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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2003-2004 - 71ème jour de séance, 179ème séance

1ère SÉANCE DU JEUDI 4 MARS 2004

PRÉSIDENCE de M. Marc-Philippe DAUBRESSE

vice-président

Sommaire

      PRÉCARITÉ DE L'EMPLOI 2

      EXPLICATIONS DE VOTE 13

La séance est ouverte à neuf heures trente.

PRÉCARITÉ DE L'EMPLOI

L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. Daniel Paul et plusieurs de ses collègues contre la précarité de l'emploi.

M. Daniel Paul rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - Faisant écho à la déclaration de Jacques Chirac pour qui 2004 doit être l'année de l'emploi, cette proposition de loi vous donne la possibilité de dépasser l'effet d'annonce. Après avoir présenté mardi une proposition de loi pour lutter contre la décentralisation, le groupe communiste continue ainsi de faire entendre la voix du monde du travail.

Comme vous, Monsieur le ministre, je sais que la précarité n'est pas un phénomène nouveau - recours aux CDD, à l'intérim, au temps partiel subi - mais elle prend de l'ampleur du fait des choix gouvernementaux, le Gouvernement se montrant toujours plus sensible au discours patronal sur les vertus de la flexibilité et de la souplesse.

La remise en cause de l'emploi stable est devenu le principal outil d'ajustement pour les entreprises, une variable de gestion.

C'est l'absence de politique de l'emploi qui favorise la précarité. Depuis juin 2002, le Gouvernement a en effet réduit considérablement les contrats emploi-solidarité. De plus, les moyens consacrés à l'insertion des publics les plus en difficulté - chômeurs de longue durée, allocataires du RMI - ont chuté de plus d'un milliard d'euros. Ces dispositifs, il est vrai, ne visent pas à promouvoir l'emploi « marchand ». Le profit n'est sans doute pas assez important ni rapide pour que la solidarité nationale continue à s'exercer.

D'autres crédits ont en revanche augmenté : avec la loi de démantèlement des 35 heures, ce sont plusieurs milliards d'euros supplémentaires qui, par le biais d'exonérations sociales patronales, seront versés chaque année aux entreprises sans contrepartie aucune. De plus, le Gouvernement s'est empressé, dès son arrivée, de supprimer la Commission nationale de contrôle des aides publiques.

Au total : moins de solidarité nationale, plus de solidarité patronale.

Il en va de même concernant l'emploi des jeunes. Les programmes Trace, les bourses d'accès à l'emploi ont été supprimés. Parallèlement, vous avez crée des contrats jeune en entreprise pour lesquels la seule obligation est un engagement en CDI, obligation qui d'ailleurs ne court pas au-delà de 24 mois. La contrepartie, pour les entreprises, c'est une exonération totale de charges. On passe ainsi de l'emploi marchand à l' « emploi marchandé » avec l'entreprise.

Le Gouvernement et l'UNEDIC ont également décidé de durcir les conditions d'indemnisation du chômage : augmentation de la durée d'affiliation exigée, réduction de la durée d'indemnisation, renforcement des exigences à l'encontre des chômeurs avec le PARE, politique de radiation.

Il en va de même avec la réduction de la durée de versement de l'ASS. Comment peut-on penser que le montant de cette allocation puisse satisfaire des salariés au chômage depuis plusieurs années au point qu'ils préfèreraient la position d'assisté à l'emploi ? En fait, vous vous deviez d'amortir la réduction de l'impôt de solidarité sur la fortune.

Même chose encore concernant le RMI, avec le renforcement d'une exigence d'insertion professionnelle et l'octroi du pouvoir de suspension aux départements sans garantie d'un traitement équitable sur l'ensemble du territoire.

Même chose avec le RMA, sous-contrat à durée déterminée et à temps partiel d'un nouveau genre, revenant pour l'entreprise à moins de 40 % du coût ordinaire du travail et n'ouvrant droit qu'à une protection sociale de seconde zone. En fait de contrat d'insertion, il s'agit d'un contrat d'installation durable dans la précarité.

Ne parlons pas de ce que nous réserve le proche avenir, sinon pour indiquer que la création de contrats de mission sans limitation de durée préconisée par le rapport de M. de Virville serait l'aboutissement logique d'une politique de destruction des garanties sociales.

Alors que la France s'était engagée dans un mouvement de création d'emplois pour la première fois depuis 1993, 30 000 emplois ont disparu en 2003.

Les employés précaires arrivant au terme de leur contrat sont à l'origine de 40 % des entrées à l'ANPE. Encore tous ne se signalent-ils pas, car les conditions d'indemnisation excluent nombre d'entre eux. La précarité est un statut de deuxième zone, mais elle constitue surtout la perspective de ne plus avoir de statut du tout. Les intérimaires et les employés en CDD sont d'ailleurs les premières victimes des variations de la conjoncture, les salariés dont on se sépare en premier. Enfin, la sortie du chômage se fait le plus souvent sur des emplois précaires. Indéniablement, la précarité est un véritable engrenage.

Les CDD et l'intérim représentent désormais plus de 10 % de l'emploi total. Le chômage, lui, ne cesse d'augmenter et l'on compte environ 2,5 millions de demandeurs d'emploi. Les principales victimes sont les jeunes et les chômeurs de longue durée. L'industrie emploie 48,2 % des intérimaires, notamment dans les secteurs de l'automobile, de l'industrie agricole et alimentaire et de la construction. En outre, lors des douze derniers mois, l'intérim a fortement augmenté dans le secteur de l'éducation, de la santé et de l'action sociale.

Il est donc urgent d'agir. La législation doit sortir les salariés de la précarité, et surtout éviter qu'ils n'y entrent. Cela passe par des réformes structurelles assurant la sécurité de l'emploi et de la formation, par la suppression de la modération salariale et par l'octroi de droits nouveaux aux salariés. Cela passe aussi par la lutte contre le recours non justifié aux CDD et à l'intérim. Nous connaissons tous des chargés de famille qui voient leurs contrats se succéder sans perspectives durables, alors qu'ils devraient bénéficier d'emplois à plein temps et stables. Mais mieux vaut, pour l'employeur, des contrats précaires, pour pouvoir exiger plus de flexibilité des salariés et jouer plus facilement avec la masse salariale ! C'est pour en finir avec ces abus, avec les excès les plus criants que nous défendons cette proposition de loi. Ils ont en effet tendance à se répandre, comme l'illustre encore la récente décision de justice sur la SOVAB, filiale de Renault qui a compté jusqu'à 900 intérimaires sur 2 700 personnes ! Mais 150, déjà, ont été reconnus injustifiés par la Cour de cassation...

