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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2003-2004 - 86ème jour de séance, 213ème séance

1ère SÉANCE DU MARDI 11 MAI 2004

PRÉSIDENCE de Mme Hélène MIGNON

vice-présidente

Sommaire

      FIN DES MISSIONS DE DEUX DÉPUTÉS 2

      RESPONSABILITÉ INDIVIDUELLE
      DES DIRIGEANTS DE SOCIÉTÉS ANONYMES 2

      EXPLICATIONS DE VOTE 13

      FIXATION DE L'ORDRE DU JOUR 14

      A N N E X E ORDRE DU JOUR 15

La séance est ouverte à neuf heures trente.

FIN DES MISSIONS DE DEUX DÉPUTÉS

Mme la Présidente - Par lettre du 29 avril 2004, M. le Premier ministre m'a informée que les missions temporaires précédemment confiées à M. Yves Bur, député du Bas-Rhin, et M. Lionnel Luca, député des Alpes-Maritimes, avaient pris fin le 9 mai 2004.

RESPONSABILITÉ INDIVIDUELLE DES DIRIGEANTS DE SOCIÉTÉS ANONYMES

L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. Christophe Caresche et plusieurs de ses collègues relative au renforcement de la responsabilité individuelle des dirigeants et mandataires sociaux dans les sociétés anonymes ainsi qu'à la transparence et au contrôle de leur rémunération dans les sociétés cotées.

M. Christophe Caresche, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République - Cette proposition de loi résulte des conclusions que nous avons tirées, au sein du groupe socialiste, de la mission d'information sur le gouvernement d'entreprise. Je rends d'ailleurs hommage à cette mission, créée à l'initiative de M. le président de la commission des lois, qui a permis de dresser un constat objectif.

Je regrette d'autant plus que M. le président de la commission des lois, contrairement à la coutume, n'ait pas souhaité joindre à notre discussion ses propres conclusions puisqu'il a lui-même déposé, avec ses amis, une proposition de loi sur le même sujet. La majorité a-t-elle vraiment envie de légiférer sur cette question ? Au fond, elle reste liée aux intérêts d'un système et de ses représentants, qu'elle prétend par ailleurs dénoncer.

Notre proposition vise à apporter une réponse législative aux abus, aux dérives, voire aux malversations et aux scandales qui ont marqué la vie des grandes entreprises. Nous nous souvenons tous de la faillite frauduleuses d'Enron, des comptes truqués de Worldcom, des acquisitions effrénées de Vivendi et de France Télécom, autant d'affaires qui ont provoqué une crise de confiance et miné le contrat social.

Comment comprendre les pratiques de Golden hello ou de Golden parachute ? Comme comprendre qu'un chef d'entreprise ayant amené son entreprise au bord de la faillite se voit gratifié d'une indemnité considérable pour son départ ?

Sait-on qu'entre 1997 et 2002, les cinq plus grosses rémunérations des entreprises françaises ont augmenté de 50 %, que la rémunération individuelle moyenne de chaque patron du CAC 40 a été de 4,5 millions en 2002, soit 375 fois la rémunération annuelle d'un salarié au SMIC ? La même année, pendant que le CAC 40 perdait 33 %, la rémunération des patrons des grands groupes progressait en moyenne de 13 %.

On nous explique qu'il convient de rémunérer les dirigeants d'entreprises au prix du marché international. Curieux argument : c'est sans doute le seul marché où la mise en concurrence favorise la hausse des rémunérations.

Intérêt social et intérêt personnel de certains dirigeants coïncident-ils ? Il faut poser la question. L'intérêt social, en effet, englobe associés, actionnaires et salariés et il est aujourd'hui nécessaire de conforter ses mécanismes protecteurs. Telle est notre intention.

Nous voulons tout d'abord affirmer le principe de la responsabilité. Certes, les chefs d'entreprise ont besoin de liberté, mais celle-ci suppose la responsabilité et ne saurait autoriser les pratiques douteuses et les fautes intentionnelles.

Or, dans notre droit, cette responsabilité est largement fictive. En effet, si elle existe bien sur le plan pénal, elle n'a pas d'existence effective sur le plan civil, la jurisprudence de la Cour de cassation la rendant impossible, sauf dans le cas des faillites.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République - Absolument !

M. le Rapporteur - La société anonyme est donc un bouclier derrière lequel se réfugient tous les mandataires sociaux dès que leur responsabilité est engagée. Nous ne sommes pas les seuls à le déplorer : c'est également le cas de Mme Colette Neuville, présidente de l'association de défense des actionnaires minoritaires, et de M. Jean-François Burgelin, procureur général près la Cour de cassation.

Nous proposons de faire sauter les verrous posés par la jurisprudence de la Cour de cassation sur la mise en _uvre de la responsabilité civile des mandataires sociaux, notamment concernant la notion de « faute détachable ».

Nous proposons de même d'ouvrir la procédure dite d' « action sociale en responsabilité » par la prise en charge des frais de procédure et la possibilité de nommer un administrateur ad hoc. Il ne s'agit cependant pas d'ouvrir une procédure de class action à la française.

M. Arnaud Montebourg - Très bien !

M. le Rapporteur - A la différence de MM. Clément et Houillon, nous ne proposons pas d'intégrer la notion de préjudice indirect, qui permettrait à un actionnaire de mettre en cause la gestion d'un responsable d'entreprise sur la seule variation du cours de la bourse. Nous ne partageons pas cette conception patrimoniale de l'entreprise.

Nous proposons ensuite que le dirigeant dont la responsabilité personnelle aura été reconnue supporte sur ses propres deniers une partie des dommages et intérêts. Il existe en effet des assurances qui couvrent le risque en responsabilité civile - risque pratiquement inexistant comme je viens de le dire - et ce marché est quand même évalué à 300 millions. Il faudrait que le responsable assume les conséquences de ses actes.

Nous proposons de renforcer la transparence en matière de rémunérations en donnant à l'assemblée des actionnaires le pouvoir de voter annuellement une délibération qui fixe et délimite le rapport entre la plus haute rémunération et la rémunération minimale versée à un salarié employé à temps plein.

Nous proposons de remettre en cause la pratique du « pouvoir en blanc », déresponsabilisante et désuète.

Il nous semble enfin indispensable de développer l'information en direction des salariés et de leurs représentants.

