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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2003-2004 - 106ème jour de séance, 260ème séance

1ère SÉANCE DU JEUDI 17 JUIN 2004

PRÉSIDENCE de M. Rudy SALLES

vice-président

Sommaire

      CONDITIONS D'EXPULSION DES ÉTRANGERS 2

      ARTICLE UNIQUE 12

La séance est ouverte à neuf heures trente.

CONDITIONS D'EXPULSION DES ÉTRANGERS

L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de MM. Pascal Clément et Bernard Accoyer relative aux conditions permettant l'expulsion des personnes visées à l'article 26 de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945.

M. Alain Marsaud, rapporteur au nom de la commission des lois - Il y a un peu plus de six mois, nous votions ici une des grandes lois de cette législature, celle relative à la maîtrise de l'immigration et au séjour des étrangers en France. Mais la société évolue, et nous devons revenir sur un point particulier.

Toutes tendances confondues, l'Assemblée s'est retrouvée pour aménager le régime des mesures d'éloignement du territoire applicable aux étrangers qui ont fait leur vie en France, et trouver un équilibre entre leur protection et les exigences de l'ordre public.

Afin de doter l'autorité administrative de nouveaux moyens, MM. Clément et Accoyer ont déposé le 8 juin une proposition de loi visant à modifier l'article 26 de l'ordonnance de 1945, qui institue une protection quasi absolue...

M. Jacques Myard - Excessive !

M. le Rapporteur - ...au profit de l'étranger qui réside habituellement en France depuis, au moins, ses treize ans, de celui qui y réside depuis plus de vingt ans, de celui qui y vit depuis plus de dix ans et a un conjoint français depuis plus de trois ans, de celui qui y réside et est parent d'un enfant français mineur, de celui, enfin, dont l'état de santé particulièrement grave rend nécessaire une prise en charge médicale.

Cette protection ne joue pas lorsque les victimes sont le conjoint ou les enfants de l'étranger, ni en cas de violation flagrante des fondements de l'Etat et de la cohésion sociale. Il s'agit des atteintes aux intérêts fondamentaux de l'Etat, des activités de terrorisme, des actes de provocation à la discrimination, à la haine, ou à la violence à raison de l'origine ou de la religion des personnes. C'est cette dernière exception que la proposition de loi tend à modifier.

En effet, un arrêté ministériel d'expulsion a dernièrement été suspendu, par le tribunal administratif de Lyon dans l'affaire Bouziane, imam à Vénissieux, qui avait été interpellé pour des actes à caractère terroriste. Et M. Bouziane de tenir, lors d'une interview, des propos attentatoires à la dignité des femmes, mais ne tombant pas sous le coup de l'article 26 puisqu'ils n'étaient pas liés à l'origine ou à la religion des personnes.

M. Voisin, M. Mariani et moi-même avions déjà déposé une proposition de loi pour combler cette lacune, et nous regrettons qu'elle n'ait pas été reprise par le Gouvernement, ni même jointe pour discussion commune à la présente proposition de loi.

M. Jacques Myard - Et la mienne?

M. le Rapporteur - Elle aurait complété votre dispositif de lutte anti-terroriste, notamment en direction des activités salafistes et des quelques prédicateurs qui, sans agir eux-mêmes, réunissent autour d'eux des individus susceptibles de passer à l'action.

Par ailleurs, M. Gerin, député-maire de Vénissieux, m'a fait savoir qu'il déposerait prochainement une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête.

Certes nous ne légiférons pas pour M. Bouziane, auquel la nouvelle loi ne s'appliquera pas, et qui restera malheureusement en France, sauf si le Conseil d'Etat casse la décision du tribunal administratif dans plusieurs mois. La procédure est particulièrement inadaptée, car nous sommes tout de même dans une situation d'urgence - que se passerait - il s'il s'agissait de poseurs de bombes patentés?

Mais le plus choquant reste cette fraude organisée aux divers droits sociaux , par le biais des familles polygamiques, avec l'accord tacite de toutes les administrations concernées, de la préfecture jusqu'à la caisse d'allocations familiales, en passant par les organismes HLM.

M. Jacques Myard - Scandaleux!

M. le Rapporteur - La protection sociale d'une famille polygamique peut ainsi s'élever à plusieurs milliers d'euros par mois!

Mais revenons à cette proposition de loi, qui tend à rendre possible l'expulsion d'un étranger bénéficiant d'une protection quasi absolue, en cas de provocation explicite et délibérée à la discrimination, à la haine, ou à la violence, contre une personne ou un groupe de personnes.

Les provocations contre des personnes à raison de leur sexe, de leur conviction politique, voire de leur apparence physique, tomberaient ainsi sous le coup de la loi, à condition d'être délibérées - le simple dérapage verbal n'est pas visé.

L'expulsion ne pourra être ordonnée, comme c'est le cas aujourd'hui, qu'à deux conditions: le comportement de l'étranger entre dans une des trois hypothèses visées au premier alinéa de l'article 26, et elle constitue une nécessité impérieuse pour la sécurité d'Etat ou la sécurité publique, conformément à l'article 25 bis de l'ordonnance.

Le président de la commission des lois a rappelé que cette proposition s'inscrit dans le mouvement général de notre législation, qui tend à sanctionner plus durement des propos provocateurs à l'encontre de personnes ou de groupes.

Il ne s'agit bien évidemment pas de remettre en cause la loi de novembre 2003 non plus que les dispositions concernant la protection de certains étrangers : il s'agit de répondre à des situations nouvelles. Nous devons être en effet particulièrement vigilants pour répondre efficacement à toute évolution sociale dangereuse pour notre pacte républicain.

Je le répète, l'article 26 doit être rapproché de l'article 25 bis, qui subordonne l'expulsion des étrangers bénéficiant d'une protection particulière à l'existence d'une nécessité impérieuse pour la sécurité d'Etat ou la sécurité publique. C'est tout le sens de notre proposition de loi (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Pascal Clément, président de la commission des lois - Je n'ai que peu de choses à rajouter à cet excellent exposé.

Je rappelle, car cela concerne plusieurs amendements dont nous allons débattre, que nos discussions dans le cadre de la loi qui a aboli la double peine ont montré qu'il était indispensable de ne pas transposer le code pénal dans le droit administratif.

De plus, la qualification que nous devons retenir doit être suffisamment générale pour que ce ne soit pas une infraction prouvée qui permette de déroger à la protection absolue dont bénéficient certains étrangers présents sur notre sol.

