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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2004-2005 - 75ème jour de séance, 184ème séance

1ère SÉANCE DU MERCREDI 23 MARS 2005

PRÉSIDENCE de M. François BAROIN

vice-président

Sommaire

      OUVERTURE À LA CONCURRENCE
      DES SERVICES PUBLICS 2

      EXPLICATIONS DE VOTE 12

La séance est ouverte à neuf heures trente.

OUVERTURE À LA CONCURRENCE DES SERVICES PUBLICS

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion de la proposition de résolution de M. Daniel Paul et plusieurs de ses collègues tendant à la création d'une commission d'enquête sur l'ouverture à la concurrence des services publics dans les secteurs de l'énergie, des postes et télécommunications et des transports ferroviaires.

M. le Président - La semaine dernière, nous avions entendu M. Daniel Paul, rapporteur de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire. Nous en venons à la discussion générale.

Mme Janine Jambu - Aux termes de l'article III-148 du projet de traité constitutionnel européen, « les Etats membres s'efforcent de procéder à la libéralisation des services au-delà de la mesure qui est obligatoire. La Commission adresse aux Etats membres des recommandations à cet effet ».

Il faudrait donc aller plus vite, plus loin, plus fort dans la déréglementation des services dont la définition extensive fait craindre que la santé, la culture, le logement et l'éducation seront bientôt après l'énergie, le transport et les télécommunications, ouverts à la concurrence.

Pour ne pas laisser notre pays s'engouffrer dans cette course folle en avant, nous proposons de mettre à la disposition des citoyens, appelés à se prononcer le 29 mai prochain, le bilan d'une libéralisation entamée à coups de directives depuis quinze ans qui a mis à mal ces biens collectifs, constitués après la deuxième guerre mondiale, dont le rôle économique et social est central.

Les rédacteurs du projet de traité constitutionnel européen, ignorant la notion de service public, lui substituent celle de service d'intérêt économique général plus restrictive : aux termes des articles 166 et 167, ces services sont soumis à la concurrence et ne peuvent bénéficier des aides publiques.

Pourquoi ne pas retenir plutôt la définition des services publics à la française fondés sur les principes d'égalité d'accès et de traitement, la continuité du service et la péréquation tarifaire ? Pourquoi ne pas construire ensemble une Europe qui tire vers le haut les plus défavorisés et encourage le développement des services publics ? Les manifestants de Guéret le 5 mars, de Paris et des grandes villes de France le 10 mars et de Bruxelles le samedi 19 mars veulent justement substituer à cette logique libérale sauvage une logique sociale.

Les dégâts de la libéralisation, celle dont la commission ne veut pas faire le bilan, sont déjà sensibles dans la vie quotidienne des gens, dans la vie économique et sociale de notre pays. A cet égard, l'exemple de France Télécom est éloquent : cette entreprise, la première soumise à la déréglementation, officie dans le secteur des communications au carrefour de multiples enjeux de société. L'ouverture à la concurrence a eu pour conséquence la fin du monopole public et de la péréquation tarifaire, la privatisation de l'établissement et la modification des statuts des personnels.

La séparation dès 1990 de la Poste et de France Télécom a entraîné la fragmentation des réseaux en activités rentables, sur lesquelles prospèrent les prestataires de tout poil, et en activités déficitaires. L'ouverture progressive du capital a rapporté à l'Etat plus de 14 milliards d'euros de dividendes, redistribués aux actionnaires sous l'impulsion de l'actuel ministre des finances.

Pour réaliser la privatisation de l'entreprise, le Gouvernement est passé outre les principes fondateurs de notre République. La loi du 31 décembre 2003 prévoyant l'inscription de France Télécom sur la liste des entreprises privatisables, son décret d'application du 3 mai 2004 ainsi que l'arrêté du 3 septembre 2004 fixant les conditions de vente des actions détenues par l'Etat sont contraires au neuvième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 selon lequel « tout bien, toute entreprise, dont l'entreprise a ou acquiert les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité ».

Cette disposition, en contradiction avec le projet de traité constitutionnel européen, est toujours effective. En 1996 et en 2004 à propos d'EDF-GDF, le Conseil constitutionnel a reconnu que le Gouvernement devait s'y conformer.

La logique étroite de la rentabilité boursière se soucie peu de progrès social et d'intérêt général. Aujourd'hui, l'opérateur historique se contente de fournir un minimum de services aux usagers. L'égalité d'accès au téléphone mobile et à l'Internet haut débit sur l'ensemble du territoire n'est pas assurée. La libre concurrence n'a pas permis de résorber la fracture numérique.

Consommateurs et personnels sont victimes de cette stratégie. L'abonnement téléphonique a augmenté de plus de 85% entre 1996 et 2002, les communications locales sont taxées à la durée, renseignement téléphonique et dépannage en cas de dérangement sont désormais payants. Les collectivités sont encouragées à suppléer les opérateurs, les tarifs deviennent de plus en plus opaques et complexes.

France Télécom prévoit de supprimer 8 000 emplois en 2005, dont 5 500 en France, tout en annonçant la création de 1 800 emplois à temps partiel sur des contrats de 9 à 12 heures. C'est un véritable dumping social interne qui vise à peser sur les salariés en CDI ou à statut public.

Ce bref tour d'horizon justifie à lui seul notre proposition.

C'est avec l'ensemble des intéressés que l'on doit dresser le bilan et formuler des propositions pour un aménagement cohérent du territoire.

La même démonstration peut être faite pour la Poste, dont les secteurs les plus rentables ont été livrés au privé. 6 000 fermetures de bureaux sont annoncées, le prix du timbre augmente, tout comme la précarisation des personnels. Les usagers souffrent au quotidien de la dégradation du service et de l'insuffisance de la présence postale dans les quartiers populaires. Devrons-nous d'ici peu subir le sort de la Suède ou de l'Allemagne, où tant d'emplois ont été supprimés et tant de bureaux fermés ?

