, je n'ai pas souhaité son extension aux missions d'information.

De plus, ce contrôle doit être confié aux rapporteurs. Leur travail est en effet considérable mais, jusqu'à ce jour, dès le vote définitif de la loi, il est en quelque sorte perdu. Nous proposons que six mois après la promulgation de la loi, le rapporteur fasse état devant sa commission de la mise en application du texte.

Le premier objectif de cette proposition est donc de résoudre, sur un plan quantitatif, le problème lancinant de l'application des textes. Le rapporteur devra désormais pointer l'ensemble des dispositions législatives qui ne deviennent applicables qu'après un texte d'application. Il ne s'agit pas seulement des décrets ou des arrêtés, mais également des circulaires ou des instructions fiscales.

Il s'agit ainsi de faire cesser le scandale des dispositions législatives votées mais jamais appliquées.

Le deuxième objectif est de favoriser une meilleure coordination entre pouvoirs législatif et exécutif. Le Premier ministre a d'ailleurs envoyé une circulaire aux directeurs de cabinet de chaque ministère afin que les textes réglementaires soient élaborés parallèlement à la loi. Très souvent en effet, les remarques formulées par les administrations centrales sur la rédaction imparfaite des dispositions législatives ou le fait qu'elles sont en contradiction avec d'autres dispositions en vigueur, restent dans les tiroirs du ministère. Il s'agit, avec le nouveau dispositif, de faire apparaître publiquement, six mois après la promulgation de la loi, les difficultés liées à son application et les suggestions tendant à améliorer ou à simplifier la rédaction.

Enfin, troisième objectif : une meilleure évaluation des lois, donc, une amélioration qualitative du contrôle. Le rapporteur aura désormais toute compétence pour auditionner à nouveau les personnes entendues en commission afin de connaître leur appréciation sur l'application de la loi et de mettre à jour de possibles dysfonctionnements.

Je tiens à remercier notre Président, M. Jean-Louis Debré, M. le président de la commission des lois, Pascal Clément, et M. Jacques Barrot, grâce à qui nous disposerons enfin d'un dispositif pragmatique.

Il en résultera une modification importante du travail de député, qui dans l'avenir consistera moins à élaborer des lois nouvelles et davantage à suivre et à évaluer les lois déjà votées. C'est un premier pas que nous faisons aujourd'hui. Pour que cette réforme ait toute sa portée, il faudra que celles et ceux qui seront désignés comme rapporteurs se saisissent des pouvoirs que nous allons leur donner (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Pascal Clément, président de la commission des lois - Je me réjouis de l'initiative prise par M. Warsmann, initiative à mes yeux historique. La commission des lois ayant une compétence transversale, il était normal qu'une telle initiative vienne d'elle.

Cette proposition de résolution s'inscrit dans le travail engagé par le Président Jean-Louis Debré. Elle répond aussi à une forte demande de l'opinion. Sur le terrain, combien de fois nos électeurs ne nous reprochent-ils pas une législation dont l'application ne correspond pas à ce que nous pensions avoir voté ! Cette situation dure depuis des décennies.

Dans son rapport, Jean-Luc Warsmann rappelle qu'une initiative avait été prise par le président Chaban-Delmas, mais son champ était trop large et qui trop embrasse, mal étreint... Nous avons été plus pragmatiques : chaque rapporteur va suivre sa loi, ce qui donnera une importance plus grande à la fonction de rapporteur, puisqu'elle se poursuivra en aval par un suivi, une synthèse et, le cas échéant, un point sur les contentieux.

Sous la Ve République, le projet de loi règne en maître. Le pouvoir d'initiative parlementaire hérité de la réforme Séguin devrait s'élargir avec cette réforme. En 2001 et 2002, vingt-neuf lois n'ont pas été appliquées ou ne l'ont été que partiellement. Nous ne pouvons nous en tenir à ce constat. Le rapporteur pourra non seulement reprocher au Gouvernement de n'avoir pas fait son travail, mais aussi proposer de modifier une législation qui lui semblerait mal conçue.

Madame la présidente, en m'adressant à vous je veux dire au Président Debré que la réforme des services en cours, visant à créer un pôle d'administrateurs qui renforcera notre capital humain, nous permettra de suivre la grande évolution qui est actuellement celle des parlements démocratiques.

Nous légiférons trop, nous légiférons le plus souvent à l'initiative du Gouvernement et nous sommes frustrés de voir que la loi n'est pas appliquée. Dans toutes les démocraties, la mission de contrôle du parlement devient plus importante que sa mission législative. Cette réforme, modeste, est réaliste. Si nous faisons ce que propose Jean-Luc Warsmann, la situation va changer radicalement.

M. Xavier Bertrand - Si la loi, expression de la volonté générale, est votée par le Parlement, le pouvoir législatif s'en remet au pouvoir exécutif pour la traduction de la loi dans la vie quotidienne des Français.

Or, Jean-Luc Warsmann l'a dit, trop de textes restent inappliqués. Je suis le moins expérimenté de tous ceux qui sont présents ce matin, mais je considère qu'un député n'a fait qu'une partie de son travail tant qu'il ne s'est pas assuré que la loi votée par lui s'applique sur le terrain. C'est à quoi nous invitait d'ailleurs le Président de la République dans son allocution du 14 juillet dernier.

Cette proposition de résolution doit nous permettre d'améliorer la qualité du travail du législateur.

Trop de lois tue la loi, comme le disait déjà Montesquieu. Le Conseil d'Etat a fait le même constat, au moment où nous célébrons le bicentenaire du code civil, qui fut longtemps un modèle de concision.

