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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2004-2005 - 91ème jour de séance, 221ème séance

SÉANCE DU MERCREDI 8 JUIN 2005

PRÉSIDENCE de M. Jean-Louis DEBRÉ

Sommaire

        DÉCLARATION DE POLITIQUE GÉNÉRALE
        DU GOUVERNEMENT 2

        NOMINATION D'UN VICE-PRESIDENT 28

        ORDRE DU JOUR DU JEUDI 9 JUIN 2005 29

La séance est ouverte à quinze heures.

DÉCLARATION DE POLITIQUE GÉNÉRALE DU GOUVERNEMENT

L'ordre du jour appelle une déclaration de politique générale du Gouvernement faite en application de l'article 49, alinéa premier, de la Constitution et le débat sur cette déclaration.

M. Dominique de Villepin, Premier ministre - C'est pour moi un immense honneur que de m'adresser à vous aujourd'hui. Je me présente devant vous à un moment exceptionnel de l'histoire de notre pays, un moment où les Françaises et les Français expriment leurs souffrances, leurs impatiences, leurs colères. Avec vous, représentants de la nation, je veux fixer les repères, tracer la voie, remettre la France en marche. (Murmures sur les bancs du groupe socialiste) Avec vous et l'ensemble du Gouvernement, tout au long des prochains mois, je consacrerai mon énergie et ma volonté à cette tâche immense que m'a confiée le Président de la République.

Permettez moi d'abord de rendre hommage à l'action courageuse et déterminée conduite par Jean-Pierre Raffarin. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) En trois ans, il a consolidé l'ordre républicain et mené des réformes décisives pour le redressement du pays. Le cap des lois votées par le Parlement sera tenu. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

Il y a quelques jours, les Français ont voté non au projet de traité constitutionnel. Ce vote, j'en ai la conviction, n'est pas l'expression d'une France contre une autre : l'ensemble de notre pays reste engagé dans le projet européen, il sait que son destin se joue désormais à l'échelle du continent. N'interprétons pas ce vote comme le signal d'un isolement français. Certains pays membres ont trouvé dans le traité une réponse suffisante à leurs attentes, d'autres non. Les Françaises et les Français s'interrogent. Ils veulent rester fidèles à leur identité, soucieux de préserver un équilibre entre la solidarité et la liberté. Ils veulent conjuguer la défense des intérêts de notre nation et l'Europe, la promotion de notre modèle social et le projet européen. Ils défendent une certaine vision de l'homme avec ses droits et ses devoirs, refusant les seules logiques du marché et de la mondialisation. Les Françaises et les Français le savent et le disent avec force : la mondialisation n'est pas un idéal, elle ne peut pas être notre destin. Ils attendent de nous que nous affirmions nos valeurs. Notre vision héritée de 1789 a sa grandeur et sa vérité. Oui, la France veut rester une conscience vivante ! Oui, la France veut être aux avant-postes ! Oui, la France veut se tourner résolument vers l'avenir !

Notre premier devoir est de regarder la réalité en face. La vérité, c'est que nous sommes confrontés à une situation difficile. Alors que le monde connaît des changements sans précédent, l'Europe se divise et la France tarde à s'adapter. La vérité, c'est que le chômage atteint un niveau inacceptable : plus de 10 % de chômeurs, voilà le véritable mal français ! Il fragilise des familles entières, qui craignent pour leur avenir. Les plus jeunes, tous ceux qui devraient porter les espoirs de notre nation, sont les premiers touchés et vivent ce mal avec un sentiment mêlé d'anxiété et d'injustice. La vérité, c'est que nous avons des marges de manœuvre budgétaire étroites et que nous allons devoir les reconquérir pas à pas. La vérité, c'est que l'égalité des chances ne vit pas suffisamment dans notre pays, alors que depuis les débuts de la République elle offrait à chacun la perspective d'un avenir meilleur. Accéder à un emploi quand on porte un nom à consonance étrangère, entrer à l'université ou dans une grande école quand on est issu d'un milieu modeste, toucher une rémunération équivalente à celle de ses collègues masculins quand on est une femme, quelle ambition plus légitime ? Pourtant dans notre pays, c'est souvent une ambition déçue. En France, il y a trop d'opportunités qui se ferment, trop de rêves qui ne se réalisent pas.

Nous n'avons pas à choisir entre volonté de justice et liberté d'entreprendre. La force de notre histoire, la force de notre société reposent sur notre capacité à concilier ces deux exigences. Solidarité et initiative, protection et audace, c'est le génie français. Pour le préserver, nous devons aller plus loin dans l'initiative, plus loin dans la solidarité. Dans une démocratie moderne, le débat n'est pas entre le libéral et le social.

M. Henri Emmanuelli - Facile !

M. le Premier ministre - Il est en vérité entre l'immobilisme et l'action. Je choisis résolument le parti de l'action. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

J'ai proposé au Président de la République un gouvernement resserré. Un gouvernement de service public, fidèle à notre idéal républicain, tout entier dévoué au résultat. Il sera guidé par un principe - l'impératif de justice -, un critère - l'intérêt général -, une volonté - améliorer la situation des Français, les plus vulnérables comme les plus entreprenants, les plus jeunes comme les plus âgés. Je crois à une France généreuse et volontaire, une France où chacun a sa place selon ses mérites, une France de toutes les chances. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Comment faire vivre cette ambition ? En gagnant la bataille de l'emploi ! Toutes les forces de mon gouvernement y seront engagées.

Alors que l'espérance de vie ne cesse d'augmenter, nous nous privons des compétences des salariés plus âgés. Alors que la croissance de la population active ralentit, plus de 20 % des jeunes ne trouvent pas d'emploi. Alors que le chômage touche plus de deux millions et demi de personnes, 500 000 offres d'emploi ne trouvent pas preneurs. Alors que notre droit du travail est l'un des plus protecteurs en Europe, une grande partie des salariés expriment un sentiment d'insécurité au travail.

Ces réalités ne sont pas acceptables ! Je veux les combattre une à une. Je le ferai sans préjugé ni dogmatisme. Au cours des derniers mois, de nombreuses propositions ont été mises sur la table. Certaines méritent d'être mises en œuvre. D'autres soulèvent davantage de difficultés qu'elles n'en résolvent. En tout état de cause, nous ne plaquerons pas sur la réalité française un modèle qui n'est pas le nôtre. Que nous nous inspirions avec pragmatisme d'expériences réussies en Europe ou ailleurs, bien sûr ! Que nous revenions sur les fondements de notre modèle social, certainement pas !

J'ai besoin du soutien de l'ensemble de la nation. L'Etat, les collectivités locales, les syndicats, les entreprises, les associations, chacun doit prendre sa part de responsabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Pour que notre pays sorte renforcé de ce combat contre le chômage, il faut que nos résultats soient au bénéfice de tous.

Pour créer de l'emploi, il faut d'abord de la croissance. Je mobiliserai donc tous les instruments qui nous permettront de favoriser l'investissement et le pouvoir d'achat, dans un esprit de responsabilité : nos engagements de dépense publique seront respectés et les dépenses n'évolueront pas plus vite que l'inflation en 2006. II s'agit également de garantir aux entreprises la stabilité des règles du jeu : les allégements de charges ne seront pas remis en cause. Nous voulons parvenir à la suppression des charges patronales de sécurité sociale au niveau du SMIC à l'horizon 2007. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Le premier objectif de mon Gouvernement sera d'aller chercher les emplois là où ils se trouvent. D'abord dans les services : leur développement correspond à l'évolution naturelle d'une économie moderne et humaine. Ils répondent à un besoin de lien social, notamment pour les familles, les personnes âgées et les personnes handicapées. C'est pour elles que vous examinerez dans les prochains jours le projet de loi sur les services à la personne.

Ensuite, bien sûr, l'emploi dans les très petites entreprises. On compte deux millions six cent mille entreprises en France : un million et demi d'entre elles n'ont pas de salarié, près d'un million emploient moins de dix salariés. Si nous libérons leur esprit d'initiative et leur talent, si nous leur garantissons des procédures de recrutement simples, lisibles et sûres, elles embaucheront ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Décider de recruter un salarié, c'est un acte important pour un petit entrepreneur. Ce salarié correspondra-t-il à ses besoins ? Son embauche ne risque-t-elle pas d'alourdir le temps consacré aux problèmes administratifs ? Ne mettra-t-elle pas en péril l'entreprise en cas de retournement de conjoncture ?

Pour débloquer l'embauche dans ce secteur, je propose trois mesures. La première est la simplification de l'acte d'embauche grâce au chèque-emploi pour les très petites entreprises. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Le chèque, qui aura valeur à la fois de bulletin de salaire et de contrat de travail, évitera toute procédure administrative lourde et sera disponible sur internet. La seconde est la mise en place, à compter du 1er septembre, et dans le respect du code du travail, d'un nouveau type de contrat de travail à durée indéterminée, le contrat « nouvelle embauche ». Mieux adapté aux contraintes des très petites entreprises auxquelles il pourra être proposé, il conciliera plus de souplesse pour l'employeur et de nouvelles sécurités pour le salarié. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Plus de souplesse pour l'employeur, puisque ce contrat prévoira une période d'essai plus longue, d'une durée de deux ans (Vives exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains), adaptée au rythme de développement des très petites entreprises.

La durée du préavis sera fonction de l'ancienneté du salarié dans l'entreprise : elle correspondra donc aux efforts fournis. Ces nouvelles facilités d'embauche permettront aux entreprises de s'engager avec confiance dans la voie de nouveaux recrutements. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

De nouvelles sécurités pour le salarié aussi.

M. Henri Emmanuelli - Vous vous moquez du monde !

M. le Premier ministre - Avec le « contrat nouvelle embauche », ce dernier bénéficiera d'un complément d'allocations chômage, d'un accompagnement personnalisé et de la mobilisation de moyens nouveaux de reclassement en cas de rupture du contrat.

Mme Martine David - Lesquels ?

M. le Premier ministre - Une évaluation de ce dispositif sera conduite avec les partenaires sociaux.

Troisième mesure : inciter les chefs d'entreprise à surmonter le seuil des dix salariés (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains ; applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Henri Emmanuelli - Cela fait vingt ans que la droite rumine cette mesure !

M. le Premier ministre - Je suis attaché au niveau actuel de représentation des salariés, comme à la défense du droit syndical, mais je souhaite alléger les trop lourdes obligations financières et administratives qui pèsent sur les entreprises à partir de dix salariés et rebutent l'embauche (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Le surcoût que représente l'embauche d'un dixième salarié est en effet estimé à cinq mille euros par an : somme considérable et dissuasive. Je propose donc que l'Etat prenne en charge les cotisations supplémentaires dues à partir du dixième salarié (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

Mme Martine David - Où prenez-vous l'argent ?

M. le Premier ministre - Cette neutralisation continuera de jouer pour l'embauche des dix salariés suivants (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Avec ces trois mesures simples et concrètes, nous libérerons la capacité d'embauche des très petites entreprises.

Le deuxième objectif est la mobilisation nationale du service public de l'emploi et de ses partenaires pour favoriser le reclassement dans les premiers mois de chômage. Les pays qui ont réussi à enrayer durablement le chômage sont ceux qui se sont donné les moyens d'agir pour l'accompagnement et le reclassement des chômeurs...

M. Henri Emmanuelli - Cela coûte cher !

M. le Premier ministre - ...ceux qui ont avancé vers la sécurisation des parcours professionnels. La perte d'emploi doit être vécue comme une transition vers un nouvel emploi, et non comme une impasse. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Des jalons importants viennent d'être posés avec l'aide des partenaires sociaux : droit individuel à la formation pour tous les salariés, convention de reclassement personnalisée au profit des personnes touchées par un licenciement économique. Mais revenir sur le marché du travail, cela signifie se déplacer, prévoir la garde de ses enfants, perdre un certain nombre d'aides : autant de dépenses nouvelles auxquelles il est parfois difficile de faire face. Je propose donc que l'Etat verse une prime de 1 000 € à toutes les personnes au chômage depuis plus d'un an, et bénéficiant de minima sociaux, qui reprendront une activité. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) C'est un effort considérable. La logique de ce dispositif est la même : privilégier l'activité, favoriser le retour rapide à l'emploi, aider directement le salarié.

La mise en place des maisons de l'emploi au niveau local et l'ouverture d'un dossier informatique commun à l'ANPE et à l'UNEDIC au niveau national permettront de répondre à l'exigence d'un véritable suivi personnalisé. La coordination et le rapprochement des structures sont essentiels : c'est la condition pour que chaque demandeur d'emploi puisse connaître personnellement son interlocuteur chargé de l'orienter dans ses recherches.

Je suis attaché à l'équilibre des droits et des devoirs. Il n'est pas acceptable qu'un demandeur d'emploi bénéficiant d'un accompagnement personnalisé puisse refuser successivement plusieurs offres d'emplois raisonnables. (« Très bien ! » et vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Des dispositifs existent pour sanctionner les abus. J'entends qu'ils soient appliqués par le service public de l'emploi conformément à la loi du 18 janvier 2005.