Et que dire de la libéralisation du marché de l'énergie ! L'Etat actionnaire majoritaire se comporte comme le président du conseil d'administration d'une multinationale américaine, au préjudice des usagers, des salariés et des collectivités ! Selon une étude récente de l'Observatoire international des coûts énergétiques réalisée dans 14 pays, la libéralisation du secteur électrique a provoqué une hausse des prix - 0,9% au Canada, et 33% en Finlande - sans parler de la multiplication des coupures de courant. Les dysfonctionnements sont tels que le processus de libéralisation est remis en question.

Au-delà se posent les questions de l'indépendance énergétique, de la sécurité nucléaire et du respect de nos engagements environnementaux.

Je conclurai avec le problème du transport ferroviaire, en vous renvoyant au film « Navigators », qui retrace le dépeçage du réseau ferroviaire britannique, avec toutes ses conséquences. Nous ne voulons pas de cela pour notre pays !

Transports fluvial, maritime, routier, aérien : les exemples des dégâts d'une libéralisation effrénée sont encore nombreux ! Et la directive Bolkestein d'en préconiser l'accélération ! Avec le principe du pays d'origine, elle allie le dumping social à la déréglementation des services. En France, où le logement social est largement réglementé, tant en matière de financements, de gestion que de conditions d'accès, l'Union sociale pour l'habitat a demandé d'être exclue du champ d'application de cette directive. Cela mérite attention !

Quant à la Confédération européenne des syndicats, elle dénonce les risques qui pèsent sur les conventions collectives de travail, les normes professionnelles, le code du travail.

Pour toutes ces raisons, nous vous proposons d'adopter cette proposition. (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

M. Alfred Trassy-Paillogues - Après l'ouverture à la concurrence des secteurs de l'énergie, des postes et télécommunications, et des transports ferroviaires, nous sommes, à l'UMP, tout autant attachés que Daniel Paul à la qualité des services publics, ou plutôt du service au public. (« Nuance ! » sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

Un suivi permanent doit être assuré dans ces domaines, pour prévenir toute entrave au développement de nos opérateurs et garantir des prestations de qualité. Mais de nombreux outils tant européens que nationaux existent déjà, qu'une commission d'enquête ne ferait que « doublonner » (Protestations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).

Le suivi de l'application des directives est d'abord assuré par la Commission européenne. La directive « service universel » prévoit ainsi une procédure de révision tous les trois ans des obligations de service universel des communications électroniques, tandis que la directive postale impose à la Commission de transmettre au Parlement européen et au Conseil, avant le 31 décembre 2006, une étude d'évaluation de l'impact sur le service universel de l'achèvement du marché intérieur en 2009, afin de les éclairer sur les suites du processus de libéralisation.

S'agissant du transport ferroviaire, le Conseil européen des 15 et 16 mars 2002 a commandé à la Commission un bilan sur l'application des premières mesures, et il en va de même pour la création du marché intérieur du gaz naturel, et pour celui de l'électricité.

La France n'est pas en reste, et des rapports doivent être remis, au Gouvernement ou par le Gouvernement, dans le secteur des télécommunications, le secteur postal...

M. Jacques Brunhes - Et les parlementaires ?

M. Alfred Trassy-Paillogues - ...le secteur de l'électricité, le secteur du gaz, le secteur ferroviaire.

M. Jacques Brunhes - Et les parlementaires ?

M. Alfred Trassy-Paillogues - Ainsi, l'investigation souhaitée par M. Paul consiste-t-elle en une collecte d'informations de nature économique, publiquement disponibles, qu'il faut sans doute mettre en perspective, mais qui ne justifie nullement la création d'une commission d'enquête.

M. Jacques Brunhes - Et le rôle du Parlement ?

M. Patrick Devedjian, ministre délégué à l'industrie - Mais c'est une manifestation ou un débat ?

M. André Chassaigne - Vous voulez une manifestation ?

M. le Ministre délégué - Si c'est le cas, le Gouvernement n'a aucune raison d'être là !

M. Alfred Trassy-Paillogues - Par ailleurs, une analyse des suites de cette ouverture à la concurrence n'est pas inutile. Ainsi, dans le secteur des télécommunications, France Télécom était, à l'été 2002, l'entreprise la plus endettée du monde.

M. François Brottes - Deutsch Telekom l'était davantage !

M. Alfred Trassy-Paillogues - Le gouvernement socialiste a négocié et approuvé les directives européennes du « paquet télécom », que nous n'avons fait que transposer en droit national. Alors que la France était en queue de peloton en 2002 en Europe pour l'accès à Internet haut débit, elle est aujourd'hui parmi les premiers pays, avec les tarifs les plus bas d'Europe et les débits offerts les plus élevés. En trois ans, France Télécom a été rétablie. Bien entendu, le Gouvernement y a été pour quelque chose, avec 9 milliards de recapitalisation fin 2002, la mise en place d'un plan de redressement, et aujourd'hui une refonte de la grille tarifaire, sans aucun impact pour le consommateur, la hausse de l'abonnement - qui reste très inférieur à la moyenne européenne - étant compensée par la baisse du tarif des communications. Ainsi, le tarif des appels des postes fixes vers les mobiles diminuera de 36% en deux ans. Cette nouvelle grille tarifaire prévoit également une baisse, dès le 1er juin 2005, des tarifs de gros payés par les opérateurs alternatifs à France Télécom ainsi que la revente de l'abonnement : autant d'initiatives qui permettront de développer la concurrence, seule garantie durable de la baisse des prix et de la diversification des services pour le consommateur. M. Devedjian, ministre de l'industrie, vient en outre d'homologuer une nouvelle baisse des tarifs de gros de l'accès à Internet haut débit qui contribuera à en accélérer le déploiement, lequel doit être comparé à l'échec cuisant du plan câble de 1982, archétype même de la planification administrative centralisée.

