Accueil > Archives de la XIIe législature > Les comptes rendus > Les comptes rendus intégraux (session ordinaire 2002-2003)

 

ASSEMBLÉE NATIONALE
DÉBATS PARLEMENTAIRES


JOURNAL OFFICIEL DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE DU JEUDI 3 OCTOBRE 2002

COMPTE RENDU INTÉGRAL
1re séance du mercredi 2 octobre 2002


SOMMAIRE
PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LOUIS DEBRÉ

1.  Nomination d'un secrétaire de l'Assemblée nationale «...».
2.  Questions au Gouvernement «...».

SUPPRESSION DE LA TIPP FLOTTANTE «...»

MM. Philippe Vuilque, Francis Mer, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

DIFFICULTÉS DU SYSTÈME DE SANTÉ «...»

MM. Claude Leteurtre, Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées.

BAS SALAIRES «...»

Mme Janine Jambu, M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité.

PROGRAMMATION MILITAIRE «...»

Mmes Marie-Hélène des Esgaulx, Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense.

SITUATION DES INFIRMIÈRES «...»

MM. Jean-Yves Hugon, Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées.

SAPEURS-POMPIERS VOLONTAIRES «...»

Mme Geneviève Colot, M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.

AVENIR DES CONTRATS AIDÉS «...»

MM. Paul Quilès, François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité.

DIPLOMATIE FRANÇAISE AU PROCHE
ET AU MOYEN-ORIENT «...»

MM. Daniel Garrigue, Dominique de Villepin, ministre des affaires étrangères.

AVENIR D'EDF ET GDF «...»

MM. Philippe Briand, Francis Mer, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

SERVICE PUBLIC «...»

MM. Christian Bataille, Francis Mer, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

EXTRADITION DE L'UN DES AUTEURS PRÉSUMÉS
DES ATTENTATS DE 1995 «...»

MM. Alain Marsaud, Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice.

PÊCHE EN MANCHE «...»

MM. Jean-Marc Lefranc, Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales.

Suspension et reprise de la séance «...»

3.  Salaires, temps de travail et développement de l'emploi. - Discussion d'un projet de loi «...».
M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité.
M. Pierre Morange, rapporteur de la commission des affaires culturelles.

Rappel au règlement «...»

MM. Maxime Gremetz, le président.

Suspension et reprise de la séance «...»

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles.

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ «...»

Exception d'irrecevabilité de M. Jean-Marc Ayrault : MM. Jean Le Garrec, le ministre.

Rappel au règlement «...»

MM. Jean-Marc Ayrault, le président.

Suspension et reprise de la séance «...»

Exception d'irrecevabilité (suite) : MM. Maxime Gremetz, Jacques Barrot, Mme Hélène Mignon.

PRÉSIDENCE DE M. FRANÇOIS BAROIN

Mme Hélène Mignon, M. Jean-Christophe Lagarde. - Rejet, par scrutin, de l'exception d'irrecevabilité.
Renvoi de la suite de la discussion à la prochaine séance.
4.  Ordre du jour de la prochaine séance «...».

COMPTE RENDU INTÉGRAL
PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LOUIS DEBRÉ

    M. le président. La séance est ouverte.
    (La séance est ouverte à quinze heures.)

1

NOMINATION D'UN SECRÉTAIRE
DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE

    M. le président. L'ordre du jour appelle la nomination d'un secrétaire de l'Assemblée nationale.
    Je n'ai reçu qu'une candidature, qui a été affichée, celle de M. Alain Moyne-Bressand.
    En conséquence, je proclame M. Alain Moyne-Bressand secrétaire de l'Assemblée nationale. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)

2

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

    M. le président. L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

SUPPRESSION DE LA TIPP FLOTTANTE

    M. le président. La parole est à M. Philippe Vuilque, pour le groupe socialiste.
    M. Philippe Vuilque. Monsieur le président, ma question s'adresse à M. Francis Mer, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Elle porte sur une décision du Gouvernement passée presque inaperçue, car prise en catimini en pleine période de vacances, sans aucune concertation, qui a eu pour effet d'alourdir la fiscalité (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française). Cela vous a peut-être échappé, mes chers collègues, mais la suppression de la TIPP flottante a eu pour conséquence d'augmenter les prix des carburants à la pompe. En voulez-vous deux exemples ? 1,85 centime d'euro supplémentaire pour le gazole, 1,65 pour le fioul domestique ! Ce faisant, vous avez pénalisé des milliers d'automobilistes se rendant à leur travail ainsi que les millions de Français qui se chauffent au fioul.
    C'est ainsi, monsieur le ministre : d'un côté, votre gouvernement distribue des cadeaux fiscaux à ceux qui n'en ont pas besoin, de l'autre, mais cette fois pour tout le monde - et merci pour les revenus modestes -, vous supprimez le dispositif mis en place par le gouvernement précédent qui avait permis d'alléger le prix des carburants à la pompe.
    Cette décision, prise dans un contexte international incertain, est inopportune, regrettable et fiscalement injuste.
    Si demain le prix du baril de pétrole s'envole, plus aucun mécanisme de régulation ne viendra compenser cette hausse...
    M. Claude Gatignol. La question !
    M. Philippe Vuilque. Ma question est donc très simple, monsieur le ministre : (« Ah ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle) que comptez-vous faire pour atténuer cette nouvelle ponction fiscale ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. Je vous remercie d'avoir tenu les deux minutes trente qui vous étaient imparties et de m'avoir ainsi évité de vous rappeler à l'ordre.
    La parole est à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
    M. Francis Mer, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Monsieur le député, nous savons tous que mécanisme dit de la TIPP flottante était une disposition temporaire.
    Mme Martine David. C'est vous qui le dites !
    M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Cela a du reste été rappelé par un ancien ministre de l'industrie, celui-là même que j'ai l'honneur de remplacer à ce poste.
    M. Michel Françaix. Il était irremplaçable !
    M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Sa suppression, au printemps dernier, découlait d'un constat : ce mécanisme n'avait plus lieu de fonctionner. (Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. Mes chers collègues, je vous en prie !
    M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Il va de soi que cette mesure fera, de la part du Gouvernement (Mêmes mouvements), l'objet d'un réexamen et que nous prendrons les dispositions adéquates si, comme nous pouvons le craindre, la conjoncture économique à venir se traduit par une hausse du prix du pétrole. (Mêmes mouvements.)
    M. le président. S'il vous plaît, mes chers collègues !
    Monsieur le ministre, poursuivez.
    M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. J'ai terminé, monsieur le président. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle. - Huées sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. Christian Bataille. Essayez au moins de répondre aux questions !
    M. Maxime Gremetz. Il avait les mains dans les poches, monsieur le président ! Ce n'est pas bien !
    M. le président. Calmez-vous !

DIFFICULTÉS DU SYSTÈME DE SANTÉ

    M. le président. La parole est à M. Claude Leteurtre, pour le groupe Union pour la démocratie française.
    M. Claude Leteurtre. Ma question s'adresse à M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées.
    Les Français sont, nous le savons tous, très attachés à leur système de soins. Malheureusement, monsieur le ministre, vous avez hérité d'une situation extrêmement grave tant à l'hôpital que pour ce qui touche à la médecine de ville.
    En tant que chirurgien hospitalier, j'ai moi-même vécu, de l'intérieur, la mise en application des 35 heures à l'hôpital. Quelles en sont - entre autres - les conséquences ? Moins de malades soignés et des délais plus longs.
    Plusieurs députés du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle. Eh oui !
    M. Claude Leteurtre. Pour ce qui concerne la médecine de ville, les généralistes ne trouvent plus de remplaçants, les infirmières se font de plus en plus rares et sont de plus en plus découragées. Vous avez, monsieur le ministre, pris cet été une série de mesures excellentes et je vous en félicite. Mais tous les problèmes sont encore devant vous. Aussi vous poserai-je deux questions simples.
    Premièrement, comment comptez-vous prendre en compte le déficit annoncé de la caisse d'assurance maladie qui, fin 2002, atteindra les 6 milliards d'euros ? Deuxièmement, comment entendez-vous compenser les conséquences néfastes de la mise en place des 35 heures dans les hôpitaux ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le président. Je vous remercie d'avoir vous aussi respecté votre temps de parole.
    La parole est à M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées.
    M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées. Monsieur le député, je savais en acceptant la responsabilité de ce ministère que la tâche ne serait pas facile. Mais je dois vous avouer que je n'avais pas imaginé une situation aussi dégradée. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Jean-Marc Ayrault. Vraiment ?
    M. François Hollande. Dans ce cas, il ne fallait pas accepter cette responsabilité !
    M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées. Qu'on en juge : une gestion paritaire qui fonctionnait depuis cinquante ans mais qui ne marche plus depuis plusieurs mois, tout simplement parce qu'un des partenaires a quitté la table,...
    Plusieurs députés du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste. Le MEDEF !
    M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes âgées. ... Un système par voie de conséquences fragilisé, qui ne peut plus assumer dans la durée et qu'il faut reconstruire. Et que dire du financement ! Dès le mois de juin, la commission des comptes de la sécurité sociale annonçait un déficit aux alentours des trois milliards d'euros. Nous sommes loin des excédents virtuels qui nous étaient promis...
    Pour ce qui touche à la médecine de ville, une grave crise morale et matérielle atteint l'ensemble des professionnels de santé. Dois-je enfin parler de l'hôpital, où le taux de vétusté des bâtiments atteint 68 %, et dont les personnels, déjà en pénurie, doivent aujourd'hui se plier à la réduction du temps de travail ? Je pourrais continuer la litanie...
    Face à une situation aussi difficile, qu'allons-nous faire ?
    D'abord, nous allons construire une nouvelle gouvernance pour l'assurance maladie.
    M. Alain Néri. Assez de ce vocabulaire !
    M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées. Les concertations avec l'ensemble des partenaires sont déjà entamées. Pour ce qui est du financement, nous allons clarifier les relations entre l'Etat et la sécurité sociale, et ce dès le prochain PLFSS. Mais la tuyauterie est tellement complexe que cela prendra un peu de temps.
    M. le président. A ce propos, monsieur le ministre, si vous pouviez conclure... Votre temps de parole est écoulé. (Sourires sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées. Je conclus.
    Les médecins, dès lors qu'on leur fait confiance, sont prêts à s'engager. Enfin, s'agissant de la réduction du temps de travail, nous avons déjà dû financer 400 millions. Nous recommencerons l'année prochaine, car il serait évidemment anormal que le personnel hospitalier ne puisse pas bénéficier de la réduction du temps de travail...
    Plusieurs députés du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains. Ah !
    M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées. ... tout en assurant d'abord la sécurité des soins. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)

BAS SALAIRES

    M. le président. La parole est à Mme Janine Jambu, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.
    Mme Janine Jambu. Monsieur le président, ma question s'adresse à M. le Premier ministre.
    En cette rentrée, beaucoup de familles de salariés de notre pays sont dans l'inquiétude, voire dans l'impossibilité de faire face aux dépenses courantes de la vie quotidienne, de boucler les fins de mois. L'insuffisance du pouvoir d'achat des retraites, salaires et minima sociaux, les ravages du surendettement, l'extension de la précarité sont autant de signaux d'alarme qui exigent des réponses immédiates et concrètes.
    Plusieurs députés du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle. La faute à qui ?
    Mme Janine Jambu. Vous avez formulé des engagements en matière de politique salariale, de résorption de la précarité et du chômage. Mais que constate-t-on ? Vous entérinez des mesures qui pèsent sur le pouvoir d'achat des plus modestes : augmentation du prix du carburant, des tarifs de télécommunications, des transports en commun, des prix des produits alimentaires et de la consommation courante.
    Vous refusez de donner un coup de pouce au SMIC, au minima sociaux et aux retraites (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle)...
    M. François Goulard. C'est faux ! Et l'augmentation du SMIC ?
    M. le président. Laissez Mme Jambu terminer sa question.
    Mme Janine Jambu. ... alors qu'avec un cynisme certain vous octroyez 70 % d'augmentation aux membres de votre gouvernement !
    La réforme des 35 heures que vous défendez portera également un coup au pouvoir d'achat des salariés (Exclamations sur divers bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle) par le gel de l'augmentation du SMIC, conjugué à des heures supplémentaires moins payées, et détériorera l'emploi avec la disparition des aides à la réduction du temps de travail et à la création d'emplois, alors que de nombreux plans sociaux sont déjà en cours.
    M. Dominique Dord. La question !
    Mme Janine Jambu. Dès lors, monsieur le Premier ministre, comment comptez-vous donner sens à vos engagements, répondre aux attentes de nos concitoyens et permettre à la représentation nationale d'en débattre ainsi que notre groupe l'a demandé ? (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)
    M. le président. Merci, madame Jambu, d'avoir vous aussi respecté votre temps de parole.
    La parole est à M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité.
    M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Madame la députée, je partage votre analyse. (« Ah ! » sur plusieurs bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.) Oui, le pouvoir d'achat des bas salaires a stagné dans notre pays depuis quatre ans. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Julien Dray. Et maintenant il va régresser !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Il a même, s'agissant des salariés passés aux 35 heures, baissé de 3,6 %.
    Oui, madame Jambu, 11 % de Français ont atteint le seuil de pauvreté. (« Eh oui ! » sur divers bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Oui, madame Jambu, vous avez encore raison, les gouvernements précédents n'ont pas donné de coup de pouce au SMIC : 0 % en 1999, 0 % en 2000 et 0,3 % en 2001. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Oui, madame Jambu, c'est vrai, notre ascenseur social est bloqué. Aujourd'hui, 80 % des enfants d'ouvriers ou de salariés modestes ne connaîtront pas d'autre trajectoire que celle de leurs parents.
    Or tout cela, madame Jambu, c'est le bilan du gouvernement que vous avez soutenu pendant cinq ans. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.) C'est la raison pour laquelle nous avons choisi de changer de politique.
    Mme Versini est en train de préparer pour les jours qui viennent un plan de lutte contre l'exclusion, qui sera soumis au Parlement.
    M. Borloo est en train de préparer une réforme profonde de la politique de la ville.
    M. François Hollande. Paroles !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Mais surtout, mesdames, messieurs les députés, si vous soutenez le texte qui va être présenté cet après-midi,...
    M. Maxime Gremetz. Ah non !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. ... vous allez participer à l'augmentation de 11,4 % du SMIC pour un million de salariés... (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Jérôme Lambert. C'était déjà prévu par la loi !
    M. le président. Monsieur le ministre...
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. ... et à l'augmentation de 6 % du SMIC pour 2 millions d'autres. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. Monsieur le ministre, veuillez conclure.
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Je conclus, monsieur le président.
    La question sociale est grave. Elle demande de la modestie, elle demande du volontarisme, bref, bien autre chose que les envolées lyriques dont la gauche est coutumière. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)

PROGRAMMATION MILITAIRE

    M. le président. La parole est à Mme Marie-Hélène des Esgaulx, pour le groupe UMP.
    Mme Marie-Hélène des Esgaulx. Madame la ministre de la défense, vous vous déplacez régulièrement au sein des unités de nos armées. Vous avez pu constater le nombre de navires qui ne peuvent pas naviguer, le nombre d'avions qui ne peuvent pas voler, le nombre de chars qui ne peuvent pas rouler. Tout simplement parce que nos armées ne disposent pas des moyens suffisants pour entretenir leur matériel, et cela explique du reste la baisse du moral de nos soldats.
    Le précédent gouvernement, par idéologie, sans doute, par opportunisme politique, sûrement, a laissé nos armées dans un état de désarroi jamais atteint sous la Ve République. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) A un moment où la tension internationale monte, assurer la sécurité des Français, défendre l'intégrité de notre territoire, être une force de paix capable d'intervenir dans le monde entier, faire profiter de cette paix tous les peuples constituent autant de choix politiques déterminants. Pour cela, il faut restaurer la capacité opérationnelle des armées françaises.
    M. Albert Facon. La question !
    M. le président. Elle va la poser !
    Mme Marie-Hélène des Esgaulx. Aussi, madame la ministre, pouvez-vous éclairer la représentation nationale sur le projet de loi de programmation militaire adopté par le conseil des ministres le 11 septembre dernier ? Le choix de cette date a une signification qui n'a du reste échappé à personne. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à Mme la ministre de la défense.
    Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense. Madame la députée, le 11 septembre dernier, le Gouvernement a en effet adopté la loi de programmation militaire. Pourquoi une loi de programmation militaire ? Quel est son contenu ? Quelles garanties offre-t-elle d'améliorer durablement les choses ?
    Pourquoi une loi de programmation militaire ? Nous nous en apercevons tous : nous vivons malheureusement dans un monde dangereux où les crises locales se multiplient et où le risque de terrorisme - nous en avons nous-mêmes été victimes - pèse sur tout le monde, sur tous les pays et sur tous les citoyens.
    A cela, le président de la République, dans le modèle d'armée 2015, avait apporté une réponse : mettre sur pied une armée capable de répondre à ces nouveaux défis. Effectivement, la première loi de programmation 1997-2002 avait commencé à la mettre en oeuvre en instaurant la professionnalisation des armées, aujourd'hui réalisée.
    M. François Hollande. Mal !
    Mme la ministre de la défense. Le problème, c'est que les choses n'ont pas suivi sur le plan financier : nous avons ainsi perdu une année complète de la loi de programmation militaire.
    M. Yves Fromion. Voilà !
    Mme la ministre de la défense. Cela explique l'état de nos armées, notamment des matériels, tel que vous le décrivez.
    La nouvelle loi de programmation militaire a pour but, dans les cinq prochaines années, de mettre nos armées en état de répondre aux défis qui leur sont lancés afin tout à la fois de protéger nos concitoyens et de permettre à la France de tenir son rang dans le monde et en Europe.
    Quel est le contenu de la loi de programmation militaire ? Il est triple.
    Le premier est très important : fournir les crédits nécessaires pour que nos matériels soient de nouveau opérationnels, que nos soldats aient la possibilité de remplir leurs missions et de suivre les entraînements nécessaires.
    Deuxième élément : permettre la modernisation de nos matériels afin de nous mettre au niveau de nos partenaires, notamment sur les théâtres extérieurs.
    M. le président. Madame la ministre, veuillez conclure, s'il vous plaît.
    Mme la ministre de la défense. Je conclus, monsieur le président.
    Troisième élément : assurer la consolidation de la professionnalisation.
    Quelles garanties aurons-nous de voir cette loi effectivement appliquée ? La première, c'est l'engagement du président de la République - il l'a répété hier à Creil (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste), - et la détermination du Gouvernement. C'est enfin, mesdames et messieurs les députés, la loi de finances initiale pour 2003 ; elle montrera qu'il ne s'agit pas simplement de mots, mais d'une réelle concrétisation de notre volonté. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)

SITUATION DES INFIRMIÈRES

    M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Hugon, pour le groupe UMP.
    M. Jean-Yves Hugon. Monsieur le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées, je serai bref, car vous avez partiellement répondu à ma question en répondant à celle de mon collègue UDF. Aussi me limiterai-je au problème des infirmières dont vous connaissez parfaitement l'extrême dévouement.
    Il existe, s'agissant des infirmières, un étrange paradoxe : si elles forcent l'admiration de tous, elles souffrent d'un manque de considération des pouvoirs publics. Face à leur immense inquiétude, en attendant des mesures plus concrètes de votre part, pourriez-vous, monsieur le ministre, les informer des premières pistes de la réflexion que mène le Gouvernement à leur endroit ?
    M. le président. La parole est à M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées.
    M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées. Monsieur le député, vous abordez un sujet crucial : chacun sait le rôle essentiel que les infirmières jouent dans notre système de santé libéral et hospitalier. Or, depuis plusieurs années, une véritable pénurie se fait sentir : le déficit est estimé à 12 000 postes pour les seuls hôpitaux avec, il est vrai, une inégalité selon les régions. Ajoutons que l'application de la réduction du temps de travail vient encore aggraver cette situation.
    Quelles mesures ce gouvernement entend-il prendre ?
    Pour ce qui touche au court terme, j'ai diligenté, dès le mois de juillet, une mission visant à évaluer l'application de la réduction du temps de travail dans les établissements. J'en attends les résultats pour la fin du mois d'octobre. Il n'y a aucune raison que les infirmières n'aient pas droit aux mesures dont ont déjà bénéficié les médecins en 2002.
    M. Jean-Claude Lenoir. Très bien !
    Sur le moyen terme, nous avons relevé le numerus clausus, comme l'avait fait mon prédécesseur. (« Ah ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste.) Mais ce n'est pas suffisant, car 12 % des places autorisées à l'inscription ne sont pas pourvues, ce qui veut dire que le métier d'infirmière n'est plus aussi attractif que par le passé. Il conviendra donc d'ajouter à cela une campagne de sensibilisation. Il conviendra aussi de favoriser la promotion professionnelle et, naturellement, de prendre des mesures incitatives dans les secteurs les plus en difficulté.
    Sur le long terme, il faudra bien, enfin, que notre pays accorde une meilleure reconnaissance à ses infirmières et il faudra accroître leur niveau de responsabilité. Car, monsieur le député, malgré les progrès techniques, le métier d'infirmière reste fait, d'abord et avant tout, d'humanité et de compassion et il doit être choisi et non pas subi. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)

SAPEURS-POMPIERS VOLONTAIRES

    M. le président. La parole est à Mme Geneviève Colot, pour le groupe UMP.
    Mme Geneviève Colot. Ma question s'adresse à M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.
    Thomas Gabreau, Mathieu Irigoin, Benoît Larminier, Romuald Mottin, Gwenaël Pilorge, sapeurs-pompiers de Paris, Dominique Barascud, sapeur-pompier volontaire de l'Hérault avaient vingt-deux, vingt-trois, vingt-quatre, vingt-sept et quarante-trois ans. Tous sont décédés en mission. Tous ont sacrifié leur vie, victimes de leur engagement au service des autres. Chacun, dans cet hémicycle, se joint à moi pour exprimer à leurs enfants, leurs épouses, leur famille, l'intense émotion qui nous étreint tous devant de tels drames.
    Le Président de la République et vous-même, monsieur le ministre, avez rendu à ces hommes un vibrant hommage.
    Cette actualité dramatique met en évidence les dangers que courent nos pompiers, tous nos pompiers, qu'ils soient militaires ou départementaux, professionnels ou volontaires.
    Ces derniers sont depuis trop longtemps oubliés, si bien que leurs engagements se font de plus en plus rares et leurs rangs sont de plus en plus clairsemés. (« Très juste ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Monsieur le ministre, comment peut-on répondre à leur demande de formation ? Comment peut-on les aider à concilier leur activité professionnelle et leur engagement de pompier ? Comment, lorsqu'ils sont victimes d'accidents dans le cadre de leur mission, cela peut-il être considéré comme accident du travail ? Enfin, comment peut-on aider leurs enfants, leur famille, lorsque malheureusement ils perdent la vie au service des autres ?
    Oui, monsieur le ministre, il faut aider, encourager et susciter le volontariat des pompiers. Nous avons besoin de nos pompiers, de tous nos pompiers. La France, les Français les aiment. Il faut le leur prouver. (Applaudissements prolongés sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle, du groupe Union pour la démocratie française et sur de nombreux bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.
    M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Madame la députée, votre question honore l'Assemblée dans toutes ses composantes.
    Chacun d'entre nous a été légitimement bouleversé par tous ces événements dramatiques.
    Il nous faut maintenant agir, et agir rapidement.
    Il y a 240 000 sapeurs-pompiers en France, militaires, professionnels et volontaires, ces derniers étant au nombre de 200 000. Le problème est simple : alors qu'il y a de plus en plus d'interventions, le nombre des volontaires est le même, et ils restent, hélas, moins longtemps en activité.
    Alors, que peut-on faire pour encourager le volontariat ?
    Si, par définition, le volontariat ne rapporte rien, il est inadmissible qu'il coûte à celui qui s'y engage. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.) Et j'imagine que chacun d'entre nous a été profondément choqué de voir ce sapeur-pompier volontaire de l'est de la France perdre son emploi parce qu'il avait courageusement effectué sa mission.
    Avec l'autorisation du Premier ministre, qui a engagé l'arbitrage et la concertation interministérielle, je puis vous annoncer que, d'ici à la fin de 2002, les années de sapeur-pompier volontaire compteront comme un avantage de retraite. C'était une revendication des sapeurs-pompiers depuis des décennies : elle sera satisfaite. (Applaudissements sur les mêmes bancs.)
    Deuxièmement, il faut, pour tous ces jeunes admirables qui consacrent la totalité de leurs samedis à se former à l'activité de sapeur-pompier, que ces activités comptent dans leur cursus scolaire et professionnel.
    Je suis très heureux, avec Luc Ferry et Xavier Darcos, que, pour la première fois, se soit déroulé cette année un CAP de sécurité civile. Nous travaillons à la création, dès l'an prochain, d'un bac professionnel de sécurité civile, ce qui devrait également encourager le volontariat des jeunes.
    Enfin, je souhaite que l'on puisse s'engager dans les sapeurs-pompiers volontaires dès l'âge de seize ans, sans attendre celui de la majorité. Un projet de loi vous sera soumis dès l'automne 2003. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)

