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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2005-2006 - 56ème jour de séance, 129ème séance

2ème SÉANCE DU MARDI 31 JANVIER 2006

PRÉSIDENCE de M. Jean-Louis DEBRÉ

Sommaire

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT 2

OPA SUR ARCELOR 2

CONTRAT PREMIÈRE EMBAUCHE 3

CONTRAT PREMIÈRE EMBAUCHE 4

TVA À TAUX RÉDUIT SUR LE BÂTIMENT 5

TVA À TAUX RÉDUIT SUR LE BÂTIMENT 6

SITUATION DE L'EMPLOI 7

EMPLOI DES JEUNES 7

OPA SUR ARCELOR 8

ACCORD DANS LA FONCTION PUBLIQUE 9

CONTRAT PREMIÈRE EMBAUCHE 10

CONTRAT DE RESPONSABILITÉ PARENTALE 11

LUTTE CONTRE LE TRAVAIL ILLÉGAL 12

ENGAGEMENT NATIONAL POUR LE LOGEMENT 12

EXPLICATIONS DE VOTE 13

ÉGALITÉ DES CHANCES 16

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ 29

EXPLICATIONS DE VOTE 41

La séance est ouverte à quinze heures.

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

OPA SUR ARCELOR

M. Michel Vaxès - L'OPA de Mittal Steel sur Arcelor fait peser de lourdes menaces sur l'emploi, les salaires et les capacités industrielles de notre pays, et le Gouvernement ne peut pas se contenter de se déclarer choqué, surpris et préoccupé ! Votre majorité ne devrait pas non plus se contenter d'affirmer que le Gouvernement n'a ni les moyens ni la mission de bloquer le processus en cours !

Sans gloire ni courage, vous ne faites qu'emboîter le pas de Mme Kroes, la Commissaire européenne en charge de la concurrence. Fidèle à l'esprit « Bolkestein », celle-ci se déclare hostile aux champions nationaux, pas franchement favorable aux champions européens, mais elle s'enthousiasme dès qu'il s'agit de champions mondiaux. Voilà qui a dû combler d'aise M. Laskshmi Mittal !

Une nouvelle fois, prévaut donc votre logique libérale, celle qui grâce au CPE précarise l'emploi et démantèle le code du travail (Protestations sur les bancs du groupe UMP) afin de satisfaire d'insolents appétits financiers (Mêmes mouvements), au détriment de dizaines de milliers de travailleurs et de notre économie. Les sidérurgistes seront sans doute nombreux dans les manifestations qui doivent avoir lieu la semaine prochaine ! (Mêmes mouvements).

Considérant que l'industrie sidérurgique emploie 29 000 personnes en France et qu'elle constitue un fournisseur essentiel pour des branches stratégiques de notre économie, le groupe des députés communistes et républicains a proposé, dès le mois de juillet dernier, que notre Assemblée se penche sur les conditions de sauvegarde et de développement de cette filière.

Monsieur le Premier ministre, allez-vous enfin entendre aujourd'hui ce que votre majorité a refusé d'entendre hier, et saisir de cette question notre Assemblée, comme le recommande du reste le Parlement européen, dont une résolution a invité la Commission et les Etats membres à prendre des initiatives contre le démantèlement de la sidérurgie européenne ? (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et sur plusieurs bancs du groupe socialiste)

M. Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - Procédons avec ordre et méthode, en évitant les amalgames de votre question, qui mêle Arcelor et le CPE.

Le Conseil d'administration du groupe Arcelor a refusé à l'unanimité la proposition d'offre hostile de Mittal Steel. Cette belle et grande entreprise européenne dispose en effet d'un véritable projet de développement qui doit en faire un leader mondial.

Il n'y a eu aucun contact préalable entre les deux groupes, comme l'a confirmé M. Guy Dollé, et nul projet industriel n'a été mis sur la table. C'est pourquoi j'ai reçu, à la demande du Premier ministre, le président de la société Mittal Steel (« Ah ! » sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste). Je lui ai clairement indiqué que nous avions notre mot à dire, comme tous les pays européens et comme tous les « stakeholders » si vous me permettez cet anglicisme - autrement dit toutes les parties prenantes. Ces dernières, en effet, ne se limitent pas aux seuls actionnaires, et leurs positions doivent également être prises en considération.

Sachez enfin que le Président de la République recevra demain M. Jean-Claude Juncker en présence du Premier ministre, et que je maintiens des contacts étroits avec les quatre ministres des finances concernés. Nous ne sommes pas au bout de cette affaire, mais soyez certains que nous exprimerons haut et fort nos positions et que chacun prendra ses responsabilités. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

CONTRAT PREMIÈRE EMBAUCHE

M. Alain Joyandet - Depuis plus de huit mois, le chômage baisse incontestablement dans notre pays (« oh ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains ; Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). 130 000 demandeurs d'emploi en moins, 225 000 créations d'entreprises et 280 000 contrats « nouvelles embauches » signés en moins de six mois, voilà les chiffres !

Un député du groupe socialiste - Et les érémistes ?

M. Alain Joyandet - Mais nous devons aller plus loin et plus vite en faveur de l'emploi des jeunes. Ceux-ci éprouvent en effet des difficultés à trouver un stage professionnel ou un premier contrat de travail, qu'ils soient diplômés ou non, car on leur demande une expérience souvent absente. Il faut débloquer la situation !

Les jeunes surfent pendant plusieurs années de CDD en CDD, de périodes d'intérim en passages au chômage, et sont parfois contraints de changer d'orientation, leurs diplômes ne débouchant sur rien. Si nous ne faisons rien face à cela, rien ne changera !

Après le succès du CNE, vous avez décidé, Monsieur le Premier ministre, de vous attaquer au chômage des jeunes, ce fléau qui mine nos sociétés. En cohérence avec les réflexions menées par l'UMP, vous proposez ainsi le contrat première embauche, qui rejoint sur de très nombreux points nos suggestions. Grâce à cette nouvelle politique économique, nous devrions enfin rejoindre les pays dont le chômage structurel s'établit à 5 %, voire moins.

Pouvez-vous nous indiquer, Monsieur le Premier ministre, comment ce nouveau dispositif changera la donne et restaurera la confiance entre les entreprises et les jeunes ? Quelle réponse apportez-vous à la Gauche, qui nous accuse d'accentuer durablement la précarité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) et qui, depuis quelques jours, sortent de leurs chapeaux autant de recettes magiques qu'il existe de chapelles rue de Solferino (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Premier Ministre - L'emploi, en particulier celui des jeunes, voilà la priorité pour les Français ! Je souhaite donc que nous puissions avancer résolument, en refusant toute idéologie et dans le seul souci de l'intérêt général.

Il est vrai que depuis une semaine, l'opposition a multiplié les propositions alternatives au CNE.

Un député du groupe UMP - Et elles ne sont pas brillantes !

M. le Premier Ministre - Je m'en réjouis, même si ces suggestions restent très en deçà des attentes des Français. François Hollande propose une forme de contrat en alternance : c'est bien, mais cela existe déjà ! (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe UMP) Laurent Fabius propose quant à lui un CDD réservé aux jeunes : c'est moins bien, et je ne crois pas qu'il ait trouvé là la bonne idée pour lutter contre la précarité. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Ensemble, je souhaite plutôt que nous regardions en face, cet après-midi, la réalité à laquelle s'affrontent les jeunes de notre pays : 23 % d'entre eux - et plus de 40 % des non qualifiés - sont au chômage...

Mme Martine David - Qu'avez-vous fait depuis quatre ans ?

M. le Premier ministre - Et il faut, aujourd'hui comme il y a quinze ans, entre huit et onze ans à un jeune pour s'intégrer durablement dans le monde du travail. Telle est la réalité que nous avons en partage, et elle commande des solutions sur lesquelles nous pouvons facilement tomber d'accord. Ce que le Gouvernement propose...

Plusieurs députés socialistes - C'est la précarité !

M. le Premier ministre - ... est à la fois plus protecteur, plus moderne et plus ambitieux. Le CPE est un vrai CDI... (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP- Protestations sur bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste)... et c'est un contrat procurant une pleine rémunération. Il tend à répondre aux inquiétudes des jeunes. Ainsi, la fédération bancaire française s'est engagée à faciliter l'accès au crédit des titulaires de CPE. De même, ceux-ci bénéficieront du système Locapass pour que le versement du dépôt de garantie ne fasse plus obstacle à leur accès au logement, lequel constitue l'une de leurs premières préoccupations. Enfin, nous prévoyons des garanties - propres aux CDI - qui n'ont jamais été offertes aux jeunes, en matière de droit individuel à la formation et d'indemnisation chômage...

Plusieurs députés socialistes - Pour quelques semaines, voire quelques jours !

M. le Premier ministre - Autant de garanties que vos différents systèmes ne comportaient pas ! Mais nous allons plus loin, puisque c'est un véritable parcours d'accès à l'emploi que nous mettons en place. Nous installons ainsi un service public de l'orientation, destiné à permettre aux jeunes de s'engager dans une voie en connaissant ses débouchés. De même, nous enrichissons les systèmes de formation en alternance, qui ont vocation à donner à tous une véritable qualification professionnelle. Nous combattons - enfin ! - les abus auxquels donnent lieu trop souvent les stages, en prévoyant notamment que toute période de stage supérieure à trois mois soit rémunérée (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) et intégrée dans le cursus professionnel et universitaire du jeune. Enfin, le service public de l'emploi proposera à chaque jeune un suivi personnalisé, assuré chaque mois par le même interlocuteur : cela n'avait jamais été fait !

Les chiffres du chômage doivent inciter chacun d'entre nous à faire preuve d'humilité. François Hollande, je vous avais donné rendez-vous pour cette fin de mois : en décembre dernier, nous avons pu enregistrer près de 20 000 chômeurs de moins ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. François Hollande - Pour combien d'emplois créés ?

M. le Premier ministre - Ce rendez-vous mensuel, je le prends solennellement avec tous les Français, jusqu'à la fin de la mission qui m'a été confiée. Nous ne répondrons pas à leurs inquiétudes avec les vieilles lunes d'hier, mais avec des solutions adaptées aux réalités du moment ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP - Applaudissements sur quelques bancs du groupe UDF)

M. le Président - Monsieur Loncle, vous m'avez montré la montre mais je rappelle que sous aucune législature, hier comme aujourd'hui, on n'a considéré que le temps de parole du Premier ministre pouvait être compté. Et je respecterai cette règle ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; approbation sur quelques bancs du groupe socialiste)

La parole est à M. Emmanuelli... (Huées sur les bancs du groupe UMP)

CONTRAT PREMIÈRE EMBAUCHE

M. Henri Emmanuelli - Monsieur le Premier ministre, vous dirigez un gouvernement assez curieux, qui, faisant fi de l'adage, se prévaut de ses propres turpitudes. En effet, vous imputez au pays tout entier la responsabilité de vos propres échecs. Vous fourvoyez la monture, et c'est la monture que vous critiquez. Vous prétendez obtenir des résultats, mais, pour vous, les seuls ennemis, ce sont le code du travail, le progrès social et le modèle social français ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

Dans notre pays où les profits pavoisent, les quatre cinquièmes des embauches se sont faites l'année dernière à titre précaire ; 1,4 million de personnes touchent le RMI ; quatre millions sont en dessous du seuil de pauvreté et 30 % des SDF sont des salariés précaires... (Mêmes mouvements) Dans notre pays, les statistiques sourient mais le peuple grimace, le chômage baisse mais les effectifs d'érémistes augmentent... (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) Dans notre pays, la liste des licenciements économiques s'allonge.

Non content d'avoir attaqué le code du travail cet été par voie d'ordonnances, avec le CNE, vous vous en prenez aujourd'hui à la jeunesse parce que vous savez qu'elle représente l'avenir et que vous voulez la mettre au pas (Protestations sur les bancs du groupe UMP). Il y a pourtant d'autres solutions pour mettre la jeunesse au travail que celle qui consiste à la priver de ses droits en rétablissant des pratiques du dix-neuvième siècle. Vous devriez vous souvenir qu'une des principales caractéristiques de la jeunesse, c'est d'avoir du temps devant et de l'espoir au-dedans : vous voulez assombrir son espoir ? Elle écourtera votre temps ! (Huées sur les bancs du groupe UMP) C'est pourquoi je vous demande solennellement de renoncer à l'urgence et d'ouvrir le dialogue social. Monsieur le Premier ministre, quand on est sûr de sa cause, on ne craint pas l'épreuve ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. le Président - La parole est à M. Larcher. (Plusieurs députés socialistes brandissent un écriteau sur lequel est écrit : « ci-gît le CDI ! »)

M. Gérard Larcher, ministre délégué à l'emploi, au travail et à l'insertion professionnelle des jeunes - Monsieur le Député, vous devriez consulter les notes de la DARES de ce matin...

M. Jean-Pierre Brard - Qu'est-ce que la DARES ? Parlez-nous en français ! (Rires sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste)

M. le Ministre délégué - C'est le service qui collecte l'ensemble des statistiques de l'emploi...

Un député socialiste - Soyons indulgents ! Il n'a pas ses collaborateurs avec lui !

M. le Ministre délégué - Au cours de l'année 2005, le nombre d'emplois collectés par l'ANPE a progressé de 14,5 %, et il s'est agi essentiellement de CDI ou de contrats longs. En décembre, les licenciements économiques ont reculé de 21 %...

Plusieurs députés socialistes - Et le nombre d'érémistes ?

M. Gérard Larcher, ministre délégué à l'emploi, au travail et à l'insertion professionnelle des jeunes - Vous annonciez la mort du code du travail, mais il y a aujourd'hui 30 000 salariés accompagnés par une convention de reclassement personnalisé, alors qu'auparavant ces salariés des PME étaient abandonnés (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) ; désormais, les stagiaires sont indemnisés à partir du troisième mois, les périodes d'alternance sont intégrées dans le parcours d'accompagnement vers l'emploi...(Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) La précarité, ce sont ces éducateurs spécialisés qui se sont retrouvés au chômage ! (Protestations sur les sur les bancs du groupe socialiste) La précarité, c'est vous ! L'accompagnement vers l'emploi des jeunes, c'est nous ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP, exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

TVA À TAUX RÉDUIT SUR LE BÂTIMENT

M. Rodolphe Thomas - La Pologne bloque aujourd'hui un accord qui était sur le point d'être signé par les vingt-cinq membres de l'Union européenne sur l'application du taux réduit de TVA dans le secteur du bâtiment en France. Nous avons besoin de cet accord. Les professionnels du bâtiment l'attendent, car le taux réduit à 5,5 % a permis de créer plus de 50 000 emplois et parce que le retour au taux normal en supprimerait 60 000. L'économie française l'attend aussi, car le taux réduit constitue la meilleure arme contre le travail au noir.

La semaine dernière, nous vous avons posé une question, Monsieur le ministre des finances, à laquelle vous n'avez pas répondu. Elle portait sur la règle européenne de l'unanimité qui est requise en matière fiscale. On voit bien en effet que la situation actuelle ne peut plus continuer. Dès lors qu'une mesure fiscale n'a pas d'impact direct sur la concurrence au sein de l'Union, chaque pays devrait pouvoir librement en décider au nom du principe de subsidiarité (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF).

Comptez-vous donc, Monsieur le ministre, obtenir l'accord du Gouvernement polonais ? Dans quel délai et dans quelle mesure ? Et quelles sont les initiatives que la France compte prendre pour réécrire les règles de décision communautaire en matière fiscale ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF)

M. Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - Nous savons tous aujourd'hui pourquoi nous en sommes là. Il faut avoir le courage de le reconnaître. L'Europe d'aujourd'hui, Monsieur Fabius, c'est l'Europe du plan B (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). C'est une Europe qui a refusé la Constitution ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) Vous qui avez été ministre des finances, Monsieur Fabius, vous savez, et M. Strauss-Kahn le sait aussi, que l'on ne peut pas diriger l'Europe à vingt-cinq comme on l'a fait dans l'Europe à quinze (les protestations sur les bancs du groupe socialiste rendent la suite de la réponse du ministre quasiment inaudible).

C'est la raison pour laquelle M. Strauss-Kahn (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) a appelé à voter oui au référendum : il savait mieux que quiconque que l'Europe d'aujourd'hui est une Europe dans laquelle il faut une Constitution (Mêmes mouvements). Je pense aujourd'hui à tous les Français qui ont cru de bonne foi qu'en votant non, on aurait une Europe plus solidaire... Eh bien, non ! ( Mêmes mouvements )

Cela dit, le Gouvernement se bat pour faire passer le taux réduit (Mêmes mouvements). Le Premier ministre a vu le président de la Commission et le président actuel de l'Union. Il y a aujourd'hui vingt-quatre pays convaincus, mais des difficultés demeurent avec la Pologne (Mêmes mouvements). Je reçois aujourd'hui M. Grasser, le ministre autrichien. Tant que nous continuerons à négocier, le taux de TVA à 5,5 % s'appliquera. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. Huées sur les bancs du groupe socialiste)

TVA À TAUX RÉDUIT SUR LE BÂTIMENT

M. Pierre Méhaignerie - Ma question prolonge celle de M. Thomas. La position du gouvernement polonais inquiète non seulement les familles qui font des travaux mais aussi tous les salariés du bâtiment, et au-delà d'eux, tous les Français quant au fonctionnement de l'Europe à vingt-cinq.

Confirmez-vous, Monsieur le ministre, que les travaux actuellement engagés par les familles seront bien facturés au taux de 5,5 % ?

Quelles initiatives le Gouvernement est-il décidé à prendre pour aller vers une convergence des taux de fiscalité en Europe, et pas seulement sur la TVA ?

Enfin, je crois qu'il faut bien voir que ceux qui avaient expliqué aux Français qu'il existait un plan B les ont trompés ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - Oui, je vous le confirme, tant que nous négocions, le taux de TVA à 5,5 s'applique à tous les travaux qui ont bénéficié d'un devis fait sur cette base et accepté par les deux parties (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)..

Vous avez raison de dire qu'il faut que l'Europe progresse, même si le contexte a été rendu plus difficile... (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) Nous aurons un accord sur cette affaire de TVA, car c'est l'engagement qu'ont pris les pays concernés. Je répète que M. Grasser vient me voir ce soir à 17 heures et que nous allons continuer à travailler ensemble.

En matière de fiscalité, le Gouvernement français défend le principe de subsidiarité pour les services à forte intensité de main d'œuvre et non susceptibles de créer une distorsion de concurrence - je pense en particulier à la restauration. Mais nous nous battons aussi pour que l'on aille vers une harmonisation fiscale, y compris s'agissant de l'impôt sur les sociétés (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

SITUATION DE L'EMPLOI

M. Bernard Mazouaud - Le Gouvernement et sa majorité sont mobilisés en faveur de l'emploi et de l'activité. Le plan de cohésion sociale, le plan de développement des services à la personne, la création des maisons de l'emploi, la redynamisation de l'apprentissage ou l'institution des nouveaux contrats concourent à cet objectif. Selon les derniers chiffres publiés, le nombre des demandeurs d'emploi aurait diminué une nouvelle fois de 0,8 % en décembre, ramenant ainsi le taux de chômage à 9,5 % de la population active.

