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ASSEMBLÉE NATIONALE
DÉBATS PARLEMENTAIRES


JOURNAL OFFICIEL DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE DU VENDREDI 29 NOVEMBRE 2002

COMPTE RENDU INTÉGRAL
2e séance du jeudi 28 novembre 2002


SOMMAIRE
PRÉSIDENCE DE M. ÉRIC RAOULT

1.  Programmation militaire pour les années 2003 à 2008. - Discussion d'un projet de loi «...».
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense.
M. Guy Teissier, président de la commission de la défense, rapporteur.
M. Renaud Donnedieu de Vabres, suppléant M. Pierre Lellouche, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères.
M. François d'Aubert, rapporteur pour avis de la commission des finances.

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ «...»

Exception d'irrecevabilité de M. Bocquet : MM. Alain Bocquet, Michel Voisin, Francis Hillmeyer, Jean-Claude Sandrier. - Rejet.

DISCUSSION GÉNÉRALE «...»

MM.
Francis Hillmeyer,
Jean-Claude Sandrier,
Yves Fromion,
Jean-Michel Boucheron,
Gérard Charasse,
Michel Voisin,
Mme
Patricia Adam,
MM.
François Rochebloine,
Pierre Forgues,
Bernard Deflesselles.
Renvoi de la suite de la discussion à la prochaine séance.
2.  Déclaration de l'urgence d'un projet de loi «...».
3.  Ordre du jour de la prochaine séance «...».

