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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2004-2005 - 93ème jour de séance, 224ème séance

2ème SÉANCE DU MARDI 14 JUIN 2005

PRÉSIDENCE de M. Jean-Louis DEBRÉ

Sommaire

LIBÉRATION DE FLORENCE AUBENAS
ET HUSSEIN HANOUN 2

SOUHAITS DE BIENVENUE
À UNE DÉLÉGATION ÉTRANGÈRE 2

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT 2

AVENIR DE L'EUROPE 2

LIBÉRATION DE FLORENCE AUBENAS
ET DE HUSSEIN HANOUN 3

SITUATION DES TRANSPORTS ROUTIERS 4

OPÉRATION DE POLICE CONTRE DES SALARIÉS
À CHAUNY 5

ASSASSINAT DE MME NELLY CRÉMEL 6

PLAN DE DÉVELOPPEMENT DES SERVICES
À LA PERSONNE 6

POLITIQUE DE L'EMPLOI 7

SITUATION À PERPIGNAN 8

LIAISON FERROVIAIRE LYON-TURIN 9

PRÉSENCE DE M. SARKOZY AU GOUVERNEMENT 10

OUVERTURE DU CAPITAL DE GDF 11

POLITIQUE DE L'EMPLOI 11

LOIS DE FINANCEMENT
DE LA SÉCURITÉ SOCIALE 12

DÉVELOPPEMENT DES SERVICES
À LA PERSONNE
ET COHÉSION SOCIALE 16

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ 21

La séance est ouverte à quinze heures.

LIBÉRATION DE FLORENCE AUBENAS ET HUSSEIN HANOUN

M. le Président - Mes chers collègues, dès le jour de l'enlèvement de Florence Aubenas et de son guide Hussein Hannoun, nous avons manifesté collectivement notre préoccupation et notre solidarité. Leur libération dimanche dernier a provoqué chez chacun d'entre nous joie et soulagement. En votre nom à tous, je veux rendre hommage au courage de Florence, à la dignité de sa famille et à celle de ses confrères, et vous demander, Monsieur le Premier ministre, de transmettre nos plus vives félicitations aux agents de l'Etat qui, sous l'autorité du Président de la République et du Gouvernement, ont œuvré à cette libération (Applaudissements sur tous les bancs).

M. Dominique de Villepin, Premier ministre - Ici, devant cette assemblée qui représente le peuple français, je veux comme vous que ma première pensée soit pour Florence Aubenas et Hussein Hannoun. Florence nous a donné l'exemple d'une femme de liberté qui tout au long de 157 jours de détention, n'a jamais cédé aux injonctions de ses ravisseurs ; d'une femme de courage, qui n'a jamais perdu l'espoir ; d'une femme de tempérament et de sourire, qui au moment où elle retrouvait le sol français a témoigné d'humour, de confiance, d'espoir devant l'avenir, et a su nous les faire partager.

Tout au long de cette épreuve, le sang-froid et le sens des responsabilités ont été au rendez-vous, plutôt que l'émotion et l'inquiétude, et je tenais à en remercier tous nos compatriotes, à saluer le courage de la famille de Florence et l'esprit de responsabilité de tous ses confrères et consoeurs, en particulier du directeur et de la rédaction du journal Libération. Je veux aussi saluer comme vous le courage et l'action des services de l'Etat qui, dans la continuité, qu'il s'agisse des services du ministère de la défense ou de ceux du ministère des affaires étrangères, dans des conditions extrêmement périlleuses, ont fait la preuve de leur engagement. Ce sont bien eux, et eux seuls, qui jour après jour ont mené le combat. Je salue également l'ensemble des groupes politiques, qui se sont mobilisés sans céder à la polémique ou à la division.

Je remercie tout particulièrement les représentants du Conseil français du culte musulman, qui ont multiplié les appels en vue de cette libération, ainsi que, bien sûr, tous nos compatriotes, qui ont manifesté leur engagement par des gestes et des actes quotidiens.

Je salue enfin l'engagement de la communauté internationale, et tout particulièrement celui de la Roumanie et de ses autorités.

Au moment où nous fêtons cette libération, je veux aussi penser à l'avenir. Dans les prochains jours, je recevrai les représentants de l'ensemble de la presse française pour examiner les moyens de conjuguer la défense de la liberté d'informer et notre responsabilité vis-à-vis de l'ensemble de nos compatriotes. (Applaudissements sur tous les bancs)

SOUHAITS DE BIENVENUE À UNE DÉLÉGATION ÉTRANGÈRE

M. le Président - Mes chers collègues, permettez-moi en votre nom de souhaiter la bienvenue à une délégation de la Chambre des Représentants de la République des Philippines, conduite par son Président, M. José de Venecia. (Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement se lèvent et applaudissent)

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

AVENIR DE L'EUROPE

M. Bernard Accoyer - Le 29 mai, les Français n'ont pas souhaité autoriser la ratification du traité constitutionnel européen. Nous regrettons cette décision, mais elle s'impose. (Exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

Pour autant, les Français n'ont pas rejeté l'Europe. Ils veulent une Europe plus lisible, plus proche d'eux, qui réponde à leurs préoccupations quotidiennes et les rassure sur leur avenir dans ce monde confronté à la globalisation.

Dans ce contexte, Monsieur le Premier ministre, vous avez décidé que notre assemblée débattrait, à la veille d'un sommet européen capital, de l'avenir de l'Union. Je veux vous remercier de ce choix, particulièrement nécessaire puisque nos compatriotes ont clairement demandé au cours de la campagne et par leur vote d'être à l'avenir davantage associés à la préparation des décisions et à l'élaboration des textes européens. Pouvez-vous nous dire comment vous entendez répondre à cette attente ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Dominique de Villepin, Premier ministre - Le 29 mai a ouvert une période de questionnements en France, où l'on s'interroge sur la direction à donner à la construction européenne et sur le rôle à conférer à l'Union européenne, et aussi en Europe, où l'on s'interroge sur le processus de ratification. Le Conseil européen de la fin de la semaine revêt donc une importance particulière.

L'Europe a connu d'autres crises au cours de son histoire. Des crises d'identité en 1954, sur la CED, et en 1965, avec la politique de la chaise vide ; des crises de fonctionnement, sur des politiques sectorielles comme celles de l'agriculture ou de la pêche, ou sur les montants compensatoires. Toujours, elle a été capable de la volonté politique permettant de surmonter ces crises.

A cette heure, nous devons à la même volonté ajouter la fidélité à l'exigence démocratique. C'est pourquoi j'ai voulu que puisse se tenir demain, en France, un véritable débat, où chacun puisse s'exprimer, poser des questions, prendre date.

Nous connaissons les questions majeures auxquelles nous sommes confrontés. Elles portent d'abord sur la Constitution européenne : faut-il poursuivre ou arrêter le processus de ratification ? Deuxièmement, le projet constitutionnel avait pour but de nous doter des institutions nécessaires pour faire vivre l'élargissement : de quels outils devons-nous nous doter pour construire une Europe au service de nos concitoyens ? Enfin, se pose la question de l'élargissement et des frontières de l'Europe.

Tous ces sujets seront abordés demain. Mais dès aujourd'hui, je tiens à dire que la France défendra une position exigeante : protéger les intérêts de notre pays (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste), prendre en compte les inquiétudes exprimées par les Français (Mêmes mouvements) et en même temps travailler à l'unité et au rassemblement des Européens pour mieux affronter ensemble l'avenir. Nous savons tous combien les Français sont attachés à la construction européenne.

M. le Président - Nous aurons en effet demain, après une déclaration du Gouvernement, un débat organisé par la Conférence des présidents, conformément à l'article 132 de notre Règlement.

LIBÉRATION DE FLORENCE AUBENAS ET DE HUSSEIN HANOUN

M. Paul Quilès - Je veux dire la satisfaction de la représentation nationale et de l'ensemble des Français de voir les otages libérés. Au nom du groupe socialiste, je félicite les personnes qui ont permis de mettre un terme heureux à cet acte barbare et inhumain.

Durant les 157 jours de détention de Florence Aubenas et de Hussein Hanoun comme cependant la captivité de Christian Chesnot et Georges Malbrunot, la discrétion devait naturellement être la règle pour tous les responsables politiques. En général, cette règle a été respectée.

Aujourd'hui, il est nécessaire d'y voir plus clair. Quel rôle ont joué certains intermédiaires ? Je n'ignore pas que ces derniers sont inévitables, mais certaines attitudes, prises de position et déclarations publiques ont constitué autant de dérives qui ont mis en danger la vie des otages et porté atteinte au crédit de la France.

Quelles ont été les motivations de ces prises d'otages ? Mafieuses ou politiques ? Y a-t-il eu des interférences avec la politique internationale de la France ? Si oui, lesquelles ?

Voilà pourquoi, avec M. François Loncle, et l'ensemble du groupe socialiste, nous proposons la création d'une commission d'enquête parlementaire (Protestations sur les bancs du groupe UMP) afin d'éviter que certaines dérives ne se reproduisent.

Bien que cela relève de la responsabilité de notre assemblée, j'aimerais savoir, Monsieur le Premier ministre, ce que vous pensez d'une telle initiative. (Applaudissements sur les bancs du groupe bancs du groupe socialiste ; protestations sur les bancs du groupe UMP)

Plusieurs députés UMP - C'est petit !

M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères - Après le Premier ministre et le président de l'Assemblée, je me réjouis de la libération de Florence Aubenas et de Hussein Hanoun. Je salue la diplomatie française et les services du ministère de la défense qui, dans la continuité de l'Etat, ont montré une grande efficacité, et je salue de même l'esprit de responsabilité de l'ensemble des groupes politiques. Cet esprit doit perdurer et ne pas laisser place à la polémique.

Une prise d'otage, en particulier dans un pays étranger, est une question délicate. Discrétion, sens des responsabilités et silence doivent prévaloir avant, pendant et après la détention. Je m'y tiendrai.

Plusieurs députés socialistes - Barnier ! Barnier !

M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères - Concernant les ravisseurs, les indications en notre possession depuis ces derniers jours sont souvent contradictoires. Il est nécessaire d'étudier ces informations avant d'aller plus loin. S'agissant des prises de position auxquelles vous avez fait allusion, les libérations de Christian Chesnot, Georges Malbrunot, de Florence Aubenas et de Hussein Hanoun nous ont montré que la diplomatie française est une. Il n'existe pas de diplomatie parallèle !

SITUATION DES TRANSPORTS ROUTIERS

M. Francis Hillmeyer - A l'arrière de milliers de camions dans toute la France, une affiche : « Mon entreprise ne veut pas mourir ». Le secteur du transport routier est à l'agonie et les raisons en sont connues.

D'abord, le cabotage. Des entreprises d'autres pays, qui n'ont pas les mêmes devoirs ni les mêmes obligations envers leurs salariés, viennent casser les prix en France. Les contrôles trop rares ne parviennent pas à endiguer ce phénomène. De plus, ces entreprises échappent très souvent à la TVA. Puis il y a la location transfrontalière. Enfin, la France est le quatrième pays le plus cher pour ce qui est de la taxation sur le gazole : 2,6 milliards de TIPP payés en 2004. Pour une concurrence plus loyale, nos transporteurs demandent la création d'un gazole professionnel européen. Où en sont les négociations ?

Le passage du 40 tonnes au 44 tonnes est également une demande récurrente. La majorité des véhicules sont déjà équipés pour transporter cette charge supplémentaire de quatre tonnes qui représente deux à quatre points de marché. J'avais abordé ces questions dans mon rapport, remis en 2004, et proposé quelques mesures au niveau national et européen.

Nous devons répondre au défi que nous posent les transporteurs - et ce, sans bloquer les routes et sans perturber nos concitoyens - si nous ne désirons pas la chute du pavillon français. Merci, Monsieur le ministre, d'entendre les 42 000 entreprises et ces 333 000 salariés du secteur routier !

M. Dominique Perben, ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer - Comme vous, j'ai conscience des difficultés que connaît le secteur routier. Devant l'urgence, mes collaborateurs ont reçu l'ensemble des fédérations cette semaine et je ferai de même la semaine prochaine. Nous aurons l'occasion de rediscuter des mesures que vous aviez proposées dans le cadre de votre mission.

Concernant le cabotage, un décret a été suspendu par une décision récente du Conseil d'Etat. Or la réglementation de cette pratique est indispensable. Elle sera par conséquent inscrite dans le projet de loi qui vous sera soumis prochainement.