La proposition de loi entend tout d'abord encadrer strictement le recours au travail précaire. Elle prévoit le plafonnement à 5 % du nombre des travailleurs précaires dans l'entreprise, le resserrement des cas de recours aux CDD et à l'intérim, l'amélioration de la procédure de requalification et de la protection du salarié et le versement d'une indemnité de précarité pour tous les contrats précaires. S'inscrivant dans une démarche positive, elle souhaite également offrir aux travailleurs précaires un dispositif d'émancipation garantissant une sécurité économique et une formation - dispositif qui pourrait utilement être étendu à l'ensemble des salariés. Le meilleur instrument, à l'opposé du démantèlement du service public de l'emploi qu'on constate aujourd'hui, serait un grand établissement public national dédié à l'emploi, la formation et la sécurisation des travailleurs précaires.

Tous les élus sont confrontés aux problèmes de la précarité de l'emploi, qui gangrènent la vie sociale. Il n'est qu'à voir le nombre de questions écrites qui appellent à la limitation du recours à cette forme d'emploi ou attirent l'attention sur ses conséquences. Il est urgent de mettre un terme à cette forme d'exploitation moderne que nombre de députés, y compris de l'UMP, dénoncent en commission. Je ne peux donc que m'étonner que, malgré cette unanimité, nous ne puissions examiner ensemble les moyens de mettre fin aux dérives de l'emploi précaire. La proposition de loi qui vous est soumise a été nourrie, depuis dix-huit mois, de la réflexion de salariés, d'acteurs sociaux, de responsables syndicaux et de juristes de toute la France et s'appuie sur des décisions de justice. Elle est le fruit d'une initiative citoyenne. Nous sommes prêts à l'améliorer. Encore faudrait-il pouvoir discuter des idées de chacun en passant à l'examen des articles (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).

M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité - Cette proposition de loi a pour objet de fixer un niveau maximal de recours au CDD et à l'intérim et de créer une agence nationale pour l'emploi et la formation des salariés concernés. Je partage, Monsieur Paul, votre souci de sécuriser les parcours professionnels, mais je n'adhère pas à vos solutions. Elles sont issues de la pensée qui anime le parti communiste et qui se caractérise par un dirigisme économique que je trouve contre-productif. J'ai dit que je ne serais pas le ministre de la précarité.

Plusieurs députés communistes et républicains - C'est fait !

M. le Ministre - J'estime que la force économique d'un pays ne peut être assise sur un émiettement professionnel et social généralisé. Le CDI doit demeurer la norme de référence. Vous conviendrez que le Gouvernement s'y attache, puisque les contrats jeunes qu'il a mis en place sont à durée indéterminée. Il est absolument inexact de dire que l'employeur n'a plus d'obligations au bout de vingt-quatre mois : par définition, elles ont une durée indéterminée ! Les CDD et l'intérim représentent 9 % de notre emploi salarié, ce qui nous situe dans la moyenne européenne. Encore faut-il remarquer qu'ils ont augmenté de plus de 2 % entre 1997 et 2002 !

Mais on ne peut sous-estimer les mutations et les mouvements de l'économie contemporaine. Face à ses évolutions, rien ne sert d'inventer de nouvelles lignes Maginot. Les solutions démesurément réglementaristes se retournent toujours contre les créations d'emplois. Il existe une relation forte entre le degré de réglementation du marché du travail et la précarité, qui augmentent de façon parallèle. Plus l'emploi durable est cadenassé, plus les entreprises sont tentées de trouver des solutions alternatives, lorsqu'elles ne délocalisent pas carrément leurs activités. Cela explique assez largement l'un des échecs de la gauche, qui a connu entre 1997 et 2002 un doublement du nombre des intérimaires. En réglementant à outrance l'emploi des uns, elle a amplifié la dérégulation de l'emploi des autres.

Nous voulons tous favoriser la création d'emplois et lutter contre le chômage. Pour y parvenir, la majorité veut créer un cadre propice à la création d'entreprises et desserrer les freins de l'emploi. Je crois sincèrement que vos solutions, Monsieur Paul, ne s'attaquent pas au c_ur du problème, voire qu'elles l'aggraveraient. Une entreprise est une structure vivante, qui doit défendre sa compétitivité face à la concurrence. Elle doit investir et s'adapter aux nouvelles attentes de ses clients. C'est ainsi que naissent l'innovation, la croissance et les nouveaux emplois. La question n'est pas de mettre en accusation, comme le fait avec assiduité le parti communiste, le capitalisme...

M. le Rapporteur - Et pourtant !

M. le Ministre - Nous connaissons ses défauts, que nous voulons maîtriser, mais aussi ses potentialités ! La question est de savoir comment utiliser au mieux ce système. En 2003, une réunion des ministres du travail de l'OCDE s'est tenue à Paris autour du thème : « vers des emplois plus nombreux et meilleurs ». Cette instance vous paraîtra sans doute trop libérale, mais aucun de mes homologues, et ils étaient nombreux et divers, ne m'a donné le sentiment qu'ils voulaient rigidifier leur marché du travail. La raison en est simple, et empirique : la logique très défensive que vous préconisez a été, à des degrés divers, testée en France durant des années. Ses résultats n'ont pas été suffisamment brillants pour qu'elle fasse école. En prenant nos responsabilités, nous avons trouvé la France au onzième rang européen, sur quinze, de la lutte contre le chômage, malgré quatre années de croissance, malgré vos protestations de compétence et malgré la loi de modernisation sociale ! Ce rang ne milite pas en faveur de votre stratégie.

Vous souhaitez instaurer un quota de CDD et d'intérimaires. Je n'y suis pas favorable, car les variations d'activités peuvent concerner de multiples entreprises. Imaginez les conséquences pour les plus petites d'entre elles, qui doivent s'adapter rapidement à de nouveaux marchés sans être certaines de les conserver. Devraient-elles les refuser, de peur de devoir s'engager dans des emplois qui deviendraient inadaptés ? Utilisés à bon escient, les CDD et l'intérim sont un moyen d'assurer la souplesse nécessaire à la vie des entreprises et de lutter contre l'exclusion du marché du travail. En ce sens, ils sont souvent un tremplin vers l'emploi durable. Il n'y a aucun sens à les opposer systématiquement aux CDI. La vraie fracture est entre activité et chômage. Livrer la bataille contre certains contrats courts, c'est oublier la guerre contre l'emploi !