Il ne s'agit pas, enfin, de favoriser les procès d'intention puisqu'il est question d'actes de provocation « explicite et délibérée » contre nos valeurs républicaines.

Nous précisons la loi à partir d'un cas de circonstance, mais cette loi n'est en rien de circonstance. M. Bouziane n'est d'ailleurs pas concerné puisqu'il n'y a pas de rétroactivité.

M. Jacques Myard - C'est dommage !

M. le Président de la commission - Il s'agit simplement d'adapter l'alinéa 3 de l'article 26 afin de le rendre mieux applicable.

Notre société exige de plus en plus le respect de l'autre, dans tous les domaines, et la prise de conscience de cette exigence a été longue. Ce qui est exigé des Français doit l'être également des étrangers...

M. Jérôme Lambert - Précisez-le !

M. le Président de la commission - ...cette proposition n'a pas d'autre objectif (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jacques Myard - Très bien !

M. Dominique de Villepin, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales - Je me réjouis qu'à l'invitation des présidents Clément et Accoyer l'Assemblée nationale puisse débattre de l'éloignement de notre territoire des personnes qui menacent gravement l'ordre public en diffusant des messages contraires à nos valeurs et à notre pacte républicain.

Le Gouvernement est très favorable à cette proposition de loi, qui permet de répondre à des situations inacceptables comme par exemple lorsque des étrangers tiennent des propos contre les femmes. Ainsi, la présence à mes côtés de Nicole Ameline est le signe de l'importance que le Gouvernement attache au respect absolu du droit des femmes.

Nous devons protéger tous ceux qui vivent sur notre territoire, qu'ils soient Français ou étrangers, contre les agissements d'un petit nombre de ressortissants qui ne respectent pas la règle commune.

Votre proposition permet de faire face à une situation nouvelle : la diffusion de messages ou d'idéologies qui nient les principes de bases qui fondent la démocratie ou qui appellent à commettre des actes inadmissibles.

Des ressortissants étrangers s'en prennent au statut des femmes,...

M. Jacques Myard - Pas seulement !

M. le Ministre - ...à leurs droits, à leur intégrité physique. Jusqu'à aujourd'hui, nous ne disposions pas d'une réponse appropriée, la voie judiciaire ne pouvant déboucher sur une sanction que lorsque les violences ont été commises.

Avec cette proposition, nous nous situons sur un tout autre terrain que celui du contrôle de l'immigration, principal objet de la loi du 26 novembre 2003. Ses principes restent évidemment valables, notamment le dispositif parfois appelé « anti double peine » que votre proposition conforte en corrigeant une imperfection apparue dès les premiers mois de l'application de la loi.

M. Jacques Myard - Et pour cause !

M. le Ministre - La raison d'être de l'expulsion n'est pas de punir, mais de prévenir. Il est vrai qu'un meurtrier ne peut pas toujours être expulsé, mais qu'une personne qui appelle au meurtre doit pouvoir l'être.

M. Jacques Myard - C'est paradoxal.

M. le Ministre - L'expulsion des auteurs de provocations caractérisées qui appellent ouvertement à commettre des actes d'une gravité extrême n'a bien entendu rien à voir avec je ne sais quels procès d'intention ou atteintes à la liberté d'opinion. Les expulsions, comme toutes les décisions administratives sont en effet soumises au contrôle vigilant du juge administratif. Ce contrôle garantit, sous l'autorité du Conseil d'Etat, un équilibre satisfaisant entre les intérêts de la collectivité et les droits de l'individu. Il évite toute tentation d'abus de pouvoir ou d'arbitraire. Il constitue dans son domaine de compétence, clairement distinct de celui de l'autorité judiciaire, une garantie essentielle du respect des libertés publiques, d'autant que l'intervention du juge en référé lui permet de se prononcer dans l'urgence.

Les précautions que vous avez prises, Monsieur le président de la commission des lois, notamment en insérant les mots « explicite » et « délibérée » aideront le juge administratif à préciser les conditions d'application de la loi. Ces précisions en garantiront une application mesurée et éviteront que soient expulsées des personnes qui ne le mériteraient pas. Le contrôle s'exercera en terme de proportionnalité et non sur une série d'incriminations, laquelle ne saurait être exhaustive.

L'article 23 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 précise tout d'abord que seules peuvent être expulsées les personnes dont le comportement constitue une menace grave à l'ordre public. Les articles 25 et 25 bis, eux, définissent les circonstances dans lesquelles l'expulsion n'est possible qu'en cas de nécessité impérieuse pour la sûreté de l'Etat ou la sécurité publique. Ces articles constituent une garantie complète, transparente et démocratique contre tout risque d'abus. Ils assurent le respect de la raison d'être des expulsions prononcées par arrêté ministériel, qui doivent rester une mesure exceptionnelle, et non devenir un mode normal de gestion du séjour des étrangers en France.

L'une des missions du ministre de l'intérieur est de veiller à ce que les expulsions par arrêté ministériel restent proportionnées à l'évolution des menaces constatées et surtout, à ce que les comportements justifiant de telles mesures donnent bien lieu à expulsion. Sur ce point, ma détermination est entière. Les décisions que j'ai prises depuis mon arrivée au ministère en témoignent. Je continuerai à expulser les étrangers qui soutiennent, directement ou non, le terrorisme et ceux, parfois les mêmes, qui appellent à la haine, à la violence et à la discrimination. Désormais, grâce à cette proposition de loi, pourront justifier l'expulsion non seulement ces propos antisémites ou racistes, mais aussi les discours insupportables qui s'attaquent aux femmes en tant que femmes.

M. Jacques Myard - Et aussi ceux qui s'attaquent à la France !

M. le Ministre - Je proposerai également au Premier ministre et au Président de la République la dissolution de tout mouvement qui appelle au terrorisme ou à la lutte armée en France ou à l'étranger. Je veillerai à ce que soient dénoncés à la justice les auteurs d'infractions pénales contre la sécurité et l'ordre publics, quelle que soit leur nationalité.