Nul n'est censé ignorer la loi, mais cette maxime est de moins en moins conforme à la réalité, compte tenu de la prolifération des mesures nouvelles et de leur complexité. La lisibilité de la loi et la sécurité juridique doivent être améliorées. Le Conseil constitutionnel d'ailleurs, dans sa décision du 16 décembre 1999, a fait de l'accessibilité et de l'intelligibilité de la loi des objectifs constitutionnels. Il en va d'ailleurs de notre crédibilité de législateurs, et de la démocratie. Que répondre à nos électeurs qui croient une loi appliquée et découvrent qu'elle ne l'est pas ? Il y a là un enjeu politique, au sens noble du terme. Quand la loi ne s'applique pas, c'est le sentiment démocratique qui s'affaiblit.

Cette proposition de résolution permettra de renforcer le travail en aval Oublier ou retarder la publication de mesures d'application est contraire à notre Constitution comme à l'esprit des lois.

La pertinence de votre proposition, Monsieur Warsmann, m'enlève tout doute sur l'issue du scrutin.

L'amendement que j'ai déposé prévoit, vingt-quatre mois après l'entrée en vigueur de toute loi, le dépôt d'un rapport d'évaluation. Nous sommes responsables, je dirais même comptables du résultat des textes que nous votons. Il y a une vie après la loi, dont nous devons être les garants.

Nous devons réfléchir et agir plus globalement, assurant jusqu'au service après vote.

Tout d'abord, acceptons que la loi soit une condition parfois nécessaire mais pas forcément suffisante pour régler les problèmes. Ne cédons pas au développement des textes d'affichage, au recours à des lois fourre-tout dénoncé par le Conseil d'Etat en 1991.

En amont, la rédaction des projets de loi devrait se faire davantage en association avec la société civile et surtout sur la base de travaux extragouvernementaux. Rapporteur de la commission des finances pendant le débat sur les retraites, j'ai pu apprécier l'intérêt du travail réalisé par le conseil d'orientation des retraites. Une plus grande coopération entre le Gouvernement et le Parlement et une implication plus précoce des rapporteurs nous permettrait d'accroître l'efficacité du travail parlementaire.

M. Olivier Giscard d'Estaing - Absolument.

M. Xavier Bertrand - Le respect plus strict de la distinction faite dans les articles 34 et 37 de la Constitution aurait le même effet. Il nous faut enfin accepter de meilleure grâce, pour des textes techniques exigeant de nombreux textes d'application, la pratique des ordonnances.

Cette proposition de résolution s'inscrit dans cette logique. Le travail technique doit être réservé aux commissions pour libérer les séances plénières : il convient, en effet, comme le réclame le Président Debré, de replacer l'Assemblée au centre de la vie politique française.

Cette orientation du travail parlementaire ne conduira pas à un affaiblissement du rôle du Parlement, au contraire. Ne nous engluons pas dans des débats à courte vue, et consacrons notre temps au débat d'idées.

Notre rôle est politique, il est de débattre du fond des textes. Assumons-le pleinement, tout comme nous allons désormais assumer, grâce à cette résolution, l'étendue de nos responsabilités. Etre rapporteur est une chance et un honneur. Nous sommes au c_ur de l'adaptation, de la redéfinition et de la réhabilitation du travail parlementaire. Nous adaptons notre travail aux exigences nouvelles de notre société.

Je veux remercier Jean-Luc Warsmann : en donnant aux députés les moyens juridiques de mieux suivre la loi, il nous offre la chance de retisser ainsi les fils de la confiance entre le législateur et les observateurs exigeants et attentifs que sont nos concitoyens (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Philippe Vuilque - Un citoyen peu averti de la vie parlementaire serait surpris par ce débat. Comment ? L'Assemblée qui vote les lois et doit contrôler l'exécutif se désintéresse donc actuellement du sort de la loi votée ? Eh bien oui, c'est la triste réalité ! Le suivi et l'évaluation de la loi ne sont pas assurés aujourd'hui...

M. le Président de la commission - Hier non plus !

M. Philippe Vuilque - Hier non plus ! Nos concitoyens seraient surpris d'apprendre que plus de la moitié des décrets d'application des lois sont publiés plus de six mois après le vote et que pour un cinquième des décrets, le retard dépasse même un an. Ce sont les lois d'initiative parlementaire qui entrent le plus tardivement en application. Ces retards sont d'autant plus inadmissibles que 90 % des lois sont proposées par le Gouvernement et qu'il contrôle toute la procédure législative. Il serait donc logique que les administrations commencent à travailler sur les décrets d'application dès le dépôt du projet en Conseil des ministres.

Le Parlement doit s'assurer que les lois qu'il vote sont effectivement appliquées et procéder à l'évaluation de leurs résultats. Nous devons donc développer des outils de contrôle, sinon nous continuerons à légiférer trop ou mal. « Les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires » disait Montesquieu. J'ajouterai que les lois mal appliquées déconsidèrent la loi.

La proposition de résolution va dans le bon sens, elle est utile. Mais elle est très en deçà de ce qui est nécessaire. Elle n'a rien d'original puisqu'elle reprend une des propositions du groupe de travail mis en place par le Président Debré pour améliorer le fonctionnement parlementaire et aussi une proposition présentée, avec d'autres, plus ambitieuses, par le président du groupe socialiste dans une lettre au Président Debré.

En octobre 2002, Paul Quilès et le groupe socialiste ont déposé une proposition de révision constitutionnelle visant à élargir les pouvoirs du Parlement en complétant comme suit l'article 34 : « Le Parlement vote la loi, il en contrôle l'application et en évalue les résultats dans les conditions fixées par la loi organique ».

Le 26 mars 2003, dans le cadre de la discussion des propositions Debré, j'ai proposé d'instaurer l'obligation pour le Gouvernement de publier les textes d'application des lois dans les six mois suivant leur promulgation et de venir rendre compte de son application devant la commission compétente un an après sa promulgation. La résolution, elle, ne comporte aucune obligation pour les ministres.