COMPTE RENDU INTÉGRAL
PRÉSIDENCE DE M. ÉRIC RAOULT,
vice-président

    M. le président. La séance est ouverte.
    (La séance est ouverte à quinze heures.)

1

PROGRAMMATION MILITAIRE
POUR LES ANNÉES 2003-2008

Discussion d'un projet de loi

    M. le président. L'ordre du jour appelle la discusion du projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2003 à 2008 (n°s 187, 383).
    La parole est à Mme la ministre de la défense.
    Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, une loi de programmation militaire est toujours un moment important dans la vie du ministère de la défense et dans la vie de la nation. La première responsabilité d'un grand Etat est en effet la protection de ses citoyens contre les agressions extérieures. Le projet de loi de programmation que j'ai l'honneur de vous présenter vise avant tout à donner à l'Etat les moyens d'assumer cette responsabilité.
    Répondant à une analyse approfondie de notre environement international, prenant en compte les insuffisances de notre outil militaire, il détermine les moyens que la nation doit consacrer à sa défense au cours des six prochaines années, pour que nos armées puissent remplir l'ensemble des missions qui leur sont confiées.
    La France doit mettre en cohérence les moyens de sa défense avec les risques que fait peser la situation internationale et avec ses ambitions sur la scène européenne et mondiale.
    Notre outil de défense doit donc d'abord répondre à des risques identifiés.
    Une décennie après la fin de la guerre froide, nous espérions un nouvel ordre mondial, fait de stabilité et de paix. Contrairement à ces espoirs, les menaces contre la paix se sont accrues. Les crises locales ne cessent de se multiplier sur presque tous les continents. Le développement de potentiels balistiques et d'armes de destruction massive se poursuit dans plusieurs régions du monde : le dernier exemple en est la Corée du Nord. La défaillance de certains Etats encourage indirectement le développement de la criminalité internationale. Avec les attentats du 11 septembre aux Etats-Unis, ceux de Karachi et de Bali, le terrorisme de grande ampleur est devenu une réalité : il menace directement la vie de nos concitoyens et nos intérêts nationaux essentiels. La France, malheureusement, en a été la cible à plusieurs reprises.
    Alors oui, mesdames et messieurs les députés, le monde est dangereux, et la sécurité de la France et des Français doit reposer sur une politique de défense résolue.
    Il nous faut d'abord rattraper des retards et combler des lacunes.
    La loi de programmation militaire qui s'achève à permis de réaliser la professionnalisation des forces armées, conformément aux décisions prises par le Président de la République en 1996. Mais le bilan de ces années a aussi été assombri, nous le savons, par les insuffisances constatées dans le rythme de modernisation des équipements et dans l'entretien des matériels de nos forces. Nous avons déjà eu l'occasion d'en parler et je n'y reviendrai pas. Mais je constate que nos capacités opérationnelles s'en sont trouvés affaiblies. Il nous faut donc, dans le même temps, rattraper le retard accumulé et adapter notre outil de défense en fonction de l'évolution de la menace.
    Notre politique de sécurité et de défense doit prendre en compte ces évolutions dans la définition de ses grandes fonctions stratégiques et dans la constitution de nos systèmes de force. Grâce à la démarche engagée depuis Saint-Malo et à notre expérience sur les théâtres d'opérations extérieurs, nous avons progressé dans la connaissance de nos lacunes et des priorités opérationnelles. Pour les six prochaines années, il nous faut conduire un rétablissement capacitaire, qui s'articulera autour de quatre grands domaines prioritaires.
    D'abord, la pérennisation de la dissuasion. Je sais que la question de son intérêt est parfois posée, mais je confirme que la dissuasion nucléaire demeure notre garantie essentielle, en dernier ressort, face à la poursuite de la prolifération que nous constatons dans le monde. (Applaudissements sur les bancs de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Deuxième domaine prioritaire : l'acquisition d'une autonomie de décision et d'action. Nos forces ne sauraient en effet être réduites à un rôle d'exécution d'options définies sans notre consentement.
    Troisième domaine prioritaire : le développement de la capacité de projection et d'action. Il nous faut pouvoir porter l'action aux sources géographiques de la menace, comme nous l'a appris la lutte contre le terrorisme en Afghanistan.
    Quatrième domaine prioritaire, enfin : le renforcement de la fonction de la protection. La défense a d'abord pour objet - je le disais au début de mon propos - d'assurer la sécurité de la France et des Français dans le monde. Les limites entre sécurité intérieure et sécurité extérieure s'estompent avec les menaces asymétriques. Il faut donc être en mesure de se protéger.
    Dans le même temps, notre outil de défense doit être à la mesure de nos ambitions internationales.
    Affirmer le rôle de la France dans le monde nécessite que celle-ci puisse peser sur les décisions internationales dans le domaine de la défense et de la sécurité. Cette capacité s'exerce au niveau du Conseil de sécurité des Nations unies, comme nous l'avons vu récemment à propos de l'Irak, mais elle doit aussi, et peut-être en premier, s'exercer au niveau européen. La politique européenne de sécurité et de défense est le cadre naturel d'une défense moderne et efficace. La France entend jouer un rôle moteur dans le développement de cette dimension européenne.
    M. Yves Fromion. Très bien !
    Mme la ministre de la défense. Son poids vis-à-vis de ses différents partenaires est indissociable, je l'ai constaté, de son aptitude à tenir sa place dans les coalitions internationales.
    M. Yves Fromion. Très bien !
    Mme la ministre de la défense. Ce rôle se mesure d'abord - je dirais presque logiquement - en termes de volume d'engagement. Depuis la professionnalisation, la France déploie de façon presque continue de 15 000 à 18 000 militaires à l'extérieur de son territoire, sans compter, bien entendu, les forces prépositionnées dans les DOM-TOM. Ainsi, après les Etats-Unis, la France est la deuxième puissance du monde occidental par ses engagements extérieurs.
    Pour tenir son rang, la France doit également détenir des capacités autonomes d'appréciation de situation, de commandement et de contrôle. Elle doit, de même, être en mesure de remplir le rôle de « nation-cadre » dans un certain nombre de domaines.
    Compte tenu de toutes ces données relatives à la situation internationale et aux risques, le projet de loi de programmation apporte une réponse adaptée à la fois aux menaces et à nos ambitions.
    Il détermine le chemin que nos armées vont emprunter dans les six prochaines années, en marche vers le modèle 2015.
    Le projet de loi de programmation confère à la défense des capacités adaptées au contexte international. Il marque une véritable rupture par rapport à l'érosion régulière des années passées. Après prise en compte de la ressource prévue par la loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure, l'annuité moyenne en crédits de paiement représentera 14,81 milliards d'euros - valeur 2003 -, soit 5,5 milliards d'euros de plus, sur la période, que ce que prévoyait le projet du précédent gouvernement.
    M. Yves Fromion. Il faut le dire !
    Mme la ministre de la défense. Pour substantiel qu'il soit, cet effort n'est ni excessif, ni démesuré ; il correspond à une nécessité. Il traduit le passage d'une phase de développement à une phase de fabrication. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle cette programmation est exprimée en crédits de paiement.
    Cet effort vise d'abord, bien entendu, à restaurer la disponibilité de nos matériels. C'est la moindre des obligations de l'Etat que de donner en permanence à notre armée les moyens de remplir ses missions. Pour trouver leur pleine efficacité, ces mesures s'appuieront sur la poursuite de la rationalisation des organismes responsables de la maintenance, associée à un contrôle de gestion rigoureux.
    Le projet de loi a pour deuxième objectif de réunir les capacités prévues dans le modèle 2015. Ce sera une façon pour la France de contribuer à la consolidation progressive de l'Europe de la défense et de ses moyens.
    A quels choix stratégiques correspondent nos engagements ?
    En premier lieu, je l'évoquais à l'instant, il y a la pérennisation de la dissuasion. Pourquoi ? Parce que les besoins demeurent face à la montée du nombre de pays aux gouvernements plus ou moins stables qui détiennent des armes nucléaires. Pour nous, la dissuasion est l'ultime protection. Elle s'inscrit dans les concepts de non-emploi et de stricte suffisance. Elle repose sur la diversité et la disponibilité des forces nucléaires en présence. Ainsi, 19 % des ressources prévues dans le projet de loi sont allouées à la dissuasion nucléaire. Elles seront consacrées à l'admission au service du troisième SNLE de nouvelle génération, Le Vigilant, à la livraison du troisième lot de missiles M 45, à la poursuite de la construction du quatrième SNLE, Le Terrible et au développement du missile balistique M 51 qui doit l'équiper en 2010.
    La mise en service du missile aérobie air-sol moyenne portée amélioré et la rénovation du réseau de transmissions sont également programmées, tout comme le développement de la tête nucléaire océanique et la poursuite du programme de simulation Laser mégajoules.
    Le deuxième choix stratégique consiste à renforcer l'autonomie de décision et d'action de la France. Il se traduit par la réalisation ou la mise à niveau d'importantes capacités dans les domaines du renseignement et du commandement.
    Les ressources qui y sont affectées permettront la réalisation des satellites Hélios de deuxième génération. Leurs images de très haute résolution, de jour comme de nuit, permettront à la France d'acquérir un bon niveau de capacité d'appréciation des situations.
    En outre, la participation à la programmation et à l'exploitation des satellites radar de haute résolution avec nos partenaires européens permettra d'élargir le spectre du renseignement. Elle nous apportera les capacités d'observation tout temps qui nous font défaut aujourd'hui.
    Au niveau du théâtre, les capacités seront aussi valorisées. Est ainsi programmée la mise en service, en fin de période de la programmation, de nouveaux capteurs aériens ainsi que de nouveaux drones. Les uns et les autres offriront des possibilités de surveillance quasi permanente des zones d'opération.
    Le commandement est le troisième élément de nos choix stratégiques. La France doit être à même d'exercer dans ce domaine les responsabilités internationales correspondant à son statut de puissance. La chaîne complète de commandement, du niveau stratégique au niveau tactique, sera réalisée. L'expérience de nos opérations dans les Balkans comme en Afghanistan a confirmé l'importance de cette capacité. Notre pays sera ainsi à même, à partir de 2006, de tenir le rôle de « nation-cadre » lors d'une action dirigée par l'Union européenne. La réalisation du centre de planification et de conduite des opérations à Paris et d'un état-major de commandement des forces à Creil sont la concrétisation de cette volonté. Par ailleurs, Syracuse renouvellera la capacité satellitaire de communication, qui constitue, vous le savez, le coeur des futurs réseaux stratégiques.
    Quatrième ligne de force : la projection, c'est-à-dire notre capacité à engager des forces aussi bien en Europe qu'à l'extérieur du continent et, bien entendu, notre aptitude à les soutenir dans la durée. C'est une des clés de notre capacité militaire, et nous avons choisi d'accomplir un effort significatif dans ce domaine.
    Notre aptitude à la projection sera renforcée par le réalisation effective du programme A 400 M, dont les cinquante appareils commandés seront livrés à partir de 2009. Je vous ai indiqué, lors de la discussion de la loi de finances, que nos partenaires avaient tous confirmé leur participation à ce programme.
    Par ailleurs, notre capacité de transport stratégique sera maintenue au niveau souhaité par la mise en service de deux avions de transport à long rayon d'action. Les quatorze avions ravitailleurs en vol actuellement en service seront rénovés.
    Deux bâtiments de projection et de commandement seront livrés en 2005 et 2006. Grâce à eux, nous aurons ainsi la capacité souhaitée pour la projection d'une force de réaction.
    Une attention particulière est portée au transport tactique par hélicoptères. Les premiers NH90 de l'armée de terre seront livrés en 2011. En attendant, 24 Cougar et 45 Puma seront rénovés en vue de leur redonner pleine capacité dans l'environnement opérationnel actuel. Le renforcement des capacités d'action dans la profondeur sera concrétisé par l'acquisition de 10 hélicoptères Cougar supplémentaires destinés aux forces spéciales.
    L'optimisation de la capacité de frappe aérienne conventionnelle à partir de vecteurs aériens sera réalisée avec la mise en service des premières unités de Rafale pour l'armée de l'air à partir de 2006.
    Le développement de missiles de croisière lancés à partir de plates-formes navales nous assurera une première capacité maritime à partir de 2011.
    Enfin, la commande d'un second porte-avions permettra de restaurer la permanence à la mer du groupe aéronaval au moment où l'interruption de service du Charles-de-Gaulle pour une révision longue sera devenue nécessaire. L'admission en service actif de ce second porte-avions est prévue en 2014 et, pour ce programme majeur, une coopération avec les Britanniques est recherchée.
    La protection est une donnée essentielle de nos choix stratégiques. Elle fait l'objet de mesures spécifiques nouvelles tenant compte de l'augmentation des menaces liées à la prolifération des armes de destruction massive et à leur utilisation possible dans le cadre d'actions terroristes.
    Le développement d'une composante de défense antimissile de théâtre permettra à l'horizon 2010 de disposer ainsi d'une première capacité de protection d'un élément de forces projetées.
    La protection face aux armes nucléaires et chimiques verra son niveau maintenu. Parallèlement, un effort sera consacré à la défense biologique. L'objectif est, dans un premier temps, d'assurer la protection au profit d'une force de 35 000 hommes.
    Enfin, en cohérence avec les priorités définies par la LOPSI, les crédits importants accordés à la gendarmerie dans la loi de programmation militaire vont renforcer les capacités tant humaines que matérielles de cet acteur quotidien et essentiel en matière de protection.
    Au plan des matériels, le projet de loi de programmation militaire prévoit notamment la livraison de quatorze hélicoptères et la commande de quinze autres, ainsi que le remplacement des véhicules blindés à roues.
    Les efforts contenus dans ce projet de loi de programmation militaire auront des implications importantes, vous le sentez bien, sur les capacités de nos industries. Celles-ci seront préservées, dans un contexte marqué par l'arrivée de nombreux programmes en phase de production. Au-delà de la réalisation des matériels, nous devons en effet assurer la possibilité de lancer sans délai les programmes qui seront nécessaires pour satisfaire des besoins nouveaux dès que ceux-ci seront avérés. C'est le sens de l'augmentation des crédits consacrés à la recherche.
    Il s'agit en l'espèce de maîtriser en 2015 une quarantaine de capacités technologiques. Je citerai à titre d'exemple la numérisation de l'espace de bataille, les munitions intelligentes ou encore le soutien médical en opération extérieure.
    La défense, mesdames et messieurs les députés, ce sont des matériels, je viens d'en parler, mais ce sont aussi des hommes et des femmes compétents, dévoués, ayant un haut sens du service de l'Etat et des autres.
    M. Yves Fromion. Très bien, il faut le rappeler !
    Mme la ministre de la défense. Ce projet de loi renforce les effectifs de la défense et favorise la poursuite de sa modernisation. Il vise en effet à conforter la professionnalisation de nos armées, entamée au cours de la précédente programmation. La création de plus de 10 000 postes permettra de réaliser le format défini en 1996 pour le modèle d'armée 2015. Ces postes répondront à l'essentiel des besoins identifiés et considérés comme prioritaires. Ces créations concernent surtout l'armée de terre, la gendarmerie et le service de santé des armées. Un fonds de consolidation de la professionnalisation, doté de 573 millions d'euros, a ainsi été créé. Il faut permettre aux armées et à la gendarmerie de recruter et de fidéliser les personnels dont elles ont besoin. Répondre à cette exigence, en quantité et en qualité, suppose de maintenir l'attractivité des carrières militaires.
    La réserve opérationnelle constitue également un élément essentiel. C'est un complément nécessaire, voire indispensable, à toute armée professionnelle. C'est elle qui apporte, en tant que de besoin, notamment dans les périodes de crise, les compétences, les expertises complémentaires qui sont indispensables aux armées. La montée en puissance de la réserve doit renforcer nos capacités. Ainsi que j'ai déjà eu l'occasion de vous le dire, l'objectif est de porter l'effectif des réservistes de 25 000 à 82 000 personnes à la fin de la période de la loi de programmation militaire, c'est-à-dire en 2008.
    M. Michel Voisin. Très bien !
    Mme la ministre de la défense. L'entraînement et l'activité des forces sont leur raison d'être, mais aussi, ne l'oublions jamais, la garantie de leur sécurité quand elles sont en opération. Le projet de loi de programmation définit, en la matière, des objectifs ambitieux et précis, quantitatifs et qualitatifs. Contrairement à ce qui a été constaté au cours de la dernière décennie, le montant des crédits de fonctionnement, qui permet notamment de maintenir le niveau d'activité et d'entraînement des forces, sera préservé. Et comme il faut toujours se méfier de ce qui peut arriver, j'ai donc décidé de mettre en place un mécanisme permettant de « sanctuariser », comme on dit dans d'autres circonstances, les crédits consacrés au fonctionnement courant.
    M. Yves Fromion et M. Bernard Deflesselles. Très bien !
    Mme la ministre de la défense. Ce mécanisme préserve automatiquement une part, de l'ordre de 20 %, de l'ensemble des crédits inscrits au titre III    , à cet effet.
    M. Yves Fromion. Voilà une réforme utile !
    Mme la ministre de la défense. La nation fait un effort important pour doter sa défense des moyens nécessaires à son action. Parallèlement, j'entends que ce ministère fasse à son tour les efforts nécessaires pour utiliser au mieux les moyens qui lui sont accordés.
    L'effort de modernisation du ministère sera donc poursuivi. Des expériences de partage des prestations de soutien entre les armées ont été entreprises au niveau local. Elles seront élargies et l'effort sera accentué. Un système de dématérialisation des procédures d'achat utilisant un portail Internet sera créé dans le but de simplifier et d'améliorer les relations avec les fournisseurs. Il sera opérationnel dès 2003.
    Enfin, le développement du contrôle de gestion, l'amélioration des circuits administratifs sont de vastes chantiers dont l'aboutissement est à mes yeux indispensable, notamment dans le cadre de la nouvelle loi organique relative aux lois de finances que vous avez votée. Je m'impliquerai personnellement dans cette action.
    Mesdames et messieurs les députés, les personnels militaires et civils de la défense sont fiers de servir leur pays. Leurs fonctions doivent correspondre à cette vocation. Il est donc indispensable de recentrer leur activité sur le coeur des missions dévolues à la défense. C'est dans cet esprit que seront conduites, avec pragmatisme et sans a priori, des opérations qui permettront à chacun, civils et militaires, de retrouver l'intérêt du travail qu'il effectue.
    Ce projet de loi de programmation militaire a également une incidence sur notre place dans notre environnement international. Il soutient ainsi notre politique européenne et notre capacité à agir avec l'Alliance. Ce projet de loi soutient notre politique européenne et développe notre capacité d'action militaire dans les cadres européens, transatlantiques ou de coalitions ad hoc.
    Nous plaçons d'abord notre effort dans une perspective résolument européenne car nous pensons que cette voie est la meilleure. L'Europe, en matière de défense, s'est fixé des objectifs ambitieux : elle doit disposer d'une force de réaction rapide européenne de 60 000 hommes à brève échéance et doit pouvoir les maintenir déployés pendant un an.
    Pour l'essentiel, les capacités humaines sont déjà disponibles. Les systèmes de commandement se mettent en place. Mais, pour rester crédible, un effort très important reste à accomplir par les Européens dans les domaines budgétaire et capacitaire. De nombreuses lacunes subsistent pour couvrir l'ensemble des missions envisagées par les Européens. Elles font d'ailleurs l'objet de nos discussions à chacune des rencontres des ministres européens de la défense et du travail des groupes que nous avons mis en place.
    La France sera en mesure de remplir l'engagement que nous avons pris de fournir une contribution militaire représentant environ 20 % de l'objectif global des Quinze.
    Au-delà, ces 20 % nous permettent aussi de jouer un rôle d'entraînement important à l'égard de nos partenaires. Nous jouons notamment un rôle important dans le processus européen ECAP. L'objetif est de chercher ensemble quelles sont les lacunes en termes essentiellement de matériels qui empêcheraient l'Europe d'agir de façon déterminée dans le cadre des objectifs quelle se fixe.
    Nous soutenons bien entendu très fermement cette initiative commune. Nous voulons que le processus européen ECAP devienne la pierre angulaire de coopérations nouvelles sur les thèmes opérationnels, de solutions innovantes, notamment dans le domaine de la mutualisation des capacités et de nouveaux projets communs de programmes d'armement.
    Le projet de loi de programmation prévoit dans ce cadre la poursuite de la réalisation de nombreux programmes en coopération, comme le Tigre et le NH90 que je mentionnais tout à l'heure, les missiles FSAF et PAAMS, ou encore l'A400M qui sera l'un des nouveaux grands programmes majeurs réalisés en commun sur les quinze prochaines années.
    Le présent texte prévoit aussi de soutenir des projets nouveaux qui aboutiront à des réalisations en fin de loi ou au cours de la suivante. Les crédits de la défense, et c'est une de leurs caractéristiques, sont affectés, en effet, à des programmes souvent extrêmement longs, et c'est pour cela qu'il ne faut pas prendre de retard.
    D'autres chantiers méritent aussi notre mobilisation : je pense en particulier au domaine spatial avec le développement de capacités protégées pour les communications par les satellites Syracuse III, ou à la future capacité d'observation satellitaire tous temps qui sera obtenue par un partage des images entre la France, l'Allemagne et l'Italie, dans le cadre d'une constellation de satellites français, allemands et italiens.
    Enfin, la coopération entre nos industries de défense en Europe doit continuer de s'approfondir, car elle est la condition dans bien des domaines pour que nous continuions d'exister, face à la concurrence qui vient d'outre-Atlantique.
    Il faut savoir tirer parti des regroupements industriels transnationaux. L'évolution des secteurs de l'industrie navale et terrestre française y contribuera.
    La coopération avec les Etats-Unis est aussi un élément fort de notre crédibilité militaire, car nous savons que la plupart des grandes opérations militaires seront conduites avec eux, comme elles l'ont été au cours de la décennie qui vient de s'écouler.
    L'OTAN est le cadre de référence pour la définition des conditions d'interopérabilité entre alliés. Loin d'être contradictoire avec notre politique consistant à développer l'Europe de la défense, c'est au contraire tout à fait complémentaire.
    Nous considérons que les capacités militaires européennes peuvent servir les objectifs que nous partageons avec les Américains au sein de l'OTAN. Mais nous insistons aussi pour qu'elles puissent, à l'avenir, être mises au service de l'Europe et de ses choix. Notre objectif est de faire apparaître de plus en plus la capacité propre des Européens à apporter leurs capacités indifféremment dans les deux cadres, européen ou atlantique.
    Voilà, mesdames et messieurs les députés, le contenu de ce projet de loi de programmation militaire. Vous le constatez, c'est un projet ambitieux mais cette ambition n'est autre que celle de la France et des Français.
    C'est l'ambition de la France, qui entend être un acteur politique et stratégique influent sur la scène internationale : ce projet de loi lui en donne les moyens financiers, humains et capacitaires.
    C'est l'ambition des Français aussi, qui, après le choc du 11 septembre, puis de Karachi, sont convaincus qu'un effort de défense significatif est indispensable pour assurer leur sécurité et faire face à l'imprévisibilité d'un monde devenant de plus en plus dangereux.
    Il vous appartient à présent de traduire cette volonté. C'est pourquoi je vous demande de soutenir le projet du Gouvernement.
    Pour conclure, je voudrais remercier tous ceux qui parmi vous ont, au cours de ces derniers mois, beaucoup travaillé pour nous aider à faire de ce projet de loi de programmation militaire un projet à la hauteur de ses ambitions.
    Je voudrais remercier les trois commissions - de la défense, des affaires étrangères, et des finances - et celles et ceux d'entre vous qui ont apporté, par leurs propositions et parfois leurs critiques, des éléments qui permettent de faire de ce projet celui de toute la France. Je le fais au nom des personnels militaires et civils qui au ministère de la défense, mettent toutes leurs forces, toutes leurs compétences, toutes leurs qualités au service de nos valeurs et d'une certaine idée de l'homme qui est celle de la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le président. La parole est à M. Guy Teissier, président et rapporteur de la commission de la défense nationale et des forces armées.
    M. Guy Teissier, président de la commission de la défense nationale et des forces armées, rapporteur. Monsieur le président, madame la ministre de la défense, mes chers collègues, à peine survenus, au tournant des années quatre vingt-quatre vingt-dix, des événements cruciaux pour l'avenir du continent européen - chute du mur de Berlin, réunification de l'Allemagne, disparition de l'Union soviétique -, d'aucuns prédisaient la fin de l'histoire, d'autres les perspectives radieuses du recueil des dividendes de la paix. Le monde entrait dans l'après-guerre froide, soulagé d'avoir échappé à l'holocauste nucléaire, certain que s'ouvrait devant lui une période de paix illimitée. Peu de temps après, s'allumait pourtant aux marges de l'Europe, notamment dans les Balkans, un conflit d'une rare cruauté qui ramenait à la réalité tous ceux qui avaient cru trop vite à la désuétude des moyens de se défendre. Le monde est alors entré dans une période caractérisée par un espoir et une illusion : l'espoir, c'était celui d'une paix rétablie en toutes circonstances par des moyens collectifs de sécurité et le contrôle des armements ; l'illusion, elle, résidait dans la croyance que la géo-économie remplacerait la géostratégie, entraînant la fin du recours à la force. De tout cela, il ne reste rien.
    Aujourd'hui, la réflexion sur notre défense doit se situer dans un contexte résolument postérieur à la période de l'après-guerre froide, marqué par l'émergence de menaces non moins redoutables que les précédentes. C'est dans ces circonstances nouvelles qui plongent leurs racines dans la décennie écoulée, et cruellement mises en lumière par tous les actes de terrorisme commis depuis plus de quatorze mois, que nous examinons la loi de programmation militaire pour les années 2003-2008. Elle manifeste la volonté de produire un effort indispensable pour mettre un terme à des années de relâchement coupable. Elle est sous-tendue par une politique de défense résolue à faire face à des menaces d'un nouveau genre.
    Le défi que nous devons aujourd'hui relever consiste donc à effectuer le bon diagnostic sur la nature de ces menaces. Elles sont changeantes, évolutives et nous ne les appréhendons peut-être pas toutes encore. Nous nous trouvons face à une vaste zone incontrôlée où un ennemi imprévisible peut frapper partout, du fait de la réduction des distances. L'arc des crises va de la Bosnie à la Chine, au long duquel se trouvent des Etats défaillants, où sévissent une grande instabilité institutionnelle, des tensions éthniques, un islam extrémiste et où circulent des flux de produits illicites.
    L'ennemi n'est plus désigné comme il l'a été longtemps, durant la guerre froide. Il ne remet pas en cause les intérêts traditionnels et vitaux au sens classique du terme, alors que prolifèrent les armes de destruction massive. Mais il n'est peut-être pas aussi insaisissable qu'il y paraît. Il est dans ceux qui tiennent un discours haineux et menaçant, un discours totalitaire au service d'une nouvelle idéologie. Comme le prouvent les arrestations intervenues ces derniers jours, une réplique est sans doute possible dès lors qu'il est identifié. Les foyers de malfaisance et d'instabilité sont localisables, l'ennemi est de mieux en mieux connu.
    Les politiques sont aujourd'hui conduits à trancher tandis que les menaces et les ripostes à conduire demeurent incertaines. Nous ne savons ni où, ni quand, ni comment, ni pourquoi nos pays peuvent faire l'objet d'une agression, c'est une nouveauté pour nos stratégies de défense. Le concept stratégique doit donc désormais présenter de grandes possibilités d'adaptation et de réactivité pour faire face à des situations de plus en plus imprévisibles. Seule la dissuasion nécessitait une inflexion, qui a été annoncée par le président Jacques Chirac dans son discours du 8 juin 2001, à l'Institut des hautes études de la défense nationale.
    Avec la perte de tous les repères traditionnels face aux menaces, notre concept de dissuasion apparaît donc comme un invariant, un fondement essentiel de notre sécurité et un facteur important de la stabilité internationale, comme vous vous êtes plu, madame le ministre, à le souligner à l'instant.
    Comme il s'y était engagé, le Président de la République a voulu que se poursuive la modernisation de notre force de dissuasion, mais en la conservant au niveau de juste suffisance et en respectant notre parole d'arrêter définitivement les essais nucléaires, ce qui fait d'ailleurs de notre pays un exemple pour les autres. Dès lors, il était impérieux de développer les moyens de simulation par le laser Mégajoule, dont la construction s'échelonnera tout au long de la programmation. Je voudrais dès à présent souligner combien les premiers essais sont prometteurs, aussi bien pour ce qui concerne sa finalité propre que pour la recherche fondamentale à des fins civiles.
    Cela me conduit naturellement aux mesures prises en faveur de notre recherche de défense. Les crédits, s'élevant à plus de 3,8 milliards d'euros sur la période de programmation, seront affectés à la dissuasion - au laser Mégajoule et au missile M 51 - mais aussi au domaine décisif du commandement, de la communication, de la conduite et du renseignement. Cet effort est indispensable pour les capacités futures de nos armées. Il représente aussi un investissement dont les retombées sont cruciales, en raison des liens qui existent entre l'emploi, le développement économique et la recherche. Il y a donc un intérêt national évident à accroître l'effort dans ce domaine. Alors que les Etats-Unis ne cessent d'accroître leur budget de recherche, nous devons faire un saut quantitatif et qualitatif de grande ampleur pour reprendre une recherche militaire de haut niveau. Il faut augmenter les crédits, mieux les répartir et les programmer avec des indicateurs précis d'objectifs, la construction de démonstrateurs devant être favorisée. La France devrait enfin innover, en particulier dans le domaine des drones stratégiques et tactiques, en développant une véritable doctrine d'emploi.
    Pourtant, à l'échelle de l'Europe, l'effort financier dans ce domaine est encore insuffisant pour rester compétitif, puisque l'ensemble des pays de l'Union européenne y consacre quatre fois moins de crédits que les Etats-Unis à eux seuls. Ce constat est d'autant plus douloureux que n'existe pas aujourd'hui de « gap » technologique. Le fossé qui se creuse entre eux et nous tient essentiellement aux financements qui sont accordés à l'industrialisation des progrès techniques issus des travaux des ingénieurs. Les performances des bureaux d'études d'Alcatel ou d'Airbus démontrent que les Européens sont capables d'être en pointe dans la recherche, mais que les crédits nécessaires aux applications pratiques font défaut.
    Dois-je rappeler l'exploit d'Ariane V qui va envoyer dans l'espace une charge de dix tonnes ?
    Si la dissuasion est un élément prépondérant de la préservation de notre autonomie stratégique, un pilier essentiel de notre politique de défense, elle n'est pas le seul. Je voudrais citer en premier lieu le développement du renseignement et des moyens de commandement, ainsi que la navigation spatiale Galileo.
    Les deux premiers sont de notre propre ressort et font l'objet de financements appropriés dans la loi de programmation. Les moyens de renseignement, qu'ils soient humains ou technologiques, seront renforcés car ils constituent des outils indispensables pour éclairer le pouvoir politique dans l'appréciation de la menace et parfois dans son éradication. Le trio satellites-avions-drones en est le prolongement naturel. Il en ira de même pour le commandement et les communications au niveau stratégique, opératif ou technique, avec la mise en place des structures et des systèmes de numérisation et d'information aujourd'hui indispensables.
    Le niveau de l'effort de défense constitue un autre déterminant de notre autonomie. Son relèvement au cours des six années à venir constitue un signal fort à la fois en direction de l'institution militaire, j'y reviendrai, et de l'extérieur, de nos partenaires comme de tous ceux qui seraient tentés de nous agresser. L'intention est clairement affichée de rendre à la défense militaire de la France ses capacités qui ont été gravement remises en cause au cours des dernières années. C'est à ce titre qu'on peut parler de loi « de rattrapage », même si tous les retards accumulés ne pourront, hélas, être comblés.
    Il s'agit tout d'abord de remettre en état de disponibilité élevée les équipements actuellement en service. Le récent rapport de notre collègue Gilbert Meyer a dressé un tableau sans complaisance, et malheureusement noir, de la situation. Elle est d'autant plus inquiétante que les matériels, faute d'être renouvelés, vieillissent mal. Des environs de 50 %, l'objectif est de relever le taux d'opérabilité à 75 %. Il y a là une réelle ambition car la tâche sera ardue et complexe ; les crédits n'amélioreront pas la situation d'un coup de baguette magique, à partir du 1er janvier prochain ; ce sont des organisations à roder, un nouveau code des marchés publics à apprivoiser, des fabrications à relancer parfois.
    Outre la dissuasion, l'effort de défense portera sur le développement des capacités de projection et l'amélioration de la protection et de la sécurité du territoire, autres éléments de notre autonomie stratégique.
    Les moyens concernés vous sont suffisamment connus pour que je n'y revienne pas dans le détail. Je soulignerai seulement, pour ce qui est de la projection, le renforcement des forces spéciales, en effectifs comme en moyens d'hélitransport, et l'arrivée, enfin ! d'un outil essentiel pour la puissance de frappe, le missile de croisière Scalp EG qui nous fait entrer dans le cercle très restreint des pays disposant de ce type d'arme.
    La marine par ailleurs verra ses capacités considérablement accrues avec la mesure phare de la programmation, la commande du second porte-avions, qui permettra une réelle permanence à la mer du groupe aéronaval.
    Elle concrétisera, avec les commandes et livraisons de frégates et de bâtiments de projection et de commandement, l'importance de la composante navale dans la conduite des opérations extérieures, même lorsque les pays concernés n'ont pas de façade maritime, comme l'ont prouvée les exemples du Kosovo et, plus récemment encore, de l'Afghanistan.
    Les capacités d'aéromobilité seront restaurées grâce à la rénovation d'hélicoptères Puma et Cougar. Elles auraient pu l'être davantage avec la mise en service du NH-90 dans l'armée de terre, mais, face à l'ampleur de la modernisation à conduire par rapport aux ressources financières, un choix s'imposait, et nous acceptons celui qui a été fait.
    Dans le domaine des capacités de projection, je suis préoccupé, comme l'ensemble des membres de la commission de la défense, par le choix, trop longtemps différé, du futur avion de transport. Je n'exposerai pas ici tous les arguments qui militent en faveur de l'A 400 M, ni tous les efforts que vous avez consentis, madame la ministre pour que soit relevé le défi d'un programme, dont la réussite nous paraît vitale pour la construction aéronautique de défense en Europe. Tout dépend donc de l'effort financier que sont disposés à faire nos voisins et amis allemands. A cet égard, sans doute savez-vous que je me rendrai dans les prochains jours à Berlin, avec une délégation, pour y rencontrer mon homologue au Bundestag. L'A 400 M ne comblera pas, toutefois, les lacunes de capacités dans le domaine du transport stratégique, et une insuffisance se fera sentir pendant six ans au moins, soit entre 2005 et 2011, si d'autres mesures ne sont pas mises en place.
    Mais mes préoccupations vont aussi vers notre industrie d'armement terrestre, notamment vers GIAT Industries, en raison des pertes de compétences et des conséquences sociales graves qui découleraient de sa disparition. Dans ce secteur, des regroupements sont déjà intervenus ou sont en cours, avec des stratégies généralistes, c'est-à-dire de fabrication de véhicules blindés, d'armement ou de munitions, comme c'est le cas pour GIAT.
    Perdre de l'argent n'est donc pas une fatalité puisque des entreprises étrangères comparables ont dégagé de forts taux de rentabilité. Le véritable enjeu, pour GIAT, réside dans son plan de charge, à cause du décalage permanent qui existe entre les capacités des différents sites et la réalité de l'activité depuis sa création. Nous attendons ainsi avec le plus grand intérêt les conclusions du rapport que j'ai confié à nos collègues Fromion et Diébold sur notre principale entreprise de fabrication d'armement terrestre. Peut-être, madame la ministre, aurez-vous quelques précisions à nous donner à cet égard.
    Si le contexte semble beaucoup plus favorable pour la DCN en raison de l'importance des projets qui concernent la composante navale de nos forces, rien n'est garanti. Sans doute une exonération de TVA sur les contrats conclus par ce constructeur avec la marine, pendant une durée restant à déterminer, l'aiderait-elle à prendre son essor dans le milieu concurrentiel. Il est fondamental, et urgent, que la DCN soit au plus tôt une société de droit commun, afin d'être en mesure de conserver et de développer ses capacités de maîtrise d'oeuvre, de nouer des alliances internationales et de redonner confiance aux ouvriers et aux cadres qui croient en son avenir.
    Dans le domaine de la protection et de la sécurité du territoire, fonctions essentielles dans la lutte contre le terrorisme, la défense apporte une contribution de premier plan avec ses capacités spécifiques telles que les moyens de défense contre les risques nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques, NRBC, aux côtés de la sécurité civile. Elle tient aussi un rôle primordial dans la défense des points sensibles sur l'ensemble du territoire. C'est, là encore, l'un de mes centres d'intérêt, car il en va de l'adaptation de notre posture de défense à des menaces d'agression bien réelles. Dans ce domaine, la réserve opérationnelle militaire doit voir son rôle mieux reconnu, notamment par la clarification de son concept d'emploi et par une organisation plus fournie, qu'il s'agisse des armées ou de la gendarmerie.
    Avec un total de crédits d'équipement de 87,85 milliards d'euros au cours des six prochaines années, l'effort consenti par notre pays pour sa défense est remarquable et, du reste, remarqué par tous nos partenaires européens. Il devrait enclencher, nous l'espérons, un effet d'entraînement.
    Certains ne manquent pourtant pas de reprocher à cette programmation militaire une approche trop nationale, trop hexagonale et de tourner le dos à la construction de l'Europe de la défense.
    M. Pierre Forgues. Eh oui !
    M. Guy Teissier, président de la commission, rapporteur. Faute d'autres critiques mieux fondées, ce grief pourrait séduire et fournir des motifs de désaccord mais il n'est pas avéré. En effet, si une programmation militaire européenne peut paraître nécessaire, le réalisme commande aujourd'hui de reconnaître qu'elle n'est guère envisageable à court terme et constitue plutôt un objectif important à moyen ou long terme. Une programmation nationale s'imposait donc, mais avec la volonté constante, affirmée d'ailleurs par le Président de la République et par notre gouvernement, que les choix n'aillent pas à l'encontre de la construction de l'Europe de la défense.
