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ASSEMBLÉE NATIONALE
DÉBATS PARLEMENTAIRES


JOURNAL OFFICIEL DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE DU SAMEDI 23 NOVEMBRE 2002

COMPTE RENDU INTÉGRAL
2e séance du vendredi 22 novembre 2002


SOMMAIRE
PRÉSIDENCE DE
Mme PAULETTE GUINCHARD-KUNSTLER

1.  Rappels au règlement «...».
M. André Chassaigne, Mme la présidente, MM. Augustin Bonrepaux, Victorin Lurel.
2.  Organisation décentralisée de la République. - Suite de la discussion d'un projet de loi constitutionnelle adopté par le Sénat «...».

DISCUSSION DES ARTICLES (suite) «...»
Après l'article 3

Amendement n° 122 de Mme Comparini : MM. Rodolphe Thomas, Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur ; Patrick Devedjian, ministre délégué aux libertés locales. - Rejet.
Amendement n° 189 de M. Le Bris : MM. Augustin Bonrepaux, le rapporteur, le ministre, René Dosière. - Rejet.
Amendement n° 124 de Mme Comparini : MM. Rodolphe Thomas, le rapporteur, le ministre, Emile Zuccarelli, Jean-Pierre Balligand. - Rejet.

Article 4

M. Emile Zuccarelli, Mme Ségolène Royal, MM. Victorin Lurel, Francis Delattre, Jean-Pierre Balligand, André Chassaigne, Paul Giacobbi, Louis-Joseph Manscour, Augustin Bonrepaux.
Amendements n°s 88 de M. Roman et 121 de Mme Comparini : Mme Ségolène Royal, MM. Rodolphe Thomas, le rapporteur, le ministre, Jean-Pierre Balligand, Hervé Mariton, Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances, rapporteur pour avis ; Augustin Bonrepaux. - Rejets.
Amendements n°s 89 de M. Roman et 68 de Mme Royal : Mme Ségolène Royal, MM. le rapporteur, le ministre. - Rejets.
Amendement n° 174 de M. Brunhes : MM. Jacques Brunhes, le rapporteur, le ministre, Paul Giacobbi, Emile Zuccarelli. - Rejet.
Amendement n° 153 de M. Blessig : M. Emile Blessig. - Retrait.
Amendement n° 175 de M. Brunhes : MM. Jacques Brunhes, le rapporteur, le ministre. - Rejet.
Amendements identiques n°s 32 de M. Zuccarelli, 69 de Mme Royal, 131 de M. Delattre et 176 de M. Brunhes : M. Emile Zuccarelli, Mme Ségolène Royal, MM. Jean-Luc Warsmann, Jacques Brunhes, le rapporteur, le ministre, Paul Giacobbi. - Rejet.
Amendement n° 12 de la commission des lois : M. le rapporteur.

Rappel au règlement «...»

Mme Ségolène Royal.

Suspension et reprise de la séance «...»

MM. le ministre, André Chassaigne, le rapporteur. - Adoption de l'amendement n° 12.
Amendement n° 114 de M. Piron : MM. Michel Piron, le rapporteur, le ministre, André Chassaigne. - Rejet.
Amendement n° 152 de M. Blessig : MM. Emile Blessig, le rapporteur, le ministre. - Rejet.
Amendement n° 154 de M. Blessig : MM. Emile Blessig, le rapporteur, le ministre. - Retrait.
Amendement n° 177 de M. Chassaigne : MM. André Chassaigne, le rapporteur, le ministre. - Rejet.
Amendement n° 142 de M. Bourdouleix : MM. Jean-Luc Warsmann, le rapporteur, le ministre. - Rejet.
Amendement n° 70 de Mme Royal : MM. Ségolène Royal, MM. le rapporteur, le ministre, Michel Piron, Emile Zuccarelli. - Rejet.
Amendement n° 178 de M. Brunhes : MM. André Chassaigne, le rapporteur, le ministre. - Rejet.
Amendements identiques n°s 13 de la commission des lois, 42 de M. Delattre, 71 de Mme Royal et 179 de M. Brunhes : MM. le rapporteur, Jean-Luc Warsmann, Mme Ségolène Royal, MM. André Chassaigne, le ministre. - Adoption.
Amendement n° 2 de M. Mariton : M. Hervé Mariton. - Retrait.
Amendements n°s 102 de M. Giacobbi et 14 de la commission des lois : MM. Paul Giacobbi, le rapporteur, le ministre. - Retrait de l'amendement n° 102 ; adoption de l'amendement n° 14.
Amendement n° 36 de M. Zuccarelli : MM. Emile Zuccarelli, le rapporteur, le ministre, André Chassaigne. - Retrait.
Amendement n° 72 de Mme Royal : Mme Ségolène Royal, MM. Jean-Luc Warsmann, vice-président de la commission des lois ; le ministre. - Rejet.
Amendement n° 73 de Mme Royal : Mme Ségolène Royal, MM. le vice-président de la commission des lois, le ministre. - Rejet.
Amendement n° 74 de Mme Royal : Mme Ségolène Royal, MM. le rapporteur, le ministre. - Rejet.
Amendement n° 75 de Mme Royal : Mme Ségolène Royal, MM. le rapporteur, le ministre. - Rejet.
Amendement n° 76 de Mme Royal : Mme Ségolène Royal, MM. le rapporteur, le ministre. - Rejet.
Amendement n° 34 de M. Zuccarelli : MM. Emile Zuccarelli, le rapporteur, le ministre. - Retrait.
Amendement n° 35 de M. Zuccarelli : MM. Emile Zuccarelli, André Chassaigne, le rapporteur, le ministre. - Rejet.
Amendement n° 15 de la commission des lois : MM. le rapporteur, Jean-Luc Warsmann, le ministre. - Adoption.
Amendement n° 9 de M. Garrigue : MM. Jean-Luc Warsmann, le rapporteur, le ministre. - Rejet.
Amendement n° 1 corrigé de M. Hervé Mariton : MM. Hervé Mariton, le rapporteur, le ministre, René Dosière, Mme Ségolène Royal, MM. André Chassaigne, Victorin Lurel. - Rejet.
Renvoi de la suite de la discussion à la prochaine séance.
3.  Ordre du jour de la prochaine séance «...».

COMPTE RENDU INTÉGRAL
PRÉSIDENCE
DE MME PAULETTE GUINCHARD-KUNSTLER
vice-présidente

    Mme la présidente. La séance est ouverte
    (La séance est ouverte à quinze heures.)

1

RAPPELS AU RÈGLEMENT

    Mme la présidente. La parole est à M. André Chassaigne, pour un rappel au règlement.
    M. André Chassaigne. Madame la présidente, mon rappel au règlement s'appuie sur l'article 58, alinéa 1.
    Alors que nos débats sur le projet de loi constitutionnelle relatif à l'organisation décentralisée de la République ont commencé mardi après-midi, c'est seulement la nuit dernière, après des heures et des heures de discussion, que j'ai demandé pour la première fois une suspension de séance au nom du groupe des député-e-s communistes et républicains.
    M. Pascal Clément. Dont vous êtes le seul représentant aujourd'hui.
    M. André Chassaigne. Hier soir, nous étions deux. J'ai demandé cette suspension de séance en application de l'alinéa 3 de l'article 58. Elle était de droit. Mais alors qu'il s'agissait d'une discussion extrêmement importante, portant sur l'article 3, qui modifie la Constitution, et bien que ce fût notre première demande depuis mardi, il ne nous a été accordé que deux minutes de suspension.
    M. Pascal Clément. Une minute par député !
    M. André Chassaigne. Aujourd'hui, en fin de matinée, j'ai de nouveau sollicité une suspension de séance que j'étais en droit d'obtenir en vertu du même alinéa du règlement : « Les demandes de suspension de séance sont soumises à la décision de l'Assemblée sauf quand elles sont formulées par le Gouvernement, par le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond ou, personnellement et pour une réunion de groupe, par le président d'un groupe ou son délégué dont il a préalablement notifié le nom au président. » Mais bien que je sois officiellement le délégué de M. Alain Bocquet, président du groupe des député-e-s communistes et républicains, cette demande m'a été refusée.
    Madame la présidente, j'émets une protestation solennelle. Alors que nous poursuivions la discussion fondamentale de l'article 3 et que j'avais formulé cette demande pour consulter mon président de groupe, il est absolument inacceptable que la suspension de séance m'ait été refusée.
    Mme la présidente. Monsieur Chassaigne, d'après ce qui m'a été rapporté, la présidence a considéré, compte tenu de l'heure mais surtout du fait que la discussion sur l'amendement n° 11 était achevée et qu'il n'y avait plus qu'à le mettre aux voix, qu'il n'y avait pas d'inconvénient réel, y compris pour le groupe des député-e-s communistes et républicains, à procéder au vote et à lever la séance immédiatement.
    La parole est à M. Augustin Bonrepaux.
    M. Augustin Bonrepaux. Pour un rappel au règlement, madame la présidente, et plus précisément pour savoir si cette séance pourra se dérouler dans des conditions normales et si, dorénavant, le droit de l'opposition sera reconnu. En effet, en application de l'article 100, alinéa 3, nous avons été empêchés, ce matin, de défendre nos amendements. Ce n'était pourtant pas n'importe quels amendements ni n'importe quel projet de loi. La Constitution ne peut pas être modifiée par un texte anodin et il s'agissait, à l'article 3, de préciser dans la Constitution le principal objet des lois qui seront soumises en premier lieu au Sénat et non à l'Assemblée nationale.
    M. Jean-Luc Warsmann. Il s'agissait ni plus ni moins d'amendements d'obstruction fabriqués pendant la nuit !
    M. Augustin Bonrepaux. Est-ce vous le président de la commission ? Est-ce vous le président de l'Assemblée, monsieur Warsmann ?
    M. Jean-Luc Warsmann. Il fallait les déposer dans les délais et la commission les aurait examinés !
    Mme Marie-Anne Montchamp. Exactement !
    M. Augustin Bonrepaux. Quels délais ? Qu'est-ce que c'est que cette histoire ! Trouvez de meilleurs arguments !
    Mme la présidente. Veuillez poursuivre, monsieur Bonrepaux.
    M. Augustin Bonrepaux. Madame la présidente, ce qu'on essaie de réprimer, c'est le droit d'expression des parlementaires. Le Gouvernement, après avoir obtenu la majorité à l'Assemblée nationale, la majorité au Sénat, la majorité au Conseil constitutionnel et la présidence de la République, veut-il de surcroît empêcher l'opposition de s'exprimer ? Si c'est le cas, il faut qu'il le dise.
    M. Jean-Luc Warsmann. Ce n'est pas un rappel au règlement !
    M. Augustin Bonrepaux. Ce projet n'est pas anodin ; il modifie la Constitution, et nous devrions faire attention, les uns les autres, au texte qui s'écrit aujourd'hui, car il peut avoir de graves conséquences pour la représentation nationale, c'est-à-dire pour le pays.
    Mme la présidente. Monsieur Bonrepaux, le Gouvernement a utilisé une prérogative discrétionnaire que lui reconnaît la Constitution. La présidence en a pris acte.
    M. André Chassaigne. C'est un coup de force !
    Mme la présidente. La parole est à M. Victorin Lurel.
    M. Victorin Lurel. Madame la présidente, c'est volontairement que je ne suis pas intervenu depuis hier soir. Si je le fais dans le cadre de ces rappels au règlement, c'est que je me sens blessé. Car la personne qui a excipé de l'article 44-2 de la Constitution pour arrêter le débat sur nos amendements n'est autre que Mme Girardin, ministre de l'outre-mer, le seul ministre qui ait en charge une partie du territoire de la République. En effet, les amendements déposés par le groupe socialiste avaient trait aux collectivités d'outre-mer, départements et territoires.
    Beaucoup de députés de l'outre-mer ont fait le voyage ; ils sont là depuis plus d'une semaine et attendent un débat approfondi sur ce volet de la révision constitutionnelle. L'attitude de Mme la ministre me choque d'autant plus qu'elle n'est même pas là cet après-midi et qu'elle n'est venue ce matin que pour empêcher toute discussion et faire de l'obstruction.
    M. Jean-Luc Warsmann. C'est vous qui avez fait de l'obstruction sur le premier volet et qui voulez maintenant retarder l'examen du second.
    M. Victorin Lurel. J'avais des choses à dire, mais manifestement, la séance ne se déroule pas conformément à notre règlement ni même à ce qu'on peut attendre d'une assemblée démocratique. Je suis atterré de ce que je vis ici. Je suis un jeune élu, monsieur Warsmann, et je ne me prends pas pour le président de l'Assemblée ; je ne suis pas comme vous qui, depuis hier soir, cherchez à présider à la place des présidents ! (M. Jean-Luc Warsmann proteste.)
    M. André Chassaigne. C'est « M. le président bis » !
    M. Victorin Lurel. Je trouve scandaleux ce qui se passe à propos d'un article important qui octroie au Sénat une priorité d'examen. De nombreux textes suivront cette révision constitutionnelle. La plupart, pour ne pas dire la totalité, seront soumis d'abord au Sénat. Est-ce vraiment la bonne solution ? Croyez-vous que le Sénat est le mieux à même de trancher des conflits d'intérêts entre collectivités ? Chez nous, par exemple, à propos du fonds d'investissement routier de l'outre-mer, il y a une querelle tenace entre les départements et les régions. Croyez-vous que le Sénat pourra régler cette affaire ?
    Mme la présidente. Monsieur Lurel, je vous demande de conclure. Je ne suis pas sûre que votre intervention soit un rappel au règlement et, sur le fond, vous aurez l'occasion de vous expliquer ensuite.
    M. Victorin Lurel. Il s'agit bien d'un rappel au règlement, madame la présidente, et il porte sur le déroulement de la séance. Le Gouvernement fait de l'obstruction dans cette assemblée et je ne comprends pas pourquoi. J'ai dit que nous avions l'intention d'évoquer des sujets importants, notamment les conflits de compétences sur le tourisme.
    Mme la présidente. Monsieur Lurel, vous êtes inscrit sur les articles du projet dont nous allons reprendre l'examen.
    M. Victorin Lurel. Je finis mon rappel au règlement.
    Mme la présidente. Si c'en est un...
    M. Victorin Lurel. Ce que nous sommes en train de vivre est scandaleux. On fait de l'obstruction, on empêche la représentation nationale de s'exprimer comme il convient. Je tenais à le dire.

2

ORGANISATION DÉCENTRALISÉE
DE LA RÉPUBLIQUE

Suite de la discussion d'un projet de loi
constitutionnelle adopté par le Sénat

    Mme la présidente. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi constitutionnelle, adopté par le Sénat, relatif à l'organisation décentralisée de la République (n°s 369, 376).

Discussion des articles (suite)

    Mme la présidente. Ce matin, l'Assemblée a poursuivi la discussion des articles et s'est arrêtée à l'amendement n° 122 portant article additionnel après l'article 3.

Après l'article 3

    Mme la présidente. Mme Comparini, M. Albertini et les membres du groupe Union pour la démocratie française et apparentés ont présenté un amendement, n° 122, ainsi libellé :
    « Après l'article 3, insérer l'article suivant :
    « Le dernier alinéa de l'article 47 de la Constitution est complété par une phrase ainsi rédigée : "Elle leur fournit un rapport sur le respect du principe de l'autonomie financière et fiscale des collectivités territoriales. »
    La parole est à M. Rodolphe Thomas.
    M. Rodolphe Thomas. Vouloir affirmer des principes de décentralisation est une intention louable que nous approuvons pleinement. Mais il faut assortir ces principes de garanties et de contrôles pour qu'ils soient effectifs. Aussi cet amendement tend-t-il à confier à la Cour des comptes un rôle accru dans le contrôle qu'elle exerce sur les collectivités territoriales.
    La Cour des comptes et ses émanations régionales sont des institutions précieuses de notre démocratie. Elles garantissent que seul l'intérêt général continue à guider l'utilisation des deniers publics. Mais il faut aller plus loin. Pourquoi n'utiliserions-nous pas la Cour des comptes d'une autre façon ? Pourquoi n'en ferions-nous pas un garant de l'autonomie financière et fiscale des collectivités ? En lui confiant le soin de rendre un rapport annuel sur le respect de ce principe d'autonomie, la France se donnerait plus de chances que cette grande ambition décentralisatrice ne se réduise pas à un énième transfert de charges vers les collectivités, comme c'est le cas depuis maintenant vingt ans.
    La Cour des comptes possède les compétences humaines et techniques nécessaires à cette tâche. Ce rapport serait un outil d'information précieux pour le citoyen et pour le Conseil constitutionnel qui, en tant que juge des libertés, sera amené à connaître du respect de l'autonomie financière et fiscale des collectivités territoriales. Et pour nous, élus, le contrôle de la Cour des comptes serait assurément un moyen efficace de faire respecter une autonomie financière et fiscale qui se réduit d'année en année.
    Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, rapporteur, pour donner l'avis de la commission.
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, rapporteur. J'ai pris connaissance, ainsi que la commission, de l'amendement de Mme Comparini, qui vient d'être soutenu par M. Thomas. On comprend bien la motivation qui l'inspire : il convient de s'assurer que les ressources nécessaires soient transférées aux collectivités territoriales en cas de délégation de compétences. Et Dieu sait que c'est un problème d'une grande acuité.
    Deux observations cependant.
    Ce n'est pas un institut qui pourrait faire plier le Gouvernement au cas où il constaterait un déséquilibre par rapport aux ressources prévues dans la Constitution. Ce rapport supplémentaire ne serait donc pas plus utile, et peut-être même moins, que le traditionnel rapport de la Cour des comptes, que son premier président vient présenter tous les ans à l'Assemblée nationale et au Sénat et qui, malheureusement, reste bien souvent lettre morte. Autrement dit, vous cherchez un cran d'arrêt, mais ce n'est pas là que vous le trouverez.
    Alors, et c'est le fond du débat, pourquoi introduire dans la Constitution cette précision sur les ressources ? Pour donner un élément d'appréciation au juge constitutionnel. Si cette disposition de la Constitution n'est pas respectée, le Conseil invalidera la loi. La conséquence juridique concrète est immédiate. C'est autre chose qu'un discours ou un rapport qui n'apporterait rien. Nous avons déjà deux organismes qui font un peu ce métier-là : l'Observatoire des finances locales et la Commission consultative sur l'évaluation des charges. Je ne suis pas sûr qu'ils obtiennent de grands résultats.
    Très honnêtement, une telle disposition serait inefficace et ne ferait qu'alourdir le texte. De plus, elle n'est pas constitutionnelle au sens où je l'entends. Ne présentent à mes yeux un caractère constitutionnel que les dispositions qui entraînent une conséquence juridique concrète. Ce n'est pas le cas. La commission a donc émis un avis défavorable.
    Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué aux libertés locales, pour donner l'avis du Gouvernement.
    M. Patrick Devedjian, ministre délégué aux libertés locales. Avis défavorable également, madame la présidente. Le Conseil constitutionnel exercera son contrôle. Un rapport de la Cour des comptes serait beaucoup moins efficace.
    Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 122.
    (L'amendement n'est pas adopté.)
    Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements, n°s 161 et 189, pouvant être soumis à une discussion commune.
    L'amendement n° 161 n'est pas défendu.
    L'amendement n° 189, présenté par M. Le Bris, est ainsi libellé :
    « Après l'article 3, insérer l'article suivant ;
    « Après l'article 53-2 de la Constitution, il est inséré un article 53-3 ainsi rédigé :
    « Art. 53-3. - Dans le respect du premier alinéa de l'article 2, la République peut reconnaître les principes prévus par la Charte européenne des langues régionales et minoritaires signée le 7 mai 1999. »
    La parole est à M. Augustin Bonrepaux, pour soutenir cet amendement.
    M. Augustin Bonrepaux. Notre collègue Gilbert Le Bris souhaite que soit reconnue l'existence des langues régionales minoritaires, qui font partie de notre patrimoine culturel, sans pour autant remettre en cause les principes posés par la Constitution de 1958, et notamment par son article 2. Il ne s'agit que de se référer à la Charte européenne des langues régionales minoritaires.
    N'est-ce pas cela, une organisation décentralisée ? Le Gouvernement et les membres de la majorité ont cité l'exemple du Portugal et surtout celui de l'Espagne. Mais ce dernier n'est pas pertinent : en effet, non seulement les langues régionales telles que le catalan ou le basque sont largement pratiquées, mais en plus l'Espagne a signé la Charte européenne des langues régionales.
    La décentralisation va-t-elle permettre l'expression du breton, de l'occitan, de l'alsacien, c'est-à-dire des langues régionales dont nous voulons maintenir l'usage à côté de la langue française qui reste la langue de la République ? (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste.)
    Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
    M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. Madame la présidente, je m'étonne un peu de cet amendement. Nous avons consacré une partie importante de l'après-midi d'hier à un débat sur le sujet. Un débat de qualité, d'ailleurs, et où les avis étaient transversaux.
    M. René Dosière. M. Bayrou ne semblait guère convaincu !
    M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. C'est bien ce que je dis : les avis étaient transversaux ! Dois-je expliquer le mot ?
    M. René Dosière. Il a considéré qu'on ne lui répondait pas !
    M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. Faut-il que je me répète jusqu'à ce que vous ayez compris ?
    M. René Dosière. Après le repas, vous savez...
    M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. L'Assemblée a fini par conclure en rejetant les propositions concernant l'article 2, où elles trouvaient leur place. Souhaitez-vous une session de rattrapage, ou s'agit-il d'un bégaiement constitutionnel ? Allons-nous également y revenir dans le cadre du prochain article ?
    Nous avons tranché hier. L'avis de la commission pas plus que celui de l'Assemblée n'a pu changer depuis : il est défavorable.
    Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Avis défavorable, madame la présidente. Je me demande d'ailleurs si cet amendement ne tomberait pas à la suite du rejet de l'amendement Le Fur.
    M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. Bien entendu. Excellente remarque !
    Mme la présidente. La parole est à M. René Dosière.
    M. René Dosière. Un mot pour répondre au Gouvernement et à la commission : notre collègue M. Le Bris n'a pas pu présenter personnellement son amendement, le déroulement de la séance ayant été perturbé par les manoeuvres d'obstruction du Gouvernement auxquelles notre collègue Lurel a fait allusion tout à l'heure (Rires sur quelques bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle), mais j'ai là son argumentation. Le texte qu'il propose vient se placer après l'article 53, selon une procédure qui a déjà été utilisée pour permettre la ratification des traités de Maastricht et d'Amsterdam, ainsi que de celui créant la Cour pénale internationale. De plus, la rédaction s'inscrit explicitement dans le respect du premier alinéa de l'article 2, qui fait précisément référence à la langue française. La proposition est donc différente de celles dont nous avons discuté hier.
    Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 189.
    (L'amendement n'est pas adopté.)
    Mme la présidente. Mme Comparini, M. Albertini et les membres du groupe Union pour la démocratie française et apparentés ont présenté un amendement, n° 124, ainsi rédigé :
    « Après l'article 3, insérer l'article suivant :
    « Dans le premier alinéa de l'article 61 de la Constitution, après les mots : "les lois organiques, sont insérés les mots : "les lois relatives à la libre administration des collectivités territoriales,. »
    La parole est M. Rodolphe Thomas.
    M. Rodolphe Thomas. Cet amendement tend à ce que les lois relatives à la libre administration des collectivités territoriales soient, au même titre que les lois organiques, systématiquement déférées au Conseil constitutionnel.
    La décentralisation est aujourd'hui clairement affirmée et une volonté politique forte s'exprime en sa faveur. Néanmoins, affirmer un principe sans prévoir son contrôle, c'est presque certainement le condamner à rester lettre morte.
    Pour cette raison, il me paraît nécessaire de renforcer le contrôle de la libre administration des collectivités territoriales, aussi bien par la Cour des comptes - c'était l'objet d'un précédent amendement - que par le Conseil constitutionnel. Certes, en pratique, le juge constitutionnel examine la plupart des lois, mais qu'en est-il des autres ? Les libertés que l'on veut donner aux collectivités territoriales doivent rester conformes en tous points à notre Constitution et aux principes démocratiques et républicains qu'elle porte en elle. En effet - et c'est sans doute le point fondamental -, nous sommes en démocratie et dans un Etat de droit, c'est-à-dire un Etat dans lequel les institutions respectent elles aussi le droit. Il y aurait beaucoup à dire sur la sécurité juridique à laquelle ont droit tous nos concitoyens face à des lois dont la constitutionnalité est douteuse. Le juge constitutionnel serait ainsi systématiquement saisi sur les lois intéressant les libertés locales, de sorte que plus aucune loi entravant les principes de libre administration des collectivités ne pourrait être votée.
    Je vous demande donc, mes chers collègues, d'apporter des garanties supplémentaires en adoptant cet amendement.
    Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
    M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. Si vous souhaitez que toutes les dispositions touchant à l'administration des collectivités locales soient soumises au Conseil constitutionnel, mon cher collègue, rédigez plutôt un amendement tendant à ce qu'elles relèvent de la loi organique. Vous serez ainsi en cohérence avec la Constitution. Mais, à l'inverse, réclamer qu'une loi simple soit transmise en amont au Conseil constitutionnel ne constitue pas une bonne méthode.
    Hier, des orateurs de votre groupe ont souligné un vrai danger -et ils n'étaient pas les seuls, l'opposition a également fait cette observation : celui de donner finalement la parole aux juges au détriment de celle du Parlement. Avec cet amendement, nous y sommes ! Il conduit à alourdir la procédure et à donner un pouvoir excessif aux juges.
    M. René Dosière. D'autant plus que le Sénat travaillera en priorité sur ces lois !
    M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. C'est pourquoi la commission n'a pas retenu l'amendement.
    Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Ce mode de saisine automatique laisse supposer que les parlementaires, qui peuvent eux-mêmes adresser un recours, ne sont pas vigilants quant aux conséquences des lois qu'ils votent. Pas d'autoflagellation ! Donc, avis défavorable.
    Mme la présidente. La parole est à M. Emile Zuccarelli pour répondre à la commission.
    M. Emile Zuccarelli. Je suis sensible aux arguments qui ont été développés par le Gouvernement et la commission contre ce qui pourrait apparaître sinon comme un dessaisissement, du moins comme une mise sous tutelle du Parlement dans son travail législatif ordinaire. Le caractère automatique de la procédure pourrait avoir un effet réducteur, j'en conviens bien volontiers.
    Mais il est également vrai que nous sommes dans une matière complexe. Depuis quelques jours que nous en débattons, nous avons à plusieurs reprises touché du doigt combien l'interprétation de la Constitution pourrait se révéler délicate dans des domaines qui relèvent de la loi simple. Et à cet égard, je rejoins M. Thomas.
    A tout le moins, ne serait-il pas possible que nous soyions un peu moins avares du recours à la loi organique ? A titre d'exemple, je proposerai un peu plus loin dans le débat, à l'article 5, un amendement imposant ce recours lorsqu'il est proposé de modifier, par regroupement, la géométrie, la carte de nos collectivités territoriales. Et je pense que le Gouvernement serait cohérent avec ce qu'il vient de nous dire, et que je peux parfaitement comprendre, en allant dans le sens d'un tel amendement.
    N'ayons pas peur de recourir à la loi organique.
    Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Balligand.
    M. Jean-Pierre Balligand. Le président de notre assemblée, je le rappelle, a dit de l'article 3, dans sa rédaction proposée par le Sénat, qu'il n'était « ni fait ni à faire ». L'adoption de cet article doit nous conduire à prendre en compte la précaution proposée par Mme Comparini, faute de quoi il n'y aurait plus aucun garde-fou.
    Sans l'article 3, on pourrait effectivement craindre le risque de judiciarisation constitutionnelle évoqué par M. le président de la commission des lois. Mais compte tenu de la priorité d'examen par le Sénat, et avec l'éclairage que son président en a donné hier, il me paraît nécessaire d'encadrer au minimum l'adoption des lois relatives à la libre administration des collectivités territoriales. L'amendement de notre collègue me paraît à cet égard tout à fait intéressant, et il serait sage de l'adopter.
    Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 124. (L'amendement n'est pas adopté.)