L'arrêté réglementant les locations transfrontalières a été signé et sera publié au Journal officiel dans les prochains jours. Enfin, avec le ministre de l'Economie, nous allons reprendre les discussions pour que la Commission et tous les membres du Conseil travaillent à l'harmonisation de la fiscalité du gazole professionnel, afin d'éviter des concurrences déloyales. Les discussions que nous allons engager avec la profession, dans un esprit de responsabilité, permettront de régler les problèmes. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

OPÉRATION DE POLICE CONTRE DES SALARIÉS À CHAUNY

M. Jacques Desallangre - Le groupe des élus communistes et républicains partage pleinement la joie de tous après la libération de Florence Aubenas et de son guide.

Monsieur le ministre de la justice, le lundi 30 mai, à 6 heures du matin, une véritable rafle policière a eu lieu à Chauny contre six membres de l'ancien atelier de confection Knac, mis en liquidation judiciaire il y a deux ans. Ils ont été interpellés à leur domicile et emmenés manu militari par des gendarmes de différentes brigades, comme des malfaiteurs, sous les yeux de leurs enfants. Deux femmes ont été menottées ; le mari d'une employée, étranger à l'affaire, a été embarqué ; l'épouse d'un délégué syndical dans le coma à l'hôpital de Reims a été interpellée devant ses deux jeunes enfants et gardée à vue. A la brigade de gendarmerie de Chauny, le délégué syndical CGT a été appelé par dérision « camarade » et tutoyé comme un voyou (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Tous ont subi la photographie anthropométrique et la prise d'empreintes. Deux femmes, de 45 et 54 ans, furent contraintes de se dénuder entièrement pour une fouille au corps dégradante. Humiliées, elles sont sous traitement médical.

Leur crime ? Après six mois d'une occupation pacifique qui a protégé l'entreprise du vol, du vandalisme et de la vente des machines, ils ont eu le tort de laisser éclater leur colère lorsque le tribunal de commerce a choisi le repreneur qui n'assurait que 15 réembauches contre celui qui en proposait 35. Ils ont brûlé des pneus dans la cour, et la fumée a sali les locaux, dans lesquels ils ont jeté des confettis. Quel forfait !

Le repreneur, dont la plainte avait été classée sans suite par le procureur, est revenu à la charge. Qui est à l'origine de cette opération de criminalisation de la lutte syndicale pour la défense de l'emploi,...

Plusieurs députés UMP - La CGT !

M. Jacques Desallangre - ...avec des méthodes dignes d'Etats autoritaires ? Qui présentera des excuses à ces hommes et femmes humiliés, qui réparera leur honneur ? (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste)

M. Gérard Larcher, ministre délégué à l'emploi, au travail et à l'insertion professionnelle des jeunes - L'entreprise Knac de Chauny, spécialisée dans la confection haut de gamme et employant 35 salariés fut mise en liquidation judiciaire mi-2003. Deux entreprises proposèrent une reprise au tribunal de commerce, et celle qui fut retenue proposait moins d'emplois que l'autre.

M. Bernard Roman - Ce n'est pas la question !

M. Gérard Larcher, ministre délégué à l'emploi, au travail et à l'insertion professionnelle des jeunes - Cette décision prononcée en octobre 2003 avait provoqué la colère d'anciens salariés, qui avaient brûlé des pneus dans la cour de l'usine. (« La question ! » sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains) pour protester. Le repreneur avait déposé plainte avec constitution de partie civile. Le juge a ouvert une instruction judiciaire et demandé aux gendarmes d'entendre les personnes qui avaient pu participer à cette action. Une procédure de garde à vue a eu lieu le 30 mai dernier dès 6 heures du matin. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

Compte tenu de la séparation du pouvoir exécutif et judiciaire, (Mêmes mouvements et claquements de pupitres) le Gouvernement ne peut se prononcer sur une instruction en cours. A son issue, il tirera les leçons de ce qui s'est passé. Je comprends l'émoi des salariés, de leurs familles et des élus locaux. Mais il faut dissocier la procédure judiciaire engagée en 2003 et les conditions de son exécution le 30 mai 2005 du fonctionnement actuel de l'entreprise, qui reprend des parts de marché (Vives exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). Nous reviendrons sur cette affaire, et je partage l'émoi dont on m'a fait part. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP)

ASSASSINAT DE MME NELLY CRÉMEL

M. Ghislain Bray - Monsieur le ministre d'Etat, tous nos concitoyens ont été très choqués par l'assassinat de Mme Nelly Crémel dans une forêt de Seine-et-Marne, près de la Ferté-sous-Jouarre. En tant qu'élu et que citoyen, je tiens à assurer de toute ma sympathie la famille de cette jeune mère de famille, estimée dans sa commune de Reuil-en-Brie. Elle a été sauvagement assassinée alors qu'elle faisait son footing en plein jour, près de chez elle. Les deux auteurs de ce crime odieux ont dissimulé son cadavre après lui avoir volé quelques euros. L'un d'eux aurait été condamné à perpétuité en 1990 pour des faits presque similaires et se trouvait en liberté conditionnelle.

Monsieur le ministre, vous avez œuvré pour que le droit légitime des victimes soit mieux reconnu. En même temps, vous avez, sans ambiguïté, milité pour qu'un débat soit ouvert sur la récidive, en particulier lorsqu'il s'agit de dangereux criminels. Quelles initiatives entendez-vous prendre pour éviter que de tels drames puissent se reproduire ?

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire - J'ai reçu ce matin M. Crémel. Il a vu sa femme, mère d'une fillette de 12 ans, partir faire son jogging. Elle n'est jamais revenue. Elle n'est jamais revenue, car deux individus ont voulu la voler. Pour vingt euros, on peut assassiner une femme seule.

Cette affaire est bouleversante parce qu'elle laisse une famille interdite - le ciel leur est tombé sur la tête - et on ne peut imaginer que, dans un pays civilisé, un tel crime soit possible. Elle est bouleversante aussi parce que l'un des deux auteurs présumés a été condamné à douze reprises pour des agressions avec violence physique et même, en 1990, à perpétuité pour homicide. Il été relâché en 2003. Je ne peux penser que cela ne pose pas question, sur tous les bancs. Nous sommes certainement tous d'accord, à gauche comme à droite, pour dire que les droits de la défense ne doivent pas bafouer les droits de la victime (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Quand M. Crémel me demande comment l'Etat peut relâcher un monstre, que dois-je répondre ?

La multirécidive ne concerne pas seulement les affaires de meurtre, mais aussi les tribunaux correctionnels, qui revoient plusieurs fois les mêmes personnes pour les mêmes délits ! La société doit se défendre et la multirécidive doit être punie plus sévèrement que la simple récidive. Le Premier ministre a demandé au Garde des Sceaux et à moi-même de faire des propositions. Nous les ferons avant le 14 juillet, car la situation ne peut plus durer ! Elle est inacceptable ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Maxime Gremetz - Où est la Chancellerie ?

PLAN DE DÉVELOPPEMENT DES SERVICES À LA PERSONNE

Mme Bérengère Poletti - Monsieur le ministre de l'emploi, il y a quelques mois, vous avez présenté au Conseil des ministres un plan de développement des services à la personne. La France compte seulement 1,3 million de salariés exerçant dans ce secteur qui pèse encore trop peu dans notre économie, mais de nombreux éléments - travail des femmes, longévité accrue, exemple des pays voisins - donnent à penser qu'il pourrait se développer considérablement, créant nombre d'emplois.

Vous avez donc élaboré un plan comprenant une vingtaine de mesures et assorti de 400 millions d'euros par an, sur trois ans. Quelles en sont les mesures phares ? Combien de créations d'emplois pouvons-nous en attendre et dans quel délai ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Plusieurs députés socialistes - Allô !

M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement - Le secteur des services à la personne, ce sont quelque 6 000 associations, 600 entreprises et 1,3 million de salariés qui portent les métiers de l'humain et qui créent du lien social. Des représentants de ce secteur nous ont expliqué qu'ils pourraient multiplier par deux ou par trois leurs activités si nous les y aidions. Tel est l'objet du projet qui sera présenté tout à l'heure. Nous nous y efforçons en particulier de régler le problème du coût d'entrée sur le marché et du coût du travail ; de simplifier les autorisations administratives ; d'accroître les droits sociaux des salariés concernés. Le chèque service universel simplifiera grandement le mode de paiement.

Combien d'emplois en attendre ? Les professionnels du secteur ont parlé du doublement ou du triplement de leur activité. Le Conseil d'analyse économique a parlé, lui, de trois millions. En tout cas, plus de 500 000 en trois ans. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

POLITIQUE DE L'EMPLOI

M. Eric Besson - La réponse de M. Larcher à M. Desallangre nous a choqués. Peut-être a-t-il partagé l'émoi, mais le moins que l'on puisse dire est qu'il n'a pas trouvé les mots pour le dire et que son indignation avait quelque chose de mesuré. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Monsieur le Premier ministre, vous avez déclaré la semaine dernière vouloir livrer la bataille de l'emploi et vous avez eu deux mérites. Le premier a été de ne pas nier l'échec de votre prédécesseur, même si cet échec prévisible et lourd est aussi celui d'un gouvernement auquel vous apparteniez. En trois ans, la droite, qui prétendait réhabiliter le travail, aura surtout détruit des dizaines de milliers d'emplois. En trente-six mois, le gouvernement Jospin avait fait diminuer le nombre de chômeurs de 720 000. Avec la droite aux affaires, on compte en trente-six mois 230 000 chômeurs de plus ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Votre second mérite aura été de renoncer à l'aberration qui aurait consisté à poursuivre coûte que coûte la baisse de l'impôt sur le revenu. Dans le contexte actuel de croissance molle, cette baisse était non seulement injuste socialement mais aussi économiquement inefficace.

Mais il faut aller plus loin dans la remise en cause de la politique précédente. Et d'abord dire la vérité sur les chiffres : la croissance française est faible, très faible, bien plus faible que dans la zone euro et que dans l'ensemble de l'Europe. Tirez-en les conclusions qui s'imposent en pratiquant une relance par l'investissement et par la consommation et modifiez vite votre budget, car les comptes ne sont plus sincères. Cessez enfin de penser que la précarité permettra de résoudre tous nos maux ! Les jeunes Français sont lassés du recours excessif aux CDD, à l'intérim, aux stages sans avenir (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Or, vous leur répondez par un contrat qui comporte une période d'essai de deux ans, durant lesquels ils ne seraient même plus considérés comme des salariés à part entière en ce qui concerne le déclenchement des seuils sociaux.

Allez-vous enfin rompre, Monsieur le Premier ministre, avec une stratégie qui conduit la France dans l'impasse ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - La croissance, c'est l'activité, et l'activité, c'est l'emploi. Il est exact que la croissance n'a pas été au premier trimestre exactement celle que nous attendions. Nous en connaissons les causes : un euro trop élevé par rapport au dollar et un baril de pétrole qui s'est situé autour de 50 à 55 dollars, au lieu des 35 prévus. Mais il est faux de dire que la croissance française est la plus basse d'Europe ou la plus basse de la zone euro.

Nous vivons aujourd'hui dans une économie « tertiarisée », c'est-à-dire que 75 à 80 % des actifs travaillent dans le secteur tertiaire, contre seulement 20 % dans le secteur industriel. Le Premier ministre a déclaré l'état d'urgence pour l'emploi, étant entendu que chaque personne qui retrouve un emploi, c'est de l'activité et c'est de la croissance. Lorsque l'on engage 4,5 milliards d'euros pour remobiliser sur l'emploi, c'est la croissance que l'on tire. Et les crédits que l'on dégage en faveur de l'Agence industrielle pour l'innovation, de l'Agence pour les infrastructures de transport et de l'Agence nationale pour la recherche sont autant de moyens de relancer les grands projets et les grands programmes. Plus il y aura d'actifs au travail et plus le plan de cohésion sociale portera ses fruits, plus la croissance sera forte.

Accompagner l'emploi, ne laisser personne au bord de la route et faire en sorte que les 500 000 emplois vacants trouvent preneurs, c'est préparer la croissance ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

SITUATION À PERPIGNAN

M. François Calvet - La ville de Perpignan vient de connaître de dramatiques événements, résultat d'un contexte d'agressivité sans précédent entre deux communautés. Deux meurtres sont en effet à déplorer. C'est ensuite le cœur commercial de la ville qui a été victime d'actes de saccage et de pillage et plus d'une centaine de commerçants se trouvent aujourd'hui dépossédés de leur outil de travail et complètement démunis. Pour répondre au désarroi qui s'exprime, je souhaite que l'Etat reconnaisse sans tarder sa responsabilité, dans les termes prévus à l'article 2216-3 du code général des collectivités territoriales. Monsieur le ministre d'Etat, est-il envisageable de mettre en œuvre ce dispositif au plus vite ?