M. François Brottes - Vous devriez dépoussiérer un peu une argumentation qui date du siècle dernier.

M. Alfred Trassy-Paillogues - Dans le secteur postal, l'opérateur historique ne sera pas pénalisé par l'ouverture à la concurrence car l'activité postale se subdivise en plusieurs métiers : la gestion de flux de milliards d'envois non critiques, qui nécessite une grosse infrastructure optimisée pour rendre le meilleur service possible ; les métiers de transport point à point dans des conditions particulières où la performance est l'essence même de la prestation. De surcroît, cette diversification ne devrait pas être disproportionnée car elle est déjà effective pour partie grâce au développement de l'«express», secteur ouvert à la concurrence internationale depuis 1999 où la Poste est brillamment présente à travers sa filiale GeoPost, troisième opérateur européen.

M. François Brottes - Qui est-ce, GeoPost ?

M. Alfred Trassy-Paillogues - Rien n'interdira à la Poste de développer par l'intermédiaire d'autres filiales son offre de service point à point sur les segments nouvellement ouverts à la concurrence. Enfin, l'aménagement du territoire n'a pas été oublié grâce au projet sur la régulation postale qui définit « la maille de proximité » de la Poste. Qualité du service, modération des prix mais également dimension sociale avec l'article L. l du code des postes et communications électroniques, qui dispose que « le service universel postal concourt à la cohésion sociale et au développement équilibré du territoire. Il est assuré dans le respect des principes d'égalité, de continuité et d'adaptabilité en recherchant la meilleure efficacité économique et sociale. Il garantit à tous les usagers de manière permanente et sur l'ensemble du territoire national des services postaux répondant à des normes de qualité déterminée. Ces services sont offerts à des prix abordables pour tous les utilisateurs ».

Dans le domaine de l'énergie, tarif social pour les faibles revenus, maintien de l'énergie pour les personnes en situation de précarité, péréquation tarifaire, soutien aux énergies renouvelables et aux techniques performantes sont de rigueur ; quant à l'organisation des marchés, la programmation pluriannuelle des investissements, les activités de réseaux régulées par la CRE, le transport de l'électricité sous contrôle de l'Etat, la mutualisation au sein du système électrique témoignent que tout ne va pas aussi mal que le prétend notre collègue. En effet, EDF, qui était en fort mauvaise santé lorsque nous sommes arrivés au gouvernement après que la majorité socialiste eut négocié et approuvé les directives européennes programmant la libéralisation complète du marché de l'énergie...

M. Christian Bataille - Vous avez tué le malade !

M. François Brottes - Vous êtes spécialisés dans les soins palliatifs !

M. Alfred Trassy-Paillogues - ...est, grâce à la loi du 9 août 2004, en voie de guérison et tout à fait à même, en synergie avec Gaz de France, de continuer d'offrir de manière pérenne les prestations de service public attendues par les Français.

L'ouverture à la concurrence, pour bénéfique qu'elle soit, doit être suivie, analysée, surveillée. Les outils de contrôle existent et suffisent à condition d'être bien utilisés et coordonnés.

Attaché à l'aménagement du territoire et à un service au public de qualité, le groupe UMP ne juge pas nécessaire la constitution d'une commission d'enquête et ne votera donc pas cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Christian Bataille - La directive Bolkestein est au coeur de l'actualité. On peut à ce propos se féliciter que le Conseil des ministres européen ait fait reculer la Commission et saluer l'action du gouvernement français.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire - Bravo ! (Sourires)

M. Jean Dionis du Séjour - Très bien ! (Sourires)

M. Christian Bataille - La suite sera moins élogieuse. En effet, le Gouvernement se sert de l'Europe comme d'un paravent pour masquer sa volonté de privatiser tous azimuts. Depuis 2002, celui-ci a non seulement choisi de soumettre les services publics à la concurrence - avec les incidences que l'on sait sur le coût et la qualité du service - mais aussi, sans obligation communautaire, de modifier la nature juridique des services à seule fin de les privatiser. Que la majorité assume donc ses turpitudes et cesse d'arguer des textes européens ! Il est vrai que le Gouvernement revendique en revanche, sans trop se référer aux exigences de Bruxelles, la privatisation prochaine d'EDF-GDF.

M. le Ministre délégué - L'ouverture de leur capital.

M. Christian Bataille - Laquelle débouchera inéluctablement sur une privatisation.

Le bilan du Gouvernement est en la matière éloquent avec les lois du 31 décembre 2003 et du 9 juillet 2004 concernant les télécommunications ainsi que les lois du 3 janvier 2003 et du 9 août 2004 relatives au secteur énergétique, promulguées en outre dans un contexte mondial dangereux du fait des variations erratiques du prix du pétrole. Pourquoi faire prendre à notre pays des risques considérables et remettre en cause les équilibres mis en place depuis 1946 et soutenus depuis par tous les gouvernements successifs ?

Le secteur postal a fait l'objet de deux directives organisant l'ouverture par étapes du marché à la concurrence - la France ayant d'ailleurs tardé à les transposer, elle est déférée devant la cour de justice des communautés européennes. Un projet de transposition est en cours de discussion mais cela ne vous empêche pas d'organiser d'ores et déjà le démantèlement du service postal : élu d'une zone rurale, je peux témoigner des dégâts qu'il provoque.

Le groupe socialiste s'est également opposé aux deux derniers paquets ferroviaires en dénonçant la vision libérale qui les a inspirés. Les expériences de libéralisation, notamment en Grande-Bretagne, ne sont en rien concluantes, et il est regrettable que la délégation à l'Union européenne ait proposé d'étendre ce processus.