L'enjeu est en fait d'offrir aux employés en CDD et aux intérimaires un accès à la formation, afin qu'ils ne soient pas enfermés dans une voie parallèle, voire marginale, et de prévoir des mesures de prévention importantes en matière de santé et de sécurité au travail. La façon dont l'intérim a su s'organiser depuis les années 1980 est exemplaire. Une véritable pratique contractuelle a permis de négocier une convention collective protectrice, de favoriser la formation en alternance et de reconnaître des droits sociaux propres. Certes, il peut y avoir des abus dans le recours aux intérimaires...

M. le Rapporteur - Il y en a !

M. le Ministre - ...utilisé pour pourvoir des emplois stables dans l'entreprise. Mais je ne crois pas qu'il faille légiférer pour autant. La loi est claire et la Cour de cassation a rappelé récemment que les entreprises ne peuvent faire appel à l'intérim pour pourvoir des emplois permanents. Cette jurisprudence amène les entreprises à définir plus précisément les cas de recours à l'intérim et la durée des missions.

Le rapport sur l'emploi remis récemment au Conseil européen par M. Wim Kok, ancien Premier ministre socialiste des Pays-Bas et ancien responsable du principal syndicat hollandais, insiste sur la nécessité d'une haute flexibilité du marché du travail et du développement des agences de travail temporaire.

Ne diabolisons donc pas le travail intérimaire, mais sanctionnons les abus.

J'en viens à votre seconde proposition, la création d'une Agence nationale chargée de garantir un statut et une formation aux travailleurs précaires. Est-il vraiment utile d'ajouter une institution à un système où coexistent déjà l'ANPE, l'UNEDIC et l'AFPA ? On risquerait de créer une superstructure bureaucratique surtout chargée d'attribuer aux entreprises des quotas de CDD et d'intérimaires.

Cela s'appelle l'économie administrée, ce n'est pas notre conception d'un marché du travail dynamique. Je ne partage pas non plus votre conception du rôle du comité d'entreprise : il doit rester un organisme consultatif et respecter le pouvoir de gestion du chef d'entreprise.

Si votre agence de pilotage était instituée, faudrait-il alors supprimer toute initiative individuelle et encadrer le parcours de chaque citoyen ? Je crois, au contraire, qu'il faut rompre avec une logique qui, depuis trop longtemps, affaiblit la vitalité de notre pays.

Avec nos partenaires européens, nous partageons une stratégie commune pour l'emploi, d'ailleurs approuvée par la majorité précédente, qui tend plutôt au rapprochement des divers organismes. Il s'agit d'assurer le meilleur suivi des demandeurs d'emploi, sans confondre indemnisation et assistance.

La protection contre l'insécurité professionnelle ne passe pas par des réformes bureaucratiques, comme cela a été largement pratiqué dans le passé par des gouvernements de toutes tendances. Il est temps d'essayer de nouvelles méthodes : promotion de la formation professionnelle tout au long de la vie, mobilisation du service public de l'emploi, coordination locale pour anticiper et gérer les restructurations.

Il nous faut imaginer un modèle conciliant sécurité et flexibilité. Vos solutions ne répondent pas à cet objectif. Elles sont cohérentes avec vos idées, mais le système dont vous rêvez n'est pas le nôtre et dans les pays où il a été mis en pratique, il n'a pas donné les résultats escomptés.

Vous semblez d'ailleurs bien solitaire dans votre démarche. Le gouvernement Jospin s'est bien gardé de mettre en _uvre vos propositions. A l'époque, ses ministres du travail parlaient de « souplesse négociée ». Et nous n'avons pas été élus pour faire votre politique.

Pour relancer l'emploi, le retour de la croissance est un préalable indispensable. Mais il nous faut agir de façon à le rendre durable et à renforcer les régulations indispensables. La sécurisation des parcours professionnels suppose avant tout le développement de la formation pour accompagner les transitions d'un emploi à l'autre. C'est la meilleure arme contre le chômage (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP) et c'est bien l'objet de la loi sur la formation, qui garantit et organise un droit individuel à la formation et une coresponsabilité employeur-salarié dans ce domaine.

Il ne s'agit pas de décréter la formation, mais d'inciter les entreprises et les salariés à s'y investir.

D'autres éléments de la même loi contribuent à mettre en _uvre cette assurance emploi : le passeport formation, la validation des acquis de l'expérience, les observatoires des métiers, la période de professionnalisation.

La seconde réponse à l'insécurité professionnelle, c'est l'anticipation des restructurations et de leurs conséquences. Elle est au c_ur de la négociation en cours entre les partenaires sociaux. Nous ne pouvons empêcher notre économie de s'adapter pour préserver ou conquérir des marchés. Mais il faut accompagner les restructurations par une action collective au niveau des bassins d'emplois et offrir aux salariés des outils performants de reclassement. C'est dans ce but que j'ai créé la mission interministérielle sur les mutations économiques et demandé aux partenaires sociaux d'engager une négociation, suite à la suspension de la loi dite de modernisation sociale (« On voit les résultats ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). Sur la base de leurs conclusions, nous vous proposerons, au printemps, une loi de mobilisation pour l'emploi. L'objectif est de donner une deuxième chance aux jeunes sortis sans qualification du système scolaire, de rénover le service public de l'emploi, de lever les freins à l'emploi dans notre droit du travail et d'offrir de meilleures conditions de reclassement aux salariés, et particulièrement à ceux des PME.

Tous ces points sont actuellement débattus par des groupes de travail auxquels participent tous les partenaires sociaux.

En matière de protection des salariés, de nouvelles règles doivent régir notre démocratie sociale. En mettant l'accent sur la responsabilité des partenaires sociaux, je mise sur leur volonté d'être plus proches des salariés et plus présents dans le secteur privé. La rénovation de notre démocratie sociale revitalisera les outils de régulation sociale.

La question de l'emploi doit être abordée avec pragmatisme et imagination. Les dogmes et la peur du changement sont à l'origine du chômage de masse en France. Plus de réalisme et plus d'audace peuvent nous permettre d'envisager enfin un objectif oublié depuis deux décennies : celui du plein emploi.

Au nom de cette conception réaliste et offensive en faveur de l'emploi, j'invite l'Assemblée à rejeter cette proposition de loi (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Christian Kert - Lors de l'examen du texte en commission, celle-ci a tenu à souligner l'importance de ce sujet pour la cohésion de notre société. Mais comme il va être traité à plusieurs reprises au cours des prochains mois, elle a proposé de ne pas engager la discussion des articles, ce qui n'exclut ni le débat public, ni la publication du rapport de M. Daniel Paul pour alimenter ce débat.

