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ASSEMBLÉE NATIONALE
DÉBATS PARLEMENTAIRES


JOURNAL OFFICIEL DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE DU VENDREDI 22 NOVEMBRE 2002

COMPTE RENDU INTÉGRAL
2e séance du jeudi 21 novembre 2002


SOMMAIRE
PRÉSIDENCE DE M. JEAN LE GARREC

1.  Loi de financement de la sécurité sociale pour 2003. - Communication relative à la désignation d'une commission mixte paritaire «...».
2.  Organisation décentralisée de la République. - Suite de la discussion d'un projet de loi constitutionnelle adopté par le Sénat «...».

DISCUSSION DES ARTICLES (suite) «...»
Article 1er (suite)

Amendements n°s 3 de M. Poulou et 95 de M. Giacobbi : M. Daniel Poulou. - Retrait de l'amendement n° 3.
M. Paul Giacobbi. - Retrait de l'amendement n° 95.
Amendement n° 57 de Mme Royal : Mme Ségolène Royal, MM. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur ; Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice ; Philippe Vuilque, Jean-Marc Ayrault, Jean-Pierre Brard. - Rejet.
Amendement n° 60 de Mme Royal : Mme Ségolène Royal, MM. le rapporteur, le garde des sceaux. - Rejet.
Amendement n° 61 de Mme Royal : Mme Ségolène Royal, MM. le rapporteur, le garde des sceaux, Charles de Courson. - Rejet.

Suspension et reprise de la séance «...»
Rappel au règlement «...»

MM. Didier Migaud, le président.

Reprise de la discussion «...»

Amendement n° 31 de M. Zuccarelli : MM. Emile Zuccarelli, le rapporteur, Patrick Devedjian, ministre délégué aux libertés locales ; Philippe Vuilque. - Rejet.
Amendement n° 5 de M. André : M. René André. - Retrait.
Amendement n° 5 repris par M. Vuilque : MM. Philippe Vuilque, René André, le rapporteur, le garde des sceaux, Marc Le Fur, Mme Ségolène Royal. - Rejet.
Amendement n° 149 de M. Blessig : MM. Emile Blessig, le rapporteur, le garde des sceaux. - Rejet.
Amendement n° 187 de M. Brard : MM. Jean-Pierre Brard, le rapporteur, le ministre, Hervé Mariton, Jean-Pierre Brard, Jean-Pierre Balligand, Didier Migaud. - Rejet.
Amendement n° 45 rectifié de M. Myard : MM. Jacques Myard, le rapporteur, le garde des sceaux, Francis Delattre, Jean-Luc Warsmann, vice-président de la commission des lois ; Philippe Vuilque. - Rejet.
Amendements n°s 46 et 47 de M. Myard : MM. Jacques Myard, le vice-président de la commission, le garde des sceaux. - Retraits.
Amendement n° 59 de Mme Royal : Mme Ségolène Royal, MM. le vice-président de la commission, le garde des sceaux, Victorin Lurel, Jacques Brunhes. - Rejet.
Adoption de l'article 1er.

Après l'article 1er «...»

Amendement n° 107 rectifié de M. Lurel : MM. Victorin Lurel, le vice-président de la commission, le garde des sceaux, André Chassaigne, Paul Giacobbi, François Bayrou, le rapporteur. - Rejet.
Amendement n° 108 de M. Lurel : MM. Victorin Lurel, le rapporteur, le garde des sceaux, Michel Piron, Mme Ségolène Royal. - Rejet.
Amendements n°s 98 de M. Giacobbi et 200 de M. Le Fur, avec le sous-amendement n° 210 de M. Bayrou : MM. Paul Giacobbi, Marc Le Fur, François Bayrou, le rapporteur, le garde des sceaux. - Retrait de l'amendement n° 98.
MM. Jacques Myard, René André, René Dosière, Marc Le Fur, Mme Béatrice Vernaudon, MM. Victorin Lurel, Jacques Brunhes, le rapporteur, François Bayrou, le garde des sceaux. - Rejet, par scrutin, du sous-amendement n° 210 et de l'amendement n° 200.

Suspension et reprise de la séance «...»

Amendement n° 127 de Mme Comparini : MM. Charles de Courson, le rapporteur, le ministre, André Chassaigne. - Rejet.
Amendement n° 115 de M. Joyandet : MM. Alain Joyandet, le rapporteur, le ministre. - Retrait.
Amendement n° 48 de M. Myard : MM. Jacques Myard, le rapporteur, le ministre. - Rejet.
Amendement n° 150 de M. Blessig : MM. Emile Blessig, le rapporteur, le garde des sceaux, Jean-Pierre Balligand, le ministre. - Retrait.
Amendement n° 125 de Mme Comparini : MM. Charles de Courson, le rapporteur, le ministre, Philippe Vuilque. - Retrait.
Amendement n° 125 repris par M. Vuilque. - Rejet.
L'amendement n° 202 de M. Brard est réservé jusqu'à l'article 3 et sera soumis à une discussion commune avec l'amendement n° 201 de M. Migaud.

Article 1er bis. - Adoption «...»

Renvoi de la suite de la discussion à la prochaine séance.
3.  Ordre du jour de la prochaine séance «...».

COMPTE RENDU INTÉGRAL
PRÉSIDENCE DE M. JEAN LE GARREC,
vice-président

    M. le président. La séance est ouverte.
    (La séance est ouverte à quinze heures.)

1

LOI DE FINANCEMENT
DE LA SÉCURITÉ SOCIALE POUR 2003

Communication relative à la désignation
d'une commission mixte paritaire

    M. le président. M. le président de l'Assemblée nationale a reçu de M. le Premier ministre la lettre suivante :

« Paris, le 20 novembre 2002.    

            « Monsieur le président,
    « Conformément à l'article 45, alinéa 2, de la Constitution, j'ai l'honneur de vous faire connaître que j'ai décidé de provoquer la réunion d'une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2003.
    « Je vous serais obligé de bien vouloir, en conséquence, inviter l'Assemblée nationale à désigner ses représentants à cette commission.
    « J'adresse ce jour à M. le le président du Sénat une demande tendant aux mêmes fins.
    « Veuillez agréer, monsieur le président, l'assurance de ma haute considération. »
    Cette communication a été notifiée à M. le président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

2

ORGANISATION DÉCENTRALISÉE
DE LA RÉPUBLIQUE

Suite de la discussion d'un projet de loi constitutionnelle adopté par le Sénat

    M. le président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi constitutionnelle, adopté par le Sénat, relatif à l'organisation décentralisée de la République (n°s 369, 376).

Discussion des articles (suite)

    M. le président. Ce matin, l'Assemblée a commencé l'examen des articles et s'est arrêtée aux amendements n°s 3 et 95 à l'article 1er.

Article 1er (suite)

    M. le président. Je rappelle les termes de l'article 1er :
    « Art. 1er. - L'article 1er de la Constitution est complété par une phrase ainsi rédigée :
    "Son organisation est décentralisée. »
    Les amendements n°s 3 et 95 peuvent être soumis à une discussion commune.
    L'amendement n° 3, présenté par M. Poulou, est ainsi libellé :
    « Rédiger ainsi l'article 1er :
    « Après les mots "ou de religion, la fin de l'article 1er de la Constitution est ainsi rédigée : "dans le respect des croyances, des langues et cultures régionales de France. »
    L'amendement n° 95, présenté par M. Giacobbi et Mme Taubira, est ainsi libellé :
    « Rédiger ainsi l'article 1er :
    « La première phrase de l'article 1er de la Constitution est ainsi rédigée :
    « La France est une République indivisible, laïque, démocratique, sociale et décentralisée. »
    La parole est à M. Daniel Poulou, pour soutenir l'amendement n° 3.
    M. Daniel Poulou. Monsieur le président, mes chers collègues, afin de mieux ordonner nos débats, je retire cet amendement, me réservant d'intervenir sur l'amendement de M. Le Fur à l'article 2, concernant la reconnaissance des langues régionales dans l'enseignement.
    M. le président. L'amendement n° 3 est retiré.
    La parole est à M. Paul Giacobbi, pour soutenir l'amendement n° 95.
    M. Paul Giacobbi. Monsieur le président, je souhaiterais d'abord répondre à M. Clément, qui a mis en doute ma cohérence. Non seulement, j'ai approuvé les accords de Matignon sur la Corse, mais je pense y avoir beaucoup contribué et, à ce titre, je me réjouis de ce projet, même s'il est perfectible.
    Notre amendement n'a qu'un objectif. Nous ne devons pas avoir peur des mots, et si nous les employons, il faut le faire simplement.
    Le fédéralisme n'est pas la décentralisation et l'unité de la République n'est pas atteinte par la décentralisation.
    Le fédéralisme, c'est tout autre chose : c'est l'universalité des compétences des Etats fédérés, l'auto-organisation de ceux-ci, la double source de la volonté générale. Or nous n'avons prévu aucune disposition de cet ordre, même si un amendement qui place le Sénat bien en vue peut de ce point de vue poser une petit problème.
    Notre amendement, qui n'est donc que rédactionnel, tend à placer sur un pied d'égalité, dans la rédaction, les concepts d'indivisibilité et de décentralisation. M. Devedjian nous a confirmé, ce matin que ces deux concepts étaient parfaitement à égalité, quelle que soit la rédaction.
    Nous entrons dans la norme européenne.
    M. de Courson a cité la constitution italienne dont la rédaction est sur ce point particulièrement alambiquée. Mais laissez-moi vous dire que la constitution espagnole est à cet égard, selon d'éminents juristes, un désastre syntaxique.
    Finalement, la rédaction du Gouvernement est plutôt meilleure que la norme. Par conséquent, je retire l'amendement, sous le bénéfice des observations du ministre.
    M. le président. L'amendement n° 95 est également retiré.
    Mme Royal et les membres du groupe socialiste ont présenté un amendement, n° 57, ainsi libellé :
    « Rédiger ainsi le dernier alinéa de l'article 1er :
    « La République garantit l'égal accès à des services publics de qualité. Son organisation territoriale est décentralisée dans le respect des principes fondamentaux garantis par la Constitution, notamment l'indivisibilité de la République. Elle met en oeuvre le principe de déconcentration des pouvoirs de l'Etat. »
    Peut-être pourriez-vous, madame Royal, défendre en même temps cet amendement et les deux amendements de repli n°s 60 et 61 ?
    M. Jean-Pierre Brard. Vous voulez nous priver, monsieur le président ! (Sourires.)
    M. le président. Certes non, cher collègue !
    Vous avez la parole, madame Royal.
    Mme Ségolène Royal. Ce matin, nous avons eu un long débat.
    Pour éviter tout malentendu sur notre amendement de suppression de l'article 1er, j'ai déjà annoncé que nous proposerions une nouvelle rédaction de l'article 1er de la Constitution.
    Cet article pose les piliers de ce qu'on peut appeler notre tradition républicaine. Chacun en a convenu ici, notre tradition républicaine existe, elle nous oblige, nous devons la servir et non pas se servir de la Constitution pour faire des déclarations d'intention.
    La disposition que vise à introduire dans notre Loi fondamentale le projet de loi n'est pas de nature constitutionnelle et elle n'a pas à être mise à égalité avec les autres principes fondamentaux garantis par la Constitution, tels que l'indivisibilité de la République, l'égalité devant la loi, la laïcité. Malgré tout, nous comprenons que le Premier ministre tienne à son affichage.
    Dès lors, puisque la Constitution devient bavarde, il faut tout dire et donc rappeler l'objectif de la décentralisation, affirmé à plusieurs reprises : l'amélioration de la qualité des services publics sur la totalité du territoire.
    Plusieurs voix se sont élevées pour exprimer leurs inquiétudes. J'ai évoqué ce matin celles des maires de France, mais il faut aussi se souvenir de celles du président de l'Assemblée nationale et de certains députés et sénateurs. En effet, comment peut-on concilier le principe de décentralisation avec les deux autres principes que sont l'égalité d'accès aux services publics et l'indivisibilité de la République ? Afin de lever toutes les ambiguïtés, nous proposons d'inscrire ces principes dans l'article 1er de la Constitution.
    Sans doute nous répondrez-vous, comme en commission des lois, que nous avons satisfaction puisqu'il n'est pas question de revenir sur ces principes. Mais le président de la commission des lois ne nous a-t-il pas dit que c'était bien pour lever l'obstacle de l'égalité devant les services publics, au nom duquel s'opérait parfois une reconcentration des pouvoirs de l'Etat, qu'il fallait inscrire la décentralisation dans la Constitution ? Nous partageons ce souci et c'est pourquoi nous proposons une rédaction complète mais très déséquilibrée.
    Il y a d'abord les citoyens, ceux pour lesquels nous travaillons ici, ceux pour lesquels la décentralisation doit se faire, ceux pour lesquels la réforme des services publics aussi doit être réalisée. Les citoyens doivent avoir accès à des services publics de qualité. C'est cet objectif que nous visons au premier chef avec les réformes.
    Il y a ensuite le principe de la décentralisation lui-même, reciblé sur son objectif : il s'agit de l'organisation territoriale de la République décentralisée et non de toute son organisation. Ni le Président de la République, ni le Gouvernement, ni le Parlement, ni les grandes institutions judiciaires ne peuvent être décentralisés. Par conséquent, c'est bien de l'organisation territoriale qu'il est question. Pour apaiser toutes les inquiétudes, nous souhaitons qu'il soit clairement rappelé que la décentralisation doit se faire dans le respect des principes fondamentaux garantis par la Constitution, notamment l'indivisibilité de la République.
    Si le Conseil constitutionnel doit, à un moment, vérifier la constitutionnalité d'une loi par rapport à la Constitution, il pourra faire en sorte que le principe d'indivisibilité de la République l'emporte sur le principe de décentralisation territoriale. Cela nous paraît très important eu égard aux préoccupations qui se sont exprimées ici ou là.
    Enfin, nous comblons une lacune puisque, dans le projet du Gouvernement, l'Etat passe, si j'ose dire, à la trappe. Le Premier ministre a confirmé hier qu'il n'était pas question d'affaiblir l'Etat. Nous préférons quant à nous qu'on l'affirme clairement dans le texte. Ce faisant, on réaffirmerait la présence et le rôle de l'Etat car nous voulons à la fois un Etat correctement à sa place, mais aussi un Etat qui se réforme et, surtout, qui se rapproche des citoyens par la déconcentration.
    La lacune concernant la déconcentration des pouvoirs de l'Etat a été évoquée dans plusieurs enceintes. Il convient donc de clarifier l'ensemble du dispositif.
    Telle est, monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la proposition du groupe socialiste. Nous souhaitons qu'elle soit retenue.
    J'ajoute que nous n'avons pas obtenu de précisions sur les intentions du Gouvernement : est-il prêt à accepter certains de nos amendements ou les refusera-t-il tous par principe ?
    Nous souhaitons, monsieur le garde des sceaux, que les propositions de l'opposition soient prises en considération car les principes incontestables que sont l'égalité d'accès aux services publics, l'indivisibilité de la République et la déconcentration des pouvoirs de l'Etat doivent être retenus.