M. Henri Emmanuelli - Vous culpabilisez les chômeurs !

M. le Premier ministre - Pour les personnes les plus éloignées de l'emploi et les titulaires de minima sociaux, les contrats d'avenir prévus par le plan de cohésion sociale permettent d'organiser de véritables parcours de retour à l'emploi. Leur mise en œuvre sans délai et sur tout le territoire sera une priorité absolue.

Pour les jeunes et les plus de 50 ans, nous devons faire preuve d'une énergie particulière. Notre économie a besoin d'eux. Elle doit s'ouvrir à eux et non les rejeter. Aux jeunes qui désespèrent de trouver un emploi durable, je veux apporter soutien et accompagnement. Je demande donc à l'ANPE de recevoir individuellement les 57 000 jeunes au chômage depuis plus d'un an avant la fin du mois de septembre pour leur proposer une solution adaptée (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) : un emploi dans une entreprise, un contrat d'apprentissage, ou encore un contrat non marchand.

Les contrats jeunes en entreprise permettent aujourd'hui à 130 000 jeunes d'occuper un emploi à durée indéterminée. C'est un bon début, mais ce n'est pas assez. Je propose donc deux initiatives complémentaires : premièrement, que l'embauche des jeunes de moins de 25 ans n'entre plus dans le décompte des seuils de dix et cinquante salariés (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; protestations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains); deuxièmement, que les jeunes qui prennent un emploi dans un secteur connaissant des difficultés de recrutement bénéficient personnellement d'un crédit d'impôt de 1 000 € (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP).

Ensuite, l'apprentissage. Il permet aux jeunes d'accéder à un bon emploi ou de s'engager dans la voie de la création d'entreprise. Nous nous donnons les moyens de parvenir à 500 000 apprentis dans cinq ans.

Il existe un besoin réel d'emploi de jeunes dans le secteur associatif et le secteur public. Tirons avec pragmatisme les leçons des expériences passées (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Pour être efficace, la réponse à cette demande doit s'inscrire dans un vrai parcours d'accès à un emploi durable. C'est le sens du développement de la formation en alternance dans la fonction publique. C'est aussi la logique des contrats d'accompagnement vers l'emploi prévus par la loi de cohésion sociale. Pour les jeunes, nous en avions prévu 20 000. C'est nettement insuffisant. J'ai donc décidé que leur nombre passerait à 100 000 (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains ; applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Pour tous les jeunes qui entrent à l'université, un service public de l'orientation sera mis en place. Il les informera sur les débouchés des carrières dans lesquelles ils s'engagent. Le libre choix de l'orientation doit être garanti par une information fiable et régulièrement actualisée sur les filières de formation et sur la situation de l'emploi dans le secteur choisi.

Enfin, 60 000 jeunes sortent du système scolaire sans diplôme ni qualification. Leur recherche d'emploi est souvent vouée à l'échec. Il appartient à l'Etat de prendre ses responsabilités. Nous avons un modèle qui fonctionne pour nos jeunes compatriotes d'outre-mer, très durement frappés par le chômage : le service militaire adapté. J'ai demandé au ministre de la défense de concevoir un dispositif analogue pour la métropole (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) afin d'offrir aux jeunes qui le souhaitent une formation validée par l'éducation nationale et un encadrement. L'objectif est de former 20 000 jeunes en 2007. Dès septembre, un premier centre expérimental fonctionnera.

S'agissant des plus de 50 ans, l'Etat donnera l'exemple en ouvrant davantage son recrutement à celles et à ceux qui ont accompli une première carrière dans le secteur privé. Cette volonté se traduira notamment par le recul ou la suppression des limites d'âge qui bloquent leur accès aux différents concours de la fonction publique (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur quelques bancs du groupe UDF). Dans les écoles, dans les universités, dans les hôpitaux, leur expérience sera précieuse. Les partenaires sociaux négocient actuellement sur l'emploi des plus de 50 ans. Mon objectif est de lever les obstacles à l'embauche ou au maintien dans l'emploi, en étudiant l'assouplissement des règles de cumul emploi-retraite et la suppression de la contribution Delalande. Le Gouvernement agira au vu des résultats de cette négociation (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur quelques bancs du groupe UDF).

Voilà les grandes lignes de mon plan d'urgence pour l'emploi. Sa philosophie est claire : affecter nos moyens à tous ceux qui en ont un besoin réel et immédiat, agir sur les vrais blocages dans un esprit d'efficacité et de justice.

La France consacrera à l'emploi un effort supplémentaire de quatre milliards et demi d'euros en 2006. Outre les dépenses du plan d'urgence, cet effort inclut la montée en puissance des allégements de charges sociales et des contrats d'avenir. C'est une somme importante, à la hauteur du défi. Elle amène mon Gouvernement, en accord avec le Président de la République, à prendre ses responsabilités. Toutes nos marges de manœuvre budgétaires iront à l'emploi. Ce choix commande de faire une pause dans la baisse de l'impôt sur le revenu (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains ; applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Quant à la méthode, la mise en œuvre de ce plan conciliera l'impératif de dialogue social et la nécessité d'agir vite. Il y a urgence. Chacun voit que nous ne pouvons pas attendre. Mais chacun mesure aussi que la concertation avec les partenaires sociaux est le meilleur moyen de prendre les bonnes décisions : des décisions qui profitent à tous, des décisions qui marquent l'engagement de tous. Un projet de loi d'habilitation sera donc présenté au Parlement au mois de juin. Le contenu de ce projet sera strictement limité aux mesures d'ordre législatif que je viens d'annoncer. Des ordonnances seront prises sur cette base (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP ; vives protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) au terme d'une consultation approfondie avec les partenaires sociaux. Elles seront publiées avant le 1er septembre.

Sur les autres questions, sécurisation des parcours professionnels, renforcement de la sécurité juridique des relations entre employeurs et salariés, valorisation de l'activité par rapport à l'assistance, nous devons approfondir la réflexion. Ce sera notamment le rôle du Conseil d'orientation pour l'emploi.

Dans la bataille pour l'emploi, j'entends mobiliser tous les atouts de notre politique économique et industrielle. La France a besoin d'une industrie forte et moderne. Nous devons mieux exploiter le potentiel considérable de notre pays, de nos universités, de nos filières industrielles et de nos laboratoires de recherche. La mise en place des pôles de compétitivité sera décidée à l'occasion du comité interministériel d'aménagement du territoire que je réunirai début juillet. Je n'arrêterai pas la liste sur la base de critères budgétaires, mais en fonction de la créativité et de la motivation des candidatures. Je demande à chacun des ministres concernés de mobiliser ses moyens humains et financiers pour assurer le plein succès de ces pôles.

Par ailleurs, nous devons renouer avec les grands projets porteurs d'avenir. Je veillerai à ce que l'Agence pour l'innovation industrielle lancée par le Président de la République voie le jour dans les toutes prochaines semaines. Elle sera immédiatement dotée de 500 millions grâce à la cession des titres de France Telecom. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) Elle financera des projets dans les domaines de l'énergie solaire, des nanotechnologies, des biotechnologies et des biocarburants. Je souhaite qu'elle associe largement les PME à côté des grands groupes industriels (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP), et s'ouvre rapidement à d'autres pays européens, en particulier l'Allemagne : elle gagnera ainsi en ambition et en puissance.

La France doit atteindre les objectifs qu'elle s'est fixés dans le cadre de la stratégie de Lisbonne afin de porter son effort de recherche et de développement à 3 % de la richesse nationale d'ici 2010. Notre dispositif de recherche sera donc réformé et ses moyens renforcés afin d'atteindre l'excellence. La loi-programme portant réforme de notre dispositif de recherche sera déposée à l'automne.

Notre pays doit retrouver une capacité d'investissement dans l'avenir. J'entends relancer de grands chantiers d'infrastructure, en particulier dans les domaines routier et ferroviaire. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains ; applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Dans l'état de la conjoncture, notre économie a besoin d'un signal fort de redémarrage de l'investissement public, y compris en recourant à des financements innovants.

J'ai en outre décidé de poursuivre la cession par l'Etat de ses participations dans les sociétés d'autoroutes afin de financer les grands travaux et de leur permettre de souscrire aux appels d'offres européens. Le produit de ces cessions ira notamment à l'Agence pour le financement des infrastructures de transports afin d'accélérer les contrats de plan Etat-région. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean-Jack Queyranne - Tu parles !

M. le Premier ministre - Enfin nos grandes entreprises de service public ont toute leur place dans cette relance de l'investissement. Elles bénéficient d'un savoir-faire inégalé : EDF, Gaz de France font l'honneur de notre pays.

M. Jacques Desallangre - Elles sont vendues !

M. le Premier ministre - Je veux leur donner les moyens de poursuivre leur développement dans les meilleures conditions et au bénéfice de l'emploi. Cela suppose pour Gaz de France d'ouvrir le capital de l'entreprise, (Vives exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) afin qu'elle puisse lever des fonds au plus vite. Pour EDF, le processus d'augmentation de capital se poursuit. Il s'agit, dans le strict respect de la loi et de ses missions de service public, de conforter un projet industriel ambitieux.

Consolider notre tissu de petites et de moyennes entreprises, c'est ma troisième exigence pour l'avenir de notre économie et de notre industrie. Les PME pourront bénéficier d'incitations fiscales et financières. 500 000 chefs d'entreprise sont à moins de dix ans de l'âge de la retraite. Je veux rendre hommage aux hommes et aux femmes qui ont pris des risques, qui ont durement travaillé pour développer leur entreprise et créer des emplois. La transmission de ce patrimoine économique doit pouvoir se faire sans fragiliser l'entreprise. Le projet de loi en faveur des PME leur apportera la réponse qu'ils attendent.

Nous devons aussi mieux défendre nos intérêts face à une concurrence de plus en plus vive : je propose donc qu'une part des marchés publics de l'Etat et des collectivités locales soit réservée aux PME (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) suivant des modalités à examiner avec la Commission européenne.

Mieux anticiper les mutations économiques et prévenir les risques de délocalisation, c'est l'exigence majeure d'une politique volontariste. Certains bassins d'emplois sont plus exposés que d'autres. J'ai donc décidé de regrouper les services de la DATAR et de la Mission interministérielle aux mutations économiques afin de créer un service public d'aide aux bassins d'emploi en difficulté, avec une triple mission : anticiper sur les grandes mutations industrielles, apporter les aides nécessaires en cas de reconversion des salariés et lutter contre les délocalisations. Il est notamment inacceptable que ces entreprises continuent à bénéficier des aides publiques alors qu'elles quitteraient notre territoire. (« Enfin ! » sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains ; applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Notre ambition doit avoir un sens, la justice. Elle doit reposer sur un principe : l'égalité des chances. Dans quelle société voulons-nous vivre ? Une société du respect, de la fraternité, où chacun a sa chance, où chacun assume ses responsabilités.

M. Henri Emmanuelli - Et l'égalité ?

M. le Premier ministre - Il y a un préalable absolu, la lutte contre toutes les discriminations. Dans les entreprises, dans la recherche d'un logement, dans les loisirs, des discriminations persistent, parfois évidentes, parfois insidieuses. Elles touchent les femmes qui, à leur travail, se voient refuser un avancement ou un emploi. Elles touchent les personnes issues de l'immigration, à qui on refuse la location d'un appartement ou l'accès à une boîte de nuit. Elles touchent les personnes handicapées, qui ont encore trop de difficulté à prendre une activité lorsqu'elles le souhaitent, ou à vivre dignement. Face à l'inacceptable, c'est l'état d'esprit qui doit changer, c'est notre regard qui doit évoluer. La Haute autorité de lutte contre les discriminations a été mise en place. L'Etat doit faire respecter les principes de la République. Des lois existent : elles seront appliquées avec détermination, notamment s'agissant de la grande loi sur les personnes handicapées que vous avez votée. Mais aucun texte de loi, aucune institution ne remplacera la volonté de chacun d'entre nous.

Mme Jacqueline Fraysse - Et les moyens ?

M. le Premier ministre - La responsabilité politique, c'est aussi de permettre à chacun de réaliser ses aspirations par le mérite, l'initiative et le travail. Cela suppose que le pouvoir d'achat ne soit pas confisqué par des prélèvements excessifs, des tarifs trop élevés et des contraintes matérielles insolubles.

La défense du pouvoir d'achat des salariés sera une de mes priorités : au 1er juillet prochain, la réunification des SMIC sera achevée grâce à l'augmentation de plus de 5 % du SMIC horaire.

M. Guy Geoffroy - Très bien !

M. le Premier ministre - Par ailleurs, je souhaite que les négociations sur les grilles salariales dans les branches, qui relèvent des partenaires sociaux, aboutissent avant la fin de l'année. Je veux aussi développer la participation : lorsque les entreprises accroissent leurs bénéfices, il est normal que tous les salariés puissent en profiter. (Quelques applaudissements soutenus sur les bancs du groupe UMP) En 2005, les sommes issues de la participation versées au titre de 2004 pourront donc être débloquées.