AVENIR DES CONTRATS AIDÉS

    M. le président. La parole est à M. Paul Quilès, pour le groupe socialiste.
    M. Paul Quilès. Les contrats aidés que sont les CES et les CEC (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.) - je précise : les CES, contrats emploi solidarité et les CEC, contrats emploi consolidé - ont une double vocation, économique et sociale ; sociale, puisqu'ils permettent à des personnes en difficulté de revenir à l'emploi, et économique, puisqu'ils aident les collectivités locales - en particulier, les plus petites - ainsi que les associations à embaucher. Ces contrats, chacun le sait ici, ont rencontré un grand succès auprès des maires et des associations et, bien entendu, de leurs bénéficiaires.
    Les informations dont nous disposons actuellement, notamment, monsieur le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité, par votre circulaire n° 2002-39 du 2 septembre - donc toute récente - montrent, contrairement à ce que vous avez affirmé, hier, que vous avez l'intention de réduire considérablement leur nombre. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Ma collègue, Hélène Mignon, vous a interrogé, hier... (Exclamations sur les mêmes bancs.)
    M. le président. Je vous en prie ! Poursuivez, monsieur Quilès !
    M. Paul Quilès. ... mais votre réponse ne nous a pas rassurés.
    Ma question est donc simple : allez-vous limiter votre effort à ce que vous appelez, d'un terme qui ne nous plaît pas trop, le « secteur marchand » ? Allez-vous réduire le nombre des CES et des CEC ? (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. Continuez, monsieur Quilès, vous avez l'habitude !
    M. Paul Quilès. En effet !
    Allez-vous réduire, monsieur le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité, le nombre de ces contrats aidés, ce qui serait catastrophique, compte tenu du rôle très positif qu'ils jouent sur le plan économique et social ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste - Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité.
    M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Monsieur le député, j'ai déjà répondu à cette question, hier.
    M. Jean-Jack Queyranne. Pas du tout !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Aussi, je vous ferai la même réponse. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.) Le Premier ministre s'est engagé à ce que mon ministère autorise la création de 20 000 contrats emploi-solidarité par mois.
    Plusieurs députés du groupe socialiste. A quel taux ?
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Si on multiplie ce chiffre par douze, il y aura donc 240 000 emplois aidés,...
    M. Bernard Roman. C'est faux !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. ... soit sensiblement le même nombre qu'en 2002. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

DIPLOMATIE FRANÇAISE AU PROCHE
ET AU MOYEN-ORIENT

    M. le président. La parole est à M. Daniel Garrigue, pour le groupe UMP.
    M. Daniel Garrigue. Ma question s'adresse à M. le ministre des affaires étrangères.
    Monsieur le ministre, face aux crises très graves que traversent aujourd'hui le Proche et le Moyen-Orient, le Président de la République et vous-même avez adopté une position de fermeté qui s'inscrit dans la politique d'équilibre et de justice que la France a toujours cherché à faire prévaloir dans cette région.
    Fermeté à l'égard de l'Irak sur le caractère impératif des inspections, fermeté à l'égard des Etats-Unis sur le respect des procédures exigées par le droit international, fermeté à l'égard de l'Autorité palestinienne et de l'Etat d'Israël quant à leurs obligations réciproques.
    Vous avez ainsi largement contribué à placer les protagonistes devant leurs responsabilités et à décrisper les positions les plus extrêmes.
    Les crises ne sont cependant pas résolues. Quelles initiatives peuvent encore prendre la France et l'Union européenne pour parvenir à un apaisement et, au-delà, à un véritable règlement de paix dans cette région du monde ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre des affaires étrangères.
    M. Dominique de Villepin, ministre des affaires étrangères. Monsieur le député, vous avez raison, le Moyen-Orient connaît des crises graves et c'est pourquoi la France entend prendre des initiatives en liaison avec l'ensemble de ses partenaires européens.
    En Irak, l'objectif est clair : l'élimination de toutes les armes de destruction massive et donc le retour des inspecteurs des Nations unies.
    M. Lucien Degauchy. Très bien !
    M. le ministre des affaires étrangères. Nous voulons agir dans un cadre multilatéral, celui des Nations unies, et nous voulons le faire conformément à trois exigences : l'unité du Conseil de sécurité et de la communauté internationale, la légitimité de l'action internationale - on ne doit recourir à la guerre qu'en dernière extrémité et nous récusons toute action unilatérale et préventive. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle, du groupe Union pour la démocratie française et sur quelques bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. Jacques Myard. Très bien !
    M. le ministre des affaires étrangères. Enfin, nous devons nous préoccuper de l'efficacité de l'action. Il faut penser aux populations civiles de l'Irak, à l'unité de ce pays et à la sécurité régionale. Pour cela, nous voulons une démarche en deux temps : si l'Irak n'obtempère pas, il faudra saisir une nouvelle fois le Conseil de sécurité et chacun prendra, alors, ses responsabilités.
    Mais vous avez raison, n'oublions pas la situation dramatique du Proche-Orient. La levée du siège de la Moukataa ne suffit pas, il faut appliquer la résolution 1435 et mettre en oeuvre la feuille de route de l'Union européenne et le quartet, la reprise. Il faut aller plus loin et relancer une véritable perspective de paix et pour ce faire soutenir les réformes palestiniennes, notamment la tenue d'élections en territoire palestinien avec un retrait israélien, et il faut relancer l'idée d'une conférence internationale, seule à même de redonner souffle au processus de paix.
    Vous le voyez, monsieur le député, la France veut agir avec le souci de la justice et dans le respect du droit. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle, du groupe Union pour la démocratie française et sur quelques bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

AVENIR D'EDF ET GDF

    M. le président. La parole est à M. Philippe Briand, pour le groupe UMP.
    M. Philippe Briand. Monsieur le président, ma question s'adresse à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
    Monsieur le ministre, avant d'entrer au Gouvernement, vous étiez responsable de la sidérurgie française, que vous aviez trouvée en mauvais état. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Vous en avez fait la première entreprise mondiale au sein d'un groupe, ARCELOR. (Protestations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. Jean-Pierre Brard. Ce n'est pas le conseil d'administration du MEDEF ici !
    M. Philippe Briand. Ce fut réalisé grâce à un important travail, notamment avec l'ensemble des partenaires sociaux.
    Aujourd'hui, pour permettre à Gaz de France et à EDF de se développer, d'améliorer leur équilibre et de pérenniser l'emploi, vos nouvelles fonctions vont vous conduire à ouvrir le capital de ces sociétés. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    Dans cet esprit, reprenant la volonté du Premier ministre, exprimée notamment par François Fillon, de reprendre le dialogue social avec l'ensemble des partenaires sociaux, quand recevrez-vous les représentants du personnel de ces entreprises afin de leur indiquer la méthode et le calendrier de cette ouverture du capital ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Michel Vergnier. Quelle question !
    M. Jean-Pierre Brard. Question téléphonée ! Est-ce que France Télécom marche bien ?
    M. le président. La parole est à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
    M. Francis Mer, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Monsieur le député, vous avez raison de me poser la question. Comment faire pour faire évoluer nos entreprises ? La réponse est claire : à travers le dialogue social ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    Le dialogue social n'est pas l'apanage du Gouvernement. C'est l'affaire de toutes les entreprises, et je crois savoir de quoi je parle ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains. - Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Ce dialogue social, nous avons l'intention de le mettre en oeuvre dans nos entreprises publiques pour leur donner le maximum de chances de continuer à évoluer dans un monde de plus en plus compétitif, où elles ont des atouts majeurs à exploiter. Il passe par le respect des partenaires, par l'écoute, par l'échange, enfin par le compromis.
    Ces atouts, les métiers de l'énergie en disposent tout particulièrement grâce à leurs salariés.
    M. Arnaud Montebourg. Combien de licenciements, monsieur Mer ?
    M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Et ceux-ci continueront à les développer à travers le dialogue et le respect des positions qu'ils ont acquises depuis cinquante ans.
    Nous recevrons, comme nous l'avons déjà fait au mois de juillet, les représentants des salariés d'EDF et de GDF, notamment à l'occasion du déplacement qu'ils feront demain. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Julien Dray. Ce n'est pas un déplacement, mais une manifestation ! Faut-il vous expliquer ce que c'est ?
    M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Nous savons d'ores et déjà qu'au-delà de cette manifestation, nous parviendrons, ensemble, dans les prochains mois, à l'accord nécessaire pour avancer dans ce domaine.
    Mesdames et messieurs les députés, je vous rappelle qu'une entreprise réussit grâce à son management...
    M. Julien Dray. Ses salariés !
    M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. ... mais aussi à son personnel.
    M. Arnaud Montebourg. Comme à Usinor !
    M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Et c'est ensemble que le management et le personnel de toute entreprise créent les conditions de son avenir.
    Je compte bien conduire cette même politique dans les nombreuses entreprises publiques dont nous avons la charge. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

SERVICE PUBLIC

    M. le président. La parole est à M. Christian Bataille, pour le groupe socialiste.
    M. Christian Bataille. Monsieur le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, une récente enquête d'opinion indique que les Français reconnaissent la valeur des entreprises publiques et du service public en général. EDF est placée en tête de cette enquête pour la qualité et l'efficacité de ses services.
    Demain, 3 octobre, à l'appel de toutes leurs organisations syndicales, les salariés du service public, avec le soutien des citoyens présents, seront dans les rues de Paris, non pas pour y faire un « déplacement » - selon votre euphémisme (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et des député-e-s communistes et républicains) -, mais pour y battre le pavé (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française), par dizaines de milliers, et pour crier leur inquiétude quant à leur emploi, leur statut, leur salaire et leur retraite. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. Laissez parler l'orateur !
    M. Christian Bataille. C'est l'avenir d'EDF qui sera au premier plan des préoccupations des manifestants. Cette entreprise marche bien et participe à la démocratie économique et sociale, à l'avantage des citoyens, notamment par la péréquation des tarifs, qui assure un prix modéré et égal pour tous. (Exclamations sur les bancs du groupe Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.) La privatisation, désignée pour l'instant par le terme pudibond d'« ouverture du capital » et que vous envisagez, au nom du dogme libéral... (Brouhaha sur les mêmes bancs.)
    M. le président. S'il vous plaît, laissez votre collègue s'exprimer.
    Poursuivez, monsieur Bataille (« La question ! La question ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Christian Bataille. Je n'ai pas le sentiment, monsieur le président, d'avoir dépassé mon temps de parole.
    Je reprends donc.
    Vous envisagez, vous, à droite, au nom du dogme libéral, de remettre en cause cet équilibre. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains. - Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. Mes chers collègues, laissez M. Bataille s'exprimer normalement !
    M. Christian Bataille. Je vous remercie, monsieur le président.
    Selon des informations que nous voulons vérifier, et que nous attendons de vous, monsieur le ministre, ce processus de privatisation serait mis en oeuvre très rapidement.
    M. le président. Monsieur Bataille, posez votre question maintenant, s'il vous plaît.
    M. Christian Bataille. J'ai été beaucoup interrompu !
    M. le président. J'en ai tenu compte ! (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)
    M. Claude Goasguen. Débranchez-le !
    M. Christian Bataille. Monsieur le ministre, nous vous demandons d'informer le Parlement et, au-delà, tous les Français de vos projets : allez-vous privatiser EDF ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains. - Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    Mes chers collègues, M. Bataille a posé une question, laissez au moins le ministre répondre !
    M. Francis Mer, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Monsieur le député, pourquoi voulez-vous que nous remettions en cause le service public ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Pourquoi voulez-vous qu'à travers une nécessaire ouverture du capital, et non pas une privatisation (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)...
    M. Patrick Ollier. Très bien !
    M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. ... d'EDF et de GDF, nous ne créions pas les meilleures conditions possibles pour qu'il soit encore mieux assuré ? (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Comprenons bien ! Le service public, c'est le service des usagers. Les usagers, dans notre pays comme dans n'importe quel pays, sont de plus en plus exigeants. (Exclamations sur de nombreux bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    Plusieurs députés du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle. Exact !
    M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Que faire pour satisfaire des exigences croissantes ? Comment avoir dans notre pays et en Europe des entreprises plus performantes ? En leur donnant la capacité de bénéficier le plus possible des atouts qu'apporte la construction de notre Europe.
    M. Jean Glavany. La preuve : France Télécom !
    M. Julien Dray. Usinor !
    M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Quand nous ouvrons le capital d'EDF et de GDF, l'objectif n'est pas de combler le déficit budgétaire français,...
    M. Julien Dray. Vous faites entrer un renard dans le poulailler !
    M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. ... mais de permettre à ces entreprises, qu'il s'agisse de bilan, de provisionnement des retraites ou de liberté d'action,...
    M. Jean-Pierre Brard. Comme France Télécom !
    M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. ... de défendre, beaucoup mieux qu'aujourd'hui les couleurs de notre pays dans l'espace européen qui est le leur. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains. - Quelques députés du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle se lèvent pour affranchir.)
    Plusieurs députés du groupe socialiste. Levez-vous tous !
    M. Julien Dray. C'est un réflexe pavlovien. Dès qu'il parle, vous applaudissez !
    M. le président. Monsieur Dray, vous n'avez pas la parole.

EXTRADITION DE L'UN DES AUTEURS PRÉSUMÉS
DES ATTENTATS DE 1995

    M. le président. La parole est à M. Alain Marsaud, pour le groupe UMP.
    M. Alain Marsaud. Au cours de l'année 1995, un certain nombre d'attentats à l'explosif ont eu lieu à Paris, notamment à la station RER Saint-Michel, tuant huit personnes et blessant grièvement près de cent cinquante personnes. Deux des auteurs présumés sont en train de comparaître devant la cour d'assises spéciale de Paris. Or l'un des organisateurs présumés de ces attentats, interpellé en Grande-Bretagne en novembre 1995, y est toujours détenu, la justice britannique ayant jusqu'alors systématiquement refusé les demandes d'extradition présentées par les autorités judiciaires françaises. La Haute Cour de Londres s'est opposée le 27 juin dernier à son extradition au motif que, en tant qu'Algérien suspecté de terrorisme, il risque en France de subir un traitement inhumain et dégradant.
    La Cour européenne des droits de l'homme, qui pourrait être saisie pour détention et délais irraisonnables de détention provisoire - après tout, il est retenu depuis sept ans - pourrait exiger l'élargissement de l'intéressé, ce qui serait de nature à désespérer un peu plus les victimes ou leurs familles qui sont aujourd'hui présentes devant la cour d'assises de Paris.
    Quelles mesures, monsieur le ministre de la justice, le Gouvernement envisage-t-il de prendre éventuellement à l'égard des autorités, non seulement judiciaires, mais aussi politiques et diplomatiques britanniques pour éviter un tel déni de justice et faire en sorte que justice réelle soit rendue ?
    Cet après-midi, d'après ce que j'ai cru comprendre, nous allons lever l'embargo sur la viande en provenance de Grande-Bretagne. (Murmures.) Doit-on considérer qu'il n'y aurait d'embargo aujourd'hui que pour les poseurs de bombes ? (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et sur quelques bancs du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Paul Quilès. Lamentable !
    M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, le ministre de la justice.
    M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice. D'abord, monsieur le député, en tant que ministre de la justice, en tant que membre du Gouvernement, je partage l'émotion des familles des victimes, qui voient que les accusés ne sont pas au complet dans le box. Rachid Ramdan est le financier présumé des attentats de 1995, et je ne comprends pas les motivations des autorités judiciaires politiques britanniques. Les autorités politiques britanniques ont, en effet, donné leur accord au gouvernement précédent sur l'extradition. J'ai moi-même rencontré le ministre de l'intérieur britannique dès le mois de juillet à Londres pour lui parler de ce dossier, il partage totalement notre point de vue. C'est la Haute Cour de justice de Londres qui, pour des raisons que je ne qualifierai pas ici, a refusé cette extradition.
    Je travaille sur ce dossier pour répondre point par point, si c'est possible, aux observations faites par la Haute Cour de Londres, et mettre un terme à cette situation inadmissible. Il faut que Rachid Ramda soit jugé. Je souhaite qu'il le soit en France. Je considérerai totalement inacceptable qu'une procédure devant la Cour européenne aboutisse à sa libération sur le territoire britannique. Je suis donc déterminé à obtenir satisfaction. Nous le devons aux victimes et à leurs familles. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française sur plusieurs bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

PÊCHE EN MANCHE

    M. le président. La parole est à M. M. Jean-Marc Lefranc, pour le groupe UMP.
    M. Jean-Marc Lefranc. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales.
    Monsieur le ministre, je tiens tout d'abord à saluer la détermination dont vous avez fait preuve pour défendre la pêche française contre les avis du commissaire Fischler, qui tendent à mettre en péril cette activité essentielle.
    Elu du Calvados, où l'activité halieutique est très importante, élu de Basse-Normandie, j'ai en charge le littoral de cette région et je partage réellement l'inquiétude des marins-pêcheurs, des artisans de la mer, quant à leur devenir. J'aimerais souligner trois points qui me paraissent importants, et qui sont d'ailleurs étroitement liés.
    Premier point, le renouvellement des flotilles. Avec l'interdiction de construire de nouveaux bâtiments, il ne s'effectue que sur des unités d'occasion. Ainsi, la flotte de pêche, essentiellement artisanale, côtière et au large, vieillit, ce qui pose de graves problèmes d'exploitation, d'entretien, mais aussi de sécurité. Il est indéniable que la pêche artisanale en France devient une activité sans avenir économique : diminution des emplois embarqués, mais également des emplois liés aux chantiers navals, à la transformation ou à la commercialisation.
    La voie choisie par le commissaire Fischler conduira inexorablement à la désertification des secteurs littoraux. Nous ne partageons pas cette vision, telle n'est pas notre volonté. Il est donc impératif de reprendre les constructions neuves et de maintenir les aides à l'acquisition et à la modernisation.
    En contrepartie, il conviendrait de prévoir une maîtrise et une organisation des stocks de poissons, de crustacés et de mollusques sur des zones homogènes, bien délimitées, facilitant un contrôle librement consenti de l'effort de pêche.
    Une aquaculture intensive ne pourra jamais remplacer une exploitation extensible des ressources de la mer et particulièrement de la mer côtière.
    M. le président. Veuillez poser votre question, monsieur le député, s'il vous plaît !
    M. Jean-Marc Lefranc. Oui, monsieur le président !
    Depuis des années, la région de Basse-Normandie s'est engagée dans une telle démarche avec des résultats significatifs, et cette initiative nous apparaît comme une voie de sauvegarde des activités permanentes,...
    M. le président. Monsieur le député, si vous voulez qu'on vous entende, il est temps que vous posiez votre question, si cela ne vous ennuie pas !
    M. Jean-Marc Lefranc. C'est ma première intervention, je risque d'être un peu plus long, monsieur le président ! (Exclamations.)
    Pour défendre la pêche artisanale, notamment sur le secteur de la Manche, il conviendrait, monsieur le ministre - c'est ma première question -, que la Commission européenne reconnaisse réellement l'espace Manche comme un secteur de pêche homogène significatif. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le président. Telle est donc votre question. Merci, monsieur le député !
    La parole est à M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales.
    M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales. Oui, monsieur le député, dans le cadre de la réforme de la politique commune des pêches que nous propose la Commission européenne, nous avons décidé d'avoir une position ferme ; oui à une gestion durable des ressources marines et halieutiques, pas de vision technocratique, globalisée (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle)...
    M. François Goulard. Très bien, bravo !
    M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales. ... mais au contraire une approche espèce par espèce et lieu de pêche par lieu de pêche. Pour la Manche, on va dans cette direction.
    Par ailleurs, il faut bien évidemment continuer à moderniser notre flotte, car il y a de nombreux problèmes de sécurité en mer, beaucoup trop de morts, plus d'une vingtaine l'année dernière.
    S'agissant plus particulièrement de la Manche, qui est un espace spécifique puisque 70 % des espèces ne sont pas soumises aux quotas mais à d'autres formes de gestion de l'effort de pêche, il faut effectivement avoir une approche régionale. Il existe déjà une conférence Manche centrale qui réunit les Anglais, les Belges, les représentants des îles anglo-normandes et la France pour éviter les conflits d'intérêt et gérer ensemble la ressource. Je pense qu'il faut continuer dans cette direction.
    Cela étant, monsieur le député, j'appelle votre attention sur la nécessité de conserver une politique européenne avec décision du conseil des ministres de l'Union européenne, car c'est ce qui a permis d'avoir une politique durable de la pêche. Il faut donc éviter toute renationalisation des politiques de la pêche. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le président. Je remercie chacun d'avoir respecté son temps de parole.
    Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance

    M. le président. La séance est suspendue.
    (La séance, suspendue à quinze heures cinquante-cinq, est reprise à seize heures quinze.)