    M. le président. Madame Royal, puis-je considérer que vous avez également défendu les amendements de repli n°s 60 et 61 ?
    Mme Ségolène Royal. Non, monsieur le président. Je reprendrai la parole sur ces deux amendements.
    M. Jean-Pierre Brard. Mme Royal a raison car le sujet est très intéressant !
    M. le président. C'est votre droit, madame !
    M. Jacques Myard. Cela s'appelle de l'obstruction !
    M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, rapporteur, pour donner l'avis de la commission sur l'amendement n° 57.
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, rapporteur. Mme Royal a parlé quinze minutes sur un seul amendement...
    M. le président. Monsieur Clément, puisque vous êtes à la fois président et rapporteur de la commission des lois, vous bénéficiez d'une double liberté. Vous connaissez très bien notre façon de faire. Je suis saisi de trois amendements, dont deux de repli, et j'ai sollicité Mme Royal pour qu'elle les défende en même temps.
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Je croyais que, sur un amendement, le temps de parole était de cinq minutes...
    M. le président. Si elle le souhaite, Mme Royal pourra intervenir rapidement sur les deux amendements de repli. C'est sa liberté.
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Monsieur le président, j'ai vraiment cru, comme vous-même d'ailleurs, que Mme Royal avait défendu ses trois amendements. Cela dit, je ne reprocherai à personne de défendre ses amendements un à un.
    M. le président. Je souhaitais en effet que Mme Royal défende en même temps les trois amendements.
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Je ne pinaillerai pas sur les minutes : cela ne me regarde pas, cela regarde la présidence.
    Quant à l'amendement n° 57, j'en ai peu entendu parler. Il s'agit pour Mme Royal d'insister entre autres sur les principes d'égalité, d'invisibilité et de libre accès aux services publics. Je ne dirai pas que ma réponse vaudra pour ses trois amendements, mais je ne peux qu'opposer à ces amendements le même raisonnement.
    Madame Royal, relisons ensemble l'article 1er de la Constitution :
    « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi... » Je m'arrêterai là car n'est-ce pas précisément ce que vous réclamez : l'égalité des Français devant les services publics ?
    Vous voulez, au surplus, que ces services soient « de qualité ». M. Zuccarelli a dit tout à l'heure qu'il ne fallait pas abuser des qualificatifs. Il a même ajouté que, dans la Constitution, il n'en fallait pas du tout. Mais il en faut bien quelques-uns : l'Assemblée doit être « nationale », tout comme la souveraineté.
    Quoi qu'il en soit, la notion de qualité est peu constitutionnelle.
    Sur le fond, madame Royal, dès lors que la Constitution dispose que la République « assure l'égalité devant la loi », notre souci de voir respecter l'égal accès de tous les Français aux services publics est pris en compte.
    Vous m'avez reproché d'avoir déclaré à un grand journal français qu'il fallait que la Constitution soit concise. Vous m'obligez à vous le rappeler fortement. Comment introduire à la deuxième phrase d'un article ce qui figure déjà dans la première ?
    Je suis prêt à accepter tout amendement qui nous fasse avancer dans notre travail, mais je considère qu'il n'est pas souhaitable que nous acceptions celui que vous venez de défendre.
    Quant à l'égalité devant les services publics, la notion change. Sans vouloir polémiquer, je rappellerai que les écoles ferment ou ouvrent au gré du temps : certains, quand ils sont dans l'opposition, dénoncent l'inégalité d'accès aux services publics et, quand ils sont ministres, réalisent les fermetures. Cela vous vise particulièrement, car je vous ai entendu tenir les deux discours.
    La notion de service public est une notion malheureusement large qui, en fonction des époques ou de la démographie, peut évoluer.
    Vous avez entière satisfaction puisque l'égalité est consacrée par la première phrase de l'article 1er de la Constitution, article 1er dont un grand juriste, René Cassin, estimait qu'il était tout simplement le continuum du Préambule.
    M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice, pour donner l'avis du Gouvernement.
    M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice. Le Gouvernement est défavorable à l'amendement n° 57.
    Madame la députée, votre amendement est une manière de faire bégayer la Constitution, dans la mesure où vous répétez dans la phrase suivante ce qui est dit dans la phrase précédente. Ce n'est pas conforme au jeu constitutionnel.
    Quant à l'affirmation de principes contradictoires sur lesquels vous voulez revenir, les choses doivent être claires.
    Dans la Constitution, un certain nombre de principes, en apparence contradictoires, peuvent être juxtaposés. C'est l'équilibre entre ces principes qui, en fonction de la vision que l'on se fait de l'intérêt général, détermine ensuite la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Il n'est donc pas nécessaire de revenir une troisième fois sur telle ou telle notion. Préciser que la République est indivisible et que son organisation est décentralisée suffit, alors même que les deux notions ne sont pas placées au même niveau.
    Vous voulez également que l'article 1er de la Constitution fasse référence à la déconcentration. Là, cela ne colle plus du tout car on est dans le pouvoir réglementaire : l'organisation par l'Etat de ses propres services n'a rien à faire dans la Constitution !
    Le Gouvernement est défavorable aux trois amendements non pour des raisons politiques, mais pour les trois motifs que je viens d'énoncer et qui renvoient à la qualité de la rédaction.
    Nous sommes en train de modifier le texte constitutionnel, auquel nous devons maintenir sa clarté et son efficacité. Nous devons nous garder de mélanger Constitution, loi ordinaire et décrets.
    M. le président. La parole est à M. Philippe Vuilque, pour répondre à la commission.
    M. Philippe Vuilque. On parle de la « qualité » de la rédaction. Mais nous avons démontré c'est après-midi que nos amendements permettaient de préciser les choses et que la référence à la décentralisation à l'article 1er risquait, telle qu'elle est proposée, de modifier la hiérarchie des normes et d'aboutir à ce que le Conseil constitutionnel - on ne sait jamais ce qui peut arriver ! - privilégie la notion de décentralisation au détriment des principes de laïcité et d'égalité, par exemple.
    Nous sommes convaincus que les précisions que nous voulons introduire sont particulièrement utiles et qu'elles éviteraient une interprétation qui pourrait être faite par le Conseil constitutionnel.
    Vous dites que l'égalité des citoyens, telle qu'elle est inscrite dans la Constitution aujourd'hui, englobe l'égalité devant les services publics. Mais, comme le rapporteur l'a très justement reconnu, cette égalité est relative. Pour le cas où, demain, dans le cadre de la décentralisation, elle serait battue en brèche, il nous semble intéressant de rappeler dans la Constitution que les citoyens doivent être égaux s'agissant de l'accès aux services publics. Notre amendement répond à cette exigence.
    M. Richard Cazenave. Que c'est dur d'être dans l'opposition !
    M. Philippe Vuilque. Mme Royal a en vain posé une question au ministre présent à la fin de la séance de ce matin. Il faut reconnaître que les choses sont assez mal parties : alors que nous essayons d'améliorer votre texte, tous nos amendements risquent de passer systématiquement à la trappe.
    Messieurs les ministres, avez-vous reçu mandat du Premier ministre ? Si c'est le cas, dites-le nous tout de suite. Vous regretterez alors systématiquement tous nos amendements, y compris nos amendements d'amélioration. Si tel n'est pas le cas, pouvons-nous espérer que vous nous écoutiez ? (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Richard Cazenave. Vos amendements ne sont pas bons, voilà tout !
    M. le président. La parole est à Mme Ségolène Royal, pour répondre brièvement au Gouvernement.
    Mme Ségolène Royal. Monsieur le garde des sceaux, je suis étonnée par le manque de rigueur de votre raisonnement.
    Le principe d'égal accès aux services publics, dites-vous, n'est pas constitutionnel et n'a rien à faire dans la Constitution.
    M. Jacques Myard. Le garde des sceaux n'a pas dit cela !
    M. le garde des sceaux. Ce n'est en effet pas ce que j'ai dit ! Vous vous reporterez au compte rendu !
    Mme Ségolène Royal. Si vous pensez que la référence à l'égal accès à des services publics de qualité a sa place dans la Constitution, acceptez notre amendement !
    M. Richard Cazenave. Mais cet amendement est satisfait !
    M. Jacques Myard. Il faut éviter les redondances !
    Mme Ségolène Royal. Vous ne pouvez pas, d'un côté, vous laisser dire par le Conseil d'Etat que l'organisation décentralisée n'a rien à faire dans la Constitution, comme, d'ailleurs, la plupart des articles que vous proposez,...
    M. le garde des sceaux. Ce n'est pas l'objet de votre amendement !
    Mme Ségolène Royal. ... et de l'autre, opposer le même argument à l'amendement que j'ai défendu,...
    M. René André. Sophisme !
    Mme Ségolène Royal. ... d'autant plus que nous acceptons de faire référence à l'organisation territoriale décentralisée dans la Constitution pour vous faire plaisir, même s'il s'agit, et vous le savez mieux que personne, d'un affichage.
    M. Jacques Myard. Elle est trop bonne !
    Mme Ségolène Royal. Admettons qu'il faille cet affichage ! Les Français savent bien que ce n'est pas en ajoutant un mot dans la Constitution que l'on va changer leur vie quotidienne, mais au moins faisons-le en clarifiant tous les objectifs et en posant toutes les limites à apporter à la décentralisation par rapport à l'égalité devant le service public. Vous savez bien que c'est l'expérimentation à la carte qui inquiète le plus les élus.
    M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances, rapporteur pour avis. C'est ridicule !
    Mme Ségolène Royal. Vous savez bien que finalement ceux qui pourront expérimenter à la carte sont ceux qui en auront les moyens financiers, pas les autres.
    M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances, rapporteur pour avis. Mais non, c'est absurde !
    M. Jean-Luc Warsmann. C'est aujourd'hui que l'on constate des inégalités !
    Mme Ségolène Royal. Il faudra alors que l'Etat assure son rôle de répartition sur l'ensemble du territoire.
    M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances, rapporteur pour avis. Quelle mauvaise foi !
    Mme Ségolène Royal. Il fallait nous donner les textes organisant les transferts de compétences, monsieur Méhaignerie,...
    M. Jean-Luc Warsmann. C'est de la mauvaise foi ! Il y a une consultation, vous le savez très bien !
    Mme Ségolène Royal. ... et nous expliquer comment ces transferts allaient se faire, avec quels moyens financiers. Nous ne sommes pas les seuls à nous poser la question, l'ensemble des élus, toutes tendances politiques confondues, se la posent. Vous savez bien que ce à quoi les Français sont le plus attachés, c'est l'égalité devant le service public. Alors pourquoi refusez-vous de l'inscrire dans la Constitution ?
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Parce que cela y est déjà, madame !
    Mme Ségolène Royal. Pourquoi refusez-vous les amendements du groupe socialiste ? Avez-vous des instructions pour cela ? Est-ce la logique du débat parlementaire ? Répondez, monsieur le ministre ! Pourquoi la garantie de l'égal accès aux services publics ne pourrait-elle être inscrite dans la Constitution dès lors que vous y faites figurer le principe selon lequel l'organisation de la République est décentralisée, qui n'a rien à y faire ?
    M. Richard Cazenave. Ne nous énervons pas !
    Mme Ségolène Royal. A partir du moment où vous mettez l'un, vous devez mettre l'autre,...
    M. Philippe Vuilque. Eh oui !
    Mme Ségolène Royal. ... car la décentralisation, c'est d'abord l'efficacité et l'égalité devant le service public. Cela a été dit plusieurs fois et vous l'avez confirmé. Comment M. Clément peut-il dire que nous avons satisfaction sur le fond et refuser de l'inscrire dans la Constitution ?
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Parce que cela y figure déjà, madame Royal !
    Mme Ségolène Royal. Mais ce que vous voulez inscrire y figure aussi déjà, monsieur Clément !
    M. le président. Madame Royal !
    Mme Ségolène Royal. Le principe de libre administration des collectivités locales est déjà inscrit à l'article 72 de la Constitution !
    M. le président. Madame Royal, vous avez répondu au Gouvernement !
    Mme Ségolène Royal. Je vous en prie, monsieur Clément, épargnez-vous certains gestes tout à fait déplacés ! (Protestations sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le président. Madame Royal, vous avez répondu au Gouvernement, qui va maintenant vous répondre, du moins je le pense !
    La parole est à M. le garde des sceaux.
    M. le garde des sceaux. Nous sommes un certain nombre ici à avoir compris votre jeu, madame Royal.
    M. Didier Migaud. Quel jeu ?
    M. Charles de Courson. Un petit jeu !
    M. le garde des sceaux. Vous souhaitez parler le plus longtemps possible et polémiquer le plus possible. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    Mme Ségolène Royal. Non, nous voulons débattre !
    M. Didier Migaud. C'est scandaleux de dire cela !
    M. le garde des sceaux. C'est votre droit et je vous répondrai aussi souvent qu'il le faudra, parce que je suis parfaitement respectueux du débat parlementaire.
    M. René André. Très bien !
    M. le garde des sceaux. Je vous répète simplement que le principe d'égalité des citoyens est celui qui est le plus souvent inscrit dans la Constitution, comme dans son préambule. Il est donc déjà répondu à votre souci.
    M. Richard Cazenave. Tout à fait !
    M. le garde des sceaux. Il est totalement inutile de répéter une fois de plus dans le texte ce qui y figure déjà. On pourrait le faire dix fois, quinze fois, cela n'aurait aucun sens.
    M. Richard Cazenave. C'est une évidence ! C'est de la paranoïa !
    M. le garde des sceaux. La seule chose intéressante que l'on puisse faire, c'est poser le principe de l'organisation décentralisée de la République pour compléter le texte, parce que c'est nouveau. Je m'oppose donc, non pas à l'idée politique que vous avez exprimée, mais à la proposition de rédaction que vous faites.
    M. le président. Monsieur le président Ayrault, voulez-vous dire un mot ?
    M. Richard Cazenave. C'est quoi ce débat ?
    M. Jean-Marc Ayrault. Monsieur le ministre, ce n'est pas à un jeu que nous nous livrons !
    M. Richard Cazenave. Si ! Cela se voit bien depuis ce matin !
    M. Jean-Marc Ayrault. Si cela passionnait autant la majorité, ses bancs seraient pleins. Or il n'y a quasiment personne derrière vous, monsieur le ministre ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Richard Cazenave. Nous sommes un peu plus que vous !
    M. Jean-Marc Ayrault. Cela doit quand même vous interroger ! Si cela continue, l'opposition va devenir majoritaire sur ce texte ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. René André. Cela vous est déjà arrivé aussi !
    M. Charles de Courson. Souvenez-vous du PACS !
    M. Jean-Marc Ayrault. Cela dit votre intervention d'hier était très intéressante, monsieur André, et sur de nombreux points, nous partageons vos idées. Nous pouvons donc nous écouter les uns les autres sur cette question de la décentralisation. Nous proposons ainsi un amendement visant à inscrire dans la Constitution le principe d'égal accès de tous les Français aux services publics, quel que soit le territoire où ils habitent. Et vous le repoussez comme s'il s'agissait de je ne sais quel jeu obscur. Non, c'est une question centrale !
    Hier, le Premier ministre, à la tribune de l'Assemblée nationale, a pris comme exemple d'inégalité existant entre les Français et les territoires la question de l'accès au haut débit. C'est un vrai problème, il a eu raison de le dire. Nous souhaitons tout simplement garantir l'égal accès des Français au haut débit comme à d'autres services publics, quel que soit le territoire. L'amendement que propose Mme Royal n'est rien d'autre que la concrétisation de ce qu'a dit hier le Premier ministre et vous nous dites que c'est un jeu ! Nous n'en sommes qu'à l'article 1er, monsieur le garde des sceaux, mais avez-vous l'intention d'accepter, à un moment de l'examen de ce projet de loi constitutionnelle, un amendement de l'opposition, faisant ainsi preuve de votre bonne foi ? Je vous pose la question. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Richard Cazenave. Il faudrait qu'il y en ait un bon !
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Monsieur le président...
    M. le président. Monsieur le président de la commission des lois, vous me demandez la parole, c'est votre droit, mais vous relancez le débat !
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Vous avez raison, monsieur le président, mais je vous promets que ce sera la dernière fois ! Il est effrayant d'entendre ce que vient de dire Mme Royal, car j'ai déjà donné un argument intellectuemment fondé ! Vous n'étiez pas là, monsieur Ayrault, je vais donc le répéter et je vais voir si vous suivez, parce qu'avec Mme Royal, manifestement, ce n'est pas possible !
    Mme Ségolène Royal. Je vous en prie ! Ça suffit !
    M. Jean-Pierre Brard. Soyez galant !
    M. Pascal Clément, président de la commisison des lois, rapporteur. Il est inscrit à l'article 1er de la Constitution que la France « assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine... ». Je vous pose donc la question, monsieur le président Ayrault : est-ce-que, oui ou non, cela implique l'égalité d'accès des Français aux services publics ?
    Mme Ségolène Royal. Devant la loi, ce n'est pas devant le service public !
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Vous, vous dites « non » et nous « oui », mais nous ne sommes pas les seuls, tous les juristes de France disent oui.
    M. Richard Cazenave. Bien sûr !
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Si vous considérez que c'est faire une mauvaise manière à l'opposition que de ne pas répéter, dans la deuxième phrase de la Constitution, ce qui figure dans la première, je n'interviendrai plus sauf pour répondre oui ou non, et nous gagnerons du temps. Le long monologue de la porte-parole du groupe socialiste finira par la lasser elle-même. Si nous avons un vrai débat, du niveau de notre assemblée, bien entendu nous vous répondrons. Mais là, manifestement, c'est un dialogue de sourds ! Dans ces conditions, je me contenterai de répondre par oui ou par non.
    M. le président. Monsieur Brard, puisque la commission vient d'intervenir à nouveau, je vous donne la parole pour lui répondre !
    M. Jean-Pierre Brard. Je vous remercie, monsieur le président, pour votre sens de l'objectivité.
    M. le président de la commission des lois manie le sophisme avec un soupçon d'agressivité qui ne sied pas à la sérénité de notre débat. Il fait délibérément la confusion entre l'égalité devant la loi et l'égalité devant l'accès aux services publics. En cette matière, nous ne parlons pas exactement de la même chose. En effet, monsieur le président de la commission des lois, nombre d'entre vous voudraient privatiser certains services publics qui, pour nous, sont constitutifs du contrat social dans notre pays.
    M. Charles de Courson. Démagogie !
    M. Jean-Pierre Brard. Vous voyez, d'ailleurs, M. de Courson, en parlant de « démagogie », dit tout bas ce qui mérite pourtant d'être entendu tout haut, puisque c'est ça le fond de votre pensée !
    Parmi les services publics, par exemple, il y a La Poste et EDF. Nous tenons à garantir que le prix du kilowatt-heure ou celui du timbre sera le même au fin fond de la plus profonde vallée de l'Ariège et dans la Meuse, mais telle n'est pas votre intention !
    M. Richard Cazenave. C'est un procès d'intention ! C'est insupportable !
    M. Jean-Pierre Brard. Monsieur Cazenave, vous dites ça avec une telle conviction que l'on voit bien ce que vous pensez vraiment !
    M. Richard Cazenave. C'est un procès d'intention !
    M. Jean-Pierre Brard. Bien sûr, que non ! Ce n'est pas un procès d'intention ! Nous n'avons pas la même conception du service public quant au domaine qu'il doit couvrir. Raison de plus pour que cela figure dans le texte ! Pour nous l'égalité devant la loi ce n'est pas la même chose que l'égalité d'accès aux services publics.
    M. le président. Merci, monsieur Brard, je crois qu'il y a eu un large débat sur cet amendement.
    Je mets aux voix l'amendement n° 57.
    (L'amendement n'est pas adopté.)
    M. le président. Madame Royal, je pensais que vous alliez présenter vos amendements ensemble. Vous préférez le faire séparément, c'est votre droit, mais puisque je vous ai laissé un peu plus de temps de parole sur l'amendement n° 57, je vous demanderai d'être plus brève sur les suivants.
    Mme Royal et les membres du groupe socialiste ont présenté un amendement, n° 60, ainsi libellé :
    « Rédiger ainsi le dernier alinéa de l'article 1er :
    « Son organisation territoriale est décentralisée dans le respect des principes fondamentaux garantis par la Constitution, notamment l'indivisibilité de la République. »
    La parole est à Mme Ségolène Royal.
    Mme Ségolène Royal. Le Gouvernement s'est opposé à l'inscription dans la Constitution du principe d'égal accès aux services publics en prétendant qu'il n'était pas d'ordre constitutionnel et qu'il n'y avait pas sa place,...
    M. Richard Cazenave. Non, il est déjà satisfait !
    Mme Ségolène Royal. ... alors qu'il introduit lui-même dans notre texte fondamental des dispositions qui y figurent déjà ou qui relèvent d'une loi simple, comme le lui a fait remarquer le Conseil d'Etat.
    J'insiste donc maintenant sur le deuxième principe, celui de l'indivisibilité de la République. Des inquiétudes se sont exprimées à ce sujet. En effet, à partir du moment où l'on inscrit dans le texte l'organisation décentralisée de la République et où vous allez rendre possible une expérimentation à la carte, il y a un rique de porter atteinte au principe d'indivisibilité de la République. C'est donc à une République éclatée que vous ouvrez la voie, à moins, bien sûr, que vous n'acceptiez de préciser que le principe de décentralisation sera non pas sur le même pied que celui d'indivisibilité, mais qu'il lui sera soumis, pour que cela devienne la jurisprudence du Conseil constitutionnel. En effet, le principe d'indivisibilité interdit radicalement qu'une collectivité soit maîtresse de son champ de compétences et puisse s'autosaisir d'attributions qui ne lui ont pas été confiées par la Constitution. C'est pourtant ce qui se passera si nous avons à la fois l'expérimentation à la carte, comme vous allez le proposer, et une application sans limite du principe de subsidarité. Voilà pourquoi il est si important d'inscrire dans le même article le principe de l'égal accès aux services publics. Sinon, nous aurons une France à plusieurs vitesses. Les collectivités expérimenteront en se servant chacune dans le vaste supermarché des compétences.
    Et si nous ne cadrons pas bien l'organisation décentralisée entre l'égalité d'accès aux services publics qu'il faut rechercher, bien sûr - ce sont des valeurs idéales que la Constitution affirme - et le principe d'indivisibilité de la République, le plus grand désordre règnera. Je ne pense pas que ce soit ce que les Français attendent de cette réforme. Mais notre débat prouve une fois de plus que nous souffrons cruellement de ne pas avoir connaissance des lois de transfert de compétences, de la façon dont se feront les expérimentations, et surtout des conditions qui présideront aux transferts de ressources. Le groupe socialiste est farouchement attaché à ce que ces principes soient mentionnés dans l'article 1er afin de cadrer les futures lois de transfert de compétences et de ressources sur lesquelles vous vous refusez obstinément à nous donner des précisions afin de conserver les mains les plus libres possible eu égard aux principes d'égalité et d'unité de la République.
    M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Il n'est peut-être pas inutile de résumer ce qu'a dit longuement Mme Royal. Elle veut introduire, dans la deuxième phrase de l'article 1er de la Constitution, le mot « indivisible » qui figure déjà dans la première phrase. Je pense quant à moi qu'il n'est pas utile qu'il soit dans toutes les phrases ! La première est déjà très forte : « La France est une République indivisible,... »
    M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
    M. le garde des sceaux. Il n'est pas inutile que certaines choses figurent dans le compte rendu des débats. Je voudrais donc dire très clairement à Mme Royal que le principe d'indivisibilité, qui est dans la Constitution - il n'y a pas à l'inscrire, il y est ! -, exclut totalement qu'une collectivité territoriale puisse se saisir elle-même d'une compétence. C'est parfaitement clair et toute la jurisprudence du Conseil constitutionnel le dit depuis des années. Il n'y a aucun risque à cet égard. Avis défavorable.
    M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 60.
    (L'amendement n'est pas adopté.)
    M. le président. Mme Royal et les membres du groupe socialiste ont présenté un amendement, n° 61, ainsi libellé :
    « Rédiger ainsi le dernier alinéa de l'article 1er :
    « Elle met en oeuvre le principe de déconcentration des pouvoirs de l'Etat. »
    Voulez-vous dire un mot, madame Royal, sur cet amendement de repli ?
    M. Jean-Pierre Brard. Elle ne se replie jamais !
    M. le président. Vous avez la parole, madame Royal !
    Mme Ségolène Royal. Plusieurs observateurs attentifs de ce chantier constitutionnel ont fait observer qu'il y avait une grande lacune : l'absence de toute mention de la réforme de l'Etat, donc de la déconcentration des pouvoirs de l'Etat. En effet, rapprocher le pouvoir des citoyens, ce n'est pas seulement décentraliser, passer l'Etat sous silence, effacer ses pouvoirs et ses devoirs ; c'est accompagner ce mouvement de décentralisation par un mouvement de déconcentration.
    M. Hervé Mariton. Ce parallélisme n'a aucun sens.
    Mme Ségolène Royal. Pour remédier à cette lacune, le groupe socialiste propose cet amendement.
    M. Richard Cazenave. C'est du domaine du règlement !
    M. Francis Delattre. Absolument !
    Mme Ségolène Royal. M. Clément a lui aussi fait observer tout à l'heure que c'était du domaine du règlement. Je lui répondrai donc encore une fois que, comme l'a fait remarquer le Conseil d'Etat, le principe de décentralisation et de libre administration des collectivités locales figure déjà à l'article 72. Par conséquent, le groupe socialiste n'a présenté ces amendements que parce que vous-même inscrivez dans l'article 1er le principe de décentralisation. Il est en effet absolument impératif de l'équilibrer par les principes de l'égalité devant le service public, de l'indivisibilité de la République et de la déconcentration des pouvoirs de l'Etat. Maintenant, si vous renoncez à modifier l'article 1er, nous retirerons bien évidemment nos amendements, mais à partir du moment où la décentralisation est inscrite comme principe constitutionnel fondateur, il est indispensable que ce principe soit soumis aux principes fondamentaux de notre République que sont l'égalité et l'indivisibilité.
    M. Hervé Mariton. Et la déconcentration, c'est un principe fondamental ?
    Mme Ségolène Royal. Sinon, c'est le juge constitutionnel qui arbitrera en permanence entre ces différents principes. Or, nous ne voulons pas qu'un transfert de pouvoirs se fasse et soit payé par un recul en termes d'égalité sur l'ensemble du territoire.
    M. Hervé Mariton. Quel rapport ?
    Mme Ségolène Royal. Ne levez pas les bras au ciel, vous savez très bien que les maires craignent que l'« intégrisme décentralisateur », comme dit le président de notre assemblée, ne l'emporte sur le principe d'égalité devant le service public et ne creuse les inégalités entre les territoires.
    M. Hervé Mariton. Nous en sommes encore loin ! Il y a de la marge !
    Mme Ségolène Royal. Puisque vous rappelez toujours que vous êtes favorables à l'égalité d'accès aux services publics, au nom de quoi refusez-vous cet amendement ? Nous aussi nous avons bien compris ce qui est en train de se passer. Vous avez décidé de refuser tous les amendements, tant ceux de l'opposition que ceux de la majorité d'ailleurs. Alors, avez-vous, oui ou non, l'autorisation du Premier ministre d'en accepter certains ? Nous sommes ici pour améliorer le texte !
    M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
    M. Pascal Clément. président de la commission des lois, rapporteur. Madame Royal, je vous répondrai avec concision. Vous demandez que l'on inscrive la déconcentration dans la Constitution. Je vous avais déjà répondu à ce sujet et j'ai observé avec joie que vous vous souveniez de l'argument puisque vous avez essayé de le réfuter : la déconcentration étant un mode d'organisation de l'Etat, elle relève du pouvoir réglementaire et n'a donc rien à voir avec la Constitution.
    Mais j'ai un autre argument, qui vous convaincra peut-être. Avez-vous observé qu'en dehors de l'article 13, ou le préfet est mentionné parmi les personnalités nommées en conseil des ministres, la Constitution ne fait aucune référence au préfet et à son rôle ?
    M. Hervé Mariton. Heureusement !
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Or, dans le texte que nous examinons, il est écrit pour la première fois que le préfet représente personnellement tous les membres du Gouvernement, c'est-à-dire le Premier ministre et chacun des ministres. Bref, vous avez satisfaction. Vous vouliez absolument faire apparaître la déconcentration : c'est fait au dernier alinéa du nouvel article 72 ! Que voulez-vous de mieux ?
    Ou bien le débat est de bonne foi, ou bien il ne l'est pas. La preuve qu'il ne l'est pas, c'est que le symbole même de la déconcentration, à savoir le préfet, est désormais mentionné au dernier alinéa de l'article 72. Cinq minutes pour ne pas en prendre acte, ce n'est pas bien honnête !
    M. Jean-Pierre Brard. Il faut avoir du talent pour ne pas le dire en cinq minutes ! (Sourires.)
    M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
    M. la garde des sceaux. Avis défavorable.
    M. le président. La parole est à M. de Courson, contre l'amendement.
    M. Charles de Courson. Je suis étonné que le groupe socialiste dépose un tel amendement, puisqu'on apprend en première année de faculté, dans les cours de droit constitutionnel, que l'organisation interne de l'Etat relève strictement du pouvoir réglementaire. Par conséquent, madame Royal, allez jusqu'au bout de votre raisonnement et modifiez l'article 34 de la Constitution pour ajouter la déconcentration aux matières législatives.
    Sur le fond, tout le monde dit qu'il faut déconcentrer parallèlement à la décentralisation. Alors, arrêtons de marcher sur la tête ! Un tel amendement n'est pas digne du Parlement. Je suis d'ailleurs étonné que de bons juristes du groupe socialiste aient accepté de cautionner cette position de Mme Ségolène Royal.
    M. le président. Juste un mot, madame Royal, pour répondre à la commission.
    Mme Ségolène Royal. Monsieur de Courson,...
    M. le président. Ne vous occupez pas de M. de Courson !
    Mme Ségolène Royal. ... épargnez-moi ce ton professoral. Vous n'êtes pas mon professeur et je ne suis pas votre élève !
    Plusieurs députés du groupe de l'UMP. Elle se prend pour Mitterrand !
    Mme Ségolène Royal. Mais je vais essayer de me situer à votre niveau d'intelligence.
    Monsieur le président, j'ai bien noté l'opposition du ministre à l'amendement du groupe socialiste et je n'en suis que plus certaine qu'aucun amendement ne sera finalement adopté. Nous n'avons toujours pas de réponse sur le point de savoir s'il s'agit d'un vrai débat ou d'un vrai-faux débat. Mais, comme l'a annoncé M. Clément en commission des lois, aucun amendement ne sera accepté par le Gouvernement parce qu'il veut éviter une navette et une deuxième lecture à l'Assemblée nationale. Circulez, il n'y a rien à voir ! La messe est dite !
    M. Hervé Mariton. Quelle mauvaise foi !
    Mme Ségolène Royal. Vous savez très bien que j'ai raison, messieurs, puisque tous vos amendements ont, eux aussi, été refusés en commission. Alors, laissez-moi au moins défendre votre pouvoir législatif d'amendement !
    M. Jean-Luc Warsmann. Quel tissu de mensonges ! La commission a accepté une douzaine d'amendements.
    Mme Ségolène Royal. Si tel n'est pas le cas, monsieur le ministre, dites-nous que votre mandat vous permet, en fonction de la qualité des débats, d'accepter quelques amendements, notamment celui qui pose le principe d'égalité devant le service public. Alors que, dans toutes les assises des libertés locales, il a été souligné que l'objectif de la décentralisation est l'amélioration du service public, je trouve incroyable qu'on nous refuse cet amendement !
    Le groupe socialiste demande une suspension pour permettre au secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement de venir nous rejoindre, afin de nous indiquer si, oui ou non, il s'agit d'un vrai débat parlementaire, si nos amendements sont pris en considération et si l'égalité devant le service public a un sens pour le Gouvernement ou s'il se paie de mots...
    M. Jacques Myard. Vous êtes une spécialiste !
    M. Jean-Luc Warsmann. Quelle tristesse !
    Mme Ségolène Royal. ... en inscrivant le mot « décentralisation » dans la Constitution uniquement pour faire croire aux Français que leur vie quotidienne va changer.
    Nous refusons de participer à cette mascarade de débat. Nous voulons savoir si, oui ou non, nous pouvons continuer à travailler, à faire ce pour quoi nous sommes payés par les contribuables (« Oh ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française)...
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Quelle honte de dire cela !
    Mme Ségolène Royal. ... c'est-à-dire améliorer les textes du Gouvernement en proposant des amendements.
    Nous voulons une réponse à cette question. Oui ou non, allons-nous pouvoir contribuer à l'amélioration de ce texte, comme nous y sommes prêts ?
    M. Richard Cazenave. Souffrez que nous le refusions...
    M. le président. Madame Royal, j'ai cru comprendre que vous demandiez une suspension de séance ? De combien de temps ?
    Mme Ségolène Royal. Une demi-heure, pour réunir notre groupe.
    M. le président. La suspension de séance sera de dix minutes, mais auparavant l'Assemblée doit se prononcer sur l'amendement n° 61.
    La parole est à M. le ministre.
    M. le garde des sceaux. Madame Royal, de même que le Gouvernement ne met pas en demeure l'Assemblée,...
    M. Charles de Courson. Heureusement !
    M. le garde des sceaux. ... le groupe socialiste n'a pas à mettre en demeure le Gouvernement.
    M. Richard Cazenave. Exactement !
    Mme Ségolène Royal. Ce n'est pas une mise en demeure.
    M. le garde des sceaux. Madame Royal, je vous prie de me laisser parler ; pour ma part, je ne vous ai jamais interrompue.
    Vous n'avez pas à demander que tel ou tel ministre vienne en séance. Avec Patrick Devedjian, je représente le Gouvernement.
    M. Jacques Myard. Très bien !
    M. le garde des sceaux. Je parle au nom du Premier ministre. Restons-en là, s'il vous plaît ! Ce sont les institutions de la République et vous n'avez pas à jouer avec ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Pour le reste, nous avons parfaitement compris que vous souhaitiez polémiquer sur chaque amendement. C'est votre droit. Mais je vous le dis avec calme, et ceux qui me connaissent bien savent que j'en ai beaucoup, si vous comptez user ma sérénité, vous perdez votre temps. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. Je mets aux voix...
    Mme Ségolène Royal. Puis-je répondre ?
    M. le président. Madame Royal, j'ai annoncé le vote et c'est moi qui préside !
    Je mets aux voix l'amendement n° 61.
    (L'amendement n'est pas adopté.)

Suspension et reprise de la séance

    M. le président. La séance est suspendue.
    (La séance, suspendue à quinze heures quarante-cinq, est reprise à quinze heures cinquante-cinq.)
    M. le président. La séance est reprise.

Rappel au règlement

    M. le président. La parole est à M. Didier Migaud.
    Pour un rappel au règlement je suppose ?...
    M. Didier Migaud. Exactement, monsieur le président, sur le fondement de l'article 58, alina premier, relatif, vous le savez, au déroulement de la séance.
    Les orateurs du groupe socialiste défendent leurs amendements avec conviction, dans un esprit constructif. Or les réponses du président de la commission et du ministre laissent à penser que nous nous livrons à je ne sais quel jeu parlementaire, à je ne sais quelle volonté d'obstruction.
    Ces allégations sont totalement contraires, bien sûr, à l'esprit de nos propositions et sont également très inconvenantes au regard des exigences du débat démocratique. Si nous n'avons pas la possibilité de présenter nos amendements dans la sérénité, dans un dialogue constructif, à quoi sert la discussion parlementaire ?
    Cela dit, peut-être faudra-t-il, monsieur le président, réunir la conférence des présidents d'ici à la fin de la journée pour préciser comment va se dérouler la suite de nos travaux. Car je ne vois pas pourquoi le Sénat aurait droit à deux semaines pour discuter de ce texte important tandis que l'Assemblée nationale devrait en bâcler l'examen en une semaine, ni pourquoi les députés seraient contraints d'être présents le vendredi dans cet hémicycle alors qu'on ne fait jamais siéger les sénateurs le vendredi.
    De plus, des assises des libertés locales sont organisées demain dans un certain nombre de départements. Que doivent faire les députés ? Si nous voulons être à la base pour discuter avec l'ensemble des élus, il faut aussi que nous soyons présents dans nos circonscriptions.
    M. Jacques Myard. Alors, économisez le temps de parole !
    M. Didier Migaud. Je trouve donc très incorrect de nous imposer de siéger demain toute la journée, tout comme il l'est de nous envoyer systématiquement à la figure le reproche de ne faire que de l'obstruction.
    M. Jean-Luc Warsmann. C'est vous qui le dites !
    M. Didier Migaud. Par conséquent, monsieur le président, nous voudrions être respectés dans cet hémicycle. (« Oh ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.) Nous n'avons abusé ni des moyens de procédure ni du droit d'amendement. D'ailleurs, les amendements de la majorité sont nombreux. Cela montre qu'au-delà du bla-bla constitutionnel auquel nous sommes invités ce texte pose des questions de fond dont il faut discuter. Tel est bien notre état d'esprit.
    Donc, monsieur le président, nous attendons de vous que vous veilliez à ce que les propos des uns et des autres restent conformes à l'esprit qui doit toujours présider à des travaux parlementaires. Une proposition émanant de l'opposition ne doit pas être systématiquement considérée comme méprisable et rejetée sur un ton parfois méprisant, monsieur le président de la commission des lois. Nous souhaitons en tout cas que ce débat reste serein. A cet égard, je voudrais dire au ministre que nous sommes capables de faire preuve d'autant de sérénité que lui. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. Monsieur Migaud, vous ne pouvez douter que je veillerai à faire en sorte que chacun puisse s'exprimer sur les positions qu'il pense devoir défendre.
    M. François Loncle. Mais il y a les préférences familiales du Premier ministre !
    M. le président. Quant à l'ordre du jour, monsieur Migaud, vous êtes un parlementaire trop averti pour ne pas savoir qu'il a été adopté par la conférence des présidents où tous les groupes sont représentés. Vous pouvez avoir une opinion personnelle sur le sujet mais la conférence des présidents en a décidé ainsi. Cela dit, ma vigilance est totale et vous le savez.