Cette proposition de loi n'est pas dictée par l'air du temps. Elle résulte d'un travail long et sérieux. Nous tenons également à redonner confiance en nos entreprises. Ne croyez pas que l'autorégulation ou l'autodiscipline seules le permettront. Le législateur doit prendre ses responsabilités, lui seul pouvant définir un cadre qui changera les comportements (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Mme Nicole Guedj, secrétaire d'Etat aux droits des victimes - Les fondements législatifs des règles de la gouvernance d'entreprise ont fait l'objet d'une attention particulière de Dominique Perben depuis deux ans. Participant aujourd'hui aux Etats-Unis aux réunions du G8 Justice, il regrette de ne pouvoir être présent pour débattre à nouveau avec vous.

Cette proposition est explicitement motivée par la réaction à certains scandales qui ont émaillé la vie des entreprises et des marchés financiers au cours des dernières années, le dispositif visant à les résoudre et à « ouvrir la voie à un partage transparent de la richesse créée par l'entreprise », en enserrant le fonctionnement des entreprises dans de nouvelles normes relatives à la rémunération des dirigeants, à leur responsabilité ou à la relation entre l'entreprise et ses actionnaires.

La conviction du Gouvernement est toute autre, les problèmes soulevés appelant une réponse plus élaborée que des mesures législatives supplémentaires. Au demeurant, notre priorité étant de développer la croissance et l'emploi, ces objectifs paraissent incompatibles avec l'alourdissement inutile du fonctionnement des sociétés. A contrario, la qualité du droit applicable aux entreprises conditionne largement l'attractivité de notre économie et c'est sur ce point que devrait être concentré l'effort législatif.

La loi ne peut suffire, à elle seule, à redonner confiance aux investisseurs. Il est vrai que des événements très regrettables ont marqué les esprits. En outre, la période récente n'a pas été favorable aux investisseurs sur les marchés d'actions, même si la tendance s'améliore. Le Gouvernement attache la plus haute importance à ce que le contexte juridique et institutionnel en place dans notre pays contribue à la confiance que les petits porteurs et les actionnaires individuels sont en droit d'en attendre et qui est indispensable au bon fonctionnement de l'économie et à l'attractivité du territoire français.

Pour en créer les conditions, le Gouvernement a adopté une démarche déterminée et pragmatique, notamment avec le titre III de la loi de sécurité financière, adoptée le 1er août 2003, qui a réformé le contrôle légal des comptes, dont certaines défaillances ont été, à l'étranger, à l'origine des scandales Enron, Worldcom et Parmalat. La fiabilité de l'information financière sur les entreprises françaises s'en trouvera grandement améliorée. Nous avions alors reconnu ensemble qu'en matière de gouvernance d'entreprise, la transparence était le moyen le plus efficace. Elle est aussi l'outil essentiel de la modification souhaitable des comportements. Le Garde des Sceaux avait choisi de lui consacrer un chapitre entier de la loi. L'obligation, fort lourde, faite aux sociétés de présenter un rapport annuel sur le contrôle interne en est un gage.

Si la loi a pour mission d'instaurer les règles de base, elle a surtout, en la matière, vocation à créer une dynamique, nous sommes en train d'y parvenir. La mise en _uvre, par les entreprises, des recommandations établies dans les rapports Viénot et Bouton apporte des progrès concrets. Votre commission des lois a aussi pris l'initiative de créer une mission d'information sur la réforme du droit des sociétés, dont les premiers travaux ont porté, en particulier, sur la gouvernance d'entreprise. Je la remercie de ce travail important.

Aussi, les propositions faites par votre rapporteur sur la publicité de la rémunération des dirigeants ne me paraissent pas nécessaires. La loi oblige actuellement les assemblées générales des actionnaires à voter, chaque année, le montant global de l'enveloppe des rémunérations allouées aux administrateurs. Dans les sociétés anonymes dotées d'un directoire, la rémunération de ses membres est fixée par le conseil de surveillance. La loi de sécurité financière a également prévu, pour les groupes de sociétés comprenant une société cotée, la publication, dans un rapport destiné à l'assemblée générale mais adressé préalablement au comité d'entreprise, des rémunérations et avantages alloués aux mandataires sociaux.

L'encre de cette réforme est à peine sèche. Nous devons, à présent, la mettre en _uvre, non pas la remettre en cause.

Un des objectifs de la proposition est de mettre fin aux primes d'arrivée ou de départ - dites golden hello ou golden parachute. Mais elle ne le permet pas puisque la disposition n'aurait d'effet que sur la durée du mandat social.

Le Gouvernement souhaite simplifier le droit applicable aux entreprises plutôt que de multiplier les règles auxquelles elles sont soumises. D'importantes mesures de simplification du droit ont été prises ces derniers mois, en particulier par voie d'ordonnances. Celle que le Garde des Sceaux a présentée le 24 mars dernier illustre la volonté du Gouvernement d'alléger les contraintes pesant sur les entreprises, en particulier les SARL, en supprimant des règles et formalités entravant le bon fonctionnement de l'économie.

À ce titre, la proposition préconise de supprimer la possibilité pour les actionnaires de donner des pouvoirs en blanc pour les votes en assemblée générale. Je ne pense pas que cela renforcerait la démocratie au sein de la société, le dispositif actuel n'étant que la conséquence de la grande dispersion de l'actionnariat des entreprises françaises et ne visant qu'à permettre aux actionnaires, s'ils ne souhaitent pas assister aux réunions, d'exprimer de façon très simple un vote de confiance. La nouvelle règle proposée risquerait en outre de diminuer sensiblement la représentativité des assemblées, par l'application mécanique des règles de quorum. Enfin, la loi de sécurité financière a déjà renforcé la participation des sociétés de gestion de portefeuille aux assemblées générales, les parts de nombreux petits actionnaires étant portées par le biais d'OPCVM. Ces sociétés doivent ainsi exercer les droits dans l'intérêt exclusif des actionnaires et rendre compte de leurs pratiques.

La qualité du droit applicable aux entreprises est une condition majeure de l'attractivité de notre économie. La méthode d'élaboration de la règle est à cet égard cruciale, afin de concilier qualité juridique et concertation. C'est cette méthode qu'a suivie le Garde des Sceaux pour la loi de sécurité financière ou pour le projet de loi de sauvegarde des entreprises, qu'il présentera demain en Conseil des ministres.

En revanche, le dispositif de renforcement de la responsabilité des dirigeants d'entreprise qui vous est proposé repose sur trois moyens qui doivent être exclus. Le premier consiste à affirmer la nécessité d'une faute commise par le dirigeant dans l'exercice de ses fonctions pour que sa responsabilité puisse être engagée. Le ministère de la justice estime que ceci n'apporte rien au mécanisme de responsabilité actuel car la jurisprudence de la Cour de cassation va globalement dans ce sens. La proposition crée surtout un risque de confusion pour les actionnaires.