Cette proposition de loi aidera le Gouvernement à mieux assumer sa responsabilité essentielle envers tous ceux qui souhaitent vivre en paix dans notre pays. Elle nous permettra de mieux défendre et faire respecter les valeurs de liberté et d'égalité. Elle confortera l'équilibre de notre législation sur le séjour des étrangers. Le Gouvernement la soutient donc et remercie ses auteurs (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Thierry Mariani - Avec la loi du 26 novembre 2003, la France s'est enfin dotée d'un arsenal juridique pour maîtriser ses flux migratoires et lutter efficacement contre l'immigration irrégulière. Ainsi avons-nous créé un fichier d'empreintes digitales et de photos à partir des demandes de visas ; allongé la durée maximale de rétention administrative des étrangers en situation irrégulière ; mis en place une commission nationale de contrôle des centres de rétention et des zones d'attente, que nous avons par ailleurs réaménagés ; durci les peines à l'encontre des passeurs en cas de circonstances aggravantes ; donné aux maires la possibilité de refuser la délivrance d'une attestation d'hébergement après vérification des conditions de cet hébergement et de sa prise en charge ; pris en compte de manière renforcée le critère d'intégration pour la délivrance des titres de séjour ; allongé la durée de vie commune exigée pour l'obtention de la carte de résident en cas de mariage ; renforcé la lutte contre les mariages blancs ; prévu le retrait de la nationalité pour faits de terrorisme. Autant de mesures fermes mais justes.

Hélas, les décrets d'application de cette loi n'ont toujours pas été publiés. Je sais que le ministère de l'intérieur n'est pas seul concerné. Je vous fais confiance, Monsieur le ministre, pour intervenir auprès de vos collègues.

Après avoir voté cette loi ferme mais juste, il nous a paru nécessaire, dans un souci de générosité et d'humanité, de réformer la double peine. Le temps était venu de protéger d'une menace d'expulsion les étrangers et leurs familles qui ont tissé des liens profonds et sincères avec notre pays. Sont ainsi désormais protégés les étrangers qui résident en France depuis qu'ils ont atteint au plus l'âge de treize ans, les étrangers qui vivent en France depuis plus de vingt ans, les étrangers résidant régulièrement en France depuis plus de dix ans et mariés depuis au moins trois ans avec un ressortissant français, les étrangers résidant régulièrement en France depuis plus de dix ans et père ou mère d'un enfant mineur résidant en France, les étrangers résidant habituellement en France dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale.

En réformant ainsi la double peine nous avons affirmé que notre pays savait se montrer généreux. Pour autant, il n'était nullement question de tomber dans l'angélisme. C'est pourquoi existent trois dérogations à cette protection. La première concerne les étrangers dont le comportement est de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l'Etat ; la deuxième les étrangers dont les actes relèvent d'activités à caractère terroriste ; la troisième, celle qui en l'occurrence nous préoccupe, les étrangers dont le comportement constitue une provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence en raison de l'origine ou de la religion. Cette dernière exception mérite d'être adaptée : tel est l'objet de la présente proposition de loi que je soutiens d'autant plus volontiers que j'avais cosigné avec MM. Marsaud et Voisin une proposition de loi ayant le même objet.

Il n'est bien entendu pas question de revenir sur les acquis de la réforme de la double peine. En revanche, chacun garde à l'esprit l'affaire de l'imam de Vénissieux et tous ici avons regretté les lacunes de notre législation qui ont permis le retour sur le sol français de M. Bouziane, retour qui a suscité l'indignation, l'incompréhension et la colère de nos concitoyens. Notre collègue Gerin, maire de Vénissieux, écrivait lui-même à l'ensemble des parlementaires le 19 mai dernier que M Bouziane devait être « rapidement et définitivement interdit du territoire national ».

M. le Président de la commission - Très bien.

M. Thierry Mariani - Je pense donc que la présente proposition de loi fera l'unanimité...

Le Président de la République lui-même a demandé au législateur d'intervenir afin que de telles affaires ne puissent pas se reproduire. Et en effet, si cette proposition de loi est adoptée, la France n'aura plus à accepter sur son sol la présence d'individus dont le comportement menace notre pacte républicain lui-même.

Il ne s'agit nullement de remettre en question la réforme de la double peine, mais, avec sérénité et pragmatisme, de combler le vide juridique créé par le régime dérogatoire actuel, extrêmement restrictif puisque la dérogation est limitée aux seuls actes de discrimination en raison de l'origine ou de la religion. En choisissant une rédaction qui englobe l'ensemble des actes de provocation, explicite ou délibérée, à la discrimination, à la haine ou à la violence, contre une personne déterminée ou un groupe de personnes, nous posons les garde-fous juridiques indispensables à la prévention de tels actes, quelles que soient les personnes visées. Ce qui importe, c'est de sanctionner l'acte de discrimination en lui-même, parce qu'il est contraire à nos principes.

Depuis novembre 2003, la France s'est dotée des moyens d'accueillir sur son sol, non pas qui le veut, mais qui elle veut. Elle ne peut accepter que certains profitent de sa générosité et galvaudent ses valeurs en se livrant à des appels à la haine et à la discrimination. La France, c'est la tolérance, le respect de chacun, le respect des libertés individuelles. Mais ces valeurs ne seraient rien si nous ne donnions pas les moyens de les défendre et de les réaffirmer.

Tel est le sens de cette proposition de loi qu'au nom du groupe UMP je vous demande d'adopter en saluant le travail remarquable du président de la commission et du rapporteur (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Christophe Caresche - A vous écouter tous, nous pourrions être d'accord avec vous comme nous l'avons d'ailleurs été lorsqu'il s'est agi de réformer la double peine. Ce qui nous sépare aujourd'hui, c'est la rédaction de cette proposition de loi qui suscite chez nous des interrogations. Vous avez, à juste titre, souhaité régler un problème mais il semble qu'en le réglant, vous en ayez fait surgir d'autres.

Nous avons tous en mémoire l'affaire Bouziane. A cet égard, je tiens à dire que, comme vous, Monsieur le ministre, nous condamnons fermement le comportement de cet imam qui a tenu des propos inacceptables dans notre République. Mettant en cause les fondements mêmes de notre pacte républicain, M. Bouziane n'a pas sa place dans notre pays (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP). Il ne s'agit pas là de propos isolés, mais d'une idéologie, d'une mouvance radicale de l'islam. Il était donc opportun de légiférer.

Cette adaptation doit se faire avec deux soucis.

D'abord, clairement identifier les valeurs auxquelles on se réfère. C'est bien la démarche qui avait été adoptée pour le texte de 2003, qui visait explicitement les actes commis à raison de l'origine ou de la religion des personnes.

