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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2003-2004 - 81ème jour de séance, 204ème séance

2ème SÉANCE DU MERCREDI 28 AVRIL 2004

PRÉSIDENCE de Mme Hélène MIGNON

vice-présidente

Sommaire

      ENTREPRISES DE TRANSPORT AÉRIEN
      ET AIR FRANCE 2

      QUESTION PRÉALABLE 5

      AVANT L'ARTICLE PREMIER 21

      ARTICLE PREMIER 22

      ART. 2 23

      ART. 3 24

      APRÈS L'ART. 3 24

      APRÈS L'ART. 5 26

      EXPLICATIONS DE VOTE 28

      ORDRE DU JOUR DU JEUDI 29 AVRIL 2004 30

La séance est ouverte à vingt et une heures trente.

ENTREPRISES DE TRANSPORT AÉRIEN ET AIR FRANCE

L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi modifiant la loi du 9 avril 2003 relative aux entreprises de transport aérien et notamment à la société Air France.

M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer - Il n'y a guère plus d'un an, vous avez adopté une loi relative aux entreprises de transport aérien, et notamment à la société Air France. Cette loi, qui a été promulguée le 9 avril 2003, avait pour objet d'accompagner la privatisation d'Air France, dans l'intérêt de l'entreprise et de ses salariés. Elle permettait de protéger sa licence et ses droits de trafic, de maintenir la représentation des différentes catégories de personnel et donnait deux ans aux partenaires sociaux pour négocier des accords d'entreprise. Elle offrait également aux salariés des conditions préférentielles pour entrer dans le capital de leur entreprise à l'occasion de la mise sur le marché d'actions d'Air France par l'Etat.

Ce n'est pas cette loi, ni le texte qui vous est soumis ce soir, qui posent le principe de la privatisation : il a été voté en 1993 et n'a jamais été remis en cause depuis, par aucun gouvernement. En revanche, la loi du 9 avril 2003 aura confirmé notre volonté de développer Air France. Elle aura permis l'union de deux grandes compagnies européennes. Elle aura surtout permis de créer la première entreprise européenne de transport aérien, qui est d'ores et déjà un champion mondial. Ce géant représente des centaines de milliers d'emplois, en France et en Europe, dans des entreprises saines où un service de qualité est totalement financé par le client. Il est un formidable outil de rayonnement pour la France, les Pays-Bas et l'Europe.

Dès juillet 2002, le ministre de l'économie et moi avions annoncé le lancement du processus de privatisation, conformément à la loi de 1993. Air France était alors l'une des rares compagnies à ne pas avoir subi de pertes importantes après la crise amorcée au printemps 2001, puis dramatiquement aggravée par les attentats du 11 septembre, la situation géopolitique et les crises sanitaires d'Asie. Le trafic aérien n'amorce une reprise que depuis quelques mois mais, tout au long de cette période, Air France a su dégager des résultats positifs et garder une structure financière saine, avec un endettement décroissant. Les années 1990 ont vu Air France accomplir un redressement remarquable, qui a permis l'ouverture de son capital en 1999. Air France s'est alors attachée à prendre part à une alliance de taille mondiale. En juin 2000, elle a participé à la création de SkyTeam avec plusieurs autres compagnies. Les perspectives de développement d'Air France ont alors convaincu le Gouvernement de réduire la part de capital détenue par l'Etat, qui est de 54%. La loi du 9 avril 2003 a préparé la mutation d'Air France, entreprise publique, en une entreprise privée en lui assurant les meilleures garanties possibles.

Depuis, un fait majeur est intervenu : la signature, le 6 octobre 2003, d'un accord entre Air France et la compagnie néerlandaise KLM, prévoyant le rapprochement des deux compagnies pour créer le premier groupe européen de transport aérien. Ni KLM, ni l'Etat néerlandais n'auraient accepté de rapprochement si le Gouvernement ne s'était engagé à privatiser Air France. Ce rapprochement est le premier acte de la consolidation du transport aérien européen, qui était attendue par tous les observateurs du secteur. Les grandes compagnies concurrentes, d'abord sceptiques, affirment maintenant vouloir elles aussi participer à ce mouvement de consolidation indispensable : les trois premiers groupes de transport aérien européens, menés respectivement par Air France, la Lufthansa et British Airways, doivent atteindre la taille critique leur permettant d'affronter leurs puissants concurrents américains et asiatiques.

Croire que le statu quo aurait pu être maintenu en conservant Air France dans le secteur public est une erreur. La participation tant à une grande alliance mondiale qu'à la consolidation est aujourd'hui une nécessité pour la compagnie, qui courrait sinon le risque d'être marginalisée. Les accords passés avec KLM sont une anticipation de ce que sera le transport aérien de demain. Ils ont été approuvés par les autorités européennes et américaines de la concurrence. Ils prévoient la création d'un groupe composé d'une société holding cotée en bourse - l'actuelle société Air France - et de deux compagnies filiales, KLM et une société de droit français à laquelle seront transférés l'actif et le personnel de l'actuelle société Air France. C'est Air France qui pilotera ce groupe.

L'application de ces accords a commencé début avril, avec le lancement par Air France d'une offre publique d'échange qui doit se clore le 3 mai. Si elle est couronnée de succès, Air France émettra de nouvelles actions, attribuées aux actionnaires de KLM en échange de leurs actions de cette compagnie. L'augmentation du capital d'Air France qui en résultera entraînera la diminution de la part du capital détenue par l'Etat. KLM deviendra une filiale de la société Air France.

Cette perspective de la filialisation oblige à compléter la loi du 9 avril 2003 par des dispositions essentiellement techniques. Le présent projet prévoit ainsi d'étendre le dispositif de protection des droits de trafic et de la licence d'exploitation à des sociétés autres que les compagnies directement cotées en bourse - donc, notamment, aux filiales. Les articles 2 à 4 prévoient que les salariés transférés à la nouvelle filiale continueront à bénéficier d'une période de transition avant la disparition du statut du personnel pour négocier des accords d'entreprise, ainsi que des règles relatives à leur représentation. Ainsi, le changement de structure du groupe sera d'une totale neutralité pour l'application des dispositions de la loi du 9 avril 2003 dans le domaine social. Enfin, l'article 5 précise que l'échange de salaire contre des actions, prévu par la loi du 9 avril, restera possible après la filialisation. Afin que l'augmentation du capital liée à la prise de contrôle de KLM n'ait pas de conséquence négative, les calculs seront effectués sur la base du capital existant au 9 avril 2003.

Une fois le groupe Air France-KLM constitué, le Gouvernement entend réduire la participation de l'Etat au capital, en gardant bien évidemment le souci de préserver les intérêts du contribuable. Les modalités de cette réduction, qui dépendront des conditions du marché, seront arrêtées en temps utile par le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Charles de Courson, rapporteur de la commission des finances - Après avoir été rapporteur de la loi du 9 avril 2003, me voici chargé de vous présenter un texte qui modifie cette loi sur quelques points techniques, compte tenu de l'accord signé entre Air France et KLM en septembre dernier, accord qui, à l'issue de l'offre publique d'échange en cours, aboutira à un transfert au capital privé de la majorité du capital de la compagnie nationale, par simple dilution de la part de l'Etat.

Le principe de la privatisation d'Air France a été posé par la loi du 19 juillet 1993, sur laquelle l'actuelle opposition n'est jamais revenue pendant les cinq années où elle a été au pouvoir. L'ouverture du capital a cependant été retardée jusqu'à ce que les conditions économiques et financières la permettent et ce n'est donc qu'en février 1999 que le gouvernement Jospin a cédé plus de 44 % du capital détenu par l'Etat dans la société. Bien qu'en juillet 2002, le gouvernement Raffarin II ait annoncé son intention de descendre en dessous de la barre des 50 %, les fluctuations des marchés ont interdit de poursuivre le mouvement.

J'ai suffisamment exposé la nécessité et l'intérêt de cette privatisation lors de la discussion de la loi du 9 avril 2003 pour ne pas y revenir longuement. Je me bornerai donc à rappeler les quatre raisons qui, selon moi, selon la majorité et selon toutes les personnes responsables (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), militent en ce sens.

En premier lieu, l'activité d'Air France est commerciale et, comme je me tue à le répéter à l'opposition, elle ne relève pas d'une mission de service public, le secteur du transport aérien étant essentiellement concurrentiel. De fait, la part du chiffre d'affaires de la société consacrée aux activités de service public et d'aménagement du territoire n'est que de 6,2 %, la compensation versée par l'Etat à ce titre ne représentant que 0, 1 % du même chiffre d'affaires.

En second lieu, le caractère public d'Air France est une anomalie au regard du statut de toutes les autres grandes compagnies aériennes. Ce n'est que parce que le futur mari va être privatisé que sa fiancée, KLM, a accepté de lui donner son consentement ! En effet, à défaut de privatisation, jouera une clause suspensive et le rapprochement sera condamné.

Troisièmement, la disparition de ce caractère public est nécessaire au développement capitalistique de la compagnie, car l'Etat ne peut, ni ne souhaite, ni n'a le droit d'investir un euro de plus en sa faveur, la recapitalisation ayant été effectuée pour solde de tout compte. Or une entreprise qui ne peut plus se développer est vouée à mourir à petit feu (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste).

Enfin, l'Etat n'a pas à être actionnaire majoritaire d'une société commerciale dont l'activité est concurrentielle : c'est contraire à l'équité et le plus souvent contre-productif, compte tenu des carences bien connues de l'Etat actionnaire.

De fait, l'accord d'octobre aboutira à une privatisation par dilution de la part de l'Etat, qui tombera de 54 à 43,7 % sans que ce même Etat soit obligé de céder tout de suite ses titres jusqu'à un minimum de 20 % du capital, comme il s'y est engagé.

Il faut cependant procéder à quelques aménagements techniques de la loi du 9 avril 2003, qui visait à anticiper sur une cession des parts de l'Etat. Le présent projet permet ainsi de prendre juridiquement en compte la privatisation découlant de l'augmentation de capital et de la filialisation.

Ces aménagements résultent d'une insuffisance d'Europe. Si le transport aérien était davantage intégré au sein de l'Union, il ne serait pas besoin de savants montages pour préserver des droits de trafic qui demeurent, hélas, nationaux ! En l'absence de clause communautaire communément reconnue, la nationalité des actionnariats doit donc être préservée, au moins de manière transitoire, mais ce projet marque néanmoins une étape vers plus d'Europe, au bénéfice des consommateurs du marché unique.

Il ne s'agit pas non plus de corriger une quelconque « scorie » de la loi du 9 avril 2003. Sans celle-ci, le rapprochement entre Air France et KLM n'aurait pas été possible, non plus que la privatisation - notre collègue Blanc a d'ailleurs exposé en commission comment les négociations ouvertes avec Iberia et Alitalia ont échoué, Espagne et Italie opposant un refus en invoquant le caractère public d'Air France.

Il ne s'agit donc pour nous que de tenir compte de l'occasion saisie par Air France, conformément à l'intention manifestée par le législateur. Les réalités économiques ayant marché plus vite que le droit, celui-ci doit s'adapter...

Le projet prévoit ainsi de maintenir le dispositif de protection des droits de trafic et de la licence d'exploitation accordés à l'actuelle société, compte tenu de la filialisation. Le schéma retenu pour le rapprochement avec KLM va conduire à la constitution d'un actionnariat étranger plus important qu'actuellement au sein de la holding, augmentant la probabilité d'une cession forcée.

Dans le même esprit, le texte modifie les dispositions permettant aux salariés transférés à la nouvelle filiale de continuer de bénéficier d'une période transitoire d'au plus deux ans avant la disparition du statut du personnel, ainsi que les dispositions maintenant la représentation spécifique de ces salariés au sein du conseil d'administration de la future société opérationnelle.

Enfin, le projet précise que l'échange salaire contre actions restera possible après la filialisation. Cependant, pour que la part du capital pouvant faire l'objet de cet échange ne soit pas affectée par l'augmentation du capital résultant de la prise de contrôle de KLM, cette part restera calculée sur la base du capital existant au 9 avril 2003 - ce qui n'est que justice, les salariés de KLM ne bénéficiant pas du même avantage.

Une certaine émotion s'est toutefois manifestée au sein du personnel d'Air France...

M. Frédéric Dutoit - Émotion légitime !

M. le Rapporteur - ...en raison de l'absence de toute disposition relative à l'âge de cessation d'activité du personnel navigant commercial. En effet, alors que les pilotes doivent arrêter leur activité dès 60 ans en vertu du code de l'aviation civile - ce qui n'empêche d'ailleurs pas certains de continuer de travailler à l'étranger ! -, les personnels navigants commerciaux ne partent en préretraite, en droit à cinquante-cinq ans et en fait en moyenne dès cinquante-deux ans et demi, qu'en vertu d'une disposition du statut du personnel qui leur assure une indemnisation financière tout à fait honorable. En l'absence d'une disposition dans ce texte, les hôtesses et stewards perdraient le bénéfice de cette préretraite. Je proposerai donc de combler cette lacune par l'amendement 6 portant article additionnel après l'article 3.