Article 4

    Mme la présidente. L'article 72 de la Constitution est ainsi rédigé :
    « Art. 72. - Les collectivités territoriales de la République sont les communes, les départements, les régions, les collectivités à statut particulier et les collectivités d'outre-mer régies par l'article 74. Toute autre collectivité territoriale est créée par la loi, le cas échéant, en lieu et place d'une ou de plusieurs collectivités mentionnées au présent alinéa.
    « Les collectivités territoriales ont vocation à exercer l'ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en oeuvre à leur échelon.
    « Dans les conditions prévues par la loi, ces collectivités s'administrent librement par des conseils élus et disposent d'un pouvoir réglementaire pour l'exercice de leurs compétences.
    « Dans les conditions prévues par loi organique, et sauf lorsque sont en cause les conditions essentielles d'exercice d'une liberté publique, les collectivités territoriales ou leurs groupements peuvent, lorsque, selon le cas, la loi ou le règlement l'a prévu, déroger, à titre expérimental, aux dispositions législatives ou réglementaires qui régissent l'exercice de leurs compétences.
    « Aucune collectivité territoriale ne peut exercer une tutelle sur une autre. Cependant, lorsque l'exercice d'une compétence nécessite le concours de plusieurs collectivités territoriales, la loi peut autoriser l'une d'entre elles à organiser les modalités de leur action commune.
    « Dans les collectivités territoriales de la République, le représentant de l'Etat, représentant de chacun des membres du Gouvernement, a la charge des intérêts nationaux, du contrôle administratif et du respect des lois. »
    Sur cet article, plusieurs orateurs sont inscrits.
    La parole est à M. Emile Zuccarelli.
    M. Emile Zuccarelli. Monsieur le ministre, si l'on m'avait suivi, votre projet de loi constitutionnelle commencerait par l'article 4.
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Oui, et encore !
    M. Emile Zuccarelli. Les articles précédents comportaient soit de simples proclamations de principes, soit des restrictions que nous avons été un certain nombre à juger au mieux inutiles, et au pire inopportunes.
    Nous sommes là au coeur de la problématique de la décentralisation. L'article 4 vient, convenons-en, à sa place et avec une consistance souhaitable.
    Son premier alinéa vise à mettre à jour la nomenclature des collectivités territoriales. Le Sénat, à mon sens, a été bien inspiré en complétant, à l'article 72-1 de la Constitution, l'énumération des collectivités - communes, régions, et collectivités d'outre-mer régies par l'article 74 - par la mention des collectivités à statut particulier. En l'état actuel des choses, j'en connais deux au moins, Paris et la Corse. Mais si j'en crois ce qui nous est annoncé, leur nombre pourrait s'accroître à l'avenir. Je crois donc qu'il faut leur donner toute leur place dans la Constitution.
    Or, des amendements, au demeurant tout à fait respectables et visant d'autres objets comme la reconnaissance de l'intercommunalité, ont oublié de mentionner l'amélioration apportée par le Sénat. J'espère que leur discussion ne sera pas affectée par cette omission qui nous paraît en tout état de cause regrettable.
    En ce qui concerne le principe de subsidiarité défini dans le deuxième alinéa, j'aimerais que le Gouvernement et le rapporteur nous donnent un peu plus de précisions. Au vu de la rédaction du texte, certains d'entre nous ont pu penser qu'une logique fédérale était en oeuvre. J'ai donc déposé un amendement tendant à supprimer cette définition. La réponse du rapporteur m'a laissé quelque peu rêveur. Je cite le compte rendu qui en a été fait : « Considérant que cet amendement soulevait la question essentielle de la nature de la République et de ses éventuelles évolutions » - et j'en suis bien d'accord -, « le rapporteur a jugé qu'il convenait de concilier le principe de l'unité de la République, auquel tous les parlementaires sont attachés, avec celui de subsidiarité qui garantit que les décisions sont prises à l'échelon territorial le plus pertinent dans la matière concernée ». Bien évidemment, une telle explication est insuffisante : elle se contente de poser le problème, sans apporter ni réponse ni apaisement.
    Il me semble, à tout le moins, que, venant à sa place dans le texte de la Constitution, cette définition très générale de la subsidiarité aurait sans doute pu s'enrichir de la mention que la recherche du meilleur niveau de décision devait s'accommoder des prérogatives incontournables de l'Etat, et de notamment ses missions régaliennes.
    Par ailleurs, le Sénat a introduit dans le texte du Gouvernement, de manière très pertinente du reste, le principe selon lequel aucune collectivité territoriale ne peut exercer de tutelle sur une autre. Certes, ce principe est approuvé par tous, mais l'inscrire dans la Constitution me paraît, en l'occurrence, tout à fait justifié. En effet, compte tenu des chevauchements de compétences, des empiètements, il paraissait nécessaire de désigner, au cas par cas, la collectivité qui jouerait en quelque sorte le rôle du chef d'orchestre, de chef de file, si l'on préfère. J'en suis tout à fait d'accord, à condition que cette désignation soit valable pour une compétence ou une mission déterminées.
    Or, que s'est-il passé ? Entre le principe selon lequel aucune tutelle ne peut être exercée par une collectivité sur une autre et la création de la notion de chef de file, dont personne ne conteste l'utilité, le Gouvernement a ajouté le mot « cependant ». Le garde des sceaux a expliqué très précisément et avec une certaine franchise que cet ajout est très important dans la mesure où il limite le principe affirmé par le Sénat. Or je considère que l'on ne peut pas à la fois énoncer un principe constitutionnel et ajouter subrepticement un mot qui le limite. C'est pourquoi un tel ajout ne me paraît pas souhaitable dans la Constitution.
    Mme la présidente. Monsieur Zuccarelli ...
    M. Emile Zuccarelli. Madame la présidente, depuis quarante-huit heures et plus, nous discutons précisément d'un texte que nous avons la faiblesse de considérer comme important.
    Mme la présidente. Je veux simplement vous rappeler que le temps s'écoule, monsieur Zuccarelli.
    M. Emile Zuccarelli. Je ne veux pas vous compliquer la tâche. Aussi, j'évoquerai mes autres préoccupations lors de l'examen des amendements. Je tiens néanmoins à dire que la notion d'expérimentation et la possibilité d'adapter la loi ou le règlement dans l'exercice des missions ou des compétences de telle ou telle collectivité - cela existe déjà et on ne peut constester l'utilité d'une telle procédure - doivent être affirmés en parallèle avec la préoccupation d'assurer l'égalité des citoyens devant la loi et le rappel que la loi est l'apanage du Parlement : ne laissons pas dire, ici ou là, que d'autres institutions que le Parlement peuvent faire la loi.
    Mme la présidente. La parole est à Mme Ségolène Royal.
    Mme Ségolène Royal. Nous en arrivons à un article important en tout cas par son volume ! En le regardant, on se dit d'abord, une fois de plus, que nous perdons beaucoup de temps dans ce débat constitutionnel qui n'en est pas vraiment un, ainsi que nous avons eu l'occasion de le répéter à plusieurs reprises. En effet, si l'on avait voulu seulement réformer la Constitution, il aurait suffi de proposer deux dispositions : l'article 4, qui concerne vraiment la décentralisation, et l'article 5, relatif à la démocratie participative, sur lequel nous reviendrons.
    S'agissant de l'article 4, le Conseil d'Etat a été également sévère, en particulier sur le principe de la subsidiarité.
    Dès le premier alinéa, proposé pour l'article 72 de la Constitution, nous nous étonnons - même si nous sommes favorables à l'ajout de la région - que cette consécration ne soit pas accompagnée d'une reconnaissance de cette véritable révolution que constitue l'intercommunalité et qui est complètement passée sous silence. On oublie ainsi ce qui s'est passé depuis plus de dix ans en matière de regroupements intercommunaux, qu'il s'agisse des pays, des communautés de communes, des communautés d'agglomération, bref de tous les établissements à fiscalité propre auxquels on doit désormais reconnaître le statut de collectivités territoriales.
    Au fond, vous réformez la Constitution mais votre texte est déjà périmé avant même d'être adopté car il ne prend pas en compte cette France du terrain qui, tranquillement, sans esbrouffe, sans attendre une réforme de la Constitution, s'est rassemblée pour réaliser des projets et pour servir mieux l'ensemble des usagers des services publics et des habitants.
    Ce premier alinéa tend aussi à autoriser la création d'une catégorie de collectivités territoriales ou d'une collectivité à statut particulier en lieu et place des collectivités existantes. Cependant, la rédaction est lourde d'imprécision. Elle peut en effet permettre la suppression pure et simple de toute collectivité territoriale ou la fusion de plusieurs collectivités pour leur substituer une collectivité territoriale à statut particulier. Je ne crois pas qu'il soit souhaitable d'inscrire cela dans la Constitution.
    L'alinéa suivant traite du principe de subsidiarité, lequel, je le répète, a été très sévèrement critiqué par le Conseil d'Etat parce qu'il constitue une source de contentieux inextricables. De plus, il s'agit davantage d'un principe d'essence fédérale. Or la France est un Etat unitaire le fédéralisme ne correspond pas à son histoire. La constitutionnalisation de ce principe risque donc de porter atteinte à ceux d'égalité devant la loi et d'indivisibilité de la République. Cela pourrait se traduire par une espèce de confusion des compétences et des responsabilités dans un panorama administratif que les Français ont déjà beaucoup de mal à comprendre.
    Les Français reprochent déjà à notre empilement administratif à quatre échelons d'être très compliqué et très coûteux. On ne sait pas qui fait quoi, qui est responsable de quoi, qui paie quoi. D'ailleurs, votre réforme de décentralisation passe à côté de cette exigence très forte de simplification et de transparence. Cet article va encore compliquer la situation puisque chacun pourra se servir à la carte, en raison de ce principe de subsidiarité.
    Soit l'Etat se fera, petit à petit, dépouiller, dans certains endroits, de ses prérogatives, au prétexte qu'elles seront mieux exercées. Mais alors qui va évaluer ce caractère qualitatif de l'exercice d'une responsabilité ? Vous n'en dites pas un mot. Soit, inversement, les collectivités locales et mêmes les communes qui n'ont pas les moyens financiers d'exercer certaines compétences vont les perdre. Par exemple, si une commune n'a pas les moyen de recruter les aides éducateurs, les ATSEM ou les auxiliaires d'intégration, pour accueillir les enfants handicapés à l'école, l'exercice de cette compétence ne sera pas correctement assuré à son échelon. Même si le souci de proximité commande de tels transferts, seuls ceux qui auront les moyens pourront exercer correctement les compétences.
    Pour des parents d'enfants handicapés - je garde mon exemple - l'essentiel est que leur enfant soit accueilli à l'école. Donc, si la commune ne peut pas payer, la charge va incomber au département. Si ce dernier la refuse on se tournera vers la région, mais, si celle-ci ne peut pas ou ne veut pas payer, l'ultime recours sera l'Etat. Cela montre bien que le critère d'efficacité va bien souvent se résumer à un critère financier. Au bout du compte, ce sera donc toujours l'Etat, car il aura des capacités financières supérieures.
    Comme vous ne dites rien sur les transferts financiers pour exercer ces compétences et mettre en oeuvre le principe de subsidiarité, nous sommes fondés à penser que celui-ci n'engage personne. Cela nous ramène à l'un des principaux reproches que nous adressons à votre démarche, celui de commencer par la réforme constitutionnelle sans nous donner les textes relatifs aux transferts de compétence et de moyens. Vous vous payez donc avec des mots. Il est d'ailleurs curieux que ceux qui se déclarent hostiles au principe de subsidiarité pour la construction européenne le proposent pour l'organisation de la France.
    Le troisième alinéa traite de l'exercice du pouvoir réglementaire. A cet égard, nous n'avons pas d'objection majeure à formuler, si ce n'est qu'aucun renvoi n'est fait ni à l'article 21, en vertu duquel le Premier ministre assure l'exécution des lois, ni à l'article 13 relatif au pouvoir réglementaire du Président de la République. Or le pouvoir réglementaire des collectivités territoriales ne saurait venir en concurrence avec la mise en oeuvre de la politique nationale par le pouvoir réglementaire national.
    Mme la présidente. Madame Royal, vous dépassez votre temps de parole !
    Mme Ségolène Royal. Peut-être faudrait-il améliorer la rédaction de cet alinéa.
    Suit un alinéa lourd de conséquences concernant le droit d'expérimentation pour déroger aux dispositions législatives ou réglementaires qui régissent l'exercice des compétences par les collectivités territoriales. A ce propos nous aurons le même débat que pour l'expérimentation législative et réglementaire par l'Etat, puisque, là non plus, ce droit d'expérimentation n'est ni encadré ni précisé quant à ses objectifs.
    Le garde des sceaux n'ayant pas répondu à nos nombreuses questions sur ce sujet, nous ne savons toujours pas comment se concilieront le pouvoir d'expérimentation, c'est-à-dire cette espèce de libre-service où chacun viendra piocher en fonction de ses affinités telle ou telle dérogation à une disposition législative, et le principe constitutionnel d'égalité devant la loi. En cette matière aussi le Conseil d'Etat a formulé des observations relatives à la conciliation entre l'expérimentation et le principe de l'égalité devant la loi, donc devant les services publics.
    C'est pourquoi nous proposerons que soit précisé l'objectif de l'expérimentation en demandant qu'en aucun cas elle ne puisse tenir en échec le principe d'égalité devant la loi et devant les services publics. Nous espérons que vous accepterez ces amendements du groupe socialiste.
    Mme la présidente. Madame Royal !
    Mme Ségolène Royal. Excusez-moi, mais cet article est très important !
    Mme la présidente. J'entends bien et je sais qu'il est très copieux, si j'ose dire ! Néanmoins je dois décompter le temps de la même façon pour tous les orateurs !
    Mme Ségolène Royal. Les deux derniers alinéas ne sont pas de moindre importance.
    Ainsi le cinquième traite de la question de la collectivité « chef de file », sujet sur lequel nous aurons des observations importantes à formuler. Nous avons même déposé un amendement de suppression pour éviter la tutelle d'une collectivité sur les autres et, surtout, parce que cela ne relève absolument pas de la Constitution. Vous savez très bien, en effet, monsieur le ministre, que l'on peut prévoir très concrètement et de façon très pragmatique un chef de file, sans inscrire cela dans la Constitution. Là encore, vous mobilisez donc l'Assemblée nationale pour pas grand chose.
    Enfin, le dernier alinéa vise les pouvoirs du préfet et nous présenterons diverses remarques à ce sujet au cours du débat.
    Mme la présidente. La parole est à M. Victorin Lurel.
    M. Victorin Lurel. Monsieur le ministre, j'aurais tout aussi bien par intervenir dès le début de l'examen de ce texte, à propos des prérogatives des collectivités d'outre-mer qui ne sont pas respectées. En effet, ce projet a été soumis à l'examen de la représentation nationale sans qu'ait été pris l'avis des départements et des régions d'outre-mer. Or leur consultation préalable est obligatoire pour les textes qui comportent des dispositions d'adaptation du régime législatif ou de l'organisation administrative de ces départements.
    A cet égard, il y a deux textes fondamentaux, quelle que soit leur hiérarchie dans les normes.
    Le premier est le décret n° 60-406 du 26 avril 1960 signé du Premier ministre, Michel Debré, et du ministre, d'Etat à l'époque, M. Robert Lecourt, ministre des DOM, qui dispose que tous les projets de loi et décrets tendant à adapter la législation ou l'organisation administrative des départements d'outre-mer à leur situation particulière seront préalablement soumis pour avis aux conseils généraux de ces départements par les soins du ministre d'Etat.
    Le second est la loi d'orientation du 13 décembre 2000, dont l'article 44, codifié à l'article 3444-1 du code général des collectivités territoriales indique : « Les conseils généraux des départements d'outre-mer sont consultés sur les projets de loi, d'ordonnance ou de décret comportant des dispositions d'adaptation du régime législatif et de l'organisation administrative de ces départements. » Il en va de même pour les conseils régionaux d'outre-mer à l'article 4433-1 du même code.
    Or nous n'avons pas été saisis en vertu de ces textes qui constituent, à nos yeux, un droit fondamental qui s'impose au législateur puisqu'il s'agit d'un projet de loi constitutionnel. Il y a donc eu des protestations des conseils généraux et régionaux qui n'ont pas hésité à adopter des motions pour s'étonner que de telles dispositions soient allègrement violées et que les prérogatives reconnues aux départements d'outre-mer ne soient pas respectées alors que le texte en cause comporte des dispositions importantes relatives à leur organisation, donc à leur statut.
    Ma deuxième remarque porte sur le pouvoir d'expérimentation. Tous les collègues s'étant exprimés sur ce sujet, je serai bref.
    En effet, quid de l'expérimentation chez nous, outre-mer ? Nous vivons en pleine spécificité, à 8 000 kilomètres de la métropole avec notre histoire, notre culture, même si elle est intégrée dans la culture française. Nous sommes donc des composantes particulières du peuple français. Dans ces conditions, qu'en sera-t-il des expérimentations éventuelles ? Pourront-elles être étendues à tout l'Hexagone ou cela ne sera-t-il envisageable qu'outre-mer ? Pouvons-nous être éclairés sur cet aspect particulier ?
    La République doit tenir compte de sa diversité. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle j'avais milité pour que, tout en respectant le principe d'égalité, soit mieux prise en considération la diversité de la République, de ses territoires et de ses cultures, sans pour autant violer le principe d'égalité. Certes on a évoqué le principe d'équité, ce qui est très bien, même si, hypocritement, on se refuse maintenant à en traiter véritablement. Pourtant ce sujet nous tient à coeur.
    Je rappelle aux collègues ici présents et aux ministres que les congrès des élus départementaux et régionaux qui ont été organisés en Guadeloupe, en Martinique et en Guyane ont eu du bon. Il ne s'est pas agi de huis clos autocratiques comme je l'ai entendu dire au Sénat. Les débats ont été nourris, diversifiés, tolérants et toutes les composantes politiques y ont participé. Les résultats de ces travaux ont été transmis à deux gouvernements : celui de Lionel Jospin et celui de M. Raffarin. Il était essentiellement demandé que l'initiative vienne d'en bas et non pas simplement d'en haut.
    Certes, il est désormais possible d'autoriser des dérogations, des adaptations, des expérimentations. Cependant, nous demandions de pouvoir disposer d'un pouvoir législatif encadré par le Parlement et par le Conseil constitutionnel, ce qui ne remettait nullement en cause l'unité de la République ni la jurisprudence de ce dernier.
    C'est la raison pour laquelle l'amendement présenté par notre collègue sur l'article 3 pour instaurer un contrôle automatique du Conseil constitutionnel était intéressant.
    Nous ne comprenons pas que la France soit frileuse sur ce sujet alors que l'Italie, qui est aussi une République unitaire, permet à ses vingt régions - je ne parle même pas des cinq régions à statut particulier - de légiférer, mais dans le respect de la loi fondamentale. C'est ce que demandaient les trois départements français d'Amérique, la Réunion ayant adopté une position différente. Malheureusement, le projet qui nous est soumis reste sourd à cette demande. Pourtant, nous sommes en démocratie représentative et nous représentons bien la population.
    Enfin, je veux insister sur le « chef-de-filat » dont vient de parler Ségolène Royal. Nous n'y sommes pas favorables, car il faut absolument éviter une tutelle d'une collectivité sur une autre. Outre-mer, cela a une résonance particulière car il se produit un effet de loupe quand on vit dans l'insularité. On constate, malheureusement, tous les jours chez nous que, pour des motifs parfois anodins et spécieux, certaines collectivités régionales font peser d'un poids lourd leur tutelle sur les autres. Pour éviter cela, nous avons déposé des amendements.
    Mme la présidente. La parole est à M. Francis Delattre.
    M. Francis Delattre. A vrai dire, avec l'article 4 commence vraiment notre travail sur la réforme constitutionnelle. Je ne puis donc que regretter, une fois de plus, que l'article 3 nous ait beaucoup égaré.
    L'article 4 est important sur trois points : la subsidiarité, l'expérimentation et le principe qu'aucune collectivité territoriale n'exerce de tutelle sur une autre.
    Le dernier principe ne pose aucun problème. Cependant, monsieur le ministre, je préférerais que l'on élimine les amendements acceptés au Sénat, pour en revenir à la rédaction initiale du Gouvernement. En effet, l'introduction de l'adverbe « cependant » au début de la seconde phrase de l'alinéa en cause enlève beaucoup à l'affirmation de principe de la première phrase. Surtout, la nouvelle rédaction qui fait référence à une « action commune » des communes laisse entendre que l'une d'entre elles aura le pouvoir d'indiquer, voire d'imposer une marche à suivre sur un projet d'intérêt commun.
    Pour le moins, n'abandonnons pas le principe qu'il ne peut exister de tutelle d'une collectivité sur une autre, monsieur le ministre.
    Le principe de l'expérimentation est certes bien encadré, mais il l'était mieux dans le texte initial du Gouvernement même si l'essentiel est sauvegardé. Cela étant, loin de moi l'idée de remettre en cause la notion d'expérimentation, car elle est essentielle. Elle permettra en effet à une collectivité, dans le cadre d'une de ses compétences, de légiférer, certes par dérogation et encadrée, mais dans des domaines relativement importants.
    Cependant le Sénat, s'il a conservé la restriction tenant à l'exercice d'une liberté publique, a supprimé celle liée au respect d'un droit constitutionnellement garanti qui figure dans le texte du Gouvernement. Cela m'intrigue car toute liberté ne peut être exercée réellement que sur la base de droits garantis.
    Par exemple le droit de propriété est déjà malmené lors de la mise en oeuvre de dispositions relatives à l'aménagement rural. Avec le transfert de cette compétence aux collectivités territoriales, la situation risque d'être aggravée.
    Je souhaite donc que le Gouvernement défende avec vigueur la rédaction initiale de cet alinéa.
    En ce qui concerne enfin la subsidiarité, ceux qui s'intéressent au dossier connaissent parfaitement l'avis du Conseil d'Etat qui estime que le texte est discutable. En effet il est risqué de mettre en forme normative, constitutionnelle un principe philosophique, sinon idéologique. L'une des remarques les plus pertinentes formulée par le Conseil d'Etat porte ainsi sur le principe même d'intégrer un principe d'ordre philosophique qui va poser des problèmes.
    En effet alors que l'article 34 de la Constitution donne toujours compétence au Parlement pour définir les compétences desdites collectivités territoriales, le principe constitutionnel que vous édictez va atténuer fortement la portée de cette disposition. Qui décidera si les compétences en cause peuvent être mieux mises en oeuvre au niveau des collectivités territoriales qui seraient ainsi une sorte de « mieux-exécutant » ? En tout cas ce ne sera pas le Parlement, je regrette, car, en cas de différend d'interprétation entre l'Assemblée et le Sénat - puisque nous sommes à peu près les seuls à pourvoir saisir le Conseil constitutionnel - ce dernier tranchera et il aura un pouvoir d'interprétation beaucoup plus large avec l'introduction de ce nouveau principe dans la Constitution.
    Il est donc incontestable que l'affirmation dans les principes constitutionnels du fait que les collectivités territoriales ont vocation à exercer l'ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en oeuvre à leur niveau affaiblit l'article 34. A cet égard le Conseil d'Etat a été particulièrement avisé d'appeler notre attention sur les désordres que cette disposition risque d'entraîner.
    C'est pourquoi j'ai déposé un amendement tendant à la supprimer. En effet, il ne me semble pas bon de placer un précepte philosophique en forme d'objectif dans un article de la Constitution, car cela ouvre la porte à tous les contentieux, à toutes les dérives.
    Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Balligand.
    M. Jean-Pierre Balligand. Nous arrivons enfin au coeur de ce qui aurait dû être le corpus même de ce texte, le reste étant un peu du bavardage. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle).
    M. Charles Cova. Et vous en êtes un adepte !
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Pourquoi avoir fait autant d'histoires alors ?
    M. Jean-Pierre Balligand. Chacun a pu relever les truismes de l'article 1er et le flou extraordinaire de l'article 2. Et ne reparlons pas de l'article 3, pour éviter de nous fâcher. L'article 4, en revanche, est un article consistant, comme l'article 6, que nous examinerons plus tard.
    Le problème de fond tient d'abord au fait que nous avons eu le sentiment, à la lecture tant du projet initial du Gouvernement que du texte modifié par quelques amendements du Sénat, qu'il s'agissait d'un texte un peu « copié collé ».
    Premier point : le deuxième alinéa du texte proposé pour l'article 72 de la Constitution. Nous y reviendrons au moment de présenter l'amendement que Bernard Roman a déposé au nom de notre groupe. Je l'ai dit ce matin aux assises des libertés locales - vous y étiez, monsieur le ministre -, je le redis gentiment : l'absence des établissements publics de coopération intercommunale dans le corpus même du texte est absolument incompréhensible quand on sait ce qui s'est passé depuis 1992 et 1999. Pourtant, 1992 cela remonte à dix ans déjà !
    Je ne demande pas de reconnaître les EPCI comme des collectivités territoriales, mais pourquoi ne pas en faire mention en écrivant : « Les collectivités territoriales et leurs groupements ont vocation à exercer l'ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en oeuvre à leur échelon » ? Où est le problème ? Nous nous heurtons parfois à des quiproquos, des procès d'intention. Dans le cas présent, je ne fais aucun procès d'intention : je voudrais simplement qu'on m'explique. Nous ne demandons pas à élever les groupements au rang de collectivité territoriale, mais dès lors que l'on parle de la « vocation à exercer l'ensemble des compétences », on ne peut pas ne pas les mentionner. Dans bon nombre de domaines, et plus particulièrement dans celui de l'action économique, qu'il s'agisse des communautés de communes à TP de zone, ou des communautés d'agglomération à TPU, l'intervention des groupements est incontournable. Personne ne comprendrait qu'ils ne figurent pas dans cet alinéa.
    Cette rédaction pose de surcroît, monsieur le ministre, un problème de jurisprudence qui mériterait quelques réponses : que se passera-t-il, lorsqu'un groupement, prenons une communauté d'agglomération, exercera - naturellement, car elle en a beaucoup - les compétences dont il est question, puisqu'il a reçu délégation ? N'y a-t-il pas un risque d'interprétation ? J'aimerais connaître le point de vue du ministère de l'intérieur. M. le garde des sceaux n'est pas là, mais le partage-t-il ? N'y a-t-il pas un risque de conflit d'interprétation ? Si tout le monde est d'accord, cela ira tout seul. Encore faut-il en être sûr, faute de quoi, l'absence de toute référence aux groupements ouvrira la porte à d'importants contentieux.
    Sur l'introduction elle-même du principe de subsidiarité, objet du troisième alinéa, je n'ai rien à dire. En revanche, sa rédaction est inacceptable pour une modification constitutionnelle. Tout en s'approchant de la lapalissade ou de la tautologie, elle n'en est pas moins porteuse d'un risque lié à l'imprécision du texte. Mon collègue Delattre vient de le dire. Qui définira les compétences qui méritent d'être assurées à un niveau territorial ? Quid des compétences régaliennes, dans un contexte de sécurité ou autre ?
    Cela renvoie aussi à l'absence de toute définition de l'Etat et de ses actions. S'il n'est pas absurde de confier à la Constitution le soin de définir le partage des compétences, encore faut-il les répartir avec la plus grande précision, sous peine de courir droit à la juridicarisation constitutionnelle, puisqu'on fera systématiquement appel au Conseil constitutionnel pour l'interpréter. Sur ce point également, je souhaiterais quelques précisions.
    Le quatrième alinéa a trait au droit d'expérimentation par les collectivités. Aucune mention n'y est faite d'une habilitation ou d'une autorisation circonstanciée donnée en connaissance de cause à la collectivité territoriale dès lors que la loi ou le règlement auront autorisé le principe d'une expérimentation. Certes, le texte précise que « les conditions essentielles d'exercice d'une liberté publique » doivent rester intactes. Mais plusieurs interrogations demeurent. Y a-t-il des conditions « non essentielles » en matière de libertés publiques ?
    Mme la présidente. Monsieur Balligand, je vous prie de conclure.
    M. Jean-Pierre Balligand. Reviendra-t-il au préfet de connaître et, le cas échéant, de censurer la démarche expérimentale ? Toutes ces questions ne se poseraient évidemment pas si le contenu des textes organiques et ordinaires était déjà plus ou moins connu. Or ce n'est pas le cas. Dès lors, ce n'est pas faire un procès d'intention de s'interroger, en attendant que vous nous répondiez.
    J'en termine avec le sixième alinéa. La notion de « chef de file », on l'a dit, n'apparaît pas dans le texte du Gouvernement qui ne manque pourtant pas de l'utiliser dans tous les commentaires. Je persiste à penser que le terme d'« autorité administrative » employé, on s'en souvient, à l'occasion d'une expérimentation - les transports ferroviaires régionaux - systématisée depuis, est tout à fait approprié. Pourquoi en reste-t-on au concept de « chef de file » ? On ne sait pas bien ce que cela veut dire, ce qui, là encore, crée des risques de contentieux.
    Monsieur le ministre, toutes ces petites questions n'ont rien de polémique. Mais cet article 4 est important et mérite que l'on connaisse exactement, sur ces divers points, la philosophie du Gouvernement, ne serait-ce que pour éclairer le Conseil constitutionnel qui aura souvent l'occasion, me semble-t-il, d'apprécier ce genre de choses.
    Mme la présidente. La parole est à M. André Chassaigne.
    M. André Chassaigne. Je me limiterai à quelques appréciations d'ensemble sur l'article 4. Nous reviendrons sur des points plus spécifiques lors de la discussion sur les amendements.
    La question qu'on peut se poser en lisant cet article - celle en tout cas que je me suis posée lorsque je l'ai découvert - est la suivante : apportera-t-il véritablement des réponses claires, précises, notamment après l'article 1er et l'article 2 ? Il est vrai qu'il apparaît, au premier abord, de nature à pouvoir apporter quelques précisions. Mais derrière cette apparence trompeuse, l'article 4 est, au contraire, celui qui traduit sans doute le mieux vos véritables objectifs. Le président-rapporteur n'a-t-il pas en commission des lois parlé d'ouvrir le champ des possibles ? Vous-même, monsieur le ministre, n'avez-vous pas dit, si j'en crois ce qu'a abondamment rapporté la presse, qu'il s'agissait là de la mère de toutes les réformes ? L'article 4 le démontre bien : votre objectif est bien d'ouvrir le champ du possible, de lancer « la mère de toutes les réformes », dans la mesure où, précisément, il permet absolument tout, y compris de fragmenter, jusqu'à les casser, certaines collectivités territoriales, ou, à l'inverse, d'ouvrir la voie à d'éventuels regroupements.
    M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. Avez-vous vraiment lu cet article ?
    M. André Chassaigne. Il ne suffit pas de faire des effets de manche, monsieur le président de la commission ! Moi aussi, j'ai lu et étudié ce texte ! Je vous demande un peu de respect.
    Toutes les possibilités de fragmentation, disais-je, sont ouvertes. On pourra ainsi opposer les territoires les uns aux autres dans un objectif éminemment libéral et encourager le dumping social ou la rivalité fiscale. Autant d'objectifs qui s'inscrivent dans une philosophie plus générale de marchandisation et d'ouverture des marchés.
    En fait, on peut faire tout et n'importe quoi avec cet article-supermarché. Car c'est bien un supermarché : on tendra la main vers un rayon pour y prendre telle compétence, et telle autre dans un autre rayon. Bref, tout et n'importe quoi, avec, de surcroît, le risque est réel, la possibilité de liquider certaines communes en jouant de l'artifice du regroupement, qui permettra de porter un coup fatal à nos petites communes rurales.
    Quelle ambition vous anime derrière tout cela ? En premier lieu, la logique fédéraliste, même si vous refusez d'employer ce terme. « Couvrez cette loi que je ne saurais voir »...
    M. Michel Piron. Oui, mais pas trop vite, dirait Juliette Gréco !
    M. André Chassaigne. ... et que vous essayez d'habiller pour cacher vos objectifs fondamentaux.
    Votre deuxième préoccupation, c'est la réduction des dépenses publiques nationales. Pour mieux répondre aux critères du traité de Maastricht, vous allez renvoyer nombre de dépenses publiques sur les collectivités territoriales, menaçant au bout du compte leur équilibre, ce qui se traduira par un risque très sérieux d'augmentation de la fiscalité locale.
    Mme la présidente. La parole est à M. Paul Giacobbi.
    M. Paul Giacobbi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous me permettrez quelques remarques, à mes yeux nécessaires, en commençant par ce que l'on a appelé un peu rapidement la subsidiarité. M. Clément nous expliquera sans doute que l'alinéa visé n'y fait aucune allusion. Auquel cas, que contient-il ? Il y est dit que les collectivités territoriales ont vocation à exercer l'ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en oeuvre à leur échelon. Certes, ce n'est pas la mise en oeuvre d'un principe de subsidiarité, autrement plus complexe et qui, soit dit par parenthèse, lorsqu'il est exprimé dans des constitutions de type fédéral, donne lieu à des rédactions variables, subtiles, difficiles et qui rarement excluent l'existence d'un domaine concurrent. Les jurisprudences des cours suprêmes des Etats fédéraux passent, on le sait, beaucoup de temps à s'occuper des coléoptères à propos des domaines concurrents qui peuvent survenir...
    Quoi qu'il en soit, je n'ai pas le sentiment que cette rédaction apporte grand-chose. Constater qu'une collectivité a vocation, c'est très bien mais ce n'est guère normatif, c'est le moins que l'on puisse dire. Quant à savoir à quel échelon on peut le mieux mettre en oeuvre une compétence, cela relève du qualitatif, du relatif, parfois même du composite : pour ne prendre que l'exemple très concret de la gestion de l'eau, il peut paraître absurde que la Corse soit rattachée à l'agence de l'eau du Midi... Il est difficile de prétendre qu'il s'agisse du même bassin hydrologique, sauf à supposer qu'il se passe par dessous des phénomènes assez étranges ! Il n'y a pas de relation a priori. Si la gestion de l'eau de la Corse et du Midi a ainsi été regroupée, c'est tout simplement parce que l'on a estimé que, sur le plan financier, il valait mieux pour la Corse être intégrée dans un ensemble plus vaste, fût-il incohérent sur le plan hydrologique. Sur quelle logique doit-on se fonder pour définir le bon échelon : la logique hydraulique ou la logique financière ? Autant dire que l'application de cet article, si tant est qu'il ait vocation à être appliqué, c'est-à-dire à avoir une portée normative réelle - ce dont je doute un peu -, risque tout de même d'être très complexe.
    Pour ce qui concerne le reste de l'article 4, monsieur le ministre, je me réjouis, dans son principe et pour l'essentiel, du dispositif proposé, à deux questions près : la première à caractère technique - encore que -, la seconde à caractère un peu plus politique. Le Sénat - vous savez combien car nous sommes attentifs à ses travaux -, par le biais d'un amendement, a tenu à ajouter à l'article 72, à la suite des communes, des départements et des régions, les collectivités à statut particulier. Ma curiosité a naturellement été émoustillée... Le Sénat a ensuite modifié la suite de l'alinéa, le texte devenant : « toute autre collectivité territoriale est créée par la loi, le cas échéant en lieu et place d'une ou de plusieurs collectivités mentionnées au présent alinéa ».
    J'ai interrogé un constitutionnaliste sur la portée de ce rajout. Il m'a répondu que la seule portée de la constitutionnalisation - il est vrai que nous constitutionnalisons à peu près tout - des collectivités à statut particulier serait qu'il devrait toujours subsister en France au moins une collectivité à statut particulier. Mais on n'a pas dit laquelle, et ce ne serait pas sur un territoire donné. Autrement dit, on pourrait tordre le cou à toutes les collectivités à statut particulier, pour peu qu'on en garde une, la Corse, Mayotte ou autre.
    C'est là, certes, une interprétation de doctrine, monsieur le ministre. Mais pouvez-vous me confirmer ou m'infirmer que la rédaction issue du Sénat n'interdira nullement, dans une région comprenant, par exemple, une collectivité à statut particulier et deux départements, de fusionner ces trois collectivités en une seule et nouvelle collectivité à statut particulier, probablement assez différente de la première, dans le but de retrouver une proximité perdue, d'une certaine manière, au bénéfice de la simplification, alors même que ce processus jouerait contre la proximité en faisant disparaître les deux départements ?
    Si l'on me confirme l'innocuité de cette rédaction, cela me suffira...
    Mme la présidente. Monsieur Giacobbi, je vous prie de conclure !
    M. Paul Giacobbi. Je vous en prie, madame la présidente, je voudrais simplement terminer. Tout le monde abuse du temps de parole ; si je m'attarde quelque peu, c'est que le problème est extrêmement technique.
    Mme. le présidente. Tout à l'heure, je réexpliquerai correctement la règle à tous.
    M. Paul Giacobbi. Je m'en excuse, madame la présidente, mais j'ai juste un petit quelque chose à ajouter.
    Je souhaiterais donc confirmation de l'innocuité à cette rédaction. Si tel est le cas, le fait qu'elle soit inutile ou pas me laissera totalement indifférent.
    Ma seconde remarque est plus politique. Elle tient au motif qui a pu vous conduire à proposer des dispositions relatives à la fusion des départements ou toute autre collectivité avec une autre. Je m'exprime ici très clairement, car je crois sincèrement que ces dispositions sont inspirées par une considération générale, qu'elles s'appliqueront bien ailleurs qu'en Corse et je les trouve personnellement excellentes.
    Mais un certain nombre de gens en Corse, et pas plus tard que l'autre jour, à Ajaccio, lors des assises des libertés locales auxquelles vous assistiez, ont affirmé que vous agissiez sous la contrainte d'une organisation clandestine. Ceci m'a révolté, révulsé et je me suis permis d'y répondre par une protestion relativement vigoureuse, en tout cas bien sentie, qui n'a donné lieu à aucune autre réponse des intéressés - ou plutôt de l'intéressé dans le cas d'espèce, resté coi. Elle a également suscité quelques applaudissements dans la salle. Mais comme vous n'avez pas répondu - mais deviez-vous répondre ? Sûrement pas ! -, je reste dans l'attente d'une confirmation.
    Vous me répondrez, monsieur le ministre, que ces choses-là vont sans dire. Mais il faut briser le silence, aller au fond des choses, et comme cette opinion est répétée ici et là de manière récurrente, je suis obligé de vous demander devant la représentation nationale, de faire litière de toute allégation de cette nature, de rappeler que vous agissez librement, dans l'intérêt général, que ces dispositions ne s'appliquent pas qu'à la Corse, qu'elles pourront s'appliquer ailleurs et que le pouvoir constituant n'est subordonné à la contrainte d'aucune organisation de quelque nature qu'elle soit, y compris naturellement et surtout si elle était clandestine.
    Mme Ségolène Royal. Très bien !
    Mme la présidente. La parole est à M. Louis-Joseph Manscour.
    M. Louis-Joseph Manscour. Au moment où nous abordons l'article 4, l'on doit demander si cette réforme constitutionnelle répond aux aspirations des populations des DOM, et singulièrement de celles de la Martinique, mais aussi à celles des élus.