    Au demeurant, le projet avance lentement, trop lentement sans doute, mais il progresse. Il ne peut être mis en oeuvre que par tous les partenaires de l'Union européenne. Or, nous savons déjà que quatre d'entre eux sont attachés à leur neutralité. Pour faire l'Europe de la défense, disposer d'une réelle politique de défense est une condition fondamentale qui n'est remplie que par un petit nombre de pays, qui peuvent se compter sur les doigts d'une main. Sa construction ne doit donc s'envisager que dans le cadre de coopérations renforcées.
    Loin de constituer un obstacle, le présent projet de programmation y contribuera forcément. Par la prise en compte de la déclaration d'opérationnalité de Laeken, par la capacité à remplir les missions dites de Petersberg, le renforcement de nos moyens de projection nous permet de jouer un rôle effectif prépondérant. Le développement de nos systèmes d'information et de commandement nous donne la possibilité concrète de tenir le rôle de nation cadre pour l'engagement de forces sous contrôle de l'Union européenne. Au plan industriel, alors que sont favorisées les restructurations au niveau européen pour constituer des entités compétitives face à la concurrence américaine, la programmation offre encore de belles perspectives de coopération.
    Enfin, il faut souligner notre participation très active au dispositif ECAP destiné à répartir les capacités entre les pays de l'Union. Nos moyens nationaux, à l'exception, évidemment, de ceux dévolus à la dissuasion, trouvent parfaitement à s'intégrer dans l'ensemble de ceux dont l'Europe veut se doter en complément de ceux de l'OTAN, pour remédier à ses déficits capacitaires et donc, acquérir une véritable autonomie d'action.
    L'efficacité de tous nos moyens matériels serait toutefois gravement compromise s'ils n'étaient servis par des militaires professionnels, hommes et femmes, en nombre suffisant, parfaitement entraînés et disponibles, d'où la nécessité de consolider la professionnalisation, qui demeure un objectif général. Son premier volet est constitué par une mesure d'effectifs avec un accroissement de 2 500 engagés de l'armée de terre, afin de lui procurer le supplément qui lui fait aujourd'hui défaut.
    Mais la particularité essentielle des ressources prévues au titre III réside dans la constitution du fonds de consolidation de la professionnalisation, que vous avez voulu, madame la ministre. Il est destiné à financer des mesures en faveur du recrutement, par des primes modulables, de fidélisation et d'aide à la reconversion des militaires aussi pour fidéliser des militaires et aider à leur reconversion.
    Doté de 572,58 millions d'euros au cours des années qui viennent, il verra ses annuités croître fortement sur la période ; 19 millions d'euros y seront affectés dès 2003. Il constitue notamment un moyen essentiel pour aider le service de santé des armées - vous l'avez d'ailleurs souligné dans votre propos, madame la ministre - à surmonter les difficultés de personnels, infirmiers comme médecins, soulignées dans l'excellent rapport de notre collègue Ménard.
    Plutôt que de prévoir des crédits au titre III pour l'entraînement, gravement réduits par la suite dans la programmation précédente, le présent projet fixe des normes à atteindre en 2008, conformes aux standards internationaux reconnus. Les dotations budgétaires annuelles devront être fixées en conséquence et ne pourront plus servir de variable d'ajustement interne comme précédemment.
    Le projet qui nous est proposé contient aussi des dispositions heureuses pour les réserves. Pour atteindre le modèle 2015 de 100 000 réservistes, un objectif intermédiaire de 82 000 est fixé. Cet aspect quantitatif est heureusement complété par une norme qualitative de trente jours d'activité en moyenne pour l'ensemble de la réserve opérationnelle.
    Pour favoriser le recrutement nécessaire à cette réalisation, 85,83 millions d'euros seront consacrés aux mesures d'attractivité et de formation dans la réserve. L'ensemble du dispositif est toutefois encore en devenir l'expérience passée doit permettre des évolutions en matière d'emploi des réserves comme sur le plan du recrutement, de la formation et de la fidélisation des réservistes.
    Je ne voudrais pas terminer sans saluer ici le rôle important tenu par le personnel civil dans le bon fonctionnement de l'ensemble du ministère de la défense. C'est pourquoi des mesures sont prises dès 2003 en vue de leur reconnaissance professionnelle ; cet effort doit également être resitué dans le processus de la consolidation de la professionnalisation.
    Pour garantir les ressources financières que nous allons voter pour les prochaines années par la programmation, comme celles que nous venons d'adopter pour 2003, mais aussi pour faciliter et améliorer la gestion du ministère de la défense, j'ai proposé de développer le contrôle par la commission de la défense sur les finances de la défense. Je le conçois comme une aide au ministère, pour connaître les difficultés de consommation des crédits et participer à leur résolution ; ce sera également une manière d'alerte et de prévention de toutes les actions de régulation que le ministère du budget souhaiterait entreprendre pour réduire les crédits que nous avons alloués à la défense.
    Cette démarche ambitieuse, je la souhaite également audacieuse et résolue, car elle porte en elle une innovation majeure pour la réussite de l'effort de défense que le pays entreprend à compter de ces jours. Elle se veut aussi une contribution à la restauration de la confiance parmi nos soldats.
     Gravement affectés par le sort qui leur a été réservé depuis plusieurs années, ceux-ci restent encore aujourd'hui dans l'expectative et dans l'interrogation. La présente loi de programmation contient tous les ingrédients pour garantir le retour à l'efficacité de nos armées et la concrétisation de notre résolution nationale à disposer d'une défense forte et adaptée ; nos armées ont également besoin de la confiance et de l'adhésion des militaires sans lesquelles rien ne pourrait se réaliser.
    Pour notre part, et précisément parce que cette loi est ambitieuse et que cette belle ambition est celle de la France, nous serons à vos côtés, madame la ministre et, bien sûr, aux côtés du Président de la République, chef des armées, pour vous aider, mois après mois, année aprés année, à réaliser dans son intégralité la programmation militaire qu'exige la sécurité de notre pays et qu'impose son rôle en Europe et dans le monde pour la préservation de la paix.
    Vous l'aurez compris, mes chers collègues, cette loi constitue l'assurance risque des Français ; elle doit recueillir notre adhésion. Sachez, madame la ministre, qu'elle vous est acquise. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. Renaud Donnedieu de Vabres, suppléant de M. Pierre Lellouche, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères.
    M. Renaud Donnedieu de Vabres, suppléant M. Pierre Lellouche, de la commission des affaires étrangères. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en l'absence de Pierre Lellouche, rapporteur pour avis, en mission à l'étranger, j'ai l'honneur de vous présenter l'avis rendu par la commission des affaires étrangères sur le projet de loi de programmation militaire 2003-2008.
    Notre commission des affaires étrangères, et ce n'est pas une surprise, madame la ministre, a estimé qu'il s'agissait d'un bon projet. Les objectifs chiffrés, avec une enveloppe annuelle moyenne de 14,64 milliards d'euros d'équipement, sont ambitieux dans un contexte budgétaire difficile. Quant à l'analyse doctrinale sur laquelle ce projet se fonde, avec un découpage en fonctions stratégiques - dissuasion, prévention, protection, projection -, elle est tout à fait pertinente.
    La première question qu'il convient de se poser est la suivante : pourquoi est-il nécessaire aujourd'hui de fournir un tel effort supplémentaire pour notre défense ?
    Tout d'abord parce que le nouveau contexte géostratégique multiplie les menaces, avec la persistance de conflits interétatiques, mais dans un contexte de prolifération nucléaire, avec le développement de guerres civiles, souvent d'origine ethnique ou religieuse, et parce c'est un terrorisme de masse apparu, qui a pris la forme d'une véritable guerre contre l'Occident.
    Les « dividendes de la paix » étaient bien une utopie, car la panoplie de défense aujourd'hui nécessaire est plus complexe et plus coûteuse. La dissuasion reste nécessaire mais doit évoluer, les forces classiques doivent être transformées pour pouvoir mener des actions de projection. Quant à la protection du territoire, dont certains ont pu croire qu'elle n'était plus nécessaire avec la fin de la guerre froide, elle doit être réinventée.
    Par ailleurs, il n'y a pas de diplomatie sans défense forte pour préserver nos intérêts dans le monde. La France, membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU, revendique des ambitions mondiales. Elle les assume d'ailleurs avec force et panache. Notre attitude dans la crise irakienne l'a récemment illustré. Mais notre pays ne pourra tenir son rang qu'à condition de disposer de moyens militaires adéquats. Il ne sert à rien de se démarquer des Etats-Unis ou de les critiquer si l'on ne se donne pas les moyens de pouvoir agir efficacement dans les affaires du monde.
    Enfin, ce rattrapage est une condition de la construction d'une défense européenne. Il faut le répéter pour tous les nouveaux donneurs de leçons qui, au cours des cinq dernières années, n'ont pas su nous doter sur le plan national des moyens d'être un partenaire solide pour l'Europe. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.) Après les étapes encourageantes de Maastricht à Helsinki, en passant par Saint-Malo, l'Europe de la défense pourrait progresser davantage - manière diplomatique pour dire que, d'une certaine manière, elle piétine, au niveau capacitaire comme au niveau industriel. A cet égard, la domination américaine croissante sur l'industrie européenne d'armement est extrêmement inquiétante et doit nous conduire à réagir, d'où l'utilité de votre projet de loi.
    Pourtant, en dépit de ce contexte dangereux, force est de constater que l'appareil de défense de la France est dans un état préoccupant, en premier lieu, parce que les engagements de la loi de programmation 1997-2002 n'ont pas été respectés. Au final, entre les lois de finances annuelles insuffisantes, le financement de dépenses certes utiles, mais non militaires sur le budget de la défense - qu'il s'agisse des aides à la Polynésie des restructurations industrielles, du budget civil de recherche et de développement -, la régulation budgétaire et le non-financement des opérations extérieures, il manque sur les six ans de la programmation l'équivalent d'une annuité d'investissements. Telle est la réalité de la situation, madame la ministre, à laquelle vous aviez à faire face.
    Ces retards se traduisent concrètement par une baisse sensible du moral des troupes, une situation grave pour l'entretien des matériels, dont la disponibilité ne dépasse guère 60 %, et des lacunes importantes dans les domaines les plus stratégiques : communication et espace, projection, frappe dans la profondeur. Au total, notre système de défense n'est pas à la hauteur de ses missions, alors même qu'il dispose de personnels remarquables.
    Ainsi, compte tenu de l'état des finances publiques et de la situation économique, il faut saluer le rattrapage qui nous est proposé. A cet égard, notre rapporteur pour avis a beaucoup insisté sur l'impérieuse nécessité de veiller au respect de ces engagements. Nous serons d'ailleurs en permanence à vos côtés, madame la ministre, si besoin est, pour vous soutenir dans les arbitrages financiers ultérieurs, qui, on le sait bien, se profilent toujours à l'horizon.
    Il faudra d'abord s'assurer que les lois de finances annuelles respectent les objectifs chiffrés, après la première étape franchie avec succès grâce au budget 2003. Sur ce point, il semble urgent d'ouvrir un débat sur le retrait des dépenses d'investissement militaire du champ du pacte de stabilité européen. En effet, ces dépenses répondent à un impératif de sécurité et ne doivent donc pas dépendre de la conjoncture économique. Par ailleurs, les écarts entre les efforts fournis pour la défense par les différents pays européens sont très importants et doivent être pris en compte ; c'est une question d'équité.
    Le respect de nos engagements suppose la réalisation des objectifs de la loi. Aussi faudra-t-il veiller à ce que des régularisations budgétaires ne viennent pas remettre en cause les dépenses autorisées par le Parlement. Sur ce point, l'entrée en vigueur, à partir de 2006, de la loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001, permettra de mieux assurer le contrôle et l'évaluation de l'exécution du budget en raisonnant par objectif et non plus par nature de dépenses. Mais si le périmètre de la loi exclut les fonds accordés à la Polynésie française et la recapitalisation des entreprises publiques - et c'est une bonne nouvelle -, la réponse est moins claire pour ce qui touche au budget civil de recherche et de développement et aux charges afférentes à la restructuration de DCN.
    La commission des affaires étrangères a également estimé qu'il était urgent de régler une fois pour toutes le problème récurrent du financement des opérations extérieures. Ce type d'opérations correspond exactement au type de missions d'une armée moderne, tel que formalisé en 1996 dans le modèle d'armée 2015, et aujourd'hui dans le projet de loi de programmation militaire. Ainsi, il est tout à fait anormal que ces opérations ne fassent l'objet d'aucun financement en loi de finances initiale, ce qui s'est toujours traduit par un impact négatif sur les dépenses d'investissement dans la mesure où les surcoûts ultérieurs ne sont pas financés. Si nous affichons un tel réalisme budgétaire, madame le ministre, c'est, je le répète, pour mieux vous soutenir au moment des divers arbitrages.
    Quant aux dépenses de fonctionnement, si elles sont financées en loi de finances rectificative, chacun sait que les surcoûts des OPEX sont dans la pratique traditionnellement financés par des transferts de crédits non dépensés du titre V. A cet égard, nous nous félicitons d'avoir été entendu par le président et rapporteur de la commission de la défense, M. Guy Teissier, qui a déposé hier un amendement s'inspirant largement de celui adopté par la commission des affaires étrangères : rendons à César ce qui est à César...
    Je n'insisterai pas, cela a déjà été beaucoup évoqué, sur les principaux systèmes d'armes bénéficiant de la loi de programmation militaire. Notre commission se félicite que ses principaux programmes correspondent aux lacunes de notre outil de défense dans les secteurs les plus stratégiques et les plus prioritaires.
    Ainsi, dans le domaine de la dissuasion, les programmes prévus permettront de moderniser notre force de dissuasion par la poursuite de la simulation et la mise en service des troisième et quatrième SNLE de nouvelle génération en 2004 et 2010.
    Dans le domaine de la prévention, le renseignement et la maîtrise des communications sont indispensables. Il faut donc se féliciter que le projet de loi prenne largement en compte cette dimension.
    Dans le domaine de la projection et de l'action, le projet est très satisfaisant, tant en ce qui concerne la marine, avec la construction d'un deuxième porte-avions, le renouvellement des frégates, etc., l'armée de l'air, avec le Rafale, le lancement - espérons-le - de l'A 400 M, etc., que l'armée de terre, avec l'effort en faveur des forces spéciales, l'équipement de l'infanterie, les blindés légers, pour ne citer que les principaux programmes.
    Le rapporteur pour avis a également souhaité évoquer quelques réflexions sur la poursuite des réformes de notre outil de défense, au-delà de l'exécution de la loi de programmation militaire, quand bien même celle-ci marque une étape essentielle dans la voie du rattrapage.
    Ainsi, le projet de loi de programmation prévoit à juste titre une augmentation des dépenses d'investissement. Encore faut-il s'assurer que ces crédits seront mieux dépensés que par le passé : ce qui est en jeu, c'est la modernisation du ministère de la défense et des arsenaux d'Etat. Le rapporteur pour avis a donc souhaité une réforme du système d'acquisition des matériels, qui, dans l'état actuel des choses, ne prend pas assez en compte l'avis des utilisateurs eux-mêmes. Pour que les grands programmes d'équipement soient davantage en adéquation avec les besoins réels des armées, nous devons nous attacher à améliorer encore l'organisation du ministère de la défense, qui, nonobstant certaines inflexions, date des années 1960 et n'est plus totalement adaptée à la définition de priorités claires. Il est donc indispensable de retrouver une logique opérationnelle en donnant plus qu'un rôle de coordination au chef d'état-major des armées. En matière d'armement, l'absence de primauté du chef d'état-major des armées a des conséquences parfois regrettables, laissant, malgré de nombreux efforts, à la DGA la haute main sur les programmes d'armement. Or la structure même de la DGA, ses personnels et leur formation ne permettent pas toujours de tenir suffisamment compte des besoins réels des armées.
    A cet égard, l'organisation actuelle du ministère de la défense ne permet pas de distinguer toujours clairement ce qui, dans la politique de l'armement, relève de la stratégie militaire, et ce qui relève de la politique industrielle, voire sociale ou d'aménagement du territoire. Exemple frappant, le GIAT a reçu en dix ans 3,7 milliards d'euros de subventions, ce qui en fait en quelque sorte le principal programme d'armement de la décennie !
    M. François Rochebloine. C'est un peu facile !
    M. Jean-Claude Sandrier. On voulait le tuer !
    M. Renaud Donnedieu de Vabres, rapporteur pour avis suppléant. Enfin, dans un contexte stratégique particulièrement mouvant, nous ne ferons pas l'économie d'un débat doctrinal sur les objectifs et les missions de notre appareil de défense.
    Avec le 11 septembre, le monde est entré dans une nouvelle ère qui a entraîné des bouleversements géostratégiques majeurs : émergence de l'hyperterrorisme, rapprochement Etats-Unis - Russie et dénonciation du traité ABM, interrogations sur le rôle de l'Alliance atlantique, explosion du budget de défense des Etats-Unis, modification de la doctrine militaire américaine... Certes, notre livre blanc sur la défense de 1994 avait bien pris en compte les enseignements issus de la fin de la guerre froide en insistant sur des phénomènes alors seulement émergents comme le développement des crises régionales, la prolifération, le terrorisme, mais l'évolution rapide du contexte géostratégique plaide pour une réactualisation des analyses du livre blanc, qui prendrait en compte une éventuelle réflexion au niveau européen.
    M. Pierre Forgues. Ce n'est pas fait !
    M. Renaud Donnedieu de Vabres, rapporteur pour avis suppléant. Dans le domaine nucléaire, la fin de la guerre froide n'a pas signifié la fin de l'âge nucléaire, mais l'entrée dans un « deuxième âge » du nucléaire, marqué par les caractéristiques suivantes : augmentation du nombre de puissances nucléaires et risque de prolifération au bénéfice d'acteurs non étatiques ; inefficacité de la dissuasion pour défendre nos intérêts vitaux face à des attaques comme celle du 11 septembre ; nouvelle doctrine nucléaire américaine fondée sur une remise en cause du schéma traditionnel de la dissuasion articulée autour de la possibilité d'attaques préventives - même si l'expression « attaque préventive » est une traduction imparfaite d'un terme américain -, de la combinaison éventuelle d'armes conventionnelles et nucléaires, et de la mise au point d'une défense antimissile.
    Il n'est bien, évidemment pas, question pour la France de se calquer sur cette nouvelle doctrine américaine, mais il ne faudrait pas pour autant refuser, pour des raisons idéologiques, toute réflexion sur l'évolution de notre dissuasion. Le développement d'une capacité de défense antimissile de théâtre sera une première étape dans cette voie. Parallèlement des efforts doivent être faits dans les domaines de la surveillance et de l'alerte. Il faut enfin s'attacher à acquérir une veille scientifique et technique dans le domaine de la défense antimissile pour conserver une possibilité de dialogue avec les Etats-Unis et une possibilité de montée en puissance si nécessaire, dans une décennie. En effet, le programme Missile defense est une réalité qu'il nous faut bien prendre en compte.
    Enfin, le rapporteur pour avis a beaucoup insisté sur la nécessité de « réinventer la défense du territoire ». Si la loi de programmation militaire aborde ce thème, cette priorité, il reste néanmoins encore beaucoup à faire. En effet, la question de la défense du territoire a été négligée ces dernières années. La fin de la guerre froide a fait croire, à tort, à la disparition des menaces directes contre notre territoire. Les faits ayant démenti cet espoir, il faut se poser la question de ce que l'on fait concrètement en cas d'attaque par des moyens nucléaires, radiologiques, bactériologiques ou chimiques.
    M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
    M. Renaud Donnedieu de Vabres, rapporteur pour avis suppléant. Il faut également s'interroger sur l'organisation administrative.
    Ainsi, dans un monde de plus en plus dangereux, disposer d'un outil de défense moderne est plus que jamais nécessaire. Il s'agit, tout d'abord, d'un enjeu vital pour notre pays, pour la protection de notre territoire et de nos populations. Mais il y a là aussi un enjeu en termes de puissance, car une diplomatie qui ne repose pas sur une défense forte ne peut pas faire entendre sa voix sur la scène internationale.
    Dans ce but, une étape essentielle sera la remise à niveau budgétaire que permet ce projet loi de programmation militaire.
    M. Pierre Forgues. On verra l'année prochaine !
    M. Renaud Donnedieu de Vabres, rapporteur pour avis suppléant. La commission des affaires étrangères a donc émis un avis favorable à son adoption. Elle vous félicite, madame la ministre, pour votre détermination et votre énergie. Elle souhaite que soit très clairement exprimé au Président de la République, chef des armées, au Premier ministre, responsable de la défense nationale et à vous-même, notre soutien résolu dans l'action que vous venez aujourd'hui de présenter à la représentation nationale. Elle apporte publiquement sa confiance à la communauté militaire de notre pays que votre projet de loi de programmation conforte et prépare à l'exercice efficace de sa belle mission républicaine. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le président. J'appelle l'ensemble des orateurs, y compris les rapporteurs à respecter le plus scrupuleusement possible leur temps de parole, pour ne pas alourdir la séance de nuit.
    La parole est à M. François d'Aubert, rapporteur pour avis de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan.
    M. François d'Aubert, rapporteur pour avis de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cette loi de programmation militaire a reçu un avis favorable de la commission des finances, parce qu'elle traduit une priorité indispensable, celle de notre défense, - en témoignent l'augmentation des moyens et le rattrapage qui y est inscrit. La France, en effet, a besoin d'une défense nationale qui non seulement assure sa sécurité mais qui lui permette de jouer un rôle éminent dans le monde, et qui vienne en permanence à l'appui de notre diplomatie et de nos ambitions mondiales.
    Cette loi de programmation militaire s'inscrit, bien évidemment, dans un contexte stratégique marqué aujourd'hui par de profondes évolutions. La situation internationale, tout le monde s'en aperçoit, est caractérisée par une très forte imprévisibilité et par l'apparition de risques toujours nouveaux liés à la prolifération des armes de destruction massives, bactériologiques, chimiques, et des nations qui ont l'arme nucléaire ou prétendent l'avoir. Elle est bien évidemment marquée aussi par les menaces terroristes.
    Certes, vous l'avez rappelé ici même le 24 octobre dernier, madame la ministre, notre pays affronte ce type de menaces depuis bien longtemps. Mais ce risque terroriste a changé d'échelle depuis le 11 septembre 2001. Et, avant d'entrer plus avant dans le détail de ce projet, je voudrais d'ores et déjà souligner qu'un effort significatif est fait en faveur de la lutte contre le terrorisme.
    Cet effort repose globalement sur une meilleure articulation entre la sécurité intérieure et la sécurité extérieure de notre pays, grâce à diverses mesures rappelées dans les rapports des commissions, et effectivement inscrites dans la loi.
    La fonction de renseignement sera renforcée. Nous savons depuis la guerre du Golfe, et ces enseignements ont été confirmés par les opérations menées en Afghanistan, que cette fonction est essentielle, à la fois pour l'efficacité de l'action de nos armées et pour - c'est au moins aussi important - notre autonomie vis-à-vis de nos partenaires. L'armée française disposera, en 2008, de dix drones multicapteurs, multi-missions et de deux stations les accompagnant, alors même que l'acquisition de ces matériels avait été écartée par le projet du précédent gouvernement. C'est un élément, parmi d'autres, dans la guerre du renseignement, mais il est essentiel.
    Ce même projet avait fait l'impasse sur les opérations spéciales, qui se verront doter d'hélicoptères Cougar Mk2, tandis qu'un programme d'amélioration de leurs moyens de transmission sera également lancé.
    S'agissant des services de renseignements proprement dits, leurs moyens seront renforcés, comme en témoigne le budget pour 2003 qui a vu leurs dotations - n'entrons pas dans le détail -, hors rémunérations et charges sociales, progresser de plus de 5 %. Ce qui leur donnera une efficacité encore accrue sur le terrain.
    Si le contexte stratégique évolue, le cadre international et européen est, lui aussi, marqué par des mutations profondes. J'ai déjà eu l'occasion ici même - et je ne suis pas le seul - de déplorer le piétinement, les retards et les ratés de la construction de l'Europe de la défense, et singulièrement de l'Europe de l'armement. L'avion A 400 M est emblématique des difficultés de la coopération européenne. Quelle Europe de la défense pourrions-nous imaginer si nous ne sommes pas capables de mener collectivement ce projet à bien ? Nous attendons avec impatience la réponse des Allemands, qui sont d'accord sur le principe ; encore faudrait-il un vrai programme de commandes pour les prochaines années.
    Les restructurations en cours dans l'industrie de l'armement européenne ne vont malheureusement pas dans le sens de la cohérence. Nous sommes un certain nombre à être inquiets, à cet égard, de la percée de l'avion américain JSF, Joint Stright Fighter, chez nos partenaires européens, qu'il s'agisse naturellement de la Grande-Bretagne - mais elle a une vieille habitude de coopération avec les Etats-Unis -, du Danemark, des Pays-Bas ou de l'Italie, voire, récemment, de la Turquie.
    Mon inquiétude est d'autant plus forte que le développement du JSF mobilise - c'est ça le plus important - très largement les crédits de recherche de ces divers pays. Depuis 1998, environ 6 milliards d'euros ont été investis en recherche sur le JSF par nos partenaires européens, dont la moitié par la Grande-Bretagne, un peu plus d'un milliard par l'Italie, ce qui par ailleurs pèse sur d'autres programmes de coopération, en particulier les programmes de coopération bilatérale avec l'Italie ; les Pays-Bas ont également attribué quelque 900 millions d'euros à ce programme.
    Par conséquent, les crédits de recherche-développement, qui sont pourtant indispensables à l'industrie européenne de l'armement et à notre propre industrie de recherche par le biais de la coopération, sont, sinon subrepticement du moins d'une façon assez astucieuse, prélevés par l'industrie américaine au détriment de l'Europe de l'armement.
    Puisque la France entend renforcer l'Europe de la défense afin de permettre à l'Union de gérer les crises de manière autonome, le projet de loi de programmation renforce également l'autonomie stratégique de notre pays. Cette autonomie repose avant tout sur la dissuasion. Elle s'appuie sur une composante aéroportée qui sera renforcée par l'entrée en service des Rafale. Le missile air-sol moyenne portée amélioré qui montera en puissance à partir de 2007 sera adapté au Mirage 2000 N et au Rafale.
    L'autre composante de la dissuasion repose sur le sous-marin nucléaire lanceur d'engins. Après le Triomphant en 1997 et le Téméraire en 1999, le troisième SNLE sera admis au service avant la fin de l'année 2004. Le quatrième, le Terrible, dont la construction a débuté à Cherbourg, sera livré en 2010.
    L'autonomie stratégique suppose aussi de disposer d'une capacité autonome de commandement et de renseignement. S'agissant de l'observation stratégique de seconde génération, le satellite Hélios II sera lancé en 2004, et un second satellite en 2008. Sur le théâtre, l'enjeu sera désormais de raccourcir le plus possible la fameuse boucle renseignement - commandement afin d'optimiser la conduite des opérations : 23 nacelles de reconnaissance seront mises en service, permettant d'effectuer des missions de reconnaissance d'objectifs militaires, avec transmission en temps réel des informations recueillies. L'ensemble de ces éléments fait de la France une référence en Europe et lui permet de se présenter, légitimement, comme une nation-cadre incontournable dans les opérations multinationales qui seront conçues par l'Union européenne.
    Enfin, l'autonomie stratégique de notre pays suppose de renforcer notre capacité à mener une action strictement autonome, telle que celle menée actuellement en Côte d'Ivoire et de respecter les engagements bilatéraux et multilatéraux pris par notre pays.
    S'agissant de nos capacités de projection et de mobilité, le retard du programme A400M risque d'accroître encore un peu plus le trou capacitaire entre le retrait du service des Transall et la montée en puissance des A400M qui ne pourra malheureusement pas intervenir avant 2008.
    Les transports de chalands de débarquement de type Ouragan seront remplacés par deux bâtiments de projection et de commandement livrés en 2005 et en 2006, pour emporter un plus grand nombre d'hélicoptères. Les NH90, vous l'avez rappelé, madame la ministre, construit en coopération avec les Pays-Bas, l'Italie et le Portugal, commenceront effectivement à être livrés en 2005 pour la version marine et en 2011 pour la version terrestre. La seule chose qu'on puisse regretter, c'est le temps qu'on a mis pour monter cette coopération, puisque le programme NH90 remonte à la fin des années 80. La commande de 34 exemplaires sera passée pendant la durée de la programmation. Afin de combler ce délai, 24 Cougar et 45 Puma seront rénovés.
    S'agissant de la « frappe dans la profondeur », le rapport annexé au projet de loi propose de construire un second porte-avions, ce dont nous nous félicitons, afin d'assurer la permanence à la mer du groupe aéronaval. La concomitance avec le programme britannique d'acquisition de deux porte-avions de 50 000 tonnes, permettrait d'envisager une coopération, s'il est possible de concevoir avec les Britanniques un navire permettant le catapultage des avions. Il est aussi possible de fabriquer ce second porte-avions sans coopération. Le choix s'offre alors, entre une copie évoluée du Charles-de-Gaulle, donc un navire à propulsion nucléaire, et un bâtiment à propulsion classique. Le débat sur la conception de ce porte-avions, sur sa construction et les modalités de sa construction, est ouvert. La propulsion nucléaire est particulièrement complexe, donc coûteuse, alors que notre porte-avions nucléaire s'est révélé, il faut bien le dire, moins rapide, et moins puissant que le Foch. Les coûts prévus pour la fabrication du Charles-de-Gaulle ont été dépassés de 17 %, ce qui reste acceptable, compte tenu des retards budgétaires observés, et des 5 000 tonnes de blindage qui ont dû être ajoutées pour respecter les nouvelles normes de sûreté nucléaire. Ce que nous souhaiterions simplement, c'est qu'effectivement, en matière de normes, on puisse avoir quelque certitude avant de lancer le programme.
    La marine sera dotée de 60 Rafale, l'armée de l'air en recevra 234. Sur la période de programmation, 125 commandes et 76 livraisons sont prévues. Le missile Scalp-EG équipera les Mirage 2000 D à partir de 2003, puis les Rafale air et marine à compter de 2007. Le projet de loi prévoit la livraison aussi de 500 missiles entre 2003 et 2007.
    Le missile de croisière naval, dont la campagne d'Afghanistan a montré toute l'utilité, devrait être mis en place sur les frégates multimission en 2011, et à partir de 2015 sur les SNLE-NG. Huit de ces frégates seront commandées. La première des 17 prévues entrera en service en 2008.
    Les deux premières frégates anti-aériennes Horizon seront, pour leur part, livrées en 2006 et 2008. La troisième sera commandée en 2007. Ces bâtiments permettront en outre de participer à des missions d'évacuation de ressortissants menacés.
    En ce qui concerne les armements terrestres, les 117 derniers Leclerc seront livrés entre 2003 et 2005. Un consortium unissant GIAT-Industries et Renault Véhicules Industriels, a remporté le contrat de fabrication de 700 véhicules blindés de combat d'infanterie, dont 150 seront destinés au commandement. Les premières livraisons prévues en 2006 ne devraient pas intervenir avant 2007 et 180 chars AMX RC seront rénovés sur la période de la programmation. C'est dire quel sera le plan de charge du GIAT. C'est dire également les difficultés financières et sociales auxquelles notre société devra faire face, puisque, chacun le sait maintenant, elle a été puissamment subventionné au cours des dernières années, et que les difficultés financières ne sont pas dues seulement aux retards de commandes, mais aussi à des erreurs de gestion, l'ensemble ayant coûté près de 23 milliards de francs au budget de l'Etat et aux contribuables.
    M. François Rochebloine. Il n'y a pas que ça !
    M. François d'Aubert, rapporteur pour avis. L'ensemble de ces dépenses d'équipement fait l'objet d'une enveloppe annuelle définie à l'article 2 du projet. En tant que rapporteur spécial des crédits de la défense, j'ai formulé, dans mon rapport écrit, un certain nombre de remarques sur la définition de cette enveloppe.
    En premier lieu, je crois qu'il faut se féliciter que le périmètre soit défini de façon plus restrictive. Les dotations à la Polynésie, le démantèlement des installations de matières fissiles, la recapitalisation de GIAT, ou la capitalisation de DCN, à partir de 2003, ne devraient plus peser sur le montant des crédits des équipements des armées. Cela est positif.
    Pour autant, cette enveloppe annuelle n'est pas encore d'une lisibilité parfaite. En effet, il faut lui ajouter les crédits accordés à la gendarmerie au titre de la loi d'orientation et de programmation sur la sécurité intérieure, soit, pour 2003, 94 millions d'euros. Cependant, à ce montant, il faut retrancher 100 millions d'euros de « mesures sans incidence financière » pour trouver le montant réellement inscrit au budget. Mais je pense qu'au travers des amendements qui ont été présentés nous arriverons à une lisibilité parfaite, au million près, de la loi de programmation militaire. Je crois que c'est dans l'intérêt de tous, si l'on veut que le Parlement puisse suivre l'exécution de cette loi, en assurer le respect et que ne puissent avoir lieu les manipulations budgétaires qui ont pesé sur la précédente loi de programmation au cours des dernières années.
    M. Michel Voisin. Bravo !
    M. François d'Aubert, rapporteur pour avis. En outre, l'article 7 de la loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001 entrera en vigueur en 2006. Donc, dès le projet de loi de finances initial pour 2006, les crédits de la défense devront être présentés sous forme de missions et de programmes. Or, le présent projet de loi de programmation fixe une enveloppe de crédits d'équipement jusqu'en 2008, en se référant aux crédits ouverts en lois de finances initiales. Il aurait peut-être été plus pertinent de faire référence aux crédits réellement disponibles. En effet, compte tenu du caractère fongible des crédits à compter de 2006, le respect formel de l'enveloppe de crédits d'équipement en loi de finances initiale ne constituera pas une garantie satisfaisante de la mise à disposition de ces crédits à nos forces armées. Une vigilance renforcée s'impose donc. J'estime que le rapporteur spécial devra alors contrôler le respect de la loi de programmation au regard des crédits réellement ouverts et consommés.
    J'ajoute qu'il serait souhaitable que le Parlement - c'est un voeu un peu plus lointain - puisse se prononcer spécifiquement sur les grands programmes comme le fait, par exemple, le Parlement allemand. Dans le cadre de la mise en place de la nouvelle nomenclature budgétaire, il serait envisageable que nous puissions mieux identifier les plus gros programmes d'armement. Certes, les trente-quatre principaux le sont aujourd'hui mais une démarche affinée permettrait peut-être une meilleure information des parlementaires.
    L'enjeu majeur de la prochaine programmation sera également de restaurer la disponibilité technique des matériels afin de permettre à notre armée de disposer à tout moment des pleines capacités qu'exigent les engagements de la France. Au-delà d'un maintien en conditions opérationnelles amélioré des matériels et du renforcement des entraînements, c'est bien le bon fonctionnement de notre armée que le présent projet de la loi de programmation entend assurer.
    L'effort global du ministère de la défense pour la recherche atteindra 7 milliards d'euros, à l'exclusion des crédits du budget civil de recherche et de développement, ce qui est une manière de remettre les choses en place. Mais compte tenu de l'ONERA, de l'institut franco-allemand de Saint-Louis, ainsi que de la contribution aux grandes écoles d'ingénieurs sous tutelle du ministère de la défense et de la poursuite du financement de la recherche nucléaire, le montant des crédits affectés à la recherche et à la technologie atteindra 3,8 milliards d'euros sur la période 2003-2008. S'il y avait un domaine à renforcer dans la loi de programmation militaire, ce serait peut-être celui-ci, la recherche et la technologie.
    M. le président. Veuillez conclure, monsieur le rapporteur pour avis.
    M. François d'Aubert, rapporteur pour avis. Monsieur le président, pardonnez-moi...
    M. le président. Je vous pardonne, mais vous ne pouvez pas doubler votre temps de parole.
    M. François d'Aubert, rapporteur pour avis. ... mais j'ai des choses à dire, autant que les rapporteurs des autres commissions.
    Cet effort doit permettre de consolider ou d'acquérir les technologies nécessaires à la réalisation des systèmes d'armes futurs. Il constitue une étape permettant d'atteindre le modèle de capacités technologiques dont la maîtrise est visée par 2015. Pour autant, cette reprise de l'effort de recherche ne suffit pas tout à fait à répondre à toutes les interrogations, je l'ai déjà dit.
    Le ministère de la défense est sans doute celui qui s'est le plus fortement modernisé au cours des dernières années, notamment grâce à la professionnalisation.
    M. Yves Fromion. C'est très bien de le rappeler !
    M. François d'Aubert, rapporteur pour avis. Ses méthodes de gestion se sont également modernisées. Mais il reste des efforts à accomplir - le rapporteur de la commission des affaires étrangères l'a dit - en particulier sur la définition du rôle et du fonctionnement de la Délégation générale à l'armement : peut-être faudrait-il mettre à profit l'idée très simple qui consiste à écouter davantage l'avis des utilisateurs. Afin de recentrer le ministère sur le coeur de ses missions, mais également d'élargir sa capacité d'acquisition en matériel, l'externalisation de certaines tâches doit permettre d'accroître l'efficacité de ses services. De même, la recherche de méthodes de financements innovants, permettant d'offrir une alternative à l'acquisition patrimoniale, doit être encouragée, à condition que les questions touchant à la TVA puissent être réglées avec le ministère des finances.
    Plus généralement, la modernisation des modes de gestion du ministère et l'anticipation de l'entrée en vigueur de la loi organique relative aux lois de finances doivent aussi constituer des axes majeurs de réforme du ministère.
    Madame la ministre, pour résumer et en conclusion, je voudrais vous dire que la commission des finances a émis un avis favorable à la loi de programmation militaire... (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Bernard Deflesselles. Il fallait le dire avant.
    M. Christian Ménard. Il y a une suite logique !
    M. Jean-Claude Sandrier. Quel suspense !
    M. François d'Aubert. ... qui permettra à la France d'accroître son effort de défense. Cet effort et cette remise à niveau étaient indispensables : une année de retard a été prise au cours de la dernière programmation. Il s'agit non seulement de rattraper ce retard, mais aussi de donner à la France, à la République, à la nation, les moyens d'assurer sa présence dans le monde et la sécurité de nos concitoyens. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. Monsieur d'Aubert, vous comprendrez que je doive être particulièrement vigilant. M. Bocquet ne peut parler plus de une heure trente, mais, puisque vous venez quasiment de doubler votre temps de parole, il pourrait bien à son tour intervenir pendant trois heures.
    M. François Rochebloine. Il peut le faire !

