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ASSEMBLÉE NATIONALE
DÉBATS PARLEMENTAIRES


JOURNAL OFFICIEL DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE DU MERCREDI 4 DÉCEMBRE 2002

COMPTE RENDU INTÉGRAL
2e séance du mardi 3 décembre 2002


SOMMAIRE
PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LOUIS DEBRÉ

1.  Questions au Gouvernement «...».

AVENIR DE FRANCE TÉLÉCOM «...»

M. Jean Dionis du Séjour, Mme Nicole Fontaine, ministre déléguée à l'industrie.

SITUATION D'ALCATEL «...»

MM. André Gerin, François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité.

SAPEURS-POMPIERS
VICTIMES DE LA ROUTE «...»

MM. Denis Merville, Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.

ACCIDENT DE LORIOL «...»

MM. Eric Besson, Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.

FERMETURE DU CENTRE DE SANGATTE «...»

MM. Christian Decocq, Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.

CONTRAT D'AGRICULTURE DURABLE «...»

MM. Antoine Herth, Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales.

POLITIQUE DE L'ÉDUCATION «...»

MM. Yves Durand, Luc Ferry, ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche.

SOUTIEN À LA CULTURE «...»

MM. Olivier Dassault, Jean-Jacques Aillagon, ministre de la culture et de la communication.

MOBILISATION CONTRE LE SIDA «...»

MM. Emile Blessig, Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées.

ALLOCATION PERSONNALISÉE D'AUTONOMIE «...»

MM. Michel Vergnier, Hubert Falco, secrétaire d'Etat aux personnes âgées.

DÉVELOPPEMENT DURABLE «...»

M. Jean-Jacques Guillet, Mme Tokia Saïfi, secrétaire d'Etat au développement durable.

RÉFORME DE L'ÉTAT «...»

MM. Nicolas Forissier, Henri Plagnol, secrétaire d'Etat à la réforme de l'Etat.

SITUATION EN CORSE «...»

MM. Emile Zuccarelli, Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.

Suspension et reprise de la séance «...»

2.  Souhaits de bienvenue à M. le ministre des affaires étrangères de la République de Pologne «...».
3.  Débat sur l'avenir de l'Europe «...».
M. Valéry Giscard d'Estaing, président de la Convention sur l'avenir de l'Europe.
M. Edouard Balladur, président de la commission des affaires étrangères.
M. Pierre Lequiller, président de la délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne.
Mme
Elisabeth Guigou,
MM.
François Bayrou,
Pierre Goldberg,
Jacques Barrot,
Philippe de Villiers,
Jacques Floch.
M. le président de la Convention sur l'avenir de l'Europe.
MM.
Jean-Claude Lefort,
Jérôme Lambert.
Clôture du débat.
M. Dominique de Villepin, ministre des affaires étrangères.
4.  Ordre du jour de la prochaine séance «...».

COMPTE RENDU INTÉGRAL
PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LOUIS DEBRÉ

    M. le président. La séance est ouverte.
    (La séance est ouverte à quinze heures.)

1

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

    M. le président. L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.
    Nous commençons par une question du groupe UDF.

AVENIR DE FRANCE TÉLÉCOM

    M. le président. La parole est à M. Jean Dionis du Séjour.
    M. Jean Dionis du Séjour. Madame la ministre déléguée à l'industrie, France Télécom, dont l'avenir est mis en danger par son endettement massif de 70 milliards d'euros, va vivre demain un moment critique de son histoire. En effet, son nouveau PDG, Thierry Breton, va soumettre son projet de plan de sauvetage de l'entreprise à l'approbation du conseil d'administration.
    La question de l'avenir de France Télécom est éminemment politique. Outre les 230 000 salariés de France Télécom, les 1 600 000 actionnaires et l'ensemble des contribuables français ont le droit de savoir quelles sont les intentions de l'actionnaire majoritaire de France Télécom, à savoir l'Etat français, au cours de ce conseil d'administration.
    Selon la presse, le plan financier serait arrêté, mais, en revanche, le volet social ne serait pas abordé. L'inquiétude est donc grande parmi le personnel de l'entreprise. Pouvez-vous, madame la ministre, confirmer ces informations ?
    Par ailleurs, quelles sont les intentions de l'Etat sur le niveau futur de sa participation ? Quelle position défendra-t-il dans les mois qui viennent en ce qui concerne le volet social du plan de sauvetage ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et sur quelques bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée à l'industrie.
    Mme Nicole Fontaine, ministre déléguée à l'industrie. Monsieur le député, le Gouvernement entend participer activement au plan de redressement de France Télécom, dont l'essentiel sera, comme vous l'avez dit, proposé demain au conseil d'administration. Ce faisant, l'Etat remplira son devoir d'actionnaire majoritaire. Nous avons aussi conscience de soutenir une entreprise qui, en dépit des graves difficultés actuelles qu'elle connaît, est dynamique et porteuse d'avenir.
    Le renforcement des fonds propres de France Télécom est indispensable à son rétablissement financier. A cet égard, des modalités ont été élaborées. Vous avez posé la question de savoir quel en sera l'impact sur les finances publiques. Je puis vous indiquer que ces opérations d'investissement n'auront pas d'impact sur le déficit budgétaire au sens du traité de Maastricht. En effet, elles seront financées par le recours à l'endettement. La dette des administrations publiques sera donc augmentée à due concurrence du montant de l'investissement réalisé par l'Etat dans France Télécom. Compte tenu du mécanisme que nous envisageons de mettre en oeuvre, ces opérations d'investissement n'auront aucun impact sur l'équilibre budgétaire en 2003.
    J'ajoute, monsieur le député, que le Gouvernement aura très à coeur de prendre en compte la situation des actionnaires individuels, ainsi que celle des salariés auxquels France Télécom doit une part importante de son dynamisme. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Un député du groupe socialiste. Qu'est-ce que cela veut dire ?

SITUATION D'ALCATEL

    M. le président. La parole est à M. André Gerin, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.
    M. André Gerin. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
    Actuellement, les entreprises utilisent les salariés comme une variable d'ajustement pour augmenter leurs profits, au mépris de l'emploi et de l'industrie française. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Lucien Degauchy. Changez de discours !
    M. André Gerin. Dans ce cadre, l'externalisation se multiplie. Certains patrons, comme Guillaume Sarkozy, se disent même fiers de délocaliser. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Lucien Degauchy. Jaloux !
    M. André Gerin. Cela peut s'apparenter à une sorte de pétainisme industriel.
    Le PDG d'Alcatel, Serge Tchuruck, a annoncé que, pour sa part, il voulait une entreprise sans usine. Il bafoue le droit des salariés mais aussi celui du travail, abandonnant la recherche au profit d'une logique boursière. Ainsi, j'apprends aujourd'hui même la fermeture de l'usine de Conflans en Yvelines.
    Déjà, en 1998, la direction de cette société a cédé plusieurs de ses activités de téléphonie à Marine Consulting, devenue aujourd'hui Marine Communication, cette cession s'accompagnant du transfert de 627 salariés.
    Or cette entreprise est faussement indépendante : Alcatel dispose des pouvoirs de direction, les activités de Marine sont placées sous la tutelle directe d'Alcatel, le domaine commercial relève exclusivement d'Alcatel et les salariés de Marine se présentent à la clientèle sous l'étiquette Alcatel.
    Ces éléments démontrent que la société Marine est une société écran. Du fait, cette externalisation est un remembrement des services. Mais, phénomène plus grave, les commandes passées par Alcatel portaient aussi sur une mise à disposition des salariés.
    Monsieur le ministre, on peut assimiler ce montageà un détournement occulte de main-d'oeuvre, à butlucratif,...
    Plusieurs députés du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle. La question !
    M. André Gerin. ... en violation flagrante de la loi, notamment de l'article L. 122-12 du code du travail.
    Mme Sylvia Bassot et M. Lucien Degauchy. Laquestion !
    M. André Gerin. Alcatel parvient à obtenir le départ de salariés tout simplement en les externalisant. Allez-vous engager des procédures pour non-respect du code du travail ?
    M. Lucien Degauchy. La question !
    M. le président. Monsieur Degauchy, pourriez-vous la fermer cinq minutes ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) C'est tout de même incroyable, vous ne cessez de crier !
    Poursuivez, monsieur Gerin.
    M. André Gerin. Monsieur le ministre, devant ces faits gravissimes, où les salariés sont considérés comme des paquets jetables, quelles dispositions comptez-vous prendre pour mettre fin à ces pratiques contraires à la loi, à l'emploi et au droit du travail ? (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité.
    M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Monsieur le député, comme vous le savez, la société Alcatel subit de plein fouet la crise du secteur des télécommunications. Le volume de ses commandes dans le domaine des réseaux de télécommunications, où elle figure parmi les leaders mondiaux, a chuté de 50 %. Au reste, cette situation frappe également les autres grands leaders de ce secteur que sont notamment Nortel et Lucent.
    Dans ces conditions, la société Alcatel doit s'adapter. La question qui se pose est de savoir si nous l'y aidons ou si nous voulons courir le risque de la voir disparaître purement et simplement.
    Cette question de l'adaptation de ce secteur industriel est au coeur des préoccupations du ministre de l'industrie et de l'ensemble du Gouvernement. Nous veillerons, monsieur le député, à ce que le plan social mis en place par cette entreprise soit exemplaire et à ce que les entreprises concernées consentent les efforts nécessaires de réindustrialisation, comme d'ailleurs la loi les y oblige. C'est une préoccupation que je partage avec le ministre de l'industrie.
    Je suis prêt, monsieur le député, à vous recevoir quand vous le souhaiterez pour évoquer cette question avec vous. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)

SAPEURS-POMPIERS VICTIMES DE LA ROUTE

    M. le président. La parole est à M. Denis Merville, pour le groupe UMP.
    M. Denis Merville. Monsieur le ministre de l'intérieur, chaque année, la route tue plus de 8 000 personnes et en blesse plus de 150 000, dont 26 000 gravement.
    Chacun autour de nous le constate, les risques sont grands non seulement pour les automobilistes, bien sûr, mais aussi pour les piétons, les cyclistes, les utilisateurs de deux-roues, victimes des excès d'autrui. Que dire encore des feux de signalisation « grillés », des passages protégés non respectés et des villages traversés à trop vive allure ? Tout cela pour quoi ? Tout simplement pour gagner quelques minutes, voire quelques secondes, en faisant courir des risques à des innocents !
    Ces derniers jours, ce sont cinq pompiers bénévoles qui ont été tués par un automobiliste dépassant largement la vitesse autorisée. Toutes nos pensées vont naturellement à leur famille. Ironie de ce drame, c'est en portant secours, en tentant de sauver la vie d'autrui que ces hommes, tous volontaires, jeunes, pères de famille, ont perdu la leur.
    Nous le savons tous, le dévouement des sapeurs-pompiers est sans limite. Volontaires, ils ont fait le choix de se consacrer à leur prochain. Leurs missions sont souvent dangereuses et ils y perdent trop souvent la vie.
    Ces drames, ces véritables assassinats, sont insoutenables. Nous devons tous agir pour plus de civisme et pour plus de respect des autres.
    Monsieur le ministre de l'intérieur, nous vous savons attaché aux sapeurs-pompiers. Vous avez mis en place une mission en vue d'améliorer la situation des volontaires, et vous avez bien fait, car la nation se doit de leur être reconnaissante et de leur accorder un meilleur statut. Pourriez-vous nous faire connaître les résultats de cette mission et les intentions du Gouvernement en la matière ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.
    M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Monsieur Merville, la mort de ces cinq pompiers - cinq de plus - est un drame national, qui a bouleversé la France et qui nous invite à faire preuve d'une grande solidarité envers les familles de ces victimes et de l'ensemble du monde des sapeurs-pompiers volontaires.
    On ne sait pas assez que, sur 240 000 sapeurs-pompiers, 200 000 sont des volontaires. (« Très bien ! » sur quelques bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.) Or, la France est confrontée à un problème de grande ampleur : nous n'avons pas assez de volontaires. Ceux-ci restent, en moyenne, cinq ans en fonction, alors qu'ils devraient rester plus longtemps pour être mieux formés. Le Gouvernement a engagé une série de réflexions à cet égard, et vous fera des propositions au début de l'année.
    Premièrement, si, par définition, le volontariat ne rapporte rien, il est en revanche inadmissible que cela coûte ! Aussi, le Premier ministre est d'accord pour que les années de volontariat soient prises en compte dans le calcul des annuités de retraite. Ce n'est que justice ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Deuxièmement, nous avons besoin de jeunes sapeurs-pompiers. Aussi, la décision de porter de seize à dix-huit ans l'âge auquel des jeunes peuvent s'engager dans les sapeurs-pompiers est une décision absurde. Il faut ramener cet âge à seize ans. (Mêmes mouvements sur les mêmes bancs.)
    Troisièmement, il faut que les compétences acquises en matière de sécurité civile servent pour la qualification professionnelle des jeunes sapeurs-pompiers volontaires. Une première décision a été prise avec le ministre de l'éducation nationale, M. Luc Ferry, en matière de CAP. Il faut que tous les jeunes qui passent tous leurs samedis à se former comme sapeurs-pompiers volontaires en retirent un avantage pour le baccalauréat. La nation doit enfin récompenser ceux qui rendent service aux autres, et il est temps qu'on arrête de parler de ceux qui empêchent les autres de vivre tranquillement. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Voilà la politique du Gouvernement en matière de sapeurs-pompiers volontaires. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)

ACCIDENT DE LORIOL

    M. le président. La parole est à M. Eric Besson, pour le groupe socialiste.
    M. Eric Besson. Monsieur le ministre de l'intérieur, comme vous venez de l'évoquer, la circonscription dont je suis l'élu, celle de la Vallée du Rhône, dans la Drôme, vient de connaître un sinistre mois de novembre.
    A peine remis de deux week-ends consécutifs de crues exceptionnelles du Rhône, qui ont provoqué des dégâts très importants, les Drômois ont subi le choc de l'effroyable accident sur l'autoroute A7, qui a coûté la vie à cinq sapeurs-pompiers, cinq hommes jeunes, ou en pleine force de l'âge, qui laissent derrière eux des familles anéanties et des amis traumatisés. Comme beaucoup de Loriolais et de Drômois, j'ai moi-même perdu un ami cher dans ce drame.
    Cet accident, très probablement dû, d'abord, à la vitesse excessive et irresponsable d'un automobiliste, suscite une émotion légitime, qui dépasse largement la ville de Loriol, très durement touchée, et le département de la Drôme. Il bouleverse tous ceux qui, qu'ils soient citoyens ou élus, savent le prix de la vie de ceux qui risquent la leur pour sauver celle des autres.
    Le sacrifice de Didier Bourgeat, Patrick Duc, Eric Duveau, José Garrido et de Laurent Broquet - aujourd'hui encore disparu - doit nous inciter à tout mettre en oeuvre pour sauver, à l'avenir, d'autres vies humaines.
    Je voudrais, monsieur le ministre, appeler votre attention sur le point suivant : l'accident que nous évoquons est ce que l'on appelle un sur-accident, c'est-à-dire un accident qui se produit alors que les secours portent assistance à un premier véhicule accidenté. Ces sur-accidents sont de plus en plus nombreux et frappent ceux qui interviennent sur nos autoroutes et sur nos routes : pompiers, gendarmes, mais aussi, en l'espèce, salariés des sociétés concessionnaires.
    Pensez-vous, monsieur le ministre, pouvoir prendre des dispositions pour renforcer la sécurité de ceux qui interviennent pour notre sécurité ? (Applaudissements sur tous les bancs.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.
    M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Monsieur le député, je vous remercie pour la grande hauteur de vue de votre question et pour le ton avec lequel vous l'avez posée, tout comme je remercie M. Denis Merville pour sa question précédente. Il va de soi que nous sommes tous concernés par la sécurité de ceux qui portent secours aux autres.
    J'ai regardé de très près ce qui s'est passé : eh bien, entre le premier et le second accident, 600 véhicules sont passés sur le lieu de l'accident et tous leurs conducteurs ont vu les feux de signalisation.
    Bien sûr, monsieur le député, on peut toujours renforcer les mesures de prévention, mais si l'on regarde les choses en face, on se rend compte que ce drame abominable, ce gâchis scandaleux, c'est d'abord le drame de la délinquance routière et de la vitesse, et pas simplement celui de l'âge. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.) En effet, il est des conducteurs âgés qui conduisent prudemment et il est des jeunes conducteurs qui se conduisent comme des criminels. Ce drame est bien celui de la délinquance routière, celui de la vitesse.
    Et si nous devons, évidemment, protéger les sapeurs-pompiers, les employés des autoroutes, les policiers, les gendarmes et les médecins, nous devons aussi protéger ceux qui peuvent devenir les victimes de ces drames. Savez-vous que sur les 8 000 personnes qui meurent chaque année sur les routes, la moitié d'entre elles sont totalement victimes, c'est-à-dire que leur seule faute a été de croiser la route d'un assassin qui s'ignore, d'un conducteur qui voulait gagner quelques minutes ou, tout simplement, qui avait oublié que l'alcool au volant cela tue. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.) Voilà la vérité, monsieur le député !
    Qu'allons-nous faire ? Le Président de la République a fait de la sécurité routière une des priorités de son quinquennat. Le Premier ministre présidera un comité interministériel de la sécurité routière où M. de Robien et moi-même ferons des propositions.
    En un mot, monsieur le député, l'impunité, c'est terminé !
    M. François Rochebloine. Bravo !
    M. Arnaud Montebourg. Sauf pour Chirac !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Le jour où les chauffards et les assassins en puissance auront la certitude de se faire prendre, d'être sanctionnés - parce que nous allons « truffer » nos autoroutes d'équipements automatiques permettant de repérer ceux qui ne respectent pas la vie des autres afin de les sanctionner durement (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française) -, ceux qui sont tous les jours et tous les week-ends sur nos autoroutes seront enfin en sécurité.
    Et pour que le dispositif soit vraiment complet, il faudra en même temps installer un système automatique pour avoir la certitude que, entre l'appareil qui relève l'infraction et celui qui fait payer la contravention, personne ne pourra intervenir pour faire sauter celle-ci. (Applaudissements sur les mêmes bancs.)
    Monsieur Besson, le Gouvernement partage pleinement votre préoccupation. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)

FERMETURE DU CENTRE DE SANGATTE

    M. le président. La parole est à M. Christian Decocq, pour le groupe UMP.
    M. Christian Decocq. Monsieur le ministre de l'intérieur, vous l'aviez dit, vous l'aviez promis, vous l'avez fait ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.) Dans moins d'un mois, le centre de Sangatte sera fermé. Cet horrible garage pour les êtres humains sera rasé.
    M. René Couanau. Certes ! Mais il ne faut pas en ouvrir un autre ailleurs !
    M. Christian Decocq. L'autorité de l'Etat sera restaurée.
    Monsieur le ministre, permettez-moi, au nom de la représentation nationale, mais surtout en tant qu'élu du Nord, de vous dire : bravo et merci. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.) Bravo et merci pour la décision que vous avez prise. Bravo et merci surtout pour la méthode.
    La méthode, c'est la politique, disait Roland Barthes. Et votre méthode, monsieur le ministre, consiste à associer concertation et décision, humanité et autorité. Comme cela paraît simple. Mais comme cela paraît aujourd'hui beaucoup plus dur pour le précédent gouvernement ! Quelle leçon pour lui ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Monsieur le ministre, pouvez-vous nous commenter les principales caractéristiques de la décision qui a été prise ? Mais surtout, pouvez-vous indiquer, pour les habitants du Nord - Pas-de-Calais, la leçon que vous comptez tirer pour l'avenir du règlement de ce difficile dossier, de façon à lutter efficacement contre les flux migratoires clandestins dans nos régions frontalières toujours plus exposées...
    M. Jean-Pierre Brard. La leçon à en tirer, c'est qu'il faut déplacer l'Angleterre ! (Sourires.)
    M. Christian Decocq. ... et où, une fois de plus, la géographie rejoint l'Histoire ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.
    M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Monsieur Decocq, je ne souhaite absolument pas polémiquer sur ce dossier, qui était sans doute l'un des plus complexes que nous ayons trouvés. Toutefois, l'honnêteté veut que je dise que rien n'aurait été possible sans l'implication personnelle du Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), qui, à tous les moments de l'instruction de ce dossier, a aidé à la négociation, en parfaite osmose avec l'action que j'ai conduite. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.) Je tenais à l'en remercier car ce n'était pas si évident lorsque, seuls contre beaucoup, nous avons pris la décision, le 5 novembre, de fermer le centre de Sangatte.
    M. François Lamy. Ce n'est pas Juppé qui l'aurait fait !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. D'abord, je voudrais saluer les élus du Nord - Pas-de-Calais, tous les élus, et notamment ceux de l'opposition (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste) qui ont bien voulu approuver, soutenir et comprendre, comme le maire communiste de Calais, comme M. Jack Lang, comme M. Michel Delebarre (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste), l'action que menait le Gouvernement. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Que chacun le prenne comme il veut, pour ma part, je considère que, lorsqu'il s'agit de la dignité d'hommes et de femmes, il n'est pas question d'étiquettes politiques : nous avons besoin du rassemblement de tout le monde.
    Quarante-cinq officiers de l'immigration britannique sont arrivés dès hier après-midi et les premiers réfugiés kurdes, irakiens, afghans partiront pour l'Angleterre dès demain, mais je souhaite que tous ceux qui ont voulu donner des leçons d'humanité au Gouvernement regardent ce qui se passe à Sangatte. Il y a encore soixante-dix mineurs et des situations de détresse épouvantables.
    Demain, ces hommes et ces femmes, qui depuis trois ans et trois mois vivaient dans la misère la plus horrible et la moins cohérente avec les valeurs de la République, trouveront le bonheur, puisqu'aucun d'entre eux ne restera sans solution, et cela, mesdames et messieurs, c'est la majorité qui l'a voulu.
    Bien sûr, tous les problèmes de l'immigration ne sont pas réglés pour autant. Qui l'a dit ? Qui aurait la folie de le prétendre ? Mais au moins est-ce un message envoyé à la misère du monde : il n'y a pas d'avenir dans le hangar sordide de Sangatte.
    Je voudrais faire une dernière remarque : quand il y a une volonté politique, il est possible de faire bouger les choses. C'est cela le grand message que la République adresse à nos concitoyens. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Christian Bataille. Littérature de bon marché !

CONTRAT D'AGRICULTURE DURABLE

    M. le président. La parole est à M. Antoine Herth, pour le groupe UMP.
    M. Antoine Herth. Monsieur le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales, au mois de juin dernier vous avez demandé un audit sur le contrat territorial d'exploitation. Les conclusions de celui-ci ont révélé de graves lacunes : complexité des procédures, dérive financière, inégalité de traitement entre régions et, à l'intérieur d'une même région, entre différents demandeurs, efficacité environnementale peu probante.
    Cet audit a permis en outre de recentrer le débat sur l'essentiel, à savoir la mise en oeuvre en France de la politique européenne de développement rural, qui doit permettre à nos agriculteurs de répondre à la demande des Français en matière d'environnement.
    Monsieur le ministre, en vous fondant sur les conclusions de cet audit, vous venez d'annoncer la mise en place d'un nouveau dispositif, le contrat d'agriculture durable.
    Pouvez-vous nous préciser comment vous souhaitez mettre en oeuvre ce nouveau dispositif et quelles seront les conséquences attendues ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Christian Bataille. Allô ?
    M. le président. La parole est à M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales.
    M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales. Vous avez rappelé, monsieur le député, les lacunes et les insuffisances qui nous ont conduits à suspendre les contrats territoriaux d'exploitation. A l'époque, j'avais annoncé que, bien évidemment, les contrats signés seraient honorés, que ceux qui n'étaient pas encore signés seraient instruits et signés sur une base plafonnée de 27 000 euros, ce qui est en train de se faire, et qu'un nouveau dispositif serait proposé pour l'avenir, c'est chose faite.
    Après un travail approfondi avec les organisations professionnelles et syndicales agricoles, nous avons décidé de mettre en place, à partir du début de l'année prochaine, le contrat d'agriculture durable.
    D'abord, ce contrat sera simplifié, c'est-à-dire que les phases d'instruction et de contrôle seront réunies dans une déclaration unique. Ensuite, ce contrat sera recentré sur les mesures agro-environnementales utiles, sachant qu'il comprendra à la fois un volet environnemental et, bien évidemment, pour les exploitations qui le souhaitent, un volet économique et territorial. Par ailleurs, ce contrat sera adapté au terrain, et donc déconcentré au maximum dans les départements pour répondre concrètement aux problèmes qui se posent dans chaque département. Ce n'est pas le ministère, et encore moins le cabinet du ministre, qui doit décider de ce qui est utile, mais les paysans eux-mêmes. Enfin, le contrat sera beaucoup plus équitable, parce que plafonné sur une moyenne départementale de 27 000 euros, répondant ainsi à une des principales critiques adressées aux anciens CTE, qui introduisaient en effet beaucoup d'inégalités entre les paysans de France.
    Voilà, monsieur le député, quel sera le contenu du contrat d'agriculture durable (Exclamations sur certains bancs du groupe socialiste), dont nous souhaitons qu'il puisse utilement contribuer à construire l'agriculture française de demain. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)

POLITIQUE DE L'ÉDUCATION

    M. le président. La parole est à M. Yves Durand, pour le groupe socialiste.
    M. Yves Durand. Monsieur le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche, le week-end dernier, dix-sept des trente-trois membres du Conseil de l'innovation pour la réussite scolaire ont démissionné. Ce nouveau coup porté à l'école pourrait paraître anodin, s'il ne venait après la suppression des postes d'aide éducateur, après la suppression de 5 600 postes de surveillant, après la suppression de 5 000 postes d'enseignant dans l'enseignement supérieur (Exclamations sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle),...
    M. Philippe Briand. Ça n'a rien à voir !
    M. Yves Durand. ... après la mise en cause de l'enseignement des langues étrangères et de la culture artistique à l'école primaire du fait de l'amputation massive des crédits pédagogiques (Nouvelles exclamations sur les mêmes bancs),...
    M. Philippe Briand. Après la défaite de Jospin.
    M. Thierry Mariani. Après la défaite des socialistes !
    M. Yves Durand. ... après la diminution des fonds sociaux créés pour venir en aide aux familles défavorisées.
    De plus, monsieur le ministre, en supprimant le plan pluriannuel de recrutement des enseignants, vous avez jeté dans l'angoisse des milliers d'étudiants qui voulaient entrer dans l'éducation nationale (Exclamations sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle) et vous refusez de préparer l'avenir.
    En fait, toutes les actions mises en place pour donner à l'école les moyens réels de devenir l'école de la réussite pour tous sont systématiquement démantelées par le Gouvernement.
    A la colère de tous les personnels enseignants, à l'inquiétude des parents, vous ne répondez que par l'installation de grillages et de portiques de sécurité à la porte des collèges et des lycées. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Philippe Briand. Caricature !
    M. Yves Durand. Vous faites bien quelques promesses mais elles sont immédiatement démenties par les faits. Un exemple : aucun crédit n'est prévu pour payer vos assistants d'éducation (Exclamations sur les mêmes bancs), sauf à faire appel aux collectivités territoriales.
    Alors, monsieur le ministre, quand allez-vous enfin entendre tous ceux, de plus en plus nombreux - et vous les entendrez s'exprimer dimanche prochain, à Paris -, qui vous demandent de rétablir enfin les moyens dont l'école et les enseignants ont besoin pour continuer à lutter contre les inégalités et construire l'école de la réussite pour tous ? Cette question pourrait d'ailleurs s'adresser à M. le Premier ministre, qui s'est exprimé sur ce sujet, le week-end dernier dans un grand quotidien du soir. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche.
    M. Luc Ferry, ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche. Monsieur le député, j'aimerais vous rappeler simplement quatre chiffres.
    Le premier est celui des 158 000 jeunes qui, en 2002, sont sortis de notre système éducatif sans diplôme ni qualification. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Le deuxième est celui des 81 600 incidents graves qu'ont connus nos établissements. Encore faut-il préciser que la statistique ne concerne que 75 % des établissements, qu'elle ne porte que sur six mois et que les incidents en question sont des incidents à la limite de la qualification pénale.
    Mme Martine David. Raison de plus !
    M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche. Je précise que ces chiffres proviennent des directions du précédent ministère de l'éducation nationale, ils ne sont donc pas suspects - en tous cas chez vous, j'imagine.
    Le troisième chiffre que j'aimerais rappeler est celui des 20 à 25 % de jeunes qui, à l'entrée en sixième, ne savent pratiquement pas lire ou écrire, ou qui ont de grandes difficultés à maîtriser les compétences de base. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocraite française.)
    Le quatrième et dernier chiffre que je voudrais donner, pour mettre les choses en perspective, est celui de l'augmentation du budget de l'éducation nationale qui a été de 25 % très exactement dans les dix dernières années, soit pratiquement 100 milliards de francs supplémentaires.
    M. Yves Durand. Ce n'est pas vrai !
    M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche. Quelqu'un pourrait-il dans cette assemblée sérieusement prétendre que les résultats de notre système ont également augmenté de 25 % ? Je vous laisse le soin de répondre... (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains. - Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. François Lamy. C'est simpliste !
    M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche. Toutes les mesures que nous mettons en place, qu'il s'agisse de la prévention de l'illettrisme, des dispositifs en alternance que nous mettons en oeuvre avec le Premier ministre pour revaloriser l'enseignement professionnel, de la lutte contre la violence et l'insécurité dans les établissements, de la lutte contre l'échec scolaire dans les premiers cycles universitaires, toutes ces mesures vont dans le bon sens. Nous les mettrons en place avec détermination, nous en avons les moyens. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. François Lamy. C'est lamentable !
    M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche. Et ce n'est pas les criailleries que j'entends qui nous empêcheront de le faire ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. François Lamy. C'est pas possible !

