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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2003-2004 - 104ème jour de séance, 257ème séance

3ème SÉANCE DU MARDI 15 JUIN 2004

PRÉSIDENCE de M. Jean-Louis DEBRÉ

Sommaire

      SERVICE PUBLIC DE L'ÉLECTRICITÉ
      ET DU GAZ (suite) 2

      QUESTION PRÉALABLE DE M. ALAIN BOCQUET 2

      ORDRE DU JOUR DU MERCREDI 16 JUIN 2004 25

La séance est ouverte à vingt et une heures trente.

SERVICE PUBLIC DE L'ÉLECTRICITÉ ET DU GAZ (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi relatif au service public de l'électricité et du gaz.

QUESTION PRÉALABLE DE M. ALAIN BOCQUET

M. Alain Bocquet - Il y a près de soixante ans, dans un pays exsangue, engagé dans un effort de redressement exceptionnel, étaient créés deux établissements publics liés, chargés d'assurer la production et le transport de l'énergie sur tout le territoire et pour toute la population. Les documents officiels étaient paraphés par le ministre communiste Marcel Paul, et sans doute serait-il aujourd'hui plus digne, plus juste socialement et plus efficace économiquement, de s'inspirer de l'esprit visionnaire, de la modernité et du courage de cet acte plutôt que de s'attacher à saboter l'ouvrage.

Le programme du Conseil national de la résistance, adopté le 15 mars 1944 à l'unanimité, selon la règle d'alors, prônait la subordination des intérêts particuliers à l'intérêt général. Il préconisait l'intensification de la production nationale, après consultation de tous ses acteurs, et organisait le retour à la nation des grands moyens de production monopolisés, fruits du travail commun, des sources d'énergie, du sous-sol, des compagnies d'assurance et des grandes banques. Enfin, il faisait de la participation des travailleurs à la direction de l'économie un des moteurs de la reconstruction.

Ce rappel vise d'abord à rendre hommage aux femmes et aux hommes qui, quelles que soient leurs sensibilités, surent se projeter dans l'avenir et répondre aux attentes des Français et aux besoins de leur pays. On est loin du projet d'aujourd'hui, qui subordonne l'intérêt national à l'intérêt privé et l'avenir d'une nation aux exigences mesquines de la privatisation, de la rentabilité et de l'immédiateté du profit ! Rappeler cet engagement - quelle leçon d'histoire et de gouvernement ! - permet également d'établir une échelle des valeurs et de débusquer la médiocrité des appétits qui commandent les choix d'aujourd'hui. Au lendemain des désaveux que vous ont signifié les dernières consultations électorales, il vous devient chaque jour plus difficile de nommer devant l'opinion votre politique pour ce qu'elle est. Tenus cependant par la volonté présidentielle de maintenir le cap de l'ultralibéralisme, vous n'imposez rien moins que l'abrogation de la loi de 1946. Le projet du Medef, et donc le vôtre, pour le secteur public, est en réalité très éloigné des mots rassurants avec lesquels vous tentez d'amadouer l'opinion. Entendez la voix de nos concitoyens, c'est la seule solution démocratique !

La France bénéficie d'un secteur public fort, efficace et jouissant d'une excellente image. De nombreuses enquêtes d'opinion ont montré la profondeur de ce sentiment en particulier pour EDF et GDF. Les Français font du service public le garant de l'égalité de traitement des usagers. Ils savent son rôle dans l'aménagement du territoire et les droits sociaux. EDF et GDF ont la réputation d'être des entreprises efficaces, notamment - mais pas seulement - en cas de crise grave. Le service public est une idée forte, facteur de développement économique, d'égalité des territoires et de progrès social tant pour les usagers que pour le personnel.

Vous aurez toutes les difficultés à imposer votre entreprise de démolition publique. Le 3 octobre 2003, les salariés d'EDF et de GDF avaient déjà exprimé leurs inquiétudes. Le Gouvernement avait affirmé les avoir entendues, mais ce n'est pas le sentiment qu'ils ont. Le 27 mai, les trois quarts du personnel s'étaient mobilisés. Outre les manifestations, 80 000 signatures ont été recueillies pour l'organisation d'un référendum sur le changement de statut des deux entreprises, et les actions de mobilisation continuent aujourd'hui. Vous devez retirer ce projet de loi. Suivez donc le conseil que vous adressait un militant syndical : au lieu d'ouvrir le capital d'EDF et de GDF, ouvrez plutôt le Capital de Karl Marx ! Vous y trouveriez d'excellents arguments (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

Une fois de plus, vous allez dérouler le tapis rouge au capitalisme mondialisé, ouvrir grandes les portes au marché. Ce faisant, vous réduirez encore le champ démocratique et laisserez à la finance le pouvoir de décider à la place des citoyens ; vous aggraverez les inégalités et détruirez les services publics. Selon le préambule de la Constitution de 1946, tout bien, toute entreprise dont l'exploitation a le caractère d'un service public national ou d'un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité. L'énergie répond à des besoins vitaux et contribue au développement économique. Elle est essentielle pour tous les aspects de la vie quotidienne. La livrer aux boursicoteurs, en faisant reposer la libéralisation sur le dogme hypocrite du marché bienfaiteur, constitue une atteinte délibérée aux intérêts de la population. Vous allez franchir aujourd'hui une étape en séparant les activités de production et de distribution, avant de privatiser EDF et GDF - car il faut bien appeler un chat un chat : vous commencez par vendre une part minoritaire du capital, pour faire entrer le loup dans la bergerie ! En même temps que vous préparez la voie à la loi du profit, vous menez une offensive brutale contre les lois sociales de notre République. Vous entendez aussi faire un sort au système de protection sociale, à la Poste, à la SNCF ou à l'hôpital public ; vous vous en prenez à l'idée même du bien commun.

Plutôt que de laisser aux citoyens et aux salariés des biens en partage, gérés de façon démocratique pour la satisfaction de tous, vous préférez qu'une minorité de financiers, de privilégiés et d'affairistes s'enrichissent et décident seuls. Alors que nous aurions besoin d'un grand secteur public, renouvelé, élargi et authentiquement citoyen, pour répondre aux défis économiques et sociaux de notre temps, vous préférez laisser les manettes au marché. Les ressources, les énergies et les activités indispensables au bien-être des hommes comme à un développement harmonieux et durable, qui relèvent de l'intérêt général, ne sauraient pourtant être abandonnées à la concurrence, faire l'objet d'une course au profit ni échapper à la souveraineté nationale.

La sécurité des installations met en jeu de lourdes responsabilités, qu'il appartient à l'Etat d'assumer dans la mesure où elles engagent pour partie l'avenir de l'humanité. Si nous appliquions le seul principe de précaution, il n'y aurait même pas lieu de débattre de ce texte, tant il s'exonère de cette question essentielle. Les enjeux environnementaux relèvent pourtant de choix politiques et ne sauraient être laissés aux décideurs économiques.

Le marché énergétique mondial est un marché à part, notamment parce que ses ressources ne sont pas inépuisables et que nous avons le devoir, vis-à-vis des générations futures, de ne pas les gaspiller. L'énergie, comme l'eau, biens communs de l'humanité, ne peuvent être soumis aux aléas boursiers.

La France a également pris des engagements en matière de protection de l'environnement et de développement durable. L'action d'EDF et de GDF à l'étranger doit être envisagée dans une perspective de coopération et de co-développement. Nous savons, hélas, que l'on peut faire la guerre pour le pétrole et que des peuples en paient chaque jour, inutilement, le prix du sang. Il serait temps de travailler à une société où ces biens communs de l'humanité seraient gérés de façon coordonnée, économe et juste, de songer à une régulation internationale de la production et de la distribution d'énergie, dans le souci de traiter d'égale façon ceux qui produisent et ceux qui consomment. Certains habitants de la planète n'ont accès ni à l'électricité ni au gaz, alors qu'il existe des gisements de pétrole ou de gaz dans leur pays. Souhaitons-nous une planète réellement solidaire ou une planète où tout se monnaye ? Quel rôle allez-vous faire jouer à la France en refusant ainsi de peser sur un cours des choses qui ne dessert pas les intérêts fondamentaux que vous servez ?

Nous ne pouvons que nous opposer à ce projet de loi qui porte atteinte aux principes de souveraineté nationale comme aux principes de notre Constitution.

Les expériences britannique et californienne ont montré, à l'envi, que l'approche libérale fondée sur la logique marchande et la recherche de la rentabilité pour les actionnaires privés, était antagoniste des missions de service public. S'agissant d'un domaine aussi vital que celui de l'énergie, ce simple rappel suffirait à fonder notre opposition à la modification du statut d' EDF-GDF.

La concurrence, nous dit-on, ferait baisser les prix. C'est faux ! Les clients éligibles que sont pour le moment les seuls industriels en ont fait l'amère expérience : la concurrence a conduit à une augmentation des prix. La facture électrique de la SNCF va ainsi s'alourdir de 35%. Pourquoi ? Tout simplement, parce que dans l'ancien système, les tarifs étaient fixés sur la base des prix de revient, modulés par une péréquation, alors que dans le nouveau système, la base sera le prix du marché. En France, où le prix de revient de l'électricité était parmi les plus bas grâce aux investissements publics des années 1970 et 1980 dans le nucléaire, la concurrence ne peut conduire qu'à une hausse des prix. Ce renchérissement énergétique pèsera sur l'ensemble de l'économie. Quel paradoxe ! Alors que les investissements évoqués plus haut pourraient constituer un atout pour le développement du pays, ils vont être dilapidés pour l'intérêt de quelques grands groupes multinationaux.

Mais au-delà, l'avenir même est en jeu. Dans le système concurrentiel que vous souhaitez instaurer, qui assurera les financements de long terme qu'exigent les équipements lourds répondant aux besoins de développement ? L'expérience a maintes fois démontré l'incapacité des oligopoles privés à se substituer au monopole public. Du canal de Panama au tunnel sous la Manche en passant par l'expérience électrique californienne, les constats abondent de déconfitures du privé pour gérer des investissements dont la rentabilité, essentiellement sociale, ne peut être atteinte qu'à très long terme.

Alors que notre pays lance, à juste titre, l'EPR, alors qu'il est essentiel de soutenir l'effort de recherche-développement sur les énergies du futur dans une perspective de complémentarité et de développement durable, il est dangereux de se livrer pieds et poings liés à la concurrence et à la recherche de rentabilité maximale, instruments de pilotage qui sont par nature de court terme.

Nous ne souhaitons pas, comme le projet de loi leur en donne la possibilité, qu'EDF et GDF deviennent des prédateurs, fussent-ils nationaux, à l'instar d'autres entreprises coulées dans le moule capitaliste. Les aventures boursières non plus qu'un endettement excessif sur les marchés financiers, ne sont de l'intérêt ni d'EDF, ni de GDF - ni de la nation tout entière. Ils conduiraient au contraire ces entreprises au repli, les fragiliseraient, avant de signer peut-être leur disparition.

EDF et GDF vont de surcroît être mis en concurrence alors qu'une fusion renforcerait le pôle public en mutualisant les moyens et les énergies. Nous demandons au Gouvernement d'avoir le courage de renégocier la directive européenne de 1998, contraire à notre Constitution même.

Tout en conservant EDF et GDF comme propriété publique, la France pourrait, à l'échelle de l'Europe, organiser une coopération des opérateurs énergétiques au service de l'intérêt des populations et du développement. C'est ainsi que l'on pourrait construire un « futur souhaitable ».