M. le Président - Nous passons à la discussion générale.

Mme Marie-George Buffet - La précarité est un fléau pour les individus, pour leurs proches, pour le développement économique de notre pays. Celui-ci a besoin d'emplois stables, qualifiés, bien rémunérés. L'innovation économique ne peut aller sans l'innovation sociale.

C'est donc dans l'intérêt des salariés, mais aussi d'un développement respectueux des individus que les députés communistes et républicains ont pris l'initiative de cette loi.

La précarité de l'emploi crée une insécurité insupportable. Comment faire des projets lorsqu'on n'a pas d'emploi, pas de ressources assurées, ou lorsqu'on est pris dans la spirale des petits boulots non qualifiés, dans les mailles d'une logique purement capitaliste ?

Monsieur le ministre, vous avez parlé de réponses « étatistes » : ce ne sont pas les nôtres. Nous voulons simplement faire respecter les droits des individus.

Votre politique de désengagement de l'Etat et de casse de toutes les garanties, de tous les statuts, donne au patronat toute liberté de licencier. Elle se solde par plus de chômage, plus de précarité, et aussi plus de profits : sur les 535 milliards d'euros de ressources nouvelles des entreprises - leurs profits plus les fonds publics -, 51 % vont aux placements financiers et aux dividendes des actionnaires.

Quatre millions de personnes sont aujourd'hui soumises au régime précaire et des entreprises entières ne fonctionnent qu'au contrat précaire. Un salarié du Printemps me disait récemment : « Ceux qui ont de l'ancienneté sont désormais minoritaires. Aujourd'hui, les salariés des grands magasins sont des hommes et des femmes qui ont des contrats à durée déterminée, qui viennent et qui repartent... » Il me parlait aussi de la dégradation du climat de travail qui en résultait : « Avant, on était de la boutique, on avait donc le sentiment qu'elle nous appartenait un peu ». Aujourd'hui, les salariés se sentent des « salariés Kleenex ». Cette situation est aussi bien connue des salariés de l'automobile, de Mac Donald's ou de Pizza Hut.

La précarité est l'un des rouages de l'exploitation par le travail dont le patronat use et abuse avec la bénédiction du Medef. Lorsque l'on craint le non renouvellement de son contrat, on accepte en effet beaucoup de choses... On pourrait également évoquer les entreprises du secteur informatique ou La Poste. Notre ambition est de mettre un coup d'arrêt à ces pratiques et de sécuriser les parcours de vie, non seulement parce que la précarité est globalement contre-productive, mais surtout parce qu'une société ne peut traiter ainsi les hommes et les femmes qui la composent.

Oui, la sécurisation de l'emploi est un chantier social majeur. Je sais que l'air du temps n'est pas aux grandes avancées sociales, mais il convient aujourd'hui de réaliser pour l'emploi une avancée de la même ampleur que celle qui avait conduit à la création de la sécurité sociale. Nous avons à faire un choix de civilisation : accentuer la précarité en poursuivant dans la voie du RMA et autres contrats de mission ou bien trouver des solutions à ce fléau qui pèse sur le monde du travail.

Tel est l'objet de la proposition de loi présentée par Daniel Paul, que je remercie pour la qualité du travail qu'il a effectué en liaison étroite avec des syndicalistes et avec des salariés. Le premier volet de ce texte limite le recours aux emplois précaires à 5 % de l'effectif total d'une entreprise. Nous sortons de ce contingent les contrats d'apprentissage, les contrats à durée déterminée pour remplacement d'une personne absente et, dans certains secteurs d'activité définis par décret, les emplois à caractère saisonnier. De telles dispositions amélioreraient l'efficacité de la règle, aujourd'hui largement enfreinte par les entreprises, selon laquelle les contrats précaires ne peuvent être utilisés que pour subvenir à des charges de travail exceptionnelles. En effet, dans une entreprise qui ne respecterait pas cette règle, les contrats seraient réputés à durée indéterminée. Cela permettrait de régulariser la situation des trois quarts des précaires.

Le deuxième volet de notre proposition vise à créer une Agence nationale pour l'emploi et la formation des travailleurs intermittents. Elle aurait pour but de garantir la stabilité des revenus des personnes aujourd'hui touchées par la précarité en leur proposant, par l'alternance et la formation, les activités à utilité sociale et l'emploi temporaire, de retrouver le chemin d'un emploi stable. Les contrats passés dans une entreprise sous son égide rentreraient bien évidemment dans le contingent des 5 % d'emplois temporaires autorisés, mais seraient en réalité bien différents des contrats à durée déterminée et des contrats d'intérim dans la mesure où ils placeraient chacun dans une dynamique positive et choisie.

Permettez-moi d'insister sur la novation que constituerait une loi qui engagerait notre pays sur la voie d'une véritable sécurité d'emploi, de formation et de revenus. C'est bien de cette audace que notre peuple a besoin. Il nous faut en effet dépasser le marché actuel du travail et mettre en actes l'adage selon lequel les hommes et les femmes ne sont pas des marchandises.

Ces dispositions devraient pouvoir s'articuler avec d'autres, notamment l'attribution de pouvoirs accrus aux salariés au sein des entreprises. Des conflits récents nous ont montré qu'ils avaient des projets pour leurs entreprises, face aux tentatives de casse industrielle et économique menées au nom de la rentabilité financière et pour satisfaire la gourmandise des actionnaires.

Je souhaite, au nom des députés du groupe communiste et républicain, au nom des salariés de ce pays, au nom de tous ceux qui connaissent la précarité, et par respect pour eux, que notre proposition soit étudiée réellement par la représentation nationale (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).

M. Yves Boisseau - Les auteurs de la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui partent de deux affirmations : une première de nature idéologique qui voudrait que le capitalisme engendre la précarité de l'emploi, la seconde qui affirme la présence dans notre pays de 1 500 000 intérimaires auxquels viendraient s'ajouter les contrats à durée déterminée, les CES, les emplois-jeunes, les contrats de qualification.

La première affirmation s'appuie sur une philosophie politique dont on connaît les résultats. M. le rapporteur nous décrit cette proposition de loi comme la concrétisation d'une utopie : réaliser dans le domaine de l'emploi ce qui s'est fait en 1945 dans le domaine de la sécurité sociale. Comparaison bien audacieuse car ni le sujet ni le contexte ne sont semblables.

