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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2003-2004 - 85ème jour de séance, 211ème séance

1ère SÉANCE DU JEUDI 6 MAI 2004

PRÉSIDENCE de M. Rudy SALLES

vice-président

Sommaire

      CONFIANCE DANS L'ÉCONOMIE NUMÉRIQUE (CMP) 2

      EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ 7

      SOLIDARITÉ POUR L'AUTONOMIE
      DES PERSONNES ÂGÉES
      ET DES PERSONNES HANDICAPÉES (suite) 15

      ART. 2 16

      ERRATUM 23

La séance est ouverte à neuf heures trente.

CONFIANCE DANS L'ÉCONOMIE NUMÉRIQUE (CMP)

L'ordre du jour appelle la discussion du texte de la CMP sur les dispositions restant en discussion du projet de loi pour la confiance dans l'économie numérique.

M. Jean Dionis du Séjour, rapporteur de la commission mixte paritaire - Le long parcours - près de dix-huit mois - de l'examen du projet pour la confiance dans l'économie numérique s'achèvera donc probablement par un vote sur texte commun au mois de mai.

Il convient de saluer l'ampleur du travail parlementaire et gouvernemental accompli. Le passage par le Parlement, en effet, est loin de n'avoir été qu'une simple formalité : le texte en ressort enrichi et amélioré au point d'être non plus la simple transposition d'une directive européenne, mais la première loi significative de l'internet français. Ne boudons pas notre fierté de législateur : le Parlement est assez souvent taxé de « chambre d'enregistrement » ou de « théâtre d'ombres ». Nous avons montré que tout est affaire de volonté.

Les travaux en commission des affaires économiques ont été nourris et tous nos collègues ont manifesté leur volonté d'aboutir en formulant des critiques constructives et des propositions nouvelles.

C'est le président de la commission, M. Patrick Ollier, qui a permis cet authentique moment de vie parlementaire, lui et lui seul qui a su trouver les bons ingrédients pour concilier autonomie du Parlement, solidarité gouvernementale et prise en compte des propositions constructives de l'opposition. Député UDF, j'ai été heureux de faire partie de la recette du chef (Sourires) et je suis fier d'avoir pu contribuer, avec beaucoup d'autres, à ce travail législatif.

Patrick Ollier m'a soutenu et conseillé ; la loi n'aurait pas été la même sans lui. Elle porte sa signature politique et son talent est tel que je suggère à Alain Juppé et François Bayrou de lui confier comme mission spéciale de s'occuper des relations entre l'UMP et l'UDF (Sourires). Je le remercie. Grâce à lui, la commission des affaires économiques se développe tant qu'elle ressemble un peu à une commission sénatoriale américaine, comme on commence à s'en aviser dans les couloirs de l'Assemblée.

M. Patrick Ollier, président de la CMP - Je vous remercie.

M. le Rapporteur - En ce qui concerne la loi pour la confiance dans l'économie numérique, les administrateurs de la commission - qu'il me soit permis de citer en particulier Eric Szij et Frédéric Brédillot - ont été de toutes les batailles et font honneur à cette maison.

Nous reconnaissons volontiers que le concours, en première lecture, de la commission des lois et de sa rapporteure pour avis, Mme Michèle Tabarot, a été précieux, s'agissant notamment des dispositions complexes de droit civil et de droit pénal.

Le dialogue avec nos collègues du Sénat et surtout avec les deux rapporteurs de la commission des affaires économiques, MM. Hérisson et Sido, que je salue, a été toujours stimulant et fructueux. Les sénateurs ont su jouer un véritable rôle de médiateurs lorsqu'il y avait un peu trop d'électricité dans l'air entre l'Assemblée nationale et le Gouvernement.

Le Gouvernement, Mme Fontaine, vous-même, Monsieur Devedjian, avez su manifester un esprit d'ouverture face aux apports des députés. Le Gouvernement, dans le cadre du plan Réso 2007, sait où il veut aller. Il a laissé pleinement le Parlement jouer son rôle constitutionnel : merci pour ce retour aux sources, et que cet exemple en inspire beaucoup d'autres !

Enfin, ce texte a été également enrichi grâce aux professionnels concernés et aux internautes qui ont su faire entendre leur point de vue. Finalement, ce projet est plus politique, moins technique que nous ne le pensions au début de nos travaux. L'internet est en effet devenu un outil pour plus de 10 millions de Français. Nous avons passé de longues heures à auditionner chacun des acteurs. La loi a fait l'objet de polémiques et c'est tant mieux.

J'ai quant à moi essayé de répondre présent dans ce dialogue avec la société civile, notamment en répondant à de très nombreux courriels.

Nous avons ainsi répondu à l'objectif qui était de favoriser le développement d'internet en le replaçant dans le cadre du droit commun, en définissant des règles spécifiques uniquement pour répondre à des problèmes spécifiques.

Ce texte sera un bon outil pour renforcer la confiance dans l'économie numérique, et particulièrement dans le commerce en ligne qui sera l'un des moteurs de la croissance dans les années à venir.

Si cette loi, qualifiée par certains de « fourre-tout », intervient dans de si nombreux domaines, c'est que nous avions pris beaucoup de retard législatif.

M. Patrice Martin-Lalande - Oh oui !

M. le Rapporteur - Ce texte comporte sept avancées.

Tout d'abord, il met en place une véritable autonomie juridique de l'internet, dont la spécificité est reconnue.

Un régime équilibré de responsabilité est ensuite instauré pour les prestataires techniques. A cet égard, un accord est intervenu pour faire disparaître l'obligation de moyens d'un effort technologique de surveillance et lui substituer une obligation de résultats. Je regrette que les professionnels français du secteur aient refusé de participer à l'effort technologique, alors que ce qui était exigé n'était pas excessif. Il était très exagéré de la part de l'Association des fournisseurs d'accès à internet d'évoquer la nécessité de 30 000 emplois pour mettre en place ces technologies et je regrette que cette association ait mis beaucoup de temps à adopter un comportement citoyen dans ce débat alors que les efforts de tous sont nécessaires pour s'opposer à la progression des contenus pédophiles et racistes sur le Web. Parions néanmoins qu'à l'issue de ce débat, chacun se retroussera les manches. L'honneur du Parlement aura été de ne pas se voiler les yeux.

D'autres avancées fondamentales de ce texte concernent la responsabilité du commerçant en ligne pour la totalité de sa prestation, qui était indispensable pour instaurer un climat de confiance, la possibilité pour les collectivités locales d'investir dans des services de télécommunication à haut débit et la lutte anti-spam. Enfin, la protection des utilisateurs de téléphones mobiles, et particulièrement des plus défavorisés d'entre eux, qui se servent de cartes prépayées pour ne pas assumer d'abonnement de téléphonie fixe, est accrue, avec la facturation à la seconde de ces cartes - les 15 millions d'utilisateurs apprécieront certainement - et l'obligation est faite aux services sociaux d'offrir des services en ligne gratuits, tant en téléphonie fixe que mobile, grâce à un amendement de M. Simon.

A la fin de cette session, le Gouvernement aura fait adopter la loi de confiance en l'économie numérique et la loi sur les communications électroniques. Il aura ainsi réalisé, à mi-mandat, les deux tiers du plan RESO 2007 lancé par Jean-Pierre Raffarin le 12 novembre 2002. La France disposera de la sorte de textes organisant de façon moderne d'une part les relations entre le grand public et les professionnels et d'autre part la concurrence entre les professionnels des télécoms. De quoi faire pâlir d'envie nos collègues socialistes, naguère enlisés dans les sables mouvants de la loi sur la société d'information.

M. le Président - Veuillez conclure, Monsieur le rapporteur...

M. le Rapporteur - Il ne faut pas s'arrêter en si bon chemin. Le taux d'équipement en ordinateurs de notre pays est un des plus bas d'Europe : à peine 40 % des foyers, contre 50 % dans de nombreux pays industrialisés et 65 % en Suède ou aux Etats-Unis. Conformément à l'engagement du Président de la République, le Gouvernement devait étudier des mesures fiscales pour permettre aux plus modestes de s'équiper. A ma connaissance, rien n'a vraiment démarré. Ce pourrait être pour vous, Monsieur le ministre, qui avez conclu avec autorité le travail de votre prédécesseur, une excellente feuille de route. Le Parlement a fait preuve de sa mobilisation et de son efficacité avec les lois sur l'économie numérique et les communications électroniques. Je suis sûr qu'il sera à vos côtés pour terminer un travail aussi bien amorcé (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Président de la CMP - Arrivant, après 18 mois de travail, au terme de ce projet de loi, je mesure l'importance des progrès réalisés au cours des différentes lectures. Ce fut un travail passionné, passionnant et souvent passionnel. Le débat n'a jamais été inintéressant. Chacun, que ce soit dans l'opposition ou au sein de la majorité - je songe notamment à M. Martin-Lalande - a défendu ses positions avec conviction, mais en faisant _uvre constructive. Je remercie donc l'opposition d'avoir contribué à enrichir ce texte. Même si elle n'est pas allée au bout de sa logique et s'est abstenue, il est important de souligner que cet hémicycle est capable de dépasser ses clivages.

Le texte ne serait pas aujourd'hui si réussi sans la ténacité et la capacité de dialogue de Jean Dionis du Séjour, qui a voulu que la République puisse disposer d'un corpus législatif propre aux nouvelles technologies. Le Parlement l'a suivi, M. Trassy-Paillogues, rapporteur du texte sur les communications électroniques, s'est montré solidaire et Nicole Fontaine a accepté cette logique. Je l'en remercie. Je salue également le travail accompli par le Sénat et les auteurs de certains amendements très importants, comme celui sur la tarification à la seconde ou les amendements de Patrice Martin-Lalande. La commission des affaires économiques peut être satisfaite d'avoir participé de façon aussi active à ce grand texte, qui laissera son empreinte dans notre droit au même titre que la loi du 29 juillet 1881 sur la presse ou que celle du 30 septembre 1986 sur la liberté de la communication. A chaque époque ses progrès : il est normal que la législation suive. C'est ce que la rapporteur a réussi, en dissociant les nouvelles technologies du corpus de la loi de 1986. Cette loi permettra des évolutions auxquelles nous devons déjà nous préparer. Elle ouvre des possibilités nouvelles aux collectivités locales et introduit surtout une dimension sociale dans la téléphonie mobile. La majorité s'honore d'avoir été à l'origine d'amendements sur la facturation à la seconde des cartes prépayées ou sur la gratuité intégrale des numéros spéciaux des services sociaux. Nous pouvons être fiers de ces avancées sociales, et je remercie le Gouvernement de les avoir soutenues.