D'autre part, le rapporteur suggère d'interdire aux entreprises de prendre en charge les contrats d'assurance responsabilité civile de leurs dirigeants. Je partage ses interrogations sur les effets de la généralisation de ce mécanisme, mais il me semble que l'évolution proposée remettrait radicalement en cause l'équilibre actuel entre la liberté d'entreprendre, avec les responsabilités individuelles et collectives qui s'y attachent, et le droit des victimes à une réparation satisfaisante des préjudices subis.

M. Arnaud Montebourg - Oh la la ! Qui a écrit ce discours ? (Sourires)

Mme la Secrétaire d'Etat - Par ailleurs, il est suggéré de faire prendre en charge par les entreprises certains frais de justice des actionnaires dans la procédure en responsabilité à rencontre des dirigeants, ce qui conduirait rapidement à multiplier les actions en responsabilité. Il n'est pas envisageable que les entreprises supportent les coûts liés à une procédure judiciaire en cas de condamnation des dirigeants, alors que les règles de procédure civile prévoient, le plus souvent, le remboursement des frais par le perdant.

Enfin, la proposition prévoit la désignation d'un mandataire ad hoc pour représenter la société dans la procédure en responsabilité à rencontre des dirigeants. Je comprends l'objectif poursuivi. Mais les mécanismes actuels de procédure civile permettent déjà de désigner un mandataire en cas de conflit d'intérêt.

Cette proposition me paraît de nature à engendrer soit des redondances soit des grandes confusions dans les équilibres qui régissent aujourd'hui la gouvernance d'entreprise. Juridiquement, elles ne me semblent donc pas suffisamment élaborées pour être satisfaisantes. Le Gouvernement considère donc que le temps n'est pas venu de prendre des dispositions législatives nouvelles sur la gouvernance d'entreprise, moins d'un an après la loi de sécurité financière. Je demande par conséquent à l'Assemblée de rejeter cette proposition (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Arnaud Montebourg - Nous avons pris le taureau par les cornes en décidant de présenter des propositions issues directement des réflexions que vous venez de présenter comme utiles. La Commission européenne, les instances de surveillance, la mission Clément, les rapports Viénot et Bouton font le même constat : les rémunérations ont explosé, les écarts de salaires dans les entreprises cotées sont passés de 20 à 500 en vingt ans. Il y a là une rupture de contrat entre les actionnaires et les salariés qui produisent la richesse collective et les dirigeants, entre l'intérêt social et l'intérêt personnel de ces dirigeants.

Nos concitoyens peuvent-ils accepter, alors que les conditions de travail sont chaque jour plus difficiles, la compétition plus rude, la négociation salariale âpre, de s'en remettre à l'autorégulation - terme bien décevant si l'on espérait de vous une solution, inacceptable si l'on savait qu'il ne fallait pas l'attendre ? Cette autorégulation, c'est une auto-augmentation sans limite des rémunérations. C'est M. Michelin qui augmente la sienne de 146 %, M. Bouton, auteur d'un rapport dans lequel il semblait déplorer ce type d'attitude, qui augmente la sienne de 55 %. En l'absence de règles, tout est possible.

Nous pensions que la majorité voulait faire évoluer le droit. Mais le Gouvernement ne veut pas toucher aux intérêts des dirigeants du capitalisme. Ils ne sont pas responsables. De ce fait, M. Messier comparaît devant la justice américaine, pas devant les tribunaux français, et au pénal, ce qui n'est pas le meilleur terrain. Défendre l'intérêt social, c'est d'abord organiser le débat interne pour que actionnaires et salariés puissent élaborer leurs propres règles concernant la rémunération et le fonctionnement de l'entreprise. Nous ne voulons pas que le législateur fixe les rémunérations, mais que l'assemblée générale se prononce sur l'écart des rémunérations.

M. Michel Delebarre - C'est très bien.

M. Arnaud Montebourg - Ne peut-on au moins en discuter ? Selon le mot d'un des saints patrons des fonds de pension américains, Warren Buffet, les conseils d'administration sont peuplés de chihuahuas sous sédatif ! Il y a donc fort à faire.

Ce que nous proposons, c'est introduire une régulation. Ni Mme Neuville, ni M. Clément, ne sont, je crois, des bolcheviques au couteau entre les dents. Pourtant ils dénoncent l'irresponsabilité de fait des dirigeants français. Il vaut mieux, pour une entreprise, se débarrasser d'un dirigeant qui la met en faillite ou en banqueroute. Ce n'est pas possible. Les conseils d'administration, peuplés de potiches, ne font rien et les dirigeants ont un bouclier évitant que leur responsabilité soit mise en cause. Or quand le drame est joué, que l'outil de travail disparaît, c'est trop tard. Le législateur, le Gouvernement doivent donc agir.

Vous ne voulez pas « alourdir » les règles. Nous entendons simplement que la régulation se fasse à l'intérieur de l'entreprise plutôt que devant le tribunal de commerce. Vous nous dites que la transparence est le moyen de faire évoluer les comportements. Mais elle existe, depuis 2000, même si votre texte sur la sécurité financière l'a affaiblie. Elle donne le droit d'apprendre que tous les ans les rémunérations augmentent, sans lien avec les résultats de l'entreprise ! Pour nous, il faut, par la loi, confier aux organes naturels d'une entreprise le soin de discuter des rémunérations et de réguler un capitalisme archaïque dans lequel les salariés sont tenus à l'écart. Nous avons d'ailleurs proposé que les représentants des salariés aient connaissance, comme le conseil d'administration et l'assemblée générale, des rémunérations de toute nature. C'est naturel puisqu'il y a une obligation de négociation annuelle avec les salariés - elle concerne tous les salaires.

Vous invoquez l'article L. 225-102-1 du code de commerce qui organise la transparence. Mais dans ce cadre, les entreprises ont publié des rapports sur les avantages en nature de toutes sortes qui ne contiennent pas toutes les informations. De toute façon, le non-respect de cet article ne fait encourir aucune sanction. Il faut donc aller plus loin. Vous parlez de transparence sur les avantages en nature, pour la retraite, en cas de rupture de contrat ou de démission, et sur les aspects fiscaux. Mais désormais, l'argent illégalement entreposé dans les paradis fiscaux sera couvert par l'amnistie. Les mafieux qui ont mis leurs fonds dans les banques luxembourgeoises ou monégasques vont recevoir l'imprimatur de la République pour blanchir un argent peut-être mal acquis ! C'est une politique scandaleuse. Vouloir mettre le nez dans la manière dont certains dirigeants utilisent les paradis fiscaux, ce n'est pas du bolchevisme, c'est vouloir que la République soit debout et tende les mains à ceux qui lui font encore confiance (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

M. Gilles Artigues - A la lecture des auditions menées par la mission Clément ou de la presse du jour, nous avons parfois l'impression de ne pas vivre dans le même monde que certains dirigeants d'entreprise ; le malaise, la défiance s'emparent de nous. En 2003, dans les sociétés du CAC 40, les rémunérations patronales, qui sont en moyenne de 2 millions, ont augmenté de 11,4 %, tandis que la moyenne des salaires augmentait en France de 2,5 %. Comment justifier que, lorsque l'action d'une société perd 10 %, son PDG s'augmente de 4,6 % et touche un million de stock options dont le cours est garanti par un contrat d'assurance ?