    Lors de son allocution du 11 mars 2000 à Madiania en Martinique, le Président de la République affirmait avec force et conviction devant les Martiniquais et les Martiniquaises sa volonté de doter les collectivités d'outre-mer d'un statut différencié. Il déclarait, faisant référence au rapport Lise-Tamya et à la déclaration de Basse-Terre : « aucune de ces démarches ne me gêne, aucune de ces approches ne me choque ; toutes les orientations, s'agissant des DOM, sont admissibles, dès lors que les principes de la République et de la démocratie sont respectés et que les populations concernées sont, le cas échéant, consultées ».
    Nous avons accueilli ces propos avec enthousiasme, monsieur le ministre. Le congrès des élus départementaux et régionaux de la Martinique mis en place par la LOOM a travaillé consensuellement dans cette perspective, et Mme la ministre de l'outre-mer nous a assuré qu'elle tiendrait compte de toutes les propositions faites en ce sens.
    Je ne suis pas homme à critiquer pour critiquer, à s'opposer pour s'opposer, je ne l'ai jamais fait et je souhaite donc mettre en lumière un élément très positif du projet de loi constitutionnelle. Je me réjouis, en effet, de l'inscription dans l'article 72-3 de la possibilité pour les populations concernées de se prononcer sur tout changement institutionnel, avec même un droit de veto. Oui, je me félicite de ces avancées puisque, ainsi, tout changement de statut ne pourra être réalisé contre la volonté de ces populations, mais force est de constater qu'en dépit de cette évolution certaine le texte que le Gouvernement nous propose reste bien en deçà des aspirations profondes des élus antillais et plus particulièrement des élus martiniquais.
    L'article 4 du projet de loi constitutionnelle propose de modifier l'article 72 qui ouvre le titre XII de la Constitution afin de prendre en compte les réalités particulières des DOM. Il est ainsi prévu que les collectivités territoriales pourront passer, avec le consentement des électeurs, du régime de l'article 73 à celui de l'article 74.
    Ces dispositions semblent ouvrir une porte sur la décentralisation tant attendue dans nos départements d'outre-mer. Pourtant, à y regarder d'un peu plus près, la porte se referme aussitôt.
    En effet, le texte proposé ne nous laisse pas autant de libertés que le Gouvernement voudrait bien nous le laisser croire.
    L'article 73 que le Gouvernement nous propose ne prend en compte que les départements et les régions d'outre-mer. Si, dans l'avenir, ces entités territoriales voulaient évoluer en entités à statut particulier, elles perdraient de facto de nombreuses prérogatives offertes, notamment, par l'Union européenne. En disant bonjour à un peu plus d'autonomie, on dirait alors au revoir au FEOGA, au FEDER, à l'IFOP ou au FSE.
    Mes chers collègues, les départements d'outre-mer bénéficient actuellement d'une discrimination positive tout à fait légitime. Ils perdraient cet avantage si, d'aventure, ils passaient du statut prévu à l'article 73 à celui de l'article 74.
    Nous savons bien que, si tous les élus et les populations d'outre-mer, de droite comme de gauche d'ailleurs, souhaitent une évolution vers la responsabilisation, ils souhaitent également voir maintenues et préservées les dispositions de l'article 299-2 du traité d'Amsterdam.
    Nous espérions tant de cette loi constitutionnelle relative à la décentralisation. Elle nous offrait une formidable occasion de sortir de ce jacobinisme séculaire, de ce paternalisme bienveillant, qui a d'ailleurs fait plus de mal que de bien, lorsqu'on l'analyse sous le prisme de l'Histoire. Ah ! le mauvais père qui a usé, abusé même, de sa supériorité, voulant décider pour ses enfants, et, pire, voulant penser pour eux ! Il est temps de briser le complexe d'OEdipe des départements français !
    Dans cette optique, il s'agit notamment de concevoir une collectivité martiniquaise qui, loin de tout « assimilationnisme », exprime et développe une identité et une culture propre, sans complexes, dans une république moderne et démocratique dans ce grand ensemble qu'est l'Europe.
    Monsieur le ministre, quasiment tous les articles du projet de loi constitutionnelle concernant le titre XII renvoient à une loi organique pour laquelle nous n'avons aucune précision ni sur le contenu ni sur la date de mise en oeuvre.
    Je ne peux m'empêcher de penser que vous avez rédigé ce texte dans la précipitation et, si nous l'adoptons, nous aurons un titre XII de la Constitution bien imprécis et aléatoire.
    Mme la présidente. Veuillez conclure, monsieur Manscour.
    M. Louis-Joseph Manscour. Au-delà de ces imperfections de fond, le projet de loi constitutionnelle est également entaché, à mes yeux, d'imperfections de forme.
    Comme l'a souligné M. Lurel, le Gouvernement semble oublier, en effet, un droit fondamental, consacré en 1960 par le général de Gaulle, et confirmé en 2000 dans la loi d'orientation de l'outre-mer. Le décret du 26 avril 1960, modifié en 1989, dipose en son article 1er que tous projets de loi et décrets tendant à adapter la législation ou l'organisation administrative des départements d'outre-mer à leur situation particulière seront préalablement soumis, pour avis, aux conseils généraux de ces départements. Je suis au regret de constater que cela n'a pas été fait.
    Le Gouvernement semble faire fi de ce droit fondamental. En réalité, votre gouvernement n'a pas confiance dans la capacité des hommes et des femmes...
    Mme la présidente. Veuillez conclure, monsieur Manscour.
    M. Louis-Joseph Manscour. ... et des élus d'outre-mer à prendre en main la gestion de leurs affaires dans le cadre d'une République émancipatrice prête à assumer et reconnaître les différences qui font sa richesse et son universalité.
    M. Victorin Lurel et Mme Ségolène Royal. Très bien !
    Mme la présidente. La parole est à M. Augustin Bonrepaux.
    M. Augustin Bonrepaux. En rédigeant votre texte, monsieur le ministre, vous avez tout de même oublié quelque chose de fondamental, c'est l'intercommunalité !
    L'intercommunalité ne date pas d'aujourd'hui. Cela a commencé en 1966, vous devriez vous en souvenir, avec la création des communautés urbaines et des districts, pères des communautés de communes. Elle a été élargie en 1992, par une loi qui a donné une forte impulsion aux communautés de communes, si bien qu'il y en a sur tout le territoire rural, puis par la loi de 1997, qui a permis la création des agglomérations et des communautés d'agglomérations. Comment se fait-il alors que l'intercommunalité ne figure pas dans ce texte ?
    M. Hervé Mariton. Parce qu'il y a beaucoup de choses à corriger dans tout cela !
    M. Augustin Bonrepaux. C'est tout de même un retour en arrière. Cela ne m'étonne pas de ceux qui veulent remettre en cause l'intercommunalité.
    M. Hervé Mariton. Tel que vous l'avez conçue, oui !
    M. Augustin Bonrepaux. Il y en a sur ces bancs, je le vois bien !
    Dans ce cas, il faut le dire clairement.
    M. Hervé Mariton C'est du fétichisme de votre part !
    M. Augustin Bonrepaux. C'est vrai que vous n'avez pas voté la loi de 1992 et, à part en 1966, vous n'avez pas fait progresser l'intercommunalité. Récemment encore, dans la loi de finances, vous avez voté un amendement qui va remettre en cause sa progression. Le gel du critère d'intégration fiscal pour les communautés de communes à taxe professionnelle unique, ce n'est pas une incitation à l'intégration, à la progression de l'intercommunalité!
    M. Hervé Mariton. C'est la subsidiarité !
    M. Augustin Bonrepaux. Si vous êtes contre l'intercommunalité, il faut le dire, mais je crois que c'est un oubli grave pour notre territoire, car aussi bien dans les communautés urbaines que dans les communautés de communes, et à plus forte raison dans les zones défavorisées, c'est l'organisation qui peut le mieux assurer le mieux le développement économique et faire vivre un certain nombre de services culturels et sociaux permettant de mieux servir la population et de se rapprocher d'elle. Quand les communes sont trop petites, trop dispersées, on ne peut rien faire sans intercommunalité.
    Ce qui m'inquiète, c'est que la plupart des projets de développement initiés par exemple par les départements ou les régions ne pourront pas trouver, suffisamment d'interlocuteurs pour assurer cette décentralisation. On nous parle toujours du modèle espagnol, mais il reconnaît justement ces communautés qui dépassent la commune et permettent de mieux assurer ce service. Comment pourra-t-on soutenir des projets si l'intercommunalité n'est pas dans certains cas reconnue comme chef de file ? Quand on crée, par exemple une zone d'activités, il y a souvent des réseaux communaux, et il faudrait que l'intercommunalité puisse jouer ce rôle. Ce ne sera pas possible. Ce n'est pas une avancée, c'est même un recul.
    Enfin, comment pourra-t-on transférer des compétences à l'intercommunalité tant qu'on ne lui donnera pas les moyens réglementaires de les mettre à l'oeuvre ?
    Prenons par exemple la compétence fondamentale des communautés de communes, au sens de la loi de 1992, le développement économique. Cela comprend souvent le développement touristique. Comment une communauté pourra-t-elle décider de percevoir la taxe de séjour sur son territoire. On lui reconnaîtra la compétence et elle n'aura pas le pouvoir réglementaire de la mettre en oeuvre. L'égoïsme est parfois un frein à l'intercommunalité, et la commune qui perçoit le plus de taxes de séjour peut s'opposer à ce qu'elles soient mises en intercommunalité.
    Il faut donc définir les compétences avec précision, et il serait tout à fait normal que l'intercommunalité soit reconnue comme collectivité territoriale...
    M. Hervé Mariton. Non!
    M. Augustin Bonrepaux. Sinon, c'est une remise en cause de l'intercommunalité et de l'aménagement du territoire.
    Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements, n°s 88 et 121, pouvant être soumis à une discussion commune.
    L'amendement n° 88, présenté par M. Roman, est ainsi libellé :
    « Rédiger ainsi le texte proposé pour l'article 72 de la Constitution :
    « Les collectivités territoriales de la République sont les communes, les départements, les régions et les collectivités d'outre-mer régies par l'article 74. Toute autre catégorie de collectivité territoriale est créée par la loi. La loi peut également créer une collectivité à statut particulier, en lieu et place de celles mentionnées au présent alinéa.
    « Les collectivités territoriales et leurs groupements ont vocation à exercer l'ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en oeuvre à l'échelle de leur ressort.
    « Dans les conditions prévues par la loi, ces collectivités et leurs groupements s'administrent librement par des conseils élus. Pour l'exercice de leurs compétences, les collectivités et leurs groupements disposent, dans les mêmes conditions d'un pouvoir réglementaire.
    « Dans les conditions prévues par la loi organique, et sauf lorsque sont en cause les conditions essentielles d'exercice d'une liberté publique ou d'un droit constitutionnellement garanti, les collectivités territoriales et leurs groupements peuvent, lorsque, selon le cas, la loi ou le règlement l'a prévu, déroger, à titre expérimental, aux dispositions législatives ou réglementaires qui régissent l'exercice de leurs compétences.
    « Lorsque l'exercice d'une compétence nécessite le concours de plusieurs collectivités territoriales ou groupements, la loi peut confier à l'un d'entre eux le pouvoir de fixer les modalités de leur action commune.
    « Dans le ressort des collectivités territoriales de la République, le représentant de l'Etat, représentant de chacun des membres du Gouvernement, a la charge des intérêts nationaux, du contrôle administratif et du respect des lois. »
    L'amendement n° 121, présenté par Mme Comparini, M. Albertini et les membres du groupe Union pour la démocratie française et apparentés, est ainsi libellé :
    « Rédiger ainsi le texte proposé pour l'article 72 de la Constitution :
    « Les collectivités territoriales de la République sont les communes, les départements, les régions et les collectivités d'outre-mer. Toute autre collectivité territoriale est créée par la loi.
    « Les collectivités s'administrent librement par des conseils élus et, dans les conditions prévues par la loi, selon le principe de subsidiarité. Dans leur domaine de compétence, elles mettent en oeuvre les principes de la démocratie locale et assurent l'information des citoyens : elles peuvent soumettre à la consultation des électeurs des projets de délibération ; dans les conditions définies par la loi, les électeurs peuvent saisir l'une des collectivités territoriales visées au premier alinéa de l'article 72 en vue de l'organisation d'une consultation sur les affaires relevant de leur compétence.
    « Les collectivités territoriales jouissent de l'autonomie financière et fiscale.
    « Elles disposent du droit à l'expérimentation dans les conditions fixées par une loi organique. Dans ce cadre, elles peuvent être habilitées par le législateur à fixer des règles adaptées aux spécificités locales, excepté lorsque l'exercice d'une liberté individuelle ou un droit fondamental est en cause.
    « Aucune collectivité territoriale ne peut exercer de tutelle sur une autre. Cependant, pour la conduite d'un projet commun, des collectivités peuvent décider de confier à l'une d'elles un rôle de pilote, impliquant la responsabilité des études, de l'information et de la réalisation.
    « Dans les collectivités territoriales, le préfet a la charge des intérêts nationaux et du respect des lois. »
    La parole est à Mme Ségolène Royal, pour soutenir l'amendement n° 88.
    Mme Ségolène Royal. Le projet de révision constitutionnelle fait totalement l'impasse sur ce qui paraît être une évolution irréversible de la décentralisation : l'intercommunalité. Comme cela a été abondamment dit lors de l'examen du texte au Sénat, et à nouveau ici, si la région fait son entrée dans la Constitution, les intercommunalités doivent y entrer aussi.
    M. Hervé Mariton. Non !
    Mme Ségolène Royal. Je sais que des engagements ont été pris par le Premier ministre devant les présidents de conseils généraux, qui, paraît-il, se méfient des intercommunalités, les considérant comme une menace à leur pouvoir local,...
    M. Philippe Pemezec. Ils ont raison !
    Mme Ségolène Royal. ... mais la réalité est là. On ne peut pas prétendre mettre en place la République des proximités et ignorer totalement la véritable révolution territoriale silencieuse et sereine de ces dernières années.
    M. Philippe Pemezec. Il faut laisser le choix aux communes.
    Mme Ségolène Royal. Il y a 2 175 établissements publics à fiscalité propre regroupant 27 000 communes, plus de 45 millions d'habitants, 120 communautés d'agglomération représentant 16 millions d'habitants.
    M. Hervé Mariton. Quelle augmentation d'impôts en face ?
    Mme Ségolène Royal. Le mouvement d'adhésion volontaire est massif, et une telle exclusion du projet de décentralisation procède soit d'un oubli coupable, soit d'un préjugé passéiste qu'il vous revient, dans l'un et l'autre cas, de corriger. On peut très bien imaginer des transferts de ressources fiscales du département vers les intercommunalités, au même titre que nous proposerons des transferts de fiscalité nationale de l'Etat vers les régions et les départements. Je crois que la liberté locale se mesure aussi à ce qui se passe sur le terrain !
    M. Hervé Mariton. Vous l'avez fait ?
    Mme Ségolène Royal. Pour vivre l'intercommunalité, on sait très bien que les collectivités locales, les petites communes se sont rassemblées et ont mis en oeuvre des projets de développement local au plus proche des habitants. C'est là sans doute que la démocratie participative peut être la plus vivante. C'est là qu'il y a aussi un renouvellement des responsables politiques. C'est là qu'on trouve un véritable équilibre à la France des notables, car il s'agit des maires de base, des présidents de communauté de base. Je sais que ce mot n'est pas apprécié, mais il faut un équilibre entre ceux qui détiennent le pouvoir depuis des années et des années et ces petites structures plus ou moins grandes qui se sont mises en place progressivement.
    M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. Vous pensez au maire de Niort ?
    Mme Ségolène Royal. Justement, vous voyez qu'on peut transcender les clivages politiques pour désigner des présidents de communauté de communes, et vous le savez bien d'ailleurs.
    Souvent, ces collectivités locales sont beaucoup plus à l'abri des enjeux politiciens que les départements et les régions, précisément parce qu'il y a une gestion immédiate et concrète de projets locaux. Il ne s'agit pas d'effacer les uns pour remettre les autres. Les présidents de région et les présidents de département ont leur légitimité mais il ne faut pas que ce soit aux dépens de ce qui a émergé depuis des années sur l'ensemble du territoire, à savoir les regroupements intercommunaux.
    On sait bien que, derrière, c'est l'élection des présidents de communauté de communes qui est en jeu.
    M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. Absolument pas !
    Mme Ségolène Royal. C'est sans doute pour cela que vous ne souhaitez pas introduire l'intercommunalité dans la Constitution. Sinon, comment pouvez-vous expliquer que cette réalité à la fois sociologique et politique et, surtout, de développement local au quotidien soit ainsi écartée de la réforme constitutionnelle ?
    Mme la présidente. La parole est à M. Rodolphe Thomas, pour soutenir l'amendement n° 121.
    M. Rodolphe Thomas. Cet amendement tend à modifier le texte proposé pour l'article 72 de la Constitution qui est le véritable fondement de la liberté des collectivités locales.
    Le projet de loi de décentralisation fait la part belle au pragmatisme et à l'expérimentation. Le raisonnement est fort juste : on ne peut pas appliquer les mêmes solutions à des territoires dont la situation est différente. Cette loi a pour objectif de créer un cadre général à l'intérieur duquel les spécificités locales pourront s'exprimer. Il est important que ce cadre - l'article 72 de la Constitution - soit souple, afin de permettre à chaque collectivité de choisir la solution la plus efficace pour elle.
    Il nous a donc paru important de constitutionnaliser des principes, dont nous laisserons au juge constitutionnel le soin de définir le contenu exact, plutôt que des définitions rigoureuses dont nous pourrions être prisonniers tôt ou tard.
    Quelques grands principes sont affirmés : le principe de subsidiarité, le droit à l'expérimentation et la désignation d'une collectivité chef de file, le refus qu'une collectivité puisse exercer une tutelle sur une autre, le principe d'autonomie financière et fiscale des collectivités.
    Mais il importe surtout de démocratiser davantage encore nos institutions. C'est pour cette raison que nous voulons insister sur le droit à l'information, qui est l'une des conditions essentielles de la participation citoyenne. Par ailleurs, le droit de pétition doit déboucher sur l'organisation d'une consultation locale, et ne pas demeurer au stade de l'examen par l'assemblée délibérante, comme cela est prévu dans le projet. Néanmoins, parce que nous sommes dans une démocratie représentative dans laquelle les élus sont indépendants, il est fondamental que cette consultation conserve un caractère non décisionnaire. Sinon, il est à craindre que le mécanisme ne soit guère utilisé.
    C'est au nom de la souplesse et de nos valeurs démocratiques que nous vous demandons, mes chers collègues, d'adopter cet amendement.
    Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 88 et 121 ?
    M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. Ces deux amendements sont totalement différents.
    L'amendement de M. Roman, qu'a défendu Mme Royal, est bien connu, puisqu'il reprend l'amendement déposé par M. Mauroy au Sénat. Tout le monde sait que M. Mauroy souhaite que l'on introduise les EPCI dans la Constitution.
    J'ai déjà expliqué ici à de nombreuses reprises et, pour ne pas lasser, je le ferai pour la dernière fois, les raisons qui militent pour que les EPCI ne soient pas constitutionnalisées dès maintenant. Cela dit, il y a tout de même une réelle avancée dans ce domaine.
    Il est clair que l'on ne peut aujourd'hui considérer l'EPCI, dont les membres ne sont pas élus au suffrage universel, comme une collectivité autonome, même s'il a une fiscalité propre, alors que les périmètres des communautés ne sont pas du tout les mêmes. En Charente-Maritime par exemple, dans votre région, madame Royal - comme me l'a expliqué un jour M. Bussereau -, les communautés de communes sont très grandes ; chez moi, elles sont très petites, etc. Il y a une grande vitalité dans le pays, ce n'est pas ce texte qui me fera dire le contraire. Il ne s'agit pas de passer tout le monde à la toise. Dans ma région, deux communautés de communes sont en train de fusionner pour en former une plus grande. Bref, on voit bien que tout cela n'est pas fixé.
    Vous nous reprochez de refuser l'élection au suffrage universel direct. Ce n'est pas un problème politicien. Madame Royal, faites-nous l'honneur de croire que ce n'est ni l'objet de la loi ni le souci du législateur. Mais le peuple français a exprimé sa volonté et sa maturité : il est inquiet pour les communes, les collectivités de base, et voit d'un mauvais oeil une évolution qui s'apparenterait, du point de vue démocratique, à une consécration des EPCI, avec l'élection au suffrage universel. Nous en avons parlé dans ma communauté de communes. Le bureau des maires comprend treize membres, qui se répartissent à peu près également entre la gauche et la droite : aucun n'était d'accord, car tous voulaient que les Français continuent de voir en leur maire le premier responsable. Le jour où un président d'EPCI fera sa liste politique partisane, la consécration sera très forte et, très vite, il sera considéré comme le patron, le maire n'étant plus qu'une espèce d'adjoint. Cela reviendrait à créer un deuxième niveau d'élus.
    Je voudrais établir un parallèle qui, comme tous les parallèles, n'est peut être pas entièrement probant, mais qui est relativement éclairant. Les établissements publics régionaux ont été créés en 1972. Pendant des années, ils ont été dirigés par divers élus, dont j'étais, car les parlementaires en étaient membres de droit. C'était un club dont les membres étaient désignés par les maires et par les conseillers généraux. Dix ans plus tard, la loi de 1982 a décidé de les remplacer par les conseils régionaux et, quelques années plus tard, en 1986, nous avons procédé à l'élection au suffrage universel direct des conseillers régionaux. Je suis personnellement convaincu que nous verrons la même évolution pour les EPCI, mais qu'elle sera plus lente. En effet, un établissement public cela ne dit rien à personne ; comme disait un de mes professeurs de droit : « On ne déjeune pas avec une personne morale. » Un établissement public, c'était une abstraction. En revanche, là, on part de la commune pour monter à l'établissement public : dès lors, il y a un sentiment de perte d'identité, ce qui ralentira l'évolution.
    J'ai cité, hier, un autre argument : cela donne une fantastique habitude aux élus qui serait aussitôt perdue s'il y avait des listes politiques. Aujourd'hui, les coopérations entre élus sont transversales, transcendent les clivages politiques. Dès lors qu'il y a une opposition et une majorité, le climat change du tout au tout : il suffit de vous voir oeuvrer depuis trois jours pour le comprendre.
    Mme Ségolène Royal. Et les conseils généraux ? Le Premier ministre l'a dit devant vous.
    M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. J'ignore ce qu'a dit le Premier ministre sur ce point précis, je ne m'en souviens plus, mais je sais très bien ce que pensent quelques présidents de conseils généraux, dont un que je connais plutôt mieux que les autres. Ils se réjouissent de l'existence des EPCI et souhaitent au contraire les coordonner.
    Mme Ségolène Royal. Nous y sommes !
    M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. Coordonner, cela veut dire aider, madame Royal, ce n'est pas mettre sous tutelle. Les conseils généraux passent leur temps à aider les collectivités locales et je ne me souviens pas qu'on les ait jamais mises sous tutelle d'une quelconque manière.
    Madame Ségolène Royal, à ma connaissance, vous n'avez pas été présidente de département, et vous avez donc une idée totalement préconçue et abstraite d'une situation qui est beaucoup moins critiquable que ce que vous avez l'air d'insinuer. Les présidents de conseils généraux sont très heureux des EPCI. En revanche, c'est vrai, ils sont beaucoup moins heureux des pays, et ne veulent pas de cette structure supplémentaire.
    Nous avons fait deux pas importants en votre direction. Un amendement du Sénat a donné la possibilité aux groupements le droit de procéder à des expérimentations.
    Je vous rappelle que je défendrai tout à l'heure un amendement proposant que ces mêmes groupements puissent devenir chef de file d'un projet commun au même titre que les communes, les départements et les régions. Madame Royal, vous avez donc, M. Roman, M. Mauroy et vous, totalement satisfaction sur le plan pratique. La seule satisfaction qui ne vous est pas donnée, c'est la sacralisation de la Constitution. Mais, sur le plan pratique, vous avez satisfaction.
    M. Jean-Pierre Balligand. Pas du tout !
    M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. Sur le plan des symboles, je l'ai expliqué, il faudra un peu de temps pour que les Français s'y fassent.
    L'UDF avait très justement et légitimement préparé une proposition de loi sur la décentralisation. Votre commission des lois l'a trouvée tellement intéressante qu'elle l'a adjointe au rapport - j'espère qu'on apprécie l'hommage. Mais on peut avoir des vanités d'auteur. Je pense, en tant que rapporteur, que la rédaction du Gouvernement est plus claire. Ainsi, pour ce qui est de la démocratie de proximité, la proposition de loi du groupe UDF prévoit la pétition là où le Gouvernement prévoit le référendum. Nous allons donc plus loin que vous, puisque, même dans vos rêves les plus déraisonnables, vous n'avez pas osé aller jusqu'au référendum.
    Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement sur les deux amendements n°s 88 et 121 ?
    M. le ministre délégué aux libertés locales. M. Clément a raison de dire, à propos de l'amendement de Mme Royal et en réponse à Mme Royal et à M. Balligand sur la fameuse question de l'intercommunalité, que nous avons souvent donné des explications à ce sujet. D'ailleurs, M. Balligand, qui était ce matin avec moi à Amiens, en a eu une démonstration assez éclairante lorsque l'un des intervenants, réclamant l'élection au suffrage universel des établissements publics intercommunaux, a soulevé un tollé chez les maires ruraux présents dans la salle.
    Cette élection se conçoit parfaitement sur le plan de la logique démocratique, compte tenu des responsabilités importantes qu'exercent les organes des EPCI, et des dépenses considérables qu'ils peuvent engager, mais on voit bien, en même temps, que la situation n'est pas mûre. On ne peut que se réjouir des processus de l'intercommunalité - je le dis pour M. Bonrepaux qui s'est absenté - et le Gouvernement est très favorable à ce principe, et c'est bien pourquoi il ne voudrait pas le faire dérailler par un excès de zèle, comme certains cherchent à l'y pousser.
    Il y a deux raisons au succès de l'intercommunalité, deux raisons qui fixent, en quelque sorte, la règle du jeu : d'une part, les organes de l'intercommunalité sont élus par les communes adhérentes et tirent donc indirectement leur légitimité de leurs mandants, d'autre part, l'abondement de la DGF constitue une incitation financière non négligeable.
    Aujourd'hui, l'intercommunalité concerne 28 000 communes sur 36 000. Le processus est...
    M. Pascal Clément. président de la commission, rapporteur. Dynamique !
    M. le ministre délégué aux libertés locales. ... en mouvement, très dynamique. On considère que 2 000 nouvelles communes en moyenne devraient chaque année entrer dans l'intercommunalité, ce qui signifie que le processus arrivera à son terme dans quatre ou cinq ans. Dans le même temps, M. Clément a parfaitement raison, les périmètres ne sont pas encore stabilisés, ils sont encore variables, puisqu'il reste des trous. Le processus d'intégration des compétences est également très disparate. Parfois, il est très avancé, très intégré, et parfois très embryonnaire. Changer, par excès de zèle, les règles du jeu du processus qui fonctionne heureusement, avec succès, ce serait prendre le risque de le faire dérailler. Inscrire dans la Constitution les EPCI à égalité avec les autres collectivités territoriales, ce serait s'astreindre à faire élire leurs organes au suffrage universel : nous y serions obligés, ne serait-ce que par le Conseil constitutionnel. Cette évolution nous paraît prématurée, mais pas infondée. Les meilleures intentions peuvent conduire à des échecs.
    M. Balligand demandait pourquoi on n'inscrivait pas les groupements...
    M. Jean-Pierre Balligand. A l'alinéa 2.
    M. le ministre délégué aux libertés locales. ... à l'alinéa 2, et considérait que ce ne serait pas bien difficile. Monsieur Balligand, les groupements comprennent aussi 17 000 SIVOM et SIVU. Ce n'est pas seulement l'intercommunalité. Le dispositif ne nous paraît pas assez resserré pour entrer dans le cadre de l'article 4. Pour toutes ces raisons, je demande le rejet de l'amendement qu'a défendu Mme Royal.
    En ce qui concerne l'amendement n° 121, de Mme Comparini, qu'a défendu M. Thomas, le Gouvernement ne peut accepter cette rédaction pour plusieurs raisons et notamment parce que, à l'alinéa 1er, il exclut les collectivités territoriales à statut particulier.
    De la même manière, cet amendement fait expressément référence au principe de subsidiarité. Si nous sommes d'accord avec la logique de ce principe, que nous avons essayé de retracer dans la rédaction, nous considérons qu'on ne peut s'y référer nominalement, à moins d'entrer dans un monde un peu flou, car il s'agit d'un concept philosophique, et non d'un concept juridique.
    Pour ces raisons, monsieur Thomas, je préférerais que vous retiriez cet amendement. A défaut, je serai obligé de demander à l'Assemblée de voter contre.
    Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Balligand.
    M. Jean-Pierre Balligand. Même si cela me paraît difficile, je vais m'efforcer de convaincre.
    J'aimerais en tout cas que le président de la commission des lois retienne une chose : dès lors que ce texte est présenté comme fondateur, fondamental, innovant, destiné à faire bouger la France, il est navrant que n'y soit pas même évoqué ce qui a le plus bougé dans ce pays. Les lois Defferre de 1982-1983 n'ont pas modifié l'architecture institutionnelle : elles ont levé le contrôle a priori et délégué diverses compétences ou divers blocs de compétences à des niveaux de collectivités. Mais les lois de 1992, complétées par celles de 1999 sur l'intercommunalité, ont modifié de manière fondamentale l'architecture et la dynamisation territoriales françaises. Avant même qu'elle soit votée, nous étions plusieurs à revendiquer la loi de 1999. M. Perben était d'ailleurs ministre de la fonction publique lorsque nous avons tenu des rencontres, avec l'assemblée des communautés de France, pour améliorer le texte de 1992.
    M. Augustin Bonrepaux. Tout à fait !
    M. Jean-Pierre Balligand. La dissolution a empêché ce texte d'aller à son terme. Mais, sans cela, c'est lui qui aurait conduit cette modernisation. Ce mouvement-là est donc largement parti.
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Mais il n'est pas encore arrivé !
    M. Jean-Pierre Balligand. Je comprends tout à fait l'argumentation de M. le ministre et de M. le président de la commission des lois, qui considèrent qu'il ne faut pas mettre les établissements publics de coopération intercommunale au même niveau que les autres collectivités territoriales. L'alinéa 1 énumère en effet les collectivités territoriales : « Les collectivités territoriales de la République sont les communes, les départements, les régions. » Nous ne demandons pas d'y ajouter les groupements.
    M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. Si, Mme Royal le demande !
    M. Jean-Pierre Balligand. L'amendement de M. Roman demande simplement de rédiger ainsi l'alinéa 2 : « Les collectivités territoriales et leurs groupements ont vocation à exercer l'ensemble des compétences. » On peut sous-amender et ajouter : « les établissements publics de coopération intercommunales ». Pourquoi s'y opposer, à moins d'être de parti pris, à moins d'avoir - vous me permettrez de dire un mot de politique - un parti pris pour la France du statu quo contre la France du mouvement. Car l'intercommunalité, c'est la France du mouvement. On a la structuration éternelle départements-communes de ce bon pays de France, mais vous innovez en ajoutant enfin la région, qui a maintenant vingt ans d'existence. Mais, très honnêtement, je ne comprends pas votre obstination, à moins d'invoquer la diplomatie secrète : on l'a vue à l'oeuvre hier et, paraît-il, ce matin ; mais j'étais à Amiens avec M. le ministre, et cela ne m'a pas permis d'assister à la retraite de Russie de MM. Clément et Méhaignerie, qui avaient présenté leurs amendements à l'article 3 comme revenant sur une partie des demandes du Sénat, et je n'ai pu voir la majorité se coucher...
    M. le ministre délégué aux libertés locales. On aurait bien aimé se coucher plus tôt nous aussi !
    M. Jean-Pierre Balligand. ... quand le Gouvernement, faisant fi des votes intervenus en commission des lois et en commission des finances, a rejeté ces amendements.
    Vous me permetrez de conclure en évoquant un point qui me tient à coeur. Les élus sont nombreux, aujourd'hui, et, demain, pour éviter de faire de l'intercommunalité une supracommunalité en cas d'élection au suffrage universel de la totalité des délégués, il faudra essayer de croiser l'intérêt communautaire et l'intérêt communal.
    L'Institut de la décentralisation, présidé par Adrien Zeller, a publié un rapport de Jacques Caillosse, « Quelle(s) démocratie(s) d'agglomération ? ». Nous allons vous l'envoyer. Vous pourrez y trouver des formules originales, séparant l'exécutif du délibératif. Nous connaissons une grave crise de la citoyenneté, et le siècle qui commence verra forcément la recherche d'une nouvelle citoyenneté. Dans cette perspective, on pourrait élire les présidents au suffrage universel direct, car il faut bien que l'intérêt communautaire soit représenté et légitimé, et on ne peut pas avoir des structures levant des impôts considérables - qui n'ont rien à voir avec le budget des communes - hors de tout contrôle direct des citoyens.
    On peut inventer toutes les pétitions, tous les référendums qu'on voudra. C'est la citoyennetté qu'il faut créer au niveau intercommunal. Des formules originales pourraient être mises en place qui ne casseraient rien du tout puisque, aujourd'hui, nous n'avons pas de mode de scrutin très précis et n'avons qu'une représentation au second degré des communes au travers de l'intercommunalité.
    Je conçois tout à fait que cela ne soit pas dans le texte constitutionnel. Mais, pour le reste, vous auriez pu faire un effort de reconnaissance des établissements publics et de la révolution tranquille qu'a été l'intercommunalité. Car, entre nous, ce n'est pas la malheureuse expérimentation qui va pouvoir donner satisfaction aux établissement de coopération intercommunale.
    Mme la présidente. La parole est à M. Hervé Mariton.
    M. Hervé Mariton. Je suis heureux de constater que, sur ce sujet, il y a une différence entre la droite et la gauche.
    M. Jean-Pierre Balligand. Bien sûr !
    M. Hervé Mariton. L'intégrisme intercommunaliste de M. Balligand, M. Bonrepaux et d'autres, a eu un résultat très simple : l'augmentation de l'impôt. Une des causes essentielles de l'augmentation de la fiscalité dans notre pays, depuis quelques années, en particulier de la fiscalité locale, se trouve au niveau intercommunal.
    M. Augustin Bonrepaux et M. Jean-Pierre Balligand. Supprimez donc l'intercommunalité !
    M. Hervé Mariton. L'intercommunalité n'est pas inutile, au contraire, mais il faut la laisser à sa place. C'est la clef du succès. L'intercommunalisme serait, lui, totalement contraire au principe de subsidiarité qui nous inspire aujourd'hui.
    M. Jean-Pierre Balligand. Vous, heureusement que vous avez des amis !
    M. Hervé Mariton. Voilà pour l'amendement de M. Roman.
    En ce qui concerne celui proposé par Mme Comparini, et à la différence du président de la commission, je trouve que l'inscription explicite du principe de subsidiarité est une bonne chose. C'est certes un principe philosophique...
    M. Paul Giacobbi. C'est juridique, normalement !
    M. Hervé Mariton. ... mais un texte constitutionnel est éminemment un texte de philosophie commune. Je trouve que l'inscription explicite de ce principe aurait une vertu de cohérence.
    Par contre, je trouve un peu curieux que cet amendement propose de constitutionnaliser le préfet dans sa fonction et dans l'énoncé même de son titre. Nous sommes ici occupés à modifier une Constitution, pas à organiser l'Etat et à définir les fonctions admistratives. Et puisque M. Balligand évoquait l'Institut de la décentralisation, je rappellerai les conclusions de ses travaux récents, après ce qu'a dit son coprésident Adrien Zeller : nous aurons enfin atteint un stade de décentralisation mûr lorsque cette fonction de préfet ne sera plus ce qu'elle est aujourd'hui et en particulier lorsqu'on nous aura dispensé d'un contrôle administratif désuet.
    Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des finances de l'économie générale et du Plan, rapporteur pour avis.
    M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan, rapporteur pour avis. Il y a eu maldonne. Nous sommes nombreux ici à promouvoir l'intercommunalité. Mais nous sommes nombreux, aussi, à être conscients des risques qu'elle peut entraîner et qui pourraient se retourner contre elle si nous allions aujourd'hui trop loin. J'en mentionnerai deux ou trois.
    Le premier risque est d'ordre financier. Je constate que les structures intercommunales qui se sont mises en place - communautés de communes et communautés d'agglomération - croissent rapidement, créent des structures lourdes, ce qui tôt ou tard va conduire les communes à réagir très vivement, car celles-ci n'auront plus les moyens de prendre une part de la croissance de la taxe professionnelle. Et nous sentons naître en ce moment, de la part des communes, un début de critique contre l'intercommunalité qui, serais-je tenté de dire, veut prendre trop de pouvoirs.
    M. Hervé Mariton. Très juste !
    M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances, rapporteur pour avis. Le deuxième risque m'amène à insister sur la subsidiarité. Je crois que nous avons intérêt à ne transférer de la commune à la structure intercommunale que les compétences qui peuvent être mieux remplies par celle-ci.
    M. Hervé Mariton. Très bien !
    M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances, rapporteur pour avis. Or aujourd'hui, et je réponds là à Augustin Bonrepaux, pour avoir la meilleure DGF,...
    M. Augustin Bonrepaux. Arrêtez de faire une fixation sur la DGF ! Ce n'est pas vrai !
    M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances, rapporteur pour avis. Je sais de quoi je parle, monsieur Bonrepaux, car je connais bien un département qui est totalement couvert par les structures intercommunales.
    M. Hervé Mariton. C'est la course à la carotte ! Je dépense donc je suis !
    M. Jean-Luc Warsmann. C'est la réalité !
    M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances, rapporteur pour avis. Certains développent une course à l'intégration,...
    M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. Bien sûr !
    M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances, rapporteur pour avis. ... qui est mal perçue par les communes.
    M. Augustin Bonrepaux. C'est faux !
    M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances, rapporteur pour avis. Je ferai une troisième et dernière observation, qui nous ramène à l'acceptation de la diversité. Vous ne pouvez pas réagir de la même façon lorsque vous êtes dans l'Ariège, dans la Marne ou dans une région dans laquelle des communes de 1 000 à 2 000 habitants veulent garder leur vitalité. Dans la Marne, chère à notre collègue Charles de Courson, il y a des communes de 90, 100, 150 habitants. Là, il y a un intérêt puissant à transférer un maximum de pouvoirs à une structure intercommunale. Inversement, dans des régions où vous avez des communes de 1 000 à 3 000 habitants, leur intérêt, me semble-t-il, est de garder leur vitalité et de ne transférer que les compétences qu'il est vraiment nécessaire de tranférer.
    M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. Bien sûr !
    M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances, rapporteur pour avis. Par conséquent, ne faisons pas une loi générale alors que la diversité des territoires exige une diversité de réponses.
    M. Hervé Mariton. Très bien !
    M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances, rapporteur pour avis. C'est la raison pour laquelle je dis que la proposition qui nous est faite aurait l'effet inverse du but poursuivi et entraînerait une réaction de beaucoup de nos collègues élus locaux. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. Très bien !
