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ASSEMBLÉE NATIONALE
DÉBATS PARLEMENTAIRES


JOURNAL OFFICIEL DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE DU MERCREDI 9 OCTOBRE 2002

COMPTE RENDU INTÉGRAL
2e séance du mardi 8 octobre 2002


SOMMAIRE
PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LOUIS DEBRÉ

1.  Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire étrangère «...».
2.  Questions au Gouvernement «...».

EXPLOSION SUR UN PÉTROLIER FRANÇAIS «...»

MM. Pierre Albertini, Dominique de Villepin, ministre des affaires étrangères.

INONDATIONS DU MOIS DE SEPTEMBRE «...»

MM. François Liberti, Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.

EMPLOIS-JEUNES «...»

Mme Martine David, M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité.

AIDE À LA CRÉATION D'ENTREPRISES «...»

MM. Serge Poignant, Renaud Dutreil, secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat, aux professions libérales et à la consommation.

LOI RELATIVE À LA SOLIDARITÉ
ET AU RENOUVELLEMENT URBAINS «...»

MM. Patrick Ollier, Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer.

ASSURANCES DE RESPONSABILITÉ CIVILE MÉDICALE «...»

MM. Bernard Perrut, Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées.

RÉPRESSION ET PRÉVENTION DE LA DÉLINQUANCE «...»

MM. Jean-Marie Le Guen, Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice.

PRIME À L'HERBE «...»

Mme Henriette Martinez, M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales.

SITUATION DES SANS-PAPIERS «...»

MM. Christian Philip, Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.

AVENIR DE L'ASSURANCE MALADIE «...»

MM. Jean-Paul Bacquet, Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées.

ÉLARGISSEMENT DE L'UNION EUROPÉENNE «...»

M. Christian Kert, Mme Noëlle Lenoir, ministre déléguée aux affaires européennes.

ALLOCATION PERSONNALISÉE D'AUTONOMIE «...»

MM. Denis Jacquat, Hubert Falco, secrétaire d'Etat aux personnes âgées.

Suspension et reprise de la séance «...»

3.  Irak. - Déclaration du Gouvernement et débat sur cette déclaration «...».
M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre.
MM.
Jean-Marc Ayrault,
François Bayrou,
Mme
Marie-George Buffet,
MM.
Alain Juppé,
Philippe de Villiers.
M. Edouard Balladur, président de la commission des affaires étrangères.

PRÉSIDENCE DE M. FRANÇOIS BAROIN

M. Guy Teissier, président de la commission de la défense.
Clôture du débat.
M. Dominique de Villepin, ministre des affaires étrangères.
4.  Ordre du jour de la prochaine séance «...».

COMPTE RENDU INTÉGRAL
PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LOUIS DEBRÉ

    M. le président. La séance est ouverte.
    (La séance est ouverte à quinze heures.)

1

SOUHAITS DE BIENVENUE
À UNE DÉLÉGATION PARLEMENTAIRE
ÉTRANGÈRE

    M. le président. Je suis heureux de souhaiter, en votre nom, la bienvenue à une délégation parlementaire, conduite par M. le président de l'Assemblée nationale de la République centrafricaine, M. Konamabaye. (Mmes et MM. les députés ainsi que Mmes et MM. les membres du Gouvernement se lèvent et applaudissent.)

2

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

    M. le président. L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.
    Mes chers collègues, je vous rappelle que vous avez deux minutes trente pour poser votre question et que les ministres ont le même temps pour répondre. Si nous ne respectons pas cette règle, les dernières questions ne seront pas retransmises à la télévision. J'en appelle donc à la responsabilité de chacun.

EXPLOSION SUR UN PÉTROLIER FRANÇAIS

    M. le président. La parole est à M. Pierre Albertini, pour le groupe UDF.
    M. Pierre Albertini. Je voudrais interroger le Gouvernement sur les circonstances et les causes de l'explosion qu'a subie un pétrolier battant pavillon français au large du Yémen.
    La question que tout le monde se pose est très simple : accident ou attentat ?
    Monsieur le ministre des affaires étrangères, vous avez déclaré à juste titre qu'aucune hypothèse ne pouvait être exclue jusqu'à présent et vous avez envoyé des experts faire un rapport sur cet incident dramatique. Avant que les conclusions ne soient connues, j'incite chacun à la plus extrême prudence dans l'interprétation des faits.
    D'ores et déjà, au-delà de la sympathie et de la solidarité que nous pouvons exprimer à l'égard de l'équipage, se posent quelques questions : quels sont, par exemple, les risques de pollution et, même si la thèse de l'attentat n'était pas confirmée, des menaces pèsent-elles sur les intérêts français à l'étranger, sur la liberté de circulation, notamment par la voie maritime et par la voie aérienne ?
    Aussi, monsieur le ministre, j'aimerais savoir quelle est votre analyse de la situation dans cette région sensible du monde. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre des affaires étrangères.
    M. Dominique de Villepin, ministre des affaires étrangères. Effectivement, monsieur le député, en l'état actuel des informations, nous ne pouvons et nous ne devons exclure aucune hypothèse - accident ou attentat. Il faut attendre les résultats de l'enquête.
    Dès la nouvelle, les autorités françaises ont pris contact avec les responsables yéménites. Le Président de la République a téléphoné à son homologue, M. Ali Saleh, et notre ambassadeur a été en contact avec le ministre de l'intérieur, le ministre des transports et le ministre des affaires étrangères yéménites.
    Nous avons envoyé sur place à Mukalla un agent consulaire pour assister nos compatriotes en difficulté et répondre aux besoins immédiats sur le bateau.
    Nous avons par ailleurs décidé d'envoyer sur place une mission d'expertise du ministère des transports. Des représentants du bureau enquête accidents du ministère des transports seront très rapidement sur place. Ils doivent en principe arriver aujourd'hui même, accompagnés d'un expert de la pollution maritime.
    Compte tenu de la tension qui existe sur la scène internationale, nous avons évidemment décidé de faire preuve d'une vigilance particulière. Depuis plusieurs mois, bien avant l'attentat de Karachi, tout notre réseau diplomatique et consultaire est conscient des responsabilités qui sont les nôtres. Les consignes du Premier ministre à cet égard ont été extrêmement précises. Nous avons fait en sorte que les plans de sécurité de l'ensemble de nos ambassades répondent à toute éventualité. Nous attachons aussi une attention particulière aux biens de nos ressortissants, en liaison évidemment avec les chefs de poste et l'ensemble des ministères concernés. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)

INONDATIONS DU MOIS DE SEPTEMBRE

    M. le président. La parole est à M. François Liberti, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.
    M. François Liberti. Ma question s'adresse à M. le Premier ministre mais je voudrais tout d'abord, au nom du groupe communiste et républicain, témoigner de notre émotion et de notre indignation après l'agression dont a été victime Bertrand Delanoë, maire de Paris, et la violence raciste qui s'est soldée par l'assassinat d'un jeune de dix-sept ans, des faits extrêmement graves qui appellent à une prise de conscience sur les raisons de fond qui engendrent une telle dérive portant atteinte à la dignité humaine. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains du groupe socialiste.)
    Ma question porte sur les inondations des 8, 9 et 10 septembre 2002.
    Après l'émotion et la solidarité sous toutes ses formes et les premières annonces sur les mesures financières, la gestion humaine de l'après-crise est quasi inexistante sur le terrain. La délégation des parlementaires communistes et républicains, conduite par Alain Bocquet ou notre assemblée, Nicole Borvo pour le Sénat et Sylviane Ainardi pour le Parlement européen, a rencontré ce vendredi 4 octobre des sinistrés, des acteurs de la solidarité, des responsables syndicaux, politiques et des élus du département du Gard.
    Premier constat, le risque est grand pour ceux qui ont tout perdu, et particulièrement les plus modestes et les plus démunis, de devenir tout simplement les oubliés de la catastrophe. Les moyens financiers sont insuffisants, les besoins nécessitent beaucoup plus qu'un simple redéploiement des crédits des différentes collectivités, les possibilités de mobiliser des fonds européens doivent être immédiatement exploitées et les aides doivent aller aux victimes.
    L'Etat doit prendre des décisions fortes pour contraindre les banques à abandonner les créances de ceux qui ont tout perdu et exiger des assurances l'ouverture d'un fonds spécial afin de couvrir la totalité des dégâts qui, vu les insuffisances du dispositif en vigueur, nous le savons tous, ne seront couverts que très partiellement et parfois même pas du tout.
    De plus, il est urgent qu'au plus près du terrain, dans chaque commune et dans chaque quartier, les moyens humains soient installés et déployés pour répondre à chaque instant et au cas par cas à toutes les questions posées aux sinistrés, et ce jusqu'à ce que le dernier cas soit résolu.
    Enfin, la constitution d'une commission d'enquête parlementaire pour dresser un bilan bassin par bassin nous permettrait de préparer une véritable loi de programmation relative à la prévention des inondations.
    Plusieurs députés du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française. La question !
    M. le président. S'il vous plaît, monsieur Liberti !
    M. François Liberti. Monsieur le Premier ministre (« Ah ! sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française), quelles décisions comptez-vous prendre pour concrétiser vos intentions et répondre à la gestion humaine de cette catastrophe afin qu'il n'y ait pas de laissés pour compte ? (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. Vous voyez, mesdames, messieurs, que, si vous dépassez votre temps de parole, un certain nombre de vos collègues ne sont pas contents !
    M. François Liberti. Ils sont de mauvaise foi !
    M. le président. La parole est à M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.
    M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Naturellement, monsieur le député, nous partageons tous l'émotion qui a suivi l'agression inadmissible, intolérable, dont a été victime le maire de Paris. Le Président de la République, le Premier ministre, l'ensemble des élus de la nation s'associent pour transmettre à M. Delanoë leurs voeux de prompt rétablissement, c'est le moins que l'on puisse dire et que l'on puisse faire. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française et sur de nombreux bancs du groupe socialiste.)
    Par ailleurs, le Premier ministre, après l'abominable crime raciste de la banlieue de Dunkerque, a dit ce qu'il convenait de penser d'un acte qui est une injure à la République française. Aucun parmi nous ne pourrait utiliser un autre vocabulaire. Le racisme est un cancer qui doit être extirpé. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française et sur quelques bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) J'imagine que, quelles que soient les familles politiques, nous pensons la même chose.
    S'agissant des inondations, permettez-moi de vous dire que nous n'avons pas la même vision.
    mal
    Ce matin encore, le Premier ministre présidait un comité interministériel sur ce sujet.
    Pour les collectivités locales, il a accepté que nous montions à 90 % de subventions pour refaire les réseaux, les routes et les équipements. Il a décidé ce matin même que, ce qui n'avait jamais été fait, la TVA serait remboursée l'année des travaux et non pas deux ans après, comme c'est la règle ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Il n'y aura aucun laissé-pour-compte.
    Le ministre de l'agriculture a décidé, avec l'accord du Premier ministre, que les taux de calamité naturelle seraient augmentés de 15 % pour tout le monde et qu'une filière « cousue main » serait mise en place pour les arboriculteurs et les viticulteurs. Il est un certain nombre d'agriculteurs qui sont sinistrés. Nous ne les laisserons pas tomber ! Aucun, y compris ceux qui appartiennent à des filières qui n'entrent pas les catégories actuelles !
    S'agissant des logements, le ministre de l'équipement et du logement a pris un certain nombre de mesures avec le ministre des finances pour que des exonérations fiscales soient accordées, car il serait inadmissible que des gens qui ne peuvent habiter dans leur logement, parce que celui-ci est sinistré, aient des impôts à payer !
    Enfin, les secours d'urgence sont toujours en place. Un guichet unique a été créé. Le Premier ministre retournera avant la fin du mois de novembre dans le Gard présider lui-même une commission interministérielle pour voir comment les décisions du Gouvernement auront été concrètement appliquées.
    Plusieurs députés du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle. Très bien !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. En conclusion, monsieur le député, nous nous sommes servis d'un contre-exemple : celui de la gestion des malheureux sinistrés de la Somme ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

EMPLOIS-JEUNES

    M. le président. La parole est à Mme Martine David, pour le groupe socialiste.
    Mme Martine David. Monsieur le président, le groupe socialiste, à son tour, souhaite transmettre à Bertrand Delanoë toute son amitié et ses voeux de prompt rétablissement. Il condamne aussi à son tour le crime raciste de Grande-Synthe. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    Ma question s'adresse à M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité.
    Monsieur le ministre, 373 000 jeunes sont entrés sur le marché du travail au cours des cinq dernières années grâce au dispositif des emplois-jeunes initié par le gouvernement de Lionel Jospin (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française), 150 000 d'entre eux ont quitté ce dispositif avec confiance pour réussir leur insertion professionnelle.
    Le précédent gouvernement avait inscrit plus de 3 milliards d'euros sur le projet de budget pour 2002 pour poursuivre cette politique volontariste de l'emploi (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle)...,
    M. Richard Mallié. Avec 50 % de dérapage budgétaire !
    Mme Martine David. ... mais, au cours des derniers mois, vous avez éludé nos questions sur l'avenir de ce dispositif. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Allez-vous enfin dire clairement à ces jeunes que leur avenir n'entre pas dans les priorités du Gouvernement ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains. - Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Allez-vous enfin dire à l'opinion publique quelle sera la baisse des crédits pour les emplois-jeunes ? (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Philippe Briand. Vous trompez les jeunes !
    Mme Martine David. Allez-vous enfin dire aux associations et aux collectivités locales que les emplois-jeunes vont très vite disparaître ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains. - Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Philippe Briand. C'est vous qui avez disparu !
    M. le président. La parole est à M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité.
    M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Madame la députée, j'ai déjà eu l'occasion de répondre à une telle question la semaine dernière (« Non ! » sur de nombreux bancs du groupe socialiste),...
    M. Albert Facon. Du vent !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. ... mais j'éclairerai bien entendu l'opposition à chaque fois qu'elle le souhaitera sur la politique de l'emploi du Gouvernement.
    M. Albert Facon. Sur les emplois-jeunes !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. La priorité, c'est la création d'emplois dans le secteur marchand. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.) C'est la raison pour laquelle nous avons décidé de mettre en place le contrat sans charges pour les jeunes, qui va s'adresser à plus de 250 000 jeunes, de desserrer les contraintes qui pèsent sur les entreprises et sur la croissance (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains)...
    De nombreux députés du groupe socialiste. Et les emplois-jeunes ?
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Je vais y venir...
    ... et de soutenir la consommation. (Vives exclamations sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. le président. Monsieur Montebourg, ne vous énervez pas !
    M. Arnaud Montebourg. Nous méritons des réponses !
    M. le président. Continuez, monsieur le ministre.
    M. Arnaud Montebourg. Nous méritons des réponses !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Si M. Montebourg veut bien me laisser répondre (Vives exclamations sur les bancs du groupe socialiste)...
    M. le président. Cela ne sert à rien de crier.
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. S'agissant des emplois-jeunes (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste), nous vous avons indiqué que nous ne continuerions pas au-delà des contrats qui ont été signés. (« Bravo ! » et applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    Mme Martine David. Voilà qui est clair !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Nous estimons, en effet, qu'un tel dispositif ne rendait pas service aux jeunes (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains)...
    Plusieurs députés du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle. Exactement !
    Mme Ségolène Royal. N'importe quoi !
    M. le président. S'il vous plaît !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. ... il ne comportait pas de formation et contribuait à mettre en place une sorte de fonction publique territoriale dégradée (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française. - Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains) qui ne répond pas aux revendications des personnels des fonctions publiques.
    Comme la majorité s'y est engagée, nous allons dans les prochaines semaines proposer au Parlement un dispositif pour aider les jeunes qui ont des projets et notamment ceux qui souhaitent consacrer du temps au service de l'intérêt général, dans les associations à caractère social en particulier, dans le secteur humanitaire.
    Plusieurs députés du groupe socialiste. Des emplois-jeunes !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Ce dispositif s'appellera le contrat d'insertion dans la vie sociale. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. Bernard Roman. Combien ?
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Il permettra de répondre à la demande qui existe dans le secteur social, tout en responsabilisant les jeunes et en les aidant à mettre en oeuvre leur projet. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et sur quelques bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

AIDE À LA CRÉATION D'ENTREPRISE

    M. le président. La parole est à M. Serge Poignant, pour le groupe UMP.
    M. Serge Poignant. Pour reprendre les propos de M. Fillon, c'est effectivement dans le secteur marchand et dans les entreprises que les conditions pour voir se développer l'emploi de façon pérenne sont les meilleures. (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains), en particulier dans le monde de la petite entreprise, de l'artisanat et du commerce.
    Aussi, ma question s'adresse à M. le secrétaire d'Etat aux PME, au commerce, à l'artisanat, aux professions libérales et à la consommation.
    Les petites entreprises sont fondamentalement nécessaires pour le développement de l'économie, le renouvellement du tissu productif et la vitalité des territoires. Malheureusement, les entreprises nouvelles sont insuffisamment nombreuses aujourd'hui en France. Alors que, jusqu'à la fin des années quatre-vingt, près de 200 000 entreprises étaient créées annuellement, ce nombre s'est réduit à environ 170 000 emplois depuis deux ans. La France crée moins d'entreprises que la plupart de ses partenaires européens et les conséquences en termes d'emploi sont évidemment défavorables.
    Monsieur le Premier ministre, vous avez fort opportunément dévoilé hier à Lyon votre plan d'aide à la création d'entreprises. Vous avez indiqué que le Gouvernement entendait faire de la création d'entreprises une de ses priorités, et je m'en félicite. Aussi, monsieur le secrétaire d'Etat, je souhaiterais que vous informiez la représentation nationale sur les principales mesures du projet de loi que le Gouvernement entend présenter rapidement au Parlement. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat, aux professions libérales et à la consommation.
    M. Renaud Dutreil, secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat, aux professions libérales et à la consommation. Monsieur le député, le Président de la République a fixé un objectif : créer 1 million d'entreprises en cinq ans. Le Gouvernement mettra tout en oeuvre pour atteindre cet objectif.
    M. Jean-Pierre Soisson. Très bien !
    M. le secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat, aux professions libérales et à la consommation. Comme l'a indiqué le Premier ministre hier, à Lyon, il entend muscler les entreprises en leur apportant les capitaux propres dont elles ont besoin pour se développer. Ce sera notamment la vocation des fonds d'investissement de proximité qui seront créés à l'initiative des collectivités territoriales.
    Il entend encourager la création d'entreprises, en veillant notamment à ce que, la première année d'activité, le créateur n'ait ni charges sociales à payer, ni tracas, car il n'est pas normal que, dans notre pays, la première lettre que l'on reçoive lorsque l'on crée une entreprise soit un appel à cotisation, avant même d'avoir encaissé le premier franc de chiffre d'affaires. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Le Gouvernement entend aussi faciliter la reprise et la transmission des quelque 500 000 entreprises dont le dirigeant partira à la retraite dans les années qui viennent.
    Un projet de loi vous sera présenté au tout début de l'année 2003. C'est avec les entrepreneurs, les commerçants, les artisans, les professions libérales et les PME que nous apporterons à nos concitoyens la croissance et l'emploi. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)

LOI RELATIVE À LA SOLIDARITÉ
ET AU RENOUVELLEMENT URBAINS

    M. le président. La parole est à M. Patrick Ollier, pour le groupe UMP.
    M. Patrick Ollier. Ma question, qui s'adresse à M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer, concerne la loi solidarité et renouvellement urbains, dite loi SRU, ou encore loi Gayssot.
    Ce texte politique...
    M. François Lamy. Oui !
    M. Patrick Ollier. ... voté pour donner un gage aux groupes composant la majorité plurielle du moment,...
    M. Philippe Briand. Oui !
    M. Patrick Ollier. ... crée aujourd'hui des difficultés énormes à toutes nos communes. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Par l'application de mesures apparemment anodines, ce texte impose des contraintes insupportables pour les conseils municipaux....
    M. Richard Mallié. Exactement !
    M. Jean-Pierre Dufau. Oh !
    M. Patrick Ollier. ... qui empêchent les maires et les citoyens de conduire le développement urbain de la commune.
    M. Jean-Pierre Kucheida. En particulier à Rueil ?
    M. Claude Goasguen. C'est une loi scélérate !
    M. Patrick Ollier. Je citerai trois exemples.
    Tout d'abord, la longue et complexe élaboration des plans locaux d'urbanisme bloque l'application des plans d'occupation des sols. Le comble, c'est que la loi SRU a supprimé la mise en oeuvre des coefficients d'occupation des sols. Résultat : on risque d'assister à un développement anarchique de l'habitat contre la volonté des conseils municipaux. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Richard Mallié. Oui, je suis maire, et je le sais ! Eux, ils ne savent même pas ce que c'est qu'une mairie !
    M. Patrick Ollier. Deuxième exemple : en matière de constructibilité, la loi SRU impose aux petites communes qui n'ont pas fait voter les fameux SCOT, schémas de cohérence territoriale, une distance de quinze kilomètres par rapport à la ville-centre pour l'autorisation de construire. Résultat : on développe l'opposition entre le monde rural et le monde urbain.
    M. Richard Mallié. C'est vrai !
    M. Patrick Ollier. Est-il bien nécessaire de créer tant de tensions entre les collectivités locales ?
    Enfin, monsieur le président, les modalités de financement de la voirie, des réseaux d'électricité et des réseaux d'eau sont absolument mal encadrées juridiquement et incertaines. Cela entraîne des confusions sur la responsabilité du financement de ces réseaux, et des petites communes sont obligées de s'engager quand bien même elles n'en ont pas les moyens.
    M. François Goulard. Il a raison !
    M. Patrick Ollier. Bref, d'un point de vue juridique, ce texte n'est pas solide. Il est source de conflits.
    M. François Liberti. La question !
    M. le président. Elle va arriver.
    M. Patrick Ollier. Laissez-moi terminer !
    La loi SRU porte atteinte à la liberté des communes. (Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. le président. Monsieur le député...
    M. Patrick Ollier. Je voudrais pouvoir terminer.
    M. le président. ... je vous demande de poser votre question.
    M. Patrick Ollier. Le terrain d'aujourd'hui, monsieur le ministre, ce sont les permis de demain et les logements d'après-demain. Quelles mesures comptez-v ous prendre pour mettre un terme à l'incohérence socialiste ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française - Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer.
    M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer. Monsieur le président Ollier (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains), la situation est encore plus confuse et difficile que vous ne le dites. Avant de m'expliquer sur les mesures relatives à la loi SRUR, je tiens à rappeler que la superposition de la loi Voynet, de la loi Chevènement et des lois SRU rend les choses tellement confuses que les élus locaux n'osent plus prendre aucune initiative. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Claude Goasguen. Abrogeons !
    M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer. A la demande du Premier ministre, nous travaillons avec Nicolas Sarkozy et les ministres concernés, Patrick Devedjian et Jean-Paul Delevoye, à une simplification de la superposition de ces trois lois pour l'année 2003. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    Pour ce qui concerne spécifiquement la loi SRU, trois mesures bloquent aujourd'hui l'offre de terrain, qui est la matière première de la construction. Nous allons d'abord débloquer la règle des quinze kilomètres pour permettre que des terrains qui n'étaient plus constructibles à cause de la loi SRU le redeviennent. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Deuxièmement, en milieu rural, les maires n'osent plus accorder de permis de construire car le terrain juridique est tellement flou qu'ils craignent de devoir payer les réseaux divers et les voiries. Nous allons mettre clairement les réseaux divers et les voiries à la charge du propriétaire ou du futur propriétaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Enfin, la période transitoire entre les POS, les plans d'occupation des sols, et les PLU sera prolongée et, dans l'intervalle, nous autoriserons la révision exceptionnelle des plans d'occupation des sols pour permettre la constructibilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Telles sont, mesdames et messieurs, les mesures que prépare le Gouvernement. Ce texte, qui va développer du foncier, facilitera la construction et l'offre de logement, en faisant confiance aux élus locaux. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le président. La parole est à M. Bernard Perrut, pour le groupe UMP.