Nous vous félicitons de cette nouvelle baisse du chômage, qui dure maintenant depuis plus d'un semestre. Ces résultats démontrent que votre politique active a des effets structurels sur le chômage. Monsieur le ministre, pouvez-vous confirmer ces chiffres et dresser le bilan de la baisse du chômage en 2005 ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP)

M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement - La situation est claire, le chômage recule depuis neuf mois. Et la baisse est constante, puisque chaque mois notre pays compte environ 20 000 demandeurs d'emploi en moins. Cette baisse touche toutes les catégories, les chômeurs de longue durée, mais aussi les jeunes, et ce mois-ci elle concerne toutes les régions.

M. Maxime Gremetz - Mensonge !

M. le Ministre - La baisse du chômage est le fruit d'un certain nombre d'actions visant à lever des freins à l'embauche, qu'il s'agisse du contrat nouvelle embauche, sans lequel un tiers des toutes petites entreprises n'auraient pas recruté, de l'apprentissage ou du contrat d'accompagnement dans l'emploi des jeunes.

Je suis convaincu que le chômage continuera à baisser en 2006, ce qui ne fait pas plaisir sur tous les bancs de cette assemblée (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste).

M. Maxime Gremetz - Qui peut vous croire ?

M. le Ministre - Par ailleurs, contrairement à certaines idées reçues, la baisse des chiffres du chômage n'est due ni à des radiations administratives, d'autant plus qu'il y en a moins eu en 2005 qu'en 2004, ni à la démographie car on compte en 2005 56 000 personnes actives de plus qu'en 2004.

La baisse du chômage est donc bien le résultat du développement de l'activité, comme en témoignent les 244 000 créations d'entreprises cette année, ce qui ne s'était jamais vu depuis quinze ans, les 413 000 mises en chantier dans le bâtiment pour le logement et les 520 000 permis de construire, du jamais vu depuis trente ans ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP, vives protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. le Président - Monsieur Gremetz, calmez-vous, il y a des limites à ne pas dépasser !

EMPLOI DES JEUNES

M. Christian Paul - Les Français savent bien que, depuis quatre longues années, vous et votre majorité, Monsieur le Premier ministre, détenez tous les pouvoirs. Comment pouvez-vous découvrir en 2006, dans l'urgence, sous la pression de vos ambitions présidentielles (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), le chômage des jeunes que vous avez aggravé dès 2002, en supprimant les emplois-jeunes ? Pourquoi improvisez-vous, avec le contrat première embauche ou l'apprentissage à quatorze ans, une très mauvaise réponse au chômage des jeunes ?

Monsieur le Premier ministre, vous n'aurez pas raison seul, contre la jeunesse, les syndicats, les régions, et même une partie des patrons des PME. Les socialistes, figurez-vous, font des propositions précises, pour que de vrais contrats de travail assurent emploi et formation aux jeunes sans qualification (Protestations sur les bancs du groupe UMP).

Ce soir, dans cet hémicycle, vous allez commettre deux erreurs gravissimes, en décidant la fin du contrat à durée indéterminée pour toute la génération CPE, mais aussi en mettant en place l'apprentissage dès quatorze ans, car apprendre un métier par l'apprentissage, c'est bien, mais exclure en masse de l'école des enfants sans les savoirs de base, c'est une capitulation pour notre République ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; exclamations sur les bancs du groupe UMP) C'est la sélection par l'échec ! C'est la fin de la scolarité obligatoire jusqu'à 16 ans ! C'est le travail de nuit dès quatorze ans pour les apprentis, comme un récent décret le confirme (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). Cela ne sert ni l'apprentissage que vous dévalorisez, ni la lutte contre l'échec scolaire devant lequel vous démissionnez (Protestations sur les bancs du groupe UMP).

Rien pour l'égalité, tout pour la précarité ! (Très vives protestations sur les bancs du groupe UMP) Vous fermez le futur aux jeunes Français. Au nom de leur avenir, et avec gravité, nous vous demandons d'entendre leur désespoir, et de retirer cette loi bien plus inspirée par le XIXème siècle que par le XXIème. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement - Pour relancer l'apprentissage, il y a quelques mois, les professionnels et les partenaires sociaux ont inventé un slogan : « L'apprentissage a changé, c'est le moment d'y penser ». Je ne pensais pas que ce slogan serait pour vous ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

En vérité, quel mépris pour l'alternance, qui est la voie d'avenir pour notre pays. Nous avons trop longtemps orienté les élèves dans des cursus très longs, par une logique académique, strictement intellectuelle, alors que l'accès à l'emploi des jeunes se fait par l'apprentissage et la découverte des métiers, par les contrats jeunes en entreprise. Savez-vous au moins que les « emplois jeunes » modernes, incluant de la formation, existent ? Ce sont les 130 000 contrats d'accompagnement vers l'emploi des jeunes, voulus par le Premier ministre ! Vous n'avez pas l'air de le savoir ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

OPA SUR ARCELOR

M. Claude Gaillard - Monsieur le ministre de l'économie, je voudrais revenir sur l'OPA Arcelor. Nous avons d'un côté Arcelor, groupe européen, sain, restructuré - nous en connaissons le coût, pour les salariés, comme pour les contribuables et nos territoires - « opéable », et qui a une stratégie industrielle. De l'autre, la société Mittal Steel, agglomération de sociétés acquises récemment, non « opéable », et qui a besoin d'être restructurée. Cette fusion n'apparaît donc pas aussi bonne pour Arcelor que pour Mittal Steel.

Tout en rendant hommage au travail du Premier ministre et du Président de la République, je me demande comment le Gouvernement compte s'impliquer, notamment sur le plan de la communication ? Par ailleurs, sachant qu'en France beaucoup d'entreprises sont « opéables », quelle est votre stratégie pour que les mauvaises nouvelles soient les moins nombreuses possible ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP)

M. Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - Le rapprochement entre des sociétés fait partie de la vie normale des entreprises.

M. Jean-Pierre Brard - Et alors ?

M. Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - Mais il y a des règles à respecter. À la demande du Premier ministre, j'ai reçu samedi dernier le directeur général d'Arcelor, Guy Dollé, qui m'a indiqué qu'il n'avait été nullement, j'y insiste, approché par le groupe Mittal Steel. En tant qu'ancien chef d'entreprise, (Murmures sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) je peux vous dire que c'est la première fois que je vois une OPA aussi mal préparée. Il faut que cela se sache ! Pour qu'une telle opération réussisse - le mariage n'est pas mauvais en soi (Exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains) -, il faut que la société qui lance l'OPA soit porteuse d'un projet industriel : M. Mittal n'en a pas. Elle doit aussi démontrer que la culture des deux entreprises - en l'espèce, l'une ancienne et européenne et l'autre nouvelle et de droit néerlandais - est compatible : nous n'avons pas de réponse sur ce point. Je lui ai donc fait part de ces préoccupations au nom du Gouvernement français (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains ; applaudissements sur les bancs du groupe UMP) et je continuerai de le faire. Je rappelle que le Président de la République et le Premier ministre, demain, rencontreront M. Juncker, le Premier ministre luxembourgeois, pour en discuter. La vie des affaires a sa grammaire. Nous verrons si elle a été respectée. À bon entendeur, salut ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean-Pierre Brard - Que de la parlotte !

ACCORD DANS LA FONCTION PUBLIQUE

M. Jacques-Alain Bénisti - Monsieur Jacob, après des heures de négociations difficiles, vous avez signé jeudi dernier un accord décisif avec les syndicats (Murmures sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains ; « bravo ! » sur les bancs du groupe UMP) concernant les trois fonctions publiques. Ainsi, les fonctionnaires territoriaux vont également pouvoir bénéficier d'avancées majeures.

Plusieurs députés socialistes - Lesquelles ?

M. Jacques Desallangre - Ce sont les collectivités qui vont prendre en charge le coût de ces nouvelles mesures !

M. Jacques-Alain Bénisti - Cela montre qu'on peut trouver des solutions aux préoccupations sociales et salariales légitimes de six millions de nos compatriotes en s'asseyant autour d'une table. Je veux ici rendre hommage à votre sens du dialogue (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP ; exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) et souligner qu'il s'agit du premier accord significatif depuis huit ans. Il augure bien du futur projet de loi sur la modernisation de la fonction publique qui aura pour socle le droit individuel à la formation, et pour but la levée des freins à l'évolution des carrières. Si les principales mesures statutaires et sociales de l'accord (Murmures sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) ont répondu aux attentes des fonctionnaires, il n'en va pas de même des mesures salariales. Monsieur le ministre, êtes-vous prêt à les rassurer sur l'évolution de leur pouvoir d'achat ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP)

M. Christian Jacob, ministre de la fonction publique - Avec cet accord, le premier de la sorte depuis huit ans, nous avons franchi une étape importante. Nous sommes repartis des demandes concrètes des fonctionnaires en écartant les questions dogmatiques, responsables de l'échec des gouvernements successifs de droite comme de gauche. Ainsi, nous avons levé les obstacles freinant l'évolution des carrières. Pour les agents de catégorie C, cela se traduit par une revalorisation de l'indice terminal qui correspond à une augmentation de cent euros par mois et nous doublons le nombre d'agents pouvant être promus en catégorie B. Autre exemple, nous accorderons une indemnité aux fonctionnaires en haut de grille qui ne peuvent plus évoluer, de 700 euros par mois pour les agents de la catégorie A et de 400 pour ceux en catégorie B.

M. Philippe Briand - Très bien !

M. Christian Jacob, ministre de la fonction publique - Deuxièmement, sur le plan des conditions familiales, tous les agents pourront désormais bénéficier du CESU, ce qui réduira de 40 à 60 % les frais de garde d'enfants par an.

M. Philippe Briand - Très bien !

M. Christian Jacob, ministre de la fonction publique - Toujours dans la même logique, l'aide à l'installation, pour l'heure limitée aux agents des régions PACA et Île-de-France, sera étendue à l'ensemble du pays. Enfin, sur le plan salarial, entre le 1er février 2006 et le 1er février 2007, un point d'augmentation sera accordé à tous les fonctionnaires. C'est ainsi que nous répondrons aux préoccupations sur le pouvoir d'achat ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Maxime Gremetz - Quels syndicats ont signé l'accord ?

CONTRAT PREMIÈRE EMBAUCHE

M. Jean-Marie Le Guen - Monsieur le Premier ministre, vous aurez beau dire, les Français savent que la TVA réduite pour le bâtiment a été obtenue par les socialistes, et perdue par votre Gouvernement (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; protestations sur les bancs du groupe UMP), que nous avons créé 350 000 emplois-jeunes que vous avez supprimés (Mêmes mouvements), qu'il y avait deux millions d'emplois nouveaux sous Jospin contre 40 000 à peine sous ce Gouvernement... (Interruptions sur les bancs du groupe UMP)

Plusieurs députés UMP - Honteux ! Ridicule !

M. Jean-Marie Le Guen - De toutes façons, Monsieur le Premier ministre, convaincre n'est pas votre préoccupation. La marque de votre action, c'est la brutalité ! (Mêmes mouvements) S'agissant des jeunes et de leur avenir, vous n'avez consulté ni les associations ni les partenaires syndicaux et vous passez en force au Parlement ! Pourquoi ? Pour masquer votre propre échec ! (Mêmes mouvements) Vos manipulations statistiques ne trompent personne !

Plusieurs députés UMP - Et les 35 heures ?

M. Jean-Marie Le Guen - Moins de chômeurs mais plus de érémistes ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) Au vrai, Monsieur le Premier ministre, vous spéculez sur la précarité et le désespoir qu'elle fait naître chez les jeunes pour assurer le succès du CPE. Nous ne vous laisserons pas faire ! Au lieu de donner de l'emploi aux plus précaires, vous précarisez les jeunes qui ont un emploi ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) En réalité, votre but avec le CNE puis le CPE, c'est de rendre caduc le code du travail. Il faudra que vous le reconnaissiez devant les Français ! Pour vous, le risque doit peser sur le seul salarié et jamais sur l'entreprise.

M. le Président - Posez votre question.

M. Jean-Marie Le Guen - Si vous soumettiez votre Gouvernement au contrat que vous proposez aux jeunes, votre équipe ne serait plus aux commandes depuis longtemps ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; huées sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean-Claude Lemoine - C'est lamentable !

M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement - Monsieur, le député, vous touchez là un point fondamental (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Dans une société en mutation comme la nôtre, la vraie question n'est pas d'avoir une formation, un CDD, un job ou un stage, mais un métier. Ce Gouvernement a fait le choix de supprimer les emplois aidés qui ne s'accompagnaient pas d'une formation.

Il a fait le choix du contrat d'apprentissage, des contrats de professionnalisation, du recrutement par les talents et l'habileté dans les ANPE, au lieu de recrutements sur CV discriminants et anonymes. Il a fait le choix d'un service public de l'orientation, et d'un référent à l'ANPE qui reste toujours le même pour chaque jeune.

Dès lors, qu'est-ce que le CPE ?

M. Henri Emmanuelli - C'est la précarité !

M. le Ministre de l'emploi - C'est proposer au jeune et à l'entreprise un temps pour se connaître, afin d'investir dans un emploi définitif. On est loin du CDD, qui n'est qu'une parenthèse dans la vie d'un jeune et d'une entreprise ! On ne peut pas dire que le CPE n'est pas le vrai CDI de demain pour les jeunes (Protestations sur les bancs du groupe socialiste) ! Vous ne pouvez pas lui préférer le CDD, le stage ou le contrat aidé pour les jeunes sans formation ! Le monde entier bouge, mais pas vous ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

CONTRAT DE RESPONSABILITÉ PARENTALE

Mme Valérie Pecresse - Au cœur de la réussite de chaque enfant, il y a d'abord la famille. Tout adulte ayant réussi sa vie malgré les handicaps cumulés le dira : son père, sa mère, ses grands-parents veillaient. Aujourd'hui, il y a urgence : il faut conforter le rôle des familles auprès de leurs enfants. L'absentéisme scolaire atteint un niveau inacceptable ; les violences scolaires deviennent intolérables. Les actes de vandalisme sont le fait d'enfants de plus en plus jeunes, souvent laissés à eux-mêmes.

Que faire ? Comme d'autres ici, je me méfie des sanctions automatiques à l'égard des familles, tant leur désarroi peut être grand - celui des mères seules, notamment, confrontées à des adolescents en crise. Voilà pourquoi nous avons toujours refusé la suppression automatique des allocations familiales pour les parents défaillants - sanction aveugle qui ignore la réalité de chaque situation.

Pour autant, ne nous voilons pas la face : certains parents, pourtant tout à fait capables de les exercer, se dérobent à leurs responsabilités. Nous devons les remobiliser dans l'intérêt de leurs enfants. Monsieur le Premier ministre, vous proposez dans le projet de loi sur l'égalité des chances un contrat de responsabilité parentale : comment fonctionnera-t-il ? Êtes-vous parvenu à un juste équilibre entre l'accompagnement des parents en difficulté et la sanction des parents démissionnaires ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille - Vous avez parfaitement posé le problème : la meilleure chance dans la vie, ce sont des parents qui s'occupent de vous. Il est vrai que certains parents, pourtant de bonne volonté, rencontrent des difficultés croissantes, parfois jusqu'à la défaillance.

Dès lors, comment réagir ? La voie de la répression ? Elle est prévue par nos textes - la justice peut être saisie et prononcer des amendes de 750 euros, voire mettre les allocations familiales sous tutelle. La voie de l'inaction ? (L'orateur se tourne vers les bancs du groupe socialiste) C'est la voie que certains privilégient...

M. Albert Facon - C'est le Père Fouettard !

M. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille - Mais entre les deux, il y a la voie du contrat de responsabilité parentale, de l'accompagnement des parents en difficulté, du suivi de la famille.

M. François Hollande - C'est l'abbé Bas !

M. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille - Le contrat de responsabilité parentale dont vous allez débattre dans les prochains jours comporte naturellement des droits pour les parents - être aidé, recevoir une formation - et aussi des devoirs. C'est cette voie de soutien aux parents qu'a choisie le Gouvernement. Seules les allocations familiales des parents qui s'y dérobent seront suspendues : c'est le dernier avertissement avant que la justice soit saisie. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

LUTTE CONTRE LE TRAVAIL ILLÉGAL

M. Philippe Briand - Alors que le Gouvernement, entièrement mobilisé pour l'emploi, recueille les fruits de ses efforts avec un chômage en baisse continue depuis huit mois, le travail illégal continue de peser lourd sur notre économie. Il porte atteinte aux conditions de travail et de rémunération des travailleurs, affecte notre système de protection sociale et crée une distorsion de concurrence insupportable pour l'artisanat et le commerce. Il coûte environ 55 milliards d'euros à notre pays.

Après votre plan d'action pour 2004-2005, vous avez récemment déclaré vouloir renforcer la lutte contre le travail illégal sous toutes ses formes. Quelles sont vos orientations en la matière, et les moyens qui leur sont consacrés ?

M. Gérard Larcher, ministre délégué à l'emploi, au travail et à l'insertion professionnelle des jeunes - En effet, le travail illégal représente environ 4 % de notre PIB. Nous avons beaucoup parlé de précarité aujourd'hui. Or, la pire des précarités, c'est celle du salarié que l'on utilise, que l'on exploite illégalement et dont le travail n'est jamais reconnu !

Nous avons donc réuni les partenaires sociaux - qui, en 2004, n'avaient pas été consultés depuis huit ans ! - et élaboré avec eux une stratégie contre le travail illégal dans des secteurs prioritaires. En 2005, 60 000 entreprises ont été contrôlées, soit deux fois plus qu'en 2002 ; 3 600 procès-verbaux ont été dressés, 7 000 hommes et femmes rétablis dans leurs droits et le nombre de contrôles d'entreprises étrangères a été multiplié par cinq. Voilà comment le Gouvernement respecte le droit du travail : ce n'était pas le cas auparavant (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP, protestations sur les bancs du groupe socialiste) !

L'avenir, ce sont de nouveaux modes d'organisation économique, un monde ouvert, la lutte contre les fraudes transnationales. Nous avons, avec l'Allemagne, la Pologne et les pays du groupe de Vy_egrad, engagé une véritable action contre le travail illégal. La responsabilité entre donneurs d'ordre, entreprises et sous-traitants est également un sujet majeur. Voilà comment nous poursuivrons la lutte contre le travail illégal : il y va du droit des salariés et du respect de la concurrence ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

La séance, suspendue à 16 heures, est reprise à 16 heures 20.

ENGAGEMENT NATIONAL POUR LE LOGEMENT

L'ordre du jour appelle les explications de vote et le vote par scrutin public sur l'ensemble du projet de loi, adopté par le Sénat, portant engagement national pour le logement.