Reprise de la discussion

    M. le président. Nous revenons à la discussion des amendements.
    M. Zuccarelli a présenté un amendement, n° 31, ainsi rédigé :
    « Dans le dernier alinéa de l'article 1er, après le mot : "organisation, insérer le mot : "territoriale. »
    La parole est à M. Emile Zuccarelli.
    M. Emile Zuccarelli. Alors que nous discutions des trois amendements de Mme Royal, j'ai envisagé de suggérer à l'Assemblée d'examiner en même temps cet amendement de repli. Mais je me suis ravisé après avoir entendu le Gouvernement et la commission s'opposer à l'adoption de ces amendements, excellents au demeurant et auxquels je me suis rallié sans aucune difficulté, au motif qu'ils étaient redondants.
    L'indivisibilité de la République est un principe si important que cet argument ne me semble pas pertinent. En outre, ce projet de loi constitutionnelle est lui-même par endroit suffisamment bavard et redondant pour qu'on ne s'offusque pas de la répétition d'un élément aussi essentiel que l'indivisibilité de la République.
    Quoi qu'il en soit, j'avais proposé pour ma part qu'on rejette purement et simplement la mention « Son organisation est décentralisée. » Je maintiens cette position. J'admets en effet assez mal que le principe de décentralisation soit mis sur le même plan, dans notre Constitution, que la laïcité, l'indivisibilité ou l'égalité.
    A tout le moins, que cette adjonction relative au principe de décentralisation soit précise ! Or que recouvre le terme « organisation » ? Le Gouvernement est-il décentralisé ? Le Président de la République est-il décentralisé ? Le Parlement est-il décentralisé ? Ajoutez au moins l'adjectif « territoriale » pour qualifier cette organisation. Cette rédaction ne me satisfait pas pleinement mais elle me paraît acceptable en solution de repli.
    J'ajoute qu'il m'a semblé, à travers les discussions en commission, que chacun convenait que cette précision améliorait le texte sans le dénaturer. Pourtant, je crains que cet amendement ne soit pas voté simplement parce qu'il va modifier un texte déjà ficelé et sur lequel, nous, membres de l'Assemblée nationale, n'avons pas notre mot à dire. « C'est vrai, c'est mieux ainsi mais non possumus », m'a-t-on expliqué. Alors ce débat a-t-il réellement un sens ? L'Assemblée nationale garde-t-elle son droit d'amendement sur un texte aussi important ?
    M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. L'amendement de M. Zuccarelli, d'ailleurs voisin d'un amendement du groupe socialiste, tent à insérer, après le mot « organisation », le mot « territoriale ». La phrase se lirait donc ainsi : « Son organisation territoriale est décentralisée. »
    M. Zuccarelli craint qu'on décentralise le Gouvernement ou le Président de la République. Au demeurant ils seraient plutôt délocalisés que décentralisés. En tout état de cause, il ne peut y avoir d'ambiguïté, puisqu'il n'y a qu'un Président de la République, il n'y a qu'un Gouvernement. Il n'est donc pas nécessaire d'ajouter l'adjectif « territoriale » pour préciser la rédaction.
    En outre, ce n'est pas seulement un organisme ou un territoire qui est décentralisé. C'est toute une philosophie qui est contenue dans l'expression « organisation décentralisée ». Cela signifie qu'un dialogue nouveau va s'instaurer entre l'Etat unitaire et les territoires décentralisés. Dans ces conditions, insérer le mot « territoriale » ne ferait qu'alourdir le texte et ôterait toute cette dimension philosophique sous-tendue par la concision de l'expression. Avis défavorable donc.
    M. le président. La parole est à M. le ministre délégué aux libertés locales, pour donner l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 31.
    M. Patrick Devedjian, ministre délégué aux libertés locales. Monsieur Zuccarelli, je voudrais vous dire d'abord que le Gouvernement est ouvert à toutes les propositions tendant à améliorer son texte,...
    M. Philippe Vuilque. On ne le dirait pas !
    M. le ministre délégué aux libertés locales. ... à condition qu'elles soient en cohérence avec son projet naturellement. Ne prétendant pas être juge suprême de la qualité des amendements, il ne s'agit pas pour moi de qualifier votre amendement de bon ou mauvais. Je note simplement qu'il n'est pas cohérent avec les principes que nous souhaitons poser dans ce projet de révision constitutionnelle. Pour nous, la décentralisation est un principe politique. Or vous voulez la limiter à un aspect territorial.
    En outre, votre amendement est dangereux - j'ai eu l'occasion ce matin de faire déjà cette observation - dans la mesure où l'Etat central dispose, lui aussi, sur les territoires, de sa propre organisation. Inscrire donc dans la Constitution que l'organisation territoriale est décentralisée, c'est prendre le risque de rendre inconstitutionnel ce qui représente le pouvoir central sur le territoire, par exemple les préfets. Or nous n'entendons pas supprimer les préfets. Nous comptons même, au contraire, dans une disposition qui sera examinée plus tard, revaloriser leur rôle.
    M. René André. Très bien !
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Voilà les raisons pour lesquelles, et il n'y a là rien de dogmatique ou de sectaire, je suis obligé, à mon grand regret, monsieur Zuccarelli, d'émettre un avis défavorable sur votre amendement.
    M. le président. La parole est à M. Philippe Vuilque, pour répondre à la commission.
    M. Philippe Vuilque. Pour répondre à la commission et pour soutenir l'excellent amendement de notre collègue Zuccarelli, qui s'efforce, comme certains d'entre nous, d'améliorer la rédaction de cet article que le Gouvernement et la majorité refusent de supprimer. La précision qu'il propose d'introduire lèverait en effet un certain nombre d'ambiguïtés. M. de Courson, tout à l'heure, a prétendu, non sans condescendance, nous donner une leçon de droit. Mais même des étudiants de première année n'auraient probablement pas rédigé ainsi l'article 1er. Guy Carcassonne, constitutionnaliste émérite, a déclaré, pour sa part, que vous alliez introduire dans la Constitution « un neutron juridique à charge nulle ».
    M. Jacques Myard. A charge positive!
    M. Philippe Vuilque. Nous essayons donc de positiver cette charge. Il s'agit de rendre plus compréhensible la rédaction de ce texte et de lever toutes les ambiguïtés. Cet excellent amendement va dans ce sens et nous le soutiendrons.
    M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 31.
    (L'amendement n'est pas adopté.)
    M. le président. Pour la clarté du débat, j'informe l'Assemblée que M. André m'a fait savoir qu'il retirait son amendement n° 5.
    M. René André. Tout à fait.
    M. Philippe Vuilque. Nous le reprenons, monsieur le président !
    M. le président. L'amendement n° 5 est donc repris par M. Philippe Vuilque.
    Il est ainsi rédigé :
    « Compléter le dernier alinéa de l'article 1er par les mots : "et déconcentrée. »
    La parole est à M. Philippe Vuilque.
    M. Philippe Vuilque. Voilà qui montre le trouble de l'opposition. (« La majorité ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.) Excusez-moi, de la majorité.
    M. le président. Ce sont des habitudes que M. Vuilque n'a pas encore perdues, ce que je peux comprendre. (Sourires.)
    M. Francis Delattre. Nous sommes à fronts renversés mais nous sommes majoritaires !
    M. Philippe Vuilque. M. Delattre partageait d'ailleurs notre sentiment sur un certain nombre de points,...
    M. Francis Delattre. Je partage toujours ! (Sourires.)
    M. Philippe Vuilque. ... notamment sur l'article 3, qui concerne le Sénat.
    M. Jacques Myard. Nous n'en sommes qu'à l'article 1er !
    M. Philippe Vuilque. M. André a probablement retiré son amendement à la demande du Gouvernement, ce qui est bien dommage car il allait dans le bon sens.
    Si vous introduisez la décentralisation dans la Constitution, introduisez également vos raisons juridiques. Les arguments du président de la commission et du ministre sur la déconcentration ne nous ont pas convaincus.
    Faites figurer aussi la déconcentration dans la Constitution. Ce sera le pendant de la décentralisation.
    M. Hervé Mariton. Cela n'a rien à voir !
    M. René André. Je demande la parole, monsieur le président.
    M. le président. Je vous la donne bien volontiers, monsieur André, bien que vous ayez retiré cet amendement.
    M. René André. Monsieur le président, je ne pensais pas que cet amendement pouvait être repris dès lors qu'il avait été retiré avant d'être appelé.
    Par ailleurs, je tiens à préciser que, comme mes collègues ici présents, je souhaite un équilibre entre décentralisation et déconcentration. Simplement, les explications qui m'ont été apportées par M. le ministre m'ont convaincu de sa volonté de ne pas porter atteinte à cet équilibre. Voilà pourquoi il ne m'a pas paru nécessaire de maintenir cet amendement.
    M. le président. Les choses sont donc claires pour M. André.
    Quel est l'avis de la commission ?
    M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. Je n'ai rien à ajouter.
    M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
    M. le garde des sceaux. Défavorable.
    M. le président. La parole est à M. Marc Le Fur, contre l'amendement.
    M. Marc Le Fur. Je suis un militant de la déconcentration Je considère qu'en la matière notre pays doit accomplir un effort gigantesque. Il faut en effet que le pouvoir administratif soit géré au plus près du terrain et par des personnes identifiées. Tout le monde en convient. En revanche, placer la déconcentration et la décentralisation sur le même plan et constitutionnaliser la déconcentration serait une énorme erreur car il y a une différence de légitimité entre les deux : la décentralisation repose sur des élus qui doivent leur légitimité au peuple et la déconcentration repose sur des fonctionnaires qui tirent la leur du Gouvernement devant lequel ils sont responsables, lui-même étant responsable devant le Parlement.
    Constitutionnaliser la déconcentration aurait donc pour effet de conférer une certaine prétention à des organismes ou à des entités qui se l'attribuent parfois tout seuls aujourd'hui - je pense notamment aux directeurs des ARH qui ont tendance à s'octroyer des pouvoirs qu'ils n'ont pas toujours. Sachons dire et redire aux fonctionnaires qu'ils n'ont pas de légitimité en tant que tels. Ils sont responsables devant un Gouvernement qui lui-même doit rendre compte devant le Parlement. Il n'y a vraiment pas lieu de constitutionnaliser la déconcentration.
    M. René André. Très bien !
    M. le président. La parole est à Mme Ségolène Royal, pour répondre au Gouvernement.
    Mme Ségolène Royal. Je voudrais d'abord remercier M. Devedjian pour le ton qu'il emploie dans ses réponses. J'ai assisté à des assises auxquelles il participait, et j'ai pu constater qu'il sait faire un effort pour respecter l'opposition et pour argumenter.
    M. Jean-Pierre Brard. En vieillissant, il s'améliore ! (Sourires.)
    Mme Ségolène Royal. Cela nous change des propos qu'a tenus son collègue tout à l'heure : il est heureux qu'au moins l'un des ministres siégeant au banc du Gouvernement ne considère pas la procédure parlementaire comme un jeu (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle) et ne voient pas dans les amendements de l'opposition des sujets de polémique.
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Quelle habileté, madame Royal !
    Mme Ségolène Royal. L'amendement n° 5 nous permet de souligner à quel point certains débats de fond dépassent les clivages politiques. Il est désolant d'ailleurs que M. André et M. Garrigue aient retiré leur amendement car ce qui est en jeu c'est aussi la possibilité pour l'Assemblée d'amender un texte du Gouvernement, de faire respecter sa place au cours d'un débat, qui excusez du peu, porte sur la révision du texte fondamental.
    Certes, et on l'a bien compris, l'objectif est de modifier le moins possible ce qui a déjà été négocié avec le Sénat afin d'obtenir un vote conforme. Mais je souhaite que les amendements que nous allons examiner et qui n'ont pas été improvisés, puisqu'ils ont été déposés en commission des loi - et en parlementaires chevronnés, vous avez réfléchi à leur rédaction - soient maintenus pour que nous puissions continuer à débattre.
    M. le président. Je suis sûr, madame Royal, que M. André est sensible à vos compliments !
    M. René André. Absolument, même si je suis un peu jaloux de M. le ministre Devedjian. (Sourires.)
    M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 5.
    (L'amendement n'est pas adopté.)
    M. le président. Je constate, monsieur André, que vous n'avez pas pris part au vote.
    M. René André. Je suis cohérent !
    M. le président. MM. Blessig, Bur, Christ, Ferry, Mme Grosskost, MM. Herth, Hillmeyer, Lett, Meyer, Reiss, Schneider, Schreiner et Sordi ont présenté un amendement, n° 149, ainsi rédigé :
    « Compléter le dernier alinéa de l'article 1er par les mots : ", dans le respect de la diversité de ses composantes territoriales. »
    La parole est à M. Emile Blessig.
    M. Emile Blessig. Après vingt ans de décentralisation, nous engageons manifestement une deuxième étape de ce processus. M. Devedjian vient de nous expliquer que le principe de la décentralisation était un principe politique et que, au-delà du droit, faire figurer la décentralisation au rang des principes constitutionnels était une priorité politique. Après vingt ans de pratiques quotidiennes, nous souhaitons faire en sorte que notre République soit unitaire et fortement décentralisée, en rapprochant décideurs et citoyens dans le cadre de l'unité nationale, matérialisée par la loi nationale. Le rapprochement des pouvoirs est une chose, mais, et c'est l'objet de notre amendement, la décentralisation peut et doit aussi inclure la reconnaissance de la diversité des territoires car il faut parvenir à conjuguer unité et diversité.
    M. Jean-Pierre Brard. C'est la dialectique marxiste !
    M. Hervé Mariton. Qu'en savez-vous, monsieur Brard ? (Sourires.)
    M. Jean-Pierre Brard. Pardon, il s'agit plutôt de Hegel !
    M. Emile Blessig. La question politique est de savoir quelle dimension nous entendons donner au concept de décentralisation. Certes, rapprocher les pouvoirs est indispensable pour rénover la pratique démocratique de notre pays et lui donner plus d'efficacité, mais il faut aussi prendre en compte le respect et la diversité des territoires. C'est le sens de notre amendement.
    M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Je comprends le souci de M. Blessig et je le salue. Il souhaite insister sur la diversité des composantes territoriales et si je suis défavorable à son amendement, ce n'est pas sur le fond mais sur la forme, pour deux raisons.
    D'abord, chacun peut observer que, dans le titre XII, la Constitution salue déjà la diversité des collectivités territoriales.
    La seconde est liée au fait que la Constitution parle actuellement à la fois de « collectivités locales » et de « collectivités territoriales ». Des experts, des juristes éminents de tous bords, on ratiociné à longueur de pages et de débats pour savoir s'ils existait une différence entre les deux expressions. En définitive le Conseil constitutionnel a profité de l'examen d'un texte législatif pour décider, une fois pour toutes, qu'il n'y en avait pas. Le projet fait donc en sorte que la Constitution ne parle plus que de collectivités territoriales. Si vous ajoutez les composantes, nous allons repartir pour un grand débat intellectuel.
    Je vous en supplie, monsieur Blessig, restons-en là. Avis défavorable.
    M. Jacques Myard. Pour une fois, il a raison !
    M. Francis Delattre. Il a toujours raison !
    M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
    M. le garde des sceaux. Même avis.
    M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 149.
    (L'amendement n'est pas adopté.)
    M. le président. M. Brard a présenté un amendement, n° 187, ainsi rédigé :
    « Compléter le dernier alinéa de l'article 1er par les mots : ", les collectivités territoriales et les communautés intercommunales y concourent. »
    La parole est à M. Jean-Pierre Brard... sur la dialectique.
    M. Jean-Pierre Brard. Non, monsieur le président, la dialectique sera pour un autre jour.
    Cet amendement a été élaboré au sein de l'Association des maires de grandes villes de France, monsieur le ministre chargé des collectivités territoriales. Globalement, vous savez ce que nous pensons de votre texte, mais compte tenu du rapport des forces dans cette assemblée, nos efforts pour lui enlever tout ce qui est dangereux ou pour l'améliorer risquent d'être vain et il est probable qu'à la fin de la nuit, nous nous retrouverions dans la situation, toute comparaison ne valant que ce qu'elle vaut, de la chèvre de M. Seguin.
    Dans ce cas particulier, cependant, cet amendement peut être consensuel et dépasser nos clivages traditionnels. En tout cas son examen sera l'occasion de tester votre esprit d'ouverture.
    La nouvelle formulation figurant à l'article 1er, au sujet de l'organisation de la République - à savoir : « Son organisation est décentralisée » - est pour le moins lapidaire.
    En effet, l'organisation décentralisée de la France se fonde sur les collectivités territoriales visées à l'article 72 de la Constitution, mais pas seulement. L'existence et l'importance du rôle que jouent aujourd'hui, dans la décentralisation, les communautés intercommunales ne peuvent être ignorées.
    La première phase de la décentralisation, confortée et élargie notamment durant la dernière législature, ne s'est pas seulement traduite pa un dynamisme sans précédent des collectivités territoriales. Elle a aussi permis un essor considérable de l'intercommunalité. Relancée par la loi du 6 février 1992 relative à l'administration territoriale de la République, consacrée et harmonisée par la loi du 12 juillet 1999 relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale, la réalité de l'intercommunalité concerne aujourd'hui près des deux tiers des communes et de la population françaises.
    Les trois formes de communautés à fiscalité propre issues de la loi du 12 juillet 1992 représentent, en 2002, quatorze communautés urbaines, 120 communautés d'agglomération, plus de 2 000 communautés de communes dont 600 à taxe professionnelle unique. Elles sont unanimement reconnues comme un élément majeur de l'administration territoriale et décentralisée dans notre pays et de la réussite de cette dernière.
    Absentes de l'article 72 de la Constitution et pour cause, car elles ne sont pas des collectivités territoriales -, ces intercommunalités paraissent n'en mériter pas moins une reconnaissance constitutionnelle dans leur rôle fondamental, celui joué volontairement, aux côtés et en complément indispensable des collectivités territoriales, dans l'organisation décentralisée de la République.
    C'est pourquoi il est proposé d'en prendre acte. L'objet du présent amendement est donc d'inscrire la reconnaissance de cette réalité dans la Constitution à l'occasion de l'affirmation, dans son article 1er, de l'organisation décentralisée de la République française, mode d'organisation conditionné par l'existence des collectivités territoriales et des structures intercommunales.
    M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. La commission n'a pas examiné cet amendement, mais elle a repoussé des propositions proches. En fait M. Brard reprend en substance une demande de M. Mauroy, à savoir la mention dans la Constitution des EPCI, même si M. Brard ne mentionne explicitement que les établissements publics,...
    M. Philippe Vuilque. Les communautés !
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. ... il parle effectivement des communautés intercommunales. Or, honnêtement, je ne sais pas ce que cette appellation recouvre et j'ai l'impression que personne ne le sait autour de moi.
    Si cela vise néanmoins les EPCI, vous connaissez l'argument que j'ai déjà développé en commission, mon expérience personnelle plaidant en ce sens. En effet le périmètre même des EPCI n'est encore ni bien défini ni définitif. De plus, et surtout, ils ne constituent pas des collectivités territoriales élues au suffrage universel direct.
    M. Jacques Myard. Bref, ce sont des établissements publics !
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Certes, on pourrait m'objecter l'exemple du Sénat puisque ses membres sont élus au deuxième degré. Néanmoins la Constitution précise qu'il représente les collectivités territoriales. C'est pour cela que les sénateurs sont élus au suffrage indirect.
    S'agissant de représentant du peuple, les membres des conseils des EPCI ne sont pas élus au suffrage universel direct. Cet obstacle est si important que M. Mauroy lui-même, dans son rapport resté, il est vrai, sans suite, suggérait que les conseillers communautaires soient élus au suffrage universel direct.
    J'en profite pour exprimer la raison essentielle pour laquelle, dans la majorité, nous sommes tous opposés à cette solution. Elle tient à l'attachement des Français aux communes. Tout à l'heure le représentant du groupe socialiste a répété fréquemment : « C'est ce que pensent les Français, c'est ce que veulent les Français. » Nous sommes nombreux à penser que les Français veulent garder leurs mairies, leurs maires, leurs communes.
    M. Jacques Myard. Très bien !
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Si l'on faisait élire au suffrage universel direct les conseillers des EPCI, le maire serait très vite réduit à la portion congrue. En un mandat de six ans l'affaire serait réglée. Or ce n'est pas actuellement la volonté des Français.
    M. Jacques Myard. Tout à fait !
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Ce le sera peut-être demain, mais tel n'est pas le cas aujourd'hui.
    Il est un deuxième argument que je sens très fort. Président d'un tout petit EPCI, je vois bien que, quand intervient une élection au suffrage universel direct, il y a, pour faire simple, les candidats de gauche et les candidats de droite. Après l'élection vous avez l'opposition et la majorité. En revanche, qu'il s'agisse des communautés d'agglomération, des communautés urbaines ou a fortiori des communautés de communes, le fait qu'ils aient été désignés au suffrage indirect permet aux élus de sensibilité totalement différente, de travailler ensemble.
    M. Jacques Myard. Pour le bien commun !
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. La gestion est ainsi dépolitisée dans l'intérêt du bien commun et nous y sommes très attachés.
    M. Jacques Myard. Absolument.
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. C'est pourquoi nous ne souhaitons pas le suffrage universel direct pour les EPCI. C'est pourquoi nous ne voulons pas les inscrire dans la Constitution.
    M. Jacques Myard. Très bien !
    M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Défavorable parce qu'il ne nous paraît pas équitable, aujourd'hui en tout cas, que les communautés intercommunales soient mises à parité de droit avec les collectivités territoriales pour les raisons données par M. Clément, notamment pour la question du suffrage universel.
    M. le président. La parole est à M. Hervé Mariton.
    M. Hervé Mariton. Ni aujourd'hui ni demain, monsieur le ministre, je crois que c'est clair.
    La gauche souhaite sinon supprimer des communes, du moins les vider de leur substance. Nos concitoyens, que vous appelez souvent à la rescousse, n'apprécieraient manifestement pas.
    J'ajoute que le projet constitutionnel, en citant les trois niveaux de collectivités territoriales - région, département, commune -, a le mérite d'être clair. Il n'est donc pas nécessaire de le rendre plus confus en appelant à la rescousse un quatrième niveau qui n'est pas de l'ordre des collectivités territoriales et qui ne doit pas, d'une manière ou d'une autre, y être assimilé dans le projet constitutionnel.
    Enfin, la confusion que vous prêchez - mais cela est cohérent de votre part - irait à l'encontre du principe de subsidiarité qui est au coeur de la démarche du Gouvernement et que nous approuvons. Vous ne partagez pas cette exigence. Il est donc normal que vous vouliez systématiquement en appeler à des niveaux supérieurs, mais ce n'est pas notre choix.
    Enfin votre schéma, qui sépare collectivités territoriales et communautés intercommunales, ne prêche pas dans le sens de la simplicité. Or il me semble que, dans la construction que nous voulons instaurer, il est essentiel de préserver ce principe de simplicité.
    Pour toutes ces raisons, je suis contre l'amendement.
    M. Robert Pandraud. Très bien !
    M. le président. Monsieur Brard, voulez-vous la parole pour retirer votre amendement ou pour ajouter un mot parce que vous l'avez déjà défendu ?
    M. Jean-Pierre Brard. Etant cartésien, je ne commence jamais par la conclusion de mon propos. (Sourires.)
    M. Jacques Myard. Ça va plus vite.
    M. Hervé Mariton. On devine.
    M. Jean-Pierre Brard. Mes chers collègues, j'ai toujours le souci de la persuasion.
    M. le président. C'est un pédagogue.
    M. Jean-Pierre Brard. M. Mariton vient de répéter que vous voulez faire simple, pourquoi diable avez-vous donc élaboré un texte aussi embrouillé et imprécis ?
    Monsieur Myard - et pas seulement lui - est d'accord avec moi. Parlez-lui de l'article 3.
    M. le président. M. Myard va intervenir dans quelques instants.
    M. Jean-Pierre Brard. Je lui fais confiance, c'est un homme de conviction, même si nous n'avons pas toujours les mêmes.
    M. le président. Monsieur Brard ! Exceptionnellement, soyez rapide ! (Sourires.)
    M. Jean-Pierre Brard. M. Devedjian a parlé d'équité, mais je ne vois pas ce que vient faire l'équité ici !
    M. Clément a évoqué l'élection au suffrage direct des conseillers des OPCI. Or, je ne l'ai jamais proposée. Monsieur le président de la commission des lois, vous étiez donc un peu hors sujet.
    Néanmoins, vous avez tenu des propos fort intéressants. Ainsi vous avez distingué les élus du peuple des sénateurs et vous avez eu raison : les sénateurs ne sont pas des élus du peuple. Ils ne sont - je le dis avec tout le respect qu'on doit aux membres de la deuxième chambre - que des élus au deuxième degré. Il en est ainsi et c'est incontestable.
    M. Michel Piron. Les élus des élus !
    M. le président. Monsieur Brard, je vous en prie.
    M. Jean-Pierre Brard. Vous me troublez et vous allez m'obliger à reprendre mon propos au début. (Rires.)
    M. le président. Monsieur Brard, vous ne ferez croire à personne que je vous trouble. (Rires.)
    M. Jean-Pierre Brard. Monsieur Clément, soyez cohérent ! Puisque vous reconnaissez vous-même que les sénateurs ne sont pas des élus du peuple...
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Je n'ai pas dit ça !
    M. le président. Monsieur Clément !
    M. Jean-Pierre Brard. Si ! Vous pouvez le lire dans le compte rendu.
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Non ! Ne déformez pas mes propos !
    M. Jean-Pierre Brard. Ce sont des élus au deuxième degré.
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Ce n'est pas pareil !
    M. Jean-Pierre Brard. C'est bien ce que je dis : ce n'est pas pareil ! Vous l'avez reconnu vous-même.
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Ce sont des élus du peuple.
    M. le président. Monsieur Brard, concluez !
    M. Jean-Pierre Brard. Soyez donc cohérent, monsieur le président de la commission et n'attribuez pas, au travers de l'article 3, des pouvoirs exorbitants au Sénat qui n'a pas la légitimité du suffrage universel direct.
    M. le président. Bien, monsieur Brard !
    M. Jean-Pierre Brard. Nous en reparlerons tout à l'heure.
    M. le président. Mes chers collègues, dans une vision un peu large du règlement, je vais permettre à M. Balligand de répondre à la commission et à M. Migaud de répondre au Gouvernement, à condition qu'ils soient brefs.
    La parole est à Jean-Pierre Balligand.
    M. Jean-Pierre Balligand. Monsieur le président, nous sommes au coeur de l'un des problèmes essentiels posés par ce texte.
    En ce qui concerne la décentralisation, il n'y a pas eu que 1982, 1983 et 1985. Il y a eu aussi les lois du 6 février 1992 et de juillet 1999. Or la France rurale, que je représente,...
    M. Hervé Mariton. Vous n'êtes pas le seul !
    M. Jean-Pierre Balligand. ... a été fondamentalement changée par les communautés de communes. Cela est tellement vrai que, bien que les socialistes aient été les seuls à voter ce texte, l'intercommunalité a fleuri rapidement dans toute la France. Les élus de droite qui avaient voté contre la loi du 6 février 1992 se sont empressés de prendre la tête du mouvement.
    M. Francis Delattre. Nous sommes républicains !
    M. Hervé Mariton. Il fallait respecer la loi !
    M. Jean-Pierre Balligand. Ce n'est pas un reproche que je vous adresse, au contraire !
    M. le président. M. Balligand vous rend hommage, ne protestez pas.
    M. Francis Delattre. Il n'a pas à nous rendre hommage !
    M. Daniel Poulou. Ce n'est pas sincère !
    M. Hervé Mariton. C'est l'hommage du vice à la vertu !
    M. Jean-Pierre Balligand. Si ce texte n'avait pas constitué une avancée, vous l'auriez annulé dès le changement de majorité en 1993.
    M. Jacques Myard. Il y avait tellement de choses à faire car vous aviez tout laissé délabré !
    M. Jean-Pierre Balligand. Au lieu de le faire, vous avez laissé le mouvement se poursuivre. Bien plus, déjà membre du bureau de l'ADCF à l'époque - l'association animée par Marc Censi - j'avais préparé avec M. Perben lui-même un texte pour améliorer l'intercommunalité. Il n'a pu le présenter, mais il a été repris par Jean-Pierre Chevènement dans le cadre des communautés d'agglomération pour finir ce qui avait été ébauché pour le monde rural et l'installer dans le monde urbain.
    M. Francis Delattre. Nous l'avons voté !
    M. Jean-Pierre Balligand. Absolument ! Nous ne devons donc pas nous quereller sur ce sujet. La réalité est que la France est engagée dans le mouvement de l'intercommunalité, sans toucher en quoi que ce soit à la commune.
    En qualité de président de l'institut de la décentralisation, avec Adrien Zeller, nous allons vous présenter, dans un des petits opuscules que nous vous envoyons régulièrement, une proposition pour un mode de scrutin qui concilie la représentation des communes et l'intérêt de l'agglomération, parce qu'il faut essayer de conjuger les deux et qu'il est fondamental de ne pas nier la commune. Nous agissons d'une manière trans-politique et ce n'est pas parce que nous sommes dans cet hémicycle que nous devons faire semblant de ne pas être d'accord.
    M. Hervé Mariton. On a le droit de ne pas être d'accord !
    M. Jean-Pierre Balligand. C'est la première remarque que je voulais formuler.
    M. le président. Monsieur Balligand, présentez vite la deuxième !
    M. Jean-Pierre Balligand. L'amendement de M. Brard ne tend nullement à élever les communautés de communes et les communautés d'agglomération au rang de collectivités territoriales. Ce n'est pas son objet. Il vise simplement à faire affirmer que les collectivités territoriales et les communautés intercommunales concourent à la décentralisation. Compte tenu de la remarque pertinente du président de la commission des lois, on pourrait d'ailleurs parler des établissements publics de coopération intercommunale. Elles ne sont pas placées au même niveau que les autres collectivités locales. Il y a donc une différenciation conceptuelle sur le plan du droit.
    Monsieur le ministre, faites donc un geste. Vous avez affirmé que vous étiez de bonne foi et que nous devions présenter de bons amendements pour prendre en compte la réalité de ce pays. Or la réalité c'est que l'intercommunalité marche et qu'il ne faut absolument pas la présenter comme une antinomie par rapport aux communes. Certes, ainsi que l'a fort justement souligné M. Patrick Devedjian, le ministre chargé des libvertés locales, on ne peut pas mettre aujourd'hui ces communautés au rang des collectivités territoriales parce que la question du mode de scrutin pour la désignation des conseillers n'est pas réglée et parce que la France n'est pas intégralement couverte par l'intercommunalité. En acceptant la proposition de M. Brard, vous feriez ainsi preuve d'ouverture et, surtout, on ne resterait pas sur la France du statu quo. De plus, chacun sait bien que, dans l'aménagement du territoire, nous avons besoin de travailler ensemble et que les communautés de communes, les communautés d'agglomération et les communautés urbaines, concourent véritablement à la dynamisation territoriale.