    Mme la présidente. La parole est à M. Augustin Bonrepaux.
    M. Augustin Bonrepaux. Je voudrais répondre au président de la commission des finances, parce qu'il ne cesse de dire et de répéter que les structures intercommunales font des dépenses dont le but est d'avoir davantage de DGF.
    M. Hervé Mariton. Mais c'est la vérité, hélas !
    M. Augustin Bonrepaux. Ce n'est pas vrai. Vous savez bien, monsieur le président de la commission des finances, que la DGF est calculée en fonction de la population, en fonction du potentiel fiscal, ...
    M. Jean-Pierre Balligand. Et en fonction du coefficient d'intégration fiscale !
    M. Augustin Bonrepaux. ... et qu'il y a, à côté de ces critères, un critère qui permet en effet de donner un peu plus à celles qui font davantage que les autres. Mais n'est-ce pas aussi une question de justice ? Si ce critère n'existait pas, c'est alors que vous verriez, justement, des structures intercommunales se constituer dans le seul but de bénéficier de la DGF. Vous ne pouvez pas refuser de faire la différence entre celles qui sont très actives et les autres. Car quand une structure intercommunale fait beaucoup de choses, c'est tout simplement parce que les communes concernées en ont besoin.
    Je suis d'accord avec vous, monsieur le président de la commission des finances, pour dire que la structure intercommunale doit faire ce que les communes ne peuvent pas faire seules, et qu'elle peut faire mieux. Malheureusement, quand les communes sont trop faibles, il y a beaucoup de choses qu'elles sont obligées de lui confier. Et là, vous mettez un frein qui ne se justifie pas. Songez que dans certains cas ces communes démunies n'existeraient même pas si la structure intercommunale n'était pas là pour permettre aux habitants de disposer des mêmes services qu'ailleurs. Ne pas reconnaître cela, mettre un frein, comme vous l'avez fait l'autre jour, à l'intercommunalité, eh bien je crois que ce n'est pas travailler dans le sens de l'aménagement du territoire.
    Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 88.
    (L'amendement n'est pas adopté.)
    Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 121.
    (L'amendement n'est pas adopté.)
    Mme la présidente. L'amendement n° 208 n'est pas défendu.
    Je suis saisie de deux amendements, n°s 89 et 68, pouvant être soumis à une discussion commune.
    L'amendement n° 89, présenté par M. Roman, est ainsi libellé :
    « Rédiger ainsi la première phrase du premier alinéa du texte proposé pour l'article 72 de la Constitution :
    « Les collectivités territoriales de la République sont les communes et leurs groupements, les départements, les régions et les collectivités d'outre-mer régies par l'article 74. »
    L'amendement n° 68, présenté par Mme Royal et les membres du groupe socialiste, est ainsi libellé :
    « Rédiger ainsi la première phrase du premier alinéa du texte proposé pour l'article 72 de la Constitution :
    « Les collectivités territoriales de la République sont les communes et leurs groupements à fiscalité propre, les départements, les régions et les collectivités d'outre-mer. »
    L'amendement n° 89 est-il défendu ?
    Mme Ségolène Royal. Oui, madame la présidente.
    Mme la présidente. L'amendement n° 68 l'est-il également ?
    Mme Ségolène Royal. Oui, madame la présidente. Les arguments ont déjà été présentés.
    Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission sur ces deux amendements ?
    M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. Défavorable.
    Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Avis défavorable.
    Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 89.
    (L'amendement n'est pas adopté.)
    Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 68.
    (L'amendement n'est pas adopté.)
    Mme la présidente. MM. Brunhes, Chassaigne, Gerin et les membres du goupe des député-e-s communistes et républicains ont présenté un amendement, n° 174, ainsi rédigé :
    « Dans le premier alinéa du texte proposé pour l'article 72 de la Constitution, supprimer les mots : ", les collectivités à satut particulier. »
    La parole est à M. Jacques Brunhes.
    M. Jacques Brunhes. L'article 4 du projet de loi récrit l'article 72 de la Constitution. Il prévoit d'introduire les régions dans la liste des collectivités locales reconnues par celle-ci. Il remplace la notion de territoire d'outre-mer par celle de collectivité d'outre-mer, et il entend ouvrir la possibilité de créer par la loi une catégorie de collectivités à statut particulier.
    Les régions, on le sait, sont devenues depuis 1982 une des catégories de collectivités territoriales, et méritent de figurer comme telles dans notre texte fondamental. Elles occupent une place incontournable dans le paysage institutionnel français, et sont un maillon essentiel de l'aménagement du territoire.
    En revanche, nous sommes tout à fait hostiles à ce que soit consacrée la notion de collectivité à statut particulier. Il ne s'agit évidemment pas ici de nier les diversités, quelle qu'en soit la nature, qui constituent une richesse pour notre pays. Il faut au contraire en tenir compte. Pour autant, il ne convient pas d'élever, de façon générique et irréversible, le particulier, le spécifique, le dérogatoire au rang de principe fondamental. Cela aurait pour conséquence de remettre en cause l'intégrité du territoire en fragmentant notre pays et en divisant ses citoyens.
    En outre, cette possibilité de création pourrait conduire, à terme - qu'on y réfléchisse bien -, à la disparition de la commune et du département.
    Enfin, nous ne souhaitons pas non plus voir apparaître, par fusion, des grandes régions à l'échelle européenne. Nous l'avons déjà dit, nous ne sommes pas favorables à une France fédérale.
    C'est pour toutes ces raisons que nous proposons de supprimer, dans le premier alinéa du texte proposé pour l'article 72 les mots : « , les collectivités à statut particulier ».
    J'attire également l'attention de l'Assemblée sur le fait que le cinquième alinéa de cet article introduit le principe des collectivités « chefs de file », et donc celui d'une tutelle, alors que celle-ci, je le rappelle, est exclue par les lois de 1982 et 1983. Ces regroupements supprimeraient tout un pan de notre organisation locale. Cela nous paraît extrêmement dangereux.
    Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
    M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. M. Brunhes propose ni plus ni moins que de supprimer l'ajout apporté par l'amendement de M. Alfonsi au Sénat. Or celui-ci se situe dans l'esprit même du texte originel, qui prévoit de reconnaître des collectivités à statut particulier, comme il en existe déjà. Je pense bien évidemment à la Corse, tout le monde l'aura compris, mais aussi à Paris. Cela donne un peu de souplesse au reste du texte, qui encadre les choses très précisément. Il est urgent que l'Assemblée nationale donne raison au sénateur Alfonsi, comme l'ont déjà fait et le Gouvernement et la Haute Assemblée.
    M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Le Gouvernement ne peut accepter la suppression, dans ce texte, de la catégorie de collectivité à statut particulier. Et pas seulement pour la Corse, naturellement : pour l'ensemble du territoire. Avis défavorable.
    Mme la présidente. La parole est à M. Paul Giacobbi.
    M. Paul Giacobbi. Pour des raisons sans doute différentes de celles de mon collègue Brunhes, je me rallierai volontiers à cet amendement, à moins que l'on m'explique que les mots qu'il propose de supprimer ont une portée réelle.
    M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. Voyez la Corse !
    M. Paul Giacobbi. Mais non, monsieur le président, il existe déjà une collectivité territoriale en Corse.
    Comprenez-moi bien, si je pose la question ce n'est pas dans je ne sais quelle obscure intention de faire dire aux textes ce qu'ils ne disent pas. J'ai interrogé, en doctrine, un professeur de droit qui me dit que ces mots n'ont pas de portée, que le seul effet que pourrait avoir leur présence dans le texte de la Constitution, ce serait qu'il faudrait conserver au moins une collectivité à statut particulier quelque part sur le territoire si, par aventure, on voulait en supprimer une ou plusieurs. Je crois d'ailleurs que le risque est faible de les supprimer toutes : la révision constitutionnelle tend précisément à multiplier leur nombre, puisque, si je comprends bien, chaque fois que l'on voudra fusionner deux collectivités ensemble ou en remplacer une, on créera justement une collectivité à statut particulier.
    Je voudrais qu'on m'éclaire sur ce point précis : est-il vrai, oui ou non, que le premier alinéa du texte proposé pour l'article 72, tel qu'il a été adopté par le Sénat, n'empêche nullement, en Corse, la fusion des deux départements et de la collectivité territoriale en une seule collectivité ?
    Mon autre question concerne la motivation profonde du Gouvernement. Car il est accusé - avec d'autres - d'avoir introduit ce texte en songeant uniquement au cas de la Corse. Est-ce vrai, et si oui, l'a-t-il fait sous la pression d'une organisation quelconque ? Il est évident que cela ne me paraît pas être le cas, mais encore faudrait-il qu'on le dise.
    Mme la présidente. La parole est à M. Émile Zuccarelli, pour répondre au Gouvernement.
    M. Emile Zuccarelli. Non, je voulais seulement apporter une précision.
    Dans mon intervention sur l'article, j'avais exprimé le souci que l'on conservât l'ajout que le Sénat a adopté, et à mon avis de manière pertinente. Quiconque a un peu suivi les débats concernant la Corse sait que je ne suis pas un fanatique de la particularisation des statuts à tout prix. Mais je constate que, actuellement, il y a des collectivités à statut particulier qui existent, et qui ne sont pas, que je sache, des objets volants non identifiés. Il me paraît donc pertinent de les reconnaître et de leur donner dans la Constitution la place qui est la leur,...
    M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. C'est du bon sens !
    M. Emile Zuccarelli. ... c'est-à-dire dans l'article 72, premier alinéa.
    M. Paul Giacobbi. On peut toujours ajouter des mots, mais quelle en est la portée ?
    M. Emile Zuccarelli. Je conviens volontiers que les questions que posent notre collègue Paul Giacobbi sont des questions pertinentes. Mais je dis, et je le dis sans accorder une portée excessive à cette adjonction, qu'elle me paraît aller dans la logique d'un système qui, outre l'expérimentation, prévoit diverses souplesses, diverses possibilités de substituer une collectivité à une autre ou à plusieurs autres. Certes, il faudra bien que la loi organique précise les conditions dans lesquelles tout cela peut se faire, parce qu'il ne peut pas s'agir d'une loterie permanente, mais je crois que cette adjonction a au moins le mérite de donner à ces collectivités à statut particulier une place dans la Constitution, celle de l'article 72, premier alinéa, de sorte que ces collectivités ne pourront pas disparaître comme cela, par enchantement ou par une simple loi.
    Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Brunhes.
    M. Jacques Brunhes. Je ne nie pas qu'il existe, c'est une évidence, des collectivités à statut particulier. Elles ne sont pas actuellement mentionnées dans la Constitution, et cela ne les empêche pas d'exister.
    Il ne s'agit pas de nier cette diversité, qui est une richesse, comme je l'ai dit tout à l'heure. Il s'agit de savoir si, dans un texte fondamental comme la Constitution, l'adjectif « particulier » a un sens. Et n'est-ce pas ouvrir une boîte de Pandore que d'insérer dans ce texte « les collectivités territoriales à statut particulier » ? Tout ce qui est dérogatoire, tout ce qui est spécifique, tout ce qui est particulier peut-il avoir sa place dans un texte fondamental ?
    M. Giacobbi pose une bonne question : quelle est la portée juridique de ces mots : « collectivités à statut particulier » ? La réponse qu'il nous donne est qu'il n'y en a pas. Alors laissons les choses en l'état. Il y a des collectivités à statut particulier, très bien. Mais ne constitutionnalisons pas cet adjectif qui me paraît très dangereux. Ne créons pas des particularismes officialisés par le texte fondamental.
    Mme la présidente. La parole est à M. le ministre, délégué aux libertés locales.
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Premièrement, M. Zuccarelli a raison : les collectivités à statut particulier existent, et le texte propose que la Constitution les reconnaisse, comme la région, d'ailleurs. Car vous auriez pu me faire la même observation, monsieur Brunhes : les régions existent, pourquoi les inscrire dans la Constitution ?
    M. Jacques Brunhes. Ce n'est pas la même chose ! J'ai expliqué pourquoi il fallait inscrire les régions dans le texte !
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Mais les collectivités à statut particulier, c'est la même chose.
    M. Jacques Brunhes. Pas tout à fait !
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Vous vous êtes référé à M. Giacobbi. Et comme celui-ci est assez fin juriste, d'après ce que j'ai cru comprendre, je suis sûr qu'il admettra la réponse que je vais lui faire. A quoi servent ces mots ? Ils servent à ce qui est indiqué dans la deuxième phase du premier alinéa du texte que nous proposons pour l'article 72 : « Toute autre collectivité territoriale est créée par la loi, le cas échéant en lieu et place d'une ou de plusieurs collectivités mentionnées au présent alinéa. » C'est précisément par le « statut particulier » que l'on peut arriver à remplacer quelque chose qui existe ou à le faire disparaître. Vous voyez tout l'intérêt de la notion, monsieur Giacobbi.
    M. Jacques Brunhes. Tout l'intérêt ou tout le danger, monsieur le ministre !
    Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 174.
    (L'amendement n'est pas adopté.)
    Mme la présidente. MM. Blessig, Bur, Christ, Ferry, Mme Grosskost, MM. Herth, Hillmeyer, Lett, Meyer, Reiss, Schneider, Schreiner et Sordi ont présenté un amendement, n° 153, ainsi rédigé :
    « I. - Dans la dernière phrase du premier alinéa du texte proposé pour l'article 72 de la Constitution, après les mots : "la loi, insérer le mot : "organique. »
    « II. - En conséquence, procéder à la même insertion dans le troisième alinéa et dans la dernière phrase de l'avant-dernier alinéa de ce même article. »
    La parole est à M. Emile Blessig.
    M. Émile Blessig. J'ai déjà eu l'occasion, hier, de poser le problème de la validation des principes d'organisation liés à la décentralisation par une loi organique. Compte tenu des explications qui m'ont été données par M. le ministre et par M. le président de la commission des lois, je retire cet amendement.
    M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. Merci, monsieur Blessig !
    Mme la présidente. L'amendement n° 153 est retiré.
    Je suis saisie de deux amendements, n°s 175 et 162, pouvant être soumis à une discussion commune.
    L'amendement n° 175, présenté par MM. Brunhes, Chassaigne, Gerin et les membres du groupe desdéputé-e-s communistes et républicains, est ainsi rédigé :
    « Après les mots  : "par la loi, supprimer la fin de la dernière phrase du premier alinéa du texte proposé pour l'article 72 de la Constitution. »
    L'amendement n° 162 n'est pas défendu.
    La parole est à M. Jacques Brunhes, pour soutenir l'amendement n° 175.
    M. Jacques Brunhes. Cet amendement est le pendant de celui que j'ai défendu il y a un instant. Il s'agit de s'opposer à l'inscription dans la Constitution de la catégorie de collectivité locale à statut particulier, qui menace l'intégrité du territoire et peut nous entraîner sur la voie du fédéralisme. Je crois que la dernière phrase qu'a prononcée à l'instant M. le ministre délégué aux libertés locales témoigne de tous les risques que j'ai évoqués : on peut effacer des collectivités, en créer d'autres ; on peut donc un jour effacer la commune comme le département, et créer des grandes régions, pourquoi pas ? C'est tout le danger de ce texte.
    M. André Chassaigne. Très bien !
    Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
    M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. Défavorable.
    Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Défavorable, pour les raisons énoncées tout à l'heure.
    Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 175.
    (L'amendement n'est pas adopté.)
    Mme la présidente. Je suis saisie de quatre amendements identiques, n°s 32, 69, 131 et 176.
    L'amendement n° 32 est présenté par M. Zuccarelli ; l'amendement n° 69 est présenté par Mme Royal et les membres du groupe socialiste ; l'amendement n° 131 est présenté par M. Delattre ; l'amendement n° 176 est présenté par MM. Brunhes, Chassaigne, Gerin et les membres du groupe des député-e-s communistes et républicains.
    Ces amendements sont ainsi rédigés :
    « Supprimer le deuxième alinéa du texte proposé pour l'article 72 de la Constitution. »
    La parole est à M. Emile Zuccarelli, pour soutenir l'amendement n° 32.
    M. Emile Zuccarelli. Cet amendement n'est jamais que la concrétisation de mon propos initial sur l'article. Le principe de subsidiarité, tel qu'il a été défini, me paraît inutile dans ce cadre constitutionnel. Avec l'alinéa que je propose de supprimer, on fixe une espèce de règle de conduite. Mais on aurait aussi bien pu écrire : « Les collectivités territoriales chercheront à faire leur travail le mieux possible et à agir efficacement dans l'intérêt de leurs concitoyens pour le service public et les objectifs sociaux de la République. » On aurait pu mettre ça, pourquoi pas ?
    Ce qui me préoccupe d'ailleurs, c'est que j'ai cru comprendre que la commission avait préparé un amendement portant sur ce même alinéa, qui donnait au texte un caractère un peu plus contraignant puisqu'il reconnaîtrait aux collectivités territoriales la vocation de « décider » dans l'ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en oeuvre à leur échelon. C'est la formulation de M. le rapporteur,...
    M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. Vous n'avez pas compris !
    M. Emile Zuccarelli. ... mais je lui laisserai le soin de défendre son propre amendement.
    En outre - et c'est un point sur lequel je n'ai pas eu de réponse -, ce deuxième alinéa vise « l'ensemble des compétences » qui seraient le mieux assurées par les collectivités territoriales : il me semble qu'on ne fait pas une réserve suffisante pour les missions et compétences qui sont celles, incontournables, de l'Etat.
    Hors des missions régaliennes de l'Etat, il en est d'autres qu'il n'est pas question de déléguer.
    Telle est la raison pour laquelle je propose la suppression du deuxième alinéa de l'article 4.
    Mme la présidente. La parole est à Mme Ségolène Royal.
    Mme Ségolène Royal. Le deuxième alinéa de l'article 4, qui vise à introduire le principe de subsidiarité dans la Constitution, pose plusieurs problèmes.
    D'abord, la France est un Etat unitaire. Le fédéralisme ne correspond pas à son histoire. Or la subsidiarité est un principe d'essence fédérale.
    Par ailleurs, la rédaction de cet alinéa est floue. Là aussi, ne se paie-t-on pas de mots ? Il paraît qu'il s'agit d'appliquer le principe de « République de proximité ». Toutefois, vous le savez, monsieur le ministre, l'efficacité ne consiste pas forcément à être trop près. Il faut être ni trop loin ni trop près, mais à la bonne distance : voilà ce que veulent les Français. Quel que soit l'endroit où se trouve celui qui détient une parcelle du pouvoir - élu, fonctionnaire ou dépositaire d'une délégation de puissance publique -, ce qui importe, c'est l'efficacité, la façon dont celui-ci exerce ses compétences et accepte de coordonner son action avec celle des autres.
    Puisque vous voulez inscrire ce principe très flou dans la Constitution - ce que le Conseil d'Etat a sévèrement sanctionné car il ne comprend pas très bien comment il va s'appliquer et craint qu'il ne soit à l'origine de nombreux contentieux -, pouvez-vous, monsieur le ministre, me donner quelques exemples concrets du principe de subsidiarité ? Cela pourrait intéresser l'Assemblée !
    En fait, la façon dont vous procédez pour ce qui est de la décentralisation révèle, une fois de plus, une erreur de méthode. D'abord, il aurait fallu évaluer comment les collectivités territoriales exercent déjà les compétences dont elles ont la charge. On parle beaucoup d'évaluation dans les discours, mais on n'y procède jamais dans les faits. Avant de vouloir franchir une nouvelle étape de la décentralisation, il aurait fallu dresser un bilan sur plusieurs années, incluant celle dans laquelle nous sommes.
    La rénovation des lycées est-elle par exemple terminée ? Assurément non ! Nombre d'entre eux sont encore dans un état de délabrement assez avancé et n'ont fait l'objet d'aucuns travaux depuis vingt ans.
    On entend, ici ou là, tel ou tel président de conseil général réclamer la compétence pour ce qui est des routes nationales. Mais les routes départementales sont-elles toutes sécurisées ? Assurément non ! Je n'aurai qu'à citer la fameuse départementale 948, où les accidents sont nombreux car le département n'a manifestement pas les moyens de faire les travaux très coûteux qui s'imposent.
    Il faudrait commencer par opérer les transferts financiers nécessaires aux collectivités territoriales pour assurer correctement les compétences. Il conviendrait, d'abord, de voir où se posent les problèmes et, ensuite, d'organiser les nouveaux transferts des blocs de compétences dans les domaines où les collectivités territoriales ont déjà fait leur preuve, avec, bien sûr, les moyens nouveaux correspondants.
    Il faudrait analyser les raisons des réussites et des échecs des collectivités territoriales, et supprimer les doublons, les chevauchements, pour améliorer le service rendu.
    Bref, il fallait partir du terrain et prendre en compte les propositions que vous ont faites les communautés de communes et les régions. Ainsi, les présidents socialistes de région vous ont fait des propositions, dans lesquelles se sont d'ailleurs retrouvés d'autres présidents de région. Ces propositions sont simples, concrètes et de bon sens : elles concernent la formation professionnelle, l'enseignement supérieur, le développement économique ou les transports, par exemple.
    Il fallait donc commencer par faire établir un état des lieux par des commissions indépendantes afin d'évaluer les transferts financiers à opérer, les remises à niveau à faire, les indexations à prévoir. C'est cela la vraie proximité, la véritable efficacité, et non la subsidiarité où chacun viendra se servir dans le désordre le plus général. Dans certains départements, dans certaines régions, les chefs des exécutifs donneront au principe de subsidiarité un contenu différent de celui que lui donneront leurs voisins. L'évaluation de ce qui peut être géré au plus près des citoyens sera différente suivant les collectivités. Et reste à savoir ce que signifie « au plus près ».
    Pourquoi n'avez-vous pas pris comme base pour votre travail le savoir-faire des collectivités locales, les compétences qu'elles exercent actuellement, les faiblesses dont elles font preuve dans l'exercice de celles-ci, les besoins réels des Français, les difficultés auxquelles ils sont confrontés ? Cela aurait permis de déboucher sur des textes de loi simples, que nous appelons de nos voeux, plutôt que sur ce principe de subsidiarité au contenu flou et dangereux qui ne peut que créer une République à plusieurs vitesses, critiquée sur tous les bancs, et des contentieux inextricables !
    Donnez-nous, monsieur le ministre, des exemples concrets de ce qu'est la subsidiarité. Ce principe s'appliquera-t-il dans le domaine social, dans le domaine économique, dans le domaine des transports ? Prouvez-nous que vous ne transformez pas la Constitution en bavardage.
    Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Luc Wars-mann, pour soutenir l'amendement n° 131.
    M. Jean-Luc Warsmann. Cet amendement est défendu.
    Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Brunhes, pour soutenir l'amendement n° 176.
    M. Jacques Brunhes. Le deuxième alinéa de l'article 4 prévoit que les collectivités territoriales ont vocation à exercer l'ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en oeuvre à leur échelon. Il vise en fait à répartir les compétences entre l'Etat et les collectivités territoriales en fonction de l'échelon où celles-ci seront le mieux exercées. Il introduit donc, par ce biais, le principe de subsidiarité, met à mal l'idée d'une République unie et solidaire et aboutit à une érosion progressive des compétences de l'Etat.
    La subsidiarité, nul ne l'ignore, est liée à une conception fédéraliste des institutions et conduit à un émiettement des responsabilités de l'Etat. Nous y sommes fermement opposés. Nous ne pouvons accepter que l'Etat perde ses compétences générales et qu'il ne soit plus en mesure d'assurer la cohésion et la cohérence de la nation ; l'Etat doit en être le garant.
    Voilà pourquoi nous proposons de supprimer le deuxième alinéa de l'article 4.
    Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission sur ces quatre amendements ?
    M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. Ces différentes interventions vont me donner l'occasion de fournir une explication sur le principe de subsidiarité et de montrer qu'il est absent du texte.
    D'abord, ce principe n'apparaît en effet nulle part dans le texte, et il serait impossible qu'il y figure.
    M. Jacques Brunhes. Cela revient au même !
    M. Emile Zuccarelli. Le mot ne sera pas prononcé !
    M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. J'espère que ce que je viens de dire est de nature à clarifier les choses.
    Mme Royal s'est interrogée sur le contenu du principe de subsidiarité. Ce principe est en effet la grille d'application du fédéralisme.
    M. Jacques Brunhes. Voilà !
    M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. Il trouve son origine dans le droit canon ou dans la Constitution allemande. Le respect de la personne humaine induit que si une personne est capable de faire quelque chose, ce n'est pas la peine de le faire faire par le supérieur hiérarchique. Voilà ce qu'est le principe de subsidiarité. C'est un principe qui va du bas vers le haut. Or le texte va du haut vers le bas : le principe de subsidiarité ne figure donc pas, je le répète, dans le texte.
    Ce principe a été popularisé par le biais de l'Europe. Et si vous me permettez une appréciation strictement personnelle, j'aimerais bien que le principe de subsidiarité soit réellement appliqué au niveau européen : je ne vois pas dans les directives concernant les chasseurs et dans Natura 2000 le respect d'un tel principe. Il serait bon qu'une structure fédéraliste comme l'Union européenne applique le principe de subsidiarité de manière extrêmement claire, nette et honnête !
    M. Jacques Brunhes. Votre position est très claire ! C'est pourquoi nous la contestons !
    M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. Ici, il s'agit de se demander qui est le mieux à même d'exercer telle ou telle compétence. Dans mon rapport, j'ai parlé du principe d'adaptation ou de proximité.
    Auparavant, on ne se posait jamais la question : l'Etat décidait de faire ceci ou cela, de donner ceci ou cela à telle ou telle collectivité territoriale sans s'interroger pour savoir qui était le plus capable de le faire. Bref, c'était un peu le fait du prince.
    En 1982 - et c'est bien dommage -, on n'a pas réfléchi à ce que les uns et les autres faisaient le mieux et on a « octroyé » des compétences aux collectivités.
    Là, le mouvement sera différent : il partira du haut, c'est l'Etat qui donnera. L'Etat ne déléguera des compétences nouvelles qu'après avoir entendu les collectivités territoriales - et c'est d'ailleurs pourquoi M. Devedjian a participé ce matin à des assises du développement local - et, ensuite, il prendra sa décision avec le Parlement. C'est donc l'inverse du principe de subsidiarité mais l'idée est la même : il s'agit de se demander en permanence qui fait le mieux quelque chose.
    Nous allons introduire dans la Constitution un principe dynamique, alors qu'il n'y avait rien de tel dans celle-ci. C'est bien pour cette raison que le Premier ministre dit qu'il ouvre un chapitre, tout en précisant qu'il comportera de nombreuses pages. Le paysage institutionnel va se transformer profondément dans les années qui viennent : le partage des compétences va changer considérablement dans les trente prochaines années, mais de manière pragmatique, et non brutale. Ce ne sera pas une révolution. Il y aura discussion entre la base et le sommet, et le Parlement tranchera.
    Madame Royal, je fais partie de ces présidents de conseils généraux qui souhaitent avoir la compétence pour ce qui est des routes. En effet, quand, constatant qu'une route départementale dont j'ai la responsabilité est particulièrement meurtrière, je demande en vain depuis dix ans à l'Etat de financer pour moitié la réalisation d'un rond-point et qu'il me répond qu'il n'a pas d'argent, je trouve normal de souhaiter avoir la compétence.
    Quand je vois que les ingénieurs relèvent du département, alors que les hommes de l'équipement relèvent de l'Etat, quand je vois qu'il y a des doublons entre les fonctionnaires des départements et ceux de l'Etat, je ne peux que souhaiter mettre de l'ordre et supprimer ces doublons... sauf à aimer payer des impôts. Certains départements, notamment celui de M. Monory et celui de M. Méhaignerie, ont réussi à mettre de l'ordre, mais la plupart des présidents de conseil général n'ont pas voulu le faire de peur à avoir à affronter la grève générale : ils attendent que l'Etat agisse.
    Les lois Defferre n'ont pas su régler les transferts des personnels et elles ont conduit à empiler les hommes, à créer des doublons, et donc à accroître les impôts. J'espère que la prochaine fois on ne ratera pas le coche !
    Il s'agit là de voir ce qu'on peut faire de mieux dans l'intérêt de nos administrés. Il y aura un dialogue entre l'Etat et les collectivités, et le Parlement tranchera par une loi d'habilitation.
    Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement sur ces amendements ?
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Le Gouvernement est naturellement défavorable à ces quatre amendements.
    Monsieur Zuccarelli, permettez-moi un peu d'humour : si on vous suivait, il ne resterait de ce projet constitutionnel que le statut particulier, puisque vous proposez quasiment la suppression de chacun des dispositifs prévus par le texte.
    Madame Royal, il ne s'agit pas du tout d'un système fédéraliste. Si tel était le cas, il faudrait - certains dans vos rangs l'ont proposé, et peut-être même inconsciemment - commencer par définir de manière limitative les compétences de l'Etat, toutes les autres compétences étant alors hors de son champ. Ce n'est pas ce que nous proposons. Ici, nous posons un principe incitatif qui doit inspirer le législateur, lequel conserve l'attribution des compétences. Quant à l'Etat central, il conserve « la compétence des compétences », et tant que c'est ainsi on ne peut pas être dans un système fédéral. Toutefois, dans le cadre de la distribution - réversible - des compétences qu'il lui revient d'opérer, l'Etat doit être guidé par l'objectif affirmé dans l'article 4 : il s'agit donc d'inciter le législateur, ce qui n'a rien à voir avec le fédéralisme.
    Mme la présidente. La parole est à M. Paul Giacobbi.
    M. Paul Giacobbi. Monsieur le ministre, je ne suis pas loin d'approuver vos propos. Cependant, quelque chose me gêne. En effet, la Constitution est un cadre juridique. Or on nous a parlé, à plusieurs reprises, de principe dynamique et de principe incitatif.
    Depuis que l'on fait des constitutions, c'est-à-dire, à peu près depuis Jean sans Terre, c'est-à-dire le Haut Moyen Age, et, jusqu'à présent, il n'y a jamais eu de constitution incitative ou dynamique. En général, les constitutions définissent, elles ne posent pas un principe incitatif. Comme je suis très conservateur, je me méfie de l'incitation.
    L'aspect normatif de la disposition proposée par le deuxième alinéa de l'article 4 n'est tout de même pas ébouriffant. Le mot « vocation » n'a aucun sens juridique, il a surtout un sens religieux. On peut certes avoir une vocation pour un métier, mais avoir une vocation à une compétence, c'est, sur le plan juridique, un peu flou.
    Quant aux mots « qui peuvent le mieux êtres mises en oeuvre », ils ne veulent pas dire grand-chose non plus. Ils risquent même de poser un problème en ce qui concerne les missions régaliennes de l'Etat - comme quoi je peux être d'accord avec mon ami Emile Zuccarelli. Je pense en particulier à la protection du patrimoine, qu'il soit environnemental, architectural et urbain. Dans les Etats fédéraux, elle relève de la fédération. Pourtant, je sens venir ici l'idée que les architectes des Bâtiments de France devraient relever de l'échelon local. Il faut savoir que quand j'ai proposé, dans le cadre d'une coopération avec une ville d'un grand Etat fédéral, que l'équivalent local de l'architecte des bâtiments soit nommé par la commune, il m'a été répondu que cette nomination devait avoir lieu au niveau de l'Etat,...
    M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. C'est mon avis !
    M. Paul Giacobbi... pour préserver l'indépendance. Il s'agissait pourtant d'une commune de plus de quatre millions d'habitants.
    M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. Nous sommes d'accord !
    Mme la présidente. La parole est à M. Emile Zuccarelli.
    M. Emile Zuccarelli. Monsieur le ministre, je n'ai proposé de supprimer qu'un seul alinéa sur les six que comporte le texte proposé à l'article 4 pour l'article 72 de la Constitution. Ce n'était donc qu'un prélèvement fort modeste.
    Faisant écho à ce qu'a dit M. Giacobbi, je dirai qu'il importe de réserver clairement certaines compétences à l'Etat. En tout état de cause, celles-ci doivent demeurer des compétences régaliennes.
    Qui peut dire qu'une collectivité ne soutiendra pas qu'elle peut mieux s'occuper de la police ? Une collectivité peut demander à l'Etat de lui accorder des délégations, mais pas forcément des compétences. D'ailleurs, dans ce domaine, je préfère les délégations aux compétences.
    Je rappelle à ce propos que les maires - nombre d'entre nous le sont - assument un certain nombre de missions par délégation de l'Etat, concernant notamment l'état civil. Mais ce ne sont pas des compétences locales.
    Mme la présidente. La parole est à Mme Ségolène Royal.
    Mme Ségolène Royal. Monsieur le ministre, je vous avais prié de bien vouloir me donner des exemples concrets de subsidiarité. Vous avez le plus grand mal à en trouver...
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Pas du tout !
    Mme Ségolène Royal. Quoi qu'il en soit, je n'ai pas obtenu de réponse de votre part.
    M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. Vous avez eu la mienne !
    Mme Ségolène Royal. Votre démonstration, monsieur Clément, est une démonstration du contraire même du principe de subsidiarité.
    M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. En effet, je vous ai dit qu'il ne s'agissait pas ici du principe de subsidiarité.
    Mme Ségolène Royal. Vous jouez un peu sur les mots !
    M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. Même M. Brunhes a dit que j'avais été très clair !
    Mme la présidente. Monsieur Clément, vous pourrez par la suite prendre la parole quand vous le souhaiterez...
    Mme Ségolène Royal. Ce que vous venez de nous expliquer est le contraire du principe de subsidiarité !
    M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. Madame Royal, ne me faites pas dire le contraire de ce que j'ai dit !
    Mme Ségolène Royal. Ne vous fâchez pas, monsieur Clément !
    M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. Vous me faites systématiquement dire le contraire de ce que j'ai dit. Trop, c'est trop !
    Mme Ségolène Royal. Non, monsieur Clément...
    M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. La mauvaise fois à des limites !
    Mme Ségolène Royal. Selon le principe que vous voulez inscrire dans la Constitution, ce qui peut être fait dans la collectivité locale la plus proche du territoire devra y être fait plutôt que dans la collectivité qui lui est immédiatement supérieure. Or vous nous avez expliqué que, pour les routes, il fallait opérer un transfert de ressources. Vous avez pris l'exemple des ronds-points, un sujet que je connais bien. La France est actuellement couverte de ronds-points et il n'y a jamais eu autant d'accidents de voiture.
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Pas à cause des ronds-points !
    Mme Ségolène Royal. Vous avez déploré que l'Etat ne réalise pas les travaux nécessaires sur les routes nationales et que, donc, vous lui demandiez de l'argent pour faire ces travaux. Mais ce n'est pas cela, la décentralisation !
    M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. Vous désespéreriez la personne la plus patiente ! A ce niveau de mauvaise foi, je vous en supplie, ne prenez plus la parole !
    Mme Ségolène Royal. Permettez : je suis parlementaire et je participe au débat !
    M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. Je vous demande de ne plus vous référer à mes propos !
    Mme Ségolène Royal. Calmez-vous et maîtrisez votre vocabulaire !
    M. Augustin Bonrepaux. La parole est libre !
    M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. Oui, mais la bêtise est limitée !
    Mme Ségolène Royal. Pensez-vous que les Français ont voulu, par la décentralisation, transférer la construction des routes de telle collectivité à telle autre ? Voulez-vous réformer la Constitution pour vous permettre de faire des routes et des ronds-points dans votre département avec les moyens de l'Etat ? Si tel est le cas, il y a un certain décalage entre ce que nous faisons ici et ce que vous faites sur le plan local !
    Mme la présidente. Je mets aux voix par un seul vote les amendements n°s 32, 69, 131 et 176.
    (Ces amendements ne sont pas adoptés.)
    Mme la présidente. L'amendement n° 209 n'est pas défendu.
    M. Clément, rapporteur, a présenté un amendement, n° 12, ainsi rédigé :
    « Dans le deuxième alinéa du texte proposé pour l'article 72 de la Constitution, substituer au mot : "exercer, les mots : "prendre les décisions pour. »
    La parole est à M. le rapporteur.
    M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. Madame la présidente, je vais être bref, mais comme j'en ai assez de voir mes propos complètement déformés, je ne m'adresserai plus à Mme Royal.
    Mme Ségolène Royal. Oh !
    M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. Désormais, je lui tournerai le dos,...
    Mme Ségolène Royal. Ne soyez pas misogyne !
    M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. ... regardant, ce qui sera plus agréable, mes amis de la majorité. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Trop, c'est trop, madame Royal ! Hier, votre comportement a été au-delà du supportable, et j'ai cru comprendre que vos propres amis vous l'avaient fait remarquer.
    Mme Ségolène Royal. Quoi ? Je demande la parole...
    M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. J'ai eu une conversation avec vos collègues socialistes qui trouvaient que trop, c'était trop.
    Mme Ségolène Royal. Mais non !
    M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. Absolument ! Et aujourd'hui, vous recommencez.
    Mme Ségolène Royal. Rappel au règlement !
    M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. Vous n'avez pas la parole !
    Mme Ségolène Royal. Fait personnel !
    M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. Pour un fait personnel, on ne prend la parole qu'en fin de séance.
    Revenons à l'amendement n° 12, que je demande à l'Assemblée nationale d'adopter...
    Mme Ségolène Royal. Madame la présidente, je demande la parole !
    Mme la présidente. M. Clément a, au nom de la commission, seul la parole !
    M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. Dans ce texte du projet de loi, il est prévu que les collectivités « ont vocation à exercer l'ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises à leur échelon ». J'ai considéré que cette disposition était trop éloignée du principe de subsidiarité, qui est à mes yeux une grille de lecture très utile.
    En effet, le rôle d'une collectivité décentralisée ne me semble pas de « mettre en oeuvre », mais de savoir ce qu'elle est le plus à même de décider. Certaines décisions doivent être prises près du terrain, d'autres à l'échelon supérieur, au niveau de l'Etat et à celui de l'Europe. Je propose en conséquence de substituer au mot « exercer », les mots : « prendre les décisions pour ».
    Les collectivités ne doivent pas être perçues comme de simples maîtres d'oeuvre des compétences que l'Etat leur délègue. On doit leur reconnaître un pouvoir de décision dans l'exercice de leurs compétences.
    Mme la présidente. La parole est à Mme Ségolène Royal.
    M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. Madame la présidente, ce n'est pas maintenant que vous devez donner la parole pour un fait personnel !
    Mme la présidente. Laissez-moi présider, monsieur Clément !
    Mme Ségolène Royal. Maîtrisez-vous, monsieur Clément.
    Je demande la parole pour un rappel au règlement.

