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ASSEMBLÉE NATIONALE
DÉBATS PARLEMENTAIRES


JOURNAL OFFICIEL DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE DU VENDREDI 13 DÉCEMBRE 2002

COMPTE RENDU INTÉGRAL
1re séance du jeudi 12 décembre 2002


SOMMAIRE
PRÉSIDENCE DE M. RUDY SALLES

1.  Protection des mineurs contre la violence et la pornographie. - Discussion d'une proposition de loi «...».
M. Yves Bur, rapporteur de la commission des affaires culturelles.
M. Jean-Jacques Aillagon, ministre de la culture et de la communication.

DISCUSSION GÉNÉRALE «...»

Mme
Marie-Jo Zimmermann,
MM.
Didier Mathus,
Pierre-Christophe Baguet,
Frédéric Dutoit,
Mme
Christine Boutin,
MM.
Michel Françaix,
Patrice Martin-Lalande,
Jean-Marie Le Guen,
Jérôme Rivière,
Patrick Bloche,
Mme
Henriette Martinez,
M. Dominique Richard.
Clôture de la discussion générale.
M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles.
M. le ministre.

DISCUSSION DES ARTICLES «...»
Avant l'article 1er «...»

Amendement n° 21 de Mme Boutin : Mme Christine Boutin, MM. le rapporteur, le ministre, Jean-Marie Le Guen. - Rejet.

Rappel au règlement «...»

M. Jacques Barrot.

Suspension et reprise de la séance «...»
Rappels au règlement «...»

MM. Didier Mathus, Frédéric Dutoit, le président.

Suspension et reprise de la séance «...»
Article 1er «...»

MM. Jean Le Garrec, Didier Mathus, Jean-Marie Le Guen, Frédéric Dutoit, Michel Françaix, Jacques Barrot.

Rappel au règlement «...»

M. Jean Le Garrec.

Suspension et reprise de la séance «...»

M. François Loncle.
L'amendement n° 17 de Mme Boutin a été retiré.
MM. Jean-Marie Le Guen, le président.
L'amendement n° 18 de Mme Boutin a été retiré.
MM. Frédéric Dutoit, le président.
Amendement n° 7 de M. Bur : MM. le rapporteur, le ministre, Jean-Marie Le Guen, le président. - Adoption.

Rappels au règlement «...»

MM. François Loncle, Bernard Accoyer, Pierre-Christophe Baguet.
M. le président.
Renvoi de la suite de la discussion.
2.  Ordre du jour des prochaines séances «...».