    Il n'y a aucune raison de refuser une telle proposition qui reprend des positions prises par M. Mauroy, par M. Gaudin, et par l'ensemble des maires des grandes villes, mais aussi depuis longtemps, par nous, les élus ruraux, dans le cadre de l'ADCF, quelles que soient nos sensibilités. Vous devriez accepter ce pas en avant et ne pas vous contenter de ce qui est, de toute évidence, une forme de deal - passez-moi le terme - passé entre le Gouvernement et quelques responsables à Matignon.
    M. le président. Monsieur Balligand !
    M. Jean-Pierre Balligand. Je peux donner les noms car ils se réunissent régulièrement chaque semaine.
    M. le président. Monsieur Balligand, concluez.
    M. Jean-Pierre Balligand. On rassemble M. Puech, M. Hoeffel, M. Longuet, autour de M. Raffarin, accompagné d'ailleurs de M. Steinmetz, et de quelqu'un du ministère de l'intérieur, et le problème est réglé. En l'occurrence semble avoir été scellé un pacte pour écarter les intercommunalités !
    M. le président. Merci, monsieur Balligand.
    M. Jean-Pierre Balligand. Cela n'est pas correct par rapport au regard de ce qui se passe dans notre pays. Or je pense que nous avons collectivement intérêt à faire bouger la France territoriale.
    M. le président. La parole est à M. Didier Migaud.
    M. Didier Migaud. Monsieur le président, je vous remercie de votre compréhension, au demeurant tout à fait légitime, me semble-t-il, dans la mesure où nous sommes au coeur d'un des principaux débats que soulève ce texte.
    Monsieur le garde des sceaux, nous avons à plusieurs reprises, et quelle que soient nos sensibilités politiques, regretté que l'intercommunalité soit la grande absente de ce projet de loi de révision constitutionnelle.
    M. Jacques Myard. Les contrats de plan n'y sont pas non plus !
    M. Didier Migaud. Or l'argument dont vous vous servez pour justifier la non-reconnaissance de l'intercommunalité me paraît tout à la fois spécieux et assez savoureux : vous vous appuyez sur le fait que l'intercommunalité n'est pas le fruit du suffrage universel direct, alors même que vous nous proposez un article 3 qui donne la priorité, pour la présentation de quelques textes, à une assemblée qui ne l'est pas davantage !
    M. René Dosière. La contradiction est forte !
    M. Didier Migaud. Non seulement votre argumentation a quelque chose de savoureux, mais elle montre bien les contradictions de votre gouvernement.
    Du reste, ni cet échelon intercommunal n'est pas élu au suffrage universel direct, c'est parce que le Sénat ne l'a pas voulu.
    M. Alain Joyandet. C'est faux.
    M. Didier Migaud. Non, ce n'est pas faux.
    M. Alain Joyandet. C'est faux !
    M. Didier Migaud. Vous savez parfaitement, monsieur l'ancien sénateur, aujourd'hui député - je vous félicite d'ailleurs d'avoir affronté le suffrage universel direct - ...
    M. Philippe Vuilque. C'est rare !
    M. le président. Je vous en prie, monsieur Migaud ! Votre collègue est tout aussi légitime que vous !
    M. Didier Migaud. Il est souvent plus confortable de passer de l'Assemblée nationale au Sénat.
    M. Jacques Myard. L'inverse est certes plus difficile !
    M. le président. Monsieur Migaud, ne vous arrêtez pas à vos félicitations. Reprenez le fil de votre propos.
    M. Didier Migaud. Il les mérite, monsieur le président ! Le Sénat, disais-je, ne voulait pas du suffrage universel direct pour l'intercommunalité. Certes, un accord est intervenu en commission mixte paritaire...
    M. Alain Joyandet. Ah ! La voilà, la vérité !
    M. Didier Migaud. Un accord certes, mais un accord subi, tout le monde le sait. Tout simplement parce que la majorité de l'Assemblée nationale de l'époque souhaitait que ce texte passe, dans l'intérêt de notre pays, dans l'intérêt aussi de nombreux élus locaux que plusieurs dispositions intéressaient directement. Si donc l'intercommunalité n'est pas élue au suffrage universel direct, c'est parce que le Sénat conservateur l'en a empêchée. Et la droite, globalement, n'en voulait pas.
    Il est vrai que le suffrage universel direct peut poser quelques difficultés. Mais il est possible d'imaginer des solutions avec des modes de scrutin particuliers ou des scrutins mixtes qui permettaient de respecter l'identité communale au sein de l'intercommunalité.
    M. Philippe Vuilque. Tout à fait !
    M. Jean-Pierre Balligand. Bien sûr !
    M. Didier Migaud. Plusieurs formules sont possibles ; il suffit d'un peu d'imagination... N'ai-je pas entendu M. Raffarin, le Premier ministre, nous inciter au mouvement, à l'audace, à l'imagination ?
    M. Philippe Vuilque. Ça, c'est de l'audace !
    M. Jean-Pierre Balligand. C'est une bonne cause !
    M. Didier Migaud. Resteriez-vous sans imagination, sans audace pour ce qui touche à l'intercommunalité ? Ce serait, là encore, une belle contradiction !
    Au demeurant, j'exerce moi aussi, des responsabilités intercommunales et cet argument du suffrage universel ne me complexe pas, même si je milite pour l'introduire, moyennant garanties, dans l'intercommunalité. En effet, qui y siège ? Des maires et surtout des conseillers municipaux. Et si le maire est effectivement élu au second degré, le conseiller municipal, que je sache, est bien élu au suffrage universel direct et il compte souvent bien plus d'électeurs dans sa commune que le sénateur de grands électeurs dans son département. Autrement dit, la légitimité des élus intercommunaux est tout aussi forte, et s'appuyer sur le fait qu'ils ne sont pas élus au suffrage universel direct pour nier totalement l'intercommunalité dans votre projet de révision constitutionnelle est d'autant plus choquant que votre article 3 contient une disposition, nous aurons l'occasion d'y revenir, carrément contraire à l'esprit de nos institutions et de la Ve République. Non, jamais nous ne permettrons à l'Assemblée nationale que le suffrage universel direct s'efface devant le suffrage universel indirect ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 187.
    (L'amendement n'est pas adopté.)
    M. Jean-Pierre Brard. De justesse !
    M. Jean-Pierre Balligand. C'est une vraie occasion manquée !
    M. le président. M. Myard a présenté un amendement, n° 45 rectifié, ainsi rédigé :
    « Compléter le dernier alinéa de l'article 1er par les mots : "sans qu'il puisse être porté atteinte à l'unité de l'Etat. »
    La parole est à M. Jacques Myard.
    M. Jacques Myard. Monsieur le ministre, l'article 1er, de nombreux orateurs l'ont souligné, a une portée emblématique. La langue, pour une fois, en est pure et l'on en voit très bien les objectifs.
    M. Jean-Pierre Brard. Voilà un homme cultivé !
    M. Jacques Myard. Nous partageons l'amour du beau langage, monsieur Brard !
    M. Jean-Pierre Brard. Comme Marguerite Yourcenar...
    M. le président. Arrêtez de vous féliciter, tous les deux ! (Sourires.) Même si ce n'est pas fréquent !
    M. Jacques Myard. Et dans une langue concise, vous ajoutez que l'organisation de la France est décentralisée. Le problème est de savoir ce qui est décentralisé et les derniers amendements témoignent de ce souci de précision. Etait-ce l'organisation territoriale ? Non, puisque l'amendement en question a été refusé. Bref, l'interrogation subsiste. Il est vrai que votre objectif, c'est l'organisation territoriale, c'est-à-dire la décentralisation en elle-même, avec les déparements, les communes, voire les régions.
    Il n'en demeure pas moins que les textes ont une vie qui va au-delà de ce que vise le rédacteur. Lorsque l'on pose que l'organisation de la France, puisque c'est de son organisation qu'il est question, est décentralisée, cela s'applique-t-il stricto sensu aux régions, aux départements ou à l'ensemble des pouvoirs publics ? Il serait bon que le Conseil constitutionnel réponde à cette interrogation. Car dans le langage ordinaire, les pouvoirs publics, cela recouvre beaucoup de choses : l'Etat évidemment, mais aussi les collectivités, parce qu'elles sont élues au suffrage universel, concourent au bien public.
    Dans ces conditions, un doute peut substituer sur ce que le constitutionnaliste a voulu exactement dire. C'est la raison pour laquelle, si l'on doit évidemment affirmer que l'organisation de la France est décentralisée, puisque c'est l'objet même de la réforme de la Constitution, encore faut-il s'assurer que l'unité intrinsèque de l'Etat n'est pas « tangentée » par cette organisation.
    Notre président m'a fait remarquer en commission des lois que j'avais la réponse dans le premier membre de phrase de l'article 1er de la Constitution : « la France est une république indivisible ». Malheureusement, ce n'est pas la réponse, monsieur le président, car l'indivisibilité de la France renvoie à l'article 53, autrement dit à l'idée que toute cession du territoire doit faire l'objet d'une loi et être soumise à la consultation des populations.
    L'indivisibilité de la République, ce n'est pas l'unité de l'Etat ni l'unité de la République. C'est véritablement quelque chose de différent. Il faut être plus précis. Si vous laissez cet article 1er avec ce laconisme, mais aussi, quelque part, cette imprécision, je crains que l'interprétation du juge constitutionnel ne vienne à lui donner une dimension différente de celle que vous souhaitez. Voilà pourquoi je propose d'ajouter : « sans qu'il puisse être porté atteinte à l'unité de l'Etat ».
    Il est très agaçant, monsieur le président, de s'exprimer avec ces discussions incessantes derrière soi !
    M. le président. Vous avez raison, monsieur Myard. Je l'ai d'ailleurs déjà fait remarquer.
    Quel est l'avis de la commission ?
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Monsieur Myard, vous avez déposé plusieurs amendements, craignant, et votre crainte est tout à fait respectable, même si elle n'est juridiquement pas fondée, que l'organisation décentralisée n'en vienne à « tangenter », comme vous dites, ou menacer l'indivisibilité de la République.
    M. Jacques Myard. De l'Etat !
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Je ne vous donnerai non ma réponse, puisque manifestement celle-ci ne vous suffit pas, mais celle du Conseil constitutionnel.
    Le juge constitutionnel a ainsi considéré que l'indivisibilité de la République, associée à l'unité de la souveraineté nationale, consacrée par l'article 3 de la Constitution, s'opposait à la reconnaissance de tout pouvoir normatif autonome aux collectivités territoriales. Il précise plus loin que le principe d'indivisibilité de la République interdit également toute possibilité d'auto-organisation des collectivités territoriales, le législateur ayant, par exemple, seule compétence pour déterminer l'organisation des statuts des territoires d'outre-mer.
    Autrement dit, l'indivisibilité recouvre deux concepts. Le premier renvoie à la division et vous y avez fait référence, le second au fait que la France est un tout. Est-ce ce concept-là que l'organisation décentralisée met en péril, en même temps que tout ce pourquoi nous vivons, en tout cas nombre d'entre nous ? Car lorsqu'on est élu parlementaire, c'est que l'on veut s'occuper de la France ; non pas d'un territoire de la France, mais de la France tout court.
    Je vous l'assure, monsieur Myard, la Constitution prévoit ce que vous souhaitez, ce que nous souhaitons tous. Vous avez donc déjà satisfaction. Soyons concis, évitons les redondances et les tautologies, nous serons ainsi mieux à même d'interpréter le jour où ce sera nécessaire.
    M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
    M. le garde des sceaux. L'intérêt de votre amendement, monsieur Myard, c'est de nous offrir l'occasion de revenir sur la signification de l'ensemble de la Constitution et plus particulièrement, comme vient de le faire le président de la commission des lois, sur les notions d'indivisibilité et d'unité. « République, une et indivisible », les trois mots ont leur importance. Dans notre système, un et indivisible, la répartition des compétences n'appartient qu'au souverain et il n'y en a qu'un. Aucune collectivité territoriale - et cela répond à votre souci profond - ne peut se saisir de quelque compétence que ce soit. Seul le législateur, le souverain, peut lui en attribuer une. Cette lecture de la Constitution - et le débat nous aura permis aux uns et aux autres de la relire mot à mot et de bien l'assimiler - ne laisse aucun doute à ce sujet et la référence à l'organisation décentralisée ne modifie en rien ce que je viens de rappeler.
    M. Jacques Myard. Monsieur le président, j'aimerais intervenir rapidement.
    M. le président. Compte tenu de l'importance du débat, il me paraît normal de vous laisser répondre.
    La parole est à M. Jacques Myard.
    M. Jacques Myard. Monsieur le président de la commission des lois et rapporteur, la décision du Conseil constitutionnel que vous avez citée date d'avant la révision de la Constitution. Autrement dit, son interprétation vaut pour l'article 1er dans sa rédaction actuelle.
    Mais qui dit que demain ce principe fort, énoncé au niveau emblématique à l'article 1er, continuera à être interprété de la même manière ? Personne ne le sait. C'est la raison pour laquelle je crois que, pour une fois, il faut être précis et bien dire clairement que l'organisation décentralisée ne saurait porter atteinte à l'unité de l'Etat. C'est tout autre chose que l'indivisibilité. Et je maintiens bien sûr mon amendement.
    M. le président. La parole est à M. Francis Delattre, pour répondre à la commisision.
    M. Francis Delattre. Monsieur le garde des sceaux, j'aimerais vous croire lorsque vous dites qu'aucune collectivité ne pourra s'auto-saisir d'une compétence. C'est vrai quand on lit l'article 1er tel qu'il est rédigé aujourd'hui. Mais on ne saurait oublier que le Conseil d'Etat avait totalement disjoint l'alinéa dont il est question, expliquant très clairement que cet ajout sur l'organisation décentralisée de la République n'apportait rien à la Constitution dès lors que l'article 72 le démontrait parfaitement.
    Mme Ségolène Royal. Merci, monsieur Delattre ! Que ne l'avez-vous dit plus tôt !
    M. Francis Delattre. Je veux bien croire qu'il est possible d'y introduire ce principe ou de permettre un équilibre dans l'appréciation de certains éléments par le Conseil constitutionnel. Mais comment vous croire lorsque vous affirmez qu'aucune collectivité ne peut s'auto-saisir, si l'on se réfère au principe de subsidiarité tel qu'il a été rédigé à l'article 4 ?
    Cette rédaction, je l'ai dit hier, pose problème. Lorsque l'on dit que les collectivités territoriales ont vocation à exercer l'ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en oeuvre au niveau de leur ressort - de leur échelon, dit le Sénat -, qui, au final, a décidé de l'organisation de telle ou telle de ces compétences, et par qui sera-t-elle exercée ? Si je suis assez d'accord sur l'affirmation, il faudrait pour le moins renvoyer à une loi organique pour bien préciser l'application du principe de subsidiarité. Car votre rédaction actuelle, pardonnez-moi, ouvre la porte à l'auto-saisine.
    On peut trouver tous ces arguments un peu spécieux. Quoi qu'il en soit, la possibilité d'auto-saisine des collectivité territoriales a de quoi inquiéter : si, entre démocrates, les choses peuvent très bien se passer, on ne peut écarter l'idée qu'une région puisse un jour ou l'autre être dirigée par le Front national. L'auto-saisine pourrait alors nous mener beaucoup plus loin que nous le souhaiterions.
    M. Philippe Vuilque. Très juste, c'est un bon exemple !
    M. Francis Delattre. La rédaction de l'article 1er, combinée avec cette espèce de pétition de principe sans aucune valeur normative, ouvrira, qui plus est, la voie à tous les contentieux, à tous les différends. Et le juge constitutionnel se retrouvera à arbitrer sans arrêt entre les souhaits des collectivités territoriales et les pouvoirs du Parlement.
    M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
    M. le garde des sceaux. Il est bon d'aller ainsi au fond du débat. La réponse à votre question, monsieur Delattre, est extrêmement simple : elle réside dans l'article 34. Ainsi que vous le savez, celui-ci définit le domaine de la loi et dit en particulier que la loi détermine les compétences des collectivités territoriales.
    M. Francis Delattre. Oui, mais là, vous donnez une valeur constitutionnelle !
    M. le garde des sceaux. Dès lors, compte tenu de ce qui figure dans la Constitution sur l'unité et l'indivisibilité de la République, il est clair que le renvoi à la loi que vous souhaitez - à juste titre, car seule la loi, c'est-à-dire l'expression de la souveraineté, en d'autres termes seul le Parlement peut le permettre - est d'ores et déjà parfaitement prévu par l'article 34. Il n'y a donc aucun risque.
    Je comprends très bien votre souci et je le partagerais avec vous si l'article 34 ne répondait clairement à votre préoccupation. Le débat d'aujourd'hui aura permis de le démontrer.
    M. Jean-Luc Warsmann, vice-président de la commission des lois. Je demande la parole, monsieur le président.
    M. le président. Au nom de la commission ?
    M. Jean-Luc Warsmann, vice-président de la commission des lois. Oui, pour répondre au ministre.
    M. le président. C'est une situation très spécifique... Bon, allez-y.
    M. Jean-Luc Warsmann, vice-président de la commission des lois. Je voudrais juste préciser, pour répondre à ce problème de l'auto-saisine, que l'alinéa de l'article 34 de la Constitution est le suivant : « La loi détermine les principes fondamentaux de la libre administration des collectivités locales, de leurs compétences et de leurs ressources. » C'est donc parfaitement clair. Or l'amendement dont nous allons débattre sur l'article 4 vise à établir non un principe constitutionnel, mais un objectif constitutionnel.
    M. Francis Delattre. Un objectif n'a rien à voir dans la Constitution ! La Constitution est normative !
    M. Jean-Luc Warsmann, vice-président de la commission des lois. La différence est considérable ; il existe déjà des jurisprudences sur le sujet. Le Conseil constitutionnel n'invalide pas de lois, de dispositions législatives sur la base d'un objectif. C'est très différent d'un principe. Je tenais à le souligner afin de bien montrer dans les comptes rendus des travaux parlementaires que telle est bien l'intention du législateur constitutionnel.
    M. le président. Monsieur le vice-président de la commission, vous êtes dans une situation particulière, car vous n'êtes ni rapporteur ni président de la commission, et vous vous relancez le débat. M. Vuilque va nous répondre !
    M. le garde des sceaux. Ce n'est pas un problème !
    M. Jean-Luc Warsmann, vice-président de la commission des lois. Il fallait le dire, monsieur le président. Je ne le regrette pas.
    M. le président. La parole est à M. Philippe Vuilque.
    M. Philippe Vuilque. Je demande la parole pour un rappel au règlement.
    M. le président. La parole est à M. Philippe Vuilque.
    M. Philippe Vuilque. Je me fonde sur l'article 58, premier alinéa, relatif au déroulement de nos séances.
    Personnellement, je n'ai rien contre M. Warsmann, mon collègue des Ardennes (Sourires), mais puisque le président de la commission est également rapporteur, je voudrais savoir à quel titre il intervient, même s'il est, certes, vice-président de la commission des lois.
    M. André Chassaigne. M. Warsmann est le chevalier des mauvaises causes !
    M. le président. Je doute, monsieur Vuilque, que ce rappel au règlement contribue à éclairer le débat. (« Très bien ! » et rires sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.) Je m'efforce de permettre à chacun de s'exprimer, s'il le souhaite.
    M. Jacques Myard. Vous êtes un très bon président !
    M. le président. J'ai déjà fait moi-même cette remarque au vice-président de la commission. Nul besoin de plus amples développements !
    Je mets aux voix l'amendement n° 45 rectifié.
    (L'amendement n'est pas adopté.)
    M. le président. Je suis saisi de deux amendements, présentés par M. Myard, n°s 46 et 47, dont je pense, monsieur Myard, qu'ils peuvent faire l'objet d'une présentation commune.
    M. Jacques Myard. Je ferai un effort !
    M. le président. L'amendement n° 46 est ainsi rédigé :
    « Compléter le dernier alinéa de l'article 1er par les mots : "sans préjudice du recours à l'article 16 de la Constitution. »
    L'amendement n° 47 est ainsi rédigé :
    « Compléter le dernier alinéa de l'article 1er par les mots : "sans préjudice des pouvoirs conférés au Gouvernement lors de situations exceptionnelles. »
    Vous avez la parole, monsieur Jacques Myard.
    M. Jacques Myard. Ces deux amendements restent dans le même esprit car, monsieur le ministre, j'aimerais vous entendre sur l'unité de la constitution.
    Nous allons inscrire le fait que l'organisation de la France est décentralisée - dont acte - à l'article 1er de la Constitution. Ce sera désormais un principe constitutionnel fort puisque l'article 1er, emblématique, définit l'essence même de la République.
    Mais il peut se trouver des situations - nous en avons, malheureusement connues dans l'histoire nationale - où le pouvoir central est conduit à reprendre ce que, dans des temps normaux, il avait confié à tel ou tel organisme décentralisé. Que l'on évoque les lois d'urgence, l'organisation de la nation en temps de guerre, la déclaration de l'état de siège ou l'article 16, vous me rétorquerez que la Constitution se lit globalement. Je voudrais néanmoins que ce soit bien clair et que les travaux préparatoires de la présente loi constitutionnelle donnent l'occasion au Gouvernement de déclarer que si des événements dans telle ou telle partie du territoire obligeait le Président à utiliser l'article 16, pour préserver les institutions de la République - termes très généraux -, le Gouvernement ne serait pas entravé par cette nouvelle affirmation constitutionnelle à l'article 1er et prendrait les mesures nécessaires qu'il détient, par ailleurs, de la Constitution et des lois d'exception.
    C'est ce que je souhaite entendre de vous, monsieur le garde des sceaux. Après quoi, je déciderai de ce que je ferai de mes deux amendements.
    M. le président. Monsieur Clément n'étant pas là, je vous donne la parole, monsieur Warsmann, pour exprimer l'avis de la commission.
    M. Jean-Luc Warsmann, vice-président de la commission des lois. Merci, monsieur le président. Je pense que nous devrons reparler de votre remarque précédente !
    Quant à l'avis de la commission des lois sur les amendements n° 46 et 47, il est défavorable, étant précisé que les dispositions concernant la décentralisation ne modifient en rien les conditions d'application et de recours éventuel à l'article 6.
    M. Jacques Myard. Je veux une déclaration de principe du Gouvernement !
    M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
    M. le garde des sceaux. J'indique clairement à M. Myard et à l'ensemble de l'Assemblée nationale, que ce qui est envisagé en matière de décentralisation ne remet nullement en cause les prérogatives du Président de la République ou du Gouvernement. rien à voir et ce serait extraordinairement périlleux. Je ne pense pas que l'on puisse faire une telle interprétation du projet du Gouvernement. Nous sommes extrêmement attachés aux possibilités données par la Constitution tant au Président de la République qu'au Gouvernement, et il n'est pas question de les remettre en cause.
    M. le président. La parole est à M. Jacques Myard.
    M. Jacques Myard. Si tant est que les travaux préparatoires d'une loi constitutionnelle aient une portée juridique, je prends note de la déclaration du Gouvernement, et, dans ces conditions, je retire mes deux amendements.
    M. le président. Les amendements n°s 46 et 47 sont retirés.
    Mme Royal et les membres du groupe socialiste ont présenté un amendement, n° 59, ainsi rédigé :
    « Compléter l'article 1er par la phrase suivante : "La République garantit l'égal accès à des services publics de qualité. »
    La parole est à Mme Ségolène Royal.
    Mme Ségolène Royal. Nous revenons sur le principe d'égalité d'accès aux services publics.
    Lorsque le grand chantier décentralisateur a été lancé, nous avions compris qu'il s'agissait pour la France de prendre plus efficacement, plus solidairement, plus démocratiquement son destin en main, c'est-à-dire de franchir encore une étape, en conciliant de nouvelles libertés locales mais donc aussi davantage de solidarité, plus d'autonomie mais donc aussi davantage de responsabilités. Nous avions compris qu'il s'agissait également d'établir une complémentarité entre des pouvoirs locaux mieux affirmés et un Etat meilleur garant du bien commun. Finalement, nous comprenons votre refus ; mais peut-être n'était-il que provisoire et allez-vous maintenant, monsieur le garde des Sceaux, émettre un avis favorable à l'affirmation dans la Constitution du principe d'égal accès à des services publics de qualité.
    Pourquoi « de qualité », avez-vous demandé ? Parce que les services publics doivent évoluer comme la décentralisation elle-même : ils ne sont pas figés, ils doivent se réformer pour être meilleurs, précisément.
    Mais ce que vous nous proposez, c'est moins d'Etat, puisque vous avez aussi refusé d'inscrire dans la Constitution la déconcentration. C'est une expérimentation à la carte ! Vous le savez, les inquiétudes sont grandes quant aux risques de désordre et d'insécurité.
    Ce rappel est d'autant plus nécessaire qu'avant même l'adoption du présent texte, l'Etat a commencé à se dégengager : on le voit notamment dans le service public de l'éducation, où ont été supprimés les emplois-jeunes, des emplois de surveillant, d'auxiliaire d'intégration des enfants handicapés - qui, de ce fait ne sont plus accueillis à l'école - et de plusieurs centaines de postes d'ouvrier et d'agent d'entretien.
    M. Jean-Luc Warsmann, vice-président de la commission des lois. C'est scandaleux de dire ça !
    M. André Chassaigne. C'est pourtant la réalité !
    Mme Ségolène Royal. Les chefs d'établissement sont inquiets. Les élus, de toutes tendance politiques, se sont demandés s'il leur incomberait désormais d'embaucher et, de rémunérer les emplois-jeunes et les personnels d'entretien, de payer à la place de l'Etat les contrats éducatifs locaux dont les crédits, dans le projet de loi de finances, ont diminué de 30 %, je vous le rappelle - c'est l'égalité des chances des enfants dans le temps périscolaire qui est en jeu !
    Bref, avant même que le texte ne soit voté et que vous ne nous donniez des précisions sur les transferts de compétences, les premières étapes de décentralisation se sont déjà traduites par une série de désengagements de l'Etat, que nous jugeons graves au regard de l'égalité des chances à l'école. En effet, les communes les plus riches pourront, sans doute payer les aides-éducateurs que l'Etat ne finance plus, de même que les départements les plus riches pourront sans doute entretenir correctement leurs collèges. Mais pourront-ils en même temps payer les personnels ATOS, y remettre des aides-éducateurs et des surveillants, ainsi que des auxiliaires d'intégration pour accueillir les enfants handicapés ? Là est la vraie question.
    Autrement dit, si l'Etat n'a aucunement l'intention de se désengager, comme vous le déclarez sollennellement, nous préférons que ce soit inscrit dans les textes. Les discours passent, mais les textes restent !
    M. Jean-Luc Warsmann, vice-président de la commission des lois. Que ne l'avez-vous fait !
    Mme Ségolène Royal. Dès lors que vous prenez la liberté d'inscrire à l'article 1er de la Constitution, la décentralisation, que le Conseil d'Etat a disjoint car elle figure déjà à l'article 72, alors nous vous demandons, dans un souci d'équilibre, d'y rajouter le principe d'égalité devant les services publics.
    Si vous refusez, cela voudra bien dire que, pour vous, la décentralisation, c'est moins d'Etat, c'est plus de marché, plus de pouvoirs concentrés entre quelques mains sans contrepouvoirs, la possibilité pour les plus riches, les plus forts de se servir et le risque pour les citoyens d'être à nouveau placés en situation de fragilité. En résumé, c'est du désordre, de l'insécurité et des inégalités. Cette décentralisation libérale, nous n'en voulons pas !
    M. le président. Monsieur Warsmann, je n'avais plus en mémoire le fait que vous étiez le premier vice-président de la commission. A ce titre, vous avez effectivement le droit de vous exprimer au nom de la commission en l'absence de son président.
    M. Jean-Luc Warsmann, vice-président de la commission des lois. Je vous remercie de cette précision, monsieur le président.
    M. le président. Vous avez donc la parole pour donner l'avis de la commission sur l'amendement n° 59.
    M. Jean-Luc Warsmann, vice-président de la commission des lois. Inutile de relancer le débat et de relever toutes les contrevérités proférées par Mme Royal. On lui a déjà répondu à l'occasion de l'examen de chacun des budgets, en particulier de celui de la famille.
    Sur l'amendement n° 59, le président de la commission des lois a déjà présenté l'argumentation : la commission des lois y est, évidemment, défavorable.
    M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
    M. le garde des sceaux. Défavorable.
    M. le président. La parole est à M. Victorin Lurel.
    M. Victorin Lurel. Nous insistons pour que ce principe soit inscrit dans le texte fondamental. Je voudrais ajouter une touche d'outre-mer à ce débat. En effet, quand la République est défaillante outre-mer, il y a un effet de loupe.
    On dit que l'égal accès aux services publics, ce n'est pas tout à fait la même chose que l'égalité devant la loi. Eh bien, je vais vous citer quelques exemples tirés de la situation outre-mer. Et d'abord, vous le savez puisque cela défraie la chronique, à propos de la continuité territoriale. Face au marché, à la rentabilité, Air France, qui a pourtant une mission de service public, n'assure plus l'égalité d'accès audit service public et, de ce fait, c'est la liberté d'aller et de venir qui est battue en brèche. Autre exemple : alors qu'une loi de 1975 a nationalisé l'électricité en Guadeloupe, nous avons assisté à une semi-privatisation et à l'ouverture du capital à une société, CTM, qui a eu les pires difficultés du monde à appliquer les lois de la République, et la Guadeloupe a été longtemps privée d'électricité. La péréquation qui devait être assurée entre la métropole et l'outre-mer ne l'a jamais été parce que, petit à petit, les règles du marché sont en train de grignoter ce qui fait l'identité même de la République, à savoir le respect de l'égalité.
    Enfin, on m'a dit que la région où je vis, la Côte-sous-le-vent, n'était pas « rentable » - c'est le mot que le directeur régional de France Télécom m'a jeté à la figure -, qu'elle n'était donc pas « ADSLisable ». Par conséquent, nous ne sommes pas connectables au haut débit et nous ne bénéficierons jamais de l'égalité des chances dans ce domaine.
    Si l'on inscrit dans la Constitution le principe selon lequel la République doit respecter l'égalité d'accès aux services publics, nous aurons fait un pas, et c'est l'égalité qui gagnera.
    M. Philippe Vuilque. Très bien !
    M. le président. La parole est à M. Jacques Brunhes pour répondre au Gouvernement.
    M. Jacques Brunhes. Vous connaissez notre philosophie à propos de ce texte. Nous avons dit et répété que l'article 1er de la Constitution, qui contient les principes fondamentaux, en constitue le socle. Nous ne considérons pas que ce socle ne puisse pas évoluer, mais nous ne souhaitons pas qu'y soit ajouté le principe de la décentralisation, dont le Conseil d'Etat d'ailleurs juge qu'il n'a pas la même force que les autres et qu'il doit en être disjoint.
    Vous avez pu constater que nous avons été extrêmement prudents et attentifs à ne rien rajouter à ce qui déjà est ajouté, à notre avis, par erreur. Néanmoins, le problème des services publics est fondamental. Je sais bien que la Constitution comporte 89 articles et qu'il y a donc d'autres endroits où faire figurer lesdits services publics. Mais compte tenu de ce qui vient d'être dit, de leur importance et des menaces qui pèsent sur eux, je dois vous dire, monsieur le président, que nous voterons l'amendement de Mme Ségolène Royal.
    M. Francis Delattre. Quel scoop !
    M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 59.
    (L'amendement n'est pas adopté.)
    M. le président. Je mets aux voix l'article 1er.
    (L'article 1er est adopté.)