M. Pierre Cardo - C'est vrai !

M. Gilles Artigues - Seuls 10 % des dirigeants ont diminué leur salaire en raison des performances des entreprises qu'ils dirigent. Ils finissent par être sur les talons des patrons américains, dont on sait la démesure.

Pour ne citer que cet exemple, le PDG de Colgate-Palmolive a gagné en 2003 la bagatelle de 199 millions d'euros !

« Rémunérations », stock options, golden parachutes, golden hello, « bonus » : autant de termes qui nous sont familiers parce que des affaires défraient régulièrement la chronique, pare-soleil de réalités beaucoup plus complexes. Mais aussi autant de termes bien obscurs pour le non-initié. Pour le grand public, la seule chose compréhensible sont les millions d'euros ainsi brassés ! Ajoutons-y la quasi-impunité dont bénéficient ces dirigeants d'entreprise et l'on apercevra assez clairement les motivations de notre collègue Caresche...

M. Michel Delebarre - Ils vont voter la proposition !

M. Gilles Artigues - A quoi vise son texte ? D'abord, à renforcer l'action en responsabilité civile que peuvent intenter contre les administrateurs les actionnaires ou les salariés ayant subi un préjudice personnel. Le code de commerce prévoit déjà une telle action, mais la jurisprudence restrictive de la Cour de cassation en limite l'effet en distinguant préjudice propre et préjudice social, et c'est pourquoi on nous suggère ici de revenir à l'esprit de la loi du 24 juillet 1966.

En second lieu, la proposition vise à mieux encadrer les rémunérations des dirigeants et des mandataires sociaux et à sortir cette question de l'obscurité. Il ne s'agit pas d'opposer de façon manichéenne méchants chefs d'entreprise et gentils salariés, mais de dresser un constat pour rétablir un équilibre. Au reste, n'est-il pas anormal que des dirigeants dont la rémunération est en partie fonction des résultats de leur société puissent se prémunir contre d'éventuelles baisses d'activité ou de rentabilité, laissant les seuls salariés supporter les conséquences de leur mauvaise gestion ?

Si ces motivations sont donc louables et si elles reprennent en partie les conclusions de la mission d'information, les dispositions proposées ne visent que la face visible de l'iceberg. Ce qui est en cause, en effet, c'est une véritable réforme de l'esprit de notre droit des sociétés et, à travers elle, le capitalisme à la française. A l'heure où de nombreux pays, dont les Etats-Unis, optent pour un interventionnisme croissant du législateur, notre droit des sociétés reste, lui, régi par les principes d'autorégulation et d'autodiscipline. Le groupe UDF demeure favorable à cet esprit : la loi ne peut ni ne doit tout régler et un encadrement trop strict n'incite pas à prendre conscience de ses responsabilités. Cependant, nous assistons à trop de dérives. Se pose dès lors la question de savoir comment encadrer par la loi sans remettre en cause l'intégralité du droit des sociétés. Il nous faut par ailleurs éviter une judiciarisation excessive : l'élargissement de l'action en responsabilité risque fort d'aggraver l'encombrement de nos tribunaux, de sorte qu'actionnaires et salariés ne verront aboutir leur action qu'au bout de longues années. Le problème doit donc, à notre sens, être traité beaucoup plus en amont, dans le cadre d'une refonte globale.

Enfin, ces dispositions se heurtent à l'écueil des délocalisations : craignons qu'à celles de la main-d'_uvre et des unités de production s'ajoutent bientôt celles de sièges sociaux ! Plutôt que de prendre un tel risque, essayons plutôt de trouver des mécanismes propres à enrayer cette fuite.

Nous ne pouvons que souscrire à la philosophie d'un texte qui tend à fixer le rapport entre plus hautes rémunérations et rémunérations minimales : l'écart entre le salaire minimum et la rémunération patronale moyenne est de 1 à 375. Il nous paraît néanmoins qu'une telle mesure est contraire à l'esprit dans lequel fonctionnent les société anonymes.

Reste que nous devons mener une réflexion sur ces grilles, qui flirtent avec l'indécence, et sur des pratiques que M. Schröder a décrites comme « conformes au droit, mais non à la morale ». Pourquoi ne pas nous inspirer de nos voisins et, spécialement, de la Grande-Bretagne où les actionnaires se prononcent par un vote sur les rémunérations des principaux dirigeants ?

Un tel sujet aurait mérité un débat de fond et il est donc dommage que nous n'y consacrions que quelques heures. Bien que nous approuvions l'esprit de cette proposition, les moyens que suggèrent nos collègues ne nous semblent pas être les plus appropriés à l'heure actuelle, et nous le regrettons sincèrement. Mais, parce que nous pensons aussi qu'il faut agir, nous nous contenterons de nous abstenir en attendant l'indispensable débat.

M. Michel Delebarre - C'est un pas hésitant dans le bon sens, mais un pas tout de même !

M. Jacques Desallangre - Souvenez-vous : quelle fut la première démarche du gouvernement Raffarin I ? Elle consista à revenir sur cette disposition de la loi NRE qui tendait à limiter, d'ailleurs bien légèrement, le cumul des mandats sociaux ! Dès ses premiers pas, ce gouvernement avait choisi son camp, celui du Medef, qui réclamait alors un droit d'ingérence dans la politique économique, et des patrons, qui déploraient de ne plus pouvoir cumuler jetons de présence et émoluments vertigineux...

Cette loi sur les « nouvelles régulations économiques » n'était pourtant pas de nature à bouleverser le capitalisme français, et je ne l'avais d'ailleurs pas votée pour ma part. Mais elle avait le mérite d'essayer de réduire la consanguinité dans un système où, avant 2001, 196 personnes se partageaient 958 postes de direction, 1 653 postes d'administrateurs, 943 postes de représentants permanents et 280 autres fonctions, soit 3 853 postes importants - 19,5 par individu, en moyenne ! Il faut une santé insolente pour faire face, et un bel appétit...