Dans ce marché ouvert, dont nous contestons le principe même en raison des ravages qu'il provoque, vous voulez obliger EDF et GDF à adopter les normes sociales et économiques de leurs hypothétiques concurrents. Vous voulez ouvrir tout le champ à la loi du profit à tout prix, au mépris des salariés qui subissent de plein fouet les conséquences de la course à la rentabilité, au mépris des usagers qui n'ont rien à gagner à devenir clients, au mépris des projets industriels eux-mêmes, peu à peu réduits à servir de prétextes.

En dépit de vos promesses, et quelles que soient vos dénégations, la privatisation ne peut entraîner que des régressions sociales pour les salariés d'EDF et GDF, conduire tôt ou tard à la remise en question de leurs statuts qui, loin d'être des privilèges, devraient être une norme enrichissant le droit du travail.

Vous avez différé l'ouverture du capital, mais nul ne s'y trompe : la casse sociale aura bien lieu. Les mouvements et actions en cours, que nous saluons, ont d'ailleurs bien pour objectif qu'EDF reste à 100% publique. Vos man_uvres de dernière minute et vos reculades ne changeront rien à cette exigence.

Vous ne parviendrez pas à nous faire croire que la modification du statut d'EDF et de GDF n'enclenchera pas le processus d'ouverture de leur capital et, à terme, leur privatisation, mise à mort programmée de services publics pourtant essentiels.

Il n'y a aucune raison, y compris économique, pour détruire le service public de l'énergie, pas plus que n'importe quel autre d'ailleurs. Les vertus de la concurrence n'ont rien d'évident, comme on a pu le constater dans le secteur des télécommunications. Entre les promesses qui émaillent la course au marché boursier et la réalité du service rendu par la suite, quel gâchis économique, quelle casse sociale !

Au nom de la concurrence, mot, semble-t-il, magique pour vous, vous démantelez nos structures sociales et réduisez la capacité de notre peuple à décider lui-même de son avenir. Les dirigeants de notre pays n'ont pas lieu d'être fiers d'avoir accepté en 2002, au sommet de Barcelone, l'ouverture à la concurrence du marché de l'électricité le 1er juillet 2004 pour les professionnels, et le 1er juillet 2007 pour les particuliers.

Mise en concurrence et privatisation des services essentiels à la vie des ménages signifient accroissement des inégalités. A cela, vous répondez, le c_ur sur la main, qu'il existera toujours un tarif préférentiel pour les plus démunis, comme il existe un service minimum aux Etats-Unis -où la collectivité se dédouane par ce biais de sa responsabilité dans la défense de l'égalité. Piètre horizon, qui témoigne en tout cas que la guerre aux pauvres lancée il y a deux ans, et si vivement dénoncée par le mouvement associatif, demeure plus que jamais d'actualité pour vous !

D'après une revue économique de l'OCDE elle-même, la privatisation entraîne une hausse des prix à court terme et une discrimination au détriment des ménages, sans que le service ne soit en rien amélioré. Les augmentations vont seulement grossir les profits des actionnaires de l'entreprise qui influent peu à peu sur ses choix. Il en résulte à terme une moindre qualité du service pour le public et une sélection des investissements au bénéfice exclusif des gros clients. L'émulation, ce credo libéral, tire en effet toujours vers le bas les normes sociales, écologiques, sanitaires et industrielles.

Cette liberté, que vous nous proposez à un prix exorbitant, c'est la liberté de quelques-uns dans une société à plusieurs vitesses. La Bourse n'a que faire de la solidarité, de l'égalité, du service public et du développement durable. Elle veut un rendement sur le court terme, quand les services publics ont besoin de garantir les investissements sur le long terme pour assurer l'égalité de traitement des usagers sur tout le territoire avec un personnel qualifié, toutes choses que vous mettez en danger. Ne vous étonnez pas que nos concitoyens aient durement sanctionné ces choix. La privatisation met aussi en cause l'égalité entre les territoires. Elle accentuera la fracture sociale, et pénalisera l'emploi et le développement en rendant l'accès à l'énergie plus difficile et plus cher.

Ce projet n'est qu'une étape, car votre idéologie vise toutes les entreprises publiques. Nous nous y opposerons résolument, car à nos yeux l'avenir doit apporter des droits nouveaux aux salariés et aux usagers. Les élus locaux communistes et républicains s'y opposeront également car les collectivités locales possèdent des réseaux de distribution. A leur initiative, de nombreux conseils municipaux, conseils généraux ou régionaux, ont rejeté vos choix et ont pris position pour préserver l'outil public EDF-GDF.

Votre principal argument est que ces deux entreprises étaient adaptées à un environnement désormais révolu. Mais plus que jamais, le service public de l'énergie a sa raison d'être et vous faites prévaloir une logique marchande là où il n'en est nul besoin. Le dogmatisme libéral en cours à Bruxelles et à Matignon vous aveugle. Cette Europe de la régression sociale, les peuples la rejettent. Ils veulent une Europe qui retienne le meilleur dans la législation sociale de chaque pays.

Il faut inverser votre logique. Les services publics ne doivent pas être des exceptions, mais être développés au plan européen. Le combat vaut la peine d'être livré. Qui aurait parié, il y a peu, que la France ferait de l'exception culturelle une règle commune de l'Europe ? La mondialisation ne donne que trop les mains libres aux capitalistes. Votre laisser faire ne satisfait personne. Inventons plutôt une autre mondialisation, dans laquelle les biens communs de l'humanité ne seront pas exploités par quelques-uns, mais bénéficieront à tous.

Ce projet est dangereux, et même dans vos rangs, il suscite des interrogations. Il n'a pas l'adhésion de la majorité dans le pays, et vous ne pourrez l'imposer que par un passage en force. Retirez-le plutôt que d'essayer de gagner du temps comme vous l'avez fait avec vos dernières propositions.

Au-delà de ce projet, par cette question préalable, nous mettons en cause l'ensemble de votre politique, avant tout en ce qui concerne la protection sociale. L'heure n'est pas à ruiner les acquis sociaux et les services publics qui sont une part de notre identité, mais, face aux difficultés d'aujourd'hui, à les conforter. Elle n'est pas à la régression, mais au progrès pour tous. La France en a les moyens.

Au nom des citoyens qui ont droit à un égal accès à l'énergie, au nom des électriciens et gaziers qui défendent le service public, pour un aménagement équilibré des territoires, pour la justice sociale, la démocratie et le progrès, les députés communistes et républicains voteront la question préalable ! (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

M. le Président - Nous en venons aux explications de vote.

M. François-Michel Gonnot - Nous venons d'entendre un grand classique communiste. M. Bocquet est contre le marché, contre la concurrence, contre l'ouverture, contre l'Europe, l'évolution des entreprises, la séparation des activités, le changement de statuts... (Exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

M. Jacques Desallangre - Quelle caricature !

M. François-Michel Gonnot - ....Bref, contre la modernisation. Le monde entier bouge, mais pas le parti communiste. (Protestations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains) Il vous demande de retirer le projet, solution dont personne ne veut, même dans les organisations syndicales, car c'est celle de l'immobilisme. Il nous a demandé de relire Marx et même d'imiter Staline en formant un « COMECON » de l'électricité...

M. André Chassaigne - N'oubliez pas Trotski !

M. François-Michel Gonnot - Au fond, le parti communiste se sentait certainement beaucoup mieux en 1946 dans le gouvernement du général de Gaulle...

M. Daniel Paul - Nous, nous sommes fidèles !

M. François-Michel Gonnot - ...Qu'il ne l'a été pendant cinq ans dans celui de Lionel Jospin, dont il nous dit aujourd'hui ne pas vouloir assumer le bilan. Le groupe UMP votera contre la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. André Chassaigne - De Gaulle a honte de vous !

M. Jean Dionis du Séjour - Je salue au moins la cohérence de nos collègues communistes...

M. Xavier de Roux - Il faut le dire.

M. Jean Dionis du Séjour - Je le dis sans ironie, même si le groupe UDF est en désaccord complet avec eux sur la politique européenne.

Vous arguez de la difficulté, pour le secteur privé, de gérer des investissements à long terme. C'est une vraie question. Mais la maîtrise du capital à 100% par l'Etat n'est pas une garantie de bonne gestion, le Crédit lyonnais et France Télécom l'ont montré. Bien sûr, il y a aussi eu des déconfitures dans le secteur privé. Sans doute faut-il chercher la solution ailleurs que dans la structure du capital.

Le secteur de l'énergie a besoin d'une planification à long terme ; d'où l'intérêt du projet de loi d'orientation énergétique. Il a besoin d'un actionnariat stable dominé par l'Etat ; c'est l'orientation de ce projet.

Pour le reste, l'Europe avance...

M. Jean-Claude Sandrier - A reculons !

M. Jean Dionis du Séjour - Il y aura un marché intérieur de l'énergie, que cela vous plaise ou non, et les récentes élections n'ont pas remis en cause ces orientations. Au nom du principe de réalité, le groupe UDF votera contre la motion.

M. le Président - Sur la question préalable, je suis saisi par le groupe communiste et républicain d'une demande de scrutin public.

Mme Nathalie Gautier - Le changement de statut qui nous est proposé est bien une privatisation ...

M. Xavier de Roux - Mais non !

Mme Nathalie Gautier - ....Qui soumettra l'énergie à la loi du profit. C'est un grand secteur public qui est ainsi remis en cause.

Alain Bocquet en a souligné les dangers pour l'environnement, qui doit échapper aux seules règles du marché. En débattant de la loi sur l'énergie, nous disons qu'il ne faut pas gaspiller les biens communs de la planète. La marché ne tient pas compte de l'écologie.

M. Bocquet a eu raison de parler d'une politique de coopération et de co-développement. Une régulation internationale est nécessaire, et l'on doit s'interroger sur le rôle possible de la France.

Quant aux effets de la concurrence sur le prix de l'énergie, parlons-en : en France, où nous avions bénéficié de prix bas grâce au nucléaire, ils augmentent actuellement.

Quelle vision à long terme aura-t-on des investissements nécessaires dans le secteur énergétique ? Qu'en sera-t-il des efforts considérables qu'il convient d'accomplir en recherche-développement ?

La transformation du statut signe la fin du service public de l'énergie, accompagnée d'un démantèlement social. Nous partageons l'inquiétude de nombre de Français sur les risques d'inégalités, entre territoires comme entre citoyens, qu'entraîne ce projet qui n'est qu'une étape sur le chemin de la privatisation. C'est pourquoi nous voterons cette question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

M. Daniel Paul - Messieurs les ministres, vous ne serez pas surpris que le groupe des députés communistes et républicains la vote aussi ! (Sourires) Mais je voudrais ajouter deux observations au propos de M. Bocquet.

On a évoqué cet après-midi la péréquation tarifaire. Les directions d'EDF et de GDF ont déjà commencé à la mettre à mal, en particulier à travers les tarifs des services. Par exemple, le passage d'un branchement aérien à un branchement aéro-souterrain a augmenté de 15 % depuis quelques mois ; le déplacement d'un compteur de gaz dans un coffret, de 25 % ; la modification d'un branchement aérien avec coffret, de 30 % ; le travail sur la protection des gaines est passé de 84,60 € à 414,40 € ; le déplacement particulier pour relevé de compteur a augmenté de 108 % ; le contrôle d'appareil de comptage, de 35 % (Interruptions sur les bancs du groupe UMP).