ASSURANCES DE RESPONSABILITÉ CIVILE MÉDICALE

    M. Bernard Perrut. Ma question s'adresse à M. le ministre de la santé et concerne la responsabilité médicale. J'attire votre attention, monsieur le ministre, sur une situation dont les conséquences peuvent être très graves pour notre système de santé, puisque, en l'absence de solution et à brève échéance, elle interdira à des médecins libéraux et à des établissements de soins de poursuivre leur activité. En effet, la décision annoncée par certains assureurs de résilier leurs contrats de responsabilité civile a semé le trouble dans les cabinets, les cliniques et certains hôpitaux. Sans protection juridique, médecins et chirurgiens devront renoncer à effectuer les actes les plus délicats qui peuvent engager leur responsabilité.
    La loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades risque alors de se retourner contre les patients si des actions ne sont pas rapidement engagées pour préserver leurs droits. Nous avions nous-mêmes évoqué ici cette crainte lors de la discussion de ce texte à l'Assemblée nationale. Dans ces conditions, monsieur le ministre, je souhaiterais connaître vos intentions et celles du Gouvernement, et les mesures que vous comptez mettre en oeuvre afin de rétablir le bon fonctionnement du marché de l'assurance de responsabilité civile médicale et préserver la continuité de nos structures et établissements de soins.
    Je connais monsieur le ministre, votre détermination à préserver notre système de soins, auquel les Français sont très attachés, et je ne doute pas que vous aurez à coeur de rassurer l'ensemble des Français, notamment la représentation nationale. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées.
    M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées. Mesdames, messieurs les députés, dans ce contexte difficile, le Gouvernement n'a qu'un but : préserver l'intérêt des patients. Encore faut-il que les médecins et les établissements de santé, publics et privés, soient assurés, donc qu'ils aient des assureurs.
    M. Bernard Accoyer. Assurément !
    M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées. Or, lorsque, à une responsabilité civile médicale, incertaine et fragilisée par une évolution jurisprudentielle qui conduit à l'augmentation des plaintes et des condamnations et à la multiplication par 240 en huit ans du montant des indemnités, on ajoute l'incertitude de la durée couverte par le contrat et la notion de responsabilité sans faute, les assureurs s'en vont, en particulier les grands assureurs étrangers : ACE, St Paul, Lloyds, Swiss Life et bien d'autres. Le souci du Gouvernement est donc de rétablir le marché de l'assurance.
    C'est ce que nous essayons de faire depuis quelques semaines, en concertation avec tous les partenaires, notamment les associations de malades. Nous sommes sur le point d'aboutir à une solution qui préserve le principe de l'obligation d'assurance et respecte celui de la responsabilité sans faute pour les maladies nosocomiales, dont il est vrai, cependant, que le risque sériel - 10 000 par an - est supérieur à ce que les seuls assureurs peuvent prendre en charge.
    C'est la raison pour laquelle nous sommes en train de définir, d'une part, une durée des garanties sans trou de garantie, et, d'autre part, les responsabilités respectives des assureurs et de l'Etat dans le cadre de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux - l'ONIAM. Je suis persuadé que, très rapidement, nous aurons une solution à proposer. En tout état de cause, l'Etat prendra ses responsabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)

RÉPRESSION ET PRÉVENTION DE LA DÉLINQUANCE

    M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Le Guen, pour le groupe socialiste.
    M. Jean-Marie Le Guen. Ma question s'adresse à M. le garde des sceaux.
    Monsieur le garde des sceaux, vous avez fait adopter cet été dans la précipitation et sans aucune concertation (« Oh ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle) des dispositifs de répression susceptibles d'entraîner de graves dérives à l'encontre des libertés de tous les Français.
    Je prendrai trois exemples. La suspension des allocations familiales pour les familles d'un mineur délinquant a été critiquée, pour son inefficacité et son caractère injuste, non seulement par l'ensemble des personnels de la justice des mineurs (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle), mais aussi, avec une grande fermeté, par les organisations familiales.
    La création du délit d'outrage aux enseignants a été refusée par les enseignants eux-mêmes (Protestations sur les mêmes bancs)...
    M. Richard Mallié. Par les syndicats !
    M. le président. Laissez M. le Guen s'exprimer !
    M. Jean-Marie Le Guen. ... et les organisations de parents d'élèves. Cette mesure a soulevé un tel tollé que le ministre de l'éducation nationale s'est senti obligé d'expliquer qu'il s'agissait là d'une disposition purement symbolique, qui n'avait pas vocation à être mise en oeuvre. Singulière conception de la politique pénale...
    M. Claude Goasguen. Vous pouvez parler !
    M. Jean-Marie Le Guen. La systématisation de la possibilité de recourir aux témoignages anonymes a été dénoncée par tous les juristes libéraux comme une atteinte au principe de responsabilité des citoyens. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. François Goulard. C'est faux !
    M. Jean-Marie Le Guen. Ces dispositifs et les discours qui les accompagnent désignent comme cible les jeunes et plus particulièrement les plus défavorisés, les moins intégrés d'entre eux. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Philippe Briand. Les voyous !
    M. Jean-Marie Le Guen. Dans le même temps, avec un cynisme incroyable, vous supprimez des milliers de postes de surveillant à l'école, vous déstabilisez, par la suppression des emplois-jeunes, l'ensemble des associations de médiation et de prévention. (Exclamations sur les mêmes bancs.)
    Dès lors, monsieur le garde des sceaux, ne pensez-vous pas qu'il est aujourd'hui nécessaire de rééquilibrer votre politique dans le sens de la prévention (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle), afin d'éviter que de profondes fractures ne viennent dangereusement et durablement accroître les tensions de notre société ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
    M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le député, je voudrais vous remercier d'avoir rappelé certaines des mesures qui ont été votées par la majorité de cette assemblée pour faire cesser l'un des scandales majeurs de notre société, l'absence de liberté pour les plus faibles en raison de l'insécurité qui, trop souvent, règne dans nos quartiers et dans nos écoles. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Dans le cadre de la concertation qui a entouré la préparation du texte du 9 septembre dernier, j'ai moi-même reçu soixante délégations d'organisations diverses, et mes collaborateurs en ont reçu autant. Certes, nous n'avons pas donné satisfaction à toutes les personnalités avec lesquelles nous avons discuté, mais engager la concertation ne signifie pas être systématiquement d'accord sur tout avec tout le monde. (« Exactement ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.) C'est plutôt écouter, puis décider, en fonction de la conception que l'on a de l'intérêt général. (Applaudissements sur les mêmes bancs.)
    J'en viens maintenant à la question que vous avez bien voulu me poser in fine. Je rappelle très clairement que la politique du Gouvernement, sous l'autorité du Premier ministre et dans les orientations fixées par le Président de la République, c'est précisément l'équilibre entre la prévention et la sanction. Nous avons en effet la conviction qu'il n'est pas d'éducation sans sanction.
    Pour conforter ma démonstration, je citerai deux chiffres. J'ai très clairement énoncé le premier au moment de la présentation de la loi de programmation sur la justice : au cours des cinq prochaines années, nous allons augmenter de 20 % le nombre d'éducateurs du ministère de la justice. Pour ce qui est du seul budget 2003, j'ai annoncé hier, lors d'un déplacement à Créteil, l'augmentation du nombre de juges pour enfants pendant la seule année 2003 de 20 %, car j'ai la conviction que nous devons porter une attention particulière à la justice des mineurs.
    M. François Goulard. Très bien !
    M. le garde des sceaux. Nous disposons maintenant d'un dispositif législatif qui nous en donne les moyens, et je souhaite que le nombre de magistrats et d'éducateurs puisse accompagner la modification de notre cadre législatif. Le Gouvernement est déterminé et nous nous donnons les moyens d'appliquer la loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)

PRIME À L'HERBE

    M. le président. La parole est à Mme Henriette Martinez, pour le groupe UMP.
    Mme Henriette Martinez. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, ma question s'adresse à M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales.
    Monsieur le ministre, la prime à l'herbe, qui fait l'objet d'un financement communautaire, bénéficie depuis maintenant dix ans aux zones de montagne. Elle est indispensable à l'entretien des espaces pastoraux et vitale pour le maintien des exploitations, notamment de l'élevage traditionnel, dans les zones défavorisées. Cependant, sa pérennité semble être remise en cause par la Commission européenne, ce qui inquiète les agriculteurs.
    Plusieurs députés du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle. Comme d'habitude !
    Mme Henriette Martinez. Monsieur le ministre, nous connaissons tout l'intérêt que vous portez aux zones de montagne et les efforts que vous faites pour réduire les handicaps naturels.
    Pouvez-vous nous rassurer sur la pérennité de la prime à l'herbe, sur ses modalités d'application et le délai de sa mise en oeuvre ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales.
    M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales. Madame la députée, une des priorités de notre Gouvernement en matière agricole est de favoriser les petites et moyennes exploitations dans des zones difficiles et défavorisées. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Arnaud Montebourg. Et les CTE ? (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Richard Mallié. Taisez-vous, Montebourg ! Qu'on le mette dehors !
    M. le président. Monsieur Montebourg, je vous en prie, laissez parler le ministre !
    M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales. Comme vous l'avez dit vous-même (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) ...
    M. le président. Continuez, monsieur le ministre, ne vous laissez pas interrompre !
    M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales. ... madame la députée, le mécanisme de la prime à l'herbe devait cesser de fonctionner à la fin de l'année 2002. Quand je suis arrivé au ministère de l'agriculture, au mois de mai, je n'ai trouvé ni dossier pour préparer la nouvelle prime à l'herbe...
    M. Arnaud Montebourg. Mensonge !
    M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales. ... ni intervention auprès de l'Union européenne.
    Pour le budget 2003, avec l'aide à l'installation des jeunes, avec la mise en oeuvre de la retraite complémentaire qui elle-même n'était pas financée (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), nous avons décidé d'affecter une augmentation de 70 %...
    M. Daniel Paul. Grâce à qui ?
    M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales. ... pour la prime herbagère agro-environnementale. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.) Je l'ai annoncé la semaine dernière à Clermont-Ferrand. Je puis vous dire également que l'indemnité compensatoire pour le handicap naturel, dont l'augmentation avait été annoncée par le précédent gouvernement, n'était - une fois de plus - pas financée.
    M. Christian Bataille. Tout pour les grands cultivateurs !
    M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales. Dans le collectif budgétaire du mois de juillet, le Parlement a financé cette augmentation. Elle est prolongée pour 2003 et je puis vous dire, madame la députée, qu'elle sera étendue pour les arboriculteurs dans les zones de haute montagne et de montagne sèche, que vous connaissez bien, et que, pour l'ensemble des exploitants, elle sera augmentée pour les zones de montagne, de haute montagne et de piémont.
    Avec l'augmentation de la prime spéciale « bovin mâle », dont l'acompte passera de 60 à 80 %, vous voyez donc, madame la députée, que nous avons une politique active en faveur de la montagne et des zones défavorisées. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)

SITUATION DES SANS-PAPIERS

    M. le président. La parole est à M. Christian Philip, pour le groupe UMP.
    M. Christian Philip. Ma question s'adressera à M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales, mais, avant de la poser, je voudrais, d'un mot, revenir sur les événements douloureux de cette dernière fin de semaine : l'attentat contre le maire de Paris, le crime raciste de Dunkerque ou la jeune fille brûlée vive. Je voudrais d'un mot, monsieur le ministre, rendre hommage aux forces de police qui ont su très rapidement arrêter les auteurs de ces actes inqualifiables. (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)

    Ma question porte sur un problème douloureux, celui des sans-papiers.
    Je ne veux pas polémiquer, mais, en raison d'une gestion que je dois qualifier d'irresponsable, vous héritez, monsieur le ministre, d'une situation difficile. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.) On a laissé se développer une procédure qui laisse trop souvent de trop nombreuses personnes sans réponse.
    M. Christian Bataille. La question !
    M. Christian Philip. Sans réponse pour ne pas dire non, sans réponse pour ne pas assumer les régularisations. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. François Lamy. On en reparlera !
    M. Christian Philip. La réforme annoncée des procédures d'asile constitue déjà un premier pas. (« C'est vrai ! » sur quelques bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.) Mais je crois qu'il faut encore se poser deux questions.
    M. Julien Dray. Il faut régulariser !
    M. Christian Philip. D'une part, monsieur le ministre, quels moyens entendez-vous mettre en oeuvre pour renforcer le contrôle de l'immigration illégale à nos frontières - sans quoi nous n'avancerons jamais ? Ne faut-il pas élaborer une procédure au niveau européen ?
    D'autre part, quel délai vous donnez-vous, quel délai donnez-vous aux préfets pour répondre au cas par cas à tous ces sans-papiers ? Ce sera l'honneur de ce gouvernement de leur donner une réponse, contrairement à ce qui a été fait tout au long des dernières années. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française. - « C'est faux ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.
    M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Monsieur le député, la question des sans-papiers est incontestablement l'un des sujets les plus difficiles que la société française a à affronter. Sans doute avons-nous eu grand tort, les uns comme les autres, de ne pas définir clairement, franchement, sans hyprocrisie et sans outrance, la politique de l'immigration pour la France à l'horizon des vingt années qui viennent. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.) Je reconnais bien volontiers que la responsabilité est collective, elle concerne tout le monde.
    Il nous faut refuser deux outrances. Si le Gouvernement n'accepte pas, je vous le confirme avec la plus grande détermination, de régularisations globales, parce que celles-ci n'ont jamais résolu le problème et entretiennent un climat d'exaspération qui nourrit la xénophobie (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle), il a clairement indiqué, en plein accord avec le Premier ministre, que des régularisations interviendraient, au cas par cas. Les hommes et les femmes qui connaissent aujourd'hui des situations dramatiques ne doivent pas être traités comme des ballots de marchandises, ce sont des êtres humains, et ceux qui se trouvent dans cette situation impossible auront des papiers.
    M. Philippe Briand. Très bien !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Je pense notamment à tous ceux qui ne sont ni expulsables ni régularisables. Ceux-là nous avons tout intérêt à les sortir de la clandestinité pour permettre leur intégration. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.) C'est cela le refus des outrances.
    Maintenant, l'avenir, comment se présente-t-il ?
    L'avenir, premièrement, c'est la réforme du droit d'asile. Par exemple, dans le seul département du Val-de-Marne, nous en parlions avec le ministre des affaires étrangères, 500 demandes d'asile politique ont été déposées en provenance de ressortissants roumains. Pourtant, à ma connaissance, la Roumanie est un pays démocratique. C'est un détournement manifeste des procédures, (« Eh oui ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.) et je souhaite que la réforme prévoie une procédure simplifiée dans ces cas-là, c'est-à-dire quand un demandeur d'asile politique vient d'une démocratie.
    M. Claude Goasguen. Très bien !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. La France doit accueillir la détresse du monde, non les faux demandeurs d'asile. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et sur quelques bancs du groupe Union pour la démocratie française.)
    Deuxièmement, il faut mettre en oeuvre une politique d'immigration européenne. Nous avons aboli les frontières entre nous, mais nous ne sommes pas prêts à garantir les frontières extérieures de l'Europe. Il faut une politique européenne d'immigration avec sans doute, à terme, une police européenne de l'immigration. (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Troisièmement, il faut lutter contre les filières.
    Quatrièmement, il faut que les reconduites soient effectives. (« Très bien ! » sur plusieurs bancs de l'Union pour la majorité présidentielle.) Quand un tribunal décide qu'un étranger n'a pas à résider sur le sol français, sa décision doit être exécutée. Sinon, nous ne sommes plus dans un Etat de droit. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et sur plusieurs bancs du groupe Union pour la démocratie française.)
    A l'avenir il y aura donc deux catégories d'étrangers : ceux qui ont vocation à s'intégrer à la société française, que nous devons accueillir en respectant leur dignité et la plénitude de leurs droits, et ceux qui n'ont pas vocation à s'intégrer à la société française, qui seront reconduits chez eux, avec une grande politique du développement et de la coopération. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)