M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement - Nous avions un objectif simple : doubler les logements sociaux entre 2000 et 2005. Nous l'avons rempli, en passant de 42 000 à 80 000 logements sociaux financés, et de 300 000 à 400 000 pour l'ensemble des logements.

L'objectif de ce projet de loi est tout simplement de tripler le nombre de logements sociaux et de doubler la construction générale de logements, grâce à une quinzaine de mesures, portant notamment sur le partage de la plus-value, la sécurisation de l'urbanisme, l'exonération de TFPB compensée par l'État, l'accession sociale à la propriété soutenue par la TVA, le soutien aux villes bâtisseuses.

Il y a eu un vague débat sur l'article 55 ... (Sourires sur les bancs du groupe socialiste) Nous voulons seulement que les personnes souhaitant obtenir un logement social, puissent y accéder par la location ou par la propriété. Je ne reviendrai pas sur les discussions : tripler le nombre de logements sociaux et doubler celui des logements dans les trois ans, tel est notre objectif ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

EXPLICATIONS DE VOTE

M. Michel Piron - Loin de constituer un catalogue de mesures techniques, ce texte relève bien d'un choix politique : s'il entend permettre à chacun de trouver ou de construire un logement, il le fait dans le cadre voulu et programmé de la mixité et de la cohésion sociale. Là réside le principe qui organise ses mesures.

Face au défi de la pénurie, la loi Robien et la loi de programmation pour la cohésion sociale ont permis l'an dernier 410 000 mises en chantier, la délivrance de 512 000 permis de construire, la construction de 80 000 logements sociaux - soit deux fois plus qu'en 2000 -, auxquels s'ajoute le chantier des 177 quartiers en zone de rénovation urbaine.

M. Pierre Ducout - Et l'inflation du foncier !

M. Michel Piron - Jamais, en vingt-cinq ans, un tel effort n'avait été consenti ! En simplifiant les conditions de vente des terrains appartenant à l'État, en adaptant les règles d'urbanisme, en encourageant les maires bâtisseurs, les nouvelles mesures visent à libérer le foncier. Ce texte permet aussi de poursuivre et de diversifier l'effort en direction du parc social, avec les organismes HLM - dont le statut est unifié -, les SEM, l'ANAH, et grâce aux incitations fiscales en faveur de l'accession sociale à la propriété.

Ces mesures confirment le rôle des collectivités et des acteurs territoriaux. Elles concernent également l'hébergement d'urgence, en prévoyant d'ici à deux ans la construction de 5 000 logements par la Sonacotra et de 5 000 places de résidence hôtelière.

Alors que l'on commence à percevoir les résultats des premières décisions de cette mandature, il faudra encore du temps pour connaître les conséquences des décisions prises aujourd'hui : raison de plus pour nous engager, résolument, et faire de ce texte une priorité (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Marc Ayrault - Monsieur le ministre, vous avez soigneusement sculpté depuis quatre ans votre image de ministre sans œillères et sans parti pris. Mais en quelques heures, vous allez associer votre nom à deux forfaits, qui figureront parmi les symboles les plus tristes de la législature : la blessure mortelle infligée au CDI, avec l'instauration du contrat première embauche, et le coup de dague porté à la loi SRU, avec l'adoption de l'amendement Ollier (Protestations sur les bancs du groupe UMP) .

Trois mois après les violences urbaines, ces deux actes sont les pires messages que l'on pouvait adresser aux Français : Vous voulez du travail ? Résignez-vous à la précarité ! Vous n'avez pas les moyens de vous loger ? Devenez propriétaire !

Là où il faut sécuriser, vous fragilisez ; là où il faut mixer, vous séparez ; là où il faut rassurer, vous mentez ! Quand l'abbé Pierre s'est rendu à l'Assemblée, vous et vos amis avez fait assaut de respect envers les obligations de la loi SRU, mais lorsqu'il s'est retiré, et les médias avec, vous vous êtes empressés de vider ce texte de sa substance (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) .

Mme Sylvia Bassot - Caricature !

Mme Martine David - C'est la vérité !

M. Jean-Marc Ayrault - Avec l'amendement Ollier, vous avez hypocritement utilisé l'accession sociale à la propriété pour contourner l'obligation de constructions locatives sociales, exonérant les maires de votre majorité qui, depuis cinq ans, violent publiquement la loi et cautionnant une nouvelle ségrégation entre les communes riches et les communes pauvres.

L'accession sociale à la propriété aurait dû être un ajout, non un retranchement de l'obligation de diversité résidentielle ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) C'était le sens de nos amendements, que vous avez rejetés, tout comme nos propositions d'augmenter les pénalités contre les maires hors-la-loi ou d'instituer 40 % de logements locatifs sociaux et intermédiaires dans tout programme d'aménagement public. De votre engagement national pour le logement, il ne restera que ce fâcheux symbole. Le reste n'est qu'aménagements techniques, qui ne changeront rien à l'envolée des loyers, à la pénurie d'offre locative sociale, aux difficultés de se loger pour les catégories populaires et les classes moyennes.

Comment ne pas regretter cette occasion manquée ? Le mal logement appelle un effort massif et continu de la communauté nationale, par-delà nos clivages politiques. Jean-Yves Le Bouillonnec, François Brottes et beaucoup d'autres se sont inscrits dans cette démarche, en proposant de nouvelles clés : revalorisation des allocations à la personne de 10 % et suppression du seuil de 24 euros - demandée par le médiateur de la République - ; plafonnement du coût du loyer dans le revenu des ménages, contrat de sécurité bailleur/locataire, clause de non spéculation. Ces clés ont été dédaignées car trop audacieuses, et trop éloignées de votre logique.

Comme sur tous les sujets sensibles - l'ISF ou le contrat de travail -, le seul souci de votre majorité est de se défaire des obligations de justice et de solidarité, parce qu'elle les perçoit comme des carcans et des contraintes.

Notre opposition à ce projet de loi n'est que le prélude de la bataille que nous allons mener contre votre contrat « première embauche ». Ce qui est en jeu, c'est en effet l'essence de notre pacte social : le droit au logement, le droit au travail, - pour tout dire, les fondements de la dignité humaine ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains.

M. Jean-Pierre Abelin - Un mot d'abord sur la TVA à 5,5% : M. Breton vient d'affirmer que le Gouvernement entend poursuivre les négociations, mais je veux rappeler qu'il est vital de consolider ce dispositif, dans l'intérêt du logement social.

L'UDF est favorable aux principales avancées du texte qui nous est soumis, Monsieur le ministre, car elles permettront d'entretenir la mobilisation des acteurs concernés, en particulier des « maires constructeurs » : exonération de taxe foncière sur les logements locatifs sociaux pendant la durée d'application de la loi de cohésion sociale, partage de la plus-value sur les terrains devenus constructibles, ou encore possibilité de fixer dans les PLU des taux minimaux de logements sociaux dans certaines zones.

Si nous approuvons également les mesures libérant le foncier détenu par l'Etat dans le but de lutter contre la spéculation, nous nous montrerons très attentifs au bilan global des opérations qui seront menées. Il importe en effet que ces cessions ne visent pas seulement à assurer des rentrées financières à l'Etat, mais qu'une partie au moins d'entre elles favorise effectivement le logement social.

J'ajoute que nous avons apprécié votre attitude constructive, Monsieur le ministre. Vous avez en effet accepté un certain nombre d'amendements présentés par le groupe UDF, comme ceux relatifs au permis préalable de louer, aux foyers-logements ou aux zones franches. S'agissant des SACI, vous avez accepté la rectification demandée par notre collègue de Courson, mais je rappelle qu'il serait bon de préciser par voie législative le montant des prélèvements sur fonds propres et de garantir leur affectation au logement social.

L'UDF s'oppose en revanche à tout ce qui pourrait porter atteinte à la clarté de l'article 55 de la loi SRU. Le logement locatif social doit en effet rester l'affaire de toutes les communes, et nul ne doit pouvoir se soustraire à ses obligations. Après avoir écouté l'abbé Pierre, nous avons donc voté contre l'amendement de la commission des finances qui retenait l'intercommunalité, et non plus la commune, comme territoire de référence. Nous souhaitons plutôt une application juste et ferme de cet article 55 : au lieu de nous contenter de sanctions financières, pourquoi ne pas contraindre les communes récalcitrantes à prévoir dans toutes leurs opérations immobilières au moins 25 % de logements sociaux, ce qui permettrait de rattraper effectivement le retard accumulé ? S'il y a des terrains disponibles pour construire des logements pour les personnes aisées, il doit aussi s'en trouver pour des logements sociaux !

D'ici à l'adoption définitive du projet de loi, nous souhaitons enfin que le Gouvernement prenne en considération nos amendements relatifs aux aides personnalisées, amendements qui ont été adoptés à l'unanimité en commission, mais qui n'ont pas pu être discutés. Il s'agit notamment du délai d'un mois de carence, du versement des sommes inférieures à 24 euros par mois et de l'indexation sur le nouvel indice de référence les loyers. Au moment où les charges de chauffage augmentent rapidement, de telles mesures sont en effet attendues et seraient bienvenues.

L'UDF votera ce projet de loi, Monsieur le ministre, car il comporte des éléments de nature à renforcer la mobilisation contre la crise du logement. Nous restons toutefois convaincus qu'il faudrait aller encore plus loin, comme viennent de le souligner la mise en cause de la TVA à 5,5% et la crise des banlieues ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF)

Mme Muguette Jacquaint - Alors que nous nous apprêtons à examiner le projet de loi relatif à l'égalité des chances, comment ne pas rappeler à quel point les droits de la personne reposent sur le droit au logement ? Or, dans notre pays, trois millions d'hommes et de femmes ne peuvent exercer ce droit, faute de ressources suffisantes, et demeurent privés de tout espoir d'un avenir meilleur du fait de l'inflation immobilière et de la précarisation de l'emploi.

Par ailleurs, les événements de ces derniers mois, qu'il s'agisse des dramatiques incendies survenus l'été dernier ou des violences perpétrées dans les banlieues à l'automne, nous placent tous devant nos responsabilités. Pourtant, à quoi avons-nous assisté ces derniers mois, sinon à une multiplication d'effets d'annonce, sans doute destinés à parfaire la communication gouvernementale, mais certainement pas à dégager des solutions concrètes et viables ? Ainsi, depuis l'adoption du projet de loi de programmation pour la cohésion sociale, le Gouvernement n'a eu de cesse d'annoncer une loi qui devait s'intituler « habitat pour tous », finalement remplacée par le texte que nous venons d'examiner - un texte sans ambition, dont le ministre lui-même a reconnu qu'il n'avait «rien de génial». Bel aveu de l'incapacité du Gouvernement à se convaincre et à convaincre sa majorité d'agir !

Pis encore, ont été introduites des mesures portant atteinte aux principes posés par la loi SRU, en particulier aux dispositions qui obligent à réaliser 20 % de logements locatifs sociaux dans chaque commune. L'amendement adopté à l'initiative du Président de la commission des affaires économiques, M. Ollier, est d'une extrême gravité, puisqu'il détourne la loi de son objectif initial en proposant d'intégrer les programmes d'accession sociale à la propriété dans le calcul des 20 %.

Si nous sommes tous favorables sur ces bancs au développement de l'accession sociale à la propriété, il est impératif de préserver cette part de 20 % de logements locatifs sociaux afin de répondre à la demande. Sans la pénurie de logements actuelle, nous aurions sans doute pu approuver un tel amendement, mais force est de constater que vous cherchez seulement à exonérer de toute responsabilité les maires qui ne réalisent pas de logement locatif social.

Preuve en est que le Gouvernement et la majorité se sont également opposés par principe à l'aggravation des sanctions qu'encourent ces maires fautifs, y compris ceux qui refusent ouvertement d'accueillir des logements HLM sur le territoire de leur commune.

Compte tenu de la volonté obstinée du Gouvernement de privilégier les intérêts de quelques maires, dont beaucoup sont députés ou dirigeants politiques, et de bafouer ainsi l'intérêt général, nous voterons résolument contre ce projet de loi ! (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).

A la majorité de 371 voix contre 173 sur 549 votants et 544 suffrages exprimés, l'ensemble du projet de loi est adopté.

La séance, suspendue à 16 heures 40, est reprise à 16 heures 50.

ÉGALITE DES CHANCES

L'ordre du jour appelle la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi pour l'égalité des chances.

M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement - Le 27 octobre dernier a marqué le début d'une période de violences qui nous a tous conduits à nous interroger sur notre action, sur notre responsabilité et sur notre capacité à vivre ensemble, quelles que soient nos origines. Soumis à ces questions, la plupart d'entre nous sommes convenus qu'il n'y avait qu'un seul moyen pour affronter puis dépasser la crise, et que cette voie s'appelait la République : une République qui fait que la loi est respectée sans faiblesse, une République soucieuse du respect de l'ordre public confié aux forces de police et de gendarmerie, mais une République ouverte et tolérante, généreuse et accueillante, qui sache reconnaître ses erreurs et ses échecs.

Alors, oui, cette crise qui s'est déroulée il y a trois mois, nous devons continuer d'en tirer les leçons, même si certains ont envie d'en oublier les images. Malgré les efforts déployés par tous les gouvernements, de droite comme de gauche, la situation, dans certains quartiers, n'a cessé de se dégrader, même si, dans d'autres, elle s'est considérablement améliorée. Certains ont mis en avant l'échec de la politique de la ville, les jeunes les plus violents se comptant précisément parmi ceux qui sont nés avec cette politique et qui en ont donc bénéficié depuis leur enfance. Je ne souscris pas à cette analyse.

Cette crise est celle-là même qui m'a amené à vous proposer, dès l'automne 2004, une loi ambitieuse de programmation pour la cohésion sociale. Je me permets de citer ce que je disais alors à cette même tribune, dans un silence parfois incrédule et peu mobilisateur : « Réaffirmant nos convictions, la France ne doit pas être une juxtaposition d'individus égoïstes et rivaux, mais la réunion d'hommes et de femmes animés par la même fierté d'appartenir à la République. L'avenir de notre pays et son dynamisme économique durable dépendent de notre capacité à fédérer tous ses talents. Inexorablement, depuis quinze ans, le fossé se creuse entre ceux dont les enfants ont un avenir et ceux dont la descendance en est privée. D'innombrables talents sont ainsi gaspillés, recevant la rage en lieu et place du diplôme. » Dès le printemps 2003, je vous ai proposé un plan pour sortir de la ségrégation territoriale et transformer nos quartiers, en vue de les rendre plus beaux et faciles à vivre et d'en faire de véritables quartiers d'avenir : tel était l'enjeu de la loi de rénovation urbaine.

Créée par ce texte, l'Agence nationale de rénovation urbaine fonctionne désormais et elle a engagé un effort continu de cinq à sept ans. Plus de 17 milliards de travaux ont d'ores et déjà été programmés dans le cadre de conventions, au profit de 275 quartiers abritant 1,8 million d'habitants. Dans les tout prochains jours, une nouvelle convention avec les partenaires sociaux dotera ce programme de 5,2 milliards supplémentaires, ce qui le portera à 30 milliards. Déjà, partout, des grues se dressent et si le processus est long, il faut être conscient que c'est le prix à payer pour une action en profondeur.

Comme le démontre le texte qui vient d'être adopté, le Gouvernement a aussi agi en faveur du logement, de l'emploi et de l'égalité des chances. Notre action pour instaurer une plus grande mixité sociale, et procurer à chacun un logement digne ou un emploi à la mesure de ses talents commence de porter ses fruits. Certes, ces résultats demeurent insuffisants, et surtout trop peu visibles pour nombre de jeunes qui considèrent encore que la République n'est pas pour eux.

Ces jeunes, qui sont-ils ? Très divers, ils sont parfois issus de l'immigration mais ce sont tous des Français à part entière. Souvent, ils se sentent discriminés par la couleur de leur peau ou par leur quartier d'origine. Trop souvent encore, leurs parents n'ont connu que le chômage. La plupart d'entre eux sont des personnes de qualité, car ils connaissent le prix de l'effort pour réussir. Ils appartiennent au peuple de France. Ils sont notre diversité et notre richesse, même si, avouons-le, nous sommes parfois perplexes devant les attitudes et les paroles de certains...

M. Henri Emmanuelli - Sans doute parlez-vous de M. Sarkozy ?

M. le Ministre - Et même si beaucoup vivent dans un monde violent, ils sont une partie vivante de notre pays. Ils sont des hommes et des femmes comme vous et moi, qui appellent la République à l'aide. On peut certes considérer que certains le font mal ou de manière provocante ; mais ils nous interpellent et nous devons répondre, une fois l'ordre public rétabli. Nous devons amplifier l'effort pour apporter des réponses nouvelles et immédiates, car la crise que nous venons de vivre nous oblige à accélérer pour rattraper le temps perdu pour cette génération.

Tout récemment, le Premier ministre a réaffirmé son soutien au tissu associatif, dont le travail remarquable est unanimement salué...

M. Christian Paul - Cela n'a rassuré personne !

M. le Ministre - Le Gouvernement a aussi souhaité que les emplois de proximité restent une composante forte de l'équilibre des quartiers...

M. Jean-Pierre Blazy - C'est pour cela qu'il les a supprimés !

M. le Ministre - ... mais cela ne suffit pas. Il n'est pas envisageable que, dans les prochains mois, certains jeunes qui ne demandaient qu'à repartir du bon pied, à l'école ou en apprentissage, se retrouvent sans affectation scolaire ou sans employeur acceptant de les accueillir.

Il convient d'agir vite, au risque de brusquer les habitudes et de bousculer le calendrier parlementaire...

M. François Hollande - Vous êtes au pouvoir depuis quatre ans !

M. le Ministre - L'urgence est bien de mise lorsqu'il s'agit de répondre aux cris de détresse de ceux qui ne voient pas d'issue à leur mal de vivre et je crois que le débat parlementaire, par sa richesse, prouvera que nous avons eu raison de décider d'agir sans plus attendre.

Ce que vous propose le gouvernement de Dominique de Villepin avec le présent texte, ce sont des mesures concrètes, qui portent à la fois sur l'emploi, le développement économique, la politique de la ville, l'absentéisme scolaire - via un contrat de responsabilité parentale - et la création d'un service civil volontaire. Il s'agit de mobiliser tous les moyens d'action disponibles pour sortir d'une situation particulièrement compliquée. Oui, nous entendons respecter les différentes sources de légitimité. Oui, le temps de l'action n'est pas celui des médias. Non, ne trompons pas la jeunesse par des discours trop convenus ! (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP)

Par la voix de Gérard Larcher, le Gouvernement vous a soumis plusieurs amendements tendant à faciliter l'insertion professionnelle des jeunes les plus fragiles. Avec un logement décent et une formation, c'est l'emploi qui est la voie de l'intégration républicaine...