3

SALAIRES, TEMPS DE TRAVAIL
ET DÉVELOPPEMENT DE L'EMPLOI

Discussion d'un projet de loi

    M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi relatif aux salaires, au temps de travail et au développement de l'emploi (n°s 190, 231).
    La parole est à M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité.
    M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, le projet de loi que j'ai l'honneur de soumettre à votre assemblée est indissociable de la politique économique et sociale du Gouvernement pour relancer la croissance et l'emploi. Je dirai même qu'il en est, à bien des égards, la clef de voûte.
    Voici près de deux ans que la croissance s'est ralentie. Depuis maintenant un an, le chômage n'a cessé d'augmenter. L'emploi a désormais repris la première place dans les préoccupations des Français, devant l'insécurité.
    La morosité de la conjoncture internationale y est, certes, pour beaucoup, mais il existe dans notre pays bien des blocages qui expliquent nos difficultés. Pour ceux d'entre nous qui ont la lucidité de voir les choses en face, quelle que soit leur appartenance politique, c'est bien la convergence de ces blocages qui explique le choc électoral du 21 avril dernier.
    Une fois encore, les Français nous confient les responsabilités au moment où le redressement s'impose.
    C'est pourquoi ma première exigence est de tout faire pour répondre aux trois facteurs qui sont, selon moi, à la source du malaise économique et social français.
    Le premier de ces facteurs, c'est l'absence d'un dialogue social constructif comme préalable à toute réforme. On a cru pouvoir imposer, et imposer encore, sans concertation réelle. Il en est résulté un état incontestable de doute et de crispation du corps social.
    Le deuxième facteur, c'est la rigidité de notre organisation du travail, symbolisée par l'impact économique et culturel de l'instauration forcée des 35 heures. Il en est résulté une dépréciation sans précédent du travail comme valeur sociale.
    M. Jean-Marie Geveaux. C'est exact !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. En France, il est presque devenu anachronique d'afficher sa volonté de se dépasser ; il est presque devenu indécent d'appeler à se « retrousser les manches » ! (« Très juste ! » et applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Le troisième facteur, enfin, c'est la stagnation des bas salaires, qui est une injustice sociale pour les Français les plus modestes. Stagnation qui a été aggravée par l'effet des lois sur la réduction du temps de travail qui ont affaibli, avec la multiplication des SMIC, le rôle de référent du salaire minimum. En valeur absolue, les salariés modestes ont perdu entre un et deux points de pouvoir d'achat depuis trois ans, tandis que les cadres dirigeants voyaient le leur croître de manière importante.
    M. Claude Gaillard. Il faut le rappeler !
    M. Lionnel Luca. C'est le résultat de la politique conduite par la gauche caviar !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Ces trois facteurs ont bloqué notre pacte économique et social : ils pèsent clairement sur l'emploi.
    M. Gaëtan Gorce. C'est inexact !
    M. Lionnel Luca. Non, c'est juste !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Il faudra démontrer que c'est inexact.
    Les leçons du passé ont appris la modestie aux gouvernants. Je veux croire que personne dans cet hémicycle ne s'en tiendra, dans la période difficile où nous sommes, au discours simpliste consistant à réduire la politique de l'emploi à la réduction du temps de travail et à la création d'emplois aidés dans le secteur public.
    Cette politique n'a pas réussi. Sinon, comment expliquer que la France, qui est le seul pays européen à avoir fait ce choix, se situe au douzième rang parmi les pays de l'Union pour ses performances en matière d'emploi ? (« Eh oui ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Les 35 heures, mesdames et messieurs les députés, ont contribué à dégrader la compétitivité internationale des entreprises françaises. Elles ont limité leur capacité à réagir à la demande. Elles ont accru le volume des importations pour compenser les déficiences de la production nationale. Elles ont affaibli l'attractivité de notre territoire.
    M. Gaëtan Gorce. C'est faux !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Aucun autre pays n'a suivi la voie des 35 heures, quelle que soit son inspiration politique.
    M. Gaëtan Gorce. C'est inexact !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Mesurons donc bien les risques immenses que prendrait notre pays à s'enfermer dans une application dogmatique des 35 heures ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Regardons enfin la réalité en face : la réduction uniforme et obligatoire du temps de travail, sans discernement et sans contrepartie, rend inévitable la diminution de la richesse nationale qui peut être répartie entre les Français.
    M. Gaëtan Gorce. C'est un faux procès !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Alors que la conjoncture mondiale s'assombrit, alors que l'économie internationale est en passe de franchir une nouvelle mutation avec l'entrée de la Chine dans l'Organisation mondiale du commerce, alors que l'élargissement de l'Union européenne lance un nouveau défi à nos entreprises, la réforme s'impose.
    Créer les conditions de la confiance, indispensable à la relance, est par conséquent tout l'objectif de la politique économique et sociale du Gouvernement.
    Nous relançons la demande par le pouvoir d'achat, particulièrement celui des bas salaires avec la prime pour l'emploi élargie au temps partiel, la baisse de l'impôt et une augmentation sans précédent des SMIC.
    Nous relançons l'offre en libérant les énergies du secteur marchand par la baisse des charges, par l'assouplissement du temps de travail et par les nouveaux contrats jeunes en entreprise.
    Enfin, nous relançons le dialogue pour décrisper le corps social et dynamiser la création d'emplois durables.
    Réhabiliter en France la valeur du travail, c'est toute notre philosophie. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Dominique Dord. Enfin !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. En soumettant à votre assemblée ce projet de loi sur les salaires, le temps de travail et le développement de l'emploi, le Gouvernement ne met pas seulement en oeuvre les engagements électoraux du Président de la République et de la majorité, il choisit d'agir dans un même élan pour débloquer les trois facteurs qui sont au coeur du malaise économique et social que nous traversons, ces trois facteurs qui ont entravé le travail en France depuis cinq ans.
    M. Gaëtan Gorce. Vous allez l'aggraver, le malaise !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Hausse rapide des bas salaires par harmonisation des SMIC, assouplissement des 35 heures, amplification de la baisse des charges destinée à maîtriser le coût du travail, voilà le schéma volontariste que nous vous proposons. (Approbations sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Mesdames et messieurs les députés, le débat que nous engageons aujourd'hui dépasse la seule question de la durée du travail. Il reflète l'esprit même de la politique globale du Gouvernement au service de la croissance et de l'emploi. Et si je tiens à replacer ce débat au centre de notre projet économique, c'est que je me rappelle combien la discussion sur la réduction autoritaire de la durée du travail a suscité de caricatures.
    Mme Hélène Mignon. C'est vrai !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. On nous rejouait les débats du xixe siècle ou de juin 1936. On invoquait le travail des enfants, la conquête des congés payés ou encore « les plus belles heures des luttes sociales de notre pays ». (Rires sur divers bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Je me contente, mesdames et messieurs les députés, de vous présenter un projet pragmatique qui cherche à répondre à la réalité de l'économie mondiale, aux besoins de nos entreprises et aux aspirations de leurs salariés. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Bref, je vous présente une loi du xxie siècle.
    Ma méthode, conformément aux engagements du Président de la République et du Premier ministre, a été de renouer intensément le dialogue autour de ce projet. J'avais mon cap, mais, contrairement aux pratiques en vigueur ces dernières années, j'ai écouté.
    Je fais confiance aux partenaires sociaux. C'était déjà la méthode privilégiée avec la loi relative aux contrats jeunes en entreprise qui leur donne volontairement des espaces de négociation. Nous rejoignons l'esprit de la politique qui nous anime, qui consiste à fixer le cap par la loi pour élargir le champ de la négociation dans les branches et dans les entreprises.
    Nous voulons mettre les Français et les corps intermédiaires en situation de mouvement et de proposition. La France d'aujourd'hui ne peut plus être gouvernée comme celle d'hier, de façon uniforme, sans considération pour la réalité complexe et mouvante des situations économiques et sociales.
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. C'est avec cet impératif de concertation que je me suis efforcé de saisir le fil de l'intérêt général. De nombreuses observations et préoccupations énoncées par les partenaires sociaux ont été prises en compte. Derrière le mur apparent des critiques avancées ici ou là, nul ne doit se tromper sur le diagnostic établi par la majorité d'entre eux sur le dossier mal ficelé des 35 heures, et sur celui, indéchiffrable et inéquitable, des multi-SMIC. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Mon projet a pour objet de rebattre les cartes. Il est équilibré, il respecte les intérêts des entreprises et ceux des salariés. Bref, il est, selon moi, conforme à l'intérêt national.
    M. Alain Néri. Selon vous !
    M. Lionnel Luca. Selon nous aussi !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Le projet de loi qui vous est soumis comprend trois parties : d'abord l'augmentation des SMIC et le retour rapide à un seul SMIC ; ensuite les modalités d'assouplissement des 35 heures offertes à la négociation des acteurs sociaux ; enfin, un nouveau dispositif d'allégement de cotisations destiné à promouvoir l'emploi.
    Il nous faut en effet d'abord sortir du piège des multi-SMIC.
    M. Gaëtan Gorce. Il n'y a pas de piège !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Plus de deux millions de Français sont directement concernés. Mesdames et messieurs les députés, vous le savez, le SMIC joue pour les Français un rôle tout particulier dans le champ des relations du travail.
    M. Alain Néri. C'est pour cela que vous ne l'avez pas augmenté !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Il détermine bien évidemment le minimum horaire auquel doit correspondre la rémunération de tout salarié. Il est par ailleurs une valeur de référence déterminante dans la fixation de l'évolution des bases de rémunération. Il constitue enfin une des composantes essentielles du coût du travail pour les entreprises et affecte à ce titre les conditions d'emploi des salariés les moins qualifiés. C'est dire s'il est bien plus qu'une référence, c'est un symbole. Le gouvernement précédent, qui, je le rappelle au passage - ce n'est pas inutile - n'a augmenté le SMIC ni en 1999 ni en 2000, ni en 2001, n'a cependant pas hésité à jouer avec cette valeur dans des conditions particulièrement peu transparentes. (« Eh oui ! sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste. )
    M. Lionnel Luca. Et ça donne des leçons !
    M. Gaëtan Gorce. Il a augmenté de quinze points en cinq ans !
    M. Yves Bur. Vous devriez avoir honte !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Le principe posé par l'article 32 de la loi du 19 janvier 2000 était, en apparence, simple : il fallait faire en sorte que, pour les salaires les plus bas, le passage aux 35 heures ne se traduise pas par une réduction de la rémunération. De même, le principe de convergence entre la garantie mensuelle et le SMIC posé par ce même article ne semblait pas poser de difficulté particulière.
    La réalité, vous le savez parce qu'elle a été maintes fois et unanimement dénoncée, était toute différente.
    Ces dispositions terriblement mal conçues allaient provoquer une multiplication des valeurs de référence et une complexité inextricable tant pour les salariés que pour les employeurs.
    M. Bernard Accoyer. Eh oui !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Cette complexité est d'autant moins acceptable qu'elle ne permet même pas d'atteindre les objectifs visés par les auteurs du texte de janvier 2000.
    Contrairement à ce qui avait été promis, le dispositif ne conduisait nullement par lui-même à la convergence du SMIC et de la garantie mensuelle.
    M. Jacques Barrot. Tout à fait !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. En effet, toute augmentation du SMIC entraînait la création d'une nouvelle garantie repoussant d'autant la convergence.
    M. Bernard Accoyer. Et voilà !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Après 2005, il se passait quoi ?
    M. Gaëtan Gorce. La loi le disait !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. La loi ne disait rien sur le sujet.
    Le dispositif ne permettait pas davantage d'assurer la justice sociale puisqu'elle entraînait, au contraire, des disparités injustifiables et injustifiées entre les salariés selon que leur entreprise était ou non passée aux 35 heures ou selon la date du passage à un horaire collectif de 35 heures.
    Tout le monde se perdait dans cet imbroglio. Il devenait de plus en plus difficile de fixer dans les accords salariaux une valeur de référence et de comparaison dans la détermination des minima de branche.
    M. Bernard Accoyer. Eh oui !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Inéquitable, illisible pour le salarié, complexe et coûteux pour les entreprises, notamment pour les plus petites d'entre elles, le dispositif imposé pour les 35 heures remettait progressivement en cause la cohérence même des relations du travail. C'est dire, mesdames et messieurs les députés, s'il était urgent d'agir, non seulement parce que la loi elle-même l'imposait, mais aussi et surtout parce que la justice sociale et l'efficacité économique, donc l'emploi, étaient en cause.
    M. Dino Cinieri. Eh oui !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Fort de ce constat, le Premier ministre a saisi le Conseil économique et social dès l'installation du Gouvernement. A partir de ces travaux, le projet arrêté répond à deux préoccupations essentielles : rétablir au plus vite l'unité du SMIC dans son rôle de référence nationale et assurer dans un même mouvement la progression du pouvoir d'achat des salaires les plus bas.
    La restauration du SMIC passe nécessairement par un mécanisme volontaire de convergence. Celui-ci s'effectuera à partir de la garantie la plus élevée, assurant ainsi une augmentation du pouvoir d'achat des salariés rémunérés au SMIC horaire de 11,4 % sur trois ans, hors inflation, et un gain de pouvoir d'achat en moyenne de 6,5 % pour l'ensemble des plus bas salaires sur la même période.
    M. Dino Cinieri. Très bien !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Les règles de calcul du SMIC sont modifiées mais pour une période temporaire exclusivement justifiée par les besoins de la convergence. Il y sera évidemment mis fin pour revenir aux règles habituelles de revalorisation une fois la convergence achevée.
    Les plus bas salaires vont donc pouvoir bénéficier jusqu'en 2005 d'un gain de pouvoir d'achat bien supérieur à la simple application des règles habituelles. C'est un signal fort en direction des revenus les plus faibles. C'est un signal fort vers la réhabilitation de la valeur du travail. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.) C'est une mesure d'équité. C'est une vraie mesure de justice sociale.
    Mesdames et messieurs les députés, ces mêmes principes ont guidé le Gouvernement au sujet du dispositif prévu pour l'assouplissement des 35 heures. Je ne veux pas relancer un débat idéologique sur la réduction de la durée du travail. On n'a cessé de nous dire que les lois Aubry auraient permis de créer ou de préserver transitoirement quelque 300 000 emplois en cinq ans.
    M. Michel Hunault. Et détruit combien ?
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Mais c'est bien entendu la croissance, soutenue par les allégements de charges, qui les a créés, ces emplois. Dès que la croissance fléchit, le chômage repart de plus belle, réduction du temps de travail ou non.
    M. Bernard Accoyer. Bien sûr !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. La vérité, c'est que la politique de l'emploi du gouvernement qui nous a précédés n'a réglé aucun des problèmes structurels qui entravent notre marché du travail.
    Plusieurs députés du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle. Bien au contraire !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Il est temps de s'y attaquer en rendant toute sa place au travail comme élément central de la cohésion sociale et en replaçant la négociation collective au coeur de l'aménagement du temps de travail.
    M. Bernard Accoyer. Très bien !
    M. Michel Bouvard. Excellent !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Nous proposons de le faire sans remettre en cause la durée légale des 35 heures, n'en déplaise à ceux qui caricaturent notre projet.
    M. Maxime Gremetz. Ce n'est pas vrai ! Regardez le texte !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Pour y parvenir, le point essentiel de la réforme s'articule autour du régime des heures supplémentaires. D'elles dépendent en réalité le rythme de travail des salariés et l'organisation du travail au sein des entreprises. Nous sommes là au coeur du dispositif sur l'aménagement du temps de travail.
    Vous le savez, le système actuel est inextricable puisqu'il faut distinguer le contingent dont le dépassement est surbordonné à l'autorisation de l'inspecteur du travail et le contingent dont le dépassement implique l'octroi du repos compensateur. L'un peut être négocié par les partenaires sociaux ; l'autre, relatif au repos compensateur, est fixé unilatéralement par l'Etat. A cela s'ajoute un régime encore plus compliqué définissant les conditions de rémunération des heures supplémentaires. Je mets au défi quiconque de s'y retrouver.
    La réforme que je vous propose prend le contrepied des errements du passé par sa simplicité et sa souplesse d'adaptation à la situation dans chaque branche ou dans chaque entreprise. Le rôle de l'Etat dans le maintien des équilibres essentiels n'en est pas moins préservé.
    Simplicité, d'abord, avec l'uniformisation des contingents.
    Il existera désormais un contingent unique déterminant tant l'autorisation administrative que le déclenchement du repos compensateur. Ce souci de simplicité ne doit toutefois pas aller jusqu'à méconnaître la situation spécifique des petites entreprises qui font l'objet de dispositions particulières en matière de majoration des heures supplémentaires et de repos compensateur obligatoire. En ce qui concerne les entreprises de moins de vingt salariés et à défaut d'accord de branche, le taux actuel de majoration de 10 % sera maintenu jusqu'au 31 décembre 2005 afin de leur laisser davantage de temps pour s'adapter.
    M. Richard Cazenave. Bravo !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Souplesse, ensuite, par un renvoi aux partenaires sociaux pour la fixation du niveau de contingent des heures supplémentaires et des conditions de leur rémunération. C'est pour moi le point essentiel de la réforme des 35 heures car sa portée dépasse l'assouplissement de la durée du travail.
    Il est emblématique de notre volonté de rééquilibrer le droit des relations du travail en réduisant l'emprise du droit législatif et réglementaire au profit de la norme conventionnelle.
    M. Richard Cazenave. Très bien !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. En ce sens, mesdames et messieurs les députés, cette réforme préfigure un des chantiers qui sera le nôtre l'an prochain et qui me tient particulièrement à coeur : celui de la modernisation de la négociation collective par le biais de la validité et de la légitimité des accords.
    Mme Hélène Mignon. On peut redouter le pire !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Il y va de l'avenir du dialogue social dans notre pays.
    C'est de cet avenir, c'est-à-dire la capacité des partenaires sociaux à prendre enfin en charge l'évolution des relations sociales, que dépend largement notre capacité à réformer la France.
    Ce choix ne doit cependant pas se traduire par un désengagement de l'Etat.
    C'est pourquoi le dispositif que je vous propose répartit clairement les rôles : l'Etat fixe la règle du jeu, les partenaires sociaux négocient les conditions de son application branche par branche, entreprise par entreprise.
    S'agissant d'une question aussi essentielle pour les salariés que celle de la rémunération des heures supplémentaires, la loi fixe les modalités de l'accord qui en déterminera le régime en exigeant un accord de branche étendu.
    La loi fixe, par ailleurs, une règle minimale, en dessous de laquelle les partenaires sociaux ne sauraient valablement aller, en prévoyant que le taux de majoration ne peut être inférieur à 10 %.
    Enfin, tant en matière de fixation du niveau du contingent que pour les conditions de rémunération des heures supplémentaires, l'Etat fixe la règle supplétive qui s'applique en l'absence d'accord. Un décret fixera donc, à défaut d'accord, le niveau du contingent.
    Le renvoi à la négociation que prévoit la loi n'aurait guère de sens, si parallèlement, l'Etat fixait de manière définitive le niveau supplétif du contingent. Ce serait à juste titre perçu comme une préemption injustifiée de l'Etat sur les discussions futures affectant le contenu, voire l'existence même des négociations.
    Le décret qui sera pris sur le fondement des nouvelles dispositions est donc destiné à être réexaminé. Et c'est au vu du contenu des négociations et des choix opérés dans le cadre des accords signés que le Gouvernement prendra définitivement position sur le niveau optimal du contingent destiné à s'appliquer en l'absence d'accord.
    M. Patrice Martin-Lalande. C'est logique !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Il le fera dix-huit mois après l'adoption de ce texte, après avis de la Commission nationale de la négociation collective et au vu d'un rapport du Conseil économique et social.
    Mesdames et messieurs les députés, certains ont cru fourbir leur opposition à ce décret en ayant recours à une comparaison historique : je me serais inspiré des décrets-lois de 1938 pour liquider les 35 heures sans le dire ! (Exclamations sur les bancs des socialistes.)
    M. Lionnel Luca. Le ridicule ne tue pas !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. En gros, Fillon-Reynaud : même combat.
    M. Gaëtan Gorce. Eh oui ! Vous êtes le troisième homme, après Bonaparte et Reynaud...
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Mais ils n'ont pas compris grand-chose au précédent de 1938.
    Et pour cause, car les analyses de Paul Reynaud sur les moyens de sortir notre pays de la crise économique dans laquelle il restait englué étaient parfaitement pertinentes. Il mettait en avant les solutions de type keynésien qui finiront par être appliquées, bien que trop tardivement, par le gouvernement Daladier.
    Certes, Reynaud ne flattait pas la démagogie à un moment où le contexte international ne s'y prêtait guère. De même n'hésitait-il pas à soutenir les thèses sur l'utilisation de l'arme blindée d'un obscur colonel promis à sauver la France.
    Il y a, vous en conviendrez, des comparaisons moins flatteuses. (« Bravo ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Mais laissez-moi leur dire surtout que nous ne parlons pas de la même chose. Les 40 heures de 1936 constituaient la durée maximale du travail, l'équivalent de nos 48 heures actuelles. C'est d'ailleurs bien ce qui les rendait, comme l'avait noté Alfred Sauvy, totalement antiéconomiques. Et c'est bien la raison pour laquelle il a fallu inventer les heures supplémentaires, en 1938, pour en rajouter encore en 1946.
    L'objectif de ce décret relevant le contingent d'heures supplémentaires, c'est tout simplement de rendre possible un recours plus large aux heures supplémentaires lorsque c'est nécessaire. Alors n'en faisons pas un conflit théologique, ni chez les patrons, ni à ma gauche.
    M. Gaëtan Gorce. Vous nous faites un faux procès !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Les mêmes exigences de simplicité et de souplesse inspirent les dispositions plus techniques concernant les 35 heures, notamment celles relatives au compte épargne temps. Les partenaires sociaux pourront désormais autoriser la valorisation des éléments du compte en argent et non pas obligatoirement en temps.
    Je souhaite enfin insister sur le fait que le projet de loi ne remet pas en cause les accords déjà conclus, qu'il ne se substitue pas à eux. Ceux-ci continuent à produire leurs effets et il n'y a nulle obligation de les renégocier. La loi ouvre de nouvelles pistes ; il appartient aux partenaires sociaux de s'y engager, s'ils le souhaitent. Bien entendu, de leur côté, les accords dont le contenu avait été remis en cause par la loi de janvier 2000 trouvent maintenant une base légale et pourront eux aussi produire tous leurs effets.
    M. Michel Bouvard. Tout à fait !
    M. Gaëtan Gorce. Vous parlez des accords de l'UIMM ?...
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Car ce n'est pas le moindre paradoxe de cette deuxième loi sur la réduction du temps de travail que d'avoir rendu inapplicables des accords déjà négociés par les partenaires sociaux.
    Décrispation sociale, responsabilisation des partenaires sociaux, convergence des SMIC vers le haut et assouplissement des 35 heures n'ont qu'un seul objectif : redynamiser l'emploi dans notre pays.
    M. Dino Cinieri et M. Patrice Martin-Lalande. Très bien !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. C'est pourquoi le projet que je soumets à votre examen comprend, dans son titre III, un volet essentiel à la cohérence de l'ensemble : l'allègement des cotisations de sécurité sociale.
    S'il est une seule leçon à tirer des expériences précédentes, mesdames, messieurs les députés, c'est que la baisse des charges sur le travail peu qualifié favorise efficacement la création d'emplois. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Patrice Martin-Lalande. C'est effectivement très efficace.
    M. Maxime Gremetz. C'est du dogmatisme patronal !
    Mme Muguette Jacquaint. Il n'y a aucune contrepartie !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. C'est l'orientation qu'avaient prise avec succès Edouard Balladur et Michel Giraud en 1993, puis Alain Juppé et Jacques Barrot en 1995.
    Mais attention, notre politique de baisse de charges...
    M. Gaëtan Gorce. Ce ne sont pas des charges, mais des cotisations sociales !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. ... n'a rien à voir avec celle du gouvernement précédent. Nous passons d'une incitation aux 35 heures à une véritable ambition d'encouragement à l'emploi.