SOUTIEN À LA CULTURE

    M. le président. La parole est à M. Olivier Dassault, pour le groupe UMP.
    M. Olivier Dassault. Ma question s'adresse à M. le ministre de la culture et de la communication.
    Rompant avec les effets en trompe-l'oeil des budgets précédents, votre budget est sincère dans sa présentation et équilibré dans ses ambitions. Il est au service de la promotion de la création, de la défense du patrimoine et de l'élargissement de l'accès à la culture.
    M. François Hollande. On dirait Le Figaro !
    M. Olivier Dassault. Je sais également, monsieur le ministre, que vous êtes convaincu de la nécessité d'accompagner votre action par des mesures d'incitations fiscales. Dans un contexte budgétaire qui rend indispensable la baisse des dépenses publiques et vous contraint à rationaliser vos crédits, la défiscalisation est un moyen qu'il ne faut pas négliger, comme le prouve le succès des déductions existantes.
    M. François Lamy. Ce n'est pas ce que disait votre père !
    M. Olivier Dassault. Qu'il s'agisse des travaux sur les monuments historiques, des investissements dans le cinéma ou des dations d'oeuvres d'art. (Exclamations ironiques sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. le président. Un peu de calme, chers collègues.
    M. Olivier Dassault. Pourtant, l'incitation en faveur des dons et du mécénat est encore trop limitée. Le système actuel est complexe pour les particuliers, défavorable aux revenus modestes et décourageant pour les plus généreux. Aussi, plutôt que de compter exclusivement sur les achats des commandes publiques, nous devons améliorer les dispositions en faveur des dations. (Mêmes mouvements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    C'est de cette façon que se sont constituées et que se développent les grandes fondations américaines, dont la qualité des collections et l'attrait pour le grand public ne sont plus à démontrer.
    M. Bernard Roman. La question !
    M. Jean-Pierre Soisson. Oh, ça va !
    M. le président. Monsieur Roman, chacun a le droit de s'exprimer.
    M. Olivier Dassault. J'y vois le meilleur moyen d'assurer la concurrence nécessaire à l'émergence de nouveaux courants de création et d'éviter le risque de favoriser un art officiel soutenu par l'Etat. Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous préciser votre réflexion et vos projets dans ce domaine ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et sur plusieurs bancs du groupe Union pour la démocratie française. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et sur les bancs groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre de la culture et de la communication.
    M. Jean-Pierre Brard. La réponse sera peut-être meilleure que la question !
    M. Jean-Jacques Aillagon, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le député, au printemps dernier, le Président de la République a indiqué qu'il souhaitait libérer les initiatives, et le Premier ministre a marqué son attachement à cette perspective, ici même, le 3 juillet, lors de son discours de politique générale. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)
    En effet, il convient de faire en sorte que, aux côtés de l'Etat et des collectivités locales, tous ceux qui sont attachés au développement culturel de notre pays - les particuliers, les entreprises, les fondations, les associations et, bien sûr, les créateurs eux-mêmes - puissent le faire dans de bonnes conditions, et en bénéficiant de la reconnaissance de la nation.
    M. Christian Bataille. Par la privatisation ?
    M. le ministre de la culture et de la communication. C'est la raison pour laquelle j'ai récemment présenté au Premier ministre un ensemble de propositions visant à développer dans notre pays le mécénat et les fondations, qui se trouvent dans une situation totalement archaïque et déprimée par rapport à d'autres pays d'Europe. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Ces propositions font actuellement l'objet d'un travail interministériel, et le Premier ministre et moi-même devrions être très prochainement en mesure de faire connaître les décisions que le Gouvernement adoptera en la matière.
    Nous nous sommes également penchés sur l'importante question de la fiscalité qui pèse sur les productions des industries culturelles.
    M. Jean Glavany. Créerez-vous une fondation Dassault, voilà la question !
    M. le ministre de la culture et de la communication. Le livre bénéficie déjà, ce dont chacun se félicite, d'un régime aménagé.
    M. Jean Le Garrec. Merci qui ? Merci M. Lang !
    M. le ministre de la culture et de la communication. Le premier domaine de production culturelle auquel nous nous sommes intéressés est celui du disque. Nous avons officiellement saisi le commissaire européen en charge de la fiscalité et nous avons présenté à l'ensemble des pays membres de l'Union un memorandum sur la question de la baisse de la TVA sur le disque.
    M. François Hollande. Un simple memorandum ?
    M. le ministre de la culture et de la communication. Ce sera une mesure incitative, qui devrait favoriser le développement de ce secteur de la production culturelle, notamment chez les jeunes, qui, vous le savez, sont les principaux acheteurs de disques.
    Cette mesure a reçu l'appui d'un certain nombre de nos partenaires de l'Union. Ainsi, Mme Christina Weiss, la nouvelle ministre allemande de la culture, m'a fait connaître son total soutien, tout comme le ministre italien de la culture, M. Guliano Urbani. Le Premier ministre a souhaité que nous confiions une mission spécifique sur cette question à M. François Léotard, qui connaît bien la question, puisque c'est lui lui qui, en 1987, avait été le promoteur de la première baisse de la TVA sur le disque.
    De façon plus large, et à l'avenir ...
    M. le président. Monsieur le ministre, ne m'obligez pas à vous censurer, votre temps est écoulé.
    M. Jean Le Garrec. Largement écoulé !
    M. le ministre de la culture et de la communication. Monsieur le président, je finis juste ma phrase.
    Nous nous attacherons de la même façon à étudier la question de la fiscalité portant notamment sur le patrimoine et sur le marché de l'art. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)

MOBILISATION CONTRE LE SIDA

    M. le président. La parole est à M. Emile Blessig, pour le groupe UMP.
    M. Emile Blessig. Ma question s'adresse à M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées.
    Monsieur le ministre, ce 1er décembre s'est déroulée la quatorzième journée mondiale contre le sida. A cette occasion, le chef de l'Etat a appelé à une mobilisation générale et rapide contre cette maladie, au niveau de l'information, de la prévention et du dépistage, au niveau des soins, au niveau de l'insertion des victimes dans leur vie sociale. Le Président de la République a ajouté qu'au-delà de la France un effort beaucoup plus important devait être engagé sur le plan international, notamment vis-à-vis de l'Afrique, qui est le continent le plus touché par cette épidémie.
    Monsieur le ministre, la situation est aujourd'hui difficile à comprendre. Alors que nous savons que la recherche sur le sida progresse de manière significative, on continue en France de mourir du sida. L'ampleur de ce fléau réclame un plan d'urgence au niveau national et international. Quelles sont vos intentions en la matière ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées.
    M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées. Monsieur le député, la lutte contre le sida marque la pas. On a cru qu'avec les trithérapies la maladie pourrait être guérie. Ce n'est pas le cas. Avec le temps, le relâchement dans la prévention des risques s'est banalisé. On a eu tort : chaque jour, cinq nouveaux cas de sida se déclarent en France. Il est temps de réagir.
    C'est ce que fait ce gouvernement.
    Pour l'information, une nouvelle action sera engagée pour les groupes ciblés, difficiles : 850 spots télévisés seront diffusés pour le seul mois de décembre 2002, et une évaluation sera conduite pour voir si la cible a été atteinte.
    Pour la réduction des risques, nous allons relancer le dépistage anonyme et gratuit. Par ailleurs, conformément au décret de 1999, et après une longue concertation avec les partenaires et la consultation de la CNIL, la déclaration anonyme sera obligatoire, dès le 1er janvier 2003.
    Pour la prise en charge, nous accentuerons nos efforts, sur la base du rapport Delfraissy, en direction des femmes, dans le cadre de la transmission mère-enfant, et des personnes co-infectées sida-hépatite C. Enfin, j'ai autorisé le double circuit de distribution des médicaments sida, hépatite C, hépatite B.
    Vous avez parlé du droit, du juste droit des patients. Grâce à une convention avec la Caisse nationale d'assurance maladie, un financement pérenne a été trouvé pour les appartements thérapeutiques, suite à un décret d'octobre 2002.
    M. François Goulard. Très bien !
    M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées. Avec l'accord de Mme Haigneré, nous soutiendrons l'Agence nationale de recherche contre le sida qui fait un très bon travail.
    Sur le plan international, la France est présente au travers du fonds mondial de l'ONUSIDA et du groupe ESTHER, Ensemble pour une solidarité thérapeutique en réseau.
    Comme l'a dit le Président de la République, le sida est une lutte, une cause qui nous concerne tous. Toutes les personnes qui sont engagées, professionnels, associatifs, bénévoles, seront soutenues et encouragées pour le mieux-être des personnes menacées et des malades. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)

ALLOCATION PERSONNALISÉE D'AUTONOMIE

    M. le président. La parole est à M. Michel Vergnier, pour le groupe socialiste.
    M. Michel Vergnier. Ma question s'adresse à M. le Premier ministre.
    L'allocation personnalisée d'autonomie est une formidable avancée sociale.
    M. Edouard Landrain. Encore faut-il la financer !
    M. Michel Vergnier. Elle permet de s'attaquer au problème du vieillissement de la population en favorisant le plus possible le maintien à domicile des personnes âgées. Elle a d'ores et déjà permis à plus de 300 000 d'entre elles de retrouver leur dignité. L'APA est pourtant, nous semble-t-il, dans le collimateur du Gouvernement.
    M. Lucien Degauchy. Des sous !
    M. Michel Vergnier. Vous venez d'annoncer une augmentation de la participation des bénéficiaires de l'allocation qui restent à domicile. Cette mesure remet en cause le principe même de l'APA et fait supporter par les familles une charge supplémentaire en réduisant le niveau de l'allocation.
    Souhaitez-vous donc revenir à la PSD, pourtant nettement insuffisante et inégalitaire ?
    De nombreuses personnes âgées dépendantes se trouvent dans une situation de grande fragilité. Cette mesure les inquiète car elles craignent que vous ne considériez l'APA comme un surcoût et non comme une avancée sociale.
    M. Pierre Cardo. C'est incroyable d'entendre cela !
    M. Michel Vergnier. Par ailleurs, en refusant d'augmenter le fonds de financement de l'APA, comme la loi l'a pourtant prévu, afin d'aider les départements à mettre en oeuvre ce droit, vous ne prenez pas vos responsabilités.
    Dans le département de la Creuse, que je représente, chacun sait ce que cela signifie. A ce jour, les seules propositions que vous avez faites visent à faire payer davantage les bénéficiaires. Nous vous avons fait d'autres propositions par le biais d'amendements au Sénat et à l'Assemblée nationale. Nous seulement ils ont été refusés, mais vous n'avez même pas voulu les examiner. Votre secrétaire d'Etat aux personnes âgées a pourtant pris des engagements précis lors des questions au Gouvernement, le 22 octobre dernier.
    Monsieur le Premier ministre, l'heure n'est plus au rejet des responsabilités sur d'autres ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Ce petit refrain-là commence à être usé. L'heure est aux décisions ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.) Nos aînés méritent et attendent des engagements clairs. Ils veulent préserver l'APA. Ils craignent son démantèlement.
    Monsieur le Premier minsitre, très concrètement, qu'allez-vous faire ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe desdéputé-e-s communistes et républicains.)
    M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat aux personnes âgées. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Bernard Roman. Il est maire de Toulon, lui !
    M. le président. Monsieur Roman, laissez M. Falco répondre !
    M. Hubert Falco, secrétaire d'Etat aux personnes âgées. Monsieur Vergnier, nous allons prendre les responsabilités que vous n'avez pas su ou pas voulu prendre. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et sur plusieurs bancs du groupe Union pour la démocratie française.)
    Le Premier ministre s'est engagé à Strasbourg, devant les conseillers généraux, à maintenir la prestation. A sa demande, nous avons organisé avec François Fillon une large concertation, à laquelle participe l'ensemble des présidents de conseils généraux, de droite et de gauche, pour essayer de trouver un juste équilibre entre la maîtrise en coût de cette prestation, qui met aujourd'hui à mal l'ensemble des budgets départementaux (« Eh oui ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française) et les solutions qui nous permettront de pérenniser cette bonne mesure.
    Cette concertation, qui a été lancée le 20 novembre, se poursuit avec deux ou trois révisions par semaine. Ainsi que nous l'avons prévu, c'est avant le 15 décembre, la plupart des conseils généraux votant leurs budgets avant la fin du mois de décembre, que nous prendrons les décisions qui s'imposent. (« Lesquelles ? » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    Nous prendrons les décisions que vous n'avez pas su prendre ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Nous prendrons les décisions qui nous permettront de pérenniser la mesure. (Mêmes mouvements.)
    Monsieur Vergnier, retournez-vous vers le gouvernement que vous avez soutenu pendant des années et qui, avec beaucoup de démagogie, a mis en place une mesure sociale...
    Mme Martine David. Une très bonne mesure !
    M. le secrétaire d'Etat aux personnes âgées. ... en faisant croire aux personnes âgées qu'elle serait financée alors que les financements n'étaient pas prévus. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Voilà, monsieur le député, ce que nous allons faire. Vous serez cette fois-ci très rapidement fixés sur le sujet alors que, pendant un an, vous n'avez pas su agir ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)

DÉVELOPPEMENT DURABLE

    M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Guillet, pour le groupe UMP.
    M. Jean-Jacques Guillet. Monsieur le président, ma question s'adresse à Mme la secrétaire d'Etat au développement durable.
    Tout au long de l'année 2002, la France, par la voix du Président de la République, a pris un rôle directeur, un rôle pilote en matière de développement durable. On se souvient des discours de Jacques Chirac à la conférence de Monterrey et au sommet de Johannesburg.
    De son côté, le Gouvernement a pris des décisions importantes en ce qui concerne, en particulier, l'aide publique au développement, en l'accroissant et en augmentant également la contribution de la France au programme des Nations unies pour l'environnement.
    Le Président de la République, lors du sommet de Johannesburg, avait indiqué son choix, qui a été largement partagé dans le monde, en faveur de la création d'une organisation mondiale pour l'environnement et d'un conseil de sécurité économique et social, qui viendraient épauler l'Organisation mondiale du commerce et corriger les nombreux effets pervers de la mondialisation.
    M. Maxime Gremetz. La question !
    M. Jean-Jacques Guillet. C'est dans ce contexte, et alors que les Français sont de plus en plus sensibilisés au développement durable, notamment aux changements climatiques et à l'écologie urbaine (« La question ! » sur les bancs du groupe socialiste), bien que le sujet leur semble encore un peu diffus - l'expression « développement durable » n'a peut-être pas encore pour eux toute la clarté souhaitable - que le Premier ministre a réuni il y a quelques jours un séminaire rassemblant tous les ministres du Gouvernement. Vous avez été chargée, madame la secrétaire d'Etat, de donner une impulsion et de coordonner l'action du Gouvernement en ce domaine. (« La question ! » sur les bancs du groupe socialiste.)
    Je souhaiterais que vous informiez la représentation nationale des décisions qui ont été prises à cette occasion et de la façon dont vous imaginez la participation des citoyens, car il ne peut pas y avoir de développement durable sans la participation des citoyens ni sans celle, au premier chef, du Parlement. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'Etat au développement durable.
    Mme Tokia Saïfi, secrétaire d'Etat au développement durable. Monsieur le député, souhaité par le Premier ministre, le séminaire sur le développement, à la préparation duquel ont été largement associés les autres ministres, marque une étape décisive pour l'action du Gouvernement en faveur du développement durable. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Il a permis de lancer les travaux pour préparer la stratégie nationale de développement durable et d'adopter d'ores et déjà une soixantaine de mesures à court et moyen terme.
    Le Président de la République, comme vous l'avez rappelé, monsieur le député, a, par ses engagements sur la scène internationale, montré la voie. Le Gouvernement souhaite donner au développement durable une dimension majeure et l'intégrer dans l'ensemble de ses politiques publiques. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Six axes prioritaires ont été entérinés par le séminaire : les activités économiques ; les territoires ; la précaution, la prévention, la police ; l'information, l'éducation et la participation ; l'Etat exemplaire ; l'action internationale. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Jean-Pierre Brard. Voilà qui est nouveau !
    Mme la secrétaire d'Etat au développement durable. Ces axes seront l'occasion d'aborder des problématiques de développement durable, notamment pour ce qui touche à l'agriculture, aux transports et aux changements climatiques. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Jean-Pierre Soisson. Silence !
    Mme la secrétaire d'Etat au développement durable. Notre travail consiste maintenant, sur chacun de ces thèmes, à préciser les axes stratégiques, à définir des objectifs précis et un calendrier. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste. - Bruit.)
    Un délégué du groupe socialiste. On n'entend pas la secrétaire d'Etat !
    M. le président. Vous l'entendriez si vous l'écoutiez dans le silence !
    Mme la secrétaire d'Etat au développement durable. En ce qui concerne le dispositif et le calendrier, un comité interministériel pour le développement durable, présidé par le Premier ministre, sera installé. Un conseil national du développement durable, qui associera la société civile, sera mis en place le 14 janvier. La stratégie nationale de développement durable sera avalisée au printemps prochain. Enfin, chaque année, le Parlement sera consulté et débattra sur les problèmes de développement durable.
    M. Charles Cova. Très bien !
    Mme la secrétaire d'Etat au développement durable. Vous voyez, monsieur le député, si tant est qu'il faille encore le prouver, que notre gouvernement est celui de l'action et non celui de l'incantation. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle, du groupe Union pour la démocratie française et sur quelques bancs du groupe socialiste.)
    Un député du groupe socialiste. On a eu du mal à entendre !
    M. le président. Je vous remercie, madame. S'exprimer ici est toujours difficile. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Si vous aviez mieux écouté, peut-être Mme le secrétaire d'Etat aurait-elle pu mieux se faire entendre. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

RÉFORME DE L'ÉTAT

    M. le président. La parole est à M. Nicolas Forissier, pour le groupe UMP.
    M. Nicolas Forissier. Monsieur le président, je souhaiterais m'adresser à M. le secrétaire d'Etat à la réforme de l'Etat. (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste.)
    Monsieur le secrétaire d'Etat, la réforme de l'Etat est nécessaire. Nous le savons tous sur ces bancs. Mais c'est une oeuvre complexe.
    Je prendrai à cet égard deux exemples.
    D'abord, la France est l'un des pays développés qui connaît le taux de prélèvements obligatoires le plus élevé (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), ce qui pèse sur notre compétitivité et sur l'attractivité de notre territoire. Il est préférable d'avoir mieux d'Etat plutôt que plus d'Etat. Nous devons donc réformer.
    Ensuite, nos concitoyens expriment régulièrement, une attente : ils veulent plus de relations humaines face à l'administration, plus de simplification, plus d'efficacité. Là aussi, il faut réformer.
    Ma question portera sur la méthode que vous entendez impulser pour conduire cette mission qui vous revient.
    La DREE, la direction des relations économiques extérieures, a consenti un effort considérable ces dernières années. C'est la première administration de l'Etat à avoir bénéficié du label de qualité ISO 9001. Cela prouve que nous pouvons réformer les administrations de l'Etat.
    Entendez-vous vous inspirer, comme la quasi-totalité des fonctionnaires le souhaite, de cette démarche « qualité » et selon quel calendrier ?
    Nous attendons des réponses précises. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat à la réforme de l'Etat. (Exclamations sur de nombreux bancs.)
    Chers collègues, pouvez-vous écouter le secrétaire d'Etat pendant deux minutes ?..
    Vous avez la parole, monsieur le secrétaire d'Etat.
    M. Henri Plagnol, secrétaire d'Etat à la réforme de l'Etat. Monsieur le député, le service public est effectivement confronté à deux défis : celui de la performance, qui exige un service public qui soit plus économe des deniers publics, et celui de la qualité pour mieux répondre à l'exigence des usagers. Cela signifie qu'il n'y a pas d'autre choix que celui de la réforme (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)...
    M. Dominique Dord. Très bien !
    M. le secrétaire d'Etat à la réforme de l'Etat. ... si l'on veut dégager des marges de manoeuvre et augmenter, à moyens constants, la qualité. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

    Les exemples que vous avez cités témoignent de ce que la révolution « qualité » peut permettre de faire gagner à la fois en productivité...
    M. Jean-Pierre Brard. La révolution, ce n'est pas vous !
    M. le secrétaire d'Etat à la réforme de l'Etat. ... et en services à nos concitoyens (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) C'est pourquoi le Premier ministre m'a demandé de veiller à ce que, dans chaque plan de réforme des administrations. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste),..
    M. le président. Ecoutez le ministre !
    M. le secrétaire d'Etat à la réforme de l'Etat. ... il y ait un volet « qualité ».
    Pour être efficaces, les démarches « qualité » doivent satisfaire à plusieurs critères, le premier étant la définition d'objectifs concrets et mesurables...
    M. Michel Delebarre. Le président n'y croit pas !
    M. le président. Monsieur Delebarre, taisez-vous !
    M. le secrétaire d'Etat à la réforme de l'Etat. ... par les usagers. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Il s'agit, par exemple, de la réduction des délais : des délais d'attente au téléphone, des délais de traitement des courriers, des délais d'obtention des rendez-vous, des délais d'attente aux guichets. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Deuxième critère : la capacité d'associer les personnels aux objectifs de la réforme et de progresser dans la voie d'un management plus participatif. (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Arnaud Montebourg. Aura-t-il le prix Nobel ?
    M. le secrétaire d'Etat à la réforme de l'Etat. Troisième critère : la révision de l'ensemble des tâches et des procédures dans la perspective de limiter les gaspillages et les doublons et d'optimiser les processus de décision.
    Enfin, il faut mettre en place un dispositif d'évaluation rigoureux. C'est ainsi que nous parviendrons à traduire concrètement l'exigence de qualité.
    M. le président. Merci, monsieur le secrétaire d'Etat...
    M. le secrétaire d'Etat à la réforme de l'Etat. Mesdames, messieurs les députés, et j'espère que nous partageons cette conviction sur tous les bancs, le Gouvernement a confiance dans la capacité du service public à relever le défi de la qualité. C'est ainsi que nous parviendrons...
    M. le président. Monsieur le secrétaire d'Etat, je vais vous interrompre. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. François Lamy. Laissez parler le secrétaire d'Etat !
    M. le secrétaire d'Etat à la réforme de l'Etat. Je termine, monsieur le président.
    C'est ainsi, disais-je, que nous parviendrons à réconcilier nos concitoyens avec le service public et les entreprises publiques. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)

SITUATION EN CORSE

    M. le président. La parole est à M. Emile Zuccarelli, député non inscrit.
    M. Emile Zuccarelli. Monsieur le président, ma question s'adresse à M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.
    Monsieur le ministre, depuis le début de l'année, la Corse a connu près de 220 attentats, chiffre voisin de celui de 2001. Au fil des années, les chiffres ont été, hélas, assez constants. Ils s'inscrivent dans un contexte particulier, les séparatistes tentant de récupérer chacune des décisions du Gouvernement concernant la Corse comme autant de gestes politiques à leur endroit.
    Il en va ainsi des mesures de rapprochement des condamnés insulaires, en application depuis hier. Ces mesures ne sont, je veux être très clair, absolument pas contestables : elles ne sont que l'application de la loi. Mais contrairement à ce qui est dit ici ou là, elles concernent tous les condamnés et pas seulement les terroristes.
    De même, l'organisation décentralisée des concours des catégories B et C de la fonction publique se fait déjà ailleurs. Parler à ce propos de « corsisation » des emplois est une ineptie.
    M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Exactement !
    M. Emile Zuccarelli. Mais, et la démonstration en a été faite par le passé et même récemment, les gestes en direction des violents et de leurs porte-parole sont inopérants s'ils prétendent arrêter la violence. (Applaudissements sur divers bancs.)
    Au contraire, pris comme autant de signes de faiblesse, ils ne font que renforcer les poseurs de bombes dans leur détermination.
    Autre exemple : les avancées en matière de décentralisation ont leurs vertus et la Corse est à la pointe du mouvement. Très bien ! Mais il serait vain d'en attendre la paix car, aujourd'hui en Corse, les bombes mêlent de manière indissociable revendications d'indépendance et activités mafieuses.
    M. Pierre Lellouche. Il fallait le dire à M. Jospin !
    M. Jean Glavany. Voulez-vous que l'on dise comment les choses se sont effectivement passées, monsieur Lellouche ?
    M. Emile Zuccarelli. Elles nuisent à la Corse et à son développement, ainsi que vous l'avez vous-même rappelé, monsieur le ministre, lors de votre récente visite dans l'île.
    Vous avez reçu samedi dernier les principaux responsables de la sécurité en Corse.
    Ma question sera la suivante : quelles mesures le Gouvernement entend-il prendre pour assurer dans notre région, comme dans toutes les régions françaises, la sécurité publique à laquelle ont droit nos concitoyens, en Corse comme ailleurs ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle, du groupe Union pour la démocratie française et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.
    M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Monsieur le député, je partage beaucoup des jugements que vous venez de formuler.
    Aujourd'hui, la situation de la Corse, je suis le premier à le reconnaître, n'est pas satisfaisante.
    Que se passe-t-il ? La Corse est confrontée à une triple crise qui ne date pas d'hier et qui n'a pas été résolue au cours des sept derniers mois, je le concède.
    Il s'agit d'abord d'une gigantesque crise de confiance. J'ai observé qu'en Corse plus personne ne fait confiance à personne, pas même entre Corses. Tout le monde est divisé : la gauche est divisée, la droite est divisée, les autonomistes sont divisés. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Or on ne construit pas sur la division ! (Exclamations sur les mêmes bancs.)
    Mesdames, messieurs de l'opposition, le sujet est suffisamment difficile pour que l'on essaie pendant un instant de rassembler nos énergies ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. François Lamy. Il fallait le faire avant !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Il s'agit ensuite d'une crise du développement. La Corse compte 1 000 kilomètres de côte alors qu'il y a 750 kilomètres de côte entre Menton et Perpignan. C'est là un atout exceptionnel. Malgré cela, aucun gouvernement, de gauche, de droite ou du centre, n'a pu réussir, depuis 1975, à donner à la Corse la chance d'un développement.
    Il s'agit, enfin, d'une crise endémique : la crise de la violence. Il suffit de lire Mateo Falcone, la nouvelle de Prosper Mérimée, pour se rendre compte que cela ne date pas d'hier. La Corse n'est pas une région comme les autres dans ses rapports avec la violence. Le dire, c'est rappeler une réalité.
    Que peut-on faire face à cette situation ?
    Le Gouvernement essaie de construire une politique en trois temps.
    Premièrement, il faut essayer de mobiliser les Corses pour choisir enfin et une bonne fois pour toutes les institutions qui leur permettront de saisir la chance de la paix et du développement, y compris en utilisant un élément très important des projets de décentralisation du gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, lequel prévoit d'interroger pour une fois les Corses eux-mêmes, et non pas simplement ceux qui les représentent, sur leur avenir et sur leurs souhaits. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Paul Giacobbi. Très bien !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Ce sera bien difficile et il faudra se mettre d'accord là-dessus. Nous aurons l'occasion d'en reparler.
    Deuxièmement, je conduirai une délégation d'élus corses à Bruxelles où le président de la Commission européenne, M. Prodi, a pour la première fois accepté une matinée de travail avec l'ensemble des élus corses pour étudier un statut économique et fiscal stable pour la Corse.
    Troisièmement, enfin, il n'y a aucune raison que les Corses ne jouissent pas de la sécurité à laquelle ont droit tous les Français sur l'ensemble du territoire national. J'ai réuni les responsables de la police. Des initiatives vont être prises avant Noël. J'espère, monsieur le député, qu'elles seront à la hauteur de vos espérances. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. François Lamy. On en reparlera !
    M. le président. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.
    Mes chers collègues, je vous précise que le débat sur l'avenir de l'Europe commencera à seize heures quinze précises.

Suspension et reprise de la séance

    M. le président. La séance est suspendue.
    (La séance, suspendue à seize heures, est reprise à seize heures quinze.)
    M. le président. La séance est reprise.

2

SOUHAITS DE BIENVENUE À M. LE MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES DE LA RÉPUBLIQUE DE POLOGNE
    M. le président. Avant de commencer notre débat, je signale à l'Assemblée la présence, dans les tribunes, de M. Wlodzimierz Cimoszewicz, ministre des affaires étrangères de la République de Pologne.
    Je suis heureux, en votre nom, de lui souhaiter la bienvenue. (Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement se lèvent et applaudissent.)