M. Henri Emmanuelli - Lapalissade !

M. le Ministre - Les jeunes des quartiers sont demandeurs de solutions concrètes et se soucient fort peu de nos querelles sémantiques de responsables politiques trop avertis. Le Gouvernement mène la bataille pour l'emploi sur tous les fronts et les premiers résultats sont encourageants : alors, continuons !

Le titre premier du texte s'attache à favoriser l'éducation, l'insertion dans l'emploi et le développement économique. Il s'agit, en premier lieu, de faciliter l'entrée en apprentissage des jeunes de moins de seize ans qui sont sur le point de quitter le système scolaire sans aucune qualification. Nous voulons que l'échec scolaire ne soit pas une sanction irrémédiable et que les talents de chacun, même quand ils ne sont pas académiques, puissent trouver à s'exprimer. L'apprentissage junior doit permettre de retrouver confiance en soi et doit donner une possibilité de s'insérer dans le monde professionnel. Il doit offrir un environnement sécurisé et faciliter à terme la réussite d'un projet professionnel. Il doit aussi offrir un accompagnement par une équipe pédagogique et laisser ouverte la possibilité de revenir au collège à tout moment, pour ceux qui le souhaitent. Reposant sur le volontariat du jeune et de sa famille, cet apprentissage junior, qui est la première année une découverte des métiers, doit être compris comme une chance et non comme une voie de garage.

Des échanges nourris ont eu lieu à ce sujet avec les professionnels de la jeunesse et avec les partenaires sociaux. Il en résulte un texte équilibré.

Ce nouveau dispositif...

M. Yves Durand - Où est le ministre de l'Éducation ?

M. le Ministre- ...est complété par une série de mesures relatives à l'apprentissage et à l'entrée dans la vie active.

Les entreprises de plus de 250 salariés devront accroître progressivement la proportion de jeunes qu'elles emploient en contrats d'apprentissage ou de professionnalisation. Ceux-ci devront représenter 1 % de leurs effectifs d'ici au 1er janvier 2007, 2 % d'ici au 1er janvier 2008...

M. Henri Emmanuelli - Vous ne serez plus là !

M. le Ministre - ...et 3 % d'ici au 1er janvier 2009. Au cas où cet objectif ne serait pas respecté, le montant de la taxe d'apprentissage serait majoré de 20 % et porté ainsi à 0,6 % de la masse salariale. La loi de cohésion sociale, l'effort des organisations professionnelles, l'engagement massif des régions ont déjà permis à l'apprentissage de progresser de quelque 7 % en 2005. Nous proposons d'aller au-delà encore.

Il est d'autre part prévu de rendre obligatoire une rémunération des stages de plus de trois mois. Il faut que cessent ces faux stages qui ne visent qu'à obtenir des salariés sans salaire ! Cette disposition doit résonner comme un avertissement !

Le soutien de l'Etat aux jeunes dans l'entreprise est étendu aux jeunes des zones urbaines sensibles, comme l'a souhaité le Premier Ministre le 8 novembre dernier. Et à l'initiative de M. Larcher, une opération spécifique, dite « d'outplacement », sera lancée dès le mois de mars pour les jeunes des banlieues difficiles, diplômés de l'enseignement supérieur.

Par ailleurs, le projet étend le dispositif des zones franches urbaines à 15 nouveaux sites. Il complète utilement les mesures déjà arrêtées pour les 85 zones franches existantes en incitant notamment les grandes entreprises à investir dans de plus petites unités, qui seront situées dans ces zones urbaines sensibles (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste).

Nous avons souhaité ces zones franches urbaines, mais nous souhaitons aussi qu'elles ne constituent pas un facteur d'enfermement de plus pour les jeunes de ces quartiers. C'est aussi ailleurs qu'il faut rendre plus facile le développement de l'emploi. Le Gouvernement y travaille sans relâche et le chômage baisse...

M. Henri Emmanuelli - Pendant que le nombre de Rmistes augmente !

M. le Ministre - ...mais il faut continuer et amplifier l'action.

C'est pourquoi il vous est proposé par voie d'amendement la création du contrat première embauche (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste).

M. Christian Paul - Honte à vous !

M. le Ministre - 23 % des jeunes de moins de 26 ans sont au chômage dans notre pays, 70 % de ceux qui ont un travail n'ont que des CDD ou des stages et 50 % de ces CDD durent moins d'un mois. Ce que le Gouvernement propose avec l'instauration de ce nouveau contrat, c'est exactement l'inverse de la précarité actuelle : un véritable contrat à durée indéterminée, avec une période de consolidation de deux ans... (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) Nous voulons aller vers un investissement durable, partagé entre l'entreprise et le jeune (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Ne venez pas me raconter que le chômage, l'intérim, les stages et les CDD sont des emplois durables ! Ne venez pas m'expliquer qu'ils préparent au CDI, alors que les chiffres montrent qu'il faut attendre entre huit et dix ans pour en avoir un.

Ce nouveau contrat, plus souple, donne droit en contrepartie à la formation dès la fin du premier mois et à une assurance chômage, ce qui n'existait pas auparavant...

M. François Hollande - C'est de droit !

M. le Ministre - Les règles du droit du travail sont intégralement respectées.

Plusieurs députés socialistes - Faux !

M. le Ministre - La grande nouveauté consiste à accoler à ce CDI un droit à la garantie locative. Si vous connaissiez mieux les jeunes (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), vous sauriez qu'ils ont aussi envie d'accéder à un logement !

On peut essayer de faire croire aux jeunes que les CDD et les stages valent mieux que le contrat première embauche, mais vous savez au fond de vous que ce n'est pas vrai et je trouve pour ma part assez triste d'essayer de maquiller la réalité par des slogans ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

M. François Hollande - Pourquoi n'en avez-vous pas parlé avec les partenaires sociaux ?

M. le Ministre - Le titre II du projet vise directement l'égalité des chances et la lutte contre les discriminations.

Le Gouvernement souhaite améliorer l'efficacité des outils de la politique de la ville et de l'intégration grâce à la création d'une Agence de la cohésion sociale et de l'égalité des chances. Six préfets à l'égalité des chances ont déjà été nommés. A la nouvelle agence maintenant d'apporter, à côté de l'Agence nationale de rénovation urbaine, des moyens spécifiques et importants en matière d'emploi, de formation et d'accompagnement. Catherine Vautrin vous en parlera tout à l'heure

Ce même titre II renforce les pouvoirs de la Haute autorité de lutte contre les discriminations, créée en décembre 2004. Je laisserai à Azouz Begag le soin d'en traiter plus en détail.

Le titre III, que vous présentera Philippe Bas, institue un contrat de responsabilité parentale. La question de l'apprentissage des règles est au cœur de la cohésion sociale. Or, certaines situations limitent la capacité des parents à remplir correctement cette mission. Les conséquences pour les enfants sont catastrophiques, notamment lorsqu'elles se traduisent par l'absentéisme scolaire. L'école et les institutions sociales ne peuvent trouver de solutions sans les parents. Le contrat de responsabilité parentale doit d'abord et avant tout contribuer à aider les parents à remplir une mission essentielle mais difficile.

Un député socialiste - En supprimant les allocations ?

M. le Ministre - Le titre IV renforce les pouvoirs des maires face aux incivilités. Le titre V, qui répond à une demande du Président de la République, crée le service civil volontaire. Il s'agit d'offrir à des jeunes qui le souhaitent l'occasion d'un brassage social, l'expérience de la conduite d'un projet collectif et l'apprentissage de règles de vie commune.

Par ce projet, le Gouvernement entend amplifier notre volonté collective de réaliser la mixité sociale, de favoriser l'apprentissage républicain, et de combattre le communautarisme. Je suis convaincu pour ma part que nous n'épuiserons pas nos ambitions, mais il ne faut pas confondre l'idéal et le possible lorsque l'on traite de tels sujets.

Le projet que nous vous proposons, Gérard Larcher, Catherine Vautrin, Azouz Begag, Philippe Bas et moi-même, obéit à une exigence d'action et à un impératif de célérité. II répond aussi à la conviction de l'humilité dans nos certitudes (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) et fait suite aux diverses lois que j'ai eu l'occasion de vous présenter et que vous avez acceptées après les avoir amendées : la loi sur la rénovation urbaine, la loi de cohésion sociale, la loi créant la Haute autorité de lutte contre les discriminations, la loi portant engagement national sur le logement, la loi sur le retour à l'emploi.

Aucun de ces textes ne change radicalement la donne à lui seul, mais tous, peu à peu, changent les conditions de vie de nos concitoyens et font bouger les lignes de notre société. Ils concourent à l'affirmation de notre République et visent à redonner l'espérance à ceux qui sont exclus de notre tissu social. Ce qui est en cause, c'est la cohésion nationale. Elle vaut bien que nous acceptions de nous écouter sans préjugés et sans anathèmes. C'est l'objet de ce débat sur un texte qui veut faire partager notre République à tous. C'est bien la politique voulue et annoncée par le Premier ministre (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Marc Ayrault - Rappel au Règlement.

Beaucoup de ministres pour un bien mauvais texte ! Je conçois qu'il faille se mobiliser en vue d'un débat, mais nous travaillons dans des conditions exécrables. À l'origine, nous ne devions examiner ce projet qu'à partir du 21 février. Nous avons appris au dernier moment que le Gouvernement avait décidé que nous le ferions aujourd'hui ! La commission des affaires sociales a ensuite dû travailler dans des conditions inacceptables. Au moment où elle devait vous entendre, mardi, Monsieur le ministre, vous avez quitté la séance car vous aviez à défendre le texte sur le logement dans l'hémicycle...

S'il s'agissait d'un texte technique, comme vous voudriez parfois nous le faire croire, nous ne dirions rien, mais ce projet est hautement politique et mérite bien mieux. Je vais donc demander une suspension de séance pour réunir mon groupe, mais aussi pour permettre au ministre de réfléchir à une question. Il vient en effet de citer, sur le chômage des jeunes et, surtout, sur la nature des contrats de travail signés par ceux qui viennent de trouver un emploi, des chiffres totalement différents de ceux donnés par M. Larcher lors des questions d'actualité ! C'est que leurs sources ne sont pas les mêmes, M. Borloo s'appuyant sur les études de l'OCDE, et M. Larcher sur celles de la DARES. Or, selon cette dernière, une majorité de jeunes serait embauchée en CDI, de sorte que votre contrat première embauche ne ferait que leur étendre la précarité.

Il faut que l'Assemblée soit éclairée : nous ne reprendrons pas nos travaux avant de disposer des deux expertises !

M. Alain Bocquet - Rappel au Règlement, pour protester contre les conditions dans lesquelles nous abordons ce texte. Au nom du CPE, Contrat Pour Éjecter, vous allez miner la législation du travail, qui a déjà bien souffert depuis quelques mois. De surcroît, ce texte, qui nous est proposé en urgence, n'a fait l'objet d'aucune concertation approfondie avec les représentants du monde syndical, ou des associations de jeunesse. Je soutiens par conséquent la demande de suspension de séance.

La séance, suspendue à 17 heures 20, est reprise à 17 heures 35.

M. le Président - Monsieur Ayrault, le ministre m'a prié de vous communiquer les informations suivantes : l'étude du CEREQ portant sur les jeunes sortis du système scolaire en 2001 a été publiée au deuxième trimestre de 2005.

Plusieurs députés socialistes - 2001 ! C'était une autre époque !

M. le Président - Quant aux travaux de la DARES sur la structure de l'emploi dans le secteur privé en 2004, ils vous seront transmis sous peu par l'intermédiaire de la présidence.

L'étude du CEREQ sur la génération 2001 est certainement connue du groupe socialiste, ajoute le ministre. Ces renseignements devraient vous satisfaire...

M. Jean-Marc Ayrault - Je vous remercie de ces précisions. J'avais également demandé que l'on nous fasse parvenir l'étude de l'OCDE sur laquelle M. Borloo fonde son raisonnement pour aboutir à une conclusion différente de celle de M. Larcher, ce qui n'est pas sans jeter le doute dans les esprits...

M. Jean Leonetti - Vous êtes le seul à douter !

M. Jean-Marc Ayrault - Comment travailler dans de bonnes conditions quand nous n'avons pas accès aux sources de M. Borloo ? Je salue d'ailleurs l'honnêteté de M. Larcher qui a reconnu ignorer l'étude de l'OCDE. Évitons donc tout malentendu en rendant les sources publiques !

M. Jean Leonetti - Ce n'est pas une question de malentendu, mais de malentendants ! (Sourires)

M. Jean-Marc Ayrault - Je souhaite que le Gouvernement nous transmette également l'étude de l'OCDE avant que nous poursuivions l'examen du texte (Interruptions sur les bancs du groupe UMP ) Je demanderai sinon une nouvelle suspension de séance.

M. René Couanau - C'est pourtant simple : il y a 23 % de jeunes chômeurs en France, contre seulement 11 % en Allemagne !

M. Gérard Larcher, ministre délégué à l'emploi, au travail et à l'insertion professionnelle des jeunes - Cette bataille d'études est fort intéressante (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) et devrait éclairer nos débats. Naturellement, nous transmettrons au groupe socialiste l'étude de l'OCDE, dont la commission des affaires culturelles, sociales et familiales doit avoir eu connaissance (Même mouvement).

M. Jean-Marc Ayrault - Je ne peux accepter que l'on se moque ainsi de l'Assemblée nationale !...

M. Jean-Pierre Nicolas - C'est grandguignolesque !

M. Richard Cazenave - Cessez ce cinéma !

M. Charles Cova - Vous n'avez rien à proposer !

M. Jean-Marc Ayrault - ...Il y a quelques minutes, lors de l'interruption de séance, le président Dubernard m'a confirmé qu'il ne connaissait pas ces études. Le Gouvernement veut passer en force ! C'est inacceptable !

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - Je ne voudrais pas laisser M. Ayrault déformer mes propos. J'ai simplement admis que nous étions en possession de chiffres différents. Il me semble, par ailleurs, que les socialistes confondent stocks et flux. Au reste, les débats sur les statistiques ne me semblent guère utiles ! (Brouhaha sur les bancs du groupe socialiste)

M. Azouz Begag, ministre délégué à la promotion de l'égalité des chances - L'égalité des chances est au cœur du pacte républicain - c'en est même le cœur ! En juin dernier, le Premier ministre m'a donné pour mission de la promouvoir dans les esprits comme dans les faits.

En 1789, l'Assemblée Nationale déclarait : « Les hommes naissent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune ». En 1946, le peuple français proclamait : « Nul ne peut être lésé dans son travail, en raison de ses origines, de ses opinions et de ses croyances ».

M. Henri Emmanuelli - C'était la gauche !

M. Richard Cazenave - Ce n'était pas la même qu'aujourd'hui ! Vous voulez que je vous donne une leçon d'histoire ?

M. Azouz Begag, ministre délégué - En 1958, on gravait dans le marbre de la Constitution : « La France est une république indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens, sans distinction d'origine, de race ou de religion ».

La crise des banlieues, cet automne, a été un électrochoc : nous nous sommes rendu compte que les jeunes ne croient plus aux valeurs républicaines et qu'en conséquence ils ont développé des comportements d'autocensure.

Plusieurs députés socialistes - L'autocensure, ça vous connaît !

M. Azouz Begag, ministre délégué - Ce projet de loi est une réponse à ce désarroi, à cette crise des valeurs, à cette crise de confiance. Les mesures prises par le Premier ministre pour les quartiers sensibles depuis le 8 novembre dernier ont apporté de l'espoir aux oubliés de l'égalité des chances.

Plusieurs députés socialistes - Vous ne pensez pas ce que vous dites !

M. Azouz Begag, ministre délégué - Ce texte prolonge cette action en ouvrant des possibilités nouvelles...

M. Henri Emmanuelli - Ah oui ?

M. Azouz Begag, ministre délégué - ...pour ce qui est de l'accès à l'emploi, avec le contrat première embauche qui vise à rompre la spirale de la précarité et de l'échec...

M. Augustin Bonrepaux - Vous ne faites que l'aggraver !

M. Henri Emmanuelli - Vous privez les jeunes de leurs droits !

M. Azouz Begag, ministre délégué - ...et avec la définition de nouvelles zones franches urbaines pour relancer l'activité dans les territoires paupérisés. Ce projet de loi s'attache également à développer la formation à travers la découverte des métiers, l'apprentissage junior et le service civil volontaire. Enfin, il donne de nouveaux outils pour lutter plus efficacement contre le poison des discriminations, contre lequel je me bats depuis trente ans,...

Plusieurs députés socialistes - C'est la gauche qui a mené ce combat la première !

M. Jean Leonetti - Faux ! Vous l'avez pensé, nous avons agi !

M. Azouz Begag, ministre délégué - ... car il accroît les capacités de la HALDE en matière de recours et de sanctions et il confie au CSA le soin d'examiner les efforts réalisés par les éditeurs de radio et de télévision pour mieux refléter la diversité française dans les médias (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Grâce à ces actions, ce sont les talents de tous les milieux et de toutes les origines qui seront valorisés. Les compétences, toutes les compétences, rien que les compétences !

L'esprit de cette loi changera le regard que porte la nation sur elle-même. Oui, l'année 2006 sera utile pour tous les Français ! Répondons au désir ardent de ceux qui dans ce pays veulent retrouver la confiance, sans laquelle il ne peut y avoir de croissance économique et sociale ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Laurent Hénart, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - L'année 2005 fut douloureuse pour notre République.

Plusieurs députés socialistes - Et pour nos ministres !

M. le Rapporteur - Les événements violents de l'automne ont montré que les quartiers sensibles dans lesquels ils se déroulèrent sont un précipité de notre société, et ont révélé combien le décrochage y est grave.

Ils sont un précipité des maux de notre société car, alors que le chômage concernait 22 % des jeunes Français en décembre 2005...

M. Henri Emmanuelli - 23 % !

M. le Rapporteur - ...il est endémique dans ces quartiers, où il connaît souvent des taux supérieurs à 40 %. Malgré l'effort des ZEP et des personnels de l'éducation nationale, la réussite aux diplômes marque le pas. Guérir les maux de ces quartiers, c'est soigner l'ensemble de notre société.

À cela s'ajoute un phénomène de décrochage : ces quartiers monolithiques échappent au maillage des activités économiques et sociales, et les chances de réussite éducative y sont moindres.

D'où l'objectif de ce projet de loi : rétablir l'égalité des chances et accélérer la mise en oeuvre de mesures déjà votées en faveur de ces quartiers. Pour cela, deux voies sont empruntées : d'une part, le projet accroît les chances de réussite éducative et professionnelle des habitants, notamment les jeunes, et d'autre part, il démontre que la réussite éducative n'est pas le seul fait de l'Education nationale, mais de tous les acteurs de notre société, qu'il faut mobiliser.

M. Henri Emmanuelli - C'est surréaliste !

M. le Rapporteur - Pour une meilleure réussite éducative et professionnelle, nous faisons le pari audacieux de l'alternance, car notre système scolaire est encore trop marqué par la formation théorique. Or, l'apprentissage donne les mêmes taux de succès aux diplômes que la voie académique, et la formation en alternance entraîne une meilleure insertion professionnelle des jeunes.