Je rappelle les propos de Mario Monti, commissaire européen chargé de la concurrence, lors de son audition par la commission d'enquête sur les entreprises publiques du 10 juin 2003 : « L'article 295 du traité C.E. précise clairement que le traité ne préjuge en rien du régime de la propriété des entreprises dans les Etats membres. Il n'appartient donc pas à la Commission de demander la privatisation des entreprises ou, inversement, leur nationalisation.

La décision de privatiser une entreprise relève de la seule responsabilité des Etats membres. Au-delà de l'aspect strictement juridique, notre approche est également fondée sur le fait qu'en qualité d'autorité en charge de la concurrence, nous ne voyons aucune raison économique de privilégier ou de discriminer une catégorie d'entreprises. Les Etats peuvent donc intervenir sur le marché en qualité d'actionnaires d'entreprises publiques. La limite que nous imposons est que ces entreprises publiques ne doivent pas bénéficier de privilèges du fait de leur actionnariat public ». M. Monti nous rappelle là que la France privatise ses entreprises publiques non parce que l'Europe le demande, mais parce que c'est le choix du gouvernement Raffarin - qui devrait assumer sa politique devant l'opinion.

Notre pays a su mettre en place de grands services publics de réseau, par exemple dans le domaine de l'énergie, respectant les grands principes de continuité, d'égalité et d'adaptabilité. Les services rendus sont d'une qualité incontestée. Pourquoi, alors, démanteler ce qui marche ? On peut être sûr que les entreprises privées qui vont se substituer aux entreprises publiques feront moins bien : nous vous donnons rendez-vous dans quelques années !

La décision communautaire d'ouvrir ces services à la concurrence a été justifiée par l'idée que leurs prix baisseraient ; or, c'est l'inverse qui s'est produit. De plus, les préoccupations d'aménagement du territoire sont moins prégnantes, l'investissement en recherche et en nouvelles technologies baisse, l'investissement dans les réseaux est devenu insuffisant, comme la récente pénurie d'électricité en Corse en a témoigné. L'ouverture à la concurrence provoque une détérioration de la qualité du service, une hausse des prix et un risque non négligeable, à terme, de constitution de monopoles privés.

La précédente majorité avait veillé à ce que les missions de service public des opérateurs demeurent garanties. Je puis en témoigner, ayant été rapporteur de la loi du 10 février 2000 relative à la modernisation du service public de l'électricité, qui a précisé ces missions : développement équilibré des capacités de production, développement et exploitation des réseaux publics de transport et de distribution et fourniture d'électricité. Cette loi maintient le principe de péréquation géographique des tarifs. L'introduction d'une programmation pluriannuelle des investissements garantit une réelle maîtrise de notre politique de l'énergie. Les opérateurs souhaitant produire de l'électricité doivent obtenir une autorisation du ministre chargé de l'énergie ; lorsqu'une divergence est constatée entre les objectifs de la programmation pluriannuelle et les intentions des investisseurs, une procédure d'appel d'offres peut être lancée. Afin de favoriser le développement de certaines techniques de production, EDF demeure soumis, sous certaines conditions, à une obligation d'achat. Par ailleurs, EDF est désigné comme le gestionnaire unique du réseau public de transport de l'électricité. L'organisation de la distribution d'électricité demeure de la compétence des collectivités territoriales et de leurs groupements. Pour assurer une concurrence loyale, la loi impose aux entreprises d'électricité verticalement intégrées de dissocier dans leur comptabilité les activités de production, de transport et de distribution. Enfin, pour ne pas pénaliser l'opérateur historique, elle aménage le principe de spécialité : une distinction est faite entre les offres qu'EDF peut présenter aux clients dits éligibles et celles destinées aux consommateurs non éligibles.

La loi de 2000 a ainsi opéré une transposition a minima, qui correspondait aux intérêts de la France et qui la rendait inattaquable. En outre, le gouvernement Jospin avait fait le nécessaire pour atteindre les objectifs fixés en matière de développement des énergies renouvelables.

Bref, nous avions honoré la signature de la France, mais tout en préservant le caractère public de nos entreprises. Accepter l'ouverture à la concurrence, ce n'était en aucune manière accepter la privatisation. De même, il ne faut pas dire que le projet de Constitution européenne règle définitivement le cas des services publics français : c'est réduire la responsabilité politique de la majorité actuelle dans le démantèlement du service public.

Pour conclure, nous pensons qu'une commission d'enquête serait très utile. Ses travaux nourriraient la réflexion sur une directive cadre relative aux services d'intérêt économique général. Rappelons que l'élaboration d'une loi européenne sur les services publics était l'une des exigences posées par le parti socialiste en octobre 2003, lors du débat sur le projet de Constitution européenne. Le traité actuellement soumis au débat populaire respecte cette exigence.

C'est une noble ambition de vouloir rendre du lustre à l'idée de service public. Défendons-la ensemble ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. Jean Dionis du Séjour - L'UDF va vous surprendre... Nous pensons que l'idée d'un suivi de l'ouverture à la concurrence des services publics est bonne (« Ah ! » sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains), même si la proposition de résolution du groupe communiste relève plutôt du procès d'intention et de l'idéologie (Exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).

Contrairement aux communistes, l'UDF - qui a toujours « une Europe d'avance » - est favorable à l'ouverture à la concurrence, dans le cadre de la constitution du marché unique européen et des règles fixées par l'Union européenne. Nous avons soutenu sans états d'âme cette démarche dans le secteur des télécommunications et de la Poste, dans celui de l'énergie et dans celui des transports ferroviaires, considérant qu'elle est bénéfique aussi bien pour les entreprises que pour les consommateurs.

M. Gilbert Biessy - On va le voir avec le prix de l'électricité !

M. Jean Dionis du Séjour - Le modèle européen que nous défendons se construit, dans le secteur des activités de réseaux sur la sortie du monopole historique, la définition du service universel et la mise en place, à titre transitoire, d'un régulateur national indépendant.