COMPTE RENDU INTÉGRAL
PRÉSIDENCE DE M. RUDY SALLES,
vice-président

    M. le président. La séance est ouverte.
    (La séance est ouverte à neuf heures.)

1

PROTECTION DES MINEURS
CONTRE LA VIOLENCE ET LA PORNOGRAPHIE

Discussion d'une proposition de loi

    M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. Yves Bur et plusieurs de ses collègues visant à protéger les mineurs contre la diffusion de programmes comprenant des scènes de violence gratuite ou de pornographie (n°s 317, 401).
    La parole est à M. le rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.
    M. Yves Bur. Monsieur le président, monsieur le ministre de la culture et de la communication, mes chers collègues, d'emblée, je veux rappeler qu'en France, ainsi que le stipule l'article 1er de la loi du 30 septembre 1986 modifié, « La communication audiovisuelle est libre » et cette loi confie au CSA le soin de garantir l'exercice de cette liberté dans les conditions définies par la loi. La proposition de loi dont nous discutons ce matin, et que j'ai déposée avec mes collègues Mme Marie-Jo Zimmermann et M. Jérôme Rivière, n'entend remettre en cause ni ce principe de liberté, ni la mission de régulation confiée au CSA.
    Cependant, personne ne peut aujourd'hui prétendre que l'image en général et la télévision en particulier, parce qu'elle reste le média le plus accessible à tous les publics, n'ont pas d'impact sur les esprits, notamment les plus vulnérables.
    Après le rapport du CIEM, collectif interassociatif enfance et médias, la commission présidée par Mme Blandine Kriegel « s'est accordée à reconnaître un effet net de l'impact de la diffusion de spectacles violents sur le comportement des plus jeunes ». Dès lors, nous ne pouvons plus ignorer, comme le soulignent d'ailleurs de nombreuses études, qu'il existe un « effet télé » qui est incontestable dans un certain nombre de comportements agressifs, même en prenant en compte tous les autres facteurs. Ces études semblent avoir établi que les variations de comportements violents sont liées notamment à la durée d'exposition aux images, que l'éducation des parents, l'accompagnement familial et la verbalisation ne suffisent pas à empêcher les images violentes d'avoir un effet sur les jeunes, comme le rappellent les auteurs du rapport du CIEM.
    Ce constat nous interpelle et les propositions qui ont été formulées ne doivent pas rester lettre morte. Notre proposition de loi ne constitue, à cet égard, qu'une première réponse très partielle, qui en appellera d'autres plus globales, car la télévision n'est bien évidemment pas le seul vecteur de représentation d'une violence exacerbée et d'images pornographiques : la vidéo, l'Internet et la presse spécialisée sont autant de débouchés pour ce qui constitue avant tout un marché.
    Comme le préconise le pédopsychiatre Claude Allard, « il faut qu'ensemble tous les acteurs prennent conscience que les médias sont maintenant des institutions de socialisation pour les enfants, comme la famille et l'école ». Tout en respectant la liberté de création et de diffusion des images, nous devons être plus attentifs au respect de l'individualité de l'enfant et plus exigeants sur ce que lui servent les médias et notamment la télévision.
    Faut-il accepter que cette prise de conscience bien tardive, et qui me semble relever du bon sens et de la responsabilité élémentaire de chaque parent ou éducateur, puisse être taxée de retour à la censure et à l'ordre moral, comme voudraient le faire croire certains, au nom de la liberté absolue de création ? Je pense qu'il faut raison garder et ne pas engager de faux débats en oubliant que ce qui est en cause, c'est bien l'épanouissement de nos enfants face à l'impact grandissant des médias.
    Faut-il pour autant imposer l'interdiction absolue de diffusion pour des émissions ou des films contenant des scènes de grande violence ou de pornographie ? Notre réponse est clairement « non ». Je partage sans réserve le principe de liberté tel qu'il a été explicité dans le rapport Kriegel : « Les sociétés démocratiques ont appris à se montrer très précautionneuses à l'égard de la restriction de la liberté des opinions, d'expression et de communication [...] Elles ont bien raison, notamment pour tout ce qui touche la vie et les moeurs privées des adultes, qui, en démocratie, est placée sous leur seule responsabilité. »