3

DÉBAT SUR L'AVENIR DE L'EUROPE

    M. le président. L'ordre du jour appelle le débat sur l'avenir de l'Europe.
    Messieurs les huissiers, veuillez faire entrer M. le Président de la Convention sur l'avenir de l'Europe. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Je suis heureux de souhaiter, en votre nom, la bienvenue à M. Valéry Giscard d'Estaing.
    Avant de lui donner la parole, je tiens à souligner l'innovation que constitue la séance exceptionnelle que nous tenons cet après-midi.
    J'ai souhaité qu'un véritable dialogue s'engage sur l'avenir de l'Europe entre l'Assemblée nationale et M. le président de la Convention. Je remercie le Bureau de l'Assemblée nationale et la Conférence des présidents d'avoir compris et accepté ma démarche. Puisse cette initiative contribuer à l'ouverture, dans l'opinion publique, d'un débat qui soit à la hauteur des enjeux.
    Monsieur le président, vous avez la parole.
    M. Valéry Giscard d'Estaing, Président de la Convention sur l'avenir de l'Europe. Monsieur le président de l'Assemblée nationale, monsieur le Premier ministre, mesdames et messieurs les ministres, mesdames et messieurs les députés - auxquels je demande la permission de les appeler « mes chers ex-collègues » (Sourires) -, je ressens intensément l'émotion et le plaisir de m'adresser à vous de cette tribune.
    Pour l'émotion, chacun en comprendra aisément les motifs ! Quant au plaisir, c'est le plaisir de l'esprit de venir m'adresser à vous, qui représentez le peuple français et qui constituez, à ce titre, un auditoire particulièrement exigeant, pour vous parler d'un sujet qui est au coeur du débat politique sur notre continent, un sujet qui constitue sans doute, sans vouloir forcer la note, un fragment important de notre destin historique, et qui fait l'objet de la mission dans laquelle, avec mes collègues conventionnels, je suis totalement engagé.
    Certains d'entre eux sont présents dans cet hémicycle : M. Dominique de Villepin, nouvellement promu dans la Convention, représentant du Gouvernement français, ainsi que M. Pierre Lequiller et M. Jacques Floch pour votre Assemblée, puisque vous êtes représentés par un représentant et un suppléant. Je suis heureux de les saluer ici et de les remercier pour leurs contributions présentes et futures à nos travaux. Je voudrais également exprimer à M. Alain Barrau et à M. Pierre Moscovici ma reconnaissance pour leur participation aux débats de la Convention pendant les premières semaines ou les premiers mois de celle-ci.
    Mesdames, messieurs les députés, neuf mois se sont déjà écoulés depuis le lancement de la Convention, en février dernier. Huit mois nous séparent de l'été 2003, où nous devrons remettre au Conseil européen le produit de nos réflexions, c'est-à-dire notre projet de Constitution pour l'Europe. Nous sommes donc à mi-parcours - au milieu du gué, diront certains -, tenant dans une main un verre à moitié plein et, dans l'autre, un verre encore à moitié vide. C'est pourquoi je suis reconnaissant à votre Président, M. Jean-Louis Debré, de m'avoir donné l'occasion de partager avec vous les enseignements et les résultats de ce que nous avons déjà fait, et d'évoquer les interrogations sur ce qui nous reste à accomplir.
    M. René Dosière. L'Assemblée a encore la priorité !
    M. Valéry Giscard d'Estaing, Président de la Convention sur l'avenir de l'Europe. Comment puis-je m'adresser à vous ? Je ne voudrais pas vous imposer la redite des comptes rendus que vous avez pu lire dans la presse.
    Permettez-moi d'être plus direct, plus simple. De vous poser à haute voix les questions sur lesquelles je m'interroge. De vous indiquer les pistes dans lesquelles il nous reste encore à nous engager. Je vous parlerai donc de la problématique de la Convention, des résultats déjà acquis, et de la démarche en direction de la Constitution pour l'Europe.
    L'Europe d'aujourd'hui doit faire face à trois enjeux.
    Premier enjeu : redéfinir le sens du projet, et le rendre lisible aux Européens. L'accumulation des textes et des protocoles - plus de 1 045 pages au total - a fait disparaître l'Europe derrière une cloison de papiers, alors que les textes fondateurs étaient simples. Les citoyens attendent, sans trop oser y croire, simplicité, efficacité, transparence et démocratie. En même temps, nous devons proposer une réponse à la question qui passionne à juste titre les milieux intellectuels et le milieu politique : « Qu'est-ce qui fait qu'on se sente européen ? » Qu'est-ce qui fait qu'au fond de nous, malgré les incertitudes et les désillusions, brille cette petite lueur qui nous fait apercevoir, à vous comme à moi, que nous sommes aussi européens ?
    Deuxième enjeu : répondre à la demande de l'opinion d'une action plus efficace, à la fois dans les domaines traditionnels du marché unique, que vous connaissez bien et dont vous avez souvent débattu, mais aussi dans les domaines nouveaux de la politique étrangère, de la défense, et d'un espace de liberté, de sécurité et de justice en Europe.
    Troisième enjeu, enfin : réussir l'élargissement en cours de l'Union européenne, qui va donner à notre continent, pour la première fois de son histoire - car ni l'Empire romain, ni les conquêtes napoléoniennes n'y sont parvenus ! - sa quasi-unité. Les dimensions de cet élargissement - dix candidats à terme proche, deux à terme plus éloigné - imposent de réexaminer toute la mécanique du système.
    Pour faire face à ces enjeux, on ne peut pas se contenter d'un bricolage. Il faut examiner sans tabou l'ensemble de l'architecture, et réinventer, au moins en partie, le dispositif.
    En considérant le passé proche, on peut dire que l'Europe avance par pas de cinquante ans. Du traité de Rome jusqu'à la monnaie unique, les pères fondateurs ont réussi leur enjambée. Il nous revient d'en renforcer les acquis et d'offrir un cadre stable, c'est-à-dire une Constitution, pour les avancées des trente ou cinquante prochaines années.
    M. Philippe de Villiers. Et les reculs !
    M. Valéry Giscard d'Estaing, Président de la Convention sur l'avenir de l'Europe. C'est donc le travail de la Convention. Sa composition est originale. Elle représente les quatre forces vives de l'ensemble européen : les gouvernements, les Parlements nationaux, les parlementaires européens et la Commission. Les pays candidats participent à nos travaux. A cette occasion, je voudrais saluer la présence de M. Cimoszewicz, ministre polonais des affaires étrangères, qui assiste à cette séance (Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement applaudissent), comme la quasi-totalité du corps diplomatique de l'Union européenne présent dans notre capitale.
    La méthode de la Convention rompt ainsi avec le mode de négociation diplomatique qui a été celui des conférences intergouvernementales précédentes. Celui-ci est en effet peu adapté au progrès de l'Europe, car il implique que le gain de l'un soit égal à la perte de l'autre, ce qui provoque naturellement une réaction négative, et ce qui rend, dans un système soumis à la règle de l'unanimité, toute avancée très difficile.
    L'avantage de la méthode de la Convention réside dans la durée et la continuité. Aucun investissement comparable n'a été en effet effectué depuis la Conférence de Messine, qui a accouché, il y a bien longtemps, du traité de Rome. Il est frappant de constater - la presse le relève, d'ailleurs - que les Conventionnels ne raisonnent plus comme ils le faisaient en avril dernier. Un « esprit de la Convention » s'est créé. Il permet de dégager effectivement un consensus sur certaines propositions.
    La Convention ne vote pas, car ses votes ne seraient pas représentatifs. Il y a trois fois plus de députés nationaux que de députés européens, il y a vingt-cinq représentants des gouvernements et deux représentants de la Commission : il va de soi que si l'on faisait voter, on s'interrogerait sur cette représentativité. La recherche du consensus, qui n'est pas celle de l'unanimité, mais celle du large accord du plus grand nombre, permet de contourner les risques de blocage. Nous avons pu enregistrer ainsi des consensus sur des questions auxquelles aucune conférence intergouvernementale n'avait jamais apporté de réponses. Mais il en faudra beaucoup d'autres !
    Quels sont les premiers résultats de nos travaux ? Deux constatations d'abord, qui dominent l'approche du sujet et sans lesquelles il est difficile de comprendre et de progresser.
    Premièrement, nous avons acquis la forte perception de la double nature de l'Europe unie : une union des Etats et une union des peuples d'Europe. Cette union gérera sur le mode fédéral - même si le mot effraie - ses compétences communes - monnaie, commerce international, concurrence, entre autres -, et elle coordonnera étroitement des politiques dont les compétences restent ancrées au niveau national et font d'ailleurs l'objet de vos propres débats et décisions, telles que la politique économique et sociale, la diplomatie, la défense notamment. Si l'on n'acquiert pas une claire conception de cette double nature du projet, il est exclu qu'on puisse réussir.
    Ceux dont le crâne serait trop étroit pour accueillir les deux lobes du cerveau (Sourires)...
    M. Christian Paul. L'image est osée !
    M. Valéry Giscard d'Estaing, Président de la Convention sur l'avenir de l'Europe. ... - le cerveau gauche, l'affectif, celui de l'union des peuples, et le cerveau droit, dépositaire de la mémoire, celui de la survie des Etats-Nations - feraient capoter le projet.
    M. Jacques Myard. Très bien !
    M. Valéry Giscard d'Estaing, Président de la Convention sur l'avenir de l'Europe. La seconde constatation, c'est qu'une union, bientôt composée de vingt-cinq ou vingt-sept Etats membres et peuplée de 450 millions d'habitants - notez au passage qu'il s'agit du plus grand regroupement humain des pays industrialisés, bien plus nombreux que les Etats-Unis d'Amérique, ou que le Japon et la Russie, même additionnés - ne pourra survivre que si elle évite la centralisation et le monolithisme du pouvoir. Elle ne pourra survivre et se renforcer que si elle respecte dans son action le principe de subsidiarité, c'est-à-dire la proximité de la décision par rapport aux différents étages de vie démocratique...
    M. Philippe de Villiers. On est servi !
    M. Valéry Giscard d'Estaing, Président de la Convention sur l'avenir de l'Europe. ... et si elle organise à sa tête un « jeu démocratique et équilibré de pouvoirs ».
    Quels sont alors les premiers résultats concrets ? Le premier est la nécessité absolue d'obtenir l'adhésion, encore incertaine, des citoyens au projet européen. De même que les citoyens se reconnaissent dans la vie nationale et dans vos débats, les citoyens de l'Europe doivent se reconnaître dans ce projet, et ressentir qu'il leur apportera un « plus » dans leur propre vie.
    Il faut pour cela des symboles forts : un nom porteur d'avenir et d'ambition pour l'Union, une citoyenneté européenne avec des droits et des devoirs, et des avantages dans la vie quotidienne, qui viendrait s'ajouter - sans l'éliminer bien entendu - à la nationalité qui émane de la nation.
    Il faut aussi établir les principes et les valeurs qui fondent l'identité européenne et qui constituent en quelque sorte - cette expression a été utilisée ici dans d'autres circonstances - le « pacte européen » des citoyens de l'Union. C'est pourquoi nous proposerons d'inscrire la Charte des droits fondamentaux dans la Constitution européenne et de lui donner une valeur constitutionnelle.
    Le deuxième résultat - et ceci vous concerne directement - est celui d'une plus forte implication des Parlements nationaux dans la vie de l'Union. Cette implication se manifesterait d'abord par la mise en place d'un « mécanisme d'alerte précoce », permettant aux Parlements nationaux d'exercer un contrôle politique de l'application du principe de subsidiarité dès le début du processus législatif.
    Les textes vous seraient transmis, et vous disposeriez d'un délai de six semaines pour délibérer et voter sur le point de savoir s'ils respectent, ou non, le principe de subsidiarité. Un élément constant du débat européen français disparaîtra enfin et vos électeurs ne vous demanderont plus en vain : « Mais pourquoi l'Europe se mêle-t-elle de tel ou tel sujet ? » Vous pourrez alors leur répondre que vous avez considéré qu'elle n'avait pas en effet à s'en mêler et que vous avez voté en ce sens. Dans le cas contraire, il faudra naturellement prendre votre part de responsabilité. Les Parlements nationaux pourraient ainsi adresser un « carton jaune » aux propositions qui ne respectent pas la subsidiarité.
    A l'autre extrémité de la procédure, le droit de saisir la Cour de justice sur cette même question leur serait reconnu. Mais sans doute faut-il aller encore plus loin. Je vous pose la question sur laquelle des avis différents s'expriment, ce qui est bien légitime : peut-on accepter que, dans la future Europe démocratique, dans une perspective de plusieurs décennies, les Parlements nationaux et le Parlement européen poursuivent des débats parallèles qui ne se rencontrent jamais ?
    Pour faire disparaître cette anomalie de la vie démocratique, puisqu'il doit y avoir débat démocratique dans l'ensemble de la circonscription européenne, on pourrait mettre en place un forum - qu'on le baptise, suivant sa préférence, « Congrès des peuples » ou « Convention » -, où les parlementaires européens et une représentation proportionnelle des parlementaires nationaux, se rencontreraient à intervalles réguliers, et naturellement dans des circonstances publiques, pour entendre les comptes-rendus sur l'état de l'Union des deux présidents, le président du Conseil européen et le président de la Commission, et pour débattre des grandes orientations de l'Union telles que, notamment, les propositions de modifications de la répartition des compétences entre l'Union et les Etats membres, puisque cela intéresse directement les Parlements nationaux et le Parlement européen ou les éventuels élargissements à venir. Il reviendrait au président du Parlement européen de présider ces débats.
    J'entends déjà la critique, la vôtre ou celle d'un certain nombre de personnalités européennes : « Le système est déjà suffisamment compliqué ! Pas d'institution de plus ! » Mais j'écoute, en écho, la réflexion déjà lointaine de Jean Monnet : « Les projets s'incarnent dans les institutions. » Nous avons besoin, je crois, d'un forum, ou d'une agora, où s'exprime davantage la lisibilité démocratique de l'Europe unie, et où se rencontrent les principaux dirigeants qui animent la vie politique des Etats de l'Union, c'est-à-dire vous-mêmes, mesdames et messieurs les députés.
    Le troisième résultat porte sur la réponse à apporter à l'immense besoin de simplification. C'est d'ailleurs cette préoccupation qui revient le plus souvent lorsqu'on interroge l'opinion sur ce qu'elle attend des travaux de la Convention. Ce n'est pas, disons-le franchement, ce qui passionne le milieu politique, ni ce qui anime le plus les débats de la Convention, mais il me semble que c'est en effet une question centrale du système.
    Nous sommes arrivés à la conclusion qu'on peut juridiquement - et qu'on doit politiquement - doter l'Union européenne et les Communautés européennes d'une personnalité juridique unique. Peut-être certaines ou certains d'entre vous ne savent pas qu'à l'heure actuelle il y a deux personnalités juridiques distinctes en Europe : on parle tantôt des Communautés européennes - Traité de Rome - et tantôt de l'Union européenne - Traité de Maastricht. Et pour une négociation internationale, on peut invoquer l'un ou l'autre des traités selon les cas. La situation actuelle est à ce point confuse que ceux qui agissent sur la scène européenne ne savent souvent pas dans quel cadre juridique ils agissent : celui des Communautés européennes ou celui de l'Union.
    Or, cette décision de caractère juridique, qui a l'air assez théorique, assez abstraite, est en fait très importante, car elle ouvre la voie à la fusion et à la restructuration de l'ensemble des traités. Comme je l'ai rappelé tout à l'heure, nous vivons actuellement sur un ensemble de traités qui représentent 1 045 pages, et qui comportent quatre traités essentiels. Nous allons pouvoir les restructurer, et élaborer un seul nouveau traité constitutionnel, clair et lisible, qui se substituerait aux traités antérieurs. Il faut comprendre que, si nous voulons rédiger une Constitution, il ne serait pas imaginable de la présenter sous forme d'amendements à deux traités de nature juridique différente, qui seraient maintenus.
    Cette Constitution, dont on parlait timidement il y a un an, et dont la nature est maintenant reconnue comme nécessaire par l'ensemble des membres de la Convention, cette Constitution lisible par tous, dans les lycées, dans les universités, dans les cours d'instruction civique, constituerait la première simplification du système européen.
    Il faut y ajouter la simplification et la réduction du nombre des procédures et des moyens d'action. Nous rejoignons là une préoccupation nationale et je suis persuadé, monsieur le Premier ministre, que, sur ce sujet, vous-même avez certainement de nombreux chantiers en cours. Dans la plupart des pays européens, il existe en général une ou deux procédures législatives qui sont bien connues des citoyens, telles, en France, la loi ordinaire et la loi organique, que chacun situe à peu près. En Europe, nous disposons de plus de quinze instruments de décision différents, et pour les adopter, les traités connaissent, suivant les experts consultés, qui, d'ailleurs, chose amusante - je leur ai posé la question -, ne sont pas d'accord entre eux, de quinze à trente procédures différentes. Il est impératif de les simplifier. C'est une priorité politique pour rendre l'Europe compréhensible à ses citoyens. Il s'agit non seulement d'un très gros travail pratique et matériel, mais aussi d'une contrainte parce que chacune de ces procédures a été inventée pour traiter un problème particulier ou pour se protéger d'une initiative ou d'un débordement. Mais les citoyens européens ne reconnaîtront comme légitimes les décisions européennes qu'à condition d'adopter, premièrement, une terminologie claire et directement compréhensible - le terme « loi européenne », tout le monde le comprendrait, plutôt que « directive » ou « règlement » ; deuxièmement, un nombre limité d'instruments - nous aurions trois catégories d'instruments et on arriverait à simplifier chacune d'elles ; enfin, des procédures démocratiques lisibles par chacun et transparentes vis-à-vis des observateurs et des médias.
    Le quatrième enseignement a été une surprise pour moi. Nous n'avons entendu de la part des conventionnels aucune demande pour transférer de nouveaux domaines de compétences vers l'Union, au niveau des politiques intérieures. C'est une grande nouveauté, car si vous vous rappelez les débats européens des années soixante ou soixante-dix, c'étaient des débats qui portaient sur des transferts de compétences en direction de l'Union. Nous allons donc pouvoir confirmer et préciser dans la Constitution les compétences qui figurent dans les traités. Il va de soi qu'elles ont besoin d'être actualisées, puisque certaines d'entre elles ont déjà plus de quarante ans d'existence.
    Par contre, une très forte demande s'est exprimée pour améliorer l'exercice de ces compétences et pour rendre plus efficace la coordination des actions des Etats membres là où il n'existe pas de compétence commune. Cela vaut en particulier pour la gouvernance économique. Cela est souhaitable aussi dans le domaine social.
    Pour être tout à fait exact, un consensus global n'a pas encore été atteint sur ces sujets. D'ailleurs, c'est intéressant qu'il ne le soit pas, car, quelquefois, on se réjouit d'atteindre très rapidement l'objectif, mais il est également intéressant de voir les raisons pour lesquelles il peut exister des différences d'appréciation légitimes.
    En matière économique, la Convention a déjà dégagé un consensus clair sur un principe : la politique monétaire est une compétence de l'Union, les politiques économiques restent du domaine des Etats membres.
    Néanmoins, vous connaissez l'ancien débat, qui remonte au rapport de M. Pierre Werner, sur le fait que l'unité de la politique monétaire présuppose la convergence des politiques économiques. Voilà le problème face auquel nous sommes placés.
    Le sentiment de la Convention paraît être aujourd'hui le suivant - mais comme nous allons encore en discuter, je ne décris pas nécessairement la position définitive : la coordination des politiques économiques existe déjà puisqu'elle est inscrite dans le traité d'union économique, mais sa discipline doit être renforcée. La Commission, par exemple, pourrait adresser, en cas d'écart en matière de politique économique, ses premières mises en garde de manière autonome. A l'heure actuelle, elle doit saisir le Conseil de sa proposition d'adresser une mise en garde. Il paraît légitime d'aller plus loin en lui permettant d'agir directement. Les pénalités - qui sont prévues lorsque l'on s'écarte des normes - resteraient de la compétence du Conseil, mais seraient décidées à la majorité qualifiée, le pays concerné ne prenant pas part au vote.
    Pour les Etats de la zone euro, dont nous sommes, dont vous êtes, la demande de coordination est plus forte car, même si chaque Etat définit sa politique économique, il doit tenir compte de son appartenance à la zone euro et prendre en considération l'intérêt monétaire commun, puisque les politiques économiques nationales peuvent affecter la situation monétaire de la zone.
    On pourrait alors envisager un double cercle de coordination : le Conseil des ministres de l'économie et des finances, que l'on appelle l'Ecofin, pour l'ensemble de l'Union et, pour les Etats de la zone euro, l'Euro-groupe qui définirait ses propres règles de fonctionnement et agirait comme formation spécialisée de l'Ecofin, suivant certains conventionnels. D'autres recommandent d'avoir recours à la formule des coopérations renforcées. Il faudra que nous tranchions ce débat.
    Nous pourrons envisager d'officialiser cette nouvelle instance, de façon à lui donner un caractère solennel, dans la partie de la Constitution consacrée à l'Union monétaire. Il serait aussi le correspondant de la Commission pour la surveillance et le respect du pacte de stabilité dont la Convention recommande le maintien.
    Quant au domaine social - qui, vous le savez, a fait l'objet de longs débats dans les instances européennes depuis le début des années quatre-vingt -, nous avons mis en place un groupe de travail voici quelques jours et il engagera ses travaux dès cette semaine. Il fera sans doute des propositions sur une formulation nouvelle des objectifs sociaux de l'Union. Nous aurons en effet à définir, nous l'avons dit en décrivant l'architecture du traité, les valeurs et les objectifs de l'Union. Il y a déjà des objectifs sociaux, mais peut-être faut-il les définir de manière plus précise ou aller plus loin. En même temps, il fera des propositions sur une coordination plus efficace des actions des Etats membres dans les domaines sociaux où ceux-ci conservent leurs compétences.
    Donc, voilà pour les premiers résultats acquis.
    Pour compléter cette évaluation des travaux de la Convention, je voudrais vous dire un mot des trois nouvelles demandes d'action européenne qui ont été adressées à la Convention et énoncées pour la première fois dans le traité de Maastricht : la politique étrangère, la défense et l'espace de liberté, de sécurité et de justice européen.
    D'emblée, je vous annonce un premier résultat. Ces sujets sont traités à l'heure actuelle selon la méthode dite des trois piliers, que vous devez certainement connaître et qui est une source de grande confusion, car elle laisse entendre que les questions relèvent tantôt d'un pilier, tantôt d'un autre, tantôt du troisième. Comme nous envisageons pour l'Union un système institutionnel unique décrit dans un traité unique, la Convention proposera l'abandon des trois piliers et leur remplacement par des procédures spécifiques adaptées à la nature de chaque problème. Tel sera le cas pour les trois sujets que j'ai évoqués.
    C'est sur l'espace de liberté, de sécurité et de justice que la Convention a le plus avancé. C'était celui qui était géré par ce qu'on appelle le « troisième pilier ». Il disparaîtrait. Certaines dispositions seraient « communautarisées » et s'accompagneraient d'un recours plus systématique à la procédure de vote à la majorité qualifiée dans la logique de ce qui a déjà été décidé pour l'immigration et pour le droit d'asile, et que vous connaissez bien, certainement, monsieur le ministre de l'intérieur.
    Un dispositif plus efficace serait mis en place pour rapprocher les législations pénales qui comportent encore de très grandes disparités malgré l'annonce de leur harmonisation : sur les douze textes nécessaires, on n'en a adopté que trois. En même temps serait établie une liste des actes d'une particulière gravité relevant de la criminalité transfrontalière. Nous voulons en effet éviter le moindre flou en la matière, et il est donc très important d'énumérer tous les crimes qui en ressortiraient.
    En matière opérationnelle, où la responsabilité reste celle des Etats, des solutions imaginatives permettraient de coordonner l'activité des polices nationales et celles d'Europol, ainsi que de renforcer les contrôles aux frontières externes de l'Union.
    Vous attendez sans doute de connaître les orientations de la Convention en matière de politique étrangère et de défense, notamment vous-même, monsieur le président de la commission des affaires étrangères. Mais je vais vous décevoir : il est trop tôt, car la démarche est en cours et les groupes de travail n'ont pas encore conclu leurs travaux. Je ne veux pas anticiper ni vis-à-vis de vous ni vis-à-vis de la Convention sur leurs conclusions possibles. Mais, à partir des débats généraux de la Convention, on peut déjà citer deux avancées qui ont, me semble-t-il, toutes chances d'être retenues.
    La première, c'est l'élévation au rang de ministre des affaires étrangères de l'Europe unie du Haut-Représentant pour la PESC. On dissertera sur le nom qui convient, mais je recommanderai le nom le plus simple et le plus connu de la communauté internationale, c'est-à-dire ministre des affaires étrangères. Le poste a été créé, on s'en souvient, à l'initiative de la France, sur l'insistance du Président Jacques Chirac. Nommé par le Conseil, il présiderait le conseil des ministres des affaires étrangères de l'Union. Son rôle, chacun le comprend, ne sera pas de décider tout seul la politique étrangère de l'Union et de se substituer à l'action diplomatique des Etats. Il devra rester en contact étroit, quasi quotidien, avec ceux qui sont en charge aujourd'hui de la politique étrangère des Etats membres pour mener une stratégie de convergence de leurs positions en direction d'une position unique. En cas de crise, il recevrait du Conseil des directives assorties d'une marge d'initiative, permettant ainsi à l'Union d'éviter la cacophonie et de coordonner dans les enceintes internationales les initiatives des Etats membres. Le dispositif a été conçu d'après le Traité d'Amsterdam, mais on constate qu'il n'a pas donné les résultats escomptés. C'est pourquoi nous proposons d'aller dans la même direction, mais, si je puis dire, un « cran au-dessus ». Pour éviter le blocage qui résulterait d'un droit de veto donné à vingt-cinq ou vingt-sept membres - à l'heure actuelle, en matière de stratégie de politique étrangère, les décisions sont prises à l'unanimité -, soit cinq fois plus qu'au Conseil de sécurité des Nations unies qui en compte cinq, il conviendra de garantir une certaine flexibilité du processus de décision qui passerait, par exemple, par un recours plus large au vote à la majorité qualifiée et à un usage plus fréquent des coopérations renforcées.
    Quant à la politique de défense commune, même si elle fait encore l'objet d'appréciations divergentes, sa nécessité n'est plus contestée. C'est un point assez surprenant dans la mesure où les Etats ont des cultures différentes : certains Etats sont attachés historiquement à leur neutralité, d'autres n'ont pas participé aux derniers grands conflits mondiaux ; on pourrait, par conséquent, imaginer une très grande divergence sur le sujet. Or, la nécessité d'une politique de défense commune a été reconnue.
    Les représentants allemands et français à la Convention ont transmis, il y a deux semaines, des propositions importantes. Je crois savoir d'ailleurs qu'ils préparent un nouveau document. Il semble qu'un accord pourra se dessiner en faveur de la création d'une agence européenne de l'armement et du développement technologique, constituant, pour les années 2000, le pendant du pool charbon-acier des années cinquante. Peut-être pourra-t-on également s'inspirer en matière d'effort de défense, et notamment des contributions de défense, des critères de convergences qui ont permis la mise en place de l'euro.
    Mesdames, messieurs les députés, je vous remercie de votre patience. J'ai un peu excédé le temps que vous m'aviez indiqué, monsieur le Président...
    M. le président. Mais je ne vous ai pas rappelé à l'ordre, monsieur le Président... (Sourires et applaudissements.)
    M. Valéry Giscard d'Estaing, Président de la Convention sur l'avenir de l'Europe. Je vous en remercie.
    Voici donc le contenu du verre à moitié plein.
    Reprenons notre souffle, avant que je vous décrive - brièvement - comment nous allons remplir le verre à moitié vide. (Sourires.)
    A partir du début de 2003, nous disposerons des conclusions de tous nos groupes de travail. Nous aurons pris acte de toutes les contributions déposées devant la Convention, dont, jeudi prochain, celle de la Commission européenne elle-même, qui viendra nous présenter sa contribution.
    Nous entreprendrons alors la rédaction de notre Constitution, et nous aborderons le problème de la mise à jour des institutions de l'Union.
    Pour les articles de la Constitution, nous débuterons par ceux qui définissent les objectifs et les valeurs de l'Union - ils ne sont pas seulement théoriques, c'est un facteur d'identité forte de l'Union européenne - ainsi que le rôle de la Charte des droits fondamentaux, puis ceux qui décrivent et précisent les compétences de l'Union. Je vous invite, le moment venu, à les lire puisque les compétences de l'Union, c'est négativement l'expression des compétences qui restent entre les mains des Etats membres.
    Nous devrions en présenter le texte à la Convention au mois de février.
    Nous poursuivrons par les procédures et les instruments d'action de l'Union. Il faut bien comprendre que les institutions, dans un système comme le système européen, ne sont pas conçues pour elles-mêmes. Leur rôle est de permettre d'exercer les compétences et d'atteindre les objectifs, à la différence des institutions d'un Etat où toutes les compétences sont entre les mains de la collectivité, de la nation et qui doit simplement s'interroger sur leur exercice. Là, il faut procéder par ordre : les compétences, les instruments de l'action et les institutions.
    Nous engagerons donc la réflexion sur les institutions.
    Nous l'ouvrirons par un débat général de la Convention portant sur l'ensemble des contributions qui nous ont été présentées. Puis nous entrerons dans le vif du sujet, par une démarche concrète et réfléchie.
    Il ne s'agit pas de nous passionner pour savoir quel lambeau de pouvoir une institution réussira à arracher à une autre - c'est un problème qui n'intéresse que quelques personnes en Europe -, mais bien de répondre à la question fondamentale posée par la déclaration de Laeken : « Comment les trois institutions de l'Union que sont le Parlement, le Conseil et la Commission peuvent-elles assurer un fonctionnement efficace, démocratique et transparent de l'Europe unie, après son élargissement ? »
    Telle est la question. Il s'agit non pas d'un problème de frontière entre les institutions, mais du fonctionnement global du système. Cela nous impose donc de commencer pas une évaluation réaliste des conditions actuelles de fonctionnement du système. Dès mon retour à Bruxelles, après quelques années d'absence, j'ai vite constaté qu'elles n'étaient pas toujours satisfaisantes. Il faut donc soulever le capot de la voiture pour voir comment tourne le moteur.
    M. Jean-Pierre Brard. Les mains dans le cambouis ! On aura tout vu ! (Sourires.)
    M. Valéry Giscard d'Estaing, Président de la Convention sur l'avenir de l'Europe. Nous examinerons ensuite les conséquences sur les trois institutions de l'effet de nombre dû aux élargissements successifs : le Conseil européen, monsieur de Villepin, passant à plus de cinquante membres, alors que, quand il s'est réuni à l'Elysée pour la première fois, il en comptait dix-huit, la Commission atteignant vingt-cinq membres et le Parlement dépassant la limite de sept cents membres qu'il s'était lui-même fixée. Quelles peuvent être leurs modes d'organisation, leurs règles de fonctionnement et leurs mécanismes de décision - Comment voter ? Comment décider ? - pour en faire un ensemble institutionnel efficace et transparent qui donne une image brillante et moderne de l'Europe du xxie siècle ?
    Il s'agit d'une tâche ardue, sans doute ingrate car elle se déroule - vous le verrez au cours des prochains mois - sur une toile de fond de lutte pour le pouvoir, mais c'est une tâche indispensable si l'on veut que l'Europe devienne un sujet d'adhésion, voire d'enthousiasme pour ses citoyens et, éventuellement, une référence pour le monde.
    Nous pouvons déjà avancer quelques propositions.
    D'abord, le système doit être stable - car tout système institutionnel ou constitutionnel doit chercher une certaine forme de stabilité - et lisible pour les citoyens. Tel est déjà le cas pour le Parlement et pour la Commission, qui sont dotés de présidences stables. Seul le Conseil connaît une rotation semestrielle de sa présidence, à laquelle il faut mettre un terme. En effet, imaginée pour l'Europe à six où elle revenait tous les trois ans, elle devient absurde pour l'Europe à vingt-cinq ou à vingt-sept, où elle reviendrait tous les treize ans.
    Cette rotation recèle d'ailleurs en germe deux des défauts majeurs des systèmes politiques contemporains : l'anonymat, car la rotation ne permet pas d'identifier et de connaître les véritables dirigeants ; et l'instabilité de l'action par la fixation semestrielle de priorités pour l'Union, sans qu'il puisse y avoir, après, un suivi efficace de leur mise en oeuvre. D'ailleurs, on ne trouve pas de défenseurs du maintien de la rotation semestrielle, les divergences portant seulement sur la solution qui découlerait de cette correction, c'est-à-dire la désignation d'un président. Certains redoutent que, dans le système européen, cette adaptation remette en cause l'équilibre institutionnel et affaiblisse la Commission. Or, si vous y regardiez de plus près, vous constateriez que les trois institutions de l'Union seraient alors placées sur un pied d'égalité, avec trois présidences stables.
    En effet, le rôle du président du Conseil européen ne serait pas modifié, comme certains le redoutent, par son mode de désignation. Il lui appartiendrait de veiller à ce que le Conseil européen exerce la fonction qui lui est assignée par le traité de l'Union européenne, et qui consiste à « donner à l'Union les impulsions nécessaires à son développement, et à en définir les orientations politiques générales ». Ce n'est donc pas une gestion directe décisionnelle de la vie de l'Union.
    Permettez-moi, mesdames, messieurs les députés, de faire ici une digression, que m'inspirent tous ces débats, que je suis, bien sûr, avec attention.
    L'imaginaire contemporain, sans doute alimenté par les images médiatiques omniprésentes de présidents tels que George Bush et Vladimir Poutine, tend à voir ce président du Conseil européen doté d'une autorité forte et d'un pouvoir de décision étendu. Or je suis convaincu que la réalité sera différente. Ainsi que je l'ai déjà souligné, l'Europe devra éviter la centralisation excessive du pouvoir. Ce sera, d'ailleurs, l'un des signaux qu'elle pourra envoyer au monde de son temps. Le rôle de ce président sera bien davantage de coordonner que de commander. Son pouvoir sera plus proche de l'influence que de la décision. Et, pour reprendre une belle expression de notre Constitution, « il assurera le fonctionnement régulier des pouvoirs européens, ainsi que la continuité de l'Europe ». Il sera davantage médiateur que décideur !
    Quant à la Commission, elle devra confirmer sa nature de collège indépendant des pouvoirs nationaux, capable d'identifier et de proposer les mesures conformes à l'intérêt européen. Telle est l'originalité de cette institution, ce qui en fait, d'ailleurs, la très grande utilité. Pour lui maintenir, comme cela me paraît souhaitable, son monopole d'initiative, mais seulement - je l'indique aux membres de la Convention ici présents - dans les domaines où les traités confèrent la compétence à l'Union, il faut, me semble-t-il, éviter sa politisation. Il s'agit d'une question difficile. Mais comment une commission politisée par la procédure de désignation ou de nomination de ses membres pourrait-elle continuer à exercer dans la sérénité son monopole d'initiative du bien commun européen face au Parlement et au Conseil alors qu'elle-même ou ses décisions feraient l'objet de contestations politiques ?
    Il est donc indispensable d'éviter sa politisation et d'être prudent dans ce domaine. On doit lui conserver le caractère de collège restreint - qui lui permet de travailler, elle aussi, sur la base du consensus - et sa représentativité de l'intérêt commun européen, et non des intérêts nationaux, comme l'ont voulu les fondateurs.
    Le mode d'élection de son président sera débattu par la Convention. Beaucoup souhaitent qu'il soit élu par le Parlement européen, mais alors se poserait le problème de la sélection et de la présentation des candidats, puisque, vous le savez, lorsque les Parlements élisent ainsi quelqu'un, ils se prononcent généralement sur une proposition faite par une autre instance. En France, il s'agit du Président de la République.
    Le Parlement européen, enfin, se verrait reconnaître dans la Constitution un rôle plein de colégislateur pour l'ensemble des lois européennes. Son mode d'élection deviendrait homogène - homogène signifiant non pas identique mais comparable - pour assurer aux députés européens une légitimité comparable entre eux et une proximité plus étroite vis-à-vis de leurs électeurs. C'est un problème sur lequel, monsieur le Premier ministre, le Gouvernement français va certainement se pencher.
    Chacun de ces sujets viendra à son heure pour remplir l'architecture constitutionnelle de manière cohérente et équilibrée.
    Sur ce sujet difficile, je souhaite un débat réfléchi dont les questions de personnes ou de préférence institutionnelle soient absentes afin que l'on puisse se concentrer sur la manière d'organiser et de faire fonctionner un système institutionnel original, adapté à la double nature de l'Union. Il doit permettre d'assumer à la fois la gestion fédérale des compétences exclusives de l'Union et celle de l'action concertée et efficace des Etats membres dans les domaines où leurs compétences sont respectées.
    Je ne crois ni à la concentration excessive du pouvoir ni à la confusion des rôles entre les institutions, mais à un équilibre entre elles et à un esprit de coopération respectant les compétences de chacune. En réalité, à l'image de ce que Montesquieu avait proposé, monsieur Alain Juppé - je vous cite non par comparaison avec Montesquieu, mais à cause de la seule ville de Bordeaux. (Sourires) - il y a près de trois cents ans dans le cadre, à vrai dire différent, de l'organisation politique des Etats.
    Cela donne d'ailleurs souvent lieu à des utilisations abusives de ses propositions, car, alors que dans le cadre de l'organisation politique des Etats il s'agissait de la séparation des pouvoirs, dans celui de l'organisation plus complexe d'un ensemble comme l'Union européenne il faut traiter de la distinction des fonctions. Chacun doit pouvoir savoir qui fait quoi dans l'Europe unie, et qui est responsable de quoi.
    En conclusion, mesdames et messieurs les députés - et vous l'avez sans doute lu dans la presse - je vous rappellerai que, aujourd'hui, plus de 60 % des citoyens de toute l'Europe souhaitent une Constitution. Il n'y a qu'un seul pays où la majorité n'est pas atteinte sur cette question, et encore y relève-t-on une égalité à 50-50.
    C'est, après huit mois de travail, la meilleure récompense que pouvait espérer la Convention européenne.