En 2000, les 53 présidents des sociétés du CAC 40, soit 12 % des mandataires, détenaient au total 135 mandats : autrement dit, en sus de leur mandat de président, ils en détenaient ensemble 82 dans une autre société !

Il convenait donc de réhabiliter ce qu'un prix Nobel d'économie appelle le « capitalisme de copains », régi par la règle : « Tu m'invites à ton conseil d'administration, je t'invite au mien ». Ce choix de céder en toute hâte à l'une des revendications du Medef ne manquait pas d'audace au moment où une série de scandales à grande échelle faisait suite à l'explosion de la bulle boursière : faillite d'Enron, malversations chez WorldCom, détournements chez Tyco et, en Europe, affaires Vivendi et Ahold. Ayant ainsi découvert que des dirigeants n'hésitaient pas à puiser dans les caisses, le Congrès des Etats-Unis opta pour une attitude à l'opposé du laxisme français : il lança sous la pression des petits porteurs une opération de salubrité publique et, pour laver le capitalisme de tout soupçon, il entérina une grande réforme de la législation boursière. Inspirons-nous donc pour une fois de l'exemple américain ! Même les plus libéraux se sont aperçus que, pour sauver le capitalisme, il faut restaurer la confiance et donc réguler...

Mais cela suppose une vraie réforme législative et c'est ce que ce gouvernement refuse.

La France a certes adopté au premier semestre de 2003 une loi de sécurité financière qui a renforcé les pouvoirs de la COB, devenue Autorité des marchés financiers, et accru l'indépendance des cabinets d'audit. Mais rien n'a été fait pour accroître la responsabilité des dirigeants d'entreprise ni pour sanctionner plus durement la criminalité en col blanc. Pis : sous couvert de moderniser notre législation, cette loi a supprimé un certain nombre d'incriminations figurant dans le code du commerce.

Une nouvelle polémique commença alors d'enfler, la presse pointant certaines rémunérations excessives. Le magazine Challenges a ainsi relevé que la rémunération moyenne des cent PDG. les mieux payés de France avait progressé de 15 % par rapport à 2001, alors même que les résultats nets de leurs entreprises régressaient de 13 %. En un an, ces hommes gagnent ce que 250 smicards ne gagneront jamais de toute leur vie, Madame la secrétaire d'Etat ! Aux dires de l'European Corporate Governance Institute, nos patrons sont désormais les mieux payés d'Europe - ils gagnent 16 % de plus que leurs homologues britanniques, par exemple.

Au moment où ce gouvernement cherche partout des économies, s'en prenant à l'indemnisation du chômage, et dans un contexte marqué par la multiplication des plans sociaux et par la modération salariale, cette réalité est apparue intolérable. La dérive a été symbolisée par deux noms : celui de Jean-Marie Messier, deuxième salaire de France, qui a mené Vivendi à la faillite, et celui de Pierre Bilger, ex-PDG. d'Alstom, qui s'est senti - le seul- obligé de rembourser une partie de ses 5 millions d'euros d'indemnité de départ. Certains, dans vos rangs ont fini par considérer que c'en était trop. « Quelques-uns ont multiplié par six leur rémunération alors que la valeur de leur entreprise était divisée par dix et qu'en plus ils procédaient à des licenciements économiques », s'indigna Alain Marsaud, qui appela à faire cesser « ces abus au moment où l'on demande à tous de travailler plus longtemps pour toucher une retraite plus faible ». Hélas, la montagne a accouché d'une souris !

Le vote consultatif des actionnaires réunis en assemblée générale sur la rémunération des mandataires sociaux, déjà appliqué au Royaume-Uni, aux Pays-Bas, et en Suisse, a été abandonné suite aux pressions du Medef et de l'association française des entreprises privées, de même que l'encadrement et la limitation des golden parachutes. Et Jean Marie Messier a ainsi pu annoncer sans vergogne qu'il allait se battre pour ses indemnités de départ, vingt millions d'euros!

Nous avons déposé un amendement, avec notre collègue Rudy Salles, pour supprimer l'exonération fiscale des parachutes dorés jusqu'à un plafond de 360 000 €. Mais la majorité a estimé que " fiscaliser ces indemnités pourrait conduire à les légitimer"! Et Pascal Clément de tendre la main au Medef pour qu'il fasse des recommandations claires aux entreprises, plutôt que de légiférer, au prétexte que la loi ferait fuir les investisseurs!

En vérité, vous n'avez pas répondu à l'indignation collective, alors que le chômage et les délocalisations augmentent inexorablement.

Pour toutes ces raisons, cette proposition de loi est la bienvenue, même si l'on aurait pu aller plus loin, en imposant aux entreprises et à leurs dirigeants d'assurer financièrement les coûts qu'ils font peser sur la société, notamment du fait des licenciements boursiers.

Il faut étendre le principe de la responsabilité et améliorer la transparence. Que ne vous inspirez-vous de l'ancien ministre des finances qui osait affirmer que l'écart exorbitant de salaire entre le simple employé et le patron représentait la différence de plus-value apportée par chacun à l'entreprise ! Que la rémunération des dirigeants soit votée en assemblée générale, évaluée en proportion du plus bas salaire : nous saurons alors combien les dirigeants s'estiment plus productifs ! Tout le monde saura ainsi qu'une journée de travail du président de FIMALAC, dont le résultat est négatif, représente un an de salaire de l'employé le moins payé.

Malheureusement, je suppose que le Gouvernement refusera toute discussion au fond, même si le texte reste inscrit dans une logique capitaliste, où le pouvoir de décision est lié à la détention des titres de propriété.

L'indignation de nos collègues n'est que de façade. En réalité, l'inaction la plus totale contre la criminalité en col blanc demeure le credo des champions autoproclamés de la lutte contre la délinquance.

Pour ces raisons, nous souhaitons le passage à la discussion des articles pour permettre à chacun d'assumer ses responsabilités. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Jean-Pierre Balligand - La gestion d'une entreprise n'est ni de droite ni de gauche.

Ce texte est une nouvelle tentative pour contenir les dérives du capitalisme de marché que la loi sur les nouvelles régulations économiques de mai 2001 et la loi de sécurité financière d'août 2003 n'ont pas convenablement traitées.

La situation de l'an dernier, lorsque je défendais la position du groupe socialiste dans le débat sur la loi de sécurité financière n'a malheureusement pas changé - voyez l'affaire Parmalat.

La politique doit pouvoir se saisir de ces questions. « Plus on aura besoin des marchés, plus il faudra encadrer leur jeu par des règles prudentielles solides, une surveillance sérieuse et des réglages macro-économiques précis », écrivait en 2002 l'économiste Anton Brender.