Parallèlement, alors que se prépare la saison touristique, il convient de créer les conditions d'une sécurité optimale pour l'ensemble de la population, qui a pu constater à l'occasion de ces troubles combien la présente forte des autorités de justice, préfectorales et policières était rassurante. Monsieur le ministre d'Etat, les mesures urgentes que vous avez prises seront-elles pérennisées, voire étendues à d'autres villes ? Les effectifs du commissariat de police de Perpignan vont-ils connaître l'augmentation sensible et rapide que nous sommes nombreux à appeler de nos vœux ? (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP)

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire - Les événements de Perpignan sont inadmissibles. Les affrontements communautaires sur le territoire de la République doivent être combattus avec la dernière énergie et les comportements de voyous et de sauvages constatés dans certaines rues de votre ville ne sauraient rester impunis. Aucune indulgence : la politique du Gouvernement en la matière, c'est la tolérance zéro ! (« Zorro ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains ; applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Nous avons décidé d'affecter trente fonctionnaires de police supplémentaires à Perpignan et les commerçants seront indemnisés, la responsabilité de l'Etat étant engagée. J'ai en outre demandé au préfet de s'assurer que les biens détruits par les émeutiers seront remboursés à leur valeur vénale, sans tenir compte des franchises qu'appliquent les compagnies d'assurance. J'ai aussi rencontré les représentants des communautés pour les prévenir qu'en accord avec la justice, il y aurait des mesures de perquisition systématiques et qu'ils devaient rendre les armes (Exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains). Enfin, j'ai refusé d'aller dans les quartiers car je n'ai pas l'intention de négocier pour rétablir l'ordre. On rétablit l'ordre à Perpignan, et ensuite, on dialogue ! Une fois l'ordre rétabli, je retournerai sur place, sans doute en septembre, pour renouer le dialogue... (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP) La République ne dialogue pas avec les émeutiers (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

LIAISON FERROVIAIRE LYON-TURIN

M. Michel Bouvard - Samedi 4 juin, le professionnalisme et le courage des services de sécurité du tunnel du Fréjus, des corps de sapeurs-pompiers de Maurienne et de la vallée de Suze, le travail en commun entre la France et l'Italie voulu dès l'origine par le président fondateur Pierre Dumas et les 55 millions d'investissements réalisés dans le tunnel ont évité un nouveau drame dans les Alpes et limité à deux le nombre des victimes. Monsieur le ministre des transports, nous avons été sensibles à votre venue sur place dès le dimanche 5, mais l'indisponibilité du principal tunnel entre la France et l'Italie démontre à nouveau l'extrême fragilité des échanges transalpins, qui reposent sur trois ouvrages seulement : un tunnel ferroviaire au Mont-Cenis - conçu en 1850 -, le tunnel du Mont-Blanc - ouvert en 1965 -, et celui du Fréjus. Cette fragilité tient tant aux accidents qu'à la géologie des voies d'accès. Il n'est plus temps d'attendre, comme le disait encore en 1998 le rapport Brossier. Il faut prendre des décisions et parachever la liaison ferroviaire Lyon-Turin, 466 millions de travaux ayant d'ores et déjà été engagés pour les galeries de reconnaissance et les descenderies. Il nous faut à présent confirmer le calendrier du traité de Turin et j'associe à ma question tous les députés du massif alpin, Martial Saddier, Joël Giraud, Henriette Martinez, Daniel Spagnou, Christian Estrosi... (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

Monsieur le ministre, c'est l'ensemble de notre population qui subit l'excès de camions. Le Gouvernement peut-il s'engager à prendre les déclarations d'utilité publique pour 2007 et à notifier d'ici à la fin du mois - comme l'attend le Commissaire Jacques Barrot - les réservations de crédits pour le programme des nouvelles liaisons ferroviaires européennes pour la période 2007-2013 ? Entend-il négocier un avenant au traité de Turin pour approuver le mémorandum franco-italien de répartition des crédits ? Enfin, comment compte-t-il financer la part publique des investissements, compte tenu de la décision annoncée la semaine dernière de réaliser les actifs des sociétés d'autoroutes, dont les dividendes devaient assurer le financement de l'Agence française des infrastructures de transport ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP, du groupe UDF et sur quelques bancs du groupe socialiste)

M. Dominique Perben, ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer - Monsieur le député, je m'associe à l'hommage que vous venez de rendre au courage des sapeurs-pompiers français et italiens et vous avez eu raison de relever l'utilité des travaux réalisés depuis le drame du Mont-Blanc. Les investissements et les efforts d'organisation consentis ont porté leurs fruits, même si deux victimes restent à déplorer. La situation créée par la rupture de la communication via le principal tunnel de franchissement impose des solutions à court et moyen termes.

A court terme, il importe de savoir quelle sera la durée de la fermeture de l'ouvrage. Des analyses ont été conduites cette semaine et nous connaîtrons dans les tout prochains jours l'ampleur des travaux à réaliser. Les répercussions sur la vie quotidienne des riverains seront naturellement très différentes selon que ces travaux prendront des mois ou seulement quelques semaines. Je confirme en outre à la représentation nationale que les règles de sécurité applicables dans le tunnel du Mont-Blanc sont strictement maintenues, qu'il s'agisse de l'interdiction des matières dangereuses, des limitations de vitesse ou des distances de sécurité. Vous pouvez rassurer les populations de la vallée de Chamonix, légitimement inquiètes à cet égard. Il convient à présent d'envisager les alternatives au transport routier. Je me suis rendu de nouveau sur place au cours de la semaine écoulée pour étudier les différents moyens disponibles en vue d'augmenter le trafic sur l'autoroute ferroviaire de la Maurienne et de faire en sorte que davantage de poids lourds soient chargés sur les trains. En accord avec mon homologue italien, j'ai obtenu que l'on augmente les fréquences d'un très long train par jour et que deux liaisons soient assurées le samedi. Mais nous sommes tous conscients du caractère insuffisant de ces solutions : bien entendu, il faut rouvrir très vite le tunnel du Fréjus.

Pour ce qui concerne le moyen terme, vous avez évoqué à juste raison le projet Lyon-Turin. Le cadre de référence, c'est le mémorandum franco-italien de 2004, au titre duquel 535 millions d'études et de préparatifs seront rapidement mis en place. L'enquête publique sera lancée au milieu de l'année 2006 et une lettre commune des ministres italien et français sera adressée à Jacques Barrot avant la fin de ce mois pour répondre aux questions soulevées par la Commission européenne. Enfin, en liaison avec le ministre de l'économie et des finances, les financements des grands travaux d'infrastructure interviendront dans le cadre des décisions annoncées par le Premier ministre. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

PRÉSENCE DE M. SARKOZY AU GOUVERNEMENT

M. Arnaud Montebourg - (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) Ma question est destinée à M. Sarkozy, ministre d'Etat, ministre de l'intérieur...

Plusieurs députés socialistes - Et président de l'UMP !

M. Arnaud Montebourg - Monsieur le ministre d'Etat, pour justifier votre retour au ministère de l'intérieur que vous aviez quitté il y a treize mois, vous avez déclaré le 2 juin dernier dans un journal qui compte plusieurs millions de lecteurs : « Depuis que je ne suis plus ministre, les attaques se sont succédé contre moi ; je serai mieux protégé par le ministère de l'intérieur : c'est plus efficace que les 150 permanents de l'UMP »... Vous avez ajouté le même jour que votre retour au ministère de l'Intérieur vous préserverait des coups tordus ! Mais qui, parmi vos collègues et amis, voudrait vous faire tant de mal ? A moins que vous ne témoigniez ainsi d'une psychologie fragile...

M. Richard Mallié - Vous vous croyez où ?

M. Arnaud Montebourg - ...obsédée par le complot (Protestations sur les bancs du groupe UMP), ce qui serait préoccupant. Etes-vous devenu ministre pour affronter les problèmes des Français ou les vôtres ? (Claquements de pupitres et huées sur les bancs du groupe UMP) Gouvernez-vous pour la France ou pour vous seul ? (Protestations sur les bancs du groupe UMP ; applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire - Nous sommes nombreux à penser que, lorsqu'il s'agit de chercher des leçons de comportement politique, ce n'est pas chez vous qu'il faut aller frapper ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Je suis président de l'UMP et ministre de l'Intérieur. Si vous connaissiez bien notre pays, vous sauriez que les partis politiques concourent à l'expression du suffrage et que, lorsque les responsables politiques ne participent pas au gouvernement, c'est toujours un grave problème pour la démocratie parlementaire. Je n'ai donc aucune leçon à recevoir.

Enfin, il y a une grande différence entre l'UMP et le parti socialiste : en désaccord avec M. Fabius, vous l'excluez, vous l'insultez, vous lui jetez l'anathème (Protestations sur les bancs du groupe socialiste) ; à l'UMP, en revanche, nous savons nous rassembler, comme nous l'avons montré avec le Premier ministre : c'est là notre honneur, notre fierté, notre force. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; protestations sur les bancs du groupe socialiste)

OUVERTURE DU CAPITAL DE GDF

M. Hervé Novelli - M. le Premier ministre, dans sa déclaration de politique générale, a affirmé que nos grandes entreprises de service public doivent prendre toute leur place dans la relance de l'investissement, ce qui suppose, pour GDF, d'« ouvrir le capital de l'entreprise afin qu'elle puisse lever des fonds au plus vite ». Le jour même, cette ouverture du capital a été annoncée pour le 23 juin, la première cotation en bourse étant fixée au début de juillet. Il était temps d'agir car GDF se prépare à cette échéance essentielle depuis plus de quatre ans et l'entreprise a besoin de poursuivre son développement en Europe pour compenser les éventuelles pertes de clientèle sur le marché national lorsque l'ouverture à la concurrence sera totale, en 2007. En outre, elle devra disposer de réserves de gaz plus importantes afin de diminuer ses coûts d'approvisionnement. Enfin, GDF doit structurer une offre « multi-énergie », notamment dans les domaines de l'électricité et du gaz naturel liquéfié.

Pouvez-vous préciser les modalités de cette ouverture du capital, ainsi que la part de l'actionnariat réservée aux salariés de l'entreprise ? Pouvez-vous également fixer le montant des cessions que l'Etat envisage pour diminuer son endettement et favoriser les investissements ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - En effet, M. le Premier ministre, lors de son discours de politique générale, a annoncé qu'un certain nombre d'entreprises devaient évoluer rapidement, conformément d'ailleurs à la loi qui, pour EDF-GDF, a été votée l'été dernier. Sans attendre, nous avons décidé de lancer immédiatement l'ouverture du capital de GDF à hauteur de 20 %, dont 40 % seront réservés à l'entreprise à travers une augmentation de capital ; le reste sera proposé aux particuliers. J'ajoute que 15 % des actions seront proposés à titre préférentiel aux salariés de l'entreprise. Enfin, nous avons souhaité agir vite de manière à ce que cette ouverture soit réalisée dès l'automne si les conditions du marché le permettent. Au total, entre 15 et 20 milliards d'euros seront sollicités sur les marchés pour le développement de nos entreprises. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

POLITIQUE DE L'EMPLOI

M. Maurice Giro - Mercredi dernier, M. le Premier ministre, dans son discours de politique générale, a fait part de sa volonté de rendre à notre économie plus de dynamisme grâce à une politique volontariste dont l'élément principal est sur un plan d'urgence de 4,5 milliards. Il a annoncé une mobilisation accrue de tous les services publics de l'emploi pour favoriser le reclassement des chômeurs, et notamment des plus jeunes. Il s'est dit résolu à donner aux entreprises les moyens d'embaucher grâce à deux mesures destinées en particulier aux très petites entreprises : le chèque emploi et le contrat « nouvelle embauche ». Pouvez-vous préciser leurs modalités d'application ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement - Je tiens tout d'abord à vous remercier, Monsieur le député, pour votre travail en qualité de rapporteur de la commission des affaires sociales sur le texte relatif aux services à la personne que nous nous apprêtons à discuter. Je remercie également M. le Président de la commission (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Les très petites entreprises avaient jusqu'ici de grandes difficultés pour embaucher leur premier salarié, et c'est pourquoi le Premier ministre a voulu faciliter les procédures. Il s'agit également pour nous d'améliorer le soutien de l'Etat ainsi que les garanties de reclassement des salariés. Nous en discuterons avec les partenaires sociaux et vous savez qu'une loi d'habilitation sera présentée dans les prochains jours (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

La séance, suspendue à 16 heures, est reprise à 16 heures 15, sous la présidence de M. Raoult.

PRÉSIDENCE de M. Éric RAOULT

vice-président

LOIS DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

L'ordre du jour appelle les explications de vote et le vote par scrutin public sur l'ensemble du projet de loi organique, adopté par le Sénat, relatif aux lois de financement de la sécurité sociale.