Après l'article 1er

    M. le président. M. Lurel a présenté un amendement, n° 107 rectifié, ainsi rédigé :
    « Après l'article 1er, insérer l'article suivant :
    « Dans la deuxième phrase de l'article 1er de la Constitution, les mots : ", de race sont supprimés. »
    La parole est à M. Victorin Lurel.
    M. Victorin Lurel. Nous nous attaquons à un sujet délicat mais aussi à un phénomène inacceptable.
    Le scrutin du 21 avril a montré que l'intolérance, le racisme et la panne de l'intégration constituent un drame pour notre pays. Les discriminations fondées sur la couleur de la peau sont malheureusement une réalité. L'image de l'homme de couleur « par nature fainéant » refait florès en métropole. Les discriminations fondées sur la « race » doivent être constamment combattues.
    Or le mot « race » figure dans notre loi fondamentale : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. » La Constitution de notre République reconnaît donc et fonde, en quelque sorte, une notion, si ce n'est un concept, que la science récuse. On le sait pourtant, depuis un certain temps déjà, notre humanité forme une seule espèce génétiquement polymorphe qui fait mentir toute conception typologique ou holotypique de l'espèce humaine.
    Il me semble opportun et pertinent de saisir l'occasion de cette révision constitutionnelle pour procéder à une tentative de « rebasage » de l'identité de notre République fondée sur le partage de valeurs communes fondamentales.
    Au moment où resurgit l'hydre du racisme et du fanatisme et où les « nouveaux réactionnaires » banalisent un discours justifiant les inégalités de tous types, il est sain de supprimer de notre Loi fondamentale toute référence à une notion contraire à l'essence même de la démocratie égalitaire.
    Il est, en effet, inadmissible de voir inscrit le mot « race » dans l'article qui énonce les valeurs fondamentales de la République, quand bien même il cherche à lui dénier toute portée. L'inscrire c'est d'une certaine façon reconnaître et donc justifier en creux l'idée et l'idéologie, les actes et les actions qu'elle peut générer. Nul ne l'ignore, le mot « race » a toujours servi de support aux barbaries ethno-nationalistes, aux abominations fondamentalistes, à l'extermination de populations.
    Faire figurer le mot « race » dans une phrase qui promeut l'égalité sans discrimination et qui refuse toute forme de darwinisme social part d'un excellent principe qui honore notre République. Mais hélas ! de même que l'on peut faire de mauvais romans avec de bons sentiments, comme le disait Gide, on peut créer un corpus juridique fragile et douteux avec de bons principes et des idées généreuses.
    Jusqu'ici, le Conseil constitutionnel n'a jamais motivé une de ses décisions en invoquant ce terme, mais rien n'interdit qu'il le puisse. Le pouvoir d'évocation du concept n'est pas supprimé pour autant. Utilisé indifféremment pour distinguer les groupes humains sur la base de caractères apparents tels que la couleur de la peau, la forme du visage, la texture des cheveux, il s'applique tout autant aux différences culturelles et sociales pour y établir une hiérarchie implicite ou explicite.
    Terme à connotations multiples, éminemment péjoratives, polysémique, foisonnant, « ondoyant et divers », comme le disait Montaigne pour autre chose, hélas ! trop souvent vecteur de férocité et d'inhumanité armée, il n'a pas sa place dans la Constitution.
    Introduit opportunément après la Seconde Guerre mondiale par Pierre Cot et Paul Ramadier, deux parlementaires insoupçonnables et de haute volée, dans le préambule de la Constitution de 1946 pour dire à la face du monde que « au lendemain de la victoire remportée par les peuples libres sur les régimes qui ont tenté d'asservir et de dégrader la personne humaine, le peuple français proclame à nouveau que tout être humain, sans distinction de race, de religion, ni de croyance possède des droits inaliénables et sacrés ». On comprend mal le maintien dans le texte de 1958 de ce terme dont l'inscription constitutionnelle est historiquement datée et doncdépassée.
    L'argument selon lequel sa suppression créerait un vide juridique et risquerait d'entraîner une régression dans la lutte contre les discriminations doit être écarté, d'autant plus qu'il continuera de figurer dans le préambule de 1946, qui fait partie de notre bloc de constitutionnalité et dans la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, elle-même inspirée fortement de nos textes.
    Le terme « origine », plus général, plus neutre et plus objectif, suffira, à mon sens, amplement pour interdire toute distinction ou toute hiérarchisation selon la couleur de la peau, les filiations génétiques ou généalogiques, l'appartenance culturelle ou sociale. Sa suppression n'entraînera donc pas moins de protection.
    Si supprimer le support ne supprime pas le discours, il lui ôte toute légitimité qu'il pourrait puiser dans le texte même de notre Loi fondamentale.
    M. le président. Veuillez conclure, monsieur Lurel.
    M. Victorin Lurel. Je termine, monsieur le président !
    La tâche de l'heure, c'est bien de faire cohabiter, au sein d'une République plurielle, identié et altérité, unicité et diversité, égalité et différence, et de dire avec Saint-Exupéry : « Si tu diffères de moi, mon frère, loin de me léser, tu m'enrichis. »
    Il nous faut donc, tous ensemble, congédier « le scandale sémiotique », qui a, selon l'écrivain franco-haïtien René Depestre, gravement profané et compromis l'unité de l'espèce.
    La France peut et doit marcher sur ses deux jambes que sont l'universalité et la diversalité.
    Alors, mes chers collègues, bannissez ce terme détestable : aucun fétichisme sémantique ne doit nous retenir. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe des député-e-s communistes et républicains, sur quelques bancs du groupe Union pour la démocratie française et sur divers bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le président. Quel est l'avis de la commission des lois ?
    M. Jean-Luc Warsmann, vice-président de la commission des lois. Sur le fond, tout le monde est d'accord avec l'intervention de notre collègue. Toutefois, pour ce qui concerne la forme, la commission des lois considère que l'amendement qu'il propose va exactement dans le sens inverse des idées qu'il défend.
    Selon l'article 1er de la Constitution, la France « est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans disctinction d'origine, de race ou de religion ». Une telle rédaction vise précisément à dénier toute distinction qui serait fondée sur la race.
    M. Jacques Myard. Sur la prétendue race !
    M. Jean-Luc Warsmann, vice-président de la commission des lois. Une telle interdiction de disctinction constitue un signal très fort. A l'inverse, ôter les mots « de race » de notre Constitution reviendrait à adresser un message négatif à tous ceux de nos concitoyens et à toutes les associations qui luttent contre les dérives en la matière.
    M. Philippe Vuilque et Mme Ségolène Royal. Au contraire !
    M. Jean-Luc Warsmann, vice-président de la commission des lois. C'est la raison pour laquelle, la commission des lois a émis un avis défavorable sur cet amendement.
    M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 107 rectifié ?
    M. le garde des sceaux. Je souhaite mettre en garde l'Assemblée. Nous jouons avec le feu. Supprimer cette interdiction de discrimination qui figure dans la Constitution représente un risque considérable.
    Cela dit, je comprends le souci de M. Lurel et je partage son point de vue, comme vous tous ici, je crois.
    M. Jacques Myard. Très bien !
    M. le garde des sceaux. Pour autant, ôter cette interdiction de discrimination de la Constitution serait pure folie.
    Mme Ségolène Royal. Il ne s'agit pas d'ôter !
    M. le garde des sceaux. Bien sûr, il resterait la référence qui figure dans le préambule de la constitution de 1946, mais je crois qu'il est préférable que cette interdiction de discrimination figure dans le texte même de la Constitution.
    Je souhaiterais que M. Lurel me comprenne et retire son amendement. Il propose d'accomplir un acte terriblement grave, qui aurait des conséquences totalement contraires à ce qu'il souhaite au plus profond de lui-même.
    Il y a là, me semble-t-il, un danger que je ne saurais laisser courir. Je demande donc à l'Assemblée de rejeter cet amendement, mais pas pour des raisons contraires à celles qui ont sous-tendu l'argumentation de M. Lurel.
    M. Jacques Myard. Non ! Pour ces mêmes raisons !
    M. le garde des sceaux. En fait, c'est parce que celui-ci a raison sur le fond qu'il ne faut pas accepter son amendement.
    M. Jacques Myard. Très juste !
    M. le président. Monsieur Lurel, que décidez-vous, après l'intervention de M. le garde des sceaux ?
    M. Victorin Lurel. Je ne peux pas, monsieur le garde des sceaux, vous laisser dire cela. Ce n'est pas par pure folie ou par irréflexion que j'ai présenté cet amendement. Comme vous le dites vous-même, cette interdiction restera inscrite en lettres de feu dans le préambule de la Constitution de 1946, qui fait partie du bloc de constitutionnalité. Elle figurera aussi dans la Convention européenne des droits de l'homme.
    En quoi une telle suppression amputerait-elle les moyens de lutte dont disposent les associations anti-racistes ? Je me le demande.
    Je ne vous le cache pas, j'ai envoyé le texte de cet amendement à SOS Racisme, à la Ligue des droits de l'homme et à d'autres associations : toutes m'ont dit que c'était très bien, car leur travail ne repose pas sur les mots dont je propose la suppression.
    Le mot « origine » est suffisamment général pour tout englober. Quant au mot « race », il n'a pas sa place dans le texte fondamental, d'autant qu'il figure déjà dans d'autres textes. J'y insiste, la République s'honorerait en le supprimant de la Constitution.
    M. le président. Dans ce débat important, trois intervenants sont inscrits : M. Chassaigne, M. Giacobbi et M. Bayrou.
    La parole est à M. André Chassaigne.
    M. André Chassaigne. Il est vrai que ce débat est très important et qu'il porte sur des valeurs qui, j'en suis sûr, sont des valeurs communes, des valeurs partagées par tous. Nous concevons tous que, en ce domaine, il s'agit de ne pas commettre d'erreur rédactionnelle.
    Nous pensons très sincèrement que l'amendement de Victorin Lurel a le mérite de vouloir éliminer ce que l'on pourrait appeler une scorie de l'article 1er de notre Constitution.
    Bien entendu, nous savons tous ici que ni les constituants de la Ire République ni les rédacteurs de la Constitution de la Ve République n'ont utilisé le mot « race » dans un sens raciste.
    Mme Ségolène Royal. Bien sûr !
    M. André Chassaigne. De plus, les scientifiques et les historiens ont fait depuis longtemps la démonstration que le concept de race était sans aucun fondement.
    Les différentes majorités de gauche, en particulier les parlementaires communistes, n'ont jamais cessé de combattre le racisme. Que l'on songe à la loi Gayssot !
    M. Jacques Myard. Cela n'a rien à voir !
    M. André Chassaigne. La proposition de M. Lurel, tout le monde le comprend, veut marquer une évolution. Supprimer le mot « race » dans l'article 1er de notre Constitution parachèverait notre travail. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)
    M. le président. Je vois, monsieur le président de la commission des lois, que vous voulez intervenir. Toutefois, comme j'ai déjà indiqué que j'avais trois intervenants inscrits dans le débat sur l'amendement n° 107 rectifié, je vous donnerai la parole après.
    Pour l'heure, la parole est à M. Paul Giacobbi.
    M. Paul Giacobbi. Mes chers collègues, il s'agit d'un débat très important, mais aussi d'un débat sémantique.
    Les mots évoluent, leur sens varie avec le temps. Au xviiie siècle, le mot « race » avait une signification. Aujourd'hui, comme l'a dit André Chassaigne, il n'est pas un sociologue, un ethnologue ou un biologiste qui ne reconnaisse que, sur le plan scientifique, le concept de race est vide de sens. Et pour ceux qui n'en seraient pas convaincus, je les invite à lire Luigi Luca Cavalli Sforza ainsi que quelques autres généticiens, biologistes et historiens spécialistes de la question.
    Pourquoi faut-il conserver dans un texte - qui date de 1958 - un mot privé de sens ou ayant, si tant est qu'il est encore un, un sens dangereux ?
    Le mot « origine », qui figure dans l'article 1er de la Constitution, peut parfaitement englober tout ce que nous souhaitons éviter.
    De surcroît, le mot « race » figure dans le préambule de la Constitution de 1946, texte historique qui fait partie du droit positif. Bien entendu, il n'est pas question de modifier des textes historiques, qui, comme la déclaration des droits de l'homme, comprennent des concepts et des notions qui ne nous sont plus directement applicables ou dont la portée doit être interprétée.
    Autrement dit, on sait très bien que le mot qui figure dans le préambule de la constitution de 1946 vise plutôt ce que l'on souhaite et non ce que l'on pourrait comprendre par une interprétation anachronique.
    L'amendement de M. Lurel, qui me paraît très important, ne fait qu'appliquer le constat selon lequel aucune distinction ne peut être fondée sur la race. Par conséquent, n'inscrivons pas dans le droit - qui plus est dans le droit constitutionnel et fondamental - que les races existent.
    M. Jacques Myard. Les racistes existent !
    M. le président. La parole est à M. François Bayrou...
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. J'avais demandé la parole !
    M. le président. Je vous le répète, monsieur le président de la commissions des lois, j'avais annoncé, avant que vous ne demandiez la parole, que trois intervenants étaient inscrits sur l'amendement de M. Lurel. Je vous donnerai la parole après.
    M. Didier Migaud. D'autant que M. Clément quitte l'hémicycle, puis revient, puis repart...
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. C'est contraire au règlement, monsieur le président !
    M. le président. La parole est à M. François Bayrou.
    M. François Bayrou. Je voterai l'amendement de M. Lurel car je crois qu'il est très important. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains). Et je vais dire pourquoi en m'inscrivant exactement dans le cadre de la réflexion que vient de conduire M. Giacobbi.
    Les mots changent de sens avec le temps. Ainsi, à une époque, le mot « race » apparaissait à chacun comme une donnée évidente.
    Par ailleurs, dans la langue régionale que je pratique - le béarnais - le mot « race » n'a aucun sens péjoratif. Au contraire, on se glorifie d'être « de bonne race » c'est-à-dire de bonne lignée. On dit « Qu'en es de race ! », ce qui veut dire « tu es de bonne race ». Et si je m'adresse à Charles de Courson, on comprend tout le sens de mes propos. (Sourires.) On dit aussi « La race que rasseye ! », ce qui signifie « la race fait race » et sert à glorifier une lignée, une identité au travers du temps.
    Cela dit, au xxe siècle, avec l'hitlérisme, le mot « race » a pris un sens tragique.
    M. Jacques Myard. Justement ! L'argument peut servir dans le sens inverse !
    M. François Bayrou. Aujourd'hui, pour un grand nombre de nos compatriotes, les plus jeunes en particulier, ce mot est ressenti comme une marque au fer rouge. Pour tenir compte de cette sensibilité, qui est très forte aujourd'hui - nombre de nos jeunes compatriotes ont le sentiment qu'ils sont exclus des emplois ou des stages en raison uniquement de leur nom ou de la couleur de leur peau -, nous nous honorerions en retirant de l'article Ier de la Constitution le mot « race », qui a pris désormais un sens tout autre que celui qui était le sien il y a quelques décennies, et en nous contentant du mot « origine », qui a la même signification sans avoir la même connotation.
    Au demeurant, avec l'article Ier de la Déclaration des droits de l'homme, cette notion sera maintenue dans le bronze de notre bloc constitutionnel. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Union pour la démocratie française, du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. Jacques Myard. C'est vraiment se prendre les pieds dans le tapis !
    M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Monsieur le président, je vous remercie de me donner la parole.
    Je signale que si j'ai dû m'absenter quelques instants de l'hémicycle - et je demande à l'Assemblée de m'en excuser -, c'est pour examiner un amendement déposé par un de nos collègues d'outre-mer, amendement dont la commission n'a pas été saisie mais que j'ai accepté à titre personnel et qui sera appelé au début de la discussion du texte proposé pour l'article 72 de la Constitution. C'est donc pour cette raison que le vice-président de la commission m'a remplacé.
    Cela dit, d'une certaine manière, l'amendement en question devrait vous donner satisfaction, monsieur Lurel.
    Je respecte et je comprends votre position, monsieur le député, mais je crois que vous commettez une erreur, ainsi que tous ceux qui soutiennent votre amendement.
    Certes, le concept de race n'a aucun fondement scientifique ou biologique, et le mot « race » peut avoir une connotation tellement négative qu'il vaut mieux ne pas l'utiliser. Mais, en l'espèce, il ne s'agit pas de cela. Quand le mot « race » figure dans la Constitution, ce n'est pas pour affirmer l'existence de races,...
    M. Jacques Myard. C'est justement le contraire !
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. ... c'est, au contraire, pour pouvoir condamner une distinction qui serait établie en fonction de ce critère. Par conséquent, si vous supprimez le mot « race », vous faites tomber tout le droit pénal visant à combattre le racisme. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. Jacques Myard. Absolument !
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. C'est bien de cela qu'il s'agit. Le débat est d'ordre juridique et non d'ordre philosophique, contrairement à ce que pense à tort M. Bayrou. Si le mot « race » est supprimé, il ne sera plus possible de condamner le racisme.
    M. Jérôme Bignon. Il a raison !
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. A l'appui de ma démonstration, je citerai - ce qui plaira peut-être à M. Chassaigne - la loi Gayssot, qui considère que constitue une discrimination toute distinction opérée en raison de l'origine, du sexe, de la situation de famille, de l'état de santé, du handicap, des moeurs, des opinions politiques, des activités syndicales, de l'appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée,...
    M. André Chassaigne. Vraie ou supposée !
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. ... à une ethnie, une nation, une race ou une religion.
    Il est clair qu'en droit pénal vous êtes obligé d'employer le mot « race », sinon vous ne pouvez pas condamner le racisme. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Il ne s'agit pas, monsieur Lurel, de vous donner tort ou raison. Tout le monde comprend la charge affective qui existe dans ce mot, et tout le monde souhaiterait vous donner raison. Aussi, je pense que l'amendement que présentera M. René-Paul Victoria au début de l'examen du texte proposé pour l'article 72 de la Constitution - et que j'ai été heureux d'accepter - vous donnera satisfaction.
    Pour préserver le droit pénal en matière de racisme, il convient, je le répète, de repousser l'amendement de M. Lurel.
    Quant à la Constitution, elle ne dit pas qu'il existe des races, mais elle permet d'attaquer sur le plan juridique toute personne qui le prétendrait. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Jacques Myard. Bien sûr !
    M. le président. Il était important, monsieur le président de la commission, que vous puissiez exprimer votre position sur l'amendement de M. Lurel, après avoir entendu les différents intervenants inscrits sur cet amendement.
    Le débat a été large et chacun a pu s'exprimer. Je vais passer au vote.
    Je mets aux voix l'amendement n° 107 rectifié.
    (L'amendement n'est pas adopté.)
    M. le président. M. Lurel a présenté un amendement, n° 108, ainsi libellé :
    « Après l'article 1er, insérer l'article suivant :
    « Avant la dernière phrase de l'article 1er de la Constitution, il est inséré une phrase ainsi rédigée : "Elle reconnaît et met en oeuvre le droit au respect de l'environnement. »
    La parole est à M. Victorin Lurel.
    M. Victorin Lurel. J'espère que le Gouvernement acceptera de modifier son texte et donnera un avis favorable à l'adoption de l'amendement n° 108, qui a pour objet de faire figurer dans la Constitution le principe selon laquelle la France reconnaît et met en oeuvre le droit au respect de l'environnement.
    Dans un discours prononcé à Avranches, le Président de la République s'est engagé à faire élaborer une charte de l'environnement, qui, apparemment, serait « adossée » à la Constitution. J'avoue que l'adossement est un concept juridique que je ne connais pas. C'est pourquoi il me paraît préférable de faire figurer le respect de l'environnement dans notre Constitution.
    Jusqu'à présent, quasiment tout le droit occidental a obéi à une vision anthropocentrique. Il me semble qu'il est aujourd'hui urgent de changer de vision, pour ne pas dire de compléter le paradigme, et de défendre aussi bien l'homme, l'animal et l'arbre, donc l'environnement, au sens général. Il faut passer d'une vision anthropocentrique à une vision écocentrique.
    Il est vrai que la protection et la mise en valeur de l'environnement, ainsi que le développement durable, figurent aux articles L. 110-1 et L. 110-2 du code de l'environnement, qui reconnaissent quelques principes de précaution, d'action préventive et de correction, comme le principe pollueur-payeur ou celui de la participation. Pourquoi attendre l'élaboration d'une hypothétique charte pour inscrire dans les valeurs fondamentales de la République le respect de l'environnement, alors que nous examinons en ce moment une révision de la Constitution ? Pourquoi attendre pour passer d'une vision tournée vers l'homme - ce qui est déjà très important - à une vision tournée vers l'écosystème, à une vision écocentrique ? Faisons-le tout de suite. Voilà ce que je propose par cet amendement.
    M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Je suis vraiment désolé, monsieur Lurel, de ne pas pouvoir, comme je le souhaiterais, vous faire plaisir.
    Votre amendement concerne un sujet à la mode - et en disant cela, je ne porte pas un jugement critique. Du reste, le Président de la République a la volonté, personne n'en doute, d'aller plus loin en ce domaine. Ainsi, la commission dont il a annoncé la création devrait engager une réflexion pour savoir s'il sera possible, à terme, de « constitutionnaliser » la charte de l'environnement. La question n'est pas encore tranchée et les juristes en débattent.
    Vous avez raison, monsieur Lurel, d'appeler l'attention de l'Assemblée nationale sur ce point, mais, aujourd'hui, il n'est pas encore possible de vous répondre par oui ou par non. C'est pour cette raison que je ne peux pas émettre un avis favorable sur votre amendement.
    Il s'agit tout de même d'une notion d'une grande nouveauté qui exige d'agir avec précaution. Si l'on « constitutionnalise » la charte de l'environnement, ne devra-t-on pas, demain, faire de même pour d'autres chartes, comme, par exemple, celle des droits de l'enfant ? Si l'on multiplie les ajouts, ce ne sera plus la Constitution mais la Bible !
    Voilà mon opinion, mais d'autres que moi disent que les droits naturels de l'homme à un environnement sain ont été tellement méprisés qu'il serait peut-être temps de les « constitutionnaliser » - c'est un avis également respectable.
    Je dirai, en conclusion, pour être bref, que le débat est lancé et qu'il devra être tranché. Une commission a été mise en place par le Président de la République, nous y réfléchirons et, à ce moment-là, la représentation nationale prendra la décision. Pour le moment, avis défavorable.
    M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
    M. le garde des sceaux. Le Gouvernement est du même avis que la commission.
    La phrase proposée par M. Lurel est, en elle-même, intéressante mais il me semble que pour arriver à la constitutionnalisation d'une telle idée, il faut auparavant un débat approfondi, une préparation intellectuelle et juridique suffisante. Je ne pense pas qu'on puisse, à l'occasion d'un amendement, introduire une telle dimension dans la Constitution. Je ne me prononce pas sur le fond, je dis simplement que, aujourd'hui, c'est tout à fait prématuré.
    M. le président. La parole est à M. Michel Piron.
    M. Michel Piron. J'avoue ne pas très bien comprendre le mot « écocentrisme » et je me pose la question par rapport à d'autres termes qui pourraient aussi vouloir centrer le débat sur autre chose que l'écologie. Je ne vois pas où est le centre dans « écocentrisme » et j'avoue, monsieur Lurel, qu'en vous écoutant, je me rappelle cette fameuse pensée de Pascal sur cette « sphère infinie dont le centre est partout, la circonférence nulle part » (Sourires.)
    M. le président. La parole est à Mme Ségolène Royal.
    Mme Ségolène Royal. Je soutiens cet amendement de M. Lurel ainsi que l'amendement précédent, sur lequel je n'ai pas pu intervenir, mais je crois que vous n'avez pas vu le signe que je vous adressais, monsieur le président.
    Au cours de la discussion de l'article 1er, aucun amendement n'a été retenu, qu'il provienne de l'opposition, ou de la majorité. Voilà deux amendements qui complètent utilement la Constitution. Il est d'ailleurs dommage que la discussion ait tourné court sur l'amendement précédant, il méritait mieux parce que le débat est ancien, comme celui-ci sur l'environnement.
    Les associations qui luttent contre le racisme demandent depuis très longtemps la suppression du mot « race » de la Constitution. La loi pénale est une chose, la Constitution en est une autre, monsieur Clément. Ce n'est pas parce que le mot « race » sera retiré de la Constitution, comme l'ont demandé l'ensemble des prix Nobel dans un texte magnifique pour que notre Loi fondamentale ne cautionne pas cette abominable idée de race, que la loi pénale ne sera plus appliquée, au contraire. La lutte contre le racisme, c'est-à-dire la lutte contre toutes les idées qui véhiculent la notion de race, qui introduisent des différences entre les hommes en fonction des races, est sévèrement, et heureusement, sanctionnée. Je déplore donc que le Gouvernement n'ait pas eu l'audace de relever cet amendement, et je plaide pour que l'amendement n° 108 soit adopté.