S'ils se bornent en fait à maintenir l'état du droit en vigueur, ces aménagements n'en sont pas moins porteurs d'avenir car ils rendent possible l'évolution d'Air France, gage de sa compétitivité, de sa croissance, donc de sa survie dans un environnement difficile. Cette loi n'est donc qu'un petit pas pour le droit, mais elle garantit le décollage de la compagnie nationale, mise en mesure de se hisser avec KLM au rang des trois grands groupes qui domineront le ciel européen dans les années à venir ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

QUESTION PRÉALABLE

Mme la Présidente - J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une question préalable déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. Jean-Pierre Blazy - Ce projet ne serait donc qu'une simple adaptation technique de la loi du 9 avril 2003. Bel euphémisme pour masquer la libéralisation à marche forcée, la privatisation inconséquente et dangereuse d'Air France, que son statut d'entreprise publique n'a pourtant empêché ni d'enregistrer des résultats bénéficiaires dans un secteur pourtant sinistré, ni de conclure des accords commerciaux. Vous faites le choix du libéralisme le plus débridé contre l'intérêt général, au détriment des salariés, des passagers et des riverains des aéroports ! Cette adaptation serait, dites-vous, rendue nécessaire par la fusion entre Air France et KLM, annoncée le 16 octobre dernier. Cette fusion doit donner naissance à un groupe leader en Europe et premier dans le monde par le chiffre d'affaires - 19,2 milliards d'euros - au terme d'une OPE amicale lancée par Air France sur les titres KLM. Le nouveau groupe sera composé d'une société holding cotée en bourse, l'actuelle société Air France, et de deux filiales, compagnies aériennes, KLM et une nouvelle société de droit français à laquelle seront transférés l'actif et le personnel de l'actuelle société Air France.

Ne conviendrait-il pas, cependant, de s'interroger sur les raisons économiques de cette fusion ? Il y a tout juste deux ans, M. Spinetta, le président d'Air France, constatait dans Les nouveaux défis du transport aérien : « Les sociétés qui travaillent dans des systèmes d'alliances arrivent à des niveaux d'intégration en termes de structure et de process souvent supérieurs à ceux auxquels parviennent des entreprises après que l'une a pris le contrôle de l'autre ». Il en concluait que, dans le transport aérien, les participations capitalistiques ne sont pas indispensables, car elles n'offrent d'avantages décisifs « ni aux clients, ni aux salariés, ni à l'actionnaire, ni à l'environnement ». Des alliances comme Skyteam ont en effet permis à Air France de se développer sans fusion en utilisant, via plusieurs partenaires, des droits de trafic extra-européens. Pourquoi alors opter pour la fusion, si ce n'est pour permettre au passage la privatisation de fait de la compagnie ? En effet, l'Etat, qui détient aujourd'hui 54 % de son capital verra sa part tomber à 43,7 %, et ses droits de vote passer de 54,7 % à 44,7 %, les actionnaires de KLM possédant, eux, 17,9 % du capital et 18,3 % des droits de vote. Le Gouvernement, qui souhaite réduire d'au moins 20 % la participation de l'Etat dans la compagnie, trouvera, il est vrai, l'intérêt financier qu'il recherche dans une telle opération.

Mais votre politique libérale débridée n'a aucune prise sur la réalité. Par un dogmatisme d'un autre âge, vous parachevez la politique lancée par les gouvernements Balladur et Juppé. La loi du 19 juillet 1993 prévoyait déjà le transfert au secteur privé du capital d'air France ; M.Mer annonçait dès le 29 juillet 2002 le lancement du processus de sa privatisation, l'objectif du Gouvernement étant de ramener la part de l'Etat dans le capital de 54 % à 20 % au plus.

En 2002, le Premier Ministre annonçait pourtant dans sa déclaration de politique générale que le Gouvernement procéderait aux privatisations au cas par cas, en tenant compte de l'intérêt des entreprises. Air France entre-t-elle dans ce cadre? Non.

L'histoire d'Air France est celle d'une réussite économique dans un contexte pourtant difficile. Elle est la deuxième compagnie européenne après Lufthansa, la troisième mondiale pour le transport de passagers internationaux, et la quatrième pour le fret international. Ses résultats sont régulièrement bénéficiaires, malgré les attentats du 11 septembre, l'épidémie de SRAS et la guerre en Irak qui ont douloureusement affecté de nombreuses autres compagnies. C'est à son statut d'entreprise publique qu'elle le doit. British Airways, KLM et Lufthansa, entreprises privées, ont, dans le même temps, enregistré d'importants déficits.

De surcroît, l'endettement de la société est désormais maîtrisé et sa structure financière saine.

Selon vous, la privatisation de la compagnie serait nécessaire à son développement. Voilà bien une vieille lune de la droite: enfermées dans une gestion étatique d'un autre âge, victimes de la volonté collectiviste des gouvernements socialo-communistes, sclérosées par un statut archaïque, les entreprises publiques seraient incapables de réagir aux évolutions du marché, isolées sur la scène internationale, et freinées dans leur développement. Ce sont là des arguments simplistes.

La politique de développement d'Air France est un succès, et la création du réseau Sky Team en juin 2000 en témoigne. Représentant 13 % du trafic mondial, ce système d'alliances a permis à Air France d'étendre son réseau et ses possibilités de commercialisation, sans que son statut d'entreprise publique constitue un frein.

Autre argument: la privatisation permettrait des opérations de recapitalisation par appel aux marchés financiers. Certes, mais une telle opération n'a-t-elle pas été menée par l'Etat en 1994 ? Les règles européennes exigent uniquement que l'Etat se comporte en « actionnaire de droit commun ». Il n'était alors pas question de privatisation et l'évolution de la compagnie par une ouverture du capital était largement suffisante.

La privatisation permettra-t-elle d'accélérer la modernisation de la flotte ? Air France dispose aujourd'hui d'une flotte jeune, bien portante et renouvelée régulièrement.

Aujourd'hui, Air France est une compagnie rentable qui conforte sa position sur les cinq continents, notamment en Europe, et sur l'Atlantique, où elle gagne des parts de marché. Existe-t-il une compagnie aérienne privée aux résultats comparables dans le monde ? British Airways a annoncé en janvier dernier qu'elle devait réduire ses coûts annuels de 435 millions d'euros, ce qui correspond à la suppression de 3 000 à 4 000 emplois sur deux ans, lesquels s'ajoutent aux 12 000 emplois supprimés depuis 2001. Ses résultats n'ont cessé de diminuer depuis deux ans, et son trafic passagers a fortement baissé en Europe, notamment en raison de la concurrence des compagnies low cost Easy Jet ou Ryanair. Elle a de surcroît annulé des dizaines de liaisons qui n'étaient pas rentables.

Depuis la fin de l'année 2001, American Airlines a supprimé 27 000 emplois, US Airways 12 000, Delta Airlines 13 000, Air Canada 9 000, sans compter la faillite de Swissair. Et que dire des résultats des compagnies américaines pour le premier trimestre 2004 qui ne sont guère rassurants ?

On voit bien la différence entre une gestion privée et une gestion publique, où la visée à long terme prime sur les considérations conjoncturelles et où l'on tient compte de l'intérêt général du secteur comme de l'intérêt des salariés !

Que serait devenue Air France en 1993 si son actionnaire n'avait été l'Etat ? Quel investisseur privé aurait mobilisé plus de 3 milliards d'euros pour la redresser ? Des actionnaires privés auraient-ils réduit leurs profits pour faire le choix politique de défendre l'emploi ?

Que l'on ne s'y trompe pas : soumettre la compagnie au marché, c'est la soumettre à ses fluctuations et à sa volatilité. L'Etat présente des garanties de stabilité que n'ont pas les actionnaires privés, qui feront tout pour vendre leurs actions en cas de crise.

Et je ne parle pas des risques d'externalisation du fret, de la maintenance, non plus que de la baisse possible du niveau de sécurité.

Dans une conjoncture actuelle difficile pour le transport aérien, aggravée par la concurrence croissante du TGV, la privatisation d'Air France relève d'une idéologie imprudente qui ne tient pas compte de la réalité économique internationale. Par pragmatisme, nous nous y opposons.

Vous bradez purement et simplement cette entreprise publique. Air France, malgré sa bonne situation financière, a perdu une grande partie de sa valeur boursière du fait de la tendance générale du marché, et la privatisation de la compagnie ne permettrait pas, loin de là, d'obtenir une juste rémunération de ce bien public.

En réalité, cette privatisation répond à une motivation idéologique, car, pour les libéraux que vous êtes, seule la gestion privée est efficace et performante, mais surtout à une motivation budgétaire. Confronté aux difficultés budgétaires induites par une politique fiscalement, économiquement et socialement injuste, vous êtes contraints de trouver dans les plus brefs délais de l'argent frais. Tout « bon père de famille » que vous prétendez être dans la gestion des affaires publiques, vous bradez l'un de nos fleurons industriels, vous menacez l'avenir du pavillon français dans le transport aérien, et vous déstabilisez les salariés pour assurer vos fins de mois !

Car bien sûr les conséquences sociales du changement de statut de la compagnie nous inquiètent. Le personnel d'Air France bénéficie d'un statut plus protecteur que le droit du travail, en raison notamment des spécificités de son travail. La privatisation risque de remettre en cause ce statut, et il est naturel que les salariés s'en émeuvent. Le délai de deux ans prévu pour négocier une convention collective, qui se substituera au statut réglementaire, suffira-t-il ? De surcroît, cette période transitoire ne signifie pas que les salariés pourront maintenir leur niveau actuel de protection. Il s'agit donc d'une régression sociale programmée à plus ou moins long terme.

A l'heure actuelle, les personnels navigants commerciaux, par exemple, sont mis en retraite à 55 ans...

M. le Rapporteur - Et même avant.

M. Jean-Pierre Blazy - ...en raison des difficultés particulières de leurs conditions de travail. A l'avenir, à quel âge cesseront-ils leur activité ? La transformation du statut d'entreprise publique en entreprise de droit privé fera entrer les personnels navigants de l'aéronautique civile dans le lot commun des salariés du secteur privé, qui, pour profiter d'une retraite à taux plein, devront travailler plus longtemps. Certes, le présent projet ne traite pas de cette importante question, mais nous devrons bien l'aborder à l'occasion de l'examen des articles, et, comme le rappelle notre rapporteur, les questions de sécurité, qui concernent aussi l'âge du départ en retraite, « sont bien évidemment au c_ur de cette problématique ». En tant que membre de la mission d'information parlementaire sur la sécurité du transport aérien de voyageurs, que préside notre collègue Odile Saugues, je ne peux qu'être préoccupé par ce problème majeur, qui n'est pas seulement un problème social.

    Alors que la politique libérale du Gouvernement et de la majorité vient d'être sanctionnée par les électeurs, alors que le Président de la République, puis le Premier ministre ne cessent de parler du social et de projets sociaux, alors qu'il y a même un ministre de la cohésion sociale dans ce gouvernement, dans le cas du présent projet, nous ne percevons guère la vision sociale de la privatisation que vous souhaitez. J'ai évoqué la perte du statut spécifique des personnels d'Air France. Mais en outre, à l'heure où les plans sociaux se multiplient, où le secteur aérien, français et international, traverse une crise qui a mis en grande difficulté de nombreuses compagnies, vouloir privatiser, c'est aller contre l'emploi et contre le social. Votre gouvernement n'a défini aucune orientation pour dynamiser l'emploi dans le transport aérien. Il y a d'ailleurs une contradiction flagrante entre la privatisation d'Air France et la demande que lui adresse le Gouvernement de reclasser les salariés d'Air Lib. Qui croira qu'une entreprise sur le point d'être privatisée peut procéder à des embauches massives ? Je rappelle d'ailleurs que la cellule de reclassement des salariés d'Air Lib n'a réussi à retrouver du travail que pour 74 % des 2 500 salariés inscrits auprès d'elle (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

    M. le Ministre et M. le Rapporteur - « Que » ? !

M. Jean-Pierre Blazy - Et vous avez vous-même souligné lors d'une précédente séance de questions, Monsieur le Ministre, qu'Air France, compagnie publique, a « assuré un tiers de ces réussites ». Le Gouvernement a pu faire appel à la compagnie nationale pour reclasser les anciens salariés d'Air Lib parce qu'elle est encore à capital public majoritaire. Quand l'Etat ne sera plus qu'un actionnaire parmi tant d'autres, de tels reclassements seront impossibles.

Par ailleurs, nous nous inquiétons beaucoup de la façon dont seront exercées les actuelles missions de service public d'Air France. Je songe notamment à la desserte de l'outre-mer, dans le cadre de l'obligation constitutionnelle de continuité territoriale. Sur ces dessertes d'outre-mer, les obligations de service public impliquent l'exploitation des services tout au long de l'année, avec au moins une fréquence hebdomadaire, le respect d'un préavis de six mois avant l'interruption des services, un nombre d'annulations de vols ne dépassant pas 10 % du programme déposé, l'existence d'un tarif enfant réduit de 33 %, etc.

Jusqu'au début 2001, cinq compagnies françaises reliaient la métropole aux Antilles et à la Réunion. Deux compagnies, Air France et AOM, desservaient la Guyane. Aujourd'hui, la desserte de l'outre-mer est mise à mal par la faillite d'Air Lib et par la privatisation d'Air France. Déjà en difficulté économique et sociale, les territoires et départements d'outre-mer redoutent les conséquences de cette privatisation et leurs élus s'en font l'écho. Ils se demandent si Air France privatisée pourra encore remplir ses obligations de service public, si la compagnie augmentera le nombre de ses rotations vers l'outre-mer, si elle définira une politique complémentaire de celle des autres compagnies, bref si Air France entend faire des choix politiques - qui auront un coût - en faveur de la continuité territoriale, ou si la concurrence et les objectifs de profit présideront seuls à son développement vers l'outre-mer.

Le choix de la privatisation-fusion contribuera à accélérer la déréglementation du trafic aérien en Europe et risque de produire les mêmes résultats que l'on observe aux Etats-Unis après la déréglementation du trafic intérieur américain : suppression de lignes à faible trafic, concurrence exacerbée sur les lignes à trafic élevé, au total plus de suppression de liaisons que de créations, diminution des fréquences entres les hubs majeurs et les aéroports secondaires, abandon des liaisons non rentables. Tout cela, vous ne pouvez le nier, a été observé aux Etats-Unis. En outre clients et consommateurs ne sont pas forcément gagnants, du fait de l'instabilité des tarifs, souvent augmentés sur les lignes courtes. Les salaires ont diminué, les conditions de travail des personnels se sont dégradées et la productivité n'a pas crû pour autant. Les compagnies à faible coût se sont développées. Bref les inconvénients pour les usagers, pour les salariés et pour l'équilibre du territoire l'ont emporté sur les avantages.