M. le Président - La parole est à M. le ministre délégué à la sécurité sociale, à qui je souhaite la bienvenue pour cette première intervention devant l'Assemblée.

M. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille - Je vous remercie.

Par ce vote solennel, vous achèverez la mise en place des trois réformes de la sécurité sociale sur lesquelles Parlement et Gouvernement travaillent depuis 2002. La réforme des retraites et celle de l'assurance maladie ont modifié en profondeur les règles de gestion de ces deux branches de la sécurité sociale ; cette loi organique parachève notre démarche. A l'heure où nous célébrons le soixantième anniversaire de la sécurité sociale, elle renforcera l'information du Parlement.

Je tiens à vous remercier de la qualité de vos travaux. Le Parlement a été à l'origine de notre réflexion sur le contenu et la portée des lois de financement de la sécurité sociale. Vous avez ensuite beaucoup enrichi ce texte, puisque plus de cent des quelque 320 amendements déposés ont été adoptés. Je salue tout particulièrement le remarquable travail de votre rapporteur, M. Jean-Luc Warsmann, et de vos rapporteurs pour avis, MM. Jean Bardet pour la commission des affaires sociales et Yves Bur pour la commission des finances.

L'enjeu du texte est simple : 350 milliards d'euros - plus d'un cinquième de la richesse nationale - transitent chaque année par les comptes de la sécurité sociale et il est essentiel que le Parlement ait une vision claire du circuit de ces sommes et fixe les priorités pour qu'elles soient employées à bon escient.

Dix ans après la réforme de 1996, il fallait renforcer la portée des lois de financement de la sécurité sociale. Vous avez contribué à la réalisation de cet objectif : les lois de financement seront désormais structurées en quatre parties qui donnent une vision d'ensemble de l'exercice clos, de l'année en cours et des recettes et des dépenses de l'année à venir. Le contrôle exercé sur la dette et sur les excédents sera plus étroit, et celui du Parlement sur l'amortissement de la dette et sur les sommes mises en réserve sera assuré. Un vote annuel permettra d'entrer dans le détail des composantes de l'ONDAM. Vos amendements permettront d'inclure les organismes concourant au financement des régimes de sécurité sociale dans le cadrage pluriannuel, et d'approuver chaque année le montant des compensations présenté en annexe. Enfin, le texte renforce les pouvoirs de vos commissions.

Le Gouvernement souhaite que la deuxième lecture de ce texte important intervienne rapidement, afin que les principes définis puissent s'appliquer dès la prochaine loi de financement de la sécurité sociale. Le Parlement pourra ainsi porter un regard plus attentif sur l'évolution de la sécurité sociale, pour assurer sa pérennité au service de notre pacte républicain (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur de la commission des lois - Permettez-moi, pour commencer, de remercier très sincèrement mes deux collègues rapporteurs, Yves Bur et Jean Bardet, avec qui nous avons travaillé en toute confiance.

Avec ce texte, nous vous proposons d'abord une nouvelle organisation des lois de financement de la sécurité sociale en quatre parties. La première vaudra loi de règlement de l'année dont les comptes sont clos. La loi de financement pour 2006 s'ouvrira ainsi par des dispositions valant loi de règlement pour 2044, et nous avons adopté un amendement qui impose au Gouvernement d'indiquer le sort réservé au solde - excédent ou déficit - du dernier exercice clos.

La deuxième partie des lois de financement vaudra loi de financement rectificative pour l'année en cours. Cela permettra de s'assurer que les objectifs de dépenses votés sont bien atteints ou de les adapter le cas échéant. Les deux dernières parties vaudront respectivement prévision de recettes et de solde et prévision de dépenses pour l'exercice à venir, conformément à l'architecture des lois de finances de l'Etat.

Nous avons en outre étendu le champ des lois de financement à la Caisse d'amortissement de la dette sociale - CADES - et au Fonds de réserve pour les retraites, et posé le principe de la sincérité pour la construction des lois de financement de la sécurité sociale.

Nous avons sensiblement renforcé les pouvoirs de contrôle de l'Assemblée. Le Gouvernement a ainsi accepté un amendement imposant que la commission des affaires sociales soit informée de toute disposition réglementaire ou conventionnelle susceptible d'avoir un impact sur l'équilibre des lois de financement. Un autre amendement a posé que tout transfert de dette à la CADES devrait s'accompagner des recettes équivalentes. Rappelons que la situation de la CADES exige déjà que la CRDS lui soit affectée jusqu'en 2021 ou 2022. Il n'aurait donc pas été responsable de ne pas prévoir de garde-fou...

M. Gérard Bapt - Vous êtes modeste !

M. le Rapporteur - ...pour éviter les transferts de dette intergénérationnels.

Votre commission vous invite bien évidemment à adopter ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. le Président - Nous en venons aux explications de vote.

M. Jean-Marie Le Guen - Je vous souhaite à mon tour la bienvenue, Monsieur le ministre.

Nous voici convoqués, après plusieurs semaines d'interruption, pour adopter un texte somme toute assez mal ficelé. Il est vrai qu'il a été discuté dans la précipitation, voire la confusion, avec un ministre absent, déjà étranger aux affaires de son ministère... (Sourires)

M. Gérard Bapt - Très bien !

M. Jean-Marie Le Guen - Cette loi organique devait, nous disait-on, être à la sécurité sociale ce qu'avait été la LOLF au budget de l'Etat. Elle n'en est qu'une pâle copie. D'initiative gouvernementale, ce texte n'est pas à la hauteur du travail conduit par le Parlement sur cette question et de la volonté de contrôle et de transparence qu'il avait exprimée. L'insuffisance du Gouvernement traduit ici un déficit de gouvernance. Cette loi ne nous donnera ni davantage de pouvoir sur les dépenses de l'assurance maladie, ni un ONDAM véritablement médicalisé. La transparence de nos comptes demeurera insuffisante, malgré les velléités de progrès qui ont pu se manifester au cours du débat parlementaire.

Le problème est évidemment de taille pour le Gouvernement. On ne veut pas parler du remboursement des exonérations, véritable mistigri budgétaire. Les victimes seront nos finances sociales, en dépit des déclarations d'intention.

M. Gérard Bapt - Et en dépit des engagements !

M. Jacques Brunhes - Le ministre n'écoute pas !

M. le Président - Je vous en prie, seul M. Le Guen a la parole !

M. Jean-Marie Le Guen - Ce texte relève du bricolage, dans un contexte de dérapage financier depuis 2002. La réforme de l'assurance maladie s'effiloche : les décrets sont en retard, les parcours de soins ne sont toujours pas en place... Comment s'en étonner, à un moment où le Gouvernement n'a plus l'impulsion politique de ses débuts - pour employer un euphémisme non polémique - et où nos finances sociales sont exsangues ?

Au lieu d'un texte autorisant la maîtrise des comptes sociaux, on nous propose un document opaque et une absence de pilotage. Sans doute un ou deux clignotants s'allumeront-ils pour nous confirmer que nous allons dans le mur, mais cela ne suffira pas à éviter la catastrophe des finances sociales que vous avez organisée ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Jean-Luc Préel - Les débats sur ce texte s'étaient terminés le 9 mai. Nous en arrivons enfin au vote...

Jusqu'en 1995, le Parlement ne pouvait se prononcer sur les dépenses sociales du pays, pourtant supérieures au budget de l'Etat. La réforme de 1995 et la loi organique de 1996 ont constitué un changement important, mais ont vite montré leurs limites, le rôle des partenaires sociaux et de l'Etat n'ayant jamais été clairement défini, non plus que la capacité d'initiative du Parlement. Au-delà des dispositions constitutionnelles qui limitent ses pouvoirs, ce dernier se bride lui-même par le soutien systématique que la majorité apporte au Gouvernement. Cette autocastration est fort regrettable (Exclamations sur les bancs du groupe UMP et sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).

Ce projet de loi organique constitue un progrès, et il a été amélioré lors de la discussion. Un « amendement remords » a ainsi été voté sur le financement des futurs déficits transférés à la CADES, pour ne pas pénaliser, comme en 2004, nos enfants et petits-enfants... Mais ce texte demeure très imparfait ; les amendements déposés par le groupe UDF ont, hélas, tous été rejetés.

Il nous paraissait nécessaire de profiter de cette loi pour relancer le dialogue social. Nous proposions que les partenaires sociaux disposent d'une réelle autonomie pour gérer le régime de retraite de base, comme ils le font pour les retraites complémentaires et l'assurance chômage, et qu'ils puissent librement décider des prestations et des cotisations en évoluant vers un régime par points. De même, nous demandions l'autonomie de la branche accidents du travail et maladies professionnelles, qui devrait être gérée paritairement. Il est regrettable de ne pas accomplir de réels progrès dans la responsabilisation des partenaires sociaux.

Concernant la branche maladie, le vote de sous-objectifs risque d'aggraver la non-fongibilité, en figeant les enveloppes. Quant à l'ONDAM, son respect suppose qu'il soit défini sur des bases médicales et que tous les acteurs soient responsabilisés, en les associant en amont aux décisions et en aval à la gestion à travers des conseils régionaux de santé.

Enfin, nous aurions souhaité le vote au printemps d'une loi d'orientation de santé définissant les besoins et les priorités à financer à l'automne, et un dispositif proche de la LOLF, avec définition de programmes et d'indicateurs de performance.

Les navettes et le nouveau gouvernement permettront sans doute d'améliorer ce texte, qui contient quelques timides progrès. C'est pourquoi, malgré ses insuffisances et ses imperfections, le groupe UDF le votera (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF ; exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).

Mme Janine Jambu - Après un débat chaotique sur ce texte, vous avez décidé de maintenir le vote comme si rien ne s'était passé le 29 mai dernier. A travers le rejet du traité constitutionnel européen, pourtant, s'est exprimé le rejet des politiques libérales que vous avez menées pendant trois ans et dont ce projet est la parfaite illustration. La majorité de nos concitoyens a exigé une rupture avec des choix désastreux pour notre pays. Il est indécent d'ignorer cette formidable mobilisation populaire en faveur de plus de justice sociale et de solidarité ! C'est pourtant ce que vous faites, en particulier avec le démantèlement de notre modèle français de sécurité sociale.

Les neuf ans qui se sont écoulés depuis les ordonnances Juppé nous donnaient le recul nécessaire pour constater que les lois de financement de la sécurité sociale sont inefficaces.

Le dépassement systématique et croissant de l'ONDAM depuis 1998 a mis en évidence une défaillance des instruments et procédures de régulation, ainsi que des actions structurelles sur les comportements des professionnels et des patients et sur l'organisation des soins. Mais vous n'en avez tiré aucun enseignement ! Or le déficit du régime général est passé de 3,4 milliards en 2002 à 14 milliards, et celui de la branche maladie, de 6,1 à 13,2 milliards !

Vous continuez à avoir une vision comptable, donc restrictive, des dépenses de santé, en organisant des déremboursements, en contraignant les professionnels, en sanctionnant les assurés sociaux, en asphyxiant les établissements sanitaires et sociaux.

Le déficit est aussi démocratique, avec l'absence de contre-pouvoir des représentants des assurés sociaux, tandis que le directeur de l'UNCAM est le roitelet de l'assurance maladie.

Vous refusez encore et toujours de vous pencher sur le véritable problème de notre système, celui du financement.

Plutôt que de chercher à réduire le périmètre d'intervention de la sécurité sociale, de circonscrire les dépenses, de rogner les moyens de fonctionnement des structures, il faut oser réfléchir à un nouveau mode de financement garantissant des ressources plus importantes et pérennes, en faisant contribuer davantage ceux qui le peuvent, notamment les revenus financiers des grandes entreprises.

Naturellement cela doit accompagner également une autre démarche. Celle qui consiste d'abord à déterminer les besoins et ensuite à mobiliser les moyens suffisants et non l'inverse.

Et pour ce faire, il faut davantage s'appuyer sur les assurés sociaux et leurs représentants pour élaborer le budget de la sécurité sociale.

Mais de tout cela vous n'avez pas voulu entendre parler, en rejetant tous nos amendements en ce sens.

C'est désolant car maintenant, et encore plus demain qu'aujourd'hui, en raison du refus du Gouvernement de s'attaquer aux vrais problèmes, et de son incapacité à faire d'autres choix que ceux qui privilégient les intérêts privés, notre système est menacé. La logique des assurances va prendre le pas sur celle de la solidarité qui présidait à la création de notre sécurité sociale il y a maintenant soixante ans.

C'est un bien triste anniversaire qui s'annonce avec ce projet de loi organique. Pour ces raisons nous voterons contre ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

M. Jean-Pierre Door - Ce texte définit de nouvelles règles en matière d'architecture et de champ d'application des lois de financement de la sécurité sociale. Si la loi organique de 1996, dite « loi Juppé », (Exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains) a permis de prendre conscience de l'importance des finances sociales dans les finances publiques, elle a montré ses limites. Aussi, le Gouvernement peut se réjouir de moderniser notre système social.