Une réflexion très critique sur la gouvernance d'entreprise a été ouverte par le mouvement patronal lui-même, depuis Marc Viénot en 1995 et 1999 jusqu'à Claude Bébéar en 2003, en passant par Daniel Bouton en 2002. Depuis, le droit des affaires a tenté de se réformer en s'inspirant de principes anglo-américains, comme la transparence et la responsabilité des acteurs.

C'est encore dans cet esprit que le groupe socialiste, après avoir décidé en 2001 de donner une forme législative à cette prise de conscience, soumet aujourd'hui cette proposition au Parlement.

Nous vous disions déjà, il y a un an, que votre réforme n'était pas à la hauteur des réponses apportées outre-atlantique par la loi Sarbanes-Oxley, votée en 2002. Nous en arrivons du reste à ce paradoxe que ce sont les Etats-Unis qui imposent une législation sévère et des sanctions très lourdes aux dirigeants, quand la France privilégie la prise de conscience. Mais, Madame la ministre, l'autorégulation ne fonctionne pas, et il faut un minimum d'encadrement!

Je tiens particulièrement, dans cette proposition de loi, à la question de la transparence des rémunérations. Celle-ci a été officiellement soulevée dans le rapport Viénot II sur le gouvernement d'entreprise qui recommandait de rendre publique la politique de rémunération de l'équipe dirigeante.

Dans ce domaine, la loi NRE n'a fait que reprendre les recommandations du Medef, sans parfois aller aussi loin - je pense à la publication des dix salaires individuels les plus élevés de l'entreprise. Et malheureusement, l'obligation de publier annuellement le montant des rémunérations des dirigeants de sociétés anonymes a été mal perçue par la plupart des chefs d'entreprise, et est inégalement appliquée. C'est dans ces conditions que la loi de sécurité financière de 2003 a limité l'établissement du rapport annuel aux sociétés cotées ou non cotées mais contrôlées par une société cotée.

Les scandales ébruités dans la presse à propos des rémunérations des chefs d'entreprise - Vivendi, Alcatel, Crédit Lyonnais - témoignent de l'importance d'un meilleur contrôle des salaires des dirigeants.

Le cadre légal est censé améliorer le moyen de contrôle des actionnaires, mais est-ce vraiment le cas quand on sait que seul un tiers des 250 premières capitalisations à la Bourse de Paris ont adopté un comité des rémunérations ? Beaucoup reste à faire !

Par notre proposition de loi, nous réaffirmons notre détermination à contrôler et à calculer au mieux ces rémunérations.

Il est aussi plus que jamais nécessaire que les méthodes utilisées soient transparentes : d'où la proposition que soit fixé en assemblée générale un rapport maximum entre la rémunération la plus haute et la rémunération la plus basse, afin de mettre un terme à des excès qui scandalisent et démotivent, illustrant une forme de capitalisme déshumanisé que le législateur a le devoir de remettre dans le droit chemin. C'était d'ailleurs le sens d'une proposition que j'avais faite avec Jean-Baptiste de Foucault sur l'épargne salariale : que la distribution de stock options dans une entreprise ne puisse avoir lieu en l'absence d'accord d'intéressement.

En explorant diverses pistes concernant tant la responsabilité des mandataires sociaux que le déroulement des assemblées générales d'actionnaires, cette proposition de loi ne fait souvent que traduire l'influence du modèle anglo-saxon d'investissement, lequel impose au gouvernement d'entreprise des grandes sociétés européennes la démocratisation à marche forcée qui a lieu outre-Atlantique. Mais les évolutions du cadre légal s'opèrent toujours avec lenteur et réticences en France : le rapport Marini de 1996 ne suggérait-il pas déjà d' « améliorer les conditions de l'expression du droit de vote lors des assemblées générales » et de « restreindre les limitations statutaires à l'exercice des droits de vote » ? C'est en remettant régulièrement notre ouvrage sur le métier que nous parviendrons à faire changer les mentalités et à imposer enfin l'idée qu'une gouvernance d'entreprise plus juste est une gouvernance meilleure (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Pascal Clément - Je voudrais d'abord remercier très sincèrement le groupe socialiste d'avoir, à la suite des travaux de notre mission d'information sur le droit des sociétés, souhaité m'aider à faire avancer un certain nombre d'idées.

M. le Rapporteur - Vous en aviez besoin !

M. Arnaud Montebourg - Vous avez le Gouvernement contre vous !

M. Pascal Clément - Mes remerciements vont aussi au groupe UMP car s'il est si urgent d'adopter votre proposition de loi, il faudra que vous m'expliquiez pourquoi pendant les cinq dernières années, aucun d'entre vous n'avait eu cette idée de bon sens !

M. Michel Delebarre - Parce qu'il n'y avait pas eu le rapport Clément !

M. Pascal Clément - Merci !

Le comble est que, même si vous faites un pas en avant, vous finissez par vous contredire. En effet, ma proposition va beaucoup plus loin que la vôtre !

M. Arnaud Montebourg - Pourquoi ne vient-elle pas en discussion ?

M. Pascal Clément - Ecoutez-moi, je vous prie. Nous avons voulu une mission sur la gouvernance, non point d'abord pour s'occuper de la rémunération des dirigeants sociaux, mais, rappelez-vous, après les rapports de place, qui semblaient traduire, dans le cas du rapport Viénot II, la crainte de la loi NRE, et dans celui du rapport Bouton, la crainte d'une loi de l'UMP, pour instaurer un dialogue constructif. Je suis d'ailleurs convaincu qu'en ce moment nous ne perdons pas notre temps car les mandataires sociaux sont à l'écoute de ce que nous disons. Il est vrai que l'une des différences essentielles entre ces deux côtés de l'hémicycle, c'est que vous, vous croyez toujours à l'obligation législative, tandis que nous, nous croyons encore à la réforme des comportements (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Ou l'on croit en l'homme et l'on pense qu'il peut s'amender, s'améliorer en considération de l'intérêt général, sans être rousseauiste pour autant, ou l'on est profondément pessimiste et l'on pense que les seuls mobiles de l'homme sont l'argent et le pouvoir (Mêmes mouvements).

Notre mission d'information a voulu faire en sorte que la gouvernance à la française englobe les trois pouvoirs : l'exécutif, qui est très sacralisé ; le conseil d'administration qui, grâce aux rapports de place, commence à trouver une véritable existence, avec l'installation de différents comités, tel le comité des rémunérations ; enfin, le grand point faible, l'assemblée générale des actionnaires. Qui est propriétaire de l'entreprise ? La réponse à cette question est connue, mais tout le monde n'en tire pas les mêmes conséquences. Tout notre rapport avait pour but de réhabiliter le rôle de l'actionnaire.