M. André Chassaigne - Ils préparent la privatisation.

M. Daniel Paul - Cela, c'est avant la privatisation ; qu'en sera-t-il après ?

D'autre part, que s'est-il passé dans les pays bénis où s'et effectuée une telle ouverture du capital ? De novembre 2000 à mai 2001, la Californie a enregistré 38 jours de pannes et de coupures d'électricité. Près de 50 millions de personnes, notamment dans les Etats de New-York, de l'Ohio, du Michigan et de l'Ontario ont été privées de courant le 14 août 2003 ; à New-York, la panne a duré 29 heures.

M. André Chassaigne - Ce n'était pas la CGT !

M. Daniel Paul - Peu après, des pannes sont intervenues à Helsinki, à Londres, dans la région de Copenhague et dans le sud de la Suède... Le 28 septembre, en moins d'une demi-heure, l'ensemble du système italien de distribution d'électricité s'est interrompu, et il a fallu 12 heures pour rétablir le courant dans certaines régions de la péninsule ! Tout cela, ce n'était pas le fait de la CGT, mais tout simplement les conséquences d'un système que vous voulez implanter dans notre pays ! (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

A la majorité de 97 voix contre 34 sur 131 votants et 131 suffrages exprimés, la question préalable n'est pas adoptée.

M. François Brottes - Au nom du groupe socialiste, je demande une suspension de séance.

M. le Président - Avez-vous délégation ?

M. François Brottes - Bien entendu !

M. le Président - La suspension est de droit.

La séance, suspendue à 22 heures 20, est reprise à 22 heures 35.

M. Jean Dionis du Séjour - EDF et Gaz de France sont des acteurs déterminants de la vie économique et sociale de notre pays, et la réforme de leur statut, à l'issue d'une négociation avec les partenaires sociaux marquée par le respect mutuel, constitue un temps fort de notre démocratie. Des concessions mutuelles ont été faites, et nous sommes parvenus à une démocratie adulte qui fait honneur à notre pays, même si les coupures d'électricité sauvages sont inacceptables. La première mi-temps sociale était légitime ; voici venu le temps de la deuxième mi-temps parlementaire, tout aussi nécessaire. Vous avez acquis, Monsieur le ministre d'Etat, la réputation d'être très respectueux des droits du Parlement, ne nous décevez pas !

J'ai commencé ma vie professionnelle à EDF. Je suis très attaché à cette belle entreprise et je ne soutiendrai pas ce texte si je n'étais pas convaincu de la nécessité de faire évoluer son statut. A l'UDF, notre position n'a pas varié. Au reste, elle était partagée par beaucoup, et notamment par M. Jospin, qui avait fait de l'adaptation du statut des entreprises énergétiques l'un des objectifs de sa campagne présidentielle de 2002. Je considère par conséquent que nos collègues socialistes vont aujourd'hui trop loin dans le reniement et l'amnésie. Au moins peut-on reconnaître aux élus communistes une constance qui tranche avec le double discours des socialistes !

Cette ouverture de capital n'est pas une privatisation mais la conséquence logique des décisions prises à Barcelone en mars 2002...

M. André Chassaigne - Faux ! C'est bien une privatisation !

M. Jean Dionis du Séjour - Il est évident que le statut actuel crée une distorsion de concurrence qui nous expose à une saisine de la CJCE par un pays tiers. Notre objectif est simple : donner à nos entreprises les moyens de devenir leaders sur le marché européen, en autorisant notamment les échanges de participations avec les autres opérateurs (« Pitoyable ! » sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).

L'évolution statutaire crée une donne concurrentielle radicalement nouvelle, en donnant à nos entreprises la possibilité d'appliquer une stratégie industrielle plus offensive. Et EDF en a bien besoin ! Brillante réussite technologique, l'entreprise souffre d'une situation financière très dégradée,...

M. Jacques Desallangre - C'est la faute aux investissements étrangers !

M. Jean Dionis du Séjour - ...son endettement net étant passé de 17, 6 milliards en 2000 à 25, 8 milliards en 2002, compte non tenu des prises de participation extérieures, pour un montant de 8,2 milliards.

M. Jacques Desallangre - Voilà la source du mal.

M. Jean Dionis du Séjour - L'entreprise ne dispose aujourd'hui que de 18 milliards de fonds propres, et encore devra-t-elle verser 9 milliards de soulte au régime général au titre d'une cotisation libératoire et 60 milliards de provision pour l'ensemble des retraites des agents IEG. Cette situation financière pour le moins tendue a quatre origines : l'Etat n'a pas consolidé son capital depuis des décennies, le régime de protection sociale dont bénéficient les agents est très lourd - et le vieillissement va accentuer la pression -, la politique tarifaire est trop peu favorable aux entreprises - ce qui explique qu'elle ait perdu 20% de ses clients éligibles depuis la première ouverture du marché -, les aventures économiques qu'elle a menées sur les marchés internationaux - et en particulier en Amérique latine - ont souvent été quelque peu hasardeuses.

M. André Chassaigne - Merci de le reconnaître !

M. Jean Dionis du Séjour - A l'UDF, nous avons toujours été favorables à l'édification d'un marché européen unique de l'énergie. A ce titre, nous avons déposé des amendements relevant de quatre objectifs essentiels.

Le premier est de compléter les missions de service public et d'instaurer un service universel de l'électricité. A nos yeux, le projet du Gouvernement ne va pas assez loin dans la définition des missions d'intérêt général, au regard notamment des exigences liées à l'aménagement du territoire et à la politique de la ville. Nous proposons par conséquent de transposer l'article 3 de la directive du 26 juin 2003, relative aux obligations de service public et à la protection des consommateurs.

Notre deuxième série d'amendements tend à aller au bout de la logique d'intégration pour ce qui concerne l'activité de gestionnaire des réseaux de transport. Si nous approuvons le choix de maintenir un groupe intégré autour des trois métiers - producteur, transporteur, distributeur -, nous souhaitons aligner le fonctionnement des GRT sur le droit commun des SA. Par ailleurs, l'un de nos amendements tend à préciser que le GRT de l'électricité - aujourd'hui RTE, demain « EDF Transport » - pourra également utiliser son propre réseau pour faire du réseau de télécommunications, dans un objectif d'aménagement du territoire.

Troisième objectif motivant un nouvel ensemble d'amendements, aller au bout de la clarification du régime spécial des personnels IEG, pour garantir l'égalité de traitement entre les salariés français. S'ils respectent les droits acquis des salariés actuellement présents dans l'entreprise, les amendements afférents - que présentera M. de Courson - tendent à ne pas les étendre systématiquement aux nouveaux entrants. En effet les régimes de retraite ont été réformés, hormis quelques régimes spéciaux, et l'on ne peut défendre un statu quo facteur d'inégalité sociale.

Enfin nous souhaitons qu'on distingue bien la problématique d'EDF et celle de Gaz de France. La commission a adopté un amendement qui porte à 70% la part du capital détenue par l'Etat dans les deux entreprises, que le projet initial fixait à 50%. Cet amendement résulte des engagements que vous avez pris envers les syndicats. On peut comprendre que l'Etat veuille éviter toute minorité de blocage au conseil d'administration d'EDF, en raison des enjeux de production liés à la sécurité d'approvisionnement du pays. Mais la situation est toute différente pour GDF, qui n'a guère d'activité de production, et qui a besoin d'ouvrir largement son capital pour mener à bien ses projets. Nous avons donc déposé un amendement afin de distinguer les deux entreprises et de réserver à EDF le taux de 70% résultant de vos engagements.

Le groupe UDF est bien disposé face à ce projet, Monsieur le Ministre. Nous partageons avec vous les convictions européennes et l'ambition pour EDF et GDF, sources de notre engagement en faveur de l'ouverture du capital. Nous soutenons votre choix d'une entreprise intégrée. Nous apportons dans le débat une volonté d'aller plus loin en matière de service public et, quant à l'avenir social de ces entreprises, une vision qui concilie le respect de la parole donnée au personnel et la volonté d'égalité sociale au sein de la nation. Monsieur le Ministre, ouvrez un vrai débat avec le Parlement, comme vous avez su le faire avec les syndicats, améliorons ensemble ce texte nécessaire, et nous ne vous mégoterons pas notre soutien (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP)

M. Daniel Paul - Nous vivons sans doute un moment historique, de ceux qui marquent une société et donnent le sens de son évolution. En 1946, au sortir de la guerre, des hommes d'opinions parfois opposées avaient estimé que l'énergie était un bien trop précieux pour le laisser aux mains d'intérêts privés. Ils avaient considéré que les outils de production, de transport et de distribution de l'électricité devaient être propriétés de la nation. Eux aussi avaient créé un moment historique, qui donnait tout son sens au programme du Conseil national de la résistance.

La différence entre le ministre de l'époque et vous, entre le gouvernement de l'époque et le vôtre, c'est qu'eux voulaient soustraire aux intérêts marchands un bien essentiel à la reconstruction du pays et à la vie des gens, alors que vous voulez au contraire donner aux financiers de nouveaux territoires de profits.

La propriété de la nation, notion supérieure à la propriété de l'Etat, était pour eux une avancée de civilisation, un moyen de mieux répondre aux besoins sociaux, tout en assurant à nos industries une énergie au meilleur prix. Qui dira la contribution d'EDF à la reconstruction et au développement de notre pays, à la mise en _uvre d'une politique industrielle, à la constitution, dans le secteur énergétique, d'entreprises dotées de savoir-faire, de compétences et d'expériences peut-être uniques au monde ? C'est aussi cela l'entreprise publique EDF.

Pour vous, la propriété publique est un frein aux appétits financiers - et sans doute pensez-vous que la remise en cause d'EDF et de GDF sera le coup décisif porté à ce que notre peuple a su construire collectivement, et ouvrira la porte à la privatisation de la poste et de la SNCF.

Ces outils que sont EDF et GDF n'auront pas pesé sur l'Etat : c'est en payant les factures de gaz et d'électricité, fût-ce moins cher que partout ailleurs, que les usagers de notre pays ont contribué à faire d'EDF et de GDF les grandes entreprises qu'elles sont aujourd'hui. Les usagers ont financé l'indemnisation des anciens actionnaires après la nationalisation, ainsi que les investissements nécessaires pour assurer les missions de service public, les réseaux, le stockage, les méthaniers, le programme nucléaire, les grands barrages hydrauliques, la recherche... Depuis 1946, l'apport de l'Etat à EDF consiste en 7,7 milliards d'euros de prêts rémunérés transformés en dotations en capital, et 8 milliards en 1997 comme contrepartie de la perte par l'entreprise de son droit de concession du réseau de transport d'électricité. Depuis 1946 l'Etat aura donc versé à EDF 15 milliards d'euros ! A comparer à tout ce qu'il en a obtenu en contrepartie. Et comme l'entreprise n'avait pas à rémunérer d'actionnaires privés, et que longtemps l'Etat n'a pas prélevé de dividendes, les résultats ont servi à la réalisation des grands ouvrages hydrauliques, au programme nucléaire, à la péréquation tarifaire, éléments constitutifs de l'indépendance énergétique de notre pays, de l'aménagement de notre territoire et d'une contribution à la justice sociale qui n'auront donc rien coûté au budget de l'Etat. Oui, ces entreprises appartiennent à la Nation, au peuple, et en ouvrant le capital, c'est une vraie spoliation que vous opérez. Vous êtes bien loin de vos aînés de 1946, en bradant aujourd'hui ce qu'ils avaient construit hier.

