Accueil > Archives de la XIIe législature > Les comptes rendus > Les comptes rendus analytiques (session ordinaire 2004-2005)

Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2004-2005 - 31ème jour de séance, 75ème séance

1ère SÉANCE DU VENDREDI 26 NOVEMBRE 2004

PRÉSIDENCE de M. Éric RAOULT

vice-président

Sommaire

      DROITS DES MALADES ET FIN DE VIE 2

La séance est ouverte à neuf heures trente.

DROITS DES MALADES ET FIN DE VIE

L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. Jean Leonetti et plusieurs de ses collègues relative aux droits des malades et à la fin de vie.

M. Jean Leonetti, rapporteur de la commission spéciale - Le 15 octobre 2003, à la suite de l'émotion suscitée par le drame du jeune Vincent Humbert, une mission d'information sur l'accompagnement de la fin de vie était constituée, regroupant trente-et-un députés issus de tous les bancs de l'Assemblée. Neuf mois plus tard, ils cosignaient un rapport et la proposition de loi reprise par la commission spéciale présidée par Gaëtan Gorce que nous examinons aujourd'hui.

Je remercie chaleureusement chacun d'entre eux pour la qualité de leur contribution à ce texte, ainsi que le Gouvernement, qui a accepté et soutenu ce projet.

Au cours de nos travaux, nous avons pu réfléchir collectivement sur la mort dans notre société. Nous avons mieux compris les mots de liberté et de dignité, appréhendé les craintes de nos concitoyens et du corps médical et mesuré combien la médecine performante fait peur.

Nous avons pu porter un regard lucide sur les valeurs que notre société entend défendre. J'ai ainsi acquis la conviction que l'on pouvait respecter la vie et accepter la mort.

« Chaque société a la mort qu'elle mérite » disait l'anthropologue Louis Vincent Thomas. Jusqu'au début du XXe siècle, le mourant quittait la vie chez lui, entouré de sa famille et de ses amis, vêtus de noir ; aujourd'hui, il meurt à l'hôpital, entouré d'inconnus vêtus de blanc.

Si 70 % des Français déclarent vouloir mourir chez eux, 70 %, et même 85 % en milieu urbain, mourront à l'hôpital. Or la mort hospitalière peut sembler confisquer aux familles la fin de la vie des personnes aimées. C'est ainsi qu'on a pu parler de « mort volée ».

Notre société moderne nie la mort. Nous ne la voyons plus que sur les écrans de télévision ou de jeux vidéo : elle est devenue virtuelle. L'escamotage des rites, l'absence de deuil en témoignent, notre société refuse de s'attarder sur la tristesse, pour ne pas entraver le rythme de la compétitivité moderne.

La peur de mal mourir a ainsi supplanté la peur de mourir. La peur de souffrir, la peur de la déchéance pèsent désormais bien davantage que celle de la finitude de l'être. La crainte de cet enfer qui précède la mort est renforcée par la vision de sujets déments, de vieillards décatis ou de handicapés majeurs. Comment ne pas souhaiter mourir avant cette échéance, cette déchéance ? La liberté de l'individu peut-elle s'opposer à sa vie ? Tel fut le vrai débat de notre mission.

Quelle est la part de liberté de celui qui demande la mort ? La maladie et la souffrance peuvent altérer sa lucidité, son entourage peut l'influencer. Le corps médical peut aussi considérer que son cas n'a plus d'intérêt médical. Notre société, gagnée par le culte de la perfection, de la jeunesse et de la rentabilité, entoure de son regard culpabilisant ceux qui ne répondent pas parfaitement à ces critères. En fait, lorsque je décide de ma mort, je ne suis pas seul : on n'a jamais honte tout seul, disait Sartre.

Etre libre, c'est pouvoir changer d'avis. Une décision prise par une personne bien-portante peut être reniée par elle lorsqu'elle est confrontée à la maladie. On se souvient du cas mille fois évoqué devant la mission de ce patient réanimé avec succès et avouant après la guérison son soulagement que le corps médical n'ait pas découvert dans sa poche le papier interdisant de le réanimer.

Une étude parue en 2000 et portant sur un millier de patients va dans le même sens. 60 % d'entre eux approuvaient l'euthanasie, 10 % l'ont envisagée pour eux-mêmes. Mais six mois plus tard, la moitié avaient changé d'avis. La réanimation des suicidés pose le même problème : la plupart de ceux qui souhaitent la mort sont sauvés et ne récidivent jamais.

Face à cette liberté, quelle est la valeur de la vie humaine? Pour certains, elle est sacrée, mais le débat doit rester laïc. La vérité est que la vie humaine est une valeur suprême. Qu'est-ce que la vie, diront d'autres, comme Michel Vaxès, lorsque l'humain s'en est retiré ?

Qui peut être juge de ma dignité ? Moi-même et moi seul, diront les uns. Je suis le seul à décider si ma vie vaut la peine d'être vécue. Mon corps ne m'appartient pas, répondront les autres : je ne peux ni vendre mes organes, ni me prostituer ou m'adonner à la toxicomanie.

« La dignité de l'homme tient à son humanité » dit la Constitution. Cette dignité m'appartient en tant qu'homme, mais je ne la possède pas en tant qu'individu : elle constitue une valeur en soi qui échappe à mon appréciation personnelle.

C'est sur la base de cette réflexion que nous avons proposé une loi du « laisser mourir sans faire mourir ».

En dehors de toute considération philosophique, pourquoi ne pas avoir dépénalisé l'euthanasie ? L'euthanasie est « un acte délibéré pratiqué par un tiers, destiné à entraîner la mort d'une personne malade pour éviter des souffrances ». Elle est pratiquée dans notre pays. La mort douce se donne souvent « en douce », parfois en en déléguant le soin à l'infirmière et sans prévenir ni la famille ni le patient.

Le Docteur Gomas raconte : « Nous avons pris en urgence il y a quelques semaines dans notre service un malade de 57 ans, père de trois enfants, car le médecin qui s'en occupait nous a dit qu'il allait bientôt être euthanasié à son insu par les cancérologues de l'hôpital où il avait été admis ».

A l'inverse, les médecins travaillant dans des unités de soins palliatifs ont estimé que dans des cas exceptionnels, l'euthanasie est la moins mauvaise des solutions. Jean-Marie Gomas explique : « Il n'y a parfois pas d'autre choix que de transgresser mais nous devons garder à l'esprit que cet acte est une transgression ». Il nous semble donc qu'il faut donner des instructions aux parquets pour que, sans dépénaliser l'euthanasie, cet acte soit considéré avec beaucoup d'humanité.

Les Français seraient favorables à l'euthanasie, mais quelle question leur pose-t-on ? 73 % répondent qu'ils préfèrent mourir plutôt que souffrir, mais 55 % répondaient récemment, lors d'une émission de télévision, qu'on ne peut pas donner la mort par compassion.

Encore faut-il analyser cette demande dans son ambiguïté. « Aidez-moi à mourir » est une demande d'accompagnement. « Je souffre trop, je préfère mourir » est une façon de demander que la douleur soit calmée. « Je vous demande le droit de mourir » peut aussi signifier « je vous demande d'arrêter les médicaments qui me maintiennent artificiellement en vie ».

Si nous n'avons pas choisi la dépénalisation de l'euthanasie, c'est parce qu'aucun médecin, aucun juriste, aucune personne travaillant auprès des mourants ne nous l'ont demandé. Renaud Denoix de Saint Marc, vice-président du Conseil d'Etat, Guy Canivet, premier président de la Cour de Cassation et Robert Badinter ont été unanimes. Ce serait, nous a dit Robert Badinter, « source de contentieux et de difficultés plus que d'apaisement pour les uns et les autres.

La jurisprudence va dans le même sens : la Cour européenne des droits de l'Homme n'a pas reconnu un droit à mourir équivalent au droit à la vie. L'ensemble du corps médical le rejette.

Nous avons donc voulu être pragmatiques, en choisissant trois axes principaux. D'abord, lutter contre la souffrance. Je vous ai souvent entendu parler de la septième injection de morphine, Monsieur le ministre. Lorsque le mourant souffre, personne ne conteste la nécessité de le soulager, même si les doses nécessaires pour calmer la douleur peuvent avoir pour effet secondaire d'abréger sa vie.

Compte tenu du fait que le malade peut ne pas vouloir savoir, nous avons laissé la possibilité au médecin d'informer l'entourage sans informer obligatoirement le malade.

Nous avons également refusé, dans l'article premier, l'obstination déraisonnable. Certains mourants sont déjà morts, l'humain s'est retiré de leur vie biologique, le cœur bat sous l'effet de drogues, les poumons respirent grâce à une machine, le sang ainsi oxygéné maintient les organes en vie mais la mort est inéluctable. Ils sont 100 000 chaque année à être ainsi libérés par l'arrêt de traitements devenus inutiles. Demain, ce geste réfléchi, collégialement décidé, avec l'accord de l'entourage et dans le respect de la volonté antérieurement exprimée des patients, s'effectuera dans la légalité. La loi condamne l'obstination déraisonnable, en définissant les traitements qui peuvent être inutiles, mais aussi disproportionnés ou n'ayant d'autre objet que le seul maintien artificiel de la vie.

La loi comporte désormais le droit de refuser un traitement pour le malade conscient en fin de vie : il peut refuser la dernière chimiothérapie, préférant un peu de confort à un temps supplémentaire de vie dans l'inconfort.

Peut-on laisser mourir à sa demande un malade qui n'est pas « en fin de vie » ?

Le Conseil d'Etat a jugé que des médecins avaient eu raison de transfuser un patient témoin de Jéhovah pour lui sauver la vie en dépit de son refus de se voir administrer du sang. Par contre, Mme B. a vu sa demande d'interrompre son alimentation artificielle acceptée, alors que l'arrêt de ce traitement allait entraîner sa mort. La loi du 4 mars 2002 dispose : « Si la volonté de la personne de refuser ou d'interrompre un traitement met sa vie en danger, le médecin doit tout mettre en œuvre pour la convaincre d'accepter les soins indispensables ». En pratique, ces soins dits indispensables sont souvent imposés. Pourquoi refuser cette liberté à un malade cloué dans un lit d'hôpital ou paralysé, sous prétexte qu'il ne peut échapper physiquement à un traitement que son esprit lucide refuse, prisonnier de son corps ou de l'institution hospitalière ?

L'article 4 de la proposition vise à renforcer le droit des malades, essentiellement dans la liberté qui leur est reconnue de refuser un traitement salvateur. Il est cependant nécessaire, avant d'accéder à la demande du malade d'observer un « délai raisonnable » et de consulter un autre médecin, en ouvrant ainsi l'espace au dialogue collégial. Dans tous les cas, le malade n'est pas abandonné, car le recours aux soins palliatifs est un droit. La créatrice des soins palliatifs les définit par « tout ce qui reste à faire quand il n'y a plus rien à faire ». Il est faux de dire que l'arrêt d'un traitement curatif entraînera une souffrance. Personne, dans ce pays, ne mourra de faim, de soif ou de douleur. Personne ne mourra abandonné. Du reste, plus personne ne conteste que les soins palliatifs soient indispensables et c'est la raison pour laquelle nous leur avons consacré quatre articles, pour faire en sorte que la culture du soin palliatif - chère à notre ministre - se diffuse partout.

Cette loi tend à un équilibre entre le respect de la vie et le respect de la liberté. Certains, dont je suis, considèrent que cet équilibre a été trouvé ; d'autres estiment qu'ils sont allés aux limites de ce qu'ils pouvaient raisonnablement accepter ; d'autres, enfin, la considèrent comme une étape avant d'aller, un jour, plus loin. Je sais que ce plus loin est un ailleurs. Il faudra en effet remettre en cause la notion de dignité universelle et envisager d'un œil nouveau le droit de tuer, en passant du code de la santé publique au code pénal.

Ce texte nous interroge sur la place de la technique dans la médecine contemporaine, sur le rôle du législateur et j'observe au passage, que, contrairement à ce qui se dit souvent, tous les textes essentiels ne sont pas imposés par l'exécutif.

Enfin, la mission a refusé aussi bien le statu quo paralysant que les choix binaires. Une fois le texte adopté, l'œuvre ne sera pas achevée. La loi ne résout pas tout. Il nous faut reconquérir l'humain dans les espaces déshabités que la technique domine. Cette quête doit nous conduire à porter un regard différent sur la personne qui souffre - considérée comme un sujet à part entière et non comme un objet d'investigation, un cas ou un numéro -, sur la personne handicapée, sur le malade mental, le vieillard, le mendiant et, finalement, le mourant, car tous font partie de notre humanité ; ils participent de ce lien qui nous unit et de ce but qui nous anime.

Mme Christine Boutin - Très bien !

M. le Rapporteur de la commission spéciale - Ce qui peut être indigne, c'est le regard que certains portent sur eux et non eux-mêmes. Une société qui nie la mort n'est pas en bonne santé. Les hommes occupés à satisfaire leurs désirs immédiats, laissent trop souvent l'accessoire dominer l'essentiel, l'instant effacer la durée, l'individu primer sur le collectif. L'homme moderne oublie de vivre et ne veut pas penser à mourir.

L'individu revendique aujourd'hui toujours plus de droits, de sécurité, de performance, d'assurances, de certitudes. Il reste cependant démuni devant sa mort, laquelle constitue encore une partie de sa vie, une ultime rencontre avec lui-même, qu'il découvre alors dans sa complexité et dans tout son mystère. (Applaudissements prolongés sur tous les bancs)

M. Gaëtan Gorce, président de la commission spéciale - « Le sage vit tant qu'il doit et non pas tant qu'il peut ». C'est ainsi que Montaigne répondait dans les Essais à la question qui taraude toute société. Que vaut la vie ? A-t-elle une valeur en soi ou ne vaut-elle que par la conscience qu'on en a et, par conséquent, par l'exercice de sa propre liberté ? Telles sont bien les questions qui sont au cœur de notre débat et qui le rendent si difficile. Pour les uns, la vie a une valeur sacrée ; elle trouve son origine dans une puissance transcendante qui n'en confie à l'homme que l'usufruit. Pour d'autres, chacun d'entre nous disposerait d'une sorte de droit inaliénable sur son corps et sur sa vie, comme un prolongement de la liberté individuelle consacrée par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Dès lors, chaque homme, chaque femme, devrait pouvoir décider du moment et des conditions de sa mort, en particulier dans le souci de préserver sa dignité, assimilée au plein exercice de ses facultés. C'est Vladimir Jankélévitch qui s'écriait : "La liberté est toujours au dessus de la vie". Affirmés ainsi dans leur intégrité, dans leur base compacte et cohérente, ces deux principes sont d'une certaine manière inconciliables, et j'allais dire, irréconciliables.