La privatisation d'Air France aura donc, si cette logique prévaut, de graves conséquences sur la politique d'aménagement du territoire. Les aéroports sont à la fois des outils de croissance économique et d'aménagement du territoire. A côté de la plate-forme de Roissy, qui est le hub d'Air France, et dont le développement n'est pas sans poser des problèmes de nuisances que vous ne prenez pas assez en compte, l'offre de transport aérien s'est aussi structurée autour de plates-formes de correspondance régionales qu'il faut conforter. Il nous faut pour cela un véritable pôle public de transport aérien, dynamique et ouvert, contribuant, en complémentarité avec les autres modes de transport, à l'aménagement de notre territoire, dans la perspective du développement durable dont on parle tant. Or non seulement vous abandonnez le principe même de la péréquation tarifaire, condition sine qua non d'un développement équilibré de notre territoire qui ne vise pas seulement l'exploitation des lignes rentables, mais vous n'intégrez pas la nécessaire complémentarité des modes de transport et des infrastructures dans un souci d'économie d'énergie et de réduction de la pollution.

Ce qui fait surtout la force d'Air France, c'est qu'elle valorise et utilise très bien ses atouts principaux : SkyTeam et le hub de Roissy. Il est donc essentiel pour Air France d'avoir une vision claire des perspectives de développement de Roissy dans le cadre d'une politique du développement durable du transport aérien. Il est déterminant pour la pérennité de l'entreprise de répondre à la question de la réalisation du troisième aéroport dans le grand bassin parisien, que vous refusez pour l'heure. Après l'annonce de la fusion entre Air France et KLM, M. Bussereau, ancien secrétaire d'Etat aux transports, avait cru trouver dans cet événement important un argument contre la création de ce troisième aéroport. L'argument était fallacieux, car on ne voit pas en quoi l'alliance entre les deux compagnies permettrait de limiter le trafic aérien sur l'Aéroport de Roissy, dont Air France représente 60 %. De plus, l'inquiétude du personnel et de nombreux Néerlandais sur l'avenir de l'aéroport d'Amsterdam dans un ensemble dominé par Air France ne peut que faire craindre une augmentation du trafic à Roissy. Le patron de KLM rappelait d'ailleurs qu'il y a trop de « hubs » en Europe, et en concluait qu'une rationalisation est nécessaire. Nous pouvons craindre que cette « rationalisation » se fasse encore une fois au détriment des Franciliens, par une augmentation du trafic.M. Bussereau a démontré à quel point le rapport d'information parlementaire sur « l'avenir du transport aérien et la politique aéroportuaire », présenté par François-Michel Gonnot, était un rapport de commande, visant à justifier le choix d'abandonner le site de Chaulnes en Picardie pour implanter le troisième aéroport parisien. La « collusion » est évidente puisque le rapport préconisait déjà de « jouer la carte des alliances entre Roissy et Amsterdam ».

M. Frédéric Soulier - Cela n'a rien à voir avec le sujet.

M. Jean-Pierre Blazy - Le rapport entre la politique aéroportuaire et la politique des compagnies est évident, et je suis désolé que vous ne le voyiez pas. Le Gouvernement est engagé dans une logique économique libérale qui ne tient compte ni de l'environnement, ni des nuisances subies depuis trop longtemps en Ile-de-France, mais aussi en province. Ce sera plus encore demain la politique du laisser-aller laisser-faire appliqué au transport aérien, et le risque n'est pas moindre pour les aéroports de province. Le réseau aéroportuaire dont vous avez parlé, Monsieur le ministre, entre Paris et les aéroports régionaux, intégrant même Vatry, Monsieur de Courson, n'est à mes yeux qu'un réseau purement virtuel ; et il le sera encore plus demain si nous adoptons ce texte. C'est une logique économique et sociale qui tourne le dos au développement durable du transport aérien.

Après Air France, vous vous apprêtez à changer le statut d'Aéroports de Paris, pour ouvrir là encore la voie à sa privatisation : vous avez donc fait le choix d'une politique ultra-libérale du transport aérien, dans une conjoncture européenne et mondiale incertaine, au mépris de l'intérêt économique national comme de celui des salariés. Mes chers collègues, ne nous engageons pas dans une aventure périlleuse. Nous risquerions de sacrifier l'avenir du transport aérien national. Recherchons plutôt un équilibre entre l'efficacité économique, le choix industriel et la préservation des missions de service public et d'intérêt général. Il est encore temps d'y réfléchir. C'est pourquoi je vous propose de voter la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

M. le Ministre - Monsieur Blazy, vous m'avez paru assez embarrassé pour défendre durant trois quarts d'heure cette motion de procédure qui aura rallongé le débat sans que vous n'apportiez aucun argument convaincant.

Vous nous reprochez une « posture idéologique » quand nous cherchons seulement à être pragmatiques, comme vous l'avez vous-mêmes parfois été lorsque vous étiez au pouvoir et avez privatisé certaines entreprises pour en faire de grands groupes. La meilleure preuve que nous ne sommes pas guidés par l'idéologie est que pour Air France, Aéroports de Paris et les sociétés autoroutières, trois cas différents, nous avons choisi trois solutions différentes. Pour Air France, qui évolue dans un environnement fortement concurrentiel, un statut privé est mieux adapté, lequel ne l'empêchera en rien de continuer demain à assurer ses missions de services public. S'agissant d'Aéroports de Paris, nous nous contentons d'en ouvrir le capital et d'en modifier le statut afin de rendre possible des partenariats, indispensables pour toujours mieux satisfaire la demande des compagnies aériennes. Enfin, pour ce qui est des sociétés autoroutières, j'ai souhaité qu'elles demeurent publiques afin que nous puissions avec leurs bénéfices financer certaines infrastructures, et le Premier ministre a arbitré dans mon sens.

Vous avez rappelé, d'ailleurs fort discrètement, qu'Air France avait été recapitalisé en 1994. C'est cette majorité qui a eu le courage de le faire, sans « posture idéologique » aucune. Si la compagnie est aujourd'hui en aussi bonne santé, c'est que nous avons su lui apporter au bon moment les vingt milliards de francs dont elle avait besoin (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

Vous avez évoqué Air Lib. Peut-être auriez-vous mieux fait de passer sous silence cette douloureuse expérience dans laquelle l'ancienne majorité porte une responsabilité directe. Lancée sans aucun capital, cette compagnie ne pouvait, hélas, qu'aller au crash, laissant 3 100 salariés au tapis. Vous devriez donc faire preuve d'humilité sur le sujet car c'est nous qui devons maintenant rattraper vos erreurs. Vous regrettez que la cellule de reclassement que nous avons mise en place à Orly n'ait reclassé que 74 % des personnels. Ce n'est pas si mal en un an seulement et nous avons toujours bon espoir de reclasser la totalité des personnels. Un tiers a rejoint Air France, la moitié d'autres entreprises et un tiers, pour l'essentiel des pilotes, attend encore une solution.

Tout comme il est vraiment ringard de parler de « posture idéologique », il est vraiment inélégant de mettre en cause le PDG d'Air France, élu meilleur manager de l'année 2003. Vous laissez accroire que M. Spinetta serait contre l'opération en cours alors qu'il nous demande chaque jour si nous avançons. Assumeriez-vous, Monsieur Blazy, la responsabilité d'empêcher la fusion d'Air France et de KLM ? Ne pas voter le texte que nous vous présentons ce soir, ce serait en prendre le risque.

Vous avez parlé enfin de « privatisation à marche forcée ». Il n'en est rien car cette privatisation est prévue depuis 1993 - vous ne l'avez d'ailleurs jamais remise en question. Depuis la loi votée l'an passé, dont vous dénonciez les risques, le cours de l'action Air France a augmenté de cinq à quatorze euros...

M. Jean-Pierre Blazy - C'est en raison des bons résultats d'Air France !

M. le Ministre - Nous n'avançons absolument pas « à marche forcée ». C'est Air France qui imprime le rythme, c'est elle qui a conclu en octobre dernier un accord avec KLM et lancé une OPE qui sera close le 3 mai prochain. Nous ne faisons qu'adapter la législation pour permettre à Air France de devenir, par le biais de cet accord, la première compagnie européenne.

Vous avez vanté les qualités et les résultats d'Air France, c'est le seul point sur lequel je suis entièrement d'accord avec vous. Recapitalisée au moment opportun, excellemment dirigée, s'appuyant sur des personnels d'une très grande qualité, l'entreprise connaît une réussite exemplaire. Pourquoi refuseriez-vous à ceux qui ont fait depuis des années les choix pertinents qui ont conduit aux résultats que vous avez salués, ce qu'ils demandent aujourd'hui pour continuer d'avancer dans cette voie ? C'est grâce à la qualité de sa direction et de ses salariés qu'Air France a surmonté ses crises internes et résisté à la crise internationale du secteur. Son avenir passe par la fusion avec des partenaires. Or, elle ne pourrait en trouver si l'Etat demeurait majoritaire dans son capital. Mon homologue néerlandaise est venue me demander si nous avions bien l'intention d'abaisser la participation de l'Etat en-dessous de 50 % afin qu'elle puisse avaliser la fusion.

Je vous rappelle enfin qu'en 1999, en privatisant Aérospatiale par fusion avec Matra, vous avez permis la constitution d'un géant de l'aéronautique et de la défense. C'est la même chance que nous souhaitons donner aujourd'hui à Air France. Nous avons confiance en cette société et en ses salariés. Pourquoi en brider le développement alors qu'elle peut devenir demain un géant mondial ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. le Rapporteur - Beaucoup de vos arguments, Monsieur Blazy, sont fallacieux, laborieux et archaïques. Vous avez ainsi essayé de détourner le sens d'une déclaration de M. Spinetta pour laisser croire qu'il était hostile à ce texte alors que c'est lui-même qui a négocié l'accord avec KLM. S'il a dit préférer les accords commerciaux aux accords capitalistiques, c'est en se souvenant de l'échec du rapprochement avec Alitalia, auquel le gouvernement italien s'était opposé au motif que l'Etat français détenait plus de 50 % du capital d'Air France. Ne faites donc pas dire à M. Spinetta ce qu'il n'a jamais dit.

Vous nous expliquez également que cet accord ne sert pas les intérêts d'Air France. Lorsque nous avons dû en 1994 recapitaliser la compagnie à hauteur de vingt milliards de francs pour lui éviter la faillite, la Commission européenne a exigé en contrepartie du Gouvernement qu'il s'engage par écrit à ce que cette augmentation de capital soit bien la « der des ders » ! En vendant 44 % du capital d'Air France, les gouvernements que vous souteniez ont de fait placé la compagnie dans une situation d'asphyxie financière si elle n'est pas privatisée.

Vous nous avez aussi expliqué qu'il s'agissait d'une opération purement capitalistique. Tel n'est pas le cas. Il s'agit d'un simple échange d'actions.

Vous vous êtes essayé à comparer Air France avec les compagnies américaines. Heureusement qu'il n'est pas arrivé en France ce qui est arrivé aux Etats-Unis après les attentats du 11 septembre, avec un effondrement durable de quelque 40 % du trafic voyageurs ! Les difficultés consécutives des compagnies aériennes n'ont rien à voir avec leur statut. Qu'elles aient été publiques ou privées, dans ce contexte, leur sort ne pouvait qu'être le même.

Il n'y a non plus, contrairement à ce que vous dites, aucune motivation budgétaire à ce texte. Pas un euro n'ira au budget de l'Etat. L'Etat s'est engagé à abaisser sa participation dans le capital d'Air France en-dessous de 20 % à la seule demande du gouvernement néerlandais, de façon que l'accord soit équilibré.

Vous avez aussi évoqué le danger potentiel de l'accord pour les personnels. Mais le statut n'est en rien plus protecteur qu'une convention collective car par définition, une entreprise ne peut pas distribuer plus de richesses qu'elle n'en produit. Le statut d'Air France n'interdit pas les licenciements, même si jusqu'à présent, il n'y en a jamais eu et que l'on a toujours trouvé d'autres solutions... parce que la compagnie en avait les moyens.

Vous avez aussi parlé des risques pour la sécurité. Mais que la compagnie soit privée ou publique, les contrôles de l'Etat sont exactement les mêmes. Cela ne change rien.

Enfin, vous avez abordé la question de la desserte des DOM-TOM. La privatisation d'Air France ne changera absolument rien aux tarifs pratiqués, jugés trop élevés, y compris sur vos bancs. C'est une question non pas de statut de la compagnie, mais de concurrence.

Et si l'Etat et les collectivités locales veulent des dessertes avec des fréquences plus élevées, ils feront un appel d'offres, car je vous rappelle qu'aujourd'hui vous ne pouvez pas confier à la compagnie Air France un service public sans un appel d'offres. De ce point de vue, qu'Air France soit public ou privé, cela ne change rien.

Au fond, votre intervention est celle d'un parti qui fait son fonds de commerce des peurs de la société. Nous, nous n'avons pas peur de l'avenir et nous pensons qu'une société est plus équilibrée quand elle ose affronter la haute mer. Vous qui êtes profondément européen, Monsieur Blazy, comment pouvez-vous défendre le maintien de compagnies nationales en Europe ? Vous croyez encore que cela peut marcher ? Allons, toutes les petites et moyennes compagnies sont condamnées à mort en Europe si elles restent nationales. Vous vous souvenez de Sabena ? Elle est morte. De profundis. Swiss Air ? Morte également. Et Alitalia est en difficulté. Tout le monde sait qu'il restera seulement trois grands groupes en Europe, autour de British Airways, Lufthansa et Air France.