En outre, elle est muette sur l'évaluation de la loi. Or, la loi doit être faite pour durer et résoudre les problèmes de société. S'assurer de son application, c'est bien ; l'évaluer, pour éventuellement l'adapter, c'est mieux !

C'est d'ailleurs pourquoi le projet de loi sur le port des signes religieux à l'école que nous venons de voter prévoit une évaluation dans un an.

Mais, quand cette évaluation n'est pas prévue, elle ne se fera pas et cette résolution n'y changera rien. C'est pourquoi j'ai proposé, en commission, que le ministre concerné par l'application d'une loi soit obligatoirement auditionné et que, d'autre part, les commissions compétentes auditionnent, chaque année, les ministres sur le bilan de leur action. Je regrette que vous n'ayez pas retenu ces amendements. Votre réformisme est inversement proportionnel à la hauteur de l'enjeu.

C'est dommage parce que quand on détient tous les leviers du pouvoir, on a les moyens de réviser la Constitution, cela nous confère une responsabilité historique particulière.

Si vous aviez une réelle volonté politique de donner au Parlement le rôle que joue, par exemple, le Parlement britannique, ou le Congrès américain, vous pourriez le faire. C'est se donner bonne conscience que de réformer seulement le Règlement de l'Assemblée nationale. Peut-être êtes-vous effrayés de tant d'audace !

Votre résolution manque cruellement d'ambition. Pourtant, à l'issue de notre participation au groupe de travail mis en place par Jean-Louis Debré, nous lui avions fait part de propositions très concrètes. En effet, la modernisation du fonctionnement de l'Assemblée et l'accroissement de ses moyens de contrôle nous semblent essentiels au bon fonctionnement de la démocratie.

Nos propositions s'articulaient autour de trois exigences.

La première, c'est de remettre l'Assemblée nationale au c_ur de la démocratie française. C'est bien du Parlement que procède le Gouvernement, et non du Président de la République. Nous devons donc rendre l'initiative politique aux parlementaires, renforcer la responsabilité du Gouvernement et encadrer l'usage des instruments du parlementarisme « rationalisé ».

Concrètement, cela signifie obliger le Premier ministre à engager la responsabilité de son gouvernement sur son programme ou sur une déclaration de politique générale dans les jours suivant sa nomination et à rendre compte de l'action gouvernementale à la fin de chaque session parlementaire, avec vote de confiance ; supprimer ou limiter l'usage de l'article 49-3, et du vote bloqué ; envisager d'instaurer une motion de censure constructive, comme en Allemagne ou en Hongrie et d'introduire une dose de proportionnelle dans le mode d'élection des députés,...

M. Jacques Brunhes - Une bonne dose !

M. Philippe Vuilque - ...ce qui permet de vivifier la démocratie tout en dégageant une majorité ; accroître la part d'initiative parlementaire dans l'ordre du jour - aujourd'hui, le Parlement vote la loi mais ne la fait pas - ; organiser, à intervalles réguliers, des débats suivis d'un vote sur les grandes orientations politiques du Gouvernement ; réformer les séances de questions au Gouvernement, dont certaines pourraient être consacrées à l'action d'un ministre.

Deuxième exigence, il convient de rendre plus efficace le travail de l'Assemblée nationale.

Il pâtit d'un fonctionnement dépassé, inadapté aux exigences de rapidité, d'efficacité et de clarté. Nous devons rénover nos outils, remédier à l'encombrement de l'ordre du jour et associer davantage les députés à l'élaboration de la loi par des procédures de concertation avec le Gouvernement.

Cela implique une augmentation du nombre des commissions permanentes et un redécoupage de leurs compétences ; la mise en place d'un véritable statut de l'opposition, qui pourrait - pourquoi pas ? - se voir attribuer la présidence de la commission des finances (Interruptions sur les bancs du groupe UMP) ; la reconnaissance d'un pouvoir législatif propre aux commissions sur certains textes et, pour tous les textes, le débat en séance publique sur la base du texte adopté en commission ; la consultation des députés avant toute présentation d'un projet de loi ; une capacité d'expertise accrue ; enfin, une limitation plus stricte du cumul des mandats.

Troisième exigence, il faut renforcer la fonction de contrôle de l'Assemblée nationale par des procédures spécifiques, telles que l'audition annuelle des ministres par la commission compétente, l'évaluation de la loi et de son application, l'obligation d'un débat suivi d'un vote avant toute opération militaire extérieure, enfin la ratification des accords de défense par le Parlement.

Ce sont des propositions précises et conséquentes, loin de la « réformette » qui nous est soumise aujourd'hui. La réhabilitation du Parlement est indispensable pour que les citoyens renouent avec la démocratie, avec le vote. Nous devons combler le décalage entre notre façon de fonctionner et l'exigence citoyenne, rendre nos institutions efficaces et transparentes.

Ne pas le comprendre serait une erreur politique ; ne pas s'en donner les moyens, notamment constitutionnels, serait une faute.

M. le Rapporteur - Deux ans d'opposition, ça requinque !

M. Jacques Brunhes - Cette proposition de résolution a un objectif bien restreint : confier aux rapporteurs des projets ou propositions de loi votés par l'Assemblée la mission d'informer les commissions compétentes sur l'état de parution des textes nécessaires à leur application six mois après leur promulgation. Si tous ne sont pas parus, un nouveau rapport sera présenté six mois plus tard. L'Assemblée sera mieux informée, mais son contrôle sera-t-il plus efficace pour autant ?

Il y a un réel problème d'exécution des lois, qui ne se limite pas aux délais trop longs de parution des textes d'application. Souvent plusieurs dispositions restent lettre morte ; cette pratique nuit à l'autorité et à la crédibilité de la loi votée. Notre commission des finances, qui examine chaque année l'application des dispositions votées dans les lois de finances, estime qu'un tiers d'entre elles sont caduques faute de textes d'application.