AVENIR DE L'ASSURANCE MALADIE

    M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Bacquet, pour le groupe socialiste.
    M. Jean-Paul Bacquet. Ma question s'adresse à M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées.
    Monsieur le ministre, les dépenses d'assurance maladie s'envolent à nouveau. (« Eh oui ! » sur plusieurs bancs de l'Union pour la majorité présidentielle.) Elles dépassent, et de loin, les prévisions budgétaires. (« Eh oui ! » sur les mêmes bancs.)
    M. Georges Tron. La faute à qui ?
    M. Jean-Paul Bacquet. Nul ne peut s'en réjouir, d'autant que nous portons tous une part de responsabilité. (« Ah ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Avec notre système actuel, il n'y a que trois solutions possibles.
    La première serait d'augmenter les recettes, donc la contribution de chacun. Une telle solution est, à l'évidence, inacceptable, compte tenu du niveau des prélèvements obligatoires dans notre pays. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    La deuxième consiste à maîtriser les dépenses de manière comptable et coercitive. L'opinion s'y refuse à juste titre, car elle y voit la possibilité de rentrer dans une médecine à deux vitesses. Quant aux professionnels de santé, ils seraient empêchés d'exercer une profession libérale. C'est donc inacceptable.
    Ces deux premières solutions, déjà étudiées, ont fait la preuve de leur inefficacité. La troisième solution, c'est l'engagement dans une maîtrise médicalisée des dépenses.
    Monsieur le ministre - et je suppose qu'il en est de même pour votre majorité, malgré les manifestations que j'ai entendues - vous avez reconnu l'actualité de la question que vous avez vous-même posée le 1er juillet 1998 à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.) Ma question sera simple : au moment où vous prévoyez le déremboursement d'un certain nombre de médicaments et de prestations,...
    M. Richard Mallié. C'est une bonne chose !
    M. Jean-Paul Bacquet. ... au moment où vous laissez entrevoir, tant dans la presse médicale qu'au cours d'une réunion avec un important syndicat professionnel, la possibilité d'espaces de liberté concernant les honoraires des praticiens, pouvez-vous encore assurer, comme vous le faisiez en 1998, que vous n'augmenterez pas les contributions, que vous ne diminuerez pas les prestations, que vous vous opposerez à toute médecine à deux vitesses ?
    M. Lucien Degauchy. Bref, qu'on rasera gratis !
    M. Jean-Paul Bacquet. Enfin, pouvez-vous nous dire, comme en 1998, si vous êtes prêt à mettre en place un système concurrentiel dans la gestion de l'assurance maladie ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées.
    M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées. Monsieur le député, vous parlez d'or !
    M. Bernard Accoyer. Eh oui !
    M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées. Et vous connaissez bien le sujet puisque, je le rappelle à l'Assemblée, vous êtes médecin généraliste.
    M. Jean-Paul Bacquet. J'exerce toujours !
    M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées. Je crois que vous pouvez être fier d'exercer ce beau métier.
    Pour ce qui me concerne, je n'ai rien à enlever aux propos que je tenais en 1998.
    M. François Goulard. Très bien !
    M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées. Nous aurons l'occasion de parler plus longuement de la politique de santé au cours de la discussion de la loi de financement de la sécurité sociale. Mais, puisque vous me posez un certain nombre de questions, je vous précise d'ores et déjà que le Gouvernement refuse que notre système de santé évolue ou vers l'étatisation ou vers la privatisation. (Sourires.)
    M. Alain Néri. C'est le « ni, ni » !
    M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées. Ce système de santé qui a fait notre honneur, qui correspond à une socialisation des dépenses de santé,...
    Un député du groupe socialiste. C'est juste !
    M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées. ... nous devons désormais l'accompagner dans une mutation. C'est la conséquence de l'évolution de notre société. Nous aurons le temps de nous expliquer là-dessus, mais il est clair que les partenaires sociaux ont un rôle important, voire déterminant, à jouer dans ce changement.
    Deuxième point, vous avez eu raison de le rappeler, on a tenté d'abord de maîtriser l'offre, avec le numerus clausus que nous avons, les uns et les autres, mis en oeuvre. On a essuyé un échec car la pénurie s'est installée ici ou là. On a essayé de maîtriser la demande avec la maîtrise comptable. Nouvel échec, que nous assumons les uns et les autres.
    M. Jean-Claude Perez. Bla-bla-bla !
    M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées. A mon sens, c'est un pari que je fais avec le Gouvernement, il faut maintenant retrouver le chemin du dialogue, de la confiance retrouvée et de la responsabilité partagée.
    M. François Rochebloine. Bravo !
    M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées. Dans cette affaire, l'Etat prendra ses responsabilités, tout comme les organismes gestionnaires et les professionnels de santé. Les patients devront, eux aussi, comprendre que c'est leur système de santé qui est en jeu. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)

ÉLARGISSEMENT DE L'UNION EUROPÉENNE

    M. le président. La parole est à M. Christian Kert, pour le groupe UMP.
    M. Christian Kert. Ma question s'adresse à Mme la ministre déléguée aux affaires européennes.
    Madame la ministre, la construction européenne a un rendez-vous important. En effet, c'est demain que la Commission européenne présente son rapport destiné à préfigurer le groupe des dix nouveaux pays qui entreront dans la Communauté à l'horizon 2004.
    Nous le savons tous ici, ces dix pays ne partent pas tous sur la même ligne de départ. De grandes disparités les séparent. Ma première question sera donc de vous demander, madame la ministre, les critères qui prévalent pour retenir ces dix pays.
    Deuxième question, comment la France et les pays de la Communauté en général peuvent-ils aider ces pays à se mettre à un niveau suffisant pour entrer dans la Communauté ? Comment faire pour que la Pologne, par exemple, pays le plus important sur le plan démographique mais aussi l'un des plus en retard, y parvienne ?
    Enfin, troisième question, quel est le travail de la France aujourd'hui, quelle sera l'action de la France demain, à l'égard des pays qui ne feront pas partie de ce premier contingent, je pense notamment à la Roumanie, pays démocratique qu'évoquait M. le ministre de l'intérieur, si proche fraternellement de la France et qui ne paraît pas être retenue dans le groupe des dix premiers pays ?
    M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée aux affaires européennes.
    Mme Noëlle Lenoir, ministre déléguée aux affaires européennes. Monsieur le député, comme vous l'avez souligné, l'élargissement est incontestablement la grande étape historique de la construction européenne, qui doit être appréciée en tant que telle.
    La Commission va effectivement proposer demain à Bruxelles l'adhésion de dix nouveaux pays candidats de l'Europe centrale et orientale et je puis annoncer dès maintenant que la France soutiendra sans réserve et sans aucune restriction l'adhésion de ces pays pour 2004. (Approbations sur divers bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Il est vrai que certains d'entre eux, comme la Pologne que vous avez évoquée, ont encore des difficultés de rattrapage. Mais le chemin n'est pas totalement parcouru puisqu'il reste encore un peu plus d'un an. La France et le Gouvernement participent très activement notamment sur le terrain, comme vous le savez, au programme de préadhésion. Deux nouveaux projets sont en cours, notamment pour répondre aux difficultés que connaît en particulier la Pologne pour restructurer son appareil administratif et assurer la sécurité alimentaire.
    Reste le cas des trois pays qui ne vont pas nous rejoindre immédiatement, parmi lesquels la Turquie. La Turquie a, dans la période récente, accompli des progrès absolument remarquables dans la voie du respect des critères politiques de Copenhague.
    Plusieurs députés du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle. Et Chypre ?
    Mme la ministre déléguée aux affaires européennes. Il faut saluer ainsi l'adoption récente, au mois d'août, d'une loi dite d'« harmonisation européenne », qui consacre les libertés publiques en abolissant la peine de mort. C'est une date importante pour ce pays. Il faut l'encourager. Il faut aussi, pensons-nous, notablement renforcer l'aide à apporter à Ankara en 2004.
    Pour ce qui est de la Bulgarie et de la Roumanie que vous connaissez parfaitement bien, monsieur le député, là encore des efforts de rattrapage sont à accomplir. La France est très présente, tout particulièrement en Roumanie et elle soutiendra très fermement la proposition d'une date objective en 2007 pour l'adhésion de ces deux pays.
    Pour conclure, monsieur le président...
    M. Arnaud Montebourg. C'est un peu léger tout ça ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. Vraiment, vous provoquez sans arrêt, monsieur Montebourg !
    M. Claude Goasguen. Aucune galanterie !
    M. Arnaud Montebourg. En tout cas, ce n'est pas très brillant !
    Mme la ministre déléguée aux affaires européennes. On évoque souvent l'information du public sur l'élargissement. Il s'agit en effet du grand rendez-vous européen du début de ce siècle. La France, en tant que pays fondateur, répond et répondra toujours présent et je suis porteuse de l'engagement du Gouvernement à cet égard. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)

ALLOCATION PERSONNALISÉE D'AUTONOMIE

    M. le président. La parole est à M. Denis Jacquat, pour le groupe UMP.
    M. Denis Jacquat. Monsieur le secrétaire d'Etat aux personnes âgées, l'allocation personnalisée d'autonomie est entrée en vigueur le 1er janvier dernier. Elle a succédé à la prestation spécifique dépendance instaurée par la loi du 24 janvier 1997 dont elle reprend les grandes lignes.
    C'était une réforme nécessaire étant donné le nombre croissant des personnes âgées dépendantes dans notre pays. Mais c'est une réforme précaire, car son financement a été manifestement sous-estimé. En effet, la prestation n'avait pas six mois d'existence que déjà des inquiétudes se faisaient jour. Ainsi, face à l'afflux de demandes beaucoup plus élevées que prévu, un certain nombre de départements sont contraints de procéder dès cette année à une très forte augmentation de la fiscalité pouvant aller jusqu'à 30 %. Quant au financement de l'Etat, il apparaît nettement insuffisant.
    A plusieurs reprises, vous avez indiqué, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'il manquait un milliard d'euros pour financer l'APA en 2003. Pouvez-vous confirmer ces chiffres et nous indiquer si des mesures sont envisagées à brève échéance pour faire face à ce besoin de financement non prévu et sauvegarder l'allocation personnalisée d'autonomie ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat aux personnes âgées.
    M. Hubert Falco, secrétaire d'Etat aux personnes âgées. Monsieur le député, l'APA est une bonne mesure (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste) qui a été mise en place avec beaucoup de légèreté. (« Oh ! » sur les bancs du groupe socialiste. - « Oui ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Légèreté dans les estimations : tandis que 800 000 dossiers étaient prévus pour 2004, ce nombre sera atteint dès 2003.
    M. Laurent Cathala. Quel succès !
    M. le secrétaire d'Etat aux personnes âgées. Légèreté dans le financement. Le gouvernement précédent avait prévu, pour la financer, 2,5 milliards d'euros ; il faudra, en année pleine, 4 milliards d'euros.
    Nous souhaitons conserver la mesure.
    M. Alain Néri. Tout de même !
    M. le secrétaire d'Etat aux personnes âgées. Nous souhaitons lui garder son caractère universel, travailler en parfait partenariat avec les départements qui, je le rappelle, la financent aux deux tiers, le tiers restant étant financé par l'Etat à travers le fonds FAPA.
    M. Philippe Briand. On fait des lois et on fait payer les autres !
    M. le secrétaire d'Etat aux personnes âgées. Nous avons réussi à compenser les manques dans le financement prévu pour l'APA en établissement lors de la transition entre la PSD et l'APA.
    Mme Martine David. C'est normal, c'est la solidarité nationale !
    M. le secrétaire d'Etat aux personnes âgées. Nous avons trouvé, dans le courant de l'été, les 36 millions d'euros que nos prédécesseurs n'avaient pas prévus. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Au-delà des effets d'annonce, au-delà de la publicité qu'ils avaient faite sur cette mesure ô combien importante, nous souhaitons agir et travailler dans la concertation. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. Nous avons terminé les questions au Gouvernement, dans le temps qui nous était imparti.

Suspension et reprise de la séance

    M. le président. La séance est suspendue.
    (La séance, suspendue à quinze heures cinquante-cinq, est reprise à seize heures quinze.)
    M. le président. La séance est reprise.