M. Arnaud Montebourg - Guizot a la parole. « Enrichissez-vous ! »

M. Pascal Clément - Monsieur Montebourg, vous aviez dit que le rapport de notre mission était « une fourmi sans pattes ». Je m'étonne que cette fourmi donne lieu à ce débat !

Mais j'en reviens au rôle de l'actionnaire. La question est de savoir s'il peut y avoir mise en cause du dirigeant social. Le rapport de Christophe Caresche est excellent car il rappelle que tant la loi de 1966 que le code du commerce prévoient la responsabilité civile des mandataires sociaux. Il est à mes yeux fondamental qu'on puisse invoquer la responsabilité civile d'un dirigeant social, mais la Cour de cassation en ayant jugé autrement - et le Gouvernement a tendance a dire comme elle -, aujourd'hui on va au pénal et cela finit par déconsidérer la justice, comme le dit M. Burgelin, puisque cela se termine, après des années, par un non-lieu ou par une relaxe.

Le problème, c'est que le raisonnement de M. Caresche se termine par une pirouette finale, en concluant comme la Cour de cassation que s'il y a faute, c'est l'entreprise elle-même qui en fait les frais ! Dans ma proposition de loi, au contraire, je demande qu'il y ait une responsabilité civile des mandataires sociaux. La Cour de cassation pose deux conditions : qu'il soit prouvé que la faute du mandataire social à l'origine du préjudice est détachable de sa fonction, ce qui n'est pas possible dans la pratique ; que celui qui intente l'action en responsabilité, l'actionnaire, ait subi un préjudice direct et certain, ce qu'elle ne reconnaît jamais, même en cas d'ABS. On reste interdit devant une telle protection des mandataires sociaux ! Mais, Messieurs, je constate que vous êtes moins progressistes que moi (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste).

Nous devons trouver, entre le système américain, judiciarisant à l'extrême, et le système français actuel, une voie moyenne permettant de protéger le propriétaire de l'entreprise qu'est l'actionnaire.

Je souhaite ce débat parce que je crois que le système libéral est le seul qui permette d'être social puisque c'est le seul qui permette la création de richesses.

M. Arnaud Montebourg - Pour les dirigeants !

M. Pascal Clément - Si vous me laissiez finir, vous éviteriez de dire des sottises.

Mais un système libéral n'est bon qu'encadré par des règles. Il y en a, mais faut-il en mettre plus ? Oui, mais pas n'importe lesquelles, pour assurer le partage de la richesse produite. Je suis choqué, en effet, que les stock options soient réservées à quelques dirigeants alors que tous les salariés devraient en bénéficier. C'est ce vers quoi nous devons tendre.

On ne peut de plus se satisfaire d'un libéralisme qui produise des richesses sans que soit mise en place une responsabilité civile effective des mandataires sociaux par rapport aux actionnaires, et d'autant plus que grâce à la réforme des retraites, de nombreux salariés investiront dans des actions pour compléter leur retraite.

M. Jacques Desallangre - Avec quel argent ?

M. le Président de la commission - Il est donc indispensable d'avoir des règles claires au lieu de songer à redistribuer des richesses qui n'existent pas (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; protestations sur les bancs du groupe socialiste).

M. le Rapporteur - Ce débat a montré que le Gouvernement n'entend pas proposer de modification législative sur ces questions...

M. Arnaud Montebourg - En effet, et c'est scandaleux.

M. le Rapporteur - ...alors que les montants faramineux des rémunérations de certains dirigeants d'entreprise ont été encore publiés hier.

La position de M. Clément est assez délicate : d'une part, il fait l'éloge de l'autorégulation et, d'autre part, il nous reproche de ne pas aller assez loin.

M. le Président de la commission - Je suis favorable à la responsabilité civile.

M. le Rapporteur - Notre proposition est équilibrée. Nous ne voulons pas importer un mécanisme de class action à l'américaine...

M. le Président de la commission - Nous n'en sommes pas là.

M. le Rapporteur - ...qui implique la seule garantie de l'intérêt patrimonial de l'actionnaire.

Notre proposition tend à défendre l'intérêt social de l'entreprise et le pacte social qui la fonde, à la différence de votre proposition de loi.

M. Arnaud Montebourg - Très bien !

M. le Rapporteur - La discussion des articles aurait permis d'éclairer un débat parfaitement justifié. Je regrette que la Gouvernement et la majorité ne le permettent pas (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

La discussion générale est close.

Mme la Présidente - La commission des lois n'ayant pas présenté de conclusions, l'Assemblée, conformément à l'article 94, alinéa 3, du Règlement, est appelée à statuer sur le passage à la discussion des articles du texte initial de la proposition de loi. Conformément aux dispositions du même article du Règlement, si l'Assemblée vote contre le passage à la discussion des articles, la proposition de loi ne sera pas adoptée.

J'ai reçu du groupe socialiste, sur le vote du passage à la discussion des articles de la proposition de loi, une demande de scrutin public.

Nous en venons aux explications de vote.

EXPLICATIONS DE VOTE

M. Pierre Cardo - Cette proposition de loi est insuffisante, un peu opportuniste et à certains égards dangereuse.

Certes, il est préférable de supprimer la procédure du « pouvoir en blanc », mais vous êtes-vous préoccupé d'un autre côté du parcours du combattant que doit accomplir un actionnaire qui veut voter ? Il me semble que des améliorations devraient être apportées et que le débat que nous avons ce matin ne le permet pas.

Certes, il faut aller plus loin concernant la responsabilité des dirigeants, mais faut-il aller jusqu'à la suppression des assurances ? Sans doute conviendrait-il également de disposer quelques garde-fous pour ne pas aller trop loin dans la condamnation d'un certain nombre d'actes considérés comme contraires à l'intérêt de l'entreprise.

Enfin, j'ai demandé que soit créée une mission d'information sur un grand groupe connu et notamment sur la rémunération de ses dirigeants. Sur 120 parlementaires qui ont signé avec moi cette demande, pas un député socialiste (Protestations sur les bancs du groupe socialiste).Vous comprendrez donc ma position quant au passage à la discussion des articles de votre proposition (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jacques Desallangre - Le Gouvernement, en rechignant à intervenir, s'est donc payé de mots. Il considère que la législation est mauvaise pour l'entreprise mais en fait, c'est parce qu'il la trouve contraignante pour ceux qui puisent sans vergogne dans les richesses de l'entreprise tout en continuant à culpabiliser les salariés les plus modestes.

Le Gouvernement et sa majorité confondent à dessein l'intérêt de l'entreprise et de ses plus hauts dirigeants.