    Cette Constitution, aidez-nous maintenant à la concevoir et à la rédiger. Par vos délibérations, par les contributions de vos représentants à la Convention, faites qu'elle soit imprégnée de la clarté et de la logique de l'esprit français !
    Je ne sais pas encore si nous allons réussir, mais je crois que nous sommes sur le bon chemin.
    Vous qui constituez le relais privilégié avec les citoyens, je vous demande, oui je vous demande, de nous accompagner dans la dernière étape qui permettra de doter l'Europe du xxie siècle d'une Constitution qui en fera une grande puissance - pas une « super-puissance », une « grande puissance » -, juste, libérale, tolérante, respectueuse du droit pour elle-même et pour les autres, à l'image de ce que nous souhaitons pour la France, et de ce que la France propose à l'Europe ! (Applaudissement sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française et sur de nombreux bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à M. Edouard Balladur, président de la commission des affaires étrangères.
    M. Edouard Balladur, président de la commission des affaires étrangères. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous nous réjouissons de la participation aux débats de l'Assemblée nationale du président Giscard d'Estaing, que nous avons entendu avec le plus grand intérêt. Elle nous offre l'occasion d'engager le débat sur l'avenir de la construction européenne. Je souhaite que, au-delà des préférences partisanes des uns et des autres, nous sachions saisir cette chance pour faire en sorte que notre pays soit éclairé sur l'importance des choix qu'il sera amené à faire.
    Depuis bientôt un demi-siècle, la construction européenne n'a progressé qu'en s'affranchissant des modèles établis et des idées reçues. C'est la clé de sa réussite, la marque de son ambition.
    La Convention constitue une étape décisive dans cette entreprise sans précédent qui consiste à obtenir de nations, qui souvent sont au nombre des plus glorieuses du monde, qu'elles mettent en commun des pans entiers de leurs compétences souveraines. Etape décisive parce que difficile, assurément, tant les problèmes institutionnels sont de ceux qui attisent les passions, nourrissent les ambitions et favorisent les affrontements théoriques ; mais étape décisive, aussi, parce que, hasard du calendrier, elles survient au moment même où s'opère enfin un élargissement, d'une ampleur inégalée, à dix nouveaux pays. Cet élargissement va permettre à l'Europe de renouer avec une part importante de l'héritage moral et culturel qui définit sa civilisation.
    Les questions auxquelles la Convention doit répondre sont aussi nombreuses que délicates. Puisque vous les avez évoquées, monsieur le président, il n'est pas utile que je les reprenne.
    L'accroissement du nombre des Etats composant l'Union aura des conséquences inévitables : on ne peut fonctionner à vingt-cinq comme à quinze,...
    M. Jacques Myard. C'est évident !
    M. Edouard Balladur, président de la commission des affaires étrangères. ... surtout quand le fonctionnement à quinze est déjà fort difficile et qu'on se fixe comme objectif louable la démocratisation des institutions.
    C'est assez dire que la convention est principalement confrontée à quatre débats étroitement interdépendants : Quelle organisation des relations entre les diverses institutions ? Quel degré d'efficacité dans la mécanique de la prise des décisions ? Quelles ambitions nouvelles assigner à l'Union ? Quel degré de cohésion espérer de la mise en place d'une Union de vingt-cinq membres avec des compétences nouvelles ?
    J'insisterai sur ce dernier point en me limitant à une seule question qui me semble essentielle : dès lors que tous les membres de l'Union - a fortiori les membres de l'Union élargie - ne participent pas, de leur propre fait, aux mêmes politiques communes, quelles conséquences en tirer pour l'organisation nouvelle des institutions communautaires ?
    Ce problème est d'autant plus aigu qu'il se pose déjà aujourd'hui au sein de l'Union à quinze. Disons, pour simplifier à l'extrême, que tous sont membres du marché unique, mais que tous - et il s'en faut de beaucoup - ne sont pas membres de la zone euro, ou ne participent pas à la politique de défense, de manières différentes d'ailleurs, ou ne sont pas parties aux accords de Schengen.
    Que nous le voulions ou non, mes chers collègues, cette situation est appelée à durer, du fait même de l'élargissement. Les vingt-cinq membres de l'Union ne seront pas parties prenantes au même titre de toutes les politiques européennes communes, soit qu'ils ne le pourront pas, ou pas tout de suite, soit qu'ils ne le souhaiteront pas, ou pas encore. Il en résultera longtemps, ne nous le dissimulons pas, un certain degré de complexité et de confusion, d'où la nécessité de mettre de l'ordre dans cette réalité aussi diverse que foisonnante.
    Conscient de cette nécessité, - permettez-moi de le rappeler - j'avais, il y a quelques années, constaté qu'il existait entre les Etats membres, outre la coopération dans le cadre du marché unique qui les regroupait tous, des « cercles » - formule qui a fait florès depuis - de compétences et de compositions variables selon les sujets : cercle monétaire, cercle de sécurité intérieure, ou encore cercle à compétence militaire.
    Telle est encore, peu ou prou, la situation d'aujourd'hui.
    M. Jacques Myard. Et elle restera !
    M. Edouard Balladur, président de la commission des affaires étrangères. Pour les raisons que j'ai exprimées, rien n'indique qu'il en ira différemment demain, bien au contraire. Il faut prendre acte de cette réalité pour l'organiser et la rendre cohérente.
    Dès lors, un choix s'offre à nous : doit-on décider de pérenniser le système actuel, c'est-à-dire qu'au sein des institutions européennes, les mêmes pour tous, fonctionnent, selon les sujets, des coopérations plus approfondies, entre les Etats membres, regroupés dans des instances - qu'on peut appeler cercles - multiples ou bien doit-on envisager qu'au sein de ces institutions existe un cercle que l'on pourrait qualifier d'avancé qui regrouperait ceux des Etats membres - essentiellement ceux de l'Europe de l'Ouest -, qui ont décidé d'aller aussi loin que possible en coopérant à la gestion de toutes les politiques communes que les traités prévoient, permettent et autorisent ? Autrement dit, doit-on souhaiter que ceux des Etats qui adhèrent à toutes les formes de coopération se rassemblent en ce cercle avancé ?
    Nous devons nous affranchir des querelles de mots et d'une vision statique des institutions européennes. Il ne serait pas réaliste de faire comme si tous les Etats membres de l'Union étaient dans la même situation, alors qu'en réalité il n'en est rien, puisque les uns mettent en commun davantage de compétences que les autres. Ne faut-il pas reconnaître que, si un cercle, forcément restreint au début, regroupait les pays participant à toutes les coopérations prévues par le traité, l'existence de cette avant-garde - mot contesté, je le sais bien - serait un motif puissant pour convaincre les autres, qui se tiennent en dehors, volontairement ou non mais de leur fait, d'entrer progressivement dans cette Union plus parfaite et plus complète ?
    Cependant, je ne crois pas qu'il soit souhaitable de consacrer une quelconque dichotomie dans la future Constitution européenne. Laissons faire la nature, et remettons-nous en aux réalités. Que ceux qui veulent avancer plus vite se regroupent est légitime. Pour autant, il n'y a pas lieu d'imaginer en leur faveur une organisation différente de celle de l'Union tout entière. Une chose est certaine : si cette structure à composition plus restreinte devait voir le jour, elle devrait, comme il va de soi, être présidée par le président du Conseil européen, en présence du président de la Commission, et soumise au contrôle du Parlement. Contentons-nous simplement de souhaiter que la Constitution de l'Europe permette ce regroupement éventuel.
    Quelles seraient les conséquences d'un tel regroupement ? Sans doute, effet fâcheux, la Grande-Bretagne, tant qu'elle n'a pas rejoint la zone euro - dont elle n'est absente que par sa volonté, rappelons-le -, n'en ferait pas partie, mais on doit espérer que cette situation ne serait que temporaire. D'ailleurs, la simplification escomptée ne serait pas encore totale, tant il est vrai que, sur vingt-cinq membres, moins de la moitié appartiendraient à ce cercle avancé, les autres relèveraient de situations diverses selon qu'ils pratiquent telle ou telle forme de coopération prévue par les traités, mais pas toutes.
    Résumons : tous les Etats seraient sur un pied d'égalité au sein de l'Union ; tous seraient habilités sans entraves ni limites à adhérer à des coopérations plus ambitieuses que la coopération économique et commerciale résumée dans le grand marché, que ces coopérations concernent la monnaie, la sécurité, la politique extérieure ou la défense ; tous auraient vocation à entrer dans le cercle plus restreint des Etats pratiquant entre eux la totalité des coopérations prévues par la constitution en voie d'élaboration. Les transitions seraient ménagées, la confusion dissipée, les passions apaisées, on peut l'espérer.
    Depuis que la construction européenne est en marche, la diversité des situations des différents Etats membres, leur degré inégal de participation à l'effort commun sont un frein à l'émergence de la puissance européenne. D'ores et déjà, tous ne sont pas prêts à marcher du même pas. Faut-il que les autres, indéfiniment, attendent ? Faut-il s'y résigner ? Je ne le pense pas. De la situation actuelle et de celle, ô combien prévisible, de demain, il faut tirer toutes les conséquences en organisant avec souplesse des institutions permettant une évolution de tous les membres de l'Union vers la plus grande cohésion possible, mais en permettant aux plus ambitieux d'aller de l'avant en se regroupant, à condition bien entendu de n'exclure personne.
    Ainsi notre pays pourrait-il le jour venu prendre une initiative : une fois la Constitution adoptée, proposer à tous ceux de ses partenaires européens qui participent comme lui à toutes les formes de coopération prévues par les traités, dans tous les domaines, de se retrouver régulièrement, afin de coordonner leurs efforts et de rendre leurs actions cohérentes entre elles et avec celle qui est menée par l'Union au nom de ses vingt-cinq membres.
    Je le relevais au début, le propre de l'idéal européen est qu'il n'a pas de précédent dans l'histoire. Si nous voulons que cet idéal soit pleinement traduit dans les faits, nous devons persévérer dans la voie du pragmatisme et de l'originalité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française et sur quelques bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à M. Pierre Lequiller, président de la délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne.
    M. Pierre Lequiller, président de la délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne. Monsieur le président, monsieur le Président de la Convention pour l'avenir de l'Europe,...
    M. Jean-Claude Lefort. Pas pour l'avenir, non !
    M. Pierre Lequiller, président de la délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne. ... mesdames et messieurs les ministres, mes chers collègues, mes premiers mots s'adresseront au Président de l'Assemblée nationale.
    Je voudrais vous rendre hommage, monsieur le président, avec toute la conférence des présidents, de vouloir placer l'Europe au coeur du travail de notre assemblée, avec ce débat exceptionnel, avec la réunion conjointe avec le Bundestag du 22 janvier prochain, avec l'instauration de séances de questions d'actualité européennes, outre d'autres initiatives envisagées.
    Plus de 60 % des règles de la vie du citoyen sont d'origine européenne. Il convient d'en parler, tout autant à Paris qu'à Bruxelles.
    M. Jean-Pierre Brard. Et à Strasbourg !
    M. Pierre Lequiller, président de la délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne. C'est dans cet esprit que la délégation pour l'Union européenne s'est efforcée d'ouvrir ses travaux aux commissaires comme aux parlementaires européens, aux commissions pour les affaires européennes des autres Parlements de l'Union comme à la délégation européenne du Sénat français. Je me réjouis également du travail en commun engagé avec les commissions permanentes de l'Assemblée, avec lesquelles plusieurs auditions communes ont d'ores et déjà été organisées.
    L'Europe traverse une période historique, tant les rendez-vous sont nombreux et capitaux.
    D'abord, l'élargissement, que je préfère appeler « l'unification de l'Europe ». En effet, monsieur le Président de la Convention, vous proposez dans votre architecture plusieurs dénominations pour l'Europe de demain, et ma préférence va à « l'Europe unie », beaucoup plus parlante pour le citoyen européen que le nom d'Union européenne.
    Cette Europe unie, c'est la garantie accrue de la paix, et la paix n'a pas de prix. L'Europe a réconcilié la France et l'Allemagne. Par le marché intérieur, elle a uni quinze pays. Avec le transfert de souveraineté majeur qu'est l'euro, elle a intégré nos destins. Avec l'unification de l'Europe, le rêve et l'objectif des pères fondateurs deviennent réalités.
    Aux quelques Cassandre à la vision courte, je rappellerai que ces peuples de l'Est, que Copenhague va dans dix jours arrimer aux nôtres, nous ont libérés de Yalta et du mur de Berlin. Aux alarmistes, je rappellerai que, d'ores et déjà, nos accords d'association avec ces pays ont été bénéfiques à nos exportations et à notre économie. Il faut éviter d'agiter les peurs et les égoïsmes. C'est donc par un oui clair qu'il faudra accueillir en 2004 les dix pays sélectionnés par la Convention.
    M. Jean-Pierre Brard. Demandez à M. Myard !
    M. Pierre Lequiller, président de la délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne. Deuxième rendez-vous majeur, la constitution. La Convention qui, sous votre égide, monsieur Giscard d'Estaing, travaille déjà depuis plusieurs mois, a un rôle historique. Jacques Floch et moi-même, qui avons l'honneur d'y représenter l'Assemblée nationale, en mesurons déjà les remarquables avancées.
    Qui aurait dit, il y a seulement un an, que nous aurions une constitution, avec un préambule intégrant la charte ? Qui aurait dit que nous aurions un accord sur la personnalité juridique unique de l'Union, que nous nous accorderions, grâce aux groupes de travail de Mendez de Vigo et de Gisela Stuart, sur l'implication des parlements nationaux dans le contrôle de la subsidiarité, que le groupe de travail Dehaene, auquel j'appartiens, préconiserait un ministre européen unique des affaires étrangères, présidant le conseil « Relations extérieures » ?
    Je salue la méthode conventionnelle. Par la formule qui associe parlementaires européens et nationaux, gouvernements et commissaires, pays membres et pays candidats, j'ai le grand espoir que les conclusions de la Convention seront suffisamment fortes pour permettre une conférence intergouvernementale courte. Comme le souhaite le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin, nous pourrions peut-être ainsi aboutir à un nouveau Traité de Rome avant la fin de 2003. Pour la nouvelle Europe, quoi de plus symbolique qu'un nouveau Traité de Rome ?
    Pour autant, il faut être vigilant et tenace, audacieux et ambitieux. Si le résultat est tiède, nous aurons manqué le rendez-vous de l'Histoire. Pour moi, le grand enjeu de cette Convention, c'est de rendre notre « Europe unie », aujourd'hui trop complexe et peu comprise par le citoyen, lisible et populaire. Comme vous l'avez indiqué, nous avons six mois pour réussir.
    D'abord, que doit faire l'Europe et que ne doit-elle pas faire ? Que doivent faire les Etats ? Certes, le système d'alerte précoce préconisé par le rapport Mendez de Vigo permettra aux parlements nationaux d'exercer enfin le contrôle sur le principe de subsidiarité. Certes, le rapport Lamassoure propose la classification des compétences en compétences exclusives, partagées et complémentaires. Mais le contenu de ces catégories n'est pas encore clarifié. Par exemple, certains sont encore tentés de faire de la politique étrangère une compétence exclusive de l'Union...
    M. Alain Juppé. Absurde !
    M. Pierre Lequiller, président de la délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne. ... dans sa gestion civile et même, à terme, militaire, ce qui est évidemment irréaliste et inopportun. Peut-on sérieusement envisager que l'ordre d'envoyer au combat des soldats français ne soit pas exclusivement donné par la France ?
    M. Jacques Myard. On y arrive !
    M. Pierre Lequiller, président de la délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne. Certains, souvent les mêmes, demandent que l'on renationalise la politique agricole commune, ce qui est dangereux et est d'ailleurs une régression par rapport au Traité de Rome de 1957.
    Les citoyens ne comprendront bien l'Europe que si elle concerne leur vie quotidienne, et la France, monsieur le ministre, a raison de vouloir renforcer la gouvernance économique et sociale de l'Europe. L'euro implique que nous coordonnions mieux nos politiques économiques et sociales. Je me réjouis que, grâce au Président de la République, au Premier ministre et à vous-même, sur ce sujet comme sur d'autres, désormais la France et l'Allemagne travaillent de concert.
    L'Europe puissance économique, certes, mais aussi puissance politique dans le monde car il faut éviter un monde unipolaire. C'est ainsi que j'ai proposé, au sein du groupe « action extérieure » de la Convention, de définir et de mettre en oeuvre un pacte de convergence des politiques étrangères et de sécurité dans le cadre de la PESC.
    Sur un sujet d'actualité dramatique, la sécurité maritime, compétence partagée, l'Europe doit assumer pleinement la responsabilité d'une politique ambitieuse, au lieu de réagir au coup par coup - Erika I, Erika II -, après les catastrophes, et les Etats membres doivent appliquer les décisions prises en commun sans se dérober.
    Enfin, même dans les compétences complémentaires, la Convention doit plaider pour une coopération beaucoup plus intense. Un exemple me tient à coeur : la culture. Elle repose à la fois sur la diversité et sur un patrimoine commun. Pour défendre le français, mais aussi les autres langues européennes, pour promouvoir notre création artistique et cinématographique, il nous faut consacrer le principe de la diversité culturelle. Quant au patrimoine commun, de quelle timidité l'Europe fait-elle preuve dans ce domaine ! La coopération intra-européenne, par exemple en matière d'échanges universitaires, est parfois moins importante qu'avec l'outre-Atlantique. Développons les manifestations culturelles européennes, les échanges universitaires, le soutien européen à la création artistique, les lycées et centres culturels communs à l'étranger, les universités européennes sur le continent. J'y vois la condition pour qu'émerge réellement une citoyenneté européenne.
    Après le projet et les missions de l'Europe, j'en viens aux institutions. Tout le monde s'accorde à reconnaître qu'à quinze, et plus encore à vingt-cinq, une refondation d'ensemble s'impose, transparente et efficace. L'Europe ne peut plus avancer masquée, au fil de compromis successifs et de traités obscurs.
    Le triangle institutionnel doit être conservé. Il faut même en renforcer chacune des composantes.
    Il faut préserver, et même étendre, le droit d'initiative de la Commission, notamment en matière économique et sociale et dans le domaine de la justice et des affaires intérieures.
    Il faut que le Parlement européen devienne un vrai parlement qui participe pleinement à l'élaboration des lois européennes, pas des directives, pas des règlements, mais bien des lois européennes. Cela nécessite d'étendre la procédure de codécision, ce qui implique de recourir plus souvent au vote à la majorité qualifiée du Conseil. Un vrai parlement vote les recettes comme les dépenses. Il est responsable des unes comme des autres. Dans votre architecture, monsieur le Président, vous posez la question de la création de véritables ressources propres, c'est-à-dire d'un impôt européen dont les députés européens seraient, lors des élections, comptables devant les citoyens. Il faut y être favorable.
    Vous avez opportunément relancé, en juillet dernier, l'idée française d'un congrès, composé de représentants du Parlement européen et des Parlements nationaux. J'y attache la plus grande importance, car il faut que l'Europe soit au coeur des débats nationaux.
    Pour avoir vécu les récentes élections nationales, en France bien sûr, et les avoir suivies en Allemagne, j'ai pu constater que l'Europe y tenait trop peu de place.
    M. Jacques Myard. Et pour cause !
    M. Pierre Lequiller, président de la délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne. Mais il faut prêter attention aux réticences exprimées par certains conventionnels à cette idée du Congrès, du fait à mon avis d'un malentendu. Nombreux sont ceux qui craignaient en réalité une concurrence faite au Parlement européen. Pour faire gagner cette belle idée, il nous faut expliquer qu'il ne s'agit aucunement d'une deuxième chambre législative, ni même d'une institution permanente.
    Après la Commission, après le Parlement européen, le troisième côté du triangle est le Conseil. Il n'est plus possible, vous l'avez dit, d'avoir un président du Conseil qui change tous les six mois. L'Europe n'est ni crédible ni efficace sur la scène internationale, et elle n'est pas lisible pour le citoyen.
    La proposition française d'une présidence stable formulée par Jacques Chirac à Strasbourg en mars dernier répond à cette double critique. La proposition d'un ministre européen des affaires étrangères cumulant les fonctions de M. Solana et de M. Patten, placé auprès du Conseil européen, répond également à cette exigence d'efficacité.
    Mais, là encore, il faut prêter attention aux conventionnels qui, sur la présidence de l'Europe, ont une autre vision. Nombreux sont ceux qui, du côté allemand comme du côté de pays de populations moins nombreuses, veulent un président de la Commission directement élu par le Parlement européen. En fait, est même sous-jacente l'intention de faire des élections européennes une confrontation partisane de candidats à la présidence de la Commission. Je suis totalement opposé à cette dérive, contraire à l'esprit du Traité de Rome. Prisonnière d'une majorité de circonstance, la Commission perdrait son indépendance et son autorité.
    Mais si l'on veut aboutir à la large majorité qui est la marque de la méthode conventionnelle, il faut rechercher une solution qui rassemble. D'ailleurs, il faut dépasser le clivage entre approches intergouvernementale et supranationale. Il ne s'agit pas de faire un « choix Conseil » ou un « choix Commission ».
    C'est dans cet esprit de recherche d'un point de rencontre que j'ai déposé, en ma qualité de conventionnel, une contribution sur la création d'un président unique de l'Europe, présidant à la fois le Conseil européen et la Commission. Ce président étant proposé et responsable devant le Conseil, cette solution me paraît conforme à l'esprit et aux objectifs de la proposition française de Strasbourg d'assurer une visibilité claire pour le citoyen comme sur la scène internationale.
    De toute façon, la présidence stable de l'Union, qu'elle soit bicéphale ou unique, constituera, après l'introduction de l'euro, dont on voit le succès aujourd'hui, une avancée politique majeure de la construction européenne. L'Europe aura enfin un visage.
    Le choix de la méthode de ratification du futur traité constitutionnel appartient au Président de la République et à lui seul. Quel que soit le mode adopté, et encore plus s'il s'agit d'un référendum, il implique une mobilisation active de chacun d'entre nous. Certains des membres de la délégation ont d'ores et déjà organisé des réunions d'information et de sensibilisation sur l'élargissement et sur les enjeux de la Convention. Pour l'Europe, rien n'est pire que le silence et l'indifférence. L'Irlande nous l'a prouvé lors des référendums qu'elle a organisés à un an d'intervalle. Quand on ne parle pas de l'Europe, elle perd ; quand on en parle, elle gagne.
    Je me réjouis donc que le Premier ministre ait décidé de lancer une grande campagne d'information et de dialogue sur l'Europe. L'Europe mérite en effet un immense débat auquel nous devons tous participer, parce qu'elle est synonyme de paix et peut-être, nous le souhaitons, demain, de puissance. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle, du groupe Union pour la démocratie française et sur quelques bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. Nous en arrivons aux orateurs inscrits dans le débat sur l'avenir de l'Europe.
    La parole est à Mme Elisabeth Guigou.
    Mme Elisabeth Guigou. Monsieur le Président de la Convention, chacun, ici, mesure le défi que doit relever la Convention que vous présidez : réformer en profondeur l'Union européenne sur le double plan des objectifs et des institutions. L'enjeu est vital pour l'Union : ou elle réussit sa réforme, ou elle se condamne à n'être qu'une zone de libre-échange, incapable de défendre un modèle de société, impuissante à faire entendre sa voix sur la scène internationale. Cette Europe réduite à un grand marché, c'est, hélas, ce qui nous attend si la Convention n'est pas à la hauteur.
    Le défi est double : il faut, d'une part, donner un nouveau contenu à l'Union européenne, définir ce que les Européens veulent faire ensemble, les objectifs qu'ils se fixent et, d'autre part, donner à l'Union européenne les instruments nécessaires pour atteindre ces objectifs en réformant ses institutions. Et, comme cette réforme se situe dans la perspective du prochain élargissement, il faut de surcroît ne pas seulement raisonner sur l'Union européenne à quinze Etats, mais penser la perspective d'une Union à vingt-cinq membres, et plus encore un jour. Par conséquent, une double nécessité s'impose : faciliter les coopérations renforcées entre les pays qui veulent et qui peuvent aller plus loin et plus vite ; définir les frontières de l'Europe et mieux cerner la notion d'identité européenne.
    Il y a d'abord ce double défi des objectifs et des institutions, car on ne peut séparer la réforme institutionnelle des objectifs de l'Union. La définition de ceux-ci est en réalité cruciale. Ce sont eux qui donnent du sens à la construction européenne, et donc une lisibilité pour les citoyens de l'Europe. Il est urgent, si l'on veut lutter contre le populisme, contre les discours de peurs et de repli sur soi, de montrer ce que l'Europe peut apporter aux citoyens. D'autre part, la mécanique institutionnelle, aussi importante soit elle, est - convenons-en - assez rébarbative et n'a d'ailleurs de justification que par rapport aux objectifs que se fixe l'Union. Le contenu - le projet - n'est donc pas séparable du contenant - les institutions.
    Dans le temps limité de cette intervention, j'insisterai surtout sur l'Europe sociale. Certes, j'accorde une extrême importance à divers aspects. Ainsi, un gouvernement économique est nécessaire pour que l'Union européenne et monétaire marche sur ses deux jambes, ainsi que l'a prévu le Traité de Maastricht. Sans coordination des politiques économiques, on ne tire pas tous les bénéfices de l'euro en termes de croissance ; on n'évite pas une compétition fiscale dangereuse entre Etats membres.
    Je ne méconnais pas non plus combien il est important de définir une véritable politique européenne de l'asile et de l'immigration qui tienne compte des 13 millions de chômeurs de l'Union européenne ainsi que des intérêts des pays en développement qui ont besoin de leurs élites.
    De même, je suis favorable à une politique plus résolue en matière de lutte contre la criminalité internationale, contre ce qui la nourrit, c'est-à-dire contre l'argent sale qui, profitant du secret bancaire, s'infiltre partout à partir des paradis fiscaux...
    M. Emile Zuccarelli. C'est vrai !
    Mme Elisabeth Guigou. ... et alimente toutes les formes de criminalité, de la traite des êtres humains au terrorisme.
    M. Emile Zuccarelli. Très bien !
    Mme Elisabeth Guigou. Quelques avancées ont eu lieu depuis le Conseil européen de Tampere, mais elles sont encore bien insuffisantes. Nous avons besoin d'une police et d'un parquet européens.
    Enfin, évidemment, je connais l'importance de la politique étrangère et de sécurité commune, alors même que s'impose la nécessité d'un contrepoids à l'hyperpuissance et à l'unilatéralisme des Etats-Unis.
    Mais je veux insister sur la construction de l'Europe sociale. C'est un impératif, car le modèle européen tient pour une large part au niveau élevé de ses normes sociales. C'est une urgence, car les citoyens européens craignent que la mondialisation ne menace leurs acquis sociaux. Une ambition forte pour cet objectif peut donc contribuer à conjurer ces peurs qui font le lit du populisme.
    Je me réjouis que, à la demande d'une quarantaine de conventionnels, un groupe de travail ait finalement pu être créé. Nous serons particulièrement attentifs à ce que le traité constitutionnel inclue d'abord, bien sûr, la charte des droits fondamentaux, ce qui donnera à la Cour de justice un droit de contrôle ; des références claires aux valeurs de justice sociale et de solidarité, aux objectifs de progrès social et de cohésion sociale ; des dispositions précises sur l'objectif d'un plein-emploi de qualité sur la base de l'actuel article 128 du Traité ; le principe d'un salaire minimum, dont le niveau variera selon l'état de développement de chaque Etat membre ; la possibilité concrète d'un droit de grève européen, ce qui implique d'aller au-delà de la simple mention dans la charte des droits fondamentaux et de modifier l'article 137, paragraphe 6, du traité actuel - j'insiste sur ce point, car nous en avons parlé, monsieur le Président de la Convention, devant la commission des affaires étrangères - ; la reconnaissance du rôle des partenaires sociaux et du dialogue social ; la définition des missions et principes qui garantissent les services d'intérêt général, afin de faciliter ultérieurement l'adoption d'une directive-cadre ; l'exigence d'un niveau élevé de protection de la santé, ce qui suppose un dispositif d'alerte sur les menaces pour la sécurité sanitaire et le traitement sous l'angle de la santé publique de questions qui ne sont aujourd'hui abordées que dans le cadre du marché intérieur.
    Pour remplir ces objectifs, dans les différents domaines, nous avons besoin, sur le plan institutionnel, d'une réforme en profondeur.
    Mes collègues Jérôme Lambert et Jacques Floch insisteront davantage que moi sur les réformes institutionnelles. Je me bornerai à quelques brèves remarques. Il faudra notamment améliorer la capacité de décision du Conseil en généralisant le vote à la majorité qualifiée dans les domaines où l'Union mène des politiques communes ; renforcer la Commission dans son rôle d'initiative ; renforcer le rôle du Parlement européen ; associer les Parlements nationaux au contrôle du respect de la subsidiarité, qui est au principe.
    Mais une Europe à vingt-cinq membres comporte évidemment de nouveaux défis, et il faut, à cet égard, souligner la nécessité de la différenciation. Nul ne peut imaginer, si toutefois le nouveau traité est ambitieux, que les vingt-cinq Etats membres de l'Union européenne puissent réaliser tous les objectifs au même moment. D'ailleurs, même entre les actuels Etats membres, la différenciation est admise avec l'euro.
    Si l'on veut que l'Union ne soit pas qu'un grand marché, il faut accepter cette différenciation. Mais, bien sûr, afin qu'aucun Etat ne se sente exclu, la possibilité de rejoindre l'avant-garde doit être possible à tout moment. Des dispositions institutionnelles nouvelles sont nécessaires pour que les coopérations renforcées puissent être réalisées plus facilement et que ceux qui les refusent ou qui n'y sont pas prêts ne puissent y faire obstacle, fût-ce devant le Conseil européen des chefs d'Etat et de gouvernement.
    Enfin, si la définition des frontières de l'Europe est nécessaire, elle n'est pas simple. Le critère historique est bien sûr éclairant. Le critère géographique est essentiel, et un pays non européen ne doit pas pouvoir adhérer à l'Union, mais il n'est, en réalité, pas déterminant, sauf si l'on considère que tous les Etats de l'Europe, y compris la Russie, pourraient un jour adhérer à l'Union européenne. Pour moi, une telle perspective n'est pas recevable pour des raisons politiques et stratégiques évidentes. Mais cette position implique que l'Union européenne puisse proposer à tous les pays voisins, à ceux qui, bien que situés en Europe, ne souhaitent pas entrer dans l'Union, comme à ceux de nos voisins de la Méditerranée qui ne peuvent y entrer parce qu'ils sont situés sur un autre continent, un partenariat renforcé qui ne se limite pas au libre-échange, mais englobe les questions de sécurité et de circulation des personnes.
    Sur quels critères définir les frontières ? Sur ce qui fait l'identité de l'Union européenne. Or, ce qui a fondé l'identité de la Communauté européenne, aujourd'hui de l'Union, c'est d'abord et avant tout le projet d'une Union politique fondée sur des valeurs : la paix, les droits des personnes. Ce qui est essentiel, c'est que les pays candidats adhèrent à ce projet tel qu'il est aujourd'hui, tel que les citoyens européens voudraient qu'il soit demain.
    C'est au vu du respect du contenu du projet européen qu'il faudra juger les nouvelles demandes d'adhésion. Et il conviendra de fonder notre réponse sur le respect de critères précis, au premier rang desquels les droits de la personne et des minorités. L'exigence devra être élevée sur ce plan-là, avant même que toute négociation puisse être engagée. Cela vaut pour les Républiques de l'ancienne Union soviétique, pour les Balkans, comme pour laTurquie.
    Mais j'insiste sur un dernier point : le critère religieux n'est en aucune façon recevable. Depuis le traité d'Amsterdam, l'Union européenne est au clair sur ce sujet : elle n'est pas un club chrétien. Elle considère à égalité tous les citoyens, quelles que soient leurs croyances religieuses ou leurs options philosophiques.
    M. Jean-Pierre Brard. Ou leur incroyance !
    Mme Elisabeth Guigou. Votre tâche, monsieur le Président, est lourde. Mais elle est bien engagée. Il faudra que les gouvernements soient à la hauteur des propositions, que j'espère ambitieuses, de la Convention, pour une Europe politique forte, capable de promouvoir ses valeurs et un modèle de civilisation fondé sur la paix, le respect des droits et la solidarité avec les plus pauvres. L'Europe n'a de sens à mes yeux que si elle porte un projet et si elle est un acteur global, capable de promouvoir une autre mondialisation. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à M. François Bayrou.
    M. François Bayrou. Monsieur le Président de la Convention européenne, permettez-moi de commencer cette intervention par un mot personnel. L'Europe va vivre un moment crucial de son histoire. Et ce moment crucial sera, pour une part essentielle, ce que vous, Valéry Giscard d'Estaing, en ferez.
    Je n'oublie rien du chemin qui vous a conduit sur ce banc. Président de la République française, vous avez voulu le Conseil européen. Vous avez voulu l'élection du Parlement européen au suffrage universel. Vous avez été à l'origine de la monnaie européenne. Vous voilà aujourd'hui chargé de préparer une constitution pour notre Europe. Je sais - nous l'avons vu à cette tribune - quelle émotion cette charge vous procure. C'est pour nous l'occasion de saluer d'abord la destinée personnelle qui est ainsi consacrée et aussi l'idée que les volontés personnelles peuvent toujours jouer le premier rôle dans l'histoire.
    C'est un témoignage que je voulais vous apporter en ce moment de votre et de notre histoire. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. François Bayrou. L'Europe, c'est la plus grande et la plus belle entreprise historique de tous les temps. Pour l'ambition, l'aventure vaut Napoléon et Alexandre le Grand. Mais, pour la justice, elle les écrase. Car cette immense entreprise est fondée sur les plus hautes aspirations de l'être humain, la paix et la bonne volonté des peuples, alors que les grands conquérants ne fondaient leur empire que sur la force et la contrainte.
    Robert Schuman, Jean Monnet, Konrad Adenauer, Alcide De Gasperi, ces hommes étaient humbles, persévérants et visionnaires. Passés les uns et les autres par la guerre, ayant vu leurs pays broyés, avilis et redressés, ils savaient que la vraie politique n'est pas gloriole, mais vision et volonté jusqu'à entraîner, contre toute attente, l'assentiment des peuples. A ce titre, ils méritent l'honneur que doivent leur rendre les générations.
    Une seule erreur a été commise au cours de cette vaste entreprise, une erreur qui me rappelle le mot de Péguy : « Tout commence en mystique et tout finit en politique. » Ici, en effet, tout a commencé en mystique, mais tout a continué en mécanique, en technique, en technocratie, accessible aux seuls initiés et compréhensible seulement avec un cours et un lexique de droit européen.
    Or l'Europe n'est pas affaire d'initiés, mais de citoyens. La faute que l'on a laissé commettre, c'est de permettre à l'Europe de devenir incompréhensible, même aux plus avertis.
    Il n'y aura pas de régénérescence de l'idée européenne sans volonté inflexible et, s'il le faut, iconoclaste, de rendre compréhensible à tous les raisons qui nous font vivre ensemble et les règles qui nous permettent de le faire.
    En vérité, le mot Europe recouvre plusieurs entreprises : les trois étapes principales sont construites sur trois urgences.
    Les deux premières sont réalisées ou assez avancées, la troisième, à la vérité, n'est pas encore entamée. Elle est l'objet même de la Convention, et sa réalisation ou son échec ne dépendront que de nous.
    La première étape, c'est la paix. Sur notre continent, cela paraissait impossible. Notre continent, déchiré comme aucun autre par une guerre de cent ans, saigné et avili comme aucun autre, paraissait voué à une haine inexpiable. Il faut, pour la mesurer, avoir lu le compte rendu des débats qui, dans cette enceinte, au début des années cinquante, précédèrent les premiers pas de la construction européenne. N'insultait-on pas Robert Schuman en le traitant de « boche » à la tribune de l'Assemblée nationale ? C'est à cette haine que, sans crainte et le regard droit, osèrent s'attaquer les pères de l'Europe.
    Et le miracle s'accomplit. En peu d'années, la vague de la construction européenne, rassemblant les ennemis de la veille, et d'abord la France et l'Allemagne, apporta la paix au continent.
    La paix, ce n'est pas l'armistice, ce n'est pas l'absence de combats, ce n'est pas la vigilance armée ; la paix, c'est tout autre chose : c'est oublier jusqu'au souvenir même des conflits et jusqu'à l'idée même qu'ils pourraient reprendre un jour. C'est la paix qui fut le premier fruit et la première étape de la construction européenne.
    La deuxième étape, c'est la prospérité. Les pères de la Communauté économique européenne étaient animés de la conviction que l'économie d'un marché commun, sans frontières intérieures, serait un atout incomparable pour la prospérité du continent, comme le marché américain l'avait été pour l'économie des Etats-Unis.
    Il faut avoir entendu, dans cette enceinte même, les débats qui précédèrent la ratification du Traité de Rome, pour mesurer à quelle peur il fallait alors faire face. Des hommes aussi unanimement respectés que Pierre Mendès-France expliquaient, à cette tribune, que jamais l'agriculture française, que jamais la production industrielle française n'auraient la capacité de faire face aux défis de l'ouverture des frontières.
    Contre toutes les peurs, les fondateurs allèrent de l'avant. Et il est juste de dire que cela ne serait pas advenu si le général de Gaulle, à ce moment, ne l'avait voulu.
    M. Jean-Pierre Brard. Il est temps de le dire ! (Sourires.)
    M. François Bayrou. Et le miracle s'accomplit. En peu d'années, on vit une économie démantelée et à la traîne multiplier les performances, dans tous les domaines, notamment agricole. On passa d'une économie de subsistance, parfois au bord de la pénurie, à une économie puissante, dépassant en produit intérieur les Etats-Unis.
    M. Maurice Leroy. Très bien !
    M. François Bayrou. Et la vision du Traité de Rome s'accomplit dans l'impensable : une monnaie unique pour douze Etats.
    Pour la première fois dans l'histoire des hommes, le changement de monnaie n'était pas la marque d'une domination nouvelle, mais un mouvement volontaire de l'intelligence et du coeur.