Air France a été la première compagnie à avoir le courage de monter un système juridique, qui est certes compliqué mais qui était nécessaire, compte tenu de l'insuffisance actuelle du droit communautaire dans ce domaine. Avec cette initiative, elle est en train de construire l'Europe de demain (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jacques Le Guen - Libéralisme débridé, régression sociale...Nous avons entendu les mêmes arguments que d'habitude ! Au conservatisme des socialistes, nous préférons bien sûr une modernisation qui permettra à Air France de poursuivre son développement et de créer de nouvelles complémentarités européennes et mondiales. C'est pourquoi nous ne voterons pas la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

La question préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée.

M. Frédéric Dutoit - En 1993, le gouvernement Balladur rendait publique une liste de vingt et une entreprises qu'il jugeait « privatisables ». Seules deux entreprises de cette liste sont encore à capitaux publics majoritaires : la SNECMA et Air France.

Mais l'objectif sera bientôt atteint en ce qui concerne la première et pour ce qui est d'Air France, l'essentiel est déjà fait, puisque la loi du 9 avril 2003 crée les conditions d'un changement de propriété. Il ne restait plus qu'à saisir la première occasion pour désengager l'Etat. Le rapprochement entre Air France et la compagnie néerlandaise KLM est donc venu à point nommé. Suite aux accords signés le 16 octobre 2003, la dernière étape du plan de privatisation a été engagée le 5 avril 2004 avec le début de l'Offre Publique d'Échange faite par Air France aux actionnaires de la compagnie néerlandaise KLM. Au terme de cette opération, l'Etat va descendre largement en dessous des 50 % de participation dans le capital d'Air France, ce qui va se solder mécaniquement par la privatisation de la société.

Les aléas de la guerre économique sans merci ayant pour objet la conquête du ciel européen nous offrent donc l'occasion de réaffirmer à quel point cette privatisation absolument anti-économique, anti-industrielle et anti-démocratique couvre votre Gouvernement de ridicule.

De toutes les privatisations engagées, elle est peut-être la plus délirante, ce qui n'est d'ailleurs pas facile si l'on regarde par exemple ce qui se passe dans le secteur des communications électroniques, où des millions d'euros sont dépensés pour créer des réseaux qui font doublons à l'heure du numérique. Mais le summum de l'ubuesque est atteint avec la privatisation d'Air France, compagnie aérienne née en 1933, nationalisée en 1945, maillon essentiel de l'industrie aéronautique européenne, accomplissant qui plus est des missions de service public et d'aménagement du territoire.

Air France est l'une des seules compagnies à avoir enregistré des bénéfices et à avoir créé des emplois ces dernières années malgré la crise qui a suivi les attentats du 11 septembre. Quel peut-être donc être l'intérêt de la soumettre au surcroît d'instabilité conjoncturelle qu'entraîne la volatilité des marchés financiers ? Dans un secteur à très haute intensité capitalistique, où les coûts sont très difficilement compressibles, sauf à vouloir jouer les apprentis sorciers et mettre en danger la sécurité des passagers; dans un secteur où l'extrême sensibilité aux aléas conjoncturels est la règle - voyez l'impact de l'épidémie de SRAS, ou de la deuxième guerre en Irak - ; dans un secteur enfin où l'on ne peut guère dégager plus de 1 à 3 % de marges bénéficiaires annuelles, une telle stratégie de privatisation laisse perplexe.

Le nouveau ministre de l'économie et des finances nous vante les mérites du modèle américain. Parlons-en ! En 1978, était voté l'Airline Deregulation Act qui décidait une déréglementation sans précédent du secteur. En 24 ans, 6 milliards de dollars de profit ont été enregistrés. Depuis deux ans, 12 milliards de perte ont été accumulés. Au final, les Etats-Unis, fidèles à leur tradition interventionniste, ont soutenu massivement leurs compagnies. Le Trésor Américain a déjà déboursé pas moins de 15 milliards de dollars en aides diverses !

Le Gouvernement fait donc le chemin inverse. Privatiser pour recapitaliser plus tard ou bien privatiser pour ensuite saupoudrer de discours compassionnels les futurs plans sociaux : l'alternative que vous nous proposez est grotesque !

Selon l'expression consacrée, la raison d'Etat a ses raisons que la raison ne connaît pas. Le choix de la privatisation semble cependant obéir à deux sortes de considérations.

Tout d'abord, fruit d'un dogmatisme idéologique indécrottable, il est l'expression de la vivacité de la vulgate néo-conservatrice qui a colonisé les esprits depuis une vingtaine d'années. Nous savons que l'article 294 du Traité de l'Union européenne ne préjuge en rien du régime de propriété des entreprises. Pourtant, au nom de la construction européenne, on privatise sans discontinuer.

Ensuite, ce choix est la marque de considérations bassement comptables. Fort occupé, depuis le début de la législature, à organiser un transfert massif de richesses au profit des plus nantis, le Gouvernement Raffarin se voit maintenant contraint de vendre les bijoux de famille pour générer quelques menues rentrées budgétaires. Exercice qui a ses limites car de ces bijoux là, on ne dispose pas à foison. Nicolas Sarkozy nous explique qu'il est juste et bon de vendre des actifs. S'il était parmi nous, nous ne manquerions pas de lui demander ce qu'il compte vendre lorsqu'il n'y aura plus aucun actif à vendre.

Vous avez souhaité, Monsieur le Ministre,« une belle réussite à ce nouveau fleuron du transport aérien ». De fait, un certain orgueil national se flatte de la naissance du premier groupe européen, troisième groupe mondial. Mais aurez-vous l'audace de souhaiter bon vent aux 4 500 salariés de KLM victimes d'un plan social ?

D'une façon générale, l'avenir des salariés est plus que jamais incertain avec la réduction significative de la participation de l'Etat, et la fusion avec KLM présente un certain nombre de risques : celui de doublons pouvant entraîner des licenciements, celui d'un déséquilibre financier du fait des résultats déficitaires de KLM. On ne voit décidément pas en quoi une privatisation se justifiait. On met en avant les futurs partenariats, mais l'alliance SkyTeam, lancée avec Delta Airlines, a déjà rendu possibles nombre de synergies.

Bien entendu, les députés communistes et républicains ne voteront pas ce projet.

M. Jacques Le Guen - Le marché européen du transport aérien est actuellement dominé par trois grandes compagnies, qui représentent chacune plus de 15 % du marché. Air France occupe la première place, avec 17,2 %, devant British Airways - 17 % - et Lufthansa - 16 %.

Ce partage équilibré se retrouve au niveau des grandes alliances : Air France est membre de SkyTeam, British Airways de Oneworld et Lufthansa de Star Alliance.

En avril 2003, nous avions tous signalé qu'Air France avait mieux résisté que la plupart des compagnies aériennes à la crise mondiale du secteur aérien. En effet, au cours de l'exercice 2002-2003, Air France est passée du deuxième au premier rang des compagnies européennes, tous réseaux de passagers confondus, et elle a gagné 1,1 point de parts de marché.

Les raisons de ces succès sont connues : la qualité et la position géographique du « hub » de Roissy, la qualité de la flotte des appareils, et surtout, les bonnes performances de l'alliance SkyTeam. L'accord intervenu en août 2002 entre Delta et les compagnies américaines Continental airlines et Northwest airlines, permet d'ailleurs d'envisager l'élargissement de celle-ci à ces deux compagnies. Il est à noter que KLM est le partenaire européen de Continental airlines et de Northwest airlines. La fusion de KLM et d'Air France sera donc favorable à l'élargissement de l'alliance SkyTeam.

L'accord entre Air France et KLM ne constitue pas une simple alliance mais une véritable fusion, Air France ayant pris le contrôle de la compagnie néerlandaise. L'objectif apparaît clairement dans la lettre d'intention du 30 septembre 2003 : la création du premier groupe aérien européen, s'inscrivant dans un processus de consolidation des alliances qui permettra à Air France d'assurer son développement. Ce nouveau groupe sera le premier, au niveau mondial, en termes de chiffre d'affaires, et le troisième pour le trafic.

Cette fusion est une bonne chose pour la France et pour l'Europe. D'abord, les réseaux des deux compagnies sont complémentaires. Air France est très présente dans le sud de l'Europe et en Afrique, alors que KLM exploite surtout des liaisons vers l'Europe du Nord et l'Extrême-Orient. Ensuite, les clients de KLM auront accès à plus de quatre-vingt-dix nouvelles destinations, ceux d'Air France à quarante nouvelles liaisons, et les améliorations de service qui résulteront de la réunion profiteront aux consommateurs. Par ailleurs, la formule retenue permet à chacune des compagnies, fortement enracinées, de conserver leur image et leur identité. Enfin, cette fusion fait passer la part de l'Etat dans le capital de la compagnie française sous la barre des 50 %, ce qui était indispensable pour donner aux investisseurs le pouvoir de prendre les décisions stratégiques qui s'imposent. L'offre publique d'échange en cours fera passer la part de l'Etat de 54,4 à 43,7 %. Le reste de la holding sera détenu à 19 % par les actionnaires de KLM, à 26,6 % par les actionnaires privés d'Air France et à 10,7 % par le personnel.

Cet accord soulève toutefois quelques inquiétudes parmi le personnel, dans un contexte marqué par de nombreuses incertitudes. L'une des plus importantes est relative à la position dans le futur groupe des deux compagnies régionales, Brit Air et Régional, filiales d'Air France qui emploient quelque 3 000 salariés. Les pilotes souhaitent des garanties quant à leur statut, à l'évolution de leur carrière ou à la protection de leur périmètre d'activité. Je me réjouis que la grève du personnel navigant technique, déclenchée la semaine dernière, ait pris fin mercredi et que le protocole d'accord signé entre les directions et les syndicats définisse une méthode et un calendrier pour aboutir à un accord entre les partenaires sociaux.

Toutes les conditions sont donc réunies pour que la fusion soit un succès. Le projet de loi qui nous est soumis a pour but de rendre la loi du 9 avril 2003 applicable à la nouvelle situation qui résultera de la fusion. Il confirme les garanties qu'elle conférait aux salariés. L'article 3 prévoit ainsi que le statut du personnel en vigueur continuera de s'appliquer jusqu'à l'entrée en application de la convention ou des accords d'entreprise qui s'y substitueront. La filiale devra poursuivre la négociation collective. En outre, les dispositions relatives au développement de l'actionnariat salarié sont maintenues - il faut rappeler que l'échange salaire contre actions, qui avait été réservé aux pilotes en 1999, a été ouvert à tous les salariés par la loi du 9 avril. Les modalités de participation des salariés à la gestion de l'entreprise seront conservées, ainsi que les mesures dérogatoires relatives à la composition du conseil d'administration d'Air France, des comités d'établissement et du comité central d'entreprise. Ce texte s'inscrit donc parfaitement dans le prolongement de la loi du 9 avril, qui veillait à assurer le maintien des droits acquis des salariés. Pour l'ensemble de ces raisons, le groupe UMP votera ce projet de loi (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme Odile Saugues - Le projet qui nous est soumis est censé n'être qu'une adaptation technique de la loi du 9 avril 2003. Adaptation certes, mais dans un contexte très différent, puisque l'OPE d'Air France sur KLM est sur le point d'aboutir, et aura pour conséquence de ramener la part de l'Etat dans Air France à 43,7 %, puis, à terme, à 20 %. Il s'agit donc de la privatisation de fait d'une des dernières compagnies aériennes européennes publiques, après Lufthansa en 1997 et Iberia en 2001. Les ambitions de ce rapprochement sont pour certaines avouées. Il s'agit de constituer le plus grand pôle de transport aérien d'Europe, organisé autour des deux hubs de Roissy et de Schiphol. Le groupe sera le premier mondial en termes de chiffre d'affaires, le troisième pour le trafic de passagers et le second pour le fret. Enfin, SkyTeam détiendra ainsi 21 % du marché mondial. Il se partagera le monde avec Star Alliance et Oneworld.

D'autres raisons, beaucoup moins visibles, sont caractéristiques d'une approche libérale. La rédaction, qui envisage des « opérations donnant lieu à l'apport de tout ou partie de l'actif de la société Air France », nous fait appréhender un démantèlement de la société telle qu'elle existe actuellement. Par ailleurs, Air France sera réduite à une simple holding, qui contrôlerait, entre autres, une « société de droit français » qui n'a même pas de nom. Quels seront les activités et le périmètre de cette filiale ? Vous comprendrez les inquiétudes tant des salariés que des clients. On voit se profiler la cession de pans entiers de l'entreprise. Depuis trois mois, les inquiétudes du personnel se font sentir. Le personnel au sol a observé des arrêts de travail sporadiques, plusieurs préavis de grève ont été déposés, des débrayages ont été effectués, et le personnel navigant commercial participe au mouvement. A Toulouse, les syndicats estiment que 500 postes sont menacés sur les 2000 que compte le groupe dans la région. Enfin, le plan de réduction des coûts entre 2004 et 2007, entré en vigueur au 1er avril, passera inéluctablement par une diminution des postes de personnel navigant commercial. La compagnie ne disposera que d'une faible marge de man_uvre, d'autant que les salariés de KLM ont obtenu une garantie d'emploi de cinq ans, alors que celle du personnel au sol d'Air France arrive à échéance le 10 juillet 2005. Comment se féliciter de la réussite de la fusion sans penser au personnel, soumis aux fluctuations des marchés financiers, aux délocalisations et la sous-traitance ?