Ensuite, ne pas remettre en cause la protection que nous avons accordée à certaines catégories d'étrangers. A cet égard, je ne vous fais pas de procès d'intention, mais je considère que la formulation que vous avez retenue laisse une marge d'interprétation. Vous vous êtes, Monsieur le ministre, référé explicitement aux propos de M. Bouziane, en déclarant qu'il fallait « inclure les incitations aux violences contre les femmes dans l'ordonnance de 1945, afin que de telles provocations donnent lieu à des expulsions ». Nous partageons cette volonté. Mais voulant régler tous les problèmes, vous visez désormais non pas des faits précis - racisme, antisémitisme, violences faites aux femmes, homophobie -, mais toutes les provocations concernant une personne déterminée ou un groupe de personnes, sans que l'on sache exactement ce que cela recouvre. Je ne dis pas que le racisme et l'antisémitisme ne sont pas couverts par cette formulation, mais on n'y fait plus de référence explicite, alors que c'est bien au nom de telles atteintes à nos valeurs essentielles que l'on doit pouvoir expulser un étranger - et non en raison de propos qui n'ont parfois qu'un caractère individuel et qui peuvent par ailleurs faire l'objet de sanctions pénales, s'appliquant aussi bien aux Français qu'aux étrangers.

Cette démarche trop générale nous inquiète, parce qu'elle ouvre à l'excès le champ possible d'application de la loi.

Nous avions débattu ici à l'initiative de M. Bloche d'une proposition de loi tendant à hisser les provocations à l'encontre des femmes et l'homophobie au niveau du racisme et de l'antisémitisme. Je suis tout à fait d'accord, Monsieur le président de la commission, pour modifier dans cet esprit l'ordonnance de 1945.

Pour prendre un exemple, des réfugiés politiques résidant dans notre pays qui tiendraient des propos agressifs à l'égard d'un dictateur seraient-ils susceptibles d'être visés par le texte que vous nous présentez, et donc d'être expulsés vers le pays dont ils dénoncent le régime dictatorial ? Ce serait quelque peu paradoxal... C'est pourquoi nous proposons un amendement simple, qui tend à compléter la rédaction qui avait été adoptée en 2003 en introduisant les violences contre les femmes et l'homophobie. Ce faisant, nous répondrions à l'objectif qui nous réunit ce matin, c'est-à-dire viser des propos tels que ceux qu'a tenus M. Bouziane, tout en donnant au texte un champ d'application bien défini. Si cet amendement était adopté, nous n'aurions aucune difficulté à voter cette proposition de loi (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean Dionis du Séjour - La loi promulguée le 26 novembre 2003 avait fait l'objet d'un consensus sur la plupart de ces bancs.

M. Jacques Myard - Moi, je n'étais pas d'accord !

M. Jean Dionis du Séjour - En application du nouvel article 26 de l'ordonnance de 1945, l'étranger dont le comportement est de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l'Etat ou lié à des activités à caractère terroriste, ou constitue des actes de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à raison de l'origine ou de la religion des personnes peut faire l'objet d'une expulsion. Cette nouvelle rédaction avait pour but de diminuer considérablement le champ d'application de la double peine, comme le ministre de l'intérieur s'y était engagé.

C'est dans ce contexte qu'est intervenue l'affaire de l'imam de Vénissieux. Même s'ils s'en défendent, les auteurs de cette proposition de loi ne peuvent nier les relations entre cette affaire et la modification proposée de l'article 26.

Bien entendu, nous souscrivons à toute initiative ayant pour but de sanctionner des incitations à la haine ou à la discrimination à raison de l'origine, de la religion, du sexe ou encore des convictions politiques. A la question « M. Bouziane méritait-il d'être expulsé ? », nous répondons sans ambiguïté « Oui ». Nous ne saurions tolérer de tels agissements ; l'islam de France doit s'adapter à la République, et non l'inverse.

M. Jacques Myard - Très bien !

M. Jean Dionis du Séjour - Néanmoins, il faut veiller à ne pas rompre l'équilibre de la rédaction que nous avions trouvée l'année dernière. Et d'autre part, ne tombons pas dans le piège des lois d'opportunité : nous ne devons pas régler chaque difficulté qui se présente par un texte de loi. Nous légiférons ce 17 juin alors que la décision du tribunal administratif ne remonte qu'au 26 avril dernier ! S'il est normal de modifier la loi pour combler les lacunes que révèle son application, il me semble que les éminents juristes de la commission des lois ne devraient pas voir d'un bon _il une telle hâte. A-t-on pris le temps d'analyser sérieusement les insuffisances du texte en cause et les conditions de son application ? Je ne le crois pas. En tout cas, on n'a pas pris celui de consulter les associations et les corps intermédiaires et la crédibilité de notre travail ne peut y gagner. Nous avons le fâcheux sentiment, Monsieur le Ministre, que vous avez d'abord pris en considération l'enjeu politique et médiatique. On peut le comprendre, mais ce n'est pas ainsi qu'on peut légiférer sereinement et nous émettons donc de fortes réserves sur la méthode.

L'UDF prône au contraire la systématisation des études d'impact préalables et des rapports sur l'application des lois. Si chaque affaire médiatico-judiciaire doit immédiatement entraîner la réforme des lois que nous venons de voter, notre travail perdra toute substance et les textes deviendront trop complexes et changeants pour être utiles. Cette affaire de Vénissieux est symptomatique d'un dysfonctionnement, certes, mais n'essayons pas d'y remédier trop rapidement en nous plaçant sous la dépendance d'une actualité qui ne peut se faire juge du travail législatif.

Nous prenons donc acte de la modification proposée et nous la soutiendrons sur le fond tout en exprimant de fortes réserves sur la méthode.

M. André Gerin - Je vais décevoir le président Clément : notre vote sera négatif !

Commençons par une mise au point : M. Bouziane séjourne depuis plus de quinze ans dans le département du Rhône - il a exercé à Villefranche, puis à La Duchère, avant de s'établir à Vénissieux il y a un an - et il a, à trois reprises, suivi des stages de recyclage en Arabie Saoudite. Ce n'est donc certainement pas un « archaïque » qui ne comprendrait pas le français.

J'ai été scandalisé lorsque la justice a expliqué qu'elle était impuissante et je me suis donc réjoui de la décision du ministre de l'intérieur. Aujourd'hui, je comprends l'intention des auteurs de cette proposition même si j'avais le sentiment que l'ordonnance permettait de répondre à la question posée, mais je crains qu'on n'envisage qu'un aspect limité de l'affaire. Derrière les individus comme M. Bouziane, il y a en effet un projet politique, hostile aux valeurs de la République, et nous ne saurions donc nous en tenir au problème de l'immigration. Il convient certes d'expulser des individus qui empoisonnent la société, pourrissent le crâne de nos gamins et s'attaquent à la liberté des adolescentes et des femmes : ils n'ont rien à faire en France ! Mais que fait-on pour mettre hors la loi les milliers de Français de souche convertis à un intégriste islamique qui contribue au terrorisme ? A mon sens, là devrait être la première préoccupation.