3

IRAK

Déclaration du Gouvernement
et débat sur cette déclaration

    M. le président. L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement sur la question de l'Irak et le débat sur cette déclaration.
    La parole est à M. le Premier ministre.
    M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, j'ai souhaité avec vous, et en accord avec M. le Président de la République, qu'un débat ait lieu au Parlement sur la situation en Irak et sur la politique menée par la France pour répondre à la gravité de la tension internationale.
    Vos interrogations sont partagées par tous nos compatriotes, en France et à l'étranger, quelles que soient les sensibilités. Je veux vous confirmer ici que la France a une vision claire des enjeux et des responsabilités. Fidèle à son histoire, elle se veut une force de propositions et d'initiatives, auprès notamment de ses partenaires européens, au sein de la communauté internationale et au coeur du Conseil de sécurité.
    La France agit avec le seul souci du respect des règles qui fondent la communauté internationale, des règles d'équité, de prévoyance et de fermeté. Le Président de la République, dans ses multiples contacts avec les dirigeants du monde entier, a rappelé avec force la nécessité du respect de ces règles, et il a placé notre pays au coeur de l'action diplomatique en cours.
    Mesdames, messieurs les députés, je voudrais d'abord rappeler quelques éléments essentiels à la bonne compréhension des enjeux de cette situation.
    Premier rappel : l'Irak représente incontestablement une menace potentielle pour la sécurité de la région. L'Irak n'est certes pas le seul pays où se pose la question de la prolifération des armes de destruction massive, nucléaires, chimiques ou biologiques, mais c'est celui auquel la communauté internationale a imposé, en raison de son comportement passé, notamment depuis la guerre du Golf, les obligations les plus contraignantes.
    Nous ne pouvons oublier que l'Irak n'a pas hésité à employer l'arme chimique contre sa propre population et aussi contre l'Iran, alors que l'emploi de ces armes est prohibé par les conventions internationales. Les investigations menées par les Nations unies, après la libération du Koweït, ont révélé des programmes alors insoupçonnés en matière nucléaire et biologique. Elles ont mis en évidence des actions de dissimulation flagrantes.
    L'absence, pendant près de quatre ans, des inspecteurs des Nations unies, a multiplié les incertitudes sur la réalité des programmes d'armes de destruction de masse en Irak. Notre préoccupation, votre préoccupation est donc légitime.
    L'Irak, par ses atermoiements et ses dérobades, a trop longtemps défié la volonté du Conseil de sécurité. A côté des dangers de la prolifération d'armes de destruction massive, c'est aussi l'autorité du Conseil de sécurité, clef de voûte du système de sécurité internationale, qui est en cause. Cette situation ne peut pas durer. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Deuxième rappel : l'Irak, par son histoire, sa position géographique, ses ressources, est un pays-clé dans une zone fragile du Moyen-Orient.
    Source de la civilisation depuis Sumer, depuis Babylone, il concentre une histoire complexe, source de tensions contemporaines. Bagdad a été le centre d'un empire puissant, l'empire abbasside, entre les huitième et treizième siècles. Il se veut aujourd'hui le phare du nationalisme arabe. Saladin, né comme Saddam Hussein à Tikrit et qui a su défaire en Galilée les Croisés et libérer Jérusalem,...
    M. Jacques Myard. Libérer ?
    M. le Premier ministre. ... est également une référence pour l'Irak.
    Cet héritage, cette ambition l'ont mené à des aventures inconsidérées, dont il paie aujourd'hui le prix. Sa position stratégique, en contact avec l'Iran, le Proche-Orient, le golfe Persique, le place au confluent de toutes les crises.
    La fin de l'Empire ottoman et la création de l'Irak qui s'en est suivie, par le rassemblement de trois anciennes provinces ottomanes dont le mandat était confié au Royaume-Uni, sont à l'origine de l'Irak moderne avec la diversité de ses populations et de ses attaches religieuses. Cette complexité est à la source de notre inquiétude.
    Au plan économique, l'Irak dispose d'atouts incontestables. Baigné entre le Tigre et l'Euphrate qui encadrent le « Croissant fertile », il a certes des ressources agricoles rares pour la région, et il mérite son nom de « Pays de l'eau ». Mais ce pays, avec une population instruite, fragilisée par les guerres et l'embargo, est aujourd'hui dans une situation de désespoir. Et je ne reviendrai pas sur les ressources en hydrocarbures, qui représentent 10 % des réserves mondiales, les secondes au monde, et ne sont pas naturellement indépendantes de ce dossier.
    Cette position centrale, le caractère composite du pays, ses ressources, peuvent alimenter des forces centrifuges, des appétits et des ambitions dont personne ne peut être sûr de maîtriser les conséquences, notamment sur l'intégrité territoriale du pays et la stabilité de la région.
    C'est un constat : les pays jeunes ont tendance à mésestimer l'histoire des vieux pays.
    Les hypothèses, en cas de changement de régime, restent marquées par l'incertitude et la France n'est pas seule à nourrir les plus grandes interrogations à ce sujet. Les débats aux Nations unies nous ont montré que nos préoccupations sont très largement partagées. Et nous voyons bien aujourd'hui que cette attitude préoccupe l'ensemble de nos partenaires, y compris nos partenaires européens.
    Face à de tels enjeux, la politique de la France repose sur deux axes clairement énoncés : l'unité de la communauté internationale comme garant de légitimité et d'efficacité ; et la détermination par le Conseil de sécurité des mesures à prendre en cas de manquement irakien, sans exclure aucune option.
    Il faut réduire la menace potentielle de l'Irak en faisant jouer la cohésion de la communauté internationale. C'est notre gage d'efficacité. Les résolutions du Conseil de sécurité - principalement la résolution 687 - adoptées après la guerre du Golfe fixent des obligations très claires à l'Irak dans le domaine du désarmement : renonciation aux armes de destruction de masse, destruction de celles en sa possession.
    C'est l'objectif qu'a fixé à notre action le Président de la République. Et c'est sur cet objectif, et lui seul, que peut se faire aujourd'hui l'unité de la communauté internationale. La puissance de la pression est directement liée à la constance de la cohésion au sein de la communauté internationale.
    Après la crise de 1999, la résolution 1284 du Conseil de sécurité a fixé des dispositions complémentaires sur la conduite des inspections et sur la séquence devant mener à l'allégement des sanctions contre l'Irak. C'est sur cette base que la France conduit aujourd'hui les consultations avec ses partenaires du Conseil de sécurité.
    Cette résolution nous paraît être suffisante, mais nous sommes prêts à l'adoption d'une nouvelle résolution, si cela paraît nécessaire pour apporter les précisions et les compléments utiles pour assurer l'efficacité des inspections, voire pour fixer des échéances.
    L'essentiel est que le message soit une extrême clarté : le Conseil de sécurité est uni et déterminé pour obtenir le retour très rapide des inspecteurs et l'élimination des armes de destruction massive. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    En toute hypothèse, la France tiendra le plus grand compte des recommandations du président de la Commission de contrôle de l'ONU et du directeur général de l'Agence internationale de l'énergie atomique, qui sont le mieux à même d'apprécier ce qui est nécessaire.
    La logique de la pression a montré son efficacité et la France entend bien la pousser à son terme. Cela permet, comme l'a dit récemment M. Giscard d'Estaing, de définir une voie alternative, de prévenir la guerre, et non de fournir un habillage à la guerre.
    Les débats à l'Assemblée générale des Nations unies en septembre ont montré à l'Irak l'impasse de toute obstination. Ils ont aussi manifesté la volonté générale, y compris de la part des Etats-Unis, avec le discours du 12 septembre du Président Bush, de recourir au Conseil de sécurité pour décider des mesures à prendre. Cela a amené l'Irak à accepter, le 16 septembre, dans une lettre du ministère des affaires étrangères au secrétaire général des Nations unies, le retour inconditionnel des inspecteurs de l'ONU.
    Il faut donc tirer parti de ce mouvement, et « prendre l'Irak au mot » comme le disait Dominique de Villepin. C'est ce qui a été fait. Les entretiens de la semaine dernière, à Vienne, entre les autorités irakiennes, le président de la Commission de contrôle des Nations unies et le directeur général de l'Agence internationale de l'énergie atomique, ont eu des résultats positifs. Ils ont permis de préciser les modalités pratiques de la reprise des inspections et de définir les ajustements nécessaires au système existant sur la base des dispositions de la résolution 1284 de 1999 du Conseil de sécurité.
    Mais c'est sur le terrain que l'on pourra apprécier la réalité des intentions de l'Irak, sur la foi des rapports des inspecteurs.
    M. Jacques Myard. Très bien !
    M. le Premier ministre. Si la Commission de contrôle de l'ONU constatait des manquements, des violations sérieuses, celles-ci devraient être rapportées au Conseil de sécurité, à qui il appartiendrait de les apprécier, d'en tirer les conséquences et de prendre les décisions appropriées.
    Tel est le sens de la démarche en deux temps, définie par le Président de la République, et qui est largement partagée au sein de la communauté internationale. Elle unit la détermination à faire prévaloir l'autorité du Conseil de sécurité face à l'Irak, et aussi l'exigence de conserver la maîtrise de nos choix. En effet, mesdames et messieurs les députés, il ne faut considérer - c'est notre conviction - le recours à la force que comme un dernier recours, lorsque tout a été tenté pour résoudre la situation par la voie diplomatique. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Il n'existe pas de guerre propre, il n'existe pas de guerre facile. La guerre n'est pas une étape, mais une épreuve. Pensons aux civils, pensons aux conséquences humanitaires sur les vingt-quatre millions d'Irakiens déjà soumis à des souffrances qui heurtent les consciences.
    La guerre ne doit jamais être une opportunité, un choix de circonstance, mais une extrémité qui ne doit être envisagée qu'avec la plus grande gravité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.) Le seul rappel de l'histoire de l'Europe devrait suffire à convaincre de cette vérité.
    A ceux qui développent la vision simpliste de la guerre du bien contre le mal, je rappellerai cette pensée de René Char : « Le mal vient toujours de plus loin qu'on ne croit et ne meurt pas forcément sur la barricade qu'on lui a choisie. »
    Mesdames et messieurs les députés, la tension ne s'arrête pas au seul cas de l'Irak. On ne peut le dissocier de la situation du Proche-Orient et de l'équilibre du système international dans son ensemble.
    Aucune crise ne peut être considérée de façon isolée. Au Moyen-Orient, nous le savons bien, les peuples, les opinions, font se rejoindre la question de la paix entre Israël et les Palestiniens et celle de l'Irak.
    Une action militaire contre l'Irak, perçue comme illégitime car ne reposant pas sur l'assentiment de la communauté internationale et ne faisant pas progresser la paix au Proche-Orient, renforcerait ce sentiment d'injustice qui prévaut aujourd'hui dans le monde arabe. Elle porterait en germe le danger d'un éloignement entre le monde arabe et musulman et l'Occident. A plusieurs reprises, le Président Chirac a alerté les dirigeants des pays développés sur les risques de leur isolement international.
    Sur cette question aussi, notre diplomatie est mobilisée, avec ses partenaires européens, avec la Russie, avec la Chine, avec l'Amérique, pour sortir de l'impasse.
    Le message adressé par le Conseil de sécurité, lorsqu'il a adopté le mois dernier la résolution 1435 prescrivant la levée du siège de l'autorité palestinienne, est donc pour nous très important.
    Il montre que la communauté internationale a compris la nécessité de mettre un terme à un cycle infernal, qui laisse l'initiative au terrorisme, à ceux qui ne veulent pas de la paix. Celle-ci ne peut se concevoir que dans le respect égal du droit d'Israël à exister dans des frontières sûres et reconnues, ainsi que du droit des Palestiniens à un Etat viable et sûr, leur permettant de réaliser leurs aspirations nationales. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.) Là aussi, les résolutions du Conseil de sécurité doivent être respectées.
    M. Jean-Claude Lefort. Quand ?
    M. le Premier ministre. La primauté du droit international, l'idée selon laquelle l'emploi de la force doit rester le dernier recours, sont des principes fondateurs de l'ordre que nous avons cherché à construire après la Seconde Guerre mondiale.
    Le droit n'exclut pas le recours à la force, mais la règle internationale exclut la force unilatérale telle qu'elle a été codifiée à San Francisco, il y a bientôt soixante ans, dans la Charte des Nations unies. C'est le message que la France entend aujourd'hui porter dans notre monde troublé et déséquilibré.
    Ce message dépasse nos clivages politiques et je me souviens des propos lus à cette tribune par l'un de mes prédécesseurs en janvier 1991, à la veille de la guerre du Golfe : « La France assume le rang, le rôle et les devoirs qui sont les siens et se déclare solidaire du camp du droit contre la politique de l'agression et du fait accompli. »
    Cette volonté de respecter et en même temps de bâtir des règles internationales doit s'exprimer au Conseil de sécurité, mais aussi au sein de l'Union européenne, l'horizon de notre solidarité première. Je souhaite qu'à l'occasion de la crise irakienne, l'union conforte une vision commune, fondée sur des principes universels.
    Mesdames et messieurs les députés, la France est déterminée à assumer toutes ses responsabilités. Elle a décidé de se doter des moyens nécessaires pour sa diplomatie comme pour sa défense.
    La représentation nationale sera, je n'en doute pas, attentive à s'assurer de sa pleine information et à jouer son rôle. Mon gouvernement s'emploiera, évidemment, à satisfaire cette attente.
    Je terminerai sur une conviction : l'engrenage de la violence n'est pas une fatalité, il existe toujours une alternative. C'est la force du droit, qui est notre conviction et qui, sur ce dossier, est notre espoir. J'ai confiance dans notre diplomatie. Sous l'impulsion du Président de la République et sous la conduite du ministre des affaires étrangères, elle met toute son intelligence au service de la stratégie qu'au nom du Gouvernement que je viens de vous présenter. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. Dans le débat, tel qu'il a été organisé par la conférence des présidents, la parole est à M. Jean-Marc Ayrault, pour le groupe socialiste.
    M. Jean-Marc Ayrault. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, dès le 16 septembre, les députés socialistes avaient demandé l'organisation d'un débat sur la menace de guerre en Irak. Je me félicite qu'il ait lieu aujourd'hui. Il est normal que le Parlement puisse délibérer d'une question aussi importante pour la sécurité du monde, comme l'ont fait la plupart des Parlements des grandes démocraties.
    M. Pierre Lellouche. J'avais demandé la même chose après le 11 septembre 2001 !
    M. Jean-Marc Ayrault. Il y a un an, presque jour pour jour, le gouvernement de Lionel Jospin nous avait réunis dans des conditions analogues pour définir la riposte au sanglant défi qu'ont constitué les attentats du 11 septembre. Nous avions alors exprimé une solidarité sans faille avec le peuple américain et ses dirigeants, pour vaincre le terrorisme. Cette cause demeure juste. L'intervention en Afghanistan a permis de briser le sanctuaire d'Al-Qaïda et de renverser le régime théocratique qui lui prêtait la main, Mais, mes chers collègues, c'est une victoire inachevée. Ben Laden a pu échapper aux mailles du filet et Al-Qaïda n'est pas détruite. Ils continuent ensemble de disposer de réseaux souterrains et de complicités actives dans certains Etats. Ils possèdent des moyens financiers importants que la lutte, notoirement insuffisante, contre les paradis fiscaux et le blanchiment d'argent n'a pas permis d'assécher. N'oublions pas enfin qu'ils peuvent s'approvisionner en armements de toute sorte sur les marchés parallèles, qui prospèrent en toute impunité en divers points de la planète.
    Avant de parler de Saddam Hussein, gardons cette vérité à l'esprit : le terrorisme demeure l'ennemi public numéro un. Notre priorité doit être le démantèlement de toutes les organisations qui recourent à la terreur de masse. Ce rappel me paraît indispensable pour dissiper les confusions qu'a provoquées l'administration américaine en faisant le lien entre la luttre antiterroriste et son projet d'intervention en Irak. Ce lien est loin d'être établi. On parle de contacts, de déplacements de lieutenants de Ben Laden à Bagdad. Mais, à ce jour, aucune preuve d'une complicité entre l'Irak et Al-Qaïda n'a été apportée. Plus sérieuse, est, en revanche, la deuxième accusation concernant la production de stocks d'armes de destruction massive.
    Depuis quatre ans, Saddam Hussein s'expose à ce soupçon en violant les résolutions de l'ONU qui soumettent l'Irak au contrôle des inspecteurs internationaux. Une telle attitude laisse à penser qu'il poursuit son programme d'armement bactériologique et atomique. Mais là encore, les divers rapports publiés, et particulièrement celui qu'a présenté le Premier ministre britannique Tony Blair devant les Communes, n'apportent pas de preuve déterminante.
    Rapporter ces constats, mes chers collègues, n'est pas faire preuve d'une quelconque complaisance à l'égard du régime de Saddam Hussein et de Saddam Hussein lui-même. Saddam Hussein est un dictateur malfaisant et retors, qui opprime son peuple, persécute les minorités de son pays et menace la stabilité de la région. L'empêcher de se doter d'armes de destruction massive est une nécessité.
    La pression internationale a permis d'obtenir un premier résultat, en contraignant les autorités irakiennes à se soumettre sans condition à un retour des inspecteurs de l'ONU. L'accord de Vienne doit être appliqué sans subterfuge et avec la plus grande vigilance : les inspecteurs doivent contrôler tous les sites suspects, sans entrave d'aucune sorte, et personne, en dehors de quelques voyageurs imprudents, ne sera assez naïf pour croire Saddam Hussein sur parole. Mais, dès lors qu'il accepte de se plier à la loi internationale, rien n'autorise l'Amérique à dicter la guerre. Or, c'est ce qui est en train de se produire.
    Tous les discours du président George Bush préparent une intervention militaire contre l'Irak, à commencer par l'ultimatum inacceptable adressé le 13 septembre à l'Assemblée générale des Nations unies. Sa volonté d'imposer, coûte que coûte, le recours à la force, sa comparaison indécente entre l'action de l'ONU et l'impuissance de la SDN, sa menace de s'affranchir des décisions du Conseil de sécurité et de mener une « guerre préventive » sans fondement légal, tout va dans le sens d'une intimidation de la communauté internationale. Que le ministre des affaires étrangères ait pu, sur le moment, juger positif un discours aussi arrogant et unilatéral était pour le moins troublant. La position a été, heureusement, corrigée depuis.
    Car un pas de plus a été franchi dans l'escalade avec l'avant-projet de résolution présenté par les Etats-Unis et la Grande-Bretagne au Conseil de sécurité. Ce texte est, en quelque sorte, la mise à feu d'une intervention : « Tout manquement de l'Irak, à n'importe quel moment, représentera une nouvelle violation flagrante des obligations de l'Irak. Elle autorisera les Etats membres du Conseil de sécurité à employer tous les moyens nécessaires pour rétablir la paix internationale et la sécurité dans le monde. » Ainsi, l'Amérique se réserve le droit de lancer ses troupes en Irak, sous n'importe quel prétexte et à n'importe quel moment. L'ONU ne serait plus alors qu'une chambre d'enregistrement et une couverture légale.
    Laisser commettre un tel coup de force juridique et diplomatique serait contredire tous les principes de légalité et de justice internationales que nous défendons depuis cinquante ans. Ce serait ruiner la prédominance et la crédibilité de l'ONU dans le règlement des conflits. Ne nous y trompons pas : la doctrine de la guerre préventive n'est rien d'autre qu'un hyper-droit d'ingérence pour une hyperpuissance. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Bush l'a écrit...
    M. Jean-Claude Lefort. Il écrit ?
    M. Jean-Marc Ayrault. ... dans un article du 13 septembre, publié par plusieurs journaux en France et dans le monde, et précurseur du livre blanc sur la nouvelle stratégie américaine : « Parce que c'est une question de bon sens et d'autodéfense, l'Amérique interviendra avant même que la menace ne se concrétise. Nous ne pouvons pas, pour défendre l'Amérique et ses amis, nous contenter de voeux pieux. » Et de poursuivre : « Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour apporter l'espoir de la démocratie, du développement, du marché libre et du libre-échange aux quatre coins du monde. »
    M. Pierre Lellouche. Et alors ?
    M. Jean-Marc Ayrault. Mes chers collègues, on peut s'étonner que le marché et le libre-échange soient érigés en valeurs universelles, mais l'essentiel est ailleurs. De l'autodéfense légitime contre le terrorisme, l'administration américaine est en train de dériver vers une croisade aux accents télé-évangélistes contre ce qu'elle appelle « l'axe du mal ».
    M. Pierre Lellouche. Arrêtez la caricature !
    M. Jean-Marc Ayrault. Elle s'arroge le droit exorbitant de faire la police contre les Etats dits voyous qui ne répondent pas à ses critères politiques ou économiques. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.) De cette manière, M. Bush efface cinquante ans de construction d'une sécurité collective pour renouer avec une conception impériale de l'ordre international. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Exclamations sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Pierre Lellouche. Heureusement qu'ils étaient là en 1944 !
    M. Jean-Marc Ayrault. Cette thérapie peut séduire ceux qui voient planer, dans chaque conflit, le « syndrome munichois » - il en existe sur les bancs de votre majorité, monsieur le Premier ministre, mais son application a toutes les chances d'être pire que le mal.
    Pour l'Irak, d'abord, l'administration américaine brouille savamment ses buts de guerre. Du désarmement de l'Irak, on est passé au renversement du régime de Saddam Hussein, du renversement de Saddam Hussein au contrôle des puits de pétrole, des puits de pétrole à la pacification de la région. Avec quels hommes, avec quelles nouvelles équipes dirigeantes ? Mystère. Certains membres de l'entourage de M. Bush, tellement peu sûrs de pouvoir trouver ces hommes providentiels, sont allés jusqu'à prédire une « occupation américaine de cinquante ans ». C'est là une politique qui fait bon marché de la fierté nationale du peuple irakien, soumis depuis onze ans aux privations de l'embargo et aux bombardements. C'est faire fi de la mosaïque complexe de minorités qui compose l'Asie mineure. Jouer au puzzle dans une région aussi compliquée, pour paraphraser le général de Gaulle, mes chers collègues, c'est jouer avec des allumettes dans un baril de poudre.
    Une telle politique ne peut que conduire à l'éclatement de l'indispensable coalition contre le terrorisme. On en voit de multiples prémices avec le refus de la plupart des pays voisins de l'Irak, pourtant instruits de ses prétentions dominatrices, de s'associer à une seconde guerre du Golfe. La Turquie elle-même, membre de l'OTAN, peu suspecte d'anti-américanisme, vient d'avertir du danger de déstabilisation de toute la région que provoquerait l'entreprise américaine.
    Mais la conséquence la plus grave sera d'approfondir le schisme avec des opinions arabes de plus en plus convaincues que l'ordre occidental est aussi dur à leur endroit qu'il est complaisant avec ses alliés.
    Mme Martine David. C'est vrai !