Il m'a enfin paru particulièrement important que les rapporteurs des deux projets de loi sur l'économie numérique et les communications électroniques, MM. Dionis du Séjour et Trassy-Paillogues, aient travaillé en tandem. Leur collaboration a permis de tirer le meilleur parti des navettes et, en évitant les redondances et en améliorant la lisibilité des textes, d'organiser au mieux les dispositions nouvelles : au texte sur les communications électroniques, les mesures de régulation des relations entre les opérateurs, et à l'économie numérique les mesures favorisant l'usage des nouvelles technologies par nos concitoyens. Les deux textes deviennent ainsi parfaitement complémentaires. Les mesures d'assouplissement de l'encadrement tarifaire de l'opérateur historique, qui avaient été introduites dans le projet de loi sur l'économie numérique, ont ainsi trouvé finalement leur place dans l'autre texte, améliorant la cohérence de la législation.

La loi sur l'économie numérique a été conçue dans un climat de contradiction - je songe aux débats sur l'autonomie de l'internet, sur l'extension des compétences des collectivités locales et sur la surveillance des contenus odieux. A ce propos, Jean Dionis du Séjour a fait un travail dont on reparlera. Je ne sais s'il avait totalement raison, mais la protection des utilisateurs, et notamment de nos enfants, contre certains sites de pédophilie, de haine raciale ou d'apologie du crime devait être assurée. Il a eu raison de vouloir trouver une solution, qui est devenue consensuelle entre les assemblées et le Gouvernement. Cette ouverture a été constructive et constitue l'un des aspects les plus importants du texte. Ainsi que l'a dit M. Martin-Lalande, personne n'aurait souhaité finir ce débat sans régler ce problème. Chaque fois que nous avons su dépasser nos clivages, dans la majorité, avec l'opposition et avec le Sénat, nous sommes allés plus loin.

Il nous est parfois reproché de légiférer trop, et trop vite.

M. Patrice Martin-Lalande - Vite ? Cette fois, ça ne nous aura pas donné le vertige !

M. le Président de la CMP - C'est vrai. Ce texte, après 18 mois de travail, restera un exemple de loi aboutie, s'appuyant sur une large concertation et un débat approfondi.

Pour conclure, je voudrais rendre hommage au Gouvernement. En première lecture, Mme Fontaine a fait preuve de compréhension et d'objectivité. Il n'y a pas eu de blocages et la volonté de trouver les meilleures solutions a prévalu, par le biais d'un dialogue constructif avec les commissions. Vous avez, Monsieur le ministre, avec le talent et la vivacité intellectuelle qu'on vous connaît, pris si bien ce débat en marche que la CMP a avancé très vite. Je vous en remercie. Tout le monde pourra voter le texte issu de la CMP, qui s'inspire de l'ensemble des sensibilités.

Je tiens à dire qu'en CMP, je n'ai pas entendu l'opposition réagir de manière brutale à ce texte. Je rends d'ailleurs hommage au représentant de l'opposition qui a tenu la plume lorsque nous avons rédigé l'amendement consensuel qui a permis à la CMP d'aboutir.

Il n'est pas de grandes lois que populaires et médiatiques. Certaines, complexes et risquant parfois d'être mal comprises, sont essentielles au développement harmonieux de l'économie et de l'Etat de droit. Tel est ce texte, technique, difficile d'accès, et je suis heureux de constater qu'au courage politique du Gouvernement, nous avons su répondre par un travail de qualité, exempt de concessions.

Je veux enfin remercier tous ceux qui ont pris part à ce débat ainsi que les collaborateurs de la commission, qui ont travaillé dans des conditions difficiles. Je demande à mes collègues de voter ce texte sérieux et équilibré (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Patrick Devedjian, ministre délégué à l'industrie - Le 8 avril dernier, le Sénat adoptait ce projet en deuxième lecture. Vous l'aviez vous-mêmes approuvé en janvier et il vous revient de vous prononcer aujourd'hui sur les conclusions de la CMP.

Je veux d'abord remercier la commission des affaires économiques. Monsieur le rapporteur, M. Ollier a eu raison de vous rendre hommage.

Si M. Dionis du Séjour a été la cheville ouvrière de ce texte fondateur, comparable à la loi du 29 juillet 1881, en nous faisant profiter de ses compétences d'ingénieur, vous nous avez apporté, Monsieur le président Ollier, la sagesse et l'expérience d'un parlementaire chevronné. Il s'agissait d'un domaine complexe dans lequel l'enchevêtrement de la technologie et du droit rendait les équilibres difficiles à trouver. Ajoutons à cela la passion politique : il fallait une grande sagesse pour aboutir. Monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, je vous remercie car vous avez fait _uvre utile, de manière complémentaire.

Nous arrivons au terme d'un processus législatif ouvert par le Gouvernement afin de conforter la dynamique de la révolution numérique en cours. Ce texte a d'ailleurs été profondément remanié par le Parlement : environ 600 amendements ont été déposés au Sénat et à l'Assemblée et près d'un tiers ont été adoptés, ce qui montre à la fois l'intérêt porté par les parlementaires à ce texte et le sens de l'écoute du Gouvernement. Le Parlement ne s'est pas contenté de transposer la directive, il l'a intégrée dans notre tradition juridique.

Pour l'internet à haut débit, on ne répétera jamais assez que la France connaît aujourd'hui la plus forte croissance en Europe. Il y avait 700 000 abonnés en mai 2002, il y en a près de 4,5 millions aujourd'hui ! L'objectif des 10 millions d'abonnés à haut débit en 2007, fixé en 2002, sera probablement dépassé ! Cet essor a dopé le commerce électronique, qui croît au rythme annuel de 60 %.

En 2004, 1,25 million de foyers ont fait leur déclaration d'impôt sur internet. Ce chiffre était de 600 000 en 2003 et de 120 000 en 2002.

Ce projet est, en France, le premier texte d'ensemble concernant internet. Son adoption clarifiera les règles du jeu s'appliquant aux fournisseurs et protègera plus efficacement les utilisateurs. Il nous permettra aussi d'atteindre deux objectifs majeurs : la confiance des utilisateurs, grâce à la protection des mineurs et la lutte contre le « spam », ainsi que la lutte contre les contenus illicites et les atteintes aux droits de propriété intellectuelle.

Plusieurs dispositions concernant les télécommunications ont été intégrées dans ce texte. Elles doivent être analysées en complément de deux autres textes : le « paquet télécoms », et le texte sur les obligations de service public des télécommunications et sur France Télécom.

Enfin, rappelons que la directive du 8 juin 2000 sur le commerce électronique aurait dû être transposée avant le 17 janvier 2002. Ce projet mettra fin à notre retard, pour lequel la France a reçu un avis motivé de la Commission européenne.

Une des grandes avancées du texte est l'introduction dans notre droit d'une définition globale de la communication au public par voie électronique. Je tiens à saluer le travail de votre assemblée et, tout particulièrement, du rapporteur.

Dans cette définition s'insèrent la communication publique en ligne, mais aussi la communication audiovisuelle, laquelle continuera de relever de la loi de 1986. Sont ainsi conciliées la défense de l'exception culturelle française et la rédaction d'un texte fondateur pour l'internet.

Je rappelle que la mise en cause de la responsabilité des hébergeurs est limitée au seul cas où, ayant effectivement connaissance d'activités ou d'informations illicites, ils n'auraient pas agi promptement pour rendre impossible l'accès aux informations. C'est une responsabilité limitée, à la différence de celle de l'éditeur de contenu, qui est totale. Ces responsabilités sont expressément prévues par la directive communautaire. Dès lors qu'il y a eu notification, l'hébergeur ne peut plus prétendre ignorer le fait, mais il reste libre de donner suite ou non.

Je veux aussi appeler l'attention sur le mécanisme conduisant à l'intervention du juge et à l'engagement éventuel de la responsabilité de l'hébergeur. Lorsqu'un contenu illicite lui est signalé, l'hébergeur prend alors ses responsabilités. Il peut décider de ne pas donner suite à la demande formulée. Comme le signalement lui aura été fait, c'est le juge qui, le cas échéant, décidera de la responsabilité de l'hébergeur.

Il est bien évident que le juge l'appréciera dans la continuité de la jurisprudence, en appréciant notamment la bonne foi de l'hébergeur. Dans le cas de signalements abusifs ou fondés sur des critères flous, l'hébergeur n'encourra aucune répression devant le tribunal, sa bonne foi étant acquise. C'est en dernier lieu le juge qui décidera s'il y a lieu ou pas de donner suite. Cette formule est conforme à la tradition française de protection des libertés individuelles (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP).

Le système ne transforme donc pas l'hébergeur en juge, mais il prévoit un préalable : pour pouvoir saisir le juge, il faut d'abord notifier à l'hébergeur, qui dans la plupart des cas constatera l'évidence. L'hébergeur apprécie et agit comme il l'entend ; il peut s'adresser à l'éditeur ou à l'émetteur avant de prendre sa décision. En cas d'ambiguïté ou de litige, il faudra passer devant le juge.

Il n'est pas inutile de revenir sur l'étendue des pouvoirs conférés au juge. Dans le cadre des procédures de référé, celui-ci peut prendre toutes décisions qu'il estime nécessaires pour faire cesser le dommage, y compris pour faire cesser l'accès aux contenus illicites. J'insiste sur ce point, puisque mes propos ont ici valeur interprétative : le juge peut faire cesser l'accès aux contenus illicites. Cela vaut en particulier pour les sites antisémites.

Le juge pourra s'adresser à l'éditeur, à l'hébergeur ou au fournisseur d'accès. Il pourra demander à l'hébergeur de limiter la mise à disposition du contenu à une certaine catégorie de publics, demander à un fournisseur d'accès de résilier le compte d'un de ses abonnés ou encore demander de faire cesser l'accès à un contenu illicite.

Je me félicite que la CMP soit parvenue à un accord sur la difficile question de l'obligation de surveillance des contenus hébergés. Le dispositif équilibré auquel elle a abouti permet de respecter la directive européenne tout en relevant le niveau d'engagement, assorti de sanctions, des fournisseurs d'accès dans le signalement des sites à caractère pédophile, négationniste, antisémite ou raciste. Le ministère de l'industrie veillera à la finalisation rapide de la charte des fournisseurs d'accès.