Il est donc bon que le Parlement soit informé de la mise en _uvre de la loi qu'il vote, mais permettez-moi de souligner les limites de la proposition qui nous est présentée. Vous l'avez qualifiée d'historique, Monsieur le président de la commission, mais c'est un peu forcer le trait : je vois là une expression de votre nature généreuse et spontanée (Sourires).

Tout d'abord, la proposition ne précise pas comment la mise en _uvre des nouvelles dispositions sera assurée, même si le rapporteur a indiqué en commission que la charge en incombera aux commissions, dans le cadre d'un dialogue constructif mais exigeant avec le Gouvernement.

Par ailleurs, il faut que l'Assemblée nationale puisse suppléer le Gouvernement. Mon groupe a fait à diverses reprises la proposition suivante : « Si le Gouvernement ne prend pas les textes nécessaires à l'exécution de la loi, soit dans les délais prévus par cette dernière, soit à l'expiration d'un délai d'un an après sa promulgation, le rapporteur du texte présente devant la commission permanente compétente un rapport sur les motifs de ce retard. Si dans un délai de deux mois, après injonction de l'Assemblée nationale, le Gouvernement ne prend pas les textes d'application, celle-ci peut y pourvoir par une disposition législative exécutoire ». Cela suppose bien sûr de modifier l'article 37 de la Constitution, mais on ne peut remédier au déséquilibre de nos institutions sans une réforme constitutionnelle d'envergure.

Nombreuses ont été les réformes entreprises, souvent à l'initiative de divers présidents de l'Assemblée ou de la commission des lois, qui ont incontestablement amélioré l'organisation des travaux parlementaires. Cependant les réformes du Règlement intervenues au cours des précédentes législatures n'ont été que des adaptations fonctionnelles. De toute évidence, les réformes essentielles restent à faire pour que l'Assemblée retrouve, pour reprendre les mots de la commission Vedel en 1993, la place et le rôle qui doivent, dans une démocratie, être les siens.

La Ve République souffre en effet d'un déséquilibre au profit du pouvoir exécutif, que relevait déjà le président Mitterrand, fin 1992, dans sa lettre de mission à la commission Vedel. En 1995, le candidat Jacques Chirac estimait qu'il était « temps de mettre fin à la dérive monarchique des institutions ».

Or rien n'est venu corriger ce déséquilibre, bien au contraire : la présidentialisation du régime s'est accrue avec élargissement du prétendu « domaine réservé » - ignoré par la Constitution -, l'adoption du quinquennat et la concomitance des élections présidentielle et législatives.

Pour le groupe CR, il convient de modifier l'article 34, qui fixe limitativement les matières qui sont du domaine de la loi, d'abroger les dispositions relatives au vote bloqué, à la procédure d'adoption sans vote de la loi et à la délégation du pouvoir législatif au Gouvernement par le biais des ordonnances, enfin de modifier l'article 40 relatif à la recevabilité des propositions et amendements parlementaires. Ce ne sont là que quelques aspects de la réforme d'envergure que nous préconisons.

A l'évidence, cette proposition de résolution ne répond pas à l'ampleur du problème. Néanmoins nous avons toujours été favorables à des améliorations, fussent-elles minimes ; c'est la raison pour laquelle nous voterons ce texte.

M. le Président de la commission - Très bien !

M. Gaëtan Gorce - Nos collègues, sûrement persuadés de l'intérêt de cette réforme, ne manifestent pas par leur présence un enthousiasme considérable pour s'y associer...

M. le Président de la commission - Ils nous font confiance !

M. Gaëtan Gorce - C'est votre interprétation...

Pourtant, il y a péril en la demeure car cette vieille maison, qui a vécu de grandes heures et qui, en 1958, fut ramenée à plus d'ordre et de raison par le parlementarisme rationalisé, est en voie de marginalisation dans nos institutions. Nous courons en effet le risque d'une présidentialisation accélérée : le raccourcissement de la durée du mandat présidentiel à cinq ans et le fait que l'élection présidentielle ait lieu avant les élections législatives sont dans la logique de nos institutions, mais font du Président de la République le chef de la majorité.

Notre Parlement risquerait, pour tout dire, une ringardisation si ses responsabilités, ses procédures, ses moyens de fonctionnement n'étaient pas adaptés à cette situation nouvelle. Je ne regrette pas le choix que j'ai fait de voter l'inversion du calendrier et le quinquennat, mais il faut en tirer toutes les conséquences en mettant en place, en quelque sorte, un « présidentialisme rationalisé », limitant les pouvoirs de l'exécutif, et d'abord de celui qui le dirige. Pour paraphraser le général de Gaulle disant « Il faut un Président qui en soit un », je dirais qu'il faut un Parlement qui en soit un.

M. Philippe Vuilque - Très bien !

M. Gaëtan Gorce - Il convient donc d'aller au-delà de simples adaptations de notre Règlement, en agissant au moins dans trois directions.

Tout d'abord, il faut restaurer l'initiative parlementaire. Aujourd'hui en effet, le Parlement vote la loi, mais il ne la fait pas. Il faudrait au moins que le débat s'engage dans cet hémicycle sur le texte débattu et adopté par la commission, que le recours au vote bloqué soit limité et que l'article 49-3 ne puisse être utilisé que pour la loi de finances. Peut-être faudrait-il aller jusqu'à reconsidérer les conditions du contrôle de constitutionnalité et mettre en place un contrôle a posteriori, à l'initiative de nos concitoyens ; cela donnerait plus d'autorité à la loi, qui, une fois votée, n'aurait pas à attendre une éventuelle sanction de la part d'une assemblée de juges, respectable mais prenant position juste après le débat parlementaire.