Exception d'irrecevabilité

    M. le président. J'ai reçu de M. Alain Bocquet et des membres du groupe des député-e-s communistes et républicains une exception d'irrecevabilité, déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.
    La parole est à M. Alain Bocquet.
    M. Yves Fromion. On peut passer tout de suite à la conclusion !
    M. Jean-Claude Sandrier. Passez votre tour dans ce cas !
    M. Alain Bocquet. Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, on entend souvent dire, à propos de notre politique de défense, qu'il existerait en France une sorte de consensus sur la nature des choix effectués. Je veux le dire nettement : nous rejetons cette loi de programmation militaire 2003-2008...
    M. Bernard Deflesselles. On connaît la suite !
    M. Yves Fromion. On peut passer à la conclusion, on connaît la suite !
    M. Alain Bocquet. ... qui constitue... (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. Veuillez laisser intervenir M. Bocquet.
    M. Alain Bocquet. Attendez quand même la suite !
    Cette loi constitue, selon nous, un contresens politique. C'est d'ailleurs l'objet de notre motion de procédure. En France et en Europe, des millions de citoyens, mais aussi des forces de plus en plus nombreuses de la société civile, avec des organisations politiques très diverses, s'inquiètent du cours actuel de la mondialisation, du danger de guerre, de la montée des tensions en bien des régions de notre planète, et on a pu le mesurer de Porto Alegre à Seattle, de Gênes à Florence.
    Il faut aussi considérer les enjeux de la sécurité et de l'évolution du monde, en cherchant la réponse à ces interrogations légitimes, qui traduisent bien, à leur façon, la réalité des grands problèmes de la période que nous vivons. Ce qui est en cause, ce n'est évidemment pas le besoin de sécurité en France et en Europe. Ce n'est pas la nécessaire prise en charge normale des besoins des personnels attachés à la défense nationale et à ses fonctions.
    Mon collègue et ami Jean-Claude Sandrier rappellera, avec la compétence qu'on lui connaît, l'engagement des communistes français en faveur de la dignité des personnels, ces hommes et ces femmes qui, dans l'inquiétude de leur famille, assument, au nom de la France, des missions difficiles et des risques véritables. Il montrera également comment notre industrie d'armement est menacée par la généralisation de l'armement dictée par la loi d'un marché aveugle et destructrice de l'emploi.
    On ne peut juger d'une politique de défense en dehors du contexte international tel qu'il évolue dans son ensemble. Davantage qu'une simple contrainte qui s'exerce sur la France, il constitue l'espace complexe, contradictoire et instable dans lequel notre pays doit penser sa sécurité et son devenir. Il est donc particulièrement crucial de mesurer, avec la plus grande lucidité, la nature et la profondeur des problèmes et des enjeux.
    De grands défis nous sollicitent avec insistance. Je veux souligner l'acuité de deux d'entre eux : le défi des inégalités et celui de la démocratie.
    Notre monde est profondément fracturé par une pauvreté massive, terreau de toutes les crises. Les chiffres sont connus, mais on gagne chaque fois à les rappeler pour ne pas banaliser les tragiques réalités humaines qu'ils recouvrent : quelque 1,2 milliard d'individus peinent à survivre dans une situation d'extrême dénuement, avec moins de un dollar par jour ; ils sont 2,8 milliards à disposer de moins de deux dollars quotidiens.
    M. Michel Voisin. Qu'est-ce que ça vient faire là ?
    M. Alain Bocquet. Ça vient faire là que la situation est particulièrement précaire et dangereuse pour notre planète !
    Sur les 4,6 milliards d'habitants des pays en développement, plus de 850 millions sont analphabètes, près de 1 milliard n'ont pas un accès normal à l'eau potable, 325 millions d'enfants ne sont pas scolarisés.
    Prenons conscience que ces injustices énormes ne sont pas seulement des réalités du Sud, puisque ce que l'on appelle, par euphémisme, la « pauvreté monétaire » frappe environ 130 millions de personnes dans les pays de l'OCDE. Le chômage et l'illettrisme y concernent aussi des dizaines de millions de gens.
    Rappeler tout cela ne serait qu'un exercice obligé si l'on ne voyait pas en même temps les mécanismes économiques et institutionnels qui reproduisent et accentuent les problèmes. Ces mécanismes sont ceux d'un ordre économique international libéral, dévastateur, ...
    M. Michel Voisin. Allons bon !
    M. Alain Bocquet. ... promoteur de toutes les tensions, de toutes les frustrations sociales, ...
    M. Michel Voisin. Arrêtez-le !
    M. Alain Bocquet. ... producteur de conflits beaucoup plus que de croissance et de développement. Le libre jeu des forces du marché capitaliste ne s'exerce qu'entre des acteurs profondément inégaux, il en accentue les fractures.
    Si les pays en développement ont accru leurs exportations mondiales de produits manufacturés, cela ne s'est pas accompagné d'un accroissement correspondant en termes de valeur ajoutée, ce qui traduit une inégalité structurelle devant les technologies, les formations, la maîtrise des processus de production modernes.
    C'est un handicap majeur pour le développement. La Conférence des Nations unies pour le développement explique elle-même parfaitement cette réalité, qui apporte un démenti à tous ceux pour qui l'ultra-libéralisme et la loi des marchés financiers, qui caractérisent beaucoup trop des règles et des pratiques de l'Organisation mondiale du commerce, contiendraient en eux-mêmes les conditions du développement, donc du progrès social, d'une plus grande stabilité et d'une meilleure sécurité globale.
    Il faut rappeler, aussi, la nature profondément déstabilisatrice des plans d'ajustement structurels, dont, depuis des années, le Fonds monétaire international et bien des responsables économiques du monde occidental se font les laudateurs zélés. Ces plans, essentiellement fondés sur les privatisations, la baisse des dépenses sociales et l'austérité, ont littéralement construit la situation de difficultés permanentes et de détresse économique dans laquelle se trouvent de nombreux pays du Sud. L'effondrement argentin rappelle la nocivité de ces plans dits de « rigueur », qui sont des plans de régression sociale imposés de la façon la plus stricte à des sociétés déjà exsangues et à des économies très fragilisées.
    Ces politiques sont extrêmement lourdes de dangers et de menaces, parce qu'elles contribuent, comme le montrent les crises catastrophiques et meurtrières du continent africain, à déstructurer les sociétés, quand ce ne sont pas les Etats eux-mêmes qui se désintègrent. N'est-ce pas ainsi que l'on alimente les instabilités et les causes de conflits, de guerres civiles et d'une montée inquiétante de la violence politique, notamment - j'y reviendrai - du terrorisme ?
    Cette violence politique, on le voit bien, n'est plus liée, comme hier, à des guerres déclarées entre Etats. Se multiplient en effet aujourd'hui les menaces dites « non militaires », affectant la sécurité, et l'on voit mûrir des crises plongeant leurs racines dans une dégradation durable des conditions de vie - ou de survie - d'une proportion alarmante de la population mondiale. Malgré les progrès réalisés au cours des trente dernières années, ce problème majeur reste entier. Il est le produit complexe d'une souffrance humaine et sociale profonde. Là se situe le premier des grands défis du siècle qui vient de s'ouvrir.
    Le deuxième de ces grands défis, la démocratie, est intimement lié au premier. Le monde d'aujourd'hui change à grands pas. Il reste, cependant, l'héritier direct du siècle dernier, d'une décolonisation inachevée, d'une forme d'indépendance limitée, d'une domination des principales puissances du monde capitaliste et d'une hégémonie trop souvent arrogante du modèle occidental.
    Au Sud comme au Nord, la mondialisation actuelle pérennise et aggrave les problèmes économiques et sociaux qui viennent d'être évoqués et, plus encore, se développe en donnant à des centaines de millions d'individus le sentiment que son cours, sa nature ultralibérale et les injustices qu'elle sécrète, sont inéluctables.
    Une majorité d'êtres humains vit apparemment ce processus contradictoire avec le sentiment d'être tenue à l'écart des décisions et des lieux où elles se prennent. Ce déni criant de démocratie est probablement une des causes fondamentales de l'exacerbation des frustrations sociales et des ressentiments populaires, des crises politiques et de leurs corollaires : la montée des populismes, les exacerbations intégristes et nationalistes.
    Le modèle libéral et sécuritaire occidental, caractérisé par ce que certains appellent assez justement une « culture de la suprématie », se veut porteur et même initiateur de valeurs universelles au premier rang desquelles la justice, l'égalité, la liberté, le droit, la paix, le respect de l'être humain. Autant d'acquis fondamentaux de la Renaissance et des Lumières, autant de références éthiques qui ont inspiré bien des mouvements de libération et d'émancipation dans ce que, par commodité, on appelle « le Sud ».
    Ce qui est nouveau, c'est que plusieurs milliards d'individus constatent tous les jours l'ampleur stupéfiante de l'écart qui s'est creusé entre, d'une part, l'affichage de ces valeurs et, d'autre part, la réalité des politiques conduites et leurs conséquences. Or, cet écart est vécu comme une hypocrisie fondamentale et insupportable. Dans des contextes de crise et de pauvreté, souvent caractérisés par une carence de l'Etat de droit, des forces extrémistes, nationalistes, intégristes, dont les membres sont des adeptes, souvent très éduqués, de la politique du pire, cherchent à profiter de cette contradiction en instrumentalisant non seulement les colères et les rancoeurs du plus grand nombre, mais aussi leurs croyances et leurs espoirs à des fins de déstabilisation ou de conquête du pouvoir par la violence destructrice, par le terrorisme.
    Ce qui se passe au Proche-Orient, notamment, illustre et nourrit, hélas, cette réalité dramatique. Le conflit israélo-palestinien n'est pas seulement un conflit régional grave, pour lequel la communauté internationale serait fortement sollicitée ; c'est aussi la matrice d'une grande rupture politique et idéologique dans le monde actuel. En effet, des millions de citoyens du monde arabo-musulman, et au-delà, constatent avec quel cynisme et quelle brutalité le peuple palestinien est traité et humilié quotidiennement. Ils voient aussi l'hyperpuissance américaine, si prompte à énoncer les valeurs morales censées légitimer son action, se mettre elle aussi hors du droit en soutenant Ariel Sharon et la politique ultranationaliste d'occupation et de colonisation menée par son gouvernement. Dès lors, comment s'étonner de la montée de ressentiments violents et d'un terrorisme épouvantable nourri par des décennies d'espoirs déçus ?
    M. Bernard Carayon. C'est quand même un peu fort !
    M. Alain Bocquet. Stanley Hoffman parle avec raison d'une partialité coupable et d'une pratique machiavélique dissimulée derrière un discours wilsonien. Au nom de cette partialité cynique et sans complexe, le droit n'est pas le même pour tous, et, du coup, la raison n'appartient qu'au plus fort.
    M. Guy Teissier, président de la commission, rapporteur. Vous parlez de la Chine ?
    M. Alain Bocquet. Le sentiment d'injustice en est décuplé, au regard de l'aspiration à une solution juste et durable, conforme au droit, perçue comme la seule issue possible et légitime.
    C'est dans ce contexte que les extrémistes, les intégristes, le terrorisme trouvent les conditions de leur nuisible prospérité. Le sentiment de cette partialité coupable s'exacerbe encore dans de nombreux pays, lorsque, au nom du droit international et des mêmes idéaux hautement revendiqués, on cherche à faire la guerre à l'Irak, et pour d'autres motifs en réalité que ceux officiellement et publiquement évoqués. Quelle que soit la nature du régime de Saddam Hussein - une dictature criminelle -, cette politique soulève une indignation légitime.
    Je pense profondément, comme tous mes collègues communistes, qu'elle a des conséquences terribles en ce qu'elle alimente en permanence, dans des drames meurtriers, l'idée d'un monde fatalement injuste, où la force, la guerre et la violence sont les pratiques dominantes : un monde où la menace et l'agressivité seraient bientôt les seuls moyens d'existence politique.
    Si l'on ne trouve pas dès aujourd'hui les moyens de sortir de cette impasse tragique, alors on donnera raison, à la fois à ceux qui ne connaissent que la politique de puissance et l'exercice de l'hégémonie, et à ceux qui, d'une autre manière, nourrissent la thèse catastrophique du choc des civilisations. C'est finalement la question de la dignité de l'être humain qui est au centre des problématiques et des défis qu'il faut affronter aujourd'hui.
    Ceux pour qui la misère n'engendre pas le terrorisme et la violence de notre monde n'ont pas complètement tort. Les motifs sont plus complexes : c'est l'humiliation, un vécu de frustrations sociales, le mépris des droits humains qui, dans un contexte de grande pauvreté, d'une absence de perspectives, notamment pour la jeunesse, conduit aux déstabilisations et à l'insécurité.
    On ne pourra cependant jamais évacuer la question des conditions de vie. La réalisation des droits humains et le respect de la dignité de la personne vont évidemment de pair avec la satisfaction des besoins sociaux et un développement durable au service des peuples. C'est le principal enjeu de la période qui s'ouvre : on ne dépassera pas les incertitudes, on ne renforcera pas la stabilité et la sécurité, sans de vraies réponses à cette question majeure.
    Une question simple nous est donc posée : la loi de programmation à l'ordre du jour de notre débat correspond-elle aux enjeux du monde actuel et aux choix que notre pays se doit de faire dans un tel contexte pour garantir sa sécurité et contribuer à un monde plus juste et plus pacifique ?
    Le texte que vous nous présentez, madame la ministre, est notamment le produit de deux orientations essentielles : une augmentation des dépenses et une hausse qualitative et substantielle notamment des programmes d'investissement, et cela dans tous les domaines, du nucléaire à la projection de forces, en passant par les systèmes antimissiles et de nouvelles armes.
    Cette réorientation s'appuie sur une logique de sécurité et de défense principalement fondée sur la conception du tout-militaire et inspirée de la stratégie américaine telle qu'elle se déploie depuis la tragique attaque terroriste du 11 septembre 2001.
    Je veux le dire avec la plus grande clarté : nous considérons que cette loi de programmation est en complète inadaptation avec les réalités du monde. Dans son contenu, dans sa structure et dans son sens général, elle ne correspond en rien à l'effort, pourtant si nécessaire, à engager pour que notre pays puisse peser dans ces réalités et jouer le rôle autonome et positif qu'on attend de lui, en conformité avec les principes qui fondent l'esprit de notre République et les engagements pris.
    Vous l'avez compris, ce que je souligne ici avec tant d'insistance, c'est l'inadaptation foncière de cette orientation du tout-militaire à la gravité d'une situation internationale durablement déstabilisée par les fractures économiques, sociales et démocratiques profondes.
    M. Guy Teissier, président de la commission, rapporteur. C'est antinomique !
    M. Alain Bocquet. Les années 90 nourrissent pourtant l'expérience. Après la guerre du Golfe, après les conflits - d'ailleurs non terminés - de l'ex-Yougoslavie, on a dit chaque fois que ni la France ni l'Europe n'avaient été à la hauteur et qu'il fallait rattraper le retard pris par rapport aux Etats-Unis en matière militaire.
    Aujourd'hui encore, alors que George Bush multiplie les pressions pour mener une guerre en Irak, nombre d'experts et de responsables politiques plaident, dans le même esprit, pour un rattrapage accéléré dans les dépenses militaires et une adaptation de l'outil de défense.
    Nous sommes en plein dans le contresens politique auquel j'ai déjà fait allusion !
    Jusqu'où la France et l'Europe choisiront-elles d'aller en emboîtant le pas à une stratégie américaine qui ne fait qu'exacerber les contradictions et les tensions internationales ? Jusqu'où poursuivront-elles cette fuite en avant, au lieu d'avoir l'ambition véritable de posséder une identité propre et de jouer un rôle original dans la recherche des réponses les plus ajustées et les plus porteuses d'avenir ?
    La question est d'autant plus pressante que l'événement considérable que fut le 11 septembre constitue une interpellation tragique de grande portée. Cette attaque terroriste, certes, n'a pas marqué, comme certains l'ont affirmé un peu précipitamment, une rupture historique, une « nouvelle ère », mais elle fut par sa dimension, par sa signification et par sa gravité, le signal qu'on ne peut plus penser les réponses politiques d'aujourd'hui comme on a bâti celles d'hier.
    Un tel choc ne pouvait qu'appeler à un changement de nature des politiques conduites. La nouvelle administration américaine, à sa façon, ne s'y est d'ailleurs pas trompée. La politique de George Bush s'est véritablement révélée avec le 11 septembre. Cette attaque terroriste, en frappant les coeurs symboliques économique et militaire des Etats-Unis, a immédiatement joué comme un propulseur de la nouvelle politique américaine. La lutte contre le terrorisme venait tout d'un coup apporter à une administration ultra-conservatrice et ultra-sécuritaire la justification morale, l'opportunité politique, la cohérence stratégique qui lui manquaient pour atteindre la force d'une véritable logique d'hyperpuissance, totalement hégémonique, sans partage, sans rivale et sans complexe. En sont ressortis notamment l'idée de la guerre préventive et la thématique de la lutte contre l'axe du mal, une lutte, par principe, sans fin et sans frontières.
    Madame la ministre, est-ce vraiment à cette politique-là que la France s'apprête à emboîter le pas ? Est-ce vraiment une orientation faite pour notre pays, digne de nos traditions et de nos ambitions ? Faut-il suivre le militarisme des Etats-Unis ?
    Evidemment, nul ne peut échapper à l'exigence impérative d'un combat sans merci contre le terrorisme, vous l'avez dit, madame la ministre. Mais on voit bien, en particulier dans la crise irakienne, comment les dirigeants américains instrumentalisent cette lutte si nécessaire à des fins non seulement dominatrices, mais aussi de politique intérieure plutôt que d'apporter une réponse à un défi réel.
    Où sont, dans les orientations américaines, les références aux problématiques du développement durable, aux besoins fondamentaux des pays du Sud, à la sécurité par la prévention et par la résolution négociée des conflits ?
    Avec la pauvreté massive, avec les crises alimentaires et les famines, avec la crise de la dette, avec les pandémies, nul ne peut dire : « on ne savait pas ». Nul ne pourra prétendre que les avertissements lancés durant les trente années passées n'ont pas été clairs ni même spectaculaires. Les racines des crises sont bien là, dans un sous-développement dramatique. Il fallait décidément beaucoup d'imprévision et de cécité volontaire hier pour s'étonner aujourd'hui de voir des réseaux terroristes profiter d'un tel contexte pour en faire le terreau de leurs crimes !
    Cependant, je ne peux que constater avec mes amis du groupe des député-e-s communistes et républicains...
    M. Bernard Carayon. Ils ne sont pas nombreux !
    M. Alain Bocquet. Ce qui compte, ce n'est pas la quantité, mais la qualité, cher ami !
    M. Bernard Carayon. Tout le problème est là !
    M. Alain Bocquet. Cependant, je ne peux que constater, disais-je, que les orientations qui nous sont proposées dans ce projet de loi commencent concrètement à engager la France, tant sur le plan financier que sur celui des choix de programmation, dans un véritable suivisme vis-à-vis de la politique américaine. Je crains vraiment que notre pays ne se mette ainsi en grande difficulté, sinon en incapacité durable d'assumer une vraie responsabilité dans un monde dont chacun mesure tous les jours la nature profonde des risques et la gravité des crises.
    Je me permets, madame la ministre, de vous faire part d'une autre inquiétude. Si, dans l'Union européenne, la France montre cet exemple-là, entraîne ses partenaires dans la même voie, qu'en sera-t-il demain de la politique européenne de sécurité ? Sera-t-elle le pilier secondaire de l'OTAN, une OTAN dépassée par la nature des vrais enjeux mais que les Etats-Unis, dans leur unilatéralisme forcené, chercheront plus que jamais à utiliser comme instrument de leurs intérêts stratégiques propres ? N'est-ce pas ce qui se dessine depuis quelques années, y compris à travers le dernier sommet de l'Alliance à Prague ? Est-ce vraiment le grand dessein que nous voulons pour l'Europe ?
    Je sais bien, naturellement, que les quinze membres de l'Union européenne ne font pas tous les mêmes choix. Et, au-delà des engagements communs, l'euro-atlantisme affirmé des uns - je pense à la Grande-Bretagne - ne ressemble pas aux positionnements divers d'autres pays, comme l'Allemagne ou la France. On ne peut pas sous-estimer les différences. Mais on ne peut pas non plus oublier, qu'en matière de sécurité et de politique internationales, comme dans tout autre domaine, l'Europe sera autonome ou ne sera pas. Dans ces conditions, j'entrevois donc un risque majeur quant à la conception que la France peut avoir de son avenir en Europe et quant à la construction européenne elle-même.
    La nature et la dimension des problèmes auxquels nous devons faire face doivent, je le crois, nous pousser à un sursaut de volonté et de créativité. Nous avons besoin d'avoir une tout autre vision des enjeux de sécurité pour faire face aux défis d'aujourd'hui, donc d'avoir une autre politique de défense, répondant à d'autres choix et certainement moins dispendieuse - je vise ici en particulier le nucléaire.
    S'il y avait une seule leçon à tirer des années 90, elle pourrait se traduire par cette question : comment faire avant pour ne pas toujours préparer la guerre d'après ?
    M. Francis Hillmeyer. Bonne question !
    M. Alain Bocquet. Le concept majeur qui devrait guider notre action est celui de la prévention, dans le sens de la prévision, de la précaution, de la responsabilité et, naturellement, d'une politique concertée, de longue durée, s'attaquant vraiment aux causes réelles des problèmes.
    Voilà qui n'a rien à voir, vous en conviendrez, avec la « guerre préventive » du président Bush, notion qui est, tout au contraire, l'expression d'un néo-impérialisme brutal s'inscrivant dans la vision d'un ordre international militarisé, d'une sorte d'état de guerre permanent que l'administration américaine cherche à justifier par la menace du terrorisme, dont la réalité est instrumentalisée avec cynisme.
    M. Yves Fromion. Khrouchtchev est de retour !
    M. Alain Bocquet. Il faut choisir l'avenir que l'on veut construire : le monde selon George Bush, ou l'effort pour en sortir. L'alternative existe. Le choix est d'autant plus possible que notre époque se caractérise également par la montée des résistances au libéralisme, des mouvements sociaux, des constestations antimondialistes qui refusent aussi bien les injustices que la guerre.
    Les communistes français, vous le savez, inscrivent leur action dans ce mouvement, puisque, ainsi que je l'ai dit dès le début de mon intervention, il traduit, dans sa diversité, l'espoir de changements profonds dans les politiques mises en oeuvre, notamment dans les relations internationales.
    De quoi la solution alternative peut-elle être faite ?
    Il n'y a évidemment pas un modèle de développement et de nouvelles relations internationales « prêt à l'emploi », si j'ose dire. Toutefois, les dégâts et les insécurités permanentes produits par le modèle capitaliste et ultra-libéral sont là pour nous rappeler l'exigence de la critique et de la recherche d'une perspective de changement. Nous avons besoin d'idées...
    M. Yves Fromion. C'est vrai ! Surtout vous !
    M. Alain Bocquet. ... et d'initiatives politiques pour les concrétiser.
    Prenons conscience de l'urgence qu'il y a à donner une perspective positive et un espoir à des millions d'êtres humains qui vivent dans la misère, qui subissent l'humiliation et qui, par défi, ou plutôt par défaut, nourrissent un anti-américanisme global ou même des sentiments pro-Ben Laden, sans pour autant être favorables au terrorisme.
    Cherchons une contribution possible de la France, des Européens, des Etats-Unis à la recherche d'une issue par la sécurité préventive, par le partenariat économique et social pour le développement et la satisfaction des besoins, par le dialogue des cultures plutôt que par la menace et la diabolisation.
    Le dernier sommet de la francophonie à Beyrouth fut, je le crois, un moment durant lequel des idées intéressantes ont été avancées. Il reste, bien entendu, un long chemin à parcourir pour apercevoir les premiers linéaments d'un monde plus civilisé, pour assécher les marécages de pauvreté et de frustration où naissent les crises et le terrorisme.
    Utopie, me direz-vous ? Non, pas tout à fait !
    La civilisation avance quand la violence politique régresse. En tout cas, je crois que l'augmentation de celle-ci n'est pas inéluctable.
    Je voudrais maintenant souligner trois idées essentielles.
    J'ai parlé d'une conception préventive de la sécurité. Il s'agit d'empêcher les conflits ou d'en réduire les risques par l'action collective, par la valorisation du facteur politique, c'est-à-dire la négociation et le rétablissement de rapports de confiance, par l'exigence permanente du respect du droit. C'est aussi le rejet des positions unilatérales et des politiques de puissance.
    L'ONU, singulièrement malmenée ou trop souvent mise à l'écart depuis des années, nous paraît essentielle et constitue le meilleur cadre. Nous apprécions que les autorités françaises aient défendu le respect de la prééminence de ce cadre dans la crise irakienne.
    M. Yves Fromion. C'est bien de le reconnaître !
    M. Alain Bocquet. Nous estimons qu'il est indispensable que le Conseil de sécurité conserve le monopole - légitime - en matière de sécurité collective, notamment quant aux décisions d'intervention, de missions de paix et d'usage de la force au titre du chapitre 7 de la charte.
    M. Yves Fromion. Vous voyez que vous pouvez dire des choses intéressantes !
    M. Alain Bocquet. C'est ce qui nous a amenés à nous abstenir sur le budget des affaires étrangères, ce qui ne vous a sans doute pas échappé, mon cher collègue.
    M. Michel Voisin. Je pensais que c'était sur celui de la défense !
    M. Alain Bocquet. Non, parce qu'il y a une dichotomie entre les deux !
    La valorisation des Nations unies, ce cadre universel du multilatéralisme, passe cependant par des réformes touchant à sa représentativité et par une démocratisation. C'est un sujet lourd, que je ne peux traiter ici. Mais je crois, en effet, que, à l'heure de la mondialisation des enjeux, le rôle de l'ONU n'a pas vocation à diminuer, bien au contraire. Notre époque n'est-elle pas, plus que jamais, celle où il faudra bien résoudre collectivement les problèmes communs ?
    C'est en adoptant un tel état d'esprit que nous possédons les meilleures chances de faire échec à la militarisation actuelle des relations internationales.
    Le recul des politiques de force, des stratégies de puissance, le désarmement concerté, la lutte contre le terrorisme et la répression indispensable des réseaux occultes, mafieux et financiers qui l'accompagnent appellent évidemment...
    M. Bernard Carayon. Le rétablissement du Komintern !
    M. Alain Bocquet. ... un engagement multilatéral résolu s'inscrivant dans cet esprit de paix et dans cette recherche commune d'une « terre patrie », selon la formule visionnaire d'Edgar Morin.
    M. Bernard Carayon. Autrefois, c'était Staline qui était cité !
    M. Alain Bocquet. Cette vision ne peut évidemment prendre tout son sens que si l'on cherche en même temps - c'est la deuxième idée que je développerai - la réduction des colossales inégalités qui déchirent le tissu social de notre planète.
    En l'an 2000, les chefs d'Etat et de gouvernement de l'ensemble du globe, réunis dans le cadre de l'assemblée générale des Nations unies, ont reconnu qu'ils étaient « collectivement tenus de défendre à l'échelon mondial les principes de la dignité humaine, de l'égalité et de l'équité ». Dont acte. Lors de cette assemblée du millénaire, l'ensemble de la communauté internationale a pris l'engagement d'un soutien aux valeurs de liberté, de démocratie et de droits de l'homme, tout en se fixant huit objectifs à atteindre d'ici à 2015 pour faire avancer le développement et disparaître la pauvreté.
    Ces objectifs sont les suivants : éliminer l'extrême pauvreté et la faim ; assurer une éducation primaire pour tous ; promouvoir l'égalité des sexes ; réduire la mortalité des enfants ; améliorer la santé maternelle ; combattre le sida, le paludisme et les autres maladies ; assurer la durabilité des ressources écologiques ; mettre en place un partenariat pour le développement.
    M. Michel Voisin. Il s'agit de bons objectifs !
    M. Alain Bocquet. Il faut souligner aussi que la plupart de ces objectifs concrets et non utopiques de l'assemblée du millénaire sont assortis de cibles chiffrées et susceptibles de faire l'objet d'un suivi.
    Je propose, au nom des membres du groupe des député-e-s communistes et républicains, que les autorités françaises prennent l'engagement de se faire en permanence, par leurs initiatives et par leurs propositions, les porteuses inlassables et systématiques de ces huit objectifs en Europe et dans tous les lieux institutionnels, politiques, économiques et financiers où se prennent des décisions qui engagent l'avenir de notre monde.
    Il faudra évidemment de la ténacité.
    M. Guy Teissier, président de la commission, rapporteur. Eh oui !
    M. Alain Bocquet. Toutefois, il faudra aussi se rappeler que le modèle politique et culturel européen et occidental n'aura pas de légitimité dans le monde, et singulièrement dans ce qu'on appelle encore trop souvent le tiers-monde, sans un effort politique pour que sa référence aux valeurs universelles d'égalité, de justice et de solidarité devienne vraiment crédible. C'est à cette condition que l'on pourra donner sa chance à ce que l'écrivain Amin Maalouf désigne comme « un monde où se tisseraient chaque jour un peu plus des amitiés transversales ».
    Je veux souligner, là aussi, l'importance décisive du multilatéralisme et du cadre onusien. Le programme des Nations unies pour le développement a défini le nouveau concept de « développement humain », qui concrétise et formalise l'idée que le développement ne se résume pas à un taux de croissance mais doit inclure la démocratie, la participation, la citoyenneté, la justice économique, la santé et l'éducation, la paix et la sécurité des personnes.
    On peut parler aussi de « sécurité humaine ». On voit combien les notions de sécurité et de stabilité sont aujourd'hui liées non prioritairement au militaire mais à une conception du développement dans ses multiples dimensions. Nous pouvons y contribuer par l'annulation des dettes, par l'augmentation de l'aide au développement, par la taxation des capitaux spéculatifs et par l'engagement du secteur public dans la coopération. L'éradication de la pauvreté n'est pas une chimère.
    Naturellement, pour éviter d'en rester aux pétitions de principe - et c'est la troisième idée que j'entends développer -, pour avancer, il faut de puissants moyens. Je souhaite donc souligner l'importance décisive du rôle des pays européens et de l'Union européenne.
    La crédibilité politique de l'Europe se joue en quelque sorte, ici et maintenant, dans la capacité qu'elle pourra montrer ou non à apporter des réponses efficaces et durables aux problèmes du monde d'aujourd'hui.
    M. Jean-Louis Idiart. Très bien !
    M. Alain Bocquet. Comment les pays de l'Union européenne pourraient-ils gagner une véritable crédibilité dans la mise en place d'un partenariat euro-méditerranéen s'ils ne cherchent pas à peser davantage dans la résolution du conflit israélo-palestinien, dans la construction de la paix en Méditerranée, comme dans le refus de la guerre en Irak ?
    Comment les Européens peuvent-ils espérer jouer un rôle majeur dans les relations internationales s'ils ne trouvent pas, dans la durée, les moyens de converger pour aboutir à une présence internationale active, réelle et originale, fondée sur une conception et une architecture nouvelles de la sécurité en Europe et dans le monde, hors des contraintes d'une OTAN totalement inadaptée ?
    Comment l'Europe peut-elle contribuer à l'établissement d'une sécurité et d'une stabilité plus fortes sans intervenir avec plus de détermination dans les enjeux du développement humain, des droits de l'homme au sens large, et dans les urgences sociales les plus criantes, comme l'éradication de la pauvreté ?
    La construction européenne est aujourd'hui à la croisée des chemins. Il nous faut choisir entre plusieurs options : une vaste zone de libre-échange entièrement dépendante des Etats-Unis ; un club occidental cherchant vainement à rattraper la supériorité militaire américaine ; une communauté élargie de nations euro-méditerranéennes, largement ouverte sur le monde, notamment sur le Sud, et s'attachant à lier son rôle à la solution des problèmes fondamentaux de notre planète.
    Zone de libre-échange ? Europe-puissance ? Communauté autonome jouant un rôle original ? Cette dernière option est certainement la plus exigeante. Mais elle peut offrir un vrai destin et un cadre démocratique communs à nos nations et à nos peuples. Elle est aussi, et singulièrement, antinomique de la vision américaine, ramassée dans la formule expéditive de Donald Rumsfeld : « Ceux qui ne sont pas avec nous sont contre nous. » Cette ligne rouge, qui prétend fixer la limite des intérêts américains de sécurité nationale, ne pourrait en aucun cas devenir l'horizon européen. Prenons-y garde !
    Il n'y aura pas d'avenir plus sûr, plus stable, sans l'affirmation d'un rôle innovant et positif de l'Europe et de la France dans les relations internationales, sans la définition par les pays de l'Union de nouvelles réponses politiques aux enjeux du développement et de la résolution des conflits, en particulier ceux du Proche-Orient. Voilà qui est fort éloigné de la fascination d'un interventionnisme militaire néfaste et du surarmement, car ce dont nous avons le plus besoin, c'est d'une relance du processus de désarmement pour l'ensemble des armes de destruction massive.
    Dans cette nouvelle période de l'après-guerre froide, après une décennie d'expérience, il nous semble normal de placer notre ambition à ce niveau. Dans ce nouvel état du monde, la recherche d'une paix durable ne peut faire l'économie de ces repères fondamentaux de l'action politique que sont la justice, le droit, l'égalité et la démocratie. Et c'est pour cette raison de fond, madame la ministre, que le groupe des député-e-s communistes et républicains votera contre la loi de programmation militaire que vous nous proposez.
    Votre texte nous paraît en effet profondément inadapté au contexte international, aux réalités de la mondialisation, à ce dont la France a besoin pour contribuer, à sa mesure, à répondre aux attentes, aux espoirs et aux besoins qui s'expriment dans le monde, un monde qui a changé. Les défis qu'il présente appellent donc instamment d'urgentes réponses susceptibles de préparer un autre avenir. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. Je suis saisi de plusieurs demandes d'explication de vote.
    La parole est à M. Michel Voisin.
    M. Michel Voisin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, j'ai retenu de l'intervention du président Bocquet trois mots : prévision, précaution, responsabilité.
    A l'article 91-4 de notre règlement, nous pouvons lire que l'objet d'une exception d'irrecevabilité « est de faire reconnaître que le texte proposé est contraire à une ou plusieurs dispositions constitutionnelles ».
    Monsieur le président Bocquet, j'ai recherché dans notre Constitution les articles relatifs à la défense et qui auraient donc pu justifier votre exception d'irrecevabilité.
    L'article 5 précise que le Président de la République « est le garant de l'indépendance nationale, de l'intégrité du territoire et du respect des traités ». Vous n'en avez dit aucun mot.
    L'article 15 dispose que « le Président de la République est le chef des armées. Il préside les conseils et comités supérieurs de la défense nationale ». Vous n'en avez pas dit un mot.
    A l'article 21, on peut lire que « le Premier ministre [...] est responsable de la défense nationale ». Pas un seul mot.
    Quant à l'article 34, qui dit que « la loi détermine les principes fondamentaux de l'organisation générale de la défense nationale », vous n'en avez pas dit un mot non plus.
    Monsieur le président Bocquet, vous nous avez parlé de mondialisation, de lutte des classes, d'inégalités. Mais vous n'avez fait à aucun moment référence au sujet dont nous sommes conduits à discuter, c'est-à-dire la loi de programmation militaire qui donnera à nos armées les moyens nécessaires de 2003 à 2008.
    Je comprends votre gêne. Personnellement, depuis que je siège dans cette assemblée, il n'est qu'une seule loi de programmation à laquelle je n'aie pas participé : c'était celle couvrant la période 1987-1991. Avec le président de la commission de la défense nationale de l'époque, notre excellent collègue Jean-Michel Boucheron, j'ai beaucoup travaillé en 1989 sur celle concernant les années 1990-1993.
    Vous avez fait référence à la guerre du Golfe. Il était logique que les dirigeants de l'époque s'interrogent sur ce qui pouvait influer sur notre défense après cet événement. Ils s'y sont attelés et, avec le président Boucheron, nous avons travaillé sur une réforme de la loi de programmation militaire en 1992. Un projet avait été défini. Notre commission y a beaucoup travaillé, mais ce texte n'est jamais venu en discussion devant notre parlement.
    En 1994, le Président de la République et le Premier ministre de l'époque, M. Balladur, ont écrit un nouveau livre blanc sur la défense nationale.
    En 1995, M. Balladur a proposé une nouvelle loi de programmation militaire, dont nous avons discuté sur les bancs de cette assemblée. Ce texte a traduit un ajustement normal, si je puis dire, compte tenu des événements et des dispositions inspirées par le livre blanc.
    La même année, le Président de la République décide de passer à la professionnalisation de nos armées.
    En 1996, eu égard aux modifications apportées à notre outil de défense, nous réfléchissons et nous déterminons une nouvelle loi de programmation adaptée au nouveau format de nos armées et tenant compte des conséquences de la professionnalisation.
    Arrive le nouveau gouvernement, qui nous demande de réfléchir une nouvelle fois, au sein de la commission de la défense, à une nouvelle loi de programmation qui, mais nous avions entre-temps changé de gouvernement, n'est jamais venue elle non plus en discussion dans cet hémicycle.
    Il a fallu attendre que le Président de la République, notre Premier ministre et notre ministre de la défense reviennent aux affaires pour qu'il nous soit enfin proposé une nouvelle loi de programmation, que nous discutons aujourd'hui. Et à cet égard, monsieur le président Bocquet, je serai pour une fois d'accord avec vous pour retenir les trois mots que j'ai cités au début de mon intervention : prévision, précaution, responsabilité, car ces trois mots, nous les trouvons dans le projet de loi de programmation qui est aujourd'hui soumis à notre assemblée.
    Par contre, monsieur Bocquet, je n'ai aucun mal à m'assurer que l'exception d'irrecevabilité que vous avez soutenue n'avait pas lieu d'être. C'est pourquoi mes amis du groupe de l'UMP voteront contre, comme beaucoup d'autres, votre motion de procédure. Je vous invite tous, mes chers collègues, à faire de même. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. Francis Hillmeyer.
    M. Francis Hillmeyer. Monsieur Bocquet, je comprends les raisons qui vous ont fait soutenir une exception d'irrecevabilité : disposer de la tribune pendant près d'une heure est un plaisir qui ne se refuse pas. Cela n'a qu'un inconvénient : retarder les débats.
    Non, monsieur le président Bocquet, ce n'est pas la loi de programmation militaire qui est anticonstitutionnelle, mais bien plutôt la non-exécution des engagements que le Parlement avait pris en la votant !
    M. Guy Teissier, président de la commission, rapporteur. Absolument !
    M. Francis Hillmeyer. A cet égard, le groupe communiste n'a aucune leçon à nous donner. Le Gouvernement précédent n'a-t-il pas systématiquement utilisé le budget de la défense comme variable d'ajustement du budget de l'Etat ? Il s'agit là de méthodes qui sont véritablement anticonstitutionnelles car elles vont à l'encontre de l'article 34 de notre Constitution, qui dispose que le Parlement « détermine les principes fondamentaux de l'organisation générale de la défense nationale ».
    Le bilan des années 1997-2002 n'est plus à faire : il vous accable et condamne la majorité plurielle. Vous avez quand même soutenu le premier gouvernement de notre histoire à avoir fait descendre les militaires dans la rue. Et je ne parlerai pas de l'état de délabrement dans lequel vous avez laissé le matériel de nos armées.
    M. Pierre Forgues. Cela n'a rien à voir !
    M. Francis Hillmeyer. Bref, le moins que l'on pouvait attendre de votre part dans ce débat était de la modestie, voire de la contrition. Mais, visiblement, vous n'avez pas été guéris de cette manie qui consiste à démentir les réalités les plus évidentes, ainsi que le sens de l'histoire qui les accompagne.
    M. Jean-Claude Sandrier. Ce n'est pas le même sujet !
    M. Francis Hillmeyer. Vous parliez tout à l'heure de contresens politique. Mais votre intervention, monsieur Bocquet, est un contresens historique !
    Vous nous parlez de défense européenne. La France doit devenir une nation européenne phare, pour s'engager dans cette défense européenne et cela n'est possible qu'avec des forces militaires bien équipées, des hommes entraînés et confiants en leurs élus. La voilà, la crédibilité dont vous parlez !
    M. Alain Bocquet. Et l'Allemagne, elle n'est pas crédible ?
    M. Francis Hillmeyer. Parce qu'il estime que la discussion sur les grandes orientations de la défense de notre pays vaut mieux qu'une motion de procédure ou qu'un hara-kiri politique, le groupe UDF votera contre l'exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Sandrier.
    M. Jean-Claude Sandrier. Mesdames, messieurs de la majorité, pourquoi discuter du contenu des motions de procédure puisque, pour autant que je me souvienne, vous en avez vous-mêmes toujours usé sans forcément vous soucier des aspects constitutionnels ou autres. Ce débat est donc vraiment inutile...
    M. Charles Cova et M. Michel Voisin. Ce n'est pas le nôtre !
    M. Jean-Claude Sandrier. De plus, je ne vois pas pourquoi vous rouspétez dans la mesure où, alors que nous avions la possibilité de déposer trois motions de procédure, nous n'avons utilisé que la moitié du temps autorisé pour une seule.
    M. Yves Fromion. Cela signifie que vous n'y croyez même pas !
    M. Jean-Claude Sandrier. Cela prouve simplement que ce que nous avions à dire pouvait être, compte tenu de la qualité des arguments, exposé en trois quarts d'heure. (Sourires.)
    Alain Bocquet n'a pas évoqué les pouvoirs du Président de la République ni un certain nombre d'aspects constitutionnels. C'est vrai, mais il a parlé de la pauvreté dans le monde et des inégalités qui se creusent. Puisqu'on parle de sécurité en parlant de défense, de quoi se nourrit l'intégrisme, sinon de la misère et de l'exclusion ?
    M. Jacques Myard. C'est un peu court !
    M. Jean-Claude Sandrier. Tout le monde le sait, tout le monde le dit. Mais cela n'a pas été dit ici, sauf par Alain Bocquet.
    Je voudrais souligner la pertinence et la hauteur de vue de l'intervention de notre collègue car il a mis l'accent sur quelque chose dont on ne parle jamais, ou en tout cas rarement : les causes des menaces. On est très fort pour parler des menaces, de leur diversité et du terrorisme. C'est bien, mais c'est encore mieux de parler des causes de ces menaces, si on ne veut pas avancer en aveugle dans la recherche de solutions en matière de sécurité.
    Je me souviens d'une très intéressante table ronde qui avait été organisée par le président de la commission de la défense nationale et des forces armées. Deux phrases, parmi d'autres, m'ont marqué. L'un des intervenants a déclaré, quant à la nécessité de redéfinir notre géopolitique, qu'« il y a beaucoup de moyens stratégiques qui ne sont pas militaires ». Nous devrions nous interroger sur ce point, notamment avec les militaires. Un autre intervenant, dont je ne partage pas totalement l'appréciation, a affirmé qu'« une partie infime de nos armements peut servir pour les menaces de demain ». Avouez qu'il est important de savoir si ce dernier intervenant a tort ou raison.
    Il faut cesser de fermer les yeux sur la question des intégrismes et ce sur quoi ils se développent. Au lieu d'éteindre le feu, que certains veulent attiser sous la marmite, on préfère la couvrir d'un couvercle, parfois militaire, en pensant que cela suffira à régler les problèmes. On se trompe !
    Comme si de rien n'était, vous suivez le livre blanc écrit en 1994, quitte à le modifier à la marge. Vous vous référez à des dispositions prises en 1995 alors que votre projet raisonne sur un modèle d'armée de 2015, soit vingt ans après. Comme si rien ne se passait, comme si les cris - je dis bien : les cris - de l'humanité en mal de reconnaissance ne devenaient pas de plus en plus aigus avec les graves conséquences qui peuvent s'ensuivre.
    M. Michel Voisin. C'est ce que M. Bocquet appelle la « prévision » !
    M. Jean-Claude Sandrier. Une remise à plat politique, économique et stratégique s'impose, en se déconnectant, entre autres, des concepts américains.
    On pourrait allonger le débat, mais je ne déplorerai, pour terminer, que l'absence de réflexion, dans le projet de loi, sur une stratégie industrielle.
    Puisqu'on n'a pas de stratégie industrielle, on adopte le laissez-faire.
    M. Michel Voisin. A vous écouter, il ne faudrait rien faire !
    M. Charles Cova. Que va-t-on faire de GIAT Industries !
    M. le président. Laissez M. Sandrier terminer son propos.
    M. Jean-Claude Sandrier. Cela pose des problèmes concernant notre autonomie en matière de production d'armement.
    M. Charles Cova. Allez expliquer cela aux ouvriers de GIAT !
    M. Jean-Claude Sandrier. Et pour ces raisons, nous voterons pour l'exception d'irrecevabilité.
    M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
    Je mets aux voix l'exception d'irrecevabilité.
    (L'exception d'irrecevabilité n'est pas adoptée.)