En ce qui concerne les délais de prescription, la CMP a voulu tenir compte des effets, pour les victimes, du caractère continu de la publication sur internet. Dans les publications visées par la loi de 1881 comme sur internet, c'est la publicité donnée à une information diffamatoire qui est constitutive d'une infraction. Mais dans le cas de la presse écrite, cette publicité atteint son niveau maximum dans les jours qui suivent la publication ; à l'inverse, sur internet, le contenu causant préjudice apparaît discrètement sur un site mais sa publicité s'accroît avec le temps, et le délai de prescription de trois mois applicable à la presse écrite est parfois le temps qu'il faut à la victime pour détecter ce contenu. Le dispositif retenu instaure donc légitimement un régime de prescription différent. Celui de la loi de 1881 restera applicable aux publications de presse reproduites sur internet. La position adoptée par la CMP, à la suite d'un vote unanime du Sénat, correspond à celle de la Cour d'appel de Paris, qui avait rendu un arrêt en ce sens mais qui n'a pas été suivie par la Cour de cassation, laquelle a considéré que la loi de 1881 devait s'appliquer, tout en considérant qu'une évolution de la législation était souhaitable pour tenir compte de la spécificité de la publicité sur internet. La solution retenue, la prescription à compter de la cessation de l'infraction, n'est pas nouvelle en droit : pour l'abus de bien social, qui constitue lui aussi un délit continu, la prescription ne commence que le jour où il cesse.

Je salue également le travail accompli pour combler une lacune en organisant le droit de réponse sur les services de communication au public en ligne.

En ce qui concerne la publicité par voie électronique, la CMP a souhaité limiter le champ de l'article 12 à la prospection à caractère commercial. La directive vise en effet les communications commerciales, mais il faudra veiller à ce que les internautes ne soient pas trop gênés par les autres communications non sollicitées et évaluer ultérieurement l'efficacité de ce dispositif de lutte contre le « spam ».

S'agissant des conditions d'utilisation des bases de données existantes, le projet fait une exception à la règle du consentement préalable lorsqu'une entreprise souhaite prospecter des clients à qui des produits ou services analogues ont été fournis. Les entreprises devront naturellement toujours offrir la possibilité de s'opposer à tout envoi ultérieur.

Enfin, je veux souligner les apports du texte sur le régime des télécommunications.

Il faut d'abord saluer l'accord auquel étaient parvenues les deux assemblées en deuxième lecture pour préciser les conditions d'intervention des collectivités territoriales. Celles-ci pourront désormais contribuer efficacement à la réduction de la fracture numérique.

Par ailleurs, une avancée importante du droit de la consommation est accomplie dans le domaine de la téléphonie. Aux termes de l'article 37 ter adopté par la CMP, les opérateurs seront tenus de proposer de manière équitable au consommateur, avant toute souscription de service, une offre facturée à la seconde dès la première seconde, hors coûts fixes de connexion. Pour les cartes prépayées, l'obligation de tarification à la seconde est plus générale encore et interdit les coûts fixes de connexion. Les prix seront ainsi plus facilement comparables.

La CMP a également trouvé une solution satisfaisante sur la question de la contribution des opérateurs aux travaux d'enfouissement des lignes électriques. Seule la charge relative à l'installation de l'équipement de télécommunication pourra leur être imputée.

Cette loi sera un texte fondateur, comme celle du 29 juillet 1881, mais comme celle-ci elle sera amenée à subir certaines retouches pour tenir compte des évolutions technologiques que nous ne connaissons pas encore. De ce point de vue, les juristes savent qu'ils sont toujours en retard sur les ingénieurs, et c'est la raison pour laquelle, Monsieur Dionis du Séjour, vous étiez parfois à l'avant-garde ! (Sourires) J'invite donc l'Assemblée à adopter le texte de la CMP (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ

M. le Président - J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une exception d'irrecevabilité déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. Jean-Marie Le Guen - Beaucoup de compliments ont été faits au Parlement, majorité comme opposition. Nous y sommes très sensibles, même s'ils étaient peut-être un peu excessifs dans la mesure où nous avons plutôt voté contre le texte. Je ne peux m'empêcher d'y voir aussi la volonté de se rassurer quant aux conséquences incertaines de ce texte.

Depuis le début de cette discussion, notre groupe a alerté l'opinion sur les risques majeurs que ce texte, à l'origine consacré à l'économie numérique et dont l'objet s'est progressivement élargi, faisait courir à la liberté de communication et à la liberté d'expression. Le texte issu de la CMP confirme cette orientation liberticide.

Première question sensible : la régulation de l'internet. Ce n'est pas une zone de non-droit, même si l'exercice du contrôle n'est pas aisé. Il n'est pas nécessaire de créer un droit spécial, dérogatoire au droit commun, mais il faut que la régulation de l'internet par le juge soit autonome par rapport à celle de l'audiovisuel : communication audiovisuelle et communication publique en ligne ne doivent pas être confondues. Comment accepter que l'on veuille transposer, à l'occasion d'une loi sur le commerce électronique, la régulation exercée par le CSA, conçue pour un univers audiovisuel hertzien limité à quelques fréquences ? Outre qu'une telle régulation n'est ni crédible ni opératoire, ne cherchez-vous pas en fait à traiter le problème de la musique en ligne ? Résistons donc à la tentation de bâtir à la va-vite une régulation contre nature, et qui conduit à porter atteinte à des principes de valeur constitutionnelle.

C'est en effet ce que nous constatons dès l'article premier du projet, qui tend à assimiler communication audiovisuelle et communication au public par voie électronique. Si l'on peut admettre que, en application de la loi de septembre 1986, la liberté de communication puisse faire l'objet d'une limitation requise par « la nécessité de développer une industrie nationale de production audiovisuelle », nous ne pensons pas que la liberté de communication au public par voie électronique puisse subir, elle, une limitation au nom de « la nécessité, pour les services audiovisuels, de développer une production audiovisuelle », comme vous le proposez. En effet, comme l'indiquent l'ART et le Conseil d'Etat, les contenus de cette forme de télécommunication ne sont pas réductibles à des contenus audiovisuels.

La protection de la production audiovisuelle justifie-t-elle de porter atteinte à l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme, qui dispose que « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme » ? Ce n'est pas l'avis du Conseil constitutionnel. En effet, la nécessité, pour les services audiovisuels, de développer la production audiovisuelle, ne peut pas être élevée au rang de principe de valeur constitutionnelle.

En second lieu, la définition donnée à l'alinéa 5 du IV de l'article premier du courrier électronique ne précise pas que ce dernier a le caractère d'une correspondance privée tel que reconnu, en application de la loi de 1986, comme un « message exclusivement destiné à une ou plusieurs personnes, physiques ou morales, déterminées et individualisées ». Cette omission conduit à violer l'article 34 de la Constitution, qui impose à « la loi le soin de fixer les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques », parmi lesquelles le respect du secret de la vie privée.

En troisième lieu, les dispositions de l'article 2 bis I font peser sur les intermédiaires techniques le risque de voir engager leur responsabilité pénale ou civile en cas de diffusion d'informations illicites sur un site internet qu'ils se contentent d'héberger ou auquel ils permettent l'accès sans pour autant en maîtriser le contenu. Il est donc très probable que, saisis par une personne physique ou morale du caractère illicite d'une information, ils cesseront d'en permettre l'accès au public sans s'enquérir du bien-fondé de la demande, ce qui revient à méconnaître la liberté fondamentale de la communication, dont l'exercice ne peut être réglementé qu'en vue de le rendre plus effectif ou de le concilier avec d'autres principes de valeur également constitutionnelle. Au reste, le Conseil constitutionnel a souligné l'obligation que « les lecteurs soient à même d'exercer leur libre choix sans que ni les intérêts privés ni les pouvoirs publics puissent y substituer leurs propres décisions, ni qu'on puisse en faire l'objet d'un marché ». Le législateur ne peut donc pas déléguer à une personne privée la mission d'assurer la sauvegarde de cette liberté fondamentale.

De plus, les dispositions de l'article 2 bis I, qui imposent à l'hébergeur de retirer des données au motif d'une présomption d'illicéité assimilent en réalité ce retrait à une sanction prise en méconnaissance des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République.

Les paragraphes IV et IV bis de l'article 2, en dernier lieu, portent atteinte au principe d'égalité devant la loi, puisqu'ils établissent une différence de traitement des délits de presse et du droit de réponse en raison de la différence existant entre le support papier et la voie électronique. L'introduction d'un régime de prescription spécifique pour les délits de presse commis sur internet résulte d'un amendement adopté par le Sénat à l'initiative de M. Trégouët, qui, selon Le Monde, daté d'hier, s'est déclaré ensuite « très gêné » par l'adoption de cette disposition. C'est dire !

Tels sont les quatre points qui nous conduiront, si vous ne votez pas l'exception d'irrecevabilité, à saisir le Conseil constitutionnel.

M. le Ministre délégué - Je ne vois que des avantages à ce que le Conseil constitutionnel se prononce sur notre texte.

M. Jean-Marie Le Guen - Décidément, vous ne cessez pas de flatter l'opposition !

M. le Ministre délégué - Je crois surtout au droit. La loi a pour objectif de créer la confiance dans l'économie numérique. Il convient donc de purger tous les doutes qui pourraient la compromettre.

Pour le reste, vous ne m'avez pas convaincu. Portons-nous atteinte à la liberté de communication sous prétexte de protéger la création culturelle ? Toute limitation, vous l'avez dit vous-même, n'est concevable que par rapport à l'exercice d'un autre principe de valeur constitutionnelle. Or c'est bien le cas, avec le droit de propriété, ici sous la forme de la propriété intellectuelle, que nous avons le devoir de protéger. Le Conseil constitutionnel, dans une décision du 27 janvier 1989, s'est prononcé dans ce sens.

De même, je vous le confirme, le courrier électronique revêt bien le caractère d'une correspondance privée. Il n'y a aucun doute à ce sujet.

Vous estimez que, sous prétexte de responsabilité de l'hébergeur, nous le chargeons d'exercer un droit de censure. Pas du tout ! Nous le plaçons en face de ses responsabilités. Si l'on fait comprendre à un hébergeur qu'il accueille un site pédophile qui comporte des scènes de torture d'enfants, il le supprimera de lui-même.