Nos concitoyens continuent de rencontrer de très grandes difficultés de logement ; ils se voient opposer des conditions de ressources très sélectives ou se heurtent à une offre sociale insuffisante. Un effort considérable a déjà été engagé : 376 000 logements mis en chantier ces douze derniers mois, 74 000 logements HLM financés l'année dernière. Pour répondre aux attentes croissantes, je veux d'abord dégager de nouveaux terrains pour favoriser la construction de nouveaux logements sociaux : les cessions de terrain aux bailleurs sociaux seront donc exonérées de plus-values. Les loyers seront indexés sur un indice plus réaliste et plus favorable au locataire. Enfin je souhaite mettre en place un mécanisme de garantie des impayés pour les propriétaires privés qui accepteront des locataires aux revenus modestes ou intermédiaires. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean-Pierre Brard - Et les propriétaires publics ?

M. le Premier ministre - Ce dispositif bénéficiera aux locataires que les entreprises d'assurance refusent de prendre en charge.

Le Gouvernement engagera également une action volontariste en faveur de la baisse des prix dans la grande distribution. (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste) Je demande au ministre en charge des PME de mener à son terme la réforme de la loi Galland afin de faire profiter les consommateurs d'une baisse des prix de la vie quotidienne. Je demande également au ministre de l'Economie de me proposer des mesures pour accroître la capacité d'emprunt des ménages. Le pouvoir d'achat des Français doit correspondre à la réalité de leurs efforts.

M. Henri Emmanuelli - Vous ne les payez pas, mais vous les endettez !

M. le Premier ministre - Parmi les difficultés matérielles que rencontrent nos compatriotes, deux me paraissent réclamer une attention particulière. D'abord, le financement des études des jeunes. Je propose que tout étudiant ayant emprunté pour financer ses études puisse déduire les intérêts de son emprunt de son premier impôt sur le revenu (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Ensuite la conciliation entre vie de famille et vie professionnelle. L'un des atouts de notre pays, c'est le nombre important de femmes qui travaillent, malgré les contraintes de la vie quotidienne et familiale. Je veux les aider à garder la liberté de choix. J'attache donc beaucoup d'importance à ce que la loi pour l'égalité salariale soit adoptée rapidement. Il est tout aussi indispensable de leur offrir plus de facilités pour la garde de leurs enfants : 15 000 places de crèches supplémentaires seront prochainement créées. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

M. Jean-Pierre Brard - Et payées par qui ?

M. le Premier ministre - Pour donner une chance à chacun, nous avons besoin de nous appuyer sur deux piliers de la justice sociale. Le premier, c'est la sécurité sociale. Des réformes importantes ont été engagées. Je souhaite qu'elles soient menées à bien. Le combat pour l'emploi donnera à notre système de protection sociale l'assise économique qui garantira son avenir. Tous les efforts de responsabilité des Français, notamment dans le choix d'un médecin traitant, commencent également à porter leurs fruits. Nous devons persévérer dans la voie du retour à l'équilibre des comptes. Aucun dérapage de la dépense ne peut plus être admis.

L'autre pilier, c'est l'Education nationale. Notre objectif commun doit être de nous appuyer sur les compétences et le dévouement sans réserve des enseignants pour aller vers davantage d'équité et un soutien accru aux élèves ou aux étudiants qui en ont le plus besoin. Trop souvent, les professeurs sont découragés par le manque de soutien de l'Etat lorsqu'ils font face à des publics difficiles. Trop souvent, ils se demandent où est l'encouragement du mérite. Ils s'interrogent sur le sens de leur mission. Je veux leur dire ici qu'ils sont les premiers défenseurs de l'égalité des chances et de la réussite de chacun. Je demande au ministre de l'Education nationale de mettre en œuvre la loi sur l'école (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) dans un esprit de dialogue avec la communauté éducative. Je souhaite qu'il se saisisse du problème de l'éducation prioritaire : comment mieux accompagner les élèves et les établissements qui en ont le plus besoin ? Nous ne pouvons plus nous contenter d'une seule logique de territoires. Il faut davantage tenir compte des parcours individuels à travers des rendez-vous réguliers tout au long de la scolarité.

Une réflexion doit s'ouvrir aussi, et rapidement, sur les efforts nécessaires pour maintenir nos universités dans le peloton de tête mondial. Le rapprochement de certaines universités avec des laboratoires de recherche est une voie pour constituer de vrais pôles d'excellence de niveau européen et pour attirer les meilleurs chercheurs. La culture est au cœur de notre identité. Aidons tous ceux qui participent à la valorisation de notre patrimoine, tous ceux qui, concourant à la vitalité de la création en France, participent à notre rayonnement. A ce titre, le mécénat doit être encouragé.

Pour faire vivre notre ambition française, nous devons aussi nous appuyer sur un Etat au service, un Etat qui protège et qui garantit l'égalité des territoires. Notre nation s'est construite autour de l'Etat et de ses valeurs : le service de l'intérêt général, le respect de la loi, la défense de la liberté de chacun.

M. Henri Emmanuelli - Et l'égalité ?

M. le Premier ministre - Plus que jamais les Français veulent que nous affirmions ces valeurs. Les personnels de la fonction publique témoignent d'un dévouement sans réserve, d'un vrai sens de l'équité, d'un vrai goût du service. Je sais que je peux compter sur eux. Je connais leur volonté d'améliorer sans cesse le fonctionnement de leur administration. Jamais, depuis 1945, les attentes n'ont été aussi fortes à leur égard. Ils appuieront les efforts du pays tout entier dans la bataille pour l'emploi, ils apporteront leur aide, leurs compétences à nos concitoyens confrontés à des changements parfois brutaux. Chacun doit se sentir comptable des résultats obtenus. Avant l'été, chaque ministre se dotera des instruments de mesure des résultats de sa politique, dont le Parlement sera juge. Il devra les communiquer régulièrement aux Français.

Je demande que toutes les décisions administratives et réglementaires soient passées au crible de leur impact sur l'emploi. Je compte sur notre administration pour soutenir l'emploi, pour aider ceux qui créent, en conseillant les entreprises, en prévenant plutôt qu'en sanctionnant. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

L'Etat doit aussi protéger les citoyens. Notre défense est respectée partout dans le monde. Elle est présente sur tous les théâtres de crise, au service de la stabilité et de la paix. Pour garantir la modernisation et l'équipement de nos armées, les engagements pris dans la loi de programmation militaire seront tenus. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur quelques bancs du groupe UDF)

Protéger, c'est bien sûr la mission première de toutes les forces de sécurité. Je demande au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur de poursuivre la lutte difficile contre les violences aux personnes et les trafics qui les alimentent, en particulier les trafics de drogue. Je lui demande de mieux protéger nos concitoyens contre les multirécidivistes, en concertation étroite avec le Garde des Sceaux, qui devra veiller à l'exemplarité des sanctions et à un suivi plus contraignant de l'exécution des peines. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

L'immigration irrégulière préoccupe de plus en plus nos concitoyens, qui nous demandent de faire respecter les règles dans l'intérêt de tous. Nos dispositifs de contrôle doivent être plus efficaces et les éloignements conduits avec détermination : il n'y a pas de place en France pour l'abus de droit ni les détournements de procédure. J'installerai vendredi prochain le comité interministériel de contrôle de l'immigration dont j'avais demandé la création. Le ministre d'Etat sera chargé de conduire cette action essentielle, en vue de parvenir ensemble à une immigration choisie. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Notre diversité est une richesse inégalable...

M. Jean-Pierre Brard - Surtout à l'UMP !

M. le Premier ministre - Nos paysages, nos campagnes, nos villages font notre fierté. L'outre-mer apporte à notre pays l'amitié du proche et le sel du lointain. (Exclamations et sourires sur les bancs du groupe socialiste) Pour les préserver, l'Etat doit garantir le respect de notre environnement. La lutte contre le réchauffement climatique sera poursuivie et renforcée grâce à une politique d'économies d'énergie dans le logement et les transports. Les effets négatifs de la pollution sur la santé, en particulier pour les enfants, seront combattus.

Mais l'Etat doit aussi assurer l'égalité des territoires. C'est une mission de plus en plus importante dans une France qui change, où les gens se déplacent et où les attentes ne sont plus les mêmes. Dans les villes moyennes, dans les zones rurales, dans les quartiers, l'Etat doit relever des défis nouveaux. Je souhaite que les services publics de proximité soient maintenus lorsqu'existe un consensus local (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste ; applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Je souhaite également redéfinir la carte des arrondissements et renforcer le rôle des sous-préfets : ils doivent être les premiers représentants de l'Etat dans tous les lieux de France qui sont aujourd'hui négligés, les quartiers urbains mal desservis, les régions isolées, les campagnes. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP)

L'esprit de mission, c'est assurer la continuité du service public, dans la vie quotidienne des Français comme pour la préservation des intérêts vitaux de notre pays. Le dialogue social nous permettra de trouver les modalités de cette continuité, afin de donner des garanties de service aux usagers.

Je voudrais terminer avec notre ambition commune, qui apporte à notre continent depuis soixante ans la réconciliation et la paix : l'Europe. Je le dis ici avec force : la France, pays fondateur, tiendra toute sa place au sein de l'Union. Elle respectera ses engagements. Elle continuera de tirer vers le haut l'aventure européenne.

L'Europe s'est construite sur l'économie et le pragmatisme. Désormais, les peuples réclament plus d'humanité, plus de protection : davantage de sécurité dans leur travail, une attention accrue aux questions d'environnement, une meilleure défense des valeurs de respect et d'égalité des chances. Le sens de l'Europe se trouve dans ses valeurs. Il ne se construit pas par la seule force du marché. (« Ah ! » sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et sur de nombreux bancs du groupe socialiste)

Personne ne peut comprendre que l'Europe ne se donne pas davantage les moyens de défendre son économie, sa richesse, son emploi et qu'elle ne profite pas davantage des outils qu'elle a su mettre en place comme l'euro. Nous avons une monnaie forte. Donnons-nous aussi une politique économique forte. Donnons-nous les moyens de défendre une préférence européenne, comme le font tous les autres grands blocs économiques. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Ouvrons de nouvelles perspectives comme l'harmonisation fiscale ou l'union avec l'Allemagne dans des domaines choisis ensemble. (« Ah ! » sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

Les Françaises et les Français n'ont pas peur de l'Europe, ils veulent connaître les règles du jeu et participer à leur définition. Ils ne veulent pas être laissés à l'écart de décisions qui engagent leur vie quotidienne : je pense en particulier aux agriculteurs, à tous ceux qui vivent de la terre et qui se voient imposer des directives contraignantes. Oui, ils reçoivent des aides. Oui, la politique agricole commune est un atout majeur pour notre pays.

M. Yves Cochet - Pas du tout !

M. le Premier ministre - Mais des aides ne remplacent pas le sentiment de dignité ni la récompense de l'effort. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur quelques bancs du groupe UDF)

Les Françaises et les Français n'ont pas peur de l'Europe : ils veulent savoir où elle va. L'élargissement rapide du continent a surpris nos compatriotes. Ils en comprennent la légitimité et la nécessité historiques, mais ils en craignent les conséquences économiques et sociales. Donnons-nous le temps de mieux nous connaître et de construire ensemble avec les nouveaux Etats.

En soixante ans, l'Europe a inventé une alternative à la guerre et aux rivalités de puissance. Aujourd'hui, il lui appartient d'inventer une alternative à un monde dominé par la défense des intérêts particuliers et la loi du plus fort...

M. Jean-Pierre Brard - Dominé par les Etats-Unis !

M. le Premier ministre - L'aventure ne s'arrête pas. Notre rêve européen sortira renforcé des épreuves.

Oui, la France veut prendre toute sa place dans le monde. Fidèle à son esprit de solidarité à l'égard de l'Afrique et des pays les plus pauvres. Fidèle à son exigence de paix, de justice, de dialogue des cultures et de liberté.

Aujourd'hui, notre plus grand risque, c'est l'immobilisme et la division. Notre premier devoir, c'est le rassemblement. Face à des difficultés sans précédent, j'ai besoin de vous. Je serai sans cesse à l'écoute de vos propositions, de vos suggestions, de vos critiques aussi (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) ; parce que les défis que nous avons à relever exigent autant de détermination que d'humilité ; parce que, je le sais, chacune et chacun d'entre vous, au-delà des différences politiques, a chevillé au corps l'intérêt national. Je veux que les parlementaires de la majorité sachent que le travail considérable qu'ils accomplissent m'est indispensable. Tous ensemble, nous allons répondre à l'attente des Français. Aux parlementaires de l'opposition, je veux assurer que je travaillerai avec eux dans un esprit constructif.

Et je veux dire, à travers vous qui les représentez, à chaque Française et à chaque Français, que c'est de tout mon cœur et de toutes mes forces que je me dévouerai à leur service. Je veux leur dire ma confiance dans les atouts, dans les chances et dans le destin de la France.