La présence en France de pseudo-religieux hostiles à notre mode de vie et aux institutions républicaines, qui refusent la modernité et compromettent l'ordre public, porte atteinte à la fois à l'image de notre pays et à l'image de l'islam. Or ils sont des centaines comme M. Bouziane. Dans nos villes, beaucoup de Musulmans, jeunes notamment, en ont assez de ces gens qui les empêchent de vivre paisiblement et contrarient leur besoin de reconnaissance sociale et civique. A cet égard, on ne saurait trop souligner l'importance, et la nouveauté, de la position prise par un certain nombre de responsables de la communauté.

Les députés communistes sont évidemment d'avis d'agir et d'examiner sérieusement les procédures existantes. Mais ils estiment que la proposition ne répond pas à la question qui se pose : elle ne peut conduire qu'à une loi de circonstance, propice aux amalgames. Il n'y avait nul besoin de modifier l'ordonnance de 1945, qui fournit un arsenal complet avec les trois dérogations qu'elle prévoit. En revanche, il faut absolument, je le répète, traiter le problème des Français convertis. D'autre part, il ne faudrait surtout pas remettre en cause les avancées acquises, s'agissant de la double peine.

Ne diabolisons pas : il serait absurde de redouter je ne sais quelle entreprise d'islamisation de la France. Pour autant, il ne faut pas sous-estimer le danger des discours tenus par ces pseudo-religieux pour inciter à une guerre sainte contre le monde occidental, coupable d'empêcher la pratique de l'islam. Cet obscurantisme est facteur de régression sociale et, pour une part, il nourrit le terrorisme. Dans le contexte de l'après-11 septembre, il utilise en effet la religion pour alimenter un Islam politique radical. Il conteste notre droit civil afin d'assujettir les femmes, de les reléguer dans un statut d'infériorité. C'est un nouveau totalitarisme ! Il faut réagir en expliquant ce qu'est la laïcité, en expliquant la loi pour favoriser l'intégration de l'islam. L'Etat doit sanctionner les propos délictueux de ces gens qu'on ne devrait même pas appeler imams, car cela, déjà, contribue à l'amalgame. Mais nous devons avant tout nous préoccuper de la diffusion de cette idéologie dangereuse dans nos banlieues et élaborer des propositions qui permettent à la majorité des musulmans de s'engager en faveur d'un islam paisible, tolérant et populaire. Cela suppose notamment l'édification de lieux de culte dignes de ce nom.

Tendons donc aux musulmans une main loyale et généreuse sans rien abandonner de nos exigences. Beaucoup parmi eux sont d'ailleurs en train d'évoluer de façon très positive. Le groupe communiste comprend certes les intentions de la majorité, mais il la met en garde contre le risque de rétablir la double peine. Pour ma part, j'entends présenter prochainement une proposition de résolution, tendant à la création d'une commission d'enquête sur les propos discriminatoires et hostiles à nos institutions et à nos lois tenus par les prédicateurs intégristes.

Je me suis exprimé de façon simple, avec mon franc-parler, mais comprenez que je n'ai pas l'intention de baisser la garde. Je suis déterminé à mener le combat républicain. Je ne suspecte pas les intentions du Gouvernement et de la majorité, mais la réponse proposée ne nous semble pas adéquate. D'où notre vote négatif. (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste)

M. Jean Dionis du Séjour - Très bien.

M. Jacques Myard - Votre dialectique est difficile à suivre !

M. Jacques Kossowski - Je félicite le président Clément et M. Accoyer, notre président de groupe, pour leur initiative conjointe. J'ai en effet été scandalisé, comme beaucoup, par les propos intolérables tenus par l'imam salafiste de Vénissieux : répondant à un journaliste, M. Bouziane s'est en effet livré, au nom de la religion islamique, à une apologie détaillée de la polygamie et de la violence contre les femmes. Selon lui, le Coran préconiserait de ne pas frapper ces dernières « n'importe où, notamment pas au visage, mais de viser les jambes ou le ventre » ! Une phraséologie aussi abjecte ne peut avoir droit de cité dans notre République islamiste. Pourtant, l'exemple n'est pas isolé : les Renseignements généraux parisiens ont dénombré en Ile-de-France quelque trente-deux salles de prières officielles dont la direction est assurée majoritairement par des gens se revendiquant de la mouvance radicale salafiste. Il existe donc un danger permanent d'entendre à nouveau professer des thèses contraires aux droits et à la dignité de la personne.

Bien entendu, je ne veux pas stigmatiser les musulmans qui ont choisi de venir vivre en France. Mais dès lors qu'ils sont les hôtes de notre pays, ils doivent en respecter les traditions et les valeurs, dont fait partie l'égalité entre l'homme et la femme.

M. Jacques Myard - Très bien.

M. Jacques Kossowski - Celui qui transgresse ces règles par des propos ou des comportements haineux prend le risque d'être immédiatement expulsé. Tel est l'objet de ce texte (Très bien ! sur plusieurs bancs du groupe UMP). La fermeté de la loi répond ainsi à la logique de combat de certains agitateurs qui confondent pouvoir temporel et pouvoir spirituel.

Dans le cadre de la laïcité, nous respectons les religions, mais nous nous opposons aux courants minoritaires professant un ordre politique intolérant, totalitaire et subversif. Il a fallu des siècles pour aboutir à une société pacifiée dans laquelle la religion relève de la sphère privée. Nous ne laisserons pas quelques fanatiques briser cet équilibre par des provocations délibérées à la discrimination, la haine ou la violence, en particulier à l'égard des femmes.

Cette loi sera un signal fort pour les étrangers tentés par l'activisme extrémiste. Nous leur disons clairement qu'il y a une limite à ne pas franchir.

Le retour de M. Bouziane en France a donné l'image désastreuse d'un Etat impuissant. Cette proposition donnera au Gouvernement les moyens juridiques d'agir contre les dérives fondamentalistes. Monsieur le ministre, je sais que nous pouvons compter sur votre fermeté et votre détermination. Notre soutien sans faille vous est acquis et c'est avec conviction que je voterai ce texte (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jérôme Lambert - Il y a à peine plus de six mois, le précédent ministre de l'intérieur faisait adopter une loi pour limiter les cas d'application de la double peine. Sur ce point nous étions d'accord. Depuis lors, un titulaire de la carte de résident ne peut être expulsé qu'en cas d'atteinte aux intérêts fondamentaux de l'Etat, de terrorisme ou de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence en raison de l'origine ou de la religion des personnes. C'est ce dernier motif que vous entendez modifier aujourd'hui, en remplaçant la mention de l'origine ou de la religion par la violence « envers une personne déterminée ou un groupe de personnes ».