A la question du choix de sa mort, il n'est pas de réponse philosophique évidente, en tout cas, aucune qui puisse satisfaire la conscience des uns et celle des autres. Du point de vue pratique - et simplement humain -, il faut bien pourtant apporter une réponse. C'est un sentiment de simple humanité qui l'exige. Et chaque drame qui survient nous le rappelle bien. L'émotion qu'il suscite ne peut être dédaignée, car elle est l'expression d'une véritable interrogation sur ce que notre société considère comme juste et possible. Face à la souffrance, le droit ne peut rester silencieux. Les progrès de la médecine et la tentation permanente de notre société d'écarter tout aussi bien l'inéluctable que le non rationnel, d'éluder aussi le mystère - comme l'écrivait François Mitterrand dans sa magnifique préface au livre de Marie de Hennezel - ont précipité au cœur du débat public la question la plus intime qui puisse nous être posée : comment mourir ? Voici plus d'un an, le pays tout entier était bouleversé par le geste d'une mère - Marie Humbert - puis quelques jours plus tard, par celui d'un médecin - le docteur Chaussoy -, l'un et l'autre apportant la démonstration, contre le droit et contre la loi, que donner la mort peut être aussi un acte d'amour, de compassion et de responsabilité. Ce geste si exceptionnel, si singulier en ce qu'il ne pouvait se comprendre qu'à travers le lien particulier qu'entretenait cette mère avec son fils, indépendamment de tout le reste, a immédiatement pris une portée immense. C'est à notre société tout entière qu'a été adressée brutalement la question de savoir s'il était juste de laisser une mère seule face à une telle responsabilité, et un médecin seul face au conflit du devoir et du droit. N'est-ce pas, au contraire, à notre société d'apporter non pas la réponse, car il ne saurait y en avoir une seule, mais les points de repère à partir desquels la réponse pourrait être trouvée ? Est-il juste que la loi qualifie d'assassinat ce que la conscience de chacun d'entre nous, en son for intérieur, ne peut qu'absoudre ? C'est ce que rappelait le Comité national d'éthique dans son avis de mars 2000, lorsque le professeur Sicard estimait qu'il n'était pas bon qu'une sorte de hiatus sépare la loi de la pratique. Oui, la pratique, parce qu'au-delà des drames dont la force tragique brise le mur du silence médiatique, une réalité bien différente de ce que dépeint la loi, imprègne le quotidien de nos hôpitaux. Ce n'est pas le plus mince apport de notre mission que d'avoir rappelé, plutôt que révélé, qu'un grand nombre de décès survenus en milieu hospitalier sont la conséquence d'une décision médicale, dans la quasi-totalité des cas fidèle à la déontologie, mais toujours contraire à la lettre de la loi.

Mes chers collègues, il est à l'honneur de notre Parlement d'avoir su se saisir de cette question ; d'avoir su vaincre les réticences, et même, parfois, les résistances. Il est à l'honneur de notre Parlement de l'avoir fait en dépassant les clivages partisans et, surtout, en renonçant aux a priori , aux préjugés et aux certitudes qui auraient fait de ce grand débat une cause militante plutôt qu'un vrai sujet de réflexion et de pédagogie. Si avec ma collègue, Nadine Morano, dont je veux saluer la détermination dans cet engagement, nous avons demandé cette mission parlementaire qu'a présidée avec tant de talent et de tact Jean Leonetti, c'est parce que nous ne pouvions nous résigner à l'idée - peut-être si mal exprimée - que "la vie n'appartient pas aux politiques". N'est-ce pas au contraire à la représentation nationale de dire le droit sur des sujets aussi essentiels ? Ne lui revient-il pas de fixer le seuil de ce que la société peut autoriser ? Et n'est-ce pas à la loi d'offrir à chacun la référence que la morale ou ses seules convictions ne lui permettent plus de définir valablement ? C'était une question de responsabilité politique autant que d'éthique.

Si j'ai pu regretter que toutes les auditions et les débats de la mission d'information n'aient pas été publics, je dois dire à cet instant combien j'ai apprécié la manière dont elle a été présidée et dont elle a travaillé. Sans doute aurions-nous dû élargir les auditions à des malades, à des hommes ou à des femmes personnellement engagés par leur expérience et leur choix. Mais, au total, il n'aura fallu que quelques mois pour commencer à faire bouger des décennies d'indifférence ou de réticences. Qu'il me soit permis à cet égard, d'adresser un salut tout particulier à Henri CAILLAVET, le premier a avoir, il y a trente ans, déposé au Sénat une proposition de loi sur ce sujet. J'ai encore en tête son intervention, remarquable de clarté et de dignité. Qu'il ait fallu plus de trente ans pour que l'on passe d'une proposition simplement déposée à une autre enfin débattue, et, je l'espère, tout à l'heure adoptée, montre bien tout le chemin parcouru. Quel que soit le jugement que l'on porte sur cette proposition, il est clair pour tous que plus rien ne pourra être désormais comme avant et que le tabou, s'il n'a pas été brisé, sera envisagé d'une tout autre manière. Mais, au-delà, ma conviction, c'est que cette proposition constitue une réelle avancée. Elle ne peut certes prétendre apporter de réponse complète et définitive à une question douloureuse qui fait de chaque cas une exception. Mais elle fait franchir à notre société et à notre droit un pas considérable. Elle rejette d'abord le statu quo, ce statu quo insupportable, ce mur de silence et d'hypocrisie, ce refus de voir et de comprendre, qui fait parfois d'un geste d'amour et d'humanité un crime punissable par la loi.

Le vote de notre proposition ne règlera pas entièrement cette situation, mais il aboutira à la reconnaissance et à l'encadrement d'une situation vécue par tant de malades et de familles, la reconnaissance et l'encadrement de pratiques acceptées mais parfois refoulées par le milieu médical, la reconnaissance et l'encadrement d'une exigence ressentie par tous face à la perspective de la maladie et de la mort. Ce qui change tout, c'est que plus de 70 % des décès surviennent aujourd'hui à l'hôpital. Il est inévitable que la loi en tire des conséquence, et c'est ce qui explique que la plus grande part de nos concitoyens se sente concernée par notre débat.

Cette proposition s'appuie sur l'idée fondamentale que la volonté du malade de refuser ou d'interrompre un traitement, qu'il soit proche de la mort ou maintenu artificiellement en vie, doit être entendue et respectée. Certes, nous plaidons pour un renforcement des moyens consacrés aux soins palliatifs mais, au-delà, nous pensons que la volonté du malade, sa décision exprimée, vérifiée, répétée doit pouvoir s'imposer à tous. Il s'agit là d'un changement considérable, puisque - enfin - la primauté du choix effectué par le patient est reconnue même si le refus du traitement met sa vie en danger et provoque inéluctablement la mort. Nous n'avons fait que prendre appui sur la loi Kouchner du 4 mars 2004, qui faisait de la volonté du malade le pivot des relations avec les acteurs du destin médical.

Aujourd'hui qu'un premier changement, qu'une première étape est à portée de la main, il faut la saisir sans hésitation. Pouvait-on aller plus loin ? Le fallait-il ? Pour ma part, cela ne m'aurait pas heurté. Il aurait cependant fallu plus de temps pour aboutir à un accord, peut-être impossible à obtenir. Cette proposition n'est pas le fruit d'un compromis, mais le produit d'un consensus. J'admire ceux qui, sur ces sujets, sont habités de certitudes et savent a priori ce qu'il faut faire.

M. Philippe Douste-Blazy, ministre de la santé et de la protection sociale - Très bien !

M. le Président de la commission spéciale - Quand un tel débat s'engage, nul n'en sort indemne. Au fil de nos auditions, nous avons vu vaciller les certitudes les mieux installées. Bouleversés par les auditions des médecins, tourmentés par la réserve de nombreux juristes, mobilisés par le refus des pratiques clandestines, nous sommes allés les uns vers les autres, non pour remporter une victoire, mais pour trouver un point d'équilibre.

Pour certains, ce ne peut être qu'un point d'arrivée. Pour d'autres, comme moi, c'est un point de départ. Mais il s'agit d'un véritable progrès. La loi ne légalise pas le droit de faire mourir, mais celui de laisser mourir. Hypocrisie ? Pour ma part, je comprends et je respecte, sans la partager, la réticence de ceux qui ne peuvent se résoudre à accepter que la société délivre une sorte d'autorisation légale de tuer, qu'elle franchisse cette frontière entre accompagner la maladie et, sinon anticiper, du moins provoquer la fin d'un être humain. Ce qui, pour certains, ne devrait être que l'exercice d'un droit constitue pour d'autres une violence. Avec courage, ces derniers ont admis qu'un malade puisse être délivré de tout ce qui, du point de vue de la technologie médicale, le maintient en vie. Cette réserve, cette clause de conscience, sans la partager je la respecte, considérant que sur un tel sujet, rien ne serait pire que de faire jouer la loi de la majorité, que de violenter une partie de la société. Rien ne serait pire que de faire d'une telle question un objet de polémique, d'exacerber les passions jusqu'à oublier que l'enjeu tient aux âmes autant qu'aux corps. A nous qui, nombreux sur ces bancs, pensons qu'il faudra aller plus loin, de trouver les arguments pour convaincre et non pour contraindre, dès lors que le statu quo, insupportable, est remis en question.

Si la perspective est claire, les modalités restent difficiles à définir. Il ne saurait être question de créer une sorte d'automatisme. Il faut à tout prix préserver en toute circonstance le colloque singulier qui doit s'engager entre le malade, l'équipe médicale et les proches. Ne jamais considérer qu'il suffirait d'appliquer une règle générale, un droit qui écarterait le doute.

Ma conviction profonde, c'est qu'il nous faut franchir une étape sans laquelle aucune avancée nouvelle ne peut être envisagée.

Il est clair que le débat ne sera pas clos par le vote de cette proposition, qui ne règle pas tout et qui comporte de nombreuses imperfections, traduisant nos hésitations. Mais celles-ci ne nous ont heureusement pas fourni le prétexte à ne rien faire. Nous admettons la perfectibilité de ce texte. Ses faiblesses justifieraient qu'on l'amende pour garantir le suivi et l'évaluation de son application.

Mme Nadine Morano - Très bien !

M. le Président de la commission spéciale - Le débat ne fait que commencer, à travers un texte dont nous avons choisi, sur tous ces bancs, d'assumer la responsabilité.

Je ne veux pas terminer sans remercier notre rapporteur, qui fut le président de la mission d'information. Sans doute avons-nous des différends sur le point d'arrivée. Mais les travaux ont été conduits dans un esprit d'honnêteté de d'impartialité qui mérite d'être salué. Je me réjouis aussi que le Gouvernement ait choisi de laisser s'exercer la liberté de notre Assemblée en respectant l'intégralité du texte présenté. J'espère qu'il fera de même au Sénat.

Ce débat ne peut être pris pour solde de tout compte. Je veux dire mon émotion, au moment où nous pourrions fêter le vote d'une grande loi voulue par Simone Veil. C'est aussi pour moi l'anniversaire presque jour pour jour d'un moment difficile, quand quelqu'un de cher n'a pu être soulagé dans sa douleur.

Si la loi ne saurait avoir pour objet de répondre à un cas particulier, je me réjouis de voir que le cri lancé voici plusieurs moi par une mère, même s'il n'a pas été totalement étendu, n'est pas resté sans écho. (Applaudissements sur tous les bancs)

M. le Ministre - Je veux d'abord vous remercier, vous les députés, vous la représentation nationale. Je remercie en particulier Nadine Morano, Gaëtan Gorce et le président de la mission d'information, Jean Leonetti.

Pour la première fois, une proposition issue d'une mission d'information est adoptée à l'unanimité. Vous l'avez dit, elle a mis fin aux a priori, aux préjugés, aux idées reçues. Certes, elle n'est pas encore votée, mais je sais que tous les groupes l'approuvent.

Je remercie encore le Premier ministre d'avoir accepté ce projet. Je m'engage à l'inscrire à l'ordre du jour du Sénat le plus vite possible.

Chacun sait qu'il lui faudra mourir un jour. Dès que nous pensons à cette réalité inéluctable, nous nous demandons dans quelles conditions nous vivrons cette dernière étape de notre vie. Dans notre for intérieur, nous souhaitons, pour l'immense majorité d'entre nous, être soulagés de nos souffrances, être respectés dans notre refus de l'acharnement thérapeutique, pouvoir nous en aller dans la dignité et dans la tendresse.

Notre population, dans son ensemble, veut une mort digne. Nous voulons être aidés au moment de notre mort, nous ne voulons pas mourir dans d'atroces souffrances ni être prolongés au-delà du raisonnable, subir des traitements pénibles quand les chances de guérir ont disparu. Personne, en revanche, ne veut que la médecine décide du moment de sa mort à son insu. Personne ne veut être abandonné.

Il y a certainement un large consensus sur cette approche de la mort, comme un consensus s'est dégagé au sein de la mission parlementaire quand, au-delà des passions, elle a pris la dimension de l'enjeu : respecter la vie, accepter la mort. J'ajouterai : ne jamais abandonner.

Avec ce texte, vous allez renforcer les droits des malades et permettre aux médecins d'assumer plus sereinement leurs obligations. On pourra aider à mourir et mourir dignement, sans demander la mort ni la donner. Des équipes courageuses montrent tous les jours que c'est possible. On peut s'éteindre doucement, soulagé de ses douleurs, sans acharnement thérapeutique, entouré des siens, dans la paix. Une mort digne est possible sans recourir à l'euthanasie, il faut que les Français le sachent. Encore faut-il savoir pratiquer ces soins de fin de vie qu'on appelle « les soins palliatifs ». C'est un savoir-faire doublé d'un savoir être. Il ne suffit pas de traiter la douleur : il faut savoir écouter, dialoguer, s'asseoir au lit de celui qui va mourir, accepter de parler avec lui de ses peurs. C'est exigeant. Cette proximité avec la mort réveille l'angoisse des médecins et des soignants, qui ont besoin d'être formés et soutenus.

On entend souvent dire : « Les soins palliatifs, c'est très bien, mais il y en a trop peu. » C'est vrai. Malgré tous les efforts, malgré la loi du 9 juin 1999 voulue par Bernard Kouchner, il reste beaucoup à faire. Des régions ne sont pas dotées d'unités de soins palliatifs, la formation est inégale.

La loi que vous allez voter rendra obligatoire le développement de ces soins. Je veux m'engager sur l'évaluation de la politique conduite en matière de soins palliatifs. Une fois la loi votée, il faut qu'elle se concrétise au niveau de toutes les agences régionales de l'hospitalisation.

Je remercie Mme de Hennezel, les associations, les parlementaires et aussi les membres du Gouvernement qui, sans être tous d'accord, ont accepté ce premier pas sans lequel aucune autre avancée n'est possible.

Je m'engage à ce que, progressivement, chacun trouve l'aide dont il a besoin au seuil de la mort, les mots et les gestes qui donnent le sentiment d'appartenir jusqu'au bout à la communauté des vivants. Car c'est cela, la véritable dignité. (Applaudissements sur tous les bancs)

Mme Catherine Vautrin, secrétaire d'Etat aux personnes âgées - Le droit à mourir dans la dignité, élément essentiel de la dignité de l'existence humaine, relève d'une réflexion philosophique première, mais, pour être fondamentale, cette question n'en appelle pas moins des réponses très précises, très pragmatiques et, surtout, très humaines. C'est certes à la façon dont une société traite ses morts mais d'abord à l'attention qu'elle témoigne aux plus fragiles que se mesurent son degré de civilisation et son niveau de solidarité. Or, fragiles parmi toutes les personnes fragiles, les patients parvenus au dernier stade de leur existence méritent incontestablement une sollicitude toute particulière. Ils méritent aussi de disposer de droits renforcés.