Ce texte est ambitieux : transparence, sincérité, rigueur en constituent les principaux piliers et la maîtrise médicalisée des dépenses est confortée. (Nouvelles exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains) Les débats ont souligné la nécessité de poursuivre la clarification des flux financiers entre l'Etat et la sécurité sociale.

Rappelons les points essentiels de ce projet de loi : une plus grande sincérité dans l'élaboration des lois de financement de la sécurité sociale, désormais décomposées en quatre parties ; l'introduction d'une dimension pluriannuelle avec une déclinaison des recettes et des objectifs de dépenses par branche, notamment pour l'ONDAM ; une plus grande transparence sur le vote de l'ONDAM, accrue par la décomposition en plusieurs sous-objectifs ; une mission de clarification des comptes confiée à la Cour des comptes ; l'amélioration de l'information délivrée au Parlement par la révision de la liste des annexes ; et enfin, par un amendement important qui renforce la crédibilité des finances sociales, l'obligation d'augmentation des recettes en cas d'accroissement de la dette sociale.

Ce texte, d'apparence technique, est très important. L'opposition s'est bornée à critiquer la méthode parlementaire choisie, à évoquer l'anticonstitutionnalité du texte et à réfuter les résultats pourtant très positifs de l'application de la loi d'août 2004. Les débats ont eu lieu, le Gouvernement a accepté certains amendements importants. Le groupe UMP votera ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

A la majorité de 348 voix contre 140 sur 488 votants et 488 suffrages exprimés, l'ensemble du projet est adopté.

La séance, suspendue à 16 heures 40 est reprise à 17 heures 5.

DÉVELOPPEMENT DES SERVICES À LA PERSONNE ET COHÉSION SOCIALE

L'ordre du jour appelle la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi relatif au développement des services à la personne et à diverses mesures de cohésion sociale.

M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement - Lors de la présentation du plan de cohésion sociale, je m'étais engagé à examiner les moyens de développer le secteur des services à la personne. Une intense concertation avec ses acteurs, nombreux et très engagés, a permis d'élaborer le plan présenté le 16 février dernier, dont ce projet de loi est la traduction. Ce secteur, riche de compétences, de désintéressement, de passion, regroupe à la fois des particuliers employeurs, 6 000 organismes liés à l'économie sociale et 600 petites ou très petites entreprises, dans quelques grandes fédérations.

Catherine Vautrin et moi-même avons l'ambition de leur permettre de se développer, dans le respect de leur identité, car nous sommes convaincus que la France est à la veille d'une véritable révolution qui peut en faire une référence mondiale dans ce domaine grâce à la constitution d'un véritable pôle d'excellence.

Il y a là un enjeu essentiel pour notre société. Chacun de nous est concerné dans sa vie quotidienne et il faut répondre d'urgence aux questions de la dépendance, de l'isolement, du lien social. Les services d'aide à la personne ont d'ailleurs connu depuis dix ans une croissance très forte ...

Mme Paulette Guinchard-Kunstler - Et le médico-social.

M. le Ministre - ...de 5,5 %, soit 7 5000 emplois chaque année. Libérés des contraintes, avec une meilleure formation professionnelle, les opérateurs seraient capables de doubler, au moins, le nombre d'emplois. Ce serait un véritable changement de société, préférant à la consommation de biens matériels celle de services à la personne.

Dans une démarche pragmatique, nous avons identifié les principaux obstacles à un tel développement. Il s'agit d'abord, pour les utilisateurs, du coût de ces services, de la complexité des procédures et de problèmes de qualité, qui suppose formation et contrôle pour des métiers de proximité. Il s'agit ensuite de difficultés que rencontrent les salariés : ...

M. Daniel Paul - Oh oui !

M. le Ministre - ...droits sociaux au rabais, temps partiel imposé, bas niveau de rémunération, formation presque inexistante. Enfin, les employeurs se heurtent à la complexité des procédures d'agrément et au poids des charges sociales.

Nous vous proposons de nous attaquer simultanément et massivement à tous ces obstacles, par un plan global, inscrit dans la durée et dans une dynamique où chacun a à gagner. En mettant rapidement en œuvre ce projet, nous donnerons accès au plus grand nombre à des services de qualité, nous créerons des emplois qui rendent service.

D'abord, l'accès aux services sera plus simple et moins coûteux grâce à l'institution du chèque emploi service universel. Déjà, le chèque emploi service a été une réussite ; le titre emploi service a connu un essor plus limité. A partir du 1er janvier 2006, les entreprises pourront cofinancer ce chèque au profit de leurs salariés, avec un crédit d'impôt de 25 %. Aux Etats-Unis, elles le proposent à 60 % de leurs salariés - contre 1,16 % en France - parce qu'elles ont compris qu'éviter à ceux-ci les 14 heures de recherche que demande en moyenne l'accès à une nouvelle prestation était bon pour la productivité. 20% à 30% des salariés scandinaves, allemands et britanniques en profitent également.

Ce nouveau chèque va grandement simplifier la vie des particuliers, des entreprises et des collectivités.

En étendant l'exonération totale de charges patronales de sécurité sociale à une liste d'activités prestataires agréées pour lesquelles il existe aujourd'hui une demande non solvabilisée, nous rendrons l'accès aux services moins coûteux. Cette mesure sera intégralement compensée par le budget de l'Etat.

Nous voulons par ailleurs combattre le véritable fléau du travail clandestin et rendre le travail déclaré moins onéreux que le travail au noir. Les particuliers employeurs bénéficieront à cet effet d'une exonération de quinze points. Cette mesure, dont le coût pour la première année a été estimée à 270 millions d'euros, sera elle aussi intégralement compensée par le budget de l'Etat.

Le deuxième objectif du projet est de promouvoir l'offre et d'améliorer les conditions d'exercice des métiers de service à la personne. Le texte clarifie et élargit la liste des activités agréées de services à la personne, à domicile ou dans l'environnement immédiat du domicile.

Parce que ces emplois de service seront clairement définis, les risques de distorsion de concurrence seront supprimés. Il est même tout à fait probable que la dynamique nouvelle ainsi créée sera saisie par les autres activités de service, je pense en particulier aux artisans, pour accélérer leur propre développement. La promotion de l'offre passe aussi par une clarification et une simplification des procédures d'agrément. En proposant un droit d'option, ce texte garantira la qualité du service, en particulier auprès des personnes fragiles, tout en permettant à l'offre de service de se développer.

Enfin ce projet de loi intègre une dimension essentielle à la réussite de notre ambition commune : la nécessaire revalorisation des conditions d'exercice de ces métiers. Parce que l'emploi à domicile exige technicité et surtout aptitude relationnelle, la qualité du service est étroitement liée à la qualité des emplois. Ce projet, qui combat le travail au noir, améliorera de façon significative les conditions générales d'exercice des métiers à la personne : revalorisation des salaires, lutte contre le temps partiel subi, accélération du processus de couverture et d'unification du champ de la négociation collective, mise en place de véritables filières de formation. Tout le contraire donc des « petits boulots » que d'aucuns se plaisent à dénoncer.

Pour piloter la mise en œuvre de cet ambitieux projet, il est nécessaire de disposer d'une structure de professionnels mobilisée en permanence. C'est la raison pour laquelle il est prévu de créer une Agence nationale des services à la personne, dont le conseil d'administration sera largement ouvert à l'ensemble des acteurs.

Le projet de loi comporte aussi quelques ajustements à la loi de programmation pour la cohésion sociale, afin de tenir compte des évaluations mensuelles demandées aux services déconcentrés de l'Etat et des observations de tous les partenaires de l'Etat. Les contrats d'avenir pourront désormais être d'une durée réduite, de façon notamment à ce qu'ils puissent s'adapter à la durée des chantiers d'insertion par l'économie. C'était une demande des associations concernées. La convention de reclassement personnalisée, qui est le fruit de la loi du 18 janvier 2005 et qui a fait l'objet d'un accord avec les partenaires sociaux, nécessite aussi quelques aménagements pratiques, qui nous ont été demandés par les partenaires sociaux. Enfin, plusieurs articles concernant l'apprentissage et le logement, viennent préciser certaines dispositions votées par le Parlement le 18 janvier dernier.

Avec l'emploi et l'égalité des chances, le logement constitue le troisième pilier de la cohésion sociale. Il y a quelque temps, notre pays connaissait une crise du logement dramatique, tant dans le parc privé que public ou parapublic. Il y a cinq ou six ans, les mises en chantier ne dépassaient pas la barre des 300 000 et nous avions atteint un record historique pour ce qui est de la faiblesse de la production de logements sociaux.

Avec le Plan de cohésion sociale, nous nous sommes fixé comme objectif d'atteindre 400 000 mises en chantier par an et de tripler le nombre de logements conventionnés - 500 000 sur cinq ans. Nous en sommes aujourd'hui à 370 000 mises en chantier et nous atteindrons l'objectif de 400 000 dès la fin de l'année. Nous avons doublé la production de logements conventionnés, pour laquelle nous atteindrons le cap des 80 000 à la fin de l'année ou au début de l'année prochaine.

Le Premier ministre a souhaité un coup de rein supplémentaire. Trois mesures vous seront donc proposées. La première consistera à exonérer de l'impôt sur les plus-values les cessions de terrains par les particuliers aux organismes HLM et aux autres bailleurs sociaux. La deuxième crée un nouvel indice de référence pour l'indexation des loyers, de façon à éviter des sauts de 4 à 5 % d'une année sur l'autre. La troisième instaure un mécanisme de garantie des impayés pour les propriétaires privés qui loueront leur bien à des ménages aux revenus modestes ou intermédiaires. On peut en espérer 40 000 nouvelles mises à disposition. Tout cela nous permettra d'achever de sortir de la crise du logement. J'ajoute que nous sommes passés de 6 000 prêts à taux zéro par mois, il y a deux ans, à un rythme de 20 000 par mois, soit un triplement de l'accession populaire à la propriété.

Pour conclure, je veux rappeler que ce sont les professionnels du secteur des services à la personne qui ont bâti ce plan et qui estiment pouvoir ainsi doubler leur activité, ce qui pourrait à terme représenter 2,6 millions de salariés. J'en accepte l'augure. Ils tablent en tout cas sur 500 000 emplois nouveaux au cours des trois prochaines années. Acceptons-en aussi l'augure. Je voudrais pour ma part leur rendre hommage. Nous nous sommes rencontrés vers le 15 septembre et nous avons signé une convention le 22 novembre. Nous arrivons ainsi à un texte coproduit avec eux, après la mission interministérielle que m'avait confiée Jean-Pierre Raffarin, sachant que 23 administrations étaient concernées !

Quel meilleur encouragement pour nous tous que de savoir que les grands réseaux français - les mutuelles, les coopératives, les caisses d'épargne... - vont constituer de grandes enseignes nationales pour garantir la qualité des prestations ! Il y a peut-être de la suspicion sur quelques bancs, mais je peux vous dire qu'il y a beaucoup d'énergie mobilisée pour la révolution des services ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. Maurice Giro, rapporteur de la commission des affaires culturelles - Avant de présenter le projet, je voudrais remercier ceux qui m'ont permis d'être le rapporteur de cette loi réaliste.

Réaliste, ce projet l'est car il est fondé sur un constat que j'illustrerai par quelques chiffres. En France, 1,3 million de personnes travaillent dans le secteur des services. 70 000 emplois s'y créent chaque année, ce qui représente une progression de 5,5 %. Les employeurs sont multiples : 6000 associations, 2,2 millions de particuliers et 500 entreprises privées.

30 % des foyers français sont divorcés. 20 % des enfants sont élevés dans des familles monoparentales. La France enregistre 750 000 naissances annuelles. Seulement 9 % des enfants trouvent une place en crèche, alors que plus de 50 des enfants en bas âge ont leurs deux parents actifs. 81 % des femmes entre 25 et 49 ans ont une activité professionnelle. Le niveau de vie moyen des Français a quasiment doublé sur les trente dernières années. Il y a chaque année en France plus de deux millions de déménagements. En 1999, un habitant sur huit vivait seul. En 2030, cette proportion devrait passer à un habitant sur six.

Plus de trois millions de personnes âgées d'au moins 65 ans vivent seules dans notre pays et l'espérance de vie à la naissance continue de progresser : 74 ans en 1980, 79 ans en 2004, 84 ans en 2050... Il faut en moyenne 16 heures de recherche pour trouver une garde à domicile pour un parent isolé. Parallèlement, le stress est cité par 38 % des personnes interrogées comme le risque prépondérant au travail et 61 % des salariés considèrent qu'il est indispensable que l'employeur soit attentif au bien-être personnel de ses subordonnés. 53 % des Français possèdent un ordinateur personnel à leur domicile et 16 millions de ménages entretiennent régulièrement un jardin. Aux Etats-Unis, 31 % de la population active accède à un service de conciergerie organisé par l'employeur contre seulement 0,75% en France.