Supprimer des mentions qui sont les principaux fondements des actes racistes est contestable. Sans doute faut-il donner un fondement juridique solide au règlement de certains problèmes graves. Mais ils existaient il y a six mois, et le gouvernement de l'époque a été bien léger en n'en tenant pas compte. Il aura fallu qu'à l'occasion de l'affaire de Vénissieux le Gouvernement se prenne les pieds dans le tapis de la justice pour qu'on propose ce texte de circonstance. Si chaque fois qu'il commet une erreur, on doit changer la loi, nous n'avons pas fini de légiférer ! Prenant prétexte d'un fait divers, le gouvernement et la majorité veulent nous faire adopter une loi d'exception (Protestations sur les bancs du groupe UMP), d'exception, en effet, à une règle de protection des étrangers ayant un lien fort avec notre pays.

M. Jacques Myard - Règle excessive !

M. Jérôme Lambert - Il faut donc y regarder à deux fois. Déjà, le je l'ai dit, il est choquant de supprimer les références à la race ou à la religion. Il est dangereux aussi, et de nombreuses associations ou syndicats le disent, d'élargir le champ de la loi à une série d'actes visant n'importe quelle personne ou groupe de personnes. On pourrait ainsi expulser des étrangers ayant de fortes attaches en France et s'étant rendu coupables d'incitation à la violence lors d'un conflit du travail. Mais cette « incitation à la violence » n'a pas la même gravité selon le contexte. Doit-on placer la haine raciale sur le même plan qu'une rixe de voisinage ? Cette proposition crée une insécurité juridique, puisqu'elle n'opère aucune distinction entre les phénomènes de violence - même la petite violence peut être considérée comme une menace à la sécurité publique, surtout lorsque les médias en ont rendu compte. Et l'interprétation de la notion de sécurité publique peut également évoluer.

Cette loi est donc en retrait même sur celle qu'avait modifiée votre prédécesseur pour éviter à la France des condamnations devant la Cour européenne des droits de l'homme. Comme me le disait l'ambassadeur d'un pays ami, les pays d'origine ont parfois aussi des problèmes à admettre sur leur territoire des hommes qui n'y ont aucune attache. Vous allez donc trop loin en arrière. Après le vote d'une loi il y a six mois, c'est faire preuve d'une certaine incohérence, d'une certaine précipitation. Entre les mains d'un pouvoir qui voudrait en abuser, vous mettez un arme dangereuse. Ce n'est pas le cas aujourd'hui, bien sûr. Mais demain ? Je ne veux pas que notre arsenal juridique contienne une telle bombe à retardement.

D'autre part, on ne résoudra pas les problèmes sociaux par la seule répression. L'intégration de étrangers passe par une autre politique. Certes, ne soyons pas angéliques face à la montée de l'intolérance et du racisme.

M. Jacques Myard - Réveille-toi !

M. Jérôme Lambert - Il faut les combattre...

M. Michel Voisin - C'est ce que nous avons fait.

M. Jérôme Lambert - ...Mais il faut aussi combattre toutes les formes d'exclusion par des politiques de formation, d'intégration.

M. Jacques Myard - L'angélisme, le revoilà !

M. Jérôme Lambert - Ce texte, outre qu'il ne satisfait pas à ces objectifs, présente des aspects inquiétants. Je demande donc au Gouvernement d'accepter notre amendement qui, tout en allant dans le sens qu'il souhaite, évite les pièges de la rédaction actuelle. C'est ainsi que nous renforcerons vraiment le pacte républicain qui devrait nous unir dans ce domaine.

M. Jean-Michel Couve - C'est tout et son contraire.

M. Jacques Myard - C'est un principe de droit public international intangible que tout Etat a le droit de réglementer le séjour des étrangers sur son sol, ces étrangers ayant bien sûr droit à une protection. Tout étranger qui séjourne sur notre territoire doit donc respecter les lois de la République et l'ensemble des principes qui fondent notre vouloir vivre ensemble. L'ordre public, contrairement à ce que certains voudraient faire croire, n'est pas « l'ordre qui règne à Varsovie », mais un ensemble de principes assurant la vie commune dans le respect de chacun.

En novembre dernier, le législateur - et je n'étais pas d'accord - a restreint les cas d'expulsion, au motif que certains étrangers auraient un droit éternel à demeurer sur notre territoire en raison d'attaches fortes. Je comprends ce genre de démarche, même si je n'approuve pas qu'on fixe des seuils couperet : pourquoi celui qui est arrivé sur notre territoire à douze ans et neuf mois ne pourrait-il être expulsé alors que celui qui est arrivé à treize ans et un jour peut l'être ? Il faut donner au gouvernement la possibilité de prendre un arrêté d'expulsion pour des motifs d'ordre public, et bien évidemment sous le contrôle du juge, mais pas en énumérant une liste de cas qui, sur le moment, paraît complète puis se révèle vite lacunaire.

Les troubles à l'ordre public qui ne sont pas prévus par l'ordonnance de 1945 ne pourront pas être pris en considération. Il faut donc donner de la souplesse au Gouvernement, sous le contrôle du juge bien sûr. Et, au contraire de Jérôme Lambert, je pense que c'est plutôt verrouiller les moyens d'action et laisser la présence de quelqu'un devenir intolérable sur notre sol qui constitue une bombe à retardement. Nos compatriotes ne comprendront jamais qu'un étranger qui bafoue les lois de la République puisse ne pas être expulsé. Méfions-nous : ce peuple est terrible, comme cela avait été dit au roi en son temps, et il fera justice lui-même si le Gouvernement n'est pas capable de le faire.