    M. Jean-Marc Ayrault. On somme l'Irak de respecter les résolutions de l'ONU, mais on ferme les yeux sur leurs violations systématiques au Proche-Orient. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.) On montre du doigt l'absence de démocratie dans les Etats arabo-musulmans, mais on oublie que c'est l'Occident qui les a souvent installés, soutenus et équipés. (Mêmes mouvements sur les mêmes bancs.) On condamne la répression des minorités religieuses, mais on détourne le regard sur le sort des Tchétchènes. On vante les bienfaits du libre-échange, mais on reste sourd aux demandes du tiers monde à l'OMC. Toutes ces injustices nourrissent autant l'intégrisme que les milliers de prêches des mollahs.
    Plusieurs députés du groupe socialiste. Eh oui !
    M. Jean-Marc Ayrault. Défions-nous donc du messianisme ! On part semer la civilisation et les lumières, on finit en récoltant le terrorisme et l'obscurantisme. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Pierre Lellouche. Franchement lamentable !
    M. Philippe Briand. Voilà le résultat de cinq ans de gouvernement Jospin !
    M. Jean-Marc Ayrault. Enfin, mes chers collègues, comment passer sous silence le risque d'une crise économique mondiale alors que la récession frappe à nos portes ? Nos économies et particulièrement celles des pays les plus pauvres ne résisteront pas à un nouveau choc pétrolier. Oui ! La guerre préventive impose le droit de la force plutôt que la force du droit. Après Bagdad, jusqu'où ira cette doctrine ? Jusqu'à Téhéran ? Jusqu'à Ryad ? Jusqu'à Pyongyang ? Et que fera-t-on quand les Chinois ou les Russes s'aviseront de faire la même chose à Taïwan ou en Géorgie ?
    Monsieur le Premier ministre, il est encore temps d'arrêter l'entreprise de M. Bush en refusant de lui prêter la main directement ou par passivité. La mise en garde qu'ont lancée conjointement le Président de la République et le chancelier Schröder est salutaire.
    M. Pierre Lellouche. Ne confondez pas !
    M. Jean-Marc Ayrault. Elle exprime la voix de la raison, celle d'une écrasante majorité de pays en Europe, en Asie, en Afrique, dans le monde arabe.
    « Tout tenter avant la guerre », avez-vous dit, monsieur le Premier ministre. Fort bien, mais il faut aller maintenant plus loin pour empêcher l'irrémédiable. Que la France dise clairement non ! à cette guerre qui porte en germe « le choc des civilisations » que nous entendons prévenir ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.) Qu'elle explique sans détour qu'elle refusera de prêter son concours politique et militaire à une intervention anglo-américaine.
    M. Pierre Lellouche. Merci Daladier ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Jean-Marc Ayrault. Et je redoute qu'une trop grande prudence de votre part ne finisse dans un assentiment passif et dans une participation active. C'est pourquoi, au nom de tous les socialistes, je demande que la France annonce qu'elle opposera son veto à l'actuel projet de résolution américain devant le Conseil de sécurité de l'ONU (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains. - Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle)...
    M. Alain Juppé. C'est absurde !
    M. Pierre Lellouche. L'opposition ne vous fait pas de bien, monsieur Ayrault !
    M. le président. Monsieur Lellouche ! Vous n'avez pas la parole !
    M. Jean-Marc Ayrault. ... et qu'elle s'opposera à toute résolution qui pose la guerre comme postulat de départ.
    M. Renaud Donnedieu de Vabres. Il n'est pas question de cela !
    M. Philippe Briand. Il est question de contrôler !
    M. Jean-Marc Ayrault. Le droit international ne peut couvrir cette iniquité guerrière du manteau de la légalité.
    M. Jacques Myard. Ce n'est pas Jospin qui a écrit ce discours !
    M. Jean-Marc Ayrault. Mes chers collègues, pour que cette position ait toute sa force, elle doit être l'expression de la nation tout entière. Que le chef de l'Etat et notre diplomatie sortent de leur tour d'ivoire ! (Vives protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. François Sauvadet. C'est indigne !
    M. Michel Herbillon. Vous êtes enfermé dans votre dogmatisme !
    M. Philippe Briand. C'était mieux quand M. Jospin relisait les discours !
    M. le président. Laissez M. Ayrault s'exprimer !
    M. Jean-Marc Ayrault. Je pensais, mes chers collègues, que vous seriez d'accord pour construire une entente nationale comme François Mitterrand l'avait fait pendant la guerre du Golfe. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Pierre Lellouche. Avec Chevènement !
    M. Jean-Marc Ayrault. Oui. Comme François Mitterrand l'a fait pendant la guerre du Golfe en informant toutes les forces parlementaires, en les associant dans une démarche commune pour expliquer notre position aux opinions et aux gouvernements étrangers.
    M. Richard Cazenave. C'est ridicule !
    M. Jean-Marc Ayrault. N'en doutez pas, ce veto est attendu en France et partout dans le monde. Même à Londres et à Washington, nombreux sont ceux qui refusent les excès de leur gouvernement.
    M. Martine David. Bien sûr !
    M. Christian Bataille. A Berlin aussi !
    Mme Christine Boutin. Tout cela n'est pas à l'honneur du parti socialiste !
    M. Jean-Marc Ayrault. Monsieur le Premier ministre, si vous engagez la France militairement dans cette aventure irakienne, alors, le Parlement devra se prononcer par un vote comme il y a douze ans lors de la guerre du Golfe. Il serait indigne que la nation, par le truchement de ses représentants, soit exclue d'une décision aussi grave. Le veto ou le vote,...
    M. Arnaud Montebourg. Le veto enfin !
    M. Jean-Marc Ayrault. ... alors s'exprimera une voix claire. Monsieur le Premier ministre, nous attendons vos engagements. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    Mes chers collègues, cette exigence de clarté n'est nullement motivée par un pacifisme aveugle...
    M. Pierre Lellouche. Ben voyons !
    M. Jean-Marc Ayrault. ... ou par un anti-américanisme simpliste.
    M. Philippe Briand. Ben voyons !
    M. Jean-Marc Ayrault. Au Koweït, au Kosovo, en Afghanistan, nous avons approuvé et soutenu l'utilisation de la force. Parce qu'elle était l'arme du droit. Parce qu'elle venait protéger des peuples envahis et menacés dans leur existence. La guerre est parfois l'ultime sécurité. Elle n'en est jamais le commencement.
    Les Américains sont nos alliés, les Américains sont nos amis.
    M. Philippe Briand. Les Américains ont vraiment de la constance !
    M. Jean-Marc Ayrault. Nous sommes unis par les valeurs et par l'histoire. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.) Je récuse le dénigrement absurde et systématique de ce qu'ils sont, de ce qu'ils font, simplement parce qu'ils sont la première puissance de ce monde. Mais une communauté de destin n'est pas l'alignement en tout et partout. Elle n'interdit pas la critique légitime non pas d'un pays, mais d'une politique. Les Américains eux-mêmes débattent avec vigueur des vues stratégiques de M. Bush.
    M. Michel Herbillon. Caricature !
    M. Jean-Marc Ayrault. Il est temps de sortir du complexe de l'hyper-puissance qui nous fait osciller entre admiration et rejet, entre suivisme et cocardisme.
    Mme Christine Boutin. Nous ne sommes pas complexés, nous !
    M. Jean-Marc Ayrault. L'Amérique a ses intérêts. L'Europe et la France ont les leurs. Ils convergent souvent, ils divergent parfois. Mais comme le souligne Thierry de Montbrial, « ceux qui mettent en garde contre les risques d'une intervention politiquement mal préparée en Irak ne sont pas antiaméricains, pas plus qu'ils ne sont munichois ».
    M. Philippe Briand. Cherchez d'autres citations, Karl Marx par exemple, ça vous va mieux !
    M. Jean-Marc Ayrault. Monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, je voudrais encore rappeler que le terrorisme, s'il a ébranlé le monde le 11 septembre 2001, ne l'a pas fait changer. Vouloir redéfinir les principes qui fondent notre sécurité collective sous l'empire de la crainte serait une grave erreur. Le premier de ces principes est la prédominance des Nations unies dans le règlement des crises. C'est à l'ONU de dire le droit.
    M. Jacques Le Nay. On n'a pas dit autre chose !
    M. Jean-Marc Ayrault. C'est au Conseil de sécurité d'analyser les situations, d'évaluer les risques. C'est à lui seul de décider un éventuel recours à la force si la nécessité en était démontrée.
    Le deuxième principe est de faire respecter partout le droit de la même manière. Avant de s'en prendre à l'Irak, que M. Bush sorte de sa torpeur au Proche-Orient ! Tout le monde sait qu'il n'y a pas là-bas de solution militaire.
    Qu'attendons-nous, la France, les Etats-Unis, l'Europe, la Russie, pour imposer à M. Sharon et M. Arafat une grande conférence de paix, sous l'égide des Nations unies ? L'accord de Taba, le plan Mitchell, le plan saoudien ont ouvert la voie à ses solutions politiques. Pourquoi votre gouvernement et le Président de la République n'ont-ils pris aucune initiative depuis des mois ? (Vives protestations sur les bancsdu groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Arnaud Montebourg. Très juste !
    M. Richard Cazenave. Qu'est-ce que vous avez fait pendant cinq ans ? Ce propos est indécent !
    M. Philippe Briand. C'est ridicule !
    M. Henri Emmanuelli. C'est vous qui êtes ridicules !
    M. Jean-Marc Ayrault. Le troisième principe est le refus de tous les messianismes. La démocratie a fait beaucoup plus de progrès ces quinze dernières années par l'aide économique et politique que par les frappes, plus ou moins chirurgicales. Et si l'on veut que le monde arabe ou musulman se joigne à ce mouvement, si l'on veut qu'il se détourne de l'intégrisme de la théocratie, il faut lui proposer un pacte de même nature que le plan Marshall ou, à un autre niveau, celui que la France et l'Afrique ont conclu il y a dix ans, à La Baule, sous l'égide de François Mitterrand : coopération économique contre démocratie.
    M. Philippe Briand. En cinq ans, vous avez fait quoi ?
    M. Richard Cazenave. C'est pathétique, monsieur Ayrault !
    M. Jean-Marc Ayrault. Oui, mes chers collègues, je le vois, je l'entends aussi, cette approche est certainement plus ardue, moins spectaculaire qu'un raid sur Bagdad,...
    M. Michel Herbillon. Elle est surtout caricaturale !
    M. Arnaud Montebourg. C'est votre attentisme qui est caricatural !
    M. Jean-Marc Ayrault. ... mais elle offre de bien meilleures garanties pour ancrer une sécurité durable. Montaigne l'a dit bien avant nous : « L'une des plus grandes sagesses en l'art militaire, c'est de ne pas pousser son ennemi au désespoir. » C'est à méditer. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. Pierre Lellouche. Pauvre Jaurès !
    M. le président. La parole est à M. François Bayrou, pour le groupe UDF.
    M. François Bayrou. Monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre des affaires étrangères, pour beaucoup de Français, l'Irak est loin. Pourtant, dans cet hémicyle, devant la représentation nationale, l'Irak devrait être l'objet de tout notre souci.
    Sont en effet présents dans le conflit irakien tous les éléments de ce que sera ou ne sera pas le xxie siècle.
    Il ne s'agit pas seulement de la paix et de la guerre, à un moment et en un lieu donné de la planète particulièrement dangereux, particulièrement explosif. Il s'agit de l'équilibre futur du monde dans lequel nous allons vivre.
    La première question posée par l'Irak, c'est la question des dictatures armées. Saddam Hussein est un tyran. Il est à la tête de l'un des plus fermés et de l'un des plus cruels totalitarismes de la planète. Au service de la seule ivresse de sa puissance, Saddam Hussein avait bâti la deuxième armée de cette région. Il a montré, en envahissant le Koweït, quelle était la réalité de ses intentions.
    Cette armée a lourdement payé la note, et plus lourdement encore le peuple irakien, les enfants irakiens, aujourd'hui frappés d'une mortalité de plus de 10 %, 108 pour mille, victimes sans défense du chef qui les accable et du conflit qu'il a déclenché.
    M. Henri Emmanuelli. Et de l'embargo aussi !
    M. François Bayrou. Depuis dix ans, Saddam Hussein a-t-il reconstitué un potentiel militaire dangereux ? Assurément, en partie. Nous avons lu avec soin la documentation publiée par le gouvernement britannique. Elle comporte peu de preuves certaines, mais un faisceau de présomptions, sur lequel tout le monde ou à peu près se retrouve : Saddam Hussein possède à nouveau des armes chimiques par centaines de tonnes, des armes biologiques et d'une certaine compétence en matière nucléaire. Peut-on se désintéresser de cet arsenal ? La réponse est non !
    M. Jacques Myard. Très bien !
    M. François Bayrou. Les démocraties devraient être, à jamais, vaccinées contre le virus de l'indifférence négligente. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et sur quelques bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.) Si, dans les années 30, elles étaient intervenues contre Hitler quand il était encore temps, elles auraient évité à l'humanité une guerre mondiale, des millions de morts, la Shoah et la page la plus effroyable de son histoire. Nous n'aurons plus jamais droit à l'indifférence. Le droit d'ingérence découle des leçons de l'histoire. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Jacques Myard. Très bien !
    M. François Bayrou. Cependant, il est un paradoxe que nul ne peut ignorer : cet arsenal menaçant que Saddam Hussein est soupçonné de posséder, ceux qui le mettent en accusation en possèdent eux-mêmes cent fois, mille fois, dix mille fois plus en capacité de destruction que lui ! Et à la surface de la planète, combien de régimes qu'on appelle pudiquement autoritaires, combien de dictatures en vérité, ont accumulé des arsenaux sans commune mesure avec ceux de l'Irak ? Chacun connaît la liste de ces puissances : l'Iran, la Chine qui opprime le Tibet, le Pakistan toujours au bord de la guerre avec l'Inde, la Syrie, bien d'autres encore, qui font peser de lourdes menaces sur leurs peuples et sur la paix du monde.
    Quel est donc le critère qui permettrait de déclencher le feu contre l'Irak et de s'en abstenir soigneusement dans tous les autres cas ? En fait, il n'est qu'un seul critère : le sentiment que l'armement et l'instabilité des dirigeants atteignent, pour la région et pour le monde, un seuil de dangerosité qui oblige à l'action. C'est de l'appréciation de ce seuil de dangerosité que doit dépendre la décision.
    La décision doit se prendre avec à l'esprit les conséquences qui en découleront : intensité des combats, sort de Saddam Hussein, conséquences sur le peuple irakien, éventuelles réactions en chaîne au Moyen-Orient et sur l'économie de la planète, enfin conséquences éventuelles sur le terrorisme mondial. Le simple énoncé de ces questions indique en quel terrain explosif nous sommes.
    Cela étant, il est tout aussi important de se demander à qui doit appartenir la décision. Selon la réponse que l'histoire immédiate va apporter à cette question, le visage du monde ne sera plus jamais le même : ou bien c'est l'arbitraire souverain d'un gendarme du monde autoproclamé, du plus puissant considérant que la raison du plus fort est toujours la meilleure ; ou bien ce sont les Nations unies, les institutions dont s'est dotée la communauté des Etats de la planète, qui peuvent faire entendre et respecter une idée du droit et de la loi à laquelle acceptent de se soumettre les forts aussi bien que les faibles.
    Cela va être le choix entre la force ou le droit.
    Dans le premier cas, le xxie siècle risquerait de commencer sous le signe de l'empire américain. Il consacrerait dans la guerre ce que nous voyons monter depuis des années et en face de quoi nous restons impuissants : le monde dominé par une seule puissance, militaire, diplomatique, économique, culturelle sans commune mesure, sur aucun de ces plans, avec le reste du monde, une puissance désormais décidée à exercer non plus son influence mais directement sa force.
    Dans l'autre cas, serait maintenu le pacte conclu après la guerre mondiale qui place sur un statut d'égale dignité dans la communauté des nations le plus puissant et le plus faible. Ceux qui ont signé ce pacte n'ignoraient rien des disparités d'influence entre l'un et l'autre mais ils l'avaient placé au-dessus des nations comme un bouclier du droit pour protéger les faibles des forts et les forts d'eux-mêmes.
    Voilà ce qui se joue dans les jours et les semaines qui viennent et celui qui croirait que cet événement ne serait qu'un épisode se tromperait lourdement. Les conséquences politiques, économiques, culturelles, s'étendront loin dans l'avenir. Rien ne restera en dehors de ce choix, ni l'économie, par exemple le marché du pétrole, ni le savoir, ni les politiques de recherche, ni les conséquences pour nos cultures et nos langues, ni le visage du tiers monde, ni les politiques d'environnement ; aucun de ces éléments qui font notre destin ne se trouvera préservé des conséquences de cette décision. C'est du nouvel ordre du monde que va décider le trimestre dans lequel nous entrons.
    C'est pourquoi, monsieur le Premier ministre, il faut approuver la position qu'a exprimée le Président de la République.
    M. Marc Laffineur. Très bien !
    M. François Bayrou. Cette position est lucide sur la menace et juste dans l'exigence que doit porter la France quant au recours nécessaire aux Nations unies et au refus que se développe, où que ce soit sur la planète, et avec notre tacite assentiment, une guerre de première intention.
    Il est juste et légitime de fixer comme but aux Nations unies le retour des inspecteurs, sans retard, sans conditions, avec une totale liberté d'accès, sans exception. Il est également juste, monsieur le ministre des affaires étrangères, de considérer que l'activité de la diplomatie française a reçu de l'écho et que, peu ou prou, elle semble, ces jours-ci, être soutenue par des membres du Conseil de sécurité, en particulier, ces dernières heures, par les Russes. Et même, sans assurance formelle, on peut trouver dans le tout dernier discours du Président des Etats-Unis des éléments encourageants.
    Pourtant, nous sommes conscients de la disparité profonde qui préside à ce moment de crise. Trop souvent, ces derniers mois, les choses se sont passées comme si les discussions au sein du Conseil de sécurité appartenaient, d'une certaine manière, à l'ordre ancien du monde. Trop souvent on a eu l'impression que les Etats-Unis conduisaient leurs propres délibérations, leurs propres décisions et, bientôt, leur propre action, sans considérer les Nations unies autrement que comme un agaçant aréopage.
    Où est donc le virus qui a ainsi affecté les relations internationales ? Ce virus, c'est, me semble-t-il, qu'il n'y a plus, à la surface de la planète, aucun équilibre des puissances. Tout le monde le pressent, nombreux sont ceux qui le redoutent : un des deux scénarios possibles, et le plus probable aux yeux de beaucoup, est celui d'un monde dominé par l'empire américain, avec l'hyper-puissance d'un pays qui se met à décider de lui-même et par lui-même, et à imposer par la force, par sa propre force, ce que devra être, sur l'un des sujets essentiels, l'ordre du monde.
    La planète et son ordre politique régis par la domination américaine, cela, aucune nation digne de ce nom et aucun citoyen, notamment français et européen, ne devrait en accepter la perspective. Exprimer ce refus, ce n'est pas faire de l'anti-américanisme, lequel porte avec lui bien des relents suspects.
    Ce refus, je l'exprime au nom de ceux qui, en France, se sont fait un honneur, au travers du temps, d'être les amis des Etats-Unis. Nous reconnaissons en eux un pays de liberté, de démocratie, d'entreprise, un pays doué d'un magnifique ressort - on l'a vu après le 11 septembre - et un pays ami de la France. Aucun d'entre nous ne saurait oublier ce que les Etats-Unis ont fait, pour nous, deux fois dans le siècle précédent.
    M. Jacques Myard. Très bien !
    M. François Bayrou. Nous leur devons notre liberté : la liberté de l'Europe et l'éradication du nazisme et du fascisme. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Très souvent, dans les décennies passées, nous avons eu l'impression qu'ils ont porté, et souvent seuls, une grande part de l'effort commun. Cela était vrai du temps de la guerre froide et cela l'a encore été lorsque, tout récemment, nous avons été incapables, nous Européens, d'imposer le retour de l'ordre dans les Balkans. Le capital d'amitié et de gratitude qui nous lie au Etats-Unis nous impose donc de parler comme des amis à des amis, de manière respectueuse et franche.
    La vérité est que, quand nous refusons l'empire américain, ce n'est pas l'Amérique que nous refusons, mais l'empire. En effet, la domination, quelle qu'elle soit, est malsaine. La domination ne se divise pas. La domination compromet l'avenir de tout le monde. Elle menace l'avenir de ceux qui acceptent d'être dominés, la liberté de leurs choix économiques, leur équilibre social, leur vision du monde, leur culture, leur langue. Tel est le cas depuis que le monde est monde et, sur le continent européen, nous devrions le savoir puisque nous sommes les descendants directs de l'Empire romain. C'est le cas pour chacun d'entre nous et, à combien plus forte raison, pour le tiers monde, pour les pauvres de la planète.
    Cependant, leur domination menace aussi les dominants.
    Si l'on reconnaît au fort le droit d'imposer sa loi, on justifie, pour le faible, la faculté de se défendre par tous les moyens à sa disposition. Si l'on accepte ce que l'on appelle dans notre langue diplomatique des stratégies asymétriques, chacun décidant de son côté au mieux de ses intérêts, alors on est au maximum du risque. Car le feu des uns appelle les coups des autres. Le terrorisme apparaît alors, avec son cortège d'immenses malheurs. C'est pourquoi la domination n'est pas seulement une menace pour les dominés, elle est aussi, si l'on y réfléchit bien, une menace pour les dominants.
    Quel sera l'ordre du monde au xxie siècle ? La domination, avec son cortège de menaces et de dangers, ou l'équilibre des puissances ? J'emploie à dessein l'expression « équilibre des puissances » alors que, dans le langage diplomatique, vous parlez de multilatéralisme, opposé à l'unilatéralisme : d'un côté, ceux qui décident tout seuls, de l'autre, ceux qui décident à plusieurs. Néanmoins, sans équilibre des puissances, le multilatéralisme n'est qu'une façade.
    Or, monsieur le Premier ministre, ce qu'il y a de fascinant, de formidable au sens étymologique du mot et sans doute d'exaspérant dans la situation actuelle, c'est que la question de l'équilibre des puissances ne dépend pas des Américains, de leur bonne volonté ou de leur bienveillance ; elle ne dépend que de nous.
    M. Claude Goasguen. Absolument !
    M. François Bayrou. Si l'on regarde le siècle qui vient, il est nombre de puissances d'avenir. On les discerne, on les devine. La Chine, l'Inde ont le nombre, l'étendue, la masse, et des rythmes de croissance qui en font des puissances en émergence.
    Néanmoins, si l'on cherche à la surface de la planète la puissance du présent, celle qui pourrait exister à l'horizon de quelques années et, en existant, imposer l'équilibre, il n'y en a qu'une : c'est l'Europe. La population européenne est d'un tiers plus nombreuse que la population américaine. La richesse européenne est d'un quart plus grande que la richesse américaine. Notre niveau de vie, de formation, d'intelligence, de savoir, notre capacité de recherche se comparent avantageusement au potentiel américain. Il ne manque qu'une chose à l'Europe : la volonté d'exister.
    Toutefois, le temps presse. Nous sommes en période d'urgence. Si l'on compare la capacité et la concentration des volontés et des moyens qui sont le fait des Etats-Unis à l'éparpillement européen, on mesure avec tristesse que le fossé, bien loin de se combler, se creuse tous les jours. Tel est notamment le cas en matière de défense et, par voie de conséquence, en matière de recherche. L'éparpillement européen, encore illustré par le choix de beaucoup de nos partenaires de choisir l'avion de combat JSF américain, nous conduit tout droit au déséquilibre. Bientôt, il ne sera plus possible de combler le fossé.
    La combinaison des moyens financiers que mobilise notre puissant allié avec la maîtrise des technologies, avec un effort de recherche sans précédent dans le domaine des biotechnologies, dans le domaine spatial, risque de nous conduire à un aimable effacement. Pourtant, nous avons les moyens, en hommes et en laboratoires, mais, incapables de nous mettre d'accord, nous assistons en spectateurs impuissants à l'établissement du déséquilibre.