Nous sommes donc ici confrontés à un formidable défi, éthique, social et médical, auquel il n'est plus temps de se soustraire et je m'associe naturellement aux remerciements adressés par M. Douste-Blazy à Mme Morano et à M. Gorce, ainsi qu'à la longue chaîne de tous ceux qui ont contribué à cette proposition, au sein de la mission animée par M. Leonetti. Vous avez su aborder cette question sans tabous, en faisant fi des clivages partisans, et vous avez ainsi réalisé un travail remarquable à tous égards. Sans modifier le code pénal ni rien faire qui puisse ouvrir la boîte de Pandore des tentations eugénistes, mais vous bornant à aménager le code de la santé publique, vous avez exploré une nouvelle frontière éthique et médicale et posé de nouvelles règles, dans l'intérêt de chaque personne confrontée à une fin de vie douloureuse, dans l'intérêt des familles, du corps médical et de la société tout entière.

Ce texte ne s'adresse pas spécifiquement aux personnes âgées. Pour autant, elles sont particulièrement concernées : l'accompagnement de celles d'entre elles qui sont les plus fragiles et les plus dépendantes pose en effet, inévitablement, cette question de la fin de vie. La gériatrie n'est-elle pas la discipline médicale du vivant la plus proche de la mort ? Le regard sur la vieillesse ne peut s'abstraire de l'interrogation sur la mort, bien qu'il ne s'y réduise pas et que les gériatres aient aussi à mettre l'accent sur la vitalité et l'énergie, le grand âge n'excluant pas une forme de richesse de vie. Toute réflexion sur la vieillesse a forcément partie liée avec celle qui porte sur la fin de la vie et, avec l'allongement de la vie, on assiste à une sorte de vieillissement de la mort.

La Charte des droits et libertés des personnes âgées dépendantes traite d'ailleurs explicitement de ces questions. Elle pose en effet en son article 11 l'obligation de respecter la fin de vie de nos aînés ; elle rappelle leur droit à bénéficier de soins et d'attentions adaptés à leur état et à terminer leur vie naturellement et confortablement, entourés de leurs proches. Cette question de société est ainsi posée, en toile de fond, dans la politique en faveur des personnes âgées.

Votre proposition traite aussi du problème des patients en fin de vie devenus inconscients, situation dans laquelle peuvent se trouver les personnes âgées atteintes de maladies neuro-dégénératives.

Il est donc clair que le ministère chargé des personnes âgées est concerné par ce débat sur la dignité dans la mort, qu'il ne peut rester à l'écart des tentatives faites pour élaborer sur le sujet une législation courageuse et équilibrée, visant à trouver la juste voie entre les écueils de l'hypocrisie et du non-droit. La dignité de la personne âgée, son droit à l'information et le respect de sa volonté ne sont pas des principes négociables ! Votre proposition concourt à leur promotion. Pour l'essentiel, elle prévoit de proposer aux malades qui le souhaitent, ou à une personne de confiance lorsqu'ils ne sont plus en mesure d'exprimer leur volonté autrement qu'à travers des directives anticipées, la substitution de soins palliatifs aux soins curatifs.

Le malade est ainsi considéré comme une personne à part entière, qu'il convient d'écouter, d'informer, d'associer aux décisions médicales. Tout votre dispositif est en effet fondé sur le dialogue entre lui, la personne de confiance et l'équipe soignante. Ni le grand âge, ni la dégradation physique ou mentale n'autorisent à faire bon compte de ce devoir de dialogue, d'écoute et de respect. L'individu en fin de vie est un individu avant d'être un patient et la donne humaine doit donc primer dans sa prise en charge. Là est le cadre premier et l'horizon indépassable.

La question des soins palliatifs est étroitement liée à cet impératif de soulagement des souffrances. Leur importance en gériatrie n'est plus à démontrer mais ils ont aussi leur spécificité, en fonction de la diversité des pathologies et des niveaux d'autonomie. Aux patients, aux professionnels et aux familles, le texte apporte des éléments qui vont dans le sens de ce qu'on pourrait appeler le bien-mourir et de la plus grande qualité de vie possible jusqu'à la mort, excluant donc l'obstination thérapeutique déraisonnable comme les démarches d'euthanasie active. Le projet amendé par la commission permet de dispenser des soins palliatifs dans les EPAD et je suis personnellement très attachée à cette disposition. Je me félicite aussi qu'on reconnaisse la nécessité d'un accompagnement sur le lieu de résidence, ce qui évitera d'ultimes transferts.

Politique humaine par excellence, la politique en faveur des personnes âgées doit mieux prendre en compte la fin de vie et votre proposition y contribuera, pour chaque individu arrivant au seuil de la mort comme pour l'ensemble de la société. Elle évitera que personne ne soit dépossédé de sa mort, elle permettra de mieux faire reconnaître le droit de mourir dans la dignité comme l'un des droits de l'homme. Ce texte est donc bien une avancée dont notre démocratie peut être fière, tous ayant su se retrouver sur l'essentiel ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Mme Catherine Génisson -

« Sois sage, ô ma Douleur, et tiens-toi plus tranquille.

Tu réclamais le Soir; il descend; le voici :

Une atmosphère obscure enveloppe la ville,

Aux uns portant la paix, aux autres le souci.

« Pendant que des mortels la multitude vile,

Sous le fouet du Plaisir, ce bourreau sans merci,

Va cueillir des remords dans la fête servile,

Ma Douleur, donne-moi la main; viens par ici,

« Loin d'eux. Vois se pencher les défuntes Années,

Sur les balcons du ciel, en robes surannées;

Surgir du fond des eaux le Regret souriant ;

« Le Soleil moribond s'endormir sous une arche,

Et, comme un long linceul traînant à l'Orient,

Entends, ma chère, entends la douce Nuit qui marche. »

La beauté de ce poème nous touche profondément, intimement parce que, face à la douleur indicible, s'y exprime l'exigence de paix, de sérénité et d'humanité. Le respect de la dignité de chacun suppose le respect du choix le plus personnel qui soit : celui qu'il fait quant à sa fin de vie. Mais c'est aussi une question éminemment politique, l'histoire de chaque citoyen ne pouvant être séparée de celle de la cité.

Nous devons cependant composer avec un élément qui l'inscrit dans un contexte paradoxal : notre société tend à écarter la mort de nos préoccupations quotidiennes, cependant que la vieillesse est régulièrement prolongée - mais sept personnes sur dix meurent à l'hôpital. La médecine a fait de merveilleux progrès, mais qui conduisent ainsi, fréquemment, vers une mort terriblement technique et solitaire. Quant au recul des rituels, comment pourrait-il nous rassurer ?

On peut également s'interroger sur les conditions dans lesquelles est né ce débat. Alors que le comportement déviant d'une infirmière n'avait suscité que de l'indignation, il a fallu le geste d'amour d'une mère pour que ce débat devienne public. Députés, nous avons voulu soutenir sa volonté. Notre mission parlementaire a travaillé pendant huit mois, découvrant progressivement la complexité du problème. Celle-ci ne nous exonère pas pour autant d'un devoir exigeant : celui de donner des réponses humanistes à une demande de fin de vie digne et choisie.

Cette proposition est pour les uns un aboutissement, pour les autres une étape. Je suis au nombre des seconds, considérant que nous n'avons pas fait de propositions en ce qui concerne les mineurs et la périnatalité. Mais nous refusons le statu quo.

Le texte pose clairement que le malade en phase avancée ou terminale d'une affection grave ou incurable et qui a décidé d'arrêter son traitement doit voir sa volonté respectée par le médecin, qui l'aura informé des conséquences de son choix et devra l'accompagner en lui dispensant des soins palliatifs. Des directives anticipées pourront témoigner de la volonté du malade devenu inconscient.

Mais ce texte ne concerne pas que les personnes en fin de vie et il a aussi le mérite de renforcer les droits des malades refusant toute thérapeutique. Cette disposition figurait certes déjà dans la loi Kouchner, mais son application sera désormais clarifiée, grâce à une clarification de la procédure, avec en particulier l'instauration du droit de refuser l'obstination déraisonnable, avec la possibilité pour le malade de réitérer sa demande après un délai raisonnable et, pour le médecin, celle de faire appel à un autre membre du corps médical.

De plus, en autorisant le malade conscient à refuser tout traitement, la disposition vise implicitement le droit au refus de l'alimentation artificielle qui est en effet considérée comme un traitement. Quand le malade est inconscient, la procédure de limitation ou d'arrêt du traitement est collégiale, après consultation de la personne de confiance, de la famille ou d'un proche.

Toutes ces dispositions n'ont de sens que si sont développés les soins palliatifs, auxquels tous les citoyens, aujourd'hui, n'ont pas accès puisque deux tiers des CHU ne disposent pas de ces unités. Il importe donc de les généraliser. Leur organisation doit être diversifiée, tant dans le secteur public que libéral, et l'investissement des personnels doit être reconnu : le temps consacré aux malades et aux familles est en effet insuffisamment reconnu du fait du caractère souvent réducteur du paiement à l'acte. Tous les soignants doivent pouvoir bénéficier d'une formation en la matière. Sachons écouter les acteurs des soins palliatifs. Le Dr Régis Aubry estime qu' il ne s'agit pas de se déclarer pour ou contre l'euthanasie, mais d'y réfléchir, en mettant de côté nos convictions personnelles dès le départ, condition indispensable pour qu'un débat puisse avoir lieu. J'ai moi-même évolué à l'occasion de nos travaux, alors que j'étais au départ favorable à la dépénalisation de l'euthanasie. Si je reste convaincue que nous avons à apporter des réponses, je pense que nous devons continuer à réfléchir, en nous inspirant de ce qui s'est passé en Hollande : trente ans de débat, deux lois, dépénalisation de l'euthanasie, mais quasi absence de déclarations. Peut-être est-ce cela, la maturité : une loi qu'il n'est plus utile d'appliquer.

Donnons-nous donc les moyens de poursuivre ce débat avec nos concitoyens. (Applaudissements sur tous les bancs) .

M. Olivier Jardé - Etre homme, n'est-ce pas avoir conscience d'être mortel ? Réfléchir sur sa propre mort, n'est-ce pas donner un sens à sa vie ? L'homme n'est-il pas le seul être vivant à être angoissé à l'idée de disparaître ? Le premier cri ne contient-il pas le dernier soupir ? Réguler la naissance n'implique-t-il pas de tenter de maîtriser la mort ? Avant tout, l'homme est un être de relation fait pour aimer et être aimé, nous devons toujours avoir ceci à l'esprit lorsque nous réfléchissons à ces questions.

Le drame vécu par Vincent Humbert et sa mère a précipité nos réflexions. Un débat médiatique a eu lieu, qui a présenté le droit à mourir comme une liberté ultime. Faut-il pour autant autoriser une « exception » d'euthanasie, alors que toutes les dérives seraient dès lors possibles ? Qu'en est-il précisément de la « dignité » invoquée face à la mort ? N'ouvrirait-on pas ainsi la voie à certaines tentations, face à des personnes en fin de vie, improductives, et dont le traitement coûte cher à la société ? De plus, j'ai vu dans mon service des polytraumatisés renaître à la vie et faire des projets. La demande d'euthanasie n'est-elle pas souvent un appel adressé à l'entourage ?

J'ai beaucoup apprécié la réflexion menée par la commission et je rends hommage à son président, mais je me suis souvent posé la question : faut-il, en la matière, légiférer ? Je le crois, car la loi n'est plus aujourd'hui en phase avec les souhaits des familles et les progrès médicaux. Je me rallie donc aux conclusions de la mission d'information. A-t-on le droit de donner une dose plus importante d'antalgique à un patient en fin de vie alors que sa mort risque d'en être précipitée ? Oui. Peut-on retirer un respirateur artificiel ? Oui. Arrêter un traitement inhumain, n'est-ce pas accepter les limites de notre condition ?

Mais quid de la transparence vis-à-vis du patient, de la famille ? Dispose-t-on de suffisamment d'unités de soins palliatifs et d'unités mobiles ? Je constate que non dans mon département de la Somme. Il importe donc d'augmenter le budget dédié aux soins palliatifs.

Mme la Secrétaire d'Etat - Vous avez raison.

M. Olivier Jardé - La mort est toujours très personnelle, et nous n'avons pas le droit de la voler. Je voterai cette proposition de loi, mais je pense qu'il sera nécessaire dans quelques années de l'évaluer et éventuellement de la modifier en fonction de l'évolution des mentalités et de la médecine. (Applaudissements sur tous les bancs)

M. Michel Vaxès - Aucune situation de fin de vie n'est comparable à une autre, le rapport avec la mort et avec la douleur étant toujours singulier. En la matière, fixer une norme restera donc toujours d'une très grande complexité. C'est la première difficulté à laquelle le législateur est confronté et qui exige de chacun beaucoup d'humilité.

Une deuxième tient au fait que ce débat s'est ouvert à la suite d'un événement particulièrement douloureux dont nous gardons tous ici mémoire. Il est pourtant essentiel de s'abstraire de la prégnance de tel ou tel cas afin de répondre le plus objectivement, le plus humainement et le plus efficacement possible au plus grand nombre de situations.

Une troisième difficulté vient de ce qu'en ce domaine, il est absolument nécessaire que nos concitoyens avancent d'un même pas, non pour parvenir à un médiocre compromis mais pour réaliser le meilleur équilibre envisageable, celui qui permettra de dépasser le conflit entre ceux qui pensaient possible d'aller plus loin aujourd'hui et ceux qui dès le départ considéraient comme excessives toutes propositions rompant avec le statu quo. Faute d'une volonté partagée d'aboutir dans l'unanimité à des dispositions législatives nouvelles, aucune évolution n'aurait été possible.

Or, une évolution était indispensable pour au moins deux raisons. Tout d'abord, la démocratie implique la transparence et ne peut donc se satisfaire de l'hypocrisie : chaque jour, des pratiques relevant de l'euthanasie ont cours dans tous les établissements hospitaliers. Bien que, dans la majorité des cas, ces actes clandestins soient guidés par la compassion, ils ne doivent plus être pratiqués dans l'opacité.

La deuxième raison relève d'un parti pris humaniste : la douleur extrême n'est pas rédemptrice. Rien n'est plus important que de la combattre tout au long de la vie, jusqu'au bout de la vie, y compris lorsque les actes qui tendent à la supprimer peuvent entraîner la mort. Il faut entendre ceux qui demandent à ne pas prolonger artificiellement une vie qui a perdu, pour eux, l'essentiel de sa dimension humaine. Il faut entendre ceux qui veulent arrêter les traitements et être accompagnés jusqu'au bout du chemin.