Conformément au premier alinéa de l'article 49 de la Constitution, et après y avoir été autorisé par le conseil des ministres, j'engage la responsabilité de mon Gouvernement sur cette déclaration de politique générale. (Mmes et MM. les députés du groupe UMP se lèvent et applaudissent longuement ; quelques applaudissements sur les bancs du groupe UDF)

M. Bernard Accoyer - Avec le référendum sur le traité constitutionnel européen, la France vient de connaître un débat intense. Même si le résultat est problématique, la mobilisation des forces vives et des acteurs de la société civile, la forte participation électorale, font que la démocratie en sort renforcée.

Nous, les députés UMP, avons défendu une vision claire, responsable, cohérente de l'avenir de l'Union européenne et de la place de la France dans l'Union. Nous l'avons fait en tenant aux Français un langage de vérité, comme vous venez de le faire, Monsieur le Premier ministre. Nous l'avons fait avec conviction et détermination. Nous l'avons fait sans nous diviser, sans nous déchirer, sans céder à la démagogie, ou aux anathèmes choquants à l'encontre de nos partenaires européens les plus récents. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Jaurès disait : « Le courage en politique, c'est de chercher la vérité et de la dire. »

M. Jean-Pierre Brard - Vous avez des progrès à faire.

M. Bernard Accoyer - Peut-on revendiquer cette filiation et ne pas avoir ce courage ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Avait-on le droit de prendre l'Europe en otage à des fins partisanes quand on voit, hélas, la crise dans laquelle est entrée l'Union européenne ? (Interruptions sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste)

M. Maxime Gremetz - La campagne est terminée !

M. Bernard Accoyer - Notre vérité a été de dire aux Français qu'une renégociation du traité constitutionnel était utopique, qu'il n'y aurait pas de session de rattrapage et qu'il n'existait pas de plan B caché dans les tiroirs bruxellois.

La réalité est qu'une gauche divisée, instrumentalisée par l'extrême gauche, manipulée par des appendices groupusculaires qui se proclament apolitiques, a mis l'Europe en panne. (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; interruptions sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains) Une gauche radicale qui chante l'Internationale, tout en rêvant de repousser les ressortissants des nouveaux pays de l'Union derrière un rideau de fer, dont elle garde la secrète nostalgie... (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; « Lamentable ! » sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

Pourtant, cette crise de l'Union devra être surmontée, comme d'autres l'ont été dans le passé. Surmontée par une Europe plus lisible, aux frontières stabilisées, capable de développer des solidarités politiques, économiques et sociales. Une Europe plus démocratique et plus proche des citoyens.

Nous, les députés UMP, restons attachés à la construction européenne, à cet idéal de paix, de démocratie et de progrès qu'elle poursuit depuis cinquante ans, convaincus de la nécessité d'une Europe politique, capable de discuter avec les autres puissances mondiales, respectueuse de l'identité et de la diversité de ses Etats membres, attachée à la préférence communautaire.

Si nos aînés savent ce que nous devons à l'Europe, après les drames effroyables de la Seconde guerre mondiale, les jeunes générations qui ont grandi dans une Europe de paix et de progrès, n'apprécient pas toujours cette chance. A nous, comme vous l'avez dit, Monsieur le Premier ministre, de leur redonner le goût du rêve européen.

Dans ces circonstances, notre devoir est de nous rassembler derrière le Président de la République et le Gouvernement, afin de soutenir la France et de relancer la construction européenne. C'est ainsi que nous défendrons nos valeurs et nos intérêts et que nous répondrons au message que nos compatriotes ont exprimé le 29 mai. (Quelques applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP)

L'enjeu européen, au cours de cette campagne, a souvent été occulté par des considérations de politique intérieure.

M. Jean-Pierre Brard - Ce n'est pas vrai !

M. Bernard Accoyer - Les Français se sont plus exprimés en fonction de leurs difficultés, de leurs préoccupations et de leurs attentes que de l'enjeu européen. Il faut leur répondre par l'action. Monsieur le Premier ministre, vous venez de dresser un constat lucide de la situation de notre pays. L'analyse étant juste, votre action, fondée sur des bases réalistes, sera de nature à convaincre les Français dans les délais exigeants que vous vous êtes fixés.

Refusons l'immobilisme, ce poison qui a trop longtemps affaibli notre pays. Les Français ne doivent pas se résigner au fatalisme, comme si la France n'avait vocation qu'à être ballottée entre les décisions prises à Wall Street ou dans les antichambres des palais de Pékin. C'est en nous-mêmes que nous devons trouver la capacité du rebond national, ce « génie du renouveau » qu'évoquait le général de Gaulle dans ses Mémoires de guerre...

M. Jean-Pierre Brard - Vous l'avez trahi !

M. Bernard Accoyer - ...celui qui a permis à la France de se rénover, de se réinventer en permanence depuis ses origines. Notre pays ne veut pas se recroqueviller sur lui-même. Les replis catégoriels, communautaristes, corporatistes sont à l'opposé des valeurs qui le fondent. Notre pays ne peut s'accommoder de cet affrontement stérile entre social et libéral qui a été instrumentalisé pendant la campagne référendaire. Cela n'a pas de sens.

M. Jean-Claude Lefort - Ben voyons !

M. Bernard Accoyer - Nous voulons tous, sur tous ces bancs, que notre protection sociale soit fondée sur la solidarité entre les générations, entre tous les Français, et par conséquent financée par le travail. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP) C'est donc bien l'emploi qui est au cœur de nos priorités ; c'est l'emploi, le travail et la création de richesses qui, seuls, peuvent assurer la pérennité de notre protection sociale. Voilà la réalité ! (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

La législature est encore loin de son terme. C'est sur le socle des réformes de Jean-Pierre Raffarin et de son gouvernement, dont nous saluons l'action courageuse, qu'il faut s'appuyer ; sur l'autorité de l'Etat, restaurée, et la sécurité sans cesse améliorée, sous l'impulsion de Nicolas Sarkozy puis sous la vôtre, Monsieur le Premier ministre ; sur notre pacte social, sauvegardé par la réforme des retraites, de l'assurance maladie et de la solidarité en faveur des personnes âgées et handicapées ; sur une cohésion sociale renforcée, refusant une France à deux vitesses ; sur une école rendue à ses missions essentielles - réforme à laquelle les députés UMP sont particulièrement attachés (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe UMP) ; sur la reconnaissance du travail ou les hausses sans précédents du SMIC - vous venez de confirmer la prochaine pour bientôt - et de la prime pour l'emploi.

La France de 2005 n'est plus la France bloquée, la France immobile, la France sans espoir qu'avait laissée le gouvernement Jospin (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Cependant, il reste encore beaucoup à faire. Entendant le message des Français, le Président de la République a souhaité une nouvelle impulsion de l'action gouvernementale. Il vous en a confié la charge, Monsieur le Premier ministre, connaissant votre volontarisme et votre ardeur. Votre programme de gouvernement est audacieux. Sa priorité est claire : l'emploi, première préoccupation de nos compatriotes, que les députés UMP partagent. Oui, la bataille pour l'emploi appelle plus d'imagination, de créativité et d'audace. Ainsi que vous l'avez dit, tout n'a pas été tenté contre le chômage. Il faut sortir des idées reçues et des habitudes. Le seul critère est celui de l'efficacité. L'unique exigence est de placer l'homme au cœur de notre action.

Dans la bataille pour l'emploi, nous partageons votre volonté, Monsieur le Premier ministre, « d'avoir recours à toutes les expériences, même si certaines ont lieu ailleurs ». Pour mener à bien cette bataille, il ne faut pas opposer initiative économique et solidarité : elles vont de pair, dans le respect de nos valeurs. Pour nous, l'emploi, c'est l'entreprise. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Cela reste une différence fondamentale, une divergence philosophique essentielle avec la gauche. Hier, celle-ci choisissait, avec les lois Aubry, d'affaiblir la compétitivité française en mettant nos entreprises en difficulté face à la concurrence étrangère (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) et, avec la loi Guigou, issue des compromis politiciens de la gauche plurielle, de sacrifier l'entreprise en prétendant sauver l'emploi. Demain, quelle ligne de conduite pourrait choisir une gauche écartelée, déchirée entre révolutionnaires et réformistes, entre collectivisme et social-démocratie, entre gauche révolutionnaire et gauche gestionnaire ? Sacrifier l'entreprise, c'est sacrifier l'emploi ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Les salariés sont les premières victimes des contraintes et des lourdeurs de procédures qui condamnent les entreprises alors qu'il faudrait les soutenir. La loi sur l'initiative économique permet des créations d'entreprises à un rythme de 240 000 par an ! Le pari de créer un million d'entreprises durant le quinquennat sera tenu ! Les mesures que vous venez d'annoncer en faveur des très petites entreprises et des PME, Monsieur le Premier ministre, accroîtront leur capacité d'embauche. En limitant les effets liés aux seuils, vous allez redonner de la souplesse, des marges de manoeuvre aux acteurs économiques pour augmenter leurs effectifs.

Dans cette mobilisation pour l'emploi, l'Etat et ses services ont un rôle majeur à jouer : ils doivent conseiller, accompagner, aider plutôt que sanctionner uniformément, comme c'est souvent le cas. Les trop nombreuses décisions administratives, lenteurs bureaucratiques, complexités procédurières constituent des freins à l'emploi et au développement économique. L'Etat et ses services doivent aussi acquérir la culture du résultat et conduire une étude d'impact sur l'emploi avant chaque décision, petite ou grande. (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Aux côtés de l'entreprise, l'Etat doit jouer un rôle de conseil, mais aussi de stratège, en particulier dans la bataille pour le développement de l'emploi industriel, qui génère les emplois de services.

Les délocalisations ne seront jamais acceptables pour ceux qu'elles privent de leur emploi. L'inquiétude légitime qu'elles suscitent dans le secteur privé nécessite une évaluation objective : il faut en connaître la nature, l'ampleur et les conséquences exactes. Certaines d'entre elles sont probablement inévitables pour maintenir en France d'autres productions dans les mêmes domaines et garder un solde d'emplois positif. Encore faut-il que tout soit transparent, pour apaiser les angoisses qui ont tant pesé le 29 mai !

M. Jean-Pierre Brard - Il faut savoir de quoi on meurt !

M. Bernard Accoyer - A nous de bâtir une véritable stratégie industrielle, fondée sur le volontarisme et l'innovation. (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Les premiers axes en ont été tracés sous l'impulsion du chef de l'Etat, avec la création de l'Agence de l'innovation industrielle et la mise en place des pôles de compétitivité et de compétences. Cette stratégie doit être amplifiée par l'adoption de mesures fortes en faveur de l'innovation et de la recherche. Elle doit s'appuyer sur une réforme de la taxe professionnelle qui allège la fiscalité des entreprises industrielles...

M. Jean-Pierre Brard - Ça recommence !

M. Bernard Accoyer - afin de maintenir l'emploi en France. Ce transfert de charges doit s'effectuer vers des secteurs à moindre valeur ajoutée, tels les distributeurs qui gonflent leurs marges grâce à du textile chinois bon marché. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP).

Oui, le développement industriel est une priorité qui doit s'imposer aux autres politiques, puisqu'il sert avant tout l'emploi. De nombreux secteurs doivent être sauvegardés ou reconquis. Tel est le cas des industries de santé dans lesquelles, sous prétexte de maîtriser les coûts de l'assurance maladie, inventeurs, développeurs, industriels, entreprises et emplois sont poussés vers l'étranger, d'où les produits de santé reviennent d'ailleurs pour être payés par la même assurance maladie ! Nous y perdons en emplois, cotisations sociales et recettes fiscales ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Ainsi que vous l'avez dit, Monsieur le Premier ministre, le social n'est pas l'ennemi de l'économie. Le plan de cohésion sociale que nous venons d'adopter sera un véritable tremplin vers le retour à l'activité pour ceux qui en ont été écartés. Notre vision du travail n'est pas malthusienne : l'activité crée l'activité ! Tel est le principe de base d'une économie de marché ouverte, que nul ne peut plus contester sérieusement. Il ne s'agit pas de partager le travail entre ceux qui en ont déjà un, mais de donner du travail à ceux qui n'en ont pas ! (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Il s'agit d'accompagner financièrement la reprise d'activité après une période de chômage, afin que les revenus du travail soient nettement supérieurs à ceux de l'assistance.

Vous avez également raison, Monsieur le Premier ministre, de mobiliser votre gouvernement autour de l'emploi des jeunes et de prêter la plus grande attention à celui des seniors. D'autres actions peuvent être entreprises pour tirer parti de tous les gisements d'emploi possibles, notamment là où de nouveaux besoins se font jour et où nous sommes en retard par rapport à nos voisins. C'est le cas, en particulier, dans le domaine des services à la personne, qui représentent un potentiel de 500 000 emplois nouveaux.