    Il est vrai que cette situation arrange, à court terme, beaucoup de gens. A court terme, sans doute, il est plus facile et plus rentable d'être un sous-traitant d'un puissant donneur d'ordres ; mais dans vingt ans, dans trente ans, si nous n'entrons pas dans une politique déterminée et unitaire, nous serons marginalisés. Je disais qu'il ne manquait à l'Europe que la volonté d'exister. Désormais, il lui manque aussi le temps.
    En effet, l'élargissement est à l'horizon de quelques mois. Nous l'avons accepté et nous l'avons voulu comme la réunification de la famille européenne. Nous l'avons accepté et nous l'avons voulu comme le partage d'un projet, d'une volonté.
    Mais si l'élargissement intervient avant que la volonté ne soit forgée, alors il risque de constituer, au-dessus du projet européen, une fatale épée de Damoclès. Si l'élargissement n'est que l'élargissement de l'impuissance, d'une volonté molle, incapable de se constituer et de s'exprimer, il constituera la fin du projet européen.
    Au Parlement européen, nous sommes plusieurs à avoir vécu ce qu'étaient les votes enthousiastes des plus eurosceptiques pour que l'élargissement soit le plus rapide, c'est-à-dire le moins maîtrisé, possible. Que ne conjuguons-nous nos efforts pour leur donner tort ?
    M. Philippe de Villiers. Très bien !
    M. François Bayrou. Voilà pourquoi nous sommes nombreux à considérer comme la dernière chance du projet européen, la convention que préside Valéry Giscard d'Estaing. Nous sommes nombreux à regarder ses travaux avec une seule idée : que les institutions qui seront proposées à l'issue de ce travail inédit aient la capacité de faire naître une volonté politique unitaire de l'Europe.
    M. Philippe de Villiers. Un référendum !
    M. François Bayrou. C'est pourquoi, monsieur le Premier ministre, c'est aujourd'hui du côté du Gouvernement français que se tournent les regards. Comme il est arrivé si souvent dans le passé, une proposition forte sur l'avenir de l'Europe ne peut aujourd'hui venir que de la France.
    On dit souvent que nombreux sont parmi nos partenaires ceux qui ne le veulent pas. Croit-on qu'il y a cinquante ans, nombreux étaient ceux qui voulaient la naissance de la Communauté européenne ? Les choses ne bougent qu'avec des propositions fortes.
    Monsieur le Premier ministre, devant la menace qui pèse sur le monde, la position de la France est juste. Nous espérons que les semaines qui viennent vont permettre d'éviter que l'ordre du monde ne se construise autour de la décision solitaire du plus puissant Etat de la planète. Si nous voulons conjurer ce risque pour l'avenir, il nous faut construire, dans les faits et pas seulement dans les mots, la puissance européenne, et cela commence, madame la ministre, par la défense ! Nous pourrons ainsi sans doute partager l'effort, mais, surtout, peu à peu espérer combler le fossé qui se creuse aujourd'hui.
    Monsieur le Premier ministre, c'est une proposition de la France en faveur de l'Europe, c'est-à-dire de l'équilibre du monde : il faut une vraie défense commune, une volonté diplomatique partagée, car défense et diplomatie ne se conçoivent pas sans démocratie.
    Défense, diplomatie, démocratie, les trois « d » de l'avenir de l'Europe : l'Europe du xxie siècle ne peut venir que de ceux qui ont inventé, il y a cinquante ans, l'Europe du xxe ! Si nous ne le faisons pas, personne ne sera en mesure de le faire. Et si nous ne le faisons pas, si nous ne nous décidons pas à traiter les causes de notre situation, nous pourrons éternellement continuer à déplorer les conséquences du déséquilibre du monde : ce serait en vain. Bossuet a dit : « Le ciel se rit des prières qu'on lui fait pour détourner de soi des maux dont on persiste à vouloir les causes ! » (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le président. La parole est à Mme Marie-George Buffet, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.
    Mme Marie-George Buffet. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame et messieurs les ministres, mes chers collègues, la guerre frappe à nos portes. Depuis de longues semaines déjà, le président des Etats-Unis prépare l'opinion publique à un nouveau conflit, tandis que le dictateur Sadam Hussein multiplie les provocations, au mépris du sort de son peuple.
    Au nom du groupe communiste et républicain, je veux redire ici la nécessité d'une opposition ferme de la France à cette marche forcée vers une guerre que rien ne justifie. Les enjeux sont humains, politiques, institutionnels, économiques, éthiques. La France doit être à la hauteur du défi, tout comme l'Europe, sollicitée jusque dans ses valeurs fondatrices.
    Nous sommes entrés dans une crise mondiale majeure qui peut connaître des évolutions dramatiques. Cette crise ne concerne pas seulement l'Irak et le Moyen-Orient. Elle touche à l'ensemble des relations internationales, à leur contenu. Elle met en cause des avancées possibles dans le monde pour aujourd'hui et pour demain.
    Cette crise est grave. Elle fait planer ses menaces dans un monde trop souvent ballotté au gré des volontés de domination, dans un monde incertain où la haine conduit aux actes les plus fous.
    C'est parce que l'état du monde est si préoccupant, parce que la France a un rôle à y jouer, que nous avons souhaité que le Parlement puisse débattre de la question irakienne.
    Je crois, mes chers collègues, que dans la période qui s'ouvre, le sens de la responsabilité et le principe de nécessité devraient nous conduire à déclarer que notre Parlement reste saisi en permanence de cette question. En fonction des circonstances, il doit en effet pouvoir assumer pleinement son rôle face à des évolutions internationales de cette portée.
    La guerre n'est pas la solution. Dans notre histoire, nous en connaissons les résultats tragiques. Faire la guerre, c'est imposer la loi du plus fort. Tout doit être fait pour l'éviter, absolument tout.
    Au lendemain du dramatique 11 septembre, la lutte contre le terrorisme a pris une nouvelle dimension. Cette lutte est indispensable. Mais il serait indécent d'instrumentaliser l'effroyable tragédie connue par le peuple américain en apparentant les relations internationales à une croisade du bien contre le mal ou à un choc de civilisations entre l'Orient et l'Occident. L'engrenage de la guerre qui s'est mis en place autour de l'Irak en porte pourtant les traces.
    Pourquoi cette lubie soudaine et résurgente chez les autorités américaines ? Il n'y a pas d'autres explications crédibles que l'attrait du pétrole, la soif de dominer cette région du monde ou la préparation d'échéances électorales à venir. C'est pourquoi les arguments invoqués apparaissent de plus en plus comme des prétextes et ne rencontrent aucunement l'écho escompté. « La guerre devient plus difficile, parce qu'avec les gouvernements libres des démocraties modernes, elle devient à la fois le péril de tous par le service universel, le crime de tous par le suffrage universel », affirmait Jean Jaurès en son temps. Cette vision a bien du mal à prendre pied dans le réel, mais il ne tient qu'à nous qu'elle s'affermisse et que la guerre ainsi soit freinée, puis empêchée. Car dans la situation de tension que nous connaissons, croyant servir la démocratie et les peuples, il se pourrait fort qu'en réalité l'on serve l'affirmation d'un nouvel impérialisme et quelques intérêts capitalistes mal dissimulés. La stabilisation d'un Moyen-Orient en proie à de graves tensions ne passe pas par un remodelage imposé par la force. Le monde ne doit pas se bâtir sous la pression d'une visée unilatérale. Le droit doit à tout prix prévaloir sur les volontés de domination.
    Depuis la guerre du Golfe, peu de choses ont été faites pour tenter une normalisation des rapports entre l'Irak et le monde. L'embargo économique dont souffre quotidiennement la population irakienne, en particulier les enfants, attise les rancoeurs et conforte le dictateur Saddam Hussein à son poste. Depuis dix ans, l'étranglement économique des Irakiens, la tragédie vécue par le peuple palestinien ont alimenté les ressentiments les plus profonds et les frustrations les plus vives. Comment s'étonner qu'un tel contexte puisse profiter aux extrémismes et aux fanatismes, aux nationalismes et aux intégrismes les plus durs, jusqu'au terrorisme le plus ignoble ?
    Si nous voulons éradiquer cette violence insupportable, alors il est temps, non pas de bombarder, mais de s'attaquer à la racine des problèmes. Nous souhaitons que le droit s'applique et que la communauté internationale s'investisse courageusement dans ce sens. Il ne peut y avoir deux poids et deux mesures. Les résolutions de l'ONU et la légalité internationale doivent avoir la même force pour tous !
    Il y a quelques jours, les autorités irakiennes ont enfin accepté le retour des contrôleurs de l'ONU. C'est une brèche ouverte pour trouver un règlement à la crise. Elle ne doit pas être minimisée ni donner lieu à une surenchère aveugle.
    En effet, la dimension des risques n'échappe à personne. Ces risques suscitent dans les opinions publiques, française et européenne en particulier, mais aussi beaucoup plus largement dans le monde, des inquiétudes véritables et des oppositions, le plus souvent majoritaires. Même aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne, des réactions importantes se font entendre. Les parlementaires que nous sommes auront à coeur de traduire dans l'action cette préoccupation forte. Car il ne s'agit pas d'inquiétudes irrationnelles ni d'oppositions ignorantes des réalités. Parmi les hommes et les femmes de notre pays, beaucoup ressentent profondément, avec beaucoup de conscience, que le recours à la guerre n'est pas la solution des problèmes.
    Cette guerre annoncée en Irak, ce sont d'abord des risques humains terribles. Dans le grand échiquier géostratégique d'aujourd'hui, il est légitime de s'interroger sur le sort réservé aux peuples irakien et kurde. A la merci des bombes américaines ou des représailles du régime de Saddam Hussein, n'ont-ils pas déjà trop souffert de la guerre du Golfe et de ses dégâts dits « collatéraux », de dix années d'un embargo synonyme de désastre économique, social et humain ? Que les images nous hantent des maisons effondrées, des villes décapitées, des corps ensanglantés, de la misère étendant son voile durablement. Que ces images nous portent conseil.
    Le deuxième risque d'une telle aventure guerrière confine lui aussi à l'évidence : c'est celui d'une déstabilisation régionale. Dans une configuration de tensions extrêmes, d'ingérences et de contradictions multiples impliquant tous les pays de la région, tout est possible ; jusqu'à l'éclatement de l'Etat irakien. On peut craindre, dans ce contexte, la possibilité d'une montée de radicalisme intégriste ou nationaliste, ainsi que d'une nouvelle et terrible aggravation de la confrontation israélo-palestinienne. Le risque existe même d'une déstabilisation plus vaste.
    Enfin, si on laissait faire cette guerre, on laisserait porter un coup décisif au droit international, à l'esprit fondateur des Nations unies. L'exigence de vivre ensemble à l'échelle mondiale nécessite de s'organiser et de tenir ensemble les liens de dialogue et de confrontation nécessaires.
    Avec cette crise, ce qui est en question, c'est en effet le monde que nous voulons construire et les responsabilités que la France et l'Europe pourraient y prendre.
    Les partisans de la guerre affirment vouloir renverser le régime irakien. Mais au nom de quelle conception du droit international et dans quelles perspectives ? La question est bien là : comment réintégrer un Irak démocratique, pacifique et stable dans la communauté internationale ? Il faut pour cela un effort politique et diplomatique constant ; l'exigence de l'application des résolutions de l'ONU, en particulier celles concernant les droits de l'homme ; un soutien actif à l'opposition démocratique irakienne ; une levée définitive de l'embargo. Il faut redonner espoir et dignité au peuple irakien et contribuer ainsi à ce qu'une perspective politique démocratique puisse naître.
    Pourquoi ne pas tenir une conférence régionale sous l'égide des Nations unies avec la participation, notamment, de toutes les forces d'opposition démocratique ? Un tel cadre pourrait permettre la réaffirmation et la garantie des droits du peuple kurde en partant des acquis du Kurdistan autonome.
    L'ambition d'un nouveau Moyen-Orient de sécurité, de démocratie, de développement, est la condition indispensable pour trouver pas à pas le chemin de la coopération, du dialogue des cultures, de l'état de droit.
    Si la crise majeure que nous connaissons exige de la France et de l'Europe une grande efficacité dans les responsabilités qu'elles exercent dans le monde, cette efficacité ne se trouvera pas dans une nouvelle course aux armements, dans l'augmentation du budget militaire ou dans des forces de réaction rapides sous l'égide de l'OTAN. Cette efficacité se démontrera dans un investissement économique et politique original pour le développement durable, pour l'aide publique et l'annulation de la dette, pour la résolution négociée des conflits. Elle dépendra d'initiatives marquant une réelle volonté de considérer l'espace méditerranéen et le Moyen-Orient comme liés à l'avenir de la construction européenne.
    Aujourd'hui, l'Europe est à la peine, elle semble une fois de plus absente. Sans doute faudrait-il que la France prenne les initiatives nécessaires afin qu'elle se saisisse, au coeur de ses instances, de ce débat international qui nous occupe aujourd'hui. Plus que jamais, l'avenir est à la recherche de solutions collectives aux problèmes communs sur la base du droit, dans des cadres institutionnels légitimes, à partir de valeurs universelles. Le multilatéralisme est essentiel pour qu'un esprit constructif permette la recherche de l'intérêt général et le progrès pour tous.
    La guerre en Irak n'est absolument pas une fatalité. Dans le cas présent, nous considérons comme un point d'appui crucial la convergence de trois membres permanents de ce Conseil, dont la France, pour exiger le respect des règles des Nations unies et des résolutions pertinentes. Jusqu'ici, par la voix du Président de la République et du Gouvernement, la France a adopté une attitude réservée sur les projets américains. Toutefois, monsieur le Premier ministre, elle doit être confirmée et se traduire, en conséquence, par l'utilisation de toutes les formes de dialogue pour convaincre et par des actes forts et courageux jusque dans les instances internationales et l'utilisation de son droit de veto. On ne peut, au nom de « l'unité du Conseil », accepter le déclenchement d'un nouveau conflit mondial. Ce serait pourtant la conséquence mécanique de la neutralité et de la résignation, fussent-elles habiles. Notre pays doit contribuer à la recherche d'alternatives à la guerre basées sur les résolutions du Conseil de sécurité, en particulier celle concernant le retour des observateurs de l'ONU, avec la levée de l'embargo. La pression constante des Etats-Unis sur la communauté internationale est insupportable. Notre pays doit refuser la surenchère proposée. En effet, un ultimatum constituerait un pas décisif vers le choix des armes. La volonté exprimée par le Président de la République et le Gouvernement de ne pas intégrer cette dimension dans une première résolution soumise au Conseil de sécurité nous semble aller dans le bon sens. Cette volonté affirmée ne lève pourtant pas toutes nos craintes : les mots ne suffiront pas. La France ne doit pas céder, la France ne doit pas lâcher. Parce que c'est encore possible, tout doit être fait pour tirer les fils de la paix, pour empêcher la guerre.
    Mes chers collègues, une diplomatie basée sur une volonté unilatérale et sur un rapport de force exacerbé ne peut conduire qu'à des tensions dangereuses. Il nous faut désormais repenser le monde et les relations internationales en termes de fraternité, de solidarité, de co-développement, de coopération. Le chemin qui y mène passe par une entreprise de désarmement concertée, une plus grande place de la communauté internationale organisée pour ce qui concerne la gestion des litiges et conflits, une démocratisation des institutions internationales elles-mêmes, la définition d'autres optiques et perspectives économiques rompant avec les pratiques d'un capitalisme prédateur. La gestion de la question irakienne peut être l'occasion d'ouvrir des pistes nouvelles. Le développement de mouvements populaires protestant contre la guerre en préparation est un atout. Le 12 octobre prochain, une grande manifestation est prévue en France. Les députés communistes et républicains en seront avec coeur et espoir, car c'est la responsabilité de chacun qui est engagée, pour dire non à la guerre.
    Cette volonté portée par la France dans le débat international ne doit pas fléchir, nous attendons du Gouvernement qu'il prenne clairement position en ce sens. Le courage doit nous conduire à refuser « le crime de tous » et « le péril de tous », quelles que soient les pressions ou les intérêts en jeu. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. Pour le groupe UMP, la parole est à M. Alain Juppé.
    M. Alain Juppé. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame et messieurs les ministres, mes chers collègues, je voudrais d'emblée, au nom du groupe UMP, rendre hommage à la clairvoyance et au savoir-faire de notre diplomatie.
    Dans l'affaire irakienne, la France, sous l'impulsion du Président de la République et sous votre conduite, monsieur le Premier ministre, est tout à la fois attendue et entendue. Attendue aux Nations unies, principalement au Conseil de sécurité dont elle est membre permanent, mais aussi dans toutes les chancelleries. Entendue, comme on s'en est aperçu hier soir encore en écoutant le président Bush affirmer qu'une intervention militaire américaine n'était « ni imminente, ni inévitable ».
    Notre position est en effet claire et forte : elle se fonde sur une double conviction qui n'a cessé d'inspirer notre action au fil des années. Il existe bel et bien une menace irakienne pour la paix dans la région et par voie de conséquence pour la paix dans le monde. L'objectif légitime de la communauté internationale, tel qu'il est fixé dans les résolutions pertinentes du Conseil de sécurité, est le désarmement de l'Irak et la France y adhère pleinement.
    Pour se convaincre de la réalité de la menace irakienne, il suffit de lire, par exemple, les rapports établis par les inspecteurs des Nations unies à la fin de 1998 : « l'UNSCOM - c'est ainsi que s'appelait alors la commission spéciale des Nations unies - a découvert des programmes importants d'armes prohibées et non déclarées et a détruit des éléments de ces programmes qu'elle a pu identifier ». Et ce rapport ajoute : « Exemple de ce qui a été découvert depuis 1991 : l'existence d'un programme d'armement biologique offensif, la présence d'agents physiques neurologiques et d'autres capacités d'armes chimiques perfectionnées et la production locale de missiles prohibés ». Suit la liste des équipements et des munitions détruits par les inspecteurs.
    Depuis le départ de ces inspecteurs qui remonte, je le rappelle, à 1998, c'est l'incertitude. Le régime irakien a-t-il reconstitué ses capacités militaires de destruction massive ? Certains prétendent en détenir la preuve. Il y a doute en tout cas, et ce doute justifie pleinement le retour sur le terrain des inspecteurs de la commission de contrôle, de vérification et d'inspection des Nations unies dirigée par M. Blix. Ce retour doit se faire sans condition et dans des délais brefs. L'Irak, vous le savez, en a finalement accepté le principe et des discussions sur ses modalités pratiques ont déjà eu lieu entre M. Blix et les représentants du régime irakien.
    Quant aux exigences de fond des Nations unies, elles sont également sans ambiguïté. La communauté internationale demande à l'Irak de détruire toutes les armes prohibées qu'il détiendrait, elle lui demande aussi de mettre fin à toute forme de soutien au terrorisme international, de cesser les persécutions contre les populations civiles, de répondre aux questions concernant les prisonniers de guerre et les disparus ainsi que la restitution des biens saisis durant l'occupation du Koweït, enfin de renoncer au contournement de l'embargo comme au détournement de biens importés dans le cadre du programme humanitaire dit « pétrole contre nourriture ».
    Toutes ces demandes figurent dans des résolutions successives du Conseil de sécurité. Aucune de ces résolutions ne prescrit le renversement du régime irakien.
    Il va de soi que tous les démocrates à travers le monde et spécialement en France se réjouiraient que le peuple irakien se débarrasse d'un régime qui l'opprime et qui le plonge dans la misère, mais la communauté internationale n'a, pour l'heure, jamais pris cette résolution.
    Claire sur les objectifs, la France l'est aussi sur les moyens et sur la méthode. A nos yeux, l'unilatéralisme - mot difficile à prononcer et compliqué pour désigner tout simplement l'intervention d'un seul, proprio motu, sans mandat international - n'est pas acceptable.
    M. Jean-Marie Geveaux. Très bien !
    M. Alain Juppé. Il n'est pas acceptable pour des raisons de principe, je dirai volontiers de morale internationale. L'un des progrès indéniables que nous a apportés le xxe siècle au milieu d'un cortège de conflits et d'horreurs, c'est bien l'émergence d'un droit international de la guerre et de la paix qui a commencé à s'imposer au jeu international des puissances. Aux termes de la charte des Nations unies, seule l'organisation mondiale et son conseil de sécurité peuvent légitimement et même légalement décider de la guerre et de la paix et, partant, de l'usage de la force militaire pour rétablir ou garantir la paix. S'affranchir de cette règle fondamentale, refuser de respecter le droit international constituerait une terrible régression et un redoutable précédent. Voilà pourquoi la France a raison de se battre énergiquement pour obtenir que toute intervention militaire se fasse dans un cadre légal, c'est-à-dire sur la base d'une résolution du Conseil de sécurité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.) Et je me réjouis, même si la prudence s'impose, que, dans son récent discours devant l'Assemblée générale des Nations unies, le président Bush ait justement resitué l'action des Etats-Unis d'Amérique dans le cadre d'une décision collective.
    L'unilatéralisme est condamnable pour des raisons de droit ; il l'est aussi pour des raisons d'efficacité politique. Face au désordre du monde, la cohésion de la communauté internationale est plus que jamais nécessaire. Le retour à la stragégie du chacun pour soi ruinerait les patients efforts de nos démocraties pour souder les nations pacifiques contre la folie guerrière des régimes d'oppression. Aucune puissance au monde, fût-elle dominante, n'a jamais pu régler durablement, seule et par la force, les conflits qui la menacent et qui troublent l'harmonie internationale.
    Il n'y a de victorieuses que les coalitions de démocraties, fortes de leur bon droit et du soutien des nations. L'histoire, ancienne ou récente, le prouve abondamment.
    C'est dans cet esprit que la France a eu raison de proposer une démarche en deux temps. D'abord, l'Irak doit être fermement rappelé à ses obligations, à commencer par l'acceptation sans conditions du retour sur son territoire des inspecteurs des Nations unies et de l'Agence internationale de l'énergie atomique. Le responsable de la nouvelle commission de contrôle est en mesure de nous dire quelles sont les précautions à prendre pour que ce retour se fasse avec les meilleurs chances d'efficacité et de sécurité pour ses inspecteurs.
    La France considère, à bon droit me semble-t-il, que, sur la base des analyses et des propositions de M. Blix, une nouvelle résolution du Conseil de sécurité est envisageable à terme rapproché. On en discute en ce moment à New York. Mais la France a également raison de soutenir que cette première résolution ne saurait comporter une clause d'automaticité...
    M. Jacques Myard. Très bien !
    M. Alain Juppé. ... autorisant telle ou telle puissance à utiliser la force dès lors qu'elle estimerait, de son proche chef, que la mission des inspecteurs ne lui donne pas satisfaction. Dans l'hypothèse où la commission de contrôle constaterait qu'elle ne peut convenablement assumer sa tâche, et sur la base du rapport qu'elle en ferait au Conseil de sécurité, c'est une nouvelle résolution dudit Conseil qui pourrait et devrait intervenir.