D'autant que notre connaissance des enjeux énergétiques s'est précisée depuis bientôt soixante ans. L'effet de serre et la raréfaction des ressources fossiles posent à nos sociétés des questions nouvelles qui justifient, encore plus qu'avant, la maîtrise publique de l'énergie. Et c'est le moment que vous choisissez pour casser EDF et GDF, ouvrir la porte aux intérêts privés et transformer des établissements publics en sociétés anonymes !

Si vous persistiez, vous porteriez la pleine responsabilité des conséquences de ce mauvais coup pour notre pays et pour les usagers. Vous connaissez d'ailleurs les réticences qui existent, y compris dans votre camp. On peut avoir des idées très libérales et être sensible aux réalités.

On nous dit que les prix vont baisser. Il suffit pourtant d'observer ce qui se passe dans les pays qui nous ont précédés pour voir que c'est faux ; c'est d'ailleurs en France une source d'inquiétude pour les industriels, comme pour les responsables des transports publics recourant à l'énergie électrique.

On nous dit que les usagers domestiques bénéficieront de baisses de prix. Faux ! A côté du prix du kilowatt, il y a les services qui sont sortis du champ de la péréquation et dont les augmentations sont déjà décidées. On nous dit que la nouvelle donne permettra de faire face aux enjeux d'investissements, et d'accompagnement du cycle aval des centrales nucléaires. Faux ! On sait que ce qui prime pour l'investissement privé, c'est la réduction des charges et la maximalisation des recettes. On sait aussi combien l'absence d'investissements à long terme, comme les logiques libérales poussant à organiser la pénurie pour faire monter les prix, ont pesé dans les accidents qui ont émaillé les dernières années, de la Californie à l'Italie, en passant par la Grande Bretagne, l'Espagne, le Danemark, la Finlande, la Suède...

Or, aujourd'hui, l'état de la production d'électricité en France est préoccupant. EDF ferme ses centrales les moins rentables sans les remplacer : ce sont ainsi mille mégawatts qui ont été supprimés ces dernières années. Si EDF n'est plus en mesure de répondre, RTE fera appel à d'autres producteurs, ce qui fera grimper les prix, surtout pour les particuliers. En fait, derrière la campagne sur les surcapacités de production en France, se cache la volonté d'organiser une logique de pénurie, en vue d'améliorer la rentabilité.

Mais l'opinion publique est loin de partager votre volonté de remettre en cause des outils comme EDF et GDF. La majorité de notre peuple est opposée à votre projet, malgré la campagne idéologique orchestrée depuis des années, malgré les efforts déployés par les directions d'EDF et de GDF en direction des salariés, mais aussi de la population, avec des campagnes indécentes dans les médias. Quant aux salariés, ils ne cessent de dire leur opposition à votre projet. Ils ne prônent pas l'immobilisme, car ils savent que les enjeux énergétiques exigent l'amélioration des capacités de réponse des entreprises publiques. Mais ils dénoncent un mauvais coup fait au nom du dogmatisme libéral.

Cela vous contraint à louvoyer. Vous annoncez l'ouverture à 50%, puis, devant les critiques, vous déclarez que l'ouverture ne dépassera pas 30%, dont 15% destinés aux personnels, et que les collectivités locales entreront aussi dans le capital. Rappelons-nous pourtant l'expérience de la compagnie nationale du Rhône : les collectivités locales n'ont pas hésité à vendre à Suez les parts qu'elles détenaient dans cette compagnie, et demain elles n'hésiteront pas à le faire pour EDF et GDF.

Vous annoncez aujourd'hui que l'Etat restera «pendant quelque temps», l'unique actionnaire de la société anonyme. Mais ceci, loin de répondre aux questions posées, vous permettrait à tout moment de mettre sur le marché des morceaux de la nouvelle société. Vous cherchez seulement à donner le change.

On sait ce que donnent ces ouvertures au capital privé, cheval de Troie des financiers prédateurs. Cela passe par la séparation du transport et de la production, et la mise en place d'autorités de régulation qui attribuent aux entreprises des missions de service public. Votre projet précise d'ailleurs que les services communs, et donc « EDF-GDF services », pourront être dotés, ou non, de la personnalité juridique. Rien n'interdit donc qu'ils soient constitués sous la forme de sociétés filiales ou encore de groupements d'intérêt économique.

Nous voyons se mettre en place une nouvelle conception du rôle de l'Etat, où celui-ci n'assure plus que ses fonctions « régaliennes », se contentant d'encadrer, tandis que la loi du marché régule. Cette logique a pourtant montré ses dangers dans le monde, dans des pays développés ou en voie de développement.

Vous annoncez que les salariés garderaient leurs statuts, mais on sait ce que cela peut signifier dans un monde qui cherche à peser sur la situation des hommes pour améliorer la rentabilité du capital. Qu'on se réfère au précédent de France Télécom.

Vous annoncez qu'EDF et GDF deviendront des champions en Europe. Ils le sont déjà. Mais si pour vous, Monsieur le Ministre, le monde ne se conçoit que comme un lieu d'affrontement, nous pensons pour notre part, surtout dans le domaine de l'énergie, que l'avenir est à des coopérations pour faire face aux enjeux qui nous attendent ; à cet égard le développement en Europe, d'un grand projet énergétique, aurait tout son sens.

En commission, Monsieur le ministre, je vous avais demandé de retirer votre projet, dans l'attente du rapport qui vous sera remis en septembre sur l'opportunité d'ouvrir le capital ou de regrouper EDF et GDF en une seule entité. Mais surtout, au vu des dégâts causés à travers tous les pays qui ont mis en _uvre cette réforme libérale, ne faut-il pas qu'un bilan précis soit réalisé avant de s'engager dans une réforme aussi fondamentale ?

Qui plus est, vous êtes aujourd'hui dans l'incapacité de nous dire à combien se monterait la soulte à verser par EDF en contrepartie de l'adossement du régime de retraite au régime général : 10 milliards d'euros ? Davantage ? Vous ignorez aussi le montant des fonds propres nécessaires à EDF : on parle de 10 à 15 milliards. Et quelle serait la destination de cette somme ? Irait-elle nourrir de nouvelles aventures internationales ? Vous ne pouvez pas non plus indiquer la valeur de l'entreprise, et donc la somme attendue de sa mise sur le marché. Vous escomptez 30%, mais de combien ?

Si vous persistez malgré ces inconnues, comment ne pas penser que cette opération vise également à opérer une ponction financière sur EDF facilitant pour l'Etat le respect des critères de Maastricht ? Comment prétendre dans ce cas que se poursuivrait une forte politique de recherche alors que l'on sait que cette activité cesse d'être prioritaire quand la rentabilité du capital privé est à l'ordre du jour ? Comment le devenir de notre politique énergétique pourrait-il être laissé à une majorité qui n'a pas reçu du peuple cette mission précise , majorité qui par ailleurs vient de subir deux désaveux cinglants ? Vous prétendez que l'Union européenne oblige à ouvrir le capital d'EDF-GDF. En vérité, passer du statut d'EPIC à celui de SA ne se justifie que si l'on adhère aux thèses libérales. Or, si l'on admet que l'énergie n'est pas un bien comme un autre, que la priorité consiste à lutter contre l'effet de serre, il faut raisonner autrement. Pourquoi ne pas examiner les propositions faites par les organisations syndicales ? Pourquoi ne pas songer à renégocier les traités européens comme celui de Barcelone ? Ne considérez-vous pas vous-même que le critère de 3% de déficit public défini par Maastricht est injuste ? Les enjeux énergétiques ne valent-ils pas les autres ?

L'option d'une fusion d'EDF et de GDF est ouverte. Cela permettrait de faire jouer les complémentarités des deux entreprises dans les domaines de l'offre multi-énergétique, de la co-génération et de la recherche de nouveaux moyens de production. En outre, la fusion permettrait un recentrage commercial sur la France. Enfin, le maintien de l'intégration verticale de leurs activités équilibrerait mieux les investissements dans les différents secteurs et répondrait plus efficacement aux besoins des Français. L'Allemagne a réalisé cette fusion. Pourquoi pas la France ?

En ce qui concerne les retraites, les salariés vous ont fait connaître leur appréciation à l'occasion d'un vote mémorable.

L'énergie ne se prête pas aux règles marchandes. L'ouverture du capital d'EDF-GDF est le prélude à la privatisation. L'alternative est simple : ou une régulation par le marché et la concurrence à partir d'intérêts privés, ou une régulation par les besoins à partir de l'intérêt collectif de notre peuple, des peuples européens et du monde entier.

Nous sommes en désaccord total avec vos orientations. Nous soutenons les salariés d'EDF-GDF qui défendent l'intérêt national. Nous sommes persuadés qu'une autre voie est possible (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).

M. François-Michel Gonnot - Ce texte est l'aboutissement d'une démarche initiée en janvier 2003 avec la transposition de la directive gaz qui attendait depuis quatre ans, en violation avec tous nos engagements européens. Le Gouvernement a ensuite engagé un grand débat sur la politique énergétique jusqu'à cette loi que vous avez présentée, Monsieur le ministre d'Etat, quelques semaines après votre arrivée à Bercy.

Au nom du groupe UMP, je vous félicite pour la façon dont vous avez pris en main, en deux mois et demi, ce dossier difficile. Vous avez ouvert un débat au sein des entreprises sur le projet industriel d'EDF-GDF, vous avez ouvert des négociations sociales au sein de la branche des IEG, vous avez écouté, consulté, négocié, vous avez été au devant de salariés mal informés, vous avez su les rassurer et leur donner des garanties.

Non, le Gouvernement n'a pas agi au nom de considérations idéologiques. Il est nécessaire de faire évoluer le statut d'EDF-GDF. Dans quinze jours, 70% du marché de l'électricité et du gaz seront ouverts. Ce texte rompt avec l'immobilisme, il rend le statut des deux entreprises euro-compatible et laisse un certain nombre d'options ouvertes, notamment sur ce que les syndicats appellent la « fusion » ainsi que sur le travail à mener avec le Parlement.

Le Gouvernement fait preuve de sagesse en se donnant le temps de la réflexion concernant la réalité financière d'EDF. Cette entreprise a beaucoup joué sur ses provisions ces dernières années, il importe de mieux comprendre ses besoins d'investissement et de développement, comme la nature de son endettement.

Je souhaiterais ajouter une citation à celles de MM. Strauss-Kahn, Fabius, Jospin et Védrine qui ont été faites précédemment. M. Rocard a ainsi déclaré le 9 mai dernier que le changement de statut d'EDF-GDF était « acceptable à condition que l'Etat reste l'actionnaire majoritaire de l'entreprise. »

Il ajoutait qu'EDF est une entreprise de nature commerciale qui agit dans le monde entier et que son statut public est un empêchement à son développement, parce qu'elle ne peut pas acheter les autres entreprises. Il a également dit qu'un changement de statut et une ouverture partielle du capital étaient « acceptables », en concluant : « Nous sommes bien placés pour le dire ! ». Je suis sûr que nous avons chacun une collection de déclarations tout aussi sympathiques, qui devraient au final nous permettre d'aboutir au consensus qui profiterait tant aux salariés d'EDF et de GDF et à leurs entreprises.