La fin du monopole des opérateurs historiques est un préalable nécessaire. Elle est bénéfique non seulement pour les entreprises, mais aussi pour les consommateurs qui en étaient captifs (Exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains). Concernant les entreprises publiques, le rapport d'enquête réalisé en début de législature par mon collègue du Lot-et-Garonne Michel Diefenbacher a bien montré les méfaits de la consanguinité entre l'Etat régulateur et l'Etat actionnaire dans les secteurs très concurrentiels. EDF, entreprise publique, a commis des erreurs stratégiques très lourdes dans des pays étrangers, que la tutelle de l'Etat n'a pu empêcher ; sans parler du Crédit Lyonnais ou de France Télécom.

M. Jacques Desallangre - On était déjà dans la logique libérale !

M. Jean Dionis du Séjour - A l'évidence, la généralisation du statut de société anonyme à toutes les entreprises publiques est une condition de leur modernisation et de leur compétitivité. A terme, l'objectif d'une politique sociale de marché est d'opérer un recentrage de l'Etat sur ses missions régaliennes et de renforcer la concurrence et l'ouverture aux investisseurs privés dans les autres domaines, où les obligations de service public peuvent faire l'objet d'une rémunération et d'une régulation des opérateurs privés (Exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste).

M. Jean Dionis du Séjour - La fin du monopole est également bénéfique pour les consommateurs. Quels sont les Français qui aujourd'hui souhaiteraient revenir à la situation de monopole dans les télécommunications ?

M. Jacques Desallangre - Plus que vous ne pensez !

M. Jean Dionis du Séjour - Regardez les portables qui sont dans vos poches !

Non seulement les évolutions de tarifs - réduction de moitié pour les communications téléphoniques, de 41% pour les transports aériens - ont été favorables aux consommateurs, mais ceux-ci demandent plus de liberté, comme en témoigne leur réaction face aux récentes propositions de France Télécom sur le prix de l'abonnement.

Quant au service universel, qui protège le consommateur, il offre des garanties équivalentes à nos services publics. Et quel est l'écart entre les deux ? (Exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains) Nous en avons débattu lors du changement de statut d'EDF-GDF, et le fait que l'on n'ait pas transposé les dispositions européennes en ce qui concerne le service universel de l'électricité inquiète vivement les PME. La directive définit bien le service universel comme le droit d'être approvisionné, sur l'ensemble du territoire national, en électricité d'une qualité bien définie, à des prix raisonnables, comparables et transparents.

A l'UDF, nous pensons que les missions de service public peuvent ne pas être confiées exclusivement à des entreprises publiques, mais à des entreprises privées, avec un cahier des charges rigoureux.

M. Jacques Desallangre - On a vu le résultat !

M. Jean Dionis du Séjour - En outre, les directives européennes qui ouvrent les marchés de réseau à la concurrence ne nous empêchent nullement d'établir des règles supérieures, et nous l'avons fait pour financer les missions d'aménagement du territoire de la Poste (Exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains), en particulier pour aider les zones urbaines sensibles et les zones de revitalisation rurale.

M. François Brottes - Avec 10% d'exclus dans les territoires ruraux !

M. Jean Dionis du Séjour - De même, la libéralisation du transport ferroviaire, en particulier du ferroutage, est la seule garantie de son développement. Mais le ferroutage n'est pas seulement l'affaire de l'Etat, comme l'ont bien compris les écologistes allemands.

Enfin, dans ce modèle européen, c'est l'instauration d'un régulateur national qui garantira l'accès équitable des prestataires aux réseaux. C'est dans ce domaine que la France doit le plus progresser. Nous l'avons déjà fait pour les télécommunications avec la nouvelle autorité de régulation, l'ARCEP. Je ferai des propositions pour renforcer ceux de la commission de régulation de l'énergie lors de la discussion du projet de loi d'orientation. Dans le secteur ferroviaire, nous ne disposons pas encore d'un véritable régulateur indépendant de la SNCF. Ces autorités doivent être réellement indépendantes, y compris sur le plan financier ; or ce sont les ministères concernés qui décident de leur budget de fonctionnement. Il faudra y réfléchir.

Pour le groupe UDF, évaluer l'ouverture à la concurrence des monopoles français n'est pas un sujet tabou. Au contraire, depuis 2002 nous plaidons pour la transparence. Mais créer une commission d'enquête est disproportionné. (« Ah ! » sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains) Elle se justifiait pour Air liberté, ce qui a permis au président Ollier et à M. de Courson de révéler les errances d'un certain type d'action publique. Dans le domaine qui nous concerne aujourd'hui, ce serait inopportun. En revanche, nous demandons au président Ollier de bien vouloir constituer une mission d'information.

Le groupe UDF ne partage pas la doctrine des communistes sur le marché et la concurrence, mais comprend le besoin d'une information fiable sur différents indices liés à la vie quotidienne. Nous proposerons d'ailleurs dans les prochains jours une réflexion sur la qualité de la statistique publique.

Dans l'immédiat, préférant une mission d'information, nous ne voterons pas pour la création d'une commission d'enquête. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP)

Mme Muguette Jacquaint - C'est la transparence opaque !

M. François Brottes - D'abord, nous apprécions la présence du ministre..

M. le Ministre délégué - J'en suis sûr !

M. François Brottes - ...d'autant qu'elle est de qualité. Sur les services publics, elle s'imposait.

L'ouverture des marchés est en cours, Monsieur Dionis du Séjour l'a rappelé avec un certain sens de la provocation. Quant à Monsieur Trassy-Paillogues, il nous a dit en quelque sorte « circulez, il n'y a rien à voir ». Ce n'est pas sérieux.

La concurrence est là, en effet. Mais le débat est nécessaire sur l'avenir des entreprises publiques et de leurs salariés, des délégations de service public, des tarifs. De plus, nous devons préparer ensemble la directive cadre sur le service d'intérêt général que nous appelons tous de nos vœux. Or il n'y a jamais eu d'étude d'impact, pays par pays, sur les conséquences de la concurrence pour les territoires, pour les catégories les plus fragiles et pour l'emploi. Pour mener une réflexion dans de bonnes conditions, nous sommes favorables à la création d'une commission d'enquête.