Le rapprochement entre Air France et KLM a enfin pour conséquence l'enterrement du projet de troisième aéroport en Ile-de-France, qui devait soulager la population riveraine de Roissy. Cet aéroport devait se situer à moins de 50 km de Roissy et à moins d'une heure de Paris par le rail. Or, il devient de fait, à cause de la fusion, situé à 500 km de Paris ! Je vous laisse apprécier la logique qui préside à un tel choix, au mépris des intérêts des citoyens.

Dérégulation, élargissement de l'Europe, privatisations : le monde aérien bouge. Si cela devait être facteur d'amélioration des services, d'optimisation de l'offre et d'accès du plus grand nombre au transport aérien, nous ne pourrions que nous en féliciter. Mais je crains qu'il ne soit question que d'augmentation des profits et de détérioration des conditions de travail du personnel. Le transport aérien a un coût, la qualité du service et la paix sociale aussi, mais la sécurité du transport aérien, et donc celle des citoyens et des salariés, plus encore. Le résultat des travaux de la mission parlementaire que je préside me font un devoir de vous en alerter. Vous ne serez donc pas surpris que nous ne votions pas ce texte (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Gilbert Gantier - Le projet de loi que nous examinons aujourd'hui revêt un aspect essentiellement formel, et je souhaite simplement formuler deux observations.

En premier, lieu, je tiens à féliciter M. de Robien d'avoir traité avec un tel brio les dossiers de la privatisation d'Air France et de l'accord avec KLM. La privatisation avait pris un retard très important, la majorité précédente refusant de donner à Air France les moyens de devenir leader européen, et le caractère hyperconcurrentiel du marché la rendait urgente. Le ministre a su, en peu de temps, mettre en place les adaptations juridiques nécessaires, avec la loi du 9 avril 2003, puis encourager l'alliance avec KLM qui fait d'Air France le leader naturel du ciel européen. Il revient, dans un délai record, devant le Parlement pour lui soumettre les modifications qu'impose la fusion. Je souligne que nous ne pouvions pas anticiper sur ces modifications l'an passé, puisqu'elles sont déterminées par la nature même de l'accord conclu entre les deux compagnies.

Seconde observation : le Gouvernement était manifestement obligé de nous présenter ce projet modifiant la loi d'avril 2003. En effet, les compagnies aériennes sont tributaires de droits de trafic et de licences d'exploitation délivrés selon des règles très contraignantes, résultant pour la plupart des accords IATA qui ont plus d'un demi-siècle ! Aux termes de ces accords, la majorité du capital doit être détenue par des actionnaires nationaux. Une telle obligation n'est-elle pas obsolète à l'heure du marché unique ?

Nous ne pouvons ignorer l'importance des transports aériens pour la construction d'un espace européen intégré, condition sine qua non d'une prise de conscience européenne que l'UDF appelle de ses v_ux. Pourtant, il semble que l'on tarde à élaborer le droit communautaire qui pourrait faciliter des rapprochements entre compagnies. Monsieur le ministre, connaissant votre attachement à la construction européenne et au vu des initiatives que vous avez déjà prises en ce sens, je ne doute pas que vous puissiez nous éclairer sur l'état de cette question essentielle.

La position du groupe UDF est constante : lorsqu'il juge une réforme imparfaite ou injuste, il la repousse ; mais, s'il estime que le Gouvernement mène une politique efficace et pertinente, comme c'est le cas ici, il le soutient sans réserve. C'est pourquoi je voterai ce texte sans la moindre hésitation ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Victorin Lurel - La compagnie nationale Air France a bien travaillé ! Avant de décider de sa privatisation et de son rapprochement avec KLM, il me semble que nous devrions considérer l'avenir de ce secteur sous le prisme des attentes de nos concitoyens. On verra alors que l'Etat ne doit en aucune façon se désengager d'Air France, ni appréhender l'avenir de cette société sous le seul angle économique. Il lui faut notamment prendre en compte l'intérêt de l'outre-mer.

Il est indéniable que la situation actuelle de la desserte aérienne de l'outre-mer est inacceptable, en raison principalement des pratiques tarifaires d'Air France. Alors que la continuité territoriale avec la métropole est indispensable au développement de nos régions et s'impose au nom de l'égalité, le coût prohibitif des billets la prive de toute effectivité. Pour les Antilles, le duopole de fait constitué par Air France et par Corsair ne contribue en rien à faire baisser ce prix : les deux compagnies pratiquent des prix voisins toute l'année - des prix variant de 470 € en période creuse à 1 200 à la saison des congés. La justification n'en est pas économique puisque toutes deux n'ont pas le même « point mort ». Selon certaines sources, le coût du siège au kilomètre, le fameux ESKO, vers les Antilles serait de trois centimes d'euro pour Air France et de deux pour Corsair. De même, on peut constater que, durant la période estivale, les vols secs reviennent plus cher qu'un « package » vol-hôtel, ou encore qu'un voyageur paie deux fois plus cher pour aller de Paris aux Antilles que pour aller de Paris aux Etats-Unis. Ainsi, en août dernier, un aller-retour entre Paris et New York était proposé à 585 € alors qu'il en coûtait 1 200 pour aller de Paris aux Antilles...

Ces compagnies abusent donc de leur position dominante : songez que l'AP-HP débourse 1 208 €, hors taxe et hors frais d'aéroport, pour les billets de ses agents originaires d'outre-mer ! La direction d'Air France ne fournit pourtant aucune explication de ce coût élevé. Mais l'opacité va plus loin : en décembre 2002, en raison de soupçons d'entente entre compagnies, la DGCCRF avait diligenté une enquête, mais l'administration elle-même a refusé de transmettre le rapport à M. Beaugendre, chargé d'une mission parlementaire sur le sujet ! Ne pourriez-vous demander à votre collègue en charge de l'économie et des finances ce que contient ce rapport, Monsieur le ministre, et surtout quelles suites judiciaires lui ont été données ?

Ce rapport établit en tout cas que la politique commerciale des compagnies, inspirée de la technique du « yield management », consiste à maximiser la recette en faisant varier le prix du billet en fonction de la demande, en ignorant les coûts. C'est sans doute ce que M. de Courson appelle la loi de l'offre et de la demande ! Toujours est-il que ces compagnies sont ainsi amenées à fermer les classes de réservation les moins chères et à augmenter le quota de sièges dans les plus chères.

Au vu de cette situation, j'avais, avec l'accord du groupe socialiste, demandé la création d'une mission d'information parlementaire, afin de connaître la composition des coûts des liaisons et de déterminer les conditions auxquelles les prix pourraient être abaissés. Cette mission a finalement été confiée à M. Beaugendre. Or, selon ce dernier, il lui a été très difficile d'évaluer la rentabilité de ces lignes, la direction d'Air France lui ayant refusé l'accès à sa comptabilité analytique par ligne exploitée, au nom du secret commercial ! Ce comportement inadmissible a été fermement et unanimement condamné par la commission des affaires économiques, à l'initiative de son président qui a par ailleurs donné son accord à la création d'une commission d'enquête, afin d'exiger la communication de cette comptabilité. Mon premier amendement, qui porte précisément sur ce sujet, pourrait éviter d'aller jusque-là...

Ce débat peut être l'occasion de proposer des solutions. Lors de la discussion de la loi du 9 avril 2003, vous m'aviez assuré, Monsieur le ministre, que le projet de loi de programme pour l'outre-mer garantirait une réelle continuité territoriale. Or, ministère de l'outre-mer, majorité et associations constatent aujourd'hui qu'il n'en a rien été. Ni l'exonération de charges sociales destinée à créer des emplois dans les compagnies, ni la fameuse dotation de continuité n'ont permis de faire baisser le prix des billets. Comment s'en étonner ? Cette dotation ne se monte qu'à 30 millions d'euros, soit 11,5 € par Ultramarin, alors que chaque Corse en reçoit 616 au titre de la solidarité nationale ! Son financement est en outre critiquable à bien des égards. Politiquement d'abord : elle est alimentée par une augmentation des taxes sur les billets d'avions, donc par une contribution des voyageurs au lieu d'être prise en charge par la solidarité nationale. Juridiquement ensuite : comme l'a noté M. de Courson, le support budgétaire choisi, le FIATA, n'est pas compatible avec la nature de la dépense et contrevient à la loi organique du 1er août 2001.

Un autre support est par conséquent nécessaire pour 2005 mais, si cette somme est imputée sur le budget de l'outre-mer, je crains que ce ne soit au détriment d'autres dépenses indispensables. Mieux vaudrait donc l'imputer sur le budget de l'intérieur, comme c'est le cas pour la Corse.

Quant au fameux passeport-mobilité, destiné principalement aux étudiants, c'est un dispositif trop complexe pour qu'il puisse fonctionner.

Dans ces conditions, comment parvenir à une baisse effective des billets d'avion ? Le groupe socialiste, à mon initiative, mais, de même, l'UDF et l'UMP, à l'initiative de M. Lagarde, ont déposé des propositions de loi identiques, préconisant une extension du système de continuité territoriale mis en place pour la Corse et l'imposition d'obligations de service public en matière de desserte aérienne.

Sans continuité, l'égalité entre citoyens ne peut être que fictive. Si nous plaidons avec le Collectif des Antillais, Guyanais et Réunionnais, pour des obligations de service public analogues à celles qui existent pour la Corse, ce n'est ni par a priori idéologique ni par laxisme budgétaire. L'organisation quasi-monopolistique de la desserte actuelle est source d'abus et la création d'une troisième compagnie n'a apporté qu'un semblant de concurrence. Nous ne plaidons donc pas pour un service public monopolistique, mais pour un interventionnisme public !

Les obligations de service public actuelles, sur les dessertes entre les départements français d'Amérique et la métropole, sont légères et ignorent la question tarifaire : elles visent essentiellement à garantir la régularité de la desserte et une offre minimale en termes de capacité. Celles qui s'appliquent à la desserte de la Corse prévoient au contraire un tarif maximum sur une catégorie donnée, ainsi que des tarifs spéciaux.

L'extension de ce système coûterait sans doute cher, mais, lorsqu'il était encore commissaire, M. Barnier a indiqué, à Fort-de-France, qu'un co-financement serait possible avec l'Union européenne. Dès lors, cette solution des « OSP fermées » n'apparaît pas si irréaliste - et je maintiens qu'elle se justifie car il y a bien mission de service public !

En défendant mon deuxième amendement, je vous proposerai d'élaborer des OSP dites "fermées" permettant notamment d'imposer des prix plafonds. Je suis président de conseil régional, et viens de payer une étude commandée par mon prédécesseur, qui révèle que l'on pourrait disposer de prix plafonds à 750 €, dont 150 pris en charge par l'Etat et l'Europe ! Mais, en refusant d'explorer cette piste et en prétendant que la concurrence fera baisser les prix, vous enfermez l'outre-mer dans son insalurité.

Pour toutes ces raisons, je ne voterai pas ce texte (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

M. Philippe Edmond-Mariette - Très bien !

M. Jean Proriol - Ce projet est à la fois un texte de complément à la loi du 9 avril 2003 relative aux entreprises de transport aérien, et un texte de ratification, puisqu'il tend à transposer les dispositions adoptées en 2003 au groupe Air France-KLM.

Permettez-moi de rétablir quelques vérités sur le processus de privatisation, ainsi que sur les effets de la libéralisation du marché aérien.

C'est vrai, la clôture, d'ici quelques jours, de l'offre publique d'échange lancée par le groupe français depuis le 5 avril dernier sur KLM, fera passer l'Etat français sous la barre fatidique des 50 % du capital. Mais la privatisation n'a pas été ouverte par ces deux textes examinés sous notre législature. Notre majorité en avait pris l'initiative dès 1993 en inscrivant Air France sur la liste des entreprises privatisables. La gauche n'a jamais jugé bon d'y revenir, et l'ouverture du capital s'est bien effectuée en 1999, sous le gouvernement Jospin.

Par ailleurs, l'idée selon laquelle la privatisation conduirait au fiasco économique est un mythe. Les choix de gestion de la compagnie publique n'ont-ils pas été particulièrement hasardeux dans les années 1990 ? Air France a bénéficié d'une recapitalisation à hauteur de 20 milliards de francs, payée sur les recettes du budget de l'Etat en 1994. De surcroît, la commission d'enquête parlementaire sur la gestion des entreprises publiques a mis en évidence les défaillances de l'Etat actionnaire, les erreurs de certains dirigeants, ainsi que les entorses aux procédures réglementaires.

Le ciel européen est en plein bouleversement, et Air France doit s'adapter. Le maintien d'une participation majoritaire de l'Etat actionnaire serait anachronique. N'a-t-il pas déjà constitué un obstacle au partenariat avec Ibéria en 1997-1998, comme l'a rappelé Christian Blanc ?

Si un gain de 15 % de parts de marché a été enregistré sur le secteur Amérique entre 1998 et 2003, le transport aérien français a vu sa compétitivité faiblir avec 1,8 % de parts de marché abandonné aux exploitants étrangers depuis 1998.

Comme La revue de l'aviation civile l'atteste, l'insuffisance de fonds propres est très nettement préjudiciable en cas de crise grave. Le niveau des charges sociales plombe les compagnies françaises, qui ne peuvent lutter à armes égales sur certains marchés. Dés lors, la privatisation paraît un moyen de consolider les alliances et de maintenir la compétitivité de la compagnie aux niveaux européen et international. L'alliance Air France-KLM n'est pas un marché de dupes. Si Air France apporte ses ressources financières et humaines, KLM permet au transporteur français de renforcer sa présence sur l'Atlantique-Nord.