    C'est pourquoi, comme le CIEM, la commission Kriegel a souhaité ne préconiser aucune mesure liberticide contre la liberté de création et de communication entre adultes et donc ne pas interdire les spectacles violents ou pornographiques, mais a essayé d'imaginer tous les moyens qui pouvaient les mettre hors de portée des enfants, par un système d'actions élargies et fiables.
    Par ailleurs, la réglementation européenne, qui a souvent été citée pour justifier une interdiction totale de diffusion, reste ambiguë car elle effectue une distinction entre les programmes « susceptibles de nuire » et les programmes « susceptibles de nuire gravement » à l'épanouissement physique, mental et moral des mineurs. Seuls ces derniers sont interdits de toute diffusion et il revient à chaque Etat membre de déterminer les programmes touchés par cette interdiction. Par courrier au président du CSA, Mme Viviane Reding, la commissaire européenne, a confirmé, le 26 août dernier, la conformité des dispositions législatives françaises à la directive européenne.
    Mme Christine Boutin. Elle a été plus nuancée que ça.
    M. Yves Bur, rapporteur. Notre proposition de loi vise à renforcer la protection des enfants face au déferlement des images lié à la multiplication des chaînes, notamment par câble ou par satellite. Elle donne au CSA un outil supplémentaire pour la protection efficace des publics mineurs, en conditionnant la diffusion des programmes de catégorie V - déconseillés au moins de dix-huit ans ou interdits en salles aux moins de dix-huit ans, qui ne sont déjà actuellement diffusés que sur des chaînes payantes et cryptées - à la mise en place d'un dispositif dit de « déverrouillage volontaire » de l'accès.
    Les programmes visés par la proposition de loi sont, bien entendu, ceux comprenant des scènes de pornographie, dont la définition existe dans la jurisprudence de la Cour de cassation comme dans celle de la commission de classification. Un amendement que je présenterai tout à l'heure vous proposera de viser également non pas les scènes de « violence gratuite », comme le prévoit le titre de la proposition de loi, mais de « très grande violence », dont le degré de violence se situe entre « la grande violence » dont il est fait état pour les films de catégorie IV interdits aux moins de seize ans et « la violence extrême » qui entraîne l'interdiction totale et absolue de diffusion du film. Cette gradation de la violence discutée avec le CSA semble en cohérence avec le classement et la signalétique des programmes applicables à l'ensemble des chaînes. Les programmes visés de catégorie V continueront à ne pouvoir être diffusés qu'entre minuit et cinq heures et feront l'objet d'un double cryptage.
    Nous renforçons ainsi le pouvoir de régulation du CSA à qui incombera la responsabilité de veiller à la mise en oeuvre de ces mesures de contrôle d'accès et de s'assurer de la validité des procédures de déverrouillage avec l'aide d'experts en matière de cryptage, comme l'ont souhaité pratiquement tous les membres de la commission.
    Ce pouvoir sera encore renforcé si nous adoptons les amendements présentés par notre collègue M. Martin-Lalande, qui permettra au CSA de prononcer rapidement des sanctions pécuniaires dès qu'une infraction qui pourrait faire l'objet de sanctions pénales aura été constatée, quitte à ce que, si la procédure pénale aboutit, leur montant soit déduit de l'amende prononcée par le juge. Ces amendements facilitent aussi le prononcé d'une sanction efficace et parlante, notamment au moyen de la diffusion d'un communiqué de presse à l'antenne.
    Il serait, par ailleurs, souhaitable que les abonnements aux chaînes offrant des programmes interdits aux mineurs soient détachés des autres services proposés.
    De plus, l'adoption de cette proposition de loi ne doit pas entraîner la multiplication de programmes relevant de la catégorie V sur les chaînes autorisées à émettre en France, au motif que le double déverrouillage assurerait la protection des mineurs. Sur ces deux points, le rôle de régulation du CSA sera essentiel.
    Avec mes deux collègues qui ont cosigné cette proposition de loi, nous n'avons pas la prétention d'apporter une réponse définitive à une préoccupation partagée très largement par nos collègues et par nos concitoyens. Sa portée, limitée à la seule diffusion audiovisuelle, laisse entière la question de l'accès des mineurs à des images de violence, qu'elle soit sexuelle, physique ou morale, sur tous les autres supports médias : cassette vidéo, DVD ou Internet. Sur le chemin étroit entre le principe de liberté et celui de responsabilité, nous tournons résolument le dos à la tentation de l'interdiction totale. En adoptant cette disposition législative, nous répondons à une urgence : celle de protéger mieux nos enfants du flux d'images qui peut les troubler profondément, les traumatiser et perturber la construction de leur système de valeurs et de références. Le double déverrouillage permet de responsabiliser les parents, qui doivent assurer en première place la responsabilité éducative, y compris par rapport à la télévision.