    Pour la première fois depuis longtemps, les pays européens recouvraient une véritable souveraineté monétaire. Que l'on imagine, par exemple, ce qu'auraient été les suites du 11 septembre 2001 dans la division de nos monnaies chahutées pour mesurer la protection que l'euro nous a assurée.
    Et l'opinion publique a suivi. Les utilisateurs, les consommateurs de monnaie que nous sommes tous ont surmonté leur appréhension. Les difficultés naturelles - et qui n'étaient pas mineures - ont été dépassées dans l'optimisme par l'élan des peuples qui choisissent l'avenir.
    Nous avons vu se réaliser l'Europe de la paix. Nous avons vu se réaliser l'Europe de la prospérité, achevée avec l'Acte unique et l'euro. Un jour, cela vient d'être dit, il faudra traiter dans le même esprit l'Europe sociale.
    Mais il existe une troisième étape. Si nous sommes là aujourd'hui, c'est parce que nous devons relever un nouveau défi. Aujourd'hui, nous devons savoir si nous voulons, ou non, que l'Europe, zone de paix et de prospérité, devienne un acteur de premier plan sur la scène du monde ?
    Or, l'Europe de la paix, l'Europe de la prospérité et l'Europe-acteur, ce n'est pas la même Europe. Il s'agit d'un changement de nature et non de degré, et ce changement est nécessaire. Car, nous le savons bien, le siècle dans lequel nous sommes entrés est le siècle des puissances.
    C'est le temps des géants politiques. Les Etats-Unis sont aujourd'hui le géant absolu et l'hyper-puissance de notre temps. La Chine, avec 1,3 milliard d'habitants et une croissance de 8 %, est un géant en formation. L'Inde, avec son milliard d'habitants et sa croissance, se prépare à le devenir.
    Mais c'est aussi le temps des géants économiques dont chacune des décisions, à force de concentration, pèse à elle seule plus lourd pour le sort des peuples que la décision de la plupart des chefs d'Etat.
    C'est aussi le temps des géants du crime organisé, qui s'appuient sur les quelque quatre-vingt places offshore servant de refuges complaisants à leurs trafics et au blanchiment d'argent qu'ils opèrent.
    La pauvreté elle-même a pris visage de géant : des milliards de personnes n'ont toujours pas accès à l'eau potable et le sida a fait 3 millions de morts et frappé 38 millions de nos contemporains.
    Ce monde de géants, il ne nous appartient plus de le refuser. La seule question que nous devons nous poser, c'est de savoir si nous voulons y être impuissants ou agissants.
    M. Jean-Pierre Brard et M. Jean-Claude Lefort. Très bien !
    M. François Bayrou. Trois conditions doivent être réunies pour que naisse l'Europe qui agit : une vision nette de ce que nous voulons en faire, des institutions simples et démocratiques et une identité commune pour l'Europe.
    Nous devons d'abord avoir une vision nette de ce que nous voulons faire de l'Europe. Si notre vision est bien celle d'une Europe-acteur de premier plan sur la scène du monde, alors il nous faut en tirer les conclusions qui s'imposent.
    Comme vous le constatez, je n'emploie pas l'expression « Europe-puissance ». Cette expression est certes juste à bien des égards, mais elle recèle une ambiguïté qui gêne beaucoup d'esprits européens, car il y a elle comme une idée de domination, comme un relent d'impérialisme, que refusent beaucoup d'Européens, par exemple les Allemands pour des raisons que l'Histoire permet de comprendre sans difficulté.
    La vocation de l'Europe, c'est de peser suffisamment pour que le monde ne se résume pas en un combat singulier des puissances. Or, pour cela, il faut être un acteur. Et l'Europe-acteur sur la scène du monde, ce n'est pas autre chose que le ressaisissement au xxie siècle de l'idée de souveraineté sous une forme moderne.
    M. Jean-Pierre Brard. On dirait du Douste-Blazy !
    M. François Bayrou. Toutes ces souverainetés qu'au fil du temps nous avons perdues ou laissé échapper en n'étant que des Etats nationaux, parce que, seuls, nous ne pouvons plus être assis en tant que tels à la table des puissances, nous allons les ressaisir par la création de l'Europe politique.
    C'est parce que nous voulons redevenir des acteurs impossibles à ignorer sur tous les sujets que nous voulons que s'engage cette troisième étape de l'Union européenne.
    L'Europe-acteur, c'est une politique étrangère, une politique de développement, une politique de défense. Dans tous ces domaines, les mois qui viennent de s'écouler ont suffisamment illustré les inconvénients de la division européenne.
    Monsieur le ministre des affaires étrangères, j'ai moi-même loué à cette tribune les efforts et la réussite de la diplomatie française à l'ONU, sous votre impulsion, dans l'affaire irakienne. Les mois qui viennent nous diront quel sera le véritable résultant de ses efforts.
    Mais si l'Europe avait existé, unie et non divisée au point que nous avons, hélas ! constaté, si elle avait défendu une position équilibrée, proche de celle qu'a exprimée le Président de la République et qu'a portée la France, il ne pourrait pas subsister d'ambiguïté sur l'interprétation de la résolution 1441. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Jean-Pierre Brard. Très bien !
    M. François Bayrou. L'Europe aurait, tout au moins, je le crois, l'influence suffisante pour imposer qu'avant toute action militaire en Irak, une nouvelle résolution des Etats-Unis apparaisse à tous comme nécessaire (« Bien sûr ! » sur quelques bancs du groupe socialiste), et les Etats-Unis ne pourraient pas prétendre qu'une simple réunion du Conseil de sécurité suffirait.
    M. Jean-Pierre Brard. Très bien !
    M. François Bayrou. Encore est-ce là le fleuron de notre action diplomatique de ces dernières années, la réussite de la plus éclatante.
    Il y a quelques jours, le groupe UDF recevait l'ambassadeur de Grande-Bretagne pour participer à un débat - très intéressant - sur la réalité de la menace en Irak. Une de ses phrases m'est restée en mémoire : « Convenons - disait sir Holmes - que l'essentiel de notre effort consiste à infléchir les positions des Etats-Unis, notamment en coulisses. » Et il parlait de tous les Etats européens.
    Eh bien, je rêve d'un temps où l'Europe ne se revendiquera comme un « infléchisseur en coulisses ». Je rêve que sa voix rencontre le même écho et la même autorité que celle des plus puissants de la planète d'aujourd'hui ou de demain. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. François Loncle et Mme Elisabeth Guigou. Très bien !
    M. François Bayrou. Pensons, par exemple, à ce que serait le Moyen-Orient, à qui nous relient tant de liens d'histoire et d'amitié, s'il existait une voix européenne capable de peser aussi lourd sur le destin de cette région déchirée que pèse la voix américaine dont on constate qu'elle ne peut, à elle seule, changer les choses. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Jean-Pierre Brard. Elle ne le veut pas !
    M. François Bayrou. Songeons à l'Afrique, songeons au sida, songeons à l'eau. Et imaginons ce que serait la force d'une Europe-acteur pour que devienne juste un monde injuste.
    Abordons sans crainte la question de la défense européenne. S'il est un sujet qui devrait nous obliger à changer non le rythme mais la nature même de l'Europe, c'est bien celui de la défense.
    Il y a quatre ans demain - c'était en décembre 1998 -, on a annoncé à grand renfort de satisfecit qu'un prétendu « pas de géant » avait été fait vers la création de la défense européenne.
    Que s'est-il passé depuis ? Rien - ou si peu ! Nous avons pris seuls la décision de construire notre deuxième porte-avions. Les Britanniques, cosignataires de la déclaration de décembre 1998, ont pris seuls leur décision en matière d'avion de combat.
    M. Maurice Leroy. Ce n'est pas raisonnable !
    M. François Bayrou. Et l'avion de transport de troupes, A 400 M, pourtant si nécessaire à toute projection, n'a toujours pas reçu son premier bon de commande,...
    M. Jean Michel. Mais si !
    M. François Bayrou. ... car les Allemands n'ont toujours pas pris la décision annoncée. C'est du sur-place, et dans bien des domaines, il y a comme un recul.
    Au moment où le fossé se creuse si dramatiquement entre la capacité militaire des États-Unis et la nôtre, l'Europe-acteur doit se ressaisir et manifester sa volonté en matière de défense.
    Lorsque l'on songe que la seule rallonge du budget militaire américain est supérieure à la totalité du budget français de défense, lorsque l'on suit dans le détail les décrochages technologiques qui menacent notre technologie de défense et notre recherche européennes, aussi bien en matière de rayonnements que de biotechnologies, on se dit que si nous ne savons pas rassembler cette volonté, il y aura au bout du compte l'effacement et le décrochage définitif.
    Oui, l'Europe est faite pour traiter de ces sujets ! Elle est faite pour parler d'affaires étrangères et de défense, bien davantage que pour traiter de la chasse, des conserves ou des fromages, sujets auxquels nos compatriotes croient qu'elle est limitée ! (Applaudissements et sourires sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Hervé Morin. Ou du chocolat !
    M. François Bayrou. Oui, disons-le sans périphrase, le domaine de l'Europe, c'est celui de la souveraineté régalienne que les Etats ne peuvent plus exercer seuls, et qu'ils ne retrouveront qu'ensemble, comme on l'a vu en matière de souveraineté monétaire.
    M. Maurice Leroy. Très juste !
    M. François Bayrou. Préciser la vision, c'est dire que, pour la France, après l'Europe de la paix, après l'Europe de la prospérité, il faut construire l'Europe politique, qui sera l'acteur de premier plan que nous attendons sur la scène mondial.
    La deuxième condition pour que naisse l'Europe nouvelle, ce sont des institutions simples et démocratiques. C'est la condition même pour que se forme et se forge la volonté politique de l'Europe.
    Naturellement, pendant des millénaires, la volonté politique n'a pas concerné les peuples : elle était le seul fait des souverains. Mais c'est l'acquis de nos révolutions démocratiques, et particulièrement, nous pouvons bien le dire ici, de notre Révolution française, que d'avoir changé cela.
    M. Jean-Pierre Brard. Ça, c'est bien ! Il était temps de le dire ! (Sourires.)
    M. François Bayrou. Comme il est écrit à l'article 2 de notre Constitution, le principe de notre République, c'est « le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple ».
    Certains diront encore que c'est une utopie.
    M. Jean-Pierre Brard. Cela reste une utopie !
    M. François Bayrou. Pour nous, c'est le nécessaire. Parce que nous croyons à l'idéal démocratique, nous voulons que les peuples saisissent leur destin. Nous voulons que les décisions qui les concernent soient prises non seulement pour eux, mais avec eux et par eux.
    M. Maurice Leroy. Très bien !
    M. François Bayrou. Si l'on accepte ce principe, alors on conviendra que la transparence des institutions et la participation consciente des citoyens sont la condition de l'élaboration de la volonté politique démocratique.
    M. Jean-Pierre Brard. Il y a du boulot !
    M. François Bayrou. Or il n'y a rien de plus brouillé, de moins compréhensible, de plus réservé aux seuls initiés que les institutions européennes actuelles.
    Monsieur le président, vous avez à faire oeuvre d'architecte,...
    M. Jean-Pierre Brard. De Grand Architecte !
    M. Jean-Claude Lefort. Ce n'est pas encore le Grand Timonier !
    M. Jean-Pierre Brard. Il va devoir faire des miracles ! (Rires.)
    M. François Bayrou. ... et ce qui guide le crayon de l'architecte, c'est la vision.
    Trois piliers soutiennent les institutions européennes.
    Le premier d'entre eux, ce sont les Etats représentés par leur Gouvernement. Il faut donc une institution dans laquelle les Etats délibèrent, dialoguent et décident en public. Il faut un « Conseil des Etats », armé de toutes les prérogatives qu'il est nécessaire de maintenir à ceux qui portent la légitimité des Etats et des nations qui ont voulu, ensemble, constituer l'Union.
    Nous avons besoin que les délibérations des Etats sortent de la clandestinité. Les citoyens ont besoin de connaître à l'avance l'ordre du jour et les projets sur lesquels leurs gouvernants s'exprimeront en leur nom.
    Il ne faut plus de décision signée à la va-vite, en catimini, à l'insu des peuples, comme cette décision sur les retraites qui choqua si fortement au moment du sommet de Barcelone.
    M. Pierre Forgues. Très juste !
    M. François Bayrou. Les gouvernants engagent les citoyens. Il faut donc qu'ils délibèrent publiquement et sous leurs yeux.
    Le deuxième pilier, la deuxième légitimité, ce sont les citoyens de l'Union. Leurs représentants directs s'expriment au Parlement européen. Ce qu'on appelle la codécision législative, c'est-à-dire la nécessité de l'accord entre les gouvernements et les représentants des citoyens pour légitimer les décisions principales de l'Union, va dans le bon sens. Son extension raisonnée est également une bonne chose.
    Le troisième pilier de l'Union, la troisième légitimité, c'est celle du fédérateur, qui s'est incarné dans la Commission.
    La défense de l'intérêt général, dans un dialogue permanent avec les gouvernements et les représentants des citoyens, ne doit pas être affaiblie.
    Mais les démocraties ont besoin de visage et l'Europe a besoin d'une voix. C'est pourquoi il lui faut un Président.
    Monsieur le Président, nous avons si souvent dénoncé, ensemble, les méfaits de la cohabitation dans notre pays pour que nous n'allions pas inventer une cohabitation pour les institutions européennes ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et sur quelques bancs du groupe de l'Union pour la majorté présidentielle.)
    On dit - j'espère que c'est faux - que la Convention se dirigerait vers une double présidence pour son exécutif : présidence du Conseil, désignée par les gouvernements, et présidence de la Commission, élue par le Parlement. Je crains que nous ne retrouvions, en pire, les conflits de légitimité, l'illisibilité dont ne peuvent que souffrir toutes les institutions de toutes les entités politiques de la planète.
    Que ceux qui ont tout fait pour chasser la cohabitation de nos institutions à Paris se serrent les coudes pour empêcher la création de la cohabitation à Bruxelles.
    M. Pierre-Christophe Baguet. Très bien !
    M. François Bayrou. Il n'y a qu'une direction raisonnable et juste, c'est que le président de l'Union ait la Commission sous son autorité...
    M. René André. Très bien !
    M. François Bayrou. ... et qu'il tire sa légitimité des représentants des gouvernements et des peuples, avant de la tenir, un jour, des citoyens directement. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)
    Nous avions défendu, dès 1999, l'idée d'un « congrès » qui permettrait de légitimer ce président. D'autres pistes peuvent sans doute être proposées.
    Ce qui compte, c'est l'identification des responsables et du premier d'entre eux, le président de l'Union, et la légitimité qu'il tirera de la procédure de sa désignation.
    Un Conseil des Etats où dialogueront et délibéreront les Gouvernements ; un Parlement européen pleinement reconnu ; un fédérateur à la tête de sa Commission : ce sont des institutions simples, démocratiques, à la portée d'une leçon d'écucation civique, capables de rendre l'Europe aux citoyens qui en ont été trop longtemps écartés.
    M. Pierre Forgues. Ce n'est pas pour demain !
    M. François Bayrou. Il y a enfin une troisième condition : c'est l'identité européenne.
    L'identité européenne s'articule, naturellement, autour de la problématique des élargissements. Nous sommes très heureux, je le dis en présence de M. le ministre des affaires étrangères de la Pologne, que l'Europe qui se trouve, et se retrouve, puisse enfin avoir sa pleine signification dans le rassemblement des pays qui n'auraient jamais dû être séparés. Cet élargissement-là, celui aux pays d'Europe centrale et orientale, nous le vivons avec joie et impatience. C'est une chance pour la croissance de l'Europe, pour son équilibre, et pour son influence.
    Mais il est d'autres élargissements potentiels.
    Vous avez été critiqué, monsieur le président, pour avoir exprimé votre position sur la turquie. Au nom de l'UDF, je veux vous remercier de l'avoir fait. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Dominique Tian. Très bien !
    M. François Loncle. On pouvait faire autrement !
    M. François Bayrou. La question des frontières, de l'entité européenne, ce n'est pas une question différente de la question des institutions, c'est la même question.
    Si nous voulons une Europe capable de décider, il faut qu'il y ait entre ses membres suffisamment de liens d'identité pour qu'ils constituent entre eux un véritable ensemble.
    Cette question est la question même du projet européen.
    Pour ceux qui croient que l'Europe n'est que la confrontation apaisée des souverainetés, naturellement, il n'y a aucun inconvénient à voir élargi continuellement le cercle de ces démocraties méritantes.
    M. Maurice Leroy. C'est l'euro-planète !
    M. François Bayrou. Nous constituerions seulement alors une espèce d'ONU régionale, destinée à englober non seulement la Turquie, mais aussi le Maghreb, et pourquoi pas, comme le demandait récemment dans un de nos congrès M. Berlusconi, l'ensemble de la fédération de Russie, demain Israël, comme beaucoup le demandent, et, pourquoi pas, le Sénégal.
    Si l'Europe n'est qu'une zone démocratique, avec des règles de paix et de vie en commun, quel inconvénient à la voir demain s'étendre jusqu'à se retrouver frontalière de l'Irak, de l'Iran, de la Syrie, du Japon, de la Chine ou de l'Egypte ?
    M. Maurice Leroy. Bien sûr !
    M. Pierre Forgues. Et Chypre ?
    M. François Bayrou. Le même raisonnement vaut pour ceux qui pensent qu'il ne s'agit pas d'autre chose que d'une zone de libre-échange, qu'on doit substituer au projet européen.
    Il suffisait d'être présent dans l'hémicyle du Parlement européen pour voir avec quel enthousiasme les plus europhobes des conservateurs britanniques ont voté pour l'adhésion de la Turquie. Ils savaient bien, eux, qu'à reculer constamment les frontières on diluait jusqu'à le faire disparaître le projet européen. (« Bien sûr ! » et applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. François Loncle. Il fallait le dire en 1999, à Helsinki !
    M. François Bayrou. Mais si l'on veut, comme nous le voulons, faire de l'Europe une entité, une identité, une volonté, alors il faut qu'on sache quelle communauté d'histoire, de géographie et de civilisation conduit les pays qui la forment à agir ensemble et non pas chacun pour soi sur la scène du monde.
    Que nous construisions les accords nécessaires pour que soient reconnus à la Turquie ses liens de familiarité et de voisinage avec l'Europe, la reconnaissance et la solidarité qui vont avec, cela est souhaitable et indispensable. Les mêmes liens seront à reconnaître, par exemple aux pays du Maghreb à qui nous lient tant d'histoire, d'aspirations et de culture partagées. Mais ce ne sera pas l'Europe qui se dilue, ce sera l'Europe qui se définit et qui se lie avec ceux qui l'entourent.
    Et ce n'est pas une question de religion.
    M. Jean-Pierre Brard. Ah !
    M. François Bayrou. Il y a des pays musulmans européens.
    M. Jean-Pierre Brard. Il n'y aura pas Dieu dans la Constitution ?
    M. François Bayrou. C'est le cas de la Bosnie, qui, un jour ou l'autre, trouvera sa place dans notre ensemble.
    Mais si nous voulons que l'Europe existe, il faut qu'elle soit européenne.
    Un dernier mot enfin : ce travail d'élaboration, nous ne le faisons pas seulement pour nous-mêmes. Si nous le réussissons, nous ouvrirons la voie à d'autres ensembles du même ordre, qui bâtiront avec nous une nouvelle architecture politique pour la planète : non pas la domination d'une seule hyper-puissance, ou la confrontation de plusieurs, mais l'équilibre des puissances. Sur les pas de l'Europe marcheront l'Amérique latine, l'Afrique noire, le Sud-est asiatique, un jour, je l'espère, même le Moyen-Orient.
    M. Jean-Pierre Brard. Et l'Océanie ? (Sourires.)
    M. François Bayrou. Si nous échouons, alors nous aurons échoué non seulement pour nous-mêmes, mais pour beaucoup. C'est toute notre civilisation qui se trouvera exposée, celle de la diversité culturelle, celle du droit égal pour les faibles et pour les forts, celle des valeurs philosophiques et spirituelles qui nous ont fait ce que nous sommes.
    Monsieur le président, vous disiez dans votre intervention devant la Commission des affaires étrangères, que la responsabilité dont vous aviez la charge, c'était celle de la dialectique entre l'impossible et le nécessaire. Mais ce qui est impossible, c'est que nous renoncions par faiblesse, par pusillanimité ou par manque de visions, à faire de l'Europe, non plus un espace ou une zone, mais un acteur décidé non pas à subir mais à façonner le monde (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et sur quelques bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à M. Pierre Goldberg.
    M. Pierre Goldberg. Monsieur le président, monsieur le Président de la Convention, madames et messieurs les ministres, mes chers collègues, l'ordre du jour est parfaitement clair : « débat sur l'avenir de l'Europe ». C'est l'occasion pour nous d'affirmer notre vision de la construction européenne qui doit tendre vers une Europe des nations, une Europe des peuples. Une telle conception, disons-le d'ores et déjà, est aux antipodes de la configuration d'une Europe libérale dessinée à coup de Traité de Maastricht et autre pacte de stabilité. Nous voulons rompre avec l'Europe des marchands et des financiers pour construire une Europe des citoyens. Ce débat est donc salutaire car, fondamentalement, c'est le contenu du projet européen qui doit être repensé. En effet, après cinquante ans d'existence, force est de constater l'essoufflement de la dynamique européenne et la crise existentielle que connaît l'Union.
    Les réflexions qui sont actuellement menées au sein de la Convention doivent partir d'une réalité paradoxale. D'un côté, l'idée européenne séduit nos concitoyens ; de l'autre, la politique appliquée par l'Union les rebute. Une telle réaction est légitime dès lors que cette politique se résume à une remise en cause des services publics, à une obsession de la baisse des dépenses publiques, à un alignement sur les exigences des marchés financiers, à un discours en demi-teinte en matière de protection de l'environnement et de la santé publique, à l'absence d'initiative - cela a été dit avant moi - sur la scène internationale, enfin à un fonctionnement opaque, loin des gens et trop souvent contre eux.
    Ce désarroi à l'égard de la construction européenne se renforce au vu de la manière dont le processus d'élargissement est mené. Cette entreprise historique s'inscrit dans un grand projet de civilisation, tendant à rapprocher les peuples et à consolider la paix. En cela, nous soutenons l'ouverture de l'Union aux peuples d'Europe concernés.
    Mais l'élargissement ne doit pas être conçu pour autant comme une extension du marché européen qui s'inscrirait dans la lignée d'une mondialisation ultra-libérale. C'est pourquoi le débat sur l'avenir de l'Europe ne peut pas porter uniquement sur la question des institutions et de leur réforme. La construction européenne n'a de sens que si elle est conçue d'abord comme un projet politique, un projet de société, une conception du monde.
    Or, aujourd'hui, le constat est amer : l'Union européenne est en effet un grand marché, mais un nain politique et social.
    Le forum social et la manifestation qui a rassemblé près d'un million de personnes à Florence sont loin d'être anecdotiques. Ils interviennent à la suite des manifestations citoyennes qui se sont déjà déroulées à Seattle ou à Nice. C'est un signal fort adressé à l'Europe et au monde, qui traduit l'insatisfaction légitime des citoyens à l'égard des lacunes de l'action de l'Union en matière sociale, mais aussi dans les domaines environnemental, sanitaire et démocratique. L'Union européenne s'affirme comme un acteur de premier rang dans le phénomène de la mondialisation. Or, au lieu de proposer un discours alternatif à la pensée dominante, un discours fondé sur le développement durable, elle préfère se poser en porte-parole des dogmes de la libéralisation et de la globalisation, aux côtés des Etats-Unis et de l'Organisation mondiale du commerce.
    Cette situation n'est malheureusement pas nouvelle. Elle donne l'image d'une Europe engluée dans un carcan, celui, je le répète, de l'ultralibéralisme. Elle mérite sans hésitation non pas un carton jaune mais un carton rouge car de tels choix ont un prix. Un prix que nos concitoyens payent notamment au détriment de leur santé. Ainsi, les récentes crises, en particulier celle de la « vache folle », ont montré les risques qui pèsent sur les consommateurs, du fait du productivisme à outrance.
    L'Union devrait ainsi se souvenir que le consommateur est aussi et surtout un citoyen dont il faut renforcer la protection, fondée sur le principe de précaution, la transparence dans l'information et la traçabilité des produits.
    La loi du marché pousse à l'uniformité des modes de consommation et à la concentration des industries culturelles. Il faut nous préserver de la menace de l'uniformité. C'est là un enjeu de civilisation fondamental.
    Ainsi, l'identité française à laquelle nous sommes forcément très attachés, est pour l'Europe un apport progressiste incontestable. L'annihiler, c'est faire reculer l'Europe.
    Ce combat est un combat pour les cultures européennes, bien sûr, mais aussi pour toutes les cultures. Parce que la culture est vivante, il appartient à l'Europe de favoriser la création. La culture doit bénéficier d'une politique commune, conçue spécifiquement et non dominée par les règles de la concurrence et du marché intérieur. L'engagement de l'Europe pour la diversité culturelle symbolise notre vision d'une société internationale ouverte et solidaire.
    Dans le même sens, les menaces sur l'environnement, qu'il s'agisse de la pollution croissante dans les villes, des atteintes au patrimoine naturel ou des menaces provenant de l'état de certaines centrales nucléaires de l'Est, sont une source de profonde inquiétude pour nos peuples.
    Ensemble, les quinze, et demain les vingt-cinq, ou plus, pèseront plus que les Etats-Unis dans les institutions financières et commerciales internationales. L'Europe va-t-elle enfin oser user de ce poids pour proposer une alternative à ces dogmes ultra-libéraux que nous dénonçons sans cesse et qui animent l'actuelle mondialisation ? Il y va pour l'Europe de sa propre raison d'être. C'est pourquoi elle doit se fixer comme principe directeur celui du développement durable, et cela au moment où les Etats-Unis semblent éluder leurs responsabilités.
    Face aux tentations de l'unilatéralisme - c'est-à-dire de la loi du plus fort -, l'Europe doit être un facteur d'équilibre dans les relations internationales. L'Union européenne doit s'affirmer comme un contre-poids face à l'unilatéralisme américain dont les manifestations sont totalement inacceptables : non-abrogation de la peine de mort, refus de Kyoto, refus du Tribunal pénal international, refus du contrôle des armes chimiques et bactériologiques, refus de signer les conventions et traités de désarmement, menace de recours à la force sans mandat des Nations unies.
    Dans le climat de tension internationale que nous vivons aujourd'hui, on est en droit d'attendre de l'Union une attitude politique offensive, faisant contre-poids aux dérives de l'administration Bush. Par exemple, peut-on accepter plus longtemps l'attitude tout simplement belliqueuse et pour le moins inique des Etats-Unis à l'égard des peuples irakien ou palestinien ?
    La mise en place de l'euro et le transfert de la souveraineté monétaire à une instance telle que la Banque centrale européenne réduit à la portion congrue les prérogatives des gouvernements issus du suffrage universel. Le coût social risque d'en être difficilement supportable pour un corps social européen déjà bien malade : plus de 17 millions de sans-emploi et près de 50 millions de pauvres !
    La dimension sociale de l'Europe a donc été sacrifiée sur l'autel du marché commun. L'Union économique et monétaire mise en place par le traité de Masstricht a accentué le parti pris ultra-libéral, entraîné la refonte des structures sociales européennes sur le modèle anglo-saxon, c'est-à-dire la dérèglementation et la flexibilité, et renforcé les effets les plus nocifs de la concurrence, ceux du dumping social notamment.
    Certes, le projet initial de la construction européenne se résumait à un projet économique, celui de mettre en place un grand marché. Il est désormais crucial d'élargir cette perspective, et de repenser le projet européen à travers des problématiques politiques et sociales. L'Europe ne peut en effet se résumer à un espace économique où règnent seulement la libre concurrence et le libre échange. L'Europe n'est pas qu'un marché. Elle renvoie d'abord à des réalités plus fondamentales, constitutives d'un patrimoine culturel commun.
    Pour ces raisons, le futur traité constitutionnel européen - qui ne doit pas se confondre avec une Constitution proprement dire - doit consacrer un modèle de société inhérent aux sociétés européennes, mais qui se trouve actuellement de plus en plus souvent remis en cause par la politique de l'Union.
    Les principes et valeurs de ce modèle doivent être formellement inscrits dans le texte fondamental : la démocratie, les droits de l'homme, mais également et surtout le refus de dissocier la prospérité économique du progrès social. Dans la mesure où la charte des droits fondamentaux proclame ces principes et porte ces valeurs, ce texte s'affirme comme la clef de voûte de la Constitution européenne. La charte mérite dès lors d'être consacrée en préambule de la Constitution européenne. Cet acte solennel mettra en lumière ainsi le sens profond de la construction européenne que nous voulons : des principes, des valeurs et des objectifs dont le citoyen européen est le centre. Cette charte des droits appelle néanmoins des compléments et des améliorations par le biais d'autres dispositions, concernant notamment les droits économiques et sociaux.
    De même, nous ne pouvons accepter qu'aucune référence ne soit faite au principe d'égalité entre les hommes et les femmes. Le texte à venir - doit-on le rappeler ? - doit constituer une avancée sur ce principe fondamental. Tout recul sur ce point serait d'ailleurs très mal vécu par nos concitoyens et nos concitoyennes.
    Notre volonté de voir consacrer un modèle européen de société n'est pas neutre. Celui-ci n'est d'ailleurs pas isolé en Europe. Plus concrètement, les services publics doivent s'affirmer comme des piliers de ce modèle. En effet, les sociétés européennes de l'après-guerre ont été en partie façonnées par leurs services publics respectifs.
    Certes, les histoires et les cultures des Etats membres ont marqué des conceptions, des modes d'organisation et des types de gestion spécifiques - c'est en cela d'ailleurs que le service public à la française n'est pas un mythe - mais en fin de compte, l'existence d'activités de service public est de toutes les traditions nationales, même si ce service n'a pas partout la même portée qu'en France. En d'autres termes, même s'ils ne recouvrent pas une réalité uniforme, les services publics jouent partout un rôle essentiel dans la cohésion économique, sociale, territoriale de la collectivité. On retrouve, en effet, cette idée selon laquelle certaines activités doivent échapper, en fonction des objectifs et intérêts qu'elles mettent en jeu, à l'application de la seule logique marchande, pour être gérées selon des critères spécifiques permettant un accès de tous à certains biens et services.
    Pourtant, malgré certaines déclarations, la Commission européenne n'a pas foncièrement changé la ligne doctrinale en matière économique et sociale. La politique de la Commission révèle une conception consumériste du service public, envisagé, sous l'angle économique et de la concurrence, non sous l'angle de la solidarité et de la justice sociale.
    La Commission européenne n'est toutefois pas la seule responsable de cette volonté de démanteler nos services publics. Les premiers responsables en sont les gouvernements qui se sont malheureusement succédé dans la mesure où non seulement ils orientent la politique de l'Union, mais ils proposent, le plus souvent, et prennent aussi les décisions in fine au sein du Conseil de l'Union ou du Conseil européen. En somme, et je le dis sans retenue, les Etats tentent de casser nos services publics en mettant en avant les exigences de l'Union européenne. C'est une posture hypocrite avec laquelle les Etats membres et notamment notre gouvernement doivent rompre.
    La démarche de la Commission vise essentiellement à accompagner le mouvement très marqué de libéralisation des services publics dans l'Union européenne. Dès lors, un lourd climat continue de peser sur l'avenir des services publics de l'énergie, des transports, pour ne citer que des secteurs particulièrement visés dans notre pays et auxquels nos concitoyens sont fondamentalement attachés comme usagers ou salariés.
    Assurer une consécration claire et nette des services publics au nom des valeurs de solidarité et de justice sociale est un acte de principe qui s'impose.
    Si l'Europe sociale reste à faire, l'Europe des citoyens demeure une illusion. Plus qu'un slogan, le « déficit démocratique » demeure une caractéristique du mode de fonctionnement et de décision du système européen. Ainsi la construction européenne est-elle le fruit d'une série de traités internationaux, négociés lors de conférences intergouvernementales dont les citoyens sont totalement exclus. Au moment des ratifications, même la voie du référendum reste exceptionnelle. Les gouvernements utilisent trop largement, pour les affaires européennes, la méthode en usage pour les traités internationaux, alors même que les questions européennes sont foncièrement et plus que jamais des questions nationales.
    Comment s'étonner dans ces conditions du fossé qui ne cesse de se creuser entre les citoyens et l'Union européenne et, plus largement, entre la politique et nos concitoyens ?
    De plus, le système européen se caractérise par le fait que le véritable pouvoir décisionnaire se trouve aux mains d'un duo institutionnel, la Commission et le Conseil de l'Union, qui manque indubitablement d'assise démocratique. Le Conseil de l'Union demeure en effet une sorte d'intouchable : ni le Parlement européen, ni les Parlements nationaux des Etats membres ne sont en mesure de contrôler efficacement, en amont comme en aval, les décisions qui y sont prises. Par ailleurs, celles-ci sont de plus en plus prises à la majorité qualifiée. Dès lors, les orientations de l'Union en certaines matières, notamment pour le droit de la concurrence et la politique commerciale, sont de plus en plus susceptibles d'échapper à la volonté de la France.
    Quant au Parlement européen, il demeure en retrait par rapport au Conseil et ce malgré le pouvoir de codécision qui lui a été reconnu en certaines matières. Le Parlement de Strasbourg ne dispose toujours pas des pouvoirs traditionnels d'un parlement digne de ce nom. Les traités ne lui reconnaissent en effet ni l'initiative des « lois » européennes ni le dernier mot sur celles qui lui sont soumises. Au nom de la légitimité démocratique qui le caractérise parmi les institutions européennes, c'est à son égard que la répartition des pouvoirs devrait se concentrer.
    Un tel rééquilibrage doit se faire, je n'hésite pas à la dire, au détriment de la Commission. Composée exclusivement de personnes nommés au premier chef par les Etats membres, elle a le monopole des propositions législatives et détient un pouvoir de décision exorbitant en matière de droit de la concurrence. Un contrôle politique s'impose compte tenu des dérives dont elle peut fait l'objet tant pour ce qui est de ses choix envers les services publics qu'à l'égard de ses rapports avec les intérêts privés. Ce contrôle est d'autant plus souhaitable que de telles dérives ont déjà été avérées dans le passé. Dès lors, la Commission devrait être soumise à un contrôle renforcé tant du Parlement européen que des Parlements nationaux réunis au sein d'une structure interparlementaire.
    La Cour de justice, dans son oeuvre jurisprudentielle, contribue à amplifier les effets de libre concurrence et de libre-échange. Son action non contrôlée est si importante que l'on est tenté de qualifier le système européen de véritable « gouvernement des juges ». Afin d'éviter certaines de ses dérives, une hiérarchie des normes et des principes européens devrait être clairement posée. En reconnaissant la primauté de certains droits et principes sur d'autres, une telle hiérarchie conduirait le juge européen à faire prédominer la cohésion économique et sociale, l'emploi et le développement durable sur les principes de la libre concurrence et du libre-échange.
    Quant à la Banque centrale, elle a dépossédé les gouvernements et les élus de la politique monétaire et, via le pacte de stabilité, de la politique budgétaire. Son « indépendance » fait des Etats autant de territoires soumis à un régime de « démocratie restreinte ».
    En somme, dans le système institutionnel que nous venons de décrire, aussi surprenant que cela puisse paraître, le « déficit démocratique » est érigé en principe directeur. Imposer le principe démocratique dans un dispositif communautaire opaque suppose de s'appuyer sur les Parlements nationaux et de faire remonter la chaîne de la légitimité démocratique jusqu'aux centres de décision.
    Fondamentalement, il s'agit de faire émerger une Europe politique, une Europe des citoyens. La construction d'un espace public européen devrait en constituer l'un des piliers, à la faveur d'une appropriation nécessaire de la « chose » européenne par les élus et par les citoyens.
    Pour toutes les raisons qui viennent d'être évoquées, on ne peut pas se contenter d'une simple réécriture des traités actuels. Car au-delà des travaux de la Convention, tels qu'ils viennent de nous être présentés, il s'agit d'une occasion historique d'exprimer un acte politique fondamental : l'affirmation d'un projet de société dans lequel les Européens se reconnaissent, l'expression d'une ambition collective pour donner un sens à la construction européenne.
    Il ne s'agit pas de procéder à un bricolage : il s'agit de réfléchir à une refonte et à une réorientation de la construction européenne. Une telle ambition doit être portée par un fort élan populaire. En l'absence d'un débat de fond et d'un processus démocratique digne de ce nom, c'est la légitimité même du traité constitutionnel qui en pâtirait gravement. En un mot, un tel traité n'a de sens que s'il est fait par les citoyens et pour les citoyens. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. le président. La parole est à M. Jacques Barrot.
    M. Jacques Barrot. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le Président Giscard d'Estaing, mes chers collègues, au lendemain de la guerre, il fallait la foi insensée des pères fondateurs pour croire à la possibilité d'unir les énergies de peuples qui s'étaient déchirés et de réaliser ensemble des projets communs.
    Leur démarche était faite de pragmatisme : ils savaient qu'il valait mieux avancer pas à pas que de rêver au grand soir. De grands projets ont émaillé ce chemin : construction du marché commun, libre circulation des citoyens, réussite du programme Erasmus qui nous donnera, nous l'espérons, une véritable génération Erasmus, création de l'euro, notamment.
    L'Union européenne est en outre devenue le vrai moyen de peser sur les débats mondiaux. Face aux Etats-Unis et, bientôt, à des nations émergentes comme la Chine, si nous voulons défendre notre modèle de société, nous devons nous unir pour peser plus fort que chacune de nos nations si elle restait isolée. L'Union européenne est une nouvelle forme de contrat social entre les peuples, ce qui suppose d'inventer les formes de cette association commune, où chaque pays conserve son identité tout en s'unissant aux autres.
    Et si certains doutent de cette réussite, il n'y a qu'à voir le désir d'un certain nombre de pays de nous rejoindre pour nous en convaincre. L'élargissement signe en quelque sorte la réussite de ce projet européen.