Comment répondre à cet appel ? Plutôt que d'autoriser l'euthanasie, les membres de la mission d'information ont choisi de ne pas prolonger artificiellement la vie et d'accompagner vers une fin digne et apaisée la personne qui demande à être libérée. En effet, la légalisation de l'euthanasie, même strictement encadrée, n'aurait pas empêché les dérives, comme en témoigne l'expérience des pays qui ont choisi cette voie.

Pour toutes ces raisons, je suis convaincu que cette proposition de loi apporte une réponse équilibrée. Les amendements retenus par la commission tendent à apporter quelques précisions et à lever certaines interrogations. Notre mission d'information et la commission spéciale ont bien travaillé, et j'en remercie le rapporteur, Jean Leonetti, ainsi que son président.

J'espère que ce texte sera adopté, et que le Gouvernement tiendra compte de nos recommandations.

Mme la Secrétaire d'Etat - Bien sûr !

M. Michel Vaxès - Le docteur Frédéric Chaussoy écrit dans son livre Je ne suis pas un assassin que son métier est de sauver des vies et de tâcher, quand il n'y parvient pas, qu'elles se terminent sans souffrance et dans la dignité. « Aucune loi ne devrait m'interdire de faire ça » ajoute-t-il.

Ce texte permettra au docteur Chaussoy, comme à tous ses confrères, d'accomplir leur travail avec cette humanité que Vincent et Marie Humbert ont si longtemps réclamée. Je veux saluer ici leur courage, qui a permis de faire avancer cet éprouvant débat de société. (Applaudissements sur tous les bancs) .

M. Jean-Michel Dubernard - Remercions Jean Leonetti qui a permis à la mission parlementaire d'aboutir à un consensus sur l'une des questions les plus passionnément débattues dans notre société.

Ecrivain et philosophe, France Quere fut l'une des principales personnalités du comité national d'éthique. Avec intelligence et humanité, elle nous a enseigné à quel point la confrontation de la fin de vie avec la médecine pouvait renvoyer chacun de nous au plus profond de sa solitude et réveiller des angoisses parfois teintées de ressentiment. Car la médecine n'est pas totalement impuissante face à la mort. A défaut de l'écarter, les médecins peuvent anticiper ou retarder la mort. Paradoxalement, la demande d'une législation vient à un moment où la médecine n'a jamais été aussi efficace dans sa lutte contre la douleur et l'angoisse.

M. le Ministre - C'est vrai.

M. Jean-Michel Dubernard - Cette demande traduit la crainte de la dépendance à des machines qui maintiendraient le corps en vie, alors même que cette vie aurait perdu tout sens. Elle reflète également, comme le dit le psychanalyste Robert Higgins, le modèle d'une société contemporaine où la liberté de choix, l'initiative, l'autonomie ont supplanté le renoncement et l'interdit. Elle nous renvoie encore à l'image d'une culture où il n'y aurait plus de place pour celui qui va mourir, car son existence n'aurait plus de sens.

Mme la Secrétaire d'Etat - C'est vrai.

M. Jean-Michel Dubernard - Nous avons une vision mensongère de la vie, qui entretient l'illusion de la jeunesse et de la beauté. La vie qui défaille et la mortalité sont sacrifiées à l'idolâtrie d'une vie perpétuellement triomphante.

Cette demande témoigne enfin de l'évanouissement des croyances en la survie. Pour beaucoup, la mort est un néant abordé avec désespoir, la rage au cœur. Au-delà des croyances, la sagesse ancienne préparait à mourir, et l'homme, banal mortel, méditait sur sa limite. Ce n'est plus le cas.

Réjouissons-nous de pouvoir parler de la mort comme d'une limite aux pouvoirs de la science, et non plus comme d'un échec.

Dès lors, les soignants ont un devoir essentiel : faire droit à la dignité et à l'irréductible singularité de l'autre. C'est ainsi qu'il y a trois ans, lors de l'examen de la loi sur les droits des malades, j'avais réclamé l'inscription du principe selon lequel « chacun a droit à une mort digne ».

René Char disait que « les mots savent de nous des choses que nous ne savons pas d'eux ». La définition de la dignité n'est à la libre disposition de personne, mais je suis convaincu qu'elle ne tient ni à la position sociale, ni à l'état de santé. Je la crois consubstantielle à l'être humain. Nous avons besoin d'une médecine qui s'attache plus au malade qu'à la maladie.

Au-delà de ces affirmations, nous devons prendre le temps de légiférer. Où mettre le curseur ? Le débat est délicat, et tous les avis sont respectables.

Jean Leonetti et ses collègues ont su trouver l'équilibre entre des demandes parfois contradictoires, qu'il s'agisse de celle des patients, soucieux de pouvoir décider des derniers instants de leur vie, ou des médecins qui veulent pouvoir accomplir sereinement leur mission. Grandes sont les craintes des soignants, et nos collègues ont tenté de les aider à sortir du statu quo sans aller jusqu'à la légalisation de l'euthanasie.

Meilleure prise en compte de la volonté du malade, encadrement de la décision des médecins, transparence du dialogue entre le médecin et le patient, consultation des proches... leur réflexion s'est jouée sur le fil du rasoir.

Les membres de la mission parlementaire et de la commission spéciale ont eu le mérite d'avancer ensemble malgré leurs divergences. Ils ont choisi la voie médiane où la mort n'est plus l'ennemie que l'on fuit par tous les moyens. Cette nouvelle culture des soins palliatifs que vous souhaitez promouvoir, Monsieur le ministre, nous aidera, et je rends hommage à ceux qui s'engagent sur ce terrain.

Les mesures que vous annoncez sont importantes pour permettre à des hommes, des femmes, malheureusement aussi des enfants, d'être accompagnés dignement jusqu'au bout de leur vie, de choisir de terminer leur chemin chez eux s'ils le veulent, entourés de leurs proches.

Le groupe UMP, dont je suis le porte-parole, votera bien sûr cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. François Dosé - La commission spéciale, dont j'étais membre, a précisé, prolongé, cette proposition de loi, dans l'esprit des travaux de la mission sur l'accompagnement de la fin de vie, à qui je rends hommage pour la qualité de ses investigations .

Je voudrais apporter ma contribution sous forme d'un témoignage. Au lendemain de la réunion de travail de la commission spéciale, j`ai organisé dans ma circonscription une journée d'auditions : permettez-moi de vous en livrer les conclusions essentielles.

Fallait-il légiférer ? Unanimement, la réponse fut oui. La diversité des situations entraîne toujours des interrogations sur la frontière parfois étrange entre la légitimité et la légalité, mais mes interlocuteurs préfèrent désormais les jalons d'une loi au vide juridique.

Fallait-il privilégier le consensus ? Unanimement, la réponse fut oui. Notre démarche est vécue comme un élément apaisant pour ceux qui rencontrent dans leur vie personnelle ces situations difficiles, et aussi comme un élément éthique fédérateur pour la vie sociale et politique.

Fallait-il, dès ce premier texte, aborder la question du droit des personnes à décider de leurs conditions de fin de vie, notamment en donnant force de loi au testament de vie ? A l'exception de « Dignité et responsabilité toute la vie », association proche de « Mourir dans la dignité », mes interlocuteurs m'ont tous signifié leur accord sur le périmètre de ce texte, préférant une unanimité modeste à une avancée turbulente. Aucun ne réfute la légitimité d'un tel débat, qu'à titre personnel je souhaite voir s'organiser ici dans un proche avenir, mais il est un fait qu'il sera un affrontement de convictions. La clause de conscience de chaque parlementaire devrait alors prévaloir sur la solidarité de groupe.

Mme Christine Boutin - La clause de conscience existe toujours ! Il n'y a pas de mandat impératif.

M. François Dosé - Dans leur diversité, mes interlocuteurs ont lancé de façon répétée trois appels à la vigilance : sur la collégialité de la procédure, notamment sur la place des parents dans le processus de décision lorsqu'il s'agit d'enfants et sur celle des associations tutélaires pour les personnes concernées ; sur le juste temps accordé à l'obstination dite déraisonnable ; enfin et surtout, sur les moyens accordés aux soins palliatifs, tant en termes budgétaires qu'en termes de formation, et en veillant à ce que le milieu rural ne soit pas le lieu d'une nouvelle désespérance faute de moyens.

Ce texte définit un juste périmètre, largement accepté, mais son application sera fonction des moyens et des comportements. Il est d'abord une invitation. Puissions-nous, dans notre diversité, être à ce rendez-vous avec dignité (Applaudissements sur divers bancs).

M. Bernard Debré - Je voterai la présente proposition de loi. Mais déjà, dans la presse, la confusion règne : certains parlent d'une loi sur l'euthanasie, d'autres d'une loi sur la dignité, et on laisse entendre qu'il s'agirait d'une loi d'une immense importance, qui va transformer l'activité des médecins, des chirurgiens, des réanimateurs, et rendre à ceux qui nous quittent la dignité que la société leur avait refusée. Je ne le crois pas. Heureusement, ce texte n'est pas destiné à légaliser l'euthanasie active, mais il reprend et précise les lois précédentes.

Je suis perplexe, car j'ai lu un article de Suzanne Rameix, directeur du département d'éthique médicale à la Faculté de médecine de Paris XII, intitulé « Il n'y a pas de vide juridique sur l'euthanasie et sur la fin de vie en France ». L'article 36 du code de déontologie du 6 décembre 1995 interdit au médecin de soigner une personne sans son consentement, sauf urgence ou impossibilité de consentir ; son article 37 interdit l'obstination déraisonnable et pose le principe de proportionnalité ; son article 38 interdit de provoquer délibérément la mort. Ces articles fixent un cadre simple, sain et éthiquement indispensable ; ils forment à eux seuls l'ossature de la nouvelle loi. Ils ont été complétés, d'une part, par la loi garantissant le droit à l'accès aux soins palliatifs du 9 juin 1999, qui pose le droit de refuser tout traitement ou investigation inutiles, et d'autre part, par la loi du 4 mars 2002, qui affirme le droit au traitement de la douleur.

Je suis perplexe, car les lois actuelles permettent de traiter toutes les douleurs par un analgésique approprié, même à forte dose si nécessaire, y compris jusqu'à un risque vital pour le patient ; elles permettent également de prendre des décisions de limitation ou d'arrêt des traitements, soit parce qu'ils seraient devenus de l'acharnement thérapeutique, soit parce que les patients auraient clairement exprimé leur volonté de refuser un traitement proposé.

Cet ensemble législatif construit un droit de mourir large, cohérent et légitime. Je ne suis pas contre la nouvelle loi, qui va transférer le code de déontologie dans une loi plus directive, mais vous oubliez que pour l'appliquer, il faudrait davantage d'infirmières et de centres de soins palliatifs. Actuellement, lorsque nous souhaiterions confier un malade à une unité de soins palliatifs, nous ne pouvons pas le faire.

Mme Christine Boutin - C'est vrai.

M. Bernard Debré - Je suis perplexe, Monsieur le ministre, parce que vous avez dit, comme d'autres ici, que cette loi ne constituait qu'un premier pas. Mais un premier pas vers quoi ? Vers la légalisation de l'euthanasie ? Là, je serais contre.

M. le Ministre - J'ai déjà dit à plusieurs reprises que j'étais contre l'euthanasie !

M. Bernard Debré - Merci, Monsieur le ministre. Moi aussi.

Je voudrais vous raconter l'histoire édifiante qui m'est arrivée il y a trois semaines. Nicolas a 20 ans quand on lui découvre un cancer du testicule gauche, mais la maladie est avancée, avec diverses métastases ; elle peut être guérie si l'on s'acharne - il ne s'agit pas d'un acharnement thérapeutique puisque l'espoir existe. Au bout de six mois et après six cures de chimiothérapie intensive, le bilan est encourageant. Mais une autre épreuve l'attend : la chirurgie abdominale. L'intervention, qui a eu lieu le 16 novembre, a réussi, mais en période de réveil, Nicolas fait un arrêt cardiaque inexplicable, et il est transféré en réanimation. Les jours passent, il est toujours dans le coma, et les réunions s'enchaînent : réunion de service, réunion avec les parents, réunion avec les réanimateurs. Au bout de cinq à six jours, ceux-ci sont formels : il ne se réveillera pas, ou il restera dans un coma végétatif. Il convulse, on augmente les doses de sédation. Comme je suis à l'étranger, je demande - je le dis avec émotion - qu'aucune décision ne soit prise avant que je ne revienne. Quelques heures avant mon arrivée, Nicolas s'est réveillé, il a pris son petit déjeuner. Il n'a aucune séquelle.

Si la loi avait été déjà promulguée, nous aurions vraisemblablement moins hésité, nous aurions peut-être cédé à l'ambiance législative, craignant, si nous nous étions acharnés, de tomber sous le coup de la loi sur l'acharnement thérapeutique prolongé. Ce qui est souplesse dans le code de déontologie devient parfois rigidité dans la loi formelle.

Néanmoins, je voterai cette loi sans hésitation. Mais elle devrait s'accompagner de crédits pour les soins palliatifs et pour les infirmières.

M. le Ministre - C'est le cas.

M. Bernard Debré - Ce qui me rend perplexe, aussi, c'est qu'on fait croire que les médecins et les infirmières ne donnent pas tout leur cœur pour traiter, soulager, accompagner ceux qui souffrent et qui s'en vont (Protestations sur plusieurs bancs)

Il faut mourir dans la dignité, dit-on. Mais qui voudrait mourir dans l'indignité ?

J'aimerais parler de l'euthanasie exigée par ceux qui se réclament du droit de mourir dans la dignité. La dignité...Que ce terme est ambigu ! A partir de quand un patient atteint de la maladie d'Alzheimer devient-il indigne ? Quand il commence à avoir des trous de mémoire, ou quand il n'a plus de mémoire et vit dans un autre monde ? A partir de quel degré de handicap physique ou cérébral devient-on indigne ? Car c'est nous, qui avons le bonheur et la vie, qui décernons l'indignité aux autres.

Je voterai cette proposition de loi. Mais il nous faudra, Monsieur le ministre, beaucoup d'argent pour l'appliquer. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Mme Jacqueline Fraysse - Je me félicite qu'un tel texte vienne en débat dans notre Assemblée : nous sommes à un stade de l'évolution de nos connaissances et de la société qui mérite que soit revue collectivement, au-delà des cercles initiés, la question de la fin de vie.

Les médecins et les personnels soignants sont là pour défendre la vie. Ils sont formés pour cela, ils y tiennent et ils ont raison. Mais la vie contient par définition la mort, et ils sont tous confrontés aux problématiques liées à la fin de vie. Depuis toujours, ils ont appréhendé celle-ci avec le souci constant de guérir, mais aussi de mesurer à partir de quand, la guérison n'étant plus possible, la souffrance devient insupportable ou inutile. Depuis toujours, ils ont été attentifs à l'humain.

Des questions nouvelles se posent néanmoins aujourd'hui. Elles sont indiscutablement liées aux progrès des connaissances et à l'aspiration de nos concitoyens à la maîtrise de leur destin.