    Le Président de la République a annoncé une réforme de la Constitution pour inscrire le droit au respect de l'environnement. Je ne pense pas que nous aurons prochainement, à court et à moyen termes, l'occasion de discuter une autre réforme de la Constitution, à moins que le Gouvernement ne nous apporte des informations nouvelles.
    Ne ratons pas l'opportunité qui nous est offerte d'inscrire dans la Constitution le droit au respect de l'environnement qui, je le répète, à également fait l'objet d'un engagement du Président de la République.
    M. le président. La parole est à M. Victorin Lurel, mais très brièvement car le débat a déjà eu lieu.
    M. Victorin Lurel. Il serait apparemment urgent d'attendre que la charte soit élaborée. Mais je rappelle que nous avons signé le traité d'Amsterdam, et je vous renvoie aux articles 2, 6 et 174, ainsi que la charte fondamentale des droits fondamentaux de l'Union européenne, notamment l'article 37. Que doit-on encore attendre - de nouvelles études ? - pour inscrire le droit au respect de l'environnement dans la Constitution ? Très franchement, je ne comprends pas ce wait and see.
    M. Jean-Luc Warsmann, vice-président de la commission des lois. Vous avez été au pouvoir pendant cinq ans. Il fallait le faire !
    M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 108.
    (L'amendement n'est pas adopté.)
    M. le président. L'amendement n° 159 de M. Yves Cochet n'est pas défendu.
    Je suis saisi de trois amendements, n°s 160, 98 et 200, pouvant être soumis à une discussion commune.
    L'amendement n° 160, présenté par M. Yves Cochet, Mme Billard et M. Mamère, est ainsi libellé :
    « Après l'article 1er, insérer l'article suivant :
    « L'article 2 de la Constitution est complété par un alinéa ainsi rédigé :
    « Avec le concours des collectivités, la République reconnaît et garantit l'enseignement, l'usage et la promotion des langues régionales ou minoritaires. »
    L'amendement n° 98, présenté par M. Giacobbi et Mme Taubira, est ainsi libellé :
    « Après l'article 1er, insérer l'article suivant :
    « Après le premier alinéa de l'article 2 de la Constitution, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
    « La République reconnaît les langues régionales et veille à leur développement. »
    L'amendement n° 200, présenté par MM. Le Fur, Grenet, Le Nay, Kerguéris, Ménard, Landrain, Couanau, Poulou, Decool, Mme Vernaudon, M. Jacques Le Guen, Goulard, Mmes Ramonet, Lamour, MM. Lorgeoux, Rouault, de Rocca Serra, Prevost, Brial, Buillard, Hunault, Favennec, Madelin et Méhaignerie, est ainsi rédigé :
    « Après l'article 1er, insérer l'article suivant :
    « Le premier alinéa de l'article 2 de la Constitution est complété par les mots : ", dans le respect des langues régionales, qui font partie de son patrimoine. »
    Sur cet amendement, M. Bayrou et M. Lassalle ont présenté un sous-amendement, n° 210, ainsi rédigé :
    « Dans le dernier alinéa de l'amendement n° 200, après le mot : "respect, insérer les mots : "et la défense. »
    L'amendement n° 160 n'est pas défendu.
    La parole est à M. Paul Giacobbi, pour soutenir l'amendement n° 98.
    M. Paul Giacobbi. Mes chers collègues, la République s'honorerait à reconnaître les langues régionales. Elles ne menacent personne. Aucune langue, et encore moins le français, ne se trouve menacée par nos langues régionales. Elles, en revanche, sont menacées. C'est un patrimoine précieux, une identité, une richesse.
    Certes, il y a bien, ici ou là, des personnes qui vous expliquent que le corse ou le breton ne sont pas des langues, mais ces gens ont une caractéristique commune : ils n'ont jamais étudié la linguistique, ils n'ont aucune idée de ce qu'est une langue et ils en parlent très peu.
    Les linguistes, eux, considèrent que les langues régionales de France, le corse, par exemple, que je connais un petit peu, sont évidemment des langues et ils en parlent très savamment. Je signale d'ailleurs au passage parce qu'on l'oublie souvent, que ces langues, s'ils n'ont pas produit de littérature, ont au moins produit un prix Nobel en France, Frédéric Mistral.
    Ces langues sont reconnues par la loi.
    M. Jacques Myard. C'est déjà bien !
    M. Paul Giacobbi. Dans cette même assemblée, un député, Jean Zuccarelli, a beaucoup oeuvré pour la reconnaissance du corse. En effet de nombreuses langues régionales étaient reconnues, mais pas le corse...
    Méfions-nous aussi des raisonnements quantitatifs sur les langues régionales. On dit qu'elles sont parlées par peu de gens. C'est vrai. Mais je voudrais tout de même rappeler que le nombre de personnes qui ont le français pour langue maternelle, de compétence native, comme on dit quant on veut faire bien, est de l'ordre de 100 millions, c'est-à-dire 2 % de la pratique planétaire. C'est moins que l'hindi, le bengali et l'urdu, pour ne parler que de langues qui sont en général assez mal connues et qu'on considère en France comme peu importantes.
    C'est un problème constitutionnel - on a évoqué à bien des reprises le problème de la charte européenne des langues minoritaires. C'est aussi un problème international. Encore ce matin, je lisais que la France, l'Europe avaient des exigences vis-à-vis de la Turquie à propos de l'enseignement du kurde, langue minoritaire. J'imagine que nos cartons de dépêches internationales sont pleins de remontrances sur le tibétain au Tibet, le kurde au Kurdistan ou encore le turc en Hongrie. Nous donnons des leçons à la terre entière. Peut-être devrions-nous commencer par nous les appliquer à nous-mêmes.
    M. Jacques Myard. La repentance n'est pas un principe constitutionnel !
    M. Paul Giacobbi. Voilà la raison de l'amendement que je propose, mais je m'empresse de dire que les autres amendements sont fort bien rédigés et que je me ferai un plaisir de me rallier à celui qui recevra l'accueil le plus favorable.
    M. le président. La parole est à M. Marc Le Fur, pour soutenir l'amendement n° 200.
    M. Marc Le Fur. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous abordons là un sujet important, sensible, qui touche le coeur de bon nombre de nos concitoyens de métropole et d'outre-mer. Ils sont attachés à leur langue maternelle, ils n'en sont pas moins Français. Quand j'étais enfant, la conversation roulait du breton au français, les deux langues ont bercé mon enfance. Je n'en suis pas moins un citoyen français. Je n'en suis que plus attaché à ce que représente notre pays.
    Il nous faut poser le débat en termes responsables, dans un esprit d'ouverture, en évitant d'engager de nouvelles guerres de religion, ce dont nous avons la spécialité. Nous avons l'occasion, ce soir, de donner un signe d'attention, de bienveillance en direction d'un certain nombre de personnes, de familles qui considèrent qu'elles ont parfois été traitées par le mépris.
    Mais il ne s'agit pas simplement d'une pétition de principe, monsieur le ministre. Il existe un problème en termes de droit objectif. En 1992, par un amendement à un projet de loi constitutionnelle, a été introduit un alinéa 1 à l'article 2 de la Constitution ainsi rédigé : « La langue de la République est le français. » Si j'avais été alors parlementaire, j'aurais voté cet amendement avec enthousiasme. A l'époque, il n'a été question durant les débats que de la menace représentée par l'anglais et la culture anglo-saxonne et jamais des langues régionales ou minoritaires. Il n'empêche que cet alinéa a été utilisé par le Conseil constitutionnel et le Conseil d'Etat à une fin pour laquelle il n'avait pas été prévu, c'est-à-dire contre les langues régionales. Et notre amendement - dont vous avez remarqué qu'il est cosigné par bon nombre de députés - a donc également pour objet de répondre à ce problème de droit objectif.
    Je vous renvoie à l'avis du Conseil constitutionnel, il précise que l'adoption de la charte des langues régionales ne pourrait intervenir qu'après une révision constitutionnelle. Notre pays partage en effet avec la Turquie la spécificité d'être l'un des rares pays d'Europe à ne pas avoir encore adopté la charte des langues régionales. Le Conseil d'Etat a adopté une jurisprudence analogue, se référant, lui aussi, explicitement au premier alinéa de l'article 2 de la Constitution, alors que celui-ci n'a pas été rédigé pour ça.
    L'unité n'est pas l'uniformité. Sachons voir que la République sortirait grandie en affirmant plus de tolérance. D'ailleurs, cet amendement est assez soft dans sa rédaction, si on me pardonne cet anglicisme. Je n'utilise pas, volontairement, le mot « reconnaissance », à la différence de notre collègue Giacobbi, parce que c'est un terme de droit international qui n'a pas lieu d'être. J'utilise le mot « respect », ce beau mot que l'on apprend à nos enfants dans les écoles. Je parle également de langues régionales, non de langues minoritaires, de façon à éviter un autre problème, celui des langues minoritaires non régionales. Il me semble que les termes employés sont les plus acceptables possible pour nombre de nos citoyens.
    Sachons être cohérents aussi à l'égard de nos engagements européens. J'ai eu à me rendre, dans le cadre de coopérations, dans des pays d'Europe orientale candidats à l'intégration dans la Communauté européenne. J'ai constaté que, dans le cahier des charges, on demandait aux fonctionnaires français d'inciter les collègues de ces pays d'Europe orientale à faire respecter des règles en matière de langues régionales autrement plus exigeantes que celles que nous vous proposons aujourd'hui.
    Mes chers collègues, si bon nombre d'élus ont signé cet amendement, c'est parce que nous connaissons ce problème dans nos régions. Nous sommes nombreux à militer pour que le mouvement culturel qui manifeste son attachement aux langues et aux cultures régionales, ne soit pas capté par un mouvement politique sensible au thème de l'autonomisme. Notre souci, c'est de conserver leur spécificité aux mouvements culturels tout en évitant toute forme de repli, de récupération ou de dérive du communautarisme. C'est pourquoi il n'est pas question de droit d'un peuple ni du droit des locuteurs. Il est question simplement du respect que l'on doit à l'égard des cultures et des langues régionales.
    Nous avons jusqu'à présent abordé beaucoup de questions très juridiques, intéressantes certes, mais pour un auditoire de spécialistes. Nous posons maintenant une question qui intéresse la population de bon nombre de régions. Nous devons la poser très explicitement en évitant, par notre réponse, de donner le sentiment que nous marginalisons certains de nos concitoyens. Nous devons, au contraire, leur dire qu'ils ont leur place dans la République, qui doit conserver sa tradition d'ouverture. C'est tout l'objet de l'amendement n° 200.
    M. le président. La parole est à M. François Bayrou, pour soutenir le sous-amendement n° 210.
    M. François Bayrou. Parmi les débats de nos assemblées, y compris sur la Loi fondamentale, il en est qui ont une portée politique, d'autres qui relèvent de choix de société. Mais la plupart du temps, nous savons une chose en notre for intérieur : si nous ne gagnons pas aujourd'hui, nous aurons une chance de gagner demain. C'est la démocratie. Et le jeu des alternances introduit un peu de sérénité dans la manière dont nous nous exprimons.
    Or le débat qui s'ouvre pour quelques minutes est d'une nature complètement différente. En effet, si nous ne changeons pas profondément la manière d'aborder ce sujet, il sera trop tard demain pour défendre les langues régionales, ou du moins certaines d'entre elles, parce qu'elles auront disparu.
    Nous parlons ici de langues en danger, en danger de mort ! Pour certaines d'entre elles, c'est une question d'années. La portée culturelle et sociale de ce débat est par conséquent considérable.
    Ce débat, du reste - notre collègue Le Fur vient de le rappeler - n'aurait pas dû être nécessaire, puisque les auteurs de l'amendement qui a créé l'alinéa premier de l'article 2 de la Constitution, qui dispose que « La langue de la République est le français », étaient décidés à ce que ces termes ne portent aucun tort à la défense des langues régionales de France. Si je me souviens bien, pour être beaucoup intervenu à l'époque, Jacques Toubon avait même défendu cette interprétation. Or il se trouve que, depuis lors, la jurisprudence du Conseil d'Etat, en particulier, s'est appuyée sur ce premier alinéa de l'article 2 pour empêcher toute politique de soutien aux langues régionales.
    Je propose d'ajouter à l'amendement de M. Le Fur, après le mot : « respect », les mots : « et défense », parce qu'il me semble qu'il y a des moments où le respect ne suffit plus. On respecte des malades, on respecte des moribonds, il arrive qu'on respecte des morts.
    Mais ce qu'il faut désormais, ce n'est plus respecter, c'est défendre ou reconnaître. J'étais d'ailleurs prêt à me rallier à la formulation de votre amendement, monsieur Giacobbi.
    Nous avons besoin de fonder une politique positive et je crois que le sous-amendement qui évoque la défense de ces langues induira une décision politique de première importance, la signature par la France de la charte des langues régionales ou minoritaires.
    M. Jacques Myard. Au moins, on sait pourquoi on s'opposera !
    M. François Bayrou. Eh oui, pour une fois, nous ne serons pas d'accord, monsieur Myard. (Sourires.)
    M. Jacques Myard. Absolument !
    M. François Bayrou. C'est bien, c'est la démocratie. Mais la démocratie doit défendre également les langues qui risquent de disparaître, en favorisant en particulier l'enseignement et la pratique dans le secteur audiovisuel. Voilà pourquoi je voterai l'amendement de M. Le Fur, en souhaitant qu'il soit enrichi par la notion de « défense ».
    J'ajoute que le groupe UDF demandera, sur l'amendement n° 200 et le sous-amendement n° 40, un scrutin public.
    M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 98 et 200 et sur le sous-amendement n° 210 ?
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Personne ne peut méconnaître la montée en puissance du désir de beaucoup de nos compatriotes, soit de conserver, soit de voir se développer l'idiome local ou la langue d'origine. Je pense, monsieur Bayrou, au basque dont le peu que je sache, c'est qu'il s'agit d'une langue souche, c'est-à-dire de l'une des plus vieilles langues appartenant à l'humanité.
    M. René Dosière. Ne confondez par le béarnais et le basque ! (Sourires.)
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Mistral écrivait effectivement, monsieur Giacobbi, dans la langue d'oc et je ne méconnais pas, cher ami Marc Le Fur, le breton. Simplement, il y a mauvaise donne. Il ne s'agit pas de cela. Et je voudrais en convaincre l'Assemblée.
    Actuellement, la Constitution interdit-elle qu'une collectivité territoriale, que la collectivité nationale, l'Etat, fasse bénéficier par tous moyens - financiers, humains... - l'apprentissage et le développement de toutes les langues régionales ?
    M. François Bayrou. C'est en s'appuyant sur la Constitution que le Conseil d'Etat a tranché !
    M. le président. Monsieur Bayrou !
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Je vais y venir.
    L'article 2 de la Constitution, que nous connaissons tous, dispose que « la langue de la République est le français ». Ainsi donc, modifier aujourd'hui les choses nous contraindrait à modifier cet article 2.
    Cela dit, je considère qu'il y a maldonne. En effet, je me suis reporté à la charte européenne des langues régionales ou minoritaires, adoptée à Budapest en 1997.
    Elle fait un distinguo entre les langues régionales et les langues minoritaires, distingo dont la France ne peut faire l'économie. Elle énumère toute une série de mesures à prendre pour favoriser l'emploi des langues régionales ou minoritaires dans la vie publique. Ces mesures couvrent les domaines suivants : l'enseignement, la justice...
    M. Jacques Myard. C'est la fin de la République !
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. ... les autorités administratives et les services publics, les médias, les activités et équipements culturels...
    M. François Bayrou. Me permettez-vous de vous interrompre, monsieur Clément ?
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. ... la vie économique et sociale et les échanges transfrontaliers.
    M. François Bayrou. Puis-je vous interrompre, monsieur Clément ?
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Non, vous m'avez déjà coupé la parole une fois...
    M. François Bayrou. Je voudrais apporter une précision !
    M. le président. Monsieur Bayrou !
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. ... et cela m'a fait perdre le fil de ma pensée. Alors, soyez gentil de me laisser continuer.
    M. François Bayrou. Je souhaiterais apporter une précision à l'Assemblée, monsieur Clément !
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Je vous en prie monsieur Bayrou !
    M. le président. Monsieur Bayrou, c'est moi qui préside.
    Veuillez poursuivre, monsieur le président de la commission des lois.
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. On peut pas aller jusqu'au bout d'un raisonnement ni convaincre une assemblée si on est interrompu toutes les deux minutes, monsieur Bayrou !
    M. Jean-Pierre Balligand. Surtout que ce que vous dites n'est pas convaincant !
    M. Philippe Vuilque. C'est même laborieux !
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Voilà donc, disais-je, ce à quoi nous obligerait la charte si nous la ratifiions.
    Saisi, le Conseil constitutionnel a fait observer plusieurs choses.
    D'abord, les administrés appartenant à des communautés seraient en mesure d'exiger, par exemple, de s'adresser à un juge dans leur langue, qu'il s'agisse du basque, du breton ou de toutes les langues minoritaires françaises...
    M. François Bayrou. C'est excessif !
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Monsieur Bayrou, laissez-moi finir !
    M. François Bayrou. Ce que vous dites n'est pas vrai !
    M. Jacques Myard. Si, c'est vrai ! M. Clément a raison !
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Monsieur Bayrou, je ne vous donne pas mon avis, mais celui du juge constitutionnel. Que le mien ne vous intéresse pas, je l'admets, mais celui du juge constitutionnel devrait retenir votre attention dans le silence !
    Le juge constitutionnel considère donc que la ratification de la Charte présenterait un grand risque,...
    M. François Bayrou. Ce n'est pas vrai !
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. ... et que la reconnaissance de droits collectifs à un groupe particulier est contraire à l'unicité du peuple français.
    M. Jérôme Bignon. Très bien !
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Telles sont les données du débat juridique.
    Je ne dis pas que nous ne voulons pas permettre aux langues régionales de prendre leur essor. Cet essor est totalement possible, mais sa constitutionnalisation ferait courir un risque considérable.
    Permettez-moi de faire état de deux souvenirs personnels.
    Mon grand-père, qui était lieutenant en 1914, m'a dit qu'on l'avait nommé dans une section de sa région d'origine parce que ses hommes ne parlaient que le patois. Il fallait trouver des officiers qui puissent parler la langue des hommes qui étaient sous leurs ordres.
    Je me souviens aussi que, il y a vingt-cinq ans, lorsque j'étais jeune maire de ma commune, les anciens se réunissaient le dimanche au café, et nombre d'entre eux parlaient patois...
    M. Jacques Myard. Moi aussi j'ai parlé patois, quand j'étais jeune !
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Autrement dit, la langue française pour tout le monde en France est une chose très récente et ceux qui ne la maîtrisent pas subissent plutôt une inégalité.
    M. Pierre Lellouche. C'est vrai !
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Il n'y a qu'à voir combien peuvent souffrir certaines personnes en situation d'immigration ou d'origine française récente quand elles ne maîtrisent pas les nuances de notre langue.
    M. François Bayrou. Qu'il est triste de tenir de tels propos !
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Une constitutionnalisation en la matière constituerait une fantastique régression de l'unité française !
    En revanche, la loi française permet le développement des langues régionales ou minoritaires.
    Je rappelle que la loi française permet à de jeunes Turcs ou à de jeunes Maghrébins de suivre, pendant les heures d'enseignement de la République, payées par la République, des cours pour apprendre leur propre langue. Il est donc possible d'apprendre à l'école l'algérien, le marocain ou l'arabe classique.
    Il ne faut pas méconnaître l'existant. Mais constitutionnaliser, c'est-à-dire permettre que l'on puisse avoir une école où l'on ne parlerait que breton,...
    M. François Bayrou. Qu'est-ce que cela a à voir ?
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. ... et cela pendant tout le cursus scolaire, serait un immense malheur...
    M. René André. Et une régression !
    M. Pascal Clément. président de la commission des lois, rapporteur. ... pour les jeunes élèves, qui prendraient un retard considérable.
    Il y a quelques années, un pays ami de la France et francophone...
    M. Jean-Pierre Balligand. La Suisse ?
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. ... a eu un gouvernement qui a souhaité qu'on parle créole, et uniquement créole. Ce pays mesure aujourd'hui son erreur : combien de pays parlent créole en dehors de certains départements français ?
    M. Victorin Lurel. Plusieurs millions de gens le parlent rien que dans la région des Caraïbes !
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Ce pays subit une pénalisation formidable alors que ses citoyens avaient la chance d'être de langue française.
    Constitutionnaliser, c'est ici régresser !
    Certains élus d'outre-mer réclament à tout prix - j'ai été confronté au problème avec nos collègues de la Réunion - que l'on ne mette jamais en doute ni en cause leur nationalité française, donc leur langue.
    M. Victorin Lurel. Cette logique est dépassée !
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Revenir en arrière pour les départements de la métropole reviendrait à méconnaître la volonté de tous ceux qui ont eu le bonheur de devenir Français et de ne parler que français. Pensez à ces familles d'immigrés où il était interdit de parler sa langue d'origine pour mieux se franciser, mieux s'intégrer ! On tournerait le dos à cette histoire récente de la France.
    M. Victorin Lurel. Oh ! là ! là !
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Il n'y a pas de procès des langues régionales ou des langues minoritaires : la République a la volonté de les développer. Mais il y a une chose à laquelle on ne peut toucher : constitutionnellement, la langue de la République ne peut être que le français. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. Je suis saisi de nombreuses demandes d'intervention. Avant de donner la parole à nos collègues, j'invite M. le garde des sceaux à donner l'avis du Gouvernement.
    Vous avez la parole, monsieur le garde des sceaux.
    M. le garde des sceaux. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, je voudrais revenir sur l'essentiel : il importe de bien distinguer le débat culturel du débat constitutionnel.
    Ne mélangeons pas tout, cher François Bayrou !
    Comme l'a très bien dit le président de la commission des lois, personne ne fait ici le procès de la spécificité culturelle, de ces éléments de notre patrimoine national qui existent dans un certain nombre de régions et qui sont un enrichissement. La question n'est pas là : elle est d'ordre juridique. Le droit est parfois un peu austère, mais il faut bien en faire, surtout lorsque l'on modifie la Constitution.
    Après le président Clément, je reviendrai sur la décision du Conseil constitutionnel car je pense qu'elle peut éclairer notre débat et motiver le vote des uns et des autres.
    Lorsque le Conseil constitutionnel a estimé que la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires n'était pas conforme à la Constitution, il a pris en considération deux arguments qui méritent d'être examinés de manière très précise par votre assemblée.
    D'une part, il a estimé constitutionnellement impossible que soient reconnus « des droits collectifs à quelque groupe que ce soit, défini par une communauté d'origine, de culture, de langue ou de croyance ».
    Au cours de notre débat, nous avons bien souvent évoqué les thèmes de l'unité nationale et de l'absence de discrimination de quelque nature que ce soit. A cet égard, cet élément de la décision constitutionnelle me semble très important.
    D'autre part, le Conseil a considéré que l'obligation constitutionnelle qui impose l'usage de la langue française « aux personnes morales de droit public et aux personnes de droit privé dans l'exercice d'une mission de service public » interdit corrélativement aux particuliers « de se prévaloir, dans leurs relations avec les administrations et les services publics, d'un droit à l'usage d'une langue autre que le français, ni être contraints à un tel usage ».
    Le second argument me paraît fondamental.
    Les deux limites posées par cette jurisprudence nous conduisent à ne pas rouvrir le débat constitutionnel,...
    M. Jean-Pierre Balligand. Nous examinons pourtant un projet de loi constitutionnelle !
    M. le garde des sceaux. ... d'autant que, dans l'état actuel de notre Constitution, il est parfaitement possible de développer l'usage de ces langues sur le plan culturel, et d'en autoriser l'enseignement, même pendant les horaires scolaires, mais à condition que ce soit à titre facultatif, comme en a également décidé le Conseil constitutionnel.
    L'état actuel de notre droit est satisfaisant pour permettre la pérennité de nos langues régionales. Nous sommes nombreux ici à souhaiter un développement culturel diversifié dans notre pays, mais ne prenez pas le risque d'introduire un ferment de division dans la République ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le président. Sur les votes du sous-amendement n° 210 et de l'amendement n° 200, je suis saisi par le groupe UDF de demandes de scrutin public.
    Les scrutins sont annoncés dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
    Le débat va maintenant s'engager.
    Je demande à tous les orateurs d'être aussi brefs que possible.
    La parole est à M. Paul Giacobbi.
    M. Paul Giacobbi. Je suis un peu atterré.
    Que l'on me permettre de clarifier quelques points.