    Mais nous avons bien conscience que ce court débat en appelle d'autres pour aller au fond des problèmes soulevés tant par le rapport du CIEM que par celui de Mme Kriegel. Nous savons bien, que, trop souvent, comme l'écrivent Divina Frau-Meigs et Sophie Jehel, « les parents seront délestés de leur rôle auprès des enfants au profit des médias qu'ils utilisent comme palliatif de leur absence, sans s'assurer que les médias à qui ils les confient très jeunes, les laissant seuls devant le petit écran, prennent en charge un minimum de responsabilité éducative, y compris dans les divertissements qu'ils proposent, même lorsqu'il s'agit de chaînes publiques ou de programmes destinés aux enfants ».
    De nombreux collègues ont souhaité que ce débat, qu'il vous appartient d'organiser, monsieur le ministre, permette à la représentation nationale d'approfondir la réflexion pour en cerner les différents aspects que l'on retrouve dans les recommandations des deux rapports : la nécessité de responsabiliser tous les acteurs concernés par la protection des enfants, le besoin de prendre en compte l'ensemble des supports d'images, le souhait de repositionner la commission de classification, qui doit mieux veiller à la protection des jeunes spectateurs, notamment, et qui fait l'objet d'un amendement à l'article 2 que j'ai déposé avec le président de la commission, Jean-Michel Dubernard.
    Il serait aussi souhaitable de permettre aux associations concernées par la famille, l'enfance et l'éducation d'être mieux associées à une régulation plus attentive au jeune public.
    Il convient enfin de réfléchir aux moyens à mettre en oeuvre pour promouvoir une véritable éducation aux médias, destinée aux enfants, par les familles comme par l'école.
    Nous ne devons pas fuir ce débat, parce que la télévision est devenue l'unique référence culturelle pour de nombreuses familles et qu'elle a un impact fort sur le comportement de nos enfants. Nous ne pouvons qu'effleurer ce débat, mais ce n'est pas une raison suffisante pour ne pas adopter cette proposition de loi, qui nous permettra d'atteindre rapidement, et par la responsabilisation des parents, une meilleure protection des enfants face aux images de violence et de pornographie qu'ils ont été trop nombreux à découvrir en raison de la négligence des parents et d'une prise de conscience tardive des responsables publics. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre de la culture et de la communication.
    M. Jean-Jacques Aillagon, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, j'ai souhaité, dès mon arrivée rue de Valois, poser la question de la place de la télévision dans la société française et partant la question de notre responsabilité à son égard.
    La mission qui a été confiée à Mme Catherine Clément a conduit à la remise d'un rapport qui nous rappelle à quel point la télévision est un formidable outil de diffusion et de partage de la culture pour tous.
    Le rapport que m'a remis l'inspecteur général Jacques Charpillon nous rappelle, quant à lui, que nous devons être vigilants sur la mobilisation de la télévision à l'égard de catégories handicapées de nos concitoyens, je pense aux malentendants et aux sourds.
    Le rapport que j'ai confié à Mme Kriegel, et qui m'a été remis il y a quelques semaines, met en évidence le phénomène de l'impact possible de la télévision sur les comportements violents, il nous indique à quel point la télévision, les images de façon générale, peuvent déterminer de façon tantôt positive, tantôt fâcheuse et négative, la constitution de la personnalité de nos jeunes concitoyens.
    Le débat qui nous rassemble aujourd'hui intéresse donc la société française dans son ensemble. Il est à l'honneur du Gouvernement d'en avoir suscité la mise en oeuvre à travers le rapport que j'ai confié à Mme Kriegel. Ce débat est un débat national. Il a engendré une prise de conscience généralisée et a permis à tous d'exprimer une volonté claire d'agir et de prendre des décisions.