Ce projet de loi s'attaque notamment à la rupture de contrat - un mal français : 20 à 25 % des contrats s'interrompent dans les premiers mois, contre 7 à 8 % seulement en Allemagne. La rupture marque non seulement l'échec du jeune, mais aussi de son employeur. L'apprentissage junior vise donc à offrir, dès quatorze ans et sous le contrôle de l'éducation nationale, une découverte des métiers permettant de faire un meilleur choix professionnel. Les intéressés garderont le statut d'élèves et seront encadrés par une équipe pédagogique. La commission proposera une série d'amendements visant à développer le tutorat pendant ce parcours et à veiller au respect du schéma pédagogique élaboré par l'équipe éducative. Nous proposerons également d'inciter les grandes entreprises à accueillir les apprentis, en majorant la taxe d'apprentissage pour celles qui n'atteignent pas certains quotas, et de faciliter la conclusion de contrats de professionnalisation. Enfin, nous ferons des suggestions pour moraliser les stages.

M. Christian Paul - Ce n'est plus une loi, c'est un conte de fées !

M. le Rapporteur - Loin d'être facteur d'exclusion, le système d'alternance ouvre des chances supplémentaires tout en laissant la possibilité de revenir à tout moment vers le système éducatif...

M. Yves Durand - C'est faux !

M. le Rapporteur - Nombreuses sont les études qui montrent que l'alternance permet plus sûrement à des élèves de s'épanouir que la voie académique.

L'ambition d'accroître les chances de réussite s'applique aussi à l'entrée dans l'emploi : un amendement remarqué propose pour cela le contrat première embauche. Aujourd'hui, selon la DARES, 90 % des jeunes sortent de l'emploi au bout de six mois, et la moitié d'entre eux au bout d'un mois. De plus, comme l'a montré le CEREQ, une classe d'âge met désormais dix ans - entre 23 et 33 ans - pour parvenir à la même proportion de CDI que la norme adulte, soit 90 %.

L'objectif est donc non seulement d'accroître les chances de trouver un emploi, mais aussi celles de le consolider.

M. Henri Emmanuelli - Sans garanties !

M. le Rapporteur - La consolidation prend aujourd'hui dix ans ; le CPE propose une période de deux ans. Le Gouvernement fait un choix de rupture avec les précédentes politiques d'emploi des jeunes, qui recouraient aux stages, aux CDD et aux emplois subventionnés de courte durée. Il favorise l'accès de tous les jeunes au CDI, puisque le CPE est précisément un CDI : il n'a pas de terme, mais une période d'essai, et n'autorise pas de licenciement sans préavis et sans indemnité.

M. Henri Emmanuelli - Mensonges !

M. le Rapporteur - Toutefois, le licenciement est légal pendant deux ans. L'ordre public social est respecté...

M. Henri Emmanuelli - Votre ordre, et non l'ordre public !

M. le Rapporteur - On ne peut en effet licencier une femme parce qu'elle est enceinte, une personne parce qu'elle est handicapée ou de couleur, ou encore un délégué syndical parce qu'il exerce son mandat.

Tout au long de cette période de consolidation, le CPE propose à chaque jeune une sécurité individuelle : un droit à la formation, effectif dès le premier mois, et un soutien dans leur vie quotidienne grâce, entre autres, au système Locapass...

M. Henri Emmanuelli - Tout cela existait déjà !

M. le Rapporteur - ... ou à l'engagement de crédit obtenu par le Gouvernement auprès des banques françaises. Surtout, l'assurance-chômage est renforcée par rapport au droit commun : complète dès le quatrième mois, elle comporte l'accès à diverses conventions de formation professionnelle. La commission proposera simplement par un sous-amendement de veiller à ce que cette formule originale fasse l'objet de la même expérimentation que le contrat nouvelles embauches.

Le contrat jeunes en entreprise permet à l'employeur d'un jeune de 16 à 25 ans de bénéficier d'une exonération de charges supplémentaire pendant trois ans : un amendement de la commission proposera d'en étendre le champ à tous les jeunes, et d'en faire bénéficier les jeunes au chômage depuis plus de six mois. Ce contrat, qui profite déjà à plus de 250 000 jeunes, est un complément utile au CPE, et récompense les employeurs vertueux qui jouent le jeu de la consolidation du CDI d'un jeune.

Enfin, pour étendre l'activité économique dans les zones urbaines sensibles, le projet de loi augmente le nombre de zones franches urbaines et les aides allouées à ces territoires ; une série d'amendements visera à y harmoniser les droits fiscaux et sociaux des employeurs - associations comme entreprises.

Toutes ces mesures favorisent la réussite éducative et professionnelle des jeunes. Leur mérite principal est de lier la formation en alternance et l'installation durable dans l'emploi.

D'autre part, le projet de loi entend rappeler que l'effort éducatif dans ces quartiers concerne tout le monde, et que la loi de la République protège ceux qui sont discriminés. La lutte contre les discriminations est le fil rouge de nombreuses mesures : le service national civil met en place, pour la première fois, un système d'agrément unique et permet de développer le tutorat dans les associations qui accueillent les jeunes ; le CSA veillera à ce que la diversité de notre société soit illustrée par nos programmes, et, à ce titre, la commission proposera de soumettre le service public aux mêmes obligations que les opérateurs privés ; enfin, la HALDE aura un pouvoir de sanction simple et réactif, ce qui contribuera à renforcer la répression des discriminations et surtout permettra à ceux qui ne peuvent attendre l'issue d'une procédure pénale d'obtenir réparation. Une série d'amendements visera à mieux protéger les droits et libertés au cours de cette procédure et à y intégrer les principes généraux de notre droit.

Le contrat de responsabilité parentale est l'autre volet de la mobilisation éducative. La politique actuelle de soutien aux familles n'offre qu'une alternative : la consultation, à l'initiative des familles elles-mêmes, de réseaux d'écoute et d'appui, ou la sanction, financière ou pénale. Le contrat de responsabilité parentale permet aux présidents de conseil général de construire dans la durée un parcours éducatif en soutien aux familles.

M. Henri Emmanuelli - Ils ne sont pas d'accord !

M. le Rapporteur - La commission vous proposera de limiter la durée de la suspension et de préciser quelle autorité aura le pouvoir de la déclencher.

Je conclurai en rappelant que ce projet de loi accélère la mise en oeuvre du plan de cohésion sociale et des mesures de réussite éducative dont notre pays a tant besoin. En concentrant l'effort sur les quartiers en difficulté, il permet à tout le travail de rénovation urbaine d'être accompagné d'un travail de réussite humaine. Enfin et surtout, il souligne combien la réussite éducative est une responsabilité collective, en quoi il nous appelle tous à œuvrer pour garantir la solidité de notre pacte républicain (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Leroy prend place au fauteuil présidentiel.

PRÉSIDENCE de M. Maurice LEROY

vice-président

M. le Président de la commission - Depuis novembre dernier, la question de l'égalité des chances revêt une acuité nouvelle. Présenté deux mois après les émeutes, ce projet de loi aborde des thèmes divers. La commission a adopté de nombreux amendements, dont trois, du Gouvernement, sont très importants.

L'un d'eux crée le contrat première embauche.

Un député socialiste - Contrat première exclusion !

M. le Président de la commission - Le mérite du CPE, comme celui de la plupart des mesures de ce texte, c'est son pragmatisme ; il s'inspire d'ailleurs de principes qui ont fait leurs preuves chez nos voisins.

M. Henri Emmanuelli - Lesquels ?

M. le Président de la commission - En commission, il a donné lieu à une de ces passes d'armes inutiles, dont l'Assemblée a le secret : certains l'accusent d'aggraver la précarité des jeunes (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Pour ceux-là, savoir ce qui est vrai est moins important que savoir ce qui est bon à dire : le terrain est propice à toutes les dérives démagogiques face à une jeunesse ballottée entre la crise de l'école et celle du marché du travail ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste) ! Mais les jeunes ne s'y trompent pas, et ont même plébiscité cette formule dans un sondage commandé par L'Humanité ! Ils l'ont bien compris : le but du CPE est de les sortir de l'ornière des CDD qu'ils doivent multiplier aujourd'hui avant d'entrer définitivement sur le marché du travail (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste).

La France fait un sort des plus inéquitables à ces jeunes. La mondialisation n'est pas seule en cause : lorsque la génération la plus protégée impose à la partie la plus productive sa volonté de travailler moins en gagnant davantage, tout en vivant plus longtemps, c'est la génération la plus jeune et la plus faible qui se trouve exploitée ou rejetée vers le bas !

M. Alain Néri - Pourquoi avez-vous voté le bouclier fiscal ?

M. le Président de la commission - Concernant les nouveaux pouvoirs de la HALDE, nous devons faire preuve de réalisme. En théorie, les enfants des immigrés font partie intégrante du peuple français ; en pratique, une partie de la société bute encore sur cette réalité. Comment en sommes-nous arrivés là, à qui revient la faute ? (A vous ! sur les bancs du groupe socialiste) L'ensemble des Français ? Les racistes ? La classe publique, à laquelle nous appartenons, porte à l'évidence une lourde responsabilité : nous avons eu l'occasion d'en débattre le 10 février, lors d'un débat, d'une autre envergure que celle que prend celui-ci.

M. François Brottes - Pour l'instant, c'est vous que nous écoutons !

M. le Président de la commission - Immigration, intégration, ces sujets sont depuis trop longtemps un enjeu de pouvoir. (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste) L'exploitation politique du racisme et de l'anti-racisme a conduit chacun à mobiliser ses troupes.

M. Henri Emmanuelli - Qui a parlé de « Karcher » et de « racaille » ?

M. le Président de la commission - L'abandon de notre modèle d'intégration, fondé sur le pari d'un effacement progressif des spécificités ethniques, notre désamour de nous-mêmes...

M. Christian Paul - C'est d'un haut niveau !

M. le Président de la commission - ... notre engouement pour la promotion à tout-va des particularismes ont abîmé la machine qui avait fait de la France, selon l'expression de Bruno Etienne, « une formidable mangeuse de minorités ».

Enfin, je souhaite m'arrêter sur le maintien, contre vents et marées de l'interdit statistique concernant les origines ethniques. Alors que ce sujet est déclaré prioritaire, les pouvoirs publics ne disposent d'aucune information sur les immigrés (La DARES ! sur les bancs du groupe socialiste).

M. Christian Paul - Il vous reste dix-huit mois pour comprendre !

M. le Président de la commission - Étudier les chiffres de l'immigration, dans la douce France, ce serait donner du grain à moudre au racisme, bête au ventre toujours fécond. Mais, ce tabou s'est retourné contre ceux-là mêmes qu'il entendait protéger. La question, faute de chiffres, a été abandonnée aux démagogues et aux médias.

M. Bernard Roman - Faites venir le ministre de l'intérieur !

M. le Président de la commission - Hier, on ne parlait des Français issus de l'immigration que par le biais de la drogue et de la délinquance, aujourd'hui, on ne les voit qu'à travers le prisme de la religion, ou des voitures qui flambent.

La lutte contre les discriminations, inscrite dans la loi française sous l'impulsion de l'Europe, ne progressera pas tant que nous refuserons tout monitoring statistique. L'enquête « mobilité géographique et insertion sociale » de 1992, évaluant le chômage des 20-29 ans, a valu beaucoup d'ennuis à son auteur : c'est pourtant grâce à elle que nos yeux se sont dessillés, et si nous citons souvent ces chiffres, c'est que nous n'en avons pas d'autres.

M. Henri Emmanuelli - Nous ne laisserons pas ficher les jeunes !

M. le Président de la commission - Sur tous les bancs, nous connaissons mal la complexité des phénomènes de discrimination. Nous disposons de taux de chômage pour les nationaux et les non-nationaux, de taux de chômage en fonction des zones géographiques, mais rien sur les Français susceptibles d'être discriminés en raison de leur origine. La compassion et le lyrisme de nos discours ne peuvent masquer notre relative ignorance.

M. Henri Emmanuelli - Vous ne connaissez pas la compassion !

M. le Président de la commission - Il faut bien connaître la réalité pour la transformer. Nous devons constater, dégager des objectifs et mettre en œuvre une politique pour les atteindre. Faire de la prévention, de la pédagogie, de la concertation est indispensable dans le domaine de l'emploi, et pour ce faire, nous avons besoin d'analyses fines.

La HALDE doit être munie de pouvoirs de sanction...

M. Henri Emmanuelli - Le bâton, outil préféré de la droite !

M. le Président de la commission - Il nous faut, dans le même temps, des outils statistiques pour la prévention, sans quoi nous renouerons avec le péché mignon - dont se rend coupable une partie de cet hémicycle - qualifié par Pierre-André Taguieff de « diffamation vertueuse et de délation bien pensante ».

Nous aurions beaucoup à apprendre de l'usage pragmatique des statistiques par les États-Unis (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste). Connaissez-vous la Commission pour l'égalité des chances dans l'emploi, créée il y a 40 ans ?

M. Henri Emmanuelli - On a vu comment elle fonctionnait à Atlanta !

M. le Président de la commission - Les Anglais ont également des années d'avance sur nous : sachons nous inspirer, le cas échéant, de ce qui se fait ailleurs.

Toujours sous l'impulsion de l'Europe, la loi « Informatique et Libertés » a été mise en conformité avec une directive, ce qui lève bien des obstacles au recueil des données sur les origines. Si nous maintenons ces tabous, la HALDE aura la tâche difficile, mais si nous faisons preuve de volonté politique, elle deviendra un élément essentiel d'apaisement et de cohésion nationale.

Pour finir...

M. Jean-Marc Ayrault - Non, encore, c'est très intéressant !

M. le Président de la commission - Monsieur le président, je suis heureux que vous saluiez mon intervention, au milieu des quolibets de vos collègues. Il est curieux d'aborder un débat d'une telle importance dans un système qui pourrait relever, comme l'a remarqué une députée, de « mascarade ».

S'agissant du contrat de responsabilité parentale, la prévention est nécessaire dès le plus jeune âge. Les déstructurations familiales atteignent tous les milieux, mais affectent beaucoup plus gravement les familles d'origine immigrée.

M. Jean-Marc Ayrault - Stigmatisation !

M. le Président de la commission - Elles ont des conséquences d'autant plus dramatiques qu'elles touchent des populations habituées au contrôle masculin. La question des relations entre générations est devenue un trou noir.

M. Alain Néri - Le problème est socio-économique !

M. le Président de la commission - Comment la transmission des valeurs s'opère-t-elle ? Les passerelles doivent être réinventées pour reprendre le dialogue avec les jeunes : inventer l'adulte là où il n'existe plus, réinventer la famille, retrouver des rites d'insertion dans le désert de nos banlieues ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; protestations sur les bancs du groupe socialiste) Monsieur le Président, ce n'est plus possible de continuer !

M. Jean-Marie le Guen - Que cela signifie-t-il ? Pourquoi vous adressez-vous au Président ?

M. le Président de la commission - L'idée directrice du titre III est d'associer et de responsabiliser les parents, en ne retenant la sanction que comme ultime recours. Beaucoup d'élus de terrain se sont fait depuis longtemps une religion sur ces questions et ne partagent pas forcément cette opinion (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Cependant ils ont la même volonté d'aider les jeunes à s'en sortir. J'espère que nous aurons sur ce sujet des échanges constructifs.

Quelle que soit l'issue de nos débats, je sais que le Gouvernement partagera notre avis selon lequel les règles de droit comme les pratiques doivent être rigoureusement évaluées. Notre société est confrontée à un gigantesque problème d'absence de père (Exclamations et rires sur les bancs du groupe socialiste). Aucune prothèse administrative ou associative ne pourra le remplacer.

Je vous remercie de vos quolibets ridicules. Monsieur le président, je souhaiterais pouvoir m'exprimer normalement.

M. Manuel Valls - Il va nous bâillonner !

M. le Président de la commission - Calmez-vous ! Si vous voulez des médicaments, vous pouvez aller à l'infirmerie ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. Alain Bocquet - Rappel au Règlement. On ne peut pas admettre, au regard de la gravité des événements qui ont guidé le dépôt de ce texte, le mépris avec lequel le Gouvernement traite la représentation nationale et les partenaires sociaux, puisqu'il n'y a pas eu de concertation. D'autre part, le texte a été substantiellement modifié par des amendements du Gouvernement, tel celui portant sur le CPE, long de cinq pages, soit l'équivalent d'un véritable projet de loi distinct.

Par ailleurs, le projet aurait dû faire l'objet d'une saisine de la commission des lois, puisque plusieurs de ses dispositions, notamment en matière de police, relèvent de ses compétences. Or, votre coup d'accélérateur empêche toute initiative de ce type, alors qu'on aurait aimé entendre l'avis de la commission des lois sur les pouvoirs élargis de la HALDE, dont elle avait examiné la création le 22 septembre et le 5 octobre 2004. L'élargissement des prérogatives des polices municipales, ou l'implication des élus locaux dans le cadre des sanctions contre les incivilités justifiaient également cette saisine.

Un tel dysfonctionnement est inexplicable et les droits du Parlement se trouvent bafoués. Je souhaite que le président de la commission des lois vienne d'exprimer, après le rapporteur et le président de la commission des affaires sociales, sur les titres II et III de ce projet de loi. Et pour le lui permettre, je demande une suspension de séance.

M. Jean-Marc Ayrault - Je m'associe à cette demande de suspension de séance, car nous attendons toujours les études de l'OCDE et de la DARES, sans lesquelles nous ne pouvons pas avancer dans nos débats. Il existe en effet des contradictions entre les explications données par les différents ministres !

Vous vous étonnez d'être interrompu, Monsieur le président Dubernard, mais c'est oublier que vous vous êtes livré à un exercice philosophico-politique qui n'a guère de rapport avec le texte ! Au lieu de nous livrer l'état de votre réflexion, vous auriez mieux fait de mettre en pratique ce que vous prêchez. Nul n'ignore que le Parlement a été totalement dessaisi de ses compétences par la décision de recourir aux ordonnances, et que le Premier ministre ne tient pas son engagement, pris à cette tribune même, de ne pas étendre le CNE sans évaluation ni consultation des partenaires sociaux.

Vous nous faites des leçons de morale, mais vous n'avez pas joué votre rôle de président de notre commission des affaires sociales ! Comment voulez-vous qu'on vous fasse confiance après une telle mascarade ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. le Président de la commission - Le CNE a permis d'embaucher 280 000 personnes à la fin du mois de décembre (Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains ; applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Tels sont les chiffres, même si votre orgueil doit en pâtir ! Et toutes les personnes concernées se félicitent de ces créations d'emploi ! (Mêmes mouvements)

Permettez-moi de vous relire une phrase dont je suis fier : « Quand une génération, globalement mieux protégée, peut imposer aux plus productifs sa volonté de travailler moins tout en gagnant davantage et en vivant plus longtemps, c'est nécessairement la partie de la population la plus faible ou la plus jeune qui se trouve exploitée, rejetée ou exclue de tout travail normal ». Je vous laisse méditer sur cette explication !