M. Jean-Marie Le Guen - Sauf qu'il suffit d'une simple allégation pour provoquer ce retrait ! Là est le problème !

M. le Ministre délégué - Tous les jours, des milliers de gens écrivent aux journaux pour exprimer leurs désaccords avec ce qu'ils ont lu. Le directeur de la publication prend alors ses responsabilités, soit en publiant un rectificatif ou un droit de réponse, soit en s'y refusant parce qu'il juge que la réaction n'est pas pertinente ou que la réponse porterait atteinte aux droits d'autrui...

M. Jean-Marie Le Guen - Il y aurait certainement intérêt, à ce propos, à vérifier que la presse applique correctement ce droit de réponse !

M. le Ministre délégué - L'article 13 de la loi de 1881 est très rigoureux : la réponse doit être publiée dans les mêmes caractères et au même emplacement que l'article litigieux, notamment. Si cette disposition n'est pas respectée, la victime peut saisir le juge des référés et demander l'exécution sous astreinte.

L'hébergeur va se trouver dans cette même situation de prendre ses responsabilités. Se comportera-t-il pour autant en censeur ? Je ne crois pas : s'il supprime le site sans justification valable, l'éditeur pourra le poursuivre devant le juge. Il ne recourra donc à cette mesure que si l'infraction est évidente - et, de ces infractions évidentes, il y a malheureusement foison sur internet ! Ce n'est que dans ces cas que la responsabilité de l'hébergeur pourra se trouver engagée. Si le cas est au contraire douteux, le juge des référés - qui est, je le rappelle, le juge de l'évidence - ne pourra que reconnaître l'embarras où se trouvait ce même hébergeur.

S'agissant de la prescription, j'ai déjà largement répondu. J'ignore si M. Trégouët a eu des doutes, toujours est-il que le Sénat a voté la disposition à l'unanimité. La raison en est simple : supposez qu'une personne malintentionnée, un diffamateur professionnel ou un de vos adversaires politiques - vous en avez de moins en moins, mais il en est encore quelques-uns ! - ouvre un site pour vous calomnier. Il le fera d'abord très discrètement et, lorsqu'on demandera à Google des informations sur « Le Guen », ce site arrivera en deux cent cinquante sept millième position - vous êtes si célèbre !

M. Jean-Marie Le Guen - Surtout comme footballeur !

M. le Ministre délégué - Comme vous n'interrogez pas tous les soirs Google pour suivre votre cote de popularité, vous ignorerez ce site... pendant ses trois premiers mois d'existence. Mais, au terme de ce délai, au prix d'un effort de publicité, ce site arrivera en quatrième position. Vous voudrez intervenir, mais il y aura prescription ! Vous serez diffamé à vie...

La disposition proposée par M. Trégouët ne vise qu'à mettre fin à ce délit continu. En l'occurrence, contrairement à ce qui se passe pour la presse écrite, la diffamation se sera aggravée avec le temps, et je ne puis donc croire que le Conseil constitutionnel conteste que ce projet soit, de ce point de vue, protecteur des libertés (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. le Président de la CMP - M. Le Guen a parfaitement le droit de défendre aujourd'hui une exception d'irrecevabilité, mais je note que la discussion de ce projet a commencé il y a dix-huit mois et que, pendant tout ce temps, ni ici ni au Sénat, l'opposition n'avait pas jugé bon de contester la constitutionnalité du texte. Pourquoi attendre la CMP pour le faire ? L'opposition, je le répète, a fait jusqu'à maintenant un travail constructif et, en première lecture à l'Assemblée, le groupe socialiste s'est abstenu sans demander de scrutin public ni faire d'explication de vote. Au Sénat, son attitude a été la même. Ce n'est qu'en deuxième lecture ici qu'il a voté contre le projet, tout en reconnaissant que le travail parlementaire avait été de qualité. D'autre part, comme peuvent en témoigner MM. Proriol, Martin-Lalande et Trassy-Paillogues, M. Christian Paul a participé à la rédaction de l'article consensuel voté par la CMP...

Cela étant, comme le ministre délégué, je me réjouis que le Conseil constitutionnel soit saisi : nous avons confiance en lui, comme nous avons confiance dans le travail que nous avons effectué ensemble, et nous attendrons donc sa décision sans crainte aucune.

M. Le Guen explique drôlement que son groupe a jusqu'ici « plutôt voté contre le projet », parce que celui-ci serait liberticide. Cet excès politicien tranche fâcheusement avec le climat de notre discussion et méconnaît la grande qualité du travail parlementaire. M. Devedjian, spécialiste de ces questions, a dit ce qu'il fallait penser des dispositions relatives à la prescription des délits de diffamation. Nous ne faisons qu'aligner la durée du droit de recours sur la durée du délit, de sorte que l'on ne puisse contourner le droit en mettant à profit les nouvelles technologies. Dès lors, où y a-t-il atteinte aux libertés et aux droits fondamentaux ?

S'agissant du courrier électronique, nous avons eu un ample débat au cours duquel une seule voix discordante s'est fait entendre. Notre souci a été de préserver la définition jurisprudentielle et rien ne permet d'affirmer que ce courrier sera traité autrement que comme un courrier privé. Ce n'est qu'un nouvel outil, assimilable au papier et à l'enveloppe de la correspondance classique, et un simple changement technique ne peut emporter un changement du droit ! Ne cédons pas à la démagogie par conséquent. Le problème n'a rien à voir avec celui des « spams », qui sont, eux, assimilables aux tracts de publicité.

Pour toutes ces raisons et pour celles qu'a exposées le Gouvernement, j'invite l'Assemblée à repousser cette exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. le Rapporteur - Comme l'a dit le ministre délégué, nous attendons avec humilité, mais aussi avec grand intérêt la décision du Conseil constitutionnel. En effet, pour les dispositions de ce projet relatives au courrier électronique et à la responsabilité des prestataires techniques, nous n'avons fait que transposer « mécaniquement » la directive européenne.

S'il y a anticonstitutionnalité, qui étaient les négociateurs français à cette époque ? Je rappelle que la directive date des années 1999-2000. Je serais le premier à être choqué si ces derniers avaient laissé passer une disposition contraire à notre texte fondamental. Sur ces deux points-là, nous avons su au contraire faire preuve d'humilité.

Je suis étonné de ce que le groupe socialiste n'ait plus la volonté de parvenir à un texte consensuel. J'aurais en outre apprécié que, dans ces circonstances nouvelles, MM. Patrick Bloche, Christian Paul ou François Brottes, qui ont travaillé avec nous, soient présents.

Je répète que la loi commence par poser le principe de la liberté de la communication publique en ligne. Nous n'avons accepté d'autres limites que celles de la loi de 1986. Je ne vois pas où est le problème.

En ce qui concerne le courrier électronique, nous avons transposé mécaniquement la directive européenne. Chaque fois que ce courrier répondra à la définition de la correspondance privée telle qu'elle est précisée dans la loi - nombre de destinataires limité, caractère privé des informations échangées - le courrier électronique bénéficiera de la protection de la correspondance privée.

En ce qui concerne la responsabilité des prestataires, nous avons une fois de plus transposé mécaniquement la directive. Nous sommes l'un des derniers pays à l'avoir transposée...

M. le Ministre délégué - Deux ans de retard !

M. le Rapporteur - ...et nous bénéficions, de ce fait, d'un rapport de la Commission qui assure que cette transposition a parfaitement fonctionné au sein des différentes législations nationales. Lorsque le prestataire a un désaccord avec un internaute, au final, il appartiendra au juge de trancher.

Enfin, concernant vos remarques sur les médias écrits, vous savez bien que le temps de l'internet est différent du temps de la presse, même les associations les plus vigilantes quant au respect des libertés l'ont reconnu.

Je regrette que, par démagogie, le groupe socialiste se place dans le sillage de certaines associations qui ne veulent pas que l'état de droit s'applique à internet. J'espère qu'il n'ira pas au bout de sa démarche.

Je vous demande de rejeter cette exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. le Président - Le débat sur cette motion est clos.

L'exception d'irrecevabilité, mise aux voix, n'est pas adoptée.

M. Alfred Trassy-Paillogues - M. le rapporteur, M. le président de la CMP et M. le ministre ont excellemment résumé le travail accompli par les deux assemblées et par la CMP.

Le texte est équilibré et contribuera au développement de l'économie numérique ainsi qu'à la dynamisation de nos territoires. Il apporte fluidité et transparence dans les relations entre les différents partenaires. Le dispositif pour lutter contre la diffusion de contenus illégaux, en particulier, me paraît très bien adapté.

La tarification à la seconde, pour les cartes prépayées, facilitera la vie de nos concitoyens en les libérant des problèmes liés à la déconnexion, qui provoquent d'importants surcoûts.

La gratuité d'appel vers les numéros spéciaux évitera de surtaxer tous ceux qui connaissent des difficultés financières, ballottés de boîtes vocales en boîtes vocales et de services en services.

Enfin, je me félicite du rééquilibrage des relations entre les opérateurs téléphoniques et les collectivités territoriales lors d'opérations d'effacements de réseaux électriques. Disparaîtront une bonne fois pour toutes les situations aberrantes où, après avoir supprimé des supports mixtes pour embellir le paysage, on replante des poteaux téléphoniques parce que l'opérateur concerné refuse de mettre la main à la poche. Ainsi, l'opérateur téléphonique aura à sa charge la pose et la dépose des câbles, la fourniture des fourreaux et des chambres de tirage.

Ce texte apporte des réponses concrètes à des problèmes réels, et l'on ne peut que s'en féliciter. Il permettra de développer notre économie, en particulier celle de nos petites et moyennes structures en milieu rural, et contribuera ainsi à créer des emplois (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Claude Leteurtre - Nous vivons un moment historique, en effet. La loi dont nous débattons fondera et structurera l'internet français.

Je remercie au nom du groupe UDF tous les acteurs de ce marathon législatif, à commencer par l'éminent président de la commission des affaires économiques, qui a veillé à ce que la commission et l'Assemblée jouent pleinement leur rôle au côté du Gouvernement. Je reconnais ses qualités d'ouverture et de conciliation, qui ne sont pas communes à tous les présidents de commission (Sourires).

M. le président de la CMP- Je vous remercie.

M. Claude Leteurtre - L'UDF, par l'intermédiaire de M. le rapporteur, est fière d'avoir participé à l'élaboration d'une loi adaptée aux problèmes posés par internet. Je crois, sans exagérer, que cette loi doit beaucoup à M. Dionis du Séjour, qui a su aller, malgré les obstacles, au bout de notre ambition commune.

Nous avons ainsi sécurisé le droit de l'internet en créant un régime autonome qui assurera une plus grande sécurité juridique des investissements dans ce secteur créateur d'emplois.