Ces chiffres dressent un tableau très éclairant de la situation présente et nous amènent à répondre à la question suivante : que faire pour satisfaire cette demande considérable de services à la personne, sachant qu'il y a à la clé des milliers d'emplois pérennes ? Sans doute faut-il commencer par dresser un état des métiers encore inexplorés, en prenant en compte leur diversité. Il y a d'abord les services à la famille - gardes d'enfants, soutien scolaire, loisirs des jeunes, aides à domicile des personnes dépendantes. Puis il y a les services relatifs à la santé : soins à domicile, appui psychologique aux personnes isolées, information, prévention... Enfin, un gisement d'emploi non négligeable est à rechercher dans les services d'accompagnement de la vie quotidienne : assistance informatique, livraison de repas, coiffure à domicile, entretien du logement et dépannages divers, aide aux démarches administratives, conseil juridique, jardinage, gardiennage, aide aux déménagements, recherches diverses...

L'objectif du programme de développement des services à la personne, c'est de permettre à chacun d'accéder aux services dont il a besoin à un prix raisonnable, grâce à l'allégement des charges pesant sur le particulier employeur et à la suppression des cotisations patronales de sécurité sociale pour les prestataires de services agréés. A cette fin, il convient de définir un cadre légal adapté, en simplifiant les conditions d'accès aux allégements de charges et en maintenant le taux réduit de TVA pour les services à la personne. Parallèlement, le droit de la consommation doit être modernisé et les prestataires de services à la personne doivent s'engager dans une démarche de qualité. L'ouverture et l'enrichissement de l'offre de services seront favorisés par le soutien aux enseignes nationales en voie de constitution ou en cours de développement, par l'institution d'une procédure d'agrément simplifiée et à validité nationale et par l'encouragement des opérateurs à solliciter une certification de qualité par un organisme agréé.

La création du chèque emploi service universel - le CESU - vise à rapprocher l'offre et la demande de services en simplifiant l'accès aux nouvelles prestations. A cet effet, le CESU intègre les fonctionnalités des chèques et titres emploi service, élargit leurs possibilités d'utilisation, constitue un moyen de paiement des prestations et des charges sociales et se présente comme un instrument de solvabilisation de la demande, l'employeur ou une collectivité publique pouvant participer à son financement. Le CESU peut être un élément de la politique sociale de l'entreprise - laquelle peut l'abonder en exonération de charges tout en bénéficiant d'un crédit d'impôt de 20 % - et il est adossé à la centrale de règlement des titres emploi service. Comme l'a indiqué le ministre, la création de l'agence nationale des services à la personne substituera un interlocuteur unique aux vingt-deux services ministériels en charge de ces questions pour coordonner le développement du secteur. Elle sera chargée du suivi de ce texte, de la promotion de ce domaine d'activité, de l'information des particuliers et de la promotion du CESU.

L'ensemble de ces mesures vise à améliorer les conditions de travail des salariés. A cet égard, il est prévu d'étendre l'accord du 29 mars 2002 portant revalorisation des grilles de rémunération, d'inciter les particuliers employeurs à renoncer à la cotisation sur une base forfaitaire de rémunération égale au SMIC - cette incitation prenant la forme d'un allégement de charges à hauteur de quinze points de cotisations, soit près de la moitié des cotisations patronales de sécurité sociale - et d'encourager les partenaires sociaux à ouvrir des négociations relatives au temps partiel subi et à la pénibilité du travail dans le secteur.

Les résultats de l'ensemble de ce plan d'action seront soumis à une évaluation annuelle. Comme l'a rappelé Jean-Louis Borloo, l'objectif est ambitieux : 500 000 emplois nouveaux dans ce secteur d'activité en 2008, en collaboration avec les grandes entreprises nationales de services.

Le titre II du présent projet comporte un certain nombre de mesures proposées dans le cadre plus général du plan de cohésion sociale, pour tenir compte notamment des avancées récentes de la négociation collective. Quatre mois après la promulgation de la loi du 18 janvier 2005, il n'est pas opportun de rouvrir l'ensemble de la discussion en examinant tous les enjeux qui la sous-tendaient. Sans doute est-il plus raisonnable de s'en tenir aux nécessaires ajustements, notamment pour ce qui concerne le service public de l'emploi.

La commission des affaires sociales défendra plusieurs amendements : une vingtaine d'amendements rédactionnels vous seront ainsi proposés, bien que le texte transmis par le ministre soit d'une remarquable clarté - et je tiens à le féliciter, lui et l'ensemble de ses services, pour ce louable effort de lisibilité dans des matières pourtant fort complexes ; plusieurs amendements tendront ensuite à apaiser les craintes de nombre d'artisans face au développement d'une nouvelle forme de concurrence... (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe UMP) A mes yeux, le développement des services à la personne offre des perspectives très encourageantes aux artisans qui sauront s'organiser pour profiter de la dynamique engendrée. La concurrence, nous comprenons tous qu'elle puisse susciter des craintes, mais elle crée de l'activité et les particuliers y trouvent avantage. Il appartient cependant au législateur de veiller à ce qu'elle ne devienne pas déloyale...

Plusieurs députés UMP - Absolument !

M. le Rapporteur - C'est pourquoi notre commission vous proposera de limiter en valeur ou en temps de travail les interventions entrant dans le champ des services à la personne, lesquels doivent se limiter au dépannage, au secours et à des interventions ponctuelles. A défaut d'un tel encadrement, l'on risquerait de détourner la loi pour bénéficier des avantages associés au nouveau dispositif, au risque d'entrer en concurrence directe avec les entreprises « ordinaires ».

Les commissaires ont également souhaité renforcer la sécurité financière du circuit de traitement du CESU et rendre possible l'utilisation de tous les moyens de paiement modernes. Le volet social peut ainsi être dématérialisé, et il faut envisager dès à présent - dans le strict respect du code monétaire et financier - la possibilité de rendre disponible un titre de paiement également dématérialisé. Il est essentiel que les banques s'investissent dans le nouveau CESU. Veillons à ce titre à ne pas fermer le dispositif. Enfin, notre commission entend renforcer certains droits des particuliers et des salariés.

Pour toutes ces raisons, la commission des affaires sociales vous demande d'adopter le présent projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - Il y a quinze jours, le spectre du chômage s'est glissé dans les urnes. Ce projet de loi vient donc à point nommé, et il est de bon augure qu'à la faveur de la reprise de nos travaux, nous nous penchions sur le secteur d'activité qui a connu la plus forte croissance de ses effectifs au cours des dernières années. Ce texte apporte en outre quelques compléments utiles au plan de cohésion sociale adopté en début d'année, les mesures « rectificatives » ou « complémentaires » ayant trait à l'emploi, à l'apprentissage et au logement. Elles permettront notamment de prendre en compte certaines avancées de la négociation collective.

La production de services constitue une source indiscutable de création d'activité et la France dispose à l'évidence d'un gisement d'emplois particulièrement conséquent. Dans la consommation des ménages comme dans la consommation finale des entreprises, les activités de service ont en effet progressé continûment.

Certains experts font ainsi valoir que si notre pays présentait un taux d'emploi dans le secteur tertiaire équivalent à celui des Etats-Unis, il ne connaîtrait plus de chômage. La comparaison est bien sûr discutable, mais elle doit nous convaincre de l'existence d'un réel potentiel de développement des emplois de service. Dans ce gisement, la part des services aux particuliers est loin d'être négligeable. Garde d'enfants, soutien scolaire, maintien à domicile des personnes dépendantes, assistance informatique, portage de repas, petites réparations, gardiennage, jardinage, assistance aux démarches administratives,... les besoins de nos concitoyens ont évolué. Les facteurs influents de ces mutations sont connus et tiennent notamment au vieillissement de la population, à l'explosion du travail féminin, à la multiplication des familles monoparentales et au développement du temps libre. Au reste, dans ces différents domaines, nous ne faisons que suivre les grandes économies développées.

Face à des besoins grandissants, notre pays s'est malheureusement contenté jusqu'à présent d'une offre parcellaire et artisanale, proposée par une myriade d'associations offrant des conditions de travail pas toujours enviables. Il ne s'est jamais donné les moyens d'exploiter convenablement cette source d'emplois. Sans doute se souvient-on que Philippe Seguin, dans les années 1980, avait songé à utiliser ce levier pour juguler un chômage endémique. Las, ses projets ont été contrecarrés par les réticences syndicales et, aujourd'hui, notre pays paie des décennies d'hésitation. Si nous avions le même taux d'emploi dans le secteur des services à la personne que l'Allemagne, c'est un million sept cent mille emplois supplémentaires qui verraient le jour. Nous devons donc agir prioritairement dans cette voie.

A ce jour, ce secteur emploie 1,3 million de personnes, et à législation constante il croît de 5 % par an en dépit des freins importants que constituent la trop grande complexité des dispositifs réglementaires d'incitation, une demande peu solvable, des distorsions de concurrence aux dépens des entreprises et une offre insuffisamment professionnalisée. Fort opportunément, ce texte propose des solutions opérationnelles pour lever ces différents obstacles. En vue de combler le retard français, il va libérer l'offre de services, solvabiliser la demande et favoriser l'accès du plus grand nombre à un service personnalisé. Il permettra de réduire le coût des services à domicile, de simplifier les démarches administratives et de rationaliser les procédures d'agrément. A cet égard, il prévoit notamment la création du CESU, en remplacement du titre et du chèque emploi service.

N'oublions pas le développement de programmes de formation, d'enseignes de référence et de procédures nationales d'agrément. Pour la première fois les pouvoirs publics décident d'avoir une approche globale de la question en proposant une refonte complète des dispositifs de soutien. Le Gouvernement veut favoriser l'émergence d'une véritable industrie de services de proximité, structurée, accessible, socialement valorisée. Les possibilités de création d'emplois sont très nombreuses, mais nous devons d'abord relever le défi culturel qui consiste à changer l'image de ce secteur. Les Français doivent abandonner, en la matière, le bricolage et le système D. Ce qui a été efficace chez nos voisins peut l'être chez nous car la France dispose de tous les atouts pour relever ces défis, pourvu qu'elle ne se complaise pas dans son vague à l'âme. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ

M. le Président - J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une exception d'irrecevabilité déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement.

Mme Paulette Guinchard-Kunstler - Parce qu'il pose la question des services aux publics les plus fragiles, parce qu'il concerne des travailleurs souvent en grande précarité - je pense en particulier aux femmes, nombreuses à travailler dans les services à domicile - et parce qu'enfin il est au cœur de l'évolution de notre société, ce texte concerne au premier chef notre cohésion sociale. C'est parce que vous en avez conscience, Madame et Monsieur les ministres, que je ne comprends pas pourquoi le Gouvernement a déclaré l'urgence. Est-ce là une manie ou avez-vous pensé que le travail parlementaire était en l'occurrence inutile, alors que l'organisation des emplois de service est chez nous beaucoup plus difficile qu'ailleurs, comme les gouvernements successifs l'ont constaté ?

M. Guy Geoffroy - Il n'y a pas de temps à perdre.

Mme Paulette Guinchard-Kunstler - C'est évident qu'il y a urgence en matière d'emploi...

M. Guy Geoffroy - Ah !

Mme Paulette Guinchard-Kunstler - ...d'autant que je connais le nombre d'emplois que nous avons créés lorsque nous étions au gouvernement...

M. Guy Geoffroy - De faux emplois publics ne constituent en rien des emplois.

Mme Paulette Guinchard-Kunstler - ...et le nombre de ceux que vous avez détruits. Je suis certaine qu'en son for intérieur, M. le ministre de l'emploi est d'accord avec moi car ses intentions sont louables.

Le nombre d'emplois concernés est évalué à 500 000, mais seront-ils à temps plein, comme ce fut le cas pour les 100 000 à 120 000 emplois qui ont été créés à l'occasion de la mise en place de l'APA ? En outre, de quels types d'emplois parlons-nous précisément ? Des emplois de service pour les publics les plus fragiles - petite enfance, personnes âgées ou handicapées - ou des emplois de service liés à l'évolution de notre société pour des personnes qui n'ont pas de difficulté particulière ? Je crains que votre projet ne fragilise les premiers. Les différents types de services demandés évoluent, leur complexité s'est accrue. Je me suis personnellement battue pour que la loi du 2 janvier 2002 prenne en compte les services de soutien et de maintien à domicile car nous savons combien il est difficile d'accompagner un enfant handicapé ou des personnes âgées. Hélas, je ne retrouve pas dans votre projet de telles préoccupations.