M. Jean-Marc Ayrault - Afin d'éclairer notre Assemblée, j'aimerais que le président Dubernard nous indique ses sources. De qui émane cette extraordinaire citation ?

M. le Président de la commission - Mais de moi-même ! (Rires)

M. Jean-Marc Ayrault - Ce que vous nommez « évaluation », ce ne sont que les chiffres fournis par le Gouvernement. Or, quand M. Borloo affirme qu'un tiers des embauches n'aurait pas pu avoir lieu sans le CNE, il faudrait d'abord vérifier. Puis cette estimation est aussi un aveu : celui que les deux tiers de ces embauches auraient pu se faire en contrat à durée indéterminée !

Vous n'échapperez pas au débat de fond, car nous ne pouvons pas accepter votre volonté d'imposer la précarité en permettant aux employeurs de licencier, quand ils le souhaitent (Protestations sur les bancs du groupe UMP).

La séance, suspendue à 18 heures 20, est reprise à 18 heures 40.

M. Alain Bocquet - J'avais demandé une suspension de séance pour permettre au président de la commission des lois de venir s'exprimer sur les titres II et III du projet. Quelle suite a-t-on donnée à cette demande pressante ?

M. le Président - J'en ai pris acte, Monsieur le président Bocquet, mais, comme vous le savez, les commissions ont la faculté - et non l'obligation - de s'autosaisir d'un texte. En l'espèce, le président Houillon participe actuellement aux travaux de la commission d'enquête parlementaire sur l'affaire d'Outreau. Nous poursuivons par conséquent le cours normal de notre débat (Murmures sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ

M. le Président - J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une exception d'irrecevabilité déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. Gaëtan Gorce - Il est bien des manières de gouverner. On peut choisir l'arrogance, l'affirmation hautaine de ses prétentions, le dédain pour ceux qui auraient le front de s'opposer...

M. Jean Leonetti - Ça, c'est Fabius ! (Rires sur les bancs du groupe UMP)

M. Gaëtan Gorce - Nul doute que cette voie vous tente, car comment juger autrement votre attitude à l'égard des partenaires sociaux comme du Parlement ? Comment juger autrement l'attitude d'un Premier ministre qui nous convie tout à l'heure, dans cet hémicycle, à ce débat, et, qui au moment où l'explication s'engage, le déserte pour rejoindre les plateaux de télévision au lieu de rester avec la représentation nationale...

M. le Président de la commission - Ne lui reprochez pas d'aller expliquer sa politique aux Français !

M. Gaëtan Gorce - On peut aussi choisir l'humilité feinte, la fausse modestie qui n'a pas d'autre but que de se dédouaner de ses fautes et de se présenter sous un jour nouveau pour conduire en fait la même politique.

M. Patrick Roy - Quatre ans !

M. Éric Raoult - Et vous, vingt ans !

M. Arnaud Montebourg - Vous avez dormi pendant quatre ans et voilà que vous déclarez l'urgence !

M. Gaëtan Gorce - En effet, quatre ans ne se sont-ils pas écoulés depuis votre accession aux responsabilités ? M. Emmanuelli a du reste rappelé tout à l'heure, dans la séance des questions au Gouvernement, votre propension à vous prévaloir de vos propres turpitudes !

Mais la pire des manières de gouverner, c'est celle qui cherche à tromper l'opinion en la leurrant sur ses véritables objectifs. Contrairement à ce que prétend le Premier ministre, le CPE ne vise pas à changer la donne mais à brouiller les cartes, en présentant des régressions comme des progrès, au risque de réveils douloureux : pour le trompeur, sans doute, et ce sera justice, dès l'an prochain - nous y travaillons ; mais aussi pour le trompé, découvrant trop tard qu'on l'a dupé et que ses difficultés restent entières, voire aggravées par le prétendu remède. II y aurait pourtant du panache à relever le défi et assumer vos choix. Mais vous préférez avancer masqués. Vous portez un masque social, comme d'autres portent un masque vénitien ! J'avais, lors d'un précédent débat, comparé votre bilan au portrait de Dorian Gray, si engageant au premier coup d'oeil, mais laissant ensuite apparaître la somme des turpitudes, des injustices et des iniquités commises. Dans la grande bataille, qui est au cœur de la mondialisation, entre ceux qui veulent réduire les protections des salariés et ceux qui veulent les ajuster, vous avez choisi votre camp. Vous avez choisi de vous en prendre au travail : au coût du travail, à la durée du travail, à la représentation du travail, à la protection du travail. Vous prétendez que la gauche cherche à tromper l'opinion. Mais c'est votre gouvernement qui est rompu à cet exercice et qui cherche, avec ce projet, à tromper les Français.

D'abord en nous présentant dans l'urgence une loi censée favoriser l'égalité des chances ! Comme si quelques articles épars pouvaient y suffire ! Comment pouvez-vous penser que la réponse à la crise des banlieues, qui a révélé un malaise si profond, se trouve dans le texte que vous nous présentez ? Qu'à ce mal qui ronge notre société, le chômage, il suffise de répondre par quelques pauvres articles ajoutés dans l'urgence et préconisant l'apprentissage à quatorze ans et le licenciement à cinq euros ? Cinq euros, c'est-à-dire le coût de la lettre recommandée qui suffira à renvoyer un jeune dans les deux ans suivant son embauche !

Jean-Jacques Rousseau disait qu'il valait mieux être homme à paradoxes qu'à préjugés ! Mais vous cumulez l'un et l'autre ! Si nous devions vous suivre, la réponse - paradoxale - qu'il serait juste d'apporter à la précarisation des conditions de vie serait une précarisation accentuée des conditions de travail et la meilleure façon de favoriser l'entrée des jeunes les plus fragiles dans l'entreprise serait justement d'en faciliter encore leur exclusion ! Tout votre raisonnement repose sur le préjugé que c'est la législation du travail qui fait obstacle à l'embauche.

M. Arnaud Montebourg - C'est du dogmatisme ! De l'idéologie aveugle !

M. Gaëtan Gorce - Il est indigne de prendre l'argument de la crise des banlieues pour esquiver le débat qu'attendent les Français et qu'exige légitimement ce Parlement. Il est indigne de se réfugier derrière l'inquiétude des jeunes et de leurs familles pour tenter de faire passer en force une réforme menaçante pour les salariés et pour notre code du travail. Il est indigne de prendre prétexte de l'égalité des chances pour justifier l'une des plus graves discriminations à l'embauche que la jeunesse ait jamais eu à redouter. On mesure d'ailleurs le peu de cas que vous faites, au fond, de cette question de l'égalité des chances au risque que vous lui faites prendre en y mêlant le CPE, en contournant les syndicats et en précipitant le débat parlementaire.

Il faut que vous soyez bien peu sûrs de vous-mêmes pour avoir pris ainsi la responsabilité d'ignorer les partenaires sociaux, au mépris de vos propres engagements, pour avoir pris le risque d'enjamber le Conseil d'État et pour avoir choisi de bousculer à ce point le calendrier parlementaire. Dois-je rappeler que la commission des affaires sociales a appris le matin même de sa convocation qu'elle aurait à débattre dans l'après-midi d'un texte qui ne lui avait pas encore été transmis ? Qu'elle s'est réunie pour discuter d'un projet sans en connaître la teneur puisque les amendements gouvernementaux ne furent déposés que le lendemain ? Avouez que le procédé n'est pas seulement cavalier, mais traduit quelque désinvolture à l'égard de notre Assemblée. Dans ses vœux, le Président de l'Assemblée avait condamné les pratiques de ce genre, mais le Gouvernement n'aura pas attendu longtemps pour transformer ces vœux présidentiels en vœux pieux !

Si j'ajoute que l'urgence a été déclarée sur ce texte, je finis de dresser un décor où le cynisme le dispute à l'amateurisme. A moins qu'une grande peur ne vous ait saisis et que vous ayez voulu, par ces procédures expéditives, devancer la mobilisation des syndicats. La démocratie, monsieur le Ministre, n'a rien à gagner à de telles parodies. Et qu'il puisse se trouver des responsables de notre honorable Institution pour s'y prêter, cela est consternant.

Si votre attitude à l'égard du Parlement est contestable, que penser de votre conduite à l'égard des syndicats ? Quelle conception vous faites-vous de la concertation sociale pour choisir délibérément d'écarter les syndicats sur un sujet aussi grave ? Avez-vous fait vôtre, en la paraphrasant, la maxime de Clemenceau : le social serait-il une chose trop sérieuse pour être laissée aux partenaires sociaux ? Ou bien redoutez-vous leur jugement, sur une mesure issue de vos bureaux ?

Pensez-vous vraiment apporter avec le CPE une réponse efficace à la situation des jeunes face à l'emploi ? Ou continuez-vous la mise en branle de l'implacable mécanique qui conduira du CNE au CPE, puis du CPE au contrat unique, tous dépourvus de la moindre protection à travers une période d'essai applicable à tous les salariés et portée à 24 mois ? 24 mois pendant lesquels le salarié n'aura plus aucun droit sur son emploi, pendant lesquels il pourra être renvoyé à tout moment sans aucun motif et sans aucun recours. Cette affirmation d'un pouvoir discrétionnaire de l'employeur constitue un recul sans précédent.

M. Arnaud Montebourg - C'est anticonstitutionnel !

M. Gaëtan Gorce - Mais il ne s'agit pas d'un accident. Ce n'est pas un dérapage de votre politique, une embardée sur une route socialement mieux tracée. Il en est au contraire la manifestation emblématique. Votre politique sociale conduit au CPE puis au contrat unique, comme le fleuve mène à la mer.

Contrairement à ce que vous prétendez, votre politique n'est pas dictée par le pragmatisme ou le simple bon sens. Elle est au contraire l'illustration d'une stratégie perceptible dès votre déclaration de politique générale et qui repose sur un pari : aller aussi loin qu'il est possible dans la dérégulation du marché du travail sans pour autant provoquer une réaction trop vive et une mobilisation trop large des syndicats et de l'opinion. Stratégie risquée, qui exige du doigté et qui ne se comprend qu'à la lumière de la compétition impitoyable qui s'est engagée au sein de la majorité dans la perspective de 2007...

M. Jean Leonetti - Occupe-toi de toi !

M. Francis Delattre - Il n'y a aucune compétition au sein du PS, comme chacun sait !

M. Gaëtan Gorce - La pratique très « libérale » que vous avez du social vise à vous gagner la faveur d'une opinion de droite en passe d'être séduite par les solutions radicales de votre principal concurrent ; et le discours plus « social » avec lequel vous commentez cette pratique vise quant à lui à préserver vos chances à l'égard du reste de l'opinion massivement acquise à la modération.

Pour ces mêmes raisons, la mise à mort du CDI...

M. Jean Leonetti - Laurent Fabius quitte l'hémicycle ! Vous n'arrivez pas à le convaincre.

M. Gaëtan Gorce - ...doit prendre la forme d'un simple accompagnement de sa fin de vie : un meurtre avec préméditation habilement maquillé en simple accident de la route législatif en quelque sorte.

Pragmatisme et bon sens : deux clés pour verrouiller l'accès à votre véritable démarche, plus politique, et à votre véritable orientation, plus idéologique, puisqu'elle s'inspire d'une conception de la société qui voit dans les droits sociaux un obstacle plutôt qu'une garantie.

Loin d'être inspiré par le pragmatisme, le texte que vous nous présentez s'inscrit dans un projet cohérent et déterminé de dérégulation progressive de notre marché du travail. Comment appeler autrement une politique qui réduit consciencieusement le droit des salariés, la place de la négociation collective et la portée de la norme sociale ? C'est bien dans ce cadre et sous cet éclairage qu'il faut examiner le CNE et le CPE, que l'on pourrait résumer en quelques mots : moins de droits pour moins d'emplois, c'est-à-dire un recul pour les droits mais sans progrès pour l'emploi.

Il ne fait aucun doute en effet que si les résultats du CNE et les perspectives du CPE auront bien pour conséquence, inéluctablement, de retirer au salarié embauché les protections que leur garantit aujourd'hui le code du travail, on peut en revanche exprimer les plus grandes réserves sur l'efficacité pour l'emploi de ces mesures. Non seulement parce que le passé ne plaide pas pour vous, non plus que votre bilan ; non seulement parce que, de l'avis même de tous les économistes, les effets d'aubaine et de substitution seront massifs ; mais surtout en raison de l'erreur de diagnostic, du vice de conception que révèle votre dispositif. Vous semblez persuadés que c'est le niveau de protection de l'emploi qui freine l'embauche, alors qu'il est en réalité la condition de la cohésion sociale et par conséquent de l'efficacité économique qui lui est liée.

M. Jean-Pierre Blazy - Très bien.

M. Gaëtan Gorce - Le CPE ne peut être examiné indépendamment de cette politique d'ensemble qui vise à favoriser une dérégulation de plus en plus poussée du marché du travail. C'est un autre modèle social qui se dessine progressivement à travers les textes que vous avez fait approuver par cette Assemblée depuis quatre ans, et plus encore depuis l'installation du gouvernement Villepin. Sous la pression de la compétition qui existe au sein de la majorité, le code du travail a été pris en otage. Mais conscients des réactions que ces changements risquaient de susciter, vous vous êtes efforcés d'en masquer la portée et surtout d'en camoufler la cohérence en recourant à l'une des facilités que vous autorise la difficulté des temps : l'urgence !

Il n'est pas un discours, pas un texte de loi qui n'y fasse désormais référence. L'urgence est devenue le « tube » des années Villepin. Cette danse de Saint Guy gouvernementale n'est pas dépourvue d'arrière-pensées, car la méthode de l'urgence présente de nombreux avantages. Elle donne tout d'abord l'illusion de l'action par la répétition des mêmes décisions, comme en témoignent les nouveaux contrats de travail, spéciaux, aidés ou dérogatoires, constamment créés ou recréés selon la méthode de "la multiplication des pains".

Aux contrats initiative-emploi, emploi-solidarité, local d'orientation, vendanges, de retour à l'emploi, d'accès à l'emploi, d'emploi consolidé, de reconversion, de professionnalisation ou d'insertion au revenu minimum d'activité, vous avez ajouté, rien qu'en 2005, des contrats d'accompagnement dans l'emploi, d'avenir, d'insertion sociale, de mission à l'exportation et de volontariat de solidarité internationale. Les derniers nés sont le Contrat Nouvelle Embauche du 2 août 2005, et maintenant le Contrat Première Embauche, destinés aux jeunes. Par cette inflation législative, vous voulez donner l'illusion de l'action.

Vous visez le même but lorsque vous modifiez des contrats spéciaux. Le contrat d'avenir, créé il y a un an, vient d'être modifié par la loi du 26 juillet 2005, relative aux services à la personne, et par deux décrets du 2 août 2005. Très peu coûteux pour l'employeur, il présentait l'avantage pour le salarié d'être relativement stable puisque conclu pour une durée de deux ans. Cette durée pourra désormais être divisée par quatre sous certaines conditions. Au fur et à mesure que vous allongez les périodes au cours desquelles le licenciement pourrait intervenir sans conditions, vous réduisez celles pendant lesquelles les salariés sont assurés de leur emploi. Cela s'appelle brûler la chandelle par les deux bouts ! Et c'est dans le même mauvais esprit que se sont succédé, en trois ans, trois plans d'urgence pour l'emploi, sans que l'on ait jugé utile d'évaluer les précédents.

Faut-il préciser que le bénéfice attendu se trouve dans l'action la plus médiatisée possible, et non dans son résultat ? Vous renouvelez ainsi l'image de ces chœurs d'opéra scandant « Marchons Marchons ! » dans un harmonieux sur place.

Mais cette méthode présente un second avantage, elle vous permet de masquer le contenu réel de vos réformes. Dans la cadence infernale de la production de textes, de nombreuses micro-réformes, destinées à satisfaire tel ou tel intérêt particulier, peuvent ainsi passer inaperçues. La loi du 15 décembre 2004 a pu faire échapper à la qualification de salaire - et donc aux cotisations sociales - une part de la rémunération des sportifs professionnels les mieux payés. On peut imaginer que, s'ils avaient pu en mesurer les conséquences, les contribuables auraient peu apprécié de devoir compenser via le budget de l'Etat la perte que cette exonération fait subir aux caisses de la Sécurité sociale. C'est encore au détour d'un amendement difficile à percevoir dans un premier temps qu'a été prise la décision de décompter de la durée du temps de travail effectif, la durée de transport, contrairement à ce que la jurisprudence avait toujours considéré jusqu'alors. De la même manière, c'est également par un amendement voté en catimini que le forfait jour a été étendu aux salariés non-cadres l'an dernier, et qu'enfin, très récemment, à l'occasion d'une commission mixte paritaire, les conditions de l'intérim ont été bouleversées.

M. Michel Vergnier - Scandaleux ! L'Assemblée n'a même pas été saisie.

M. Gaëtan Gorce - C'est aussi de cette manière que vous avez détruit la réforme des 35 heures. Un retour abrupt aux 39 heures aurait provoqué de vives résistances. Vous avez donc procédé par petites touches successives, en augmentant d'abord le nombre des heures supplémentaires, avant d'en réduire le coût. Certains temps, anciennement qualifiés de temps de travail, ont été requalifiés en temps libre, un jour férié a été supprimé, les possibilités d'adopter un calcul en forfait jour ont été accrues. Aucune de ces réformes ne remettait seule en cause les 35 heures, mais cumulées elles ont fait beaucoup plus qu'opérer un retour au point de départ.

M. Patrick Roy - Privilège pour les uns, régression pour les autres !

M. Gaëtan Gorce - Dernier avantage de cette méthode, elle réduit les possibles résistances. Les opposants au projet doivent mobiliser contre le dernier petit pas en discussion. Pour peu que l'on soit déjà habitué à ceux précédemment effectués, et que l'on fasse abstraction de celui qui suivra, ce petit pas semble souvent anodin. Découper une réforme en petits morceaux, c'est obliger les opposants à un difficile travail d'explication et de reconstruction, c'est parfois aussi les décourager, voire les contraindre à la mauvaise conscience, accusés de s'opposer à l'intérêt des chômeurs, des jeunes ou des petites entreprises. Et c'est bien cette méthode qui est à l'œuvre s'agissant du CNE et du CPE.

M. Patrick Roy - C'est la misère qui monte !

M. Gaëtan Gorce - Mais cette méthode atteint aujourd'hui sa limite. Avec l'accumulation, l'illusion n'est plus possible, et on peut à présent reconstituer la redoutable cohérence de votre politique de dérégulation sociale, qui s'attaque aux fondements mêmes de notre contrat social, le CPE constituant une étape supplémentaire et spectaculaire dans cette escalade.