Les progrès des connaissances permettent aujourd'hui de maintenir artificiellement, grâce aux machines et aux traitements, les grandes fonctions vitales. On peut le faire pour passer un cap, mais peut aussi reconnaître que la guérison n'est pas possible. Se pose ainsi la question de l'arrêt volontaire des machines, ce qui implique une révision de notre législation, qui qualifie l'arrêt volontaire de la réanimation ou des traitements de « non assistance à personne en danger » passible de sanctions.

L'aspiration de nos concitoyens à maîtriser leur destin est un trait de la citoyenneté moderne dont il faut se féliciter. Etre informé, se forger une opinion et participer à la décision, voilà qui fait naître dans tous les domaines une démocratie participative. Je salue à cet égard toutes les familles et les associations qui, grâce à leur intervention courageuse, ont donné à cette question un retentissement national - Mme Humbert, son fils Vincent, le Docteur Chaussoy, les équipes qui ont eu à traiter ce cas extrême, et tous ceux qui ont agi en faveur du respect de la personne dans la pratique quotidienne et dans le droit.

Si je comprends les motivations de ceux qui proposent la légalisation de l'euthanasie active, je n'y suis pas favorable. La création, même exceptionnelle, d'un droit de donner la mort est lourde de dangers quant à l'élargissement de son champ d'application dans le domaine sanitaire et quant à sa transposition dans le champ du droit pénal. Les dispositions de ce texte permettent de gérer presque tous les cas sans légaliser une pratique éminemment dangereuse, y compris pour l'éthique médicale, qui doit rester de défendre la vie.

Notre rôle est de légiférer sur le sens que nous voulons donner à notre société, en respectant la liberté de chacun, sans jamais perdre de vue la valorisation de la vie.

La commission spéciale a beaucoup écouté et réfléchi. Elle a moins cherché un compromis qu'un équilibre raisonnable de mesures applicables à tous, refusant à la fois l'euthanasie par injection de substances létales et l'acharnement thérapeutique. L'interdit de donner la mort est maintenu, mais on invite à cesser de la retarder quand aucun espoir de guérison n'est permis.

Les motivations qui nous conduisent à ce choix sont diverses, elles reflètent les tensions qui traversent notre société, sa culture et ses contradictions. La force de ce texte aura été de savoir passer outre. Il n'a pas l'ambition d'être le meilleur, mais d'être celui qui convient aujourd'hui.

Il constitue un pas significatif et pourra évoluer au gré des avancées scientifiques et de l'histoire de notre société.

Il met fin à l'opacité en encadrant des gestes couramment pratiqués dans l'exercice médical. Il prend en considération sans ambiguïté le souhait du malade qui réclame la fin de ses souffrances, lui reconnaissant, lorsqu'il est conscient,le droit de refuser un traitement dans le cadre d'une procédure spécifique qui l'obligera à réitérer sa demande dans un délai raisonnable. Cette réitération est indispensable, sa volonté pouvant se modifier.

Le texte prévoit également que toute personne majeure peut donner par anticipation des directives quant à sa fin de vie qui devront être prises en compte par l'équipe médicale. Si elle ne l'a pas fait, il s'en remet, avant toute décision d'arrêt de traitement, à une procédure collégiale et à la consultation d'une personne de confiance.

Enfin, il est admis qu'il faut traiter la douleur, même si ce traitement est de nature à accélérer la fin, comme il est indispensable d'assurer un accompagnement digne de la mort. Or en matière de soins palliatifs, presque tout reste à faire, et je souhaite que le Gouvernement y soit attentif.

Avec ce texte, nous aurons permis une avancée de notre législation au service des malades et de leurs familles, mais aussi des soignants qui les accompagnent dans cette tâche difficile et profondément humaine. (Applaudissements sur tous les bancs)

Mme Nadine Morano - Il avait la vie devant lui, il était pompier volontaire, il s'appelait Vincent Humbert. Devenu tétraplégique après un accident, conscient mais enfermé dans son corps, il ne pouvait égrener l'alphabet qu'avec son pouce droit. Sa mère, Marie, l'a aimé. Elle lui a donné la vie, elle a compris qu'il ne voulait pas l'enfer, elle a tenté de lui offrir son paradis. Ce geste lui vaut d'être mise en examen pour empoisonnement avec préméditation. Le Docteur Chaussoy, médecin reconnu, lui ouvrira la porte du paradis. Il est lui aussi poursuivi.

Cette histoire a ému tous les Français. Parents, enfants, amis, nous vivons nous aussi nos propres expériences. Mais ici, nous sommes législateurs. Notre devoir, au-delà de l'émotion, est d'écouter, de réfléchir, d'agir pour servir l'intérêt général dans le respect de notre culture et de l'évolution de notre société.

Avec mon collègue Gaëtan Gorce, nous avons pris conscience que cette question de société dépassait les clivages politiques. Ensemble, nous avons demandé la création d'une mission d'information parlementaire, dont les 31 membres, issus de tous nos bancs, présentent cette proposition de loi.

Nous partions d'un constat : la situation de l'homme face à la maladie, à l'accident, puis à la mort, est d'une grande complexité humaine, philosophique, religieuse. La maladie, le handicap, le déclin font partie de la vie. A nous de l'accepter et d'accompagner ces familles souvent démunies face à la détresse d'un proche, mais qui témoignent aussi que leur relation s'est enrichie : on arrive à se dire « je t'aime » avec un simple regard...

Nous avions un but, respecter la volonté du patient, et un objectif, clarifier le processus de décision du médecin en sortant de l'hypocrisie du débranchement des machines en catimini, sans le moindre encadrement juridique.

Je considère que nous remportons aujourd'hui une victoire, car la présente proposition de loi apporte de réelles avancées. En cet instant, c'est à Vincent et à sa mère que je pense. Sans leur détermination, ce texte n'eût sans doute pas existé. Fini l'acharnement thérapeutique inutile : que le malade soit ou non conscient, le médecin pourra l'accompagner vers la mort. Le mot est lâché, la mort, qui inspire toujours la crainte et l'inconnu, et, en corollaire, la peur de la souffrance et de la déchéance. La question qui nous occupe est sans doute la plus intime d'entre toutes : jusqu'où va notre propre dignité ?

Comment ne pas penser à tous ceux qui souffrent et qui veulent qu'on les accompagne ? En même temps, comment ne pas penser aussi à ceux qui, bien que prisonniers d'un lit de souffrance, restent accrochés à la vie, à l'image de ce patient tétraplégique qui ne peut bouger que ses paupières depuis sept ans, mais qui continue de vivre chacune de ses visites comme un moment de joie ? La directive anticipée, que nous introduisons dans la loi, permettra d'éclairer les médecins sur ce que chacun considère comme étant la limite de sa propre dignité.

Madame et Monsieur les ministres, vous soutenez notre proposition, et je sais combien le Président de la République a été attentif à nos travaux, tout comme le Premier ministre, qui a beaucoup évolué sur le sujet et a finalement permis d'inscrire ce texte à l'ordre du jour de nos travaux. Mieux que d'autres, M. Douste-Blazy mesure l'importance des soins palliatifs, et je connais sa détermination à faire en sorte qu'ils se développent, y compris en ambulatoire. Chacun sait en effet que moins de 20 % des personnes accompagnées en services de soins palliatifs demandent une mort anticipée.

Ce texte constitue une avancée unanimement reconnue. Il nous a permis de franchir un palier en fixant un cadre général. Nous devrons en évaluer rigoureusement l'application, et rappeler, si nécessaire, qu'il ne vise pas seulement quelques cas particuliers. Ne relâchons pas notre attention car, comme pour les maladies orphelines auxquelles le Gouvernement entend apporter de nouvelles réponses, sans doute nous faudra-t-il un jour franchir un autre cap.

Un regret cependant, celui que notre mission n'ait pas auditionné Marie Humbert - même si je me suis longuement entretenue avec elle - ainsi que d'autres malades demandant la mort. Je suis fière aujourd'hui d'avoir contribué à l'action de notre Parlement. Je suis fière que nous sachions nous rassembler pour faire avancer une cause qui nous honore. Raison et humanité, tels sont les principes qui nous ont guidés pour tenter de traiter ce douloureux problème. Raison et humanité, telles sont les exigences qui doivent nous guider dans nos futures actions. (Applaudissements sur tous les bancs)

Mme Martine Billard - Il n'est pas simple dans notre société de parler de la mort, et moins encore de légiférer sur la fin de vie. Quant aux droits des malades, il restent balbutiants, en dépit des premières avancées décisives qu'ont constitué la loi du 9 juin 1999 visant à garantir le droit à l'accès aux soins palliatifs et celle du 4 mars 2002 relative aux droits des malades. S'il n'appartient pas au législateur de trancher les questions ultimes que se posent nos contemporains quant à leur propre mort, il lui revient par contre de légiférer, lorsque la société fait entendre son souhait de passer de la pénalisation d'un acte à sa reconnaissance en tant que droit.

C'est le combat du jeune Vincent Humbert et de sa mère et l'attitude du Dr Chaussoy, qui ont précipité les choses. Au reste, il est vrai que nous sommes de plus en plus nombreux à être confrontés dans nos vies personnelles à des situations dramatiques de même nature. Désemparés face à la souffrance de nos proches, nous souhaitons avec et pour eux, une mort douce et digne. Grâce aux énormes progrès accomplis, la médecine est aujourd'hui en mesure de repousser les limites de la vie. Globalement très positive, cette évolution n'est pas sans soulever des questions essentielles. Ainsi, nous ne sommes toujours pas en mesure d'apporter une réponse satisfaisante aux situations vécues par des personnes dans le même état que Vincent Humbert hier ou Eddy de Somer aujourd'hui. Réchappées de la mort après des accidents terribles, elles sont aujourd'hui presque totalement paralysées et aucun traitement ne leur redonnera le dynamisme et la joie de vivre propres à la jeunesse.

Le code de déontologie médicale disposant que le médecin n'a pas le droit de provoquer délibérément la mort, chacun est renvoyé à sa propre conscience, face au silence de la loi, voire à la loi du silence qui peut régner dans certains services hospitaliers. C'est ainsi qu'en réanimation, 50 % des patients décèdent à la suite d'une décision médicale. C'est bien le médecin qui décide d'arrêter une machine ou de ne pas en ajouter une supplémentaire. Quoi de plus humain que de refuser la souffrance et la déchéance ? Quoi de plus humain que de récuser l'acharnement thérapeutique ? Il n'est que temps de sortir du non dit et de rendre transparentes des pratiques que nul ne peut plus ignorer.

Nous devons être bien conscients du fait que cette proposition de loi ne répond pas à toutes les situations. Pour ma part, je regrette qu'i n'ait pas été possible d'aller plus loin...

Mme Henriette Martinez - Moi aussi !

Mme Martine Billard - ...en concevant le droit d'une personne à mourir comme une liberté individuelle, au même titre que l'IVG, reconnue par la représentation nationale il y a juste trente ans. J'estime que l'opinion publique y est prête et que ce sont les élites sociales, politiques, médicales et religieuses qui y font obstacle. Il est vrai que le fait d'admettre cette liberté ultime remet en cause, de manière assez subversive, l'ordre établi.

En février dernier, les députés verts avaient déposé une proposition de loi s'inspirant des législations belge et néerlandaise tendant à instituer le droit d'une personne majeure - ou de la famille d'un mineur - de demander que soit mis fin à sa vie par un moyen indolore, si l'état de santé ou la mise en cause de la dignité de sa vie les y conduisait. Très encadrée, cette proposition prévoyait des garanties telles que le testament de vie ou le droit d'objection de conscience du praticien à pratiquer un acte d'aide à mourir. Las, notre texte n'a pas abouti, et force est d'admettre aujourd'hui que certains malades peuvent choisir, dans la mesure où ils ont accès aux traitements nécessaires, cependant que d'autres demeurent dépendants des choix effectués pour eux.

Malgré tout, nous voterons la présente proposition de loi. Pour avoir participé à la mission d'information, je sais que le texte qui en est issu est le fruit d'un compromis équilibré - entre ceux dont je fais partie - qui auraient voulu plus, et ceux - que je respecte - pour qui ces dispositions représentent déjà beaucoup. Il est bon de pouvoir prendre acte dans la loi de ce qui fait consensus. Aujourd'hui, les professionnels de santé redoutent de s'exposer à des sanctions s'ils accèdent aux demandes des patients en fin de vie et cette crainte légitime justifie à elle seule l'adoption du présent texte.

Je le voterai aussi par pragmatisme, parce qu'il donne un critère de définition de la fin de vie, inspiré de celui de l'ANAES, dont pourront se prévaloir les malades ou leur personne de confiance désignée pour prévenir toute démarche d'acharnement thérapeutique ou de prolongation déraisonnable des actes médicaux. C'est en pensant à ces personnes que j'ai pris la décision de voter ce texte d'étape. J'espère cependant que nous pourrons aller bientôt vers la reconnaissance du droit individuel de mourir dans la dignité, en prévoyant les modalités d'encadrement propres à prévenir toute dérive. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe des députés communistes et républicains et sur de nombreux bancs du groupe UMP)

M. Jean-Paul Dupré - Aujourd'hui, trois personnes sur quatre décèdent à l'hôpital. Plusieurs enquêtes indiquent pourtant que 60 % des Français souhaiteraient mourir chez eux. Cet écart illustre une fracture de plus en plus profonde entre les attentes individuelles et les réponses que la société est en mesure de donner. Présente à la naissance, notre société est aujourd'hui cruellement absent au moment de la mort. C'est souvent dans la plus grande solitude qu'est franchie l'ultime étape. Chaque jour, dans les murs de l'institution hospitalière, se nouent des drames humains insupportables, tant pour ceux qui souffrent que pour les équipes soignantes. Les situations particulièrement dramatiques récemment médiatisées nous permettent aujourd'hui de faire bouger les choses, après trop de décennies de conservatisme et d'hypocrisie. Trop nombreux étaient ceux qui jusqu'à présent, parmi les décideurs, s'accommodaient d'une situation pourtant intenable, restant sourds aux appels de l'opinion publique. La vérité éclate aujourd'hui : près de 90 % de nos concitoyens souhaitent que le législateur se saisisse de cette question difficile.

La loi du 9 juin 1999 relative à l'accès aux soins palliatifs a certes apporté un début de réponse. Ne perdons cependant pas de vue le fait que si aujourd'hui 200 000 personnes ont chaque année besoin d'en bénéficier, 50 000 seulement accèdent effectivement à ce type d'accompagnement. On ne compte que 1 000 lits en services de soins palliatifs là où il en faudrait 3 000. Au demeurant, l'indispensable développement des soins palliatifs ne réglera pas toutes les situations.

C'est ainsi qu'il aura fallu le cas du jeune Vincent Humbert pour qu'une réflexion approfondie s'engage sur la question de l'accompagnement de la fin de vie. La mission d'information parlementaire, à laquelle j'ai activement participé depuis le début, a élaboré une proposition de loi consensuelle et équilibrée au terme de huit mois de travaux, et de plus de quatre-vingts auditions. Ce texte constitue une réelle avancée en consacrant le droit de refuser la poursuite du traitement et toutes les manifestations d'obstination thérapeutique déraisonnable. Dans le même esprit, il renforce le statut de la personne de confiance et introduit pour la première fois la notion de directives anticipées - laquelle préfigure ce qui, dans l'avenir, pourrait devenir un véritable testament de fin de vie. Cette proposition présente aussi l'avantage déterminant de garantir une meilleure protection des médecins face au risque de poursuites pénales.