    On a fait croire aux Français que l'on pouvait travailler 35 heures payées 39 sans que quelqu'un ne finisse par payer l'addition.
    M. Lionnel Luca. Mais ils n'y ont pas cru !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. C'est en réalité la collectivité qui a pris partiellement cette supercherie à sa charge, et il nous faut maintenant solder les comptes.
    M. Lionnel Luca et M. Dino Cinieri. Très bien !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Le nouveau dispositif que le Gouvernement vous propose aidera à tourner la page des 35 heures non financées. Il est destiné à ce que le surcoût lié à la sortie des multi-SMIC ne pénalise pas la compétitivité des entreprises, donc l'emploi.
    Mme Muguette Jacquaint. Et la réduction des impôts des riches, qui va la payer ?
    Mme Catherine Génisson. Ce sont les pauvres !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Il permettra surtout de diminuer le coût du travail pour les bas salaires et les personnes peu qualifiées par la mise en place progressive d'un nouveau dispositif d'allègement, à partir du 1er juillet 2003. Ce dispositif sera maximum au niveau du SMIC et concernera tous les salaires inférieurs à 1,7 fois le SMIC. Pour les salaires modestes et moyens, les allègements de charges ne feront pas que compenser les effets de la convergence des SMIC ; ils abaisseront réellement le coût du travail.
    La France a été l'un des premiers pays à expérimenter une réduction générale des cotisations sociales, en 1993. D'autres, depuis, ont suivi : la Belgique, les Pays-Bas, puis l'Allemagne et l'Italie. Les résultats observés ont toujours été très positifs.
    M. Gaëtan Gorce. Non, pas partout !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Les économistes considèrent que les allègements de charges ont permis d'enrichir la croissance en emplois.
    Mme Hélène Mignon. Pas du tout !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Le seuil de croissance à partir duquel l'économie française est créatrice d'emplois serait passé, grâce aux allègements de charges, de 2,5 à 1,5 % dès 1994.
    M. Richard Cazenave. Exactement. C'est considérable.
    M. Maxime Gremetz. C'est encore du dogmatisme ! Aucune étude ne le démontre !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. La baisse du nombre d'emplois peu qualifiés a été enrayée et la part des emplois peu qualifiés dans le total des emplois, après avoir baissé de 7 points de 1983 à 1994, a recommencé à croître très légèrement à partir de cette année-là. Cette inversion de tendance est un phénomène majeur, non seulement d'un point de vue économique, mais pour notre cohésion sociale, car nous ne pouvons accepter que les progrès de notre économie laissent les moins armés sur le bord du chemin. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et sur plusieurs bancs du groupe Union pour la démocratie française.)
    Cet allègement, dont le surcoût pour les finances publiques, d'ici à 2006, s'élèvera à 6 milliards d'euros environ, sera intégralement compensé pour les régimes de sécurité sociale - je tiens à le souligner, car cela tranche avec le passé.
    Mesdames, messieurs les députés, augmentation des bas salaires, assouplissement des 35 heures, baisse des charges : la réforme qui vous est proposée s'inspire très largement de ce qui avait été conclu par les branches et les entreprises elles-mêmes entre 1998 et 2000. Le gouvernement précédent n'avait néanmoins pas voulu en tenir compte puisqu'il savait mieux que les acteurs sociaux ce qui était bon pour les entreprises et les salariés. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. Jean-Marie Geveaux. C'est ce qu'on appelle avoir le sens du dialogue social !
    M. Patrice Martin-Lalande. Ils étaient sourds !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. L'économie générale de notre projet se fonde sur un souci d'équilibre entre le maintien de la durée légale de 35 heures,...
    M. Alain Néri. Alors inscrivez-le dans la loi !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. ... les exigences de souplesse et de compétitivité des entreprises et un rôle accru conféré en la matière aux partenaires sociaux. La durée légale de 35 heures est maintenue, mais elle est dorénavant organisée sur un mode qui permet aux acteurs sociaux, s'ils le souhaitent, de s'en écarter, de l'adapter, bref de se l'approprier comme ils l'entendent.
    M. Alain Néri. Que de contorsions !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Telles sont, monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, les principales dispositions du projet de loi soumis à votre examen.
    Cette réforme n'est pas un retour en arrière.
    Plusieurs députés du groupe socialiste. Si !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Cette réforme est un retour à la raison.
    Plusieurs députés du groupe socialiste. Non !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Cette réforme, c'est plus de liberté pour plus de justice sociale ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Hervé Morin. Très bien !
    M. Alain Néri. C'est surtout plus de liberté pour le MEDEF !
    M. le président. La parole est à M. le rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.
    M. Pierre Morange, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'ai l'honneur d'être rapporteur d'un projet de loi majeur, attendu par les partenaires sociaux, par le monde des entreprises comme par les salariés.
    Mme Catherine Génisson. Non ! Attendu par le MEDEF !
    M. Pierre Morange, rapporteur. Ce texte est le premier inscrit à l'ordre du jour de notre session parlementaire et ce choix ne doit rien au hasard. Il correspond aux engagements pris par le Président de la République et par le Premier ministre concernant notre priorité pour l'emploi, la hausse du pouvoir d'achat des salariés les moins bien rémunérés et la rénovation du dialogue social.
    En effet, force est de constater que la politique de réduction du temps de travail mise en oeuvre par le précédent gouvernement s'est traduite par un triple échec : sa complexité s'est heurtée aux réalités des entreprises ; ses effets sur la rémunération des bas salaires ont introduit une forte iniquité entre les salariés ; son caractère dogmatique s'est opposé au dialogue social. Chacun a d'ailleurs pu constater dans les urnes, au printemps dernier, les effets de ce triple échec.
    C'est pourquoi les objectifs de votre projet de loi, monsieur le ministre, s'articulent autour de trois priorités majeures : restaurer le dialogue social pour permettre un aménagement du travail plus souple en prenant en compte l'intérêt de l'ensemble du monde du travail ; corriger les effets négatifs de la réduction du temps de travail sur le pouvoir d'achat des salariés ; diminuer le coût du travail pour favoriser l'emploi.
    La première ambition de ce texte est de restaurer le dialogue social pour permettre un aménagement du travail plus souple. Pour cela, il nous revient la lourde tâche de devoir corriger la loi du 19 janvier 2000.
    Cette loi a encadré à l'excès les outils qu'elle mettait en place, accréditant l'idée qu'il revient au législateur de régler les détails d'un accord collectif. Rappelons qu'elle a été accompagnée de douze décrets ainsi que de deux circulaires, l'une de 165 pages, l'autre de 25 ! Or personne ne saurait soutenir aujourd'hui sérieusement que cette approche correspond aux besoins du monde du travail.
    Par ailleurs, au lieu de faire confiance à la négociation, cette réforme, annoncée et mise en oeuvre de manière autoritaire et sans concertation, a donné naissance à de véritables monstres juridiques : la création de plusieurs niveaux de salaires minima en est assurément la manifestation la plus probante ; et le régime des heures supplémentaires a également été compliqué et rendu pratiquement illisible.
    Le dialogue social, élément fondamental de la vie économique d'une nation dans le cadre d'une économie mondialisée, n'a donc pas joué le rôle qui lui revenait au cours des dernières années.
    Pour rompre avec cette situation, la majorité actuelle considère que l'une de ses missions essentielles est d'instaurer de nouvelles conditions, favorables à l'épanouissement d'une vraie culture du dialogue social. En effet, loin des idéologies et des luttes dépassées, les acteurs de terrain possèdent un savoir-faire et une pratique de la négociation qui leur permettent de conclure des accords équilibrés, préservant à la fois les intérêts de la collectivité du travail et l'impératif de compétitivité des entreprises.
    Ainsi, le Premier ministre a pris l'engagement de ne proposer aucun projet social important sans avoir réuni et écouté l'ensemble des acteurs sociaux. Lors de votre audition devant la commission, vous nous avez d'ailleurs indiqué, monsieur le ministre, que certaines dispositions initialement contenues dans l'avant-projet de loi avaient été retirées, à la demande des représentants des organisations syndicales.
    Par ailleurs, je me félicite que le projet de loi rende toute sa place à la négociation collective en prévoyant pour la première fois de véritables transferts de compétences au profit des partenaires sociaux. La logique suivie est de poser dans la loi les principes généraux du droit du travail, les modalités concrètes d'application étant ensuite renvoyées à l'accord collectif.
    Que l'on comprenne bien le caractère audacieux de ce texte : dans un certain nombre de domaines, ce n'est que dans le cas où les partenaires sociaux n'auront pu trouver un accord que les règles légales devront s'appliquer. Le droit légal est ici supplétif ; ce qui prime, c'est la règle qui a résulté des négociations entre les représentants des employeurs et ceux des salariés, au niveau de la branche ou de l'entreprise.
    De nouveaux champs importants de négociation sociale sont donc ouverts par le projet de loi.
    Tout d'abord, il sera désormais possible à un accord de branche étendu de déterminer un taux de majoration des heures supplémentaires différent des taux légaux, la seule limite posée par la loi étant que ce taux ne saurait être inférieur à 10 %.
    En outre, c'est désormais le contingent annuel d'heures supplémentaires pouvant être effectué par chaque salarié, négocié par les partenaires sociaux au niveau de la branche, qui servira de référence pour le calcul du repos compensateur obligatoire dû au salarié. Les négociations sur ce contingent auront donc désormais une plus grande importance : non seulement le contingent d'heures supplémentaires fixé par accord de branche aura un impact sur le volume de travail réalisable par le salarié au cours d'une année, mais il aura également des conséquences sur la prise du repos compensateur. Les responsabilités pesant sur les partenaires sociaux se trouvent ainsi accrues.
    Il convient ici de répondre par avance aux critiques entendues sur divers bancs concernant les chances de succès des négociations de branche, dès lors que la loi fixe un seuil minimum. S'en tenir à un tel raisonnement revient à oublier que, par définition, la négociation permettra d'aborder bien d'autres sujets que le taux de majoration des heures supplémentaires. Les partenaires sociaux ne manqueront donc pas de munitions pour engager la négociation.
    En second lieu, le champ de la négociation sociale s'applique également aux cadres. Certes, pour ces derniers, le présent projet de loi ne bouleverse pas l'économie générale du texte adopté en janvier 2000. Cependant, de façon pragmatique, il assouplit, à juste titre, les critères permettant de leur proposer des conventions de forfait en nombre de jours sur l'année. Par ailleurs, il confie à l'accord collectif le soin de définir les catégories de cadres dont la nature des fonctions implique une autonomie. Les partenaires sociaux auront ainsi une plus grande liberté pour déterminer, en fonction de leur propre appréciation de l'autonomie des personnels d'encadrement, les catégories de cadres qui peuvent valablement bénéficier d'un forfait en jours sur l'année.
    Le projet de loi se caractérise également par une volonté de simplification des règles légales, compliquées à l'excès par la loi du 19 janvier 2000.
    La majorité actuelle considère que son rôle, en matière sociale, n'est pas de brouiller la visibilité des règles, mais bien de faciliter la régulation des relations entre les acteurs, grâce à l'instauration d'un cadre légal simple, clair et stable.
    La logique de simplification suivie par le Gouvernement explique le choix du nouveau régime légal des heures supplémentaires. Là encore, c'est en l'absence d'un accord de branche étendu que les règles légales trouvent à s'appliquer. Ces règles sont énoncées en quelques mots dans la nouvelle rédaction du paragraphe I de l'article L. 212-5 du code du travail. « A défaut d'accord, chacune des huit premières heures supplémentaires donne lieu à une majoration de 25 % et les heures suivantes à une majoration de 50 %. »
    Les salariés comme les employeurs prendront sans difficulté connaissance de ces nouvelles règles du jeu. Il est ainsi mis fin à la complexité du régime en vigueur, qui distingue les notions de « bonification » pour les quatre premières heures et de « majoration » pour les suivantes.
    S'agissant des accords de modulation des horaires sur tout ou partie de l'année, le projet de loi entend clarifier les règles du jeu en posant le principe simple selon lequel la durée annuelle de travail est de 1 600 heures, à moins qu'elle ne soit fixée par les partenaires sociaux à un niveau inférieur. Ainsi, dans les entreprises où ce type d'organisation du travail se justifie, la souplesse que représente l'annualisation pourra être utilisée de façon simple.
    Par ailleurs, je tiens à souligner le pragmatisme de la démarche suivie par le Gouvernement. En ce qui concerne le relèvement du contingent d'heures supplémentaires à 180 heures par salarié, le futur décret sera valable pour une durée limitée à dix-huit mois. Ainsi, monsieur le ministre, le 6 septembre dernier, vous avez indiqué devant la Commission nationale de la négociation collective : « C'est au vu des négociations et des pratiques instaurées dans les entreprises que le Gouvernement réexaminera et choisira le niveau optimal du contingent qui doit s'appliquer en l'absence d'accord. » L'humilité dont vous faites preuve méritait d'être soulignée et tranche avec le comportement de certains de vos prédécesseurs...
    Enfin, le projet de loi affronte avec courage et lucidité le passage aux 35 heures pour les petites et moyennes entreprises.
    M. Maxime Gremetz. Nous y voilà !
    M. Pierre Morange, rapporteur. Si le problème avait été identifié par le précédent gouvernement, aucun choix n'avait été effectué, pour ne pas rompre avec le dogme du bienfait universel que devait apporter la réduction du temps de travail.
    Là encore, le Gouvernement fait le choix du pragmatisme. La période d'adaptation, initialement prévue pour un an seulement dans la loi du 19 janvier 2000, est prolongée de trois ans. Durant cette période, la majoration des quatre premières heures supplémentaires, maintenue à 10 % jusqu'à la fin de l'année 2005, permettra à ces entreprises d'absorber le choc des 35 heures, et ainsi de préserver leur compétitivité.
    La seconde ambition du projet de loi est de corriger les effets négatifs de la réduction du temps de travail sur le pouvoir d'achat des salariés.
    La réforme proposée par le gouvernement de M. Jean-Pierre Raffarin...
    M. Maxime Gremetz. Inspirée par le MEDEF ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le président. Monsieur Gremetz, vous n'avez pas la parole.
    M. Maxime Gremetz. Mais il m'irrite !
    M. le président. Alors, irritez-vous en silence.
    Reprenez, monsieur le rapporteur.
    M. Pierre Morange, rapporteur. La réforme proposée par le gouvernement de M. Jean-Pierre Raffarin va mettre fin à la stagnation du pouvoir d'achat de millions de salariés. N'oublions pas que, dans la plupart des cas, la réduction du temps de travail, présentée par ses promoteurs comme une réforme généreuse, a été accompagnée d'une clause de modération salariale, en clair d'un gel du pouvoir d'achat sur plusieurs années. Et cette contradiction a été d'autant plus mal vécue que notre économie bénéficiait d'une forte croissance internationale.
    M. Bernard Accoyer. Très bien !
    M. Pierre Morange, rapporteur. La stagnation du pouvoir d'achat liée aux 35 heures est particulièrement flagrante pour les salariés les moins bien rémunérés. Rappelons que le gouvernement précédent s'est contenté, ces trois dernières années, de revaloriser le SMIC du minimum légal. Le projet de loi que nous examinons va permettre de sortir de cette gestion malthusienne de la masse salariale.
    Le premier élément allant dans ce sens est la possibilité de faire des heures supplémentaires. La réduction du temps de travail s'est accompagnée d'une forte contrainte sur les heures supplémentaires, perçues uniquement comme un facteur de souplesse pour les entreprises. C'était oublier un peu vite qu'une heure de travail en plus est aussi une heure de salaire de plus pour les salariés, et même davantage, compte tenu des majorations.
    Il est vrai que nous touchons là à la conception même que chacun se fait du travail. Si certains persistent à croire qu'il s'agit d'une sorte de « punition divine », nous considérons, pour notre part, qu'il s'agit d'une valeur structurante de la vie sociale, dont la remise en cause, au cours des dernières années, notamment lors du débat sur la réduction du temps de travail, n'est sans doute pas pour rien dans la crise morale que connaît notre pays. Nous considérons aussi et surtout le travail comme un moyen permettant de réaliser ses projets de vie et de gravir les échelons de l'échelle sociale. En quelques mots, on peut dire que nous préférons le goût de l'effort à l'obligation du repos.
    M. Maxime Gremetz. C'est un philosophe qui a écrit cela ?
    M. Pierre Morange, rapporteur. Le projet de loi permet également de mettre un terme au système ubuesque et inique des multi-SMIC. Les 35 heures ont eu pour conséquence la mise en place de six niveaux différents de rémunération minimale.
    M. Dominique Dord. C'était incroyable !
    M. Pierre Morange, rapporteur. En effet, au SMIC se sont ajoutées cinq « garanties mensuelles de rémunération », créées chaque année afin de compenser la baisse de la durée du travail. Mais ce dispositif particulièrement complexe s'est traduit par la mise en place de différents niveaux minima de rémunération : l'écart s'élève à 119 euros entre les salariés à 35 heures payés au SMIC horaire et ceux dont l'entreprise est passée aux 35 heures après le 1er juillet 2002.
    La multiplicité des SMIC ne s'applique d'ailleurs pas aux seuls salariés en place lors du passage à 35 heures. En dépit des garanties juridiques prévues par la loi du 19 janvier 2000, les nouveaux embauchés ont souvent pâti de la situation, dans la mesure où ils ont fréquemment été embauchés au SMIC horaire, mais pour 35 heures, pas pour 39...
    Le projet de loi se propose de mettre fin à cette situation inacceptable en organisant rapidement l'harmonisation par le haut des différents SMIC.
    Il est en effet indispensable d'éviter, sur une période trop longue, un blocage de l'évolution du pouvoir d'achat des salariés concernés. La convergence se fera donc en trois ans, par un usage volontariste des coups de pouce, de l'ordre de 3 % chaque année d'ici à 2005, et par l'évolution différenciée des garanties mensuelles de rémunération et du SMIC. Au final, le SMIC horaire sera revalorisé de 11,4 % sur trois ans, en valeur réelle, c'est-à-dire hors inflation.
    M. Patrick Ollier. Très bien !
    M. Pierre Morange, rapporteur. Il convient d'insister sur le fait que le choix d'une harmonisation des SMIC par le haut non seulement préserve le pouvoir d'achat de l'ensemble des salariés concernés mais induit même une hausse significative pour nombre d'entre eux.
    Il est également important de rappeler que la fin de la période de transition, le 1er juillet 2005, se traduira par un retour aux règles habituelles de revalorisation du SMIC. Là encore, le choix du Gouvernement répond aux attentes du monde du travail et représente un effort sans commune mesure en période de faible inflation. Il permet aussi de redonner au SMIC son statut de valeur de référence.
    La volonté d'améliorer le pouvoir d'achat des salariés se manifeste aussi dans la possibilité de convertir en argent le compte épargne-temps pour les salariés qui en disposent. Bien évidemment, le choix d'une harmonisation par le haut des différents SMIC ne doit pas avoir pour conséquence une hausse inconsidérée du coût du travail.
    C'est pourquoi la troisième ambition du présent projet de loi consiste à diminuer le coût du travail pour favoriser l'emploi.
    Le nouveau dispositif d'exonération de charges patronales permet tout d'abord de compenser l'essentiel de la hausse du SMIC liée à sa réunification en 2005. L'exonération sera en effet maximale au niveau du SMIC dont le coût pour l'entreprise sera réduit de 26 % sans affecter d'un euro la rémunération perçue par le salarié. Cette opération ne laissera à la charge des entreprises restées à 39 heures que 4,6 points d'augmentation de salaire à absorber en trois ans grâce aux gains de productivité et à l'inflation. Elle permettra, en outre, une baisse du coût du travail notable, de plus de 4 %, sur la frange des salaires située entre 1,2 SMIC et 1,6 SMIC, segment sur lequel une baisse des charges est le plus favorable à l'emploi.
    L'une des principales ruptures avec le dispositif Aubry II est que cette baisse profitera à l'ensemble des entreprises, et pas seulement à celles passées aux 35 heures, alors que seule une sur dix a adopté ce dispositif. Près de 90 % des entreprises vont donc voir leurs charges diminuer, au premier rang desquelles les PME. La fin de l'inégalité en termes de coût de travail créée à leur détriment par l'allégement Aubry II constitue donc une mesure bienvenue. La déconnexion des allégements de charges de la durée du travail pemet donc de mettre fin à la paradoxale exception française consistant à subventionner les entreprises pour que leurs salariés travaillent moins.
    M. Jacques Barrot. Très bien !
    M. Pierre Morange, rapporteur. Le choix clair d'un allégement massif des charges sociales représente donc un acte politique fort en faveur du développement de l'emploi. En effet, les études réalisées sous le précédent gouvernement ont fait état de 460 000 créations d'emplois imputables à la baisse des allégements de charges entamée en 1994 et amplifiée jusqu'en 1997 avec la création de la ristourne dégressive limitée aux salaires inférieurs à 1,3 SMIC. Ce résultat est à mettre en parallèle avec le bilan officiel de la réduction du temps de travail chiffrant à 300 000 les créations d'emplois imputables à ce dispositif. Cependant, ces créations sont bien moins imputables aux 35 heures qu'aux baisses de charges qui leur étaient liées. On peut même estimer que le surcoût lié aux 35 heures a freiné les effets de ces baisses de charges.
    Le Gouvernement engage donc une démarche extrêmement ambitieuse en faveur de l'emploi. Cependant, nous devons souligner qu'agissant ainsi, il fait preuve de mesure.
    Mesure, tout d'abord, dans la gestion de l'enveloppe qui lui est allouée, puisque le coût de ce nouvel allégement s'élèvera à un milliard d'euros en 2003 et à six milliards d'ici à 2006, soit un surcoût inférieur à celui qu'aurait entraîné l'extension de l'allégement des 35 heures. Nous devons vous féliciter, monsieur le ministre, d'avoir réussi à stopper le mécanisme infernal du financement des 35 heures, alors que nul, au sein de l'ancienne majorité, n'avait osé aborder ce problème avec lucidité.
    Mesure également dans le calendrier, puisque la mise en place du dispositif pérenne sera progressive selon un calendrier suivant l'harmonisation des SMIC.
    Mesure, enfin, dans le traitement des entreprises à 35 heures qui bénéficieront, y compris pendant la période transitoire, d'un taux d'allégement de charges constant.
    Enfin, le projet de loi propose d'amorcer la refonte des dizaines d'exonérations de cotisations sociales patronales existantes en commençant par la fusion des deux principales : la ristourne dégressive dite Juppé jusqu'à 1,3 SMIC et l'allégement dit Aubry II lié à la réduction du temps de travail.
    Le premier effet de cette refonte sera de simplifier la vie des entreprises. Il est ainsi mis un terme aux distinctions byzantines introduites par la loi du 19 janvier 2000 entre les entreprises éligibles ou non aux exonérations de cotisations et entre les salariés y ouvrant droit ou non. Rappelons, par exemple, qu'un salarié à temps partiel travaillant dix-huit heures par semaine y ouvrait droit, ce qui n'était pas le cas d'un salarié n'en travaillant que dix-sept.
    Les entreprises devaient également de ce fait, et en raison de la complexité de l'allégement, se livrer chaque mois à de savants calculs. On évoquera pour mémoire la complexité des démarches liées au contrôle du respect de la durée du travail par l'administration et les incertitudes sur le bénéfice de l'allégement liées aux multiples cas de suspension, voire de suppression.
    Le projet de loi met fin à tout cela et offre aux entreprises le cadre juridique clair et stable auquel elles aspirent.
    Pour l'ensemble de ces raisons, la commission des affaires culturelles, familiales et sociales a adopté ce texte après l'avoir enrichi, les 25 septembre et 2 octobre, par le vote de 17 des 131 amendements examinés et après avoir entendu l'ensemble des organisations syndicales.
    Premier apport : un amendement a été adopté pour indiquer, de la façon la plus claire qui soit, que le taux horaire du SMIC fera bien l'objet d'une augmentation majorée, c'est-à-dire avec coup de pouce, chaque année. Il s'agit d'éviter que le rattrapage des 11,4 % se fasse en une seule fois au 1er juillet 2005. L'augmentation du SMIC doit se faire par paliers successifs chaque année.
    Deuxième apport : plusieurs amendements permettent de simplifier le dispositif transitoire en matière d'allégements des cotisations sociales patronales. Le régime doit être le même pour tous les salariés de l'entreprise, quelle que soit leur situation vis-à-vis de la réduction du temps de travail.
    Troisième apport : plusieurs amendements visent à améliorer la cohérence du nouveau dispositif d'allégements avec d'autres mécanismes de réductions de charges.
    En conclusion, monsieur le ministre, votre projet de loi associe efficacité et solidarité, répondant ainsi à l'attente de nos concitoyens et de nos entreprises. La primauté donnée au dialogue social constitue le fil rouge de ce texte de loi qui se donne les moyens de préserver l'emploi, de revaloriser très nettement le pouvoir d'achat des salariés les plus modestes, de permettre à nos entreprises d'affronter la concurrence internationale par l'abaissement du coût du travail et l'assouplissement des heures supplémentaires, et de redonner au travail sa valeur de référence morale et financière. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)