Vous vous êtes tout d'abord attaqués à la norme sociale, qu'elle soit issue de la loi ou de la convention. Notre contrat social est fondé sur l'idée que la relation entre le salarié et l'employeur étant évidemment déséquilibrée, il faut, grâce à la loi ou à la négociation collective, introduire des garanties. Or, vous n'avez cessé de faire reculer ce principe.

Par la loi de 2003 relative à la négociation collective sur les restructurations ayant des incidences sur l'emploi, le législateur s'est ainsi défaussé en renvoyant à la négociation d'entreprise la définition des conditions et des modalités du licenciement économique, rompant ainsi avec l'unité de ce droit.

M. Patrick Roy - Premier coup de massue, première régression !

M. Gaëtan Gorce - Dans le même temps, on renonçait au contrôle de l'administration sur les licenciements économiques ou les modalités de consultation du comité d'entreprise.

Ce mouvement s'est encore accentué avec une seconde loi de 2003, relative à la formation professionnelle et au dialogue social.

M. Patrick Roy - Deuxième coup de massue, deuxième régression !

M. René Couanau - On se croirait sur les grands boulevards !

M. Gaëtan Gorce - Vous y avez consacré la notion d'accord dérogatoire, et inventé une sorte de 49-3 social, en considérant qu'un accord pouvait s'appliquer si la majorité des syndicats ne s'y opposait pas. Cela montre bien dans quelle considération vous tenez le dialogue et la concertation, puisque vous valorisez une démarche négative et non constructive.

Mme Martine David - Très bien.

M. Gaëtan Gorce - Mais surtout, vous avez remis en cause le principe de faveur, selon lequel un accord ne peut déroger à la loi ou à un accord de niveau plus élevé, que s'il est plus favorable au salarié. Il n'en est désormais plus question, sauf si l'accord de branche l'a expressément prévu. Vous encouragez le dumping social, car sur des questions aussi importantes que la rémunération des heures supplémentaires ou le montant des indemnités de licenciement, nous aurons un droit local, différent dans chaque entreprise. Et ce revirement n'a été possible que parce que les syndicats et les organisations professionnelles ne disposaient pas des moyens suffisants de mobilisation, compte tenu de la situation économique et sociale de notre pays. La crainte du chômage empêche les salariés de s'exprimer !

M. Patrick Roy - Troisième coup de massue, troisième régression !

M. Gaëtan Gorce - Nous avons échappé de peu - mais pour combien de temps - à la décentralisation de notre droit du travail. Vous avez d'abord transféré ce qui relevait de la loi à la négociation de branche, encouragé ensuite la négociation d'entreprise, et tenté dans ce cadre de casser la notion même d'ordre public social, par exemple sur la question du temps de travail. Un rapport de MM. Novelli et Ollier proposait même que chaque entreprise puisse fixer sa propre durée du travail ! Cette proposition, si elle avait le mérite de la franchise, était quelque peu provocatrice, et vous avez opté pour une remise en cause de la durée légale du travail à petits pas.

M. Francis Delattre - Comme partout en Europe !

M. Gaëtan Gorce - Le second temps de l'offensive a consisté à favoriser une réindividualisation des relations de travail, à l'instar de ce qui existe dans le droit anglo-saxon. Après avoir délocalisé la source du droit, de la loi à l'accord de branche, de l'accord de branche à l'accord d'entreprise, vous êtes passé de l'accord d'entreprise au contrat de travail, c'est-à-dire à la relation directe entre l'employeur et le salarié, dont le déséquilibre était compensé par la négociation et l'accord collectif.

Depuis 2002, vous n'avez de cesse de remettre en cause le principe fondateur du droit du travail : une protection assurée par des garanties collectives. De plus en plus, les conditions de travail sont fixées par un simple arrangement entre l'employeur et le salarié. C'est l'opting out à l'anglo-saxonne, que vous prétendez combattre à Bruxelles, et que vous mettez en œuvre à Paris Ce processus porte en germe une précarisation accrue du salariat. Pour preuve, il n'existe plus de durée légale de travail...

M. Jean-Louis Borloo, ministre - Mais Si !

M. Gaëtan Gorce - ... puisqu'elle peut varier au gré des entreprises.

M. Patrick Roy - Quatrième coup de massue ! Quatrième régression !

M. Gaëtan Gorce - La référence légale est toujours de 35 heures, mais vous avez porté le contingent d'heures supplémentaires à 220 et permis, si le salarié en est d'accord, le travail au-delà du contingent légal.

M. Arnaud Lepercq - C'est travailler plus pour gagner plus !

M. Gaëtan Gorce - De plus, vous avez fait voter un amendement en catimini, afin d'étendre à des salariés non cadres le « forfait jours ». Ces salariés ne sont donc plus concernés par les maxima hebdomadaire et journalier. Ce dispositif était justifié pour les cadres supérieurs, dont le travail et les responsabilités sont compensés par une juste rémunération, mais non pour les salariés modestes !

M. Patrick Roy - Cinquième coup de massue ! Cinquième régression !

M. Gaëtan Gorce - Afin de ne pas lasser mon auditoire (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), je me contenterai de citer un dernier exemple : la possibilité que vous avez donnée aux salariés de faire monnaie de leur santé en sacrifiant leur repos compensateur dû au-delà de la quarante-troisième heure.

Toutes ces décisions, prétendument inspirées par le souci de défendre notre modèle social, vont dans le sens de la dérégulation, d'un affaiblissement de l'encadrement collectif et d'un contournement des partenaires sociaux. M. Larcher l'a d'ailleurs reconnu en affirmant que ce texte est l'occasion d'adapter la législation aux nouvelles conditions économiques, ce qui dans le langage libéral, annonce une nouvelle vague de régression.

M. Patrick Roy - Sixième coup de massue !

M. Warsmann remplace M. Leroy au fauteuil présidentiel

PRÉSIDENCE de M. Jean-Luc WARSMANN

vice-président

M. Gaëtan Gorce - C'est dans ce contexte qu'il faut examiner le contrat CPE et son double, le CNE. Sa philosophie peut se résumer ainsi : un recul des droits sans progrès pour l'emploi.

En effet, après avoir affaibli les protections contre le licenciement collectif en abrogeant la loi de modernisation sociale, vous vous attaquez maintenant, avec le CNE destiné aux employés des entreprises de moins de vingt salariés, et le CPE pour les jeunes de moins de vingt-six ans, aux protections contre le licenciement individuel.

M. Patrick Roy - Ce n'est plus de l'embauche, c'est de la débauche !

M. Jean Leonetti - On est dans l'hémicycle, non à la buvette !

M. Gaëtan Gorce - En créant ces contrats, vous ne cherchez pas à sécuriser la situation des employés mais celle des employeurs.

M. Francis Delattre - Pas d'employés sans employeurs !

M. Gaëtan Gorce - Vous prétendez réduire la complexité des modalités de licenciement présentée comme une entrave à l'embauche. Vous dérogez ainsi explicitement à quarante-neuf articles de notre code du travail relatifs à la résiliation des CDI sans même apporter aux employeurs les garanties juridiques espérées. Ces dérogations ne sont qu'une première étape, ces articles seront abrogés avec l'introduction du contrat unique.

Assimiler le CNE et le CPE, dont la grande nouveauté est la « période de consolidation » de deux ans, à des CDI, relève au mieux de la méprise, au pis de la provocation. Ce qui caractérise le CDI, c'est précisément le bénéfice d'un emploi assuré aux salariés sans condition de durée et garanti par des procédures et des conditions de rupture protectrices - la convocation, l'entretien préalable, la notification.

Par ailleurs, vous lancez une dynamique de précarisation car le recrutement en CPE et en CNE va devenir la règle.

M. Patrick Roy - C'est évident !

M. Gaëtan Gorce - Pourquoi les employeurs leur préféreraient-ils un CDI classique ?

M. Jean-Jacques Descamps - Les entreprises ne pensent pas qu'à licencier !

M. Gaëtan Gorce - Les entrepreneurs y sont encouragés puisque ces contrats ne sont pas réservés aux personnes en difficulté et pourront être utilisés pour recruter un ingénieur !

M. Jean-Jacques Descamps - Ça ne se passe pas comme ça dans une entreprise !

M. Gaëtan Gorce - Monsieur Descamps, il n'y a pas que les chefs d'entreprise qui ont le droit d'intervenir dans ce débat. Nous avons été élus députés pour défendre l'intérêt général, et non pour intervenir uniquement dans nos domaines de compétences professionnelles (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). Un fils de salarié en connaît autant qu'un fils de patron !

Reprenons. Comme la mauvaise monnaie chasse la bonne, les CPE et les CNE vont chasser les CDI qui garantissent un emploi dans la durée, et les CDD qui ouvrent le droit à une indemnité de précarité. Limitée aux titulaires de CDD et aux intérimaires, la précarité va toucher tous les salariés, y compris les jeunes diplômés et les salariés très qualifiés (Interruptions sur les bancs du groupe UMP).

M. Maurice Giro - Vous voulez donc que tous les entrepreneurs fuient la France !

M. Gaëtan Gorce - Vous n'avez rien prévu dans ce texte pour empêcher un employeur d'embaucher un jeune diplômé en CPE ! (Même mouvement) Votre réaction démontre que nous touchons là un point délicat ! Les salariés prendront bientôt conscience que vous avez sacrifié leur protection sociale et ils vous sanctionneront dans les mois prochains ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Francis Delattre - Vous pouvez parler ! Aux dernières élections présidentielles, les socialistes n'ont même pas passé le premier tour !

M. Gaëtan Gorce - Le délai de carence entre la conclusion de deux CNE ou CPE d'un même salarié étant de trois mois, pourquoi l'entreprise ne recruterait-elle pas un même salarié sur une succession de contrats de ce type, à un trimestre d'intervalle (Interruptions sur les bancs du groupe UMP) ?

M. Francis Delattre - Pour qu'il y ait des salariés, il faut des entreprises !

M. Gaëtan Gorce - C'est une bien triste chanson que vous nous chantez là ! Mais si, après le Premier ministre, la majorité refuse à son tour d'écouter l'opposition alors que nous n'aurons pas d'incidence sur le vote, c'est le fonctionnement même de cette institution qu'il faut remettre en cause (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, « Oh ! » sur les bancs du groupe UMP) ! Votre intolérance témoigne d'ailleurs du manque d'arguments dont vous disposez. Répondez donc aux nôtres : qu'est-ce qui empêchera une entreprise de signer une succession de CPE ou de CNE sur le même emploi avec des salariés différents ?

M. Jean-Jacques Descamps  - Pourquoi licencierait-on le premier s'il est bon ?

M. Gaëtan Gorce - Au fond, le CNE - car une légère correction a été apportée au CPE - pourra profiter des avantages du CDI sans en apporter les garanties. Notre droit prévoit en effet qu'un CDD prolongé au-delà de la date prévue devient automatiquement un CDI. Le CPE profitera de cet avantage, mais c'est aussi un contrat précaire.

M. Alain Néri - Surtout un contrat précaire !

M. Gaëtan Gorce - Par la succession de CPE ou CNE, vous aurez privé le salarié de son droit à un délai de carence et à une indemnité.

M. Maurice Giro - Vous prenez les chefs d'entreprise pour des fous !

M. Gaëtan Gorce - M'expliquerez-vous le contraire, Monsieur le ministre, à propos de ce texte rédigé dans la précipitation ? Non : il est tel que je le décris. Je passe sur d'autres exemples qui vous irriteront sans doute, car tel n'est pas mon objectif : au contraire, j'alimenterai le débat serein que souhaitait le Premier ministre avant, malheureusement, de nous quitter.

M. Patrick Roy - C'est le remords qui l'habite !

M. Gaëtan Gorce - La porte est largement ouverte à la déconstruction de notre code du travail. Vous remettez en cause la logique qui fonde la rapport entre CDD et CDI. Je souhaite que nous puissions modifier par amendement les conditions scandaleuses dans lesquelles pourront se succéder les CNE.

En outre, si le CPE est bâti pour réduire la sécurité des salariés, la tromperie, par une sorte d'ironie du droit, s'étend aussi aux employeurs. Vous leur présenterez l'argument cynique qu'il faut recourir à un CPE ou à un CNE - et demain à un contrat unique - car ils n'auront pas de difficulté à licencier. Pourtant, la réalité sera différente. Certes, les 49 articles du code du travail relatifs à la résiliation des contrats ne s'appliqueront pas, mais qui empêchera le juge de réexaminer ces contrats sous l'angle de l'abus de droit ou de l'incompatibilité du comportement de l'employeur avec les textes internationaux, et d'engager ainsi celui-ci dans un contentieux qui nous rappellera ceux qui avaient lieu avant la loi de 1973 encadrant le licenciement ? On va donc revisiter la jurisprudence qui existait voilà trente ans ! C'est une fausse promesse que vous faites à l'employeur ! Ils n'auront pas les garanties que vous prétendez lui donner, et le salarié sera privé de celles que le code du travail lui assurait.

Vecteurs de précarité, les CPE et CNE portent également une atteinte grave aux principes fondamentaux de notre droit du travail. Cette exception d'irrecevabilité est non seulement l'occasion de balayer votre politique - les électeurs le feront mieux que moi dans un an - mais aussi d'examiner la constitutionnalité de votre projet.

Certes, le Conseil constitutionnel et le Conseil d'Etat ont, par un contrôle limité, provisoirement lavé de tout reproche juridique les dispositions du CNE, sur le modèle desquelles est construit l'amendement 3 visant à créer le CPE. Pourtant, le CPE méconnaît à la fois notre Constitution et nos engagements internationaux. Avant tout, il méconnaît le principe de liberté tel qu'énoncé dans l'article 4 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen. En effet, le Conseil constitutionnel a donné une valeur constitutionnelle au principe de réparation des dommages, et a affirmé dans sa décision du 9 novembre 1999 sur le PACS que si le principe de liberté justifie qu'on puisse rompre un contrat unilatéralement, tout en garantissant l'information et la réparation du préjudice éventuellement créé par la rupture, c'est au législateur qu'il revient de préciser les causes et les modalités - dont le préavis - de cette rupture, afin de garantir la protection de la partie la plus faible. L'article 4 de notre Déclaration des droits de l'Homme impose donc au législateur de définir les hypothèses de rupture d'un contrat, et lui interdit d'exclure le droit à la réparation de la victime d'une rupture fautive de contrat de travail. Or, l'amendement 3 viole ce principe, puisque l'on peut rompre un CPE pour n'importe quel motif ! Incompatibilité d'humeur, perte de confiance, mésentente, tout sera bon pour licencier alors que les motifs subjectifs de licenciement sont proscrits par le code du travail et la jurisprudence.

M. Jean-Charles Taugourdeau - L'incompatibilité d'humeur est une cause de licenciement !

M. Gaëtan Gorce - Cette rupture arbitraire concernera surtout les jeunes : votre projet sacrifie toute une génération sur l'autel de la précarité.

Premier motif de son inconstitutionnalité : alors que le Conseil constitutionnel exige de celui qui rompt un contrat qu'il procède à l'information du co-contractant, le CPE comme le CNE ne prévoient qu'une simple notification. Et c'est avant tout pour protéger la partie la plus faible qu'il exige aussi que soient précisées les causes de la rupture. En l'espèce, c'est bien le jeune licencié qui est la partie la plus faible ; qu'importe ! les causes de son licenciement ne lui seront jamais connues.

Plus grave encore : l'amendement 3 ne prévoit aucune procédure de contradiction avant la rupture. Le Conseil constitutionnel a pourtant reconnu une valeur constitutionnelle au droit de la défense. Or, le présent projet exclut l'application de l'article L.122-14 du code du travail, qui institue le principe de l'entretien préalable à tout licenciement. Certes, le Conseil d'Etat a résolu le problème pour le CNE en imposant le principe de contradiction aux procédures disciplinaires. Mais s'il existe, pourquoi limiter ce principe, et pourquoi ne pas l'inscrire dans le texte ?

De plus, ces dispositions sont contraires à nos engagements internationaux. En dépit des efforts déployés par le Gouvernement pour justifier la légalité internationale de son projet, la question se pose de savoir s'il respecte la Charte sociale européenne et la convention 158 de l'Organisation Internationale du Travail. Ainsi, peut-on s'interroger sur la pérennité et l'applicabilité au CPE de la solution retenue par le Conseil d'Etat dans sa décision du 19 octobre 2005 concernant le CNE. En effet, l'article 24 de la Charte sociale européenne, pour garantir le droit de protection des salariés, impose aux parties de s'engager à ne pas licencier sans motif valable - aptitude, conduite ou nécessité de fonctionnement de l'entreprise. Or, ce texte s'applique à la France comme aux autres États signataires, et votre projet le contredit.

Je constate que le doute commence à vous étreindre. Plus problématique encore : la convention 158 de l'OIT protège le salarié en cas de cessation de son contrat à l'initiative de l'employeur, et le Conseil d'Etat a reconnu que cette disposition permettait aux salariés eux-mêmes de déclencher un contentieux. Or, comme la Charte sociale européenne, cette convention stipule qu'un travailleur ne peut être licencié sans les mêmes motifs valables.

Certes, le Conseil d'État a validé les dispositions du CNE, mais la juridiction administrative a considéré que l'ordonnance de 2005 n'exclut pas le recours devant un juge, puisqu'elle reconnaît la notion d'abus de droit. Néanmoins, le texte de l'OIT indique qu'il doit exister un motif de licenciement : cette existence ne devrait-elle pas être appréciée au moment de la rupture, plutôt qu'à celui de la contestation devant le juge ? Il est vrai que cette disposition ne s'applique pas aux salariés en période d'essai n'ayant pas l'ancienneté requise. Le Gouvernement ne manquera pas d'invoquer cette dérogation : est-ce seulement acceptable ? Les auteurs du projet, dont le Premier ministre ici-même, ont d'abord utilisé la notion de période d'essai, qui a brusquement été remplacée par une « période de consolidation » : ne s'agit-il pas d'échapper ainsi à la condamnation que ne manquerait pas de provoquer la comparaison de votre « période d'essai » - qui comporte si peu de garanties - avec celle du texte de l'OIT ?

L'article 2 de la convention de l'OIT subordonne la dérogation au caractère « raisonnable » de la période d'essai, et la jurisprudence de la cour de cassation a précisé ce caractère raisonnable, en sanctionnant une période d'essai de trois mois pour un coursier, de six mois pour un chargé de mission, d'un an pour un cadre supérieur. La période de deux ans, assimilable à une période d'ancienneté telle que requise par la convention 158, ne pourrait donc être considérée comme une période raisonnable !

Si, pour le CNE, cette période de consolidation est liée aux contingences économiques, elle devrait, dans le cas du CNE, assurer la protection, non pas des employeurs, mais des jeunes, puisqu'il s'agit de la raison d'être de ce contrat. Dans ces conditions, le délai de deux ans ne peut être considéré comme raisonnable et mérite d'être censuré par le Conseil constitutionnel.

Mme Martine David - Très intéressant !