M. le Ministre - Toutes les interventions ont contribué à éclairer le débat, et je vous en remercie. Monsieur Mariani, le rôle éminent que vous avez tenu dans la discussion de la loi du 26 novembre 2003 confère à vos propos une valeur particulière. Je partage votre appréciation sur la proposition de loi, et je considère comme vous qu'elle ne remet pas en cause les choix opérés alors par le législateur en matière de double peine. Je voudrais profiter de l'occasion pour faire le point sur l'application de la loi du 26 novembre. Tout d'abord, la plupart de ses dispositions sont d'application immédiate. Une circulaire du 20 janvier a été adressées sur ce sujet aux préfets et des réunions d'information ont lieu pour les services de préfecture. En ce qui concerne les texte d'application nécessaires, deux décrets du ministère de l'intérieur présentent une importance particulière. Celui relatif aux attestations d'accueil est maintenant rédigé. Il sera transmis au Conseil d'Etat dans les prochaines semaines et publié au Journal officiel cet été. La rédaction du décret sur les centres de rétention administrative est, elle, très avancée. Elle sera achevée dès que nous aurons connaissance des conclusions de la mission confiée à l'inspection générale de l'administration et à l'inspection générale des affaires sociales, qui seront remises mi juillet. Le décret sera publié à la fin de l'été. Les autres textes d'application font l'objet d'un travail intense et seront pris en tout état de cause dans les prochains mois.

Monsieur Caresche, nous ne sommes pas loin d'être d'accord sur le fond. Je partage votre souci de veiller à ce que les provocations visant le sexe ou les orientations sexuelles puissent toujours, lorsqu'elles sont graves, justifier une expulsion. Dire que les auteurs de cette proposition de loi ont entendu remettre en cause les nouvelles dispositions concernant la double peine n'est pas fondé. Au contraire, ces dispositions, qui n'allaient pas de soi il y a quelques mois, sortiront confortées du débat d'aujourd'hui. Monsieur Dionis du Séjour, il est vrai qu'il ne faut pas légiférer à chaud pour traiter de problèmes ponctuels. Mais les auteurs de cette proposition n'ont pas cédé à cette tentation et les problèmes qu'ils ont voulu régler n'ont rien de ponctuel. Il s'agit de nous doter de moyens de réponse efficaces contre les menaces précises et sans précédent qui pèsent aujourd'hui sur notre collectivité. Je ne doute pas que nous soyons une grande majorité ici à partager cette conviction.

Monsieur Gerin, je vous remercie du témoignage que vous avez apporté. Les idéologies venues de l'étranger posent des problèmes concrets, au quotidien. C'est pourquoi cette proposition de loi est si importante. Elle traite de manière équilibrée du problème des étrangers qui propagent dans la patrie des droits de l'homme des préceptes de haine et de violence dont nous ne voulons à aucun prix. Il n'est pas toujours facile de concilier l'expérience et l'action, la connaissance du terrain et l'élaboration de la règle de droit. C'est ce que nous essayons de faire.

Monsieur Kossowski, je confirme que le risque de propagation sur le territoire national d'idéologies extrémistes est réel. Elles sont en contradiction avec les valeurs fondamentales de la République. L'immense majorité de nos compatriotes musulmans n'ont rien à voir avec de tels discours, qui s'éloignent même des valeurs fondamentales de l'islam. Le proposition de loi constitue une réponse appropriée aux risques de dérives.

M. Lambert a regretté la disparition du mobile religieux, raciste ou xénophobe dans le texte de l'article 26. Ces mobiles contribuent à rendre certains actes particulièrement odieux et justifient que les lois qui y sont relatives soient appliquées avec toute la rigueur nécessaire. J'y veille particulièrement, et la présente proposition de loi sera tout aussi contraignante. Quant à l'application des dispositions dans l'avenir, je ne partage pas vos craintes, d'abord parce que l'article 26 ne doit pas être lu isolément et que les articles qui le précèdent encadrent le régime de l'expulsion et interdisent tout abus, et ensuite parce que le juge administratif exerce un contrôle efficace sur l'exercice de ses pouvoirs par l'administration. Monsieur le député, j'apprécie les critiques, surtout lorsqu'elles stimulent. Mais quel doux confort que celui de l'opposition, de la politique sans les mains, des bonnes intentions sans le prix de l'action ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Vous parlez de loi d'exception ? Non. C'est une loi de protection, d'humanité et de justice, et même, si vous le permettez, de bon sens.

M. Myard a rappelé que la faculté d'expulser tous ceux qui menacent gravement l'ordre public est nécessaire pour une politique de sécurité efficace. Notre législation est fondée sur ce principe. Le dispositif de prévention de la double peine introduit par la loi du 26 novembre 2003 a encadré ce principe. Je connais vos convictions sur ce sujet, Monsieur Myard, mais nous sortons d'un débat parlementaire dense et la représentation nationale a tranché. L'objet de la présente proposition de loi n'était pas de le rouvrir : cette position est sage, et le Gouvernement s'y rallie. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

La discussion générale est close.

ARTICLE UNIQUE

M. le Président - J'appelle maintenant l'article unique de la proposition de loi dans le texte de la commission.

M. Jacques Myard - J'estime que le Gouvernement doit avoir plus de liberté pour apprécier des situations qui ne sont pas encore connues. La force d'une loi est d'être générale et de valoir pour l'ensemble des cas, y compris les possibilités que le génie de la turpitude humaine ne cesse de créer. Le Gouvernement doit avoir les moyens d'agir, dans le cadre de la loi et sous le contrôle du juge. L'amendement 1 vise à réinsérer des cas d'expulsion pour un étranger, même s'il possède de fortes attaches avec la France, dès lors que ses agissements constituent une menace grave pour l'ordre public.

M. le Rapporteur - Avis défavorable. On pourrait dire que cet amendement est satisfait, puisque les procédures d'expulsion sont déjà fondées sur une nécessité impérieuse pour la sûreté de l'Etat ou la sécurité publique. D'autre part, si cet amendement était retenu, il viderait de tout son sens la protection des étrangers visés à l'article 26.... Disposition que vous n'avez, il est vrai, pas votée en novembre dernier !

M. le Président de la commission - Le raisonnement de M. Myard aboutirait à supprimer toutes les protections dont bénéficient les étrangers. L'expulsion est toujours fondée sur une atteinte à l'ordre public. L'amendement de M. Myard vise à revenir au droit commun, donc à contourner la loi défendue par M. Sarkozy concernant la double peine. C'est un combat que vous aviez déjà mené à l'époque. Vous revenez par la petite porte, mais nous vous voyons arriver !

M. le Ministre - C'est toujours une menace grave sur l'ordre public qui justifie une mesure d'expulsion. Cette condition, qui est prévue à l'article 23 de l'ordonnance du 2 novembre 1945, doit être remplie dans absolument tous les cas, y compris dans l'application de l'article 26. Il paraît donc inutile de la répéter à l'article 26. Avis défavorable.