Sur le deuxième point, il convient de rectifier quelques chiffres. Une étude de la DARES portant sur l'année 2002 fait état de 500 000 personnes en contrats intérimaires auxquels s'ajoutent 900 000 titulaires de contrats à durée déterminée, soit un total d'environ 1 400 000 contrats courts. Ces formes d'emploi représentent 9 % de l'emploi marchand, hors contrats aidés. Comment en déterminer le niveau souhaitable ?

La même étude souligne que l'essor de ces contrats se poursuit même en période de reprise, comme on a pu le constater entre 1997 et 2002. En 2000, le nombre d'intérimaires a augmenté de 25 % et le nombre de CDD de 6,7 % quand le nombre de CDI ne progressait que de 1 %. On notera que le précédent gouvernement n'avait pas renoncé au principe des CDD - rappelez-vous la création massive d'emplois-jeunes.

Pourquoi ces contrats courts se sont-ils développés ? Certains types d'activité y ont recours du fait de leur caractère saisonnier, c'est le cas de l'agriculture où 40 % de CDD sont en fait des contrats saisonniers. Le tertiaire fait également appel aux CDD, particulièrement dans les secteurs récréatifs, culturels et sportifs. Le recours à l'intérim est essentiellement le fait d'entreprises industrielles et du BIP. L'industrie emploie 48 % des intérimaires alors qu'elle ne représente que 23 % des salariés.

Les auteurs de la proposition de loi qualifient ces contrats de contrats précaires. Il est vrai qu'on lie traditionnellement dans notre pays la qualité du contrat de travail au caractère indéterminé de sa durée, même si un tel contrat ne garantit en rien un emploi à vie. Assurément, il faut promouvoir autant que possible l'emploi durable et personne ici ne défendra les abus constatés parfois dans l'utilisation de certains CDD, mais faut-il pour autant brider davantage les employeurs dans l'utilisation de ces contrats, rendue nécessaire par l'adaptation de notre économie aux exigences de la mondialisation ?

L'organisation du travail a beaucoup évolué ces dernières années. Les méthodes d'embauche ont sensiblement changé et nombre d'entreprises ont externalisé cette fonction en la confiant par exemple à des agences d'intérim, qui leur apportent leur connaissance très précise du marché de l'emploi. Selon l'étude de la DARES, les trois quarts des personnes qui étaient en contrat temporaire en mars 2001 étaient toujours en emploi un an plus tard, alors que sur la même période deux tiers des chômeurs n'avaient pas retrouvé d'emploi. On voit donc que ces contrats courts peuvent jouer un rôle de tremplin vers l'emploi stable.

De fait, le CDD et l'intérim permettent à un public généralement jeune et peu qualifié d'acquérir une expérience utile à leur insertion future. II ne faut pas négliger non plus l'évolution des moeurs. Un nombre croissant de nos concitoyens souhaitent pouvoir maîtriser leur temps de travail et de loisir. Pour 20 % des intérimaires, l'intérim est un choix.

Mais la raison essentielle de l'embauche de personnes en contrats courts est la nécessité de faire face aux variations de la charge des carnets de commandes.

Les auteurs de la proposition de loi reprochent au système actuel ses excès et pensent y remédier en instaurant un plafond de 5 % pour le recours aux contrats. Une telle mesure aurait l'inconvénient d'imposer des contraintes de gestion administrative et d'appliquer un taux uniforme à toutes les entreprises, alors qu'une société informatique, un fabricant industriel et une entreprise de distribution commerciale n'ont pas les mêmes exigences et que le recours au travail à durée déterminée pour accroissement d'activité varie dans de larges proportions selon le produit et le service assuré.

Une telle mesure aurait aussi pour inconvénient d'introduire un nouveau seuil dans la réglementation du travail. Or, on connaît les effets pervers des seuils. Faudrait-il qu'une entreprise en surcroît temporaire d'activité limite ses prises de commandes au volume permis par l'embauche des 5 % réglementaires ?

Mais le dernier et principal inconvénient de cette mesure serait l'effet psychologique néfaste qu'elle aurait sur les employeurs, déjà soumis à de multiples contraintes administratives et réglementaires de plus en plus complexes. Les entreprises ont plus besoin de souplesse que de nouvelles rigidités.

Une disposition spécifique est prise en matière de contrat de travail à caractère saisonnier. Actuellement, la clause contractuelle de reconduction pour la saison suivante a simplement pour effet d'imposer à l'employeur une priorité d'emploi en faveur du salarié. Imposer à tout employeur de proposer au salarié un emploi pour la saison suivante n'est ni réaliste ni raisonnable car il est évidemment impossible de prévoir son activité un an à l'avance.

Quant à l'article 16, qui prévoit de renforcer les pouvoirs d'intervention du comité d'entreprise, il alourdirait lui aussi la réglementation, alors que le comité d'entreprise dispose déjà d'un droit de regard sur les motifs de l'augmentation de l'emploi temporaire et a la possibilité de saisir l'inspection du travail.

L'Agence nationale pour l'emploi et la formation des travailleurs intermittents dont la proposition de loi prévoit la création aurait pour objet de faciliter le passage d'un contrat court à un emploi durable. Outre qu'il s'agirait là d'un mélange des fonctions assumées actuellement par l'ANPE et les sociétés d'intérim, il est clair que cette nouvelle structure alourdirait encore les dispositifs administratifs.

Par ailleurs, on ne voit pas bien ce qui inciterait les salariés concernés à choisir la formule ASSEDIC. Le système de financement proposé pour l'ANEFTI ne pourrait qu'alourdir les charges des employeurs, à rebours de la politique aujourd'hui nécessaire pour faire face à la concurrence des pays à bas coût de revient.

En conclusion, la législation en matière de recours aux emplois temporaires est déjà très contraignante en France et mettre en place de nouvelles contraintes n'apporterait rien. Plutôt que de recourir à des dispositifs restrictifs inefficaces, le Gouvernement met l'accent sur l'accès à l'emploi durable grâce à des dispositifs incitatifs comme l'allégement des charges sociales et la formation professionnelle.

Il est significatif que le premier texte adopté en matière d'emploi ait été celui relatif aux contrats jeunes. Mis en _uvre au deuxième semestre 2002, ce dispositif, qui offre aux jeunes peu qualifiés l'accès à un CDI, a rencontré un succès significatif puisque près de 140 000 contrats ont été signés, avec un objectif de 250 000 contrats fin 2006. D'autres dispositifs - contrats initiative emploi, RMA - visent à favoriser l'activité des personnes éloignées depuis longtemps du marché du travail.