Ensuite, il faut dépoussiérer les procédures parlementaires. Nous sommes en effet nombreux sur ces bancs à déplorer les conditions dans lesquelles est conduit le travail législatif. Trois grands principes s'imposent. La spécialité : il faut pouvoir travailler de manière très approfondie sur les dossiers, ce qui suppose évidemment d'augmenter le nombre des commissions. La clarté : il faut veiller à ce que le déroulement de nos débats permette à tous, y compris à nos concitoyens, de s'y retrouver. Enfin, la publicité, dont l'absentéisme sur nos bancs traduit bien la difficulté, tout en reflétant l'idée que nos collègues ont parfois le sentiment que nos débats sont un peu vains. Les conditions du travail parlementaire se sont d'ailleurs considérablement dégradées ces derniers mois, avec des bouleversements incessants de l'ordre du jour ou des discussions imposées en commission le soir même de l'adoption d'un texte en conseil des ministres. Modifions donc le régime de nos sessions : la session unique n'a pas répondu à ses objectifs ; peut-être faudrait-il, comme dans d'autres Parlements, siéger pendant quinze jours puis s'interrompre pendant le même temps.

Enfin, il faut donner au Parlement les moyens d'un contrôle renforcé. Cette proposition de résolution va dans le bon sens, mais c'est un pas trop timide. Il faut s'orienter vers le partage des présidences et des rapports à la proportionnelle des groupes ; conférer aux commissions permanentes les mêmes prérogatives qu'aux commissions d'enquêtes ; en s'inspirant d'exemples étrangers, dynamiser la formule des questions, qui est devenue un exercice convenu, servant souvent uniquement à la présentation par les ministres de leur politique.

Enfin, la censure n'est plus une réalité politique car on imagine mal une majorité parlementaire, élue dans le prolongement de la majorité présidentielle, censurer le gouvernement issu de ses rangs. Pourquoi, dans ces conditions, ne pas prévoir une motion de défiance ministérielle par laquelle le Parlement demanderait à un ministre qui a mal fait son travail, qui a mal appliqué la loi, de se retirer ?

M. le Président de la commission - Ce serait un autre régime !

M. Gaëtan Gorce - Cela permettrait de combattre cette culture de l'exécutif qui réduit à bien peu de choses le contrôle du Parlement. A défaut, je crains que nous revenions à des institutions semblables à celles du second Empire, avec une assemblée qui débat et ne vote pas - le Sénat, puisque l'Assemblée nationale a le dernier mot - et une autre qui vote mais ne débat pas - l'Assemblée puisque le Gouvernement a décidé auparavant ce qui doit figurer dans la loi.

C'est pourquoi il faut aller au-delà de simples mesures techniques et faire en sorte que le Parlement retrouve son autorité et ses prérogatives au sein de nos institutions. Il doit être le lieu où l'on entend battre le c_ur de la nation. Aujourd'hui, ce c_ur bat trop faiblement, il ne suit pas le rythme d'une société qui avance et qui débat. La moindre des choses est donc, pour nous, d'exiger que le Parlement débatte et vote (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

La discussion générale est close.

Mme la Présidente - J'appelle maintenant les articles de la proposition dans le texte de la commission.

ARTICLE PREMIER

M. Philippe Vuilque - L'amendement 1 corrigé prévoit l'audition du ministre par la commission lorsque les textes réglementaires n'ont pas été publiés au bout de six mois. Ainsi les députés pourront-ils être pleinement informés sur les raisons de ce retard. Cette audition incitera en outre les ministres à faire diligence.

Je ne comprends pas pourquoi la commission a rejeté cet amendement qui va seulement un peu plus loin que ce qui est prévu.

M. le Rapporteur - La commission l'a en effet repoussé. La réforme que nous votons va avoir des conséquences assez considérables. De septembre 2002 à fin août 2003, sur les 55 textes votés, 41 ont fait l'objet de textes d'application. Avec la réforme, il aurait donc fallu que les commissions produisent et examinent 41 rapports de plus. Et si le premier rapport n'est pas satisfaisant, il en est prévu un autre, un an après. On mesure à quel point le travail des commissions permanentes va déjà s'accroître.

Par ailleurs, l'ordonnance du 17 novembre 1958 sur le fonctionnement des assemblées parlementaires permet aux commissions permanentes d'auditionner à tout moment les ministres si elles le jugent nécessaire, de manière générale et inconditionnelle. Il n'y a donc pas lieu de prévoir une audition. Je demeure donc hostile à cet amendement qui n'apporte rien et qui alourdit la procédure.

M. François Goulard - Absolument !

M. Philippe Vuilque - Dans un système majoritaire, il est aisé de ne pas choisir d'auditionner un ministre afin de ne pas le mettre en difficulté. C'est pourquoi je propose que cette audition soit obligatoire. Cela n'alourdirait pas le travail des commissions mais permettrait d'aller vers cette culture de l'évaluation dont nous avons tant besoin.

M. le Rapporteur - J'ajoute que, pour que la réforme soit efficace, il faudra que le rapporteur, mais aussi l'opposition et l'ensemble des parlementaires jouent pleinement leur rôle. Si le rapport d'évaluation n'est pas bon, il ne tiendra qu'à nous d'interpeller le ministre lors des questions d'actualité, devant les caméras, en brandissant le rapport et en lui demandant des explications, afin de prendre l'opinion publique à témoin. Ce sera, j'en suis sûr, un aiguillon très efficace.

M. Jacques Brunhes - En vingt-cinq ans de mandat, j'ai entendu des centaines de fois réclamer une meilleure application des lois. Je ne puis donc comprendre que l'on refuse cet amendement.

On nous dit que les commissions s'en trouveraient surchargées. Mais les parlementaires ne sont quand même pas responsables de l'inflation législative ! Nous souhaitons tous que l'on légifère moins et mieux et, surtout, qu'on contrôle mieux. Imposer à un ministre de venir expliquer la non-publication d'un texte réglementaire paraît tout à fait justifié. Cela n'alourdirait guère le travail des commissions et améliorerait ce texte bien mince...