Se pose, par ailleurs, la question du rôle de l'Etat dans un secteur concurrentiel. Selon le délégué général de la Fédération nationale de l'aviation marchande, deux segments du marché méritent une attention particulière: le charter et le transport régional. C'est en ce sens que les acteurs locaux et nationaux doivent se mobiliser pour que certaines liaisons indispensables à la dynamique de nos territoires ne soient pas abandonnées. Aux acteurs impliqués d'inventer un nouveau type de régulation apte à concilier les impératifs du marché et la répartition harmonieuse des liaisons sur le sol national. Notre majorité a su prendre de bonnes mesures, qu'il s'agisse du transfert de certains aéroports d'intérêt régional et local aux collectivités territoriales dans le cadre de la décentralisation, ou la transformation des aéroports d'intérêt national ou international en sociétés de droit commun à capitaux publics.

Tous les problèmes ne sont naturellement pas résolus : je pense notamment au manque de liaisons intercontinentales à partir des aéroports régionaux.

La France compte de nombreuses lignes de service public, en partie subventionnées par le FIATA, lui-même financé par une taxe sur les billets d'avion, et par les collectivités locales. Faute d'avoir été suffisamment doté financièrement, cet instrument est aujourd'hui inadapté et mérite d'être revu, dans un sens plus volontariste.

Comment ne pas évoquer le « hub » régional auvergnat, indispensable au développement économique du Massif Central ? Il faut adopter une approche en termes de « liaisons de service public », reposant sur des conventions pluripartites, ainsi que le préconise le rapport d'information du Sénat sur le fonctionnement du FIATA et l'avenir des lignes aériennes régionales.

Enfin, je souhaiterais qu'à l'occasion de l'examen de ce texte, le Gouvernement nous informe de l'état des réflexions sur la réforme du mode de financement et d'attribution du FIATA. Gageons que la majorité sera attentive aux choix du futur opérateur, consolidé grâce à cet accord de fusion ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Joël Beaugendre - En avril 2003, nous avons voté des dispositions nécessaires à l'accompagnement de la privatisation d'Air France. Le 16 octobre 2003, Air France et KLM concluaient un accord pour créer un groupe européen de transport aérien. Ce projet de loi tend à faciliter le rapprochement des deux compagnies en optimisant les conditions du transfert de la majorité du capital d'Air France dans le secteur privé. Le transport aérien dépendant des fluctuations économiques, seuls des partenariats permettraient d'affronter la concurrence.

Tout en reconnaissant les mérites de ce projet, j'espère qu'il ne jouera pas contre la desserte de l'outre mer. Je rappelle qu'en 2003, nous avons voté la loi programme pour l'outre mer, qui a donné un contenu concret à la continuité territoriale.

Il s'agit de compenser les handicaps liés à l'éloignement et à l'insularité de nos régions, qui pénalisent leur dynamisme économique. La liaison aérienne reste le seul moyen de transport entre la France et ses régions ultramarines. L'offre de transport doit donc être adaptée aux besoins des collectivités d'outre-mer. Les Français ultramarins doivent pouvoir se déplacer facilement. Les principes européens de libre circulation des personnes et des marchandises s'en trouveraient renforcés.

Si l'on se réfère au droit communautaire des obligations de service public, la desserte aérienne outre-mer constitue un service public, car d'autres types de transport ne permettent nullement d'assurer un service adéquat et continu.

J'espère donc que le nouveau statut d'Air France n'entravera pas sa mission et ses obligations de service public, vitales pour l'économie de l'outre-mer et pour l'effectivité de la continuité territoriale.

Je rappelle pour conclure que j'ai reçu mission de la commission des affaires économiques pour étudier les prix de la desserte de l'outre-mer. Or, nous nous sommes heurtés à une certaine opacité. Mais cette mission n'est pas terminée, car le président Ollier a écrit à Air France pour demander un complément d'information, et notre travail devrait avoir des prolongements dans les jours à venir (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

MM. Philippe Edmond-Mariette et Victorin Lurel - Très bien !

La discussion générale est close.

M. le Ministre - Vous estimez, Monsieur Dutoit, que ce projet induit un désengagement de l'Etat.

Regardez mieux : aucun article ne comporte rien de tel ! Le texte permet l'accord avec KLM, mais sans que l'Etat ne vende d'actions. Sont sauvegardés, en revanche, les intérêts des salariés et leur bonne représentation en conseil d'administration. Ne pas le voter, ce serait à la fois leur refuser ces garanties et leur interdire de devenir actionnaires de leur entreprise. Quand le Gouvernement précédent a ouvert le capital d'Air France, il n'a protégé que les pilotes. Au contraire nous permettons à tous les salariés, même modestes, de devenir actionnaires : c'est un grand progrès social, que vous refuseriez si vous mainteniez votre posture.

Enfin, si cette loi n'était pas votée, ou si la loi du 9 avril ne l'avait pas été, nous jetterions KLM dans les bras de Lufthansa ou de British Airways, qui seraient heureux de faire cette bonne opération à la place d'Air France ! Il faut bien mesurer les enjeux et les conséquences néfastes qu'aurait le rejet du projet.

Je vous remercie, Monsieur Le Guen, pour votre soutien et votre confiance. Vous avez souligné les préoccupations des filiales d'Air France. Je profite de cette occasion pour saluer la qualité du dialogue qui a permis d'aboutir à un premier protocole à la suite de la concertation entre les partenaires sociaux, afin que chacun trouve sa place dans le nouvel ensemble Air France-KLM.

Vous avez dit, Madame Saugues, que la compagnie Air France allait disparaître. Non ! Il y aura une société holding, et une filiale qui s'appelle Air France. Je peux donc vous rassurer. Vous avez fait d'autre part une description sociale apocalyptique, alors qu'en réalité cette loi et celle du 9 avril 2003 apportent un vrai progrès social, avec en même temps des perspectives de développement et d'investissement qui se profilent. Vous avez évoqué le troisième aéroport. Mais quand je suis arrivé au ministère, il n'y avait pas de projet de troisième aéroport ! (M. Jean-Pierre Blazy proteste) Qui plus est, il n'y avait pas de financement pour les infrastructures promises pendant cinq ans. C'est nous qui, au CIADT du 18 décembre 2003, avons annoncé les projets nouveaux d'infrastructures dont la France avait besoin, et prévu un système assez simple de financement, grâce aux dividendes des sociétés d'autoroutes. Vous nous aviez laissé une ardoise de 15 milliards d'euros, excusez du peu... (Protestations sur les bancs du groupe socialiste)

M. Bernard Accoyer - C'est une habitude socialiste !

M. le Ministre - Pour schématiser un peu votre raisonnement, Monsieur Lurel, vous dites que la desserte actuelle de l'outre-mer est inacceptable - et l'on peut en effet discuter du niveau des prix. Mais vous en concluez qu'il ne faut pas changer le statut d'Air France... Je ne comprends pas cette logique, puisque vous reconnaissez vous-même que le statut actuel d'Air France ne permet pas une desserte satisfaisante !

M. Victorin Lurel - Je dis qu'il faut que l'Etat réglemente davantage la concurrence !

M. le Ministre - Je ne peux vous laisser dite, Monsieur Dutoit, Madame Saugues, que la sécurité sera remise en cause du fait du changement de statut. Une telle allégation est grave. Imaginez que les clients d'Air France vous entendent et, considérant votre qualité d'élus, prennent au sérieux votre propos... Les entreprises françaises, que leur capital soit privé ou public, font l'objet de nombreux contrôles, dont les résultats sont toujours très satisfaisants.

La réduction des coûts est un objectif sain, et bénéfique au client, comme le souligne d'ailleurs M. Lurel, qui estime que les coûts d'Air France sont supérieurs de 50 % à ceux de Corsair. Il y a donc encore des efforts à faire. La maîtrise des coûts que recherche Air France depuis des années est un élément essentiel pour résister à la concurrence, et donc pour garantir l'emploi tout en améliorant l'offre.

Je répondrai, à propos de ses amendements, aux autres arguments de M. Lurel.

Je remercie M. Gantier pour la confiance qu'il a exprimée, et pour avoir souligné l'importance d'une véritable Europe du transport aérien. Le marché intracommunautaire est une réalité depuis le 1er janvier 2003, mais il reste du chemin à faire vis-à-vis des pays tiers. La situation évolue cependant. La négociation engagée avec les Etats-Unis, et pour laquelle les Etats membres ont donné mandat à Mme la commissaire européenne, contribuera à construire l'Europe des transports.

M. Proriol m'a interrogé sur le FIATA. Son budget pour 2003 était de 16 millions d'euros, celui de 2004 est de 28 millions : c'est un effort sans précédent, pour offrir du service public sur certaines dessertes. Le « hub » de Clermont-Ferrand est pérennisé, et Air France s'est engagée à maintenir des liaisons avec onze villes françaises et trois capitales européennes.

Le FIATA va évoluer pour améliorer l'attribution des aides. Un décret sera signé prochainement.

Enfin, l'accord avec KLM, Monsieur Beaugendre, ne remet nullement en cause la desserte de l'outre-mer. Je comprends que vous jugiez excessifs les coûts de ces dessertes, et je serai attentif aux conclusions de la mission que vous conduisez ; elles nous fourniront des éléments pour mieux travailler sur ce problème (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP).

Mme la Présidente - J'appelle maintenant les articles du projet de loi dans le texte du Gouvernement.

AVANT L'ARTICLE PREMIER

M. Victorin Lurel - Je souhaite pouvoir demander à la compagnie Air France l'accès à sa comptabilité analytique par réseau et par ligne. On a opposé à notre mission et à M. Beaugendre le secret commercial, apparemment plus rigoureux encore que le secret défense... Le président Ollier n'a d'ailleurs pas hésité à demander la création d'une commission d'enquête pour franchir cet obstacle. Dans le cas d'Air France et de Corsair, nous voulons connaître la formation des prix. M. de Courson peut bien nous dire que les prix n'ont rien à voir avec les coûts, il me semble cependant que les seconds peuvent conditionner la formation des premiers, et que la technique du « yield management », qui consiste à ne pas même fixer au coût marginal le prix des billets, permettait notamment à Air France de dégager des marges considérables. Je ne peux comprendre qu'un parlementaire chargé d'une mission d'information se voie interdire l'accès à la comptabilité analytique d'Air France. Ce qui est plus étonnant encore, Monsieur le ministre, c'est que vous-même ayez refusé de transmettre un rapport de la DGCCRF, qui fait état d'abus de position dominante. Il me semble que, pour le moins, le Conseil de la concurrence devrait être saisi.

La privatisation d'Air France causera des dommages collatéraux considérables à la desserte aérienne de l'outre-mer. Dès aujourd'hui, le quasi-monopole de la compagnie empêche toute diminution des prix. Le mastodonte qui naîtra demain de la fusion d'Air France et de KLM sera encore plus en position de force, et les difficultés que connaît déjà Air Caraïbes ne pourront qu'en être accentuées. Non réglementée, la concurrence ne fait pas baisser les prix. C'est pourquoi il faut savoir comment sont formés les prix, et il n'est pour cela de meilleur moyen que de solliciter d'Air France la remise de sa comptabilité analytique par réseau de ligne. Tel est l'objet de l'amendement 12.

M. le Rapporteur - Cet amendement est inconstitutionnel : on ne peut subordonner l'entrée en vigueur de la loi à la remise par Air France de sa comptabilité analytique ! Par ailleurs, quand bien même Air France la remettrait au ministre, il serait bien difficile d'en tirer quelque interprétation - je parle en tant qu'ancien magistrat de la Cour des comptes, qui a eu notamment à examiner les comptes de cette entreprise...

M. Victorin Lurel - L'article 6 de la loi du 9 avril 2003 a abrogé l'article du code de l'aviation civile qui permettait d'imposer des obligations de service public à Air France. L'amendement 13 vise à réintroduire cette possibilité dans le cadre de la réglementation européenne, laquelle prévoit notamment qu'un Etat peut imposer des obligations de service public vers des aéroports périphériques ou des zones de développement « si ces liaisons sont considérées comme vitales pour le développement économique, dans le cas où le seul intérêt commercial des transporteurs ne les pousserait pas à assurer un service adéquat. » C'est bien le cas outre-mer, où la continuité territoriale n'est pas effectivement garantie aujourd'hui. Est-il normal que nos compatriotes d'outre-mer doivent débourser jusqu'à 20 000 F pour se rendre en métropole ? Si elle n'est pas encadrée, la concurrence ne fait pas baisser les prix. Et le seul moyen de l'encadrer est d'imposer aux compagnies des obligations de service public. Il s'agit en l'espèce de permettre à nos compatriotes d'outre-mer résidant outre-mer comme à ceux résidant en métropole de voyager à un prix raisonnable. La fusion d'Air France avec KLM aboutira certes à la constitution d'un bel outil industriel, mais elle desservira l'outre-mer, car elle renforcera le monopole de sa desserte aérienne.

M. le Rapporteur - Cet amendement est inutile. En effet, le projet ne remet absolument pas en question les obligations de service public, dont la réglementation communautaire garantit d'ailleurs le respect tout en faisant jouer la concurrence, par le biais des délégations de service public.

M. le Ministre - Il est un point sur lequel je suis d'accord avec vous, Monsieur Lurel : la fusion d'Air France et de KLM donnera « un bel outil ». Pour le reste, plus une entreprise est performante, plus elle est en mesure de proposer des prix bas. La fusion entre Air France et KLM ne renforcerait le monopole que si KLM desservait aujourd'hui les Antilles, ce qui n'est pas le cas. Quant aux obligations de service public, régies par le droit communautaire, elles ne s'imposent pas à une compagnie, mais à une ligne. Les compagnies sont libres de répondre ou non à ces obligations. La mise en place - prévue - d'un observatoire est de nature à apporter toute la transparence souhaitée dans l'amendement 12.