La structuration de l'ensemble de ce secteur requiert trois obligations. Il s'agit tout d'abord d'organiser l'offre de services. J'étais à Mulhouse jeudi dernier face à deux cents auxiliaires de vie sociale stagiaires inquiètes par la précarité : ce texte favorisera-t-il ou non une réelle professionnalisation ? Il s'agit ensuite de la solvabilisation de la demande et, enfin, de la nécessité, selon moi, de lier les différentes mesures fiscales envisagées à la mise en place d'un vrai statut des salariés, indépendamment de la négociation collective. J'ai le sentiment que vous ne répondez pas à cette préoccupation.

M. le Rapporteur - Si.

Mme Paulette Guinchard-Kunstler - Vous renvoyez à la négociation collective sans faire état de quelque obligation que ce soit. En Franche-Comté, le conseil régional œuvre au développement du secteur des services en débloquant des aides supplémentaires pour la professionnalisation et la formation, mais à condition que les conseils généraux mettent en place une convention avec les structures d'aides à domicile qui réponde aux enjeux statutaires et salariaux et c'est là, me semble-t-il, une des conditions de la réussite.

Pour dynamiser le secteur des services à la personne, il faut à la fois organiser et diversifier l'offre de services et solvabiliser la demande, point sur lequel j'insisterai particulièrement. L'enjeu est de lutter contre l'emploi précaire, donc de professionnaliser le secteur. Membre de la commission Hirsch sur la pauvreté, je suis convaincue que cet enjeu est au cœur de la problématique de la cohésion sociale. Or, je crains que votre texte ne suffise pas à sortir de la précarité les emplois de service à la personne et à assurer la cohésion sociale.

Je ne peux me défendre de penser qu'une des raisons pour lesquelles nous avons négligé les conditions de travail de ces emplois est qu'ils sont majoritairement occupés par des femmes, comme s'il s'agissait de petits boulots bien assez bons pour elles, alors que ce sont de vrais métiers. Il est d'ailleurs symptomatique qu'il ait fallu, notamment dans les syndicats, attendre aussi longtemps pour les voir investir le champ de la négociation. Finalement, c'est l'ensemble de la société qui n'a pas cru à ces emplois, puisqu'elle n'a pas voulu les professionnaliser.

Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité - Il faut bien démarrer un jour !

Mme Paulette Guinchard-Kunstler - Nous en portons tous la responsabilité.

Que nous proposez-vous en matière d'organisation des services à la personne ? Une seule réponse, la mise en place d'enseignes nationales. Je crains que cela ne suffise pas.

Permettez-moi de vous rappeler un épisode qui me reste sur le cœur. Lorsque nous avons créé l'APA, nous avions mis en place le Fonds de modernisation du maintien à domicile pour accompagner les services de maintien à domicile - publics comme privés, qu'ils soient ou non à but lucratif - dans l'offre de services nouveaux, les assister dans la gestion des ressources humaines, assurer l'accès à des formations. Il avait été doté de 50 millions. La majeure partie de ces crédits ont été utilisés pour financer des structures d'hébergement !

Mme la Ministre déléguée - Parce qu'ils n'avaient pas été consommés.

Mme Paulette Guinchard-Kunstler - Vous avez repris ce dispositif dans le cadre de votre plan en faveur des handicapés et des personnes âgées. Quoi qu'il en soit, je voudrais rappeler que les contrats signés par certains départements dans le cadre du Fonds ont joué un grand rôle. L'enjeu de la structuration des services est considérable. Comment une petite association d'aide au maintien à domicile pourrait-elle, par exemple, offrir sans soutien extérieur un service de nuit ? Le Fonds de modernisation est donc un élément incontournable pour assurer l'organisation et la professionnalisation des nouveaux services.

Je ne remets certes pas en cause le dispositif des grandes enseignes, mais il ne saurait suffire.

Autre souci : je m'étais battue pour que le champ de la loi du 2 janvier 2002 couvre l'ensemble des services de maintien à domicile. Vous avez vous-mêmes mis en place, dans le cadre de la loi de décentralisation, un dispositif très important qui fait des conseils généraux les organisateurs de missions publiques à destination des publics fragiles - petite enfance, personnes âgées, personnes handicapées. Et vous ne prévoyez aucun rattachement quelconque de ces services aux schémas départementaux des personnes âgées, de la petite enfance ou des personnes handicapées !

La qualité du service rendu est essentielle. En matière de services à la personne, l'enjeu humain l'est tout autant. Un agrément national, sans référence aucune à l'échelle et à la problématique départementales, me semble donc dangereux.

M. le Rapporteur - C'est le préfet qui donne l'agrément !

Mme Paulette Guinchard-Kunstler - Vous créez d'autre part une Agence nationale des services à la personne. A quoi servira-t-elle ? S'il ne s'agissait que de dynamiser et d'animer le secteur, ce serait déjà beaucoup. Il reste que son rôle est loin d'être suffisamment défini, notamment en ce qui concerne les relations avec les conseils généraux, qui sont devenus les principaux acteurs du secteur.

M. le Ministre - C'est prévu.

Mme Paulette Guinchard-Kunstler - Je regrette : vous n'en avez pas parlé. La FNATH réclame une meilleure définition des missions de l'Agence, qui devrait notamment être chargée d'assurer la qualité du service rendu. On en revient à la question de l'agrément. Peut-on donc connaître, Monsieur le ministre, vos engagements en la matière ?

La technique des enseignes fait appel à celle de la franchise. Je connais les difficultés auxquelles elles ont pu être confrontées pour obtenir l'agrément. Il reste que l'agrément départemental est la garantie d'une certaine qualité - Mme Hoffman-Rispal y reviendra. Ce qui est sûr, c'est qu'il n'est pas si aisé de mettre en place un dispositif de franchise en matière de services à la personne.

Si vous apportez des réponses sur ces points, et notamment sur le lien entre la loi du 2 janvier 2002 et votre texte, je puis vous assurer...

M. le Ministre - Que vous voterez le texte ! (Sourires)

Mme Paulette Guinchard-Kunstler - ...Qu'un grand nombre de gens seront soulagés.

L'enjeu, c'est la qualité des services et la lutte contre la précarité. Je ne suis pas sûre que votre dispositif y réponde. Je m'inquiète surtout de l'ordonnance en cours de discussion, potentiellement très dangereuse. Des structures comme l'UNIOPSS sont inquiètes, et nous aimerions que vos réponses permettent de les rassurer... Il n'avait pas été simple de faire entrer les services de soutien à domicile dans la loi de janvier 2002 ; en offrant la possibilité de choisir une autre formule, on risque d'anéantir les progrès accomplis grâce à cette loi. Ma collègue Danièle Hoffman-Rispal reviendra sur ce point, et nous avons déposé des amendements, car beaucoup de départements pensent que vous remettez en cause la mission qui leur a été confiée en direction des publics fragiles. En définitive, votre projet vise plus à rechercher les emplois qu'à structurer l'offre de services.

Quant à l'exonération des charges sociales patronales, à mon avis il ne faut pas l'étendre à l'emploi direct. Je ne fais pas partie de ceux qui pensent qu'il faudrait interdire le gré à gré, secteur que la FEPEM a d'ailleurs cherché avec raison à structurer ; il reste que les dispositifs collectifs sont le meilleur moyen d'assurer des emplois non précaires et des conditions de travail correctes, en permettant notamment l'élaboration de conventions collectives. Je crois donc qu'il faut tout faire pour privilégier l'offre de services collective.

Toujours au sujet de l'organisation de la mission publique et des interrogations sur le rôle des conseils généraux, je voudrais évoquer ce qu'a dit samedi, alors que j'inaugurais un réseau d'assistants maternels dans ma circonscription, le Président de la CAF, un maire qui n'est pas de ma tendance politique. Il a exprimé son inquiétude au sujet de la convention d'objectifs et de moyens de la CNAF en cours de négociation, craignant une réduction de moyens qui risque de mettre à mal l'ensemble de l'organisation publique.

Autre problème : vous annoncez 500 000 emplois, mais comment solvabilisez-vous la demande ? La solvabilisation peut passer par des prestations, et vous reconnaissez vous-même que l'APA a eu à cet égard un rôle important. Vous proposez aussi des exonérations de charges sociales, mais s'il y a eu des déclarations à ce sujet, il n'est pas écrit dans le projet que l'Etat en assurera la compensation ; il serait nécessaire de le préciser. Quant aux réductions d'impôt, je veux insister sur leur caractère inégalitaire. Parfois je me demande ce que les gens feraient s'ils s'en rendaient compte... On accorde des réductions d'impôt à des personnes qui auraient les revenus suffisants pour payer. Cela représente une dépense fiscale évaluée à 1,780 milliard en 2005, soit 32 % de plus qu'en 2001... La majorité actuelle, quand elle a été au pouvoir, n'a de cesse de relever le plafond des dépenses retenues, alors que nous-mêmes l'avions à l'inverse abaissé. Les bénéficiaires de l'allocation personnalisée à l'autonomie, modestes pour la plupart, ne perçoivent que 5 160 euros par an quand les plus riches, concernés par la réduction d'impôt, obtiennent 10 000 euros ! Ce dispositif de réduction fiscale est injuste, car il profite à ceux qui n'en ont pas besoin.

M. le Rapporteur - Il permet de lutter contre le travail au noir !

Mme Paulette Guinchard-Kunstler - Je regrette profondément que vous n'ayez pas révisé ce dispositif. Nous avions déposé des amendements lors du projet de loi de financement de 2005, nous les représenterons au cours de ce débat.

Venons-en au point le plus important de ce texte : la création du chèque-emploi-service universel en remplacement du titre emploi service et du chèque-service. Vous ouvrez l'utilisation du titre emploi-service à tous les services à la personne, y compris au gré à gré, ce qui posera de nombreuses difficultés. Le dispositif initial, très intéressant...

M. le Ministre - ...mais rarement utilisé !

Mme Paulette Guinchard-Kunstler - ...permettait d'améliorer la qualité des services. Les départements avaient commencé à travailler en ce sens. Bref, vous considérez tout Français comme un employeur potentiel sans vous soucier des conditions de travail des employés. En moyenne, dans le gré à gré, un employé travaille pour huit employeurs, 24 heures par semaine, avec un salaire moyen équivalent au SMIC. Est-ce cela, la cohésion sociale ?

Plutôt que financer la structuration de l'offre de services, vous préférez accorder des avantages fiscaux. C'est notamment le cas en matière de politique de la petite enfance : l'extension de l'allocation parentale d'éducation pénalise le travail des femmes tandis que la revalorisation de la prestation d'accueil du jeune enfant, autrefois appelée allocation de garde d'enfant à domicile, ne profite qu'aux plus aisés. En outre, certaines communes riches complètent cette aide. Le sens de la dépense publique est alors totalement perverti !

La création d'emplois dans ce secteur n'est possible que grâce à la solvabilisation de la demande. Une des conditions du développement des emplois à la personne est l'organisation des services à la petite enfance, aux personnes âgées et aux handicapés.

Par ailleurs, le peu d'attention accordé à la qualité des services est regrettable. Le dispositif d'agrément national proposé n'est pas convaincant : comment sera-t-il articulé avec la loi du 2 janvier 2002 ? L'agrément national sera-t-il lié à l'agrément départemental ? De même, se pose le problème de la tarification qui relève du département. L'heure d'aide à domicile, prise en charge par la CNAF, est de deux euros en dessous du prix moyen de l'aide à domicile, ce qui pose d'innombrables problèmes.

Quant à la professionnalisation du secteur, elle sera bénéfique aux personnes bénéficiant des services comme aux employés de ce secteur. Ce secteur se caractérise par un rythme de travail très soutenu associé à une grande parcellisation du temps de travail. En tant qu'élue rurale, je sais combien la neige ou la distance peuvent poser des difficultés.

Plusieurs moyens doivent être mis en œuvre pour améliorer la qualité des services. Premièrement, la délivrance d'un agrément. Deuxièmement, la mise en place de contrôles. La directrice d'une association de maintien à domicile me disait combien les contrôles entrepris par la direction de la consommation permettaient à la profession d'être mieux reconnue et donc de se développer. Or, nous n'avons pas suffisamment de structures d'évaluation et de contrôle. L'Agence nationale des emplois de service se consacrera-t-elle uniquement à l'élaboration d'un cadre pour la qualité ou disposera-t-elle de moyens pour contrôler ce secteur ?

Pour rendre plus attractifs les emplois de service à la personne, nous devons créer des filières, après le baccalauréat professionnel médico-social ou le BEP sanitaire et social. Ainsi, les personnes auront l'espoir de voir leur carrière évoluer. Le référentiel des métiers est au cœur du dispositif. L'agence aura-t-elle son mot à dire ?