M. François Goulard - Qui en a eu l'idée ?

M. Jacques Brunhes - ...dont je vois mal ce que le président de la commission lui trouve d' « historique » !

M. Gaétan Gorce - Cet amendement permettrait de tirer les conséquences de la proposition de résolution. Mais la majorité est bien timide : à peine envisage-t-on de demander des comptes au Gouvernement de façon plus précise qu'elle s'effraie de son audace... Or il faut bien faire en sorte que les ministres considèrent qu'ils ont des comptes à rendre, donc que nous retrouvions des moyens de contrôle.

Il ne s'agit ni de revenir à la IVe République ni d'aller vers une hypothétique VIe République, mais de nous doter des moyens que d'autres parlements européens se sont déjà donnés. Ce serait la moindre des choses dans des institutions qui doivent être rééquilibrées.

L'amendement 1 corrigé, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Philippe Vuilque - L'amendement 5 rectifié permet aux commissions saisies pour avis de produire également un rapport sur la mise en application de la loi. Il serait regrettable, alors qu'elles accomplissent un travail considérable sur certains projets, que ces commissions ne participent pas à l'évaluation de la loi.

M. le Rapporteur - La commission a émis un avis négatif. Cette grande avancée que marque cette proposition, nous avons l'ambition de la réussir et, pour cela, nous refusons de la rendre trop complexe.

Il y a souvent plusieurs commissions saisies pour avis et il nous apparaît qu'il ne doit y avoir qu'un seul rapport sur l'application de la loi, piloté par la commission saisie au fond. Multiplier le nombre des rapports rendrait le dispositif moins opérationnel et moins clair, y compris vis-à-vis de l'opinion publique.

M. le Président de la commission - Que M. Vuilque ne voie dans le refus de la commission aucune mauvaise volonté. Simplement, je crois qu'il n'accepterait pas qu'un ministre se défausse de sa responsabilité sur d'autres au motif que la loi relève de plusieurs ministères. Il n'y a qu'un rapporteur qui compte vraiment, celui saisi au fond. Diluer les responsabilités n'aboutirait à rien de bon.

Oui, Monsieur Brunhes, cette réforme est historique parce que nous n'avons pas voulu en faire un de ces grands textes trop ambitieux qui restent souvent lettre morte mais un ensemble de dispositions réalistes. Pour cela, il faut qu'une seule personne se charge de la responsabilité, le rapporteur saisi au fond.

Sur le projet relatif aux responsabilités locales, il y aura plusieurs rapporteurs pour avis mais un seul vrai rapporteur. Ne soyons pas trop ambitieux car qui trop embrasse mal étreint. Si chaque rapporteur au fond devient vraiment responsable de l'application de la loi, ce sera déjà une vraie révolution.

M. Philippe Vuilque - Le débat en commission a été constructif. Mais le rejet de cet amendement illustre la timidité de la majorité sur un respect essentiel du travail parlementaire. Pourquoi se limiter à un début d'évaluation ?

Cela dit, la solution serait sans doute, comme l'a proposé M. Gorce, d'augmenter le nombre des commissions permanentes. Si le travail parlementaire est si mal fait, c'est aussi parce que nous nous retrouvons à 150 dans une seule commission. La rénovation du Parlement passe aussi par de tels changements.

L'amendement 5 rectifié, mis aux voix, n'est pas adopté

M. Philippe Vuilque - A première lecture, l'amendement 2 corrigé ressemble fortement au 1 corrigé, mais il n'en est rien en fait. Tout à l'heure, je demandais que les ministres viennent s'expliquer en cas de non-publication des textes réglementaires. Ici, il s'agit de les obliger à rendre compte de l'application de la loi, ce qui ne semble que normal.

M. le Rapporteur - Avis défavorable, pour les raisons qui justifiaient déjà le rejet de l'amendement 1 corrigé. Les commissions ont tout pouvoir pour convoquer les ministres quand elles le souhaitent.

L'amendement 2 corrigé, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Louis Giscard d'Estaing - L'amendement 6 vise à organiser le suivi des lois. L'initiative heureuse de M. Warsmann nous permet de mieux contrôler l'exécution de ce que nous avons voté, mais nous devons aussi nous préoccuper de ce que j'appellerai le « service après vote » et M. Bertrand propose précisément d'institutionnaliser celui-ci grâce à la création éventuelle d'une mission d'information et de suivi.

Une fois la loi promulguée et les décrets d'application publiés, nous avons en effet à mesurer l'impact de ces textes sur les citoyens et sur les administrations concernés, ainsi que leur coût financier. A l'issue d'un délai de deux ans, le rapporteur ou un autre député désigné à cet effet aurait donc à présenter un rapport sur l'entrée en vigueur de la loi.

M. le Rapporteur - Tout en comprenant le souci qui anime M. Bertrand, la commission a repoussé cet amendement, estimant que l'Assemblée n'avait pas les outils d'une telle évaluation, notamment s'agissant du coût des lois.

Comme je l'ai dit, la présente réforme est un premier pas vers cette évaluation. Je souhaite vraiment que les rapporteurs ne se contentent pas de recenser les textes faisant problème ; si, au terme d'une première appréciation, ils notent une complexification des procédures ou un coût excessif, la commission pourra toujours constituer une mission d'information sur le sujet. En revanche, si nous donnons à la formule un caractère systématique, je crains que la mesure ne soit que de pure forme, faute des outils nécessaires.