M. Alain Vidalies - Lumineux !

M. Gaëtan Gorce - Si vous échappez à ce contrôle, ce sont les employeurs qui pourraient se trouver embarrassés par des contentieux devant les juridictions européennes, portant sur la nature du licenciement, l'absence de motif et de délai raisonnable.

Enfin, ce texte viole le principe de non-discrimination, puisqu'il s'agit de mettre en place des dispositifs différents selon les catégories de population. La Cour de justice des communautés européennes a considéré à plusieurs reprises que devaient être appréciées les discriminations indirectes, qui ne sont autres que les mesures ayant pour effet de provoquer une discrimination lors de leur application.

On considèrera que ce contrat permet l'insertion des jeunes si la plupart d'entre eux sont embauchés au terme des deux ans, mais s'ils sont en majorité licenciés avant cette échéance, démonstration aura été faite que votre texte conduit à une discrimination indirecte et qu'il est contraire au principe de non-discrimination, garanti par notre Constitution et par nos engagements internationaux.

La question de fond est bien de savoir si la mise en place du CPE et du CNE est de nature à favoriser l'emploi. Peut-être pourriez-vous nous faire accepter toutes les inégalités et toute la précarité que contient ce texte si vous nous convainquiez qu'il permet de faire baisser le chômage. Il est vrai que sur cette question, vous souffrez d'un déficit de crédibilité ! Certes, vous pouvez, depuis quelques mois, évoquer une amélioration sensible de la situation de l'emploi... mais en êtes-vous responsables ?

Vous donnez le sentiment d'être aussi passifs face à la décrue du chômage que vous l'avez été face à sa montée. Force est de constater que, dans nos communes et dans nos circonscriptions, nous ne voyons personne venir nous expliquer qu'il a retrouvé un emploi grâce à votre Gouvernement.

Pourtant, les chiffres semblent annoncer une diminution, et ce, bien que les créations nettes d'emploi aient été à peine de 10 000 en 2005 dans le secteur marchand, le reste étant constitué par les contrats aidés. Vous avez donc utilisé les recettes classiques qui consistent à jouer sur l'évolution démographique, sur les contrats aidés, sur les radiations administratives, sur l'exclusion vers le RMI...

M. Patrick Roy - Il n'y a jamais eu autant de RMIstes !

M. Gaëtan Gorce - Vous arrivez ainsi à afficher ces résultats, sans que l'on puisse pour autant conclure à une amélioration de la situation de l'emploi. Vous tirez seulement les conséquences de vos erreurs, en relançant les contrats aidés que vous n'aviez cessé de condamner depuis quatre ans.

M. Patrick Roy - Le RMI monte, la droite rigole !

M. Gaëtan Gorce - Reste à savoir si ces contrats sont de nature à créer des emplois. Cette mesure intervient comme une ultime tentative, après ce qu'il faut bien appeler l'échec de votre politique concernant l'emploi des jeunes. En effet, le taux de chômage des jeunes, qui avait spectaculairement diminué de 1997 à 2001, est reparti à la hausse depuis 2002 (Protestations sur les bancs du groupe UMP).

Il est évidemment désagréable de constater que l'on a échoué là où ses adversaires ont réussi... Entre 1997 et 2002, 900 000 jeunes ont bénéficié d'un contrat dans le secteur marchand, 600 000 signant un contrat en alternance, et 200 000 emplois jeunes ont été créés dans le secteur non marchand. Ces chiffres méritent d'être comparés avec les 250 000 contrats en alternance, les 120 000 contrats de professionnalisation et les 50 000 contrats jeunes en entreprise que vous avez créés. C'est un déficit annuel de près de 100 000 emplois aidés qui vous est imputable ! Mesurera-t-on un jour le rôle qu'a joué la suppression des emplois jeunes dans les écoles, des éducateurs, des policiers auxiliaires dans la crise des banlieues ? Certes, il ne faut pas établir de corrélation directe, mais votre mauvaise foi vous pousse à le faire en sens inverse ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, protestations sur les bancs du groupe UMP)

M. Francis Delattre - Quid des emplois jeunes que vous avez oublié de financer ?

M. Gaëtan Gorce - Le CPE présente au moins deux grands défauts. Il cible les jeunes de manière spécifique, alors qu'il s'agit d'une généralité discutable. Certes, il existe une spécificité du chômage des jeunes, qui représente le double du taux de chômage global si l'on ne compte pas les jeunes inscrits dans le système scolaire : il sur-réagit à la conjoncture, en étant le premier à augmenter en cas de crise, et à baisser lorsque la situation s'améliore. Cela signifie que la première solution, que vous êtes incapables d'apporter, passe par le soutien à la croissance.

M. Francis Delattre - Si vous en étiez capables, vous auriez gagné les élections !

M. Gaëtan Gorce - Nous nous retrouverons pour faire le bilan devant les électeurs en 2007. La seconde spécificité est liée à l'évolution à long terme du marché du travail, les formes d'emploi des jeunes préfigurant en quelque sorte les pratiques d'embauche des entreprises. Ainsi, on peut penser que si les jeunes sont plus nombreux dans les contrats précaires, c'est que depuis vingt ans les entreprises recrutent de plus en plus sous cette forme pour leurs premières embauches. Cela montre la limite de votre CPE, qui n'aura pas pour effet de limiter la précarité - une réalité pour les jeunes - mais seulement de l'accompagner.

On est en droit de se demander si les jeunes sont concernés par un problème qui leur serait spécifique - l'insertion - ou s'ils ne sont pas, au contraire, les premières victimes des pratiques d'embauche précaire : dans cette hypothèse, il faudrait non seulement agir sur la croissance, mais aussi sur le comportement des entreprises, en modulant par exemple les cotisations sociales en fonction de ce facteur, comme l'a proposé Alain Vidalies.

Votre mesure repose sur une seconde erreur d'appréciation, qui consiste à globaliser la jeunesse en recherche d'emploi, à lui appliquer une mesure générale alors que les situations sont diverses. Si 160 000 quittent chaque année l'école avec au mieux un brevet, 90 000 le font sans aucun diplôme.

M. Arnaud Lepercq - La faute à qui ?

M. Gaëtan Gorce - C'est un argument indigent ! Si vous ne reconnaissez pas votre responsabilité, alors nous non plus. Peut-être pourrions-nous porter chacun notre part ? Mais depuis quatre ans, cette situation n'a fait qu'empirer ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Le CPE n'apportera pas de réponse à ces jeunes : il aura pour effet d'étendre la précarité, en s'appliquant aussi bien aux jeunes surdiplômés qu'aux jeunes sans qualification. Plus encore, l'effet de substitution et l'effet d'aubaine joueront à plein, grâce à l'exonération totale des cotisations sociales pour l'embauche d'un jeune au chômage depuis plus de six mois : les entreprises reporteront le recrutement au terme de cette période.

Oui, il faudrait une autre politique, et d'abord, une autre majorité pour la conduire. (Laquelle ? sur les bancs du groupe UMP) Cette politique devrait encourager - comme nous l'avons fait - l'élévation du niveau de formation initiale. Vous avez fait de l'école votre adversaire, nous en ferons notre alliée ! Nous croyons à l'effet bénéfique de l'école et rejetons l'apprentissage à quatorze ans. Nous pensons qu'un jeune a le droit de poursuivre sa scolarité dans des conditions adaptées avant de se tourner vers le marché du travail, et nous estimons qu'il est nécessaire de développer les formules rapprochant études et formation, comme l'alternance, qui subit un déficit de 100 000 contrats depuis que vous êtes au pouvoir. (Protestations sur les bancs du groupe UMP) Il convient ensuite de réduire les inégalités d'accès à la formation, ce qui pourrait passer par l'ouverture pour chaque jeune d'un compte individuel de formation, alimenté à un niveau d'autant plus élevé qu'il aura quitté l'école plus tôt.

Enfin, il faudrait encadrer les mesures d'insertion en rassemblant dans un contrat l'ensemble des garanties que nous devons apporter aux jeunes les plus défavorisés : une rémunération, une protection sociale, une formation dont l'importance dépendrait des difficultés rencontrées, un accompagnement, et enfin des allégements de cotisations réservés aux jeunes les plus en difficultés.

Voilà la politique qu'il faudrait mener, au lieu de tirer prétexte de la crise des banlieues et du chômage des jeunes pour précariser le contrat de travail (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains ; protestations sur les bancs du groupe UMP). Alors que nous essayons de présenter des propositions et d'avancer par la concertation, pratique que vous ignorez, Monsieur Accoyer, vous refusez le débat de fond, en vous réfugiant derrière la polémique et le conflit.

M. Jean-Michel Fourgous - Vous vendez de la haine !

M. Gaëtan Gorce - Vos mesures reposent sur une analyse biaisée, selon laquelle la flexibilité serait la mère des futurs emplois. Selon vous, il faudrait s'attaquer aux protections sociales, obstacles dressés sur la voie du dynamisme économique. Or, de telles affirmations n'ont jamais été vérifiées : vous pensez que la France se porterait mieux avec plus de contrats précaires, mais c'est faux !

Sans doute les entreprises embaucheraient-elles davantage si elles pouvaient conclure des contrats de travail dépourvus de garanties pour les salariés. On pourrait de même construire plus de logements si les entreprises du bâtiment se dispensaient d'appliquer les mesures de sécurité qui protègent leurs salariés, mais faut-il pour autant remettre en cause le code de la construction ? J'en doute.

M. Jean-Charles Taugourdeau - Vos propos sont scandaleux !

M. Gaëtan Gorce - Vous allez transférer les risques liés à la compétition économique, en renforçant les garanties de l'employeur et en faisant porter sur le salarié le coût de la concurrence internationale ! Et vous inversez les principes de notre droit du travail, sous prétexte que les garanties sociales sont l'ennemi de l'emploi ! Or, rien de tel n'a jamais été démontré, comme vient de le reconnaître l'OCDE dans ses Perspectives pour l'emploi de 2004, alors qu'elle se faisait pourtant l'avocat de telles conceptions !

M. Jean-Michel Fourgous - Interdisez donc les licenciements !

M. Gaëtan Gorce - Selon l'OCDE en effet, il n'y a aucun lien avéré entre la protection sociale, le niveau du travail, et ni même les créations d'emploi ! Tout votre texte repose donc sur un fondement erroné !

Votre seul objectif est de faire croire à nos concitoyens qu'il n'existe qu'une seule alternative : le changement par la régression, ou ce que vous qualifiez d'immobilisme. De telles caricatures sont inacceptables ! Sans doute faut-il tirer les conséquences de l'évolution de nos sociétés et des conditions nouvelles de concurrence, mais cela ne doit pas servir de prétexte pour réduire les droits. Il convient au contraire de les moderniser et de les ajuster, sans immobilisme ni régression. 

Vous avez fait le choix de la régression sociale, mais nous ne préconisons pas l'immobilisme. Nous proposons au contraire de vraies réformes, soutenues par les Français, et négociées avec les partenaires sociaux. Alors que vous faites croire à nos concitoyens qu'ils sont condamnés à la baisse de leurs droits et de leur pouvoir d'achat, notre devoir est de leur expliquer que le changement peut se faire sans porter atteinte à la cohésion sociale et en conciliant progrès économique et progrès social. En opposant ces deux objectifs, vous n'obtiendrez ni la croissance ni la solidarité, mais une solidarité en crise et en régression. Telle est la leçon de ces derniers mois !

Voilà pourquoi nous vous invitons, mes chers collègues, à voter avec la plus grande énergie cette exception d'irrecevabilité (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

M. le Président - Nous arrivons aux explications de vote.

EXPLICATIONS DE VOTE

M. Denis Jacquat - Notre collègue n'a pas cessé de polémiquer tout au long de son intervention, oubliant que l'emploi des jeunes est notre seule préoccupation et notre priorité nationale.

Malgré vos tendances à l'amnésie, Monsieur Gorce, vous n'ignorez pas la vérité : même en période de forte croissance, le chômage des jeunes n'est jamais descendu en dessous de 7 %, et c'est à partir d'avril 2001 qu'il s'est aggravé, et non en 2002. A cette date, il était de 16 à 17,2 % en dépit des emplois jeunes (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains), et cette dégradation a touché en priorité les jeunes sans qualification !

Si nous voulons gagner la bataille pour l'emploi des jeunes, nous avons besoin d'actions concrètes et cohérentes. Souvenons-nous de ce que nous disait ici même un Premier ministre étranger, qui appartient du reste à votre bord politique : « Ce qui compte, c'est ce qui marche ! » Faciliter l'insertion professionnelle et sociale de la jeunesse par l'emploi, telle doit être notre devise. Or, chacun sait qu'il n'y a pas de solution miracle, mais que l'on peut obtenir des résultats si l'on fait preuve de volonté, de courage, d'obstination et d'imagination.

Pourquoi donc critiquer le dispositif « apprentissage junior » ? Un dispositif similaire, visant les jeunes à partir de quatorze ans, existait en Alsace-Moselle, où il a fait ses preuves. Tous les élus, de droite comme de gauche, vous le diront. « On peut toujours rêver » s'est exclamé un député de gauche quand un ministre a évoqué les ZFU. Parlons donc de leur bilan, qui est positif, puisqu'il a permis de créer des emplois pour les populations qui résident dans ces zones ! Et pourquoi tant de hargne contre le CPE ? Il s'agit d'un CDI, et la période de consolidation de deux ans offre des garanties annexes supérieures à tout CDD ! Contrairement à vous, nous voulons rompre la spirale de précarité ! Et pourquoi refuser le contrat de responsabilité parentale, quand des familles et des enseignants le demandent ?

M. Patrick Roy - Ce sont des mensonges !

M. Denis Jacquat - Par ailleurs, nous n'avons pas de leçon à recevoir en matière de dialogue social, Monsieur Gorce. Dois-je vous rappeler les propos peu amènes des partenaires sociaux lorsque votre majorité a réformé le code du travail par votre loi dite de « modernisation sociale », sans la moindre consultation ?

En défendant cette motion, vous ne cherchez qu'à retarder l'examen de ce texte, pour des raisons de politique politicienne, et parce que vous avez peur de son succès. C'est pourquoi nous ne voterons pas l'exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Francis Vercamer - L'égalité des chances, voilà un titre de loi qui fait rêver et qui pourrait rassembler l'ensemble des parlementaires. L'égalité est en effet l'un des piliers de notre République, en compagnie de la fraternité. Or, à écouter le Gouvernement et le président de la commission, on a l'impression que cette question vient de faire son apparition lors de la crise des banlieues ! Ceux qui ont vécu cette crise savent pourtant qu'elle était inévitable.

Le texte qui nous est présenté est-il à la hauteur du défi ? La lecture des cinq titres qu'il comprend suffit à se convaincre de son caractère hétéroclite. Et si certaines mesures sont bonnes, d'autres sont détestables. Mais c'est surtout la méthode qui est critiquable : la déclaration d'urgence, le bouleversement du calendrier et l'introduction du CPE par voie d'amendement démontrent un mépris du Parlement que nous ne pouvons que dénoncer.

Pis encore, ce texte n'a fait l'objet d'aucune négociation, alors que le Gouvernement, par la voix d'un ministre des affaires sociales, s'était engagé il y a quelques années à ce que tout texte traitant de l'emploi soit élaboré en concertation avec les partenaires sociaux.

J'ajoute que certaines mesures, comme le CPE, auront un effet stigmatisant et qu'elles vont créer tout à la fois une insécurité juridique néfaste aux entreprises et une précarité défavorable aux salariés. Certains pensent, il est vrai, que la période d'essai représente une avancée, mais il n'en reste pas moins que l'entreprise aura tendance à offrir un CPE aux jeunes plutôt qu'un CDI, ce qui constitue une discrimination. Pourquoi les jeunes devraient-ils bénéficier de droits amoindris ?

Par ailleurs, la convention 158 de l'Organisation mondiale du travail stipule que la période d'essai doit être « raisonnable ». Mais deux ans, est-ce bien raisonnable ? Une telle insécurité pèse déjà sur 250 000 CNE, doit-on l'étendre encore ?

S'il est impossible de se satisfaire du CNE pour toutes ces raisons, allons-nous pour autant voter cette motion de procédure ? Nous ne le ferons pas, car les socialistes n'ont pas fait mieux en créant les emplois jeunes, véritables CDD sur cinq ans ! Parce qu'il n'y a pas de raison de faire confiance à la gauche plus qu'à la droite, nous nous abstiendrons. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF).

M. Alain Vidalies - L'un des aspects les plus intéressants de ce débat est de mettre en évidence l'évolution du Gouvernement et de la majorité sur la question centrale de la politique de l'emploi. En un peu moins de quatre ans, les analyses ont radicalement changé, la seule constante étant à rechercher dans l'attitude du groupe UMP, qui applaudit à tout ce qu'on lui propose sans se poser de question ! Sans doute est-ce le rôle dévolu au groupe parlementaire majoritaire... Sur le fond, après la critique sans concession de l'interventionnisme de gauche - laquelle tendait notamment à justifier la suppression des emplois jeunes -, nous avons eu droit à de brillantes démonstrations économiques visant à affirmer l'efficacité d'une politique de l'offre bien ciblée. Puis, au fur et à mesure que la catastrophe se confirme, les libéraux d'hier se convertissent au traitement social du chômage ! (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe socialiste)

L'été dernier, pour justifier la création du CNE dans les entreprises de moins de 20 salariés, nous avons vu fleurir les analyses selon lesquelles le code du travail serait un frein à l'embauche affectant spécialement les PME. C'est donc à leur seul profit qu'était proposée une dérogation à la norme de travail. Puis, à quelques semaines seulement de ces démonstrations éclairées, voilà que l'on nous propose d'étendre la dérogation aux contrats concernant des jeunes : le problème ne serait donc plus la taille de l'entreprise mais l'âge du candidat à l'embauche !

Toute conviction assumée, fût-elle ultra-libérale, est plus respectable que le mensonge qui consiste à présenter ce contrat résiliable chaque jour pendant deux ans comme un CDI. Et, à la vérité, pour trouver dans notre droit du travail une disposition de même nature, ce n'est pas à 1973 ou à 1928 qu'il faut remonter, mais à 1890 ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Pour toutes ces raisons, et notamment parce que les dispositions du présent texte contreviennent aux normes internationales de travail décrites par l'OIT, le vote de l'exception d'irrecevabilité que nous avons défendue se justifie pleinement (Même mouvement).

M. Pierre Goldberg - Au cours de la séance des questions au Gouvernement, le groupe des député-e-s communistes et républicains a exprimé son opposition résolue au CPE, qu'il considère comme une attaque sans précédent contre le droit du travail, conçue pour le seul bénéfice du grand patronat et du Medef. Avec cette fragilisation extrême des droits des salariés, c'est la France toute entière qui recule. Bien entendu, notre groupe votera l'exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste).

L'exception d'irrecevabilité, mise aux voix, n'est pas adoptée.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, ce soir à 22 heures.

La séance est levée à 20 heures 20.

            La Directrice du service
            du compte rendu analytique,

            Catherine MANCY

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne deux heures après la fin de séance.

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

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