Monsieur le Premier ministre, pour le programme d'action que vous avez tracé, vous pouvez compter sur le soutien des députés UMP. Nous serons des partenaires actifs et loyaux, avec l'exigence d'un travail commun, nourri par le débat. Notre action commune, au service des Français, ne se mesurera pas au nombre des textes votés, mais à leur application réelle, comme le prévoit la résolution Warsmann, et à leur efficacité. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Monsieur le Premier ministre, au terme de votre déclaration de politique générale, et prenant acte de votre volonté d'appliquer au plus tôt des mesures pragmatiques répondant aux attentes des Français, les députés UMP voteront la confiance au gouvernement que vous dirigez (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. François Hollande - La France est en état de défiance. Ce n'est pas un mouvement d'humeur, une poussée de fièvre, une colère : c'est, vous l'avez dit, Monsieur le Premier ministre, un moment exceptionnel et, tout simplement, une crise. Cette crise, elle est générale : politique, économique, sociale et morale. Cette crise, elle est profonde, et le référendum du 29 mai en a montré la gravité. Elle interpelle directement le pouvoir, car la responsabilité en incombe d'abord au chef de l'Etat. (« Tout à fait ! » et applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) Elu il y a dix ans sur le thème de la fracture sociale, il l'a laissée s'élargir jusqu'au point de rupture. Réélu il y a trois ans avec les voix de tous les républicains pour faire barrage à l'extrême droite, il a manqué à son premier engagement. Alors que le vote devait - disait-il ! - « l'obliger », il a installé Jean-Pierre Raffarin à la tête d'un gouvernement dont le seul but fut d'effacer la politique de celui qui l'avait précédé (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). Au lieu de rassembler, il a divisé ; au lieu d'apaiser, il a ouvert des fronts.

Ce même pouvoir a ignoré tous les avertissements, toutes les manifestations, toutes les protestations, en prétendant que la rue n'était dédiée... qu'à la circulation ! Enseignants, chercheurs, lycéens, salariés du privé comme du public en sont sortis floués. Mais l'exécutif est également resté insensible au verdict des urnes, lorsque après le triple désaveu électoral du printemps 2004, le Président de la République a maintenu votre prédécesseur, tout en promettant comme aujourd'hui, avec les mêmes mots, une impulsion nouvelle. Le chef de l'Etat a alors pris la grave responsabilité de mettre le pays en risque, c'est-à-dire en divorce avec ses gouvernants. Et l'Europe vient d'en faire inutilement les frais. (« Merci Fabius ! » sur les bancs du groupe UMP)

Aujourd'hui, Jacques Chirac a, devant cette crise, fait le choix de ne rien changer... sauf le Premier ministre ! Nous voici donc face au même Gouvernement, composé des mêmes hommes - mais avec moins de femmes - , et avec le Président de l'UMP en plus, sans que l'on sache, Monsieur le Premier ministre, lequel de vous deux est le véritable chef de la majorité... (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; « Fabius ! Fabius ! » sur les bancs du groupe UMP)

Vous vous présentez comme le porteur d'une nouvelle ambition, d'une nouvelle impulsion, ou encore d'une mobilisation. Mais ces mots sont usés jusqu'à la corde, tant ils ont servi depuis trois ans. Vous incarnez en fait la continuité. Pas simplement celle des personnes, mais aussi celle des politiques. Votre premier problème, c'est que vous héritez de vous-même et que vous êtes le légataire de votre propre passif. Et je ne parle pas simplement des lois que vous jugez plus sage de reporter - il en est ainsi de la loi Fillon, naguère présentée comme la grande affaire du quinquennat et qui se trouve aujourd'hui mise au rebut (« Faux ! » sur les bancs du groupe UMP) après avoir été essorée par le Conseil constitutionnel... Je songe surtout à la grave déprime économique et sociale qui frappe notre pays.

La croissance est en berne : elle ne dépassera pas 1,5 %, bien loin des 2,5 % imprudemment annoncés naguère par l'actuel ministre de l'Intérieur. Le nombre des chômeurs s'est accru de 230 000 et le taux de chômage des jeunes atteint 25 %. En trois ans, 60 000 emplois ont été détruits et la précarité s'est élargie. Le nombre d'érémistes s'élève à 1,2 million et 70 % des embauches s'effectuent désormais en CDD. Quant aux inégalités, elles se sont creusées jusqu'à la provocation : les patrons du CAC 40 annoncent leurs propres augmentations de rémunération par voie de presse tout en appelant leurs salariés à la modération salariale. Et que dire de ceux qui s'octroient des retraites représentant plusieurs siècles de SMIC ? Telle est la réalité de la société d'aujourd'hui ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

C'est ce climat-là, lié à des comportements personnels au sommet de l'Etat, qui a fait aussi le résultat du 29 mai. C'est cette souffrance-là qui mine les ressorts d'une éventuelle reprise économique. Le pays n'est pas simplement - et convenez-en, Monsieur le Premier ministre - dans une impasse économique et dans un désarroi social : il vit - et vous l'avez du reste reconnu en signalant l'étroitesse de vos marges de manœuvre - à découvert ! La dette publique dépasse 65 % de la richesse nationale (« La faute à qui ? » sur les bancs du groupe UMP) ; le déficit de l'Etat n'est réduit qu'à coup d'expédients ; le déficit annuel de la sécurité sociale dépasse 15 milliards et la dette sociale ne cesse de s'alourdir. Quant au déficit de l'UNEDIC, il met ce régime social au bord de la faillite ! C'est bien cette somme d'échecs qui fonde le doute à l'égard des annonces d'aujourd'hui.

Alors, vous nous dites vouloir mener la bataille de l'emploi et en faire votre priorité absolue : c'est donc qu'elle ne l'était pas jusqu'à aujourd'hui. Cruelle sentence pour votre prédécesseur et pour son équipe, dont nombre de membres importants sont aujourd'hui à vos côtés ! Faire de l'emploi la première priorité, nul ne saurait vous en faire grief, compte tenu de l'état de désespérance de nos concitoyens. Au reste, c'est vous qui en portez la responsabilité. C'est vous qui avez cassé la croissance (« Et les 35 heures ? » sur les bancs du groupe UMP), les emplois-jeunes, les 35 heures et tous les dispositifs d'accompagnement des demandeurs d'emploi de longue durée. C'est de ce constat que vous êtes forcés de repartir pour annoncer de nouvelles dispositions.

Las, oubliée la relance de la croissance ! Elle ne figure dans aucune de vos annonces d'aujourd'hui. Oubliées les solutions novatrices, puisque vous ressortez la panoplie habituelle, en proposant de surcroît les méthodes les plus détestables. La panoplie habituelle, c'est d'abord d'annoncer des mesures qui existent déjà : la loi Borloo, l'apprentissage - nous croyions que c'était déjà une priorité ! - , le titre emploi service - il est déjà voté ! -, le contrat d'avenir - pourtant, semble-t-il, déjà en place... Ensuite, vous n'hésitez pas à dresser un catalogue de mesures de bon sens assez confondant : nous « apprenons » aujourd'hui que l'ANPE va recevoir les jeunes sans emploi pour les accompagner... Franchement, n'était-ce pas déjà le cas ? Faut-il croire - et ce serait alors proprement scandaleux - que les jeunes n'ont pas été bien accueillis dans les missions locales et dans les agences au cours des trois dernières années ? (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Mais il y a plus grave encore, puisque vous annoncez de nouveaux allègements de cotisations sociales pour les entreprises. Nous pensions pourtant qu'après avoir sacrifié en pure perte 18 milliards à cette fin dans le budget pour 2005, un sursaut de lucidité vous conduirait à renoncer à ce type de mesures ! Eh ! bien, pas du tout ! Non content de persévérer, vous prévoyez de nouvelles exonérations de cotisations sociales sans contreparties. Et puisque vous avez abandonné en cours de route vos promesses de baisse de l'impôt sur le revenu, vous vous rattraperez en allégeant les cotisations sociales. Au final, vous maintenez la même politique avec un instrument différent, en prenant le risque de renouveler les mêmes erreurs.

Enfin, vous ne négligez pas les vieilles recettes patronales. Les demandes du patronat sur les effets de seuil existent depuis des décennies...

M. Henri Emmanuelli - Au moins vingt ans !

M. François Hollande - Nous ne pensions pas que vous auriez l'audace de ressortir cette vieille affaire ! Or, voilà que vous en faites l'alpha et l'oméga de votre politique de l'emploi, ce qui sera coûteux pour les finances publiques, déplorable pour la démocratie sociale et, finalement, inefficace. Soyez sûr qu'une fois relevé à vingt salariés contre dix, le patronat exigera de vous la suppression de ce nouveau seuil, au motif qu'il empêche de créer des emplois ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Et puis, il y a le contrat « nouvelle embauche ». Pour dire le vrai, le nom est mal choisi : vous auriez du le baptiser contrat « nouvelle précarité » (Même mouvement) Car il s'agit d'instituer, en lieu et place du CDI qui devrait être la norme, un contrat d'essai de deux ans ! Je croyais que le contrat d'essai de deux ans était réservé au Premier ministre... Las, le voici généralisé à l'ensemble du salariat. (Même mouvement) En fait, il ne s'agit, une fois encore, que de répondre à la vieille demande du Medef de créer un contrat de mission ! Vous parliez du modèle étranger qui peut vous inspirer en ce qu'il concilie flexibilité et sécurité ; chacun aura finalement compris que vous laissez tomber la sécurité professionnelle au profit exclusif de la flexibilité ! (Même mouvement)

J'en viens à la méthode pour dire, au-delà même du groupe que je représente, qu'elle est détestable pour le Parlement tout entier. Vous annoncez que la question majeure de l'emploi sera traitée par ordonnances, le Parlement s'en trouvant par conséquent dessaisi... Mais votre propre majorité devrait le refuser ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur les bancs du groupe UDF ; protestations sur les bancs du groupe UMP) C'est le Parlement qui est floué, et avec lui l'ensemble des partenaires sociaux, lesquels viennent d'apprendre aujourd'hui qu'il n'y aurait pas de place pour le dialogue et la concertation. Ce seront les ordonnances, et elles seules, qui feront la politique de l'emploi ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur les bancs du groupe UDF)

Dès lors, je me dois de lancer un avertissement : s'il s'agit, via les ordonnances, de toucher au droit du travail, vous prenez un risque considérable avec le pays...

M. Arnaud Montebourg - Cela précipitera votre chute !

M. François Hollande - Vous devez connaître l'état d'exaspération et de colère du pays. Si vous décidez par ordonnances de toucher au code du travail, c'est un conflit majeur que vous prenez la responsabilité d'ouvrir à la rentrée ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Bien entendu, sur l'ensemble de ces sujets, le parti socialiste propose une tout autre orientation. (Vives exclamations sur les bancs du groupe UMP)

Plusieurs députés UMP - Les vôtres ou celles de Fabius ?

M. François Hollande - Il ne s'agit pas de dresser un catalogue de mesures volontaristes mais de proposer aux Français un pacte durable et clair. D'abord, un pacte social, tendant à relancer la croissance, à réduire le chômage et à trouver les compromis nécessaires. La seule méthode, pour y parvenir, c'est d'ouvrir une grande négociation avec les partenaires sociaux, sur l'emploi, sur les salaires, sur le pouvoir d'achat, sur l'insertion des jeunes, sur le travail des seniors... C'est cela le compromis social où chacun prend ses responsabilités !

L'Etat doit commencer par réorienter sa politique économique. La première chose à faire, pour relancer la croissance, c'est d'augmenter le pouvoir d'achat des familles. Plutôt que d'accorder de nouvelles exonérations de cotisations sociales, l'urgence est de relever l'allocation de rentrée scolaire et la prime pour l'emploi (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Quant aux exonérations de cotisations, leur coût est exorbitant dès lors qu'elles n'ont pas pour contreparties des embauches ou des augmentations de salaires. Il faut refondre l'ensemble du système ; nous proposons d'élargir l'assiette des cotisations à l'ensemble de la richesse produite et de moduler les taux en fonction de la nature des contrats de travail, en sorte que les cotisations soient moins élevées pour un contrat à durée indéterminée que pour un contrat à durée déterminée ou précaire (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Enfin, et là aussi il y a urgence, il faut revenir sur la multiplication des dispositifs de contrats aidés car plus personne n'y comprend rien. Nous, nous proposons un contrat unique de réinsertion. Il faut en finir avec la complexité !

S'agissant de la préparation de l'avenir, Monsieur le Premier ministre, vous en êtes resté à des généralités. Il faut prendre des engagements budgétaires clairs : augmenter de 50 % les moyens consacrés à la recherche d'ici à la fin de la législature, faire de l'éducation une priorité. La France relèvera le défi de la mondialisation non en réduisant la protection sociale, mais en faisant le pari de l'excellence, de la recherche et de l'innovation ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Il convient, ensuite, de rétablir la cohésion de notre pays, le référendum du 29 mai ayant révélé une fracture entre zones rurales et métropoles. Il faut donc qu'un contrat soit passé entre l'Etat et les collectivités locales, assurant la préservation des services publics, la réforme de la fiscalité locale, la clarification des compétences, et garantissant l'abandon des transferts de personnels (Protestations sur les bancs du groupe UMP ; applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Enfin, il faut restaurer le pacte républicain. La démocratie a démontré sa vitalité, mais le problème est dans les institutions. Le pouvoir est concentré entre les mains d'un seul homme pour cinq ans. Le principe d'irresponsabilité est érigé en méthode de gouvernement. Les droits du Parlement sont limités tant par les procédures que par le fait majoritaire, ceux de l'opposition sont extrêmement réduits. Aussi les citoyens n'ont-ils plus confiance dans les règles de notre vie en commun, et ce qui devrait être la sanction d'une majorité peut devenir le rejet de l'ensemble de la politique.