Messieurs les ministres, je vous remercie d'avoir utilisé les termes de service public dans le corps même du texte. L'UMP est très attachée à la notion de service public de l'énergie et souhaite que les deux entreprises restent exemplaires sur ce point. Elle tient également au caractère intégré des deux entreprises, même s'il faut rendre juridiquement autonome le gestionnaire de réseau. Le Gouvernement devra par ailleurs s'exprimer sur la dernière étape de l'ouverture du marché : l'éligibilité des ménages, prévue pour 2007. Un rapport doit certes être déposé en 2006, mais le Gouvernement devra tirer toutes les conséquences de ce qui se sera passé d'ici là avant d'accomplir cette dernière étape.

L'UMP sera, dans les mois qui viennent, à la disposition du Gouvernement pour l'aider, notamment auprès des salariés et des entreprises, dans toutes les décisions qui devront être prises pour finaliser le changement de statut. Une lourde responsabilité pèse sur nous. Après soixante années de succès, nous devons moderniser EDF et GDF pour qu'elles continuent à assurer le service public dans les soixante ans qui viennent, et pour que les Français soient aussi fiers de ce qui sera fait dans le marché européen que de ce qui le fut plus tôt (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. François Brottes - Je ne vous ferai pas l'affront, après les résultats de dimanche, de vous interpréter ce refrain : « l'important, c'est la rose »... C'était pourtant tentant, car son interprète était surnommé « Monsieur 100 000 volts » ! Nous sommes dotés aujourd'hui d'un « Monsieur 100% », surtout pour le boniment. « Si je ne touche pas à votre statut - du personnel - vous accepterez le changement de statut - de l'entreprise ». « Si je vous fais le coup de la privatisation en douceur, au goutte à goutte, vous pourrez apprécier la progressivité de ma bonne foi ». « Si je vous dis que je suis prêt à rouvrir le dossier de la fusion entre GDF et EDF, et qu'en plus je rebaptise RTE en EDF Transport, vous reconnaîtrez que je pratique la câlino-thérapie ». « Si je mets 500 millions sur la table sans expliquer aux Français que les prix de l'énergie vont considérablement augmenter, vous ne pourrez pas me reprocher de ne pas savoir brouiller le jeu ». « Si je propose 15% d'actions au personnel, même si ce n'est pas pour tout de suite, c'est tout de même un nouveau droit : il suffit de payer pour travailler ! »

Vous allez me dire, Monsieur le ministre d'Etat, que j'exagère.

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - Mais non, vous pouvez faire bien pire !

M. François Brottes - La première étape vers la privatisation a pour conséquence de dessaisir les Français d'un élément structurant de leur patrimoine, de rompre le pacte républicain établi par le Conseil national de la résistance, de fragiliser le dispositif qui remplit aujourd'hui ses missions de service public dans la plus grande sécurité, de porter atteinte à la péréquation des tarifs puisqu'à terme, seuls les clients très rentables seront servis correctement... S'il est exact que la tentation a existé, voire existe encore, dans nos rangs... (« Ah ! » sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP) d'ouvrir le capital, le résultat de certaines expériences peu glorieuses, ajouté aux caractéristiques de l'énergie et aux enjeux pour la planète, nous poussent à garder une position claire : nous sommes opposés au changement de statut. Thomas Edison a déclaré que la lampe à incandescence qu'il avait inventée allait rendre l'électricité si bon marché que seuls les riches se paieraient des bougies. L'une des conséquences de votre projet de loi sera d'inverser ce raisonnement : votre flamme ne suffira pas, Monsieur le ministre, à nous convaincre que vous allez faire baisser le prix de l'électricité.

Pour procéder à ce changement de statut, fondé sur une position dogmatique, vous aviez besoin d'une bonne raison, d'un alibi et d'un prétexte. La bonne raison est politique : il faut donner à votre camp un gage de courage, en imposant les réformes les plus libérales aux forteresses les plus imprenables. L'alibi est européen : le sommet de Barcelone aurait décidé de l'ouverture du marché à la concurrence pour les professionnels, ce qui vous obligerait à changer les statuts d'EDF et de GDF. Mais le commissaire Monti vient de rappeler que le choix du statut des entreprises appartenait aux Etats ! Et le sommet de Barcelone, sous la pression de Lionel Jospin, avait parallèlement fait obligation à la Commission d'élaborer une proposition de directive cadre sur les principes des services d'intérêt public général, autrement dit de nos services publics. Non seulement votre gouvernement n'a pas réclamé cette directive, mais Mme Fontaine a accepté avec enthousiasme, le 4 octobre, l'ouverture à la concurrence pour les ménages ! Car c'est fait, Monsieur Gonnot, la décision est prise ! Le prétexte, enfin, est le problème du principe de spécialité, qui serait préjudiciable au développement de l'entreprise dans un environnement plus concurrentiel.

Nous souhaitons nous aussi que l'entreprise nationale puisse de développer avec les meilleurs atouts. Justement, la loi Bataille de 2000 a déjà assoupli l'application du principe de spécialité pour les clients éligibles, et rien ne nous empêche de l'assouplir encore. Mais le Gouvernement n'a pas étudié cette hypothèse. Il tenait à régler son compte au statut de l'entreprise. J'ajoute qu'il peut être utile de conserver pour partie le principe de spécialité, garant de la spécificité d'EDF par rapport à ses concurrents et surtout gage de non contestation par l'Europe de sa situation d'entreprise intégrée, vitale pour notre pays. C'est justement parce qu'il y a ouverture à la concurrence que nous devons conserver un puissant pôle public de l'énergie. Il faut garantir la sécurité des installations et de l'approvisionnement. Nous ne devons pas être otages d'un marché qui s'emballe ou qui veut faire monter les prix. En Californie, l'Etat a dû se substituer au distributeur insolvable et a acheté de l'électricité au double des prix antérieurs à la libéralisation ! Il faut veiller à l'équilibre permanent entre les électrons qui entrent sur le réseau et ceux qui sont consommés en sortie. Il faut maîtriser la péréquation des tarifs, la desserte de l'ensemble du territoire et l'accès de tous à l'énergie. Il faut conserver un outil puissant pour développer des filières d'énergies renouvelables.

Quels reproches faire à une entreprise qui pratique des tarifs parmi les plus bas du monde, qui a toujours l'exigence du meilleur niveau, qui a nourri le budget de l'Etat sous tous les gouvernements ? Que vont gagner les usagers et le personnel ? Beaucoup de Français se posent ces questions. Ils ont compris que cette décision n'était pas imposée par Bruxelles, ni par les concurrents de nos entreprises. Nous sommes - par expérience acquise, certes - convaincus que l'ouverture du capital induit une modification fondamentale du mode de gestion : compte désormais le profit à court terme, le marché, la cote d'amour des experts financiers. On est « naturellement » conduit à faire l'impasse sur ce qui n'est pas rentable immédiatement : la recherche, la formation, la maintenance lourde...

Monsieur le ministre, nous faisons ici la loi pour tous, dans la durée. Nous ne faisons pas de « coup », nous avons la responsabilité des valeurs de notre pays, qui ont su rassembler aux lendemains de périodes noires. Je vous le demande solennellement : renoncez à vous engager sur le chemin de la privatisation. Personne ne vous reprochera d'avoir changé d'avis en toute lucidité. C'est du débat que doit jaillir la lumière, quoi qu'aient pu en dire certaines publicités (Sourires). Monsieur le ministre d'Etat, oubliez un instant la doctrine ! C'est parfois comme cela qu'on entre dans l'histoire. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

M. Charles de Courson - La position du groupe UDF s'inspire de deux principes : efficacité économique et justice sociale. Au nom du premier, nous sommes favorables à ce que le statut d'entreprise publique soit remplacé par celui de société anonyme et à la mise sur le marché d'une partie du capital. En revanche, en vertu du principe de justice sociale, le groupe UDF tient à ce que l'égalité entre les Français soit rétablie, au terme d'une génération, quant au régime des retraites et de protection sociale, dans le respect des avantages acquis.

En effet, le régime de protection sociale des électriciens et gaziers est, avec celui de la Banque de France, le plus avantageux de tous les régimes, mais aussi le plus coûteux. Le taux de cotisations patronales toutes branches confondues -vieillesse, maladie, accidents du travail, prestations familiales et 1% pour les _uvres sociales- atteint 105% de la masse salariale brute. Le surcoût du régime des IEG est d'environ 60% de cette même masse salariale par rapport à celui du privé, soit quelque 6% du chiffre d'affaires de l'entreprise. Ce sont les usagers qui assument ce surcoût et le peuple tous entier sous la forme de moindres dividendes. Les coûts de gestion de ce régime sont de surcroît anormalement élevés, comme l'a fort bien démontré un rapport de la Cour des comptes de 1989.

Il faut impérativement, comme le propose le Gouvernement, hélas de manière incomplète, clarifier le régime de retraites des salariés d'EDF et GDF. Jusqu'à présent, les employeurs des IEG s'acquittent d'une cotisation vieillesse, invalidité et décès égale à 63,3% de la masse salariale brute, et les agents d'une cotisation de 7,85%. Au total, les salariés ne financent que 11% de ce régime de retraite, alors même qu'il est l'un des plus généreux.

Si le groupe UDF est favorable à ce que l'on distingue, comme le propose le Gouvernement, le régime général, le régime complémentaire et le régime chapeau, il n'est pas d'accord avec le dispositif d'adossement prévu à l'article 17 du texte. Cet article donne à la caisse nationale des IEG la capacité juridique de conclure des conventions avec la CNAVTS et l'ACOSS, ainsi qu'avec l'AGIRC et l'ARRCO. Mais nulle part ne sont envisagées les conséquences d'un éventuel refus des conseils d'administration de ces structures de signer ces conventions, refus qui empêcherait pourtant d'appliquer cet article 17. Le plus grave est que les IEG devraient verser une soulte, dont nul n'a pu nous dire exactement le montant, mais qui pourrait dépasser 9 milliards pour EDF et osciller entre 1,7 à 2 milliards pour GDF. Or, nul n'ignore qu'EDF n'a que 19 milliards de capitaux propres et que sa dette avoisine 29 milliards. Comment dans ces conditions, pourrait-elle verser une telle soulte ? Si le régime n'était pas artificiellement divisé en trois, la provision à passer dans les comptes serait même de 41, voire 60 milliards. Ceux qui prônent le statu quo seraient donc favorables à un dépôt de bilan d'EDF !

L'UDF propose un dispositif simple : la CNVTS pour les prestations relevant du régime général, l'AZGIRC, l'ARRCO pour celles relevant du régime complémentaire et le régime chapeau pour les prestations additives, lesquelles ne seraient dues qu'aux seuls agents actifs et retraités à la date de la publication de la loi. Il n'est pas question de remettre en question les acquis de ces derniers, mais l'évolution est inéluctable pour les agents nouvellement recrutés. Tous les régimes spéciaux connaîtront d'ailleurs une telle évolution. Après les salariés du privé, la réforme des retraites adoptée l'été dernier a concerné les agents des trois fonctions publiques et les travailleurs indépendants. Seuls les régimes spéciaux n'ont pas été touchés. Chacun comprendra qu'ils ne pourront être éternellement maintenus.