M. le Rapporteur - Cela dépend des employeurs.

Mme Paulette Guinchard-Kunstler - Non, c'est aussi une responsabilité publique, car se pose le problème de l'empiètement sur les services de santé et médico-sociaux. Ainsi, les infirmières à domicile s'inquiètent. Or, nous n'avons pas de réponse. Tous les pays européens y sont confrontés : comment organiser ces nouveaux métiers ? Uniquement comme des emplois de service marchand, ou dans le champ d'une mission publique de santé ? Le projet n'aborde pas ces points. De même il faut trouver un équilibre avec les artisans. Et je ne suis pas sûre que ce que vous avez proposé soit suffisant.

M. le Ministre - Alors ne faisons rien.

Mme Paulette Guinchard-Kunstler - Non, Monsieur Borloo. Vous me connaissez vraiment mal. Mais je pose une vraie question, celle des emplois nouveaux à créer. Avec les emplois-jeunes, nous avions répondu en partie aux besoins. Vous ne les avez pas gardés pour des raisons partisanes et idéologiques.

M. Guy Geoffroy - Rien n'était prévu après !

Mme la Ministre déléguée - Il n'y avait rien à la sortie.

Mme Martine Lignières-Cassou - Mais si !

Mme Paulette Guinchard-Kunstler - La grande différence entre nous, c'est que nous avions fait confiance aux jeunes. Mais vous ne vous engagez pas dans la structuration d'une offre de services qui permettrait vraiment de créer de bons emplois. C'est compliqué, certes, mais professionnalisation et solvabilisation sont des passages obligés, tandis que votre crédit d'impôt est inégalitaire.

J'en viens, pour conclure, aux motifs d'inconstitutionnalité (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP)

M. Bernard Perrut - Il va falloir de l'imagination !

Mme Paulette Guinchard-Kunstler - L'accès à un logement décent est un objectif de valeur constitutionnelle. Or, vous le mettez en question en permettant la location de logements de moins de 9 m², qui ne répondent pas à la définition du logement décent pour ce qui est de la sécurité et la santé. Il appartient au législateur de mettre en œuvre ce principe, et il ne se saurait se dessaisir de sa compétence : vous l'en privez en remettant au décret la défintion du logement décent. On peut d'ailleurs se demander pourquoi cette question figure ici et non dans le projet à venir « Habitat pour tous ».

Le débat n'a pas eu lieu sur ce qu'est un service à la personne. Faut-il traiter dans un même dispositif de l'accueil du jeune enfant et de l'assistance aux personnes âgées d'une part, du ménage et du jardinage d'autre part ? Il est légitime de tout faire pour créer des emplois, mais il fallait néanmoins clarifier ce concept. Vous avez préféré en faire un fourre-tout. Pour sortir de la difficulté, il faut absolument faire référence à la loi du 2 janvier 2002, qui porte sur ce qui touche à la dignité humaine, les vrais services à la personne, à différencier des simples services à domicile. Soigner une personne dépendante et tondre son jardin, ce n'est pas la même chose. Ce dispositif est insuffisant et inadapté, et nous ne pouvons que conclure qu'il est irrecevable. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

Mme la Ministre déléguée - Je voudrais dissiper des inquiétudes qui ne sont pas fondées.

En ce qui concerne le particulier employeur, nous ne changeons rien. Substituer la déclaration réelle au forfait, c'est apporter plus de garanties au salarié. Je suis surprise que nous ne puissions nous entendre pour le faire.

Ensuite, parler de « confiance aux jeunes » à propos des emplois jeunes est un peu facile. Depuis 1997, ils ont coûté 20 milliards, en 2005 ce sera encore 785 millions. Vous avez parlé de tout ce que le Gouvernement auquel vous apparteniez a réglé. Mais nous avons dû accompagner le financement de l'APA car il n'y avait aucune sortie prévue pour ces emplois dans des associations dont chacun reconnaît le rôle.

D'autre part, ce texte ne revient sur aucune disposition de la loi de 2002 relative à l'agrément des services sociaux et médico-sociaux. Nous voulons seulement le compléter en certifiant les autres activités. Ne les opposez pas : Il faut faire confiance à celui qui vient tondre la pelouse pour lui ouvrir sa porte.

A propos du chèque emploi service universel, ne reprenez pas la critique de « la réduction d'impôt pour les riches » ! Pas vous, qui connaissez assez le sujet pour savoir que ce que nous avons voulu, c'est que l'entreprise donne à des salariés qui ne pensaient même pas qu'on pouvait faire deux heures de ménage chez eux, la possibilité d'y recourir. C'est vraiment une avancée sociale.

Cela montre bien notre philosophie : aider une société qui n'y est pas habituée à consommer des services.

Et pourquoi l'urgence ? nous avons le devoir d'aller vite, comme le rappelait le Premier ministre, pour permettre à nos concitoyens de retrouver le chemin de l'emploi. Le secteur des services à la personne a ceci de particulier qu'il peut permettre à des gens sans formation de travailler tout en recevant une formation. De plus, les emplois qu'il procure ne sont pas délocalisables. Les prestataires pourront aider les salariés à travailler dans plusieurs endroits de façon à arriver à un temps plein. Nous visons, je le rappelle, la création de 500 000 emplois à temps plein. Et nous voulons sortir ces salariés de la précarité. C'est bien pourquoi nous avons travaillé, avec Philippe Douste-Blazy, sur le statut des assistants maternels et familiaux.

Nous savons toutes les deux, Madame Guinchard-Kunstler, que la problématique des personnes dépendantes appelle plusieurs approches : médico-sociale, bien sûr, mais aussi aide domestique, aide au maintien à domicile, aide aux aidants... Beaucoup d'emplois nouveaux seront nécessaires pour répondre aux attentes de nos concitoyens en ce domaine. Comme nous visons l'ensemble des publics, nous proposons qu'un versement direct de l'APA aux prestataires soit possible, avec l'accord explicite et préalable de la personne âgée et de sa famille.

Je vous rejoins sur la nécessité d'un engagement de la branche famille et de la branche vieillesse. Et je déplore la sous-consommation du fonds de modernisation de l'aide à domicile : il était nécessaire de le rendre plus opérationnel. Vous demandez à quoi servira l'Agence : à mener un processus de certification qui garantisse aux utilisateurs des services une qualité constante. Quant au chèque emploi-service universel, il permet de fusionner plusieurs titres en un seul et assure en outre un préfinancement, qui ouvre beaucoup de nouvelles opportunités.

S'agissant enfin des motifs d'inconstitutionnalité que vous avez avancés, je voudrais simplement dire que les articles relatifs au logement ont toute leur place dans ce projet, qui prolonge la loi du 18 janvier 2005 sur la cohésion sociale, étant entendu que le logement est l'un des piliers de ladite cohésion et qu'il n'est ici nullement contrevenu au principe à valeur constitutionnelle de droit à un logement décent.

Le Gouvernement vous présente un projet équilibré, novateur et totalement engagé en faveur de l'emploi. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Mme Danièle Hoffman-Rispal - Si mes fonctions d'élue parisienne ne me conduisaient pas à connaître un peu le secteur dont nous parlons aujourd'hui, je me serais tout bonnement félicitée de la création annoncée de 500 000 emplois. Mais m'y connaissant un peu, je vois déjà qu'il n'est question que de 165 000 emplois équivalents temps plein. Les 500 000 emplois promis seront donc à temps partiel.

Nous sommes évidemment tous d'accord pour développer les emplois de service au-delà de ce qui se fait dans le médico-social, mais je crois qu'il faut tenir compte de ce qui existe déjà et de tout le travail accompli par les départements, que ce soit dans le cadre de la PSD, de l'APA, du Fonds de modernisation de l'aide à domicile ou des lois de décentralisation. Les départements ont élaboré des cahiers des charges, se sont efforcés de motiver leurs prestataires d'aide à domicile, d'encourager la polyvalence et de garantir une certaine qualité. Je ne voudrais pas que les nouveaux dispositifs - je pense en particulier au nouvel agrément - se mettent en place au détriment de la qualité déjà obtenue.

M. Bernard Perrut - L'intervention de Mme Guinchard-Kunstler était intéressante, mais ses arguments ne nous ont pas convaincus. Ce projet pragmatique est animé d'un esprit nouveau et témoigne d'un très louable empressement à créer de l'emploi et à répondre aux besoins du terrain. Mais il ne faudrait pas que le souci de lever les blocages conduise à réduire l'exigence de qualité, avec des associations fonctionnant à deux vitesses, celles du secteur médico-social obéissant à certaines règles, les autres à d'autres règles. La discussion nous permettra de prévoir un maximum de garanties. Pour l'heure, le groupe UMP rejette évidemment cette exception d'irrecevabilité, d'autant plus que les principales associations prestataires de services à la personne l'accueillent favorablement. Gageant que ce texte permettra d'enrichir considérablement l'offre de nouveaux services, le groupe UMP ne votera évidemment pas l'exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Daniel Paul - Mme Guinchard-Kunstler a bien posé les différents problèmes que soulève ce texte, et je considère pour ma part que celui-ci s'inscrit dans la logique de l'action menée depuis trois ans. Le Gouvernement s'appuie sur les fortes attentes que suscitent les services à la personne pour persévérer dans la voie de la déréglementation, des atteintes au code du travail et des cadeaux aux plus favorisés, sans tenir compte si peu que ce soit du message du 29 mai.

Nul ne songe à contester l'importance des services à la personne et leur vocation naturelle à se développer. Mais l'urgence de la situation ne justifie pas que l'on démantèle le code du travail ou que l'on prenne des ordonnances pour faire n'importe quoi ! Vous parlez à l'envi de 500 000 emplois créés : sachant que les activités de service représentent une durée de travail hebdomadaire moyenne de huit heures, ne serait-il pas plus honnête de parler de 100 000 équivalents temps plein ?

Paulette Guinchard-Kunstler a posé les bonnes questions et je n'y reviens pas. S'agissant notamment de la solvabilisation de la demande, permettez-moi simplement de dire que, là encore, vous y allez un peu fort ! En multipliant les avantages fiscaux en direction des plus favorisés qui n'en ont nul besoin - au prétexte, ose nous dire notre rapporteur, de lutter contre le travail au noir ! - vous persévérez dans l'erreur d'une politique dédiée à une seule catégorie de Français. Quant aux aides aux entreprises, n'allez pas nous dire qu'elles vont permettre de nouvelles avancées sociales. Nous savons tous désormais qu'en dépit des aides publiques importantes et diversifiées consenties aux entreprises au cours des dernières années, la crainte majeure des personnes ayant vocation à exercer dans le secteur des services à la personne, c'est de se trouver en situation précaire, sans véritable sécurité de l'emploi ni perspectives professionnelles. Fortement féminisé, le domaine professionnel des services à la personne est aussi l'un des plus fragiles. Las, toutes nos propositions visant à mettre la promotion professionnelle au cœur des préoccupations ont été balayées.

Pour toutes ces raisons, je voterai l'exception d'irrecevabilité en rappelant de surcroît que les ordonnances que l'on nous annonce risquent d'entraîner de nouvelles régressions sociales.

M. Francis Vercamer - J'ai écouté très attentivement Mme Guinchard-Kunstler et j'ai apprécié son ton mesuré, qui permet d'exposer sereinement les arguments et d'aller au bout de la réflexion. Ce n'est pas si fréquent dans le cadre de la défense des motions de procédure...

Mme la Ministre déléguée - C'est vrai !

M. Francis Vercamer - Au reste, nombre des préoccupations qu'elle a évoquées sont largement partagées sur tous nos bancs, qu'il s'agisse de la professionnalisation des intervenants, de leur formation ou du risque de concurrence déloyale pour les artisans, certains craignant que les 500 000 emplois escomptés soient créés par transfert d'un domaine d'activité vers un autre... Je fais - cette semaine au moins ! - confiance au Gouvernement (sourires) pour que la discussion qui s'ouvre permette d'éclairer ces différents points. Ce projet de loi est peut-être le dernier texte sur l'emploi dont nous aurons à débattre au cours de la législature. Dès lors, ne laissons pas le diable se glisser dans les détails et veillons à instituer un dispositif résolument favorable à la création d'emplois dans le domaine des services à la personne. Déterminé à améliorer le texte au cours du débat, le groupe UDF ne votera pas l'exception d'irrecevabilité.

L'exception d'irrecevabilité, mise aux voix, n'est pas adoptée.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, ce soir à 21 heures 30.

La séance est levée à 19 heures 25.

              Le Directeur du service
              des comptes rendus analytiques,

              François GEORGE


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