M. Jacques Myard - La notion de menace sur l'ordre public doit être appréciée également au regard de ce qui suit, et pas seulement au regard de l'article 23. L'article 26 a sa vie propre ; en réalité, il bloque même l'article 23.

Pour que la République fonctionne, et que le Gouvernement dispose des moyens d'agir, je maintiens mon amendement.

L'amendement 1, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Christophe Caresche - L'amendement 4 tend à compléter l'article 26, en ajoutant l'atteinte à la dignité des femmes et l'homophobie. Quelles autres discriminations visez vous dans votre proposition?

J'ai le sentiment que le ministère de l'intérieur veut se faciliter la tâche pour procéder plus largement qu'aujourd'hui à des expulsions. Par ailleurs, que devient votre intention de transférer le contentieux de l'expulsion au Conseil d'Etat ? Là encore, vous êtes dans une logique de confort juridique ! Nous faisons confiance au Conseil d'Etat, mais vous supprimeriez tout de même un niveau de juridiction, donc une possibilité d'appel pour les étrangers.

M. Jacques Myard - L'amendement 3 tend à préciser les causes de discrimination - origine, religion, convictions politiques, sexe - afin de donner, une fois encore, au ministère de l'intérieur, les moyens d'agir.

M. le Rapporteur - Ces deux amendements ont été repoussés par la commission. L'amendement 4 répond à une logique différente de celle de la proposition en supprimant la notion de provocation, « explicite et délibérée », il en restreint la portée. D'autre part, il n'est pas souhaitable, mais cette réflexion vaut aussi pour l'amendement 3, d'en calquer la rédaction sur les terminologies de droit pénal, car nous sommes clairement en matière de police administrative, laquelle obéit à une logique différente, celle de la prévention.

Enfin, Monsieur Myard, votre liste n'est pas exhaustive, et le texte de la proposition de loi est plus explicite.

M. le président de la commission des lois - Si l'intention de M. Caresche était de s'assurer que les atteintes à la dignité des femmes et les actes d'homophobie étaient bien visés par le texte, je le tranquillise, même si ce n'est pas explicite. J'appelle votre attention sur les risques que présente une lise non exhaustive.

Enfin, il ne s'agit pas de sanction pénale, mais de droit administratif.

M. le Ministre - Monsieur Caresche, votre intention est assez proche de celle des auteurs de cette proposition de loi, et le gouvernement n'y serait pas opposé, si la rédaction ne maintenait certaines des lacunes initiales.

La proposition de loi a le mérite de n'exclure aucune forme de provocation à la haine, à la violence, ou à la discrimination, quel que soit son prétexte. Si l'on retenait votre amendement, il serait ainsi impossible d'expulser un étranger appelant ouvertement à la violence contre un enseignant ou un médecin qui ferait respecter le principe de laïcité dans les écoles ou les hôpitaux.

Cela étant, le Gouvernement est particulièrement vigilant à la lutte contre les discriminations liées au sexe ou à l'orientation sexuelle des personnes, et un projet de loi sera bientôt présenté.

Concernant la procédure devant le juge administratif, les droits des personnes expulsées sont préservés, rassurez vous.

Cette proposition de loi n'est pas motivée par un quelconque confort juridique ; il s'agit simplement de nous permettre d'assumer nos responsabilités face aux menaces.

Monsieur Myard, je vous remercie de vouloir nous donner davantage de moyens, mais je me rallie à l'avis de la commission.

M. Jérôme Lambert - Notre amendement tend simplement à préciser la portée des nouvelles exceptions. Vous venez vous mêmes d'évoquer des exemples assez éloignés des préoccupations de la loi ; pourquoi ne pas viser aussi la violence sociale dans ce cas? Rien de l'interdit.

M. Léonce Deprez - Il serait souhaitable d'aboutir à un consensus sur cette proposition de loi qui répond aux inquiétudes de nos concitoyens, scandalisés par les événements récents. Prenons garde de ne pas desservir le texte en voulant trop en dire.

M. Jean Dionis du Séjour - Cette proposition protège un peu plus les citoyens français des agissements scandaleux de certains étrangers. En ce sens, elle va dans le bon sens et je ne peux que suivre M. le ministre et M. le président de la commission lorsqu'ils affirment qu'une énumération est toujours problématique.

La formulation « actes de provocation explicite et délibérée » suscitera certes de la jurisprudence. Le chemin sera long, mais il fallait combler une grave lacune.

M. Jérôme Lambert - Il n'y a aucune sécurité juridique.

M. Jacques Myard - Bien au contraire !

M. le Président de la commission - Monsieur Lambert, je ne vous demanderai pas la définition précise de ce que vous entendez par « violences sociales ». Nous comprenons intuitivement ce que vous voulez dire.

M. Jérôme Lambert - Nous en avons parlé tout à l'heure en commission.

M. le Président de la commission - Sans donner pour autant une définition précise.

Je vous rappelle que les mesures d'expulsion sont encadrées précisément par l'article 26 que nous nous apprêtons à modifier et par l'article 25 bis qui dispose qu'il ne peut y avoir expulsion qu'en cas de nécessité impérieuse pour la sûreté de l'Etat ou la sécurité publique.

En outre, le juge fondera sa décision sur le principe de proportionnalité.

M. Jacques Myard - Exact !

M. le Président de la commission - Vos craintes sont donc sans objet.

M. le Ministre - Une énumération peut être certes souhaitable, mais nous devons d'abord prendre en compte les menaces urgentes et nouvelles.

Les décisions d'expulsion sont prises sous le contrôle du juge administratif et strictement encadrées par la loi.

M. Jérôme Lambert - Je préfère que ce soit nous qui fassions la loi plutôt que les juges.

M. le Ministre - Nous respectons tous la séparation des pouvoirs. C'est le principe même de la société démocratique. Les juges font leur travail.

Je ne crois pas qu'il y ait, pour le pouvoir exécutif, un risque de laisser-aller ou de dévoiement. Il s'agit de respecter le principe de responsabilité : prendre des décisions, c'est précisément l'honneur de la politique (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jacques Myard - Très bien ! L'honneur du politique, c'est de gouverner !

Les amendements 4 et 3, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.

L'article unique de la proposition de loi, mis aux voix, est adopté.

Prochaine séance, cet après-midi, à 15 heures.

La séance est levée à 11 heures 35.

            Le Directeur du service
            des comptes rendus analytiques,

            François GEORGE

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne trois heures après la fin de séance.

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

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