Le renouveau ne peut venir que de l'affirmation d'un véritable pouvoir du Parlement, avec la restauration de sa fonction législative - encore écornée aujourd'hui - comme de sa fonction de contrôle de l'exécutif, d'un changement des règles de nomination des membres des plus hautes instances de la République, d'une redéfinition des compétences et de la responsabilité de chef de l'Etat. Voilà ce que le pays attend : non pas un discours de plus mais une autre politique, fondée sur la volonté, sur la vérité et sur la solidarité.

Cette autre politique manque aussi s'agissant de l'Europe. Le risque, c'est le délitement des acquis communautaires et la fin de l'Europe politique. La France a l'occasion de donner un signe fort de confiance dans la construction européenne : le déplafonnement du budget européen. Avec les limites actuelles, chacun sait que l'Europe ne pourra financer ni ses politiques structurelles, notamment agricoles et territoriales, ni l'élargissement et les dépenses d'avenir. Notre pays ne peut donc pas s'en tenir à sa position actuelle : nous avons le devoir de débloquer le processus en acceptant ce déplafonnement (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Monsieur le Premier ministre, la confiance que vous venez chercher ici auprès de vos amis, vous ne la trouverez pas dans le pays. Il n'y a pas de confiance sans cohérence, sans vision. Il y faut aussi un projet. Le vôtre est faussement social et confusément libéral. Vous parlez de moment exceptionnel, mais vous faites un discours ordinaire...

Il n'y a pas non plus de confiance sans justice. Or vous poursuivez une politique qui fait de la redistribution à rebours, qui avantage les plus favorisés et décourage les plus modestes.

Enfin, il n'y a pas de confiance sans respect. Respect des Français et de leurs aspirations. Respect du Parlement et de l'opposition. Respect des règles de la République : que le ministre de l'intérieur, en charge de la préparation des élections, soit aussi le président de l'UMP est une situation inédite ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Et que dire du climat de soupçon qui règne dans votre gouvernement, où l'on voit ce même ministre de l'intérieur s'inquiéter des enquêtes qui seraient diligentées sur lui dans sa propre administration ? Comme si le gouvernement n'avait pas confiance en lui-même ! Comment les Français pourraient-ils avoir confiance en vous ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Monsieur le Premier ministre, vos qualités personnelles ne sont pas en cause, ni votre attachement au service de la France, mais vous êtes le produit d'un système en place depuis plus de dix ans, et à bout de souffle. Vous êtes l'illustration d'un mécanisme fondé sur l'irresponsabilité. Vous n'avez pas la confiance du pays, vous n'aurez donc pas la nôtre (Applaudissements prolongés sur les bancs du groupe socialiste, dont de nombreux membres se lèvent).

Plusieurs députés UMP - Fabius, debout !

M. François Bayrou - Un texte magnifique d'Aragon, la préface à la Diane française, commence ainsi : « Mon pays, mon pays, a des mares où je lis le malheur des temps ». Ce qui s'est passé le dimanche 29 mai, bien des indices nous permettaient de le lire longtemps à l'avance...

Le 29 mai, deux cibles ont été atteintes de plein fouet : l'Europe et les prétendues « élites» politiques, économiques, médiatiques, prises dans la même tourmente, dans le même tourment.

Ainsi, ce que nous avions de plus précieux est devenu bon à dérision, bon à démolir. Les dégâts sont considérables, et ils sont plus graves encore que les plus pessimistes d'entre nous ne pouvaient l'imaginer. C'est vite fait d'abattre un arbre, c'est long et difficile d'en faire repousser un autre...

Le « non » français a fait flamber le « non » hollandais, qui n'en demandait pas davantage, et les deux ont offert à M. Blair l'occasion qu'il attendait pour éviter de poser au peuple britannique la question qui le tourmentait depuis si longtemps : « Etes-vous dedans ou dehors? »

M. Francis Delattre - Parole d'expert !

M. François Bayrou - Immédiatement, des voix néerlandaises, allemandes, se sont élevées pour remettre en cause le financement de l'Union, pour demander des chèques et des rabais, dont les victimes sont déjà désignées : la politique agricole commune, la politique régionale, la politique de recherche. A la clé, il y a la renationalisation de ces politiques. L'Europe a commencé de glisser sur le toboggan...

Il n'a pas fallu vingt-quatre heures pour que la Chine annonce qu'elle abandonnait toute maîtrise de ses exportations textiles. Il n'a pas fallu deux jours pour que l'euro soit attaqué. Il n'a pas fallu quatre jours pour que des voix commencent à se faire entendre, en Italie, en Allemagne, pour demander qu'on renonce à l'euro et à ses disciplines, afin de pouvoir à nouveau dévaluer en toute liberté (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste). Je comprends que vous soyez gêné, Monsieur Emmanuelli !

Naturellement, tous ceux qui prétendaient, la main sur le cœur, et la parole sucrée, qu'il existait un plan B, qu'on allait renégocier, qu'on aurait une Europe plus démocratique et plus sociale, sont aujourd'hui silencieux. Ils se font le plus discrets possible...

Tout le terrain gagné péniblement, à force de volonté et d'imagination pragmatique, , menace d'être perdu. L'arbre est par terre, et ce sont les Français qui ont manié la tronçonneuse.

Les militants européens ne se découragent jamais. Ils savent qu'il va falloir planter un nouvel arbre. Ils se souviennent qu'il fallut trois ans pour passer de l'échec de la CED au traité de Rome.

Des propositions se préparent. Elles diront toutes qu'il n'y a pas d'alternative à l'Europe, qu'il s'agit non pas d'une option parmi d'autres, mais d'une nécessité vitale, que sans Europe un pays comme le nôtre ne se trouverait pas promu mais réduit, que l'Europe est en mouvement vers sa dimension politique ; et que la politique, ce sont d'une part des règles qui rendent l'ensemble gouvernable, d'autre part le lien des gouvernants avec le peuple.

Ces exigences, on ne pourra les prendre en compte sans foi ni vision européennes.

Fallait-il qu'il soit mal, le peuple français, pour céder à cette colère sans précédent ? Ce n'est pas faute de s'être exprimé. Il l'avait fait en 1995, et Jacques Chirac avait bien senti ce malaise lorsqu'il bâtit sa campagne sur la fracture sociale. Il l'a fait encore en 1997, lors de la dissolution que, paraît-il, vous aviez voulue, puis en 2002, lors du 21 avril, en évinçant Lionel Jospin du deuxième tour de l'élection présidentielle. Il a parlé à nouveau aux régionales, aux européennes. Cette fois, il a sonné le tocsin, l'alarme générale !

Bureau de vote par bureau de vote, vous avez derrière vous 577 experts électoraux qui l'ont vérifié, chacun dans son territoire : jamais vote ne fut plus facile à déchiffrer ! La vérité ? C'est qu'il y a deux France, de plus en plus éloignées l'une de l'autre. Celle de ceux qui se sentent bien, ouverte, diplômée, urbaine, celle de ceux qui ont une situation, un logement, et qui vivent le temps comme une chance, le monde comme une opportunité nouvelle. Et celle de ceux qui se sentent mal, celle des bas salaires, du chômage ou de l'exclusion, celle des commerces, de l'artisanat, la France rurale...

M. Henri Emmanuelli - La France active !

M. François Bayrou - ...celle des banlieues, de la fonction publique, la France qui se sent assiégée, qui a le sentiment que son temps s'achève et que le monde est dressé contre elle. La France des jeunes, aussi, à l'unisson de la partie la plus inquiète du pays, cette France qui, devant son écran de télévision, ne perçoit que l'indifférence des puissants.

Une telle situation exigeait une rupture. Vous nommer à Matignon, c'était faire le choix de la continuité, vous qui êtes, depuis dix ans, le plus proche collaborateur du Président de la République et l'un des deux piliers, avec Nicolas Sarkozy, des trois gouvernements précédents. Peut-on sortir du système avec ceux qui l'ont fait ? Je ne le crois pas ! Et que dire de la cohérence de votre gouvernement bicéphale, qui organise la cohabitation en son sein, à quelques mois d'une élection majeure ? (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

La Ve République, modèle Mitterrand-Chirac, est à bout de souffle !

M. Henri Emmanuelli - Vous oubliez Giscard d'Estaing !

M. François Bayrou - Sa représentativité est dérisoire : à chaque élection, moins de 20 % du pays occupent les trois cinquièmes des bancs de cette assemblée. Son instabilité est chronique : nous sommes le seul pays d'Europe qui change de majorité à chaque élection, tel un bateau ivre qui roule d'un bord sur l'autre en menaçant chaque fois un peu plus de se renverser (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Quant au Parlement, qui n'est pas maître de son ordre du jour, il ne peut se saisir des sujets les plus graves ni organiser des débats essentiels pour le pays. La majorité vient même d'applaudir les ordonnances, preuve du dessaisissement de l'institution ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe socialiste)

Comment s'étonner de la surdité des pouvoirs, lorsque ce sont les jeux de cour qui prennent le dessus ? Monsieur le Premier ministre, vous êtes bien placé pour le savoir, vous qui avez joué en expert, au service du président, et qui avez qualifié d'aulique ce système dans un de vos livres, en maniant lucidité et cynisme. Comment s'étonner du malaise, lorsque le pouvoir ne se résume plus qu'à un ballet de limousines ? (Vives exclamations sur les bancs du groupe UMP) Vous en doutez ? Allez dans vos circonscriptions et vérifiez-le auprès de vos concitoyens !

Et que dire de la langue qu'il utilise, des chaises musicales et du cumul des mandats ? Quant à ceux qui critiquent le libéralisme, ils feraient bien de relire les penseurs libéraux. Ce sont eux qui ont inventé la démocratie, qui ont pensé la séparation et l'équilibre des pouvoirs, la représentation des citoyens et l'impartialité de l'Etat (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF). De cela, je ne parlerai pas aujourd'hui, tant le sujet exige un grand débat, en particulier avec le ministre de l'intérieur.

Vous avez choisi les cent jours et la priorité à l'emploi, deux formules qui m'inspirent une immense réserve. Nous devrions être vaccinés ! Qu'on en juge : avril 1977, premier pacte national pour l'emploi ; septembre 81, plan Mauroy d'exception pour l'emploi ; septembre 90, plan Rocard de priorité absolue à l'emploi ; juillet 1993, mesures d'urgence Balladur pour l'emploi ; juin 1995, plan Juppé de mobilisation générale pour l'emploi. On annonçait alors - j'étais membre du gouvernement - que les préfets seraient évalués, et Jacques Chirac, très attentif aux résultats de chacun d'entre eux, déclarait que leur réussite en matière d'emploi serait le critère absolument essentiel d'appréciation de leur mérite, donc de sa reconnaissance. Quant à Jean-Pierre Raffarin, il entendait, le 25 septembre 2003, faire de la bataille pour l'emploi la priorité nationale et la clé de tous les arbitrages, cependant que le Président de la République, dans ses vœux à la nation, annonçait, la même année, une grande loi de mobilisation pour l'emploi.

Les réponses ? Ce sont toujours les mêmes : il y eut le contrat de retour à l'emploi, le contrat initiative emploi, le contrat d'avenir, et dix autres du même acabit ! C'est oublier que l'emploi n'est pas une politique particulière, mais une résultante, comme le pouvoir d'achat. C'est donc la perspective d'ensemble qu'il faut changer !

J'en viens aux trois piliers d'une indispensable politique alternative, reposant sur une triple refondation, sociale, de la fiscalité et de l'Etat.

Vous avez reçu chacun des partenaires sociaux pendant moins d'une heure, sans rien leur dire, tel un sphinx. Cette seule attitude dit le décalage avec la réalité, comme si l'Etat seul, en la personne du Premier ministre, pouvait en quelques heures concevoir un plan génial qui rétablirait en cent jours l'emploi et la confiance du pays ! Cette idée appartient à un temps révolu, le temps d'un pays aux frontières fermées et au pouvoir jacobin. Notre pays, notre monde, les métiers, les attentes des consommateurs, les marchés sont si divers que le jacobinisme que vous illustrez jusqu'au lyrisme n'est plus de saison ! L'adaptation de notre pays ? Elle se fera par le bas, non pas par un plan solitaire et lyrique, mais dans la légitimité de ceux qui savent et connaissent. Plus on fera appel aux partenaires sociaux, plus les décisions seront légitimes et justes ! Tout se tient, la méthode, comme la légitimité. Sans refondation sociale, pas de décisions justes, donc.