La mise en place d'un régime équilibré de responsabilité pour les prestataires techniques, obligés de réagir, sous le contrôle du juge, lorsqu'ils sont à même de découvrir des informations illicites est également une bonne chose, de même que l'institution d'un droit de réponse adapté.

Concernant la protection du cyberconsommateur, nous avons fait progresser le droit existant avec l'établissement des conditions de validité des contrats passés par voie électronique, la mise en place d'une responsabilité du vendeur en ligne en cas de prestation défaillante, l'obligation, pour les émetteurs de spams commerciaux, d'obtenir le consentement préalable des destinataires.

La loi répond ainsi à l'objectif fixé : instaurer la confiance dans les procédures d'achat en ligne et accompagner la dynamique de ce secteur.

Nous avons enfin permis l'accélération de la diffusion du haut débit grâce aux nouvelles possibilités d'intervention des collectivités locales. Nous avons également consolidé le dispositif d'extension de la couverture du territoire en téléphonie mobile - c'est d'ailleurs une bonne nouvelle pour notre ami Jean Lassalle qui parcourt des milliers de kilomètres pour faire fonctionner sa boîte vocale (Sourires).

Enfin, la tarification à la seconde pour les cartes prépayées et la gratuité des numéros sociaux représentent une véritable victoire du Parlement sur des lobbies de toute sorte, pour garantir le droit à l'information du consommateur et mettre un terme à des pratiques commerciales abusives qui touchaient des millions de Français.

La polémique sur la lutte contre les contenus odieux a, et c'est malheureux, semé la confusion dans l'esprit des internautes quant à ce projet de loi. Des accusations très virulentes ont parfois pu blesser le rapporteur. Permettez-moi donc de vous faire part de la réponse de notre collègue André Santini, expert mondialement reconnu des nouvelles technologies de communication, à la ligue Odébi, qui avait pris la tête d'une campagne contre « la privatisation de la justice sur internet ». Il rappelle que la liberté, si elle donne des droits, impose également des devoirs et qu'il ne s'est donc pas opposé à ce que le législateur régule le net et impose aux hébergeurs la surveillance de certains contenus précis. Il demande comment justifier par la liberté d'expression la pédophilie, l'incitation à la haine raciale et le négationnisme et n'a aucun problème de conscience à assumer « censure » ou « flicage » s'ils s'appliquent à ces sujets précis. Des lois sanctionnent déjà ces délits, mais elles sont inefficaces sur la toile, où pédophilie, révisionnisme et racisme se portent très bien. Il rappelle enfin que la Licra, qui lutte contre la haine raciale et l'antisémitisme, s'est déclarée favorable à une régulation du réseau.

La CMP a finalement reconnu l'intérêt général attaché à la répression de l'apologie des crimes contre l'humanité, de l'incitation à la haine raciale et de la pédo-pornographie. Les prestataires techniques auront l'obligation de mettre en place un dispositif de signalement et de publier les moyens qu'ils consacrent à cette lutte. Ces décisions sont équilibrées et nécessaires. Elles honorent notre Parlement et inspireront certainement le travail législatif d'autres pays. Pour autant, il reste du travail. Il faut maintenant poursuivre la réalisation du plan RESO 2007 avec la loi sur le commerce électronique - le paquet télécoms - et surtout avec la grande loi sur la réduction de la fracture numérique, notamment au niveau social. L'UDF l'appelle de ses v_ux et votera avec beaucoup de joie le texte issu de la CMP (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP).

Mme Muguette Jacquaint - Se prononcer définitivement sur ce projet de loi impose de ne pas perdre de vue la spécificité de l'internet. Le réseau des réseaux permet une liberté de communication inégalée. Il nourrit une infinité d'échanges entre des millions d'utilisateurs, échanges caractérisés par une réactivité et une richesse jusqu'à présent impossibles. Internet supprime les barrières financières ou technologiques qui réservaient l'utilisation de la presse, de la radio ou de la télévision à une minorité, aboutissant à une coupure entre professionnels et profanes en matière d'expression publique.

Cette ligne de partage est sur le point de disparaître. Désormais, le citoyen peut accéder à un espace de production et de consultation d'une information plurielle, qui lui offre la perspective de retrouver une réelle capacité d'action sur le monde. Plus besoin d'attendre qu'on nous donne la parole : avec internet on se la réapproprie pour défricher de nouveaux champs du possible. L'enjeu consiste à tenir compte de cette spécificité tout en préservant les principes fondamentaux de notre droit en matière de liberté de communication. Autrement dit, le présent texte ne saurait avoir pour objet de brider le fantastique potentiel économique, culturel mais surtout politique d'internet. Il y a dans le monde plus de 40 millions de sites internet contre quelques centaines de chaînes de télévision et quelques milliers de titres de presse. Débute une ère qui pourrait profondément dépoussiérer les vieux principes d'autorité en vertu desquels seule une minorité, plus ou moins démocratiquement désignée, est en mesure d'opiner et d'influer sur les affaires du monde.

Les parlementaires communistes et républicains, sans pour autant céder à un optimisme béat, se réjouissent d'un telle perspective. D'autres, parmi lesquels ceux de la majorité, semblent effrayés et usent de tous les moyens pour freiner cette révolution. Ainsi le texte de la CMP préserve-t-il l'essentiel des orientations gouvernementales initiales : enthousiasme pour les applications économiques d'internet et frilosité à l'encontre de toutes ses perspectives non-marchandes. Au fil des lectures, la véritable nature du projet de loi aura été dévoilée, et un seul mot, qui n'est pas trop fort, suffit à le qualifier :« liberticide ».

M. le Président de la CMP - Voyons, Madame Jacquaint !

M. le Rapporteur - Vous n'êtes pas raisonnable !

Mme Muguette Jacquaint - Pourtant, ce texte autorise le filtrage de l'accès à des contenus hébergés à l'étranger,...

M. le Rapporteur - C'est faux !

Mme Muguette Jacquaint - ...filtrage ordonné par un juge y compris dans le cadre d'une procédure sur requête, c'est-à-dire à la demande d'une partie, sans qu'il y ait procès ni aucun échange contradictoire possible ! Ce filtrage, qui s'applique à celui qui accède au contenu et non à celui qui le met à disposition, peut-être en toute légalité, porte atteinte à la liberté de circulation des citoyens sur le réseau. Ensuite, ce texte définit le courrier électronique sans lui reconnaître un caractère de correspondance privée. Il ne bénéficie ainsi plus de l'inviolabilité garantie aux correspondances privées acheminées par voie postale. Enfin, des mesures dérogatoires au droit commun organisent le transfert aux intermédiaires techniques de prérogatives normalement exclusivement exercées par l'autorité judiciaire, à savoir la faculté de juger de la légalité des contenus diffusés. Le prestataire technique, saisi par des tiers agissant selon leurs intérêts particuliers, serait ainsi conduit à censurer des contenus désignés comme illicites en l'absence de toute intervention du juge. Ce n'est rien d'autre qu'un délit de faciès économico-médiatique, puisque les hébergeurs compareront le poids économique et médiatique du demandeur et de l'auteur du contenu à censurer.

Un tel régime n'est nullement imposé par les directives communautaires, ainsi que le prouvent d'ailleurs les choix opérés par nos voisins européens. En outre, des tentatives analogues ont déjà été censurées par le Conseil Constitutionnel en 1996 et en 2000. L'actuel article 43-8 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication dispose que les prestataires techniques ne sont responsables du contenu stocké que si, ayant été saisis par une autorité judiciaire, ils n'ont pas agi promptement pour empêcher l'accès à ce contenu. C'est en effet au juge et à lui seul qu'il revient de dire le droit. Mais l'intervention de l'autorité judiciaire est absente de votre texte. Votre dispositif porte donc atteinte à la liberté d'expression, d'information et de communication, à la présomption d'innocence et au droit à un procès équitable.

M. le Président de la CMP - C'est excessif !

Mme Muguette Jacquaint - Personne, parmi les concepteurs de ce régime liberticide, n'a réussi à nous convaincre qu'il était nécessaire. La spécificité d'internet ne tient pas tant aux contenus, qui ne sont rien de plus ni de moins que ceux de la télévision, de la radio, ou des journaux, qu'à l'extraordinaire pluralité des éditeurs et aux modalités d'accès. Cette spécificité, qui inquiète les puissants, ne saurait justifier un encadrement si sévère de l'expression publique.

La majorité a donc décidé, en conscience, de mettre en péril l'internet tel que nous le connaissons. Pour justifier cette logique, elle a pointé les ravages d'une cybercriminalité galopante... mais qui sont démentis par les statistiques disponibles ! Je rassure les parents : la probabilité qu'un enfant tombe sur un site pédophile, même après des dizaines d'heures de navigation, est proche de zéro ! Ainsi, donner à croire que le crime est dans l'outil est définitivement dépassé. Mieux vaut regarder la réalité en face, et constater du même coup que la police et la justice luttent d'ailleurs efficacement contre la cybercriminalité lorsqu'on leur en donne les moyens - et à ce niveau certes, il y a encore beaucoup à faire.

Au final, incapable de se montrer à la hauteur des enjeux mais désireux de préserver l'intérêt de puissants lobbies industriels, le Gouvernement, dans une démarche résolument passéiste, n'aura pas voulu envisager internet autrement que comme un supermarché. En clôture des débats au Sénat, le ministre a déclaré que le consommateur sortait gagnant de ce texte. Sa protection est indéniablement renforcée, mais s'en tenir là reviendrait à oublier que l'homme a besoin tout autant de liberté que de pain. Le consommateur accueilli à bras ouvert sur internet tel que le Gouvernement le conçoit se contentera peut être de pain, mais on peut regretter que le citoyen en soit le grand absent. Si nous votons ce texte, l'internaute, demain, sera consommateur ou ne sera pas, le tout à condition bien entendu d'être solvable. Cette perspective n'a rien de réjouissant. C'est pourquoi nous voterons contre ce projet.

M. Patrice Martin-Lalande - Il fallait avancer. Ce texte est attendu depuis longtemps et, du fait du gouvernement précédent, la transposition de la directive européenne a pris du retard. L'examen du projet s'est étalé sur plus d'un an, ce qui est long, compte tenu du calendrier imposé par l'Europe. En outre, la législation dans le domaine des nouvelles technologies de l'information et des communications est particulièrement « technodégradable ».