    Mais le lyrisme ne doit pas tenir lieu de politique. Il faut voir lucidement les défis qui nous attendent. Cet élargissement, comme ceux d'hier et de demain, n'ira pas sans difficultés. Il réclame du discernement et doit être conduit sans précipitation. L'adhésion de nouveaux pays ne doit pas provoquer la dilution de l'Europe. A la différence des précédents élargissements, les circonstances ont changé : l'Europe a achevé l'ouverture de ses frontières commerciales, elle est dotée d'une monnaie unique, elle est plongée dans la mondialisation. Les peuples de l'Europe attendent de l'Union qu'elle affirme son identité et assume ses responsabilités sur la scène internationale. C'est pourquoi cet élargissement à l'Est doit être l'occasion d'un saut qualitatif, le passage vers une dimension politique accrue. Pour cela, il faut mettre l'Union européenne en ordre de marche.
    Le système institutionnel sur lequel nous fonctionnons souffre d'une extrême complexité et, si rien n'était fait, il aurait tendance à s'essouffler. Il est donc temps de procéder à cette grande remise en question des modes de fonctionnement de l'Union européenne, à la refondation d'un ensemble institutionnel qui s'est créé peu à peu de manière pragmatique.
    Je voudrais, au nom de l'UMP, évoquer quelques-uns des thèmes qui vont marquer ce débat.
    J'évoquerai d'abord la méthode utilisée par la Convention et par vous-même, monsieur le Président. J'imaginerai ensuite les synthèses dont a besoin l'Europe et tracerai les grandes lignes de la refondation institutionnelle. Je parlerai, enfin, des politiques de l'Union européenne. En effet, mes chers collègues, la refonte des institutions européennes ne prend sens que si elle permet d'atteindre de nouveaux objectifs.
    La méthode utilisée, d'abord.
    En vous écoutant, monsieur le Président, nous avons pu mesurer la sagesse qui a prévalu pour le choix de la méthode de la Convention, qui est une nouvelle méthode de travail pour l'Union européenne.
    Nous nous réjouissons que cette refondation ait été confiée à une convention à laquelle participent de nombreux parlementaires. Les conférences intergouvernementales avaient montré leurs limites avec leur lot, aussi décevant qu'épuisant, de tractations et de compromis entre Etats membres. La Convention constitue en revanche une méthode originale qui s'affranchit plus facilement des compromis diplomatiques. Il s'agit d'initier à partir du consensus de nouvelles formes d'organisations originales, ce qu'a, d'ailleurs, été toute la construction européenne. Vous l'avez dit tout à l'heure, monsieur le Président, cette Convention a généré un esprit véritablement nouveau.
    Qui plus est, cette Convention est animée par un excellent connaisseur et praticien de l'Europe. Je tiens à saluer avant tout, monsieur le Président de la Convention, votre engagement personnel en ce moment décisif pour la construction européenne. Nous mesurons l'opiniâtreté qui est la vôtre pour rechercher l'architecture originale d'une construction qui ne peut ressembler à aucune autre.
    Nous savons votre attachement à l'Etat-nation et à la France, où vous avez assumé des responsabilités suprêmes. Mais vous avez appris aussi, aux côtés d'autres grands hommes d'Etat, comme le général de Gaulle et le chancelier Adenauer, que l'union franco-allemande est le noyau de cette union.
    Les améliorations décisives que vous avez vous-même apportées à la construction européenne en témoignent puisque vous fûtes le concepteur du futur Conseil européen et l'instigateur du Système monétaire européen.
    Nous avons aussi apprécié la manière dont les parlements nationaux ont été associés à votre travail. Cette première réunion tenue dans notre assemblée en porte le témoignage. Il est heureux que notre délégation parlementaire ainsi que notre commission des affaires étrangères aient pu prendre une grande part à ce débat. Je veux saluer, à cette occasion, l'action de Pierre Lequiller, président de la délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne, qui s'est totalement investi dans ce débat. Il s'agit d'un débat global et approfondi, dont l'Union avait besoin et qui doit nous permettre de dégager de nouvelles synthèses.
    Je voudrais m'attarder sur ce que j'appellerai des « synthèses ».
    La première d'entre elles consiste à l'équilibre entre l'Etat-nation et l'Union. Certes, la construction pragmatique de l'Europe ne s'est jamais enfermée dans des querelles doctrinales ou idéologiques dont elle ne serait pas sortie. Néanmoins, les sceptiques s'interrogent sur le conflit récurrent entre l'Etat national et l'Union, entre la méthode communautaire et la méthode intergouvernementale. Il me semble que l'heure est venue de dépasser ces controverses.
    L'Europe doit plus que jamais s'appuyer sur deux piliers : les Etats et les peuples. Notre histoire européenne a forgé des identités nationales qui demeurent légitimes et qui doivent avoir leur place dans la nouvelle architecture européenne. Les Etats nationaux demeurent un cadre privilégié pour préserver cette identité historique et pour l'exercice de la citoyenneté.
    Nos Etats-nations contribuent, c'est vrai, à répondre aux besoins de diversité et de participation démocratique et ils donnent à l'Union européenne les racines dont elle a besoin et qui font son originalité. Renoncer à faire place à la légitimité des Etats serait prendre le risque de désespérer ceux qui restent très soucieux de patriotisme, valeur authentique s'il en est, dans la mesure où le patriotisme n'interdit en aucune manière l'ouverture vers les autres.
    Mais il ne s'agit pas non plus de décevoir ceux qui attendent des progrès à venir accessibles seulement par l'Union. L'Europe a besoin de toute l'énergie communautaire : l'Union permet d'atteindre la masse critique suffisante pour mener des politiques ambitieuses, pour forger des projets politiques significatifs au service de la paix, de la prospérité et de la sécurité.
    En outre, l'Union européenne est aujourd'hui devenue une absolue nécessité pour amortir le choc de la mondialisation sur nos sociétés, sur nos économies et sur notre identité. La dimension strictement étatique ne suffit plus pour peser dans le concert mondial et, d'ailleurs, le monde s'organise peu à peu en grandes régions pour mieux peser dans les échanges mondiaux et pour organiser des solidarités plus actives. Il serait bien dommage de ne pas conserver l'avance que nous donne notre passé communautaire commun.
    Les Européens doivent réaliser cette synthèse en conjuguant la volonté des peuples et des Etats.
    La seconde synthèse à trouver est celle des méthodes, Il faut articuler deux méthodes : la voie communautaire et la voie de la coopération. La méthode communautaire a fait l'originalité de l'Europe. Elle s'appuie sur le consensus et assure l'efficacité des politiques ; elle s'incarne dans la Commission européenne, une institution inédite qui a su faire avancer les projets européens. La méthode de la coopération intergouvernementale reproduit quant à elle un modèle plus classique mais qui reste une première étape nécessaire pour que, sur certains dossiers, les Etats-nations ne se sentent pas lésés.
    Quand elle fonctionne selon la règle de l'unanimité, cette méthode intergouvernementale peut être un frein. Mais ces carences peuvent être palliées par la procédure des majorités qualifiées. Il ne s'agit donc pas d'opposer systématiquement la méthode intergouvernementale et la méthode communautaire : il faut les conjuguer avec pragmatisme, au gré des dossiers.
    Cette bonne articulation entre les différentes méthodes utilisées doit être assurée par le subsidiarité. Le principe de subsidiarité est un principe d'organisation : il oblige à trouver l'échelon le plus efficace pour entreprendre des politiques publiques, selon qu'il faut les mener au plus près du terrain ou, au contraire, les conduire en commun.
    Faisant référence à ce que vous avez dit tout à l'heure, monsieur le Président de la Convention, l'établissement des compétences - à cet égard, une clarification est utile - est sans doute moins décisif encore que la pratique de ce que j'appellerai l'esprit de subsidiarité dans l'exercice des compétences.
    Le vrai problème de notre avenir sera dans notre capacité à faire pénétrer cet esprit de subsidiarité dans l'exercice des compétences qui sont le plus souvent des compétences partagées.
    A cet égard, il faut vous remercier, monsieur le Président, ainsi que la Convention d'avoir imaginé ce dispositif permanent d'alerte proprement politique qui permettra aux parlements nationaux de prévenir lorsqu'ils sentent que l'Union risque d'empiéter, sans raison véritable, sur la vie nationale. Pour autant, il faut maintenir en aval la possibilité pour la Cour européenne d'invalider des décisions qui n'auraient pas respecté la délimitation des compétences.
    Je vous prie, mes chers collègues, d'excuser ce développement un peu abstrait sur la possibilité d'établir ces synthèses. Mais c'est cette maturité de l'Union européenne qui permet aujourd'hui d'éliminer un certain nombre de conflits trop idéologiques, trop abstraits et, en recourant à plusieurs méthodes et en s'inspirant à la fois de la volonté des Etats et de la volonté des peuples, de faire cette synthèse originale qui nous permettra de parvenir à une architecture institutionnelle acceptable par la plupart de nos partenaires, une architecture institutionnelle que nous voulons à la fois plus transparente, plus démocratique et plus efficace.
    J'en viens au nouveau visage des institutions de l'Union. Dans cet esprit de synthèse et de consensus, il doit être possible de rendre les institutions européennes plus efficaces. Pour cela, est-il vraiment nécessaire de bousculer les trois pôles du triangle institutionnel, d'affaiblir l'un pour renforcer l'autre ? Il s'agit seulement de dynamiser ce que l'on peut appeler les trois « moteurs » de l'Union.
    J'évoquerai d'abord le Conseil. La France et son Président, Jacques Chirac, ont exprimé d'emblée le souhait d'une présidence du Conseil européen à la fois plus visible et plus durable. Puissions-nous rallier l'ensemble de nos partenaires ! Comment, en effet, les Européens peuvent-ils se sentir citoyens d'un ensemble dont ils ne connaissent guère les dirigeants ? La politique suppose que les citoyens reconnaissent des visages dans lesquels s'incarne la légitimité d'un pouvoir démocratique. De la même manière, comment les autres puissances du monde peuvent-elles reconnaître l'Europe si elle n'a pas une signature ? Pour cela, la procédure de la présidence tournante, qui a pu être un moyen d'intégration, devient aujourd'hui un handicap. L'Europe a besoin d'une présidence plus stable pour assurer la continuité des politiques, pour en assurer la garantie de bonne fin.
    Certes, on peut rêver aux étapes ultérieures qui verront sans doute le Président de l'Union élu par l'ensemble des citoyens, ou tout au moins par les parlements. Il apparaît plus raisonnable aujourd'hui de donner aux membres du Conseil européen la possibilité de choisir leur président et de solliciter l'approbation du Parlement européen. A cela s'ajouterait la désignation d'un véritable ministre des relations extérieures. Vous avez fort bien dit tout cela, monsieur le Président, je n'ai pas besoin d'y insister. Cette réorganisation de la présidence aura néanmoins des incidences sur le fonctionnement des différents conseils. A cet égard, nous serons très intéressés par les propositions que la Convention pourra faire en s'affranchissant d'une volonté d'uniformité à tout prix. Il n'est pas sûr que tous les conseils des ministres doivent se tenir selon des formes absolument identiques.
    M. Pierre Lequiller, président de la délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne. Tout à fait !
    M. Jacques Barrot. Là encore, pragmatisme, souplesse et efficacité s'imposent.
    J'en viens à la Commission. Nous devons rassurer ceux qui risquent de s'opposer à cette affirmation du Conseil européen et de sa présidence, au nom de la défense de la Commission. L'une n'est pas antinomique de l'autre et l'on peut fort bien consolider cette institution originale qu'est la Commission. Tout à l'heure, j'ai écouté, et bien sûr approuvé, certains propos très européens de notre ami François Bayrou, mais je n'ai pas compris qu'il puisse comparer la coexistence d'une présidence de l'Union européenne et d'une présidence de la Commission à une sorte de cohabitation. La Commission est une institution véritablement originale. Les fondateurs de l'Union l'ont imaginée suffisamment compétente et indépendante pour dégager et garantir l'intérêt commun des Européens, qui ne peut pas se réduire à la somme des intérêts des Etats membres.
    M. Pierre Méhaignerie. Tout à fait !
    M. Jacques Barrot. C'est à ce titre que la Commission peut proposer des positions communes au Conseil européen, qui reste bien entendu le décideur. Ce rôle de la Commission garante des intérêts communs des Européens demeurera très nécessaire dans une Union beaucoup plus large où bien des nouveaux arrivants n'ont aucune expérience communautaire, n'ont pas ce sens que nous avons acquis au fil des années d'un véritable intérêt européen commun.
    M. Pierre Méhaignerie. Très juste !
    M. Jacques Barrot. Si la Commission a naturellement une dimension politique, de par sa composition, de par le choix de son président, pour bien remplir son rôle, elle ne doit pas pour autant devenir un organe partisan. Et même si elle comporte un plus grand nombre de membres, elle doit pouvoir conserver à la fois son caractère collégial et son efficacité grâce à une organisation spécifique appropriée. C'est difficile, mais vous n'avez pas caché, monsieur le président, qu'il y avait encore la moitié du verre à remplir. C'est à ce prix que la Commission pourra contribuer à proposer de nouvelles ambitions et de futures innovations. A ceux qui redoutent l'excès de son pouvoir, il faut rappeler qu'elle ne dispose que d'un droit de proposition. A ceux qui redoutent son affaiblissement, il faut affirmer qu'elle a joué un rôle décisif dans les avancées européennes. Et, pour cela, elle mérite d'être consacrée comme l'un des moteurs de l'Europe.
    Quant au Parlement européen, il doit naturellement jouer un rôle accru. Il le pourra par l'extension de la méthode de co-décision. Mais pour en étendre l'usage, il faudra alléger la procédure de codécision, devenue aujourd'hui trop lourde. L'Union a sans doute trop tardé à adopter des directives qui exigeaient une action rapide, comme pour la régulation du trafic des super-tankers, en partie à cause de la lourdeur de la procédure de co-décision.
    L'institution d'un congrès, d'un forum, avez-vous dit, monsieur le président, qui réunirait parlementaires européens et délégations des parlements nationaux est une idée novatrice. Il ne s'agit pas de créer une nouvelle institution dotée de pouvoirs propres. Comme vous l'avez souligné devant la commission des affaires étrangères, c'est un lieu où pourront se rencontrer tous les acteurs de la construction européenne, où ils pourront entendre chaque année peut-être le discours de l'Union, prendre la mesure de la manière dont l'esprit de subsidiarité est respecté. Des esprits chagrins reprocheront sans doute à ce congrès d'être un hybride. La sagesse de la Convention n'est-elle pas cependant de proposer des formules transitoires qui permettront à l'Europe d'avancer sans tomber dans le piège de constructions trop abstraites ?
    Il ne faut en effet pas oublier le but final. Il ne s'agit pas de construire un meccano institutionnel par pur jeu intellectuel. Cette refondation institutionnelle ne prendra tout son sens que si elle permet la relance de projets politiques ambitieux capables de susciter l'adhésion des citoyens européens. Au fond, chaque fois que la conscience européenne a progressé, cela s'est fait autour d'un projet commun. N'oublions jamais que ses fondateurs - Jean Monnet, Robert Schuman - sont partis tout simplement de projets d'avenir, pour plus de prospérité, à l'intention de tous les Européens. Les champs d'action ne manquent pas, et c'est bien en pensant à l'avancée de ces projets que la Convention devra choisir entre les procédures, qui ne sont pas exlusives les unes des autres. Nous savons, à cet égard, que deux méthodes sont susceptibles d'être retenues : d'une part, l'extension du recours à la majorité qualifiée, qui peut permettre à l'ensemble des Etats de l'Union, même élargie, de progresser sans se heurter au veto de l'un de ses membres ; d'autre part, la coopération renforcée, qui permet à certains Etats de s'engager en un cercle plus restreint sur une politique qu'ils veulent faire progresser. La Convention devra faciliter le recours à l'une ou l'autre méthode.
    Néanmois, la mise en oeuvre des coopérations renforcées demeure encore trop complexe. Nice a prétendu simplifier la procédure, mais en réalité, aucune coopération renforcée n'a été réalisée depuis.
    Dans l'esprit même des fondateurs de l'Europe, nous souhaitons que l'Union européenne puisse se doter progressivement d'une véritable défense commune, pour assurer la crédibilité de notre politique extérieure. Des progrès ont eu lieu depuis Saint-Malo, avec l'absorption de l'Union de l'Europe occidentale par l'Union européenne. Mais, et c'est l'esprit de la contribution franco-allemande, il est temps de viser trois objectifs : la création d'une Union européenne de sécurité et de défense, la possibilité d'avancer avec un nombre limité de pays membres, même si tout le monde n'est pas d'accord, et l'approfondissement de la défense en matière d'armement. Cela dit, il va falloir accélérer le rythme et passer à l'acte. Le traité de Nice avait exclu du champ de la défense les coopérations renforcées. Il est temps aujourd'hui d'ouvrir le jeu. La création d'une Agence européenne de l'armememt et des développements technologiques, que vous avez évoquée, monsieur le Président, de manière très claire pourrait être l'un des points d'aboutissement extrêmement fructueux de la Convention.
    J'en viens à la gouvernance économique. L'euro est une illustration parfaite de ce que peut être une coopération renforcée. Encore faut-il aller plus loin. Face à la Banque centrale européenne, il faut permettre aux gouvernements de la zone euro d'aboutir à des convergences plus fortes et plus bénéfiques à l'économie européenne. Il est dommage que la Banque centrale européenne considère aujourd'hui des taux d'intérêts élevés comme une prime de risque nécessaire en raison de l'insuffisante convergence de nos économies. Nos entreprises en pâtissent et nous devons prouver que la tendance peut être inversée.
    Mais, par delà le cercle des Etats liés par la monnaie unique, il faut aussi avancer dans l'harmonisation entre tous les membres de l'Union. Bien sûr, une partie des prérogatives fiscales va rester du domaine des Etats nationaux, mais on peut légitimement se demander si la convergence des fiscalités qui risque d'altérer les règles de libre concurrence ne pourrait pas relever de la majorité qualifiée. Peut-on aujourd'hui parler de marché intérieur achevé et de libre concurrence si les taux d'impôt sur les sociétés connaissent des variations excessives dans un espace européen où il ne peut y avoir d'harmonisaton parce que l'on en reste à la seule règle de l'unanimité ?
    M. Pierre Méhaignerie. Tout à fait !
    M. Jacques Barrot. S'agissant de la sécurité intérieure, la contribution commune franco-allemande, bien qu'un peu complexe - « technocratique » ont dit certains -, a le mérite d'apporter des suggestions. Nos compatriotes n'acceptent plus que l'action des policiers et des juges s'arrête aux frontières alors que les criminels les franchissent facilement. Ils n'acceptent plus la gestion en ordre dispersé de phénomènes d'ampleur européenne comme l'immigration. Je voudrais dire ici combien notre groupe UMP souhaite être étroitement associé à toutes les nouvelles avancées qui sont suggérées dans la résolution franco-allemande, qu'il s'agisse de l'autorisation de créer un parquet européen ou de la possibilité d'attribuer à Europol le droit de mener directement des enquêtes. Certes, l'harmonisation du droit pénal matériel ne doit pas se faire au détriment des domaines relevant habituellement des souverainetés nationales, mais on peut imaginer un socle commun de règles.
    Un mot sur la politique européenne de la recherche, plus nécessaire que jamais. Entre 1994 et 2000, le différentiel entre les efforts américains et européens a quasiment doublé. Si nous ne voulons pas nous voir distancés par les Etats-Unis, il faudra bien que les Européens se décident à aller vers la création d'un espace européen de la recherche. Ainsi, cette refondation institutionnelle trouvera tout son sens lorsqu'émergeront des volontés politiques fortes, capables de susciter une plus large adhésion des Européens. Mais il y a plus encore. Il faut que les citoyens européens comprennent qu'il s'agit de construire un vrai modèle européen de société, de nature à humaniser une mondialisation qui, laissée à son libre cours, ferait disparaître la diversité et entraînerait une domination absolue des marchés au détriment des dimensions humaines de la société.
    L'introduction de la Charte des droits fondamentaux dans la Constitution européenne répond à cette ambition. Je ne reviendrai pas sur toutes les dimensions sociales qui pourraient la compléter concernant nos systèmes de protection sociale, la reconnaissance de la voie du dialogue social. Je voudrais simplement, monsieur le président, insister sur quelque chose qui pourrait caractériser notre identité européenne : le refus des fractures sociales et, surtout, de la fracture du savoir. Si l'on veut que ce désir d'Europe s'ancre dans les jeunes générations, il faut leur apprendre que l'Europe c'est un idéal de vie, le respect de l'autre, l'enrichissement par le dialogue. Cette identité européenne, qui naît de l'acceptation de la culture des différences, s'ancre dans la confiance profonde en l'homme.
    Au terme de cette intervention, je voudrais vous remercier, monsieur le Président, remercier aussi le Gouvernement de la France d'avoir fait en sorte que la refondation institutionnelle soit l'occasion d'un débat approfondi, ouvert, riche de beaucoup d'apports, bref un débat à la mesure des enjeux fondamentaux qui sont en cause. L'heure est venue d'imaginer un système institutionnel original, à la fois plus transparent et plus efficace, afin d'accélérer les grands chantiers de notre avenir, afin de prouver à nos concitoyens que l'Union est le terreau où se cultivent les fruits de l'avenir. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. Philippe de Villiers.
    M. Philippe de Villiers. Monsieur le président Giscard d'Estaing, par delà les colifichets médiatiques et les habiletés sémantiques d'un homme de grand talent qui préside les travaux d'un aréopage dont, pour ma part, je conteste la légitimité démocratique, il faut chercher le sens du projet que vous nous avez présenté avec brio. Vous savez mieux que personne dans cet hémicycle que les mots parlent d'eux-mêmes, et vous les faites parler vous-même.
    M. Jean-Pierre Brard. C'est une tautologie !
    M. Philippe de Villiers. « Constitution » égale « Etat ». Qu'est-ce-qu'une constitution ? Tous les juristes sont d'accord sur ce point : c'est la règle suprême que se donne un peuple souverain pour conférer un statut à son Etat. Qu'on le regrette, comme c'est mon cas, ou que l'on s'en réjouisse, comme c'est le cas de François Bayrou, du moins constatons-le. N'ayons pas peur des mots !
    Vous proposez vous-même, monsieur le président, un traité qui institue une constitution de l'Europe. Il s'agit donc bien de cela. Qui dit « constitution » dit « Etat. Qui dit « constitution européenne » dit « super-Etat européen ». Ce qui veut dire - je pense en cet instant à tous les héritiers des fondateurs de la Constitution de la Ve République - que la constitution de la France serait subordonnée à une règle supérieure qui en ferait une sorte de règlement intérieur d'une super-région, ce que la Commission de Bruxelles veut depuis longtemps d'ailleurs. Cette constitution aura trois effets, vous l'avez dit tout à l'heure.
    Le premier effet, c'est le renforcement d'un pouvoir supranational qui existe déjà, qui est une sorte de parlement et de gouvernement, à savoir la Commission. Vous avez en effet répété tout à l'heure qu'il n'était pas question de toucher à son monopole d'initiative législative.
    M. Jacques Floch. De proposition !
    M. Philippe de Villiers. J'ai bien dit que c'était un monopole d'initiative législative, c'est-à-dire que c'est la Commission, et elle seule, qui décide. On l'a bien vu pour la TVA sur la restauration. Il faut aller demander à nos nouveaux maîtres l'autorisation...
    M. Jacques Barrot. Un conseil !
    M. Philippe de Villiers. ... pour tenir une promesse électorale du Président de la République. Cela veut dire que le pouvoir n'est plus chez nous. On peut être pour ou contre, mais c'est un constat.
    Deuxième effet, c'est évidemment la multiplication des décisions à la majorité qualifiée. Troisième effet, sans doute le plus important, c'est la personnalité juridique. A l'avenir, monsieur le Président, mes chers collègues, l'Union européenne pourra signer des traités en son nom propre et non plus au nom des Etats. Cela signifie à terme - et je pense que M. le ministre des affaires étrangères y sera sensible -, la remise en cause du statut de membre permanent du Conseil de sécurité de la France.
    Mais cette constitution, cette novation importante, répond-elle aux aspirations de notre temps ?
    Apportera-t-elle plus de démocratie, plus de souplesse ? Aujourd'hui, les Français - et l'on perçoit d'ailleurs ce grand malaise au sein de tous les peuples européens - veulent de la démocratie de proximité. Ils rejettent tout ce qui est lointain. Or, à chaque fois qu'on a transféré des compétences au niveau européen, on a éloigné le pouvoir. Songez que cet été, sans que cela ait suscité aucune réaction dans notre pays, la France a été condamnée pour avoir utilisé la langue française sur les étiquettes de denrées alimentaires ! Donc, à chaque fois qu'on parle de subsidiarité - et vous l'avez très bien fait au moment du débat sur Maastricht, monsieur le Président -, on met le mot pour ne pas mettre la chose.
    Aujoud'hui, il faut introduire de la démocratie et de la souplesse. L'hétérogénéité provoquée par l'élargissement de l'ensemble des pays membres appelle de la flexibilité, une géométrie variable. Malheureusement, votre projet de Constitution ne prévoit qu'une extension indéfinie des pouvoirs de la Commission. Cela signifiera plus de procédure communautaire et davantage de pouvoir supranational, je dirai même de verrouillage supranational.
    Pour terminer cette courte intervention, je dirai simplement que nous nous engageons là dans un processus de fuite en avant. Elargissement, Constitution : ces deux éléments clés risquent d'être chargés de contresens historiques. Ils auraient dû être l'occasion d'une remise à plat, pour passer d'une Europe disciplinaire, d'une Europe antidémocratique à une Europe des diversités et du respect des démocraties et de l'identité des peuples. Malheureusement, nous sommes en train de faire un contresens sur l'architecture et sur le périmètre de l'Europe.
    Je conclurai sur un point de consensus, comme on dit dans votre Convention, monsieur le Président. Vous avez raison sur la Turquie. François Bayrou a dit tout à l'heure fort justement : le périmètre, les institutions c'est la même chose, c'est le coeur du coeur. Or si demain l'Europe devient l'Eurasie, ce sera un non-sens géopolitique. Au regard de votre Constitution et des traités de Nice et d'Amsterdam, et du fait que la Turquie est le pays le plus peuplé d'Europe,...
    M. Jean-Pierre Brard. Après l'Allemagne !
    M. Philippe de Villiers. ... on risque un jour d'avoir un président turc, ce dont nous ne voulons pas.
    Aujourd'hui, mes chers collègues, tous les arguments fédéralistes s'effondrent. L'Europe puissance ? C'est une puissance additionnelle des Etats-Unis. Les Etats-Unis d'Europe ? C'est les Etats-Unis en Europe. L'Europe bouclier ? Le bouclier est troué : l'Europe n'est plus qu'un prétexte à la mondialisation qui nous submerge que ce soit par le biais des délocalisations ou de l'immigration.
    Monsieur le Président, nous avons une occasion unique de remettre tout à plat et de repartir sur une bonne base, celle de la réalité des peuples, des démocraties, des nations. Cela implique plus de coopération, de souplesse, de la flexibilité, une géométrie variable. Saisissez cette occasion ! N'humilions pas les peuples et les nations. Cessons de les piétiner. Sinon, ils se détourneront de cette belle idée qu'est l'idée de l'Europe. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Jean-Pierre Brard. Les Janissaires seront bientôt à Paris !
    M. le président. La parole est à M. Jacques Floch.
    M. Jacques Floch. Monsieur le président, monsieur le Président de la Convention, monsieur le ministre des affaires étrangères, madame la ministre déléguée aux affaires européennes, mes chers collègues, les femmes et les hommes de ma génération, enfants d'avant-guerre ou issus de la guerre, ont vécu la construction européenne d'abord comme un instrument de paix. Cinquante ans de paix sur la majeure partie de notre continent, beaucoup de nos grands ancêtres du xixe siècle n'en espéraient pas tant.
    Pour autant, il ne faut évidemment pas oublier qu'une partie de l'Europe subissait alors le joug féroce des dictatures, à l'Est celle des staliniens, en Grèce celle des colonels, en Espagne celle de Franco, sans oublier Salazar au Portugal. La paix dans ces pays se payait au prix fort.
    Mais la liberté, la démocratie, le développement économique de l'Europe occidentale, associés aux velléités d'union, assuraient une image d'une telle force que les murs réels ou virtuels finirent par tomber. Oui, la paix fut et reste le principal argument pour vanter les mérites de l'Union européenne.
    Cela étant, ces cinquante années de l'histoire de cette communauté de droit, fondée sur l'acceptation de règles communes organisant un grand marché ne nous ont pas encore conduits à l'Europe politique dont rêvaient Victor Hugo, Aristide Briand ou les Pères fondateurs de notre Europe en 1950.
    L'Union d'aujourd'hui est en manque de projet, en manque de démocratie, en manque de solidarité, tout ce qui permet de construire une conscience collective.
    Alors, on parle de crise car derrière ces manques apparaît une évidence : on ne peut en rester là. Il faut faire de nouveaux choix pour organiser la société européenne, il nous faut des institutions dont la représentativité démocratique ne fait pas de doute, il nous faut retrouver le chemin de la solidarité, du partage équitable sans effacer le génie culturel, philosophique, éthique des peuples de l'Europe regroupés dans leurs nations.
    Ce vaste, cet impétueux débat, nous avons l'immense chance, l'immense honneur aussi d'y participer, de le conduire. Peu de responsables politiques à travers l'histoire ont eu à croiser sur leurs chemins un tel ouvrage.
    Parmi les grands chantiers, il en est un qui m'intéresse particulièrement : celui de l'élargissement de l'Union européenne, ou plutôt comme cela a été dit par vous, monsieur le président de la délégation européenne : la réunification de l'Europe. D'abord parce que la réunification de l'Europe ne pourra se faire que s'il y a approfondissement de l'Europe politique, l'un ne peut aller sans l'autre.
    Mais la crainte de la dilution dans un trop vaste ensemble s'associe naturellement à la crainte de ne plus avoir droit à la parole : l'absence de débat réel, de discussions, d'éclaircissements, due aux insuffisances du travail éducatif et politique, conduit à ce paradoxe.
    Un autre paradoxe concerne les nouveaux Etats, ceux de l'Est. Si certains ont eu une existence réelle, d'autres, au cours du dernier millénaire, n'ont eu qu'une réalité éphémère. Et pourtant, sitôt souverains ils sont candidats pour entrer dans l'Union européenne. Leurs motivations sont diverses mais tous aspirent à la liberté, à la démocratie, à la paix. Leurs peuples regardent aussi, il ne faut pas se leurrer, vers le haut niveau de consommation de l'Union européenne, ainsi que vers les progrès en matière de protection sociale, cette dernière ne pouvant être simplement annexe à nos débats.
    Les Etats-Unis d'Amérique étaient trop loin pour leur offrir quelque chose dans les mêmes conditions. La Russie portait en elle-même certains douloureux souvenirs. Aussi certains d'entre eux ont-ils pensé à créer une nouvelle institution. Mais ils s'en sont sentis rapidement incapables. C'est bien à l'Union européenne naturellement qu'il revient de rassembler ces nations.
    Tous ces pays appartiennent en effet à la civilisation européenne, celle qui reçut en héritage depuis trois millénaires les meilleures et aussi les pires idées que l'humanité a été capable d'inventer.
    On frappe à notre porte, ne faut-il pas non seulement ouvrir mais accuiellir et surtout bâtir ensemble ? L'Union européenne a préparé cette réunification, des critères ont été élaborés, dont celui d'être européen sans dire la limite de l'Europe. Ainsi, on a dit non au Maroc en 1987 à cause de cela, mais on n'a pour autant dit non à la Turquie en 1963, sans que jamais on précise les contours de l'Europe.
    La liste des autres critères est simple : la démocratie, les institutions stables, l'Etat de droit, le respect des droit de l'homme, la protection des minorités, une économie de marché stable et concurrentielle, l'adhésion à la charte des droits fondamentaux, la liberté de circultation. Treize pays sont candidats : dix pour demain, deux pour après-demain, un peut-être dans un futur proche ou lointain.
    Les dix pays qui doivent entrer dans l'Union demain représentent 75 millions d'habitants dont le PIB est équivalent à celui de l'Espagne d'aujourd'hui - leur entrée c'est une Espagne de plus, mais avec 35 millions d'habitants supplémentaires - c'est aussi des Européens dont le PIB par habitant atteint à peine 45 % de la moyenne actuelle de l'Union européenne. Mais rappelons-nous, dans les années quatre-vingt, l'Espagne, le Portugal, l'Irlande ne brillaient guère davantage.
    On pourrait, et certains l'ont fait, poursuivre cette analyse économique qui donnerait autant d'arguments pour ou contre l'élargissement. Je préfère que l'on dise ce qu'est l'Europe aujourd'hui. Ni un état, ni une nation, ni un pays : seulement des peuples qui veulent partager ensemble la démocratie, la liberté et le progrès social.
    Des peuples qui veulent échanger leurs cultures, leurs patrimoines, leurs langues, leurs modes de vie, qui veulent la paix, qui veulent vivre en paix et en sécurité. Des peuples qui veulent coopérer avec ceux du monde entier pour peser d'un juste poids sur les destinées de l'humanité.
    Pour ce vaste, cet immense programme, il fallait passer par un grand marché, une seule monnaie, un espace de libre circulation. Les peuples demandent plus. Ils auront plus et, pour cela, point n'est besoin d'abolir nos patries, elles ont leur histoire, et, pour nous Français, de renier la France : la construction de l'Europe ne peut et ne doit l'exiger, la construction de l'Europe en a besoin.
    Oui, je partage l'idée qu'il faut être à la fois dogmatique et pragmatique. Le dogmatisme, cela pourrait être que les mots de peuples, de nations, de patrie, n'existent plus au nom d'un pseudo-internationalisme qui est contraire à l'universalisme. « Prolétaires du monde, unissez-vous » est une phrase plus belle que « Les prolétaires n'ont pas de patrie. »
    Aujourd'hui, les peuples d'Europe sont liés par leurs capacités à travailler ensemble, sans rien renier de leurs histoires, parfois de leurs terribles histoires, ils savent que de tous les grands moments dramatiques sont nés les grands mouvements. Le XXe siècle a été capable de nous donner ces leçons.
    Les massacres inutiles de la guerre de 1914-1918 ont conduit certains à croire qu'il pouvaient en finir avec les guerres tribales européennes. Stresemann, Aristide Briand ont tenté de poser les premières pierres. La terrible absurdité les a combattus. Oui, mais Hitler, dans les années quarante, Staline, à la fin du siècle, ont vu l'effondrement de leurs empires.
    Alors, certains voudraient nous faire croire que la construction européenne pacifique, courageuse, tenant compte des cultures, des langues, des savoir-faire qui ont tous et toutes leurs vertus seraient contraires à l'intérêt de la France, cette grande assemblée de peuples que l'on appelle la nation française - nation qui s'est choisie une patrie qu'on appelle la France. Ceux-là ont tort et il faut les dénoncer car ce qu'ils souhaitent, c'est garder leurs petits prés carrés où, petits chefs, ils ont de petits chez eux.
    Tous les arguments sont bons : notre économie qui sombrera ; nos cultures qui s'éteindront ; nos langues qui seront muettes ; nos enfants qui se mélangeront - avec qui, je vous le demande - ; nos idées philosophiques et religieuses qui seront bafouées, piétinées par tous les infidèles du monde.
    Nous sommes à la fin de ce qu'on appelle les temps modernes. Nous entrons dans le troisième millénaire avec des problèmes gigantesques de survie. Partout, des ruptures, des replis, des humains qui oublient l'humanité, et l'on voudrait rater, écarter, éloigner, refuser ce grand défi : réunir 500 millions d'hommes, de femmes, d'enfants, pacifiquement, sans contrainte ? Voici une démarche jamais usitée dans l'histoire de l'humanité où toujours la réunion de peuples s'est faite dans la violence.
    La cause est trop importante pour en rester là. Je préfère accompagner Edgar Morin lorsqu'il disait en 1993, en parlant du devenir du monde : « C'est l'espérance courageuse de la lutte initiale : elle nécessite de restaurer une conception, une vision du monde, un savoir articulé, une éthique. Elle doit animer, non seulement un projet, mais une résistance contre les forces gigantesques de barbarie qui se déchaînent. Ceux qui relèveront le défi viendront de divers horizons, peu importe sous quelle étiquette, ils se rassembleront. Mais ils seront les porteurs des grandes aspirations historiques. Ce seront les redresseurs d'espérances... » La réunification de l'Europe est aujourd'hui particulièrement digne de ce beau combat.
    Demain, je l'espère, d'autres débats continueront à faire avancer l'Europe vers plus d'unité, de fraternité, de solidarité. Ne manquons pas l'étape d'aujourd'hui, soyons les redresseurs d'espérance. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à M. le Président de la Convention sur l'avenir de l'Europe.
    M. Valéry Giscard d'Estaing, Président de la Convention sur l'avenir de l'Europe. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, je vous prie de m'excuser d'intervenir à ce stade du débat. Je sais qu'un orateur est encore inscrit...
    M. Jean-Claude Lefort. Deux orateurs !
    M. Valéry Giscard d'Estaing, Président de la Convention sur l'avenir de l'Europe. ... même deux,...
    M. Jean-Pierre Brard. Les meilleurs !
    M. Valéry Giscard d'Estaing, Président de la Convention sur l'avenir de l'Europe. ... mais je dois rentrer à Bruxelles et je suis tributaire des services publics de transport, en l'occurrence du chemin de fer. Ce n'est pas moi qui fixe les horaires des trains.
    M. Jean-Pierre Brard. On aurait pu vous conduire à Bruxelles, monsieur le Président !
    M. Valéry Giscard d'Estaing, Président de la Convention sur l'avenir de l'Europe. Je répondrai donc aux orateurs qui se sont exprimés et je prendrai bien sûr connaissance avec beaucoup de soin du compte rendu des deux dernières interventions.
    Monsieur le président Balladur, vous vous êtes concentré sur le problème en effet très important de la cohésion. Quelle cohésion espérer ? Vous avez souligné que sur l'euro ou sur les questions de défense, par exemple, des positions différentes s'exprimaient d'ores et déjà. Et vous avez le sentiment qu'à l'avenir, compte tenu des élargissements et des nouvelles formes de coopération, cette diversité de situations risque de se maintenir, voire de s'accroître. Vous vous interrogez donc sur le système à mettre en place au regard de ces différences et sur la cohésion qu'on peut espérer. Pourquoi ne pas prendre en considération ceux des Etats qui pratiqueront l'ensemble des politiques et des coopérations de l'Union et voir la forme sous laquelle ils pourraient éventuellement se réunir ou se concerter, demandez-vous ?
    Nous aborderons ce problème sans doute vers la fin de nos travaux. Il me semble - et toutes mes réponses sont des réponses d'information, et non pas d'affirmation - que nous avons intérêt à proposer des solutions à l'ensemble des Etats. Il faut en quelque sorte renverser la charge non pas de la preuve mais de la décision, c'est-à-dire laisser à certains la possibilité de ne pas participer ou de ne pas s'engager dans des propositions qui s'adresseraient à tous au lieu de partir d'une attitude de discrimination initiale. Les membres de la Convention ici présents, M. Floch ou M. Lequiller, ont certainement mesuré combien il serait difficile d'agir autrement. Une telle démarche serait en fait rejetée ou condamnée par tous ou par la plupart des membres de la Convention.