Le contexte européen est complexe. Tout le monde se dit attaché au service public. Mais certains pays, dont le marché est restreint, souhaitent voir leurs opérateurs se développer à l'extérieur ; d'autres ont pu être agacés par l'offensive de nos entreprises publiques qui voulaient bien que le marché s'ouvre ailleurs, mais pas chez nous. Pour autant, contrairement à ce que disait Monsieur Dionis du Séjour de façon presque insultante,...

M. Jean Dionis du Séjour - Pas du tout !

M. François Brottes - ...nos entreprises publiques ont été des forces d'innovation considérables et ont servi d'exemple au monde entier. Il n'est pas acceptable de tenir des propos aussi légers à leur égard. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) Faut-il maintenir un monopole résiduel ou un secteur réservé ? La question mérite qu'on y réfléchisse. En Europe, certains, comme les Britanniques, ne veulent aucune réglementation du service public ; Allemands, Espagnols et Italiens la renvoient à la subsidiarité ; Français et Belges souhaitent une directive cadre sur les services d'intérêt général pour garantir les principes du service public. Pour apporter des arguments au débat, la commission d'enquête sera très utile.

Pour nous rassurer, Monsieur Trassy-Paillogues nous dit : les régulateurs régulent, le service universel fonctionne, le marché améliore l'offre, les tarifs vont baisser. N'empêche que lorsqu'on consacre dans la loi que 90% des Français sont desservis par la Poste, cela signifie que 10% sont exclus. Il n'y a pas de quoi en être fiers. Il y a donc de vrais problèmes et la majorité devrait s'associer à la création de la commission d'enquête, comme elle n'a pas hésité à le faire sur les entreprises publiques. Je note d'ailleurs qu'on n'a pas analysé l'impact que la concurrence avait sur elles, alors qu'elles ont sûrement été déstabilisées.

En fait, si les députés de la majorité ne veut pas de cette commission d'enquête, c'est qu'ils ont peur de ce qu'elle risque de révéler (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

Plusieurs députés communistes et républicains - C'est vrai !

M. François Brottes - S'ils ont la conscience tranquille, ils l'accepteront. Pour notre part, nous y sommes favorables, pour travailler enfin sérieusement. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

La discussion générale est close.

M. le Président de la commission - J'aurais pu intervenir en début de séance puisque nous sommes ici pour reprendre le débat du 17 mars, et que l'on m'a interrompu pour le suspendre.

Je reviens d'un mot sur le fond. Non, Monsieur Brottes, le débat ne porte pas sur les services publics, mais sur la création d'une commission d'enquête portant sur les problèmes des services publics (Vives exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). Mais en tant que président de commission, je me dois surtout de défendre le respect de la procédure parlementaire. Le groupe communiste a déposé, comme c'est son droit, cette proposition de création d'une commission d'enquête. Jeudi, le débat a été interrompu au prétexte que le Gouvernement n'était pas représenté.

Mme Janine Jambu - Ce n'était pas un prétexte !

M. le Président de la commission - Disons que la raison évoquée était l'absence du Gouvernement. Il y avait conseil des ministres.

Aujourd'hui, conseil des ministres ou pas, nous sommes très heureux qu'il soit représenté par M. Devedjian, que nous avons toujours beaucoup de plaisir à rencontrer (Sourires), mais il ne faut pas créer un précédent en laissant accroire que rien ne peut se décider à l'Assemblée nationale hors de la présence du Gouvernement ! Assumons nos responsabilités et sachons traiter de nos affaires internes sans rechercher on ne sait quelle autorisation extérieure...

Mme Janine Jambu - Ce n'est pas le point de vue qu'a défendu le Président Debré !

M. le Président de la commission - Eh bien, c'est le mien et je le partage ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP) Nous n'avons pas à demander l'avis du Gouvernement pour créer une commission d'enquête. Je me fais une trop haute idée de la liberté d'action du Parlement pour céder à une tentation de cette nature... (« Bravo ! » sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

Mme Janine Jambu - Comme si cela n'intéressait pas le Gouvernement !

M. le Président de la commission - Il faut raisonner autrement : si d'aventure cette commission était créée, le Gouvernement serait naturellement auditionné. Et je maintiens qu'il n'a aucun rôle à jouer dans le déroulement d'une procédure strictement parlementaire. J'assume toutes mes responsabilités et je revendique la liberté d'action de notre institution ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

La semaine dernière, notre rapporteur, avec toutes les qualités que chacun lui reconnaît, a « oublié » de dire que notre commission avait rejeté la demande de création de cette commission d'enquête... (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe UMP) D'abord, parce que l'outil semble disproportionné par rapport à l'objectif : à quoi bon déclencher de lourdes procédures de contrôle sur pièces et sur place et de déclarations sous serment...

Plusieurs députés communistes et républicains - Et alors ?

M. le Président de la commission - ...alors que toutes les pièces auxquelles vous souhaitez accéder sont disponibles et communicables au public ? Ensuite, je n'aurai pas la cruauté de rappeler que la plupart des décisions concernant les services publics qui semblent tant vous affecter aujourd'hui ont été prises sous la législature précédente, à Barcelone, à Nice...

M. Gérard Bapt - Raccourci inacceptable !

M. le Président de la commission - Enfin, si nul ne conteste que le modèle monopolistique du service public à la française était adapté à l'époque où il a été constitué, chacun s'accorde aujourd'hui sur la nécessité de le faire évoluer. Il n'est pas question d'agir contre les services publics, mais bien plutôt d'aider nos entreprises publiques à remplir au mieux leurs missions de service public, en les adaptant au contexte hautement concurrentiel qui prévaut désormais. Veillons à ne pas entraver leur développement : leurs salariés seront les premiers à en bénéficier et l'ensemble de notre économie en profitera. Au reste, il est prévu que le Gouvernement rende compte au Parlement des conditions de mise en œuvre de toutes les directives européennes relatives aux services public.