Nous avons profité de ce texte pour avancer sur certains points importants qui ne relevaient pas de la directive. J'en remercie le président de la commission et le rapporteur.

Première avancée, ce texte rend clairement autonomes la législation relative à la communication audiovisuelle et celle qui s'applique à la communication publique en ligne.

En outre, l'Assemblée et le Sénat ont trouvé un compromis pour définir la responsabilité des intermédiaires techniques. Je me réjouis qu'ait été retenue la procédure de notification, que j'avais proposée en première lecture. Il fallait écarter l'obligation de surveillance générale, à mon avis techniquement impossible et contraire aux orientations européennes.

La CMP est parvenue à un système équilibré.

La confiance dans l'économie numérique sera renforcée par ce texte qui rend plus sûrs les contrats et qui permet de maîtriser le spamming, au moins dans le domaine commercial.

Je remercie le rapporteur et mes collègues d'avoir retenu un certain nombre de mes suggestions. Ainsi, le vote électronique sera possible pour les élections professionnelles. C'est un premier pas.

Il était important d'introduire un droit de réponse. Je regrette que M. Le Guen ne soit plus ici, j'aurais aimé lui rappeler qu'en première lecture j'avais déposé avec André Santini un amendement qui, comme un autre amendement de M. Bloche, prévoyait un délai de trois mois pour l'exercice du droit de réponse. Qu'on ne vienne donc pas prétendre aujourd'hui que ce texte porte atteinte aux libertés !

Je suis heureux, enfin, que ce projet donne de nouvelles possibilités d'intervention aux collectivités territoriales. Ou bien l'internet à haut débit fait partie du service universel et les collectivités locales n'ont pas besoin d'intervenir, ou bien il n'en fait pas partie, ce qui est le cas actuellement, et il faut laisser un pouvoir d'initiative aux collectivités. Cela ne signifie pas qu'elles régleront tous les problèmes sur leurs seules ressources : elles se feront aider, aux plans régional, national et européen.

Il faudra évaluer et corriger cette législation régulièrement mais la confiance dans l'économie numérique sort renforcée de nos travaux et le Parlement peut être fier de ce texte fondateur que je voterai avec enthousiasme et lucidité (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. le Président - La discussion générale est close. Je vais mettre aux voix l'ensemble du projet.

M. le Président de la CMP - Le groupe socialiste n'est pas représenté. C'est surprenant !

L'ensemble du projet de loi, compte tenu du texte de la commission mixte paritaire, mis aux voix, est adopté.

La séance, suspendue à 11 heures 35, est reprise à 11 heures 45.

SOLIDARITÉ POUR L'AUTONOMIE DES PERSONNES ÂGÉES
ET DES PERSONNES HANDICAPÉES (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi relatif au dispositif de solidarité pour l'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées.

ART. 2

Mme Muguette Jacquaint - Cet article, qui constitue le c_ur du projet, fait quasiment l'unanimité contre lui. Il est culpabilisateur pour nos concitoyens, qui ne seraient pas assez solidaires : premier mensonge, la tragédie de cet été étant plutôt le résultat des choix politiques de maîtrise comptable des dépenses de santé. Deuxième contrevérité : on laisse entendre que la solidarité avec les personnes âgées serait la seule affaire des actifs.

L'affirmation selon laquelle cette « journée de solidarité » financerait un cinquième risque est un troisième mensonge car le dispositif n'est pas rattaché à notre système de sécurité sociale. Pour notre part, nous proposons depuis plusieurs années la création d'un risque handicap-incapacité-dépendance, relevant de l'assurance maladie et financé de manière solidaire. Plusieurs rapports vont dans le sens d'une telle prestation de sécurité sociale, en particulier celui du CES signé par M. Maurice Bonnet, qui rejette votre projet et considère que le fait d'imposer par la loi la création d'une journée nationale de solidarité porte atteinte à la liberté de négocier et de conclure des accords individuels ou collectifs de travail, voire remet en cause les accords déjà conclus. Selon ce rapport, la reconnaissance au sein de notre système de protection sociale d'un risque correspondant aux aléas de l'existence rend impératif un financement universel, faisant jouer pleinement la solidarité nationale, donc assis sur toutes les sources de revenus.

L'ensemble des organisations syndicales se sont prononcées pour la création d'une telle prestation, de même que les associations de personnes âgées et les représentants des structures médico-sociales. Mais vous ignorez leur message, Monsieur le ministre...

Tout le monde n'évoquant pas la même chose sous le vocable « cinquième risque », nous proposons le rattachement du risque handicap-incapacité-dépendance à la branche maladie, et un financement pérenne par une cotisation reposant sur la valeur du travail et du capital, modulée en fonction de la part de la masse salariale dans la valeur ajoutée, et non par une nouvelle augmentation de la CSG, laquelle touche principalement les salariés. L'amendement que nous avons déposé sur ce sujet a été déclaré irrecevable, mais je vous demande d'accepter que le débat s'engage néanmoins, faute de quoi nous devrons considérer que vos déclarations ne sont pas suivies d'actes.

Monsieur le Président, j'ai ainsi défendu l'amendement 37 et le sous-amendement 38.

M. Jean Le Garrec - En plusieurs occasions, j'ai appelé l'attention de M. Fillon, alors ministre des affaires sociales, sur les conséquences négatives des décisions prises par le Gouvernement, qu'il s'agisse des sorties du système d'indemnisation du chômage, des intermittents du spectacle ou de la nature juridique du contrat de RMA. On ne nous a jamais écoutés, et le Gouvernement a été finalement contraint de revoir sa copie. Il serait bien inspiré de nous écouter davantage sur le sujet qui nous occupe aujourd'hui, l'inscription dans le code du travail d'une journée de travail non rémunérée.

J'ai déjà évoqué hier plusieurs problèmes : rupture du contrat de travail, difficultés pour renégocier des accords ou conventions de branche ou d'entreprise, création aléatoire de la richesse justifiant le prélèvement de 0,3 % sur les entreprises. Vous savez très bien, Monsieur le ministre, que mes craintes sont partagées par des membres de la majorité.

Le Gouvernement avait pris l'engagement solennel, dans la loi sur le dialogue social, de renvoyer à la négociation nationale interprofessionnelle toute réforme de nature législative relative au droit du travail. Alors pourquoi l'objet de cet article 2 n'a-t-il pas été renvoyé à la négociation ? Les organisations syndicales sont hostiles à cette manière d'envisager la solidarité, de même que plus de 66 % des salariés. En outre, huit salariés sur dix ne savent pas qu'ils vont travailler un jour de plus sans être rémunérés ; quand ils vont le découvrir, cela sera un choc, qui créera des conditions extrêmement difficiles pour les renégociations, dont, du reste, de nombreux chefs d'entreprise ne veulent pas.

Tout le droit du travail a été construit autour du salaire, considéré comme le prix de location de la force de travail.

Le salaire n'est pas dû quand le travail n'est pas fourni ; a contrario, il est dû quand le travail est fourni et, ici, il le sera. La rémunération est consubstantielle au contrat de travail et c'est sur ce principe que s'est construit notre droit du travail depuis un siècle. C'est pourquoi nous saisirons le Conseil constitutionnel.

Cette question fondamentale aurait mérité d'être débattue avec les partenaires sociaux.

Je le redis, le problème de la solidarité n'est pas en cause ; nous sommes un pays généreux et les Français sont prêts à réaliser des efforts. Le problème n'est pas non plus celui du plan élaboré par le ministre compétent. Le problème tient à la manière de financer le dispositif, en recourant à des mesures exorbitantes du droit du travail.

Ne prenez pas le risque de créer des difficultés aux entreprises, ni de devoir ensuite recalculer ; cela ne nous réjouirait pas, car c'est la confiance du pays dans son avenir qui serait ébranlée.

M. Jean-Pierre Decool - J'interviens à la place de Dominique Tian, qui souhaite que le lundi de Pentecôte soit exclu du dispositif de la journée de solidarité pour le personnel de l'éducation nationale. En effet, l'ouverture des établissements ce jour-là entraînerait des coûts de fonctionnement supplémentaires sans produire de recettes en contrepartie. La mesure serait donc économiquement contreproductive. De plus, ce jour imposé supprime de fait le libre choix du jour de solidarité pour les parents. Enfin, à qui reviendrait la décision ? Au ministre, au recteur, au chef d'établissement ?

Pour réussir, conclut Dominique Tian, un projet doit être lisible et facilement applicable.

M. le Président - Mme Jacquaint a défendu l'amendement 37 de suppression de l'article.

Mme Paulette Guinchard-Kunstler - L'Assemblée a adopté une grande loi relative au dialogue social, dont l'exposé des motifs était rédigé ainsi : « Le Gouvernement prend l'engagement solennel de renvoyer à la négociation nationale interprofessionnelle toute réforme législative relative au droit du travail. Par conséquent il saisira officiellement les partenaires sociaux avant l'élaboration de tout projet portant réforme du droit du travail, afin de savoir s'ils désirent engager un processus de négociation sur le sujet évoqué par le Gouvernement ». Le texte que nous examinons est bien de nature à modifier en profondeur le droit du travail. Avez-vous engagé des négociations avec les partenaires sociaux ? Eux nous disent qu'il n'y en a eu aucune.

Vous êtes donc en contradiction complète avec l'engagement pris, il est vrai, par François Fillon, mais c'était, je pense, au nom du Gouvernement.

L'histoire de l'exercice du droit du travail montre que les ouvriers, à l'origine, étaient rémunérés à l'heure, sur la base du SMIC horaire. C'est encore le cas de salariés à temps partiel ou de courte durée. Ainsi, que se passera-t-il pour les aides à domicile intervenant chez les personnes âgées ou handicapées, et qui occupent souvent des emplois précaires ou à temps partiel rémunérés à l'heure ? Devront-elles effectuer des heures supplémentaires de solidarité non payées ? Il me semble que vous demandez à l'ensemble des salariés de travailler sans être payés. Comment les aides à domicile réagiront-elles quand elles vont s'en apercevoir ? Votre dispositif n'est pas conforme à notre système de protection sociale. Nous attendons des réponses très claires.

M. Hervé Morin - La suppression d'un jour férié ne modifie pas, nous dit-on, le contrat de travail. Pourtant m'a-t-on fait remarquer, il est constant qu'un accord collectif peut déroger à la loi s'il est plus favorable ; comment la loi peut-elle dès lors priver d'effet cet accord ?