    L'action et la décision, mesdames, messieurs les députés, c'est à vous qu'elles appartiennent aujourd'hui à travers votre délibération sur la proposition de loi que nous devons à Mme Marie-Jo Zimmermann et MM. Yves Bur et Jérôme Rivière.
    Je sais que votre souci, celui de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales présidée par Jean-Michel Dubernard, est celui du Gouvernement : renforcer, consacrer le respect des droits de l'enfant en vous fondant sur la liberté et la responsabilité de tous les acteurs concernés, qu'il s'agisse des pouvoirs publics, du CSA, des responsables des chaînes, et surtout des parents, qui portent, il ne faut jamais hésiter à le rappeler, une responsabilité éminente.
    C'est bien dans cet esprit que la proposition de loi que nous examinons aborde deux questions essentielles.
    Premièrement, celle de la protection de la jeunesse à l'égard de l'accès à des programmes à caractère pornographique ou de très grande violence diffusés à la télévision.
    Deuxièmement, celle de la réflexion sur l'objet même de la commission de classification des films.
    Des amendements déposés par MM. Martin Lalande, Bur, Baguet et Hamelin proposent comme le suggérait le rapport Kriegel, de renforcer les pouvoirs de sanction du Conseil supérieur de l'audiovisuel. Je tiens à vous dire d'ores et déjà que j'approuve ces amendements dans la mesure où ils vont exactement dans le sens des conclusions que j'ai moi-même tirées de ce rapport.
    Je me propose d'évoquer avec vous, pour commencer, la question de l'accès aux programmes comportant des scènes de pornographie ou de grande violence. Je tiens tout d'abord à remercier le rapporteur pour la qualité et la précision de son travail, pour son exigence et sa pondération. Nous sommes du reste invités, ce matin, à nous livrer à un exercice qui doit obligatoirement concilier l'exigence, le sens aigu de notre responsabilité et la pondération.
    Si vous avez pris acte, monsieur le rapporteur, de ce que la France n'enfreint pas les dispositions actuelles de la directive «Télévision sans frontières» qui régissent la diffusion de programmes télévisuels - vous avez d'ailleurs rappelé que Mme Reding s'était exprimée sans aucune ambiguïté sur ce sujet -, vous avez estimé qu'il était nécessaire de prendre des initiatives dans ce domaine. Le dispositif législatif actuel doit en effet être amélioré. C'est incontestable. A cet égard, la proposition de loi et les différents amendements approuvés par la commission me paraissent aller en général dans le bon sens.
    Cette proposition de loi n'est pas un texte de censure qui viserait à interdire de façon caricaturale. Tout en laissant aux adultes le libre choix de ce qu'ils regardent, elle donne aux parents les moyens d'exercer leur responsabilité de façon plus assurée.
    Le texte propose, en premier lieu, de rendre obligatoires des mesures de contrôle d'accès aux programmes comportant des scènes de très grande violence ou de pornographie. Dans son principe, cette mesure innovante me paraît très positive.
    Il convient toutefois que le texte puisse prendre en compte les évolutions techniques qui, dans ce domaine, sont très rapides. Il convient également de proposer aux quelque trois millions de Français abonnés à Canal Plus en mode analogique une solution qui soit compatible avec cette technologie, dans l'attente de leur passage au numérique.
    C'est pourquoi, sur la nature même du dispositif technique souhaitable, le texte, tel qu'il a été initialement adopté par votre commission, me semble pouvoir être encore affiné grâce aux amendements que nous examinerons tout à l'heure.
    Je serai plus concis pour évoquer les deux autres volets de notre débat.
    J'approuve, je l'ai dit, les amendements de MM. Martin Lalande, Bur, Baguet et Hamelin, qui proposent d'étendre les possibilités de sanction du CSA. C'est, là encore, l'une des conclusions que j'avais tirées de l'analyse du rapport de Mme Kriegel.
    M. Michel Françaix. Ce n'est pas sûr !
    M. le ministre de la culture et de la communication. Je pense, en effet, que, pour pouvoir assurer ses missions, le CSA doit pouvoir prendre des sanctions financières, même si le manquement d'un éditeur de chaîne est constitutif d'une infraction pénale, comme c'est souvent le cas pour les questions liées à des programmes violents. Sur ce point aussi, donc, nous devrions être en mesure d'avancer.
    J'en viens enfin à la commission de classification des oeuvres cinématographiques.
    M. Jean-Marie Le Guen. Le cabinet noir !