Pas de nouvelle croissance non plus sans une refonte de la fiscalité. En la matière, il s'agit de garantir des conditions de vie décentes à tous ceux qui traversent le désert, et de favoriser la création, en aidant le créateur, l'inventeur, le chercheur, les éclaireurs et les défricheurs de notre temps. Avec notre fiscalité bloquée, les yeux braqués sur la baisse du seul impôt sur le revenu au profit de la partie déjà la plus avantagée de la population, quel changement espérer ? Sans réforme fiscale, pas de nouvelle croissance, pas de justice établie !

Sans réforme de l'Etat enfin, on n'éliminera pas les nombreux blocages dans lesquels s'épuise l'énergie nationale. Sans réforme de l'Etat, pas de pôles de créativité, ces « clusters », ces essaims dont parle souvent Christian Blanc, invitant à un changement profond du mode de gouvernement des collectivités locales ou des universités.

Bref, c'est bel et bien d'une vision nouvelle que nous avons besoin pour assurer justice sociale et territoriale.

Nous avons vu dans le résultat du référendum l'expression dramatique de la fracture territoriale française. Quelle faute ont commis les habitants des villages et des banlieues pour éprouver ainsi le sentiment de l'abandon national ? Un défaut d'adaptation ? Non, en réalité, ce sont eux qui ont payé le plus lourd tribut aux bouleversements sociaux.

Or pas de nouvelle croissance sans sentiment de justice, et pas de sentiment de justice sans preuves de justice. Pour mener à bien cette tâche, le Gouvernement doit donc asseoir sa légitimité sur un nouveau contrat avec le pays.

Monsieur le Premier ministre, le groupe UDF ne votera pas la confiance car vous ne lui en inspirez guère. Si, par extraordinaire, les choses changent, tant mieux. Si vous défendez de bonnes idées, nous les soutiendrons. Mais nous ne croyons pas aux « cent jours ». « Il est plus tard que tu ne penses » : le titre de ce roman de Gilbert Cesbron résume bien ce que je ressens aujourd'hui. Nous croyons que notre maison République, notre maison France exige plus qu'une énième plan pour l'emploi. Il n'est plus temps de boucher les fissures quand il y a eu un glissement de terrain. La maison doit être reconstruite sur un terrain ferme, avec tous ceux qui le voudront, pourvu qu'on s'accorde sur le plan, et le plus tôt sera le mieux ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF)

M. Alain Bocquet - Le résultat du référendum du 29 mai dernier est historique. Après 1789, le Front populaire, la Résistance et l'Appel du 18 juin, la Libération et mai 1968, le peuple de France s'est de nouveau levé en masse. De manière majoritaire, il a dit « non » à cette aventure européenne d'un libéralisme sans rivage.

Ceux qui avaient fui depuis quelques années la politique politicienne ont fait irruption dans la politique et le peuple a repris la main. Cet événement ouvre un avenir nouveau pour notre pays et pour l'Europe dont la solidité reposera désormais sur la participation des peuples.

« Non », ont dit nos concitoyens, rejoints depuis par les Néerlandais. Il n'y a pas de fatalité à la fuite en avant de l'Europe et de notre pays, dans l'ultralibéralisme prôné par la Banque centrale européenne et le grand patronat, du Medef à l'UNICE, dans l'ultralibéralisme qui laisse dans son sillage 68 millions de pauvres, plus de 20 millions de chômeurs dont 3 millions en France.

Par ce « non », les Français affirment que l'on peut vivre autrement que sous la domination écrasante des marchés financiers. Le capital prospère : 199 milliards d'euros de dividendes versées aux actionnaires en 2004, soit 10 % de plus qu'en 2003 !

Non, les services publics et les atouts industriels et économiques de notre pays ne sont pas voués à être bradés au plus offrant. De même, le haut niveau de protection sociale, le droit du travail et les libertés civiques et démocratiques ne doivent pas être jetés aux orties.

Non, l'avenir de l'Europe et de la France n'est pas dans la course au surarmement, la soumission à l'OTAN et le soutien à une vision unilatérale du monde glorifiant la concurrence.

Pour toutes ces raisons, le résultat du référendum constitue une victoire pour la France, pour l'Europe et pour les peuples qui en sortent grandis (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains). Il fait date et l'on parlera désormais de « l'après-29 mai ».

Cette victoire signifie qu'une autre France, une autre Europe, un autre monde sont possibles. Pour tous ceux qui dans notre pays veulent construire ensemble une société plus juste, plus libre et plus humaine, cela n'a pas de prix. Ils ont placé la barre très haut. Trop, sans doute, pour votre gouvernement ! Le Président de la République en tout cas n'a visiblement tenu aucun compte du message des Français.

Mais qui pourrait avoir confiance en ce gouvernement de repli UMP-UMP, dernier carré d'une droite pure et dure qui colonise l'Etat républicain d'une manière scandaleuse ? (Murmures sur les bancs du groupe UMP)

Par ailleurs, il est contraire à l'esprit républicain que le président du parti UMP - Union pour une minorité de privilégiés (Protestations sur les bancs du groupe UMP) - soit également ministre de l'intérieur (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains). C'est l'Etat UMP dans toute sa splendeur ! Ce régime de parti unique institutionnalisé, personne n'en veut ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

M. Thierry Lazaro - L'Etat communiste, c'était tellement mieux !

Plusieurs députés UMP - Au secours ! Brejnev !

M. Alain Bocquet - Par leur vote, les Français ont désavoué leur Parlement réuni en Congrès à Versailles le 28 février dernier. Le suffrage populaire a rejeté le projet constitutionnel que ses représentants avaient adopté !

Assez de cette monarchie républicaine ! Il est urgent de refonder les institutions. Le référendum a montré une grande soif de démocratie et de citoyenneté.

Plusieurs députés UMP - Votre intérêt pour la démocratie est bien nouveau !

M. Alain Bocquet - Monsieur le Premier ministre, il est inadmissible que vous ayez l'intention de gouverner par ordonnance ! (« Très bien ! » sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains) Vous ne tenez pas compte du grand souffle populaire qui s'est fait sentir ! Vous allongez la période d'essai des salariés jusqu'à deux ans ! Je crains que votre propre période d'essai ne se solde par l'échec en 2007.

M. Maxime Gremetz - C'est sûr et certain !

M. Alain Bocquet - Nous assistons à une véritable crise de régime. La haute finance gangrène tout, les Français en sont conscients. Vos replâtrages n'arrangeront rien. Les lectures politiciennes du vote des Français auxquelles nombre de commentateurs et de responsables politiques se sont livrés au soir du 29 mai sont insultantes. Le rêve caressé d'un bipartisme et d'une alternance "bon chic, bon genre", qui veut pérenniser la logique ultralibérale du système s'éloigne. (Applaudissements sur bancs du groupe des députés communistes et républicains)

Selon le journaliste du Figaro, Bernard Brunhes, ce vote relève d'un phénomène de « lutte de classes ».

M. Jean-Pierre Brard - Le Figaro est notre nouvel organe ! (Rires)

M. Alain Bocquet - La France du travail, de la création, de la jeunesse, des quartiers populaires, celle qui souffre et qui espère, a voté « non ». Le mouvement syndical est unanime : il est nécessaire de changer de cap. Vous ne pourrez faire l'économie d'une révision des orientations européennes et nationales, liées aux yeux des Français.

Le projet de Constitution européenne ultralibéral est mort. Enterrons-le ! Les dirigeants européens qui suspendent la tenue du référendum dans leur pays ont raison car la contagion du « non » progresse en Europe. Persister dans le processus initial, comme le recommande votre ministre des affaires étrangères, c'est conduire la France et l'Europe dans l'impasse.

Cette crise européenne peut être salutaire. Nous devons en sortir par le haut, en redonnant la parole aux peuples. La France, forte du verdict populaire du 29 mai, s'honorerait de proposer lors du prochain sommet des chefs d'Etat des 16 et 17 juin, la rédaction d'un nouveau projet constitutionnel conforme aux aspirations des peuples européens et du nôtre. Mettons au cœur de l'Europe l'emploi, le progrès social, le progrès humain et la démocratie.

Plusieurs députés UMP - Avec le goulag, en prime !

M. Alain Bocquet - Nos concitoyens et les peuples doivent être parties prenantes de cette élaboration. Pour cela, nous devons nous fonder sur l'évaluation publique de l'application des traités antérieurs, jamais encore réalisée. La France doit exiger que l'on mette fin à l'indépendance de la Banque centrale européenne et que la directive Bolkestein, ainsi que celles relatives au temps de travail ou à l'ouverture à la concurrence des transports, soient retirées.

C'est aux actes que nos compatriotes jugeront si l'éxécutif respecte le suffrage universel et la volonté populaire démocratiquement exprimée. Les Français n'ont pas dissocié, dans l'appréciation de la question qui leur était posée, l'enjeu européen de la situation dans notre pays.

Ainsi, après avoir entendu le Président de la République souligner le 26 mai qu'il ne s'agissait pas « de dire oui ou non au Gouvernement « , ils ont vu ce même Président congédier Jean-Pierre Raffarin.

Voici revenu le temps des chaises musicales et des évictions en tous genres ! Voici revenu le temps des triumvirats dont la Rome décadente eut jadis le secret ! On sait qui est César, Pompée et Crassus ; reste à savoir qui sera Brutus ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

M. Claude Goasguen - Fabius ?

M. Alain Bocquet - Difficile après cela, Monsieur le Premier ministre, d'accorder du crédit à votre volonté de rompre avec des choix désastreux pour notre pays, des choix qui créent des injustices et accroissent les inégalités, que les Français désavouent dans la rue et dans les urnes, et que ce référendum a finalement balayés.

Votre déclaration de politique générale correspond aux intérêts des plus riches et du Medef ; elle est prisonnière de Maastricht et des tours de vis du pacte de stabilité. Elle ne donne aucune perspective à la majorité des Français alors que 12 des 40 sociétés françaises du CAC 40 annoncent 32 milliards de bénéfices nets, et que le PDG de Carrefour part en retraite anticipée avec l'équivalent de 2 815 années de SMIC !

Il y a donc dans notre pays de l'argent pour répondre aux besoins, pour peu qu'on mette fin au gâchis qui consiste à consacrer 20 % des centaines de milliards de valeur ajoutée à des opérations boursières. Au contraire, vous accompagnez ces dérives par votre politique fiscale et les allégements des cotisations sociales patronales, multipliés par vingt en vingt ans, atteignent 17 milliards, alors que M. Novelli lui-même, expert en libéralisme, annonce ne plus croire à l'efficacité des baisses de charges.

Les Français vous demandent de mettre la richesse produite au service de l'investissement, de la formation, de la recherche, de l'innovation et de la création d'emplois.

Ils vous demandent de revenir sur la liquidation des régimes de retraites, d'abroger la loi Fillon (Non ! sur les bancs du groupe UMP), de ranger au placard la loi Perben (Même mouvement). Ils vous demandent de revenir sur la casse des 35 heures, sur les heures supplémentaires moins payées, et sur ce « temps choisi » qui permet au patronat de faire travailler jusqu'à 48 heures par semaine. Ils vous demandent de revenir sur le démantèlement de la sécurité sociale et sur le plan hôpital 2007.

Tout cela nous renvoie à l'économie et à la création d'emplois, que le Président de la République a donnée pour comme priorité. En mai 1995 déjà, il déclarait que l'emploi serait sa préoccupation de tous les instants, et les Premiers ministres ont repris cette antienne. Mais le temps des promesses non tenues est révolu, les Français ne croient plus aux incantations. La cote de popularité du Président de la République s'est effondrée et, selon un sondage de ce matin, huit Français sur dix ne croient pas aux solutions annoncées.

Déréglementer le travail et faire des cadeaux au Medef, voilà l'essentiel de vos recettes. Votre « cohésion sociale » n'est que poudre aux yeux, et pourquoi aller chercher des modèles en Grande-Bretagne, au Danemark ou en Suède ? Pour mieux réaliser le rêve éveillé du Medef (rires et exclamations sur les bancs du groupe UMP) : licencier plutôt que d'embaucher ?

Améliorer l'économie, c'est d'abord revaloriser le pouvoir d'achat des ménages, principal moteur de la consommation. Or un Français sur deux gagne moins de 1 800 euros par mois, et le nombre des érémistes s'est accru de 10 % en un an pour dépasser le million.

Il faut donc revaloriser de façon substantielle les salaires, retraites et minima sociaux et par exemple porter l'allocation des personnes handicapées au niveau du SMIC. Il faut sécuriser les parcours professionnels et s'opposer de façon volontariste au travail partiel contraint qui pénalise avant tout les femmes. Il faut desserrer l'étau des marchés boursiers, contrôler les aides publiques, promouvoir un crédit bancaire adapté à la création d'emplois.

Vous vous réfugiez derrière l'absence de marges budgétaires. Un collectif s'impose. Revenez sur les allégements d'impôt pour les plus hautes tranches, qui représentent 50 milliards de manque à gagner en six ans. Annulez la suppression progressive de la taxation des plus-values sur cession d'actifs financiers. Restaurez l'impôt sur les sociétés. Gouvernez en faveur des 16 millions de salariés et des 60 millions de Français, non des 160 000 adhérents du Medef ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

M. Bernard Deflesselles - Quelle caricature !

M. Alain Bocquet - Nous avons proposé la constitution d'un pôle financier public conjuguant les moyens de la Caisse des dépôts, de la caisse d'épargne, de La Poste, pour soutenir des fonds régionaux pour l'emploi. Mais vous ne remettez en cause ni la privatisation des entreprises publiques, ni la casse des services publics, ni la réduction de l'emploi public. Votre premier acte de chef de gouvernement, mettre sur le marché 6 % à 8 % des actions de France Télécom, traduit un mépris total du message des Français.