Dans certaines démocraties, le Parlement vote des lois qui ont une durée d'application limitée : avant que le terme soit échu, nos collègues ont donc à statuer pour savoir si ces dispositions méritent ou non d'être prorogées. Je constate que, nous, nous avons déjà bien du mal à respecter les clauses de rendez-vous telles que celle qui figure dans la loi sur la bioéthique. Nous avons donc encore bien du chemin à parcourir.

M. Jacques Brunhes - Je vous ai crédité tout à l'heure, Monsieur le président de la commission, d'une nature généreuse et spontanée pour avoir qualifié cette proposition d'historique. Permettez-moi d'ajouter la modestie puisque vous fondez maintenant ce caractère historique... sur le manque d'ambition ! (Sourires).

Je comprends l'embarras de M. Bertrand : nous allons nous essayer à contrôler l'application des lois sans pouvoir rien faire si nous constations que les décrets tardaient ! C'est en cela que cette proposition de résolution manque d'ambition : nous ne produirons qu'un rapport de plus ! D'où notre proposition d'autoriser l'Assemblée à prendre des mesures législatives exécutoires. Cela impliquerait certes de modifier la Constitution, mais nous en resterions sinon à des paroles verbales - y compris si nous adoptions l'amendement de M. Bertrand.

M. le Président de la commission - Je ne vous comprends pas. Vous avez rappelé à juste titre qu'une loi sans décrets d'application était une loi vaine et c'est précisément sur de telles situations que nous voulons agir (Exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains). Nous pourrons interpeller les ministres avec bien plus de force que si nous posions une question un mardi ou un mercredi : nous nous appuierons en effet sur un rapport qui sera le fruit d'une enquête auprès de l'administration, qui aura donc un crédit non négligeable et nous permettra une mise en cause publique devant les médias ! Le progrès est donc incontestable et, en tout état de cause, mieux vaut une petite chandelle allumée que l'obscurité dans laquelle nous sommes plongés.

Cette résolution n'est donc pas historique parce qu'elle manque d'ambition, mais parce qu'elle sera efficace. La situation actuelle est pour le moins contestable : au cours des deux années 2000 et 2001, comme on l'a rappelé, quelque 35 lois sont restées sans décrets d'application. Nous ne pouvons plus le tolérer.

MM. Gorce et Vuilque ont tort de réduire notre rôle à celui d'une chambre d'enregistrement. Ils n'ignorent d'ailleurs pas que notre commission, par exemple, a adopté hier des amendements dont elle savait qu'ils n'auraient pas l'assentiment du Gouvernement. Il ne serait pas honnête d'essayer de faire croire à nos électeurs que nous ne serions bons qu'à approuver. Ne minorons pas nos pouvoirs ni notre influence, même si notre système parlementaire suppose l'adhésion de la majorité à la philosophie défendue par le Gouvernement. Aujourd'hui, nous allons même ajouter à ces pouvoirs - et vous verrez que le fait de mettre publiquement en cause un ministre ne sera pas sans effet !

M. Gaëtan Gorce - Nous reconnaissons la bonne volonté du rapporteur et l'intérêt de cette proposition. Si nous parlons de timidité, c'est pour vous inciter à aller plus loin. La question aujourd'hui est en effet de savoir si nous serons capables de tirer les conséquences du changement majeur que nous avons presque tous approuvé en 2002. Le rôle prééminent reconnu au Président de la République dans la conduite de la politique de la nation appelle un rééquilibrage au profit du Parlement. En effet, l'Assemblée, étant élue après le Président, dépend d'une certaine manière de la majorité présidentielle. En 2007, elle sera dans la situation d'avoir à appliquer le programme du Président. Que nous demandions des moyens supplémentaires me semble dès lors dans la logique de nos institutions et de notre système, qui est essentiellement parlementaire en dépit de l'autorité reconnue au chef de l'Etat en 1958 et, surtout, en 1962. N'essayez donc pas de changer les termes du débat !

M. Jacques Brunhes - Nous ne pouvons débattre de la place du Parlement, Monsieur Clément, sans avoir à l'esprit les conclusions de la commission Vedel, qui a rappelé que cette place devait être la première. Or, avec l'inversion du calendrier électoral, le risque s'accroît de changer l'Assemblée en chambre d'enregistrement. Disant cela, je ne mésestime pas notre travail mais la disproportion entre l'exécutif et le législatif ne peut être niée. Et quant au contrôle de l'application de la loi, comment ne pas reconnaître que nous ne l'assurons pas de façon satisfaisante ? Notre travail législatif lui-même ressemble à de l'abattage. Le contrôle est absolument nécessaire. Il faut aller plus loin.

L'amendement 6, mis aux voix, est adopté.

(Protestations sur les bancs du groupe UMP)

M. le Président de la commission - Madame la Présidente, un vote par assis et levé me semble nécessaire.

Mme la Présidente - Vous êtes majoritaires en nombre, mais chacun de vous n'a pas voté. J'en prends acte. Vous pouvez néanmoins, si vous le souhaitez, demander une seconde délibération.

M. Alain Néri - Rappel au Règlement. Nous disons tous que l'action du Parlement doit être revalorisée : le vote qui vient d'intervenir est clair et doit être respecté (Protestations sur les bancs du groupe UMP).

La séance, suspendue à 11 heures, est reprise à 11 heures 5.

L'article premier modifié, mis aux voix, est adopté.

APRÈS L'ARTICLE PREMIER

M. Philippe Vuilque - L'amendement 3 corrigé tend à compléter l'article 139 du Règlement par un alinéa ainsi rédigé : « Toute question écrite à laquelle il n'a pas été répondu dans les délais prévus ci-dessus est convertie en question orale si son auteur le demande. Elle prend rang au rôle des questions orales à la date de cette demande de conversion. »

Certains collègues sont devenus des stakhanovistes de la question écrite.