Une clarification s'imposerait également dans les autres branches du régime des IEG. Les électriciens et gaziers bénéficient de quatre niveaux superposés de prestations dans leur régime maladie. Outre les prestations du régime général, ils perçoivent des prestations complémentaires gérées par les CMCAS et la CCAS, régime financé à parité par les employeurs et les salariés mais géré exclusivement par ces derniers, des prestations supplémentaires financées par le produit du 1% et qui représentent près du quart de ce dernier, et enfin, dans le cas des CMCAS les plus riches, des prestations « sur-supplémentaires ». L'UDF a proposé un amendement tendant à rendre plus lisible le dispositif. La même clarification serait nécessaire pour les régimes accidents du travail et prestations familiales, plus favorables que ceux du régime général. Toutes les prestations supplémentaires doivent là aussi être placées dans la Caisse nationale des IEG avec une cotisation patronale les finançant. Ainsi l'architecture serait claire dans toutes les branches avec le régime général, le régime complémentaire là où il est obligatoire, c'est-à-dire pour la vieillesse et la maladie, et tous les régimes chapeau à la Caisse nationale des IEG. Ceux-ci seraient ainsi voués à s'éteindre en une génération, ce qui permettrait de rétablir l'égalité entre les Français. Tous les régimes spéciaux, qui profitent aujourd'hui à 5% de la population, devraient évoluer de la même façon.

Le groupe UDF approuve le projet mais considère que le Gouvernement n'est pas allé assez loin en matière de clarification des régimes. Eût-il dû différer la mise en extinction des régimes spéciaux, il eût été opportun de signifier qu'elle était inéluctable. La position de l'UDF est originale, courageuse, équilibrée. Si nous sommes bien sûr respectueux des droits acquis, nous sommes aussi très attachés à l'égalité entre tous les Français (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF).

M. Jacques Desallangre - Monsieur le ministre, au moins dans la présentation de ce texte faites-vous preuve de constance idéologique. Certains vous trouvent trop timide, comme M. de Courson, qui trouve trop élevés les salaires des électriciens et gaziers...

M. Charles de Courson - Je n'ai jamais dit cela.

M. Jacques Desallangre - ...quand les « golden hello » et « golden parachutes » le troublent beaucoup moins !

Face à votre constance, vous pourrez compter sur notre détermination à défendre le service public et l'indépendance énergétique de notre pays.

Pour ma part, déjà en 1999, je refusais de voter la transposition de la directive de libéralisation, mettant en garde le précédent gouvernement contre les risques de privatisation de ces fleurons de l'industrie française que sont EDF et GDF. Je soulignais déjà à cette époque que le droit communautaire n'exigeait pas l'ouverture de leur capital.

Mais c'est bien un gouvernement de droite qui fut en 1996 à l'origine du processus d'ouverture du marché électrique à la concurrence. Et c'est bien ce gouvernement qui entame le processus de privatisation de EDF et GDF. Nous ne nous satisferons pas en effet de vos man_uvres dilatoires concernant la part que conservera l'Etat dans le capital : vous disiez hier 50%, aujourd'hui 70%... Qu'en sera-t-il demain ? Il vous suffira de faire voter un soir en catimini dans une DDOEF un article faisant passer cette participation sous la barre des 50% !

Vous prétendez que cette privatisation permettra de recapitaliser les entreprises. Soit, mais pour quoi faire ? Si c'est pour mener une course effrénée à la taille et faire des investissements aussi hasardeux que ceux de France Télécom dont la dette a explosé, je ne suis pas certain que cela renforce le service public ni la future entreprise. EDF elle-même s'est déjà assez fourvoyée à l'étranger depuis que sa direction a anticipé la privatisation.

Par ailleurs, la croissance interne ou externe peut être financée par des prêts car la stabilité et la pérennité d'EDF sont rassurantes pour les marchés financiers et les banques. EDF, dont l'actionnariat n'est ni volatil, ni spéculatif, ni déraisonnable, dégage entre sept et huit milliards d'euros de cashflow chaque année.

Enfin, les fonds nécessaires au développement peuvent également provenir du réinvestissement des bénéfices. Plutôt que de multiplier les ponctions sur « la vache à lait » EDF, le Gouvernement pourrait décider que ces millions seront réinvestis dans l'appareil productif au lieu de sombrer dans le ventre mou du ministère des finances pour honorer des promesses inconsidérées. Vous l'avez fait cette année pour vous donner un bon argument. C'est, hélas, trop exceptionnel pour être significatif.

L'essentiel pour nous est de maintenir et de pérenniser la forme juridique de l'établissement public, la seule qui permette de promouvoir le service public. Même dans l'hypothèse où le Conseil constitutionnel ne sanctionnerait pas votre texte, les juridictions européennes ne manqueraient pas de le faire car le droit commun de la concurrence exige que les missions de service public fassent l'objet d'appels d'offres. Qu'est-ce qui empêchera demain un opérateur privé de prétendre exercer de telles missions ? L'expérience a montré, notamment en matière de télécommunications, que malgré, l'institution de règles dérogatoires, les évolutions juridiques tendent ensuite à les rapprocher du droit commun.

Ayant créé deux nouvelles personnes morales de droit privé, vous vous sentez obligés de leur attribuer par la loi les missions de service public afin de déroger aux règles classiques du droit privé. Votre démarche est juridiquement bancale.

Quant à la mise en concurrence frontale d'EDF et GDF, appelées toutes deux à vendre du gaz et de l'électricité et à investir lourdement dans le métier que l'autre maîtrise, qu'apportera-t-elle ? Vu sa situation financière amoindrie par sa politique de croissance externe désastreuse, EDF n'aura pas les moyens de se développer dans le métier du gaz.

Quant à GDF, faute d'une taille critique sur le marché de l'électricité, elle sera transformée en simple entreprise de commercialisation et finalement absorbée par Suez ou Total. A vouloir deux champions nationaux, on risque de n'en avoir plus aucun. Pourtant nous avons l'exemple de Eon-Ruhrgas en Allemagne et probablement la fusion de Hyberdrola et Endesa en Espagne. Nous avions 50 ans d'avance dans le rapprochement entre gaz et électricité, auquel tout le monde se rallie aujourd'hui, et nous allons manquer l'occasion de construire un groupe de dimension mondiale. Malgré vos promesses, demain il sera trop tard. (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et quelques bancs du groupe socialiste)

M. Hervé Novelli - Ce projet est fondamental, comme le fut le changement de statut des usines Renault dans les années 1980.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur de la commission des affaires économiques - Par la gauche...

M. Hervé Novelli - Que n'a-t-on entendu à l'époque ?

L'ancienne majorité nous avait habitués à l'immobilisme ou à l'hypocrisie. Les directives européennes transposées en 2000 impliquaient pourtant l'ouverture progressive à la concurrence, et à Barcelone, en 2002, sous Lionel Jospin, elle avait été fixée à 70% du marché au 1er juillet 2004. Nous y sommes. L'ancienne majorité a-t-elle donc pratiqué la politique de l'autruche, laissant passer les textes à Bruxelles et enfouissant la tête à Paris ? Ou était-elle frappée de schizophrénie politique et, favorable à la concurrence à Bruxelles, défavorable à Paris ?

Si rien ne change, que se passera-t-il ? D'abord, EDF et GDF perdront automatiquement des parts de marché. Comment imaginer que, par un coup de baguette magique, aucun client actuel ne choisisse un autre fournisseur ? Ensuite, il y aura conflit avec la Commission européenne qui veut priver les deux entreprises de la garantie de l'Etat, source de distorsion de concurrence. Et l'expansion internationale d'EDF sera bloquée en Espagne , en Italie et ailleurs. Rapporteur spécial sur le budget de l'industrie, j'ai pu constater que le régime d'EPIC, mal identifié à l'étranger, l'oblige souvent à masquer sa participation dans le capital d'entreprises étrangères, par exemple au Brésil et en Argentine.

Nous avons donc bien des raisons de ne pas rester dans l'immobilisme. D'abord, dans un univers concurrentiel, il faut faire d'EDF une entreprise comme les autres (Exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains) , c'est-à-dire une société anonyme.

Plusieurs députés communistes et républicains - C'est clair !

M. Hervé Novelli - Il faut également abandonner le principe de spécialité qui l'a empêche de diversifier son offre.

M. Daniel Paul - La totale !

M. Hervé Novelli - Il faut donner à EDF les moyens de financement dont elle a besoin. Cela passe par une augmentation de capital, donc un changement de statut. Alors l'entreprise pourra relancer sa stratégie internationale. L'Italie n'aura plus d'argument pour refuser que les droits de vote dans Montedison soient équivalents au capital détenu.

M. Daniel Paul - C'est une priorité pour EDF ?

M. Hervé Novelli - Par ailleurs, la pérennité du régime de retraites ne pourra être assurée qu'en le provisionnant dan un vrai bilan, d'une vraie entreprise soumise aux normes comptables internationales.

Enfin et surtout, dans un monde en mutation, il faut adapter nos entreprises. Je reviens d'un voyage en Chine avec François Loos. La libéralisation du marché chinois est une chance pour EDF. A coup sûr, les communistes chinois sont beaucoup plus libéraux en économie que les socialistes français et leurs alliés communistes ! Faute de pouvoir échanger les uns contre le autres, je me contenterai de vous soutenir dans une démarche qui sauvera ces deux belles entreprises (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme Nathalie Gautier - Pénurie d'énergie, hausse des tarifs, suppression d'emplois, dégradation de la sûreté et de la sécurité, retard dans les investissements, tel est le résultat calamiteux des politiques libérales conduites aux Etats-Unis et en Angleterre.

En Europe, 210 000 emplois ont été détruits de 1990 à 2000 par la déréglementation du secteur de l'énergie, et 250 000 autres pourraient l'être dans les dix ans. EDF et GDF ont déjà supprimé 8 000 emplois en trois ans.

Mais vous ne voulez pas tirer les leçons de l'expérience. Une de vos premières initiatives de politique européenne fut, le 25 novembre 2002, de proposer la suppression totale du monopole d'EDF, ce que nous avions toujours refusé. Comment oublier qu'EDF-GDF fut créé en 1946 face à la faillite des trusts électriques, abusant de leur position dominante sans être capables d'investir ?

Votre projet est inacceptable. Le service public ne peut être remplacé par un simple contrat entre l'Etat et les fournisseurs d'énergie. L'électricité, bien d'intérêt général, ne peut devenir un bien de consommation comme les autres, la sûreté des installations nucléaires et l'indépendance énergétique ne peuvent se vendre en Bourse. Aujourd'hui moins que jamais nous ne pouvons laisser les actionnaires régner en maîtres absolus.

La loi de modernisation du service public de l'électricité de février 2000 a réaffirmé la protection des clients les plus démunis et renforcé des valeurs fondatrices comme l'obligation de desserte, la péréquation tarifaire, l'égalité de traitement, la continuité de service, la sécurité de l'approvisionnement.

Non seulement vous ne tirez pas les leçons de l'expérience, mais vous faites endosser votre politique ultra-libérale à l'Europe. Or les directives n'imposent pas le changement de statut et la Commission n'a jamais demandé la privatisation d'EDF, comme l'a rappelé M. Monti à plusieurs reprises. Rien dans les traités n'impose une telle orientation.