Rappel au règlement

    Mme la présidente. La parole est à Mme Ségolène Royal, pour un rappel au règlement.
    Mme Ségolène Royal. Je me fonde sur l'article 58, alinéa 6, de notre règlement qui dispose que « toute attaque personnelle, toute interpellation de député à député [...] sont interdites dans l'hémicycle ».
    Monsieur Clément, je vous demande de bien vouloir supporter le débat parlementaire.
    L'opposition n'est pas, comme son nom l'indique, majoritaire, mais souffrez que nous débattions...
    M. Hervé Mariton. Pour souffrir, on souffre !
    Mme Ségolène Royal. Depuis le début de la discussion du texte, vous n'avez accepté aucun amendement de l'opposition et nous avons plusieurs fois protesté contre cette façon de faire. La manoeuvre consiste à faire adopter par l'Assemblée un texte conforme à celui du Sénat. Nous serons donc privés d'une deuxième lecture. Permettez-nous cependant de nous exprimer sur ce texte prétendument constitutionnel, qui a déjà été sévèrement critiqué par le Conseil d'Etat, au Sénat et par certains députés de votre majorité.
    Nous sommes élus pour défendre nos convictions, et nous le ferons malgré vos cris et vos attaques personnelles, monsieur Clément.
    Cela dit, je demande une suspension de séance.
    Mme la présidente. Je vais suspendre la séance pour cinq minutes.