    M. le ministre de la culture et de la communication. Je tiens d'abord à rappeler que cette commission, instituée dans notre pays depuis plusieurs décennies, a été - et est toujours - un instrument efficace de la protection des mineurs. Certaines réserves ont été émises récemment quant à sa composition ou quant à la souplesse excessive qu'on lui prête par comparaison avec ce qui est - ou serait - pratiqué à l'étranger.
    Pour ce qui est de sa composition, la présence des professionnels du cinéma serait-elle excessive ? J'observe que si, dans les années soixante, cette commission était scrictement paritaire - avec, pour une moitié, des représentants des professions du cinéma et, pour l'autre moitié, des représentants des pouvoirs publics et de la "société civile - sa composition a évolué et s'est stabilisée dans un équilibre que je juge satisfaisant. Les professionnels ne représentent plus qu'un tiers de la commission. Les pouvoirs publics représentent un deuxième tiers. Les autres membres sont des représentants de la « société civile » : experts désignés par les ministères - juges pour enfants, médecins, éducateurs - mais aussi représentants du CSA, de l'Union des associations familiales et de l'Association des maires de France. Tout récemment, la défenseure des enfants a été nommée membre de la commission. Enfin, la commission s'est vue élargie en 1990 par la création d'un collège des jeunes.
    La présence des professionnels, qui constituent donc le tiers de la commission, a l'avantage de les responsabiliser. J'en veux pour preuve le petit nombre de décisions qui donnent lieu à de véritables contestations ou à des recours de la part de l'une ou de l'autre des parties qui composent la commission.
    J'estime donc que la composition de la commission de classification des films est aujourd'hui équilibrée dans sa structure générale.
    En revanche, je considère, en accord avec plusieurs de mes collègues et plus particulièrement le ministre en charge de la famille, Christian Jacob, que, sans modifier cet équilibre, nous pouvons améliorer le fonctionnement de la commission. Nous avons d'ores et déjà pris l'initiative de veiller à renforcer au sein de la commission la présence d'experts de la jeunesse : médecins, éducateurs, spécialistes en sciences humaines sur l'enfance, spécialistes également de l'image et de son impact sur l'esprit des jeunes. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement soutient l'amendement proposant, dans le cadre de cette composition et du mode de tutelle actuel, de mieux préciser le rôle de la commission de classification des films.
    J'ai en outre demandé au directeur général du Centre national de la cinématographie d'engager très rapidement une réflexion en vue de nous permettre d'arrêter une position plus satisfaisante quant aux modalités de l'interdiction aux mineurs de moins de dix-huit ans. Vous le savez, cette interdiction a été récemment réintroduite dans le dispositif. Compte tenu de son caractère exceptionnel, il avait été décidé que cette décision requerrait la majorité qualifiée des deux tiers. Pour ma part, je souhaiterais que tout soit fait pour que, très rapidement, cette décision relève, comme les autres, de la majorité simple. En tout cas, c'est un chantier que nous avons ouvert et que je souhaite conclure très rapidement.
    En conclusion, je dirai que le remarquable travail parlementaire que représente cette proposition de loi (Rires sur les bancs du groupe socialiste.)...
    M. Michel Françaix et M. Jean-Marie Le Guen. Remarquable, vraiment ?
    M. le ministre de la culture et de la communication. ... cette remarquable proposition de loi, j'insiste, complétée et améliorée par plusieurs amendements, illustre le dynamisme de la majorité parlementaire et la parfaite synergie qui existe entre cette majorité et le Gouvernement.
    Pour ma part, je me réjouis de son équilibre...
    M. Jean-Marie Le Guen. Très équilibré : cryptage des deux côtés !
    M. le ministre de la culture et de la communication. ...et de son attachement conjoint, d'une part, à la mise en oeuvre de la responsabilité de chacun, notamment celle de la puissance publique, quand il s'agit d'aborder la question sacrée de la protection des jeunes esprits et, d'autre part, à la prise en compte de la nécessité tout aussi impérieuse d'affirmer notre attachement à la liberté de chacun.
    Voilà, mesdames, messieurs les députés, monsieur le rapporteur, monsieur le président, les quelques remarquables réflexions préalables que je souhaitais soumettre à votre réflexion. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)