Discussion générale

    M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Francis Hillmeyer.
    M. Francis Hillmeyer. Vous nous présentez, madame la ministre, un projet de loi de programmation qui s'inscrit clairement dans la perspective du modèle d'armée 2015 : consolidation des matériels, qui étaient depuis trop longtemps laissés à l'abandon ; consolidation du processus de professionnalisation, dont la continuité a été assurée par le précédent gouvernement, mais sans l'exigence d'un véritable professionnalisme. Il était urgent de régler les problèmes accumulés au fil des ans : indisponibilité des matériels, baisse du moral des troupes, pénurie des équipements.
    Cependant, madame la ministre, tout ne peut pas être traité dans l'urgence et par des mesures quantitatives. La définition de nos programmes d'armement militaire pour les cinq années à venir, la conception de la configuration et de l'usage de nos forces militaires, en fonction de l'évolution des menaces, méritent des débats permanents, à l'image de celui que le groupe UDF a organisé à l'Assemblée nationale, hier matin, sur la situation en Irak. Par ailleurs, la loi de programmation militaire doit adopter une approche volontariste de la construction de l'Europe de la défense. C'est sur ces sujets que le groupe UDF veut appeler votre attention et apporter au Gouvernement des propositions constructives de nature à réformer en profondeur notre système de défense.
    Nous voulons donner un sens à la loi de programmation militaire, qui, vous le savez bien, n'en a guère, au-delà du simple exercice parlementaire, dans la mesure où il n'est question que de prévisions de crédits, rarement respectées. Une LPM n'a aucune valeur juridique ; il suffit de lire les rapports sur l'exécution des précédentes pour s'en convaincre. Ainsi, je rappelle à notre assemblée que, pour la loi de programmation 1997-2002, l'écart entre l'échéancier prévisionnel et l'exécution réelle des dépenses représente quasiment une annuité complète de la loi de programmation.
    Le premier point de mon intervention portera sur les programmes. Si l'on se réfère à l'article 2, ils représentent une masse budgétaire considérable : 14,64 milliards d'euros par an, soit 87,85 milliards d'euros sur la totalité de la période de programmation. Comme l'a souligné le rapporteur de la commission de la défense, la hausse est de l'ordre de 22 % par rapport au montant des crédits d'équipement réellement dépensés sur la période 1997-2002. Le groupe UDF salue ce volontarisme, qui permettra de doter les armées du matériel nécessaire à la réalisation de leurs missions.
    Cependant, plusieurs questions demeurent.
    Tout d'abord, prendra-t-on le soin de poursuivre la modernisation des industries militaires ? Nos coûts de production deviendront-ils compétitifs face à la concurrence impitoyable des Etats-Unis ? Le groupe UDF soutient clairement votre politique de relance de l'équipement militaire. Le réarmement des armées, c'est aussi le réarmement du moral du pays. Mais prenons garde à ne pas injecter un argent public précieux, qui se fait rare, dans un système qui le gaspille ou l'utilise mal ! La situation est connue de tous : certains de nos programmes ont été de véritables gouffres financiers et certaines de nos industries d'armement vont au devant de situations sociales dramatiques si le Gouvernement ne prend pas à bras-le-corps la reconversion de leurs sites de production. Le Rafale en est l'exemple le plus tristement célèbre. Mais on peut également citer le Tigre, qui mettra plus de vingt-cinq ans pour parvenir dans les forces.
    Il nous faut donc sortir au plus vite de la méthode linéaire de réalisation des programmes, au profit d'une plus grande souplesse et d'une meilleure réactivité. Si la défense n'accomplit pas sa révolution copernicienne, les augmentations de crédits ne se traduiront pas par de meilleures performances. C'est à l'opérationnel de guider et de corriger les choix de la DGA. Les grands programmes militaires hérités de la guerre froide, complexes et sophistiqués, doivent céder la place à des programmes calibrés en fonction des coûts, disponibles plus rapidement et intégrant les nouvelles technologies développées dans le civil. Je suis également convaincu qu'en externalisant certaines tâches de support et de soutien, et en sortant du dual sur les programmes lourds de recherche, on réalisera des économies considérables et on rentabilisera davantage les programmes.
    Enfin, il est urgent d'organiser la répartition et l'articulation des programmes à l'échelle européenne. Les élus UDF de l'Assemblée, comme ceux du Parlement européen, demandent qu'une agence européenne de l'armement voie le jour. Elle aura pour missions d'harmoniser nos commandes, de regrouper nos efforts et nos structures industrielles, via la création de consortiums européens, de planifier et financer ensemble les programmes les plus onéreux, comme le nouveau porte-avions ou le VBCI. Nous avons tout à y gagner : économies d'échelle, capacité d'exportation, interopérabilité, autonomie stratégique et opérationnelle. Alors cessons d'empiler les structures et engageons-nous résolument dans la voie de la coopération européenne !
    Les erreurs commises par le passé, notamment dans le domaine aérien, avec le programme américain JSF, doivent nous servir de leçon. Si nous ne construisons pas européen, les pays du continent, dans quelques années, seront tous équipés « US » et auront perdu leur autonomie industrielle et technologique. Je pense en particulier à la recherche. Si nous construisons franco-français, notre industrie militaire ne vivra plus que des subventions publiques, car elle ne trouvera plus de clients sur les marchés.
    Je dirai un mot de notre système de dissuasion. La poursuite du développement du quatrième SNLE-NG et des missiles M51 est un choix clairement justifié par le Président de la République, au nom de l'autonomie stratégique de la France. Je poserai cependant deux questions.
    Premièrement, la doctrine d'emploi du nucléairea-t-elle changé ? Sommes-nous prêts, à l'instar des Américains, semble-t-il, à utiliser le nucléaire comme arme de champ conventionnelle ou presque, et non plus seulement comme une force dissuasive ?
    M. Guy Teissier, président de la commission, rapporteur. Il n'en est pas question.
    M. Francis Hillmeyer. Dans ce domaine si sensible, l'opinion publique doit être informée, s'il y a lieu, des nouvelles orientations stratégiques du Gouvernement.
    Deuxièmement, la France va-t-elle évoluer sur la question de la dissuasion commune ? Parlons sans détour : peut-elle encore faire l'économie d'une discussion avec ses partenaires européens, en concertation avec les Britanniques, sur l'élargissement de la dissuasion à l'échelle européenne ? Le groupe UDF souhaite que cette question soit clairement posée par les autorités françaises, ce qui constituerait, nous en sommes conscients, une révolution stratégique, à la hauteur de notre dessein s'agissant de la construction de la défense européenne.
    J'en viens au deuxième point de mon intervention : la gestion des ressources humaines dans notre organisation militaire. Cette question est intimement liée à notre sécurité, aussi bien intérieure qu'extérieure, car ce sont les hommes, plus que les matériels, qui l'organisent et l'assurent directement auprès des populations. Dans le monde instable de l'après-11-Septembre, nous devons lui accorder toute notre attention.
    Le fonds de consolidation de la professionnalisation que vous créez à l'article 4 est une bonne initiative car la réussite de la professionnalisation est un enjeu majeur pour réaliser le modèle d'armée 2015. Vous pourrez compter sur le soutien du groupe UDF pour accompagner cet effort en faveur du personnel des armées et de la gendarmerie, auquel nous voulons rendre hommage pour son dévouement et son sens des responsabilités.
    Nous aurions néanmoins souhaité que la participation des réserves à la protection du territoire soit davantage confortée. L'exemple des armées américaines et britanniques atteste qu'il ne peut y avoir de professionnalisation sans développement simultané de réserves capables d'assurer le relais et de nourrir le lien indispensable entre armée et nation.
    Face aux menaces terroristes, désormais publiquement reconnues par les autorités et les experts, il faut préparer dès maintenant la défense des grandes conurbations où se trouvent concentrés population, richesse et pouvoir. Cette mission pourrait être confiée à des unités de réserve opérationnelles et citoyennes, mobilisables pour l'application de plans de défense et de sécurité auxquels elles seraient entraînées de façon régulière.
    A cet effet, il faut non seulement augmenter les ressources financières - la LPM le garantit, et nous vous en félicitons - mais aussi réformer la législation du travail en créant un statut du réserviste, à l'instar de celui des pompiers volontaires. Cette réforme, que le Gouvernement doit entreprendre au plus vite avec les organismes patronaux et syndicaux, favorisera fiscalement les entreprises participant à l'effort. Il faut évoluer vers l'idée d'unités de garde nationale à la française, c'est-à-dire décentralisées, complémentaires des GIR mis en place par le ministre de l'intérieur, et qui associeraient de façon permanente gendarmerie, police, réserve, pompiers et douaniers. Elles pourraient être baptisées « groupements de protection régionaux ».
    J'ajoute que la manière dont nous sommes sortis de la conscription doit faire l'objet d'un bilan rigoureux. A-t-on suffisamment préparé la période transitoire et mis en oeuvre tous les moyens pour attirer les jeunes vers les armées ? La journée d'appel de préparation à la défense est-elle le bon format pour donner de l'armée une vision attractive ? Il faut de toute évidence relancer la réflexion.
    M. Guy Teissier, président de la commission, rapporteur. Absolument !
    M. Francis Hillmeyer. Le groupe UDF, en revanche, vous félicite d'avoir tout récemment relancé le débat sur l'une des propositions centrales de François Bayrou : la création d'un service civil humanitaire, qui serait d'une durée de six mois, effectués en une ou plusieurs périodes, au choix des jeunes adultes, pour ne pas les pénaliser dans leurs études ou leur travail. J'ai la conviction que cette expérience dans une ONG, sur le territoire national, en Europe ou ailleurs, procurerait aux jeunes Français un immense bénéfice humain. Bien sûr, il faudra prendre en compte cette expérience dans le cursus universitaire ou professionnel, et la considérer, à tous points de vue, comme une richesse sociale. Nous regrettons que l'idée du service civil humanitaire ne puisse figurer, ne serait-ce qu'à titre indicatif, parmi les orientations de la loi de programmation, mais vous pourrez compter sur le groupe UDF, madame la ministre, pour vous accompagner dans sa conception et sa mise en oeuvre.
    Je terminerai mon intervention par le thème de la défense européenne, qui, dans la loi de programmation militaire, n'est traité qu'à la marge, alors qu'il est aujourd'hui présent dans tous les esprits, parmi les officiers - ceux que j'ai rencontrés lors de mes nombreux déplacements sur le terrain en ont témoigné - comme parmi l'ensemble la population française. Un récent sondage le prouve : 68 % des Français interrogés par l'IFOP en mars 2002 plébiscitaient la création d'une défense européenne, tandis que 25 % seulement préféraient le renforcement de la défense française. Les opinions publiques sont prêtes. Qu'attendent les gouvernements ?
    L'Union européenne, sur la scène internationale, n'est pas encore un acteur crédible. Nous sommes incapables de parler d'une seule voix, qu'il s'agisse du Proche-Orient ou de l'Irak. Nous avons donné un spectacle affligeant lors de la guerre en Afghanistan : course individuelle à la Maison-Blanche, arrivée en ordre dispersé sur le théâtre, prédominance de l'axe constitué par la Grande-Bretagne et les Etats-Unis, sans parler de la crise tragi-comique du rocher du Persil, réglée grâce aux Américains.
    Il faut vraiment être aveugle pour ne pas voir l'évidence : l'Union européenne ne peut prétendre à assumer une responsabilité mondiale, ni même régionale, sans volonté politique ni capacité militaire. Notre diplomatie ne pourra exister que sur un socle militaire solide et cohérent. J'insiste auprès du Gouvernement pour que ces choix européens soient clairement affichés et promus au rang de priorités nationales. Je me ferai ici l'écho du travail accompli au Parlement européen par le général Morillon, qui, comme vous le savez, ne ménage pas ses efforts pour faire avancer ce débat et convaincre nos partenaires.
    Je tiens d'ailleurs à signaler à notre assemblée que l'UDF est, à ma connaissance, l'un des seuls partis français à avoir mené, par la voix de ses élus nationaux et européens, une campagne active et déterminée en faveur de l'A400 M auprès de nos collègues parlementaires allemands. Moi-même, en tant que membre titulaire de la délégation française à l'assemblée parlementaire de l'OTAN, lors de sa dernière réunion, à Istanbul, j'ai rencontré des députés allemands et abordé avec eux ce sujet. A travers nos commissions, notre assemblée, nos groupes et nos partis politiques, nous devons tous, sans exception, jouer le rôle de VRP, pour promouvoir ces programmes qui conditionnent notre avenir de grande nation autonome et celui de nos savoir-faire industriels. A la veille de la célébration en grande pompe, à Versailles, avec nos amis allemands, du quarantième anniversaire du traité de l'Elysée, allons-nous nous couvrir de ridicule en préférant louer des C17 américains plutôt que de participer à un programme commun dynamique pour notre économie ? L'avenir de notre défense se joue avec notre capacité à sortir des débats franco-français et à nous mobiliser dans cette mission au-delà de nos frontières.
    Pour être tout à fait complet sur le sujet de la défense européenne, il faut aussi évoquer la place de la France dans l'OTAN et celle de l'OTAN dans l'Europe. Selon le groupe UDF, construire l'Europe de la défense est la seule manière de réformer l'OTAN.
    La position actuelle de la France dans les instances de l'OTAN est intenable. Malgré une contribution substantielle, notre position dans la chaîne de commandement est sans rapport avec le poids et les capacités militaires de notre pays. L'absence de la France dans les instances de décision fut particulièrement préjudiciable au Kosovo, où notre commandement, coupé de l'information, n'avait aucune possibilité d'insertion immédiate. Autre conséquence fâcheuse, nos ressortissants ne sont jamais éligibles aux postes importants du système. L'intérêt de notre pays et la nécessité de construire l'Europe de la défense commandent de reconsidérer notre position dans l'Alliance atlantique pour en rejoindre la structure intégrée.
    L'élargissement aux PECO et le désintérêt des Etats-Unis pour l'Europe, au profit du théâtre asiatique, rendent prévisible un recentrage de l'engagement de l'OTAN sur notre continent. En conséquence, plusieurs décisions urgentes s'imposent : réviser les tâches de Petersberg en prévoyant des conflits de plus haute intensité et en y ajoutant le contre-terrorisme ; créer un centre de commandement regroupant les représentants des états-majors des différents corps multinationaux européens ; mettre en place une agence de l'armement, je l'ai déjà dit ; favoriser le développement d'une culture de défense européenne, notamment à travers une académie militaire commune et un institut de hautes études de défense européenne.
    Vous voulez replacer la France dans la compétition européenne, notamment avec la Grande-Bretagne, mais nous courons le risque de passer pour des irresponsables si, une fois encore, les crédits ne suivent pas. Or on parle déjà d'un report de charges de l'ordre de 220 millions d'euros sur l'année prochaine, ce qui alourdirait la barque du budget 2003, en augmentation, je le rappelle, de 7,5 %. Des prévisions aux promesses, il n'y a qu'un pas, qui conduit aux effets d'annonce. La crédibilité de la France est en jeu. Comment pouvons-nous jouer un rôle pilote en Europe si les crédits que nous votons ne sont pas consommés ou autorisés ?
    Toutefois, parce que le groupe UDF se sent solidaire de vos efforts et de vos combats en faveur des armées, nous voterons la loi de programmation militaire, qui doit s'accompagner de réformes profondes.
    M. Guy Teissier, président de la commission, rapporteur. Très bien !
    M. Francis Hillmeyer. Vous avez fait naître beaucoup d'espoirs dans les armées. Les décevoir serait non seulement grave pour le moral de ceux qui se préparent à nous défendre, mais aussi totalement irresponsable au regard de la sécurité de la nation. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Sandrier.
    M. Jean-Claude Sandrier. Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, parce que le débat sur la loi de programmation militaire concerne la sécurité de nos concitoyens et de notre pays, il appelle une certaine tenue. Cela suppose que l'on laisse de côté les appréciations outrancières, lues et entendues, accusant les uns d'être les naufrageurs de la défense du pays pour mieux valoriser les autres, qui en seraient les sauveteurs. Comme si, dans cette assemblée, certains élus de la nation affaiblissaient notre sécurité et d'autres en étaient les garants.
    M. Bernard Deflesselles. Eh oui !
    M. Yves Fromion. C'est pourtant vrai !
    M. Jean-Claude Sandrier. Il se trouve que la loi de programmation militaire la mieux respectée, depuis quarante ans, fut celle exécutée de 1997 à 2002. Il se trouve aussi que la plus forte baisse du budget de la défense de ces vingt dernières années a été enregistrée entre 1993 et 1997. Il se trouve enfin que les problèmes de maintien en condition opérationnelle des matériels sont dus à la manière quelque peu précipitée avec laquelle a été mise en oeuvre la professionnalisation : il a fallu accroître les crédits du titre III, sous-évalués, au détriment du titre V ; le degré d'engagement des forces et des matériels avait été sous-estimé ; les services du matériel de l'armée de terre, qui perdaient 30 % de leurs effectifs, ont dû se réorganiser en une année sans retrouver immédiatement des compétences équivalentes.
    M. Yves Fromion. Cela n'a aucun rapport !
    M. Jean-Claude Sandrier. Je ne tire pas comme enseignement de tous ces faits que la droite serait un rassemblement de naufrageurs de la sécurité de notre pays. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Mme Muriel Marland-Militello. C'est trop aimable de votre part !
    M. Jean-Claude Sandrier. J'en conclus simplement qu'elle n'a pas de leçons à donner !
    M. Bernard Deflesselles. L'histoire a jugé !
    M. Jean-Claude Sandrier. J'en conclus que nous devons mener un débat sur le fond plutôt qu'une mesquine « guéguerre » politicienne,...
    M. Yves Fromion. Quel cynisme !
    M. Jean-Claude Sandrier. ... un débat à la hauteur des attentes, des inquiétudes, mais aussi des aspirations à la paix de nos concitoyens.
    La modestie est vraiment de mise. L'expérience montre non seulement qu'en quarante ans aucune loi de programmation n'a été respectée,...
    M. Yves Fromion. On vient de vous expliquer pourquoi !
    M. Jean-Claude Sandrier. ... mais encore que le contexte économique actuel devrait vous rendre très prudent. L'OCDE ne vient-elle pas d'estimer, pour la France, que « la situation budgétaire pourrait se dégrader encore davantage si la faiblesse conjoncturelle persiste » ?
    M. Yves Fromion. Ça vous va bien de citer l'OCDE !
    M. Bernard Carayon. Une faiblesse qui persiste, c'est celle du PCF !
    M. Jean-Claude Sandrier. Elle précise que « pour assurer la viabilité future des finances publiques, (...) d'importantes économies budgétaires devront être réalisées dans le proche avenir ». Ecoutez l'OCDE ! (Sourires.)
    M. Bernard Deflesselles. Belle référence pour un communiste !
    M. Jean-Claude Sandrier. On voit mal comment cette loi de programmation militaire qui prévoit, en euros constants, à l'horizon 2008, comparé à la moyenne annuelle des lois de finances de 1997 à 2002, une augmentation de près de 20 % du budget d'équipement passerait à travers les coupes budgétaires. Je suggère que l'on demande aux responsables de Bercy s'ils savent ce qu'est la sanctuarisation des crédits... (Murmures sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Quoi qu'il en soit, ce projet de loi de programmation militaire pose des questions de fond concernant notre sécurité. Après l'excellent exposé de mon ami Alain Bocquet, je me limiterai à quelques points qui nous paraissent essentiels.
    Première question, la France a-t-elle une stratégie et une politique de sécurité et de défense adaptées au monde d'aujourd'hui ?
    M. Guy Teissier, président de la commission, rapporteur. Oui !
    M. Jean-Claude Sandrier. Nous répondons « non ». Sans doute le projet de loi de programmation identifie-t-il assez bien les menaces que tout le monde connaît, comme le terrorisme, mais pratiquement rien n'est dit pour tenter de les expliquer. Or il n'y a pas de remède sans diagnostic. Il est ainsi fait référence à « une situation internationale durablement dégradée », à « des facteurs d'instabilité qui vont continuer à se manifester pour longtemps encore », mais sans qu'en soient indiquées les causes.
    On ne peut se contenter d'évoquer des « tensions fortes », « des Etats défaillants » ou « le développement d'activités illicites ». Ecoutons plutôt les universitaires, sociologues, économistes, psychologues, historiens, de tous pays, pas nécessairement communistes,...
    M. Bernard Deflesselles. Il n'y en a plus un seul !
    M. Jean-Claude Sandrier. ... pas même tous de gauche. Ils nous disent que le monde est malade. Un sociologue allemand, Ulrich Beck, écrit, après le 11 septembre : « Aider ceux qui sont exclus de la mondialisation n'est donc plus seulement une exigence humanitaire, mais l'intérêt le plus intime de l'Occident, la clef de sa sécurité intérieure. Pour tarir les sources auxquelles se nourrit la haine de milliards d'êtres humains, et d'où surgiront sans cesse de nouveaux Ben Laden, les risques de la mondialisation doivent être rendus prévisibles, et les libertés et les fruits de la mondialisation distribués plus équitablement. »
    Tous soulignent, comme l'historien britannique Eric Hobsbawn, la gravité de « la croissance des inégalités entre les pays, et à l'intérieur de chaque pays ». Il évoque « l'idéologie du laisser-faire total », qui « a conquis une grande partie des Etats et des institutions internationales, avec des résultats totalement funestes, à commencer par le fait d'avoir facilité des activités transnationales, y compris criminelles et terroristes ». Et il ajoute que « la liberté totale du marché et de la circulation de l'argent n'a pas permis de contrôler ce qui a pu mettre les Etats-Unis en péril ».
    Pour terminer sur ce point, je veux citer Joseph Stiglitz, prix Nobel d'économie, ancien conseiller de Bill Clinton, évoquant le prix payé par de nombreux pays pour une mondialisation guidée « par des intérêts commerciaux et financiers particuliers (...). L'environnement a été détruit (...). Les crises qui ont emporté dans leur sillage le chômage de masse ont légué des problèmes durables de dissolution sociale, de la violence urbaine aux conflits ethniques. » Et il précise, lui qui est américain : « Les Etats-Unis, bien sûr, ont été l'un des grands coupables. »
    Poser le diagnostic est la seule chance de pouvoir déterminer la politique et la stratégie adaptées. Or, à quoi assistons-nous ? A l'arrimage de l'Europe à des concepts stratégiques américains fondés sur une vision militaro-militaire de la résolution des problèmes du monde,...
    M. Michel Voisin. C'est totalement faux !
    M. Jean-Claude Sandrier. ... vision où « il s'agit d'empêcher par tous les moyens - selon l'actuel secrétaire d'Etat adjoint américain à la défense - toute puissance hostile de dominer des régions dont les ressources lui permettraient d'accéder au statut de grande puissance et de décourager les pays industriels avancés - nous devons en être - ...
    M. Michel Voisin. J'espère bien !
    M. Jean-Claude Sandrier. ... de toute tentation visant à défier notre leadership et à prévenir l'émergence future de tout concurrent global. »
    Mais on s'évertue à copier, malgré tout, la stratégie américaine.
    M. Michel Voisin. On ne copie rien !
    M. Yves Fromion. C'est vous qui vouliez la stratégie soviétique !
    M. le président. Monsieur Fromion...
    M. Jean-Claude Sandrier. Il y a aujourd'hui des urgences en matière de sécurité, c'est vrai, mais il y a également à imaginer une nouvelle politique de sécurité et une nouvelle politique de défense sur la base de quelques grands axes.
    Il convient, en priorité, d'agir à la hauteur nécessaire sur les déséquilibres du monde, et d'abord sur les inégalités qui se creusent, ainsi que sur des stratégies faussement intitulées « aides économiques », et qui se sont traduites pour bien des gens par la pauvreté et pour bien des pays par le chaos social et politique.
    Le développement et la coopération sont les seules solutions possibles à moyen terme pour sécuriser notre planète. Cela ouvre pour notre pays et l'Union européenne une formidable fenêtre pour un positionnement politique différent, qui peut être compris et soutenu par la grande majorité des Etats.
    En fonction de cette nouvelle pratique et des nécessités et menaces actuelles, une réorientation des missions de nos armées doit s'opérer autour de trois grands axes.
    D'abord, ce qui devient ou redevient prioritaire, c'est la protection des populations avec, en premier lieu, la sécurité du territoire national et européen.
    Ensuite, il convient de relancer l'action humanitaire et de paix, sous deux conditions sans lesquelles ces interventions pourraient être détournées de leur objectif en prenant le prétexte de la défense des valeurs de liberté, de solidarité et de justice pour défendre en fait des intérêts financiers et économiques particuliers, voire privés. Ces conditions sont, d'une part, la définition de critères internationaux justifiant une intervention et, d'autre part, la nécessité d'assurer à toute intervention une légitimité internationale qui ne peut être que celle d'une ONU rénovée et démocratisée.
    Enfin, la troisième grande mission est l'intervention en matière de sécurité civile lors de grandes catastrophes naturelles en France, en Europe et dans le monde.
    Aujourd'hui, notre défense repose sur deux piliers essentiels : une dissuasion nucléaire qui représente plus de 20 % des dépenses, mais qui est inadaptée aux menaces nouvelles et aux missions évoquées à l'instant, et une projection transcrite d'une vision américaine faite de fébrilité militariste et plus tournée vers une politique de puissance que vers de vrais actes de paix comme l'interposition entre Israéliens et Palestiniens.
    M. Michel Voisin. Cela s'appelle de l'interventionnisme !
    M. Jean-Claude Sandrier. Sans augmentation budgétaire, mais grâce à une redistribution interne amenant le nucléaire « en veille » et réorientant la projection vers un but strictement humanitaire, il serait possible de satisfaire aux nouvelles missions définies à l'instant.
    Cela suppose de renforcer la protection des approches aériennes et maritimes de la France et de l'Union Européennes ;
    M. Yves Fromion. On ne vous a pas attendus !
    M. Jean-Claude Sandrier. De donner des moyens plus substantiels à l'information et au renseignement humain et par satellite ;
    De créer un service civil et militaire pour la sécurité intérieure et la sécurité civile venant épauler l'armée et les pompiers, et servant de réservoir à l'une et à l'autre ;
    De transformer la force de projection française et européenne en force de prévention et d'interposition pouvant être mise à disposition de l'ONU sous réserve d'une définition internationale des critères d'intervention ;
    Enfin, mais ces quelques points ne sont pas exhaustifs, de développer une recherche duale et européenne, ce qui aurait le double avantage d'en diminuer les coûts et d'en accroître l'efficacité.
    Une autre question essentielle, madame la ministre, est celle de l'autonomie stratégique que vous revendiquez dans votre projet de loi. C'est évidemment un noble objectif auquel tous nos concitoyens peuvent souscrire, mais qu'en est-il vraiment, au-delà de l'affichage ?
    Il est d'abord assez significatif que vous ne puissiez pas évoquer notre autonomie sans ajouter immédiatement qu'elle va de pair avec « la solidarité transatlantique »...
    M. Yves Fromion. Cela vaut toujours mieux que le pacte de Varsovie !
    M. Michel Voisin. Les communistes ne peuvent plus s'en réclamer : il a disparu !
    M. Jean-Claude Sandrier. ... mais rien ne dit jusqu'où doit aller cette solidarité. Et il ne s'agit pas là d'anti-américanisme.
    M. Michel Voisin. Si : primaire !
    M. Jean-Claude Sandrier. Il y a suffisamment d'Américains qui contestent les choix actuels de leur administration pour se dire qu'il serait judicieux de fixer, pour le moins, les limites de cette solidarité. Nous aurons peut-être l'occasion d'en juger à propos de l'Irak.
    Par ailleurs, que veut dire « autonomie » quand les Etats-Unis gèrent l'OTAN à leur convenance et que leur fidèle serviteur George Robertson déclare que, désormais, c'est l'OTAN qui « coordonnera notre défense contre le terrorisme » ? Voilà un vrai scoop, et s'il a probablement été débattu de ce principe quelque part, ce n'est pas à l'Assemblée nationale.
    De même, c'est à Washington qu'a été lancée l'idée d'une force de réaction de l'OTAN - nouvelle force de projection - que l'on semble créer un peu pour montrer que l'OTAN sert toujours à quelque chose, mais surtout pour soumettre encore plus les Européens aux choix américains et contrecarrer la constitution de la force européenne, l'objectif étant de mettre cette force de réaction et l'ensemble des forces de l'OTAN en compatibilité avec les armements et les technologies des Américains.
    Sans doute le Président de la République a-t-il émis quelques réserves. C'est bien le moins que l'on puisse faire lorsqu'on assiste, selon l'expression d'un journaliste non communiste (Rires sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle),...
    M. Bernard Deflesselles. Il en reste ?...
    M. Jean-Claude Sandrier. ... à ce véritable hold-up américain sur l'OTAN ».
    La question de l'autonomie stratégique est une question clé, sauf à accepter que l'Union européenne devienne un clone des Etats-Unis. L'Europe et la politique européenne de sécurité et de défense n'ont de sens que si elles sont autonomes. Cela suppose une politique étrangère commune, ce qui n'est pas vraiment le cas. Cela suppose une autre vision du règlement des problèmes mondiaux. C'est la seule chance pour la France et l'Europe d'exister ! C'est le seul moyen de faire reconnaître par la communauté internationale que ces politiques sont respectueuses des peuples, de leurs cultures et de leurs ressources. C'est exactement l'inverse des choix américains.
    Enfin, cette autonomie déjà si fragile risque d'être engloutie si on laisse dériver l'industrie d'armement, au gré du mouvement naturel de l'économie mondialisée et financiarisée, vers la recherche du profit à tout prix, sans autre considération que la hauteur du revenu des actions. Comment développer une véritable politique industrielle française et européenne en laissant faire une loi du marché prédatrice, qui plus est dans un secteur stratégique ? Considérer l'armement comme une marchandise comme une autre est une erreur funeste.
    M. Guy Teissier, président de la commission, rapporteur. Pourquoi ?
    M. Jean-Claude Sandrier. La loi du tout-marché, le choix d'un guidage de l'économie par la seule finance débouche à une vitesse inquiétante sur une véritable transatlantisation des industries d'armement. Les Américains ont déjà pris des positions très fortes dans tous les domaines de l'industrie de défense européenne : électronique aéronautique, navale, terrestre. C'est Raytheon avec Thalès, Northrop-Grunman avec EADS, ATK avec Rheinmetall. Plusieurs entreprises américaines s'intéressent à Kraus-Maffei, General Dynamics a déjà aspiré l'espagnol Santa-Barbara, sans parler des prises de contrôle d'actionnaires à majorité américaine chez Alcatel et Lagardère, ni du rapprochement de la « navale » allemande avec les Etats-Unis.
    M. Yves Fromion. N'oubliez pas les accords que nous avons passés avec les Russes !
    M. Jean-Claude Sandrier. Dans ce domaine, comme l'a dit un spécialiste du ministère de la défense américain, les choses peuvent aller vite pour que « les alliés se branchent sur une architecture globalement américaine ».
    L'offensive récente pour tenter d'imposer d'une manière habile un avion de transport américain, le C 17, afin de couper les ailes, sans mauvais jeu de mots, à l'A 400 M, est révélatrice non seulement d'un état d'esprit, mais aussi de la poursuite d'un objectif qui consiste à soumettre l'armement à une mainmise américaine quasi complète.
    M. Bernard Deflesselles. Si vous êtes pour l'A 400 M, votez la programmation !
    M. Jean-Claude Sandrier. Quant à GIAT, que l'on a voulu lancer dans cette folle aventure il y a dix ans,...
    M. Yves Fromion. C'est vous qui l'avez fait !
    M. Guy Teissier, président de la commission, rapporteur. Quand vous étiez au gouvernement !
    M. Jean-Claude Sandrier. ... on sait ce que cela lui a coûté, alors qu'on lui reproche aujourd'hui de ne pas être compétitif, par exemple pour les munitions classiques, avec un pays en guerre permanente comme Israël, qui, de plus, se moque des résolutions de l'ONU. Et ne parlons pas des Etats-Unis, où la moitié des coûts des armes vendues à l'étranger sont payés par l'argent public !
    De plus, on vient expliquer aux salariés de GIAT que cette concurrence biaisée compromet la viabilité des sites de production correspondants. Mais quelle est cette loi sauvage qui invoque une compétitivité truquée aboutissant, sans que personne s'en émeuve, à une perte de compétences en France et en Europe, uniquement parce qu'un marché faussé en a ainsi décidé ? Avouez que si cette loi du marché pure et dure doit mener à des abandons politiques, économiques et stratégiques, coûter des emplois et provoquer des gaspillages de compétences, nous avons le droit et le devoir d'y réfléchir à deux fois.
    Non, madame la ministre, en matière de fabrication d'armements, ce n'est pas la logique industrielle qui prévaut, et encore moins une logique de préservation de nos compétences et d'indépendance, c'est une logique purement financière.
    M. Bernard Deflesselles. Et alors ?
    M. Jean-Claude Sandrier. GIAT doit être partie prenante d'un véritable pôle public de l'armement en France, ouvert aux coopérations européennes. Un groupe de travail interministériel devrait se réunir avec l'objectif de favoriser la diversification de ses activités.
    M. Yves Fromion. Qu'avez-vous fait pendant cinq ans ?
    M. Jean-Claude Sandrier. La DCN, à laquelle on s'apprête à faire subir le même sort qu'à GIAT, et qui n'est pas assurée d'obtenir les charges de travail auxquelles elle peut prétendre, doit être également intégrée à ce pôle public de l'armement.
    M. Bernard Deflesselles. Que faut-il faire ? Fabriquer des armes ou pas ? On aimerait savoir !
    M. Charles Cova. C'est un discours incohérent !
    M. Jean-Claude Sandrier. Par ailleurs, l'exemple de MBDA - avec l'abandon du Trigan et donc de la compétence anti-char en France et en Europe - est significatif du fait que ce ne sont plus des logiques industrielles et stratégiques qui commandent. Bourges a ainsi perdu 300 emplois.
    M. Yves Fromion. L'abandon du Trigan, c'est encore vous !
    M. Jean-Claude Sandrier. Sortir l'armement de la marchandisation, c'est la seule façon de préserver des emplois, des savoir-faire et des compétences qui, sinon, se dilueront dans les fusions-intégrations gérées, de près ou de loin, par les entreprises américaines.
    Il faut également, si nous voulons sauver l'industrie française et européenne d'armement, examiner comment aboutir à une préférence communautaire.
    Madame la ministre, je soulignerai à nouveau, pour conclure, que votre projet de loi de programmation militaire, fondé sur des orientations vieilles de huit ans dans un monde qui a bougé en profondeur, est d'ores et déjà inadapté.
    Inadapté aux menaces actuelles.
    Inadapté plus encore aux changements des pratiques politiques et économiques qui sont indispensables à la paix du monde.
    Inadapté, surtout, car il livre notre liberté de choix en matière d'armements à la loi des marchés financiers, alors qu'il faudrait en finir avec le laxisme à leur égard.
    Voilà pourquoi nous voterons contre ce texte (« Oh ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle), tout en saluant l'abnégation et le courage de nos militaires qui, dans le cadre d'une restructuration menée à marche forcée, ont accompli de nombreuses missions extérieures et intérieures dans des conditions le plus souvent dangereuses.
    M. Bernard Deflesselles. Quel démagogue !
    M. Jean-Claude Sandrier. Ils ont droit à notre respect.
    M. Yves Fromion. C'est vrai !
    M. Charles Cova. Mais il faut leur donner les matériels dont ils ont besoin !
    M. Jean-Claude Sandrier. Nous devons penser également à leurs familles,...
    M. Guy Teissier, président de la commission, rapporteur. Récupération !
    M. Jean-Claude Sandrier. ... qui doivent souvent vivre dans l'inquiétude. Nous trouvons légitimes les demandes concernant la revalorisation des salaires et l'amélioration des conditions de vie de nos militaires et des personnels civils.
    M. Yves Fromion. Pour obtenir le peu que vous avez cédé, ils ont dû descendre dans la rue !
    M. Jean-Claude Sandrier. Nous demandons que non seulement ils puissent être entendus, mais qu'ils aient plus de moyens encore pour exprimer ces demandes.
    M. Guy Teissier, président de la commission, rapporteur. Il faut de l'argent pour les satisfaire !
    M. Jean-Claude Sandrier. Notre autonomie en matière stratégique, notre liberté d'appréciation et de choix demandent que la France et l'Europe s'orientent vers une nouvelle politique de sécurité et de défense qui corresponde aux aspirations actuelles des peuples à la paix et à la liberté.
    M. le président. La parole est à M. Yves Fromion.
    M. Yves Fromion. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le Parlement sait d'expérience combien l'examen d'une loi de programmation militaire est un exercice complexe.
    Depuis 1976 les lois de programmation ne s'expriment plus seulement en autorisations de programmes mais aussi en crédits de paiement, de sorte que le Gouvernement fait approuver par le Parlement non seulement son programme militaire, mais l'ensemble des démarches suivies pour son élaboration. Le projet de loi de programmation s'inscrit dans le cadre dessiné à la fois par le modèle d'armée 2015, conçu autour de la professionnalisation, et par l'ébauche progressive de l'Europe de la défense avec les engagements pris par la France à cet égard.
    Convenons également ensemble que, depuis dix ans, la programmation militaire se révèle un exercice particulièrement périlleux, tant les évolutions du contexte géostratégique sont rapides, soudaines ou inattendues. Michel Voisin nous a rappelé que, en 1990, notre collègue Jean-Michel Boucheron présentait ici son rapport relatif à la programmation 1990-1993, un an après que le mur de Berlin se fut effondré, à l'heure même où l'Allemagne se réunifiait dans l'enceinte du Reichstag et alors que les forces françaises se dirigeaient vers le Golfe pour y faire la guerre !
    Certaines analyses énoncées à l'époque apparaissent avec le recul bien déconcertantes. Comment en serait-il autrement ?
    On nous a rappelé aussi, il y a un instant, les vicissitudes de la loi de programmation militaire votée en 1995. Elle fut éphémère, car incompatible avec la décision prise l'année suivante par le Président de la République, Jacques Chirac, de professionnaliser nos armées. Une nouvelle loi de programmation fut donc votée en 1997, intégrant à la fois le concept de professionnalisation et l'ambition d'organiser nos forces armées autour du modèle baptisé 2015. Cette loi, dont l'exécution s'achève, aura connu les avatars déjà largement dénoncés mais, grâce à l'engagement personnel du Président de la République, la professionnalisation aura été menée convenablement à son terme.
    M. Guy Teissier, président de la commission, rapporteur. C'est vrai !
    M. Yves Fromion. En juillet 2001, le gouvernement en place fit adopter en conseil des ministres un projet de loi de programmation militaire pour la période 2003-2008, qu'il ne jugea pas opportun, pour la deuxième fois après 1992, de présenter au Parlement. On peut l'en remercier tellement le projet était insuffisant. Mais ainsi s'explique le paradoxe qui nous fait débattre aujourd'hui de la loi de programmation militaire 2003-2008 après avoir voté la loi de finances initiale pour 2003.
    Ce court rappel, qui ne saurait d'ailleurs passer sous silence l'importance des évolutions que l'Europe de la défense a connues depuis 1998, n'a d'autres ambitions que de rappeler chacun à la modestie et surtout de rendre aux personnels de nos armées, comme à ceux de nos industries de défense, l'hommage qui leur est dû pour leur capacité à dominer le contexte excessivement incertain qui leur est imposé.
    C'est tout à l'honneur du Président de la République et du gouvernement de M. Jean-Pierre Raffarin d'avoir décidé de rompre avec la fâcheuse habitude de considérer le budget de la défense nationale comme la variable d'ajustement du contexte économique. Malgré des perspectives de croissance moins bonnes que prévu, le Gouvernement a choisi de maintenir la priorité à la défense, comme il le fait par ailleurs pour la sécurité intérieure et la justice. Le projet de loi de programmation militaire qui nous est soumis est en ce sens responsable, car conforme aux intérêts supérieurs de nos concitoyens, comme vous l'avez rappelé, madame la ministre.
    En effet, s'il est vrai que le contexte économique international est maussade, l'environnement stratégique, marqué par la recrudescence du terrorisme international, la montée de fortes tensions régionales et l'intensification des risques de prolifération d'armes de destruction massive, est encore plus inquiétant. La lutte contre le terrorisme rend ainsi nécessaire de réexpertiser et d'adapter nos dispositifs de défense et de sécurité. Les Etats-Unis le font, le Canada aussi, qui a entrepris un programme quinquennal de lutte contre le terrorisme représentant 0,7 % de son PIB. La France est décidée à soutenir son effort militaire. Sa sécurité et son rang de puissance l'y conduisent.
    Destinées à répondre à cette ambition, les dispositions du projet de loi de programmation militaire suscitent, madame la ministre, une réelle satisfaction, partagée, semble-t-il, par l'ensemble des acteurs concernés, qu'il s'agisse des acteurs opérationnels ou des industriels.
    Le projet de loi répond directement à trois objectifs : moderniser et renouveler les équipements, améliorer la disponibilité des matériels et consolider la professionnalisation.
    Mais il répond aussi à d'autres enjeux majeurs : la pérennité de nos industries de défense, le soutien de la recherche-développement et, bien entendu, la construction de l'Europe de la défense.
    Notre rapporteur a très précisément décrit l'ensemble des mesures inscrites dans le projet de loi, dont la mise en oeuvre redonnera à nos forces armées l'efficacité indispensable. Je n'y reviendrai donc que pour mémoire et seulement pour souligner les points qui paraissent devoir retenir particulièrement l'attention.
    Rappelons que l'effort le plus notable porte sur l'enveloppe des titres V et VI, qui s'établira en moyenne à 14,64 milliards d'euros, déduction faite des crédits prévus pour la gendarmerie dans la loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure d'août 2002.
    La modernisation et le renouvellement des équipements concernent l'ensemble des grandes fonctions de nos forces opérationnelles.
    La dissuasion voit confirmer son rôle de pivot de notre stratégie de défense, et c'est heureux. A cet égard, nous devons nous réjouir également que le laser mégajoules soit une opération en devenir, dont l'avancement permettra à notre pays de conserver des capacités exceptionnelles puisque, à part les Américains et nous, personne ne sera capable de maîtriser les techniques de la miniaturisation.
    Le système commandement-communication-conduite des opérations-renseignements - C3R - bénéficiera du lancement des satellites d'observation et de télécommunication dont on a parlé tout à l'heure, ainsi que des commandes de drones, MALE ou MCMM. Soulignons ici l'importance cruciale du système de force C3R. Il est au coeur du fonctionnement des armées modernes, et la supériorité militaire repose aujourd'hui en grande partie sur l'efficacité des communications et du recueil de renseignements.
    Actuellement, ce système de forces connaît des évolutions technologiques fulgurantes : les informations sur le théâtre des opérations d'Afghanistan parvenaient en moins de vingt minutes au commandement central américain situé en Floride, à Tampa. La France consent depuis plusieurs années un effort significatif pour intégrer ces évolutions. Elle se met ainsi en situation de jouer le rôle de « nation cadre » - vous l'avez rappelé, madame la ministre - dans un conflit sur le théâtre européen, mais cela suppose un effort financier continu, afin de ne pas être déclassé.
    A cet égard, les programmes de drones sont essentiels. Les perspectives d'usage des drones dans les nouveaux types de conflits justifient pleinement la revalorisation des moyens qui leur sont alloués. La projection et la mobilité, la frappe dans la profondeur, la maîtrise des milieux aéroterrestres, aéromaritimes et aérospatiales bénéficient d'une modernisation et d'un apport capacitaire considérables grâce aux équipements dont la liste nous a été rappelée tout à l'heure - je n'y reviendrai pas.
    Le second objectif de la loi concerne la préparation et le maintien en condition opérationnelle de nos forces qui font l'objet d'une attention toute particulière.
    La commission de la défense a récemment mis en évidence, à travers deux rapports d'information particulièrement illustratifs, les carences criantes dont souffre notre dispositif militaire en matière de MCO - eh oui, monsieur Sandrier ! - Pour y pourvoir la loi de programmation militaire 2003 consacre un effort très significatif permettant de porter à 2,4 milliards d'euros l'annuité consacrée à l'entretien des équipements.
    Il faut insister sur cette mesure, que vous avez eu raison de faire prévaloir sur d'autres choix, madame la ministre, car nul ne peut contester que le « mal-être », exprimé ouvertement par nos militaires, il y a quelques mois, était avant tout une réaction de soldats professionnels privés des moyens d'exercer convenablement leur métier, et confrontés à la perspective de ne pouvoir remplir les missions que leur confie la République.
    M. Jean-Louis Idiart. Il n'y a pas que des moyens, il y a aussi des hommes !
    M. Yves Fromion. C'est pourquoi il était indispensable de réagir énergiquement, tout en fixant des objectifs chiffrés d'entraînement de nos forces, en cohérence avec le redressement de la disponibilité des matériels.
    M. Jean-Louis Idiart. A-t-on protesté ? Qu'insinuez-vous ?
    M. Yves Fromion. Non, vous n'avez pas protesté contre cette mesure. Mais vous avez été à l'origine de nos déboires. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. Jean-Louis Idiart. Ce propos est honteux !
    M. le président. Un peu de calme, mes chers collègues !
    M. Yves Fromion. La consolidation de la professionnalisation est le troisième objectif de la loi. Chacun en comprend l'intérêt prioritaire. Elle s'appuiera sur un fonds doté de 573 millions d'euros. Des mesures substantielles d'amélioration de la condition militaire figurent également dans le projet de loi ainsi qu'un accroissement des crédits de vie courante des unités, notamment en matière de logement pour les gendarmes.
    M. Bernard Deflesselles. Très bien !
    M. Yves Fromion. Le volet qui touche à la situation de nos personnels concourra à fidéliser et à recruter les effectifs nécessaires en quantité et en qualité à notre armée professionnalisée.
    Nos forces de réserves, dont les effectifs seront portés à 80 000 emplois en fin de loi de programmation, bénéficieront d'une enveloppe nouvelle de 86 millions d'euros destinée à favoriser l'attractivité du service dans la réserve. C'est une disposition heureuse car notre armée professionnelle ne trouvera sa pleine efficacité qu'avec le concours d'une réserve réellement opérationnelle - n'est-ce pas monsieur le président de la commission ?
    Mais qu'il me soit permis en ce domaine de n'exprimer qu'une satisfaction mitigée. Chacun sait que la sécurité du territoire national face à des menaces terroristes de grande ampleur, s'inscrivant dans le temps, est insuffisamment organisée, en dépit des investissements en faveur de la gendarmerie figurant dans la loi de programmation pour un montant supérieur à 3 milliards d'euros.
    Madame la ministre, l'Assemblée nationale souhaiterait que vous vous engagiez à remettre sur le métier la loi sur les réserves dont on mesure la relative inadéquation aux besoins de nos armées et de notre sécurité.
    Je souhaiterais par ailleurs faire part d'une deuxième inquiétude. Malgré l'effort budgétaire consenti dans le présent projet de loi de programmation, on ne peut sous-estimer les difficultés qui subsistent pour atteindre dans le temps imparti le modèle d'armée 2015. Le retard accumulé lors de la précédente loi de programmation va induire pour nos armées des tensions fortes et dans plusieurs domaines des affaiblissements capacitaires préoccupants ou, le cas échéant, des exercices coûteux pour les éviter.
    C'est ainsi que l'aviation légère de l'armée de terre va se trouver dans l'obligation de faire rénover soixante-neuf hélicoptères de transport Puma et Cougar, dans l'attente de l'arrivée de leur remplaçant, le NH 90 à partir de 2011. Le coût de cette rénovation équivaudra à celui de quinze NH 90 neufs.
    Le programme du véhicule blindé de combat d'infanterie a pris un retard préjudiciable. L'engin AMX 10 P, auquel il devait succéder, devra être partiellement rénové dans l'attente de la sortie du nouveau matériel. Or le coût de cette remise à niveau, qui peut être important, n'a pas été prévu par le projet de loi de programmation, ce qui jette un doute sur le programme VBCI. Sera-t-il amputé comme celui du NH 90 afin de permettre la rénovation de matériels anciens ?
    Le retard pris par l'avion A400M déjà évoqué va impliquer le recours à la location d'appareils en substitution de nos propres avions en fin de service. Comment sera assuré le financement ?
    Notre assemblée apprécierait, madame le ministre, de connaître vos réponses.
    Ainsi que je l'indiquais au début de mon intervention, le projet de loi de programmation militaire doit également être examiné au regard de sa contribution aux enjeux essentiels que sont la pérennité de nos industries de défense, le soutien à la recherche-développement et, enfin, à la construction de l'Europe de la défense.
    Nos industries de défense sont un atout. Elles représentent environ le quart de l'industrie européenne de défense. Avec 80 000 salariés, elles se situent à environ 4 % de l'emploi industriel français direct. Leur chiffre d'affaires s'établit autour de 13 milliards d'euros dont près du quart réalisé à l'exportation.
    Emplois, exportation, développement économique de nos territoires, l'industrie d'armement est donc bien plus que le fournisseur de nos armées et le garant de notre sécurité nationale. L'impasse d'environ 9 milliards d'euros consentie sur le titre V de la loi de programmation militaire 1997-2002 s'analyse donc, mes chers collègues de l'opposition, comme un mauvais coup porté à l'économie et à l'emploi.
    C'est pourquoi les dotations figurant dans le projet de loi que vous nous soumettez, madame la ministre, constituent un puissant soutien à l'emploi et à nos industries en les mettant en meilleure posture pour résister à la pression considérable de la concurrence internationale, notamment américaine.
    Sans doute de réelles préoccupations subsistent-elles : les difficultés de nos industries spatiales touchées par la crise mondiale des télécommunications, l'avenir de DCN lancée dans l'océan de la compétition mondiale, l'incontournable nécessité de faire évoluer GIAT Industries pour lui permettre de demeurer un pôle essentiel de notre industrie d'armement terrestre. Mais ce qui importe par-dessus tout c'est que les engagements contenus dans cette loi de programmation, véritable référentiel pluriannuel pour les industriels, ne soient pas remis en cause par des procédures budgétaires erratiques et des gels de crédits inconsidérés.
    A cet égard, madame la ministre, permettez-moi d'insister sur l'intérêt que le groupe UMP porte à la mise en place du suivi des procédures budgétaires. Il souhaite notamment qu'il soit accompagné d'un suivi tout aussi régulier de l'état capacitaire de nos forces armées. Le Parlement étant l'âme du lien armées-nation, c'est bien le moins qu'il manifeste aux armées l'attention qu'elles méritent.
    Mais la question de la traduction budgétaire de la loi de programmation renvoie également aux exigences du plan de stabilité auquel les pays de la zone euro ont adhéré. Comment ne pas voir que le plan de stabilité est « destructeur » pour l'Europe de la défense quand on considère l'importance des investissements à consentir pour édifier un outil de défense crédible ? L'épisode de l'A 400 M est illustratif. Ne faut-il pas envisager que les dépenses engagées pour des programmes clairement identifiés comme relevant de la défense européenne soient « externalisées » des critères de stabilité monétaire ? Peut-on admettre que le plan de stabilité soit un garrot privant l'Europe du pouvoir de se doter d'une réelle capacité à peser sur sa propre sécurité ? Nous aimerions, madame la ministre, connaître votre opinion sur ce sujet.
    Pour conclure mon propos, je voudrais souligner avec force combien cette loi de programmation a déjà et aura dans le futur un impact déterminant sur l'Europe de la défense. La rencontre de Saint-Malo en 1998 avait marqué une incontestable avancée dans le processus d'édification d'une vraie politique de la défense européenne. Mais, depuis, les choses avaient l'air de s'enliser.
    Atermoiements sur les programmes A 400 M ou Météor, incapacité des Européens à s'entendre pour assurer la relève de l'OTAN en Macédoine, débandade de la solidarité européenne au bénéfice du programme aéronautique JSF - F 35 américain, résignation devant la pénétration de notre marché par l'industrie américaine, décroissance inconsidérée des budgets de défense, dont le nôtre : la démobilisation semblait s'être emparée des Européens sur les questions de défense. L'annonce de la création par l'OTAN, sur initiative américaine, d'une force de réaction rapide de 20 000 hommes, directement concurrente du dispositif de 60 000 hommes décidé par les Européens, est apparue à beaucoup comme une sorte de coup de grâce porté aux ambitions européennes.
    Mais voici que le 21 novembre dernier à Prague, à l'occasion du sommet de l'OTAN, le Président de la République, Jacques Chirac, et le Chancelier Schröder ont, par une initiative surprenante et audacieuse, retourné le cours des choses et redonné une véritable dynamique au concept de défense européenne.
    Sans doute la France se rallie-t-elle à l'initiative prise par l'OTAN, mais elle y met les conditions. Je cite le Président de la République :
    « Cette force devra être développée selon des modalités compatibles avec les engagements que certains d'entre nous ont pris dans le cadre de l'Union européenne. Les éléments constitutifs de cette force devront notamment pouvoir être mis à la disposition de l'une ou l'autre organisation sans droit de premier emploi. » Et le Président de la République de rajouter : « Comme vous le savez, la France va adopter une loi de programmation militaire ambitieuse pour améliorer sensiblement ses capacités nationales sur la période 2003-2008. Elle apportera ainsi une contribution plus efficace à la politique de sécurité et de défense de l'Union européenne, ainsi qu'à l'OTAN. »
    Voilà, chers collègues, comment la loi dont nous débattons pèse déjà sur l'avenir de l'Europe de la défense. Je pense d'ailleurs que Mme la ministre nous précisera - c'est en tout cas notre souhait - le contenu des propositions qu'à Prague, en marge du sommet de l'OTAN, le Président français et le Chancelier allemand ont avancées ensemble pour impulser une nouvelle dynamique à la construction de la défense européenne.
    Mes chers collègues, nous sommes porteurs d'une grande ambition. Comme toujours la France sera au rendez-vous de l'histoire européenne. Il serait bon que nous y soyons tous. La majorité parlementaire, soyez-en assurée, madame la ministre, ne ratera pas ce rendez-vous. Consciente des enjeux qui sont en cause avec la loi de programmation militaire que vous nous soumettez, elle vous apportera par son vote un soutien responsable et enthousiaste. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)