Rappel au règlement

    M. Maxime Gremetz. Monsieur le président, je demande la parole pour un rappel au règlement.
    M. le président. La parole est à M. Maxime Gremetz, pour un rappel au règlement.
    M. Maxime Gremetz. Mon intervention se fonde sur l'article 58, alinéa 2, du règlement.
    Nous avons entendu M. le ministre et M. le rapporteur et, pour que le travail à l'Assemblée nationale ne devienne pas une « punition divine », je demande une suspension de séance. Elle s'impose si nous ne voulons pas être divinement punis après avoir écouté ces discours si complets, voire répétitifs. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Patrick Ollier. Démagogie ! C'est de l'obstruction !
    M. Lionnel Luca. C'est vraiment ridicule !
    M. le président. Monsieur Gremetz, la suspension est de droit et je pense que cinq minutes vous permettront d'apprécier le travail à sa juste valeur.
    M. Maxime Gremetz. Tout à fait ! Je vous remercie, monsieur le président !

Suspension et reprise de la séance

    M. le président. La séance est suspendue.
    (La séance, suspendue à dix-sept heures cinq, est reprise à dix-sept heures vingt.)
    M. le président. La séance est reprise.
    La parole est à M. le président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.
    M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. Madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, après quatre années de baisse quasi continue, le chômage a repris une trajectoire ascendante depuis mai 2001, illustrant ainsi les incertitudes qui pèsent sur la conjoncture.
    Notre rôle, mes chers collègues, est d'anticiper les événements, de mettre les Français à l'abri de l'aléa par un ensemble de mesures jouant sur la protection de l'emploi et l'allègement du coût du travail. Les contrats-jeunes, en juillet, ont été les premiers travaux pratiques pour favoriser l'entrée des jeunes dans l'entreprise.
    Votre projet, monsieur le ministre, sera la clé de voûte d'une politique plus vaste visant à redynamiser la croissance, l'emploi et le dialogue social.
    Le texte que nous avons examiné en commission est équilibré. Il respecte les intérêts des salariés et ceux des entreprises : un effort accru de baisse des charges en échange d'une harmonisation par le haut des SMIC. Il touche aux lois Aubry, qui se sont montrées inefficaces par rapport à leurs propres objectifs et qui pourraient devenir une machine à broyer l'emploi si la croissance marquait durablement le pas.
    La nécessité d'assouplir les 35 heures n'est pas une idée nouvelle. Le gouvernement Jospin avait déjà accordé un régime de faveur à certaines entreprises. La baisse des charges n'est pas non plus une idée nouvelle. Les milliards d'allègements structurels sont pour beaucoup dans les emplois inscrits rapidement à l'actif de la réduction du temps de travail.
    Les lois Aubry, c'est avant tout l'histoire d'une réforme promise à la veille des élections législatives de 1993, à une époque où la gauche n'avait plus rien à perdre. Il était alors prévisible que les Français ne lui accorderaient pas un nouveau mandat pour gouverner.
    En 1997, revenu au pouvoir, le gouvernement de gauche se lance dans l'aventure sans grande conviction. Il s'agit davantage pour lui d'une promesse électorale...
    Mme Hélène Mignon. Et M. de Robien ?
    M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. Le pire n'est pas l'inanité du discours : « Du temps pour soi, une chance pour l'emploi », proclame une affiche du ministère de l'emploi, en 1999. « Redonner, pourquoi pas, le sens de la fête qui nous manque tant dans notre pays », ose la ministre lors d'un colloque des Verts. La perle revient à Alain Lipietz, qui, lors du même colloque, revendique : « Le droit absolu à ne rien faire du tout. » (Rires sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)

    La France, seule parmi les économies occidentales, réduit autoritairement la durée du travail et impose à ses entreprises des contraintes dont nous savions qu'elles seraient redoutables au moindre essoufflement d'activité. Cette approche malthusienne, jacobine du temps de travail, traduit une méconnaissance de l'économie et de la société française. La liberté des comportements individuels et la variété des situations professionnelles auraient dû proscrire toute vision mécaniste de la société. Celle-ci ne fonctionne pas comme une chaudière, dont il suffirait de régler les manettes centrales !
    On peut désormais se faire une vague idée des approximations invraisemblables qui ont présidé à ces décisions préélectorales. Une imprégnation technique et une inefficacité financière records ! Une réforme qui portait en germe la dislocation inexorable du marché du travail et du monde des entreprises !
    M. Hervé Novelli. C'est vrai !
    M. Michel Françaix. Mais maintenant, il n'y aura plus de problème ! On est sauvé !
    M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. Un Etat qui allait avoir le plus grand mal à organiser la mesure pour lui-même et ses agents, mon cher collègue ! Un casse-tête dans de nombreux secteurs, particulièrement pour les petites et moyennes entreprises, la crainte pour les très petites entreprises, de vingt salariés ou moins, d'avoir à mettre la clef sous la porte et de laisser les employés sur le carreau !
    M. Hervé Novelli. Exactement.
    M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. Mais la consigne est de se taire : surtout ne rien dire. La circulaire du 5 janvier 1999 relative aux droits et obligations des agents du ministère dans leurs relations avec les médias rappelle à l'ordre ceux qui l'auraient oublié !
    Mme Hélène Mignon. Mais c'est normal !
    M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. CGT et CFDT protestent (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Peu à peu, les informations s'accumulent dans la presse, confirmant cette censure, cependant que des slogans officiels s'empilent et se succèdent : « Mission accomplie, la bataille pour l'emploi est gagnée ! »
    Pendant ce temps, à Brighton, au congrès du Néo Labour, Tony Blair a le mauvais goût de souhaiter « que la Grande-Bretagne devienne un pays d'initiative et d'ambition où se développent les petites entreprises ». Selon lui, « une société forte ne peut pas être construite sur des choix mous ! Le nouvel Etat providence doit encourager le travail. »
    En France, c'est aussi de gauche que vont monter les plus fortes objections morales et techniques. Pour Denis Olivennes, ancien membre du cabinet de Pierre Bérégovoy, « la réduction du temps de travail n'est pas seulement inefficace en termes de lutte contre le chômage, elle est nuisible sur le plan intellectuel parce qu'elle détourne de la seule question qui vaille : comment lever les obstacles à la productivité, à la croissance et à l'emploi en inventant de nouveaux instruments d'intervention sociale qui n'aient point les effets malthusiens des réglementations actuelles ? ».
    Au moment même où la reprise provoquée par la croissance américaine commence à atteindre la France pour s'épanouir de 1998 à 2000, le Gouvernement dissuade les jeunes de profiter de la croissance pour s'engager dans une profession normale. Il privilégie leur entrée dans son programme « nouveaux services » alors qu'une de nos principales faiblesses est d'avoir en proportion moins d'emplois marchands que nos voisins et un taux dramatique d'éviction des jeunes.
    En faveur de ces emplois-jeunes, le Gouvernement mobilise ses plus beaux esprits pour dénicher les « métiers de demain ». L'un de ces experts, l'un de ces « acteurs de sens » - c'est ainsi qu'on les appelle - prophétise (Sourires) : « Les acteurs de sens seront à l'économie postindustrielle ce que les entrepreneurs puritains furent à l'économie préindustrielle ». (Nouveaux sourires.) Du haut des gras pâturages des ministères et derrière un slogan qui fait fureur, la « recomposition du tissu social », ces beaux esprits préparent l'avenir radieux de nos enfants. Ils pourront devenir demain « agent de sensibilisation au tri sélectif ». De mauvais esprits parleront de « révolution réduite à la sémantique ».
    La perle revient une fois de plus à Alain Lipietz dans un rapport à Martine Aubry intitulé « Du halo sociétal au tiers secteur ». (Rires sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.) Les emplois-jeunes y sont présentés comme « un pas en avant significatif » vers « une société de dévouement fondée sur la pure affection » ! Conformément aux engagements électoraux des Verts et des socialistes, le candidat aux élections présidentielles nous invite à adopter une coûteuse loi-cadre pour combattre « les effets cumulés de la décomposition familiale et du recul de l'Etat ».
    De nouvelles entreprises de l'économie solidaire et sociale seront créées. Elles pourront emprunter les « formes juridiques classiques, sociétés anonymes, SARL ». Elles seront « dispensées de cotisations sociales et d'impôts commerciaux », mais aussi « des normes de la concurrence et des marchés publics ». Pourquoi, me direz-vous ? Parce que leurs employés auront vocation à perdre leur temps ! De ce point de vue, les salariés du privé et les fonctionnaires ne sont pas suffisamment « militants ». Il leur « manque le halo sociétal ». Et Lipietz de le prouver : « Ni le livreur de pizza, ni le jardinier du service public n'ont vocation à s'écarter de leur tâche pour bavarder avec une personne âgée solitaire. » Les salariés de ces nouvelles « unités productives, si ! ». Ainsi, « des dispenses de charges sociales et fiscales, rémunéreront » dans certains restaurants - je cite dans le texte ! - le « halo sociétal auréolant le repas vendu aux clients »...
    M. Dominique Tian. Ça méritait d'être cité !
    M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. Des professionnels, « dits » du « dévouement et de la chaleur humaine » - je cite toujours ! - « se substitueront aux familles qui ne s'occupent de leurs parents âgés que parce qu'ils sont là ou parce qu'on lorgne leur héritage ».
    Un grand bond en avant dans la pensée contemporaine ! Décidément, Tony Blair n'a rien compris au génie français. (Rires sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.) Certes, des milliards d'euros et des centaines de milliers de faux emplois, sans le moindre avantage statutaire,...
    M. Michel Françaix. N'importe quoi !
    M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. ... constituent autant d'atouts électoraux, surtout municipaux, mon cher collègue, pour assurer la survie du pouvoir en place.
    Mme Hélène Mignon. Il ne faut pas exagérer !
    M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. Mais bientôt, les contradictions se creusent entre la prétention morale et révolutionnaire du discours fondateur des « nouveaux services » et les résultats. Le roi se dénude... sous le regard de ses enfants : les emplois-jeunes manifestent dans la rue... Stupeur à gauche ! Ces jeunes seraient-ils mécontents de retisser le lien social ?
    Non seulement le Gouvernement rate l'occasion d'élargir le marché libre du travail et de l'ouvrir aux jeunes, mais voilà qu'il charge la barque avec le « mastodonte » juridique des lois Aubry, consolidant le record français au sein de l'OCDE pour le poids de la réglementation administrative. Résultat : un marché du travail à deux vitesses, malade, toujours plus disloqué et bloqué par un mélange incohérent d'interdits et d'incitations valant à la France le second groupe capitaliste mondial d'intérim. Mais le Gouvernement tient sa riposte : taxer le travail atypique que sa politique produit. Curieuse alliance, surprenante collaboration de classe ! Combien d'intérêts objectifs unissent désormais les intérêts des héritiers de Proudhon aux grandes firmes mondialistes !
    Dans les tiroirs de la rue de Solférino, un dernier projet laisse rêveur : la proposition Besson, dite du « droit au travail au service d'une stratégie de cohésion sociale », fille naturelle de la pensée lipietzienne, ...
    M. Gaëtan Gorce. Au moins, il y a une pensée !
    M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. ... propose de ponctionner la « cagnotte » à hauteur de 8,5 milliards d'euros pour employer 1,5 million de personnes, notamment dans les collectivités locales ou les entreprises d'insertion. Enfin, l'outil miracle !
    On aura rarement vu, mes chers collègues, aussi piètre gestion de l'abondance. Le passage de ce Gouvernement aux affaires restera comme un grand contre-pied historique, le gouvernement prenant toutes ses mesures « phares » à contresens de la reprise mondiale, imposant à l'économie de demain des recettes apprises dans la décennie précédente...
    M. Gaëtan Gorce. C'est un discours partisan !
    M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. ... et ce, pour des sommes astronomiques échappant à la connaissance du Parlement. On peut y voir l'un des aspects les plus évidents d'un certain repli français et d'un refus de la mondialisation entendue au sens d'ignorance du monde.
    M. Maxime Gremetz. Le Premier ministre a dit qu'il ne fallait pas polémiquer !
    M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. Sous le titre « La Grande Illusion », le journal The Economist constate : « En ne parvenant pas à créer des emplois, le modèle dirigiste français a échoué à protéger son peuple de la pauvreté. » Belle épitaphe, pour une action qui laisse la France au treizième rang européen du chômage en plein retour d'une croissance forte, alors que tous ses voisins étaient soumis aux mêmes contraintes.
    Au lendemain du premier tour des présidentielles, Serge July commente dans Libération : « Toutes les enquêtes tendent à montrer que les 35 heures ont beaucoup profité aux cadres et aux professions intermédiaires, et très peu, sinon pas du tout, aux salariés des petites et moyennes entreprises...
    M. Maxime Gremetz. Il n'y connaît rien !
    M. le président. Monsieur Gremetz, vous avez déjà obtenu une suspension de séance ! Je vous en prie, cessez d'interrompre !
    M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. « Les 35 heures n'ont pas profité non plus aux salariés des administrations publiques, illustrant de manière éclatante la fracture sociale qui est de manière entêtante au coeur de cet ouragan politique. »
    Comment réparer les dégâts ? Il faut convenir que personne ne dispose de la solution idéale. Il n'y a pas de potion magique à court terme. Mais que les socialistes se rassurent : les 35 heures, qui ont principalement profité aux cadres, seront maintenues, en dépit des dommages qu'elles ont causés. En revanche, il faut améliorer l'existant, corriger les lois Aubry, au service de l'emploi et de la justice sociale.
    Ces mesures visent à ce que les entreprises ne privilégient pas l'investissement dans les machines, plutôt que dans l'homme et, pour celles qui le peuvent, ne délocalisent ou sous-traitent à l'étranger. Elles préviennent l'asphyxie des PME, les encouragent à ne pas réfléchir à trois fois avant de risquer une embauche.
    La lutte contre le chômage passe par la croissance, qui s'entretient aussi par le travail et par les efforts entrepris pour trouver de nouveaux débouchés à l'intérieur ou à l'extérieur de l'Hexagone. Les heures supplémentaires sont, de ce point de vue, un des ressorts les plus profonds de l'activité économique.
    Ce texte donne également la priorité à la fiche de paie. La possibilité de gagner plus a été brisée par les lois Aubry. Pourquoi avoir combattu cette idée simple : du temps de travail de chacun dépend son revenu et lui seul sait quel niveau il juge suffisant ? Les salariés modestes ont perdu entre un et deux points de pouvoir d'achat pendant trois ans quand les cadres dirigeants voyaient le leur croître. L'essentiel, pour les Français, surtout les plus modestes d'entre eux, c'est l'espoir de vivre mieux demain qu'hier.
    Le Gouvernement va donner enfin la parole aux salariés et aux entrepreneurs pour qu'ils définissent eux-mêmes les contours de l'organisation du travail qu'ils souhaitent, en fonction des contraintes économiques et des aspirations des salariés en termes de pouvoir d'achat.
    La justice sociale milite pour une mesure plus ambitieuse encore : sortir par le haut de la jungle des « multismics ».
    L'ancienne majorité reconnaissait l'absurdité du système, mais avait préféré renvoyer la résolution de cette injustice après les présidentielles en noyant le problème dans un « groupe de travail ».
    Nous voulons sans tarder éponger le tort fait par les lois Aubry à une grande partie des 2 millions de salariés payés au SMIC. Le principe selon lequel un même travail doit se faire à salaire horaire égal sera rétabli rapidement.
    Une société avancée se doit d'être solidaire et comptable d'objectifs à long terme. Le gouvernement Jospin, dans « l'inventaire », avait juste oublié une chose : le seul passage de 40 à 39 heures avait nécessité des années pour que la nouvelle durée légale devienne effective ; des années pour qu'une heure en moins soit digérée par le pays.
    M. Maxime Gremetz. Les patrons ne voulaient pas l'appliquer !
    M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. On parlait tout à l'heure des hôpitaux. Il était irresponsable d'imposer aux forceps « l'usine à gaz Aubry » à notre économie. Mais combien refusent encore cette évidence : l'Etat n'est pas le seul maître de l'emploi et quand on joue les apprentis sorciers, ce sont toujours les plus modestes et les plus jeunes qui paient la facture ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)

Exception d'irrecevabilité

    M. le président. J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une exception d'irrecevabilité, déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.
    La parole est à M. Jean Le Garrec.
    M. Jean Le Garrec. J'ai conscience du rôle que je joue en introduisant ce débat en affirmant mon désaccord total avec ce projet de loi - ce qui ne saurait vous étonner. Je le fais bien entendu au nom de mes convictions, avec l'appui total du groupe socialiste, au nom de mon expérience d'homme d'entreprise, ce qui n'est pas si fréquent, mais aussi en tant qu'élu de la fédération du Nord-Pas-de-Calais. Je le ferai avec simplicité.
    Monsieur le ministre, j'ai été très frappé en entendant les discours du rapporteur et du président de notre commission, discours marqués par un art consommé de la nuance. (Sourires.)
    M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. De la citation plutôt !
    M. Jean Le Garrec. A propos de citation, mon cher président, au lieu de Lipietz, lisez plutôt ce charmant petit pamphlet de Paul Lafargue...
    M. Hervé Novelli. Le gendre de Marx !
    M. Jean Le Garrec. ... qu'est Le droit à la paresse. Si vous ne l'avez pas, je vous en ferai cadeau.
    Ce débat, monsieur le ministre, ne s'achèvera pas le soir du vote. Vous avez la majorité arithmétique et le texte sera adopté. Mais ce sont les mois à venir qui départageront nos positions. (« Chantage » ! sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)

    Non, ce n'est pas un chantage, mes chers collègues, mais un simple constat. Monsieur le ministre, je m'étonne de votre capacité à tordre les chiffres et les réalités. Ce genre de débat est très complexe, et nous aurons l'occasion d'y revenir. A cette tribune, je me contenterai de prendre quelques exemples. Pour commencer, le coût de la ristourne Juppé est de 5,7 milliards d'euros et le coût des abaissements de charges - allégements 35 heures, extension du SMIC, etc. - est de 6,3 milliards d'euros. Allons plus loin, monsieur le ministre. Si l'on se reporte aux statistiques du ministère de l'emploi et de la solidarité, le rapport entre l'effet « emploi » et le coût de l'aide à cet emploi est le suivant : pour un emploi de 35 heures, 75 000 francs ; pour un emploi ristourne Juppé, 200 000 francs ; pour un emploi CIE, 300 000 francs. Ces statistiques sont officielles, je les ai en ma possession et nous y reviendrons. Je ne veux pas abuser des chiffres, mais nous ne laisserons pas tordre la réalité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    Parlant de ce texte, vous avez dit, monsieur le ministre, que c'était une clé de voûte. J'en suis convaincu. Et sur ce point, je suis tout à fait d'accord avec vous : il illustre bien vos intentions. Le rapporteur a fait allusion à la valeur structurelle de l'emploi dans la vie sociale. J'espère que, dans la vie sociale, il y a d'autres valeurs structurelles. En tout cas, l'emploi demeure pour moi un élément essentiel d'insertion sociale. C'est pour cela qu'avec mes convictions je mène depuis longtemps le combat en ce domaine.
    Quelle est la réalité des faits ? Le chômage augmente graduellement depuis près de quarante ans. Rappelons-le, en 1974, il y avait 320 000 demandeurs d'emploi. Pendant ces périodes de hausse du chômage entrecoupées de très courtes accalmies - j'ai été ministre de l'emploi et je sais ce qu'il en a été - les salariés ont subi une pression totale, déstructurante. La situation s'est encore aggravée au cours des derniers mois du fait des dysfonctionnements financiers. La recherche de la « valeur », et non pas du bénéfice, nécessaire au développement des entreprises entraîne des charrettes énormes de licenciements. On a calculé que les dix chefs d'entreprise les mieux payés au monde - ce sont des chiffres que je n'ai même pas en mémoire -, dont celui de mon ancienne entreprise, auraient effectué à eux seuls 900 000 licenciements. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.) Aujourd'hui, de nouvelles vagues de licenciements sont annoncées et c'est dramatique. Et qu'on ne me dise pas que je fais la politique du pire. Je sais trop bien qui paie et depuis longtemps, y compris dans ma région. Cette course inconsidérée à l'effet de taille, la recherche de la « valeur » - 11, 12, 13 % - a détruit complètement le lien social. Au nom de quoi vous autorisez-vous à dire qu'il y a une perte de référence au travail ?
    M. Jean-Marc Ayrault. Très bien !
    M. Jean Le Garrec. Au nom de quoi pouvez-vous dire à ceux qui galèrent qu'ils n'ont plus de courage, qu'ils ont perdu le sens du travail ? C'est insensé, insupportable et indigne de la réalité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