L'adoption de cette proposition ne constituera cependant qu'une première étape. Il faut, à brève échéance, aller plus loin. Et c'est dans cette logique que s'inscrit la démarche de Mme Humbert et de son association « Faut qu'on s'active !», traduite dans leur proposition de loi d'initiative populaire « Vincent Humbert ».

Il est proposé non de légaliser l'euthanasie, mais d'introduire une exception dans le code pénal lorsqu'une aide à mourir a été apportée à la suite d'une demande clairement exprimée dans des conditions strictement définies. Le combat que mène la mère de Vincent Humbert force le respect. Nous devons nous incliner devant sa douleur, mais aussi devant sa détermination à faire évoluer notre législation.

L'évolution des mentalités et la priorité donnée au respect de la volonté individuelle conduisent une majorité de nos concitoyens à revendiquer le droit de pouvoir décider eux-mêmes du moment de leur mort. C'est l'objet de la proposition que j'ai déposée au printemps 2003, laquelle tendait à poser le principe de la libre appréciation personnelle lorsque la personne est en mesure d'apprécier les conséquences de ses choix, au travers d'un testament de fin de vie révocable à tout moment.

L'individu est seul juge de la qualité de sa vie et de sa dignité. C'est le regard qu'il porte sur lui-même qui compte, non celui des autres. Au droit inaliénable de conduire sa vie en toute liberté, l'homme doit pouvoir adosser le droit de disposer de sa mort.

Parce que la liberté est sans doute ce que l'homme a de plus cher, parce qu'elle est indissociable de l'idéal républicain, les pères de la République ont tenu à affirmer son caractère inaliénable et sacré dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : liberté de pensée, liberté de parole, liberté d'action, en un mot liberté de conduire sa vie comme on l'entend.

Dans cette enceinte, nous devons réaffirmer haut et fort notre attachement à la liberté, notre volonté de lever tous les obstacles qui pourraient encore entraver la liberté pour l'homme de conduire sa vie comme il l'entend, jusqu'au moment de sa mort. (Applaudissements sur tous les bancs)

M. Jacques Desallangre - Avec l'adoption en 1999 de la loi d'initiative parlementaire sur les soins palliatifs, le législateur a fait un premier pas vers la reconnaissance de la détresse et des douleurs de fin de vie. Je fus un de ceux qui proposèrent cette loi, qui fut une avancée importante.

Entre les soins palliatifs, voire l'accompagnement des mourants, et la possibilité de fixer le terme d'une vie devenue insupportable, il n'y a pas contradiction, mais complémentarité. Opposer soins palliatifs et assistance au geste euthanasique est une erreur inspirée par certains préjugés. Tel patient qui accepte avec reconnaissance des soins palliatifs peut, à partir d'un certain moment, vouloir hâter une fin que sa conscience réclame et qu'il ne peut plus se procurer seul. Le moment est venu d'aider ceux qui, comme Vincent Humbert, sont dans une situation telle que leur volonté de quitter la vie est devenue plus forte que leur désir de vivre.

Coauteur de la loi de 1999, j'affirmais pourtant qu'elle n'épuisait pas le débat philosophique et moral, puisque restait pendante la dépénalisation de l'euthanasie. Le développement des soins palliatifs fut une remarquable avancée, mais certains y vont vu l'opportunité de clore le débat. L'émotion suscitée par la détresse de Vincent Humbert et l'inculpation de Marie, sa mère, l'ont ouvert dans la société.

Mais ce débat, certains n'en veulent pas. Ils utilisent cette proposition pour faire croire que le législateur apporte toutes les réponses. C'est inexact et vous n'avez d'ailleurs pas la prétention de l'affirmer.

Nous avons étudié le dispositif avec des juristes ainsi que des représentants de l'Association pour le droit de mourir dans la dignité et de l'association de Mme Humbert. La proposition tend à sécuriser juridiquement les pratiques visant à cesser l'obstination déraisonnable conduisant à la prolongation artificielle de la vie.

Mais le rapport de la mission d'information écarte tout débat sur l'euthanasie, au motif qu'aucun médecin, juriste ou parlementaire ne l'aurait souhaité. C'est inexact. Le Comité consultatif national d'éthique n'a-t-il pas, en janvier 2000, remis un avis étayé sur l'euthanasie ? Et des parlementaires n'ont-ils pas demandé l'ouverture d'un débat sur le sujet ? J'ai moi-même déposé une proposition en ce sens.

La commission spéciale a borné sa proposition à un champ trop restreint. Votre texte ne définit pas assez précisément les compétences respectives des médecins et des familles. En outre, il ignore tous ceux qui, en raison d'une maladie douloureuse et irréversible, vivent dans une profonde détresse physique et morale, même si leur survie ne tient pas à un traitement.

Certains refusent le débat parce qu'ils s'opposent, pour des raisons philosophiques et religieuses, à ce qu'une personne maîtrise en dernier ressort son destin. Pour eux, la vie est une réalité transcendante qui ne peut être laissée à la libre disposition de l'homme. Ils considèrent que les soins palliatifs épuisent l'ensemble de la discussion. Toutes les souffrances une fois apaisées, il n'y aurait plus de volonté raisonnable de mettre fin à ses jours.

Heureusement, nous sommes de plus en plus nombreux en France à considérer le droit de mourir dans la dignité comme le dernier droit de notre vie. Le droit de mettre fin à ses jours fut acquis à la fin du XVIIIe siècle. Mais l'assistance à la mort réclamée reste punie pénalement. Je souhaite pour ma part que demander assistance pour une mort souhaitée soit l'ultime espace de liberté auquel l'homme ait droit. La dépénalisation d'une assistance active à mourir permettrait d'éviter la clandestinité et l'hypocrisie. Ne rien faire serait accepter l'opacité. Demain, le suicide assisté ne sera-t-il pas pratiqué clandestinement, grâce à une interprétation extensive de la loi ?

Mme de Hennezel estime qu'il faut faire la différence entre laisser mourir et donner délibérément la mort. Mais chacun sait la nature du geste accompli par le docteur Chaussoy.

Même si certains souhaitent éviter le débat, nous ne pourrons en faire l'économie, parce qu'il est déjà dans la société.

Nous franchissons ce matin une première étape et je vous en rends justice. Mais je vous donne un nouveau rendez-vous que la société nous réclamera et que nous n'aurons pas le droit de refuser tant qu'il restera un être refusant sa condamnation à vivre. (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste)

Mme Christine Boutin - Quelle curieuse coïncidence ! En ce 26 novembre, alors que nous célébrons le trentième anniversaire de la première lecture de la loi sur l'avortement, nous allons légiférer sur la fin de vie, comme si le début et la fin de la vie étaient toujours intimement liés. Je ne pouvais commencer sans le faire remarquer.

L'occasion qui nous est donnée aujourd'hui est exceptionnelle. Nous débattons, sur un sujet plus que sensible, d'une proposition adoptée unanimement par la mission d'information, alors que nous ne pouvons faire mystère de convictions contrastées à propos de l'euthanasie.

Je tiens à rendre hommage à mes collègues qui ont participé à cette mission. On a souvent fustigé les commissions fantoches qui n'aboutissent à rien. Les deux tomes du rapport Respecter la vie, accepter la mort honorent au contraire la représentation nationale.

Rendons hommage à Jean Leonetti qui a présidé les travaux de cette mission. Je me réjouis par ailleurs que le président de la commission spéciale soit un représentant de l'opposition. Comme nombre de mes collègues, j'ai beaucoup appris des consultations conduites depuis janvier. Fallait-il la terrible affaire Humbert pour nous obliger à approfondir le sujet ? Je ne sais. Issue inéluctable de nos vies, la mort a pris tout récemment un sens nouveau. C'est la rançon des progrès médicaux qui ont laissé penser à l'homme qu'il conquerrait la toute-puissance. Il ne s'agit pas de remettre en question les extraordinaires progrès de la médecine, mais de constater la confusion qu'ils ont introduite dans les esprits. Notre opinion est à ce point troublée par les évolutions de la médecine qu'elle prête aux soignants la capacité de déterminer le jour et l'heure ; or ceux-ci doivent continuer de se soumettre à l'irrépressible, tout en faisant des prouesses.

Ce débat a eu le grand mérite de mettre fin à l'amalgame de deux notions que quelques militants particulièrement tenaces avaient fini par associer dans l'esprit de nos concitoyens : le refus de l'acharnement thérapeutique et l'acceptation de l'euthanasie.

Nos consultations ont montré qu'il était possible, légitime et nécessaire de refuser toute forme de soins disproportionnés, sans pour autant faire nôtre la culture de l'euthanasie, même si certains pays voisins ont choisi d'en faire l'amère expérience.

Certains diront que je ne fais là que rappeler les fondements de la déontologie médicale, mais nos conversations avec les soignants et, surtout, avec les usagers de santé nous ont confirmé la nécessité d'inscrire noir sur blanc ces principes, car les ignorer est apparu source de confusion et d'inquiétude, voire d'angoisse.

Je voudrais partager avec vous une espérance que ces débats ont fait naître en moi pour notre pays. A l'heure où, dans la plupart des Etats, l'euthanasie est de plus en plus comprise comme une menace totalitaire et comme une pratique contraire à l'éthique et au vrai progrès médical, à l'heure où le développement des soins palliatifs fait que l'on n'est plus condamné à souffrir à l'approche de la mort, je forme le vœu que la France s'oriente vers la troisième voie, de façon lucide et consensuelle - et je ne parle pas de ces consensus mous, qui ménagent la chèvre et le chou en faisant fi de tous les principes : sur la question de la vie et de la mort, il n'existe pas vraiment d'équilibre à rechercher, ni de compromis. Le fruit de notre travail, en tout cas, n'est pas un compromis. Nous avons dépassé cette approche, recherchant ensemble les moyens d'éviter à la France toute dérive vers la dépénalisation de l'euthanasie. Nous avons ainsi fait preuve de responsabilité politique et ce qu'il y a d'extraordinaire dans notre travail, c'est que chacun a reconnu que la préoccupation de l'autre était plus qu'acceptable : absolument fondée !

M. Pierre-Louis Fagniez - Très bien !

Mme Christine Boutin - Nous avons tous refusé des soins disproportionnés, exigé qu'on combatte la douleur et qu'on respecte la liberté des patients. Ce sera déjà un énorme chantier que d'appliquer ces principes et, par exemple, je m'attacherai au cours de la discussion des articles à faire préciser le texte pour conjurer tout risque de dérive euthanasique. Nous ne pouvons non plus prétendre régler, comme d'un coup de baguette magique, la question de l'approche ou, a fortiori, du sens de la mort, s'il y en a un - chacun aura à se confronter à ce drame, in fine, et personne ne peut se dire par avance exonéré de peur -, mais la France, grâce à sa tradition de solidarité et de créativité sociale, grâce à son système de santé aussi, pourra offrir un contre-modèle aux pays marqués par l'utilitarisme. Nous pouvons en être fiers. Encore faudra-t-il adapter notre démographie médicale et consacrer aux soins palliatifs les moyens nécessaires. En tout état de cause, et je tiens à le dire solennellement, si je soutiens cette proposition, c'est qu'elle ne constitue pas pour moi une étape : elle représente un point d'accord...

M. Alain Gest - En effet.

Mme Christine Boutin - Or, certains viennent de laisser entendre qu'il s'agirait d'une porte ouverte. Je vous demande donc, Monsieur le ministre, de vous prononcer sur ce point. De votre réponse et du déroulement de la discussion dépendra mon vote.

Mme Jacqueline Fraysse - Les lignes bougent toujours !

M. Jean-Marie Le Guen - Je m'exprimerai non en tant que médecin, mais en tant que parlementaire. Je tiens à le préciser d'emblée car nous aurions tout à craindre d'une confusion des expériences et des intérêts.

Nous vivons au surplus un moment très fort de l'action politique : nous voici en effet en train de passer d'un droit naturel à un droit élaboré démocratiquement, par une société d'hommes et de femmes, et ce sur des questions dont la solution ne va pas de soi. Et comme sur d'autres matières, telles que le divorce ou l'interruption volontaire de grossesse, où il en a été de même, nous devons absolument éviter de faire primer une philosophie plutôt qu'une autre.

En revanche, en tant que législateurs, nous avons à arbitrer entre des points de vue différents qui, pour être tous respectables, n'en sont pas moins, parfois, contradictoires : travail éminemment politique, mais pour lequel nous sommes maintenant mieux armés grâce à MM. Leonetti et Gorce. La mission nous a en effet permis d'entendre ce qu'avaient à nous dire les philosophes du droit, les médecins et les usagers.

Cela reconnu, je pense néanmoins que nous sommes allés au bout de ce que peut offrir la délibération « éclairée » d'hommes et de femmes de bonne volonté. Nous devrions, à l'avenir, sur ce genre de questions de société, organiser un débat parmi l'ensemble des Français...

M. Jacques Desallangre - Très bien !

M. Jean-Marie Le Guen - C'est une nécessité pour assurer et légitimer notre action, pour rapprocher la politique du citoyen. Nous ne pouvons plus décider en chambre sur de tels sujets, il faut un débat et un dialogue publics. Peut-être en avons-nous eu l'esquisse grâce au geste de Marie Humbert et à l'action d'associations telles que « Faut qu'on s'active » - mais ce n'était qu'une esquisse.

Bien évidemment, cette proposition est un compromis. Cela ne doit rien enlever à la réalité ou à la force politiques de notre délibération - pas plus que l'absence de compromis n'amoindrissait la légitimité de la loi Veil. Au passage, notons d'ailleurs que, dans cette affaire, le législatif a pris pour une fois le pas sur l'exécutif. Ne serait-ce pas une incitation à s'interroger à l'avenir sur le lieu où réside réellement l'efficacité ?

Mais revenons à l'essentiel. On nous a reproché de légiférer sous le coup de l'émotion, mais celle-ci ne peut-elle être au principe de l'action ? La dialectique entre la raison et l'émotion n'est-elle pas ce qui nous fait avancer ?

Avancé, nous l'avons fait, sur des points importants. Même s'il reste aussi à faire évoluer les codes de déontologie et la loi sur les droits des malades, nous avons posé une question qui préoccupe de plus en plus notre société : celle de la qualité de la vie. Cela s'inscrit dans un mouvement dont témoigne l'élaboration de nouveaux indicateurs : la longévité n'est pas tout, non plus que le quantitatif.

Qui décide ? La loi, le médecin ou le malade ? Observons qu'en l'occurrence, c'est la loi qui est le moteur. L'inhumanité dont a fait preuve la justice dans l'affaire Humbert et dans le cas du Dr Chaussoy constituait d'ailleurs une motivation supplémentaire à notre intervention, même si nous ne réglons pas tous les problèmes juridiques apparus à cette occasion.