    M. le président. L'Assemblée aura remarqué le rythme soutenu et l'élocution particulièrement rapide de M. Fromion qui a respecté scrupuleusement, à la quasi-seconde près, son temps de parole. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Yves Fromion. Prenez note, monsieur Sandrier ! (Sourires.)
    M. le président. Et que nul ne voie dans mon propos une quelconque prise de position partisane !
    M. Yves Fromion. M. le président prend les modèles où il les trouve ! (Sourires.)
    M. François Rochebloine. Un peu de modestie, monsieur Fromion ! (Sourires.)
    M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Boucheron.
    M. Jean-Michel Boucheron. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, à l'heure où nous débattons d'une loi de programmation militaire ne portant que sur les équipements, il me paraît naturel de rendre un hommage que je sais unanime dans cet hémicycle aux personnels qui servent notre défense.
    M. François Rochebloine. Très bien !
    M. Jean-Michel Boucheron. Il faut saluer cette exceptionnelle capacité d'adaptation, signe d'un sens profond du service de l'Etat et de la nation. Tout a changé : professionnalisation, fermeture de bases, réorganisation, réduction de format, bouleversement stratégique, révolutions technologiques, missions complexes en opérations extérieures et attente de nouveaux programmes. Nous sommes au coeur du sujet.
    Cette loi de programmation militaire souffre de nombreux déficits, et tout d'abord d'un lourd déficit de financement. Ce n'est pas la première fois dans cet hémicycle qu'on nous annonce une loi de programmation militaire dont le respect scrupuleux serait garanti par un volontarisme politique sans faille des plus hautes autorités gouvernementales et de l'Etat.
    Certes, nous ne sommes pas fatalistes par nature, mais nous avons tout vu. La loi Bérégovoy-Joxe, tenue les deux premières années, qui décroche brutalement à partir de 1994.
    M. Michel Voisin. Une loi non discutée et non tenue !
    M. Jean-Michel Boucheron. La loi Balladur-Léotard, elle, fut en apesanteur totale : un premier budget d'application fut réalisé à 25 % au dessous de la première annuité de la loi pour plonger à moins 30 % au dessous, à la fin de la deuxième annuité. A l'heure qu'il est, c'est le record...
    M. Michel Voisin. Et la loi Jospin-Richard ?
    M. Jean-Michel Boucheron. La loi Juppé-Millon fut réalisée à moins 10 % dès la première année et toutes les suivantes. Qu'en sera-t-il de la programmation Raffarin-Alliot-Marie ?
    M. Michel Voisin. Pourquoi ne dites-vous rien de la loi Jospin-Richard ?
    M. Jean-Michel Boucheron. Sachant, madame la ministre, qu'il convient de mesurer tout cela en crédits, réellement dépensés et non pas en loi de finances initiale, votre loi de programmation est-elle sincère financièrement ? Force est de constater que la surestimation de la croissance et la surestimation des recettes fiscales amènent les observateurs les plus sérieux à se demander comment vous allez pouvoir faire.
    Si les interrogations à long terme sont majeures, elles le sont tout autant à court terme. Et quand je dis à court terme, c'est dans les semaines qui viennent.
    M. Guy Teissier, président de la commission, rapporteur. Ce n'est pas vrai !
    M. Jean-Michel Boucheron. D'abord, constatons dans le collectif budgétaire que la moitié des 700 millions gelés en août ont été annulés : 321 millions exactement.
    De plus, un plan de régulation est annoncé en janvier. Nous allons pouvoir vérifier la sincérité du Gouvernement et la détermination du Président de la République, en recevant une réponse à cette question essentielle : la défense sera-t-elle sanctuarisée ? Sinon, il faudra comprendre que, deux mois après le vote de la loi de programmation, les dérapages habituels commencent, ce qui confirmera les craintes d'une simple loi d'affichage.
    M. Michel Voisin. Il est vrai que vous en avez l'habitude !
    M. Jean-Michel Boucheron. Nous comparerons aussi la régulation 2003 avec le projet de finances pour 2003 et surtout avec les crédits reportés en 2002 : ces 366 millions d'euros en titre V seront-ils annulés ? Le monde de la défense, nos partenaires étrangers ne manqueront pas, comme nous, de mesurer à ce moment ce que veulent dire les mots sincérité et détermination.
    M. François Rochebloine. C'est un procès d'intention !
    M. Jean-Michel Boucheron. En fait, tout cela est entre les mains du Président de la République.
    M. Michel Voisin. Il est le chef des armées !
    M. Jean-Michel Boucheron. Cette loi de programmation souffre par ailleurs d'un important déficit de volonté européenne. En effet, force est de constater que les budgets de la défense des pays européens ne sont plus strictement indépendants les uns des autres. Ce serait une bonne chose s'il existait une dynamique, une synergie entre ces différents budgets, mais les efforts de défense sont peu coordonnés.
    Chacun a ses priorités : elles ne sont pas les mêmes d'un pays à l'autre. Les très nombreux programmes en coopération avancent donc à la vitesse imposée par le pays le moins motivé.
    M. Gilbert Le Bris. Exactement !
    M. Jean-Michel Boucheron. Le manque de cohérence est évident : une loi de programmation militaire européenne est une impérieuse nécessité. Mais je sais que nous en sommes loin.
    Ce constat s'aggrave encore si l'on considère, en dehors du trio France - Allemagne - Grande-Bretagne, que de nombreux pays réalisent des efforts de défense inférieurs à 1 % du PIB, ce qui ne les empêche pas d'investir dans la recherche et le développement du JSF américain, dont ils ne verront pas le moindre résultat avant dix ou quinze ans.
    Constatons de plus que l'Europe de la défense traverse une passe difficile pour au moins deux raisons majeures.
    Tout d'abord, la conjoncture financière et de politique intérieure allemande fait qu'aux difficultés budgétaires s'ajoute une grande absence de priorités dans le domaine des équipements de défense. Cette pénurie financière fait peser une menace sur deux programmes majeurs, l'A 400 M et le Météor. Nous devons donc constater que l'Europe est aujourd'hui incapable d'initier ces programmes en prenant le relais d'un Etat défaillant.
    M. Michel Voisin. Ça vient !
    M. Jean-Michel Boucheron. Par ailleurs, le risque d'intervention américaine préventive en Irak a mis en évidence la très grande différence d'appréciation de politique étrangère entre la Grande-Bretagne et les Européens du continent.
    M. Michel Voisin. C'est dommage !
    M. Jean-Michel Boucheron. Et cette situation se dégrade car la politique de double track de Tony Blair rencontre ses limites quand l'Europe et les Etats-Unis divergent.
    De Saint-Malo à Bagdad, le cheminement de la logique britannique est pour le moins variable et a, en tout cas, mis en évidence qu'en cas de crise majeure la vieille prédiction de Churchill, affirmant sa préférence pour l'Atlantique à la Manche, reste d'actualité.
    Ces deux grandes difficultés ne doivent cependant pas empêcher de chercher, dans le plus grand nombre de domaines, à coordonner nos efforts, à mutualiser nos moyens.
    Le processus de l'ECAP - European Capability Action Plan - ne risque-t-il pas de s'enliser si les acteurs ne font pas preuve d'une réelle volonté politique pour aboutir à des objectifs ambitieux ? Il manque à ce stade un instrument institutionnel. La solution pourrait peut-être venir de la Convention européenne, mais quelle est la position française à ce sujet ?
    Dans quel sens voulons-nous réformer les institutions de la PESD ? Sommes-nous prêt à mettre en place des financements communautaires pour la coopération en matière d'armement dans le cadre de coopérations renforcées ? La réforme des institutions européennes et l'élargissement de l'Union ne peuvent pas ne pas avoir de conséquence sur la loi de programmation militaire.
    Pourquoi ne pas mutualiser de nombreuses capacités que ce soit en termes d'affrètement - A 400 M, NH 90 - ou en matière de recueil de renseignements, par exemple pour les drones ? La coordination de nos services de renseignement devra être de plus en plus étroite. Pourquoi ne pas mutualiser les senseurs, qu'ils soient spatiaux, aéronautiques ou terrestres.
    La question fondamentale qui reste posée est finalement de savoir si l'on veut ou non d'une Europe puissante, capable d'évaluer elle-même toutes les formes de crises et de gérer des conflits sur son sol ou à l'immédiate périphérie. Face aux 355 milliards de dollars du budget des Etats-Unis, de son taux de croissance de 14 %, dont l'augmentation cette année est largement supérieure au budget de la défense française, il ne s'agit ni de rêver de concurrencer la puissance américaine, ni de souhaiter une contre-puissance. Devons-nous pour autant nous contenter strictement des missions de Petersberg ?
    La capacité de déployer 60 000 hommes pendant un an à partir de 2003 est une initiative fondamentale mais l'Europe pour être elle-même doit aussi se doter de capacités de renseignement, de systèmes d'information et de commandement, de transport à longue distance, de ravitailleurs en vol.
    M. Michel Voisin. Ça viendra !
    M. Jean-Michel Boucheron. A cela, il faut ajouter l'immense défi que représente le gap technologique qui se creuse de manière spectaculaire entre l'Europe et les Etats-Unis s'agissant d'un grand nombre de technologies émergentes. Or nous devons comprendre qu'elles ont des conséquences tout à fait considérables en matière civile et donc commerciale.
    Madame la ministre, chacun sent bien en égrenant la liste des programmes majeurs et leur date de livraison qu'il y a en fait une confrontation dans cette loi de programmation militaire entre le nouveau monde et l'ancien.
    M. Yves Fromion. Allons !
    M. Jean-Michel Boucheron. Il y a donc un déficit de réactivité. Les nouveaux programmes émergent timidement ceux issus de la guerre froide sont toujours là, massifs, coûteux, comme à la recherche nostalgique de l'adversaire disparu.
    Une des caractéristiques de cette loi de programmation est l'énorme pesanteur des choix qui ont été faits il y a bien longtemps et qui ne trouvent leur concrétisation qu'aujourd'hui. Pourtant, l'univers stratégique a totalement changé.
    M. Michel Voisin. Un programme dure trente ans !
    M. Jean-Michel Boucheron. Le délai de six mois entre les deux lois permettait d'affiner les objectifs. Le modèle d'armée 2015, qui privilégie les plates-formes au détriment des équipements, des armes embarquées et surtout des systèmes de cohérence, pose un véritable problème. A quoi serviront les frégates multimissions si elles n'ont pas le missile qu'elles doivent embarquer ? A quoi serviront les drones s'ils ne sont pas intégrés dans un réseau dense de communications aéroterrestres ?
    M. Yves Fromion. C'est une manoeuvre de démoralisation du Parlement et de l'armée !
    M. Jean-Michel Boucheron. Mais il y a aussi, et surtout un déficit d'adaptation aux défis du futur. Le 11 septembre ne constitue pas une rupture, mais il est le symbole d'un bouleversement stratégique global, marqué par toute une série d'événements majeurs : l'unilatéralisme américain, qui refuse les traités de désarmement multilatéraux ; l'affaiblissement du système de sécurité collective de l'ONU et celui de l'OTAN ; l'aggravation de la crise au Proche-Orient, où deux peuples sont entrés dans une spirale de destruction mutuelle sous les yeux d'une communauté internationale impuissante ;...
    M. Michel Voisin. Mais que proposez-vous ?
    M. Charles Cova. C'est de la critique systématique !
    M. Yves Fromion. Il ne reste plus qu'à aller à Lourdes !
    M. Jean-Michel Boucheron. ... l'alignement des Britanniques sur les Américains qui interdit toute politique cohérente de l'Union européenne ; le développement d'un terrorisme international indépendant des Etats et dépourvu de revendications en termes de souveraineté territoriale ; la crainte de la prolifération des armes de destruction massive, qu'elles soient chimiques ou bactériologiques, dont on connaît assez mal les effets.
    M. Yves Fromion. Il reste toujours les médailles et les cierges !
    M. Jean-Michel Boucheron. Comment se prémunir contre une conjoncture inquiétante, affectée par de tels bouleversements ? Qui, aujourd'hui, mesure vraiment les conséquences d'une guerre en Irak ? Comment la communauté internationale peut-elle faire admettre à l'administration américaine que la lutte contre le terrorisme, si elle passe par des actions militaires, doit avant tout s'exercer sur le terrain politique ?
    M. Jean-Claude Sandrier. Très bien !
    M. Jean-Michel Boucheron. L'Irak est-il vraiment le problème numéro un ? Peut-on tolérer le moindre risque d'affaiblissement du rôle de l'ONU, seule instance permanente de dialogue ?
    M. Yves Fromion et M. Michel Voisin. Vous répétez ce qu'a dit le Président de la République !
    M. Jean-Michel Boucheron. L'Europe existera-t-elle si elle s'élargit sans approfondir sa cohérence ? Cette loi de programmation militaire risque donc de se trouver, dans très peu de temps, en complet décalage avec une situation internationale totalement nouvelle, qui évolue très rapidement.
    M. Michel Voisin. C'est difficile à dire !
    M. Jean-Michel Boucheron. Comment, à cet instant, ne pas poser quelques questions de fond ? Quelle est aujourd'hui la signification de la dissuasion nucléaire face à la menace terroriste ? Les Etats-Unis, tout le monde le sait, ont abandonné la dissuasion, ainsi que l'objectif de lutte contre la prolifération qu'ils étaient censés poursuivre, et sont entrés dans une logique de banalisation de l'arme nucléaire par la miniaturisation. Miniaturisation de l'arme, frappes préventives : l'association des deux mouvements nous entraîne dans un monde où il n'y a plus ni tabous ni lois, ni équilibre stratégique. L'emploi en premier d'armes nucléaires de faible puissance révolutionnerait totalement tous les dogmes qui ont fondé l'équilibre, donc la paix, de la seconde moitié du siècle. Les énormes financements dont vous dotez notre outil de simulation nucléaire préparent-ils un changement de doctrine ? Dans l'affirmative, madame la ministre, un grand débat est nécessaire, à tout le moins, pour préserver le consensus.
    M. Guy Teissier, président de la commission, rapporteur. Le projet de loi ne fait que reprendre les engagements du Président de la République.
    M. Jean-Michel Boucheron. Clausewitz est peut-être mort. En effet, les guerres des siècles précédents étaient caractérisées par la territorialité des conflits. L'invincibilité des armes classiques détenues par l'Occident a suscité, chez les plus faibles, d'autres moyens pour s'opposer à cette puissance. Le terrorisme international efface les notions de guerre, de frontières, de victoire, d'armistice, de traité de paix.
    Les armes changent de nature, les acteurs aussi. Il nous faut maintenant tout savoir et être capables de frapper les centres de pouvoir avec l'extrême précision qu'impose la protection des populations civiles.
    M. Michel Voisin. C'est le but de la loi de programmation !
    M. Jean-Michel Boucheron. Alors, chacun s'interroge : à quoi servent les chars, les sous-marins, les missiles air-air ultraperformants, les plates-formes balistiques à très longue portée ?
    M. Bernard Deflesselles. Prenons des arbalètes !
    M. Jean-Michel Boucheron. Le débat mérite d'être lancé ! Nous vivons un tournant de l'histoire, et la loi de programmation militaire énumère des matériels dont il aurait été nécessaire de disposer lors de la période précédente.
    M. Guy Teissier, président de la commission, rapporteur. C'est vous qui étiez au pouvoir !
    M. Jean-Michel Boucheron. Il est indéniable que la politique américaine bouleverse toutes les données stratégiques.
    M. Michel Voisin. Il est des virages qu'on a oublié de prendre.
    M. Jean-Michel Boucheron. Au-delà des nombreuses interrogations de fond suscitées par les Etats-Unis - unilatéralisme, attaques préventives, fin des alliances, rupture du tabou nucléaire -, une question est essentielle, celle de savoir qui a le droit de dire où est le bien et où est le mal. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.) Pourquoi les critères américains s'imposeraient-ils à toutes les cultures de la planète ? L'Occident est-il un modèle qui doit s'imposer par la puissance économique et la bonne conscience ? Certes, il y a les droits de l'homme, une forme de liberté, une relative recherche d'égalité. Mais combien de déviances de la logique du marché, qui réduit déjà l'homme, la femme, l'enfant au rôle de clients, pour les transformer parfois en marchandises ?
    M. Yves Fromion. Sandrier est battu !
    M. Jean-Claude Sandrier. C'est contagieux, tant mieux !
    M. Jean-Michel Boucheron. Acceptons-nous qu'un grand nombre adhère à d'autres critères de développement que ceux de l'Occident ? Les foules musulmanes n'approuvent en rien le projet de société des Wahabbites et l'indifférence du peuple pakistanais à la chute des Talibans est pleine d'enseignements. Il n'en reste pas moins qu'Al-Qaida rend malheureusement une fierté à des peuples qui se sentent opprimés économiquement, bafoués culturellement, ridiculisés par une justice internationale à deux vitesses.
    Si la lutte contre le terrorisme nécessite des moyens militaires, celle contre la popularité du terrorisme requiert simplement des puissants qu'ils apprennent la fraternité et la solidarité, qu'ils se comportent en citoyens du monde. Tel pourrait être le message d'une Europe refusant les logiques hégémoniques.
    La course à l'« unipuissance » lancée par Georges W. Bush est pathétique de simplisme et politiquement sans avenir. Ainsi que je le disais à l'instant, la lutte contre le terrorisme requiert donc des moyens militaires, ...
    M. Yves Fromion. Ah !
    M. Jean-Michel Boucheron. ... mais lesquels ?
    M. Michel Voisin. Ceux prévus dans la loi de programmation !
    M. Jean-Michel Boucheron. La loi de programmation militaire répond beaucoup trop partiellement à cette question. Qu'en est-il de la priorité donnée aux moyens de communication et de commandement ? Des énormes défis en recherche et développement qu'il nous faut relever ?...
    M. Yves Fromion. C'est fait !
    M. Jean-Michel Boucheron. Des capacités de frappe de précision dans la profondeur dont nous devons nous doter rapidement ? ...
    M. Yves Fromion. On le fait !
    M. Jean-Michel Boucheron. ... Des nouvelles capacités de protection contre le chimique et le biologique qu'il convient de déployer ? ...
    M. Yves Fromion. On le fait aussi !
    M. Jean-Michel Boucheron. De l'intégration des moyens militaires, de ceux de la sécurité civile et de la défense opérationnelle du territoire qu'il faut réaliser ?
    M. Yves Fromion. On l'améliore !
    M. Jean-Michel Boucheron. De la nécessité de donner à l'Europe une capacité stratégique capable d'assurer sa sécurité et sa présence politique ? ...
    M. Yves Fromion. C'est en train de se faire !
    M. Jean-Michel Boucheron. Bien au-delà des incertitudes financières, de la maigre motivation européenne et des énormes inerties technologiques et organisationnelles, c'est surtout l'absence de réponse à ces dernières questions qui ne nous permet pas, madame la ministre, d'approuver votre loi de programmation militaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Charles Cova. Ce n'est pas possible ! Ce n'est pas Boucheron !
    M. Michel Voisin. C'est vrai ! C'est une surprise ! Ils nous l'ont changé !
    M. Yves Fromion. Rendez-vous Jean-Michel ! (Sourires.)
    M. le président. La parole est à M. Gérard Charasse.
    M. Gérard Charasse. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le 11 septembre dernier, le porte-parole du Gouvernement annonçait la présentation en conseil des ministres du projet de loi de programmation militaire à laquelle étaient assignés deux objectifs : renforcer la sécurité de la France, et lui permettre de jouer un rôle moteur dans la construction d'une défense européenne. Avec un projet placé sous de tels auspices, je connais peu de parlementaires qui monteraient à cette tribune pour affirmer leur désaccord.
    Plusieurs députés du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle. Très bien !
    M. Gérard Charasse. Mes chers collègues, l'évolution des appareils de défense des pays du G8 - ou pour faire plus court, de ceux des cinq membres permanents du Conseil de sécurité - a atteint un point décisif dont l'importance est comparable à celui opéré après la crise de Suez. La pression d'alors avait au moins un avantage : la menace était identifiée et les choix stratégiques relativement simples. Nous sommes dans la situation exactement inverse ; la menace est diffuse mais réelle, bien que persiste dans les pays sanctuarisés un sentiment de stabilité, même après le 11 septembre. Dans ce contexte, il est courageux et nécessaire de préserver la dissuasion, et je salue votre volonté de conserver à la force nucléaire stratégique tout son rôle, avec l'arrivée prochaine du Terrible, la mise en oeuvre des missiles M 51 et ASMP-A pour les Mirage 2000 N et le Rafale.
    La réflexion menée sur le format des forces, et entamée d'ailleurs par Alain Richard, s'imposait. De même l'acquisition de capacités nouvelles devenait indispensable avec l'apparition de menaces multiformes susceptibles de nature à porter atteinte à nos intérêts et à notre sécurité, que ce soit en matière de renseignement, de projection, de mobilité, de frappe dans la profondeur, de recherche et d'effectifs.
    Je suis donc globalement satisfait de ce projet. Pour tout dire, il ressemble comme un frère d'armes au projet déposé par le précédent gouvernement et que le changement de législature a rendu caduc.
    M. Bernard Deflesselles. Non !
    M. Charles Cova. Vous entendez, Boucheron ! Qui croire ?
    M. Gérard Charasse. Sur la forme, il soulève tout de même trois interrogations.
    La première, madame la ministre, est directe : aurez-vous les moyens de vos légitimes ambitions ?
    M. Yves Fromion. Oui !
    M. Gérard Charasse. La majorité actuelle a eu par le passé une tendance forte à considérer globalement le budget de la défense comme une variable d'ajustement - je rappelle les gels et annulations de crédits qui ont déjà été signalés tout à l'heure.
    Une telle attitude entretient une certaine opacité à l'égard de la direction du budget. Ainsi, votre département refuse de communiquer des outils de prévision et d'exécution tels que la VAR, variation annuelle du référentiel de programmation, ou le COBI, catalogue des opérations budgétaires d'investissement, et de faire viser par le contrôleur financier central, comme c'est l'usage dans les ministères civils, les arrêtés de sous-répartition, toute démarche transparente étant de nature à entraîner le blocage ou la perte des crédits attribués. Je souhaite donc que vous puissiez, au nom du Gouvernement, prendre l'engagement devant la représentation nationale de mener à son terme, dans des conditions dignes, cette loi de programmation.
    La deuxième interrogation porte sur la défense européenne. Il n'est pas possible d'afficher, dans ce domaine, une volonté sans faire des propositions concrètes sur les structures de défense. Depuis Saint-Malo, les avancées se sont multipliées : Cologne, Helsinki, Feira, Nice, Laeken, Séville, chaque réunion européenne a marqué un progrès. Si l'engagement politique en faveur d'une défense européenne est réellement partagé par votre majorité, il conviendrait de proposer des lignes de développement plus offensives. Je pense à l'ECAP, par exemple, au groupe aérien européen ou, mieux encore, au système opérationnel européen, lequel, au lieu d'agglomérer des contributions nationales, serait plus lisible et plus efficace s'il agissait sous la bannière de l'Union. La France a, tant en matière de défense qu'en matière de construction européenne, vocation à parler ainsi.
    Ma troisième et dernière interrogation porte sur le volet industriel. Il n'y a pas d'indépendance de l'appareil de défense sans industrie. Nous ne contribuerons pas efficacement à la création d'une Europe de la défense sans industrie européenne et nous ne la bâtirons pas si notre apport initial est faible.
    Madame la ministre, vous vous prononcerez, dans les prochaines semaines, sur le plan de restructuration du GIAT. En dehors des considérations locales que j'ai déjà évoquées et que j'évoquerai bientôt, je veux insister sur la nécessité pour notre pays de continuer de disposer d'un appareil industriel efficace.
    M. Yves Fromion. Très bien !
    M. Gérard Charasse. Nous nous sommes, en quelques années, mués en premier de la classe du code des marchés publics. Nous avons mis en concurrence les prix - mais pas la qualité, un de nos soldats en aurait fait la triste expérience - de nos entreprises avec ceux d'industriels dont une partie des coûts est prise en charge par leurs Etats. Dans le cadre de la loi de programmation, et sans prendre d'aises avec le droit, il est possible de pallier ces difficultés.
    Tels sont, madame la ministre, les trois sujets sur lesquels, en radical de gauche, j'attends vos réponses. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à M. Michel Voisin.
    M. Michel Voisin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi de m'adresser d'abord à mon excellent collègue Jean-Michel Boucheron. Je regrette d'ailleurs qu'il ne soit plus là.
    M. Pierre Forgues. Il va revenir !
    M. Jean-Claude Sandrier. Nous, nous sommes là !
    M. Michel Voisin. Décidément, on nous l'a changé. Je ne comprends pas,...
    M. Pierre Forgues. Peut-être vous-même avez-vous changé !
    M. Michel Voisin. ... à moins que la presse quotidienne n'ait travesti ses propos. Selon un article de La Tribune du 26 novembre, la position de Jean-Michel Boucheron, spécialiste PS des questions de défense - je pense que c'est lui -, favorable au projet, est révélatrice : le député socialiste assure même que les orientations du texte sont semblables à celles du projet déposé par le précédent gouvernement.
    M. Charles Cova. Voilà bien l'hypocrisie socialiste !
    M. Michel Voisin. Quelle hypocrisie de faire l'impasse dans son discours sur la loi de programmation du gouvernement Jospin-Richard ! Madame la ministre, je n'épiloguerai pas.
    Parce que le Président de la République et le Gouvernement considèrent que la protection de notre territoire national face à une menace majeure constitue une véritable priorité, le projet de loi de programmation militaire pour les années 2003-2008 met l'accent sur l'effort que nous devons impérativement consentir en faveur de notre politique de dissuasion.
    Cette politique volontariste, voulue avec clairvoyance et conviction par le général de Gaulle, a permis à la France non seulement de garantir son indépendance et sa sécurité, mais elle lui a également permis d'assurer sa souveraineté et de tenir sa place et son rôle sur la scène internationale. Ce n'est certes pas un hasard si notre pays a un siège permanent au Conseil de sécurité de l'ONU.
    M. Jean-Louis Idiart. La chronologie ne compte pas, apparemment !
    M. Michel Voisin. Voulue très tôt par le fondateur de la Ve République, la matérialisation de ce qui allait contribuer à faire la grandeur de la France demandait un effort financier important et un investissement intellectuel que le monde entier nous envie aujourd'hui. Certes, il était dimensionné à l'état du monde et les bouleversements stratégiques des années quatre-vingt-dix semblaient le rendre superflu !
    Aussi notre outil nucléaire de dissuasion est-il un peu vite apparu surdimensionné aux utopistes de tout poil qui ne rêvaient - et la sémantique est loin d'être inintéressante - que de toucher les dividendes de la paix. Revenus au pouvoir, ils n'ont eu de cesse que de réduire l'effort initialement consenti : sur l'ensemble de la période couverte par la loi de programmation précédente, les crédits consacrés à la dissuasion nucléaire ont été amputés d'un peu plus de 1,6 milliard d'euros, soit près de 9,2 %, si l'on raisonne en termes de crédits de paiement inscrits en loi de finances initiale.
    La loi de programmation militaire 1997-2002, s'inscrivait pourtant dans la logique du nouveau livre blanc sur la défense, qui analysait judicieusement les risques et les menaces susceptibles de peser sur notre territoire, nos ressortissants et nos intérêts. Elle tirait les conséquences tant de l'évolution de la donne géostratégique - la disparition de l'affrontement Est-Ouest - que de l'émergence de nouvelles menaces nées du terrorisme et de la prolifération des armes de destruction massive.
    Le modèle d'armée 2015, né de ces réflexions, présentait une cohérence certaine puisqu'il entendait adapter notre posture stratégique aux évolutions prévisibles. D'ailleurs, aucune contre-proposition n'a été présentée par la précédente majorité et le gouvernement issu de la gauche plurielle. Ce qui ne les a pas empêché, budget après budget, de mettre en péril les indispensables adaptations que méritaient nos instruments de dissuasion.
    Il a fallu toute l'ingéniosié de l'état-major des armées et de la direction des applications militaires du Commissariat à l'énergie atomique pour mener de pair le maintien à niveau de nos capacités et l'indispensable effort de recherche destiné à assurer la pérennité de nos composantes et de nos armes.
    Il vous revient aujourd'hui, madame la ministre, à nous aussi, mes chers collègues, de relayer l'action de celles et ceux qui se sont consacrés à défendre une certaine idée de la France.
    Le Président de la République a rappelé avec force devant l'Institut des hautes études de défense nationale que la dissuasion est aujourd'hui un fondement essentiel de notre sécurité et qu'elle le restera dans le nouveau contexte stratégique, où elle garde tout son sens et toute son efficacité.
    Encore faut-il pour cela, faire en sorte de la maintenir à un niveau suffisant pour dissuader quiconque de s'en prendre à nos intérêts vitaux. Personne ne peut en effet ignorer, ou feindre d'ignorer que les stocks d'armes, malgré le récent accord de réduction américano-soviétique, demeurent importants et opérationnels. Personne ne peut non plus sous-estimer les dangers de la dissémination ou de la prolifération - il suffit de songer aux inquiétudes américaines à propos de l'Irak ou de la Corée du Nord.