La baisse des charges sur les bas salaires est destinée à faciliter l'emploi durable des personnes faiblement qualifiées. Elle concernera à terme toutes les rémunérations inférieures à 1,7 SMIC et représentera en 2006 un effort de 7 milliards d'euros.

L'accent mis sur la formation professionnelle est l'autre grand axe de la politique du Gouvernement en faveur de l'emploi durable. Pour la première fois, un droit individuel à la formation est institué. Chaque salarié pourra ainsi préserver son employabilité tout au long de sa carrière, ce qui constitue la meilleure protection contre le chômage.

Par ailleurs, le projet de loi de mobilisation pour l'emploi que le Gouvernement prépare en concertation avec les partenaires sociaux répond a un triple objectif : proposer à chaque demandeur d'emploi une formule personnalisée selon son âge et son niveau de qualification ; aider les entreprises qui créent des emplois en simplifiant les procédures ; protéger les salariés en luttant contre les abus et en veillant au respect du droit du travail. Un dispositif de la deuxième chance devrait aider les jeunes qui sortent du système éducatif sans qualifications.

Après deux années difficiles en matière d'emploi, les perspectives s'améliorent. Il est donc impératif de favoriser la création d'entreprises et d'emplois, notamment en luttant contre les freins à l'embauche. L'allégement des contraintes qui pèsent sur les employeurs, la modernisation et la simplification du droit du travail, les mesures prises par le Gouvernement permettront à la France de profiter au mieux de la reprise afin que la croissance soit riche en emplois.

Cette proposition n'apportant pas de réponse pertinente à l'objectif de création d'emplois durables, le groupe UMP ne la votera pas (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Gaëtan Gorce - Vous affirmez, Monsieur le ministre, que l'emploi est votre priorité, mais le chômage ne cesse de progresser et l'emploi marchand auquel vous êtes tellement attaché de régresser. Vous prétendez que la précarité vous préoccupe, mais toutes les mesures prises depuis deux ans ne font que l'aggraver. Ces paradoxes entretiennent dans l'opinion une confusion et le rejet d'une politique tellement éloignée des discours tenus. Ils risquent, sur un sujet humainement aussi sensible, de nourrir les extrêmes.

Qu'avez-vous fait en deux ans ? Vous avez exclu en janvier de cette année 230 000 salariés de l'indemnisation chômage. Vous avez augmenté le temps nécessaire pour être indemnisé, ce qui joue au détriment des salariés précaires. Vous avez exclu de l'ASS un nombre important de chômeurs - 35 000 en ce début d'année, ce qui a fait baisser artificiellement les chiffres du chômage. Vous avez réduit les moyens budgétaires consacrés à la politique de l'emploi, au détriment des chômeurs de longue durée et des précaires, en particulier des femmes. Censée favoriser le retour à l'emploi de ceux qui en sont éloignés depuis longtemps, votre réforme du RMI/RMA est totalement hypocrite car on imagine mal ces personnes revenir directement au sein des entreprises. Ces dispositifs serviront donc en priorité à ceux qui seront exclus définitivement de l'indemnisation chômage, qui avaient vocation à reprendre un emploi stable et auxquels vous n'offrirez que des petits boulots.

Telle est la réalité. Vous parlez d'or mais vous nous payez de petite monnaie... Nombreux sont ceux qui ne l'acceptent plus et qui, après nous dans cet hémicycle, vous le diront bientôt dans les urnes.

Votre discours est empreint de préjugés. Vous vous êtes déclaré favorable à une sécurité professionnelle et avez dit que vous ne voyiez pas d'avenir dans la précarité, mais vous expliquez le chômage et la précarité par la rigidité du droit du travail - en clair par les garanties sociales dont bénéficient les salariés.

Vous annoncez que votre texte sur le RMI/RMA et la future loi de mobilisation pour l'emploi permettront de remettre les érémistes au travail, ce qui sous-entend qu'ils n'en ont pas la volonté. De même, à vos yeux, ceux que vous excluez de l'indemnisation chômage seraient réticents à reprendre un emploi. C'est faire peu de cas de l'absence de toute perspective sur le marché du travail.

Vous nous abreuvez de bonnes paroles, mais toutes vos décisions sont autant de mauvais coups contre l'emploi. En fait, votre discours est destiné à masquer votre échec, que les chiffres confirment pourtant.

Vous critiquez aussi la politique du gouvernement précédent. Je me souviens de vos diatribes enflammées contre la réduction du temps de travail. Mais cette bonne loi a créé des centaines de milliers d'emplois, essentiellement sous la forme de CDI. Certes, l'intérim et les CDD ont progressé de 1997 à 2002, mais sous l'effet mécanique de la croissance et de la réduction du chômage puisque nous avons, au cours de la même période, créé 2 millions d'emplois et réduit de 900 000 le nombre des chômeurs.

Nous nous étonnons qu'il ait fallu attendre la proposition de nos collègues communistes pour qu'un sujet aussi grave que la précarité entre dans l'hémicycle. Il est vrai que, refusant d'édifier une ligne Maginot, vous choisissez le désarmement unilatéral : au lieu de prendre le problème du chômage à bras le corps, vous ne misez que sur l'évolution démographique et sur le retour de la croissance. Or c'est aujourd'hui une politique résolue en faveur de la croissance et de l'emploi qui fait défaut à notre pays et la future loi de mobilisation n'y changera rien, qui culpabilisera les chômeurs.

Lutter contre la précarité, c'est encourager la négociation entre les partenaires sociaux là où les contrats précaires sont les plus nombreux. Le problème n'est pas tant qu'il y ait des contrats d'intérim ou à durée déterminée, mais que la loi ne soit pas respectée, et qu'ils soient toujours occupés par les mêmes et n'offrent pas de perspectives vers des emplois stables.

Le problème est que rien ne garantit à ces salariés la continuité de leurs droits en matière de chômage ou de protection sociale.

Face à la compétition mondiale, il convient, non de réduire les droits, mais au contraire de les renforcer et de protéger les salariés à tous les échelons de l'entreprise.

Voilà la réalité que vous refusez de traiter. Et comment pouvez-vous avoir le front d'évoquer la question du plein emploi, abordée par Lionel Jospin entre 1997 et 2002, alors que vous êtes, vous, le ministre du plein chômage ? Comment tenir un tel discours sans vous donner les moyens d'agir sauf à considérer que vous traitez ces problèmes de manière purement politique ?