Vous prétendez que l'ouverture à la concurrence fera baisser les prix et améliorera la qualité du service. Les faits vous apportent un démenti, de même que les déclarations de responsables du secteur. Ainsi, dans un colloque en décembre 2003, le président de GDF affirmait que dans tous les cas, une baisse des prix à court terme semblait très improbable. Dans sa note de conjoncture de juin 2004, l'Union française de l'électricité constate que les grands consommateurs industriels ont plutôt fait face à une hausse des prix depuis la libéralisation. Et l'UNIDEM dénonce le fonctionnement du marché de gros de l'électricité, où il n'y a aucune possibilité de négocier les prix. Ainsi, ce sont les industriels qui plaident aujourd'hui pour un marché régulé.

L'ouverture à la concurrence privilégie la rentabilité à court terme sur l'investissement à long terme. Il aurait fallu faire un bilan complet de la déréglementation pour l'emploi, les prix, la qualité de service, l'investissement, avant de vous engager dans une privatisation hasardeuse dont les conséquences risquent d'être désastreuses. Nous nous y opposerons fermement (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jacques Masdeu-Arus - L'adoption de ce projet est impérative, puisque l'ouverture du marché de l'énergie à la concurrence - décision prise à Barcelone en mars 2002 - l'impose. Les objectifs de cette réforme sont clairs et doivent être assumés avec conviction et sans complexe : il s'agit de permettre l'adaptation du secteur de l'électricité et du gaz français à ce nouveau contexte, afin de garantir des services de qualité aux usagers, ainsi qu'un accès des tiers aux réseaux de transport et de distribution français ; de donner à EDF et GDF les moyens d'une lutte à armes égales avec leurs concurrents européens.

Ces moyens sont d'abord financiers. Qui va financer le développement futur d'EDF et GDF ? Soit on renforce les fonds propres de l'entreprise par une dotation de l'Etat - ce que vient de faire M. le ministre d'Etat à hauteur de 500 millions, pour la première fois depuis vingt-deux ans -, mais cela ne suffit pas ; soit on ouvre le capital de l'entreprise aux investisseurs, ce qui assure une entrée d'argent beaucoup plus conséquente. La commission des affaires économiques a proposé d'ouvrir le capital à hauteur de 30 % maximum, ce qui garantit une participation de l'Etat à hauteur de 70 %. De plus, nous allons ouvrir aux agents d'entrer dans le capital de leur entreprise à hauteur de 15 %, dans des conditions plus favorables que le droit commun.

Il s'agit ensuite de moyens structurels. Avec la modification du statut, le principe de spécialité va disparaître, ce qui permettra à EDF et GDE d'élargir leur domaine d'intervention et de faire des offres multi-énergies, à l'instar de leurs concurrents. Surtout, le changement de statut va permettre aux deux entreprises de se mettre en conformité avec les règles du marché et de ne plus risquer les sanctions de Bruxelles.

L'ouverture du marché des énergies recouvre trois activités distinctes : la production, le transport et la distribution.

Concernant la production et la distribution, de nombreux acteurs privés concurrencent aujourd'hui EDF et GDF sur le marché français. Pour les transports, la Commission européenne exige la neutralité des gestionnaires de réseaux, ce qui suppose leur indépendance par rapport aux producteurs. A ce sujet, je me réjouis que la commission ait adopté un amendement redonnant au ministre en charge de l'énergie le pouvoir de nomination du directeur général du gestionnaire de réseau. Aujourd'hui, le gestionnaire du réseau de transport, RTE, est le seul en Europe à être encore intégré à une entreprise de production. L'application de la seconde directive devrait lui donner prochainement une personnalité morale ; le projet prévoit que l'activité de transport sera filialisée, en restant publique à 100 %.

Enfin, EDF et GDF ont besoin de moyens humains pour remplir leurs missions. Le projet social de ces deux entreprises doit leur permettre de réussir leur entrée sur un marché intégralement ouvert à la concurrence. La question du financement des retraites est central ; une caisse spéciale va être créée.

C'est à ce projet qui navigue entre nécessaire évolution et prudent statu quo que j'apporte mon soutien.

M. Claude Birraux - J'avais déjà noté, comme porte-parole de mon groupe dans la discussion de la loi du 2 février 2000 sur la modernisation du service public de l'électricité, que le Gouvernement, et encore plus sa majorité, n'avaient cessé d'essayer de dresser des lignes Maginot pour protéger EDF du marché européen. Dans le discours, on voulait faire un champion d'Europe, mais dans la pratique, on se contentait d'un tour du Limousin ! De ce fait, EDF a été obligée, pour se dégager des contraintes fixées par la loi, de biaiser et de créer des filiales pour être à égalité avec ses concurrents.

Puis il y a eu Barcelone. Que je sache, M. Jospin y était...Mais les socialistes ont des difficultés à assumer les conséquences des décisions qu'ils ont prises.

Certes, l'Union européenne ne demande pas un statut spécifique. Mais M. Monti ne se gêne pas pour infliger 1,2 milliard d'amende à EDF pour rupture d'égalité avec ses concurrents, cela en raison de la garantie indéfinie de l'Etat. Celle-ci est la conséquence du statut d'EPIC ; donc, il faut changer de statut !

Cela nous apportera des garanties contre de nouvelles amendes de Bruxelles. Des garanties - tous vos prédécesseurs, Monsieur le ministre d'Etat, ayant fait les poches d'EDF pour boucler les budgets de l'Etat - pour la pérennité du projet industriel qu'est l'EPR : EDF sera ainsi prémunie contre ce qui a été fait par la majorité de gauche avec Super-Phénix, dont l'arrêt a été décidé sans la moindre concertation ni le moindre débat au Parlement !

M. André Gerin - Oui, ce fut un vrai gâchis industriel.

M. Jean-Louis Dumont - C'était un engagement électoral.

M. Claude Birraux - Et que concluait Mme Bricq dans son rapport sur GDF ? Que pour lui donner les moyens de son développement, il semblait « préférable de transformer l'établissement public en société anonyme et de réaliser une ouverture du capital, l'actionnaire majoritaire demeurant l'Etat ». Quant à M. Fabius, il écrivait le 6 février 2002 : « comme GDF, EDF devra évoluer pour conserver son remarquable dynamisme et affronter la compétition, l'Etat y demeurant majoritaire ». Mieux encore, M. Strauss-Kahn, écrivait dans La flamme et la cendre « La part résiduelle de l'Etat devra être suffisante pour assurer un ancrage incontestable, sans pour autant graver dans le marbre le seuil de 50 % ».

Alors, mes chers collègues, méditez les Ecritures : ne soyez pas les conducteurs aveugles qui écrasent la mouche et le moucheron mais avalent les chameaux et les montagnes de l'ignorance, de la peur et de la superstition ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. François Asensi - L'énergie n'est pas une marchandise comme les autres. Elle est un bien national, un bien citoyen. Seul le service public peut être garant de l'intérêt général et de l'égal accès pour tous. C'est ce service public qu'au delà du statut nous défendons. L'engagement pris que l'Etat conservera pendant un an 100 % du capital ne peut donc nous satisfaire, puisque le changement de statut demeure, ouvrant la porte à une privatisation qui est seulement différée dans le temps.

Je sais que la France a pris des engagements. M. Bataille était d'ailleurs auteur de la loi de février 2000 : quand sa formation reviendra au pouvoir, j'espère qu'elle l'abrogera, pour donner suite aux propos qu'il a tenus aujourd'hui...

Rien cependant dans le droit européen n'exige la modification du statut d'EDF. Ne serait-ce qu'un artifice pour entrer dans les critères de Maastricht ? Le changement de statut fera en effet que les dépenses de retraite à venir seront adossées au régime général, à qui EDF devra verser une compensation financière, qui viendra diminuer les déficits publics au sens de Maastricht.

Tout versement à ces organismes vient réduire le déficit tel que le définit Maastricht. Mais les affichages comptables doivent-ils l'emporter sur la stratégie industrielle de secteurs aussi essentiels que celui de l'énergie ?

Notre opposition n'a rien d'idéologique. Elle repose sur une approche essentiellement pragmatique des conséquences de la libéralisation. A l'évidence, celle-ci entraînera une hausse des prix. Demandez aux grands industriels éligibles à la libéralisation depuis quatre ans, comme la SNCF, si l'alourdissement de leur facture énergétique ne menace pas d'ores et déjà leur compétitivité ! Demain, c'est l'égalité de tous à l'énergie et la péréquation qui ne seront plus garanties. S'agissant de la sécurité des approvisionnements et de la sûreté des installations, l'évolution du statut n'aura que des conséquences négatives. Les ménages les plus modestes risquent de subir des coupures de courant injustifiées. On a vu des quartiers entiers privés d'électricité en Espagne ou en Californie. Est-ce là le modèle que vous souhaitez instaurer ? Quant à la sûreté nucléaire, M. Blair n'envisage-t-il pas de renationaliser les centrales pour assurer leur maintenance, tout en laissant, bien entendu au privé le soin d'engranger les profits sur les kWh vendus ? Enfin, eu égard notamment à leur dévouement exemplaire lors de la tempête de 1999, les salariés d'EDF méritent d'être traités avec plus de considération.

Telles sont les principales raisons qui motivent notre opposition à votre réforme réactionnaire (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).

M. Michel Roumegoux - L'évolution du statut de nos entreprises, conformes aux engagements de M. Jospin, leur permettra d'aborder la concurrence européenne et mondiale dans des conditions sensiblement améliorées. J'insiste sur le fait que seul le statut sera modifié, l'Etat continuant de détenir 100 % du capital de l'entreprise. EDF ne sera pas privatisée. L'Etat en gardera le contrôle, ce qui constitue peut-être notre meilleure chance d'échapper à une aggravation de l'effet de serre. De même, le statut des agents sera scrupuleusement préservé et je souhaite au passage à tous les salariés de ce pays d'accéder un jour aux avantages économiques et sociaux dont bénéficient les électriciens et les gaziers !

Par ces évolutions, le texte qui nous est soumis réaffirme la place essentielle des services public de l'électricité et du gaz.

S'agissant de la filialisation des gestionnaires des réseaux de transport, j'avais envisagé de déposer un amendement tendant à faire de RTE un EPIC et non une filiale, fort de l'expérience de RFF par rapport à la SNCF...

M. Pierre Cohen - Tiens !

M. Michel Roumegoux - Mais une analyse approfondie de la situation et de nombreuses consultations m'ont finalement conduit à y renoncer. La construction d'un vrai marché de l'énergie passe en effet par la constitution d'opérateurs intégrés puissants.

Les potentialités ouvertes par l'évolution du statut sont immenses. Ne cédons pas à la pression de quelques extrémistes ou aux tentatives d'intimidation qui inspirent leurs exactions. Les garanties de service public - qualité, présence sur le territoire, tarifs... - données à la filiale transport d'EDF me semblent suffisantes, et ce n'est pas l'« intox » à laquelle se livrent certains qui me fera changer d'avis.

L'adaptation statutaire donne à EDF les moyens de son développement. N'oublions pas qu'au moment de l'évolution d'Air France, d'Airbus ou de Renault, des craintes analogues avaient été exprimées. Voyez où en sont aujourd'hui ces grands groupes ! Adopter une stratégie concurrentielle n'est pas incompatible avec le respect des exigences du service public. Monsieur le ministre de l'Etat, je voterai ce texte sans aucune réserve et en vous félicitant de la méthode respectueuse de chacun que vous avez suivie. Elle relève manifestement du grand art ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. David Habib - Existerait-il un génie français poussant nos gouvernants à détruire ce qui fonctionne bien ? Vous aurez, monsieur le ministre d'Etat, bien du mal à expliquer à nos compatriotes les raisons qui vous conduisent à ouvrir le capital d'EDF et de Gaz de France, sans doute pour mieux les privatiser demain. Comme le dit notre collègue de l'UDF Jean Lassalle, « on ouvre à 30 % et on termine à 100 % ! » Et sans doute a-t-on trop vite oublié les déclarations de M. Philippe Jaffré de 1993, à la veille de l'ouverture du capital du groupe Elf. Résolument rassurantes, elles n'envisageaient que des conséquences positives à la privatisation du groupe : on connaît la suite ! Dès lors, pardonnez-nous d'être un peu inquiets lorsqu'on nous parle d'ouverture du capital !