    Etre responsable, mes chers collègues, c'est savoir anticiper mais aussi, et surtout, préparer l'improbable.
    Là-dessus, je rejoins ce que disait le président Bocquet tout à l'heure. Madame la ministre, le contenu de votre projet de loi de programmation consacré à la dissuasion a ce mérite.
    En réaffirmant les objectifs du modèle de référence 2015, avec quatre sous-marins nucléaires de nouvelle génération, trois lots de têtes nucléaires océaniques, une flotte de Rafale équipés de missiles air-sol moyenne à portée améliorés, et les instruments nécessaires à la simulation des essais nucléaires, le projet du Gouvernement affiche clairement ses objectifs dans la tradition d'indépendance nationale si chère au général de Gaulle.
    M. Yves Fromion. Bravo !
    M. Michel Voisin. Les crédits que vous consacrerez à la force océanique stratégique durant la période couverte par la loi de programmation permettront de préserver son rang de principal instrument de notre dissuasion. Elle ne pourrait le rester si un effort conséquent n'était porté sur la continuation du programme M 51, dont les premiers essais en vol devraient être effectués tant du centre d'essais des Landes qu'à partir du Terrible durant la période de programmation. C'est en moyenne près de 1,4 milliard d'euros que vous consacrerez à la composante maritime de la dissuasion.
    La modernisation de la composante aérienne n'en verra pas moins ses capacités renforcées. Les Mirage 2000 N emporteront à partir de 2007 le nouveau missile ASMP-A équipé d'une tête nucléaire de nouvelle génération, la TNA. Sur l'ensemble de la période de programmation, ce sont près de 2 milliards d'euros que le Gouvernement entend consacrer à cette modernisation.
    Il convient également de souligner votre préoccupation constante de garantir la validité des armes. En dotant le programme simulation d'environ 5 milliards d'euros sur cinq années budgétaires, le Gouvernement permettra la validation des résultats des premiers tests réalisés sur la ligne d'intégration laser, ainsi que le développement du laser mégajoule, en vue d'une entrée en service en 2009. La livraison courant 2006 d'un autre calculateur surpuissant devrait permettre de progresser dans la voie de l'intégration de puissances de calcul en trois dimensions. Celle-ci devrait devenir effective en 2009.
    Il est toutefois dommage, madame la ministre, que les personnels de la direction des applications militaires du Commissariat à l'énergie atomique n'entrent pas dans le champ de la planification de votre projet, car je crains que la question du maintien des compétences de cette direction ne pose problème, malgré les efforts déployés par le CEA pour renouveler son personnel de très haut niveau.
    Enfin, je voudrais insister sur un point qui montre combien, contrairement à ce que pourraient penser les anti-nucléaires et les antimilitaristes, la France et son gouvernement ont présentes à l'esprit les contraintes de sécurité et d'environnement : la programmation prévoit plus de 40 millions d'euros pour achever le démantèlement de l'usine de Pierrelatte et le début des travaux de démantèlement de celle de Marcoule, qui sera définitivement arrêtée en 2005.
    En conclusion, madame la ministre, je ne saurais trop insister sur la satisfaction que m'inspirent les crédits consacrés à la dissuasion nucléaire par ce projet de loi de programmation. Je suis persuadé que, en accord avec le Président de la République, vous mettrez tout en oeuvre pour que cette programmation ne connaisse pas le sort de celle qui l'a précédée. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Jean-Louis Idiart. Dieu seul le sait...
    M. François Rochebloine. Et encore !
    M. Jean-Louis Idiart. On verra à l'usage !
    M. le président. La parole est à Mme Patricia Adam.
    Mme Patricia Adam. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce projet de loi de programmation militaire comporte bien des engagements susceptibles de recueillir une large adhésion, à voir des convergences entre certaines de vos orientations et celles proposées par votre prédécesseur en 2001. Mais il nous laisse cependant perplexes pour ce qui est de l'adaptation des réponses aux menaces asymétriques développées aujourd'hui et qui sont au coeur de nos préoccupations.
    La France, avec l'Europe, se doit désormais de revisiter sa politique de défense, en termes de stratégie, en termes de moyens, pour s'adapter à ces défis par une refonte à mon avis plus radicale du concept de défense global. C'est ce que tout à l'heure Jean-Michel Boucheron a bien voulu vous expliciter.
    M. Michel Voisin. Ce n'est pas un très bon exemple !
    Mme Patricia Adam. De surcroît, des zones d'ombre demeurent qu'il s'agisse de la sincérité des engagements budgétaires sur le long terme ou de l'avenir de nos industries de défense.
    Vous semblez, madame, afficher l'intention louable de rétablir la force opérationnelle de nos armées, ainsi que la disponibilité de ses matériels : 5,5 milliards d'euros supplémentaires sur cinq ans seraient en effet destinés à la commande de nouveaux équipements. Mais les perspectives économiques et les choix de votre gouvernement suscitent davantage le doute que l'optimisme sur ce que sera la réalisation de ces engagements dans les futurs budgets.
    Cette loi de programmation constitue également un cadre de référence censé favoriser une meilleure lisibilité des programmes des industries de défense. Or celle-ci fait défaut au moment où notre industrie navale s'apprête à vivre une profonde transformation, avec le changement de statut de DCN au 1er janvier 2003 : les personnels n'ont toujours aucune information sur le contenu du plan d'entreprise censé permettre cette mutation. Ces doutes sur l'avenir de notre industrie navale auraient mérité d'être levés à l'occasion de ce débat, compte tenu du contexte de recomposition du paysage industriel européen et les perspectives de lancement d'une politique européenne d'armement. Malheureusement, il n'en est rien.
    Concernant le second porte-avions, des interrogations persistent sur la coopération avec la Grande-Bretagne, dont le choix préalable pour un type d'aéronef a toujours été présenté, notamment par les états-majors, comme un élément déterminant. Or, depuis, les Britanniques ont choisi des appareils à décollage court et à atterrissage vertical. En outre, il semble désormais acquis que la Grande-Bretagne ne retiendra pas non plus le mode de propulsion nucléaire. Celui-ci est pourtant au coeur de notre savoir-faire et constitue à n'en pas douter la fierté de notre marine,...
    M. Gilbert Le Bris. C'est vrai !
    Mme Patricia Adam. ... qui, avec le Charles de Gaulle, a pu disposer, en Afghanistan aux côtés des américains, d'un élément majeur pour la projection de puissance.
    M. Gilbert Le Bris. Tout à fait !
    Mme Patricia Adam. La question de la coopération demeure donc posée ; et le choix à faire par la Grande-Bretagne entre BAe et Thalès, pour la construction de ses deux porte-avions, sera fondamental. J'ose espérer que nos industries de défense, en particulier DCN - vous comprendrez que, en tant que Brestoise, j'y sois particulièrement attachée -, n'en feront pas les frais.
    Vos annonces pour ce qui est des crédits d'équipement suscitent aussi l'espoir dans les bassins d'emplois où les activités de défense occupent toujours une place prépondérante. Néanmoins, vous avez évacué toutes les questions liées aux conséquences économiques de la modernisation de l'outil de défense décidée en 1996. Pourtant, les restructurations continueront à produire leurs effets sur le plan économique, mais aussi spatial.
    Aussi, madame le ministre, je déplore l'impasse faite par votre projet sur ces aspects alors que le rapport annexé au projet de LPM du précédent gouvernement consacrait une attention particulière à l'accompagnement économique des sites de défense. Un contresens majeur serait commis si l'on venait à confondre l'amélioration conjoncturelle des activités de défense et le règlement de la mutation structurelle des sites, qui ne peut être assumée par l'Etat ou les collectivités locales que sur le long terme.
    Plusieurs questions resent donc en suspens dans ce projet de LPM, à commencer par l'avenir du fonds pour les restructurations de la défense. Les considérations d'aménagement du territoire font-elles parties de vos préoccupations ?
    Ainsi, que ferez-vous de l'engagement de vos prédécesseurs de maintenir le niveau de consommation du FRED sur toute la période ? Etablirez-vous un bilan de l'action du FRED qui a démontré sa capacité à fédérer des fonds provenant des collectivités locales comme des politiques nationales ou européennes d'aménagement du territoire ? En Bretagne, mais aussi dans beaucoup d'autres régions, je tiens à rappeler que le FRED s'inscrit dans le cadre défini jusqu'en 2006 par les contrats de plan Etat-régions. Les élus attendent donc des réponses claires de votre part.
    Plus généralement, vos engagements pourraient apparaître prometteurs s'ils étaient débarrassés de ces zones d'ombre et si leur réalisation n'était pas aussi étroitement liée à une conjoncture incertaine, ainsi qu'à des choix budgétaires qui, pour l'instant, le sont tout autant.
    Dépourvus de toute garantie sur le long terme, ces engagements ne peuvent donc valablement convaincre en raison d'un déficit évident de sincérité qui ne manquera pas d'apparaître dès le prochain revirement budgétaire de votre gouvernement, dont nul ne doute plus aujourd'hui. Je vous remercie. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à M. François Rochebloine.
    M. François Rochebloine. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le Gouvernement a souhaité rompre avec la politique conduite précédemment en donnant une priorité à la défense, ce dont nous nous réjouissons. Ce projet de loi de programmation militaire est ambitieux. Nous prenons acte de votre volonté de faire de cette LPM le fil conducteur de la nouvelle politique de défense,...
    M. Michel Voisin. Ça démarre bien !
    M. François Rochebloine. ... celle qui doit nous permettre de répondre aux nouveaux enjeux et aux diverses menaces auxquelles la France devra faire face dans les années à venir.
    Après mon collègue et ami Francis Hillmeyer, qui a présenté l'analyse du groupe UDF sur le projet, je souhaite centrer mon propos sur le secteur industriel de l'armement terrestre.
    M. Michel Voisin. C'est nouveau ! (Sourires.)
    M. François Rochebloine. Plusieurs réflexions me semblent en effet s'imposer. S'agissant en premier lieu de l'exercice de programmation lui-même, auquel le Parlement est désormais habitué, la lucidité doit nous inciter à une certaine prudence. L'exercice n'est certes jamais aisé. Donner à la nation, aux armées et aux industriels de l'armement un tant soit peu de lisibilité à moyen terme suppose bien sûr un minimum de rigueur pour arbitrer des choix lourds de conséquences, alors que l'avenir s'avère inévitablement incertain.
    L'expérience proche des vingt dernières années nous a montré qu'aucune loi de programmation n'avait pu être totalement respectée. Le précédent gouvernement, qui n'a officiellement jamais remis en cause la loi de programmation 1997-2002, ne s'est-il pas privé de jouer dangereusement sur les montants des dotations des crédits d'équipement du ministère de la défense, les seuls titres V et VI notamment ayant diminué en cinq ans de 14 % ?
    M. Michel Voisin. Oh que si !
    M. François Rochebloine. Le rapporteur de la commission de la défense a eu raison de dénoncer ces dérives, fruits de pratiques regrettables auxquels toute majorité peut être tentée de recourir, mais dont l'impact sur le taux de disponibilité opérationnelle des matériels militaires est, reconnaissons-le, désastreux.
    Bien sûr, madame la ministre, nous prenons acte de votre intention de rompre avec ces pratiques et nous veillerons tout particulièrement à ce que les prochaines lois de finances traduisent concrètement la priorité et les objectifs affichés ; il en va de la crédibilité et de l'efficacité de notre action.
    Je me réjouis que ce gouvernement ait retenu, parmi les trois objectifs principaux de ce texte, le maintien en condition opérationnelle des matériels de nos armées, en annonçant une forte revalorisation des moyens financiers qui y sont consacrés tout en prévoyant la poursuite de la réforme des structures de maintenance.
    Vous comprendrez toutefois que, en l'état actuel des choses, nous soyons en attente d'informations plus précises sur les modalités de mise en oeuvre de cet objectif. Or, il est un fait que les concepteurs des matériels concernés, comme GIAT Industries ou DCN, sont les mieux à même d'accomplir cette mission. Ces industriels ont des compétences très spécifiques qu'ils doivent conserver, ce qui, soit dit en passant, leur permettrait d'amortir la réduction prévisible de leur plan de charge.
    Dans un contexte budgétaire difficile, il est nécessaire d'adopter une démarche cohérente qui permette de redéfinir des critères de fiabilité et de délai. Encore faudrait-il ne pas déstabiliser davantage les entreprises qui ont aujourd'hui les compétences techniques requises. Ajoutons que les matériels concernés sont de plus en plus sophistiqués. Prenons garde à ne pas perdre certaines compétences sur le territoire national ou même sur le territoire européen. Quelles assurances avons-nous avec cette LPM de les voir préservées dans un avenir proche ?
    Mes autres interrogations, madame la ministre, ont trait à la dimension industrielle et sociale des choix stratégiques de la programmation qui nous est soumise.
    Partant des conclusions avancées par notre collègue Guy Teissier dans son rapport, j'ai le sentiment que tout indique que des arbitrages sont déjà bien avancés, les brillantes analyses sur la redéfinition de l'ordre des priorités découlant de la nouvelle donne géostratégique se situant à mon sens dans le prolongement de décisions déjà anciennes. Dans ce contexte, les démonstrations comptables viennent conforter des discours connus dans lesquels certains semblent se complaire, soulignant, par exemple, les faiblesses structurelles ou le parcours désastreux au plan financer de tel ou tel groupe industriel. D'autres problèmes structurels subsistent, notamment pour ce qui touche à la responsabilité de l'Etat tout à la fois client et actionnaire.
    M. Pierre Forgues. Très bien !
    M. François Rochebloine. A cet égard, l'articulation entre ministère, EMAT, DGA et industriels mériterait sans doute d'être revue. Une clarification s'impose. J'en veux pour preuve la gestion des programmes qui tardent à sortir, comme c'est le cas du VBCI, victime des tergiversations qui n'en finissent plus.
    N'est-il pas paradoxal de dénoncer l'incapacité d'un groupe industriel comme GIAT Industries à redresser ses comptes, alors que celui-ci n'a malheuresement connu qu'une succession de réorganisations et de plan sociaux engendrant des pertes de compétences et un recours grandissant à la sous-traitance, et pour couronner le tout, des opérations à l'exportation pour le moins hasardeuses ?
    M. Jean-Claude Sandrier. Absolument !
    M. François Rochebloine. Faute d'avoir été soutenu sur des diversifications, comme cela semble-t-il a été le cas avec le ferroviaire, faute d'avoir pu tisser de véritables alliances au plan industriel, il n'est plus aujourd'hui qu'au cinquième rang mondial et le nombre de ses salariés est passé de 18 000 en 1990 à 6 700 cette année ! Je pourrais ici prendre à témoin mon collègue et ami, Gilles Artigues, qui sait lui aussi ce qu'auront coûté les restructurations nécessaires au groupe GIAT dans le bassin d'emploi de Loire-Sud.
    Dans le même ordre d'idées, la recapitalisation de GIAT, est-elle étrangère à notre débat de ce soir ? Je ne le crois pas. Il serait tout aussi dangereux d'éluder les aspects sociaux et territoriaux des restructurations voulues par l'Etat et que ce dernier devra gérer et assumer.
    Je vous l'accorde, madame la ministre, la LPM n'est pas forcément le cadre adapté pour répondre de manière précise à ces questions.
    M. Jean-Claude Sandrier. Si !
    M. François Rochebloine. Mais les inquiétudes sont grandes, comme vous le savez. Soyez assurée que les élus exerceront leur devoir de vigilance. Nous ne pourrions admettre que l'on sacrifie des pans entiers de notre industrie dans le contexte incertain du moment, alors même que l'Europe de la défense n'est que balbutiante, pour ne pas dire inexistante en ce qui concerne les industries terrestres.
    J'en viens à ma troisième réflexion sur l'Europe de la défense.
    N'imaginez pas trouver chez moi une quelconque frilosité sur le sujet, bien au contraire. Avouons que l'absence de l'Europe dans les domaines de la politique étrangère et de la sécurité pèse sur sa crédibilité politique, eu égard aux enjeux en présence.
    Permettez-moi donc de regretter que la loi de programmation ne traduise pas plus fortement cette ambition.
    Nous devons faire preuve de volontarisme, aller plus loin dans les coopérations industrielles et les programmes d'armements européens. Sur ce point, vous le savez, madame la ministre, vous pourrez toujours compter sur l'appui de l'UDF.
    Comme beaucoup de Français, en tout premier lieu les salariés, je m'interroge sur les conséquences des choix affichés. Devrons-nous nous résoudre à démanteler notre outil industriel, au prix d'une déstabilisation de bassins d'emplois déjà en difficulté ? Allons-nous nous priver une fois encore de savoir-faire en espérant que le jeu de l'économie de marché fasse le reste ?
    Enfin, à qui fera-t-on croire que la puissance publique restera étrangère aux inévitables restructurations ou reconversions de ce secteur, même privatisé, de l'économie européenne ? La vérité est sans aucun doute que l'Etat - comme tous les Etats - fera preuve demain de tout autant d'interventionnisme qu'hier.
    Prenons donc garde, madame la ministre, à ne pas aller trop loin dans cette logique : l'augmentation des crédits, aussi importante soit-elle, n'est pas, vous le savez, en mesure de tout régler, de tout résoudre. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le président. La parole est à M. Pierre Forgues.
    M. Pierre Forgues. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cette nouvelle loi de programmation militaire semble dépassée avant même d'avoir été votée. Non seulement elle s'appuie toujours sur le livre blanc de 1994, déjà un peu ancien, avouons-le -, mais elle ne s'inscrit pas suffisamment dans l'Europe de la Défense.
    Non, la France ne peut pas affronter et faire face efficacement à toutes les menaces toute seule. C'est au niveau de l'Union européenne qu'il faut définir une stratégie de défense et de maintien de la paix dans le monde, ce qui obligera les pays européens, tout particulièrement la France, la Grande-Bretagne et l'Allemagne, à déterminer et à mettre en place les capacités industrielles de fabrication des armements, soit dans le cadre d'une coopération réelle, soit dans le cadre d'une répartition équilibrée entre les divers partenaires.
    Les industries européennes d'équipements militaires courraient un risque mortel si on laissait s'instaurer entre elles une concurrence au niveau des produits comme au niveau des ventes. Est-il judicieux que la France se lance toute seule dans la construction d'un deuxième porte-avions ? Est-il acceptable que tant d'équipements dépendent de la technologie et de l'industrie américaines ? Est-il judicieux qu'il y ait un char anglais, un char allemand, un char français, ce qui met en péril le groupe GIAT Industries ?
    M. Guy Teissier, président de la commission, rapporteur. Un char à boeufs ! (Rires.)
    M. Jean-Claude Beaulieu. Le char à boeufs socialiste !
    M. Pierre Forgues. Ce serait une faute politique grave, madame la ministre, que de laisser disparaître la capacité industrielle de GIAT au moment où il faut construire l'Europe de la défense.
    Bien au contraire, la France doit se doter d'une industrie de l'armement terrestre de premier rang, ce qui permettra à GIAT Industries de jouer un rôle moteur en faveur de regroupements européens. L'Etat doit lui ouvrir des perspectives et non pas continuer à l'enfoncer dans le repli. La réduction des effectifs ne peut pas se substituer à une stratégie industrielle. Trois plans successifs ont ramené les effectifs de 17 000 à moins de 6 500 ; des dotations en capital ont été effectuées en 1991, 1996, 1997, 1998 et 2001 et, dans la même période, le chiffre d'affaires du GIAT est passé de 1,3 milliard d'euros à moins de 800 millions d'euros en 2002.
    Madame la ministre, cette nouvelle loi de programmation militaire 2003-2008 ne donne pas à GIAT Industries la capacité d'être un pôle d'excellence et d'entraînement pour l'industrie de défense européenne dans le secteur des armements terrestres.
    Pire, elle nous inquiète beaucoup ! En effet, la loi n'apporte pas d'innovation et n'ouvre aucune perspective pour GIAT. Les programmes de la loi de programmation 1997-2002 sont simplement confirmés : achèvement du programme du char Leclerc ; valorisation des canons automoteurs AUF1 et AUF2 ; rénovation des AMX 10 RC ; programme VBCI qui avait été notifié en novembre 2000 à GIAT.
    Quel est le montant des commandes annuelles de l'Etat ? C'est très important compte tenu de la faiblesse du marché à l'exportation. Quelles sont les opportunités qui s'offrent à GIAT notamment pour le VBCI ? Nous n'avons pas de réponse.
    L'Etat a des devoirs. Je rappelle qu'il est actionnaire unique et client principal, même si GIAT est structuré en société de droit privé. Or force est de constater que l'Etat client ne fait pas confiance à l'Etat actionnaire ; l'Etat actionnaire met en concurrence GIAT Industries, et pas toujours de la meilleure façon. La DGA fait des achats sur étagère à l'étranger.
    GIAT Industries est essentiellement un concepteur et un producteur de matériels nouveaux pour l'armée de terre. Il peut et il doit aujourd'hui s'orienter vers une activité de maintenance. Le maintien en condition opérationnelle des équipements militaires qu'il fabrique peut assurer la cohérence de son activité industrielle et l'utilisation rationnelle de ses compétences.
    Même si les conséquences de la chute du Mur de Berlin sur l'activité d'un groupe comme GIAT étaient bien connues, j'ai le sentiment que les gouvernements successifs, au lieu d'appréhender simultanément la dimension industrielle et sociale, n'ont apporté que des solutions sociales, comme si les responsables de l'entreprise et l'Etat actionnaire n'étaient capables que d'imaginer des réductions d'effectifs, entraînant la mort lente du GIAT. On a administré à ce groupe un traitement palliatif, pas un traitement curatif !
    Il est encore temps de rompre avec cette vision fataliste. GIAT est nécessaire à l'armée française, comme à l'Europe de la défense ; il a des compétences de recherche et des savoir-faire qui peuvent parfaitement s'inscrire dans des conditions de compétitivité.
    GIAT peut constituer un pôle d'entraînement pour une industrie des armements terrestres européens.
    Je vous rappelle enfin, madame la ministre, que dans des villes comme Tarbes l'établissement de GIAT est un pôle essentiel de l'économie locale. Dans ce cas précis, l'Etat a non seulement des devoirs envers cette société, mais également envers la populations au titre de l'aménagement du territoire.
    Avec mes collègues députés, Chantal Robin-Rodrigo et Jean Glavany, nous resterons bien évidemment très vigilants à cet aspect des choses. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à M. Bernard Deflesselles.
    M. Bernard Deflesselles. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, bien que cela ait déjà été exprimé avec force dans cet hémicycle, je souhaiterais rappeler combien ce projet de loi est une priorité de la nouvelle majorité.
    Il traduit la volonté du Gouvernement, mais aussi du Parlement, de redonner aux armées les capacités humaines, opérationnelles et financières de leurs missions, que ce soit sous commandement national, en synergie avec nos alliés, ou au service des Nations unies.
    Le texte qui nous est proposé aujourd'hui affiche clairement nos ambitions : restaurer et pérenniser notre outil de défense ; jouer un rôle central dans la construction d'un concept européen de sécurité ; dire enfin, aux hommes et aux femmes qui sont au coeur de l'appareil militaire, la considération et le respect de la nation.
    Ces ambitions, fondées sur les réalités d'un monde multipolaire et de menaces polyformes, bien que facilement identifiables, n'ont eu pour réponse, de la part de la gauche en général et du précédent gouvernement en particulier, qu'une politique de l'autruche.
    En d'autres termes, nous savions, mais nous avons refusé, avec une « dogmatique obstination », les moyens nécessaires pour relever les défis qui nous ont été lancés. Les « dividendes de la paix », chers à M. Fabius, ont été largement distribués à fonds perdus.
    C'est pourquoi nous devons encourager un projet qui vise à redonner à l'Etat la plénitude d'une mission régalienne affirmée, et soutenir le Premier ministre et le ministre de la défense qui se sont engagés avec conviction dans ce grand chantier voulu par le Président de la République.
    Cette grande ambition se traduit par le renforcement significatif de notre effort de défense. En effet, la programmation pour les années 2003-2008 reflète un triple engagement.
    Cette loi est avant tout une loi d'investissement, destinée à financer les grands programmes trop longtemps différés. Leur liste est impressionnante, vous la connaissez.
    Etant donné les exigences opérationnelles, il n'est pas certain d'ailleurs que, sur cette période, nous puissions satisfaire en totalité les besoins de nos armées. Je pense essentiellement aux capacités de transport stratégique de l'armée de l'air.
    Enfin - c'est une satisfaction de taille - les crédits destinés au maintien en condition des matériels actuels sont à la mesure des besoins. Ils permettront aux armées une utilisation accrue de leurs moyens en service.
    Cette loi est aussi une réponse au besoin de sécurité exprimé par nos concitoyens. Elle renforce la lutte contre la délinquance et la criminalité sur le territoire national grâce à un engagement financier et humain sans précédent au profit de la gendarmerie. Cette participation accrue des armées aux missions quotidiennes de sécurité intérieure répondra sans nul doute aux aspirations des Français.
    C'est également une première réponse à la multiplication des « menaces asymétriques » et tout particulièrement une réponse à « l'hyper terrorisme » dont les attentats du 11 septembre ainsi que leurs récentes répliques au Yémen et à Bali témoignent des dangers encourus par nos concitoyens.
    Je me réjouis à cet égard des efforts entrepris en faveur des moyens et services de ce que les spécialistes appellent « la guerre non conventionnelle ».
    Ce texte marque enfin la réussite et la pérennisation de la professionnalisation des armées. Elle est essentielle dans la réponse aux menaces de ce troisième millénaire et traduit un réel effort pour améliorer la condition militaire. Une seule incertitude subsiste : le niveau d'un effectif de 100 000 réservistes dont nous ne savons pas, dans les conditions actuelles, s'il pourra être atteint en 2015 ; l'objectif étant de 82 000 en 2008.
    L'autre grand aspect de cette loi voulue par le Président de la République porte sur notre participation à un espace de sécurité européen. Ô combien nécessaire, cette vision nécessite application et détermination, car l'idée même de défense, étroitement liée à celle de souveraineté n'est pas aujourd'hui une compétence de notre Communauté européenne.
    Alors que les impératifs stratégiques sont enfin partagés par les Européens, leur situation institutionnelle ne répond que très imparfaitement à ces exigences.
    Tout cela est le fruit de notre histoire commune, de ces deux guerres mondiales qui ont aussi été des « guerres civiles » pour notre Europe et de l'affrontement Est-Ouest qui s'en est suivi. La guerre froide avait déjà marqué la fin des menaces intra-étatiques en Europe ; la chute du mur de Berlin, le retour de la Russie à des frontières pré-communistes et l'élargissement de l'Union européenne appellent leur redéfinition.
    Désormais, les armées européennes doivent faire face à des missions stratégiques communes aux « marches de l'Union » mais aussi à « l'échelle planétaire ».
    Dans le cadre du Praesidium de la Convention pour l'avenir de l'Europe, le commissaire européen Michel Barnier s'est vu confier la présidence d'un groupe de travail sur les questions de défense. Ce groupe de travail a dressé « un état des lieux » des capacités militaires des différents états membres.
    Le constat est clair : à défaut de se doter d'une défense commune, l'Union européenne s'est dotée d'un cadre juridique pour mener à bien des opérations militaires combinées. Plusieurs accords et traités les définissent.
    Tout d'abord les missions dites « de Petersberg » - maintien ou rétablissement de la paix ; ensuite le traité d'Amsterdam, qui donne à la politique étrangère et de sécurité commune - PESC - les instruments institutionnels nécessaires à la prise de décision et à la définition des opérations militaires ; enfin, les accords d'Helsinki en décembre 1999, de Bruxelles en 2000, et de Laeken en 2001 qui définissent les capacités nationales à participer à un engagement européen.
    La France, quant à elle, doit fournir 20 % des effectifs de la force européenne de réaction rapide de 60 000 combattants, dont les conditions de déploiement et de soutien sont dépendantes de moyens de projection aériens et maritimes méritant d'être renforcés. Cela nécessite un véritable engagement des Européens dans les programmes multilatéraux d'armements.
    Si jusqu'à présent, malgré un effort budgétaire modeste, les capacités de C3 R sont honorables grâce aux programmes spatiaux et de commandement intégrés, la question de la projection des forces reste entière. Les lourdes incertitudes qui pèsent sur l'A 400 M en témoignent.