Pour conclure sur une note un peu facétieuse, puis-je suggérer à nos collègues communistes que ce n'est pas en créant une commission d'enquête qu'ils auront satisfaction, mais plutôt en votant oui au référendum du 29 mai ? (Exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains ; applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF) Je vous renvoie à cet égard à la charte des droits fondamentaux adossée au traité et à son article III-122, lequel tend à conforter de la manière la plus explicite les services d'intérêt économique général. (Murmures sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

Pour toutes ces raisons, j'invite l'assemblée à rejeter la proposition de résolution tendant à créer cette commission d'enquête. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Daniel Paul, rapporteur de la commission des affaires économiques - Monsieur le président Ollier, si je n'ai pas dit, la semaine dernière, que notre commission avait rejeté mes conclusions, c'est parce que je considérais qu'il était bien dans votre rôle de l'indiquer...

Plusieurs députés UMP - Incroyable ! A quoi sert le rapporteur dans ces conditions ?

M. le Rapporteur - Quant à la présence du Gouvernement pour débattre de tels sujets, elle nous semblait aller de soi, et nous avons été très choqués de son absence... (Murmures sur les bancs du groupe UMP) Monsieur le ministre, vous êtes présent ce matin, et c'est bien naturel ! Contrairement à notre collègue Trassy-Paillogues, j'estime que le Parlement est tout à fait dans son rôle lorsqu'il entend contrôler la façon dont les choses se passent dans ce pays ! Nous ne dépendons pas des appréciations du Gouvernement, et moins encore des rapports qu'il commande. Ayant présidé la commission d'enquête sur le naufrage de l'Erika, je rappelle que le BEA du ministère des transports menait en parallèle sa propre enquête sans que personne n'y trouve rien à redire.

Il est donc parfaitement dans notre rôle de demander la création d'une commission d'enquête sur un sujet aussi essentiel que le devenir des biens collectifs que représentent nos services publics. Continûment améliorés depuis plus de soixante ans, ils ont à leur actif quelques belles réussites : même M. Dionis du Séjour pourra difficilement contester que nul dans le monde n'a égalé le TGV, Airbus ou la maîtrise de la filière nucléaire acquise par EDF. Or c'est bien tout cela qui se trouve aujourd'hui menacé et nous aurons l'occasion de le démontrer dans le débat sur l'énergie. Nous ne préserverons pas nos biens collectifs en les mettant dans les mains du privé !

J'entends aussi rappeler que nous nous faisons une haute idée du projet de construction européenne...

M. Jean Dionis du Séjour - Allons donc ! Vous vous y opposez sans relâche depuis cinquante ans !

M. le Rapporteur - Et que ce sont ceux qui tendent à lui donner un contenu exclusivement libéral qui le disqualifient. « Plus vite, plus loin, plus fort » dans la voie du libéralisme : tel est le leitmotiv de ceux qui privatisent nos entreprises à tour de bras ! France Télécom, il y a sept ans...

M. le Ministre délégué - Adressez vous aux socialistes !

M. le Rapporteur - Oh, je gage qu'il ne vous faudra pas sept ans pour démanteler EDF et Gaz de France !

M. Trassy-Paillogues - toujours lui ! - se dit attaché aux services au public, plutôt qu'aux services publics : la nuance est d'importance. En fait, il s'agit moins de mettre les services publics en concurrence que de les éliminer purement et simplement. Au reste, les différentes phases de votre plan d'action sont désormais bien connues. Première d'entre elles, le dénigrement des services publics - et le rapport à charge Ollier-Douste-Blazy sur leur fonctionnement s'y était attaché - : l'objectif est de casser le lien culturel qui s'est noué au fil du temps entre les Français et leurs services publics....

M. le Président de la commission - Les gaullistes ne raisonnent pas comme cela !

M. le Rapporteur - Deuxième étape, la mise en concurrence ; troisième, l'ouverture du capital - avec la bénédiction de Bruxelles - ; phase ultime, la privatisation. Souffrez par conséquent que nous voulions faire le point avant d'aller plus loin ! Nous demandons un arrêt sur image pour conduire une analyse objective de la situation. Et l'on ne peut se contenter des rapports de la Commission européenne ou du Gouvernement, car autant demander au procureur d'assurer la défense ! Quel que soit le gouvernement aux affaires, nous ne devons pas nous contenter de ce qu'il nous donne.

Nous en sommes donc réduits à demander la création d'une commission d'enquête, pour faire cet indispensable arrêt sur image sur nombre de services publics européens dont on nous vante tant les mérites. La directive Bolkestein devrait vous faire réfléchir !

M. Jean-Louis Léonard - Le problème est réglé ! (Exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

M. le Rapporteur - Bien sûr que non ! Vous allez vous prononcer contre notre proposition, mais nous nous retrouverons lors des prochaines échéances électorales. (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

M. le Ministre délégué - En fait, le rapporteur et le président de la commission disent la même chose : « nous souhaitons la présence du Gouvernement, mais son avis nous importe peu » ! Je suis d'accord : le Parlement est souverain et organise ses travaux comme il l'entend. L'absence du Gouvernement ? Le Conseil des ministres s'est tenu jeudi dernier. N'en faisons donc pas une affaire. Le Gouvernement peut aujourd'hui satisfaire à votre demande de courtoisie, et plusieurs députés de l'opposition s'en sont félicités. Ma présence, purement formelle, n'en est pas moins agréable.