D'autre part, comment concilier la modification apportée au contrat de travail avec un principe de valeur constitutionnelle ? On m'a signalé le cas des laïcs, au nombre de 30 000, qui participent au service du culte le lundi de Pentecôte. Ces personnes considèrent que leur contrat de travail induisait implicitement le caractère férié du lundi de Pentecôte. En y portant atteinte, ne mettez-vous pas en cause le principe constitutionnel de la liberté d'exercice du culte ?

M. Denis Jacquat, rapporteur de la commission des affaires culturelles - En regard de son amendement de suppression de l'article, le groupe communiste propose d'autres moyens de financement, que du reste nous n'approuvons, mais il le fait. Dans son amendement 58, le groupe socialiste, lui, n'avance aucunes solutions alternatives, même si, oralement, des représentants ont pu indiquer d'autres voies. Je ne ferai pas du réchauffé avec le fameux article du magazine La Vie (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste). Je comprends qu'on puisse changer d'avis, et je n'insiste pas. La commission a rejeté les deux amendements de suppression.

M. Gérard Larcher, ministre délégué aux relations du travail - Adopter ces amendements remettrait en cause l'ensemble de la réforme, en refusant le principe de la journée de solidarité, donc les mesures qu'elle finance en faveur des personnes âgées et dépendantes. Le Gouvernement a pris ses responsabilités en présentant un texte dont l'équilibre serait rompu par le refus d'une journée de solidarité.

S'agissant du dialogue social, un projet a été déposé en janvier, et voté ici le 7 avril - ce fut mon premier texte soutenu devant vous. La loi devrait être promulguée dans quelques jours, le Conseil constitutionnel n'y ayant trouvé rien à reprendre.

Il y a là un fait dont on ne peut pas ne pas tenir compte : nous devons scrupuleusement respecter les principes posés par cette loi sur le dialogue social.

S'agissant de la question posée par M. Morin, je répondrai que le Conseil constitutionnel a rendu plusieurs arrêts qui nous autorisent à instituer une journée de solidarité pour un motif d'intérêt général - et le soutien aux personnes dépendantes est incontestablement un motif d'intérêt général ! La même justification peut d'ailleurs être invoquée, s'agissant de la rectification du contrat de travail.

M. le Président - Sur les amendements 37 et 58, je suis saisi par le groupe socialiste d'une demande de scrutin public.

M. Jean Le Garrec - Votre réponse est un peu courte, Monsieur le ministre délégué, et si je voulais être sévère, je dirais même qu'elle n'est pas digne de ce qui est ici en cause. Nous ne contestons pas la réforme, mais seulement ses modalités de financement. Et, sur ce point, par la voix de M. Terrasse en particulier, nous avons avancé des propositions ! Nous avons par exemple expliqué qu'il pouvait suffire de redéployer certains crédits et nous sommes prêts à ouvrir le débat avec vous sur ce point.

D'autre part, il n'est pas raisonnable de nous opposer la date de publication d'une loi pour refuser que nous réaffirmions la nécessité du dialogue social ! Ce l'est d'autant moins que cette loi remettait en cause la hiérarchie des normes et le principe de faveur, ce qui n'est pas rien. A détricoter ainsi le code du travail, vous ne pouvez que susciter de la défiance à l'égard de vos intentions. Dans le cas d'espèce, comme les syndicats sont opposés à ce jour ouvré non rémunéré, je suis d'ailleurs tout prêt à parier que vous serez contraints de revenir en arrière...

Enfin, je connais les décisions du Conseil constitutionnel relatives au principe de l'intérêt général et j'admets qu'elles peuvent avoir des effets importants, par exemple dans le cas de conflits, mais je ne vois pas en quoi elles pourraient justifier qu'on touche à ce point au code du travail, au mépris des acquis de ce dernier siècle.

Mme Paulette Guinchard-Kunstler - Le Gouvernement n'a répondu ni à ma question sur les travailleurs à temps partiel, ni à celle de M. Morin qui demandait si la loi pouvait primer sur des conventions plus avantageuses. Quant au rapporteur, il oublie que nous avons fait des propositions ou, à tout le moins, ouvert des pistes de réflexion. Surtout, nous nous sommes prononcés pour que le débat sur l'évolution - nécessaire - du financement de la dépendance ait lieu dans le cadre du débat sur l'assurance maladie. En effet, ce qui est ici en cause, Monsieur le ministre délégué, c'est bien moins l'intérêt général que la protection sociale, dont le droit à compensation doit être un élément. En voulant en faire un dispositif à part, vous stigmatisez les personnes âgées et les personnes handicapées. J'avoue que je suis surprise de votre position, vous sachant bon connaisseur du secteur médico-social, ne serait-ce qu'en raison des responsabilités que vous avez exercées à la tête de la FHF. Une telle séparation ne peut avoir que de graves effets, qu'il s'agisse du financement, du droit du travail ou du droit à compensation. Après avoir joué sur la culpabilisation, vous avez trouvé une nouvelle façon de retarder l'indispensable réflexion, donc l'indispensable évolution de notre protection sociale.

A la majorité de 18 voix contre 9 sur 27 votants et 27 suffrages exprimés, les amendements 37 et 58 ne sont pas adoptés.

M. le Rapporteur - L'amendement 108 est défendu.

L'amendement 108, accepté par le Gouvernement et mis aux voix, est adopté.

M. le Rapporteur - Aux termes du texte actuel, la date de la journée de solidarité est en principe fixée au lundi de Pentecôte. Le troisième alinéa autorise toutefois à arrêter d'autres modalités, par voie de négociation collective, mais cette approche dérogatoire apparaît quelque peu paradoxale, l'objectif étant d'autoriser une journée de travail supplémentaire, et non, bien évidemment, de supprimer le lundi de Pentecôte. Mieux vaut faire de l'accord des parties la règle et ne prévoir que la journée de solidarité sera fixée au lundi de Pentecôte que lorsque la négociation n'aura pas abouti. D'où l'amendement 15, qui précise en outre que le jour choisi ne peut être le 1er mai, qui est en France un jour férié chômé.

M. Hervé Morin - Ce n'est que la Constitution !

M. le Président - Le sous-amendement 38 a été défendu par Mme Jacquaint.

M. Jean-Pierre Decool - Le sous-amendement 106 vise à préserver au lundi de Pentecôte son caractère de jour férié, conformément au v_u de nos concitoyens, des associations et des professionnels du tourisme.

M. Claude Leteurtre - L'amendement 90 est défendu.

M. Hervé Morin - Avant d'exposer l'amendement 127, je veux répondre à celui de la commission. La négociation collective que vous souhaitez privilégier, Monsieur le Rapporteur, n'interviendra en fait que rarement : les temps ne sont plus propices ! Quel syndicat accepterait d'ailleurs de signer un accord qui obligerait les salariés à travailler un jour de plus sans être rémunérés ? Il n'est que de voir dans quelle position se retrouvent la CFDT après qu'elle a signé l'accord sur les retraites ou les syndicats qui ont signé l'accord sur les intermittents pour douter qu'il s'en trouve ! Une négociation est possible, à la rigueur, dans certaines entreprises, mais elle me paraît tout à fait exclue au niveau de la branche. Les chefs d'entreprise eux-mêmes ne la souhaiteront pas, échaudés qu'ils ont été par celles auxquelles a donné lieu la loi sur les 35 heures, loi de folie : il en est sorti trop de dispositions minutieuses, de contreparties soigneusement pesées pour qu'ils aient envie de remettre en cause cette « horlogerie » compliquée.

Et s'ils s'y engagent, ils devront accorder une compensation qui accroîtra les coûts pour l'entreprise. Cette loi crée en fait une cotisation sociale supplémentaire et une charge de plus sur le travail, ce qui est par ailleurs en contradiction avec les déclarations du Gouvernement.

En outre, contrairement à ce que pense le Gouvernement, aucune richesse supplémentaire ne sera créée, précisément en raison de ces nécessaires compensations.

Nous devons trouver de nouvelles ressources pour financer la protection sociale.

Par l'amendement 127, je prends le Gouvernement au mot. Au lieu de créer une journée de travail supplémentaire, et d'une façon aussi injuste selon les entreprises - leur taille, leur nature - et les salariés - application des 35 heures différente selon les secteurs, différents contrats d'activité -, disons aux Français qu'il faudra travailler plus pour financer des mesures de solidarité. Soyons cohérents : supprimons un jour de congés payés, et tout le monde sera sur un pied d'égalité.

M. Jean-Pierre Decool - L'amendement 30 est défendu.

M. Claude Leteurtre - L'amendement 91 de M. Perruchot rejoint celui de M. Morin. Il faut être cohérent, en effet. Ce débat arrive au mauvais moment, entre le projet sur l'assurance maladie et le vote des lois sur la décentralisation. Il faut prendre le temps d'expliquer aux Français pourquoi ils devront travailler un jour de plus.

Outre que l'annonce de la suppression du lundi de Pentecôte comme jour férié a été agressive, son effet serait néfaste pour l'économie.

Il faut éventuellement se donner la possibilité de supprimer une journée de RTT. Donnez un peu de souplesse à votre dispositif.

M. le Rapporteur - Avis défavorable sur le sous-amendement 38 car ce sont les nouvelles règles en vigueur du code du travail qui désormais régissent la conclusion des accords. Or, elles prévoient le principe de l'accord majoritaire.

M. Hervé Morin - Justement, il n'y en aura pas. Imaginez-vous la CGT approuver la suppression d'un jour férié ?

M. le Rapporteur - La commission n'a pas examiné le sous-amendement 106 mais j'y suis défavorable à titre personnel. Pourquoi protéger plus le lundi de Pentecôte que le jour de Noël ou le lundi de Pâques ?

Avis défavorable sur l'amendement 90 car s'il était adopté, la journée de solidarité risquerait d'être fixée de façon unilatérale par l'employeur.

L'amendement 127 n'a pas été examiné mais j'y suis défavorable à titre personnel. J'ai confiance dans le dialogue social et la négociation.

Enfin, Monsieur Morin, si la suppression du lundi de Pentecôte ne plaît pas à tous, je crains que la suppression d'un jour de congé payé ne plaise à personne.

M. Hervé Morin - Une fois de plus, nous n'avons pas le courage de dire la vérité aux Français.

M. le Rapporteur - Avis défavorable sur les amendements 30 et 91 pour les raisons déjà évoquées.

M. Gérard Larcher, ministre délégué - Avis favorable à l'amendement 15, qui donne la priorité au dialogue social et fait confiance aux partenaires sociaux.