    La France, grâce à ce projet de loi de programmation militaire, réalise l'effort budgétaire attendu. Malheureusement, son principal partenaire, l'Allemagne, pour des raisons de politique intérieure et de stratégie industrielle, repousse sans cesse son lancement.
    Ainsi, ce programme essentiel pour la crédibilité d'une défense européenne risque d'être remis en cause.
    A contrario, la contribution franco-allemande relative à la politique de sécurité et de défense qui vient d'être déposée, ces jours-ci, à la Convention pour l'avenir de l'Europe marque un pas positif. En témoignent la possible constitution d'un marché européen de l'armement ainsi que la création d'une Agence européenne de l'armement sur la base d'une coopération renforcée.
    Mais, au-delà des programmes militaires, l'Europe de la défense est confrontée à un double défi financier et technologique. Il marque un très grand décalage entre l'effort global des Quinze - 180 milliards - et celui des Etats-Unis qui est double - 360 milliards d'euros. Structurellement, l'Europe reste dans la situation confortable, depuis plus d'un demi-siècle, de faire assurer sa sécurité par le « parapluie américain ».
    Cette situation se reproduit à l'intérieur des Quinze où seules la Grande-Bretagne et la France consacrent et consacreront à l'horizon 2008 un effort significatif à leur sécurité, avec des budgets représentant respectivement 2,8 % et 2,1 % de leur PIB, nos autres partenaires se contentant, malheureusement, d'un effort de l'ordre de 1 %.
    Cela explique le fossé sans cesse croissant qui se creuse avec nos alliés américains, lesquels définissent de nouveaux « concepts » et « standards » stratégiques qui risquent, si nous n'y prenons garde, de nous enfermer dans un rôle secondaire. Je pense ici à l'utilisation militaire de l'espace et au développement de technologies nouvelles qu'entraîne la Missile defense du président Bush.
    Les réponses à ces défis stratégiques et financiers dépassent le simple cadre national. Il serait intéressant que le groupe de travail européen les prenne en compte dans ses réflexions.
    Il y a près d'un demi-siècle, le général de Gaulle reconstruisait notre défense en l'adaptant aux nouvelles donnes stratégiques de l'ère atomique. Aujourd'hui, il appartient aux Français, et désormais à leurs alliés européens, de consentir un effort de défense commun et de le financer.
    C'est à ce titre que la proposition française de prendre la relève de l'OTAN en Macédoine, alors que l'Europe représente 80 % du potentiel actuellement engagé, apparaît comme une mission à notre portée. Cela constituerait une avancée significative de notre détermination à prendre en charge un acte fort de la politique de sécurité commune voulue par le traité d'Amsterdam.
    En second lieu, notre commission de la défense pourrait - tout comme je l'ai proposé récemment, et avec la bénédiction de son président, M. Guy Teissier - se rapprocher de ses homologues de l'Union ainsi que des dix candidats à l'adhésion.
    Ce travail en commun, cette mobilisation des parlements nationaux, sans empiéter sur les prérogatives des Etats, serviraient la cause commune : faire avancer l'idée de défense européenne.
    Bien entendu, le cadre en serait plus ad hoc que contraignant. La mise à niveau des engagements capacitaires européens pourrait être une de nos premières missions.
    Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, telles sont nos remarques et nos propositions. Elles s'incrivent pleinement dans l'esprit du projet du Gouvernement.
    Le projet de loi de programmation militaire qui nous est proposé aujourd'hui, que vous avez défendu, madame la ministre, avec ambition, pugnacité et aussi beaucoup de sérénité, en porte la volonté, il appelle de notre part un vote favorable, enthousiaste et déterminé. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

2

DÉCLARATION DE L'URGENCE
D'UN PROJET DE LOI

    M. le président. J'ai reçu de M. le Premier ministre une lettre m'informant que le Gouvernement déclare l'urgence du projet de loi relatif à la négociation collective sur les restructurations ayant des incidences sur l'emploi (n° 375).
    Acte est donné de cette communication.

3

ORDRE DU JOUR DE LA PROCHAINE SÉANCE

    M. le président. Ce soir, à vingt et une heures, troisième séance publique :
    Suite de la discussion du projet de loi, n° 187, relatif à la programmation militaire pour les années 2003 à 2008 :
    M. Guy Teissier, rapporteur au nom de la commission de la défense nationale et des forces armées (rapport n° 383),
    M. Pierre Lelouche, rapporteur pour avis au nom de la commission des affaires étrangères (avis n° 384),
    M. François d'Aubert, rapporteur pour avis au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan (avis n° 385).
    La séance est levée.
    (La séance est levée à dix-neuf heures trente-cinq.)

Le Directeur du service du compte rendu intégralde l'Assemblée nationale,
JEAN PINCHOT