    Le Président de la République a clairement indiqué que, dans ce cas, notre pays était prêt à examiner toutes les options, sans en exclure aucune, selon la formule consacrée. Je pense qu'il nous faut tenir bon sur cette ligne, sans en dévier d'un pouce. Il serait, à mon avis, irresponsable de brandir dès aujourd'hui la menace du veto français. Ce serait nous priver de toute capacité d'influence à l'avenir. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    On peut penser d'ailleurs, sans faute preuve d'un triomphalisme prématuré ou déplacé, que, pour l'instant, c'est cette démarche qui prévaut à New York. Comme je le soulignais en commençant, le président Bush, hier soir, a évoqué le désarmement de l'Irak, affirmé que l'intervention militaire américaine n'était ni imminente, ni inévitable et a parlé d'une coalition internationale.
    M. Jacques Myard. Grâce à notre diplomatie !
    M. Alain Juppé. Bref, la diplomatie française marque des points, et je crois qu'on peut l'en féliciter. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.) ces initiatives sont suivies avec attention par tous ceux qui, en Europe et dans le monde, y compris même aux Etats-Unis continuent à penser que la guerre doit rester l'ultima ratio.
    Au-delà de l'actualité immédiate que nous suivons tous avec attention, les enjeux de cette crise sont immenses, et je voudrais en évoquer rapidement quelques-uns : la qualité de la relation - entre la France et les Etats-Unis d'Amérique, l'avenir de la politique extérieure et de sécurité commune de l'Union européenne et l'équilibre entre les nations riches et les nations pauvres sur la planète.
    Entre la France et les Etats-Unis, cela a été excellemment dit par François Bayrou, l'amitié n'est pas en cause. Je citerai volontiers à ce propos les déclarations du Président Chirac au New York Times, le 9 septembre dernier : « Je voudrais d'abord dire que, personnellement, je suis très attaché aux Etats-Unis. C'est un pays que j'aime, que j'admire, que je respecte. » Nous sommes ici nombreux, je crois, à partager ce sentiment pour toutes sortes de raisons, y compris historiques. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française). Et le Président ajoutait en évoquant la tragédie du 11 septembre 2001 : « Dans tous les moments difficiles, dans tous les grands moments, les Français et les Américains ont toujours été ensemble. Ils n'ont jamais manqué les uns aux autres. C'est vrai depuis Yorktown, et c'est toujours vrai aujourd'hui. »
    L'amitié autorise la franchise, et la France qui ne confond pas l'amitié et la courtisanerie a toujours estimé qu'il était de son devoir de parler franchement à ses amis américains. C'est ainsi que lorsqu'un auteur américain, qui a occupé de grandes fonctions dans l'administration outre-Atlantique, envisage dans une revue française l'avenir des relations entre l'Amérique et l'Europe en termes de « protectorat », nous exprimons notre désaccord. Ce dont nous voulons entre nous, c'est un partenariat fondé sur le respect mutuel.
    Et la franchise nous autorise donc aujourd'hui à dire quelques vérités à nos partenaires américains. D'abord : « contre le terrorisme international, vous ne gagnerez pas seuls ! ». Nous l'avons proclamé l'an dernier et nous l'avons démontré depuis lors, nous sommes totalement solidaires de la lutte sans merci que les démocraties doivent mener contre le terrorisme, non seulement pour des raisons de principe mais aussi, tout simplement, parce que nous sommes directement concernés. Prenons donc garde de ne pas briser, du fait d'une intervention militaire intempestive en Irak, la coalition internationale qui s'est constituée au lendemain du 11 septembre 2001 contre le terrorisme et dont la tâche, hélas ! est loin d'être achevée.
    Deuxième vérité, nous n'avons pas envie, nous, Français, de partir en croisade contre l'axe du mal, ni de nous engager dans ce qu'on appelle, paraît-il, dans certains cercles américains, « le processus de destruction créatrice » au Proche et au Moyen-Orient.
    Le monde est compliqué, la ligne de partage entre le bien et le mal parfois fluctue au gré de la perception des intérêts nationaux, y compris pétroliers, de tel ou tel pays. Loin de moi la tentation, bien sûr, de tomber dans le relativisme absolu : il y a bien des comportements inacceptables, et ce que j'ai dit, en commençant, sur l'Irak est sans ambiguïté. Mais gardons-nous d'un messianisme de la bonne conscience qui voudrait imposer la démocratie par la guerre dans une région où les changements sont évidemment nécessaires mais où ils ne naîtront que d'un travail de fond, progressif et maîtrisé. Oui, nous devons dire à nos amis américains : attention à l'enlisement, attention aux réactions en chaîne dans « l'Orient compliqué » !
    M. Jacques Myard. Parfait !
    M. Alain Juppé. Je voudrais ensuite évoquer brièvement la question de l'Europe. Peut-être M. Myard sera-t-il moins approbateur sur ce point. (Sourires.) Je lui tends la perche !
    Faut-il une fois encore parler de fiasco européen ? Après les Balkans, l'Irak ; l'Union européenne serait-elle congénitalement condamnée à la paralysie dans toutes les grandes crises internationales même quand elles la concernent directement ?
    M. Jacques Myard. La réponse est dans la question !
    M. Alain Juppé. Il est dur pour moi qui suis très attaché à la construction d'une Europe européenne, de reconnaître que la question se pose. D'un côté, Tony Blair soutient perinde ac cadaver la position du Président Bush, de l'autre, Gerhard Schröeder, en campagne électorale, joue sur le pacifisme de l'opinion allemande et tombe dans un unilatéralisme à rebours, celui de la non-intervention quoi qu'il arrive. Eh bien, je garde pourtant confiance. La dernière rencontre entre M. Chirac et M. Schröder a permis de rapprocher les points de vue français et allemand et finalement, qu'ils le disent ou non, la position française sied à la grande majorité de nos partenaires européens et les rassure.
    Je tirerai volontiers deux leçons européennes de l'événement irakien : la première, c'est que le chemin qui nous conduira à une vraie politique extérieure et de sécurité commune est encore long et la seconde, c'est que si la France ne montre pas ce chemin, l'Europe risque fort de se fourvoyer.
    M. Jacques Myard. Très bien !
    M. Alain Juppé. Nous devrions tenir compte de ces constats tout simples dans les propositions que nous nous préparons à faire pour doter la grande Europe d'une Constitution. A l'évidence, quand il s'agit de la guerre et de la paix, seuls les nations et leurs gouvernements peuvent, au sein du Conseil européen, engager nos peuples et créer peu à peu une conscience européenne. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Nier cette réalité serait s'exposer à de graves déboires, et renoncer à la transformer peu à peu nous condamnerait à l'impuissance. (Applaudissements sur les mêmes bancs.)
    Je terminerai d'un mot sur les enjeux mondiaux de la crise irakienne et pour cela, je me référerai à ce que nous avons entendu un peu partout au lendemain de la tragédie du 11 septembre 2001, notamment dans ces débats télévisés qui rassemblaient des experts en géostratégie soudain apparus sur nos petits écrans : « le monde a changé, rien ne sera plus jamais comme avant ». Il m'arrive parfois de me demander ce qui a réellement changé. La psychologie des démocraties occidentales à coup sûr ; la prise de conscience de la menace terroriste et notre détermination à la combattre, évidemment ; la situation à Kaboul aussi, le renversement du régime taliban et l'émergence progressive de la démocratie à laquelle la France apporte son concours. Mais pour le reste, il y a encore beaucoup à faire, et presque tout reste à faire pour démanteler les réseaux terroristes.
    On ne peut pas encore soutenir que la résolution des conflits régionaux qui constitue, quoi que l'on dise, le terreau des extrémismes et de la violence, ait beaucoup progressé, au Proche-Orient notamment ; pas davantage la compréhension mutuelle entre nos démocraties, nos Etats de droit d'un côté et le monde arabo-musulman de l'autre, travaillé par ses frustrations, ses complexes, ses déséquilibres internes et ses réticences à adopter le modèle universel que nous lui proposons ou que certains veulent lui imposer.
    Rien n'a vraiment changé non plus dans la relation entre les riches et les pauvres à l'échelle de la planète. Or, comment imaginer un monde apaisé d'où le fléau de la violence et du terrorisme aurait été extirpé tant que les écarts de développement resteront ce qu'ils sont ?
    Vaste programme, me dira-t-on. J'observe que c'est celui que le Président de la République française défend sans relâche de Monterrey à Johannesburg. Car ce sont là les vraies urgences : inventer ou perfectionner une vraie gouvernance mondiale qui humanise la globalisation ; faire progresser l'équité dans les niveaux de développement pour mieux maîtriser, par exemple, les mouvements de population ; bâtir un monde multipolaire dans lequel l'Europe, c'est vrai, doit jouer pleinement son rôle d'artisan de paix et d'équilibre. Rien de tout cela n'est utopique.
    De timides projets s'esquissent ici ou là, notamment la mise en place d'une juridiction pénale internationale. Le xxie siècle pourrait bien prendre alors un nouveau cap.
    Une telle ambition, quelque haute qu'elle paraisse aux esprits frileux, ne devrait-elle pas mobiliser autant d'énergies que la préparation de la guerre contre un Etat réputé voyou ?
    M. Guy Geoffroy. Très bien !
    M. Alain Juppé. A toutes ces questions, qui mériteraient bien sûr de plus longs développements, la diplomatie française commence à apporter de bonnes réponses et c'est la raison pour laquelle, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre des affaires étrangères, le groupe UMP vous apporte son soutien avec enthousiasme. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. Philippe de Villiers.
    M. Philippe de Villiers. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, cela a été dit à plusieurs reprises et depuis tous les bancs de cette assemblée, les Américains sont nos amis et l'Amérique est une grande puissance. Nous devons à nos amis l'amitié et la franchise.
    Il y a un peu plus d'un an, nous avons tous dit aux Américains que nous étions solidaires dans le combat contre le terrorisme islamique. Mais ce soir, nous constatons, au fil des discours du Président George Bush, que les Etats-Unis ont ceci de particulier que la défense de leurs intérêts nationaux est inspirée à l'intérieur par la géopolitique et maquillée à l'extérieur par des considérations morales : « La démocratie, vous dis-je ! »
    Ce que nous proposent les Etats-Unis aujourd'hui, ce qu'ils cherchent à imposer au monde, c'est une guerre préventive. Et la question que la France doit se poser, et elle est double, est la suivante : cette aventure belliqueuse est-elle bien dans l'intérêt de la paix et dans l'intérêt de la France ?
    La paix, c'est le droit, cela a été rappelé tout à l'heure par François Bayrou et Alain Juppé, le droit international, le droit des gens. C'est un droit contraignant, soumis certes à certaines évolutions, mais qui n'a jamais reconnu ni cautionné la guerre préventive. Ce droit-là n'accepte la guerre que s'il y a légitime défense. Le droit international était, demeure, et est de plus en plus le droit des nations souveraines.
    L'intervention qui nous est proposée par les Américains n'est donc pas conforme au droit international. Elle répond à des ambitions de géopolitique. Je ne le leur en fais pas reproche. Mais l'Amérique, c'est l'Amérique ; l'Europe, c'est l'Europe ; et la France, c'est encore autre chose, c'est une voix singulière dans le monde.
    Il est évident que l'Irak, pour les Américains, est un maillon stratégique d'un calcul géopolitique plus vaste.
    Il n'est pas légitime, quoi qu'on pense par ailleurs du dictateur irakien, qu'un gouvernement cherche à mettre fin à un autre gouvernement parce qu'il représente pour lui un obstacle à ses ambitions géopolitiques.
    M. Jean Bardet. Très bien !
    M. Philippe de Villiers. Quant à l'intérêt de la France, c'est d'abord de considérer sa position géographique. La France a une grande façade méditerranéenne qui s'ouvre sur le monde arabe. La position géographique, et donc géopolitique, de notre pays, n'est pas la même que celle des Etats-Unis. Sa vocation n'a jamais été et ne sera jamais de renforcer les déséquilibres ; sa mission est au contraire d'apporter de l'équilibre au monde. L'intérêt de la France, c'est aussi de bien comprendre ce que serait peut-être demain, en cas d'action aventureuse, le choc en retour de l'islamisme.
    Si nous ne voulons pas le choc des civilisations, et ce n'est pas notre intérêt, et si nous voulons l'équilibre dans le monde, il faut alors que la France fasse entendre sa voix singulière. Autant la guerre en Afghanistan était justifiée, car il s'agissait bien de lutter contre le terrorisme islamique, autant l'aventure qui nous est proposée par les Américains risque d'attiser les foyers d'islamisme dans le monde. Or, nous savons bien que, depuis plusieurs mois, l'islamisme se nourrit des frustrations profondes du monde arabe, comme les élections au Maroc viennent de le montrer.
    Veillons à ce que la France reste bien la voix singulière que cette région du monde, que le monde tout entier attend d'elle.
    Et c'est la raison pour laquelle je vous appelle, monsieur le Premier ministre, ainsi que le Président de la République, à opposer un veto de principe, aujourd'hui ou demain, à une intervention contre un pays souverain tant qu'il n'aura pas commis d'agression prouvée contre un autre Etat souverain. Sinon c'est tout le monde arabe, et tous les pays aujourd'hui dans la difficulté, auxquels faisait allusion Alain Juppé, qui risquent de nourrir cette frustration et ce serait un catalyseur de l'islamisme. Ce veto devra, le jours venu, être pris en concertation avec nos partenaires et peut-être partagé avec la Russie et la Chine.
    Ainsi la France, et c'est son honneur, sa dignité et son originalité dans l'histoire, fera entendre avec force et avec sérénité la voix de la raison, la voix de l'équilibre, c'est-à-dire la voix de la France. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. Edouard Balladur, président de la commission des affaires étrangères.
    M. Edouard Balladur, président de la commission des affaires étrangères. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame et messieurs les ministres, mes chers collègues, que nous sommes loin des illusions de 1989, quand l'éclatement de l'Union soviétique et l'effondrement des régimes autoritaires en Europe permettaient d'espérer un monde plus apaisé et plus uni, qui ne serait plus dominé par la rivalité entre l'Est et l'Ouest et connaîtrait un nouvel ordre international.
    L'Europe s'unifie, elle s'élargit, l'Alliance atlantique change de signification et de but, il n'y a plus qu'une seule puissance planétaire capable d'agir partout, mais nous ne sommes pas en paix. Pour nous limiter aux conflits dans lesquels notre pays a été directement impliqué, rappelons la guerre du Golfe en 1991, les multiples crises des Balkans, depuis un peu plus de dix ans, la lutte contre le terrorisme international et les talibans depuis 2001, et notre participation aux combats en Afghanistan aux côtés des Etats-Unis.
    Aujourd'hui, une nouvelle fois, l'Irak revient au premier plan de nos inquiétudes. Depuis qu'il a envahi le Koweït en 1990, il n'a cessé de se mettre en marge de la légalité internationale. Après la guerre du Golfe, une série de résolutions du Conseil de sécurité lui ont imposé des obligations, et des inspections mandatées par l'ONU ont permis un début de démantèlement de son potentiel militaire.
    En 1998, face à l'obstruction irakienne, les inspections utiles ont cessé. Depuis quatre ans, les résolutions du Conseil de sécurité qui imposent le démantèlement de l'arsenal chimique, biologique et nucléaire et prévoient un nouveau régime d'inspection des sites militaires irakiens ne sont pas respectées. La communauté internationale est incapable d'évaluer exactement la reconstitution du potentiel militaire irakien de destruction massive dont l'existence, cependant, ne peut guère être constestée. Il a fallu les attentats du 11 septembre 2001 pour qu'elle s'en préoccupe à nouveau.
    Que l'action du gouvernement irakien constitue une menace pour la paix, qui peut le mettre en doute ? L'Irak doit donc être mis hors d'état de nuire, ce qui à nos yeux ne signifie pas que l'objectif soit de renverser son régime.
    Quel est le débat au sein de la communauté internationale ? Il est très simple, il porte sur le rôle des Nations unies dans l'autorisation du recours à la force : ou bien considérer, comme le font les Américains, qu'il appartient au Conseil de sécurité des Nations unies de voter une résolution unique, permettant à la fois de reprendre la mission des inspecteurs, en l'étendant, tout en prévoyant un recours automatique à la force en cas de non-respect par l'Irak de ses obligations, à la diligence de l'un quelconque des membres permanents du Conseil de sécurité ; ou bien, comme le demande la France, subordonner le recours à la force à une deuxième résolution du Conseil de sécurité constatant que la première n'a pas été respectée. Cela ne signifie pas pour autant d'ailleurs que la France s'opposerait à ce que la première résolution mette en place un régime d'inspection plus contraignant que le régime actuel.
    Il faut, plus que jamais, respecter la légalité internationale et ne rien faire qui, sous couvert de lutter contre le désordre, l'aggraverait. C'est toute l'inspiration de la politique de notre pays qui est ainsi définie : lutter contre tous les risques pour la liberté et pour la paix, certes, mais en respectant scrupuleusement la Charte des Nations unies.
    Que les choses soient bien claires ! La France n'est pas hostile à l'Irak en tant que nation, et, si elle condamne la violation par son gouvernement des résolutions du Conseil de sécurité, elle n'en rend pas responsable le peuple irakien lui-même. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    La France n'est pas davantage motivée par un sentiment de défiance envers les Etats-Unis d'Amérique, qui sont ses alliés. Elle comprend leurs préoccupations, mais elle leur demande de les faire valoir dans un cadre politique et juridique incontestable. La France sait qui elle est, et où elle est. Elle a critiqué, en son temps, parfois, l'action des Etats-Unis, par exemple au Vietnam. Qui ne se souvient du discours de Phnom Penh, et qui ne se souvient que c'est de Gaulle qui avait raison ? Mais elle l'a soutenue dans la crise de Berlin, dans celle de Cuba, dans la guerre du Golfe, et aussi depuis 2001 contre le terrorisme international. Personne n'est en droit de nous donner des leçons de solidarité. (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    La France entend prendre toute sa part d'une action favorable au respect du droit, mais dans le cadre et sous le contrôle des Nations unies. Elle n'est pas favorable à la conduite d'une guerre préventive, déclenchée contre l'Irak.
    Il ne s'agit pas là, mes chers collègues, comme on le prétend chez certains de nos partenaires, d'un état d'esprit qui serait munichois ; il ne s'agit pas de céder, mais de procéder par étapes, en respectant le droit, en veillant à ce qu'une éventuelle intervention militaire soit bien préparée, bien justifiée, faute de quoi elle risquerait d'embraser le Proche-Orient et d'être condamnée par une grande partie du monde.
    Je le sais, l'on nous pose, l'on vous pose, monsieur le Premier ministre, et notamment aujourd'hui, de nombreuses questions : allons-nous, associés ou non à d'autres, déposer notre propre résolution au Conseil de sécurité ? Voterons-nous contre la résolution américaine, ou bien nous abstiendrons-nous ? Si la résolution américaine était votée, participerions-nous aux mesures de contrainte militaire qui pourraient s'ensuivre ? Et si celle-ci n'était pas votée, que ferions-nous au cas où les Américains interviendraient tout de même ? Enfin, si, comme c'est notre souhait, le principe d'une seconde résolution était adopté et que l'Irak ne respectait pas la première, prendrions-nous alors part à une intervention militaire au cas où cette seconde résolution le déciderait ?
    A toutes ces questions, je comprends que vous ne répondiez pas aujourd'hui.
    M. Jean-Marc Ayrault. A quoi sert le Parlement ?
    M. Edouard Balladur, président de la commission des affaires étrangères. Je vais y venir.
    Pour agir, notre diplomatie a besoin de s'adapter aux circonstances.
    Il ne lui convient pas de s'enfermer publiquement dans des syllogismes simplistes et des positions rigides, à l'inverse d'autres qui, à le faire, n'échappent pas aux contradictions successives.
    M. Jacques Myard. C'est la prudence même !
    M. Edouard Balladur, président de la commission des affaires étrangères. Je suis certain que, le moment venu, et s'il vient, vous tiendrez à revenir devant notre assemblée, afin de nous éclairer sur ces questions et sur d'autres qui, à coup sûr, se poseront également.
    Si nous ne recherchions pas des solutions dans le cadre de la légalité et avec l'appui de la communauté internationale, quel sens aurait notre action aux yeux du monde ? Elle serait gravement entachée du soupçon de partialité et pourrait entraîner, à l'inverse du but recherché, une nouvelle flambée terroriste remettant en cause la lutte internationale contre ce fléau. Ce combat, prioritaire depuis le 11 septembre, ne peut être gagné que s'il est mené collectivement et au nom du droit.
    C'est cette voie que, sous l'impulsion du Président de la République, le Gouvernement a choisi de suivre, et je m'en félicite. Je m'en réjouis d'autant plus que, loin d'être isolée dans ses efforts, la France voit son analyse partagée par un nombre croissant de pays. Déjà, des résultats sont là : en prônant une action progressive et respectueuse du droit, elle a contribué à éveiller la conscience internationale ; les Etats-Unis admettent que la priorité n'est pas de renverser un régime, mais de faire cesser le danger qu'il représente en le contraignant à respecter le droit ; enfin, depuis hier, leur président n'évoque plus la guerre comme seule solution à la crise.
    Notre choix n'est pas la résignation, mais au contraire, la volonté de voir se mettre en place un nouvel ordre du monde dans lequel les plus puissants seraient, eux aussi, soumis au droit.
    C'est en cela que, dans un moment aussi décisif, la position de la France est importante. Elle est importante pour le monde, qui doit faire face à des tentatives de déstabilisation, qu'elles viennent de certains Etats ou de certaines organisations criminelles. Elle est importante pour l'Organisation des Nations unies, qui doit faire la preuve de son efficacité et de son autorité. Elle est importante pour l'Europe, qui a encore beaucoup d'efforts à faire pour harmoniser les positions des Etats qui la composent.
    En l'occurrence, combien nous sommes loin, je ne peux m'empêcher de le constater, d'une politique étrangère et de sécurité commune, et combien je regrette que la position médiane définie par la France n'ait pas encore - pas encore, je l'espère - recueilli un assentiment général ! Que ce nous soit un motif, non de nous décourager, mais de persévérer.
    A-t-on suffisamment dit qu'il fallait soumettre la mondialisation à des règles ! C'est vrai dans le domaine économique et monétaire, mais c'est vrai tout autant dans le domaine politique et militaire, afin d'éviter les risques de désordre et de conflit. La France, si elle n'est plus la plus puissante sur le plan économique et militaire, peut jouer un grand rôle moral et politique au service de la légalité internationale. Elle le fait inlassablement, donnant l'exemple de la persévérance - comment ne pas évoquer le travail accompli par le ministre des affaires étrangères ? - et du souci de l'équilibre. C'est sa place sur la scène internationale qui est ainsi en cause.
    La France a montré l'exemple, je m'en félicite, et je vous en félicite.
    Dans son action, le Gouvernement est aussi, je le constate, conforté par un large accord de l'opinion publique, qui, manifestement, se réjouit de le voir se faire le défenseur du respect du droit, sans pour autant refuser par principe de recourir à la force si un jour c'était nécessaire.
    Monsieur le Premier ministre, que ce débat soit pour vous un encouragement à poursuivre l'action dans la direction que, sous l'inspiration du Président de la République, vous avez définie et mise en oeuvre. Cette action est conforme à l'intérêt de la France, au respect de la légalité internationale et à la garantie de la paix. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)