    Monsieur le président Balladur, j'ai bien noté votre préoccupation. Nous verrons, vers la fin de nos travaux ou par la suite, comment pourraient être envisagées des actions communes pour les pays participant à l'ensemble des politiques et des coopérations.
    Monsieur Lequiller, je ne vous répondrai pas longuement puisque nous nous rencontrons souvent. Nous nous verrons d'ailleurs jeudi et vendredi prochains à la Convention. Je reviendrai simplement sur quelques points importants.
    D'abord, et je m'adresse plus particulièrement à vous, monsieur le ministre des affaires étrangères, qui en serez probablement un des acteurs, je crois qu'il faut une CIG courte, car sa faiblesse de la CIG, c'est la règle de l'unanimité. Or celle-ci sera invoquée très vite sur quelques sujets sensibles. Je pense par exemple aux propositions que nous allons faire en matière fiscale et qui risquent ainsi d'être rejetées. Il en ira de même de nos suggestions visant à améliorer l'organisation de la Commission et sur lesquelles je reviendrai, monsieur le président Barrot. Dans ce cas également, le recours à l'unanimité entraînera le rejet immédiat de ces propositions. La méthode de la CIG risque donc d'être difficile et décevante, et cela d'autant plus que le nombre de pays membres passera sans doute, pour la première fois, de quinze à vingt-cinq, voire vingt-sept.
    Il faudrait donc que nos travaux soient pratiquement acceptés en l'état par la CIG, tout en laissant ouvertres deux ou trois questions fondamentales sur lesquelles il est tout à fait légitime que les hauts responsables européens puissent se prononcer. Tel est le schéma : nous voulons travailler pour que la CIG soit de courte durée.
    A propos des compétences, que vous évoquiez tout à l'heure, monsieur Lequiller, je rappelle qu'une série de compétences, qu'on a choisi de ne pas énumérer à la demande de certains Etats, relèvent encore des Etats membres. Il s'agit de questions essentielles, comme l'éducation, la culture - bien qu'il puisse y avoir des actions, j'y reviendrai -, les institutions sociales, les systèmes de santé, ou le droit des personnes et des familles. Ce qui n'exclut pas, naturellement, des actions de coopération dans ces domaines, notamment en matière d'éducation ou de culture, où leur nécessité est évidente. Certaines compétences resteront, d'une manière lisible et populaire, - disiez-vous -, de la compétence des Etats et rassureront donc, dans une certaine mesure, ceux qui s'inquiéteraient des avancées de la politique européenne.
    En réponse à votre idée intéressante d'un pacte de convergence pour la PESC, monsieur Bayrou, je voudrais dire aussi à l'intention du ministre des affaires étrangères qu'en matière de politique étrangère on ne fera pas le saut d'un seul coup.
    M. François Bayrou. Bien sûr !
    M. Valéry Giscard d'Estaing, Président de la Convention sur l'avenir de l'Europe. Il n'y aura pas, par exemple, à partir du 1er janvier 2004, une politique extérieure commune.
    M. François Bayrou. Bien sûr, et heureusement !
    M. Valéry Giscard d'Estaing, Président de la Convention sur l'avenir de l'Europe. Il s'agit donc, plutôt, de mettre en place une convergence, et nous devons chercher les décisions, les formules institutionnelles les plus propres à engager cette démarche. Il peut y avoir des formules telles que des pactes de convergence. Nous notons l'idée.
    Madame Guigou, vous avez posé plusieurs questions. Vous avez notamment évoqué la possibilité de faciliter les coopérations renforcées, et l'idée a été reprise par plusieurs orateurs. Le texte est encore un peu compliqué, du fait de ceux qui ne participent pas à ces coopérations et qui redoutent qu'elles ne s'exécutent hors du cadre institutionnel de l'Union. Cette crainte étant apaisée, la démarche et la procédure peuvent probablement être facilitées. Quant à la gouvernance sociale, à laquelle vous avez accordé une grande attention, ce que vous proposez ou imaginez sera, à mon avis, assez largement réalisé par la Convention. En matière de lutte contre la criminalité internationale, et aussi financière - j'ai noté ce point -, les propositions actuelles de notre groupe de travail - qui seront, d'ailleurs, discutées après-demain - vont dans la direction de ce que l'on peut et doit faire. Un consensus très large, voire l'unanimité, devrait se faire jour dans ce domaine.
    En matière plus spécifiquement sociale, les indications que vous souhaitez voir figurer dans le préambule ou, plutôt, dans le texte même de la Constitution, existent en réalité déjà dans les traités, et il s'agit donc de les regrouper et de leur donner plus de relief. Sans doute faut-il être plus précis sur le rôle des partenaires sociaux et sur le dialogue social, qui sont effectivement des éléments représentatifs de ce que l'on appelle le modèle social européen.
    Quant aux prescriptions minimales, c'est-à-dire le fait d'envisager des fourchettes ou des planchers pour un certain nombre de réalités sociales, par exemple un salaire minimal, l'article 137, qui est l'ancien article 118, dans son paragraphe 2, indique que c'est possible, que le Conseil peut le faire. Nous maintiendrons cette possibilité. Il faudra voir si les institutions de l'Union ont la volonté d'en faire usage.
    Mme Elisabeth Guigou. Et le paragraphe 7 ?
    M. Valéry Giscard d'Estaing, Président de la Convention sur l'avenir de l'Europe. Oui, mais la numérotation a changé ! Au paragraphe initial se sont ajoutés deux textes et j'intègre dans notre version les dernières modifications du Traité de Nice !
    Monsieur Bayrou, je vous remercie de votre témoignage, d'autant plus que vous l'avez exprimé d'une manière qui montrait votre implication personnelle. C'est ainsi que je l'ai perçu, je vous en remercie.
    Vous avez distingué trois étapes dans la construction européenne. Les deux premières étant déjà entrées dans l'Histoire, vous vous êtes surtout attaché à la dernière : que voulons-nous que l'Europe devienne ?
    Vous avez parlé d'une Europe « acteur sur la scène internationale ». On peut utiliser le mot « présence » et parler d'une « Europe présente ». Il convient d'oeuvrer pour une Europe présente, plus qu'une « Europe puissance », car il ne faut pas risquer de faire croire à une nostalgie des empires ou à une idée de « super-puissance ». Cela ne figure pas dans la construction européenne.
    Parmi ses objectifs, l'« Europe présente », doit humaniser et circonscrire les effets de la mondialisation dans la mesure où c'est le seul grand ensemble qui puisse le faire. Des manifestations ou des prises de position peuvent s'exprimer ici ou là, mais, en ce qui concerne le jeu politique, les acteurs asiatiques, pour des raisons que l'on comprend d'ailleurs, ne sont pas encore en mesure de tenir ce rôle, les pays en développement non plus. C'est donc à l'Europe qu'il incombe de le jouer.
    M. François Sauvadet. Tout à fait !
    M. Valéry Giscard d'Estaing, Président de la Convention sur l'avenir de l'Europe. Encore faut-il naturellement qu'elle s'en donne la structure et l'ambition.
    On pourrait y ajouter une autre ambition : le respect du droit international. Car le droit international a été une grande avancée qui a suivi chacun des grands conflits mondiaux - les premières tentatives remontent à l'après Première Guerre mondiale, et la belle construction des Nations unies au lendemain du second conflit mondial -, mais, dans la durée, le droit international s'affaiblit toujours et son respect - hélas ! - avec lui. C'est un rôle que l'Europe pourrait tenter de jouer. La France l'a fait dans le cas particulier de l'Irak, mais l'Europe aurait pu le faire avec beaucoup plus de force et sans doute d'autorité.
    En matière de défense, il ne faut pas adresser de grief à l'égard de la France, car elle est présente, mais le dossier est très difficile en raison des divergences réelles de positions, des Quinze et de la complexité des implications liées aux traités internationaux, notamment de l'OTAN. La France fait des propositions et la Convention ira assez loin. Nous aurons un peu de mal. Le consensus ne viendra pas spontanément, mais nous irons assez loin dans nos propositions.
    M. François Bayrou. C'est vrai !
    M. Valéry Giscard d'Estaing, Président de la Convention sur l'avenir de l'Europe. Les institutions, dites-vous, ont besoin d'un architecte. Mais elles ont aussi besoin d'un maître verrier parce qu'il faut qu'elles soient transparentes (Sourires.) Or elles ne le sont pas. Et ce qui me frappe dans les propositions qu'on nous fait et qu'on va nous faire, c'est précisément qu'elles ne sont toujours pas transparentes ! Il faut pourtant arriver à les rendre lisibles, c'est-à-dire à une identification claire des lieux de décision et des procédures de prises de décision.
    Vous avez critiqué la cohabitation de la double présidence. Jacques Barrot vous a déjà répondu avec pertinence, mais je voudrais insister sur un point pour éviter un contresens.
    On se réfère tantôt à la méthode communautaire, tantôt à la méthode intergouvernementale. Et quand on dit cela, on pense que la méthode communautaire, c'est uniquement le Parlement et la Commission, et que le Conseil, c'est de l'« intergouvernemental ». Or ceci est faux.
    M. Jacques Barrot. Très bien !
    M. Valéry Giscard d'Estaing, Président de la Convention sur l'avenir de l'Europe. Tant qu'on n'aura pas extirpé cette erreur, les propositions qui seront faites seront elles-mêmes en porte-à-faux. La méthode communautaire, c'est une méthode à trois institutions :...
    M. François Bayrou. Exactement !
    M. Valéry Giscard d'Estaing, Président de la Convention sur l'avenir de l'Europe. ... le Parlement, le Conseil et la Commission. Chacune de ces institutions dispose de sa présidence. Ce n'est donc pas une situation d'antagonisme. C'est une situation de spécialisation des institutions. En France, il y a bien un président pour l'Assemblée nationale et un autre pour le Sénat. On ne dit pas pour autant que cela définit des postures d'antagonisme. (Sourires.)
    M. François Loncle. Ça dépend !
    M. Pierre Forgues, M. François Loncle et M. Jean Michel. C'est un sujet glissant actuellement ! (Sourires.)
    M. Jean-Pierre Brard. Sur l'article 3 du projet de loi relatif à la décentralisation, par exemple !
    M. Valéry Giscard d'Estaing, Président de la Convention sur l'avenir de l'Europe. A moins que le président de l'Assemblée nationale ne veuille me démentir... (Sourires.)
    Il est normal qu'il y ait une présidence pour le Conseil et une présidence pour la Commission.
    Quant à placer la Commission sous l'autorité du président de l'Union, je reste très prudent. On me reproche parfois, dans ce monde où foisonnent les procès d'intention, de vouloir affaiblir la Commission. Ce n'est pas du tout mon idée. J'estime seulement que la Commission doit se ressourcer pour redevenir la conscience fédérative de l'Europe. A cet égard, je ne vois pas l'utilité ou l'intérêt de la placer sous l'autorité de la présidence de l'Union.
    Se pose encore la question, très technique, de savoir si, éventuellement, le président de l'Union aurait le droit de proposer sa dissolution. Je n'en vois pas beaucoup l'avantage. Mais cette question n'a pas encore été discutée par la Convention. Nous verrons.
    Dernier point, très important : quelle communauté et quelle identité ? Vous avez eu raison de dire que le débat sur les limites et celui sur les institutions, c'était en réalité le même débat. En effet, l'intégration est possible dans un ensemble homogène, mais elle cesse de l'être, elle deviendrait même impossible dans un système qui serait par nature hétérogène.
    M. François Bayrou. Très bien !
    M. Valéry Giscard d'Estaing, Président de la Convention sur l'avenir de l'Europe. Il s'agit d'un débat de fond. Il ne s'agit pas de chercher à satisfaire Un tel ou Un tel, de respecter telle ou telle antériorité, d'honorer tels ou tels engagements - qui, je les ai relus, sont d'ailleurs plus confus et plus vagues qu'on n'a l'habitude de le dire. Le problème, c'est l'identité de l'Europe. Et, sur ce thème, je reprendrai à mon compte une expression tout à fait gaulliste : faisons « l'Europe européenne »...
    M. François Bayrou. Voilà ! Tout à fait !
    Un député du groupe socialiste. De Gaulle voulait aller jusqu'à l'Oural...
    M. Valéry Giscard d'Estaing, Président de la Convention sur l'avenir de l'Europe. Et puis, s'il y a d'autres propositions, on verra. Ou, plus exactement, d'autres verront plus tard.
    Je pense enfin que, comme dans toute association, la plus petite - par principe de subsidiarité -, la plus locale, l'adhésion des nouveaux membres, surtout lorsqu'ils sont importants, doit suivre une procédure démocratique. Or, la pratique des élargissements antérieurs respectait peu la procédure démocratique. Elle la respectait en fin de parcours - il y a bien ici ou là des référendums -, mais très peu à l'origine. Autrement dit, les membres de l'association n'étaient pas consultés. Et si donc il devait y avoir un jour d'autres élargissements, ils devront respecter une procédure plus démocratique.
    M. Goldberg n'a évidemment pas apporté un soutien ardent aux travaux de la Convention. Mais quand nous nous rencontrons au conseil régional d'Auvergne, le ton est plus cordial. (Sourires.)
    En ce qui concerne la Charte qu'il a évoquée, elle ne figure pas en préambule, car nous voulons nous lui donner une valeur constitutionnelle. La mettre en préambule - M. Loncle avait suivi les travaux de la Convention - serait une solution moyenne qui ne lui conférerait pas une valeur de référence claire. Nous l'intégrerons dans le dispositif constitutionnel, sans en modifier les termes.
    En revanche, il faudra probablement être plus précis et insister davantage sur le principe d'égalité entre les hommes et les femmes. Nous verrons comment l'affirmer à nouveau dans les valeurs de l'Union.
    Le président Jacques Barrot a approuvé notre méthode. Je l'en remercie. Parce que c'est la méthode qui permet d'avancer, et qui permettra peut-être d'aboutir.
    Il a parlé d'opérer plusieurs synthèses : celle entre l'Etat-nation et l'Union - c'est en effet une synthèse qu'il faut avoir constamment présente à l'esprit - et celle entre la méthode communautaire et la méthode intergouvernementale. Je rappelle qu'il faut à cet égard éviter tout contresens. La méthode communautaire comporte le rôle du Conseil. La méthode intergouvernementale consiste, elle, à réunir les gouvernements hors du système institutionnel européen. C'est donc une autre chose.
    Pour dessiner le nouveau visage de l'Union, il a recommandé de ne pas bousculer les trois pôles. Je suis d'accord avec lui. Il faut en quelque sorte les ressourcer et les simplifier. Nous ne travaillons pas à une Constitution de type national, établissant une séparation verticale des pouvoirs. Cette Constitution doit combiner deux éléments de souveraineté : la souveraineté des Etats, vous l'avez dit, et celle de l'Union, qui est en même temps, en quelque sorte, la souveraineté des peuples.
    En ce qui concerne la présidence de l'Union, on ne voit, dans un premier temps, que le Conseil européen qui puisse élire le président. Peut-être, dans la Constitution, indiquerons-nous la direction des étapes futures, parce qu'il faudra aller, comme partout - c'est une évidence -, vers une évolution plus démocratique, et donc trouver des circonscriptions élargies pour l'élection de ce président, avant d'aller - mais dans une période sans doute encore lointaine - vers l'élection directe au suffrage universel.
    Pour le Conseil, vous avez raison, il ne faut pas de forme unique aux conseils des ministres, mais chacun d'entre eux, et je me tourne vers le ministre des affaires étrangères, devra faire des propositions au Conseil des affaires générales car il ne disposera pas d'un pouvoir de décision. En effet, un tel démembrement n'existe pas sur le plan national. Un ministre ne décide pas seul, sans l'avis de ses collègues. Les conseils se réuniront donc sous des formes assez flexibles pour soumettre des propositions au Conseil des affaires générales, seule véritable institution de l'Union dans ce domaine.
    S'agissant du juste rôle que doit jouer la Commission, je voudrais simplement vous rendre attentifs à la réalité des chiffres. Actuellement, son rôle est de dégager des consensus et de voter. Du temps où Jacques Delors la présidait, il la faisait voter très souvent. Or, pour que ses décisions soient légitimes, sa composition doit être représentative. L'Europe comprend deux groupes - les Etats les plus peuplés et les Etats les moins peuplés - de sorte que régnait jusqu'à présent un relatif équilibre : au début, à neuf, le premier groupe comptait six représentants et le second trois. Aujourd'hui, à quinze, chaque groupe a dix représentants. Il y a donc une sorte d'équilibre, et si la représentativité n'est pas stricte, elle est du moins perçue comme telle.
    Après l'élargissement, et selon le Traité de Nice, les Etats les plus peuplés, qui regroupent environ 350 millions d'habitants, désigneraient six commissaires, tandis que les autres, totalisant à peu près 100 millions d'habitants, en choisiraient environ dix-neuf. Quelle sera la légitimité du monopole d'initiative législative et dans quelles conditions seront prises les décisions, dans la mesure où la Commission ne pourra plus être considérée comme représentative ? Il y a donc un vrai problème, qui devra être traité avec soin. Nous connaissons naturellement les besoins et les aspirations des Etats membres, mais nous ne pouvons pas ignorer cet aspect du fonctionnement de la Commission.
    Alors, certes, monsieur Barrot, vous voulez simplifier la mise en oeuvre des coopérations renforcées. J'ajouterai qu'il faut réfléchir à de nouveaux domaines d'action en dehors des compétences. Il est évident, par exemple, que ce qui a été fait jusqu'ici par l'Union en matière de développement technologique ou de grands réseaux de communication n'est pas à la hauteur de l'organisation de l'Union européenne. Il y a probablement dans ces domaines des programmes nouveaux à engager.
    M. Philippe de Villiers est venu plaider, mais il n'écoute pas les arguments de l'avocat de la défense. (Sourires.)
    M. Pierre Forgues. En effet !
    M. Valéry Giscard d'Estaing, Président de la Convention sur l'avenir de l'Europe. Je répondrai donc pour vous, si vous êtes ébranlés par ses arguments, ce que je n'ai pas cru discerner. (Sourires.)
    Il a dit d'abord : « Constitution égale Etat. » Nulle part je n'ai vu une telle équation ! Constitution veut dire : organisation stable des institutions politiques. Elle peut avoir pour cadre un Etat, mais aussi un système plus vaste. Qui peut nier, à l'heure actuelle, que l'Europe élargie aura besoin d'une organisation stable de ses institutions politiques ? Personne ! Et c'est pourquoi nous nous employons à la mettre en place. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle, du groupe Union pour la démocratie française et sur de nombreux bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Lefort.
    M. Jean-Claude Lefort. Monsieur le président, je monte à cette tribune tout simplement pour protester : l'organisation des débats n'a pas été respectée et le Président de la Convention sur l'avenir de l'Europe vient de partir.
    Tout le monde se félicitait que nous puissions avoir, cet après-midi, un débat en direct avec lui. Et voilà que, pour une histoire de train, il quitte l'hémicycle, ne permettant donc pas à l'ensemble des orateurs de s'exprimer avec lui. Il n'a répondu qu'à quelques-uns d'entre eux. Cette désinvolture est parfaitement insupportable ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.) Ce comportement en dit long sur ce qu'il faut comprendre par « renforcement du rôle des Parlements nationaux ».
    Décidément, le « charme discret de la bourgeoisie » n'est plus ce qu'il était.
    M. le président. La parole est à M. Jérôme Lambert.
    M. Jérôme Lambert. Madame la ministre déléguée aux affaires européennes, monsieur le ministre des affaires étrangères, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, monsieur le président de la délégation pour l'Union européenne, merci d'être restés. (Sourires.) Pour ma part, je ne peux que m'associer à ce que vient de dire M. Lefort. Cependant, j'avais préparé au nom du groupe socialiste une intervention, et je vais vous en donner connaissance.
    Partout en France, dans les médias, dans les conversations, dans les interpellations qui nous sont adressées, les futures échéances de la construction européenne sont souvent évoquées. Il est donc normal que ces questions soient abordées dans le cadre de l'Assemblée nationale, lieu de la souveraineté de la nation, lieu où le peuple s'exprime à travers notre représentation.
    Je veux ici, à la suite de son président, Pierre Lequiller, souligner l'intérêt du travail que nous entreprenons au sein de la délégation européenne, mais dire aussi qu'il est effectué trop souvent en marge des travaux de notre assemblée. Alors que des pans entiers de notre réglementation, de notre législation, sont en relation directe avec des décisions européennes, l'Europe est si présente à tous les niveaux de notre réflexion, qu'il serait normal que le travail de contrôle parlementaire que nous nous efforçons de faire, dans l'opposition tout aussi bien que dans la majorité, soit plus fréquemment qu'en de rares occasions, comme aujourd'hui, au coeur de nos débats.
    L'Europe est donc au coeur de notre débat aujourd'hui. Avons-nous toujours le sentiment que, sur ces questins majeures, notre nation et notre peuple sont parfaitement en phase avec les discours que nous prononçons du haut des tribunes publiques ? Je n'ai pas cette impression.
    Attentifs à ce que nous entendons, nous avons donc le devoir et la responsabilité de dire au Gouvernement ce que le peuple nous demande, ce qu'il souhaite et parfois aussi ce qu'il craint.
    Quand j'écoute mes compatriotes me parler de l'Europe, je constate souvent qu'un fossé se creuse entre les idéaux qu'ils peuvent encore partager, un espace de paix en particulier, et les multiples aspects, souvent complexes, de la construction et de la politique européennes. Les citoyens ont, de fait, le sentiment d'être de plus en plus éloignés des décisions qui les concernent et qui sont prises au niveau européen. Ils n'en comprennent pas toujours les mécanismes, et considèrent ne pas avoir un pouvoir de contrôle et d'action sur la politique de notre pays.
    Les citoyens, bien souvent, nous font part d'un sentiment d'impuissance, qui se traduit aussi trop souvent par un rejet malheureusement exploité, parfois, par tous les extrémistes. Aujourd'hui, tout comme la mondialisation, l'Europe peut apparaître à certains comme une menace : menace pour les droits des salariés, en butte à un libéralisme économique dont personne ne semble à ce stade maîtriser la dimension européenne et planétaire ; menace aussi pour nos agriculteurs, faute d'une réforme équitable de la PAC.
    Aussi, le risque est très grand que les citoyens de notre pays, à la première occasion démocratique, disent non à l'Europe telle qu'elle apparaît à leurs yeux aujourd'hui. Récemment encore, un vieux Charentais, personnage souvent sympathique et toujours épris de bon sens, me disait à propos de l'Europe : « Nous décentralisons notre pays alors que nous construisons l'Europe. Demain la France ne sera plus qu'une mosaïque de régions et ne pèsera plus rien dans les décisions européennes. » Je crois que cette réflexion est souvent largement partagée, qu'elle est vécue comme une crainte que notre pays, même s'il fait partie d'un ensemble plus fort, ne soit plus en mesure d'être véritablement entendu, et les Français avec !
    Sans doute, même, la crainte est plus profonde. On peut ainsi entendre que c'est d'une manière générale le citoyen européen, et pas seulement le Français en tant que tel, qui ne trouve pas encore sa place en Europe ! Grave constat, mais qui peut le nier aujourd'hui quand on écoute, comme nous le faisons tous, nos concitoyens ?
    Je crois que là est le premier enjeu de l'évolution de la construction européenne. En effet, comment aller plus loin, comment ne pas provoquer le rejet de ce qui existe déjà, si nous ne répondons pas à l'inquiétude et aux attentes de nos concitoyens à ce propos ?
    Oui, l'Europe est un espace de paix, au moins entre nous, mais le monde pour autant nous inquiète.
    Oui, l'Europe est un grand espace économique et monétaire, même s'il est encore imparfait, qui apporte une dimension dépassant aujourd'hui le contrôle démocratique des peuples.
    Oui, l'Europe est un vaste territoire de libre circulation, mais avant on pouvait aussi voyager.
    Ce ne sont pas, ou plus, seulement avec de tels concepts que l'on peut encore provoquer l'adhésion des peuples. Si nos gouvernants, si nous-mêmes, ne nous en rendons pas encore compte, je crains que les citoyens nous rappellent justement que la construction de tout espace politique doit amener la prise en considération des aspirations quotidiennes.
    C'est pourquoi nos nouvelles institutions doivent incarner des projets.
    Il faut donc redonner un idéal à la construction de l'Europe, un idéal que devraient pouvoir partager nos peuples, comme la génération qui nous a précédés, dont certains sont encore les témoins, avait su le faire sur les enjeux premiers de la construction européenne.
    Ce n'est assurément pas le débat sur la PAC, ni même ceux sur les conditions de l'élargissement, sur les critères de convergence, sur l'abaissement de certains taux de TVA, ou sur la révision de la directive Oiseaux, qui vont donner un idéal européen à notre jeunesse et aux citoyens européens.
    Nous sommes donc obligés de considérer les enjeux à une autre échelle et il est capital, pour cela, de réussir les travaux de la Convention.
    L'Europe doit être un véritable espace politique, un véritable espace démocratique, où les décisions prises seront souhaitées et comprises par les citoyens européens. Il faut donc une nouvelle dimension pour un nouveau débat politique, à une échelle où se situent les enjeux sociaux, économiques, auxquels nous devons répondre dans le présent, et encore plus dans l'avenir.
    Oui, l'enjeu européen est une nouvelle frontière pour l'espace démocratique, politique et social, et les institutions qui découleront des travaux de la Convention doivent prendre en compte cet impératif pour redonner du sens à l'engagement dans la construction européenne des citoyens de tous nos pays.
    Des institutions démocratiques élues plus directement que ne le sont nos actuelles institutions dont le fonctionnement est méconnu ou rejeté par nos concitoyens, voilà une perspective indispensable. Nous voulons aussi des dirigeants et des élus plus directement responsables devant les citoyens européens. En fait, nous demandons ni plus ni moins qu'un fonctionnement plus conforme à l'idéal démocratique que nous partageons avec tous les peuples de l'Union !
    Nous savons combien les institutions peuvent jouer un rôle primordial dans le développement des nations, que la démocratie n'existe qu'à travers une pratique, et que la démocratie c'est le peuple, directement ou à travers ses représentants. Mais où se trouve le peuple dans les actuelles institutions européennes telles qu'elles sont perçues ?
    Au Parlement européen ? Sans doute faut-il rendre hommage au travail de nos collègues parlementaires européens, dont on peut mesurer, à la délégation de notre assemblée, le travail constructif qu'ils conduisent. Mais il faut aussi être lucide : nos concitoyens n'ont absolument pas le sentiment d'être représentés démocratiquement dans cette assemblée. Pour les citoyens, il n'y a pas de démocratie car il n'y a pas de contrôle des élus par le peuple. Personne dans notre pays ne connaît son député européen, et pour cause. Personne n'a de député européen qui le représente directement. C'est une question essentielle, car c'est l'essence de la démocratie que d'avoir des représentants dont on peut contrôler l'action. C'est pourquoi la question du mode d'élection des parlementaires européens doit être débattue rapidement.
    Quant au Conseil et à la Commission, nos concitoyens ne comprennent pas exactement le rôle de chacun, quand ils ne font pas la confusion entre l'un et l'autre. Ils ont le sentiment, alimenté souvent par des faits d'actualité, qu'il se passe des choses dans leur dos, que certaines décisions en préparation risquent de s'imposer sans vraiment avoir été débattues. Ce fut le cas des négociations de l'AMI que nous avons dénoncées et bloquées il y a quelques années.
    Aujourd'hui apparaît la négociation de l'accord général sur le commerce des services, où, entre autres, la santé et l'éducation pourraient devenir des marchés comme d'autres. Dans cette phase de discussion, personne ne semble vraiment informé, le débat n'a pas vraiment lieu et, le moment venu, si nous ne nous mobilisons pas avant pour défendre nos valeurs, qui sont celles de la République sociale, nous serons au pied du mur, sans espace pour lutter. C'est bien cela, ce mode de fonctionnement opaque, que les Français, que les citoyens européens, ne veulent plus.
    Il faut redonner un sens démocratique à nos institutions, simplifier leur fonctionnement et les rendre plus lisibles à tous nos concitoyens.
    Il ne peut y avoir de grandes avancées européennes sans l'engagement démocratique de tous. Il faut donc permettre celui-ci dans le fonctionnement de nos institutions. Il faut oser, comme nous devons oser une politique européenne dans des domaines qui tombent sous le bon sens populaire. Il faut écouter le peuple, car c'est lui qui nous donne le chemin à suivre. Il ne s'agit certainement pas d'une uniformisation de toutes nos réglementations. Au contraire, il faut assurer une meilleure prise en compte de l'intérêt général de tous les citoyens, et pas nécessairement, comme on peut avoir le sentiment que cela se fait toujours ainsi, des seuls intérêts financiers ou économiques, pour lesquels on semble toujours trouver des compromis.
    Alors, agissons de même pour faire vivre la démocratie, pour faire évoluer les réglementations sociales, pour créer un formidable espace de vie et d'espoir partagé dans un idéal politique, au sens noble de ce mot, qui soit commun à tous les peuples de l'Union.
    L'enjeu que nous vivons est extraordinaire, historique. Nous devons le saisir, mobiliser nos concitoyens, mais à condition que nous en ayons l'occasion grâce à des propositions audacieuses de la Convention, qui redonneront un sens à l'engagement de tous. Voilà l'enjeu.
    Une nouvelle frontière est là. Il faut oser la franchir et les socialistes, dont l'idéal de justice et de paix est au coeur de l'engagement politique, sauront, à travers toute l'Europe, se mobiliser pour construire ce monde nouveau, à la dimension de notre petite planète que nous voulons préserver pour les générations futures, tout en permettant à chacun d'y vivre mieux dès aujourd'hui. Nous comptons donc sur les travaux de la Convention pour qu'un cadre démocratique nouveau permette l'expression des citoyens européens et la prise en compte de nouvelles politiques sans lesquelles l'Europe n'obtiendra jamais l'adhésion des peuples. Nous souhaitons aussi que les Parlements nationaux soient beaucoup mieux associés aux décisions européennes, pour que les peuples d'Europe le soient aussi à travers nous.
    Nouvelles institutions, pour de nouvelles politiques, dans l'adhésion des peuples, et la transparence, voilà les grands axes de ce que nous devons défendre aujourd'hui pour construire l'Europe et le monde de demain et voilà ce que nous attendons aussi des travaux de la Convention, pour que les citoyens français, consultés sur ces questions, puissent dire oui à ces nouvelles politiques européennes dans un cadre démocratique, où leur contrôle et l'expression de leur volonté pourront être vécus au quotidien. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. Le débat est clos.
    La parole est à M. le ministre des affaires étrangères.
    M. Dominique de Villepin, ministre des affaires étrangères. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, c'est un honneur pour moi de prendre la parole au nom du Gouvernement dans le débat d'aujourd'hui. Ce débat est le bienvenu, débat approfondi et sans préjugé sur l'avenir de notre projet européen à la veille de l'élargissement le plus important de son histoire.
    Je veux saluer votre initiative, monsieur le président, et je remercie le Président Giscard d'Estaing d'avoir accepté de présenter l'état des travaux de la convention, de nous avoir fait partager sa vision et les perspectives pour la future constitution européenne.
    Cette convention entre aujourd'hui dans sa phase décisive puisqu'elle va devoir faire des choix et mettre au clair des propositions à soumettre aux Etats membres. Le Gouvernement français, pour sa part, est décidé à s'engager avec détermination aux côtés de la Convention européenne pour dessiner les contours de l'avenir de l'Europe. Il entend le faire dans un esprit d'ouverture, sans dogmatisme et avec le souci de créer les conditions propices à une véritable refondation du projet européen.
    C'est en effet de refondation qu'il s'agit alors que l'Europe va s'élargir à vingt-cinq membres demain, à vingt-sept et plus après-demain. Face à cet objectif, je veux ici réaffirmer la volonté de la France de contribuer activement à la définition des futures institutions de notre Union et souhaiter que la Convention parvienne à un consensus sur son projet de constitution pour l'Europe.
    J'ajoute ma voix à celle de Jacques Barrot pour féliciter le Président de la Convention pour la méthode qu'il a choisie. Car, dans notre esprit, les travaux de la Convention doivent être décisifs. La conférence intergouvernementale qui lui succédera devra être courte, comme l'a rappelé M. Lequiller, pour adopter des propositions que les Gouvernements des Etats membres auront ensuite à confirmer.
    Au terme de ce processus, il faudra conduire un vaste débat avec l'ensemble de nos compatriotes sur cette future constitution. L'oeuvre commune des conventionnels deviendra ainsi celle de tous les Français, démentant ainsi avec éclat ceux qui reprochent à notre Union de s'être éloignée de ses citoyens et d'avoir perdu leur confiance. François Bayrou l'a rappelé : l'Europe est d'abord l'Europe des citoyens.
    Il est nécessaire, en effet, d'obtenir l'adhésion des citoyens au projet européen. C'est notre responsabilité d'y contribuer.
    L'Europe élargie sera très différente de celle héritée des pères fondateurs. Le poids du nombre bouleverse le fonctionnement de nos institutions et les missions même de l'Europe. Hier, nous avons réalisé le grand marché intérieur et adopté la monnaie unique. Demain, nos nouvelles frontières vont être la diplomatie et la défense européenne, l'espace de liberté, de sécurité et de justice, l'Europe de la connaissance et de la diversité culturelle, vantée par M. Goldberg, l'Europe sociale aussi, comme l'a dit Mme Guigou.
    Dans le même temps, nous devrons réinventer une Europe adaptée au monde moderne, efficace et démocratique, compréhensible par nos concitoyens. Pour ce faire, il faut affronter trois défis majeurs.
    Le premier est celui du nombre.
    Dans une Europe à vingt-cinq, le Conseil et la Commission vont changer de nature en devenant de véritables assemblées délibératives : ainsi, le Conseil européen réunira désormais plus de cinquante membres avec les chefs d'Etat ou de Gouvernement, les ministres des affaires étrangères et les représentants de la Commission ; le collège des commissaires, déjà bien lourd avec vingt participants, sera porté dès l'élargissement à vingt-cinq ; quant au Parlement européen, il représentera une assemblée de plus de sept cents élus.
    Comment imaginer que des instances rassemblant autant de participants puissent, sans aucun changement, fonctionner efficacement, débattre des problèmes dans l'ordre et prendre des décisions sans retard ? Un simple tour de table au Conseil nécessitera plus de trois heures ! Que restera-t-il de la collégialité de la Commission dans une assemblée de vingt-cinq commissaires ? On voit bien que l'ensemble des méthodes de travail devra être changé en profondeur. Au Conseil, par exemple, il faudra probablement envisager une meilleure préparation des débats, la suppression des tours de table, la transmission à l'avance par écrit des positions nationales, l'expression de positions collectives par un seul porte-parole...
    Quant à la composition des institutions, il ne sera pas facile d'en revoir les effectifs, si l'on se souvient de l'âpreté des négociations de Nice. Mais il faudra faire preuve d'imagination et de persévérance pour corriger, par une meilleure organisation, les effets du nombre.
    Le second défi est celui de la diversité.
    L'Europe élargie sera une Europe plus diverse. D'abord du fait de la disparité des niveaux de développement économique et social : une telle situation conduira à une évolution inévitable de nos politiques communes afin de prendre en compte la nécessaire solidarité entre l'ensemble des nouveaux membres. Diverse ensuite dans l'affirmation des ambitions et des volontés de chacun. Aujourd'hui déjà, comme l'a souligné le président de la commission des affaires étrangères, M. Balladur, l'Union n'a plus la caractéristique monolithique de ses débuts. Qu'il s'agisse de libre circulation des personnes, de monnaie unique, de défense ou d'Airbus, de grands projets européens sont engagés dans le cadre de dispositifs souples, flexibles et fondés sur le volontariat. Un instrument juridique a été créé à cet effet, la coopération renforcée, institué à Amsterdam, assoupli non sans mal à Nice. Reste maintenant à le faire vivre.
    Cette nécessaire flexibilité, M. Balladur a eu raison d'insister sur ce point, est l'une des clefs de l'avenir de l'Europe, si nous voulons qu'elle avance au rythme des plus ambitieux plutôt qu'à celui des hésitants. Ainsi se mettra en place une Europe plus diverse : au-delà du socle du grand marché qui s'imposera à tous, elle pourra se développer selon des formes originales, tirant parti, en fonction des situations, du dynamisme de certains de ses membres pour lancer des coopérations à quelques-uns.
    La France souhaitera, naturellement, je veux en assurer le président Balladur, être au nombre des Etats qui s'inscriront dans le cercle central de cette différenciation voulue et organisée, ce groupe pionnier évoqué par le Président de la République voici déjà deux ans et demi.
    Le troisième défi est celui des frontières de l'Europe, comme l'a déclaré François Bayrou.
    Le Conseil européen de Copenhague engagera la semaine prochaine le cinquième élargissement de notre Union. Celui-ci représentera un quadruplement en 2004 du nombre initial des Etats membres. Le sixième est d'ores et déjà prévu pour 2007 et d'autres adhésions se profilent à l'horizon avec les différents pays dont l'Europe a déjà reconnu la vocation à l'adhésion.
    Nous devons, face à ces évolutions, rassurer nos opinions publiques qui ressentent souvent ces extensions comme une fuite en avant. A cette fin, nous devons d'abord nous donner du temps pour réussir ces différents élargissements, les laisser respirer, s'épanouir, trouver leur place naturelle. Il nous faut ensuite réfléchir à ce que sera, demain, l'organisation des relations extérieures de l'Europe. A cet égard j'ai esquissé, hier à Marseille, une répartition entre membres pleins, partenaires et associés. D'autres options sont certainement envisageables ; l'essentiel est bien de clarifier et de rationaliser.
    Dans ce contexte, nous devons évoquer le cas de la Turquie. La perspective de son adhésion a été reconnue dès 1963, sa candidature acceptée en 1999 au Conseil européen d'Helsinki. Reste à décider du moment où les négociations d'adhésion pourront être entamées. Le prochain Sommet de Copenhague débattra de ce sujet.
    Pour notre pays, le message est clair : pour décider de l'ouverture de ces négociations, la Turquie devra être en conformité en particulier avec les exigences démocratiques de l'Union. Elle doit donc poursuivre ses efforts sur la voie des réformes, notamment politiques, qu'elle a engagées pour se rapprocher de l'Europe. Nous la jugerons sur ses actes. Nous sommes, en effet, convaincus qu'au-delà du respect des critères d'adhésion, l'appartenance à la famille européenne est à la fois la marque d'une volonté et d'un choix politique. La Turquie devra montrer qu'elle a la volonté et qu'elle fait ce choix de l'Europe, dans son intérêt, comme l'a souligné M. Jacques Floch.
    Cette Europe élargie, nous voulons qu'elle soit servie par des institutions plus fortes et plus modernes.