Suspension et reprise de la séance

    Mme la présidente. La séance est suspendue.
    (La séance, suspendue à dix-sept heures cinquante, est reprise à dix-sept heures cinquante-cinq.)
    Mme la présidente. La séance est reprise.
    Quel est l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 12 ?
    M. le ministre délégué aux libertés locales. La compétence des compétences reste au Parlement, c'est-à-dire que c'est toujours le Parlement qui distribue les compétences. Dans la mesure où l'amendement ne porte pas atteinte à ce principe, le Gouvernement s'en remet à la sagesse de l'Assemblée.
    Mme la présidente. La parole est à M. André Chassaigne.
    M. André Chassaigne. A mon avis, écrire : « prendre les décisions pour » accentue le glissement vers la subsidiarité.
    M. Hervé Mariton. C'est parfait !
    M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. Nous sommes d'accord !
    M. André Chassaigne. Il faut en chercher la raison dans le mot « vocation », qui apparaît juste avant dans la formule : « Les collectivités territoriales ont vocation à exercer l'ensemble des compétences ».
    Le mot « vocation » a un sens beaucoup plus précis qu'il ne semble. Il s'agit là d'une des ambiguïtés de vocabulaire du texte, maintes fois soulignées.
    Je me suis référé au Littré.
    M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. Je m'incline ! (Sourires.)
    M. André Chassaigne. Je ne suis pas un spécialiste de droit constitutionnel, mais dans la mesure où vous utilisez des termes qui ne ressortissent pas habituellement au droit constitutionnel, il faut bien les prendre dans leur sens réel.
    Pour le Littré donc, la « vocation », en dehors de sa dimension religieuse, renvoie à « un certain ordre des choses auquel on doit se conformer ». Le deuxième alinéa du texte proposé pour l'article 72 de la Constitution a donc une valeur extrêmement forte qui, d'une certaine façon, contrarie les propos que vous avez tenus tout à l'heure, monsieur Clément.
    La formulation « les collectivités territoriales ont vocation à exercer » signifierait qu'il y aurait pour elles une manière de déterminisme à devoir se conformer à un certain ordre des choses. Et vous accentuez encore ce déterminisme avec votre expression « prendre les décisions pour ». La phrase devient pour ainsi dire pléonastique.
    Quoi qu'il en soit, l'article 4 du projet est particulièrement dangereux.
    Mme Ségolène Royal. Tout à fait !
    M. André Chassaigne. On aura ainsi le « supermarché » dont je parlais tout à l'heure : les collectivités territoriales, au gré de leurs décisions, pourront tendre la main ici ou là et prendre telle ou telle compétence.
    Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
    M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. Je voudrais rendre hommage à M. Chassaigne : il a parfaitement compris ce que je souhaitais faire.
    M. André Chassaigne. Pour une fois, j'ai compris ! (Sourires.)
    M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. Nos avis peuvent être différents ; mais au moins parlons-nous là des mêmes choses avec l'opposition, ce qui ne s'était pas produit depuis longtemps.
    Je m'incline devant la définition du mot « vocation » de M. Littré. Je reconnais que ce mot n'est pas éminemment juridique et sans doute pourrait-on en trouver un autre, mais je n'y suis pas parvenu.
    Comme un nourrisson est nourri à la petite cuillère et qu'un enfant a « vocation » à manger tout seul, les collectivités locales de base ont vocation à faire un certain nombre de choses, et mieux que d'autres. Pourquoi ? Pour des raisons de proximité.
    L'idée est la suivante : comme le bébé devient enfant, l'enfant adolescent, et l'adolescent adulte, les collectivités sont devenues adultes depuis les lois Defferre. Elles ont donc vocation à faire des choses et à décider toutes seules.
    Je conforte cette évolution et je souhaite montrer que, même s'il ne s'agit pas là du principe de subsidiarité - je le dis à ceux qui ne veulent pas comprendre - puisque l'on va du haut vers le bas, on doit donner à ceux qui peuvent faire mieux plutôt qu'à ceux qui font moins bien.
    Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 12.
    (L'amendement est adopté.)
    M. Piron a présenté un amendement, n° 114, ainsi rédigé :
    « Compléter le deuxième alinéa du texte proposé pour l'article 72 de la Constitution par les mots : "selon le principe de subsidiarité. »
    La parole est à M. Michel Piron.
    M. Michel Piron. Monsieur le ministre, l'amendement que nous vous soumettons au deuxième alinéa de l'article 4 tente de répondre à deux questions. Pourquoi inscrire la subsidiarité dans notre Constitution ? Pourquoi l'inscrire à l'article 72 modifié ?
    Pourquoi insérer explicitement le principe de subsidiarité dans notre Constitution, sinon parce qu'il est au coeur de la volonté décentralisatrice exprimée par le Gouvernement. En demandant à l'échelon supérieur de démontrer qu'il est plus pertinent que l'échelon inférieur, la subsidiarité inverse la charge de la preuve, s'agissant du service de l'intérêt général. Que ce ne soit plus à l'échelon inférieur de prouver qu'il est plus efficient que l'échelon supérieur, c'est certes le pari des intelligences locales. Ce peut être aussi le principe de résolution juridique des éventuels conflits de compétences territoriales.
    Parce que le principe de subsidiarité est à la décentralisation ce que l'esprit est à la lettre, il mérite à nos yeux - même s'il n'est juridiquement que l'esprit - d'être inscrit comme donnant son sens à la lettre. Parce qu'il garantit que la décentralisation ne se réduira pas à la déconcentration qu'elle appelle, il dit en quelque sorte l'esprit de la loi. C'est pour cela encore qu'il faut l'expliciter.
    Pourquoi inscrire, dès lors, le principe de subsidiarité à l'article 72 modifié ? Posé à l'article 1er, il pourrait, bien que l'égalité ne soit pas l'identité, être interprété comme une mise en question du principe d'égalité républicaine. Voilà pourquoi son inscription à l'article 72 nous semble justifiée. La subsidiarité y fonderait non seulement en vocation mais en droit, et c'est le moins qu'on puisse en attendre, la répartition des compétences entre les collectivités territoriales ainsi que leur articulation.
    Tels sont les arguments auxquels nous souhaiterions, monsieur le ministre, que le Gouvernement soit sensible et - pourquoi pas ? - adhère.
    Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
    M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. J'ai déjà expliqué, assez longuement je le crains, que le principe de subsidiarité n'était pas appliqué dans ce texte. S'il l'était, nous entrerions dans un système fédéral. M. Piron comprendra donc que ce principe ne peut être inscrit dans la Constitution. Avis défavorable.
    M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
    M. le ministre délégué aux libertés locales. L'avis du Gouvernement est également défavorable pour les raisons que j'ai données tout à l'heure. Le principe en lui-même est assez flou et me paraît incompatible avec l'amendement de M. Clément que l'Assemblée vient d'adopter.
    Mme la présidente. La parole est à M. André Chassaigne.
    M. André Chassaigne. Je veux bien admettre, monsieur Clément, que le principe de subsidiarité implique le fédéralisme mais je vous ferai remarquer qu'il figure dans le traité de Maastricht, sans que l'Europe soit devenue pour autant une fédération.
    M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. Nous sommes d'accord.
    M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 114.
    (L'amendement n'est pas adopté.)
    Mme la présidente. MM. Blessig, Bur, Christ, Ferry, Mme Grosskost, MM. Herth, Hillmeyer, Lett, Meyer, Reiss, Schneider, Schreiner et Sordi ont présenté un amendement, n° 152, ainsi rédigé :
    « Après le deuxième alinéa du texte proposé pour l'article 72 de la Constitution, insérer les deux alinéas suivants :
    « Une loi organique détermine la répartition des compétences entre l'Etat et les différents niveaux de collectivités territoriales, sans préjudice de la nécessaire coopération entre collectivités et d'éventuelles variantes régionales ou locales. Cette répartition est réexaminée périodiquement par le Parlement. »
    « Dans les conditions prévues par une loi organique, les litiges portant sur la répartition des compétences sont portés soit devant le Conseil constitutionnel, dès lors que l'Etat est impliqué, soit devant une juridiction administrative dans les autres cas. »
    La parole est à M. Emile Blessig.
    M. Émile Blessig. La question de la répartition des compétences entre les collectivités territoriales, d'une part, et entre les collectivités territoriales et l'Etat, d'autre part, est au coeur de nos débats. Le Conseil d'Etat avait d'ailleurs constaté la difficulté à traduire sur le plan opérationnel le principe de subsidiarité. L'amendement n° 152 vise précisément à lui donner une portée plus opérationnelle en renvoyant à une loi organique la répartition des compétences entre l'Etat et les différents niveaux de collectivités territoriales. Celle-ci, nous l'avons rappelé, reste une attribution propre au Parlement.
    Deuxièmement, puisque nous sommes dans un processus dynamique qui doit s'adapter aux évolutions et aux attentes du pays, il faut veiller aussi à ce que cette répartition ne soit pas trop rigide et conserve une certaine souplesse. Il est donc proposé que le Parlement la réexamine périodiquement.
    La troisième question que tend à régler cet amendement est celle des arbitrages. La nouvelle répartition des compétences, inspirée par la subsidiarité, entraînera nécessairement des conflits de compétences entre les collectivités territoriales, mais aussi entre les collectivités territoriales et l'Etat. Il faut prévoir les modalités de règlement de ces conflits qui pourraient être une source de paralysie de l'ensemble du système que nous souhaitons mettre en place.
    M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
    M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. Monsieur Blessig, le premier paragraphe de votre amendement est conforme à l'esprit de la loi. Vous dites qu'une loi organique doit déterminer les compétences, ce qui signifie implicitement que le haut délègue au bas.
    Par contre, le deuxième alinéa est strictement contraire à la philosophie du texte parce qu'il relève du fédéralisme pur. En effet, le principe de subsidiarité a pour objet de défendre les provinces ou les Etats fédérés contre l'Etat central en les autorisant à saisir la Cour suprême pour lui dire : « Attention, on me pique une compétence ! ». Dans le même esprit, vous suggérez que les collectivités puissent saisir le Conseil constitutionnel pour lui demander de leur attribuer ou de leur rendre une compétence qu'elles estiment devoir leur revenir en vertu du principe de subsidiarité.
    Cela ne va pas du tout, car nous sommes un Etat unitaire qui, conformément à votre premier alinéa, déjà largement satisfait, décide, non sans avoir dialogué, certes, de donner ce qu'il veut donner après habilitation par le Parlement. Le bas ne saurait exiger quoi que ce soit contre la volonté du haut. Cela n'est possible que dans le cadre d'un Etat fédéral où un juge suprême donnerait raison à un Etat fédéré. Votre deuxième alinéa, je le répète, est strictement fédéraliste.
    Voilà pourquoi la commission ne peut pas approuver l'amendement.
    M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Le Gouvernement pense comme la commission que cet amendement est d'essence purement fédéraliste puisque le Parlement perdrait la compétence des compétences. On changerait carrément de système institutionnel. Avis défavorable.
    Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 152.
    (L'amendement n'est pas adopté.)
    Mme la présidente. MM. Blessig, Bur, Christ, Ferry, Mme Grosskost, MM. Herth, Hillmeyer, Lett, Meyer, Reiss, Schneider, Schreiner et Sordi ont présenté un amendement, n° 154, ainsi libellé :
    « Rédiger ainsi le troisième alinéa du texte proposé pour l'article 72 de la Constitution :
    « Dans les conditions prévues par la loi organique, les conseils élus de ces collectivités conduisent librement les politiques dont ils ont la responsabilité. Ces collectivités disposent d'un pouvoir réglementaire pour l'exercice de leurs compétences. »
    La parole est à M. Emile Blessig.
    M. Emile Blessig. L'inscription dans la Constitution du caractère décentralisé est une avancée significative. Néanmoins, cette formule gagnerait à être complétée par une définition plus précise de la notion de libre administration des collectivités locales afin d'éviter qu'elle ne soit interprétée de façon trop restrictive. En effet, ces dernières s'administrent, mais elles conduisent également des politiques. Dans le même esprit que l'amendement proposé tout à l'heure par la commission, il s'agit de préciser la portée de cette notion qui est au coeur de la réforme que nous engageons.
    Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
    M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. Cet amendement est déjà satisfait dans le cadre constitutionnel : avis défavorable.
    Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Madame la présidente, je voudrais saisir l'occasion que m'offre l'examen de cet amendement pour préciser l'articulation juridique du pouvoir réglementaire.
    La réforme proposée par le quatrième alinéa de l'article 4 du projet de loi constitutionnelle a un double objet : d'une part, elle vise à conforter dans la Constitution le pouvoir réglementaire reconnu par la jurisprudence aux collectivités locales - il n'était que jurisprudentiel jusqu'à maintenant - ; d'autre part, elle tire les conséquences des enseignements qui pourraient résulter des expérimentations que le projet de loi constitutionnelle envisage d'instituer.
    Si le Conseil constitutionnel a admis l'existence d'un pouvoir réglementaire local sur le fondement de l'article 72 de la Constitution, il n'est pas sûr qu'il accepterait que la loi renvoie plus systématiquement au pouvoir réglementaire local et non au pouvoir réglementaire national le soin de fixer ses modalités d'application dès lors que l'ensemble des collectivités territoriales pourraient être concernées et non plus seulement si une collectivité territoriale étaient dotée d'un statut particulier. Il s'agit donc de lever un doute quant à la capacité pour le législateur de disposer d'une réelle latitude afin de confier à une catégorie de collectivités locales le soin de prendre les mesures d'application d'une loi.
    Dans ces conditions, le Gouvernement tient particulièrement à préserver l'équilibre qui résulte de cette rédaction et je préférerais, monsieur Blessig, que vous retiriez votre amendement pour ne pas avoir à en demander le rejet.
    Mme la présidente. La décision vous revient, monsieur Blessig.
    M. Emile Blessig. Suite aux explications de M. le ministre sur la portée du pouvoir réglementaire des collectivités territoriales, je retire cet amendement.
    Mme la présidente. L'amendement n° 154 est retiré.
    MM. Chassaigne, Brunhes, Gerin et les membres du groupe des député-e-s communistes et républicains ont présenté un amendement, n° 177, ainsi rédigé :
    « Dans le troisième alinéa du texte proposé pour l'article 72 de la Constitution, après le mot : "réglementaire, insérer le mot : "dérogatoire. »
    La parole est à M. André Chassaigne.
    M. André Chassaigne. Cet amendement me semble en contradiction avec les propos que le ministre vient de tenir.
    M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. Eh oui !
    M. André Chassaigne. Il a, en effet, pour objet de préciser que le pouvoir réglementaire des collectivités territoriales ne peut avoir qu'un caractère dérogatoire. Si l'article 4 tel qu'il nous est présenté prévoit bien que ce pouvoir réglementaire s'exerce dans les conditions définies par la loi, il reste indispensable d'inscrire dans la Constitution qu'il s'agit d'un pouvoir dérogatoire. Cette compétence réglementaire ne saurait être générale. Il faut confirmer que, dans notre République, il existe un seul pouvoir réglementaire digne de ce nom, celui qui est exercé par le pouvoir exécutif, composé, je le rappelle, du Président de la République, du Premier ministre et, éventuellement, des ministres. Je vous lis l'article 21 qui apparaît en contradiction avec les explications de M. Devedjian : « Le Premier ministre dirige l'action du Gouvernement. Il est responsable de la défense nationale. Il assure l'exécution des lois. Sous réserve des dispositions de l'article 13, il exerce le pouvoir réglementaire... » : je dis bien « le ».
    L'alinéa qui nous est proposé, dans sa rédaction actuelle, tend à faire croire que les collectivités territoriales pourraient être les égales des pouvoirs centraux. Notre amendement permettrait d'effacer cette confusion et de préciser que le pouvoir des collectivités locales de réglementer en vue de l'application des décisions prises, en quelque sorte, pour leur libre administration, n'a rien à voir avec le pouvoir réglementaire du pouvoir exécutif.
    M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
    M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. M. Chassaigne, si j'ai bien compris, souhaite que le pouvoir réglementaire ne soit que celui de l'Etat, conféré par l'article 21 au Premier ministre.
    M. André Chassaigne. Ou un pouvoir dérogatoire !
    M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. Or, vous ne l'avez pas dit, il existe dès à présent un pouvoir réglementaire des collectivités territoriales, même s'il est soumis, hiérarchiquement, au pouvoir réglementaire du Gouvernement.
    De quoi s'agit-il dans le projet de loi ? D'un pouvoir réglementaire d'adaptation et non de dérogation. L'adaptation, c'est la marge de manoeuvre qui sera laissée aux collectivités territoriales, évidemment encadrée par la loi. D'après ce que l'on peut constater aujourd'hui en France, ce pouvoir d'adaptation n'est pas du tout dérogatoire ; autrement dit, on ne peut pas faire des choses bien différentes d'un département à l'autre. Et soyez rassuré, monsieur Chassaigne, le texte s'inscrit dans cette tradition. Certains, dans cet hémicycle, souhaiteraient conférer aux collectivités un vrai pouvoir dérogatoire, mais ce n'est pas l'objet de ce texte.
    Avis défavorable à l'amendement.
    Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Je profite, là encore, de l'occasion pour fixer les règles.
    M. Clément l'a dit très clairement, par sa nature comme par sa portée, le pouvoir réglementaire reconnu aux collectivités locales est distinct de celui qui relève du Premier ministre.
    Le Premier ministre tient sa compétence directement de la Constitution. Il l'exerce sans avoir besoin d'une habilitation expresse du législateur.
    En revanche, s'agissant des collectivités locales, ce pouvoir ne pourra être exercé que dans les conditions prévues par la loi. C'est donc le législateur qui définira, au cas par cas, dans le respect des exigences dégagées par la jurisprudence du Conseil constitutionnel, les dispositions législatives pour lequelles les collectivités locales prendront les mesures d'application. Au regard du pouvoir réglementaire attribué au Premier ministre, la capacité normative des collectivités locales est subsidiaire. Elle l'est à un double titre : d'une part, elle est encadrée par la loi dans les conditions que je viens de rappeler ; d'autre part, elle n'est destinée qu'à permettre la mise en oeuvre de leurs compétences par les collectivités locales, et seulement cela.
    Le projet de loi constitutionnelle ne modifie donc pas et c'est volontaire, l'article 21 de la Constitution. Il n'ajoute pas à la réserve de l'article 13 celle de l'article 72, relative aux dispositions dont nous parlons.
    Par conséquent, vous comprendrez, monsieur Chassaigne, que je ne puisse être que défavorable à votre amendement.
    Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 177.
    (L'amendement n'est pas adopté.)
    M. le président. M. Bourdouleix a présenté un amendement, n° 142, ainsi rédigé :
    « Après le troisième alinéa du texte proposé pour l'article 72 de la Constitution, insérer l'alinéa suivant :
    « En se regroupant dans les conditions définies par la loi, les communes peuvent transférer certaines de leurs compétences à des communautés urbaines, d'agglomération ou de communes. »
    Cet amendement est-il défendu ?
    M. Jean-Luc Warsmann. Oui, madame la présidente.
    Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
    M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. Défavorable.
    Mme la présidente. Et du Gouvernement ?
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Défavorable.
    Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 142.
    (L'amendement n'est pas adopté.)
    Mme la présidente. Mme Royal et les membres du groupe socialiste ont présenté un amendement, n° 70, ainsi rédigé :
    « Supprimer le quatrième alinéa du texte proposé pour l'article 72 de la Constitution. »
    La parole est à Mme Ségolène Royal.
    Mme Ségolène Royal. Nous abordons l'alinéa donnant aux collectivités territoriales la faculté de déroger, à titre expérimental, aux dispositions législatives et réglementaires régissant l'exercice de leurs compétences. Sans nous lasser ni nous décourager, nous répétons que nous aurions aimé disposer du texte de la loi organique pour savoir comment ces dérogations vont s'organiser. D'autant que nous n'avons pas eu de réponse très claire lorsque le Gouvernement nous a expliqué qu'il pourrait y avoir une combinaison de la précédente expérimentation législative, déjà votée, et de celle que met en place l'article 4. Alors, nous réitérons notre question : pourriez-vous, monsieur le ministre, nous donner des exemples concrets de ces dérogations législatives et réglementaires, puisque vous savez qu'elles suscitent de réelles inquiétudes ?
    Comment le principe de dérogation sera-t-il concilié avec le principe d'égalité devant la loi ?
    Par exemple, les expérimentations pourront-elles toucher aux prestations sociales ? Un département pourra-t-il décider de diminuer le montant du RMI ?
    Si ce n'est pas dans le domaine des prestations sociales, dans quel autre domaine pensez-vous pouvoir laisser libre cours à cette expérimentation ? Et, si vous avez des idées précises, pourquoi un avant-projet de loi organique ne nous est-il pas soumis?
    Nous voulons en effet que l'égalité devant les services publics ne soit pas remise en cause par l'expérimentation législative et réglementaire que vous proposez, et qui risque de creuser les inégalités entre les habitants de territoires différents.
    Nous réclamons aussi davantage de clarté. Ce dispositif risque de conduire à une décentralisation à la carte, avec des compétences différentes entre collectivités territoriales de même niveau, et donc une complexité accrue de l'organisation administrative, laquelle est pourtant déjà incompréhensible pour les Français. Ces derniers nous font part tous les jours de leurs difficultés à identifier les responsabilités.
    Nous souhaitons aussi savoir de quels moyens ces expérimentations vont être accompagnées, puisqu'il ne sera pas simplement question, j'imagine, de droits abstraits. Comment les transferts de ressources pourront-ils s'effectuer uniquement dans les collectivités territoriales qui auront choisi l'expérimentation ? Bref, comme l'a dit le président de notre assemblée, n'allons-nous pas vers une République en morceaux : beaucoup d'inégalités entre les territoires, une confusion des responsabilités et, au fond, beaucoup de difficultés à s'y retrouver ?
    En demandant la suppression du quatrième alinéa de l'article 4, nous souhaitons rappeler notre préférence, en matière de décentralisation, pour des textes concrets, parlant directement aux Français : des transferts par blocs de compétences, assortis des moyens financiers adéquats. Par la suite, en appréciant les domaines dans lesquels les collectivités ont un savoir-faire, ou aurait examiné l'opportunité d'autoriser les expérimentations législatives et réglementaires.
    Nous pensons donc que votre méthode n'est pas bonne. Elle soulève beaucoup d'inquiétudes et d'interrogations. De plus, le pouvoir d'expérimentation ne paraît pas suffisamment encadré, en l'absence de précisions sur le contenu de la future loi organique. Pouvez-vous, messieurs les ministres, répondre à ces questions, qui ont d'ailleurs été soulevées à l'occasion des assises des libertés locales ?
    Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
    M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. Je m'en suis déjà expliqué : défavorable.
    Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Défavorable. Je répondrai à Mme Royal que l'expérimentation est déjà considérablement encadrée.
    Ainsi, elle ne peut pas porter sur les conditions essentielles d'exercice d'une liberté publique. Par conséquent, la question de savoir si on pourra réduire un certain nombre de prestations sociales en fonction du lieu d'exercice de la compétence ne se pose évidemment pas.
    Quels sont les éléments de cet encadrement ? L'objet de l'expérimentation doit être limité - le Sénat lui-même l'a voulu ainsi -, de même que sa durée et vraisemblablement son espace ; elle doit impliquer un volontariat, nécessiter une évaluation, avoir un caractère réversible, faire l'objet d'une autorisation préalable puis d'un bilan final par le Parlement,...
    M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances, rapporteur pour avis. N'en jetez plus !
    M. le ministre délégué aux libertés locales. ... enfin, je l'ai dit, elle ne peut porter atteinte aux conditions essentielles d'exercice d'une liberté publique : je viens donc de vous énumérer neuf limites !
    Certaines ont déjà été évoquées dans ce débat ; la loi organique les mentionnera de manière explicite. Je ne comprends donc pas les craintes que ce projet vous inspire. Pierre Méhaignerie, qui est l'initiateur du modèle d'expérimentation, trouve que cela fait déjà beaucoup. Neuf obligations, cela donne tout de même un encadrement très sérieux ! Je rappelle, madame Royal, que le gouvernement auquel vous avez participé a lui-même permis aux régions d'exercer, à titre expérimental, des compétences en matière de développement des ports maritimes et des aérodromes et s'agissant de l'inventaire des monuments historiques.
    M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. Absolument !
    M. le ministre délégué aux libertés locales. En relisant l'article 105 de la loi du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité, qui concerne les aérodromes, j'ai observé que l'expérimentation n'était ni définie ni encadrée. Or nous faisons précisément le contraire. Je ne comprends donc pas vos réticences, ni vos réserves.
    M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. Personne ne les comprend !
    Mme la présidente. La parole est à M. Michel Piron.
    M. Michel Piron. En entendant la défense et l'illustration de cet amendement par Mme Royal, à l'heure qu'il est et au jour où nous sommes, je me disais que Spinoza avait décidément raison d'écrire que tout être tend à persévérer dans son être.
    Mme la présidente. La parole est à Mme Ségolène Royal, pour répondre au Gouvernement.
    Mme Ségolène Royal. Monsieur le ministre, je vous remercie de l'effort que vous faites pour apporter des réponses précises. Sachez-le, les questions que je me pose l'ont été par bien d'autres responsables politiques éminents. M. Raffarin, en particulier, lorsqu'il était président de l'Association des régions de France, s'était opposé à l'expérimentation en matière de transports ferroviaires. Il souhaitait en effet que les transferts de compétences soient opérés de manière simultanée dans toutes les régions. Or c'est également ce que nous disons : nous ne voulons pas d'une France à vingt-deux vitesses ! Les transferts doivent être effectués par blocs de compétences dans la totalité des régions afin de pouvoir en évaluer le coût et d'octroyer éventuellement une compensation financière aux régions les plus pauvres. Dans le cas contraire, seules les régions les plus riches auraient la faculté d'expérimenter. M. Raffarin souhaitait également être consulté sur les décrets d'application du projet de loi avant le débat parlementaire. Nous ne demandons pas autre chose en voulant connaître les grandes lignes de la loi organique que vous prévoyez pour définir les conditions de l'expérimentation. Enfin, il réclamait une compensation financière du transfert par l'attribution d'une ressource fiscale spécifique aux régions et une indexation des dotations en fonction des charges de chacune d'entre elles. C'est également notre objectif, nous le rappellerons lors de l'examen de l'article 6. C'est au nom de ces trois principes que le futur Premier ministre avait refusé, pour sa région, l'expérimentation en matière de transports ferroviaires.
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Vous ne l'avez pourtant pas suivi !
    Mme Ségolène Royal. Ces préoccupations ne sont donc pas nouvelles. Il s'agit simplement de donner des garanties, en particulier à l'égard des régions les moins riches.
    Mme la présidente. La parole est à M. Emile Zuccarelli, pour répondre à la commission.
    M. Emile Zuccarelli. Quelqu'un l'a observé tout à l'heure : nous ne faisons, sur ce projet de loi constitutionnelle, que notre métier de parlementaires. Il faut l'admettre, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission : si l'opposition s'était montrée aussi peu incisive et combative que la majorité, ce débat eût sans doute été bouclé en deux temps trois mouvements, mais l'Assemblée n'aurait pas été éclairée convenablement sur ces graves questions qui touchent à la Constitution.
    Notre collègue Ségolène Royal proposait la suppression pure et simple de l'alinéa concerné. Sans aller aussi loin, j'ai moi-même déposé un amendement sur ce texte car, comme elle, je m'interroge, en particulier sur les lois, organiques ou simples, qui doivent résulter de cette réforme. Vous avez beau jeu de répondre que nous les connaîtrons en temps utile. Il s'agit de la Constitution et nous sommes fondés à demander comment est conformé l'âne dans le sac, cher à notre collègue Chassaigne.
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Avec M. Brard, il s'agissait d'un lapin !
    M. René Dosière. Ne confondez pas la Seine-Saint-Denis et l'Auvergne.
    M. Emile Zuccarelli. Mon amendement n'a aucune chance d'aboutir, tel que je vois le débat s'engager, mais mes interrogations sont les mêmes. Je vais cependant les formuler à ma manière.
    Si le projet est adopté, les collectivités pourront déroger aux dispositions législatives ou réglementaires qui régissent l'exercice de leurs compétences. La question très importante qui se pose est donc de savoir qui déroge. Déroger, est-ce prendre des dispositions dérogatoires ou en bénéficier ?
    M. Claude Goasguen. Il faut lui offrir un Robert !
    M. Emile Zuccarelli. Une telle question n'est pas du domaine du fantasme. Elle est récurrente depuis quelque temps et revient à se demander qui fait la loi.
    M. Emile Zuccarelli. On a parlé d'une adaptation des lois, ce qui a donné lieu à des interprétations très variées. On a évoqué un pouvoir législatif partagé, un pouvoir législatif encadré, un pouvoir législatif tout court, voire inexistant. Or je suis assez attaché à l'idée selon laquelle le pouvoir législatif est l'apanage du Parlement.
    Le mot « déroger » semble merveilleusement adapté pour permettre toutes les interprétations. Comment devons-nous le lire ? Prendre des dispositions dérogatoires ou en bénéficier, ce n'est pas tout à fait la même chose.
    M. Claude Goasguen. Il a besoin d'un cours d'étymologie. Derogare !
    Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 70.
    (L'amendement n'est pas adopté.)
    Mme la présidente. MM. Brunhes, Chassaigne, Gerin et les membres du groupe des député-e-s communistes et républicains ont présenté un amendement, n° 178, ainsi rédigé :
    « Dans le quatrième alinéa du texte proposé pour l'article 72 de la Constitution, supprimer le mot : "essentielles. »
    La parole est à M. André Chassaigne.
    M. André Chassaigne. Le texte du projet de loi exclut toute possibilité d'expérimentation normative « lorsque sont en cause les conditions essentielles d'exercice d'une liberté publique ». C'est bien le moins que puisse prévoir la Constitution.
    Nous ne voyons cependant pas la nécessité de la présence de l'adjectif « essentielles ». Existe-t-il des conditions d'exercice d'une liberté publique qui ne soient pas essentielles ? Elles doivent toutes être respectées sans restriction aucune. C'est pourquoi nous vous demandons la suppression de cet adjectif.
    Si le Gouvernement et le rapporteur se prononçaient contre cet amendement, alors nous leur demanderions d'expliquer clairement ce qu'ils mettent derrière ce mot.
    Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
    M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. La rédaction du quatrième alinéa de l'article 4 s'inspire de la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui, jusqu'à présent, encadrait l'expérimentation d'Etat, et faisait effectivement mention des libertés essentielles. L'adoption de l'amendement conduirait donc à réduire les possibilités d'expérimentation, alors que l'objectif de la loi constitutionnelle est plutôt d'élargir le cadre dans lequel nous enfermait jusqu'à présent le Conseil constitutionnel. Je ne peux donc qu'y être défavorable. Il ne s'agit pas de toucher aux libertés publiques, mais d'adapter.
    Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Avis défavorable. Si la rédaction du texte se réfère à une notion définie par le Conseil constitutionnel lui-même, c'est bien pour donner une garantie. Pour répondre à votre question, monsieur Chassaigne, on peut considérer par exemple qu'en matière de libertés publiques la procédure ne touche pas à l'essentiel.
    Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 178.
    (L'amendement n'est pas adopté.)
    Mme la présidente. Je suis saisie de quatre amendements identiques n°s 13, 42, 71 et 179.
    L'amendement n° 13 est présenté par M. Clément, rapporteur ; l'amendement n° 42 est présenté par M. Delattre ; l'amendement n° 71 est présenté par Mme Royal et les membres du groupe socialiste ; l'amendement n° 179 est présenté par MM. Brunhes, Chassaigne, Gerin et les membres du groupe des député-e-s communistes et républicains. Ces amendements sont ainsi rédigés :
    « Dans le quatrième alinéa du texte proposé pour l'article 72 de la Constitution, après les mots : "d'une liberté publique, insérer les mots : "ou d'un droit constitutionnellement garanti. »
    La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir l'amendement n° 13.
    M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. L'amendement vise à rétablir le texte initial du Gouvernement dans le quatrième alinéa de l'article 4. Dans l'expression « lorsque sont en cause les conditions essentielles d'exercice d'une liberté publique ou d'un droit constitutionnellement garanti », les sénateurs ont interprété « sont en cause » par « sont remis en cause », ce qui les a évidemment fait sursauter. C'est pourquoi ils ont supprimé un membre de la phrase. Or, il ne s'agit pas de cela, mais de prévoir simplement le cas où la loi d'habilitation déléguerait au pouvoir réglementaire local la possibilité d'intervenir dans le domaine des droits et des libertés. Je pense, monsieur Chassaigne, que vous me suivrez sur ce point, car il est bon, pour le coup, de fixer des limites.
    Mme la présidente. L'amendement n° 42 est-il défendu ?
    M. Jean-Luc Warsmann. Il est défendu.
    Mme la présidente. L'amendement n° 71 est-il défendu ?
    Mme Ségolène Royal. Oui.
    Mme la présidente. La parole est à M. André Chassaigne, pour soutenir l'amendement n° 179.
    M. André Chassaigne. Il s'agit de revenir à la rédaction initiale du projet.
    Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Sagesse.
    M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. C'est votre texte, monsieur le ministre !
    Mme la présidente. Je mets aux voix par un seul vote les amendements n°s 13, 42, 71 et 179.
    (Ces amendements sont adoptés.)
    M. René Dosière. A l'unanimité ? C'est un événement historique !
    Mme la présidente. L'amendement n° 163 n'est pas défendu.
    M. Mariton a présenté un amendement, n° 2, ainsi rédigé :
    « Dans le quatrième alinéa du texte proposé pour l'article 72 de la Constitution, supprimer les mots : "ou leurs groupements. »
    La parole est à M. Hervé Mariton.
    M. Hervé Mariton. Cet amendement avait pour objet d'éviter l'introduction subreptice des groupements de collectivités dans la Constitution, mais plutôt que de le voir défait, je préfère le retirer.
    Mme la présidente. L'amendement n° 2 est retiré.
    Je suis saisie de deux amendements, numéros 102 et 14, pouvant être soumis à une discussion commune.
    L'amendement n° 102, présenté par M. Giacobbi et Mme Taubira, est ainsi rédigé :
    « Dans le quatrième alinéa du texte proposé pour l'article 72 de la Constitution, supprimer les mots : ", à titre expérimental,. »
    L'amendement n° 14, présenté par M. Clément, rapporteur, est ainsi rédigé :
    « Dans le quatrième alinéa du texte proposé pour l'article 72 de la Constitution, après les mots : "à titre expérimental, insérer les mots : "et pour un objet et une durée limités. »
    La parole est à M. Paul Giacobbi, pour soutenir l'amendement n° 102.
    M. Paul Giacobbi. Je n'avais pas réalisé que j'avais un amendement commun avec M. Clément. J'en serais très honoré, mais je ne crois pas qu'ils le soient.
    Mme la présidente. Ils sont simplement soumis à une discussion commune.
    M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. En général, cela signifie plutôt qu'ils sont contraires !
    M. Paul Giacobbi. Je me disais aussi...
    Bien que novice, je ne suis pas assez naïf pour avoir pensé que mon amendement pourrait être adopté. Il est destiné à obtenir des réponses précises et à susciter le débat.
    Pour vous, monsieur le ministre, l'expérimentation est un maître mot - je n'ai pas dit un nouveau dogme. Quant à M. Clément, il nous a dit avec force et avec justesse qu'elle était fondamentale et évitait la différenciation juridique. Or, l'expérimentation, qui rassure ceux qui ont besoin d'être rassurés par son caractère limité et qui aiguise l'appétit des audacieux qui voudraient aller un peu plus loin,...
    M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. Dont vous êtes, monsieur Giacobbi !