Il existe encore un décalage entre la loi et la réalité. Nous sommes donc à une étape. Jusqu'à quel point une société peut-elle imposer sa philosophie générale aux consciences individuelles ? Sans doute faudra-t-il un jour poser le problème d'un droit dérogatoire qui permettra de concilier le droit et les réalités sans pour autant mépriser quelque perspective philosophique que ce soit. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

Mme Martine Aurillac - Marcel Griaule, dans son Ethnologie poétique des Dogons, a montré combien la vie et la mort ne font qu'un dans cette société. Il n'en va évidemment pas de même dans notre société laïque, surmédicalisée, matérialiste et atomisée : la mort, pourtant inéluctable, est écartée, presque cachée et suscite angoisse et effroi. Celui qui croit au ciel comme celui qui n'y croit pas craint la souffrance et la déchéance, mais aussi l'acharnement thérapeutique ou encore l'aliénation de sa liberté. 100 000 malades sont chaque année « débranchés » et de très contestables contentieux se multiplient. Certains cas particulièrement médiatisés ont de plus frappé l'opinion.

Il était donc urgent de sortir de la clandestinité et de l'hypocrisie, de rendre la sérénité aux malades et aux familles tout en soutenant le corps médical et paramédical, dont les responsabilités sont écrasantes. C'est le mérite de Jean-Louis Debré de l'avoir compris et d'avoir décidé la création de la mission d'information qui a conduit au texte dont nous débattons, lequel place le malade au coeur du dispositif, rend sa place au dialogue et concerne les hôpitaux certes mais également les établissements médico-sociaux.

Je ne m'attarde pas sur les principales mesures préconisées : la notion d'obstination déraisonnable est bien précisée, le cas du malade en fin de vie est distingué de celui dont la maladie est grave et incurable - dans ce cas-là, les garde-fous sont nombreux : procédure collégiale, délai raisonnable, obligation de disposer des soins palliatifs - , de même ont été distingués les cas du malade conscient et inconscient, le « double effet » est quant à lui très largement encadré par le devoir d'information en particulier, l'harmonisation entre le code de déontologie médicale et le code de la santé publique a été réalisée sans toucher au code pénal, les soins palliatifs seront développés ainsi que la formation des médecins. Nous comptons à cet égard sur votre engagement, Monsieur le ministre, car sans moyens, tous les efforts sont inutiles.

Pour autant, pouvions-nous aller plus loin ? Je ne le crois pas. Certes, ce texte ne règlera pas tout, mais il laisse la place à la conscience de chacun, et c'est heureux.

M. le Ministre - Oui.

Mme la Secrétaire d'Etat - En effet.

Mme Martine Aurillac - Accompagner la vie, ce n'est pas donner la mort, et ce n'est pas non plus le suicide assisté...

M. le Ministre - Tout à fait .

Mme Martine Aurillac - ...qui entraînerait la violation du serment d'Hippocrate.

M. le Ministre - Très bien.

Mme Martine Aurillac - Ce texte est équilibré. Nous le devons sans doute aux avancées que chacun d'entre nous a accepté de faire, mais également au talent et à la finesse de Jean Leonetti...

M. le Ministre - Assurément.

Mme Martine Aurillac - ...qui a su créer un climat de profonde tolérance, de fraternité et d'amitié pour parvenir à un texte qui sera, à mon sens, l'un des plus forts de cette législature. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Qu'il en soit remercié, tout comme les administrateurs, qui ont largement contribué au bon déroulement de nos travaux.

Montaigne écrivait : « Qui apprendrait les hommes à mourir leur apprendrait aussi à vivre. » Quelle noble mission que de réconcilier la société avec la mort ! Notre proposition est certes plus modeste, mais puisse-t-elle aider les malades, les familles et le corps médical à mieux traverser l'épreuve de la fin de vie. (Applaudissements sur tous les bancs)

M. le Ministre - Bravo !

M. Alain Gest - Notre débat compte en effet au nombre de ceux qui honoreront notre Assemblée au cours de cette législature, et tout d'abord en raison de la réactivité dont nous avons su faire preuve. Moins de 14 mois après le décès de Vincent Humbert, nous sommes en mesure de proposer une évolution significative de notre législation après que la mission d'information a éclairé notre réflexion. Je remercie M. le Premier ministre et M. le ministre de la santé qui a souhaité l'inscription de cette proposition de loi à notre ordre du jour.

Réactivité, mais aussi sérénité. Certains membres de la mission sont arrivés avec des idées très tranchées, soit en faveur du statu quo, soit en faveur de la légalisation de l'euthanasie. C'est l'honneur de tous d'avoir su écouter et évoluer, sans doute d'ailleurs grâce au tact et à la mesure de M. Leonetti.

Bien plus qu'un texte de compromis, la loi que nous nous apprêtons à voter est équilibrée car elle renforce les droits du malade tout en respectant les pratiques médicales. Certes, nous aurions pu nous contenter de suivre l'opinion dominante, qui semble favorable à la légalisation de l'euthanasie, mais nous avons le devoir d'évaluer au plus juste les conséquences multiples que pourrait entraîner l'évolution de notre législation. Revenir sur un élément structurant de notre société - l'interdit de tuer -, c'eût été prendre le contre-pied du fondement de la médecine et, surtout, le risque de voir l'euthanasie utilisée à d'autres fins que celles que nous connaissons.

Nous avons eu le souci de disposer d'un outil juridique permettant de répondre à la quasi-totalité des cas. J'ai le plus profond respect pour le professeur Debré, mais je lui conseille de relire le rapport de la commission spéciale qui explique pourquoi il fallait traduire dans la loi le code de déontologie médicale.

M. Pierre-Louis Fagniez - C'était en effet une nécessité.

M. Alain Gest - Malgré le respect que nous avons également pour la douleur de Mme Humbert, il me semble injuste de considérer que notre proposition de loi ne répond pas aux problèmes posés par des situations semblables à celle qu'elle et son fils ont traversée. Comme l'a rappelé M. Kouchner lors de son audition, le maintien de l'appareillage de ce jeune homme relevait de l'acharnement thérapeutique, or, l'article premier de la proposition relatif à l'« obstination déraisonnable » répond à cette question ; les articles 3 et 4, en outre, prennent en compte la volonté exprimée par le malade conscient, qui peut demander l'arrêt de l'alimentation entérale.

Les travaux de la mission ont mis en valeur l'importance des soins palliatifs, dont les moyens doivent être renforcés. Merci, Monsieur le ministre, de faire en sorte qu'aucune région ne soit laissée à l'écart, car si la situation actuelle est globalement mauvaise, mon département, par exemple, est particulièrement dépourvu de moyens.

Légiférer sur la fin de vie était difficile, mais nous avons fait, je crois, œuvre utile. Nous devrons maintenant faire preuve de pédagogie à l'endroit de l'opinion publique, et il est de notre responsabilité d'y contribuer grandement. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. Michel Piron - « Les deux pôles de toute culture sont le sexe et la mort » : ainsi André Malraux interpella-t-il un jour cet hémicycle, stupéfait. Cette considération sur le désir et la conscience de sa fin est-elle donc si éloignée des préoccupations de notre société contemporaine, dont l'approche de la mort est toujours plus médicalisée ?

« La mort n'est rien » selon l'exorcisme ancien, puisque quand elle est, je ne suis plus, et quand je suis, elle n'est pas. Il est ainsi particulièrement difficile de parler aujourd'hui d'une fin de vie qui sera toujours celle des autres.

Après 81 auditions, notre mission s'est décidée à modifier la loi, sous l'impulsion des malades, des soignants, des proches.

Si les soins palliatifs permettent de soulager la souffrance des malades, nous ne devons pas ignorer leur demande d'être accompagnés dans leur fin de vie. « Si je meurs, laissez la fenêtre ouverte », écrivait Lorca.

Ce qui nous a réunis durant huit mois, c'est la question universelle et si personnelle de la mort, à laquelle nous avons essayé de donner une réponse en droit. Pour reprendre les termes de Marguerite Yourcenar, accompagnant Zenon dans un texte admirable, c'est sans doute aussi loin qu'on peut aller. (Applaudissements sur tous les bancs) .

M. Alain Claeys - Je voterai sans hésitation cette proposition de loi qui fait honneur au Parlement, mais nous devons la vérité à nos concitoyens - Mme Boutin s'y est essayée - et leur dire que le débat n'est pas clos entre nous. Il devra cheminer et il importe d'y associer encore davantage nos concitoyens.

Le suicide assisté de Vincent Humbert a relancé nos interrogations sur l'euthanasie et le droit de mourir dans la dignité. Comment ne pas être bouleversé face à cet acte d'amour d'une mère qui a accompagné son enfant jusqu'au bout de son choix : celui de la mort plutôt qu'une vie qui, pour lui, n'avait plus de sens.

Comment ne pas saluer le courage d'une équipe médicale qui a pris ses responsabilités et les assument publiquement ?

Ce débat est particulièrement complexe en ce qu'il oppose deux principes fondamentaux : le respect de la vie, et celui de la liberté de l'homme. Il est interdit de donner la mort, mais au nom de la liberté, tout homme doit être assuré qu'il pourra vivre sa mort conformément à ses choix et à ses convictions.

Des avancées réelles ont eu lieu ces dernières années, notamment grâce à la loi de juin 1999 garantissant l'accès de tous aux soins palliatifs, et à la loi Kouchner du 4 mars 2002 sur les droits des malades. Mais il reste des situations où l'on peut s'interroger sur la décision à prendre face à des agonies interminables. Notre proposition de loi s'inscrit dans ce cadre, et je salue le travail réalisé par la commission spéciale et la mission parlementaire. Légiférer sera délicat, mais il revient bien au politique de traduire dans les lois les évolutions de la société. Nous ne pouvons pas laisser la justice se débattre dans le flou de textes juridiques obsolètes, ni abandonner les médecins à leurs cas de conscience.

La vocation des juges est de dire le droit, non de le modifier au fil du temps, par une jurisprudence répondant davantage à l'évolution de l'opinion publique qu'à l'esprit des lois. On ne saurait pas non plus se contenter d'une charte qui, réduite à la condamnation de l'acharnement thérapeutique, ne serait pas la traduction médicale du droit de mourir dans la dignité.

Ardent défenseur des soins palliatifs, je relaie les demandes de mes collègues pour que la loi de 1999 qui pose le principe du droit pour chacun à ces soins, devienne une réalité sur l'ensemble du territoire. Beaucoup reste à faire.

Bien sûr, il faut soulager au mieux les douleurs, tenter d'ôter le désir de la mort, mais on ne peut nier le droit légitime de mourir dans la dignité.

Cette proposition de loi est une étape importante. Elle renforce les droits du malade, en institutionnalisant le droit de refuser l'acharnement thérapeutique, et en validant une procédure collégiale de traitement du malade inconscient.

La commission spéciale a enrichi cette proposition. Je pense notamment à l'amendement à l'article 2 qui précise la notion de double effet, et à ceux de Paulette Guinchard-Kunstler qui étendent la pratique des soins palliatifs aux établissements médico-sociaux.

Après le vote de la loi, il faudra faire un travail d'évaluation, qui devra s'étendre aux autres pays qui ont légiféré. Je suis convaincu que cette expertise pourra être accomplie au sein de notre assemblée.

Le débat sur ces questions relatives à la vie et à la mort est difficile car il nous touche au plus profond de ce que nous sommes, avec notre éducation, nos croyances, notre culture. A-t-on le droit de décider de sa propre mort ? Curieuse question en définitive, car au nom de quoi devrait-on dénier cette ultime liberté à quiconque est en état de l'exercer ? Les croyances religieuses ou les principes philosophiques de certains les conduisent à considérer qu'ils n'ont pas le droit de disposer de leur vie. Je respecte cette conviction, mais c'est l'honneur du politique d'aborder lucidement et dans la transparence ces questions. Cette proposition de loi, que nous allons, je l'espère, voter à l'unanimité, ne constitue qu'une étape dans notre réflexion.

« La vie n'appartient pas aux politiques », a déclaré le Premier ministre. A l'évidence. Mais il appartient aux politiques de déterminer, sur des sujets aussi importants, le cadre et les frontières que notre société fixe. Après les lois sur la bioéthique, celle qui nous occupe aujourd'hui relève typiquement du travail que doit accomplir une démocratie représentative dans un pays comme le nôtre. Mais, Monsieur le ministre, nous savons très bien que sur de tels sujets, on ne peut figer les choses dans le marbre, et qu'un travail d'évaluation est nécessaire. Je souhaiterais donc qu'à votre initiative soit introduite, comme dans les lois de 1994 sur la bioéthique, une disposition selon laquelle, régulièrement ou à une date à fixer, l'Assemblée évaluera cette loi. (Applaudissements sur divers bancs)

M. Michel Herbillon - Traiter de l'accompagnement des malades en fin de vie, de la souffrance et de la mort n'est évidemment pas en soi chose aisée. C'est d'autant plus difficile dans nos sociétés modernes occidentales, où l'importance accordée aux valeurs matérialistes, mais aussi le culte exacerbé de la jeunesse et de la vitalité nous ont longtemps conduits à nier ou à refouler ces questions qui dérangent et font peur.

Mais l'allongement de la durée de la vie, la crainte de la dégradation physique et psychique, la médicalisation de notre société, l'aspiration légitime à être soulagé dans ses souffrances et accompagné dans sa mort, enfin la médiatisation de drames humains comme celui du jeune Vincent Humbert forcent à ouvrir les yeux sur ces problèmes - souvent d'ailleurs de façon plus émotionnelle que rationnelle.

C'est l'honneur du Parlement d'avoir souhaité réfléchir sur l'ensemble des problématiques liées à la fin de vie et d'avoir voulu légiférer pour clarifier les droits des malades. Je rends hommage au travail considérable mené par la mission d'information présidée par Jean Leonetti, qui a procédé à une impressionnante série d'auditions. Je veux aussi saluer l'esprit de consensus qui a prévalu tant au sein de cette mission d'information qu'au sein de la commission spéciale, où aucun tabou, aucun préjugé n'est venu affaiblir la réflexion.

Cette proposition de loi marque un réel progrès, avant tout, naturellement, pour les malades, qui se voient reconnaître de nouveaux droits, témoignant du souhait du législateur de leur assurer plus de dignité et plus de liberté au terme de leur existence.

Elle marque également une avancée en codifiant de bonnes pratiques concernant la décision d'interruption du traitement - principe de collégialité, transparence vis-à-vis du malade. La préoccupation de transparence est particulièrement explicite dans l'amendement du rapporteur sur « le double effet », c'est-à-dire l'administration de produits à des malades incurables pour apaiser leurs douleurs, même s'ils peuvent abréger leur existence. Il y a là également une garantie juridique pour le corps médical, qui connaît désormais le cadre légal de son action.

Enfin, elle marque la volonté de renforcer la prise en charge des malades en soins palliatifs, domaine dans lequel notre pays a beaucoup de retard. L'introduction de mesures qui concrétisent les obligations des établissements de santé va naturellement dans le bon sens, mais encore faut-il que des moyens soient dégagés pour recruter davantage d'infirmières, créer les lits palliatifs qui nous font tant défaut et mettre en place des équipes mobiles pour permettre à ceux qui le souhaitent de finir leurs jours à leur domicile.