    C'est à partir de toutes ces considérations, monsieur le ministre, qu'avec conviction, mais en ayant probablement commis des erreurs, et je le dirai, nous avons engagé trois réformes fondamentales : les 35 heures comme élément structurant d'accompagnement d'une croissance économique et comme vecteur supplémentaire de création d'emplois ; ...
    M. Hervé Novelli. Quelle erreur !
    M. Jean Le Garrec. Eh bien, je m'en expliquerai !
    ... les emplois-jeunes, comme recherche d'un espace nouveau d'activité ; ...
    M. Hervé Novelli. Deuxième erreur !
    M. Jean Le Garrec. ... la loi de lutte contre les exclusions ...
    M. Robert Lamy. Cela n'a rien à voir !
    M. Jean Le Garrec. ... dont j'ai été le rapporteur et qui était le fruit des travaux d'une commission spéciale réunie pendant un an, grande loi saluée par cette grande dame qu'a été Geneviève de Gaulle-Anthonioz.
    Vous avez déclaré, monsieur le ministre, que nous n'avions pas pris en compte l'augmentation des minima sociaux. C'est faux. Sous les gouvernements Balladur et Juppé, la baisse a été respectivement de 4,5 et 0,3 %. Pendant les cinq ans de gouvernement Jospin, en revanche, l'ASS a augmenté de 15 % et le RMI de 7 %. Ce sont les chiffres de la CNAF et les comptes de la DARES.
    M. Dominique Dord. Le ministre avait parlé du SMIC !
    M. Richard Cazenave. Vous avez tout faux, monsieur Le Garrec !
    M. Jean Le Garrec. Vous êtes pris là aussi en défaut, monsieur le ministre. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.) De tout cela, nous reparlerons.
    M. Dominique Dord. Oh oui !
    M. Jean Le Garrec. Mes chers collègues, Edgar Morin a écrit : « A force de repousser l'essentiel au nom de l'urgence, on oublie l'urgence de l'essentiel. » Eh bien, monsieur le ministre, c'est ce que vous faites. Car vous travaillez dans l'urgence.
    M. Hervé Novelli. Parce qu'il y a urgence !
    M. Jean Le Garrec. En trois mois, vous avez stoppé net quatre ans de débat et de négociation sur un problème fondamental.
    M. Richard Cazenave. Il était temps !
    M. Jean Le Garrec. Vous stoppez net des dizaines de milliers d'accords. Vous stoppez net une mobilisation sans précédent des représentants des salariés. Les chiffres en témoignent, la négociation allait s'amplifiant dans les entreprises : 81 000 signatures d'accords dans les huit premiers mois de l'année 2002, contre 38 000 au cours de la même période en 2001.
    M. Dominique Dord. Qu'est-ce que cela prouve ? Les entreprises n'avaient pas le choix !
    M. Jean Le Garrec. Nul ne s'y est trompé, d'ailleurs. Les commentateurs ont bien compris que vous vouliez casser la dynamique de la RTT.
    M. Richard Cazenave. Parlez plutôt de dynamite !
    M. Jean Le Garrec. Citons quelques titres de journaux pris au hasard : « Requiem pour les 35 heures », « La fin des 35 heures », « M. Fillon invente la loi pour gommer les 35 heures ».
    M. Dominique Dord. Et alors ?
    M. Jean Le Garrec. Rappelons encore que le Premier ministre, dans un élan de sincérité, a déclaré à Strasbourg, le 6 octobre dernier : « Les entreprises vont pouvoir revenir aux 39 heures. » Les choses sont claires !
    Plusieurs députés du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle. Mais oui !
    M. Jean Le Garrec. Ne faisons pas ici semblant de protéger quelque chose que vous remettez en cause.
    M. Dominique Dord. Quand on le dit cela ne vous plaît pas !
    M. Jean Le Garrec. Il en est ainsi par exemple du quota des heures supplémentaires. Rappelons à cet égard ce qu'a déclaré avec son cynisme habituel M. le baron Seillière : « A partir du moment où on aura autorisé les entreprises à mettre en place les heures supplémentaires à hauteur de 180 heures » - par parenthèse, il souhaitait 200 heures - « on ne reviendra pas là-dessus. Ayant dit cela, je laisse aux politiques le soin de trouver toutes les formules. »
    Voilà, les choses sont claires : c'est du provisoire qui durera, et aux politiques de se débrouiller pour jouer le plus subtilement possible. Et vous avez du talent, monsieur le ministre...
    M. Dominique Dord. C'est bien de le reconnaître !
    M. Jean Proriol. C'est la première vérité !
    M. Jean Le Garrec. Au moins, si c'est la première vérité, savourez-la !
    Arrêt des 35 heures, augmentation des heures supplémentaires à un coût marginal, diminution du nombre de CES : voilà pour vos premières mesures. Mais, puisque vous affirmez vouloir placer l'emploi au centre de vos préoccupations, que va-t-il advenir du programme TRACE, du plan emploi-jeunes ?
    M. Hervé Novelli. Vu le résultat !
    M. Jean Le Garrec. Nous reprendrons tous les chiffres lors du budget de votre ministère puisque vous prétendez que tout cela est faux. Voyez : je vous laisse un peu de temps, mais sachez que nous serons extrêmement attentifs à tous ces problèmes. La fin des 35 heures, la diminution des charges sans contrepartie et la dégradation de la situation économique - et je n'en tire aucun plaisir, croyez-le bien, au contraire - ne laissent de nous préoccuper. Le Premier ministre semble pourtant avoir trouvé la solution puisqu'il a fait observer de manière assez étonnante qu'en 2010 l'inversion des flux démographiques réduirait le problème du chômage.
    M. Hervé Novelli. C'est vrai !
    M. Jean Le Garrec. C'est là, bien évidemment, une vision malthusienne et mécaniste totalement erronée. De plus, 2010, c'est vraiment très loin.
    M. René Couanau. Qu'avait dit Mitterrand ?
    M. Jean Le Garrec. Voilà les quelques remarques que je souhaitais faire en préambule.
    Je commencerai mon propos en faisant référence à notre histoire sociale, non par archaïsme, ce qui n'est pas tout à fait mon style,...
    M. René Couanau. Quoique !
    M. Jean Le Garrec. ... mais tout simplement parce que je sais que, si l'histoire ne se répète pas, elle balbutie souvent. Et les mêmes erreurs sont commises. Or il est bien évident que la réduction du temps de travail est au centre de toute notre histoire sociale depuis un siècle et demi. Pour préparer ce débat, j'ai consulté à nouveau un certain nombre d'ouvrages, et notamment ceux de la grande philosophe Simone Weil. Dans son Journal d'usine, elle a mis en exergue une phrase d'Homère : « Bien malgré toi, sous l'empire d'une dure nécessité. » C'est une très belle phrase.
    M. René Couanau. Oui !
    M. Jean Le Garrec. Simone Weil rend compte de ce premier mouvement d'ouverture, de déclenchement de la mécanique sociale vers la réduction du temps de travail. Alors qu'elle a eu le courage d'entrer à l'usine, elle dit d'une manière admirable : ...
    M. Dominique Dord. M. Le Garrec va nous faire pleurer !
    M. Jean Le Garrec. ... « On a un peu desserré l'étau de la contrainte sociale, on respire un peu mieux. »
    M. Hervé Novelli. C'est du Zola !
    M. Jean Le Garrec. C'est aussi cela qui nous fait agir aujourd'hui. Non pas pour vous faire pleurer, monsieur Dord, mais parce que cette histoire sociale est nôtre, elle est constitutive de notre République. Mais à l'occasion de chaque conquête difficile, de chaque avancée arrachée, nous avons eu droit aux mêmes arguments. « Vous remettez en cause la liberté de l'entreprise ! » « Cela ne répond pas à la nécessité économique ! » « C'est impossible à mettre en oeuvre ! » entend-on toujours répéter. Et c'est en cela que l'Histoire n'est qu'un éternel recommencement. A chaque fois, et je n'égrènerai pas ici toutes ces dates - il y en a vingt et vous les trouverez, monsieur le ministre, dans le rapport que j'ai rédigé pour la première loi Aubry dont je vous fais cadeau -, c'est le même discours alors qu'il est bien évident aujourd'hui que l'accélération de la mutation du capitalisme, l'évolution des processus de production - c'est mon métier - ou l'évolution des services rendent nécessaire d'équilibrer le rapport de force qui pèse sur les travailleurs, sur l'intensification du travail, sur l'aggravation des conditions de travail par une diminution du temps de travail. C'est une nécessité historique incontournable.
    M. Hervé Novelli. Nous ne sommes plus au xixe !
    M. Jean Le Garrec. C'est encore plus vrai aujourd'hui que cela ne l'a été hier !
    M. Dominique Dord. Ils vous ont répondu, les travailleurs, monsieur Le Garrec !
    M. Francis Delattre. Vous défendez les « bobos », monsieur Le Garrec !
    M. le président. Monsieur Delattre !
    M. Francis Delattre. M. Le Garrec ne sait pas ce que c'est qu'un travailleur ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    Mme Martine David. Vous êtes vraiment très mal placé pour tenir un tel propos, monsieur Delattre !
    M. le président. Monsieur Delattre, n'interrompez pas M. Le Garrec !
    M. Jean Le Garrec. Je vous raconterai un peu ce qu'a été ma vie professionnelle, monsieur Delattre, cela vous évitera de dire des bêtises.
    M. Francis Delattre. Vous êtes largement en avance sur ce point !
    M. Jean Le Garrec. Je suis à votre disposition, monsieur Delattre.
    M. Dominique Dord. Un duel !
    M. Jean Le Garrec. Non, cela n'en vaut certainement pas la peine !
    A chaque fois, donc, ce sont les mêmes mots, les mêmes expressions qui reviennent. Et pour informer ceux qui ne connaîtraient pas cette histoire...
    M. Francis Delattre. On est allé au catéchisme !
    M. Jean Le Garrec. ... j'évoquerai très rapidement le débat qui avait eu lieu sur le temps de travail des enfants que M. le ministre a considéré comme un retour archaïque à la réalité.
    M. Francis Delattre. Il n'a pas dit ça !
    M. Jean Le Garrec. Il s'agissait de fixer à moins de huit heures par jour la durée du travail pour les moins de dix ans.
    M. Dominique Dord. Revoilà Zola !
    M. Hervé Novelli. C'était il y a deux siècles ! Réveillez-vous, monsieur Le Garrec !
    M. Jean Le Garrec. J'ai toujours en mémoire deux phrases extraordinaires. Celle de M. Grandin, filateur à Elbeuf : « Il n'y a rien de plus vexatoire pour des honnêtes fabricants occupés à remplir une tâche pénible que de se voir à chaque instant sous le joug d'une inspection qui peut avoir le plus grand danger. » N'est-ce pas splendide ? N'est-ce pas merveilleux ? Et celle de Thémistocle Lestiboudois, qui s'indignait quant à lui : « Nous ne voulons pas que les enfants vivent jusqu'à dix ans sans avoir contracté l'habitude salutaire du travail. » Tout est dit dans ces deux phrases.
    M. Hervé Novelli. C'était il y a deux siècles !
    M. Jean Le Garrec. Mais, bien sûr, avant d'être voté, le texte a été modifié par des amendements - il fallait être plus policé - : de douze à seize ans, les enfants pourront travailler jusqu'à treize heures, et douze heures jusqu'à douze ans. Mais en 1868 on s'aperçut que la loi n'était pas appliquée...
    M. Dominique Dord. Et demain ?
    M. Jean Le Garrec. Dans ma vie de syndicaliste, j'ai eu à rencontrer, dans les années 80, d'anciens salariés de l'usine de verrerie de Magnières qui avaient été virés, et qui me disaient : quand on apprenait que l'usine allait faire l'objet d'une inspection, on nous cachait car, vu notre âge, nous n'avions pas le droit de travailler.
    Bien entendu, nous n'en sommes plus là. Nombre de combats ont été menés depuis. Le problème s'est déplacé aujourd'hui des pays très développés vers les pays en voie de développement. Et il donne lieu à des batailles européennes. Il est au centre de bien des discussions au cours desquelles nous entendons toujours les mêmes mots : liberté d'entreprendre, rôle excessif des organes de contrôle du travail. M. Seillière réclame même le droit d'ingérence.
    M. Hervé Novelli. C'est une obsession !
    M. Dominique Dord. M. Le Garrec fait une fixation sur M. Seillière !
    M. Jean Le Garrec. Non ! C'est simplement que les déclarations du patron du MEDEF sont forcément intéressantes.
    M. Francis Delattre. C'est un partenaire social !
    M. Jean Le Garrec. Et l'inspirateur du MEDEF, M. Kessler...
    M. Francis Delattre. Il est plutôt de gauche !
    M. Jean Le Garrec. ... a fait une remarque très juste à propos du coût du travail. Il a déclaré en effet qu'il faudrait que l'entreprise ne verse qu'un salaire correspondant au prix du marché, à charge pour la solidarité nationale d'assurer le complément d'existence.
    Tout compte fait, M. Kessler exprime tout haut une tentation que, quelque part, certains ne manquent pas de ressentir. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle). On devine ce que serait le rôle régulateur du marché dans une situation de crise de l'emploi, où joueraient des rapports de force totalement déséquilibrés entre l'offre et la demande.
    M. René Couanau. Ce n'est pas sérieux ! On ne vous reconnaît pas, monsieur Le Garrec !
    M. Richard Cazenave. Allons ! Pas vous, pas ça, monsieur Le Garrec !
    M. Hervé Novelli. C'est une caricature !
    M. Francis Delattre. M. Mauroy nous avait fait le même numéro il y a quinze ans, mais avec davantage de talent !
    M. Jean Le Garrec. J'en ai terminé avec ces petites références historiques. Reprenons rapidement, mais au fond, les intentions des lois Aubry 1 et Aubry 2. Nous avions deux objectifs...
    M. Richard Cazenave. Deux ? Dites plûtot cinquante ! En tout cas, nous voilà bien loin du texte du ministre !
    M. René Couanau. On ne vous reconnaît pas, monsieur Le Garrec !
    M. Jean Le Garrec. Je veux rendre au passage hommage au grand talent et au courage de Mme Aubry. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Jean Proriol. Les électeurs n'en ont pas fait autant !
    M. Jean Le Garrec. Nous avions deux objectifs : tenir compte des nécessités auxquelles étaient soumises les entreprises, mais aussi de l'évolution du rapport au travail, car nous sortons du fordisme et du taylorisme.
    M. Richard Cazenave. Il y a un siècle !
    M. Hervé Novelli. Ça date !
    M. Jean Le Garrec. Le développement de la bureautique et de l'informatique industrielle implique un effort énorme de la part des salariés, source de fatigue nerveuse...
    M. Hervé Novelli. Et vous-même !
    M. Jean Le Garrec. ... de stress, de nouvelles maladies professionnelles. Il devenait indispensable de dégager des plages d'intervention et de repos. C'est l'intérêt vital des salariés, c'est un problème qui relève de l'ordre public social. Encore faut-il pour cela développer la négociation, donner davantage de force aux syndicats, réguler les rapports avec la sous-traitance et lutter contre la précarité. Tel était notre premier objectif.
    M. Dominique Dord. C'est raté !
    M. Richard Cazenave. Sur toute la ligne !
    M. Jean Le Garrec. Deuxième objectif : utiliser la réduction du temps de travail comme un des instruments de lutte contre le chômage et de développement de l'emploi. Ce deuxième point qui relève de l'ordre public social. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Richard Cazenave. Encore plus raté ! Deuxième fiasco !
    M. Hervé Novelli. Raté de raté !
    M. Francis Delattre. Slogan électoral !
    M. Jean Le Garrec. Pour ce faire, nous nous sommes appuyés sur des études...
    M. Richard Cazenave. Ah ! les études !
    M. Jean Le Garrec. ... sur des références, sur la mobilisation d'experts et sur deux textes fondamentaux.
    M. Francis Delattre. Et des tables rondes !
    M. Jean Le Garrec. Ecoutez-moi bien. Qu'a-t-il été dit dans l'accord interprofessionnel du 31 octobre 1995, signé entre le CNPF et l'ensemble des organisations syndicales, et dans la loi défendue par M. de Robien sur la réduction du temps de travail ?
    Dans l'accord interprofessionnel de 1995 : « Il incombe aux partenaires sociaux de rechercher à tous les niveaux et dans tous les domaines qui dépendent de leur compétence les voies et les moyens susceptibles d'accroître la compétitivité des entreprises de façon à renforcer la croissance, mais également de développer le contenu en emplois de cette croissance. »
    M. Charles Cova. Si c'était si bien, pourquoi ne vous a-t-on pas réélus ?
    M. Jean Le Garrec. Ainsi, la réduction du temps de travail constitue un élément de lutte contre le chômage lorsque les nouvelles formes d'aménagement du temps de travail permettent des adaptations sur l'organisation des entreprises et le maintien ou la création d'emplois par la réduction des horaires. Il convient donc d'encourager le développement par la négociation collective.
    M. Hervé Morin. Eh oui !
    M. Jean Le Garrec. Cet accord de 1995, formidable, avait été signé par l'ensemble des organisations syndicales...
    M. Hervé Morin. Tout à fait !
    M. Jean Le Garrec. ... et par le CNPF.
    M. Dominique Dord. Le CNPF ? Quelle horreur !
    M. Jean Le Garrec. J'avais moi-même, à l'époque, considéré dans une déclaration qu'il s'agissait d'un accord historique... à ceci près qu'il ne s'est plus rien passé ensuite.
    M. Hervé Morin. Ce n'est pas tout à fait vrai !
    M. Jean Le Garrec. Rien !
    M. Hervé Morin. Pas tout à fait !
    Mme Muguette Jacquaint. Si, il s'est passé quelque chose !
    M. Hervé Morin. Ah !
    M. Jean Le Garrec. Quasiment rien, mis à part quelques accords de branche. J'ai vérifié auprès des organisations syndicales.
    Tellement rien que M. de Robien a engagé une réflexion sur ce sujet et déposé un texte posant explicitement la réduction du temps de travail comme un élément déterminant d'une politique de l'emploi.
    M. Dominique Dord. Mais facultatif !
    M. Richard Cazenave. Incitatif !
    M. Dominique Dord. Et cela change tout !
    M. Jean Le Garrec. Je ne peux que citer M. de Robien, membre de ce gouvernement : « En 1979 déjà, la commission d'enquête sur les problèmes de l'emploi et du chômage, présidée par M. André Rossinot et dont le rapporteur était M. Philippe Séguin, avait estimé que, pour des raisons sociales et psychologiques, la France devait et pouvait prendre des initiatives en ce domaine. Cette commission constatait que "l'idée d'une nouvelle organisation du travail correspondait à des aspirations individuelles très profondes - soulager la pénibilité du travail - et semble, en même temps, en première analyse, constituer une des réponses au problème de l'emploi en favorisant le partage du travail dont il apparaît désormais, et de manière irréversible, que son offre sera limitée. » Autrement dit, que cette nouvelle organisation était indispensable. Et cette commission de conclure qu'« il appartenait à l'Etat de prendre des initiatives en encourageant la négociation, en jouant un rôle d'arbitre et en substituant la législation et la réglementation à des négociations défaillantes ».
    Voilà la situation dans laquelle nous nous trouvions. Le Président Chirac avait du reste salué cette initiative en visitant l'entreprise Brioches Pasquier qui avait créé 220 nouveaux emplois en réduisant et en aménageant le temps de travail. Nous y voilà !
    M. Richard Cazenave. Cela n'a rien à voir avec votre loi !
    M. Jean Le Garrec. Le seul problème de la loi de M. de Robien, c'est qu'il aurait fallu trente ans pour qu'elle aboutisse au résultat que nous avons obtenu en quatre ans.
    M. Francis Delattre. En fait, vous êtes les enfants de Robien !
    M. Jean Le Garrec. Voilà la raison qui nous avait conduits à accélérer cette évolution régulière, constante, permanente depuis 1945, arrêtée depuis la fin de 1981 et qu'il nous fallait relancer.
    M. Dominique Dord. Et les Français vous ont remerciés !
    M. Jean Le Garrec. Rappelons au passage, pour couper court à cette erreur fondamentale selon laquelle il n'y aurait pas eu de négociation...
    M. Dominique Dord. Si vous le dites !
    M. Jean Le Garrec. ... que la loi Aubry 1 a donné lieu à la formidable négociation jamais engagée. Mouvement historique : non seulement 100 000 représentants des salariés y ont participé, mais elle aura souvent donné lieu à six mois ou plus de travaux, parfois même à référendum, sans oublier la difficulté que suppose le regard sur le fonctionnement des entreprises, la participation à l'organisation du travail des salariés, ni l'extrême rigueur, le sens de la responsabilité des organisations, la solidarité collective qu'exigeait pareil exercice pour les salariés, conduits à aider à créer de l'emploi et à apporter des réponses à des chômeurs, des gens proches d'eux, qu'ils connaissaient. C'est donc à travers ce premier texte, incitatif, non obligatoire, que nous avons modélisé et construit la deuxième loi Aubry.
    M. Dominique Dord. Il y a eu un bug !
    M. Jean Le Garrec. N'allez donc pas dire que la loi Aubry I serait sortie tout droit de quelques imaginations enfiévrées. C'est un modèle social et économique sans précédent !
    M. Francis Delattre. Qui a échoué !
    M. Hervé Novelli. Sans précédent, ça c'est vrai !
    M. René Couanau. Le problème, c'est qu'il a échoué !
    M. Jean Le Garrec. On y reviendra !
    M. René Couanau. Ça n'a pas marché !
    M. Jean Le Garrec. C'est donc, je le répète, à partir de ce dépouillement que nous avons modélisé les textes suivants. Ce qui n'a du reste pas été sans créer des points de désaccord entre nous : je me souviens des débats que j'ai eus avec M. Gremetz. « Attention, disait-il : la loi de Robien créait une incitation, une obligation de création de 10 % d'emplois. La loi Aubry crée une incitation, assortie d'une obligation de création de 6 % d'emplois. Or vous n'inscrivez pas cette obligation dans la loi.»
    M. Dominique Dord. Exact ! Il avait raison, Gremetz !
    M. Jean Le Garrec. Il m'arrive parfois de me demander si M. Gremetz, sur ce point-là, n'avait pas quelque peu raison ! Il faut dire que nous étions convaincus que, le chômage étant au centre des préoccupations, la raison l'emporterait et que la dynamique de l'entreprise pourrait apporter cette réponse.
    Mme Muguette Jacquaint. Mais oui !
    M. Dominique Dord. Et nous étions d'accord !
    M. René Couanau. Ah ! Si Gremetz avait été au Gouvernement, nous aurions gagné trois ans.
    M. Jean Le Garrec. Monsieur le ministre, vous écrivez dans votre texte que l'absence d'un dialogue social riche et constructif est le problème numéro un de notre société : c'est le deuxième point sur lequel je serais d'accord avec vous.
    Les récentes élections, avez-vous dit en faisaient référence au premier tour des présidentielles, ont révélé l'état de doute et de crispation de notre société. Là encore, je suis d'accord. Mais si cela vaut pour le candidat que je défendais, c'est tout aussi vrai pour le vôtre, Jacques Chirac, qui, dans toute l'histoire de la République, aura réalisé le score le plus faible jamais obtenu par un candidat élu !
    M. Charles Cova. Mais il a été élu, lui !
    M. Dominique Dord. Et le vôtre était derrière !
    M. Francis Delattre. Même de Robien l'aurait battu !
    M. Jean Le Garrec. Je ne fais, mes chers collègues, qu'expliciter ce que dit M. Fillon dans son exposé des motifs. C'est lui qui fait ces déclarations et je suis du reste d'accord avec lui. Simplement, par souci de précision, j'explicite, au besoin nominativement, ce que signifie cette crispation sociale et ce qu'a révélé le premier tour des élections. Pourquoi en êtes-vous choqués ?
    M. Dominique Dord. Revenons au sujet !
    M. Jean Le Garrec. J'ai tout de même bonne grâce à en parler : après tout, les premières victimes de cette situation, c'est bien nous !
    M. Hervé Novelli et M. Francis Delattre. Absolument !
    M. Jean Le Garrec. Je dirais même mieux : avec l'effort que nous avons fait, et qui n'a pas été facile pour nous, en appelant à voter pour le candidat Jacques Chirac au second tour, vous devriez nous reconnaître quelque mérite.
    Mme Marylise Lebranchu. Très bien !
    Mme Muguette Jacquaint. Tout à fait !
    M. René Couanau. Et vous, quelques-unes de vos erreurs !
    M. Jean Le Garrec. Trouverez-vous un autre exemple d'une négociation sociale qui se soit engagée sur des centaines de milliers d'accords et qui ait mis en oeuvre autant de représentants des salariés, directement ou par mandataires interposés ? Connaissez-vous une autre négociation sociale, monsieur le ministre, à laquelle aient participé toutes les organisations syndicales, quand bien même certaines s'y sont mises avec un peu de retard ?
    On n'en connaît pas de précédent. Pour ce qui me concerne, j'avais parié que le mouvement que nous engagions était un élément clé de l'indispensable remobilisation sociale et syndicale de notre société.
Je viens de retrouver quelques chiffres, plus exacts, qui le prouvent.
    M. Charles Cova. Est-ce à dire que les autres étaient faux ?
    M. Jean Le Garrec. Sur les huit premiers mois de l'année 2001, 31 719 accords concernant des petites entreprises ont été négociés et conclus.
    M. Dominique Dord. Avec quelle possibilité de choix ? Il n'y a pas de quoi en être fier !
    M. Jean Le Garrec. Sur les huit premiers mois de l'année 2002, 87 839 accords ont été négociés. La courbe prenait une forme ascendante.
    M. Charles Cova et M. Hervé Novelli. Evidemment, les entreprises y étaient obligées !
    M. Richard Cazenave et M. Dominique Tian. Par la loi !
    M. Jean Le Garrec. Obligées ? Voyons, mes chers collèges ! On ne peut obliger quelqu'un à négocier s'il ne veut pas à le faire !
    Cela prouve qu'une dynamique était en train de se créer, une dynamique que vous êtes en train de casser...
    M. Hervé Novelli. Une dynamite, oui !
    M. Richard Cazenave. C'est ahurissant !
    M. Jean Le Garrec. Je reprends l'expression que j'ai utilisée tout à l'heure : requiem pour les 35 heures : abaissement des charges sans contrepartie, augmentation du quota d'heures supplémentaires - nous connaîtrons un jour les termes exacts du décret -, réduction du coût des heures supplémentaires, limitation de l'obligation de compensation par le repos, etc.
    J'insisterai sur trois points, ceux-là mêmes que nous reprendrons dans toutes nos interventions, en particulier dans celle de M. Gaëtan Gorce : le SMIC, la durée annuelle, et le compte épargne-temps.
    Concernant le SMIC, monsieur le ministre, vous mettez en oeuvre ce qui était prévu par la loi ; rien à dire à cela. En revanche, et c'est un point fondamental, vous remettez en cause l'indexation d'une partie du SMIC en supprimant toute référence à l'inflation, ou plus exactement tout lien avec l'évolution du salaire horaire de base ouvrier, le S.H.B.O. C'est là un point capital. Evidemment, vous affirmez que tout cela est provisoire et je veux bien croire que vous en êtes convaincu. Mais quand bien même vous promettez que ces mesures prendront fin en 2005, les déclarations du patronat me font craindre qu'elles ne perdurent... Et si le système que vous mettez en place pendant trois ans est susceptible de donner un coup de pouce aux salaires, le risque n'est pas mince de voir, au-delà de 2005, cette référence supprimée, ce qui reviendrait à reprendre d'une main ce que l'on aura donné de l'autre.
    Deuxième point : la durée annuelle du travail. Jusqu'à présent, on ne devait pas dépasser trente-cinq heures en moyenne par semaine travaillée ni mille six cents heures sur l'année. Le projet de loi supprime la référence aux trente-cinq heures en moyenne par semaine, ce qui n'est pas sans conséquences sur le régime des heures supplémentaires. A quel moment seront-elles calculées ? Comment ? Sous quelle forme ? Par référence à la durée annuelle ? En fin d'année ? Voilà un problème extrêmement préoccupant. Votre texte à l'évidence est plein de chausse-trappes et de risques potentiels pour l'ensemble des salariés.
    Troisième et dernier point, sur le compte épargne-temps. Vous prévoyez des modalités de valorisation en temps ou en argent. D'où, là encore, une inquiétude, dans la mesure où valoriser son compte épargne-temps en argent n'a pas la même signification, convenez-en, que l'utiliser sous forme de jours de congé. Les valeurs ne sont pas les mêmes selon que l'on décompte en jours - valeur constante - ou en argent.
    Voilà, monsieur le ministre, les quelques remarques que je voulais faire sur votre texte : outre le fait qu'il marque un coup d'arrêt au processus engagé, il est lourd de risques potentiels pour le régime des heures supplémentaires, le SMIC, le compte épargne-temps, et se traduira par une aggravation de l'annualisation. En définitive, vous l'avez dit de façon nuancée dans votre intervention, mais le rapport de M. le rapporteur et l'intervention du président l'étaient nettement moins, vous avez probablement fait votre credo de l'abaissement du coût du travail.
    Et d'ailleurs, M. le Premier ministre, dans son premier discours devant le Parlement, s'est appuyé sur une étude de l'INSEE - que je connais - qui a été extrêmement critiquée et même considérée comme erronée par un administrateur de l'INSEE, un membre de l'OFCE et le Centre d'études prospectives et d'informations internationales, CEPII, spécialisé dans ce genre de problèmes.
    Autant je considère - et c'est la raison qui nous a fait maintenir la ristourne Juppé - que le coût du travail est un des éléments du problème de l'emploi, autant je suis en désaccord avec bien des économistes, y compris de gauche, qui en font l'élément central de leur analyse. Il y a dans la compétitivité des entreprises bien d'autres facteurs : l'efficacité du salarié, sa disponibilité et sa compétence, l'environnement des entreprises. A ce sujet, des études extrêmement précises ont été réalisées : celle d'Eurostat, par exemple, montre que si l'on mesure la production par heure travaillée et par personne employée, la France occupe la position la meilleure dans les dernières années...
    M. Gaëtan Gorce. Absolument !
    M. Jean Le Garrec. ... 109,1 % par heure travaillée, 108,1 % par personne employée. C'est l'Allemagne, avec 106, et l'Italie qui sont les plus proches de la France, l'Espagne s'éloigne et le Royaume-Uni est loin derrière. C'est donc une erreur monumentale que de considérer que le seul élément de l'attractivité et de l'efficacité d'une entreprise est le coût du travail !
    M. Richard Cazenave. C'est un élément...
    M. Hervé Novelli. ... parmi d'autres !
    M. François Grosdidier. Personne n'a dit que c'était le seul !