Sur le fond, nous avons déjà eu maintes occasion de débat, et nous en aurons encore une ce soir, avec l'examen de la loi d'orientation sur l'énergie. Tous les chiffres sont publics, de nombreuses auditions ont été organisées, M. Ollier l'a rappelé. Je n'ai aucune observation à faire sur l'organisation des travaux du Parlement, et je m'en remets à la sagesse de votre Assemblée.

EXPLICATIONS DE VOTE

M. Jacques Brunhes - Monsieur le président de la commission, vous avez raison de dire que le Gouvernement n'est pas obligé d'être présent. Mais il y a des usages ! Voilà vingt-sept ans que je suis député, et c'est la première fois que je participe à un débat sur une proposition de création de commission d'enquête sans la présence de courtoisie du Gouvernement. Vous comprendrez donc que nous ayons pu en prendre ombrage la semaine dernière.

M. le Ministre délégué - Il fallait fixer une autre date !

M. Jacques Brunhes - Cela dit, en quoi la création d'une commission d'enquête peut-elle vous gêner ? Pourquoi se passer d'une commission d'enquête libre, comme le suggère le porte-parole de l'UMP, dont toute l'intervention repose sur des informations jamais analysées par le Parlement ? C'est contraire au bon sens !

Et que dire du passé ? (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) Un député nous a accusés de n'avoir jamais été pour l'Europe.

M. Jean Dionis du Séjour - Vous avez toujours voté contre pendant cinquante ans !

M. Jacques Brunhes - Faut-il dresser un relevé de toutes vos promesses ? Maastricht ? On nous annonçait 5 millions d'emplois et un âge d'or avec la monnaie unique.

Mme Muguette Jacquaint - Le paradis terrestre !

M. Jacques Brunhes - Les faits ? Ce sont 10% de chômeurs et une Europe sociale qui flanche. Cette Europe-là, nous n'en voulons pas ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

M. le Ministre délégué - Elle marche mieux que l'Europe de l'est !

M. Jacques Brunhes - C'est cette Europe que les Français vont juger. Quoi d'étonnant qu'un grand nombre d'entre eux s'oriente de plus en plus vers le non ! Ceux qui font des promesses sont bien imprudents, et je le dis très tranquillement à M. Bataille. (« Ah ! » sur bancs du groupe UMP) La directive Bolkestein ne sera pas annulée, contrairement à ce qu'affirment les partisans du oui. Elle sera repoussée, puis révisée après le référendum ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

La création d'une commission d'enquête, et non d'une mission d'information, s'impose ! (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste)

M. Pierre Cohen - Ne diabolisons pas les commissions d'enquête. Pour le sujet qui nous occupe, une tel dispositif est préférable à une mission d'information. Il nous permettra non seulement de débattre, mais aussi de disposer d'une évaluation formelle.

Depuis trois ans, votre gouvernement s'acharne à remettre en cause l'ensemble du secteur public, comme en témoignent les nombreuses privatisations ou ouvertures de capital qu'il a décidées. Les interrogations de l'Europe sur l'évolution de la notion de service public, elles, suscitent de vives angoisses en France, très attachée au service public.

On ne peut donc pas faire l'économie d'une réflexion, qui nous permettrait de lever bien des ambiguïtés. La disparition des services publics serait voulue par Bruxelles, nous dit-on. De fait, les privatisations et l'affaiblissement de la puissance publique sont décidés par ce gouvernement ! Voilà pourquoi les députés UMP deviennent schizophrènes lorsqu'ils passent de leur circonscription à l'hémicycle ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

M. Philippe Auberger - N'importe quoi !

M. Pierre Cohen - Parlons de dualité si le mot schizophrènes vous gêne. Sur le terrain, ils refusent les fermetures des bureaux de poste ou des perceptions, mais au Parlement, ils votent les lois qui les organisent. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) Voilà pourquoi une mise à plat est nécessaire ! Vous mesurerez alors que le processus que vous enclenchez est irréversible, et qu'il se fait au détriment de l'aménagement du territoire et de la sécurité. Et on en connaît les conséquences en Angleterre ou aux Etats-Unis.

Voilà pourquoi nous voterons pour la création de la commission d'enquête. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. Jean Dionis du Séjour - Monsieur Brottes, je n'ai jamais prononcé le mot « insulte ». D'ailleurs, j'ai débuté ma carrière à EDF et l'ai poursuivie à la Caisse des dépôts et consignations.

Le groupe UDF est favorable à un arrêt sur image sur l'ouverture à la concurrence des services publics, non par idéologie, mais parce que cela est bon pour les consommateurs. Nous voulons un débat de fond sur la pertinence du modèle européen et sa mise en œuvre nationale.

Ceci dit, le groupe communiste et républicain n'a aucune leçon d'Europe à nous donner ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP ; protestations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains) Il ne peut s'arroger l'avantage de la cohérence quand, depuis cinquante ans, il vote contre chaque étape du processus d'intégration européenne ! Qu'il assume son opposition à l'Europe ! (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP)

Plusieurs députés communistes et républicains - Quelle caricature !

M. Jean Dionis du Séjour - La procédure habituellement exceptionnelle de la commission d'enquête ne sied pas à ce débat, ouvert par notre collègue socialiste M. Cohen. Nous proposons au président de la commission des affaires économiques de créer une mission d'information. Pour l'heure, nous voterons contre cette proposition de résolution (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP).

M. le Président - La commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire ayant conclu au rejet de la proposition de résolution, l'Assemblée, conformément à l'article 94, alinéa 2, du Règlement, est appelée à voter sur ces conclusions de rejet.

Conformément aux dispositions du même article du Règlement, si ces conclusions sont adoptées, la proposition de résolution sera rejetée.

Les conclusions de rejet, mises aux voix, sont adoptées, la proposition de résolution est ainsi rejetée.

Prochaine séance, cet après-midi, à 15 heures.

La séance est levée à 11 heures 20.

                Le Directeur du service
                des comptes rendus analytiques,

                François GEORGE


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