Monsieur Morin, je vous rappelle qu'au sein des entreprises, 70 % des accords sont conclus à l'encontre des consignes nationales des centrales.

Avis défavorable sur les sous-amendements 38 et 106 ainsi que sur l'amendement 90 - où il y aurait un risque d'unilatéralité comme l'a expliqué M. le rapporteur - et sur l'amendement 127. Bien entendu, au-delà de sept heures, les heures supplémentaires seraient payées.

M. Jean Le Garrec - Le ministre a dit que la parution de la loi sur le dialogue social était trop tardive pour que ses principes aient pu être pris en compte. J'ai déjà démontré que l'argument ne tenait pas, mais puisque vous l'évoquez, je vous répondrai par un autre principe, sur lequel M. Fillon s'est fondé pour justifier l'ouverture du contingent d'heures supplémentaires : permettre à ceux qui le veulent de travailler plus pour gagner plus. Je fais remarquer au passage qu'à peu près trois pour mille des accords ont été renégociés, tout simplement parce que l'offre de travail est insuffisante ; la création de richesses étant donc parfaitement aléatoire, on est fondé à parler de prélèvement supplémentaire sur les entreprises. Mais pour en revenir à ce principe, vous êtes en train de l'inverser, puisque vous obligez tous les salariés à travailler plus pour gagner moins !

M. Hervé Morin - Autant !

M. Jean Le Garrec - Moins ! Car les sept heures ne viendront pas en déduction du contingent des heures supplémentaires. Le bonus ne jouera donc qu'au-delà. Dans bien des cas, les salariés gagneront donc moins.

M. Bernard Accoyer - Ce n'est pas vrai !

M. Jean Le Garrec - Je sais de quoi je parle ! Comment pouvez-vous penser qu'un syndicat ou des délégués du personnel reviendront sur une convention collective ? Cela est totalement impossible pour un accord majoritaire et ne paraît guère envisageable même pour un accord d'entreprise où la représentation syndicale n'est pas très présente. N'ayant pas pris la précaution d'engager un dialogue social préalable, vous allez donc dans une impasse, sans compter la confusion créée dans l'esprit des salariés, pour lesquels les heures supplémentaires sont liées à une rémunération supplémentaire. Le débat est complètement déstructuré. Il fait se souvenir de cette phrase des Shadocks : quand on ne sait pas où l'on va, il faut y aller le plus vite possible ! C'est ce que vous êtes en train de faire, et vous en subirez les conséquences.

Mme Paulette Guinchard-Kunstler - Je voudrais faire une proposition très pratique. Vous venez de décider, pour financer un dispositif de protection sociale, de demander aux gens de travailler plus sans être payés. Pourquoi donc cherchons-nous tous, dans le cadre de la mission d'information sur l'assurance maladie, un dispositif de financement solide et pérenne ? Demandons à M. Debré d'arrêter nos travaux puisque vous avez trouvé la solution ! Il suffit de savoir s'il faut supprimer deux, quatre ou six jours de salaire pour financer la protection sociale !

M. Philippe-Armand Martin - Caricature !

Mme Paulette Guinchard-Kunstler - Vous êtes en train de déstructurer le droit du travail, la notion de négociation et celle de convention collective ! Un débat approfondi aurait dû avoir lieu, car il s'agit d'une évolution importante de notre protection sociale. Vous le refusez, alors qu'il était indispensable de discuter avec les syndicats et les autres acteurs concernés de la création de droits nouveaux de la protection sociale. Je vous demande donc d'arrêter nos travaux car la majorité a trouvé la solution pour combler le déficit de l'assurance maladie.

M. Hervé Morin - Je suis déçu que le Gouvernement ne réponde pas à mes questions. Le tourisme est la première industrie française. Si les salariés d'un restaurateur travaillent déjà le lundi de la Pentecôte, quelle valeur ajoutée la suppression de ce jour férié créera-t-elle ? Le dispositif se résumera donc, pour de nombreux secteurs, à un prélèvement supplémentaire de 0,3 % assis sur le travail. Je suis prêt à retirer mon amendement si l'on me démontre le contraire. Pourquoi ne pas avoir le courage de dire aux Français des choses simples ? La loi sur les 35 heures est une aberration économique totale (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP), mais nous n'avons pas été nombreux, avec M. Accoyer, à nous y opposer des jours et des nuits durant ! Permettons à ceux qui veulent travailler plus de le faire, et expliquons qu'il n'y aura pas de dépense publique supplémentaire sans création de richesses correspondante. Au lieu d'un système alambiqué, que je vous laisse le soin d'expliquer à l'industrie touristique, supprimons un jour de congés payés ! Ce serait une mesure juste et équitable pour tous.

Enfin, je crois que vous _uvrez contre la réhabilitation du travail. Les Français qui travaillent plus doivent être récompensés. Prélever l'intégralité de leur effort pour alimenter le grande machine de la dépense publique ne contribue guère à réhabiliter le travail ! Votre système compliqué, aux conséquences que vous n'envisagez pas, va décourager l'idée du travail. Je demande donc un scrutin public sur l'amendement 127.

M. Le Garrec remplace M. Salles au fauteuil présidentiel.

PRÉSIDENCE de M. Jean LE GARREC

vice-président

M. Bernard Accoyer - La discussion s'est quelque peu éparpillée. Substituer au jour de solidarité demandé par le Gouvernement un journée de congés payés est une dérive préoccupante alors que ce mécanisme de solidarité avait, à l'origine, été proposé sur tous les bancs de l'Assemblée. M. Ayrault (Protestations sur les bancs du groupe socialiste), Mme Lebranchu, M. Fabius, personnalité pour laquelle le parti socialiste nourrit des espoirs considérables, M Migaud, le plus éminent de ses spécialistes des finances...

Mme Paulette Guinchard-Kunstler - Nous vous avons déjà répondu sur ce thème !

M. Bernard Accoyer - ...tous s'étaient retrouvés dans une initiative réaliste et généreuse, fondée sur un principe auquel nous sommes tous attachés : le financement de la protection sociale par le travail, parce qu'il n'y a pas d'autre source possible. Il faut donc répondre aux nouveaux besoins créés par la dépendance par un nouveau moyen, qui a été retenu dans d'autres pays : un jour de solidarité. Il est vrai que la première proposition était rigide : la suppression pour tout le monde du lundi de Pentecôte. On en mesure les conséquences économiques, culturelles, sociales ou sur la sécurité routière par exemple. C'est pourquoi nous avons souhaité assouplir le dispositif en laissant une large part aux accords, tant entre partenaires sociaux que dans les administrations ou les collectivités locales, les professions indépendantes ayant par définition la liberté de décision. Cela s'impose comme la meilleure solution.

Remettre en cause la durée des congés payés semble poser beaucoup plus de problèmes. Du fait de la réduction obligatoire et généralisée du temps de travail, les deux tiers des salariés disposent désormais de « jours de RTT ». Il y a là une opportunité évidente pour financer le nouveau dispositif de solidarité. Reste, certes, le cas des entreprises qui travaillent encore 39 heures pas semaine. Mais une disposition qui n'aurait concerné que les salariés aux 35 heures aurait été frappée d'inconstitutionnalité.

Or il est urgent d'agir, car il nous a fallu financer l'APA (Protestations sur les bancs du groupe socialiste).

Certains voudraient amalgamer la journée de solidarité avec la réforme de l'assurance maladie, ce qui me paraît dangereux. Mais vous savez que nous sommes confrontés à une forte croissance des dépenses de santé. Nous ne pouvons laisser charger la barque jusqu'à ce qu'elle coule. Nous devons assumer nos responsabilités de parlementaires (Protestations sur les bancs du groupe socialiste ; applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Claude Leteurtre - Le Gouvernement n'a pas répondu aux questions de M. Morin.

Quant à M. Accoyer, il oublie que les Français sont généreux. J'ai rappelé hier que le bénévolat représentait 5,2 milliards d'euros dans notre pays. Or nous sommes en train de gâcher une bonne idée. Les Français sont capables d'être généreux, mais encore faut-il que le dispositif soit juste et réfléchi.

Il y aura un prélèvement à partir du 1er juillet, afin de rembourser l'emprunt contracté pour l'APA. Disons donc clairement qu'il y a là un artifice financier, au lieu d'invoquer la générosité ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

Mme Danièle Hoffman-Rispal - Je regrette que M. Accoyer n'ait pas entendu les arguments de l'opposition. Je suis capable de faire un don ; mais demander un don, ce n'est pas la même chose que d'imposer une journée de travail gratuite aux salariés.

Nos collègues de l'UDF ont au moins raison sur un point : les entreprises vont payer. Quand vous vouliez supprimer le lundi de Pentecôte, nous savions où nous allions. Mais commevous n'êtes pas d'accord entre vous, pour des raisons qui tiennent au tourisme et au culte, vous demandez aux entreprises de négocier, alors que les syndicats s'opposent à cette mesure.

Les entreprises devront donc négocier ce qui n'est pas négociable. Elles subiront le prélèvement sans avoir pu créer de valeur ajoutée.

M. Hubert Falco, ministre délégué aux personnes âgées - Le Gouvernement s'est déjà expliqué sur la notion de « don ». Monsieur Morin, les restaurateurs toulonnais pourront négocier avec les syndicats. En l'absence de négociations, comme nous sommes sensibles aux problèmes des artisans et des commerçants, la loi leur permettra de fixer une autre date que le lundi de Pentecôte. Il ne vous a pas échappé que, dans tous les cas, il y aura une journée de travail supplémentaire et la création d'une valeur ajoutée.

M. Gérard Larcher, ministre délégué aux relations du travail - Il a été dit que les salariés pourraient gagner moins. Ce n'est pas le cas (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste). Le Gouvernement va même proposer, dans son amendement 104, une rémunération supplémentaire pour les salariés payés à l'heure, qui vont bénéficier d'un régime particulier.

Le sous-amendement 38, mis aux voix, n'est pas adopté, non plus que le sous-amendement 106.

L'amendement 15, mis aux voix, est adopté. En conséquence, les amendements 90, 127, 30 et 91 tombent.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu cet après-midi, à 15 heures.

La séance est levée à 13 heures 10.

                Le Directeur du service
                des comptes rendus analytiques,

                François GEORGE

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ERRATUM

au compte rendu analytique de la 2ème séance du mercredi 5 mai 2004.

Page 17, à la onzième ligne, lire :

« L'amendement 8, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté. »

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne trois heures après la fin de séance.

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

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