M. le Président de la commission - Absolument.

M. Philippe Vuilque - Or, transformée en expression des petits problèmes de nos concitoyens, elle a perdu de sa pertinence. De plus, certains provinciaux évaluant le travail du parlementaire en fonction des questions écrites qu'il a déposées, certains collègues demandent à leur assistant d'en pondre à longueur de journée. C'est consternant. Le président Clément ayant considéré en commission que cet amendement n'est pas pertinent, je le retire, mais je tenais à dénoncer cette dérive et à dire que le travail parlementaire ne saurait être évalué en fonction des questions écrites.

L'amendement 3 corrigé est retiré.

ART. 2

M. le Rapporteur - L'amendement 7 rectifié, 2e modification, tend après les mots « commission d'enquête », à rédiger ainsi la fin du dernier alinéa de l'article : « le membre de la commission permanente compétente désigné par celle-ci à cet effet lui présente un rapport sur la mise en _uvre des recommandations de ladite commission d'enquête .»

La durée d'existence des commissions d'enquête étant limitée, la fonction de rapporteur et les attributions qui l'accompagnent disparaissent en même temps qu'elles. En conséquence, pour une commission d'enquête donnée, c'est à la commission permanente compétente au fond que doit être confiée la responsabilité de désigner le membre chargé de lui présenter le rapport sur le suivi de la mise en _uvre des recommandations de cette commission d'enquête.

Rien n'interdira à la commission permanente de désigner comme rapporteur, si c'est un de ses membres, celui qui aura été rapporteur de ladite commission d'enquête.

M. Philippe Vuilque - Nous voterons cet amendement.

L'amendement 7, 2ème rectification, mis aux voix, est adopté.

L'article 2 ainsi modifié, mis aux voix, est adopté.

APRÈS L'ART. 2

M. Philippe Vuilque - Nous proposons par l'amendement 4 corrigé que les ministres se présentent devant la commission compétente pour faire le bilan de leur action.

M. le Rapporteur - Avis défavorable.

Les ministres viennent de toutes façons présenter leurs auditions budgétaires. De plus, votre amendement ne précise aucune date. Enfin, l'article 5 bis de l'ordonnance de 1958 prévoit la possibilité d'auditionner à tout moment les ministres.

M. François Goulard - J'ajoute que la nouvelle loi organique sur les finances publiques prévoit que les ministres viendront s'expliquer devant notre Assemblée sur leurs objectifs et la manière dont ils ont été atteints.

M. Philippe Vuilque - Vous êtes d'une frilosité consternante. Qu'est-ce qui vous gêne ? Les explications du ministre n'ont pas à être limitées à des considérations financières. M. le rapporteur précise que la commission peut auditionner les ministres, mais ce n'est pas une obligation. Nous savons tous qu'une majorité ne veut pas mettre en difficulté ses ministres.

Il faut aller plus loin.

L'amendement 4 corrigé mis aux voix, n'est pas adopté.

SECONDE DÉLIBÉRATION

Mme la Présidente - En application de l'article 101 du Règlement, la commission demande qu'il soit précédé à une seconde délibération de l'article premier.

La seconde délibération est de droit.

Le rejet des amendements vaut confirmation des décisions prises en première délibération.

M. le Rapporteur - Je demande à l'Assemblée d'adopter l'amendement 1. Le dispositif que la commission vous propose est suffisant pour garantir la mise en application des lois. Il sera toujours possible de créer, au sein des commissions, des missions d'information et de suivi.

L'amendement 1, mis aux voix, est adopté.

M. le Rapporteur - On a parlé de « frilosité ». Des articles, des colloques sur l'application de la loi, il y en a eu beaucoup ces dernières années. La grande nouveauté, c'est qu'il s'est trouvé un président de l'Assemblée nationale pour donner l'impulsion et un groupe pour passer de la parole aux actes.

Je souhaite que ce texte recueille la plus large majorité, qu'à l'avenir les parlementaires se saisissent des possibilités que nous leur ouvrons et que le contrôle parlementaire s'accroisse.

M. Jacques Brunhes - Je suggère au rapporteur et au président de la commission de prévoir un bilan de leur propre texte, dans un ou deux ans. Le risque est en effet que le dispositif s'effrite. Ce texte n'est pas négligeable et nous le voterons, mais sans nous faire d'illusions.

M. Philippe Vuilque - M. Brunhes m'a volé ma conclusion...

Nous aussi, nous allons voter ce texte, mais nous sommes déçus. Les amendements de mon groupe, constructifs, auraient pu être retenus. Nous avions l'occasion d'aller plus loin dans le consensus, mais cette occasion est perdue.

La majorité actuelle a une responsabilité historique. Vous avez la majorité à l'Assemblée et au Sénat, vous êtes au Gouvernement, vous avez la présidence de la République : il vous est possible de modifier la Constitution pour renforcer le contrôle parlementaire et il est dommage de ne pas le faire.

Avec M. Brunhes, je siège au sein de la commission créée par le Président de l'Assemblée nationale : elle fait un bon travail et nous avons commencé à revoir le Règlement. Mais nous sommes, je l'ai dit, déçus que l'occasion soit perdue d'aller plus loin.

Mme la Présidente - Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de résolution, j'indique à l'Assemblée que, conformément aux conclusions de la commission, son titre est ainsi rédigé : « Proposition de résolution modifiant le Règlement en vue d'informer l'Assemblée nationale sur la mise en application des lois et sur la mise en _uvre des recommandations de ses commissions d'enquête ».

L'ensemble de la proposition de résolution, mis aux voix, est adopté.

Mme la Présidente - Conformément à l'article 61 de la Constitution et à l'article 17 de l'ordonnance du 7 novembre 1958, la résolution sera soumise au Conseil constitutionnel.

Prochaine séance cet après-midi, à 15 heures.

La séance est levée à 11 heures 20.

            Le Directeur du service
            des comptes rendus analytiques,

            François GEORGE


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