    D'abord, mon origine corse ne doit pas prêter à confusion. A travers la langue régionale, je ne recherche rien ni ne défends rien, bien au contraire, qui ressemblerait à un embryon de communautarisme, communautarisme que j'ai malheureusement eu l'occasion de connaître et de réprouver dans d'autres pays. Je me suis toujours battu pour la reconnaissance juridique d'un peuple distinct du peuple français au point que, tout à l'heure, même la composante territoriale me déplaisait.
    Sur le plan linguistique et juridique par contre, je suis très surpris de ce que je viens d'entendre.
    Si vous voulez bien m'écouter, monsieur le président Clément, je vous dirai que je peux comprendre vos arguments, mais qu'ils sont contraires à toute pédagogie. Vous nous avez dit que, pour défendre une langue ou pour l'acquérir, il faut en tuer une autre.
    M. Jacques Myard. Oh !
    M. le président. Monsieur Myard, je vous en prie !
    Monsieur Giacobbi, veuillez poursuivre !
    M. Paul Giacobbi. Vous avez bien affirmé que, pour acquérir une langue, il fallait nécessairement en tuer une autre. Or tous les pédagogues et tous les linguistes savent qu'il n'en est rien, et que c'est même le contraire qui est vrai !
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. C'est de la casuistique !
    M. Paul Giacobbi. Tout le monde n'est pas aussi doué que Georges Dumézil, qui assurait que l'on ne pouvait en apprendre que quatorze à la fois. (Sourires.) Il est vrai qu'il était un peu plus doué que la moyenne.
    Sachez qu'il existe beaucoup de pays où les gens pratiquent quotidiennement trois langues - la langue d'origine, la langue officielle et la langue véhiculaire. Il s'agit là d'une pratique linguistique universelle.
    M. Jean-Pierre Balligand. Mais nous sommes dans un pays d'ânes !
    M. Paul Giacobbi. Autrefois, quand Montaigne allait en Italie, il savait parler italien.
    Arrêtons donc de croire au monolinguisme, qui est un appauvrissement !
    Dans quelle République sommes-nous ? On m'oppose des arguments juridiques qui sont toujours les mêmes. Mais comment se fait-il que la République française, qui parle tant d'universalité, de diversité et de tolérance, n'arrive pas à admettre ce qu'admettent tous les autres pays européens,...
    M. Jean-Pierre Balligand. Sauf la Turquie !
    M. Paul Giacobbi. ... et même des pays qui, sur le plan de la démocratie et du progrès, sont généralement considérés comme beaucoup moins avancés que le nôtre ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle. - M. François Bayrou applaudit également.)
    On s'honorerait à revenir à des positions raisonnables.
    Mon amendement n'avait d'autre velléité que de lancer le débat, ce qui est entièrement réussi. Je me rallierai donc volontiers à l'amendement n° 200 modifié par le sous-amendement de M. Bayrou.
    M. le président. L'amendement n° 98 est donc retiré.
    La parole est à M. Jacques Myard.
    M. Jacques Myard. De quoi parlons-nous ? De la constitution de la République, c'est-à-dire d'un peuple qui est formé de multiples apports. Quand on gratte, on discerne notre patrie gauloise dans la toponymie, dans les patois locaux, dans les apports multiples et variés qui constituent la nation française.
    Cette République a une volonté, celle de vouloir vivre ensemble avec un instrument merveilleux qui a été façonné au cours des siècles, la langue française, laquelle est la langue de la République.
    Il est manifeste que, dans le patrimoine de la République, il y a beaucoup de choses, et notamment des langues régionales et des patois qui existent depuis des siècles, qui ont connu des fortunes diverses et qui méritent notre intérêt. C'est ce que prévoit la loi, comme cela a été rappelé par M. le ministre.
    Mais attention ! Aujourd'hui, un certain nombre d'individus veulent instrumentaliser ces langues régionales à des fins politiques...
    M. Jean-Pierre Balligand. Fantasme !
    M. Jacques Myard. ... et aller au-delà de ce que nos concitoyens et nos députés ici présents veulent faire. Ceux-ci sont de bonne foi et je reconnais qu'ils ont raison de se soucier du devenir de ces langues. Mais qu'ils prennent garde car ils peuvent eux-mêmes être instrumentalisés par la dynamique de ce que nous pouvons écrire dans la Constitution.
    Quand j'entends parler M. Bayrou et M. Le Fur de la charte européenne des langues régionales, je voudrais leur rappeler que celle-ci trouve son origine dans la Société des Nations et dans le problème des Balkans.
    On ne peut faire de parallèle entre nos langues régionales, qui ont un droit de cité que la loi leur a donné, et les principes constitutionnels.
    Je n'aurai de cesse de rappeler que la Société des nations a développé toutes ces théories pour protéger les Polonais contre les nazis et les Hongrois contre les Autrichiens. Ce n'est pas le sens de notre République. Si vous voulez que la France ratifie la charte, vous jouerez aux apprentis sorciers et vous vous en mordrez les doigts.
    M. le président. Merci, monsieur Myard...
    M. Jacques Myard. C'est la raison pour laquelle je pense qu'il y a un risque de dérive et que nous devons nous opposer à ce type de proposition tout en prenant en considération dans d'autres véhicules juridiques la richesse de la France ! (« Bravo ! » et applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le président. La parole est à M. René André.
    M. René André. Je voudrais également intervenir contre l'amendement défendu par nos collègues Le Fur et Bayrou. En effet, la présentation qui en a été faite par M. le garde des sceaux me paraît devoir être reprise car il faut bien faire la différence entre ce qui relève du culturel et ce qui relève du droit constitutionnel.
    Pour ce qui est du culturel, je pense que nous sommes tous ici attachés non pas au patois, mais à la langue de notre région. Si je devais me risquer à prononcer quelques mots de breton, je dirais :
    O Breiz ma bro,
    Bro goz ma zadou ! (Sourires.)
    A cet égard, il ne peut y avoir de difficulté.
    En revanche, en acceptant l'amendement de M. Le Fur, nous passerions du culturel au constitutionnel et, à ce moment-là tout serait possible.
    Je suis pour ma part très sensible au risque de communautarisation.
    Nous sommes en train de discuter d'un projet de loi de décentralisation qui recueille en son principe les suffrages de la majorité de nos collègues. Ce texte prévoit l'expérimentation et la subsidarité. Et nous affaiblirions un principe de la République en précisant à l'article 2 de notre Constitution que la langue française ne serait plus la seule langue de la République ? Il y a là un danger face auquel nous devons être très vigilants.
    Libre à tous les Françaises et à tous les Français d'apprendre le breton, le basque, le béarnais ou quelque langue régionale que ce soit. Mais notre enseignement de la langue française est-il à ce point performant que nous puissions affaiblir, en quelque sorte, les jeunes Français qui doivent au contraire se perfectionner dans leur propre langue et apprendre des langues étrangères ?
    En 1870, lorsque l'empereur Napoléon III est allé au camp de Conlie où était rassemblé le 175 e régiment d'infanterie essentiellement composé de fantassins bretons, ceux-ci disaient : « Ar ger ! Ar ger ! » Et l'empereur a répondu : « Quels braves hommes, ils veulent aller à la guerre ! » En réalité, ils voulaient rentrer à la maison. (Rires.) Voilà les risques que nous prenons si nous allons vers une sorte de communautarisation et vers l'abandon de la langue française.
    M. le président. La parole est à M. René Dosière.
    M. René Dosière. Je me permets de rappeler à l'Assemblée que nous sommes dans une procédure de révision constitutionnelle !
    M. le garde des sceaux. C'est important de le rappeler, en effet !
    M. René Dosière. Si cette procédure a été engagée, c'est donc bien pour changer la Constitution dans certains domaines. On nous a, par ailleurs, expliqué que le fait d'introduire, à l'article 1er, la phrase « Son organisation est décentralisée » avait une signification politique très forte - j'ai retenu ce que nous a dit M. Devedjian - et que cela allait aussi contribuer à faire changer la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Le Premier ministre nous a dit que ce texte était un texte de libération des énergies. Je voudrais simplement faire trois remarques expliquant pourquoi nous soutenons l'amendement n° 200 et le sous-amendement.
    Première observation, le Gouvernement argue de la diversité des régions françaises pour renforcer la décentralisation. On veut combattre l'uniformité, tout en respectant l'unité de la République, d'ailleurs. Dès lors, pourquoi cette diversité ne s'exprimerait-elle pas au niveau des langues régionales, dans le respect de la langue française qu'il ne s'agit pas de mettre en cause ?
    Deuxième observation, comme le précise l'amendement, la langue régionale est un élément fondamental du patrimoine. Je le dis d'autant plus volontiers que j'appartiens à une région où il n'y en a pratiquement pas,...
    M. Jean-Pierre Balligand. Sauf chez nous !
    M. René Dosière. ... mais j'étais récemment pour des raisons personnelles - les obsèques de la mère de l'un de mes amis - dans la circonscription de Jean Lassalle dans le Béarn, et non pas dans le pays basque, monsieur le rapporteur, dans la vallée d'Aspe, et j'ai été très surpris d'entendre la communauté religieuse parler à la fois le français et le béarnais.
    M. Jean-Pierre Balligand. Plus le latin !
    M. René Dosière. Cela donne une impression extraordinaire ! On voit d'ailleurs à quel point une langue complète l'autre.
    Il n'y a aucune opposition entre les deux.
    Troisième observation, je rappelle que nous avons décidé, dans le texte sur la Corse, que la langue corse serait mise en valeur. Cela avait d'ailleurs fait beaucoup de bruit dans cet hémicycle, mais le Conseil constitutionnel a validé cette disposition, bien qu'il n'y ait pas encore eu de réforme constitutionnelle. Et je note que l'actuel ministre de l'intérieur ne cesse de dire, lors de ses voyages en Corse, qu'il faut pratiquer la langue corse, en développer l'usage. Il va même au-delà du texte puisqu'il va jusqu'à dire que son enseignement est obligatoire, alors que ce n'est pas le cas. Autrement dit, je ne vois pas pourquoi on ne ferait pas pour les autres langues régionales ce que le gouvernement actuel encourage pour le corse !
    M. le président. Il faut conclure, monsieur Dosière !
    M. René Dosière. Nous voterons d'autant plus facilement cet amendement qu'il ne remet aucunement en cause la langue française ! J'ai cru, à un moment donné, que le rapporteur se trompait de débat. Notre débat porte sur la décentralisation, sur les langues régionales, pas sur l'immigration.
    M. le président. La parole est à M. Marc Le Fur.
    M. Marc Le Fur. Je souscris bien entendu au sous-amendement de François Bayrou, puisqu'il renforce l'amendement. Comme souvent dans cette assemblée, certains savent de quoi ils parlent cependant que d'autres charrient des lieux communs.
    M. François Bayrou et M. Jean Lassalle. Bravo !
    M. Marc Le Fur. Et je ne parle pas de la folklorisation du débat à laquelle se sont livrés certains de nos collègues. C'est déplacé ! Je voudrais répondre aux préoccupations qui ont été exprimées.
    M. le ministre a évoqué la charte européenne des langues régionales et minoritaires, mais la validation de cette charte peut être à géométrie très variable selon les pays.
    M. François Bayrou et M. Jean Lassalle. Très juste !
    M. Marc Le Fur. Il n'a jamais été question de valider les points que vous évoquiez, monsieur le ministre, concernant le droit privé ou le droit public !
    M. Jean Lassalle. Très bien !
    Marc Le Fur. L'idée, c'était de valider trente-neuf articles - il en faut au minimum trente-cinq -, mais il y a soixante-dix articles dans la charte, c'est dire la latitude que nous avons !
    M. François Bayrou. Ça, c'est l'exactitude historique !
    M. Marc Le Fur. Par ailleurs, Jacques Myard a parlé de récupération, mais c'est précisément pour éviter que le mouvement culturel ne soit récupéré par certaines personnes que j'ai déposé cet amendement ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. François Bayrou et M. Jean Lassalle. Bravo !
    M. Marc Le Fur. C'est nous qui avons une attitude républicaine et responsable !
    Certains ont évoqué l'obligation d'enseignement des langues régionales. Il n'en est évidemment pas question. Il s'agit simplement de donner la faculté de les apprendre.
    Enfin, le président Clément, qui sait en quelle estime je le tiens, a évoqué ces jeunes qui seraient particulièrement désorientés parce qu'ils seraient confrontés à deux langues. Mais qu'il se reporte aux statistiques ! Dans ma région, l'enseignement de la langue bretonne est dispensé par l'école publique, par l'école privée et par le réseau associatif dit Diwan. Or, il se trouve que les enfants qui ont choisi d'apprendre le breton ont de meilleurs résultats scolaires que les autres dans l'ensemble des disciplines.
    M. François Bayrou et M. Jean Lassalle. Très bien ! Bravo !
    M. Marc Le Fur. Donc, l'argument de M. Clément tombe. Il n'est pas pertinent. Apprendre une langue régionale n'est pas un handicap, c'est une chance en plus qui leur est offerte.
    M. André Chassaigne. Très bien !
    M. Jean-Pierre Balligand. Il faut appeler Jack Lang tout de suite !
    M. Marc Le Fur. Tels sont les quelques éléments de réponse que je voulais apporter. Sortons de la caricature ! Nous sommes là sur un vrai sujet et notre assemblée s'honorerait à faire preuve de tolérence. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle, du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. François Bayrou et M. Jean Lassalle. Très bien !
    M. le président. De nombreux intervenants se sont déjà exprimés. Je vais maintenant donner la parole à Mme Vernaudon, à laquelle je demande de faire preuve de concision, car le débat ne peut durer indéfiniment !
    M. Jacques Brunhes. Monsieur le président !
    M. le président. Monsieur Brunhes, je vous donnerai la parole tout à l'heure ! Comment pourrais-je vous oublier !
    La parole est à Mme Béatrice Vernaudon.
    Mme Béatrice Vernaudon. Je voterai bien entendu l'amendement de M. Le Fur dont je suis cosignataire. La Polynésie française, vous le savez, est un territoire d'outre-mer et sera bientôt une collectivité d'outre-mer. Elle est dotée d'un large statut d'autonomie. En 1984, dans la loi organique, la langue tahitienne était reconnue comme langue officielle. En 1994, nos compétences ont été élargies, mais le tahitien a perdu son statut de langue officielle parce que l'on avait inscrit dans la Constitution, en 1992, la phase selon laquelle la langue de la République était le français, ce qui sous-entendait le français uniquement. Nous, Polynésiens, avons vécu cela comme un recul de la reconnaissance de notre identité. Cette langue tahitienne, nous la parlons aussi souvent que le français. D'ailleurs, tous les soirs, nous avons un journal télévisé en français et un autre en tahitien.
    M. Jean-Paul Charié. C'est très bien ! Cela prouve que cela fonctionne !
    Mme Béatrice Vernaudon. De plus, les programmes en tahitien représentent le tiers des émissions de RFO et de la télévision tahitienne. Adopter cet amendement permettrait de rétablir un droit auxquels nous sommes attachés.
    M. le président. Les trois derniers intervenants sont M. Lurel, M. Brunhes et M. Bayrou.
    M. Jean Lassalle. Je souhaite également intervenir, monsieur le président !
    M. le président. Non, monsieur Lassalle, à moins que vous le fassiez à la place de M. Bayrou !
    La parole est à M. Victorin Lurel.
    M. Jean-Pierre Balligand. Voilà quelqu'un qui parle créole et français !
    M. Victorin Lurel. Un peu l'anglais aussi !
    Monsieur le ministre, monsieur le président Clément, vous n'avez pas la chance d'appartenir à une société multiculturelle, mais je peux vous assurer que le bilinguisme est une richesse ! J'ai été élevé en créole et je suis élu de Saint-Martin. Les petits Saint-Martinois maîtrisent le français, l'anglais, le créole, le papiamento, qui est la langue de Curaçao, et l'espagnol. Et je peux vous assurer que le créole n'est pas un patois, du petit nègre, du broken english. Ils parlent leur langue et ils sont contents d'être français ! En 1870, quand les Alsaciens voulaient être Français, ils le demandaient en allemand. Il ne suffit pas de vivre sur le territoire de la France, il faut vouloir être Français. C'est du Ernest Renan, du Fustel de Coulanges ! La patrie, c'est ce que l'on aime. Il y a eu un débat avec Mommsen, historien allemand qui se réclamait d'une conception ethnique de la nation, mais c'est la conception française, élective, qui a prévalu ! Je ne comprends pas que cette question puisse faire débat ici. J'ai été terrifié par les propos que le président Clément vient de tenir. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe Union pour la démocratie française.) Cela ne peut que nous faire reculer. Pour ma part, je soutiendrai un tel amendement, d'où qu'il vienne, parce que vous désespérez des millions de Français qui ont des cultures différentes, mais qui se sentent Français de plein exercice. (Mêmes mouvements.)
    M. le président. La parole est à M. Jacques Brunhes.
    M. Jacques Brunhes. Monsieur le président de la commission des lois, il faut parler de ce qui est réel ! La France n'a signé que quelques articles, pas tous, de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires. De plus, celle-ci n'a pas été ratifiée, puisque le Conseil constitutionnel est intervenu. N'agitons donc pas cette charte européenne comme un chiffon rouge, si je puis dire ! (Sourires.)
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Vous êtes un spécialiste en la matière !
    M. Jacques Brunhes. Laissons-là de côté !
    En revanche, une question de fond qui se pose. Si nous avons voulu préciser, en 1992, que la langue de la République était le français, c'est qu'il y avait un risque majeur lié à l'invasion de l'anglo-saxon. Or, le fait d'avoir voté cette disposition n'a rien empêché. Combien de modes d'emploi sont aujourd'hui écrits uniquement en anglais ! Tout cela est dangereux. Néanmoins, nous avons réaffirmé un principe majeur. Aujourd'hui, quel risque y a-t-il à ajouter que la République reconnaît et respecte les langues régionales et veille à leur développement ? Il n'y a là aucun danger !
    M. André Chassaigne. Bravo !
    M. Jacques Brunhes. Nous avons déposé plusieurs propositions de loi pour la défense des langues régionales. La dernière était celle de Guy Hermier, que certains d'entre vous ont connu. Nous pouvons sans risque introduire cette idée dans la Constitution.
    M. le président. Monsieur le président de la commission des lois, je crois que vous voulez dire un mot, mais ne relançons pas le débat !
    M. Didier Migaud. Il faudra bien que nous lui répondions !
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Je voulais simplement éclairer ce qu'ont dit Marc Le Fur et Jacques Brunhes. D'abord, seulement douze pays sur quarante-quatre ont ratifié la charte. C'est dire qu'elle a posé des problèmes ailleurs qu'en France ! Ensuite, M. Le Fur a dit que l'on pouvait faire son marché dans la charte. Certes, mais sur les soixante-dix articles, il faut obligatoirement en signer trente-cinq et accepter un noyau dur. C'est ce dernier qui a motivé l'intervention du Conseil constitutionnel, celui-ci ayant souligné les risques de communautarisme et d'inégalité entre les Français.
    M. le président. La parole est à M. François Bayrou.
    M. François Bayrou. Nous sommes plusieurs à avoir été attristés par l'argumentation développée par le président Clément et le garde des sceaux, car, pour un grand nombre de Français, il s'agit d'une question d'identité, d'un sujet de fierté qui concerne leur vie de tous les jours. Je sais bien que lorsqu'on n'évolue pas dans une communauté où ces langues sont parlées et lorsqu'on ne les pratique pas on a l'impression qu'il s'agit de survivances. Or, elles sont au contraire au coeur de notre identité, puisqu'elles témoignent de notre appartenance à une communauté.
    Je voudrais apporter trois spécifications aux propos tenus. Tout d'abord, la charte, ce n'est pas un bloc, monsieur Clément, c'est un menu à la carte dans lequel on doit prendre une sur deux des mesures proposées. Choisissons ! Ouvrons un débat sur ce point !
    Quant à l'argument selon lequel on ne pourrait modifier la rédaction de la Constitution, sous prétexte que, selon le Conseil constitutionnel, c'est cette même rédaction qui empêche la ratification de la charte, permettez-moi, monsieur le garde des sceaux, de le trouver curieux ! En effet, c'est bien pour modifier la Constitution que nous sommes réunis à votre invitation.
    Monsieur le président Clément, ce ne sont pas des idiomes, des patois : ce sont des langues !
    MM. René Dosière, Jean Lassalle et Victorin Lurel. Très bien !
    M. François Bayrou. Je suis désolé de vous le dire, les textes juridiques de notre région du Béarn étaient écrits en béarnais six siècles avant que le français ne devienne une langue juridique et ils sont aujourd'hui lisibles à livre ouvert, alors que bien peu d'entre nous savent lire le français d'il y a quatre ou cinq siècles...
    En outre, cela n'est pas parce que l'on pratique une de ces langues que l'on parle moins bien le français. Cela n'est pas parce que l'on pratique le béarnais, le basque, le breton, le créole ou la langue tahitienne que vous évoquiez, madame Vernaudon, que l'on écrit moins bien ou que l'on comprend moins bien le français. Nous croyons, au contraire, que cela nous permet de mieux le comprendre et de mieux le parler !
    M. Jean-Luc Warsmann. Cela n'a rien à voir ! C'est hors sujet et démagogique !
    M. François Bayrou. C'est une rectification d'ordre pédagogique et culturel qui méritait d'être faite !
    Enfin, je reprendrai la formule de Mme Vernaudon : messieurs les présidents, messieurs les ministres, ce n'est pas de la bienveillance que nous vous demandons, c'est un droit que nous défendons. Nous sommes citoyens français autant que vous l'êtes et nous avons le droit de pratiquer les langues qui nous ont faits ce que nous sommes. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe Union pour la démocratie française, du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
    M. le garde des sceaux. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, je voudrais revenir sur plusieurs points qui me paraissent devoir être clarifiés.
    Un point de droit, d'abord, parce que je suis garde des sceaux. En droit, excusez-moi de vous le dire, monsieur le président Bayrou, je ne sais pas ce qu'est une langue régionale. Excusez-moi de vous le dire, monsieur le président Bayrou. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.) Je ne sais pas ce qu'il en est pour le béarnais, le basque, le breton, l'arabe dialectal ou l'arabe littéraire, etc.
    M. François Bayrou. L'arabe n'est pas une langue régionale !
    M. le garde des sceaux. Il n'y a pas de définition juridique, monsieur Bayrou. Je vous ai largement laissé parler et je ne sais pas pourquoi vous vous énervez.
    M. Jean-Pierre Balligand. Parce que l'arabe n'est pas une langue régionale !
    M. le garde des sceaux. Qu'est-ce que vous en savez ? Où est la définition de la langue régionale ? Elle n'existe pas, monsieur Balligand.
    M. François Bayrou. Cet argument n'est pas recevable !
    M. le garde des sceaux. Est-il possible de parler de droit au moment où nous réformons la Constitution ?
    M. François Bayrou. Ce que vous venez de faire, monsieur le garde des sceaux, ce n'est pas du droit, c'est de l'insinuation !
    M. le garde des sceaux. Monsieur le président, je revendique la parole.
    M. le président. Vous l'avez, monsieur le ministre : ne vous laissez pas interrompre.
    M. le garde des sceaux. Deuxièmement, pourquoi ai-je évoqué tout à l'heure les motivations du Conseil constitutionnel dans l'affaire de la charte européenne ? Non pas pour dire une sottise qui consisterait à vous demander de ne pas réformer la Constitution au motif qu'elle a donné lieu à une jurisprudence X ou Y. J'ai simplement voulu vous montrer quelles barrières disparaîtraient si vous adoptiez l'amendement. Les motifs que peut invoquer aujourd'hui le Conseil en s'appuyant sur la rédaction actuelle de la Constitution sont précisément ceux qu'il ne pourrait plus invoquer demain si la Constitution était modifiée comme vous le souhaitez.
    M. Jérôme Bignon. Très bien !
    M. le garde des sceaux. Que les choses soient claires : j'avais bien compris, mesdames, messieurs les députés, que vous étiez réunis pour modifier la Constitution et c'est pourquoi je souhaitais expliciter cette jurisprudence.
    Enfin, après avoir entendu les différentes interventions, y compris la vôtre, monsieur le président Bayrou, je regrette que nous mélangions deux sujets.
    D'abord, je ne crois pas qu'il soit nécessaire d'opposer celles et ceux d'entre nous qui représentent des régions biculturelles aux autres élus.
    M. Jérôme Bignon. Très bien !
    M. le garde des sceaux. Cette façon de se montrer du doigt ne me paraît pas conforme à la tradition de la République. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Par ailleurs, j'ai expliqué tout à l'heure, à propos de l'enseignement de la langue corse, que le texte constitutionnel actuel permet parfaitement de proposer, y compris pendant les horaires scolaires obligatoires, un enseignement facultatif de toute langue régionale. Cela me paraît pleinement satisfaisant.
    Quant à la vie culturelle, quant à la créativité littéraire, artistique et cinématographique,...
    M. Jacques Myard. Elle est libre !
    M. Jérôme Bignon. Et même encouragée !
    M. le garde des sceaux. ... elle est libre, en effet, dans ce pays. Aucun texte de loi que je serais chargé de faire respecter ne l'empêche. Il ne s'agit donc pas de cela.
    Voilà les quelques éléments que je voulais verser au débat. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le président. Mes chers collègues, je vous prie de bien vouloir regagner vos places.
    Je rappelle que le vote est personnel et que chacun ne doit exprimer son vote que pour lui-même et, le cas échéant, pour son délégant, les boitiers ayant été couplés à cet effet.
    Je mets aux voix le sous-amendement n° 210.
    Le scrutin est ouvert.
    M. le président. Le scrutin est clos.
    Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants   97
Nombre de suffrages exprimés   93
Majorité absolue   47
Pour l'adoption   39
Contre   54