    (M. François Baroin remplace M. Jean-Louis Debré au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. FRANÇOIS BAROIN,
vice-président

    M. le président. La parole est à M. Guy Teissier, président de la commission de la défense nationale et des forces armées.
    M. Guy Teissier, président de la commission de la défense nationale et des forces armées. Monsieur le président, madame et messieurs les ministres, la tenue de ce débat sur l'Irak constitue une initiative très opportune. Il ne fournit pas seulement à la représentation nationale l'occasion d'être pleinement informée de la politique française, il permettra aussi, je l'espère, de montrer que cette politique recueille un très large soutien sur les bancs de notre assemblée.
    Sous des formes diverses, des débats analogues ont eu lieu dans les parlements de plusieurs de nos partenaires et alliés. Il aurait été paradoxal que le Parlement français fasse exception, car la France a, sur le dossier irakien, sa propre politique, une politique active qui ne se borne pas à réagir à la ligne suivie par les Etats-Unis.
    Vous nous avez rappelé, monsieur le Premier ministre, les principes qui fondent l'action de la France, principes définis par le Président de la République et mis en oeuvre par le Gouvernement. Intervenant au nom de la commission de la défense, j'insisterai seulement sur trois aspects.
    Membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, la France est en mesure d'y prendre des initiatives constituant une solution alternative au seul recours à la force. Ce point est essentiel. C'est à l'ONU et à l'ONU seulement, au sein du Conseil de sécurité qui exprime la légalité internationale, que la question de l'Irak doit être examinée et que des décisions doivent être prises. Son rôle central est d'ailleurs aujourd'hui admis par les Etats-Unis, il faut s'en féliciter.
    En revanche, les propositions de résolution présentées par la diplomatie américaine ne sont pas satisfaisantes. Il est prématuré d'envisager, au stade où nous en sommes, l'usage de la force, qui n'est, à nos yeux, vous l'avez fort justement souligné, que l'ultime recours, et non un objectif.
    La position française est judicieuse. Il faut, comme l'a dit le ministre des affaires étrangères, prendre Saddam Hussein au mot. L'Irak a accepté le retour des inspecteurs ce qui place le Conseil de sécurité au coeur du processus. La France propose que le conseil adopte une première résolution permettant un contrôle effectif des activités irakiennes en matière d'armes de destruction massive et qu'en cas d'échec, et dans ce cas seulement, une seconde résolution en tire les conséquences et envisage, le cas échéant, le recours à la force. Cette approche graduelle est partagée, nous le savons, par deux autres membres permanents du conseil : la Russie et la Chine. Elle est en mesure de recueillir un consensus plus large, et nous savons que le Gouvernement ne ménage pas ses efforts en ce sens.
    Le deuxième point sur lequel je voudrais insister est la dimension européenne.
    Membre fondateur de l'Union européenne, la France peut jouer un rôle d'entraînement sur ses partenaires. Elle le joue d'ailleurs effectivement, comme l'a illustré la récente rencontre entre le Président de la République et le chancelier Schroder. Le soutien apporté à cette occasion par l'Allemagne à nos positions montre que les points de vue en Europe sont moins divergents qu'on ne l'a cru il y a quelques semaines, même si certains de nos partenaires paraissent plus proches des thèses américaines tandis que d'autres restent fidèles à la neutralité.
    La démarche équilibrée défendue par la France est susceptible de représenter une position médiane sur laquelle la plupart des Européens sont en mesure de s'accorder. Ce serait, en outre, très symbolique de notre volonté de voir l'Europe se doter d'une entité plus forte en matière de politique extérieure de sécurité et de défense. L'Europe est devenue, et le projet de loi de programmation militaire le souligne à juste titre, le nouvel horizon de notre défense. L'Europe de la défense est au coeur des travaux de la convention sur l'avenir de l'Union présidée par le président Giscard d'Estaing. Il serait très significatif que, sur un dossier de cette nature, les Européens s'expriment d'une seule voix à l'ONU. La France et l'influence de l'Europe ne pourraient qu'y gagner.
    La France a également une place particulière à tenir grâce à sa connaissance du monde arabe et musulman. A ce titre, elle peut davantage que d'autres être écoutée quand elle explique les raisons pour lesquelles la communauté internationale fait aujourd'hui preuve de fermeté vis-à-vis de l'Irak sur la question du désarmement. Nous devons éviter de provoquer chez les populations de cette région un sentiment d'humiliation, qui serait facteur de déstabilisation aux effets sans doute incalculables. Il faut pour cela expliquer sans relâche que nous ne sommes pas dans un choc de civilisations ou un conflit de cultures, encore moins au début d'une prétendue croisade. Nous devons aussi rappeler que l'objectif est le désarmement, c'est-à-dire la recherche et, le cas échéant, l'élimination d'armes de destruction massive qui, s'il se confirme que l'Irak les possède, représentent une menace pour tous les pays voisins.
    L'objectif n'est ni le renversement du régime de Saddam Hussein, ni la modification des équilibres régionaux. Permettez-moi toutefois de dire, en usant de la liberté de parole dont bénéficient les parlementaires, que nous ne devons pas nous interdire de qualifier le régime de Saddam Hussein. Il est de bon ton, dans certains milieux, de le présenter comme un système modéré et laïque, alors qu'il s'agit en réalité d'une dictature qui embrigade et asservit le peuple irakien.
    Plusieurs députés du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle. Très bien !
    M. Guy Teissier, président de la commission de la défense nationale. La question de l'Irak a donc des implications politiques et stratégiques majeures que la commission de la défense suit avec la plus grande vigilance.
    Le concept de sécurité préventive, mis en avant par le président Bush pour justifier éventuellement une action militaire unilatérale, suscite interrogations et inquiétude. S'agit-il seulement d'une construction théorique a posteriori ou de la naissance d'une nouvelle doctrine ? Les dangers d'une telle conception sont importants. Elle permettrait à l'avenir d'autres interventions à l'égard d'Etats « voyous », ou du moins considérés comme tels.
    L'idée de sécurité préventive nous renvoie en réalité à l'état primitif du droit international, quand les juristes distinguaient entre guerre juste et guerre injuste, et elle nie tout le difficile progrès de la société internationale vers un ordre davantage fondé sur le droit. Il est à l'honneur de la France et de l'Europe de défendre une autre conception.
    Il n'est pas déplacé également de s'interroger sur l'attitude particulièrement volontariste des Etats-Unis, ainsi que sur les objectifs qui les inspirent.
    Il ne faut pas sous-estimer les considérations géo-économiques qui sont trop souvent reléguées à l'arrière-plan, mais qui ne sont jamais absentes des ambitions américaines.
    Par ailleurs, la crise irakienne ne risque-t-elle pas de révéler une évolution fondamentale de la stratégie d'alliance des Etats-Unis, qui poserait à terme la question du devenir de l'OTAN ?
    L'unilatéralisme américain ne cesse de s'affirmer depuis les événements du 11 septembre 2001. Je ne crois pas qu'on puisse seulement le confondre avec la résurgence périodique des tendances isolationnistes aux Etats-Unis. Mais le nouveau contexte stratégique conduit à l'évidence ce pays à accorder moins d'intérêt à la sécurité de notre continent. Le progrès de la défense européenne n'en est que plus urgent.
    Au-delà même du problème posé par l'Irak, il appartient à la commission de la défense de réfléchir, à la lumière de certaines expériences passées, aux conditions dans lesquelles nos forces pourraient être impliquées à l'avenir dans des interventions collectives décidées par le Conseil de sécurité des Nations unies.
    Une intense activité diplomatique pour la recherche d'une solution politique à cette crise avec l'Irak n'est pas contradictoire avec une réflexion sur les capacités militaires dont nous disposons pour faire face à toute éventualité, c'est-à-dire pour préserver notre rang sur la scène internationale.
    Si la France entend continuer à peser sur les événements qui, partout dans le monde, peuvent être sources de tension, de crise, voire de conflit, il est indispensable qu'elle dispose d'une force militaire qui corresponde à son action diplomatique et qui soit adaptée aux nouvelles formes d'action des armées.
    C'est justement parce que nous détenons cette capacité opérationnelle que la position de la France qui refuse de s'aligner unilatéralement sur la vision américaine n'en a que plus de force et constitue un message politique d'une intensité particulière à l'adresse de la communauté internationale.
    Je suis, mes chers collègues, particulièrement fier de cette posture, car elle inspire, en ce début de xxie siècle, un nouveau mode de gouvernance, respectueuse de la primauté du droit international, mais aussi consciente des réalités stratégiques et géopolitiques. Il s'agit là d'une sorte de pragmatisme propre à ce gouvernement qui place l'humain avant toute autre considération et qui, finalement, est conforme à l'histoire de notre pays.
    Oui, mes chers collègues, la politique définie par le Président de la République et mise en oeuvre par le Gouvernement, est juste, équilibrée, soucieuse du droit international, de la primauté de la sécurité collective et du rôle des Nations unies. Elle doit être approuvée sans réserve. La question va connaître maintenant de nouveaux développements. Je souhaite que la représentation nationale en soit régulièrement informée...
    Un député du groupe des député-e-s communistes et républicains. Cela ne suffit pas !
    M. Guy Teissier, président de la commission de la défense. ... soit à l'occasion de débats comme celui-ci, soit par le biais des commissions permanentes. Je sais que nous pouvons compter sur la disponibilité du Gouvernement. Vous pouvez également compter sur notre soutien. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. Le débat est clos.
    M. Paul Quilès. Il n'a pas commencé !
    M. le président. La parole est à M. le ministre des affaires étrangères.
    M. Dominique de Villepin, ministre des affaires étrangères. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je tiens tout d'abord à remercier l'ensemble des orateurs et à me féliciter de la qualité et de la dignité des interventions. Vous avez noté les efforts, voire les progrès, de notre diplomatie, vous avez exprimé les convictions et les interrogations légitimes de la représentation nationale qui, je crois, illustrent bien les questions et les convictions de nos compatriotes.
    Face aux périls majeurs que connaît actuellement la scène internationale, la France sait rester unie et dépasser les clivages traditionnels de la politique. Ce fut le cas au lendemain du 11 septembre, face au terrorisme : c'est le cas aujourd'hui face à la crise irakienne dont, vous l'avez dit, les enjeux dépassent de loin l'Irak. C'est d'autant plus nécessaire que la France a une responsabilité particulière. Elle a des devoirs vis-à-vis de la communauté internationale, des amitiés, des solidarités, des capacités ; elle a un rôle éminent au Conseil de sécurité.
    Vous l'avez dit, il y a une menace en Irak, et Alain Juppé l'a clairement explicitée. Cette menace est aujourd'hui la production d'armements prohibés, chimiques, biologiques, nucléaires. On peut s'interroger sur le degré de cette menace, mais elle existe bel et bien, d'autant plus qu'elle est dans la main d'un dictateur - Saddam Hussein - qui, à maintes reprises n'a pas hésité à utiliser contre son peuple, contre ses voisins, les moyens qui étaient les siens.
    Certes, il y a des incertitudes et toute la responsabilité de la communauté internationale est là ; faire en sorte que les inspections, arrêtées en 1998, puissent reprendre ; veiller à avoir une connaissance exacte, totale et réelle, de cette menace. Comme l'a dit Hans Blix, le président de la commission de contrôle, s'il n'y a pas de preuve irréfutable, il y a bien une menace. Nous avons la responsabilité d'y faire face. Bien sûr, il faut éviter l'amalgame, comme l'a souligné M. Ayrault. Il ne faut pas systématiquement assimiler cette menace au terrorisme, quand, aujourd'hui, elle est dans le risque de prolifération. Bien sûr, il faut prendre en compte la situation particulière de l'Irak, pays fragile, dont l'unité peut être facilement menacée au Nord, avec le problème des Kurdes, ou au Sud, avec le problème des Chiites, dans un contexte régional éminemment dangereux, qu'il s'agisse des tensions au Proche-Orient ou de celles entre l'Inde et le Pakistan.
    Il faut, vis-à-vis de l'Irak, inscrire notre réflexion, notre préoccupation et notre action dans la durée. Mme Buffet a eu raison de le dire, il ne faut pas se contenter de répondre seulement aux problèmes de l'heure, mais se préoccuper, dans la durée, du retour à la stabilité et du problème humanitaire qui se pose avec acuité. Tous les rapports en notre possession l'indiquent, il y a une terrible détérioration, au cours des dernières années, de la situation des populations irakiennes. Nous ne pouvons pas rester indifférents à cette situation. C'est pourquoi nous avons défendu les nouvelles dispositions adoptées par les Nations unies, en particulier les dispositions « pétrole contre biens humanitaires ».
    Face à cette menace, que faire ? M. Ayrault l'a souligné, certaines tentations se font jour, le débat qui a lieu aux Etats-Unis le montre bien. Nous pourrions être tentés de considérer que la sécurité, seule, permettra de tout régler. On le constate en Irak comme dans d'autres régions du monde. Mais la sécurité, seule, ne saurait être la solution. Le recours à la force est parfois nécessaire, comme en Afghanistan. Autre tentation, une action unilatérale préventive - tous les orateurs l'ont rappelé - présente le danger de modifier profondément l'équilibre, d'introduire une rupture dans l'ordre de la communauté internationale. On pourrait avoir, également, la tentation du changement de régime. Mais selon quels critères ? Qui peut décider qu'un régime est satisfaisant ou ne l'est pas ? Ce serait ouvrir dans l'ordre international une brèche qui pourrait déboucher sur bien des aventures. On peut imaginer d'autres pays, sur d'autres continents, confrontés à cette question. Cela conduirait à de graves instabilités.
    Face à ces tentations, il n'y a pas, Mme Buffet l'a dit, de fatalité. Nous sommes aujourd'hui dans l'exercice éminent de la responsabilité de chacun, dans l'exercice éminent de la responsabilité diplomatique, de la volonté des Etats. Dans ce contexte, il appartient aux Français de jouer tout leur rôle.
    Pour aborder cette difficile question, il faut tenir compte des liens privilégiés que nous entretenons avec les Etats-Unis, liens d'amitié très forts - Alain Juppé et François Bayrou l'ont rappelé -, qui nous ont permis de comprendre le choc ressenti par les Américains le 11 septembre. Mais ce n'est évidemment pas sous le coup de l'émotion qu'il faut décider de l'action internationale. Il convient de définir une ligne diplomatique soucieuse de respecter et de maintenir un ordre.
    La voie est difficile, et c'est la mission de la diplomatie française que de répondre à un certain nombre d'exigences, qu'ont formulées M. Balladur et M. Juppé.
    La détermination : il faut se concentrer sur un objectif simple, un objectif prioritaire, le retour des inspecteurs, l'élimination des armes de destruction massive, et non pas s'abandonner à d'autres perspectives. Cette détermination est aujourd'hui au coeur de l'action du Conseil de sécurité des Nations unies, au coeur des préoccupations des Nations unies, et c'est le message qu'a adressé le Président Bush depuis la tribune de l'Assemblée générale.
    Détermination, mais aussi justice. En nous concentrant sur l'objectif irakien, nous ne devons pas oublier les autres crises, celle du Proche-Orient notamment, où nous avons une responsabilité particulière, à travers la résolution 1435, pour laquelle la France a joué tout son rôle afin de conduire à la levée du siège de la Mouqata'a. Le rôle et la responsabilité du quartette, où l'Union européenne joue un rôle important, sont de relancer une perspective politique, par le biais, par exemple, d'une importante conférence internationale qui permettrait de redonner espoir aux populations de la région.
    Dès lors, il importe de ne se priver d'aucun de nos atouts. M. Ayrault dit : « Brandissons notre veto. » Le veto fait partie des prérogatives d'un membre permanent au Conseil de sécurité. Mais la France doit exercer pleinement toutes ses responsabilités. Brandir ce veto aujourd'hui, ce serait se priver de notre influence, de notre capacité de peser sur le jeu international, de défendre une vision, une ambition, une initiative. Il ne faut pas se lier les mains. La diplomatie a besoin de mouvement, M. Balladur l'a rappelé. Elle a besoin de s'adapter aux circonstances, et elle le fait en fonction d'une vision de l'ordre international qui est la sienne.
    Car, votre débat l'a bien montré, l'enjeu dépasse aujourd'hui l'Irak. François Bayrou l'a dit, ce débat touche à l'ordre mondial : l'unilatéralisme, le multilatéralisme, le droit ou la force. Edouard Balladur l'a rappelé : la France est dans le camp du droit, ce qui doit nous conduire à une mobilisation particulière. Mais nous agissons en liaison avec nos alliés traditionnels. Et c'est tout le rôle de notre diplomatie vis-à-vis de l'Union européenne. Il faut d'ailleurs noter que les pays de l'Union européenne partagent aujourd'hui un même objectif : retour des inspecteurs des Nations unies et élimination des armes de destruction massive.
    Il faudrait pouvoir aller plus loin. Au-delà de notre ambition de mobiliser l'Union européenne, il faut - c'est en tout cas une des priorités de l'action diplomatique française - garder le contact avec nos solidarités traditionnelles, avec le tiers monde et avec les pays arabes. Il est important de maintenir ce trait d'union, de ne pas céder à la tentation de la coupure, de la rupture avec ces gouvernements et ces peuples. C'est pour cela que, dans le cadre de l'Assemblée générale, nous avons multiplié les contacts. Et c'est pour cela, encore, que notre diplomatie veut rester en permanence proche des exigences, des inquiétudes de ces pays et de ces peuples.
    La vision de la France s'appuie sur un monde marqué par l'interdépendance. Nous sommes conscients qu'il y a des urgences, au nombre desquelles il faut compter l'Irak, mais aussi le Proche-Orient, l'Afghanistan ou les crises africaines. Cette vision doit nous amener à faire le lien entre l'ensemble de ces crises, à être mobilisés par notre action diplomatique. Elle doit nous conduire aussi à être soucieux de défendre l'unité de la communauté internationale et, comme dans le cas de l'Irak, l'unité du Conseil de sécurité. Cette unité conditionne le principe si important pour la diplomatie française de la légalité et de la légitimité de notre action. C'est pour cela que nous avons défendu et que nous défendons une démarche en deux temps.
    Une première étape devrait voir l'adoption d'une résolution définissant les arrangements pratiques pour le retour des inspecteurs des Nations unies. Il est important que cette première étape permette d'obtenir le consensus au Conseil de sécurité, car c'est la seule façon d'adresser un message clair, fort, à Saddam Hussein. Nous avons vu que, quand la communauté internationale est unie, ce message est bien reçu.
    Si Saddam Hussein n'obtempère pas, s'il ne reçoit pas le message de cette première résolution et si l'action des inspecteurs devait être entravée, il nous faudrait alors en tirer toutes les conclusions dans une deuxième résolution.
    Il appartiendra au Conseil de sécurité d'examiner toutes les options et chacun des membres prendra alors ses responsabilités.
    Mais l'on voit bien que, dans ce processus d'une résolution à l'autre, chaque gouvernement, chaque opinion publique, peut faire son apprentissage et prendre la mesure de la situation. Il importe que chacun puisse voir la réaction de Saddam Hussein. Il y a là un processus essentiel de pédagogie, de responsabilité de la communauté internationale qui est tout à fait essentiel.
    L'efficacité de l'action diplomatique dépend de la qualité de ce processus, et c'est pourquoi nous estimons important que la première résolution ne comporte pas de clause automatique de recours à la force. Il est véritablement important que les inspecteurs puissent revenir sur le terrain, que nous puissions nous appuyer sur la qualité des hommes qui constituent les équipes de M. Hans Blix, président de la commission de contrôle, et celles de M. El Baradei, directeur de l'Agence internationale de l'énergie atomique, et qui disposent des compétences pour réaliser des inspections de qualité.
    Entre 1991 et 1998, les inspections des Nations unies ont permis de connaître l'arsenal irakien et d'éliminer de nombreuses armes de destruction massive. Je rappelle à ce propos qu'il a été détruit plus d'armes de destruction massive durant cette période que pendant la guerre du Golfe.
    Il est donc important qu'entre le Conseil de sécurité et les inspecteurs, le travail puisse s'effectuer en confiance, que les inspecteurs déposent, à intervalles réguliers, comme cela est prévu, un rapport auprès du Conseil de sécurité, pour que celui-ci puisse, en temps voulu, à chaque étape, et en respectant le principe de responsabilité, prendre ses responsabilités.
    Il est donc aussi important pour la diplomatie française de ne pas accepter dès la première résolution un blanc-seing qui conduirait la communauté internationale à se dérober, à fuir ses responsabilités, que de préserver la capacité de décision de notre diplomatie à chaque étape. Il est donc inutile de brandir un veto quand nous pouvons contribuer, en liaison avec tous nos partenaires, à définir une position commune vis-à-vis de l'Irak.
    La France, aujourd'hui, se réjouit des progrès qui ont été constatés au cours des dernières semaines. Les conversations au Conseil de sécurité ont permis d'évoluer, et nous voulons croire qu'avec la détermination qui est aujourd'hui celle de la communauté internationale, avec la conviction partagée par l'ensemble des membres du Conseil de sécurité, nous saurons, dans les prochains jours, trouver les voies d'un message fort adressé à Saddam Hussein. Je vous remercie. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La déclaration du Gouvernement sur la question de l'Irak est terminée.

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ORDRE DU JOUR DE LA PROCHAINE SÉANCE

    M. le président. Ce soir, à vingt et une heures trente, troisième séance publique :
    Suite de la discussion du projet de loi, n° 190, relatif aux salaires, au temps de travail et au développement de l'emploi :
    M. Pierre Morange, rapporteur au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales (rapport n° 231).
    La séance est levée.
    (La séance est levée à dix-huit heures quarante.)

Le Directeur du service du compte rendu intégralde l'Assemblée nationale,
JEAN PINCHOT