La vérité, c'est que le Gouvernement a besoin d'argent et qu'il préfère privatiser EDF et Gaz de France plutôt que de revenir sur les cadeaux fiscaux qu'il a consentis aux plus favorisés. D'autre part, les entreprises n'étant pas prêtes à une éventuelle ouverture du capital, le fait d'en repousser l'échéance à 2005 ne constitue en rien une nouvelle concession. M. le ministre d'Etat dit vouloir connaître l'état des entreprises et crée une commission ad hoc à cet effet. Soit, mais pourquoi alors ne pas ajourner l'examen de ce texte dans l'attente des résultats de ces travaux ? La réponse est connue de tous : ce sont en réalité vos insurmontables difficultés budgétaires qui motivent votre démarche.

L'Etat n'est plus en mesure de faire face à ses engagements et cette privatisation de nos entreprises ne s'adosse à aucun projet industriel. Je veux prendre date et prendre nos concitoyens à témoin. Monsieur le ministre d'Etat, vous assumerez les hausses de tarif et tous les dysfonctionnements que l'ouverture du capital va entraîner.

Au reste, aucun de vos arguments tendant à la justifier n'est recevable. Cela a déjà été dit : ce n'est pas Bruxelles qui impose de changer le statut des entreprises. Le Gouvernement pouvait recourir à d'autre méthodes, en se bornant par exemple à limiter la garantie de l'Etat. Et nous sommes quant à nous prêts à soutenir toute initiative visant à renforcer la compétitivité de nos entreprises. Le champ d'activité d'EDF a déjà été élargi par la loi du 10 février 2000.

Tenant compte de l'ouverture progressive du marché de l'électricité, EDF a déjà la faculté de proposer aux clients éligibles «une offre globale de prestations techniques et commerciales accompagnant la fourniture d'électricité». Elle peut en outre «exercer toute activité à l'étranger», portant sur la fourniture de toutes les formes d'énergie et de multiples services. On ne saurait donc justifier par le handicap du principe de spécialité l'ouverture du capital d'EDF et de GDF.

Vous rappelez d'autre part qu'EDF et GDF doivent être capables de se développer à l'étranger. Mais leur statut d'établissement public commercial ne les empêche pas de détenir une filiale soumise au droit des sociétés anonymes, chargée de leurs activités à l'étranger. Et c'est déjà le cas : EDF a une filiale, EDF International, forte d'un capital social et qui devrait être la tête de pont de ce développement.

Monsieur le ministre, renoncez à l'ouverture du capital d'EDF et GDF. Elle est dangereuse, contraire aux enjeux énergétiques du pays et aux intérêts de notre tissu économique. Le marché énergétique ne peut se réduire à une dimension financière et juridique ; sa dimension industrielle ne peut être occultée. Les priorités à long terme de la politique énergétique sont la capacité à valoriser les parcs de production existants et à réaliser de nouveaux investissements ainsi qu'à développer l'usage des énergies renouvelables. Le marché de l'électricité, énergie non stockable, ne peut être soumis au jeu de l'offre et la demande, au risque de défaillances du système électrique. Par conséquent, les investisseurs privés, ayant une vision à court ou moyen terme, chercheront à écarter ces contraintes énergétiques ; ils n'auront pas l'éthique de responsabilité qu'imposent la durée d'amortissement de trente ou quarante ans, ou la matière même du nucléaire. Il est clair que l'introduction de capitaux privés viendra rapidement contrarier nos projets de renouvellement du parc nucléaire. De plus, au-delà de ces contraintes énergétiques, la privatisation remettra en cause les valeurs du service public qui font la force d'EDF et GDF. L'ouverture du capital entrera en conflit avec les principes du service public français, notamment la continuité du service, l'égalité, la recherche de la qualité, la recherche du moindre coût et son universalité.

Votre volonté d'ouvrir le capital d'EDF et de GDF a une visée budgétaire et politique. De nombreuses incertitudes pèsent sur l'avenir industriel et financier d'EDF et de GDF. Aucun projet industriel n'a été défini. Nous ne disposons d'aucune étude sur la valeur réelle des deux entreprises. Les comptes d'EDF, basés sur une durée de vie prolongée pour les cinquante-huit réacteurs nucléaires français, ne sauraient à eux seuls définir cette valeur.

Mais rien de tout cela ne semble peser dans votre décision. Vous ignorez les difficultés qui accompagnent la privatisation du secteur de l'énergie, notamment les dysfonctionnements et ruptures d'électricité dus à des aléas de court terme, ainsi que les fortes hausses de prix déjà annoncées. Les socialistes et les communistes ne sont pas seuls à le dire. Je rappellerai le vote conjoint par les élus UDF et socialistes, au conseil général des Pyrénées-Atlantiques, d'une motion qui vous demande, Monsieur le ministre, de renoncer à votre projet. Ainsi, Monsieur de Courson, si l'on a pu rappeler les propos hasardeux de certains socialistes sur ce sujet, permettez que je rappelle aussi les positions prises en région par vos amis politiques...

A ceux qui aiment les Etats-Unis, et j'en suis, je suggère de méditer ce commentaire d'un auteur américain connu pour ses convictions libérales, Monsieur Séverin Borenstein : « ces Etats et Pays qui n'ont pas encore emprunté le chemin de la dérégulation de l'électricité seraient avisés d'attendre, pour tirer les enseignements des expériences en cours en Californie, à New-York, en Pennsylvanie, en Nouvelle Angleterre et Pays de Galles, en Norvège, Australie et ailleurs ».

La sécurité d'approvisionnement, la protection de l'environnement, l'aménagement du territoire et la cohésion sociale doivent faire partie intégrante de la politique énergétique. Au nom de ceux qui ont créé EDF et Gaz de France, dont nous sommes les héritiers, pour reprendre votre expression, mais aussi au nom des générations qui arrivent et qui attendent que nous sachions aussi maintenir ce qui fonctionne bien, je vous demande de renoncer à ce projet (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean-Jacques Guillet - En quelques semaines, Monsieur le ministre, avec le talent qu'on vous connaît, vous avez levé deux incertitudes. La première portait sur votre politique énergétique : depuis bien longtemps nous n'avions pas eu de débat comme celui d'il y a quelques semaines, et, plus important, pour la première fois nous avons voté sur cette politique. L'enjeu était essentiel : il s'agissait de bien situer l'énergie nucléaire au centre de notre politique, ce qui n'était pas assuré.

La seconde incertitude, vous la levez aujourd'hui : c'est celle qui porte sur le changement de statut d'EDF et de GDF. Depuis une dizaine d'années, les deux entreprises vivaient dans une incertitude totale, partagées entre l'impératif de préserver les missions de service public affirmées en 1946 - si ce n'est avant - et la nécessité de se développer à l'étranger, et de s'endetter sans filet de sécurité. Ces incertitudes vont être levées par le changement de statut. Il était nécessaire, car nous changeons de modèle électrique et gazier. Ce qui n'est pas un drame en soi : notre modèle a déjà changé plusieurs fois. En 1906, il était fondé sur le double impératif de l'industrialisation du pays et du service public local ; d'où la loi de 1906 sur l'économie concessionnaire, loi importante et dont nous devons d'ailleurs préserver certains aspects. Le modèle changea en 1946, avec les impératifs de la reconstruction du pays et de la planification de la politique énergétique et industrielle, que nous avons remplis en créant ces deux champions nationaux, EDF et GDF - devenus des champions européens et mondiaux. Aujourd'hui, enfin, s'impose un autre impératif, celui du marché européen, certes, mais aussi celui de la mondialisation. C'est dans ce contexte qu'intervient le changement de statut, qui favorisera le développement et offrira même un moteur à toute notre politique industrielle. EDF et GDF jouent en effet un rôle important dans ce domaine ; et je pense notamment à deux entreprises qui vous sont chères, Monsieur le ministre, AREVA et ALSTOM, cette dernière surtout, pour laquelle vous avez mené un effort particulier de négociation à Bruxelles afin de conserver cette entreprise à notre pays.

Ces incertitudes levées, d'autres demeurent. J'en évoquerai deux. La première porte sur la nécessité de séparer plus nettement les réseaux de transport, les réseaux de distribution et les activités commerciales. A cet égard l'article 4 du projet est peut-être un peu insuffisant.

M. Jean-Louis Dumont - Il est dangereux !

M. Jean-Jacques Guillet - Il faut accentuer la séparation entre les activités régulées et les activités commerciales. En effet , quelle que soit la bonne volonté des hommes, toute entreprise qui a une vocation commerciale doit tendre à réduire ses coûts : la tentation sera forte de réduire les investissements sur les réseaux de transport. C'est vrai pour le réseau concerné par le projet, et ce sera vrai demain pour les gestionnaires des réseaux de distribution - point d'autant plus important que c'est le service public local qui est ici en jeu. Dans les collectivités locales, nous avons la volonté de renforcer les réseaux de distribution et de les intégrer dans l'environnement.

La dernière incertitude porte sur l'avenir de l'économie concessionnaire et le rôle des communes et des collectivités locales. Vous avez ouvert une piste en suggérant que les collectivités pourraient entrer dans le capital d'EDF et de Gaz de France, en apportant leurs réseaux. C'est une piste à explorer, mais avec prudence, car il n'est pas certain que ce soit dans l'intérêt général. Le rôle des collectivités locales en effet, notamment par le biais des EPCI, est un rôle de contrôle et de garantie du service public local. Mais du jour où elles seront actionnaires, ce souci sera concurrencé par celui de voir rentrer les dividendes. Les collectivités locales ont aujourd'hui un rôle essentiel dans l'aménagement du territoire, et assurent nombre de maîtrises d'ouvrage, notamment dans l'électrification rurale : il faut être vigilants pour que leur entrée dans le capital des deux entreprises ne supprime pas ce rôle (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu cet après-midi, mercredi 16 juin, à 15 heures.

La séance est levée à 0 heure 40.

            Le Directeur du service
            des comptes rendus analytiques,

            François GEORGE

ORDRE DU JOUR DU
MERCREDI 16 JUIN 2004

A QUINZE HEURES : 1ère SÉANCE PUBLIQUE

1. Questions au Gouvernement.

2. Suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi (n° 1613) relatif au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières.

Rapport (n° 1659) de M. Jean-Claude LENOIR, au nom de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire.

Avis (n° 1668) de M. Bernard CARAYON, au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du plan.

A VINGT ET UNE HEURES TRENTE : 2ème SÉANCE PUBLIQUE

1. Discussion du texte élaboré par la commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la solidarité pour l'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées.

Rapport (n° 1665) de M. Denis JACQUAT.

2. Suite de l'ordre du jour de la première séance.

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne trois heures après la fin de séance.

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

www.assemblee-nationale.fr


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