La desserte aérienne de l'outre-mer est essentielle, j'en conviens avec vous, mais il n'appartient pas à la loi d'imposer la concertation nécessaire. Au reste, pourquoi limiter celle-ci à Air France ? Quand bien même il serait adopté, l'amendement 13 ne répondrait donc pas à votre souci légitime.

M. Philippe Edmond-Mariette - J'aurais souhaité sous-amender l'amendement 13 en ajoutant après les mots « services aériens réguliers intracommunautaires » les mots « notamment avec l'outre-mer », et en remplaçant « est organisée préalablement » par « sera rendue obligatoire, le cas échéant, préalablement ».

Mme la Présidente - Il aurait fallu déposer ce sous-amendement par écrit. Il modifie complètement l'amendement et le dispositif en est trop complexe pour que nous puissions l'examiner à brûle-pourpoint.

M. Victorin Lurel - C'est sous le monopole d'Etat que les prix étaient les plus raisonnables, et c'est au contraire depuis que tout a été dérégulé que les prix ont explosé. Air France, de par sa puissance mais aussi, il faut l'avouer, grâce à la qualité de ses prestations, a déjà étouffé toute concurrence, et sa privatisation renforcera son monopole de fait. Je vous donne rendez-vous, Monsieur le ministre, dans quelque temps pour dresser le bilan.

L'amendement 13, mis aux voix, n'est pas adopté, non plus que l'amendement 12.

Mme Odile Saugues - L'amendement 14 vise à permettre une intervention de l'Etat lorsque des intérêts nationaux sont en jeu ou lorsque le bon accomplissement des missions d'intérêt général l'exige. Il s'agit d'équilibrer le mécanisme de « golden share » introduit par le gouvernement néerlandais, et qui lui permet de reprendre si besoin est le contrôle de KLM. 

M. le Rapporteur - Cet amendement n'a pas été examiné par la commission ; je donnerai donc mon avis à titre personnel. La loi du 9 avril 2003 compte déjà un mécanisme protecteur, analogue à celui des « golden shares ». Quant à l'argument du parallélisme entre Air France et KLM, il est nul et non avenu, car le pourcentage du capital de KLM qui est détenu par l'Etat néerlandais est tout à fait mineur. C'est justement pourquoi d'ailleurs, il y a une « golden share », mais celle-ci est limitée à trois ans, renouvelable trois fois un an. Au bout de six ans, au maximum, elle disparaîtra donc.

M. le Ministre - Même avis.

L'amendement 14, mis aux voix, n'est pas adopté.

ARTICLE PREMIER

M. le Rapporteur - L'amendement 1 affine la définition des holdings pouvant bénéficier de la procédure de cession forcée de titres, en précisant que la détention du capital d'une filiale par une holding peut être soit directe, soit indirecte.

M. le Ministre - Le Gouvernement est favorable à cet amendement, qui précise bien le champ d'application de la procédure de cession forcée.

L'amendement 1, mis aux voix, est adopté.

M. le Rapporteur - Le 2 est de conséquence.

L'amendement 2, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté, de même que l'article premier, ainsi modifié.

ART. 2

M. Frédéric Dutoit - L'amendement 8 vise, ainsi que d'autres qui seront présentés aux articles suivants, à lever l'ambiguïté née d'une contradiction entre l'exposé des motifs et la lettre du projet, ambiguïté qui nourrit nombre d'inquiétudes chez les 70 000 salariés du groupe Air France.

Il est en effet écrit dans l'exposé des motifs que « le groupe Air France- KLM issu du rapprochement entre les deux compagnies sera composé d'une société holding cotée en bourse, l'actuelle société Air France, et de deux filiales compagnies aériennes, KLM et une société de droit français à laquelle sera apporté l'ensemble des activités et du personnel de l'actuelle société Air France. »

Mais on trouve dans le projet le membre de phrase suivant : « en cas d'opération donnant lieu à l'apport de tout ou partie de l'actif de la société Air France à une autre société, titulaire d'une licence d'exploitation de transporteur aérien. »

D'un côté, donc, « l'ensemble » des activités et du personnel, de l'autre « tout ou partie » de l'actif d'Air France, ce qui n'est pas la même chose. Que faut-il en conclure ? Doit-on comprendre que des pans entiers de l'actuelle société Air France - par exemple l'informatique, le fret ou la maintenance - resteraient à l'extérieur de la nouvelle société via la création de filiales ou le recours à des sous-traitants ? Les salariés de ces éventuelles sociétés filiales ou sous-traitantes perdraient-ils le bénéfice des « droits Air France » ?

Les interrogations que suscite cette ambiguïté du texte ont été renforcées par les déclarations du rapporteur qui a déclaré, en commission, qu'il s'agit « d'éviter d'être amené à légiférer une troisième fois si Air France, filialisée, devait par la suite se sous-filialiser » Cette référence à une éventuelle sous-filialisation a fait l'effet d'une bombe ! Il n'est pas possible de jouer ainsi avec les mots... et avec les nerfs de 70 000 salariés. Nos amendements vous invitent, Monsieur le ministre, à clarifier les choses.

M. le Rapporteur - Si votre amendement, qui n'a pas été examiné par la commission, était adopté, nous aurions une société holding qui possèderait 100 % de la filiale Air France, laquelle possèderait une très forte majorité de KLM, ce qui serait bien évidemment contraire à l'accord passé entre les deux compagnies. Votre amendement annulerait en fait l'accord.

La vraie question n'est pas celle-ci, mais celle du statut de la future holding : sera-t-elle purement financière ou pourra-t-elle avoir d'autres activités ? Dans le schéma actuel, elle est simplement financière, mais le texte n'interdirait pas, comme je l'ai indiqué en commission, d'aller vers une autre organisation si les responsables KLM et Air France le souhaitaient. Mais ce n'est pas ce qui a été signé dans l'accord.

J'ajoute qu'il faut maintenir les actifs financiers dans la holding, raison supplémentaire de ne pas voter votre amendement.

M. le Ministre - Je suis tout à fait en accord avec ce que vient de dire M. de Courson. Si vous substituez aux mots « tout ou partie » les mots « l'ensemble », c'est tout KLM qui devient filiale de la filiale, c'est-à-dire une sous-filiale. Ce n'est évidemment pas ce qui figure dans l'accord.

L'expression utilisée n'est qu'une traduction littérale du support juridique - l'article L. 236-22 du code du commerce - qui servira pour opérer le transfert de l'ensemble des actifs et des passifs de l'actuelle société Air France à la nouvelle société opérationnelle. Air France s'y est engagée, afin de mettre en place la structure de gouvernance du nouveau groupe. L'amendement, s'il était adopté, ne permettrait pas de mettre en place la gouvernance retenue dans le cadre des accords avec KLM.

L'amendement 8, mis aux voix, n'est pas adopté.

L'article 2, mis aux voix, est adopté.

ART. 3

M. le Rapporteur - Le 3 est un amendement de simplification rédactionnelle.

M. le Ministre - Tout ce qui simplifie sans dénaturer recueille l'avis favorable du Gouvernement.

L'amendement 3, mis aux voix, est adopté.

M. Frédéric Dutoit - L'amendement 9 est défendu.

L'amendement 9, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Jean-Pierre Blazy - Puisque les salariés d'Air France vont à terme perdre le bénéfice de leur statut particulier, il serait inéquitable que, pendant les deux ans prévus pour négocier les nouveaux textes contractuels, ils soient également privés des rares dispositions plus favorables prévues dans la convention collective nationale de branche et déjà applicables dans les autres entreprises du secteur. Tel est le sens de notre amendement 17.

M. le Rapporteur - Avis personnel défavorable, car un amendement semblable a déjà été rejeté il y a un an...

M. Jean-Pierre Blazy - La majorité aurait pu évoluer sur ce sujet...

M. le Rapporteur - ...et surtout parce que la convention collective de branche, par définition, ne s'applique actuellement pas à Air France, entreprise sous statut. Ledit statut sera remplacé au bout de deux ans par une convention collective d'entreprise, qui sera évidemment plus favorable que la convention collective de branche. Faites donc confiance aux partenaires sociaux !

M. le Ministre - Même avis.

L'amendement 17, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. le Rapporteur - L'amendement 4 est de conséquence.

M. le Ministre - Avis favorable.

Mme Odile Saugues - Le sous-amendement 15 rectifié vise à donner plus de temps aux représentants des salariés pour négocier leur statut, soit six ans au lieu de deux.

M. le Rapporteur - Cet amendement n'a pas été examiné par la commission. A titre personnel, je n'y suis pas favorable. Faudrait-il le temps d'un mandat de sénateur pour cette négociation ? (Sourires) Si les partenaires sociaux n'ont pas de résultats en six ans, ils n'en auront jamais ! L'an dernier, je vous ai présenté un amendement permettant de commencer tout de suite les négociations sociales, et c'est sur cette base qu'un accord relatif à la méthode de négociation a été adopté par plusieurs syndicats en janvier dernier. Les choses paraissent donc en bonne voie, et je propose de repousser cet amendement.

M. le Ministre - Le délai de deux ans est déjà supérieur au droit commun qui s'applique lorsqu'un accord est dénoncé. Par ailleurs, prévoir six ans est une nouvelle marque de défiance à l'égard des partenaires sociaux. Enfin, je vous rappelle que c'est dans les périodes d'incertitude que les salariés sont le plus mal à l'aise ; il serait cruel de prolonger cette période sans raison.

Le sous-amendement 15 rectifié, mis aux voix, n'est pas adopté.

L'amendement 4, mis aux voix, est adopté.

M. le Rapporteur - L'amendement 5 est de précision.

L'amendement 5, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté, de même que l'article 3, ainsi modifié.

APRÈS L'ART. 3

M. le Rapporteur - L'amendement 6 rectifié est très important, et fait suite à de longues discussions avec les représentants du personnel navigant commercial et des syndicats.

En l'état actuel du droit, le passage d'un régime statutaire à une convention collective de droit commun supprimerait la limite d'âge d'activité du personnel navigant commercial, qui est actuellement fixée à 55 ans. Cette limite n'est d'ailleurs pas la même partout en Europe : elle peut être, par exemple, de 56 ou 58 ans. L'amendement 6 vous propose de fixer une limite d'âge d'activité par décret. Cela ne veut pas dire que le personnel doive prendre sa retraite à cet âge, même si environ 90 % le font - les autres choisissant de continuer leur carrière dans une autre activité.

Le deuxième objet de l'amendement est de régler un problème d'interprétation jurisprudentielle concernant l'indemnisation des personnes qui partent à 55 ans. Certains tribunaux considéraient leur départ comme un licenciement et d'autres comme une cessation d'activité. L'amendement, pour clarifier les choses, fixe donc le montant de l'indemnité de départ, sachant toutefois qu'il ne s'agit que de l'indemnité minimale, qui représente environ un dixième de l'indemnité conventionnelle.

M. le Ministre - Cet amendement permet de garantir la continuité du statut pour le personnel de cabine. Le Gouvernement y est donc très favorable. Le décret sera pris dès la promulgation de la loi, et je remercie M. de Courson d'avoir déposé cet amendement.

M. Frédéric Dutoit - Après trente-cinq ans d'activité dans un avion, les hôtesses et stewards conservent-ils les mêmes réflexes ? Force est de répondre que non, et la sécurité aérienne n'aurait rien à gagner à un passage au dispositif général issu de la loi Fillon, qui ferait augmenter de façon significative l'âge moyen du personnel navigant. Notre sous-amendement 7 précise donc que le personnel navigant ne peut exercer aucune activité de pilote, copilote ou de membre du personnel de cabine au-delà de 60 ans pour la section A et de 55 ans pour la section D du registre prévu à l'article L. 421-3 du code de l'aviation civile. Cela ne signifie nullement que la vie professionnelle de ces salariés doive s'achever brutalement : ils ont droit, en effet, à une formation et à un reclassement dans un emploi au sol.

Les dispositions du code ne visent aujourd'hui que le personnel de la section A. L'amendement de la commission y intègre des dispositions relatives à la section D, mais il ne fait pas pourtant l'unanimité, car il renvoie à un décret pour fixer la limite d'âge ; de même que le code des pensions civiles et militaires contient des dispositions législatives relatives aux limites d'âge, le législateur doit prendre toutes ses responsabilités. Le sous-amendement 7 tend donc à ce que l'âge limite soit déterminé par la loi, au terme d'un débat démocratique, et non dans le secret des cabinets ministériels.

M. le Rapporteur - Avis défavorable. Si les limites d'âge de départ à la retraite sont du domaine législatif, les limites d'âge d'activité appartiennent au domaine réglementaire. J'ai donc proposé de renvoyer la limite d'âge d'activité du personnel navigant commercial à un décret. Je n'ai cependant pas proposé de faire de même pour le personnel navigant technique car la situation est très complexe, et les limites diffèrent selon les pays - ce qui crée d'ailleurs une situation extravagante : un avion ne peut survoler la France, où la limite est fixée à 60 ans, si son pilote a plus de 60 ans.

Mme Odile Saugues - Ce n'est pas contrôlé !

M. le Rapporteur - Cela pourrait l'être...

Des négociations sont donc en cours. Les salariés qui sont issus de l'Ecole nationale de l'aviation civile commencent leur carrière aux alentours de 25 ans. A 60 ans, ils n'ont pas une retraite pleine. Une partie du personnel navigant technique demande donc de relever cette limite, mais les syndicats préfèrent la laisser inchangée, dans l'attente de l'aboutissement de la réflexion qui a lieu au sein de l'OACI. Je pense, moi aussi, qu'il est trop tôt pour statuer sur la question. J'ajoute qu'un gouvernement, quel qu'il soit, pourrait parfaitement demander l'application de l'article 37 de la Constitution et rapatrier cette disposition dans le domaine réglementaire.