Cette question de la précarité sera l'une des plus importantes que nous aurons à régler dans les prochaines années. Croire que l'on pourrait s'en remettre aux seules évolutions économique et démographique serait une grave erreur politique, économique et sociale.

Ce n'est pas ainsi que vous réconcilierez les Français avec la République et la politique.

Je vous invite à faire suivre vos discours par des actes ! (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

M. le Ministre - Il n'a jamais évoqué la proposition de loi et vous l'applaudissez !

M. Jean-Luc Préel - M. Paul a dressé un constat sombre mais lucide des inégalités sociales du marché du travail entre ceux qui bénéficient encore d'un CDI et les autres, exclus d'un tel avantage par le recours accru des entreprises au travail précaire.

Cinquante ans après l'hiver 1954, alors que l'abbé Pierre lance un nouvel appel contre la paupérisation, il est salutaire de poser cette question devant notre assemblée. Encore faut-il s'entendre sur ses termes.

Sur la forme, cette proposition de loi souffre d'un manque de rigueur.

Sur le fond, elle est inspirée d'une philosophie du travail erronée.

Sur la forme, Daniel Paul propose une définition si large de la précarité que celle-ci concernerait quatre millions de salariés ! S'il ne faut pas sous-estimer le phénomène, à le gonfler artificiellement, on décrédibilise la cause et il n'est pas bon de confondre les notions d'emploi précaire, d'emploi intérimaire, d'emploi à durée déterminée. Je relèverai dans cette proposition deux incohérences.

Tout d'abord, alors que l'exposé des motifs érige en mesure phare le plafonnement à 5 % du recours aux emplois précaires, l'article premier en limite l'application à un seul des quatre cas de recours autorisés par le code du travail : l'accroissement temporaire de l'activité de l'entreprise. Quelle serait alors l'efficacité d'une telle mesure ?

Par ailleurs, l'article 9 de cette proposition dispose que les CDD contractés au-delà du plafond autorisé seront convertis en CDI. Outre un alourdissement des procédures, le terme du contrat étant alors considéré comme un licenciement, il n'est pas précisé si cette limitation s'applique au seul recours à l'intérim pour cause d'accroissement de l'activité ou au nombre total d'emplois intérimaires dans la société.

Parce que vous ne définissez pas clairement la précarité, vous ne pourrez la résoudre.

Mme Muguette Jacquaint - Amendez donc notre texte !

M. Jean-Luc Préel - Votre méthode n'est pas la nôtre. Parce qu'elle confond les différentes catégories d'emplois précaires, ses solutions sont incohérentes.

Parce qu'elle s'inspire d'une philosophie négative du travail et du salariat, elle est injuste et frappe les populations les plus fragiles.

C'est sur le fond, en effet, que nos critiques sont les plus vives. Imposer une nouvelle régulation du travail, votre dispositif durcit les conditions d'embauche, et pénalise l'emploi. Alors que la France souffre de la dévalorisation du travail, il faut libérer les capacités productives afin de créer de la richesse et de l'emploi.

Plusieurs députés UMP - Exact !

M. Jean-Luc Préel - Par ailleurs, s'il est louable de vouloir protéger les travailleurs par un statut temporaire leur garantissant une transition vers un emploi stable, le risque est grand de sanctuariser la précarisation. En effet, les conventions qui seraient signées avec les différents partenaires, renouvelables, conduiront à une pérennisation automatique de ce dispositif.

Enfin, en limitant le recours à l'intérim, vous dissuadez les entreprises d'embaucher.

En voulant accorder aux salariés précaires la même protection que celle accordée aux titulaires, largement majoritaires, d'un CDI, vous dévalorisez la norme que doit rester le CDI.

Nous nous refusons à vous suivre sur cette voie, et nous nous opposerons à votre proposition.

La question de la précarité est cruciale, et mérite un autre débat, autour de cinq axes : baisser les charges sociales et limiter la hausse du coût du travail sur les bas salaires, mener une politique d'insertion plus volontariste par la création d'un guichet social unique, développer les aides aux contrats aidés dans le secteur marchand, notamment en faveur des chômeurs de moins de six mois, favoriser les contrats dans le secteur non marchand en les ciblant sur les chômeurs de plus de six mois, favoriser la création d'emplois. A cet égard, François Bayrou a proposé de créer un « contrat premier emploi » dans un cadre régional, mais qui pourrait être étendu sur le plan national. S'adressant au secteur marchand, il permettrait de dynamiser l'emploi dans notre pays.

La précarité du travail doit être une priorité nationale. Nous aurons l'occasion d'en débattre dans les prochains mois (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

La discussion générale est close.

M. le Rapporteur - Je ne doute pas que la plupart d'entre nous déplorent la situation de nombreux salariés dans leur circonscription. Mais entre le constat de la misère et les exigences patronales, vous, vous choisissez ces dernières.

Le groupe Renault compte à Sandouville 8 000 salariés, dont 1 800 intérimaires. C'est illégal.

Mme Muguette Jacquaint - Tout à fait !

M. le Rapporteur - A la Libération, la France a choisi de bâtir la sécurité sociale. C'était alors une utopie, un rêve de salarié. Aujourd'hui, nous rêvons, nous, que les salariés puissent être protégés pendant toute leur vie. Parlons, comme on le voudra, de sécurité professionnelle, de sécurité emploi formation, mais nous voulons qu'ils aient des garanties.

Enfin, vous connaissez la fameuse réplique du Guépard, de Visconti : « Comment changer pour que ça reste toujours la même chose ? » Voilà votre programme : comment adapter le capitalisme pour qu'il reste toujours aussi dur ?

Vous avez dit vouloir combattre les « chauffards du social », Monsieur le ministre. Nous aussi, mais le capitalisme génère naturellement ces chauffards-là.

M. Alain Bocquet - Il est intrinsèquement pervers.

M. le Rapporteur - Nous, nous défendons les salariés, quand vos priorités sont manifestement différentes (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).

M. le Ministre - Je remercie les orateurs de la majorité qui ont montré combien ils adhèrent à la philosophie du Gouvernement.

Je remercie également M. Paul qui a permis que nous ayons ce débat. Nous sommes d'ailleurs tombés d'accord sur l'idée de l'assurance emploi-formation. Le meilleur moyen de lutter contre la précarité, en effet, ce n'est pas de multiplier les textes pour encadrer administrativement les entreprises.

En revanche, Monsieur Gorce, votre discours était une double insulte, et à l'intelligence, et à vos partenaires communistes.