    M. Jean Le Garrec. D'autres facteurs, extrêmement importants, jouent de plus en plus.
    J'évoquerai à cet égard le rôle de Toyota implanté dans le Nord et prendrai pour référence une étude récente de l'APIM, l'agence pour la promotion internationale de la métropole lilloise, qui démontre que, dans un rayon de quatre-vingts kilomètres autour de Lille, une centaine d'entreprises anglaises se sont installées créant 80 000 emplois. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle), 23 000 emplois, pardon, mais ce n'est déjà pas si mal ! Je fais mienne cette analyse, parfois même en contradiction avec mes propres amis.
    Pour conclure sur ce point, je ferai litière de cette belle formule de communication du Premier ministre, que vous n'avez pas reprise : « Travailler plus pour ceux qui le voudront, pour gagner plus. » (Sourires et applaudissements sur les plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.) Je n'ai jamais vu un salarié prendre seul la décision de travailler plus !
    M. François Grosdidier. Il faut venir visiter nos entreprises !
    M. Francis Delattre. Quel mépris !
    M. Jean Le Garrec. C'est l'entreprise qui décide de cette politique...
    M. François Grosdidier. Quelle méconnaissance de l'entreprise !
    M. Francis Delattre. Ça fait bien longtemps que vous n'êtes pas venu dans une entreprise !
    M. François Grosdidier. Il faut sortir des salons...
    M. Hervé Novelli. De la gauche caviar !
    M. Jean Le Garrec. Nous mesurerons cela dans les mois à venir, avec l'éventualité d'un gain de pouvoir d'achat de 1 % pour les salariés des entreprises de moins de vingt salariés et de 2,5 % pour les autres.
    M. Richard Cazenave. Cela fait vingt ans que vous n'avez pas mis les pieds dans une entreprise !
    M. Hervé Novelli. Interrogez-les donc !
    M. Jean Le Garrec. J'ajoute... (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle) qu'en faisant cela, vous créez, monsieur le ministre, une formidable inégalité entre les presque 9 millions de salariés qui sont aux 35 heures et ceux qui n'y passeront probablement jamais, tout au moins avec vous !
    Les fédérations, d'ailleurs, s'inquiètent de cette situation.
    M. François Grosdidier. Il y a des ouvriers qui ne peuvent plus payer leur maison avec cette plaisanterie des 35 heures !
    M. Jean Le Garrec. La CAPEB dit elle-même qu'elle aura beaucoup de mal à recruter des salariés.
    Cette distorsion, qui fonde la présente motion d'irrecevabilité, aura de graves conséquences, même si, comme vous, je pense que dans les grandes entreprises ayant signé des accords sur les 35 heures, il y a peu de risques de les voir remis en cause. Ce ne sera probablement pas la même chose dans les petites entreprises sous-traitantes qui travaillent avec les grands groupes et sur lesquelles sont renvoyés tous les problèmes de ceux-ci. (« Bravo ! » sur les bancs du groupe socialiste.)
    Telles sont, monsieur le ministre, les remarques que je voulais faire. Et je terminerai sur un bilan de notre action...
    M. Francis Delattre. Rencontrez donc les électeurs !
    M. Jean Le Garrec. ... que je m'efforcerai de faire le plus honnêtement possible.
    M. Hervé Novelli. C'est à cause de vous qu'on en est arrivé là !
    M. François Grosdidier. Vingt ans d'erreur !
    M. Francis Delattre. Perseverare diabolicum !
    M. Jean Le Garrec. Car il serait absurde, et je réponds ainsi à M. Morin qui m'interpellait, de nier les difficultés que rencontre la réduction du temps de travail.
    Bien entendu, c'est une réussite. Ne chicanons pas sur les chiffres. Je considère, pour ma part, que nous sommes très proches de l'estimation que j'avais donnée au moment du débat, à savoir des 400 000 emplois promis. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Richard Cazenave. Et combien d'emplois délocalisés ?
    M. Jean Le Garrec. Et si nous prenons en compte les emplois induits, les emplois annexes, les emplois de service,...
    M. François Grosdidier. Faut pas rêver !
    M. Jean Le Garrec. ... non mesurables, nous sommes probablement au-delà.
    M. Hervé Novelli. C'est sans doute pourquoi le chômage augmente !
    M. Jean Le Garrec. Si ces emplois consécutifs aux 35 heures, auxquels j'ajoute les emplois-jeunes, ...
    M. Jean-Michel Fourgous. Vous osez encore parler de 400 000 emplois !
    M. François Grosdidier. La semaine prochaine, ils seront 600 000 !
    M. Jean Le Garrec. ... n'avaient pas été créés, le nombre de chômeurs aurait augmenté d'autant, et le bilan du gouvernement Jospin ne serait pas 965 000 chômeurs en moins, mais probablement 300 000 à 400 000 de plus !
    M. Jean-Jack Queyranne. Bien sûr !
    M. Jean Le Garrec. C'est une réalité incontournable. Les chiffres sont extrêmement clairs.
    M. François Grosdidier. C'est la croissance qui crée l'emploi !
    M. Hervé Novelli. Alors, pourquoi avez-vous été battus ?
    M.  le président. Mes chers collègues, laissez M. Le Garrec reprendre son souffle et continuer son discours.
    Monsieur Le Garrec, vous avez la parole.
    M. Jean Le Garrec. Merci monsieur le président, mais vous savez que les interruptions de mes collègues ne me troublent guère.
    M. le président. Cela vous aura permis de vous désaltérer ! (Sourires.)
    M. Jean Le Garrec. En effet !
    Telle est la réalité. Tels sont les résultats de ce que nous avons fait. Et alors qu'on parle de charrettes de licenciements, j'attends toujours qu'on me désigne l'entreprise qui aurait subi des difficultés du seul effet des 35 heures !
    M. François Grosdidier. Venez donc en Moselle : dans la mécanique de précision, c'est une catastrophe !
    M. Jean Le Garrec. Dans les statistiques que votre ministère m'a remises monsieur le ministre, il y en a aussi d'extrêmement intéressantes sur l'emploi-conseil.
    Je connais bien les petites et moyennes entreprises, et je savais - nous savions tous et nous l'avons dit souvent - que la réduction du temps de travail, surtout dans les petites entreprises, serait difficile. Un petit chef d'entreprise, maître Jacques, qui organise la production, commercialise, traite - durement - avec les sous-traitants et les entreprises mères, oublie parfois de regarder sa propre entreprise. La négociation et le fait d'avoir à chercher, grâce à un financement public, un accord l'ont contraint à se pencher sur son fonctionnement, ce qui aura été, je crois, extrêmement utile.
    Les entreprises elles-mêmes, et souvent elles le reconnaissent, par la mobilisation de leurs salariés et le regard porté sur leur fonctionnement, ont contribué à créer une utile dynamique de développement. Et ne prétendez pas que je ne m'y connais pas, ce fut pendant très longtemps mon métier !
    Plusieurs députés du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle. Il y a vingt ans !
    M. René Couanau. Vous auriez dû le reprendre !
    M. Jean Le Garrec. Je le répète, j'ai, nous avons conscience des difficultés. Selon la nature de l'accord, la manière dont il a été négocié, la rigidité d'un certain patronat, les résultats diffèrent. Dans certaines entreprises, on a voulu compenser par la productivité ce qui avait été donné par la réduction du temps de travail.
    M. Daniel Garrigue. Heureusement !
    M. Jean Le Garrec. Et nous avons bien conscience aussi que même si le SMIC a continué à augmenter, dans l'accord donnant-donnant, l'équilibre n'était pas totalement garanti. L'effort demandé aux salariés - je pense entre autres à la modération salariale - ne pouvait être prolongé au-delà de ces dernières années. Dans nombre d'entreprises, les salariés ont payé un lourd tribut à l'effort de solidarité pour lutter contre le chômage. Si j'en doutais, il me suffirait de me reporter au remarquable travail de Stéphane Beaud et de Michel Pialoux, qui rend compte de dix ans d'enquête à Peugeot Sochaux-Montbéliard et qui s'intitule : Retour sur la condition ouvrière. Il montre bien une réalité qui n'est pas liée aux 35 heures.
    M. René Couanau et M. François Grosdidier. Bien sûr que si !
    M. Francis Delattre. Aux nationalisations également !
    M. Jean Le Garrec. L'enquête porte sur dix ans, c'est une réalité bien antérieure que cette étude décrit bien : des jeunes en rupture avec le monde du travail, la diminution - c'est un grave problème - du rôle des OP qui étaient le fer de lance du mouvement ouvrier, et la disparition parfois d'une certaine identité.
    C'est une enquête déchirante. Je l'ai étudié attentivement. Elle incite, mes chers collègues, à beaucoup de modestie quand on évoque ces problème.
    M. Dominique Tian. C'étaient les années Mitterrand !
    M. Jean Le Garrec. Voilà qui nous conduit à faire de nouvelles propositions. (« Ah ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. François Grosdidier. L'appropriation collective des biens de production !
    M. Dominique Tian. La soviétisation !
    M. Jean Le Garrec. Cher collègue, le Gouvernement compte au moins un ministre, M. Francis Mer, qui ne peut que se féliciter de la nationalisation de la sidérurgie que j'ai réalisée en 1981, il me l'a souvent dit ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. François Grosdidier. Il a fallu privatiser pour vendre de l'acier aux Etats-Unis !
    M. Jean Le Garrec. Je le répète, nous avions conscience des difficultés. Et c'est pourquoi nous avions lancé un débat sur de nouvelles propositions.
    Il y a d'abord - et pour moi elle est fondamentale -, la nécessité de réviser l'architecture des cotisations patronales. Tant que nous n'aurons pas débattu de leur assise, en particulier pour les entreprises à la valeur ajoutée la plus forte, nous ne trouverons pas de solution. C'est un débat difficile, qui d'ailleurs divise la gauche, et sur lequel je m'engage à titre personnel.
    N'oublions pas, bien entendu, l'indispensable suivi des accords, le rôle de l'inspection et de la médecine du travail, l'insuffisante prise en compte des nouvelles conditions de travail et du stress au travail. Il conviendra encore de conduire la réflexion sur le temps social car, je vous l'accorde, mes chers collègues, il n'a pas la même signification selon que l'on est cadre dans une entreprise high-tech passée aux 35 heures, ou OS chez Peugeot à Montbéliard. L'accompagnement du temps social constituera un des enjeux des débats politiques des années à venir, et je me félicite à ce propos que la nouvelle municipalité de Paris ait créé un bureau du temps.
    M. François Grosdidier. Un bureau de quoi ?
    Un député du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle. De la pluie et du beau temps !
    M. Jean Le Garrec. Elle ouvre une porte sur une réflexion qui m'apparaît indispensable. Même si la majorité des salariés passés aux 35 heures souhaitent que l'on ne touche pas à cette réforme, leur réaction n'est pas la même selon la position et le rôle qu'ils ont dans l'entreprise, selon même, vous le savez très bien monsieur le ministre, que l'on est un homme ou une femme.
    La distorsion dans les comportements est pour nous un point fondamental : la majorité des salariés, passés aux 35 heures, je le répète, ne veulent pas qu'on y touche mais ils n'ont pas tous le même comportement, ce qui s'explique aisément par la nature du rapport qu'ils ont au travail et leur place dans l'entreprise.
    Voici, mes chers collègues, quelques remarques que je voulais faire, non seulement sur le pourquoi de cette réforme, sur notre désaccord avec le texte que vous proposez, sur la fierté que nous tirons de notre bilan, mais aussi sur notre capacité à en déceler les points de faiblesse et sur la nécessité d'y revenir. Le débat se poursuivra, et je fais mienne, monsieur le ministre, la phrase d'Edgar Morin : « A force de repousser l'essentiel au nom de l'urgence, on oublie l'urgence de l'essentiel. » Nous prenons l'engagement de travailler et de poursuivre le débat sur cet essentiel.
    Bien entendu, toute motion de procédure est un moyen pour l'opposition - vous l'avez utilisé - d'exprimer ses convictions et de mener débat, mais je considère aussi que ce texte est dangereux, irrecevable, dans la mesure où il crée une inégalité très grande entre les salariés qui sont déjà à 35 heures et ceux qui n'y sont pas passés. C'est vrai pour l'article 6 sur les exonérations de charges sociales. C'est vrai pour l'article 3, qui instaure des dispositions transitoires. C'est vrai pour l'ensemble du texte, qui instaure une différence de traitement entre les salariés et remet ainsi en cause le principe d'égalité devant le travail, qui est un principe constitutionnel.
    J'ai défendu cette motion devant vous avec ma conviction, au nom de mon expérience, en faisant la part des choses. Il n'y a jamais de réponses toutes faites au problème de l'emploi, mais nous avions construit des dispositifs qui permettaient d'apporter une réponse.
    Vous prenez un risque, monsieur le ministre, un risque politique et un risque social...
    M. Francis Delattre. On prend le risque de réussir !
    M. Jean Le Garrec. ... car, aujourd'hui - c'est votre conviction et je la crois sincère -, vous risquez de briser des outils utiles à la politique de l'emploi. Alors que l'élément psychologique, l'élément comportemental, la confiance est un élément essentiel de la croissance, alors que - j'en suis plus que désolé : catastrophé - on voit jour après jour le nombre des licenciements augmenter et les entreprises disparaître, nous risquons de connaître, et cela est dramatique, une très forte augmentation du chômage. Vous n'avez pas le droit de dire que c'est la faute aux 35 heures. Vous en aurez encore moins le droit dans les mois à venir.
    Je suis élu d'une grande fédération, le Nord - Pas-de-Calais, d'une grande région. Je connais la valeur du travail. J'espère me tromper mais la situation que vous créez m'inquiète fort. C'est pour cela, mes chers collègues, que je vous demande de voter cette exception d'irrecevabilité. (Applaudissements prolongés sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre.
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Monsieur le député, la première fois que je vous ai entendu dans cette assemblée où je siégeais, c'était en 1981. Vous défendiez avec le même talent et la même conviction une politique de nationalisation de notre appareil de production et de notre système bancaire. Vous n'avez pas changé, je vous en donne acte.
    M. Hervé Novelli. Il est archaïque !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. J'imagine que, membre d'une grande fédération, comme vous disiez tout à l'heure, vous allez pencher du côté du « nouveau monde ». (Rires et applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.) En tout cas, la démonstration que vous venez de nous faire aura eu l'avantage de clarifier le débat entre vous et nous, entre les méthodes que nous entendons employer pour mettre en oeuvre une politique de l'emploi et celles que vous avez utilisées pendant cinq ans, qui n'ont pas donné les résultats que vous escomptiez et qui, d'une certaine manière, ont été jugées.
    Je voudrais d'abord clarifier quelques points parce qu'il ne faut pas que le débat entre nous soit biaisé par l'utilisation de chiffres qui ne sont pas exacts. Vous avez laissé entendre que je cherchais à donner à un certain nombre de chiffres une signification qui n'était pas exacte. La vérité, c'est que vous ne parliez pas des chiffres que j'avais cités.
    Vous avez d'abord indiqué que les politiques de soutien à l'emploi par les allégements de charges Juppé et Balladur avaient coûté plus cher que les politiques de réduction du temps de travail. La réalité, vous la connaissez, ce sont les statistiques de la DARES et de l'INSEE, mais j'ai noté tout à l'heure que, pour vous, les rapports de l'INSEE étaient plus ou moins critiquables selon qu'ils étaient ou non favorables aux thèses que vous défendez. Les allégements de charges Balladur et Juppé ont créé 500 000 emplois pour 7,5 milliards d'euros.
    M. Jean Le Garrec. Non ! Le chiffre est très discuté !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. La réduction du temps de travail a créé 300 000 emplois - si l'on accepte l'idée même qu'elle en ait créé -, pour 6,3 milliards d'euros. C'est la démonstration que les allégements de charges que nous avions mis en place, qui portaient essentiellement sur les bas salaires, étaient plus créateurs d'emplois que la réduction du temps de travail. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.) Et cela ne prend pas en compte les emplois qui n'ont pas été créés en raison des choix politiques, idéologiques que vous avez faits en matière d'organisation du temps de travail.
    M. Richard Cazenave. Les délocalisations !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Deuxième point de désaccord, j'aurais, selon vous, lors des questions d'actualité, prétendu que les minima sociaux avaient baissé lorsque vous étiez au pouvoir. J'ai dit, vous étiez assez nombreux pour l'entendre, que le pouvoir d'achat des bas salaires, notamment celui des smicards, avait baissé en valeur absolue pendant la période où vous étiez au pouvoir...
    M. Richard Cazenave. Tout à fait !
    Plusieurs députés du groupe socialiste. C'est faux !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. ... pas que les minima sociaux avaient baissé. La vérité - et les chiffres ont encore été publiés il y a quelques jours dans des études que vous avez tous pu lire -, c'est que le pouvoir d'achat des bas salaires a diminué de un à deux points pour les salaires les plus bas, quand il augmentait de près de 40 % pour les cadres. On est là encore au coeur de nos différences dans les choix politique que nous faisons.
    Vous avez augmenté les minima sociaux, je vous en donne acte (« Ah ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste), mais vous avez baissé les bas salaires (Protestations sur les bancs du groupe socialiste),...
    Mme Martine David. Faux !
    Plusieurs députés du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle. C'est vrai !
    M. François Grosdidier. C'est pour ça qu'ils votent pour nous !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. ... c'est-à-dire que vous avez contribué à créer une situation explosive dans notre pays : ceux qui travaillent dur pour un salaire modeste sont révoltés de voir à côté d'eux des hommes et des femmes qui ne travaillent pas et ont finalement les mêmes moyens d'existence qu'eux. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle. - Exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste.) C'est un des sujets qui était au coeur de la crise politique qui a culminé en avril dernier, et qui faisait d'une certaine manière le lit de tous les extrémismes.
    M. Jean-Marc Ayrault. C'est scandaleux !
    Mme Martine David. Ce n'est pas possible de parler ainsi !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Par ailleurs, vous avez mis en cause la rapidité avec laquelle le gouvernement auquel j'appartiens a réagi pour mettre en oeuvre une nouvelle politique après l'échec de la politique de l'emploi que vous avez conduite. Je prends cela évidemment comme un hommage, et cela me permet de répondre à ceux qui trouvaient que je n'allais pas assez vite que j'avais sans doute le bon rythme.
    Enfin, vous avez défendu l'idée que la droite est la droite, que la gauche est la gauche, que l'histoire balbutie, que vous avez toujours été à l'origine des conquêtes sociales...
    M. Jean Le Garrec. Je n'ai jamais dit ça !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. ... quand nous aurions toujours tenté de nous y opposer. C'est oublier le rôle que nous avons joué dans la construction de notre système de protection sociale. C'est oublier les grandes lois de 1970 sur l'hôpital, de 1975 sur les handicaps, ou encore de 1971 sur la formation professionnelle.
    Mme Martine David. Tout ça ne va pas très loin !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. C'est aussi oublier le rôle et la responsabilité du Front populaire dans l'effondrement de la nation française elle-même ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle. - Très vives protestations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Plusieurs députés du groupe socialiste. C'est scandaleux !
    M. Jean-Marc Ayrault. Vous dérapez !
    M. Gérard Bapt. Vichyste !
    Mme Martine David. C'est indigne de cette enceinte !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. On sent quand les sujets vous touchent ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. Continuez, monsieur le ministre. S'il vous plaît !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Vous avez voulu ensuite appeler Gilles de Robien et la loi qui porte son nom au secours de la politique que vous avez conduite en matière de réduction du temps de travail. C'est un deuxième contresens car, comme vous l'avez vous-mêmes rappelé, cette loi permettait aux entreprises, aux branches, de négocier une réduction du temps de travail adaptée à leurs activités. C'est le contraire de la logique qui a été la vôtre. Vous avez voulu imposer à l'ensemble de l'économie française la réduction du temps de travail avec une première loi très autoritaire, puis une seconde qui l'était encore plus puisqu'elle allait même contre les accords qui avaient été signés entre-temps par les partenaires sociaux. Ce que nous voulons, ce n'est pas renoncer à la réduction du temps de travail, et vous le savez bien, c'est rendre aux partenaires sociaux, par la loi, les espaces de liberté dont ils ont été privés. (« Très bien ! » et applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Vous avez ensuite voulu nous démontrer que les 35 heures avaient été à l'origine d'un formidable élan en matière de négociations sociales.
    Plusieurs députés du groupe socialiste. Oui !
    Plusieurs députés du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle. Mais non !
    Mme Martine David. C'est toujours plus que ce que vous faites !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. C'est d'abord oublier la façon dont ces lois ont été imposées, y compris aux partenaires sociaux, à tel point, d'ailleurs, que le Conseil constitutionnel,...
    M. Jean-Jack Queyranne. Ce n'est pas le meilleur partenaire !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. ... en janvier 2000, à l'occasion de l'examen de la seconde loi Aubry, a dû vous rappeler le principe de la liberté conventionnelle bafoué par ce texte. Surtout, vous oubliez les conditions dans lesquelles, dans un grand nombre d'entreprises, les accords ont été négociés, conditions que les organisations syndicales elles-mêmes dénoncent aujourd'hui !
    Vous avez fait allusion à votre expérience de chef d'entreprise et d'élu local. Je suis aussi un élu local, de l'ouest de la France. Je vois les conditions de travail des salariés de l'agro-alimentaire après la signature de tels accords, elles se sont dégradées. Les salaires ont baissé (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), les rythmes de travail ont augmenté, la flexibilité également. (Applaudissements sur les bancds du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française. - Vives exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Cela aussi, c'est le résultat de la loi que vous avez soutenue !
    Mme Martine David. Quel extrémisme dans vos propos !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Enfin, vous avez voulu nous faire croire que, sur le SMIC, nous ne faisions finalement qu'appliquer les lois Aubry.
    Voici ce que prévoyait l'article 32 de la loi Aubry de janvier 2000 : « Avant le 31 décembre 2002, le Gouvernement après consultation de la Commission nationale de la négociation collective, présentera au Parlement un rapport retraçant l'évolution des rémunérations des salariés bénéficiant de la garantie définie ci-dessus et précisant les mesures envisagées, en tant que de besoin, pour rendre cette garantie sans objet au plus tard le 1er juillet 2005 compte tenu de l'évolution du salaire mensuel de base ouvrier mentionné au I et de la progression du salaire minimum de croissance prévu à l'article L. 141-2 du code du travail. Au vu des conclusions de ce rapport, seront arrêtées les mesures nécessaires pour qu'à cette date la garantie, devenue sans objet, cesse de produire effet. » Si vous voyez dans cet article le début du commencement d'une solution au problème des multiSMIC, nous n'avons évidemment pas la même façon de le lire ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Mme Martine David. C'est clair !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Finalement, je n'ai pas trouvé mieux pour répondre à votre discours et à votre exception d'irrecevabilité que de citer certains de vos amis jugeant les effets de la réduction du temps de travail. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Mme Martine David. Niveau zéro !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. En juillet, Jack Lang s'emporte contre les risques d'une législation trop rapide et d'une application trop rigide.
    En juin 2002, Bernard Kouchner, avec franchise, souligne que la façon dont les 35 heures ont été mises en place et ressenties a été l'une des causes fortes de l'échec de la gauche. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.) Et il conclut : « Dans la campagne, personne n'a jamais défendu devant moi les 35 heures, sauf les cadres supérieurs. Les autres ont surtout mis en avant les inconvénients de leur mise en place, les délais, les obstacles, les complications. Aménager le temps de travail, c'est une affaire qui aurait dû être discutée sur plusieurs années. »
    Mme Martine David. Si c'est tout ce que vous trouvez, franchement !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Je comprends que vous n'ayez que du mépris pour les personnes que je cite (Protestations sur plusieurs bancs du groupe socialiste), mais je vais continuer !
    En mai 2002, Ségolène Royal estimait que les 35 heures ont dégradé encore un peu plus les conditions de travail du monde salarié défavorisé. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Mme Martine David. C'est assez lamentable !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. En juin 2002, Henri Emmanuelli déclarait pour sa part : « Quand nous avons adopté la seconde loi Aubry, les salariés moyens ou modestes ont constaté des baisses de salaire. »
    M. Edouard Landrain. Eh oui !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. « Qu'elles soient dues à la diminution du tarif des heures supplémentaires ou du salaire, cela revenait au même pour eux. »
    Pour Marie-Noëlle Lienemann (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française), les 35 heures qui devaient être l'une des belles avancées de la gauche ont vite tourné au vinaigre. (Rires sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe de l'Union pour la démocratie française.) Evoquant la multiplication des SMIC, elle déclare que le mécanisme des cinq SMIC mérite de figurer dans le livre des records (Rires sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française), qu'une artillerie lourde, complexe, a été inventée, rompant avec l'idée fondamentale « à travail égal, salaire égal ».
    M. Richard Cazenave. Bravo !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Anticipant les conséquences de cette multiplication des SMIC, Maxime Gremetz (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française) réclamait pour sa part, dans l'Humanité du 7 septembre 1999, une augmentation de 11,4 % du taux horaire du SMIC...
    Mme Muguette Jacquaint. C'est beaucoup mieux !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. ... car le système mis en place n'était pas satisfaisant du tout ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Plusieurs députés du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle. Bravo Gremetz !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Claude Allègre avoue lui, en mars 2002 : « Je n'étais pas, à l'origine, un fana des 35 heures, car je préfère la diversité. Le même temps de travail pour tous, cela a quelque chose de bizarre et d'un peu systématique. »
    Jean-Pierre Chevènement annonce, pour sa part, au printemps 2002... »
    Mme Martine David. Arrêtez cette litanie, inintelligente !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. ... qu'il est partisan d'une mesure générale d'assouplissement.
    M. Edouard Landrain. Ça fait mal !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Enfin, en novembre 2000, Laurent Fabius observe, qu'il me permette de le citer : « Chacun voit que les situations des entreprises ne sont pas toutes les mêmes. Pour certaines entreprises, les 35 heures ne posent pas de problème. Pour d'autres, c'est plus difficile. Des lois ont été votées, on ne les annulera pas, mais nous devons certainement traiter les situations diverses avec souplesse. » (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe de l'Union pour la démocratie française.)
    Eh bien, monsieur Fabius, c'est exactement ce que le Gouvernement a décidé de faire. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Laurent Fabius. Absolument pas !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Quant à l'argumentation constitutionnelle qui fonde votre question préalable, monsieur Le Garrec, celle de l'inégalité, outre qu'elle n'est pas fondée juridiquement puisque, comme c'était le cas d'ailleurs dans le passé, nous avons prévu un mécanisme progressif d'harmonisation, je vous fait remarquer que les inégalités ont été créées par les lois Aubry. Qui pouvait imaginer qu'un jour les agriculteurs auraient droit aux 35 heures ? Qui pouvait imaginer qu'un jour les professions libérales, les travailleurs indépendants, les petites entreprises pourraient accéder à la réduction du temps de travail ?
    M. François Sauvadet. Tout à fait !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. L'inégalité était en fait inscrite dans les textes que vous défendez. Nous, nous allons procéder à l'harmonisation par la négociation et la concertation. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)