    Dans cette perspective, nous entendons faire preuve d'une grande ouverture sur les solutions institutionnelles possibles, dès lors qu'elles répondent aux objectifs que nous nous fixons pour l'Europe : la clarté, la démocratie, l'efficacité.
    Ces solutions doivent être ambitieuses. Le temps n'est plus au simple replâtrage institutionnel. Nos concitoyens ne comprendraient pas que l'Europe élargie ne fonctionne pas. L'élargissement porte en lui une exigence d'efficacité ; le projet européen n'a d'avenir qu'à la condition que cet élargissement ne rime pas avec paralysie.
    Le plus difficile reste encore à venir. Nous le savons tous, l'avenir de l'Union se joue autour de l'émergence d'une volonté commune des Européens de dépasser leurs rivalités actuelles entre grands et petits Etats, ou encore entre partisans de la méthode intergouvernementale et partisans de la méthode communautaire. Le dispositif que nous voulons établir devra reconnaître la double nature de notre union, celle que nous résumons par le concept de fédération d'Etats nations. Il faut désormais aller à l'essentiel, c'est-à-dire la mise en place d'un système institutionnel qui permette à l'Europe élargie de décider vite, d'approfondir ses politiques communes, de renforcer son rôle dans le monde.
    Dans ce contexte, il nous semble important de bien clarifier les deux pôles de l'action menée par l'Union.
    Pour le marché intérieur et ses politiques d'accompagnement, nous sommes convaincus de l'avantage offert par la méthode communautaire, gage de vitesse mais aussi d'efficacité. Nous souhaitons donc, dans ces domaines, renforcer le rôle de proposition de la Commission, accroître le champ du vote à la majorité qualifiée au Conseil, renforcer les prérogatives du Parlement européen dans le domaine du contrôle, de la législation et du budget.
    En ce qui concerne, en revanche, la diplomatie et la défense, comme de la coopération policière et pénale, la problématique n'est pas de même nature. Il s'agit davantage d'une question de volonté politique, dans un cadre où le besoin de légitimité est particulièrement fort, où la souveraineté ne saurait être transférée mais bien partagée et exercée en commun. C'est la raison pour laquelle nous estimons qu'une communautarisation pure et simple de ces domaines d'action est prématurée. Nous proposons en conséquence une approche fondée sur une coopération organisée et une solidarité renforcée, qui doit aller plus loin que la démarche intergouvernementale classique, puisqu'elle doit utiliser le cadre institutionnel commun de l'Union.
    M. Jacques Floch. On coopère avec qui ?
    M. le ministre des affaires étrangères. Enfin, l'approche française vis-à-vis de cette future architecture institutionnelle repose sur trois principes simples : la clarté, la démocratie et l'efficacité.
    D'abord la clarté. Les traités sont devenus difficilement compréhensibles, non seulement pour les citoyens, mais pour les spécialistes eux-mêmes. Nous devons donc impérativement simplifier le système institutionnel. Cela passe par la fusion des traités actuels dans une Constitution, l'intégration de la charte des droits fondamentaux, la clarification des compétences, l'attribution à l'Union d'une personnalité juridique unique, la simplification des procédures décisionnelles.
    Ensuite, la démocratie, sur laquelle a insisté M. Lambert. Les parlements nationaux doivent être davantage impliqués dans le système européen. Nous approuvons le principe d'un congrès qui réunirait, deux ou trois fois par an, leurs représentants avec ceux du Parlement européen. Le congrès pourrait ainsi tenir chaque année un débat sur l'état de l'Union ; certains songent à le faire participer à la procédure de révision de la future Constitution européenne ou au contrôle de la subsidiarité. Approfondissons ces idées, mesurons leurs avantages et leurs inconvénients, mais évitons les blocages ou les anathèmes qui empêchent de progresser.
    Dernier principe, l'efficacité. Si l'on ne veut pas que la machine européenne s'arrête sous le poids du nombre, il faut lui donner un vrai moteur, une nouvelle ambition, une vraie direction à sa tête. Dans ce contexte, il est vital de réformer le système de la présidence semestrielle du Conseil.
    C'est l'objet des propositions du Président de la République, visant à élire un président du Conseil européen et à désigner auprès de celui-ci un véritable ministre des affaires étrangères. Au niveau du conseil des ministres, nous sommes ouverts à toutes les idées : procédure tournante actuelle, présidence fixe, présidence en équipe. L'essentiel pour nous demeure que la solution garantisse un processus de décision rationnel et rapide.
    Un tel schéma ne signifie pas que notre pays souhaite remettre en cause les rapports entre les institutions. Bien au contraire. Comme l'a souligné Jacques Barrot, nous devons rehausser l'équilibre actuel en encourageant la Commission, elle aussi, à renforcer son efficacité et en prônant une meilleure répartition du travail communautaire entre les trois grandes institutions.
    Faut-il aller plus loin et créer, selon la formule proposée par M. Lequiller, un président unique de l'Union coiffant à la fois la Commission et le Conseil ? L'idée peut séduire ; il faut là aussi l'évaluer. Soyons conscients toutefois qu'une telle réforme ne peut sans doute venir qu'au terme d'une longue évolution.
    Notre attitude, en fin de compte, est animée par une vraie exigence, celle d'être libres et inventifs pour franchir ces étapes décisives. Nous souhaitons avancer dans un esprit de tolérance, d'écoute et de responsabilité. Nous serons ainsi fidèles à la vocation européenne de la France, celle qui lui a permis tout au long de ces cinquante dernières années d'être au coeur des réformes et des progrès de l'Union, celle qui l'a conduite à rassembler sur ses idées un large accord de ses partenaires, celle qui l'a amenée à être l'un des moteurs du projet européen. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française et sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

4

ORDRE DU JOUR
DE LA PROCHAINE SÉANCE

    M. le président. Ce soir, à vingt-deux heures, troisième séance publique :
    Discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi (n° 375) relatif à la négociation collective sur les restructurations ayant des incidences sur l'emploi :
    M. Dominique Dord, rapporteur au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales (rapport n° 386).
    La séance est levée.
    (La séance est levée à vingt heures trente.)

Le Directeur du service du compte rendu intégralde l'Assemblée nationale,
JEAN PINCHOT