    M. Paul Giacobbi. ... suscite un certain nombre de questions. Absolument, monsieur Clément. D'ailleurs, il ne m'en faut pas beaucoup pour être en appétit. (Sourires.)
    Tout d'abord, sur le principe, il est idiot de condamner à l'abandon une expérimentation qui a réussi dans une collectivité donnée parce qu'elle est difficilement transposable ailleurs. Je veux dire par là que si le succès d'une expérimentation, voire son intérêt, tient à des circonstances locales, il est évident, tout à fait objectivement et sans vouloir évoquer pour le plaisir l'idée d'une différenciation, que cela pose un problème, car ni son abandon ni sa généralisation ne seront satisfaisants.
    La deuxième question est d'ordre pratique, mais elle a nécessairement une portée juridique, puisqu'elle concerne la durée de l'expérimentation et son renouvellement éventuel. A première vue, cette question paraît tout à fait secondaire dans la mesure où l'expérimentation est limitée dans le temps. Pourtant, chers collègues, elle est importante dans un pays où la longévité des lois est très faible et, à la différence des êtres humains, ne tend pas à s'allonger. En effet, nous légiférons en général à moyen terme, c'est-à-dire pour un à cinq ans. Or, si l'on fixe la durée des expérimentations entre un et cinq ans, en moyenne, celle-ci ne sera pas très éloignée de la durée d'application de la plupart de nos lois.
    Il s'agit donc de savoir, par exemple, si vous admettez qu'une expérimentation puisse être reconduite, ne serait-ce que parce que si l'on décide de débuter l'expérimentation à un moment T, celle-ci ne pourra, en réalité, être mise en oeuvre, pour des raisons pratiques, qu'au moins un an après. Ma région d'origine n'est peut-être pas la plus performante de France à cet égard. (Sourires.)
    De fait, il faut un certain temps, comme l'a montré l'exemple du transfert des routes nationales à la Corse qui a été un très grand succès. A cet égard on ne saurait mettre en cause l'exécutif ou l'Assemblée de Corse, même si cela a été long. En effet il n'est pas facile, quand on reçoit une compétence, de recruter des ingénieurs, d'en transférer de l'Etat, de se mettre à travailler.
    Disons que si l'on fixait à trois ans la durée d'une expérimentation, cela aboutirait à ne l'accorder que pour trois mois, le temps nécessaire à la réalisation de transfert demandant un minimum de deux ans et demi, et encore, en étant très performant. La durée de l'expérimentation et son renouvellement sont donc des questions essentielles.
    Enfin, il faut bien poser aussi le problème de l'abandon d'une expérimentation, car elle pourra parfois rater. Il faudrait alors revenir sur le transfert d'une compétence vers une collectivité territoriale. Ce cas est si rare, monsieur le ministre, que je ne connais aucun exemple, ni en France ni ailleurs, d'une compétence recentralisée. En fait, même lorsque l'on parle de recentralisation, en général pour s'en plaindre, cela signifie plutôt que l'Etat tend à encadrer un peu plus l'exercice d'une compétence transférée. Je ne sais donc pas s'il y a déjà eu de réels retours. Certes il y a aussi des poissons volants mais ce n'est pas la loi de l'espèce. (Sourires.)
    Par conséquent, je crois que le nombre des expériences que l'on va abandonner sera extrêmement faible. Et, comment fera-t-on ? S'il s'agit d'expérimentations importantes qui auront provoqué, en particulier, des transferts de personnels ou de domanialité, le temps du retour à la normale sera à peu près aussi long et entraînera les mêmes difficultés que le passage à l'expérimentation.
    Je comprends, monsieur le ministre, que vous vouliez utiliser cette formule qui est d'ailleurs excellente et qui a été pratiquée dans bien des pays. Il ne s'agit pas d'une notion originale et elle a généralement bien fonctionné. En revanche, affirmer que cela ne va pas entraîner de différenciation parce qu'on pourra revenir en arrière ne me paraît pas très réaliste pour les raisons pratiques que j'ai évoquées.
    Donc, mes questions essentielles portent sur la durée, sur les possibilités de renouvellement, sur le retour en arrière et sur le point de savoir comment sera réglé le problème de l'expérimentation réussie mais non transposable, qu'il faudrait pourtant, d'une manière ou d'une autre, rendre pérenne.
    Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur pour défendre l'amendement n° 14.
    M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. Nous avons des amendements strictement opposés. C'est d'ailleurs pour cela, mon cher collègue, qu'ils sont en discussion commune.
    Cela dit, vous avez soulevé des problèmes qui m'interpellent presque autant que vous car il est évident que, dans certains domaines, il sera très difficile de revenir en arrière. Il faudra traiter la question avec M. Patrick Devedjian au moment de l'élaboration des lois d'habilitation, quand nous transférerons des compétences. Nous pouvons cependant y réfléchir dès maintenant.
    L'amendement que je défends tend à reprendre dans l'article 4 une disposition que le Sénat a eu la bonne idée d'ajouter à l'article 2, s'agissant de l'expérimentation d'Etat, en demandant un objet et une durée limités. Il s'agit de mieux encadrer cette possibilité afin de rassurer ceux qui pouvaient craindre que l'expérimentation locale devienne une sorte de supermarché où chacun pourrait choisir n'importe quoi.
    Quant aux difficultés d'application qui ne manqueront pas, nous en traiterons dans la loi d'habilitation.
    Mme la présidente. Monsieur Clément, pouvez-vous donner l'avis de la commission sur l'amendement n° 102 présenté par M. Giacobbi.
    M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. Il est évidemment défavorable.
    Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Il est défavorable à l'amendement n° 102 de M. Giacobbi et favorable à l'amendement n° 14 de M. Clément, notamment parce que ce dernier offre le grand avantage d'encadrer un peu mieux la mesure, même si cela relève surtout de la loi organique, tout en assurant une certaine cohérence entre l'article 4 et l'article 2.
    Cela dit, je veux apporter deux précisions à M. Giacobbi sur l'expérimentation.
    Il a d'abord posé la question de savoir ce qu'il adviendrait quand une expérimentation qui aurait réussi ne serait pas généralisable. Ayant une durée limitée, elle risque en effet d'être interrompue alors qu'elle fonctionnait bien, ce qui serait un peu absurde. Par ailleurs, sa généralisation à d'autres régions ou à d'autres collectivités territoriales n'aurait aucun sens. En fait, la dernière loi sur la Corse a parfaitement traité ce problème, puisqu'elle permet au législateur de passer par le statut particulier.
    Néanmoins, cette solution devra demeurer l'exception parce qu'il n'est pas question de construire une France disparate.
    Quant aux conditions de l'expérimentation, qu'il s'agisse des délais ou de ses modalités, elles seront chaque fois définies par le législateur. A ce propos, monsieur Giacobbi, vous avez eu raison de souligner que si l'on prévoit une durée de trois ans pour l'expérimentation, la première année sera perdue, voire la deuxième dans certaines régions que je ne désignerai pas, sans nécessairement penser à la vôtre d'ailleurs.
    M. Paul Giacobbi. Parfois aussi au nord de la Loire.
    M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. A Paris !
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Effectivement, il peut y avoir d'autres pesanteurs mais tout aussi lourdes.
    Le législateur aura aussi le pouvoir de prolonger une expérimentation. Il ne sera pas tenu d'y mettre fin immédiatement. Il pourra également la réorienter. Peut-être, en effet, la première fois aura-t-elle été mal conçue, mal cadrée. L'expérience peut aussi permettre de progresser, y compris sur l'expérimentation et de mieux la définir. Tout cela ressortit à la compétence du législateur et ne pose aucun problème.
    Mme la présidente. La parole est à M. Paul Giaccobi.
    M. Paul Giacobbi. Je retire l'amendement parce que je suis satisfait par la réponse de M. le ministre !
    Mme la présidente. L'amendement n° 102 est retiré.
    Je mets aux voix l'amendement n° 14.
    (L'amendement est adopté.)
    Mme la présidente. M. Zuccarelli a présenté un amendement, n° 36, ainsi rédigé :
    « Dans le quatrième alinéa du texte proposé pour l'article 72 de la Constitution, supprimer les mots : "législatives ou. »
    La parole est à M. Emile Zuccarelli.
    M. Emile Zuccarelli. Bien que je ne veuille pas allonger les débats, j'ai envie de faire un commentaire sur l'importante notion d'expérimentation. J'ai en effet l'impression que notre pays est entré dans une réflexion sur ce sujet. Or toute expérimentation doit être à la fois réversible et extensible sinon ce n'est pas une expérience mais un essai. Par exemple quand on décide d'opérer un malade, c'est une tentative, un essai qui peut réussir ou échouer. Ce n'est pas une expérience.
    Il faut bien procéder à un affinement sémantique afin que nous parlions le même language.
    Avec l'amendement n° 36, je propose, sans autre espoir que celui d'obtenir quelques réponses, de supprimer le mot « législatif ». En fait je voudrais savoir, à propos de cette possibilité de dérogation, qui est l'acteur, qui est le sujet et quel est l'objet. Autrement dit je désire obtenir des éclaircissements de la part du Gouvernement sur la nature et la portée des dispositions dérogatoires prévues.
    Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
    M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. M. Zuccarelli souhaite que l'expérimentation ne concerne que le domaine réglementaire. Or tel est d'ores et déjà le cas, notamment en Corse. Il n'y aurait donc pas besoin de réformer la Constitution pour cela. En revanche, cela est indispensable si l'on veut étendre l'expérimentation au domaine législatif. On ne peut donc pas être favorable à cet amendement puisqu'il est contraire à l'esprit même de ce projet de loi constitutionnelle.
    Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Même avis que la commission.
    Mme la présidente. La parole est à M. Emile Zuccarelli.
    M. Emile Zuccarelli. Je pense que la commission et le Gouvernement m'ont écouté d'une oreille peu attentive. La fatigue peut l'expliquer en cette fin d'après-midi.
    J'ai donc commencé mon intervention précédente en soulignant que nous devrions nous habituer à utiliser des termes appropriés, en l'occurrence pour différencier une expérience d'un essai, sinon, nous risquons d'en arriver à des malentendus ou à des absurdités. Cela étant, arrêtons le débat, d'autant que j'ai voté le précédent amendement de la commission. Voyez que je vous rejoins, monsieur le rapporteur.
    En fait j'ai surtout déposé cet amendement n° 36 afin que soit précisée la nature des dérogations aux mesures législatives ou réglementaires qui seront prises ou utilisées par les collectivités. Seront-elles de caractère réglementaire ou législatif ? En conséquence, relèveront-elles du juge administratif ou du juge constitutionnel ?
    Mme la présidente. La parole est à M. André Chassaigne.
    M. André Chassaigne. Je veux m'exprimer sur l'amendement qui a pour objet la suppression de l'adverbe « cependant » au début de la seconde phrase du cinquième alinéa du texte proposé pour l'article 72 de la Constitution.
    En effet ce terme tend à affaiblir et même à rendre équivoque l'idée qu'aucune collectivité ne saurait exercer une tutelle sur une autre. Faisons un peu de grammaire : « cependant » est employé ici dans le sens d'une conjonction qui, par une transition à peine sensible, prend un sens adversatif.
    M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. Je ne sais pas ce que signifie « adversatif » mais c'est très chic !
    M. André Chassaigne. En d'autres termes, monsieur Clément, il marque en grammaire une différence entre ce qui précède et ce qui suit. Il indique une opposition, on peut même dire une restriction.
    Le maintien de l'adverbe « cependant » tendrait à laisser croire qu'une collectivité territoriale pourrait exercer une tutelle sur une autre. Or cette seconde phrase de l'alinéa n'a nullement cet objet : elle prévoit seulement que la loi peut autoriser une action commune des collectivités territoriales, ce qui est totalement différent. Il ne faut donc pas lier les deux phrases par cet adverbe.
    L'amendement présenté par M. Zuccarelli a donc pour objectif de supprimer ce qu'on pourrait appeler, messieurs les ministres, monsieur le rapporteur, une erreur grammaticale dans le texte. Si vous l'adoptiez, il permettrait d'éviter toute erreur d'interprétation.
    Le principe, pour être applicable et appliqué, doit être énoncé clairement : « Aucune collectivité territoriale ne peut exercer une tutelle sur une autre. Lorsque l'exercice d'une compétence nécessite le concours de plusieurs collectivités territoriales, la loi ne peut autoriser l'une d'entre elles à organiser les modalités de leur action commune. » Cela suffit.
    M. Victorin Lurel. Très bien !
    Mme la présidente. Il me semble que vous vous êtes exprimé sur l'amendement n° 35, monsieur Chassaigne, et non sur l'amendement n° 36.
    M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. Au moins l'aura-t-il fait !
    Mme la présidente. Vous vous êtes probablement trompé d'amendement.
    M. Bertho Audifax. Hors sujet !
    Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des lois.
    M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. Effectivement, monsieur Zuccarelli, je n'avais pas répondu à une question importante.
    Il est bien évident que, à partir du moment où la loi organique décentralise une compétence d'origine législative, celle-ci devient réglementaire. Seul le juge administratif est alors compétent pour les actes et les décisions pris dans ce cadre par les collectivités locales.
    Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
    M. le ministre délégué aux libertés locales. M. Clément a donné à M. Zuccarelli une réponse qu'il appartenait au Gouvernement de faire. Il a un tel besoin de s'exprimer et il le fait avec un tel bonheur, que nous en sommes ravis ! (Sourires.)
    A la différence de ce qui était prévu par les accords de Matignon, qui envisageaient un transfert du pouvoir législatif en 2004, lorsque le législateur autorisera une dérogation, les actes pris dans ce cadre par une collectivité territoriale auront un caractère réglementaire. La philosophie du Gouvernement sur cette question est profondément différente de celle du gouvernement précédent.
    Mme la présidente. La parole est à M. Emile Zuccarelli.
    M. Emile Zuccarelli. Au bénéfice des réponses que j'ai obtenues, je retire mon amendement, madame la présidente.
    Mme la présidente. L'amendement n° 36 est donc retiré.
    Mme Royal et les membre du groupe socialiste ont présenté un amendement, n° 72, ainsi rédigé :
    « Compléter le quatrième alinéa du texte proposé pour l'article 72 de la Constitution par les phrases suivantes : "Ces dérogations ne peuvent avoir pour effet que d'élargir ou d'améliorer les conditions d'exercice d'un droit, de renforcer les protections individuelles et collectives, d'améliorer effectivement le service rendu aux usagers. Elles ne peuvent remettre en cause le principe d'égalité devant le service public. »
    La parole est à Mme Ségolène Royal.
    Mme Ségolène Royal. Voici un amendement très important, sur lequel j'aimerais, messieurs les ministres, avoir une réponse très précise.
    Par le dispositif envisagé, il sera possible aux collectivités territoriales de déroger, à titre expérimental, à la loi ou au règlement. Or, cela est envisageable vers le haut ou vers le bas, c'est-à-dire en mieux ou en moins bien puisque le texte ne dit rien à cet égard. C'est pourquoi je présente cet amendement qui prévoit que les dérogations ne pourront avoir pour effet que d'améliorer les situations...
    M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances, rapporteur pour avis. Cela va de soi !
    Mme Ségolène Royal. ... c'est-à-dire « d'élargir ou d'améliorer les conditions d'exercice d'un droit, de renforcer les protections individuelles et collectives, d'améliorer effectivement le service rendu aux usagers ».
    Je ne pense pas que vous envisagiez d'accorder, à titre expérimental, des dérogations pour faire moins bien, pour certains citoyens. Dans ces conditions, vous ne devriez émettre aucune objection à l'ajout de cette précision. Elle permettrait au contraire de rassurer tout le monde. Si vous vous y opposez, il faudra m'en donner les raisons.
    Ensuite, cet amendement tend à préciser que ces dérogations ne sauraient remettre en cause le principe d'égalité devant le service public, ou devant la loi, puisque, pour vous, c'est la même chose.
    Monsieur Devedjian, puisque vous êtes un fin juriste, j'aimerais que vous nous apportiez une réponse précise à une question que j'ai déjà posée hier. En effet, vous avez déclaré que l'instauration dans la Constitution de ces dérogations, à titre expérimental, à la loi ou au règlement permettrait de mettre en échec des jurisprudences du Conseil constitutionnel qui font actuellement obstacle aux possibilités de déroger à la loi. Pourriez-vous donc préciser quel type de décision du Conseil constitutionnel ne serait plus possible, lorsque ce dispositif aura été introduit dans la Constitution ?
    Par exemple, l'excellent document de référence que j'ai déjà cité essaie d'articuler les liens entre la décentralisation et les droits fondamentaux. A cet égard, il précise qu'une loi qui laisserait à des décisions, par définition variable, des collectivités locales le soin de déterminer des conditions d'exercice des droits serait contraire aux exigences constitutionnelles. Vous conviendrez avec moi qu'en inscrivant dans la Constitution qu'il sera possible de déroger aux lois, on empêche le Conseil constitutionnel de sanctionner des lois qui prévoiraient des dérogations territoriales à certains principes d'égalité. Nous sommes bien d'accord, n'est-ce pas, monsieur Devedjian ?
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Soyez gentille de bien vouloir me laisser donner la réponse moi-même, madame Royal !
    Mme Ségolène Royal. Ainsi l'éminent Bernard Stirn donne un exemple que j'ai déjà évoqué hier mais à propos duquel je n'ai pas eu de réponse : celui de la décision par laquelle le Conseil constitutionnel s'est opposé à des modifications législatives de la loi Falloux du 15 mars 1950, car elles auraient laissé aux collectivités locales une marge d'appréciation trop large dans la fixation des aides aux établissements privés d'enseignement, ce qui aurait entraîné une rupture d'égalité devant la loi.
    Plus généralement, dans l'état actuel de la Constitution, que vous vous apprêtez à changer, le législateur ne peut pas limiter la compétence de l'Etat aux seules garanties fondamentales des libertés publiques ; il doit lui laisser la possibilité d'en instaurer d'autres.
    Monsieur Devedjian, si les modifications proposées avaient existé à l'époque, la loi qui prévoyait la réforme de la loi Falloux, en libérant totalement le financement des établissements privés d'enseignement, aurait-elle été validée par le Conseil constitutionnel ? Quel type de décision cette juridiction ne pourra-t-elle plus prendre quand le dispositif proposé aura été adopté ? Vous savez en effet que les Français sont très attachés à l'égalité devant le service public, donc devant la loi.
    Je souhaite que l'on ne puisse déroger que vers le haut et que cette possibilité de dérogation ne permette pas de remettre en cause le principe d'égalité.
    Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
    M. Jean-Luc Warsmann, vice-président de la commission. La commission a donné un avis négatif sur l'amendement n° 72. Premièrement, il est bien évident que lorsque le Parlement décidera de procéder à une expérimentation en matière législative, il le fera après évaluation et dans l'objectif d'améliorer le service rendu aux usagers. Deuxièmement, le principe d'égalité devra évidemment être respecté au sein des collectivités qui pratiqueront l'expérimentation.
    Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Défavorable. Premièrement, madame Royal, le débat sur l'encadrement de l'expérimentation a sa place dans la loi organique.
    M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances, rapporteur pour avis. Absolument !
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Vous nous avez reproché à plusieurs reprises d'être bavards pour ce qui touche à la Constitution. Je remarque que vous auriez plutôt tendance à accroître ce bavardage à vos yeux condamnable... La place de ce débat est dans la loi organique. C'est une question d'ordre des choses et de bonne organisation de notre droit. Je ne dis pas cela pour fuir le débat...
    Mme Ségolène Royal. Ah bon ?
    M. le ministre délégué aux libertés locales. ... car j'entends bien essayer de vous répondre.
    Deuxièmement, vous me demandez si nous avons pensé à la loi Falloux. Je vous avoue que non. J'aurais besoin d'éléments de réflexion et d'analyse juridique. Le Gouvernement ne s'est pas fondé sur la loi Falloux pour déterminer les considérations juridiques qui ont présidé à cette rédaction.
    Pour ce qui est des dispositions du Conseil constitutionnel en revanche, celui-ci considère, vous le savez, qu'il est possible de déroger au principe d'égalité dès lors que les situations sont différentes et que l'intérêt général le justifie. Telle est sa jurisprudence. Le Conseil constitutionnel n'a jamais dit que l'on ne pouvait en aucun cas déroger au principe d'égalité. Il s'est borné à limiter cette possibilité en y apportant son propre encadrement.
    Cet encadrement, par définition, est jurisprudentiel. Or la sécurité juridique impose que la Constitution, le droit écrit fixe lui-même les normes afin de mettre l'usager à l'abri des incertitudes de la jurisprudence. Le Conseil constitutionnel, et c'est parfaitement son droit, peut faire évoluer sa jurisprudence. C'est donc une simple considération de sécurité juridique qui conduit très normalement le législateur à légiférer plutôt qu'à laisser régler la question par la jurisprudence.
    De surcroît, c'est également une question de souveraineté ; il revient au constituant de déterminer lui-même avec quelle latitude, dans le cadre naturellement du débat contradictoire au Parlement, on peut déroger au principe d'égalité. Il n'est pas question de laisser ce pouvoir au juge, car il appartient essentiellement au constituant. Nous entendons qu'il l'exerce. Au juge ensuite de le contrôler.
    Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 72.
    (L'amendement n'est pas adopté.)
    Mme la présidente. Mme Royal et les membres du groupe socialiste ont présenté un amendement, n° 73, ainsi rédigé :
    « Compléter le quatrième alinéa du texte proposé pour l'article 72 de la Constitution par la phrase suivante :
    « Ces dérogations ne peuvent avoir pour effet que d'élargir ou d'améliorer les conditions d'exercice d'un droit, de renforcer les protections individuelles et collectives, d'améliorer effectivement le service rendu aux usagers. »
    La parole est à Mme Ségolène Royal.
    Mme Ségolène Royal. Vous avez estimé notre précédent amendement trop copieux, monsieur le ministre, jusqu'à le qualifier de bavard. Mais sachez que ce bavardage répond à un excellent objectif : apporter toutes assurances et garanties pour éviter ce que certains ont appelé la République en morceaux. Si les expérimentations sont menées dans le désordre dans des régions et des départements à plusieurs vitesses, les droits ne seront plus les mêmes sur l'ensemble du territoire. Il n'est donc pas anodin d'encadrer ce pouvoir de dérogation à la loi et au règlement, de nature à mes yeux constitutionnelle, en rappelant que ces dérogations ne peuvent viser qu'à l'amélioration des droits et services existants.
    Le ministre délégué aux libertés locales. C'est évident.
    Mme Ségolène Royal. Si c'est évident, écrivons-le, monsieur le ministre. Vous nous dites que cela sera inscrit dans la loi organique, mais puisque nous n'en connaissons pas les grandes lignes, mieux vaut prendre des assurances et prévoir dès maintenant que ces dérogations ne pourront aller que dans un sens positif et en aucun cas se traduire par une dégradation ou un affaiblissement des règles, des droits ou des prestations. C'est à mes yeux essentiel. Les citoyens se poseront forcément cette question. Déroger à la loi et au règlement représente un pouvoir énorme, un changement considérable.
    M. le ministre délégué aux libertés locales. C'est le Parlement qui l'autorisera.
    Mme Ségolène Royal. C'est le Parlement qui l'autorisera, mais encore faut-il...
    Le ministre délégué aux libertés locales. C'est-à-dire vous !
    Mme Ségolène Royal. ...que la Constitution l'encadre, en tout cas dans son objectif.
    Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
    M. Jean-Luc Warsmann, vice-président de la commission. Pour les mêmes raisons que précédemment, avis défavorable de la commission.
    Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Avis défavorable.
    Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 73.
    (L'amendement n'est pas adopté.)
    Mme la présidente. Mme Royal et les membres du groupe socialiste ont présenté un amendement, n° 74, ainsi rédigé :
    « Compléter le quatrième alinéa du texte proposé pour l'article 72 de la Constitution par la phrase suivante : "Elles ne peuvent remettre en cause le principe d'égalité devant le service publics. »
    La parole est à Mme Ségolène Royal.
    Mme Ségolène Royal. Cet amendement prévoit que la dérogation ne peut remettre en cause le principe d'égalité devant le service public, réaffirmé à plusieurs reprises tant par le Président de la République que par le Premier ministre. Le proclamer dans des discours, c'est bien, mais l'inscrire dans les textes est une garantie supplémentaire. Faute de quoi, cette expérimentation à la carte créera une France à plusieurs vitesses et provoquera, un creusement des écarts et des inégalités entre territoires, régions et départements, entre ceux qui pourront se payer ces expérimentations et ceux qui ne le pourront pas.
    M. André Chassaigne. En effet !
    Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
    M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. Défavorable.
    Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Défavorable.
    Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 74.
    (L'amendement n'est pas adopté.)
    Mme la présidente. Mme Royal et les membres du groupe socialiste ont présenté un amendement, n° 75, ainsi rédigé :
    « Après le quatrième alinéa du texte proposé pour l'article 72 de la Constitution, insérer l'alinéa suivant :
    « Tout transfert de compétence doit faire l'objet d'une évaluation annuelle à laquelle les citoyens sont associés. »
    La parole est à Mme Ségolène Royal.
    Mme Ségolène Royal. Cet amendement a pour but d'inscrire le principe d'évaluation dans la Constitution. S'il a été, lui aussi, abondamment évoqué par les différents ministres, lors des réunions régionales, ce principe n'en a pas moins quelque peu disparu. Pour bien transférer les compétences, encore faut-il pouvoir évaluer la façon dont elles sont exercées, qu'il s'agisse de celles qui, d'ores et déjà inscrites dans la loi, sont dès à présent exercées par les collectivités territoriales ou de celles dont il sera question à l'avenir.
    Tout nouveau transfert ne peut se concevoir que pour autant que les précédentes compétences sont bien appliquées et tous les problèmes qui y sont liés, notamment ceux des transferts financiers, correctement réglés afin de permettre aux collectivités territoriales de bien les exercer au service de l'intérêt général. Aussi, notre amendement n° 75 prévoit-il non seulement que le principe d'évaluation des compétences devra être accompagné de tout transfert de compétences, mais également que les citoyens y seront associés d'une façon ou d'une autre, à définir évidemment dans une future loi d'application.
    Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
    M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. Défavorable.
    Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Défavorable.
    Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 75.
    (L'amendement n'est pas adopté).
    Mme la présidente. Mme Royal et les membres du groupe socialiste ont présenté un amendement, n° 76, ainsi rédigé :
    « Supprimer l'avant-dernier alinéa du texte proposé pour l'article 72 de la Constitution. »
    La parole est à Mme Ségolène Royal.
    Mme Ségolène Royal. Cet amendement porte sur la notion de « chef de file ». La commission pour l'avenir de la décentralisation présidée par Pierre Mauroy suggérait que la collectivité principalement compétente puisse solliciter des financements d'autres partenaires en tant que chef de file d'un projet. Nous ne contestons pas ce dispositif, mais seulement, comme le Conseil d'Etat, le fait que la notion de chef de file relève de la Constitution et non d'une loi simple.
    Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
    M. Pascal Clément, président de la commission. Défavorable.
    Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Défavorable.
    Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 76.
    (L'amendement n'est pas adopté.)
    Mme la présidente. L'amendement n° 207 n'est pas défendu.
    M. Zuccarelli a présenté un amendement, n° 34, ainsi libellé :
    « Rédiger ainsi la dernière phrase de l'avant-dernier alinéa du texte proposé pour l'article 72 de la Constitution :
    « Lorsque la réalisation d'un objectif commun nécessite le concours de plusieurs collectivités territoriales, la loi détermine les conditions dans lesquelles ces collectivités peuvent confier librement à l'une d'entre elles la responsabilité de la mise en oeuvre des décisions nécessaires ainsi que les modalités de leur participation à l'action commune. »
    La parole est à M. Emile Zuccarelli.
    M. Emile Zuccarelli. Ce tout petit amendement vise simplement à supprimer le mot « cependant » introduit entre les deux phrases de l'avant-dernier alinéa du texte proposé par l'article 72 de la Constitution qui met en avant la notion de « chef de file » dans l'exercice d'une mission ou d'une compétence pouvant impliquer plusieurs collectivités.
    Le Sénat a obtenu, à raison, me semble-t-il, qu'il soit bien précisé dans la Constitution qu'aucune collectivité ne pouvait exercer une tutelle sur une autre. C'est à mes yeux un élément fondamental de l'architecture de la République. Nos collectivités ne sont pas emboîtées comme des poupées gigognes, des poupées russes ; nous ne sommes pas dans les territoires de la France de l'Ancien Régime. Les collectivités sont juxtaposées dans un respect mutuel. J'étais donc très content de cette précision. Et M. le garde des sceaux lui-même l'a, je l'ai entendu, expliqué à Mme Comparini, répondant du même coup à plusieurs parlementaires plus ou moins soucieux d'affirmer certaines prééminences d'un niveau de collectivité sur d'autres collectivités.
    De tutelle donc, il n'est pas question. Or c'est précisément là que ce « cependant » prend une importance toute particulière. Du coup, ce mot m'a paru moins sympathique qu'une simple liaison entre deux phrases... J'aimerais que le garde des sceaux nous confirme que, dans son esprit, ce « cependant » n'a pas été mis là pour affaiblir le principe très fort énoncé dans la phrase précédente, à savoir qu'aucune collectivité ne peut exercer de tutelle sur une autre.
    Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
    M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. Je comprends parfaitement la préoccupation de M. Zuccarelli. Moi-même, pour ne rien vous celer, je me suis posé des questions. Et le fait que le Sénat ait rajouté le principe de non-tutelle d'une collectivité sur une autre n'a fait qu'accroître cette apparente contradiction.
    Après réflexion, j'en suis venu à me convaincre, et tel est vraiment, me semble-t-il, l'esprit du texte, qu'il ne pouvait y avoir légitimité pour la collectivité chef de file, à contraindre une autre collectivité à financer tel ou tel projet que pour autant qu'une convention ait été établie à cette fin entre les deux. Autrement dit, la contrainte n'existe que sur accord préalable de la collectivité virtuellement contrainte. Dès lors, ce « cependant » ne contredit plus la phrase précédente dans la mesure où une contrainte acceptée n'est plus une tutelle. Voilà pourquoi, après cette démonstration, je rends un avis défavorable à cet amendement ; mais la demande d'explication de M. Zuccarelli était parfaitement fondée.
    Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Avis défavorable. Le mot « cependant » obéit simplement à un principe de cohérence : première proposition, la tutelle est interdite ; deuxième proposition, on institue le chef de file. Cela peut paraître contradictoire ; il faut donc bien nuancer les propos, comme vous-même, monsieur Zuccarelli, l'avez reconnu. Mais je précise, pour votre confort intellectuel, comme je l'ai dit au Sénat, que cette disposition ne peut avoir pour effet d'imposer à une collectivité de financer un projet décidé par une autre collectivité.
    M. Emile Zuccarelli. Madame la présidente, je retire l'amendement n° 34, plus audacieux que l'amendement n° 35 que je vais maintenant présenter.
    Mme la présidente. L'amendement n° 34 est retiré.
    L'amendement n° 35 présenté par M. Zuccarelli est ainsi rédigé :
    « Au début de la dernière phrase de l'avant-dernier alinéa du texte proposé pour l'article 72 de la Constitution, supprimer le mot : "cependant. »
    La parole est à M. Emile Zuccarelli.
    M. Emile Zuccarelli. Monsieur le ministre, vous me parlez de confort intellectuel : je vous parle, moi, d'exigence intellectuelle. Effectivement, la deuxième phrase pourrait avoir l'air, aux yeux de certains, de contredire la première ; pour les responsables les plus attachés à la notion de chef de file en tout cas, elle pouvait apparaître comme un moyen détourné d'établir ou de rétablir une certaine forme de tutelle. C'est la raison pour laquelle le « cependant » me paraissait inopportun en ce qu'il renforçait une possible confusion. Nous ne mourrons pas sur cette barricade, monsieur le ministre, mais le texte du Gouvernement gagnerait en clarté si vous acceptiez mon amendement n° 35.
    Mme la présidente. La parole est à M. André Chassaigne.
    M. André Chassaigne. Je voudrais revenir sur les explications que je vous ai prématurément données tout à l'heure à propos d'un autre amendement. Ce « cependant » marque effectivement une opposition...
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Une nuance !
    M. André Chassaigne. ... difficilement compréhensible et sa disparition rendrait toute leur force aux deux phrases. Pourquoi vouloir à tout prix vous accrocher à cette conjonction ? Cela me paraît curieux. Quoique vous puissiez penser, vous pourriez « cependant » l'enlever. (Sourires.)
    Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
    M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. J'ai déjà donné tout à l'heure l'explication à M. Zuccarelli. La commission a repoussé l'amendement n° 35 et je partage son avis : la disparition de ce « cependant » serait jouable, mais elle pourrait être source de contentieux. Son maintien me déplaît comme à vous, mais il y en aura moins. C'est le seul avantage que j'y vois. En lisant un peu vite et en oubliant la nécessité d'une convention préalable pour qu'il y ait contrainte, on pourrait, je le reconnais, y voir une contradiction. Mais en fait, il n'y en a pas par le fait même qu'une convention a été signée.
    Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Défavorable.
    Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 35.
    (L'amendement n'est pas adopté.)
    Mme la présidente. M. Clément, rapporteur, et M. Daubresse ont présenté un amendement, n° 15, ainsi rédigé :
    « Dans la dernière phrase de l'avant-dernier alinéa du texte proposé pour l'article 72 de la Constitution, après les mots : "l'une d'entre elles, insérer les mots : "ou un de leurs groupements. »
    La parole est à M. le rapporteur.
    M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. Je souhaite laisser le soin de le défendre à M. Daubresse, représenté par M. Warsmann.
    Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Luc Warsmann.
    M. Jean-Luc Warsmann. M. Daubresse, qui ne pouvait être présent cet après-midi, m'a demandé de présenter cet amendement.
    Le Sénat avait ouvert aux groupements l'accès à l'expérimentation ; par l'amendement n° 15, M. Daubresse et les membres de la commission des lois ont souhaité leur donner la possibilité de jouer le rôle de chef de file. M. Daubresse souhaitait particulièrement insister sur le fait que notre pays compte un certain nombre de groupements très importants, notamment des communautés urbaines, qui représentent tout à la fois des populations et des budgets considérables. Il lui a donc semblé cohérent de leur ouvrir cette possibilité.
    Mme  la présidente. Quel et l'avis du Gouvernement ?
    M. le ministre délégué aux libertés locales. C'est effectivement cohérent. Aussi le Gouvernement s'en rapporte-t-il à la sagesse de l'Assemblée.
    Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
    M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. Je souhaite rappeler à l'Assemblée que la commission des lois est heureuse de cet amendement : le Sénat avait offert aux EPCI la capacité d'expérimentation, nous leur donnons celle d'être chef de file. Il y a une symétrie, une harmonie qui va dans le sens d'une cohérence accrue.
    M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances, rapporteur pour avis. C'est une réponse.
    M. René Dosière. Oui, c'est un petit pas !
    Mme la présidente. je mets aux voix l'amendement n° 15.
    (L'amendement est adopté.)
    Mme la présidente. M. Garrigue, M. André, Alain Cousin, Guédon, Godfrain, Guibal, Guillet, Mme Le Brethon, MM. Schreiner et Terrot ont présenté un amendement, n° 9, ainsi rédigé :
    « Avant le dernier alinéa du texte proposé pour l'article 72 de la Constitution, insérer l'alinéa suivant :
    « Sauf dans les cas prévus à l'alinéa précédent, les financements croisés conditionnés sont interdits. Si une collectivité tente de subordonner l'accord d'un financement ou le versement d'une subvention à une autre collectivité à l'accord d'un financement ou au versement d'une subvention par une tierce collectivité, elle est condamnée par le juge administratif à verser dans les trois mois ledit financement ou ladite subvention à la collectivité qui en était destinataire. »
    La parole est à M. Jean-Luc Warsmann, pour soutenir cet amendement.