On ne peut en effet débattre sérieusement en travestissant la réalité économique et sociale de notre pays, comme vous le faites chaque fois (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Gaëtan Gorce - Cette réalité vous gêne.

M. le Ministre - La réalité, c'est votre double langage : le précédent gouvernement a été le champion des privatisations ; il a fait de grands discours pour affirmer la nécessaire lutte contre les licenciements boursiers alors que les profits boursiers augmentaient comme jamais.

M. Gaëtan Gorce - Agissez au lieu de parler de vos prédécesseurs. Sortez du ministère de la parole !

M. le Ministre - Vous avez donné des leçons de dialogue social et vous n'avez signé aucun grand accord interprofessionnel.

C'est un péché contre l'avenir de notre pays que de dissimuler aux Français que nous avons commencé à faire baisser le chômage. 

De plus, quel mépris pour le parti communiste et sa proposition de loi, que vous n'avez abordée à aucun moment ! Mais il est vrai que cela vous évite de prendre position sur les choix de vos alliés. Vous auriez dû en outre reconnaître que cette proposition n'était pas à l'ordre du jour du gouvernement précédent (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. le Président - La commission des affaires culturelles, familiales et sociales n'ayant pas présenté de conclusions, l'Assemblée, conformément à l'article 94, alinéa 3, du Règlement est appelée à statuer sur le passage à la discussion des articles du texte initial de la proposition de loi. Conformément aux dispositions du même article, si l'Assemblée vote contre le passage à la discussion des articles, la proposition de loi ne sera donc pas adoptée.

EXPLICATIONS DE VOTE

M. Michel Vaxès - Vous nous reprochez d'accuser le capitalisme, Monsieur le ministre...

M. le Ministre - C'est un constat.

M. Michel Vaxès - ...Cela nous honore.

Vous nous reprochez de contester un système de gestion qui se traduit par des dégâts sociaux et que le Gouvernement refuse de combattre.

Vous nous reprochez des réponses étatistes quand nous défendons simplement des réponses humaines.

Mme Muguette Jacquaint - Très bien !

M. Michel Vaxès - Que vous nous contestiez le droit de rêver à une civilisation plus humaine passe encore, mais ce qui nous révolte, c'est que vous contestiez ce droit à des millions d'hommes et de femmes.

Mme Muguette Jacquaint - Très bien !

M. Michel Vaxès - Vous leur interdisez d'espérer.

Vous nous reprochez un prétendu irréalisme pour mieux mettre en valeur votre prétendu pragmatisme qui consiste en fait à laisser l'argent accroître sa domination.

Un exemple suffit à illustrer le cynisme de l'attitude prédatrice des adeptes de l'économie que vous servez - d'ailleurs avec l'UDF, M. Préel ayant montré que, pour l'essentiel, il n'y a qu'une droite.

Mme Muguette Jacquaint - Très bien !

M. Michel Vaxès - Dans ma circonscription, un groupe industriel important a réalisé 2,8  milliards de dollars de bénéfices nets et utilise de plus en plus d'emplois précaires. A qui fera-t-on croire que ce groupe ne peut donner à ses salariés un emploi stable ?

M. Alain Bocquet - Mais oui !

M. Michel Vaxès - De plus, ce groupe a réussi, en modifiant le contrat de location qui le lie à sa maison-mère, à priver les 60 000 habitants de l'agglomération de cinq millions d'euros.

Nous n'avons certes pas le monopole du c_ur, mais nous pensons que notre contribution pourrait éclairer le débat de société. Nos propositions sont parfaitement réalistes, mais vous refusez le passage à la discussion des articles. Vous refusez ainsi un débat qui devrait pourtant retenir toute l'attention de notre assemblée ; nous regrettons que nos collègues n'en soient pas convaincus de l'autre côté de l'hémicycle (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).

M. Gaëtan Gorce - Par ma seule intervention, je ne pensais pas toucher si juste que cela suscite une réaction aussi violente, voire déplacée, de la part du ministre. Critiquer votre politique, Monsieur le ministre, est le droit de l'opposition, et même son devoir, compte tenu de vos résultats. La montée du chômage, la suppression d'emplois pour la première fois depuis 1993, la suppression de l'indemnisation de centaines de milliers de chômeurs sont des faits précis, et vous considérez que les invoquer est une insulte à votre intelligence ! Mais c'est une insulte à l'intelligence des Français que de répondre sans jamais traiter du fond, et sans exposer les moyens que vous comptez mettre en _uvre ! Vous n'avez d'autre souci que de maintenir les apparences le plus longtemps possible pour masquer les résultats de votre politique et la faiblesse des moyens que vous y consacrez.

Vous avez déjà donné la preuve, Monsieur le ministre, que vous pouviez perdre votre sang-froid et ne pas maîtriser votre vocabulaire. Si nous voulons débattre ici, il faut commencer par respecter les orateurs et les faits, et accepter d'aller au fond du sujet. Au-delà des discours, vous avez manifestement un problème de passage à l'acte. Or c'est ce qui compte. Vos prédécesseurs vous servent en permanence de couverture. Il est clair que vous n'arrivez pas à accepter que Mme Guigou et Mme Aubry aient permis au pays de créer deux millions d'emplois en cinq ans et de faire baisser le chômage et le nombre de érémistes. C'est le contraire de votre politique et le contraire de vos résultats ! Si nous vous jugeons à l'aune de vos résultats, nous ne pouvons que vous inciter à plus de modestie dans les paroles et à plus d'ambition dans les actes (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Serge Poignant - Les propositions du groupe communiste n'apportent rien de nouveau.

Plusieurs députés communistes et républicains - Si !

M. Serge Poignant - Le groupe socialiste, lui, a esquivé la question. Il s'attache à oublier que c'est durant les quatre années de croissance qu'il fallait faire des propositions ! Il demande au ministre de s'expliquer sur ce qu'il fait : justement, ce que vous auriez dû faire vous-même ! Pourquoi les Français vous ont-ils sanctionnés, Monsieur Gorce, si ce n'est parce que vous n'avez pas profité de la croissance pour assurer l'emploi durable ? Ce sont les entreprises qui créent la richesse, et rien ne sert de faire du social tant qu'on ne s'est pas assuré qu'elles peuvent le faire. Le groupe UMP votera contre le passage aux articles.

Consultée, l'Assemblée décide de ne pas passer à la discussion des articles.

La proposition de loi n'est donc pas adoptée.

Prochaine séance cet après-midi, à 15 heures.

La séance est levée à 11heures 20.

            Le Directeur du service
            des comptes rendus analytiques,

            François GEORGE


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