Mes chers collègues, en refusant tant le statu quo qu'une démarche de dépénalisation de l'euthanasie, ce texte est marqué du sceau de la mesure, de l'équilibre et de la responsabilité. Il est et restera,quoi qu'il arrive, une évolution importante dans la manière dont notre société aborde la question fondamentale de la fin de vie, et mérite un soutien unanime de notre assemblée (Applaudissements sur de nombreux bancs UMP)

M. Patrick Delnatte - Cette proposition de loi est le résultat d'un travail de grande qualité mené par la mission parlementaire présidée avec talent par notre collègue Jean Leonetti. Elle a été cosignée par tous ses membres. Cette démarche fait honneur à notre assemblée.

La législation sur de grands problèmes de société évolue parfois à la suite des retentissements dans l'opinion publique d'événements largement médiatisés. Et comment ne pas être ému devant ces cas si tragiques, ces appels si douloureux ? Aujourd'hui, nous essayons d'apporter notre réponse. Peut-être subsistera t-il des situations non prévues dans cette loi, mais nos débats et travaux apporteront au moins un éclairage. Ce texte permet un véritable progrès en responsabilité pour la société, et en humanité pour les malades en fin de vie ou en survie artificielle.

Notre société avait besoin de clarifier certaines définitions : euthanasie, traitements à double effet, limitation ou arrêt des traitements, acharnement thérapeutique, soins palliatifs. Il ne sera plus possible de maintenir la confusion en parlant d' «euthanasie active» et d'« euthanasie passive» : seul «l'acte délibéré par lequel un tiers entraîne directement la mort d'une personne malade» est un acte d'euthanasie.

La mission parlementaire a eu raison de ne pas remettre en cause le principe de l'interdit de tuer en ne dépénalisant pas l'euthanasie. Notre société, dans la grande majorité de ses composantes, ne le demandait pas.

Prendre conscience que respecter la vie, c'est aussi accompagner la personne en fin de vie permet de rendre à la mort sa place dans notre société. La mort médicalisée, occultée, est perçue comme un échec et accentue les peurs et l'angoisse. La proposition de loi demande une mobilisation de la société pour accompagner la fin de vie, lutter contre la douleur et développer les soins palliatifs, bref humaniser la mort.

Confort et dignité du malade, voilà bien le progrès fondamental auquel nous invite ce texte. Si notre travail rend nos concitoyens plus sereins à l'approche de la mort, nous aurons fait œuvre utile.

Je terminerai par une citation de Denise Lallich : « Mourir dans la dignité, ce n'est pas mourir en bonne apparence, c'est mourir accompagné par la tendresse et la solidarité humaine » (Applaudissements sur tous les bancs)

Mme Henriette Martinez - Notre vie est faite de choix. Le regard que nous portons sur la mort qui nous attend fait partie de ces choix. On peut choisir de fermer les yeux sur cette réalité inéluctable. On peut choisir de croire que la belle mort est celle qui arrive brutalement, de manière inattendue, sans qu'on l'ait préparée. On peut vouloir vivre sa mort : c'est encore un autre choix, et c'est le mien, comme celui d'une très large majorité de nos concitoyens, qui refusent, après une vie de liberté et de responsabilité, que leur mort leur soit volée, confisquée.

La mort, dernière étape de notre vie, doit être l'expression de notre dernière liberté. Cette évidence a déterminé mon engagement, qui fut conforté par la rencontre d'hommes et de femmes d'exception : Henri Caillavet, qui a lancé voici trente ans au Sénat le combat pour le droit de mourir dans la dignité, et Marie, que je salue. Confrontée à l'inacceptable, elle a trouvé la force de dire non au simulacre de vie que la médecine et la loi imposaient à son fils. Vincent demandait à être délivré de ce corps devenu, selon les mots du Docteur Chaussoy, son cercueil.

Il y a eu Vincent, il y a eu Marie, et leur choix ultime, au-delà du bien et du mal. Quelque chose a changé dans notre conscience collective. Mais combien d'hommes et de femmes restent encore emprisonnés dans un corps et une vie qu'ils refusent ?

Je remercie le président Jean-Louis Debré d'avoir compris que la représentation nationale ne pouvait y rester sourde et confié à Jean Leonetti la présidence de cette mission, qui aboutit, trente ans jour pour jour après la loi Veil, à cette proposition de loi que j'ai cosignée.

Nous ne répondrons pas à toutes les souffrances. La loi Veil fut une révolution, et notre proposition n'a rien de révolutionnaire. Elle permettra pourtant, pour reprendre les mots du Docteur Cohen, de rassurer les médecins et de leur éviter des poursuites judiciaires. Mais le pas de la délivrance assistée n'est pas franchi comme il l'a été en Belgique, aux Pays-Bas ou en Suisse.

A la question « à qui appartient ma vie ? », je crains que notre proposition ne continue de répondre : « aux médecins ». Or nous sommes une majorité de Français à répondre : « ma vie n'appartient qu'à moi, et ma mort m'appartient.» Aussi avais-je déposé une proposition de loi pour l'aide à la délivrance volontaire en fin de vie, afin que notre mort soit choisie et non plus subie. Notre République laïque devra bien un jour surmonter les obstacles politiques, religieux ou médicaux qui empêchent la reconnaissance de ce droit. Comme pour l'avortement, il nous faudra sortir de l'hypocrisie de la mort clandestine, honteuse, violente ou à l'étranger de ceux qui veulent pourtant mourir libres et en paix avec eux-mêmes.

En Belgique, aux Pays-Bas ou en Suisse, la loi se contente de permettre ce choix qui relève de la conscience de chacun.

Simone Veil, à qui je rends hommage, disait ici le 26 novembre 1974 : « l'histoire nous montre que les grands débats qui ont divisé un moment la France apparaissent, avec le recul du temps, comme une étape nécessaire à la formation d'un nouveau consensus social. » J'en accepte l'augure. Malgré ses limites, notre proposition marque une étape dans le combat que je partage depuis des années avec mes amis de l'Association pour le droit de mourir dans la dignité. (Applaudissements sur plusieurs bancs)

M. Jack Lang - C'est la noblesse du Parlement que de se saisir des questions qui touchent au cœur même de notre existence. Grâce à Mme Morano et à M. Gorce, la mission d'information parlementaire présidée par M. Leonetti a su rompre avec ce tabou de la mort et surtout du droit individuel à disposer de sa vie.

Une première étape va être franchie aujourd'hui. Nous sommes au début de la conquête d'une grande liberté, celle de disposer de sa vie, mais aussi de sa mort. Cette étape, nous la devons notamment à Vincent Humbert, à Marie Humbert et au Docteur Frédéric Chaussoy. Sans le courage d'une mère et de son médecin, notre débat n'aurait sans doute pas eu lieu.

Il y a un an et quelques jours, Marie Humbert a aidé son fils Vincent, tombé dans le coma après un accident de voiture, à mourir. Son geste ayant échoué, le Docteur Chaussoy, chef du service de réanimation de Berck-sur-Mer, a administré à Vincent une injection mortelle, le libérant ainsi de la douleur.

Il faut que Marie Humbert, présente dans les tribunes et que je salue avec gratitude et affection, sache que son combat a permis de lever l'hypocrisie de pratiques médicales effectives mais non reconnues jusqu'à présent par le législateur. Sans elle, nous serions restés dans un intolérable non-dit.

Si le texte proposé comporte d'indéniables avancées, l'avènement d'une « loi Vincent Humbert » reste inéluctable. On peut craindre, en effet, que l'ambiguïté ne soit pas totalement levée, puisque les médecins qui oseront abréger les souffrances du malade seront toujours hors-la-loi. Le texte interdit explicitement aux médecins de pratiquer une «aide active à mourir» pour soulager les souffrances d'un patient agonisant - ce que le Docteur Chaussoy a fait pour Vincent Humbert. Malgré le soutien de l'Ordre des médecins et un rapport d'expertise favorable, il serait donc toujours considéré comme un assassin, alors que son seul crime est - pour reprendre ses mots - d'avoir dit tout haut ce que de nombreux médecins font tout bas.

Même si les équipes de soins palliatifs ont fait des progrès considérables dans la prise en charge de la souffrance, l'acharnement thérapeutique se heurte à des limites, notamment pour les personnes en phase avancée qui ne sont pas en fin de vie. Toute personne a le droit de refuser cet acharnement, comme l'a fait avec courage Vincent Humbert.

Des malades souhaitent hâter leur mort en fonction de leur propre décision, et non de celle d'un médecin. Vincent Humbert avait exprimé son désir de mourir jusqu'à l'écrire au Président de la République. Il faudra donc bien, à l'exemple des Pays-Bas, aborder clairement la question de la volonté du patient, qu'il soit en fin de vie ou dans une situation médicale grave et sans issue.

Il n'est pas tolérable de laisser un patient mourir par arrêt des traitements - y compris l'alimentation - et d'offrir ainsi à sa famille le spectacle de la dégradation et de l'incertitude du moment de la mort. Ecoutons à nouveau Marie Humbert : «je ne supporterai pas de voir mon fils mourir de faim et d'asphyxie pendant des jours ».

La proposition dite « loi Vincent Humbert » répond à ces préoccupations. L'exemple belge nous montre que les cas se limitent à quelques centaines par an. Cette proposition, que nous devons à Vincent et à sa mère, est aujourd'hui soutenue par 130 000 signataires et par des associations comme l'association « Faut qu'on s'active » animée par Vincent Lena.

Elle aiderait ceux qui veulent être libres du choix de leur mort, sans imposer ce choix à quiconque. Je terminerai par les mots de Marie Humbert : « ce que ne voulait pas Vincent, c'est partir tout doucement, sans s'en apercevoir. Il voulait partir le jour où il l'avait décidé ».

Je me réjouis que l'ensemble des partis politiques ait pris une initiative courageuse. Il est étrange que la société soit souvent, dans notre pays, en avance sur le législateur. Nous avons été les derniers à donner le droit de vote aux femmes, à donner le droit de vote aux jeunes dès 18 ans, à abolir la peine de mort, à donner aux femmes la liberté de disposer de leur corps.

Puisse ce texte préfigurer cette « loi Vincent Humbert » que j'appelle de mes vœux. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Mme Henriette Martinez - Très bien !

M. Pierre-Louis Fagniez - II y a un an, nous cherchions notre route, sous la conduite paisible et habile de Jean Leonetti. Nous interrogions qui voulait bien nous renseigner. Tous, nous avions nos préférences. Mais très vite, nous avons décidé de rester ensemble, quitte à tracer notre propre chemin. C'est ainsi que nous avons ouvert une voie nouvelle entre le statu quo et la dépénalisation de l'euthanasie.

Nous proposons aujourd'hui « une loi unique au monde », selon l'expression d'un fin connaisseur, le Professeur François Lemaire, dont je salue la présence.

Ce texte marque une avancée considérable. Il protège la dignité des mourants, garantit les droits des malades et conforte les médecins dans leur bonne pratique. Il rappelle avec force aussi bien le droit à la vie que le droit d'arrêter un traitement devenu sans objet. Il opte clairement pour « le laisser mourir » et non « le faire mourir ». Il souligne enfin que les médecins traitent des maladies et soignent des malades. Lorsqu'une maladie est au delà de toute ressource thérapeutique, le malade requiert donc des soins particuliers : la culture des soins palliatifs s'impose désormais.

Le texte aborde deux situations distinctes : la fin de vie et le refus de traitement exprimé par des malades qui ne sont pas nécessairement en fin de vie.

Les termes ont été choisis pour répondre, au cas par cas, à la demande des malades et de leurs proches et aux obligations éthiques des médecins.

C'est le sens de la modification du code de santé publique proposé par l'article L. 1111-10 : « lorsqu'une personne en phase avancée ou terminale d'une affection grave et incurable, quelle qu'en soit la cause, décide de limiter ou d'arrêter tout traitement, le médecin respecte sa volonté après l'avoir informée des conséquences de son choix. La décision du malade est inscrite dans son dossier médical ». Ainsi, le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure la qualité de vie en dispensant des soins palliatifs.

Plus loin, une disposition identique est prévue lorsqu'une personne est hors d'état d'exprimer sa volonté. Cela conduit à distinguer quatre situations principales.

Première d'entre elles, le malade est en phase terminale et il est conscient. Il s'agit , en pratique, d'une personne qui ne quittera plus son lit et qui, si elle est à l'hôpital, y restera jusqu'à la fin. La maladie ne peut plus être traitée, mais le patient doit recevoir tous les soins de confort nécessaires, en tenant compte de risques prévisibles inhérents à son affection.

Deuxième situation, le malade est en phase terminale et inconscient. C'est le cas typique du patient hospitalisé en service de réanimation, pour qui les tentatives sophistiquées de maintenir les fonctions vitales ont été vaines. Les conditions d'arrêt ou de limitation des soins actifs sont bien définies et encadrées par la proposition de loi.

Troisième cas de figure, le malade est en phase avancée d'une maladie grave et incurable. C'est le cas très délicat de patients atteints d'une maladie du système nerveux - telle que la sclérose en plaque. Ces maladies invalidantes évoluent sur de longues années, et, alors que l'issue prévisible est éloignée, le malade n'en pouvant plus peut demander l'arrêt de tout traitement, au risque de mettre ainsi sa vie en danger. Le dispositif législatif prévu a trouvé un bon équilibre entre le respect de la demande et la protection de la vie du malade. J'insiste sur le fait qu'il est fondamental que la décision soit révocable, afin d'autoriser tout changement d'avis du malade. Cela doit être très clairement annoncé et assumé par les médecins. Pour avoir vécu nombre de situations concrètes y afférent, j'affirme que le droit au remords est parfaitement respectable, autant qu'incompatible avec l'euthanasie. C'est de mon point de vue une précaution éthique indispensable et qui est à l'honneur de ce texte.

Dernière situation, le malade en phase avancée est inconscient. Nous sommes alors confrontés au problème insoluble des états végétatifs permanents, lesquels donnent lieu à des contentieux qu'aucune loi ne saurait définitivement régler. J'y reviendrai dans la discussion des articles, en rappelant que ces cas sont à l'origine de la quasi totalité des décisions de justice, tant au Royaume Uni qu'aux Etats-Unis.

Ces différentes situations posent logiquement des problèmes très différents. Toutes exigent cependant que les décisions prises pour les traiter soient collégiales, et fassent l'objet d'une étroite concertation, avec le patient lui-même ou avec ses proches.

En imposant à tous les médecins de se préparer à accompagner la fin de vie de leurs malades dans la dignité, cette proposition de loi répond de façon équilibrée et durable au vœu de la société française. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu cet après-midi à 15 heures.

La séance est levée à 13 heures 20.

            Le Directeur du service
            des comptes rendus analytiques,

            François GEORGE

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne deux heures après la fin de séance.

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

www.assemblee-nationale.fr


© Assemblée nationale