Aujourd'hui, la volonté de changement vient, en vagues puissantes, battre les falaises de l'injustice sociale. Déjà elle est venue à bout d'une Constitution qui allait imposer aux peuples d'Europe un carcan supplémentaire pour les 50 ans à venir.

Monsieur le Premier ministre, vous n'aurez pas notre confiance (Rires et exclamations sur les bancs du groupe UMP). Elle va aux Français qui contestent ce système injuste et se mobilisent pour le changement. L'espoir d'une société plus juste, plus humaine, plus fraternelle grandit. Les députés communistes et républicains se veulent à la tête de ce grand rassemblement populaire qui fera enfin triompher les valeurs humaines sur les valeurs boursières. (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

M. le Premier ministre - Nous sommes tous d'accord sur un premier point : notre devoir est d'écouter le message des Français.

M. Jean-Pierre Brard - Alors branchez votre sonotone, Monsieur le Premier ministre ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

M. le Premier ministre - Nous avons une exigence d'action et de résultats. L'objectif du gouvernement n'est pas de suivre tel ou tel modèle, de privilégier telle ou telle catégorie, mais de répondre concrètement aux problèmes de tous les Français, de ceux qui se sentent fragiles comme de ceux qui ont confiance en l'avenir, de ceux qui aspirent à plus de protection comme de ceux qui veulent entreprendre. (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP)

Nous sommes d'accord aussi sur l'urgence. C'est pourquoi j'ai proposé des mesures simples, propres à donner rapidement des fruits. La gravité de la situation exige pragmatisme et détermination, au-delà des idéologies et des préjugés. Pour cela, j'ai besoin de chacun. Ce gouvernement consacrera toute son énergie à la bataille pour l'emploi, qui est la meilleure garantie de l'amélioration du pouvoir d'achat, et il aura pour seul critère l'efficacité. Nous n'avons pas d'autre choix si nous voulons préserver le modèle économique et social auquel les Français sont attachés.

Je remercie Bernard Accoyer de ses paroles de soutien et d'encouragement. Que l'ensemble des députés du groupe qu'il préside sachent combien je suis sensible et attentif à leurs propositions. Dans cette période difficile, qui exige à la fois humilité et énergie, je sais combien grande est leur attente. J'ai besoin d'eux, de leur mobilisation et de leur contribution à la mise en œuvre de notre projet.

Je vous remercie, Monsieur Accoyer, d'avoir insisté sur la nécessité de concilier le soutien aux entreprises et l'accompagnement des chômeurs. La mobilisation pour l'emploi doit être partagée. Elle passe aussi, comme vous l'avez fort bien dit, par l'innovation et la recherche. Comme l'ont montré les inquiétudes concernant les délocalisations qui se sont fait jour tout au long de la campagne référendaire, la France a besoin d'une grande politique industrielle. Celle-ci sera bien sûr portée par les pôles de compétitivité, que nous devons mettre en place sans délai. Elle doit s'appuyer également sur le tissu de nos PME, qui constituent un gisement d'initiatives et d'emplois (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Et vous avez raison encore lorsque vous dites que le déblocage de l'emploi libérera le pouvoir d'achat et donc la croissance.

Monsieur Hollande, à chacun sa part de fardeau ! Les difficultés sont nombreuses : mondialisation, hausse du prix du pétrole, faiblesse du dollar..., mais quinze ans de socialisme ont largement contribué à la situation actuelle de la France (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Nos marges de manœuvre budgétaires sont étroites. Aucun membre du Gouvernement ne songe un instant que sa mission sera facile. Les Français le savent aussi, qui attendent de nous que nous leur disions la vérité, toute la vérité sur les comptes de l'Etat. Il est vrai que le ralentissement de la croissance en Europe pour les premiers mois de 2005 pèse sur les recettes, mais c'est précisément pour cela que nous avons fait deux choix clairs. Le premier est celui de la responsabilité. La dépense publique sera contenue, comme elle l'a été depuis trois ans. C'est indispensable pour rétablir la confiance et maintenir notre crédibilité. J'ai demandé au ministre de l'économie et des finances de le réaffirmer hier à Bruxelles auprès de tous les membres de l'Union. Il n'y a pas d'autre politique possible. Toute autre voie serait aventureuse (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Notre deuxième choix est de mobiliser l'ensemble des marges de manœuvre en faveur des politiques de l'emploi. C'est pourquoi nous ne baisserons pas l'impôt sur le revenu cette année (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) afin de consacrer tous nos moyens à cette priorité nationale. Les exonérations de charges sociales ont montré leur efficacité en matière d'emplois compte tenu du niveau élevé des prélèvements pesant sur les entreprises (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains), mais d'autres leviers seront également activés. Nous allons en particulier mieux soutenir chaque demandeur d'emploi qui fait l'effort de reprendre une activité.

Monsieur Bayrou, je vous ai écouté avec beaucoup d'attention. Mais, j'ai beau chercher, je ne vois pas dans nos propositions ce qui pourrait être en contradiction avec la politique que vous réclamez depuis des années. Ce Gouvernement a conscience de sa responsabilité. Nous savons qu'il nous appartient, avec humilité mais détermination, de redonner crédibilité à l'action politique. Le Président de la République a nommé un gouvernement de mission, de rassemblement, qui sait qu'il est attendu et demande simplement, Monsieur Bayrou, à être jugé sur ses actes (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Ce dont nous avons besoin aujourd'hui, c'est de rassembler tous les Français, la France de l'espoir, du succès et de la justice. (« Nous verrons ! » sur les bancs du groupe socialiste)

Ma méthode sera simple. J'irai le plus loin possible dans le dialogue et la concertation avec les partenaires sociaux, l'ensemble des partis politiques et le Parlement («En légiférant par ordonnances ! » sur les bancs du groupe socialiste). Mais les Français attendent de l'action et des résultats. L'urgence n'est pas aujourd'hui aux réformes institutionnelles. Elles viendront en leur temps si elles sont utiles au pays et à la démocratie, mais les institutions de la Ve République fonctionnent (« Non ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste). La première priorité pour l'Etat, c'est la bataille de l'emploi, la remise en marche de notre économie et de notre industrie, c'est la promotion de l'égalité des chances (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

Je souhaite enfin le dire, en conscience, à chacun des membres de votre groupe : la situation de notre pays exige aujourd'hui de s'engager et non de s'abstenir, d'agir et non de garder le silence. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) A la fin de votre propos, vous avez indiqué que si « par extraordinaire » nous réussissions, vous nous soutiendriez. Eh bien, Monsieur Bayrou, je crois à l'extraordinaire : la France est un pays extraordinaire ! (Mêmes mouvements) Vous avez cité Aragon. Permettez-moi de citer Camus évoquant les heures les plus sombres de l'Histoire : « Quand les hommes de Prométhée restent soucieux de la terre fraternelle, l'homme devient alors plus dur que son rocher, plus patient que son vautour. » L'heure est aujourd'hui à la volonté. Seule la volonté a du sens, seule l'action donne du sens. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Messieurs Hollande et Bocquet, de l'emploi, vous parlez beaucoup aussi, mais, hélas, pour annoncer toujours les mêmes recettes : augmenter les charges des entreprises, accroître la dépense publique et le déficit, renforcer la réglementation et les contraintes. Tel n'est pas notre choix (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Nous mobiliserons tous les instruments de la politique de l'emploi, sans idéologie, et irons chercher les emplois là où ils se trouvent, en premier lieu dans nos deux millions de très petites entreprises. Tel sera l'objet du contrat nouvelle embauche, destiné uniquement à elles. Dans le respect du code du travail, nous accompagnerons les chômeurs dans leur reprise d'activité et, contrairement à ce que vous prétendez, en préservant les droits des salariés. La charge financière et administrative résultant pour les entreprises d'un seuil sera allégée, mais les droits sociaux attachés à celui-ci ne seront nullement remis en question (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

S'agissant de l'industrie et de la recherche, là, où il n'est question pour vous que de mots, nous dégageons, nous, des moyens, qu'il s'agisse de l'Agence pour l'innovation industrielle ou de l'Agence nationale pour la recherche, toutes deux aujourd'hui financées.

Pour ce qui est de l'Europe, Messieurs Hollande et Bocquet, soyez assurés que le message des Français sera entendu. Les Français sont attachés à la construction européenne, mais ils refusent qu'elle se fasse sans eux. Je salue la vitalité du débat démocratique qui a eu lieu avant le vote du 29 mai et a permis à nos compatriotes de se réapproprier cette grande ambition. J'entends, comme vous, certaines inquiétudes. C'est forte de ses idéaux et de ses valeurs que la France reprendra la main en Europe. Elle plaidera pour une Europe plus forte, plus indépendante, qui sache mieux défendre ses intérêts. Elle plaidera pour davantage de conscience européenne, davantage de préférence européenne face aux autres grands ensembles économiques. Cela exige de mieux intégrer les exigences de croissance et d'emploi à la politique européenne, et de disposer d'outils économiques à la hauteur des enjeux.

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les députés, vous avez devant vous un homme profondément déterminé à sortir notre pays des doutes et des difficultés qui le rongent. Vous avez devant vous un Gouvernement au travail, tout entier consacré à sa mission au service des Français. J'ai besoin de votre confiance pour agir sans délai ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. le Président - Le Premier ministre ayant engagé la responsabilité du Gouvernement, sa déclaration de politique générale est mise aux voix.

Le scrutin est ouvert ; il sera clos à 18 heures 45.

La séance, suspendue à 17 heures 45, est reprise à 18 heures 45.

M. le Président - Voici le résultat du scrutin :

- nombre de votants : 545

- nombre de suffrages exprimés : 541

- majorité absolue des suffrages exprimés : 271

- Pour : 363

- Contre : 178

L'Assemblée a approuvé la déclaration de politique générale du Gouvernement. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

NOMINATION D'UN VICE-PRESIDENT

M. le Président - M. Jean Le Garrec m'ayant fait connaître sa démission de ses fonctions de vice-président de l'Assemblée nationale, il y a lieu de procéder à la nomination d'un vice-président. Cette nomination aura lieu au début de la séance du jeudi 9 juin.

Prochaine séance, jeudi 9 juin, à 9 heures 30.

La séance est levée à 18 heures 50.

                      Le Directeur du service
                      des comptes rendus analytiques,

                      François GEORGE

ORDRE DU JOUR
DU JEUDI 9 JUIN 2005

NEUF HEURES TRENTE : SÉANCE PUBLIQUE

1. Nomination, éventuellement par scrutin, d'un vice-président de l'Assemblée nationale.

2. Discussion, en deuxième lecture, de la proposition de loi (n° 2300) tendant à mettre à la disposition du public les locaux dits du Congrès, au Château de Versailles.

Rapport (n° 2358) de M. Philippe HOUILLON, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

3. Projet de loi (n° 1925) autorisant l'approbation de l'accord sous forme d'échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République italienne visant à compléter la liste des établissements culturels et d'enseignement auxquels s'appliquent les dispositions de la convention culturelle du 4 novembre 1949 et de l'accord par échange de lettres du 9 novembre et du 6 décembre 1954 relatif aux exemptions fiscales en faveur des établissements culturels.

Rapport (n° 2359) de M. Jean-Claude GUIBAL, au nom de la commission des affaires étrangères.

(Procédure d'examen simplifiée : art. 107 du Règlement).

4. Projet de loi, adopté par le Sénat (n° 2112), autorisant l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Croatie en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu (ensemble un protocole).

Rapport (n° 2360) de Mme Martine AURILLAC, au nom de la commission des affaires étrangères.

(Procédure d'examen simplifiée : art. 107 du Règlement).

5. Projet de loi, adopté par le Sénat (n° 2113), autorisant l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République d'Albanie en vue d'éviter les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales (ensemble un protocole).

Rapport (n° 2360) de Mme Martine AURILLAC, au nom de la commission des affaires étrangères.

(Procédure d'examen simplifiée : art. 107 du Règlement).

6. Discussion du projet de loi (n° 2036) autorisant l'approbation de la décision des représentants des Gouvernements des Etats membres, réunis au sein du Conseil le 28 avril 2004, concernant les privilèges et immunités accordés à ATHENA.

Rapport (n° 2204) de M. Jean GLAVANY, au nom de la commission des affaires étrangères.

7. Discussion du projet de loi (n° 1893) autorisant l'approbation de la convention européenne relative à la protection du patrimoine audiovisuel et de son protocole sur la protection des productions télévisuelles.

Rapport (n° 2251) de M. Jean-Marc NESME, au nom de la commission des affaires étrangères.

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne deux heures après la fin de séance.

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

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