    M. Jean-Luc Warsmann. Il est défendu.
    Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
    M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. Défavorable.
    Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Défavorable.
    Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 9.
    (L'amendement n'est pas adopté.)
    Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques, n°s 1 corrigé et 4.
    L'amendement n° 1 corrigé est présenté par M. Mariton ; l'amendement n° 4 est présenté par M. Goulard.
    Ces amendements sont ainsi rédigés :
    « Supprimer le dernier alinéa du texte proposé pour l'article 72 de la Constitution. »
    La parole est à M. Hervé Mariton, pour soutenir l'amendement n° 1 corrigé.
    M. Hervé Mariton. L'amendement n° 1 corrigé tend à supprimer le dernier alinéa du texte proposé pour l'article 72 de la Constitution. L'esprit de la décentralisation ne justifie pas l'identification d'un représentant de l'Etat dans le ressort des collectivités de la République. Au surplus, même dans des pays qui ne fonctionnent pas selon un mode fédéral, il est rare qu'il y ait un représentant de l'Etat par territoire. A dire vrai, lors même que le représentant de l'Etat existerait, dans quelles circonscriptions, en fonction de quels découpages ?
    L'Institut de la décentralisation, présidé par notre ancien collègue Adrien Zeller, s'est penché sur cette question, suggérant qu'il serait satisfaisant qu'il n'y eût pas de collage, de correspondance systématique entre le représentant de l'Etat et l'organisation des collectivités territoriales. Ajoutons que bon nombre des compétences que cet article donne aux représentants de l'Etat ne correspondent ni à l'esprit de la décentralisation, ni au stade de la maturité que celle-ci a aujourd'hui atteint.
    Il en est ainsi de ce que le texte, curieusement, continue d'appeler contrôle administratif. La commission s'était d'ailleurs interrogée sur cette formulation.
    S'agit-il d'une tutelle des collectivités territoriales ? On utilise souvent ce terme, mais y a-t-il réellement décentralisation tant qu'il y a une tutelle des collectivités territoriales ?
    S'agirait-il du contrôle de légalité ? Un membre du corps préfectoral me disait l'autre jour que ce contrôle lui semblait être en réalité de la fausse monnaie, tant les moyens sont insuffisants et la garantie illusoire. Il n'est pas rare que le sous-préfet dans un arrondissement ou le préfet dans un département donne son blanc-seing à un acte administratif d'une collectivité territoriale ou d'un établissement public - il y en a un nombre considérable - et que le juge administratif soit ensuite d'un avis contraire. Le contrôle de légalité est en réalité une fausse sécurité. C'est grave pour la qualité de l'administration de notre pays, et en particulier pour la qualité des actes des collectivités territoriales.
    Ce n'est pas parce que le représentant de l'Etat n'existerait plus que l'administration territoriale ne serait plus une administration de qualité.
    Pour résumer l'état d'esprit dans lequel cet amendement et celui de M. Goulard ont été déposés, les préfets sont indispensables à un Etat qui fonctionne mal mais, comme ils existent, l'Etat peut continuer de mal fonctionner.
    Mme Ségolène Royal. Scandaleux ! Vous fonctionnez bien, vous ?
    M. Hervé Mariton. En réalité, et ce que je vais dire est grave, des pans entiers de l'administration de notre pays n'assimilent pas l'esprit d'un gouvernement et d'une majorité, ne répondent pas, ne réagissent pas positivement, surtout quand ce gouvernement et cette majorité sont à droite. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Augustin Bonrepaux. Ah ! Il fallait le dire, que les préfets devaient faire partie de la majorité. C'est clair !
    M. Hervé Mariton. Le sentiment commun est que l'existence de préfets loyaux, loyalistes, permet de rattraper de tels écarts, mais bien des gouvernements renoncent aussi à ce que leur volonté soit effectivement comprise et transmise par les administrations techniques de l'Etat.
    Cette situation n'est pas acceptable. Les préfets limitent les dégâts d'une administration parfois déficiente, qui ne comprend pas toujours ce que l'autorité politique investie par le suffrage universel veut qu'il soit fait dans le pays. Dans cette affaire, il faut enlever le chapeau...
    M. Augustin Bonrepaux. La casquette !
    M. Hervé Mariton. ... et le système se corrigera.
    Nous examinons ces jours-ci une réforme de la Constitution. Il peut y avoir des dispositions techniques complexes, il doit y avoir surtout une philosophie. Parfois, en déplaçant une pièce seulement on peut modifier fondamentalement l'architecture institutionnelle d'un pays. Si nous croyons vraiment en la décentralisation, si nous croyons que nous avons besoin dans ce pays d'un Etat fort, mais pas d'une tutelle des collectivités territoriales, il faut supprimer le dernier alinéa de l'article 72 de la Constitution.
    Mme la présidente. L'amendement n° 4 n'est pas défendu.
    Quel est l'avis de la commission sur l'amendement n° 1 corrigé ?
    M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. Si M. Mariton me permet ce jeu de mots, je demanderai à l'ingénieur des poids et mesures qu'il est s'il a bien pris le poids et la mesure de son amendement.
    Je ne me lancerai pas dans l'illustration et la défense du corps préfectoral, mais ce qui est sûr, c'est que, s'il veut créer dans l'opinion une prise de conscience, il lui faut des lustres pour arriver à ses fins. Il faut devenir un pays fédéral et il n'y a plus alors de préfet. C'est peut-être une évolution. En tout cas, elle n'est ni prévisible à terme ni prévue aujourd'hui.
    La commission est défavorable à cet amendement.
    Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
    M. le ministre délégué aux libertés locales. En arrivant aux responsabilités, monsieur Mariton, le Gouvernement a trouvé des préfets qui avaient été nommés par le gouvernement précédent, ce qui allait de soi, et qui, a priori, auraient pu donner lieu à soupçon. Or tous les préfets, sans exception, sont d'une loyauté totale à l'égard du Gouvernement, parce que c'est le gouvernement de la République, et qu'ils ne veulent rien considérer d'autre. C'est un corps de qualité qui, dans le fonctionnement de nos institutions, est aujourd'hui indispensable.
    Vous dites que la France et son administration sont malades. Peut-être, mais il nous reste au moins une colonne vertébrale.
    M. Hervé Mariton. Qui cache le reste !
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Or vous nous proposez de retirer un certain nombre de vertèbres pour guérir, au risque de nous affaisser totalement. Heureusement, que nous avons les préfets !
    Vous avez émis des critiques sur le contrôle de légalité, vous avez raison. Le Gouvernement est conscient qu'il y a des problèmes, le corps préfectoral aussi. Depuis vingt ans, le contrôle de légalité a évolué considérablement, et notre outil est mal adapté. Pour autant, c'est indispensable. Quand on donne la liberté, elle a nécessairement pour contrepartie la responsabilité.
    M. Hervé Mariton. Le juge est là !
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Encore faut-il un procureur pour surveiller et exercer les poursuites, car le juge ne se saisit pas de lui-même. En l'occurrence, c'est ce que font les préfets.
    Naturellement, il faut refonder le contrôle de légalité, nous en sommes convaincus, pour une raison simple, c'est que le champ du droit, en particulier celui des collectivités territoriales, s'est énormément compliqué. Aujourd'hui, nous avons un système généraliste, et il faut qu'il se spécialise. Le ministère de l'intérieur y travaille. Je suis certain que, dans les années qui viennent, le contrôle de légalité sera considérablement amélioré. Le corps préfectoral lui-même y a déjà beaucoup travaillé, et le gouvernement précédent avait aussi réfléchi en ce sens.
    Ne jetons donc pas le bébé avec l'eau du bain. Nous avons besoin des préfets. Il serait raisonnable que vous retiriez votre amendement.
    M. le président. La parole est à M. René Dosière, contre l'amendement.
    M. René Dosière. Le discours de M. Mariton fait bien apparaître la diversité de pensée que l'on peut trouver au sein de l'UMP...
    M. Hervé Mariton. C'est sa richesse !
    M. Claude Goasguen. Et au moins il y a une pensée !
    M. René Dosière. ... et participe de l'héritage de ceux qui, en 1969, ont chassé le général de Gaulle du pouvoir.
    M. Hervé Mariton. J'avais dix ans !
    M. René Dosière. Monsieur Mariton, je vous suggère de relire les débats de l'Assemblée nationale du 27 juin 1982, en particulier le discours de M. Michel Debré. Cela pourrait utilement vous inspirer, et cela vous ferait comprendre à quel point il était étranger à ce courant de pensée.
    M. Claude Goasguen. Vous, vous pourriez relire Gaston Defferre.
    M. René Dosière. Il faut tout de même beaucoup d'ignorance pour parler ainsi du corps préfectoral.
    En effet, depuis la création, par Bonaparte, du corps préfectoral, les préfets ont su s'adapter, se renouveler à chacune des périodes de notre histoire. Depuis 1982, depuis qu'ils ne sont plus les exécutifs locaux, ils ont su s'adapter de façon remarquable aux nouvelles fonctions qui sont les leurs et animer la politique de l'Etat. Si on peut leur adresser une critique en ce qui concerne le contrôle de légalité - ou plus exactement les tâches qu'on leur a demandé d'assurer puisqu'ils n'assument plus de tutelle sur les collectivités, le mot n'existe plus depuis 1982 -, c'est d'être parfois dans une situation difficile à cause du cumul des mandats. Ils ont quelquefois à déférer les actes pris par un ministre qui se trouve être en même temps responsable d'une collectivité locale. C'est une situation qui n'est naturellement pas très facile à vivre.
    M. Jean-Luc Warsmann. Cela ne peut-être que très ponctuel !
    M. René Dosière. Cela dit, le corps préfectoral d'une qualité remarquable, et je ne suis pas sûr qu'on puisse en dire autant de tous les polytechniciens. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Claude Goasguen. A mon avis, il doit y avoir des préfets polytechniciens !
    Mme la présidente. La parole est à Mme Ségolène Royal.
    Mme Ségolène Royal. Je suis moi aussi choquée par cet amendement, qui me paraît un peu léger.
    M. Claude Goasguen. M. Devedjian a déjà répondu !
    Mme Ségolène Royal. Les préfets incarnent beaucoup de choses, et peut-être plus dans les départements ruraux que dans les départements urbains. En tout cas, ils incarnent l'impartialité, la neutralité, la continuité de l'Etat.
    M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances, rapporteur pour avis. Pas tous !
    Mme Ségolène Royal. C'est vrai, mais la plupart d'entre eux, je pense. Ils incarnent aussi l'ordre public, et l'unité de la nation d'une certaine façon, parce qu'ils veillent à ce que les politiques nationales s'appliquent sur l'ensemble du territoire.
    Cela dit, monsieur Mariton, votre amendement a au moins le mérite de la clarté.
    M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. C'est sûr !
    Mme Ségolène Royal. Finalement, vous rêvez d'une décentralisation ultralibérale, ...
    M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances, rapporteur pour avis. Le mot est lâché !
    Mme Ségolène Royal. ... d'une République complètement éclatée.
    M. Hervé Mariton. Non !
    Mme Ségolène Royal. S'il n'y a plus d'Etat...
    M. Hervé Mariton. Non ! L'Etat tient seul.
    Mme Ségolène Royal. Ce n'est pas ce que veulent les Français. Ils veulent un Etat qui se déconcentre - malheureusement, nos amendements n'ont pas été retenus -, qui soit plus proche d'eux.
    Les préfets ont fait d'énormes efforts pour changer leur mode de fonctionnement, les administrations de l'Etat aussi sont remarquables. Bien souvent, nous déplorons plutôt que les fonctionnaires d'Etat soient en nombre insuffisant, que ceux qui partent en retraite ne soient pas remplacés. Nous souhaitons qu'ils soient beaucoup mieux répartis sur l'ensemble du territoire pour assurer la solidarité nationale et la continuité de l'Etat.
    De nombreux postes de sous-préfet, par exemple, sont vacants. C'est regrettable car les sous-préfets, qui sont à l'abri des échéances électorales, ont compétence pour rassembler, animer, faire en sorte que tous ces financements croisés si complexes s'appuient sur des règles claires.
    Je veux une fois de plus souligner notre profond désaccord avec la façon dont vous vous êtes exprimé. Vous êtes, en plus, issu d'une grande école du service public. Réfléchissez donc à deux fois avant de scier la branche sur laquelle vous êtes assis !
    Mme la présidente. La parole est à M. André Chassaigne.
    M. André Chassaigne. Je voudrais m'associer aux propos qui viennent d'être tenus.
    C'est vrai que cet amendement traduit une tendance qui n'est pas isolée dans cette assemblée, et Ségolène Royal a eu raison de parler d'ultralibéralisme. Il y a quelques semaines, lors de l'examen du budget de la fonction publique, j'ai été effaré des propos de certains qui voulaient supprimer l'ENA à partir d'un amendement de Louis Giscard d'Estaing tendant à réduire les crédits qui lui sont consacrés.
    Il ne s'agit pas d'une querelle de grandes écoles. En fait certains députés veulent remettre en cause la cohésion nationale. Les préfets, qui ne sont pas tous énarques, ont un rôle irremplaçable à jouer dans notre République, et je crois qu'on peut s'honorer d'avoir une telle organisation.
    Je suis élu depuis longtemps. Je suis un petit élu rural, en quelque sorte, dans un petit canton, une petite commune...
    M. Jean-Luc Warsmann. Il n'y a pas de petits élus ! Tous les élus sont égaux !
    M. André Chassaigne. ... et j'ai toujours trouvé dans le corps préfectoral des fonctionnaires qui étaient là non pas pour sanctionner ou pour avoir ce que l'on appelle la culture du soupçon, mais, au contraire, pour accompagner le développement local.
    Mme Ségolène Royal. Absolument !
    Mme la présidente. La parole à M. Hervé Mariton.
    M. Hervé Mariton. Je n'ai pas mis en cause la qualité des préfets.
    Mme Ségolène Royal. Ne vous rattrapez pas ! En plus, vous êtes fonctionnaire. Démissionnez de la fonction publique !
    M. Hervé Mariton. J'ai même dit que c'était grâce à eux que l'Etat pouvait continuer de fonctionner comme il fonctionne.
    Je crois en l'Etat au service de la nation, mais, aujourd'hui, les préfets, avec le rôle qui est défini dans la Constitution, font croire à nos concitoyens que l'Etat est ce qu'il n'est plus.
    Mme Ségolène Royal. Ne vous enfoncez pas !
    M. Hervé Mariton. Je suis au demeurant surpris et d'autres l'ont dit plus tôt dans le débat cet après-midi, qu'une fonction de ce type, quand bien même continuerait-elle d'exister, soit ainsi énoncée dans la Constitution, que l'organisation intérieure de l'Etat soit précisée dans la Constitution...
    M. le ministre délégué aux libertés locales. C'était déjà le cas !
    M. Hervé Mariton. Tout à fait. C'est pour cela que je propose de la retirer, monsieur le ministre. Je ne vous accuse pas de l'inscrire, je pense simplement que vous pourriez être un peu plus audacieux.
    Mme Ségolène Royal. Vous continuerez à être contrôlé ! Heureusement !
    M. Hervé Mariton. Cela dit, je ne veux pas allonger le débat. Je crois simplement qu'un pays décentralisé doit modifier l'organisation de son Etat dans cet esprit. Au demeurant, monsieur le président de la commission, il y a en Europe des pays qui ne sont pas fédéraux, qui ont des logiques unitaires, mais dans lesquels l'Etat n'a pas de représentant dans chaque territoire.
    Mme la présidente. La parole est à M. Victorin Lurel.
    M. Victorin Lurel. J'ai été scandalisé par vos propos, monsieur Mariton, qui traduisent une certaine conception de la société : vous souhaitez remplacer l'Etat par le marché ! (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Hervé Mariton. Mais non !
    M. Victorin Lurel. Nos conceptions s'opposent. Vous vous en prenez aux préfets, vous vous en prenez aussi à l'Etat et à sa représentation territoriale. C'est très grave !
    Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 1 corrigé.
    (L'amendement n'est pas adopté.)
    Mme la présidente. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

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ORDRE DU JOUR DE LA PROCHAINE SÉANCE

    Mme la présidente. Ce soir, à vingt et une heures trente, troisième séance publique :
    Suite de la discussion du projet de loi constitutionnelle, adopté par le Sénat, n° 369, relatif à l'organisation décentralisée de la République :
    M. Pascal Clément, rapporteur au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République (rapport n° 376) ;
    M. Pierre Méhaignerie, rapporteur pour avis au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan (avis n° 377).
    La séance est levée.
    (La séance est levée à dix-neuf heures quarante.)

Le Directeur du service du compte rendu intégralde l'Assemblée nationale,
JEAN PINCHOT