M. le Ministre - Avis défavorable au sous-amendement. Fixer l'âge limite d'activité en cabine par décret plutôt que par la loi facilitera la dialogue social.

Le sous-amendement 7, mis aux voix, n'est pas adopté.

L'amendement 6 rectifié, mis aux voix, est adopté.

Les articles 4 et 5, successivement mis aux voix, sont adoptés.

APRÈS L'ART. 5

Mme Odile Saugues - L'amendement 19 vise à préserver les obligations de service public d'Air France, au premier rang desquelles la desserte de l'ensemble du territoire dans des conditions de tarif et de sécurité équitables pour tous les usagers. L'amendement prévoit également l'évaluation régulière du respect de ce principe.

M. le Rapporteur - Cet amendement n'a pas été examiné par la commission. A titre personnel, j'y suis défavorable. Son premier alinéa est en effet contraire à la réglementation communautaire : l'Etat peut prévoir, par convention, de demander aux transporteurs aériens de remplir certaines missions d'intérêt général. Le FIATA, en outre, n'est aucunement remis en cause par ce texte. Enfin, l'évaluation annuelle proposée relève du Parlement et notamment des rapporteurs spéciaux pour l'aviation civile et pour l'aménagement du territoire.

M. le Ministre - L'amendement est en effet contraire au droit communautaire, qui pose en principe général le libre accès des transporteurs communautaires aux liaisons intra-communautaires. D'autre part, l'établissement de dessertes dans un souci d'aménagement du territoire relève de l'initiative des collectivités locales, l'Etat pouvant participer à leur financement dans la limite du budget voté pour le FIATA.

L'amendement 19, mis aux voix, n'est pas adopté.

Mme Odile Saugues - Par l'amendement 20, nous demandons que le Gouvernement remette au Parlement un rapport sur la place des « hubs » dans la politique d'aménagement du territoire, cela en vue d'examiner la possibilité d'accorder un soutien aux lignes régionales transitant par ces « hubs ».

Mme la Présidente - Ne pourrait-on employer un mot français à la place de « hubs » ?

M. Jean-Pierre Blazy - Moyeux ! (Sourires)

M. le Rapporteur - Passons sur cet anglicisme pour aller au fond : ce serait un rapport de plus, et un rapport inutile puisque les rapporteurs spéciaux ont toute faculté de se pencher sur cette question. D'autre part, cet amendement s'apparente à un cavalier législatif tant son rapport avec le projet est ténu. Quels peuvent bien être d'ailleurs les « effets collatéraux » de la privatisation d'Air France sur les hubs, sachant que l'accord passé avec KLM prévoit le maintien pendant au moins plusieurs années des implantations à Schiphol et à Roissy-Orly.

M. le Ministre - Cet amendement concerne en fait la « plate-forme de correspondances » de Clermont-Ferrand, pour le dire tout net et en bon français...

Mme Odile Saugues - Pas seulement celle de Clermont-Ferrand !

M. le Ministre - Je vous indique donc que le budget du FIATA a été porté de 16 à 28 millions d'euros en 2004 : cette progression est sans commune mesure avec celles qui avaient été observées auparavant ! Par ailleurs, le groupe Air France a été exemplaire sur ce dossier : avec sa filiale régionale CAE, il a lancé voici près de deux ans une vaste concertation avec le Puy-de-Dôme, avec la région Auvergne, avec les élus de Clermont-Ferrand et avec le représentant de l'Etat et, en février dernier, il s'est engagé à pérenniser seize liaisons avec de grandes villes françaises et trois avec des villes européennes. Il a pris en outre des mesures en faveur des usagers, créé une liaison quotidienne supplémentaire avec Paris et s'est engagé à maintenir à Clermont le centre de maintenance régional de la CAE. Avis défavorable par conséquent, d'autant qu'il s'agit en effet d'un cavalier.

Mme Odile Saugues - L'amendement vous aura au moins permis de nous rassurer sur l'avenir du « hub » clermontois, car les craintes étaient réelles ! (Interruptions sur les bancs du groupe UMP)

L'amendement 20 mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Jean-Pierre Blazy - Si, comme je l'ai dit tout à l'heure, Air France apparaît comme un « bon élève » puisque l'âge moyen de sa flotte est de 8,3 ans, il faut l'encourager à acheter des appareils plus modernes, plus sûrs et moins bruyants. Par l'amendement 21, nous proposons donc d'inscrire dans la loi que « les sociétés de transport aérien ne peuvent utiliser des aéronefs de plus de dix ans ». On sait en effet que les privatisations n'incitent guère au renouvellement des appareils !

M. le Rapporteur - Cet amendement m'a beaucoup inquiété et j'ai donc appelé Air France pour demander combien de ses 245 appareils avaient plus de dix ans. La réponse est : 118 ! Si nous adoptions cette disposition, il faudrait déclasser près de la moitié de la flotte. Vous voulez tuer la compagnie ! Je suis scandalisé par cet amendement, qui ne pourrait que conduire à des licenciements et qui est donc anti-social en plus d'être anti-économique ! (Rires sur les bancs du groupe UMP) Par ailleurs, techniquement, il ne se justifie pas : un avion bien entretenu peut voler pendant 25 ans. Cette proposition m'étonne beaucoup de votre part... (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. le Ministre - M. Blazy sait fort bien que toutes les compagnies aériennes ont une majorité d'avions vieux de plus de dix ans. Veut-il donc tuer la seule compagnie qui nous reste après le désastre d'Air-Lib ?

M. Jean-Pierre Blazy - Épargnez-nous ces caricatures ! Je conçois que cette proposition soit difficile à appliquer pour des raisons économiques, mais nous ne pouvons pas ne pas poser les questions de sécurité et de nuisances.

L'amendement 21, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Jean-Pierre Blazy - On va m'opposer que l'amendement 22 aussi est un cavalier, mais je me sens obligé de revenir à la charge après avoir essuyé un échec auprès du précédent gouvernement - vous voyez que je suis objectif ! La fusion entre UTA et Air France a été autorisée en 1992, et donc sous une autre majorité, certes, mais, saisi par les ex-salariés de la première compagnie, qui ont été indéniablement lésés, j'estimerais utile d'ajouter à la loi l'article suivant :

« A compter de la date du transfert au secteur privé de la majorité du capital de la société Air France, des négociations seront engagées par celle-ci afin de régler le contentieux né de la fusion UTA/Air France afin d'indemniser les ex-salariés d'UTA par une distribution d'actions. »

Il ne serait en effet que temps de solder ce différend.

M. le Rapporteur - La commission n'a pas examiné l'amendement mais je ne puis qu'observer qu'il porte atteinte à la séparation des pouvoirs. Des décisions du juge judiciaire sont intervenues, et vous ne pouvez aller ainsi contre l'autorité de la chose jugée ! Je m'étonne qu'un homme aussi respectueux de la magistrature et qui a récemment reproché à certains de critiquer des décisions de justice se risque à les imiter ! Et par la voie d'un amendement, ce qui est encore plus grave...

Comme vous l'avez vous-même rappelé, vos propres amis politiques ne vous ont pas suivi par le passé. Je ne vous ai pas davantage suivi en 2003. Je ne doute donc pas du vote unanime de l'Assemblée, contre cette proposition !

M. le Ministre - On ne peut en effet aller contre l'autorité de la chose jugée. Les tribunaux - y compris la Cour de cassation - ont donné raison à Air France, ne rouvrons pas ce dossier, d'autant que l'amendement n'a aucun lien avec le projet.

M. Jean-Pierre Blazy - Vous caricaturez une fois de plus et votre objection est un peu facile. Des salariés ont été lésés et la justice sociale commanderait de mettre à profit la privatisation d'Air France pour réparer leur préjudice.

L'amendement 22, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Joël Beaugendre - L'amendement 23 va dans le même sens que plusieurs amendements précédents. Il nous paraît que les filiales d'Air France doivent être soumises aux mêmes obligations de service public que la société-mère. Cependant, si le ministre apaise nos craintes, je retirerai l'amendement.

M. le Rapporteur - La commission ne l'a pas examiné, mais j'y suis personnellement défavorable (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) parce qu'il est satisfait par le droit communautaire !

M. le Ministre - Les obligations de service public s'imposent, bien sûr, aux transporteurs qui opèrent sur les lignes concernées, qu'il s'agisse d'Air France, de ses filiales ou d'autres compagnies. En revanche, il est certain qu'il faut poursuivre le travail, s'agissant de la desserte de l'outre-mer. Ce qui a été fait pour garantir la continuité territoriale est un grand progrès mais, dans le cadre de votre mission, Monsieur Beaugendre, vous avez avancé des propositions intéressantes, auxquelles il devrait être possible de donner suite : je pense en particulier à la création d'un observatoire.

M. Victorin Lurel - Je voudrais soutenir M. Beaugendre, dont vous réduisez les propositions à la simple création d'un observatoire qui ne changera rien ! Il n'est que de se souvenir de la loi Pons de 1986 portant création d'un observatoire des prix aériens et maritimes pour s'en persuader !

M. Joël Beaugendre - Je retire mon amendement.

M.Philippe Edmond-Mariette - Je le reprends, et je rappelle à M. le Ministre que si j'ai eu un jour la chance de voyager à ses côtés, c'est parce que le vol régulier au départ de Fort-de-France était en panne ! Nous avons en effet sur les lignes d'outre-mer les plus vieux avions d'Air France.

M. Victorin Lurel - C'est vrai !

M.Philippe Edmond-Mariette - Par ailleurs, la concurrence, pour l'outre mer, aboutira au contraire de ce que vous escomptez, du fait du quasi-monopole d'Air France. Les moyens dont disposera l'Observatoire seront inopérants, alors que nous avons aujourd'hui le pouvoir de faire respecter la parole du Président de la République qui souhaitait, il y a encore vingt-quatre heures, en recevant les préfets, qu'il y ait davantage de cohésion sociale et de justice.

Je suis persuadé que la nouvelle compagnie qui prendra place demain nous imposera des prix contre lesquels la bonne volonté de M. de Robien ne pourra rien.

M. le Ministre - Je ne puis laisser dire que je retiens une seule des propositions de M. Beaugendre : je viens au contraire d'affirmer que le Gouvernement donnerait suite à plusieurs d'entre elles, l'Observatoire n'étant qu'une parmi d'autres.

M. Joël Beaugendre - Je voulais être rassuré sur le respect des obligations de service public. J'ai obtenu satisfaction.

M. le Ministre - Très bien !

L'amendement 23, mis aux voix, n'est pas adopté.

EXPLICATIONS DE VOTE

M. Frédéric Dutoit - Je relève que ce gouvernement continue à appliquer avec dogmatisme des principes qui ne devraient plus avoir cours ! Rien ne dit que la concurrence permet de baisser les prix, au contraire ! Il aurait fallu agir pour une tarification qui aille dans le sens de la solidarité nationale et assure l'égalité des droits.

L'Europe ne sera jamais l'Europe des peuples si ses seuls critères sont ceux du marché et de la concurrence. Nous avons besoin d'une Europe de la solidarité, du social, de la culture, de la fraternité. Celle que vous nous proposez est une Europe de la division !

MM. Victorin Lurel et Philippe Edmond-Mariette - Très bien !

Mme Odile Saugues - La privatisation n'apportera rien, ni aux salariés, ni aux clients, ni à l'outre-mer. Mais hélas, notre inquiétude n'a rencontré, de la part du Gouvernement, et de la majorité, qu'incompréhension et ricanements. Nous confirmons notre vote négatif (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. le Rapporteur - Je ne peux laisser dire que la concurrence entraînerait la hausse des prix ! Ce sont, chacun le sait, les situations de monopole ou d'oligopole qui provoquent la hausse des prix, et le projet de loi, au demeurant, n'a rien à voir avec cette question. Air France est une entreprise publique depuis 1935. Son statut a-t-il eu un effet sur les tarifs !

M. Victorin Lurel - Ils étaient plus bas quand l'Etat intervenait !

M. le Rapporteur - J'appelle l'ensemble de mes collègues à approuver ce projet, dans l'intérêt des salariés, comme dans celui de notre pays et de l'Europe.

M. Gilbert Gantier - L'UDF votera ce texte, indispensable pour offrir un cadre juridique cohérent à la nouvelle compagnie. Le transport aérien français pourra ainsi se développer et acquérir une dimension mondiale.

L'ensemble du projet de loi, mis aux voix, est adopté.

M. le Ministre - Je voudrais vous remercier, Madame la Présidente, pour votre maîtrise du débat, et les députés de la majorité pour leur soutien. Quant à l'opposition, je lui donne rendez-vous dans quelques mois, ou dans quelques années pour faire le bilan. Nous avons déjà sauvé Air France une première fois, en 1994, ce qui a permis à la gauche de vendre une bonne partie du capital, quelques années plus tard (Protestations sur les bancs du groupe socialiste). Aujourd'hui, il s'agit de protéger le personnel, de lui donner une perspective, de protéger aussi les droits de trafic, et le pavillon français. Ce faisant, la majorité a bien agi, et l'opposition commis une grave erreur (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Prochaine séance, ce soir, à 21 heures 30.

La séance est levée ce jeudi 29 avril à 1 heure 15.

              Le Directeur du service
              des comptes rendus analytiques,

              François GEORGE

ORDRE DU JOUR
DU JEUDI 29 AVRIL 2004

A VINGT ET UNE HEURES TRENTE : SEANCE PUBLIQUE

Discussion, en deuxième lecture, du projet de loi (n° 762) relatif à la protection des personnes physiques à l'égard des traitements de données à caractère personnel et modifiant la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés.

M. Francis DELATTRE, rapporteur au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. (Rapport n° 1537.)


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