Rappel au règlement

    M. le président. M. Ayrault m'a fait savoir qu'il souhaitait faire un rappel au règlement fondé sur l'alinéa 3 de l'article 58. Je peux lui donner la parole car nous n'avons pas commencé les explications de vote.
    Vous avez la parole, monsieur Ayrault.
    M. Jean-Marc Ayrault. Monsieur le président, ce n'est pas une surprise de constater qu'il y a une profonde divergence entre la gauche et la droite sur la question des 35 heures. Nous ne l'avons pas découvert à cette occasion. Ce débat, nous souhaitons qu'il ait lieu dans la dignité, dans la clarté, pour que chaque point de vue soit développé, débattu, confronté, pour que la représentation nationale dispose de tous les éléments et que l'opinion soit éclairée. Telle est notre ligne de conduite.
    M. Richard Cazenave. Très bien.
    M. Jean-Marc Ayrault. Cela n'autorise pas des dérapages comme ceux auxquels nous venons d'assister. (Rires et exclamations sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Francis Delattre. En cinq ans pourtant, ils ont souvent dérapé !
    M. le président. Laissez M. Ayrault poursuivre son rappel au règlement.
    M. Jean-Marc Ayrault. Je voudrais simplement vous dire, au nom du groupe socialiste, que nous sommes profondément choqués. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Mme Martine David. C'est notre droit d'être choqués !
    M. Jean-Marc Ayrault. Vous avez des convictions politiques, monsieur le ministre, vous les assumez, c'est votre droit, et je ne vous le reproche pas, mais je n'accepte pas, mes collègues non plus, que vous laissiez aller à des telles facilités. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Pierre Hellier. Qu'avez-vous fait pendant cinq ans ?
    M. Jean-Marc Ayrault. Sortir de son contexte telle ou telle citation est profondément choquant. (Protestations sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.) Tout le monde peut le faire, mais ce n'est pas notre conception.
    Enfin, et ce n'est pas le moindre point, nous avons assisté à travers votre propos au procès du Front populaire. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Il n'est pas acceptable d'entendre à l'Assemblée nationale de la République les arguments avancés lors du procès de Riom, le Front populaire et les 40 heures, considérées comme un encouragement à la paresse, étant rendus responsables de la défaite de la France en 1940. C'est profondément choquant et c'est pourquoi, au nom du groupe socialiste, je demande une suspension de séance. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. le président. Monsieur Ayrault, la suspension de séance que vous demandez est de droit. Je vous l'accorde pour cinq minutes.

Suspension et reprise de la séance

    M. le président. La séance est suspendue.
    (La séance, suspendue à dix-neuf heures, est reprise à dix-neuf heures cinq.)
    M. le président. La séance est reprise.
    M. le président. Nous en venons aux explications de vote sur l'exception d'irrecevabilité déposée par M. Jean-Marc Ayrault.
    La parole est à M. Maxime Gremetz, pour le groupe communiste.
    M. Maxime Gremetz. Les député-e-s communistes ont bien écouté M. Le Garrec soutenir l'exception d'irrecevabilité. Nous avons également écouté avec attention vos réponses et vos remarques, monsieur le ministre. A notre tour de préciser quelle est notre position.
    Vous avez cité, monsieur le ministre, une de mes déclarations, ce qui ne m'a nullement gêné, ainsi que vous avez pu le constater. Mais j'en ai fait d'autres ! Ainsi, m'adressant au ministre de l'emploi de l'époque, je lui avais dit que, selon moi, les problèmes nés de l'application de la loi sur les 35 heures montraient qu'il fallait revoir ce texte. En effet, ainsi que l'a souligné M. Le Garrec, la mise en oeuvre de la loi sur les 35 heures a créé des difficultés : annualisation, flexibilité, baisse ou perte de salaire. Donc, loin de moi l'idée qu'il faut s'en tenir au statu quo en ce qui concerne la loi sur les 35 heures. Au contraire, je considère qu'il faut améliorer ce texte, mais pas dans le sens que vous, vous souhaitez.
    A cet égard, je rappelle que les députés communistes avaient déposé une proposition de loi relative à la réduction du temps de travail, visant à appliquer les 35 heures sans diminution de salaire, et que nous nous sommes battus, au sein de la gauche plurielle, pour que ce texte voie le jour.
    Pour être clair et tout à fait franc, je dois reconnaître que la première loi Aubry nous convenait bien en particulier parce qu'elle était claire, précise, rigoureuse et qu'elle ne pouvait pas faire l'objet d'interprétations et de désaccords entre, d'un côté, les employeurs, qui disposent d'excellents juristes et qui peuvent tirer avantage du manque de précision ou de rigueur d'une loi, et, d'un autre côté, les salariés et leurs organisations syndicales.
    Je rappelle pour mémoire que nous avions déclaré que cette loi représentait pour nous un progrès de civilisation, et nous le confirmons aujourd'hui. Nous avions aussi indiqué à l'époque - et je vous renvoie à ce sujet aux explications de vote du groupe communiste - que la réduction du temps de travail constituait un processus historique que personne ne parviendra à arrêter, même pas vous !
    La première loi Aubry répondait à trois objectifs : permettre aux gens de vivre autrement, en dehors de leur lieu de travail ; créer des emplois et améliorer les conditions de travail en proposant une nouvelle organisation du travail ; mettre en place la démocratie sociale. Telles sont les raisons pour lesquelles nous avions voté ce projet de loi.
    Toutefois, à l'époque, nous avons regretté que le texte ne s'applique pas aux fonctions publiques - la vérité oblige à le dire ! Nous avons également considéré qu'il devait être appliqué immédiatement à toutes les entreprises sans attendre un délai de quatre ans pour qu'il soit mis en oeuvre dans certaines d'entre elles. Nous avons déploré que ce texte crée une inégalité de traitement entre les salariés du secteur public et ceux du secteur privé et, au sein de ce dernier, entre les salariés des grandes entreprises et ceux des petites et moyennes entreprises.
    Quand la deuxième loi sur les 35 heures a été examinée, nous avons formulé de nombreuses critiques et présenté beaucoup de propositions. Ainsi, nous avons demandé une harmonisation du SMIC par le haut. Du reste, ainsi que vous l'avez rappelé, monsieur le ministre, nous avions déposé un amendement tendant à relever le SMIC le plus bas de 11,4 %. S'il avait été adopté, nous n'aurions plus de problèmes aujourd'hui, je vous l'accorde. Cette harmonisation est d'autant plus justifiée que les profits des entreprises ont augmenté considérablement. Cet amendement, nous l'avons de nouveau déposé sur le texte qui nous est soumis.
    Par ailleurs, j'ai lu avec attention dans Les Echos de ce matin l'interview que vous avez accordée à ce journal. Vous y dites que la durée légale du travail restera de 35 heures. Eh bien, non ! Ce n'est inscrit nulle part ! En tout cas, si c'est ce que vous croyez ou si c'est ce que vos collaborateurs vous ont dit, vous ne manquerez pas d'être d'accord avec notre amendement tendant à préciser que la durée légale hebdomadaire de travail est de 35 heures.
    Enfin, vous faites un aveu de taille dans cette interview en indiquant que les exonérations de cotisations patronales auront un coût de 6 milliards d'euros.
    M. le président. Merci beaucoup pour vos explications, monsieur Gremetz.
    M. Maxime Gremetz. Pour toutes ces raisons, nous voterons, vous l'avez compris, l'exception d'irrecevabilité.
    M. le président. La parole est à M. Jacques Barrot, pour le groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.
    M. Jacques Barrot. Monsieur le président Ayrault, notre désaccord est en effet très profond. Jean Le Garrec a évoqué les deux objectifs que semblait vouloir poursuivre le gouvernement précédent. Or je pense en mon âme et conscience qu'il s'est trompé deux fois.
    Il s'est d'abord trompé sur l'emploi. En effet, on ne reconquiert pas l'emploi par une approche malthusienne. On ne se résigne pas à voir l'activité de son pays diminuer, et à se partager les miettes d'un marché du travail qui se réduit peu à peu pour l'ensemble de la communauté nationale.
    L'emploi, c'est le résultat de l'investissement, mais aussi des heures travaillées. Et si les heures de travail françaises passent pour être les plus performantes d'Europe, elles sont également quantitativement les moins nombreuses.
    L'emploi passe aussi par la formation des hommes. Or, l'un des graves péchés des lois Aubry est de ne pas avoir lié la réduction du temps de travail à l'augmentation du temps de formation.
    Plusieurs députés du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle. Exact !
    M. Jacques Barrot. Pourtant, cela aurait constitué un merveilleux rempart contre le chômage ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    A cette approche, nous opposons une stratégie différente.
    Le deuxième grand objectif de la loi Aubry évoqué par Jean Le Garrec a été celui consistant à améliorer la vie des travailleurs. Mais l'amélioration de la vie des travailleurs ne passe pas uniquement par la réduction du temps de travail ; elle passe aussi par de meilleures conditions de travail et de meilleures rémunérations. C'est par le biais de la promotion de la vie professionnelle que l'on peut aussi satisfaire les travailleurs.
    En tout cas, ce que nous, les politiques, n'avons pas le droit de faire, c'est de choisir à la place des travailleurs ce qu'ils veulent et ce qu'ils préfèrent ! (Nouveaux applaudissements sur les mêmes bancs.)
    Monsieur le ministre, grâce au texte que vous nous présentez, nous allons mettre fin à une triple dérive.
    D'abord, il permettra d'assouplir la rigidité qui prévaut dans nos entreprises, d'abaisser leurs coûts de production et de supprimer l'incapacité qu'elles ont à saisir de nouveaux marchés. Nous allons leur donner des chances nouvelles de développement.
    Ensuite, ce texte contribuera à stopper la baisse du pouvoir d'achat des salariés, liée au fait que la France est insuffisamment active et dynamique.
    Enfin, il mettra fin à la démotivation profonde de ceux qui finissent par considérer que la vie professionnelle ne peut pas constituer également le lieu d'un épanouissement personnel. Nous devons renouer avec les grandes traditions de la République qui veulent que la vie de travail, si elle est effectivement aménagée et améliorée, peut également constituer un grand facteur d'épanouissement et de promotion des personnes.
    Le texte que vous nous présentez, monsieur le ministre, permettra d'enclencher une triple dynamique.
    D'abord, une dynamique de revalorisation des bas salaires sans précédent. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Jamais, en trois ans, il n'aura été procédé à une augmentation aussi significative des bas salaires, cette amélioration s'accompagnant de la mise en place d'un mécanisme particulièrement coûteux mais nécessaire pour éviter que l'augmentation du coût de revient du travail n'affaiblisse la compétitivité des enterprises et nuise à l'emploi. Il est vraiment paradoxal que Jean Le Garrec veuille placer l'exception d'irrecevabilité qu'il a défendue, sous le signe de la recherche de l'égalité alors que, s'il y a bien un dispositif fondamental dans le texte qui nous est présenté, c'est bien celui qui permettra qu'en trois ans il n'y ait plus qu'un seul SMIC, et un SMIC référencé par le haut ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Mme Martine David. Si ce n'est pas de l'autosatisfaction, ça !
    M. Jacques Barrot. La deuxième dynamique enclenchée par ce texte sera celui de la simplification et de la souplesse. Il est vrai que nous sortons d'un régime des heures supplémentaires extrêmement complexe.
    Enfin, il permettra d'enclencher la dynamique de la négociation, car, comme vous l'avez montré, monsieur le ministre, s'il revient bien aux législateurs de fixer les règles de l'ordre public social, il incombe aux négociateurs sociaux au sein de l'entreprise et dans les branches de fixer les modalités d'application de ces règles.
    Mes chers collègues socialistes et communistes, je suis convaincu que l'avenir de l'emploi passe par la croissance, le développement, la recherche et la formation des personnes, autant d'éléments qui doivent être au coeur des futures stratégies concernant l'emploi. L'avenir du travail, ce n'est pas le temps réduit systématiquement, mais le temps choisi : tel est l'horizon vers lequel nous marcherons, car c'est un véritable horizon de progrès. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. Mes chers collègues, avant de donner la parole à Mme Hélène Mignon, pour le groupe socialiste, je vous informe que, sur le vote de l'exception d'irrecevabilité, je suis saisi par le groupe socialiste d'une demande de scrutin public.
    Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
    Vous avez la parole, madame Hélène Mignon.
    Mme Hélène Mignon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe socialiste, vous n'en serez pas étonnés, votera l'exception d'irrecevabilité. Nous n'acceptons pas de voir, à travers le texte qui vient aujourd'hui en discussion, s'organiser le démantèlement de la loi sur la réduction du temps de travail.
    La décision de s'attaquer aux 35 heures ne nous surprend pas. Nous nous souvenons des propos tenus par la majorité actuelle lors de la discussion des lois de juin 1998 et de janvier 2000 et, aujourd'hui, votre déclaration, monsieur le ministre, est sans ambiguïté.
    Pourtant, les effets positifs des 35 heures méritent d'être relevés : près de 60 % des salariés concernés font part d'un sentiment d'amélioration de leur situation contre 15 % simplement d'une dégradation. Certes, ce résultat est contrasté selon la qualification et le sexe mais, quelle que soit la catégorie à laquelle ils appartiennent, les salariés qui expriment une amélioration de leur situation d'ensemble sont toujours plus nombreux que ceux qui manifestent un sentiment de dégradation.
    En outre, les créations d'emplois ou le sauvetage de certaines entreprises, grâce à un dialogue social noué ou renoué avec souvent à la clé une réorganisation du travail, ne sont pas des éléments négligeables, ils représentent 400 000 emplois.
    Ne sont pas négligeables non plus les effets du temps libéré sur la vie professionnelle, sur les relations familiales et sociales et l'impact économique sur la sphère du loisir.
    Au total, fin 2001, ce sont 8,6 millions de salariés travaillant dans des entreprises qui ont bénéficié d'une réduction du temps négocié de travail, soit 53 % des salariés des secteurs concurrentiel ou associatif.
    Le passage aux 35 heures, il est important de le rappeler, n'a évidemment pas ruiné l'économie française.
    M. Edouard Landrain. Non...
    Mme Hélène Mignon. Durant les quatre dernières années, la France a connu une croissance de plus de 2 % supérieure à celle de nos principaux partenaires européens. Pendant la même période, près de deux millions d'emplois ont été créés, ce qui ne s'était pas produit depuis plus de quarante ans, tandis que le nombre de chômeurs diminuait de 900 000. C'est pourquoi les motivations du texte qui nous est proposé aujourd'hui nous semblent plus nourries par des considérations partisanes que par la réalité.
    M. Didier Migaud. Des considérations idéologiques !
    (M. François Baroin remplace M. Jean-Louis Debré au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. FRANÇOIS BAROIN,
vice-président


    Mme Hélène Mignon. Les salariés ne demandent pas la suppression de ce texte, ils souhaitent simplement, surtout dans les petites entreprises, des ajustements.
    M. Edouard Landrain. Des assouplissements.
    Mme Hélène Mignon. Ils veulent que s'instaure une réelle égalité entre tous. Ecoutez-les. Nous, nous les comprenons : chacun a droit à une vie décente, à une rémunération qui lui permette de vivre dignement des revenus de son travail. L'écart entre les salariés restés à 39 heures et ceux qui bénéficient de la réduction du temps de travail va se maintenir, quoi que vous en disiez. L'harmonisation du SMIC telle que vous la proposez est un leurre. Certes, tous les salariés percevant le SMIC et passés aux 35 heures auront la même rémunération en 2005 ; mais l'écart avec ceux restés aux 39 heures va se maintenir.
    M. Bernard Accoyer. Il faut oser dire une telle énormité !
    Mme Hélène Mignon. En gros, un smicard travaillant 35 heures sera payé 39, et celui travaillant 39 sera payé 42 heures. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Mais le SMIC référencé par le haut, il n'y a que vous qui y croyez, monsieur Barrot. (Exclamations sur les mêmes bancs.)
    Quant à la réduction durable de la rémunération des heures supplémentaires à 1 %, elle est contraire aux déclaration du Président Chirac, dans la mesure où elle n'assure pas l'amélioration du pouvoir d'achat des salariés.
    Les 35 heures partaient de l'idée qu'en partageant la quantité globale de travail on créerait des emplois. La réalité nous a donné raison.
    M. Jean-Marie Geveaux. Pas du tout !
    Mme Hélène Mignon. La décision de donner à chacun le moyen de travailler plus, grâce aux heures supplémentaires, va à l'encontre de notre démarche. En réalité, la consommation des ménages les plus modestes ne repartira pas car ni la relance de l'emploi, ni l'amélioration du pouvoir d'achat ne sont à l'ordre du jour alors que, depuis 1997, le pouvoir d'achat des smicards avait augmenté, grâce à différentes mesures, d'une valeur équivalente à un treizième, voire à un quatorzième mois. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Votre projet, qui vise à obtenir une baisse du coût du travail sans contrepartie, aura des effets négatifs sur l'emploi, des conséquences sociales inacceptables, des résultats néfastes sur l'économie, et ce au moment où le chômage remonte et où la croissance ralentit.
    Par ailleurs, allez-vous, monsieur le ministre, remettre en cause également la loi de lutte contre les exclusions ? (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Jean-Marie Le Guen. Oui !
    Mme Hélène Mignon. Nous devions tout faire pour que tous les salariés accèdent aux 35 heures dans les meilleures conditions. Or, avec ce texte, au mieux, nous figeons la situation actuelle et nous pérennisons les inégalités entre les salariés qui ont pu accéder aux 35 heures et ceux qui n'y auront jamais droit.
    M. le président. Il vous faut conclure, madame Mignon. (« Oui, ça suffit » et claquements de pupitres sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Mme Hélène Mignon. Nous nous refusons à accepter votre logique, et nous voterons donc la motion d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains. - Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. Jean-Christophe Lagarde, pour le groupe UDF.
    M. Jean-Christophe Lagarde. Le groupe UDF avait en son temps non seulement soutenu, mais participé à la proposition de la loi de Robien. Celle-ci, un orateur précédent l'a rappelé, présentait une qualité essentielle : elle était fondée sur l'idée de la capacité de contractualisation, c'est-à-dire d'adaptation.
    En 1997, avec l'arrivée du gouvernement Jospin, on est parti sur cette idée des 35 heures. Mais en réalité, cette loi, que le Gouvernement nous propose aujourd'hui d'assouplir, est un carcan rigide. De plus, elle est inégalitaire.
    Rigide, celles et ceux d'entre nous, monsieur Gremetz, qui assument des responsabilités dans les collectivités locales le savent, parce que, alors que nos employés, nos fonctionnaires, du moins certains d'entre eux, nous demandent de pouvoir effectuer plus d'heures, nous sommes souvent dans l'incapacité de les satisfaire.
    Inégalitaire, parce que certaines personnes comptent, pour améliorer leurs conditions de vie, sur le fait de travailler plus. Mais, alors que nous souhaiterions là encore une adaptation par le contrat, vous refusez, par idéologie.
    M. Jean-Michel Fourgous. Par archaïsme !
    M. Jean-Christophe Lagarde. Inégalitaire aussi parce que le niveau du SMIC n'est pas choisi par les salariés. Deux personnes occupant les mêmes fonctions, ayant la même qualification, effectuant exactement le même travail peuvent se retrouver à percevoir un SMIC différent selon que l'entreprise ou le responsable aura pris la décision ou non de passer aux 35 heures.
    Grâce à ce texte, M. Barrot l'a souligné, 500 000 personnes pourront toucher 11,4 % de plus sur le SMIC, c'est-à-dire quasiment un treizième mois. En votant cette exception d'irrecevabilité, vous manifestez votre refus de cette proposition, et vous prenez vis-à-vis des électeurs des couches populaires de ce pays une responsabilité qui n'est pas mince. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Comme vous, monsieur le ministre, vous voudrez bien m'en excuser, je me suis livré à un travail de recherche, et puisqu'on nous menace de ressortir nos déclarations...
    M. Julien Dray. Vous êtes un peu jeune !
    M. Jean-Christophe Lagarde. ... je me permettrai de citer quelques phrases.
    Un de vos amis, M. Weber, personne expérimentée, déplorait que les effets pervers ou imprévus de plusieurs réformes sociales, excellentes dans leurs principes mais ambivalentes dans leur mise en oeuvre, causent des dégâts irrémédiables.
    Mme Lienneman, que vous n'aimez plus (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste)...
    M. Gérard Hamel. Ils ne l'ont jamais aimée.
    M. Julien Dray. Moi, je l'aime toujours.
    M. Jean-Christophe Lagarde. Il n'y a que toi, Julien. (Sourires.)
    Mme Lienneman considérait quant à elle que les 35 heures étaient une bonne idée, mais que le deal réduction du temps de travail contre flexibilité était une stupidité dangereuse pour la simple raison que cela conduisait à la réduction des salaires alors que vous aviez promis exactement le contraire.
    Quitte à déplaire totalement au président du groupe socialiste, j'aimerais rappeler une de ses déclarations datée du 22 décembre 2001.
    M. Pierre Hellier. C'est osé ça !
    M. Jean-Christophe Lagarde. « Cette polémique - il parlait des 35 heures - est néanmoins révélatrice. La droite mettra en cause les 35 heures, si elle revient au pouvoir, directement ou par des subterfuges. »
    M. Julien Dray. C'était prémonitoire comme déclaration.
    M. Jean-Christophe Lagarde. « La présidentielle sera sur ce point un référendum. »
    La présidentielle a été peut-être le premier référendum, l'élection dans la première circonscription du Nord en a sans doute été un autre. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) En tout cas, je ne pense pas que même les électeurs issus des couches populaires aient eu envie de vous remercier d'une réforme qui est rigide, mal appliquée dans leurs entreprises et qui les empêche de travailler quand ils le souhaitent.
    Pour toutes ces raisons, nous voterons donc contre cette exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le président. Je vous prie de bien vouloir regagner vos places.
    Je rappelle que le vote est personnel et que chacun ne doit exprimer son vote que pour lui-même et, le cas échéant, pour son délégant, les boîtiers ayant été couplés à cet effet.
    Je mets aux voix l'exception d'irrecevabilité.
    Le scrutin est ouvert.
    M. le président. Le scrutin est clos.
    Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants   287
Nombre de suffrages exprimés   287
Majorité absolue   144
Pour l'adoption   125
Contre   162

    L'Assemblée nationale n'a pas adopté.

4

ORDRE DU JOUR
DE LA PROCHAINE SÉANCE

    M. le président. Ce soir, à vingt et une heures trente, deuxième séance publique :
    Suite de la discussion du projet de loi, n° 190, relatif aux salaires, au temps de travail et au développement de l'emploi :
    M. Pierre Morange, rapporteur au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales (rapport n° 231).
    La séance est levée.
    (La séance est levée à dix-neuf heures trente.)

Le Directeur du service du compte rendu intégralde l'Assemblée nationale,
JEAN PINCHOT