Nous voterons le passage à la discussion des articles d'une proposition qui pose de bonnes questions et aurait permis d'en poser d'autres encore, tout aussi embarrassantes pour la majorité (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).

M. Arnaud Montebourg - J'ai été surpris par l'intervention de M. Clément, inspirée de l'esprit de la monarchie de Juillet : « Enrichissez-vous » et peut-être redistribuera-t-on...

Les arguments avancés étant irrecevables, nous appelons nos collègues à voter le passage à la discussion des articles.

A la majorité de 63 voix contre 56 sur 120 votants et 119 suffrages exprimés, l'Assemblée décide de ne pas passer à la discussion des articles. Par conséquent, la proposition de loi n'est pas adoptée.

FIXATION DE L'ORDRE DU JOUR

Mme la Présidente - L'ordre du jour des séances que l'Assemblée tiendra jusqu'au 3 juin inclus a été fixé ce matin en Conférence des présidents. Il sera annexé au compte rendu de la présente séance.

Par ailleurs, la Conférence des présidents a fixé la date de trois votes solennels : le mardi 18 mai sur le projet de loi organique pris en application de l'article 72-2 de la Constitution relatif à l'autonomie des collectivités territoriales, le mardi 25 mai sur le projet de loi d'orientation sur l'énergie, et le mardi 1er juin sur le projet de loi constitutionnelle relatif à la charte de l'environnement.

Prochaine séance cet après-midi, à 15 heures.

La séance est levée à 11 heures 15.

            Le Directeur du service
            des comptes rendus analytiques,

            François GEORGE

A N N E X E
ORDRE DU JOUR

L'ordre du jour des séances que l'Assemblée tiendra jusqu'au jeudi 3 juin inclus a été ainsi fixé ce matin en Conférence des présidents :

CET APRÈS-MIDI, à 15 heures, après les questions au Gouvernement, et à 21 heures 30 :

_ Explications de vote et vote, par scrutin public, sur l'ensemble du projet relatif à la solidarité pour l'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées ;

_ Projet autorisant l'approbation du protocole à la convention du 27 novembre 1992 portant création d'un fonds international d'indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures ;

_ Projet autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement du Canada, les Gouvernements d'Etats membres de l'Agence spatiale européenne, le Gouvernement du Japon, le Gouvernement de la Fédération de Russie et le Gouvernement des États-Unis d'Amérique sur la coopération relative à la station spatiale internationale civile (ensemble une annexe) ;

_ Projet autorisant la ratification de la convention civile sur la corruption ;

_ Projet autorisant la ratification de la convention pénale sur la corruption ;

(Ces deux textes faisant l'objet d'une discussion générale commune)

_ Projet, adopté par le Sénat, autorisant la ratification de l'accord établissant une association entre la Communauté européenne et ses États membres, d'une part, et la République du Chili, d'autre part ;

(Ces quatre derniers textes faisant l'objet d'une procédure d'examen simplifiée en application de l'article 106 du Règlement)

_ Projet, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République populaire de Chine sur la création et les statuts des centres culturels, signé à Paris le 29 novembre 2002 ;

_ Projet, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Slovénie relatif au statut et au fonctionnement des centres culturels, conclu à Ljubljana le 17 octobre 2001 ;

_ Projet autorisant l'approbation de l'accord entre la France et la Russie relatif à la coopération en matière de sécurité intérieure et de lutte contre la criminalité ;

_ Projet, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation d'un accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de l'Ukraine relatif à la coopération policière ;

(Ces quatre derniers textes faisant l'objet d'une procédure d'examen simplifiée en application de l'article 107 du Règlement)

_ Proposition de résolution de M. Thierry MARIANI sur la proposition de règlement du Conseil portant création d'une Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l'Union européenne (COM [2003] 687final/E 2447).

MERCREDI 12 MAI, à 15 heures, après les questions au Gouvernement :

_ Projet de loi organique pris en application de l'article 72-2 de la Constitution relatif à l'autonomie financière des collectivités territoriales ;

à 21 heures 30 :

_ Texte de la commission mixte paritaire sur le projet relatif au divorce ;

_ Suite de l'ordre du jour de l'après-midi.

JEUDI 13 MAI, à 9 heures 30 :

_ Proposition de résolution de M. Didier MIGAUD et plusieurs de ses collègues tendant à la création d'une commission d'enquête sur la dégradation des comptes publics depuis juin 2002 ;

(Séance d'initiative parlementaire)

à 15 heures et à 21 heures 30 :

_ Suite de l'ordre du jour de la veille.

MARDI 18 MAI, à 9 heures 30 :

_ Questions orales sans débat ;

à 15 heures, après les questions au Gouvernement, et à 21 heures 30 :

_ Explications de vote et vote, par scrutin public, sur l'ensemble du projet de loi organique pris en application de l'article 72-2 de la Constitution relatif à l'autonomie financière des collectivités territoriales ;

_ Projet de loi d'orientation sur l'énergie.

MERCREDI 19 MAI, à 15 heures, après les questions au Gouvernement, et à 21 heures 30 :

_ Suite de l'ordre du jour de la veille.

MARDI 25 MAI, à 9 heures 30 :

_ Questions orales sans débat ;

à 15 heures, après les questions au Gouvernement, et à 21 heures 30 :

_ Explications de vote et vote, par scrutin public, sur l'ensemble du projet de loi d'orientation sur l'énergie ;

_ Projet de loi constitutionnelle relatif à la charte de l'environnement.

MERCREDI 26 MAI, à 15 heures, après les questions au Gouvernement, et à 21 heures 30 :

_ Suite de l'ordre du jour de la veille.

JEUDI 27 MAI, à 9 heures 30, à 15 heures et à 21 heures 30 :

_ Projet relatif à l'octroi de mer.

MARDI 1er JUIN, à 9 heures 30 :

_ Questions orales sans débat ;

à 15 heures, après les questions au Gouvernement, et à 21 heures 30 :

_ Explications de vote et vote, par scrutin public, sur l'ensemble du projet de loi constitutionnelle relatif à la Charte de l'environnement ;

_ Projet, adopté par le Sénat, pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.

MERCREDI 2 JUIN, à 15 heures, après les questions au Gouvernement, et à 21 heures 30 :

_ Suite de l'ordre du jour de la veille.

JEUDI 3 JUIN, à 9 heures 30, à 15 heures et à 21 heures 30 :

_ Eventuellement, texte de la commission mixte paritaire sur le projet relatif aux communications électroniques et aux services de communication audiovisuelle ;

_ Suite de l'ordre du jour de la veille.


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