    L'Assemblée nationale n'a pas adopté.
    Je mets aux voix l'amendement n° 200.
    Le scrutin est ouvert.
    M. le président. Le scrutin est clos.
    Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants   89
Nombre de suffrages exprimés   89
Majorité absolue   45
Pour l'adoption   39
Contre   50

    L'Assemblée nationale n'a pas adopté.

Suspension et reprise de la séance

    M. le président. La séance est suspendue.
    (La séance, suspendue à dix-huit heures quarante-cinq, est reprise dix-huit heures cinquante-cinq.)
    M. le président. La séance est reprise.
    Mme Comparini, M. Albertini et les membres du groupe Union pour la démocratie française et apparentés ont présenté un amendement, n° 127, ainsi libellé :
    « Après le troisième alinéa de l'article 3 de la Constitution, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
    « Les modes de scrutin assurent la représentation des hommes et des territoires. Dans le respect du pluralisme des opinions, ils favorisent la constitution de majorités dans les assemblées parlementaires locales. »
    La parole est à M. Charles de Courson.
    M. Charles de Courson. Cet amendement a pour but d'affirmer le principe selon lequel les modes de scrutin, quelles qu'en soient les modalités législatives, doivent assurer à la fois la représentation des opinions et des territoires et favoriser la constitution de majorités, condition d'un exercice clair de la responsabilité.
    Il vise aussi à éviter les tentations récurrentes de changement des lois électorales, à l'approche des échéances politiques. Bien des majorités ont eu la tentation de changer le mode de scrutin, espérant en tirer profit. Heureusement, l'histoire est parfois facétieuse et on a vu des modifications qui ont favorisé la victoire du camp adverse.
    Cette disposition vise à éclairer le législateur et à encadrer sa décision, en l'invitant à opter pour des modes de scrutin autorisant une représentation équilibrée.
    M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. La proposition de Mme Comparini mérite le respect, mais il s'agit d'une déclaration d'intention. Son amendement n'a donc pas de valeur juridique et encore moins constitutionnelle.
    J'étais le rapporteur du projet de loi qui a rétabli le mode de scrutin majoritaire et je dois dire que nous nous étions demandé, à l'époque, avec M. Messmer, président du groupe RPR, s'il fallait constitutionnaliser le scrutin majoritaire à deux tours. Du reste, le général de Gaulle, en 1958, s'était posé lui-même la question.
    S'il s'agissait de cela, ce serait possible. Mais nous ne saurions constitutionnaliser des voeux pieux. Or, l'amendement de Mme Comparini, malgré tout le respect que je lui dois, ressemble à un voeu pieux. C'est un peu comme si l'on écrivait que la démocratie, c'est l'expression du peuple dans des conditions qui permettent de respecter sa volonté. Tout cela est déjà dit, n'est-ce-pas ? Je ne peux donc pas émettre un avis favorable.
    M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Le Gouvernement n'est évidemment pas favorable à cet amendement.
    Très curieusement, alors qu'il s'agit d'un amendement de Mme Comparini, il y est écrit : « Les modes de scrutin assurent la représentation des hommes... »
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. L'homme embrasse la femme ! (Sourires.)
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Je sais bien, mais nous avons pris l'habitude depuis la loi sur la parité d'une plus grande précision terminologique. Cela dit, monsieur de Courson, c'était juste une remarque pour le plaisir, car j'ai bien conscience que l'idée était induite.
    Fondamendalement, c'est le choix de constitutionnaliser les modes de scrutin qui est discutable. Ce débat a eu lieu en 1958. Michel Debré, à l'époque, proposait de constitutionnaliser le scrutin majoritaire, mais le général de Gaulle s'y est finalement opposé. Et si l'on observe ce qui s'est passé ces vingt ou trente dernières années avec les majorités successives, on constate que les modes de scrutin ont souvent changé, ce qui peut d'ailleurs se comprendre parce que la démocratie peut être vécue de manière très différente.
    L'amendement de Mme Comparini n'a rien de choquant puisqu'il reprend les trois critères qui permettent de juger la qualité d'un mode de scrutin : l'aptitude à dégager une majorité stable, la capacité d'assurer la représentation des minorités politiques et la faculté d'établir un lien étroit entre les élus et les citoyens dans les territoires. Tout cela est très raisonnable. Seulement, il nous semble que la place d'une telle disposition n'est pas dans la Constitution, car elle manque de souplesse et elle bloquerait l'avenir.
    Je vous demande donc, monsieur de Courson, de bien vouloir retirer cet amendement qui avait, d'ailleurs, peut-être pour seul objet d'ouvrir le débat. Ce serait une bonne manière. A défaut, je serais navré de devoir en demander le rejet.
    M. le président. La parole est à M. Charles de Courson.
    M. Charles de Courson. L'amendement de Mme Comparini propose une formule intermédiaire entre la position qu'a fini par avoir le général de Gaulle et celle de Michel Debré puisque la Constitution définit, non pas les modes de scrutin, mais les trois critères auxquels ils doivent répondre.
    Actuellement, quels modes de scrutin remplissent les trois conditions ? Le scrutin municipal et le scrutin régional nouvelle formule. Reste le problème des scrutins départementaux et des scrutins européens. Ces derniers, en effet, répondent au critère non pas de territoire, d'où le débat actuel, mais de représentation. En outre, on élit le Parlement européen avec des modes de scrutin différents selon les pays. Adopter cet amendement, monsieur le ministre, impliquerait donc la modification d'au moins l'un des modes de scrutin, ce qui ne serait pas une mauvaise chose, d'ailleurs.
    J'en viens enfin au scrutin législatif. Celui-ci assure, certes, la représentation des hommes et du territoire mais permet-il de dégager une majorité ? Pas forcément, puisqu'il n'y a aucune prime au gagnant. Ce fut néanmoins le cas à quelques exceptions près. En tout cas, ce mode de scrutin a pour inconvénient de ne pas représenter une partie des minorités. Or il ne serait pas choquant que ces dernières puissent disposer de quelques dizaines de sièges. Dans une démocratie, il importe en effet d'assurer la représentation des minorités, à condition toutefois qu'elles n'empêchent pas la constitution de majorité, comme c'est le cas actuellement à l'issue des scrutins régionaux.
    Cet amendement aurait donc une portée non négligeable sur deux des modes de scrutin actuels. Dans la mesure où Mme Camparini, qui ne pouvait être parmi nous cet après-midi, ne m'a pas donner mandat pour retirer son amendement, je le maintiens, monsieur le président.
    M. le président. La parole est à M. André Chassaigne.
    M. André Chassaigne. Cet amendement a le mérite de poser un vrai problème, celui des modes de scrutin. Je comprends d'ailleurs très bien le souci des députés du groupe UDF de parler du pluralisme des opinions dans un nouvel alinéa de la Constitution. Ils rejettent, tout comme nous et une majorité de Français, une bipolarisation de la vie politique gommant les spécificités de notre histoire qui fait qu'en France la gauche, tout comme la droite, ne sont pas monolithiques. Il est important que les Françaises et les Français puissent choisir par exemple entre une gauche révolutionnaire et une gauche réformiste, entre une droite libérale souverainiste et une droite d'inspiration démocrate-chrétienne.
    Mes chers collègues, au-delà de la pétition d'intention contenue dans cet amendement, ne faut-il pas aller plus loin et proposer, pour toutes les élections, le système proportionnel qui est le seul moyen de garantir une réelle pluralité politique dans toutes les assemblées élues ?
    M. Jacques Myard. De foutre la pagaille surtout !
    M. André Chassaigne. Tel ne semble pas être le chemin choisi par le parti dominant de l'actuelle majorité ni d'ailleurs par le parti dominant de l'actuelle opposition.
    M. Frédéric de Saint-Sernin. C'est toute la confusion que crée cet amendement !
    M. André Chassaigne. Si, désormais, l'UDF se déclare officiellement en faveur de l'instauration d'une dose de proportionnelle, j'aurai tendance, chers collègues députés UDF, à vous encourager et je voterai quant à moi votre amendement, considérant que c'est là un premier pas.
    M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 127.
    (L'amendement n'est pas adopté.)
    M. le président M. Joyandet et M. Martin-Lalande ont présenté un amendement, n° 115, ainsi libellé :
    « Après l'article 1er, insérer l'article suivant :
    « L'article 3 de la Constitution est complété par un alinéa ainsi rédigé :
    « La loi fixe les conditions dans lesquelles l'Etat garanti l'égal accès des citoyens dans l'ensemble du territoire aux nouvelles technologies d'information et de communication. »
    La parole est à M. Alain Joyandet.
    M. Alain Joyandet. Cet amendement relatif à un phénomène de société important tend à freiner le retard que prend la France pour entrer dans la société de l'information. C'est un enjeu national, d'intérêt général. Or, il existe aujourd'hui des inégalités criantes, et nos collectivités publiques ne disposent pas en droit des voies et moyens pour lutter contre cette fracture numérique. Un certain nombre de nos concitoyens ne peuvent bénéficier d'un égal accès au savoir, à la culture, au dévelopement personnel. Nous proposons en conséquence de prévoir dans la Constitution que la loi garantit l'égal accès des citoyens dans l'ensemble du territoire aux nouvelles technologies d'information et de communication. Je souhaiterais tout particulièrement entendre l'avis du Gouvernement sur cet amendement d'appel.
    M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Vous entendrez d'abord l'avis de la commission, monsieur Joyandet. Mais n'ayez crainte, le Gouvernement vous donnera également le sien !
    Je conçois que vous soyez attaché à garantir l'égalité d'accès des Français aux moyens de communication d'autant que depuis quelques années il en est apparu de nouveaux. Vous faites allusion dans votre amendement aux NTIC mais, plus simplement, chacun sait bien que les téléphones mobiles ne passent pas partout sur le territoire. Demain, sans doute, d'autres moyens de communication seront aussi inégalitairement répartis sur le territoire national et on ne peut que le regretter.
    Dans ces conditions, nous devons tous agir - et d'abord l'Etat et quelques collectivités territoriales - pour assurer l'égalité des Français devant les nouveaux moyens technologiques. C'est une préoccupation que nous partageons tous. Mais s'il faut faire figurer cette disposition dans la Constitution, alors là c'est le marché du samedi matin : une botte de poireaux, quelques radis et pourquoi pas des carottes ? (Sourires.)
    M. André Chassaigne. Un peu de service public aussi !
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Non, cela ne relève pas de la Constitution. Si vous avez voulu appeler l'attention du Gouvernement sur cette illégalité, qui est bien réelle, vous avez 100 fois raison. Peut-être que dans un texte législatif, demain, vous pourrez présenter des propositions pour améliorer la situation - encore qu'à titre personnel, j'aurai sûrement la même position. Mais envisager de le faire aujourd'hui dans la Constitution me paraît absolument impossible.
    M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Monsieur Joyandet, ainsi que M. Clément vous l'a dit, votre souci est tout à fait légitime. Cependant, les technologies évoluent très vite et le cadre législatif a souvent du mal à s'adapter à ces évolutions. Or le cadre constitutionnel est beaucoup plus rigide encore. Dans ces conditions, votre appel ayant été lancé, je vous serais reconnaissant de retirer cet amendement. A défaut, hélas ! je demanderai son rejet.
    M. le président. La parole est à M. Alain Joyandet.
    M. Alain Joyandet. Je m'attendais à un tel avis et je prends en compte l'explication juridique que vient de donner M. le ministre. Toutefois, je voudrais dire au président de la commission qu'il s'agit de préparer l'avenir et qu'un sujet d'une telle importance mérite au moins la comparaison avec le plat de résistance. Cela dit, comme nous approchons de l'heure du dîner, je retire volontiers cet amendement. (Sourires.)
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Bravo pour votre sens de l'humour !
    M. le président. L'amendement n° 115 est donc retiré.
    M. Myard a présenté un amendement, n° 48, ainsi libellé :
    « Après l'article 1er, insérer l'article suivant :
    « L'article 11 de la Constitution est complété par un alinéa ainsi rédigé :
    « Une loi organique fixe les conditions d'organisation d'un référendum d'initiative populaire dans le champ d'application du présent article. »
    La parole est à M. Jacques Myard.
    M. Jacques Myard. Monsieur le ministre, mes chers collègues, le présent texte vise notamment à faire participer les citoyens à la vie locale et, par ce biais, à la vie politique de notre pays. Or cet objectif sera plus certainement atteint si nous prévoyons à l'article 11 de notre Constitution, la possibilité d'organiser des référendums d'initiative populaire, à charge pour la loi organique d'en préciser les modalités. Je vous rappelle que, lorsqu'il a institué le référendum, le général de Gaulle souhaitait que nos concitoyens deviennent des députés d'un jour et puissent s'exprimer sur les grands sujets de la vie nationale.
    Le champ d'application de l'article 11 a déjà été élargi une fois. Mais il faut aujourd'hui croiser deux types de procédure. S'il appartient au Président de la République, sur proposition du Gouvernement, de soumettre tel ou tel projet relatif à l'organisation de la nation à référendum, il faut aussi savoir aller au-delà car, si l'autorité vient d'en haut, c'est du bas que vient la confiance. Le peuple peut également faire des propositions, à condition, bien évidemment, que l'exercice de ce droit soit strictement encadré par une loi organique afin d'éviter, par exemple, les votes régionalistes ou communautaristes. En toute hypothèse, il serait utile de faire entrer dans le champ d'application de l'article 11 le référendum d'initiative populaire pour que le peuple puisse s'exprimer sur les grands sujets du destin national.
    M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Il me semble qu'une autre question est sous-jacente à celle que pose M. Myard.
    M. Jacques Myard. Et vous savez qu'avec moi, il peut y en avoir beaucoup ! (Sourires.)
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. C'est par celle-là que je commencerai. Les limites du droit référendaire ont en effet été étendues en 1993, chacun s'en souvient, quelle que soit la place qu'il occupait dans cet hémicycle. A cette occasion, le champ d'application du référendum qui, auparavant se limitait aux lois portant sur l'organisation des pouvoirs publics, a été élargi aux réformes relatives à la politique économique ou sociale...
    M. Jacques Myard. Les retraites !
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. ... et aux services publics qui y concourent. Certains souhaitaient, et j'en étais, élargir le champ d'intervention des référendums. A l'époque, le gouvernement s'y était refusé, sans doute pour éviter les référendums touchant aux moeurs - par exemple la peine de mort. Dans la mesure donc où une réforme a été possible il y a quelques années, peut-être que, compte tenu de la maturité du peuple, on pourrait aujourd'hui envisager de l'étendre. C'est également mon souhait, mais cela relève d'un autre débat. Voilà pour la question sous-jacente.
    Sur le point plus précis relatif à l'initiative populaire. Non, telle n'était pas la volonté du général de Gaulle en 1958, ni d'ailleurs de personne après, sans doute pour des raisons pratiques de définition des critères de représentativité. Cela me rappelle le droit de pétition qui du reste relève de la compétence de la commission des lois de l'Assemblée nationale.
    M. Jacques Myard. On y viendra plus tard !
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Il n'est pas inscrit dans la Constitution mais existe depuis la période révolutionnaire et un administrateur-adjoint à la commission est même chargé de recueillir les pétitions, qui ne manquent pas d'arriver. Cela étant, je n'ai pas encore bien compris - pardonnez ma jeunesse dans cette responsabilité (Sourires) - ce qu'on en faisait ensuite. Pas grand-chose, à mon avis.
    M. Jacques Myard. Normalement, nous pourrions en débattre.
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Certes, mais depuis les longues années que je siège ici, je n'ai encore jamais constater le moindre effet pratique du droit de pétition. Peut-être faudrait-il faire en sorte que ce droit débouche sur quelque chose, ce qui n'est pas le cas. Cela rejoint un peu votre préoccupation, monsieur Myard.
    J'émets en tout cas un avis défavorable sur votre amendement. D'une part, le référendum d'initiative populaire me paraît sur un plan pratique extrêmement difficile à réaliser. D'autre part, ce n'est pas le débat.
    M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Avis défavorable pour deux raisons, monsieur Myard. En premier lieu, cet amendement, dont je ne méconnais pas l'intérêt, ne relève vraiment pas du champ de la réforme constitutionnelle puisque nous traitons là de la décentralisation.
    En second lieu, le champ référendaire prévu à l'article 11 porte sur l'organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique ou sociale de la nation et aux services publics qui y concourent, et sur la ratification des traités. Il me semble donc que le référendum d'initiative populaire est mal adapté à l'objet strictement limité de l'article 11.
    M. Jacques Myard. Non !
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Je vous serais reconnaissant, monsieur Myard, de faciliter la vie du Gouvernement en évitant un débat qui est hors champ de la révision constitutionnelle. Je vous invite donc à retirer votre amendement.
    M. le président. La parole est à M. Jacques Myard.
    M. Jacques Myard. Je serai bref car c'est l'Assemblée qui va trancher et je sais bien que je vais être battu. Mais monsieur le ministre, vous ne pouvez pas faire valoir de tels arguments techniques pour refuser mon amendement. Je peux vous assurer que, si l'on donnait la parole au peuple sur l'organisation des pouvoirs ou sur les réformes relatives à la politique économique ou sociale de la nation, certains dossiers seraient rapidement, allègrement et fermement tranchés. Cela éviterait quelques chicayas au Gouvernement. Le peuple est intelligent et comprend tout quand on lui pose des questions claires. Je maintiens que, tôt ou tard et comme en Suisse - je parle aussi helvète (Sourires) - nous organiserons des référendums d'initiative populaire.
    M. Marc Le Fur. En quatre langues !
    M. Jacques Myard. Même en quatre langues !
    Monsieur le président, je ne souhaite pas retirer mon amendement.
    M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 48.
    (L'amendement n'est pas adopté.)
    M. le président. MM. Blessig, Bur, Christ, Ferry, Mme Grosskost, MM. Herth, Hillmeyer, Lett, Meyer, Reiss, Schneider, Schreiner et Sordi ont présenté un amendement, n° 150, ainsi rédigé :
    « Après l'article 1er, insérer l'article suivant :
    « Dans la dernière phrase du premier alinéa de l'article 21 de la Constitution, après les mots : "de l'article 13, sont insérés les mots : "et des articles 72 à 74. »
    La parole est à M. Emile Blessig.
    M. Emile Blessig. Cet amendement pose le problème de la portée et de la nature du pouvoir réglementaire que votre texte donne aux collectivités territoriales dans les matières où la compétence leur serait attribuée du fait de la décentralisation. Mais quels seront les rapports entre ce pouvoir réglementaire et celui du Premier ministre défini à l'article 21 de la Constitution, c'est-à-dire en fait avec le pouvoir réglementaire des ministères ? S'il s'agit bien d'un pouvoir réglementaire autonome, nous proposons qu'à l'article 21 de la Constitution, il soit précisé que le Premier ministre exerce le pouvoir réglementaire sous réserve des dispositions non seulement de l'article 13, mais encore des articles 72 à 74.
    En réalité, et c'est le fond du problème, il faut faire en sorte que, dans les matières dont la compétence est attribuée aux collectivités territoriales, le pouvoir réglementaire soit entier et efficace.
    M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. A M. Blessig, je dirai deux choses : la première, c'est que je lui donne radicalement tort et la seconde, c'est que je lui donne fondamentalement raison. (Sourires.)
    Je lui donne d'abord radicalement tort car, si on place le pouvoir réglementaire des collectivités locales au même niveau de dignité constitutionnelle que celui du Premier ministre, on aura cent France puisqu'il y a cent départements, sans parler du reste.
    En revanche, je lui donne fondamentalement raison, parce que notre pays légifère trop, beaucoup trop, parce que le Gouvernement décrète trop, beaucoup trop. Ainsi, le pouvoir réglementaire des collectivités locales devient tellement résiduel que l'on s'interroge parfois sur son existence.
    Je souhaite donc que cet amendement ne soit pas soumis au vote car sa rédaction laisse entendre que les collectivités auraient le même pouvoir réglementaire que le Premier ministre, ce qui poserait vraiment un problème d'unité nationale. Cela illustrerait les propos de ceux qui annoncent que ce texte est dangereux.
    En revanche, s'il s'agit seulement de demander au Gouvernement de légiférer moins et au Parlement d'avoir le courage de faire des lois courtes, concises, bien écrites, claires, qui ne permettent pas des interprétations nombreuses ; s'il s'agit de recommander au Gouvernement d'utiliser le pouvoir réglementaire à bon escient pour laisser des marges de manoeuvre réglementaires aux collectivités, je suis cent fois d'accord avec lui.
    M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
    M. le garde des sceaux. Monsieur le député, je souhaite que vous retiriez votre amendement compte tenu des conséquences qu'il pourrait avoir s'il était adopté. En effet, comme l'a très bien expliqué le président de la commission des lois, il aurait pour effet de mettre sur le même plan deux pouvoirs réglementaires qui ne sont pas du tout de même nature, car ils ne procèdent pas de la même source.
    Le pouvoir réglementaire du Premier ministre résulte directement de la Constitution. Ce pouvoir réglementaire autonome est même l'un des points fondamentaux de la Constitution de 1958. Il a d'ailleurs été l'objet de débats très importants à l'époque et cela a abouti à la différenciation exprimée très clairement dans les articles 34 et 37. Certes, dans la pratique, la loi a eu tendance à déborder et, comme le Conseil constitutionnel a rarement été sollicité, le domaine législatif s'est un peu étendu.
    A contrario, le pouvoir réglementaire des collectivités territoriales est accordé par une loi.
    Cet amendement comporte un vrai risque et, compte tenu des explications données tant par le président de la commission que par moi-même, je voudrais que vous le retiriez.
    M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Balligand.
    M. Jean-Pierre Balligand. Certes, monsieur le ministre, cet amendement comporte des ambiguïtés qu'il faut lever, mais il renvoie à la complexité de votre texte et, surtout, à son ambiguïté.
    Le problème actuel est celui des pouvoirs réglementaires d'adaptation. Pourquoi, dans le projet, parlez-vous de la loi et du règlement alors que le problème est le pouvoir réglementaire d'adaptation ? Il aurait été préférable de reprendre cette terminologie qui, juridiquement, a un sens. Je n'arrive toujours pas à comprendre pourquoi et je pense que notre collègue l'a compris de cette manière. Il veut ainsi reconnaître aux collectivités territoriales un pouvoir réglementaire d'adaptation, ce qui me semble conforme à la logique du texte et à sa philosophie. Il faut simplement employer les termes adéquats. Or cela manque dans le projet. Le Gouvernement pourrait peut-être accepter de reprendre cette terminologie.
    M. le président. La parole est à M. Emile Blessig.
    M. Emile Blessig. La question posée est effectivement celle de l'étendue et de la portée du pouvoir réglementaire des collectivités territoriales dans le cadre de la décentralisation. Il s'agit aussi de savoir comment va s'articuler ce pouvoir réglementaire d'adaptation dans les matières dont la compétence aura été transférée. L'objet de mon amendement n'est donc en aucune manière de placer le pouvoir réglementaire des collectivités territoriales en concurrence avec celui du Premier ministre.
    Néanmoins, je souhaite que l'on profite de ce débat pour prévoir les choses afin d'éviter que les effets des transferts de compétences soient atténués, voire insuffisants.
    M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Le débat est bien posé, monsieur Blessig. Nous aurons l'occasion de l'aborder au moment de la discussion de l'article 4, qui traite précisément du pouvoir réglementaire des collectivités territoriales.
    M. le président. Monsieur Blessig, retirez-vous votre amendement ?
    M. Emile Blessig. Au bénéfice de ces observations, je le retire.
    M. le président. L'amendement n° 150 est retiré.
    Mme Comparini, M. Albertini et les membres du groupe Union pour la démocratie française et apparentés ont présenté un amendement, n° 125, ainsi rédigé :
    « Après l'article 1er, insérer l'article suivant :
    « Dans le premier alinéa de l'article 23 de la Constitution, après les mots : "l'exercice de tout mandat parlementaire, sont insérés les mots : "et de tout mandat exécutif local. »
    La parole est à M. Charles de Courson.
    M. Charles de Courson. Il s'agit d'un amendement d'appel au Gouvernement sur un problème difficile.
    En effet, si l'on veut renforcer l'autonomie locale, il faut interdire le cumul entre les fonctions ministérielles et l'exercice de tout mandat exécutif local. Cependant, pour éviter la pratique actuelle dans laquelle les intéressés font seulement semblant de quitter les postes occupés, il faut organiser une suppléance pour la durée de fonction du ministre, mais en faisant en sorte que le suppléant lui rende, automatiquement, son poste lorsqu'il quitte le gouvernement.
    Cela assainirait le système et clarifierait les choses : nul ne pourrait être à la fois ministre et président d'un exécutif local.
    Nous souhaiterions savoir ce qu'en pense le Gouvernement, d'autant que semble perdurer la règle tacite du non-cumul.
    Actuellement, des présidents de conseil général deviennent premier vice-président, des maires deviennent premier adjoint, parfois en occupant les mêmes bureaux ! Bref, l'absence de clarté permet de contourner le principe selon lequel il faut se consacrer à ses fonctions ministérielles.
    Le Gouvernement sera-t-il prêt à étudier un système de suppléance auquel le groupe UDF est favorable ? Cela serait cohérent avec la logique de décentralisation du texte qui nous est proposé.
    M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Défavorable.
    M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Monsieur de Courson, vous avez eu raison de déposer cet amendement, qui est effectivement cohérent avec l'esprit de la décentralisation. Cela étant vos commentaires, au demeurant très intéressants, sont allés bien au-delà du texte lui-même. La pratique du non-cumul est la règle, pour ce gouvernement comme pour le précédent, même si la malice n'est pas et n'a pas toujours été absente.
    Le Gouvernement mène une vraie réflexion sur la question des suppléants, et pas seulement pour le cas des exécutifs locaux.
    Vous pouvez donc retirer votre amendement puisque ce sujet reviendra en discussion, car vous aurez alors satisfaction, au moins sur le fait que le problème sera mis à l'étude.
    M. le président. La parole est à M. Philippe Vuilque.
    M. Philippe Vuilque. Cet amendement est intéressant car il aborde, même partiellement, le problème du cumul des mandats. Nous aurons l'occasion, dans le courant de la discussion, d'étudier un amendement plus complet sur le sujet.
    Ce débat est d'ailleurs symptomatique de la manière dont ce texte a abordé la décentralisation. J'ai déjà indiqué, dans la discussion générale, que, s'il était bien de présenter un texte sur ce sujet, il fallait aussi s'attaquer à la modernisation de la vie politique et à celle des modes de scrutin, ainsi qu'à l'amélioration de la lisibilité de notre système politique.
    Sur ce point particulier, on en revient à la jurisprudence Jospin instaurée pour le gouvernement précédent. En l'occurrence, quand on parle des exécutifs locaux ont doit certes viser les présidents de conseil général et ceux de conseil régional, mais je ne vois pas pourquoi on n'interdirait pas le cumul avec le mandat de président d'un établissement public intercommunal. Il serait logique qu'un ministre ne puisse pas en présider l'exécutif.
    A ce propos, j'ouvre une parenthèse. Si un gouvernement, quel qu'il soit, avait l'intention d'introduire une limitation du cumul des mandats, cela toucherait les exécutifs locaux, donc l'organisation des collectivités territoriales. En conséquence, avec la disposition prévue par l'article 3 du projet, le texte en cause serait transmis en priorité au Sénat. Connaissant la position des sénateurs sur le sujet, on peut imaginer que toute réforme du cumul des mandats serait systématiquement refusée. C'est encore une des contradictions sur lesquelles nous aurons l'occasion de revenir en traitant de l'article 3.
    M. le président. La parole est à M. Charles de Courson.
    M. Charles de Courson. Je remercie le Gouvernement pour son ouverture, mais il serait intéressant qu'il nous dise dans quel texte il pense introduire le dispositif qu'il envisage.
    M. le président. Je crois que le Gouvernement répondra en d'autres occasions, monsieur de Courson.
    M. Charles de Courson. Je retire donc mon amendement.
    M. le président. L'amendement n° 125 est retiré.
    M. Philippe Vuilque. Il est repris, monsieur le président !
    M. le président. L'amendement n° 125 est donc repris.
    Je le mets aux voix.
    (L'amendement n'est pas adopté.)
    M. le président. A la demande de la commission, conformément à l'article 95, alinéa 5, du règlement, l'amendement n° 202 de M. Jean-Pierre Brard est réservé jusqu'à l'article 3. Il sera soumis à une discussion commune avec l'amendement n° 201 de M. Didier Migaud.

Article 1er bis

    M. le président. « Art. 1er bis. - Dans le quatorzième alinéa de l'article 34 de la Constitution, le mot : "locales est remplacé par le mot : "territoriales. »
    Je mets aux voix l'article 1er bis.
    (L'article 1er bis est adopté.)
    La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

3

ORDRE DU JOUR DE LA PROCHAINE SÉANCE

    M. le président. Ce soir, à vingt et une heures, troisième séance publique :
    Suite de la discussion du projet de loi constitutionnelle, adopté par le Sénat (n° 369), relatif à l'organisation décentralisée de la République :
    M. Pascal Clément, rapporteur au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République (rapport n° 376) ;
    M. Pierre Méhaignerie, rapporteur pour avis au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan (avis n° 377).
    La séance est levée.
    (La séance est levée à dix-neuf heures trente-cinq.)

Le Directeur du service du compte rendu intégralde l'Assemblée nationale,
JEAN PINCHOT
annexes au procès-verbal
de la 2e séance
du jeudi 21 novembre 2002
SCRUTIN (n° 43)


sur le sous-amendement n° 210 de M. Bayrou à l'amendement n° 200 après l'article 1er du projet de loi constitutionnelle, adopté par le Sénat, relatif à l'organisation décentralisée de la République (défense des langues régionales).

Nombre de votants

97


Nombre de suffrages exprimés

93


Majorité absolue

47


Pour l'adoption

39


Contre

54

    L'Assemblée nationale n'a pas adopté.

ANALYSE DU SCRUTIN

Groupe Union pour la majorité présidentielle (364) :
    Pour : 8. - MM. Marc Le Fur, Jean-Claude Lemoine, Jacques Le Nay, Daniel Poulou, Jean Roatta, Camille de Rocca Serra, Dominique Tian et Mme Béatrice Vernaudon.

    Contre : 54 membres du groupe, présents ou ayant délégué leur droit de vote.
    Abstentions : 4. - MM. Emile Blessig, Victor Brial, Jean-Claude Mathis et Pierre Méhaignerie.
    Non-votant : M. Jean-Louis Debré (président de l'Assemblée nationale).
Groupe socialiste (148) :
    Pour : 22 membres du groupe, présents ou ayant délégué leur droit de vote.
    Non-votant : M. Jean Le Garrec (président de séance).
Groupe Union pour la démocratie française (28) :
    Pour : 5 membres du groupe, présents ou ayant délégué leur droit de vote.
Groupe communistes et républicains (22) :
    Pour : 4 membres du groupe, présents ou ayant délégué leur droit de vote.
Non-inscrits (13).

SCRUTIN (n° 44)


sur l'amendement n° 200 de M. Le Fur après l'article 1er du projet de loi constitutionnelle, adopté par le Sénat, relatif à l'organisation décentralisée de la République (respect des langues régionales).

Nombre de votants

89


Nombre de suffrages exprimés

89


Majorité absolue

45


Pour l'adoption

39


Contre

50

    L'Assemblée nationale n'a pas adopté.

ANALYSE DU SCRUTIN

Groupe Union pour la majorité présidentielle (364) :
    Pour : 13. - MM. Emile Blessig, Marc Le Fur, Jean-Claude Lemoine, Jacques Le Nay, Jean Claude Mathis, Pierre Méhaignerie, Daniel Poulou, Michel Raison, Frédéric Reiss, Jean Roatta, Camille de Rocca Serra, Dominique Tian et Mme Béatrice Vernaudon.
    Contre : 50 membres du groupe, présents ou ayant délégué leur droit de vote.
    Non-votant : M. Jean-Louis Debré (président de l'Assemblée nationale).
Groupe socialiste (148) :
    Pour : 17 membres du groupe, présents ou ayant délégué leur droit de vote.
    Non-votant : M. Jean Le Garrec (président de séance).
Groupe Union pour la démocratie française (28) :
    Pour : 5 membres du groupe, présents ou ayant délégué leur droit de vote.
Groupe communistes et républicains (22) :
    Pour : 4 membres du groupe, présents ou ayant délégué leur droit de vote.
Non-inscrits (13).