Discussion générale

    M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Marie-Jo Zimmermann.
    Mme Marie-Jo Zimmermann. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 3 juin 2002 à Nantes, une lycéenne de quinze ans a été poignardée à mort par un camarade de deux ans son aîné qui, lors de son arrestation, déclara avoir « décidé de tuer quelqu'un », influencé par le film Scream.
    Le 25 septembre 2000, Vincent, quinze ans, tuait ses parents dans leur sommeil d'une trentaine de coups de couteau, dans leur maison familiale du Territoire de Belfort. Il indiquera par la suite avoir reçu des messages tirés de ce même film.
    Quelques mois plus tôt, le 20 avril, au lendemain de la sortie du troisième volet de la trilogie de Wes Craven, qu'il était allé voir au cinéma, un autre adolescent du même âge, avait tenté de tuer son père et sa belle-mère, à Fontenay-aux-Roses, en les poignardant revêtu de la panoplie du tueur.
    Ces tragédies, certes exceptionnelles, ne peuvent laisser le législateur indifférent.
    Yves Bur, Jérôme Rivière et moi-même avons souhaité apporter une contribution pour que soient traitées les questions que soulèvent ces drames. Le 15 octobre dernier, nous déposions une proposition de loi visant à protéger les mineurs contre la diffusion de programmes comprenant des scènes de violence.
    Le groupe UMP a estimé que notre démarche faisait oeuvre utile puisqu'il a décidé d'y consacrer la séance qui lui est réservée au titre des textes d'initiative parlementaire.
    La pornographie étant un sujet très médiatique, le débat concernant ce texte s'est jusqu'à présent focalisé sur cet aspect particulier du problème. La motivation profonde des auteurs du texte tient, avant toute chose, à la violence, et pas uniquement à la pornographie qui n'est, à notre sens, qu'une forme parmi d'autres de violence gratuite.
    Face à ce phénomène, nous nous sommes posé quelques questions simples : la violence télévisuelle progresse-t-elle vraiment ? Exerce-t-elle une influence sur le jeune public ? Faut-il protéger celui-ci de la violence médiatique ?
    En ce qui concerne notre première interrogation, relative à la progression ou non de la diffusion d'images violentes, nous percevons tous indistinctement qu'aujourd'hui l'acuité du problème est bien plus forte, bien plus universelle que jamais.
    Il y a quelques années seulement, les interventions des autorités de régulation étaient, en ce domaine, accueillies par des sourires, voire des sarcasmes. La mise en avant d'un retour à l'ordre moral ou d'une possibilité d'entrave aux libertés l'emportait rapidement sur toute autre considération.
    Désormais, la situation a changé.
    Les enseignants, les associations de parents, les psychiatres militent pour que des bornes soient posées, pour que la liberté des médias soit conciliée avec le principe de responsabilité à l'égard du public.
    Le Conseil supérieur de l'audiovisuel estime qu'un enfant assiste aujourd'hui à « neuf séquences violentes - crimes ou agressions - par heure dans une fiction télévisée et que 45 % des émissions pour enfants reposent sur des scénarios de violence ».
    Nous possédons aussi des indications grâce au rapport du collectif inter-associatif Enfance et médias intitulé : L'environnement médiatique des jeunes de zéro à dix-huit ans : que transmettons-nous à nos enfants ?, commandé par le précédent ministre délégué à la famille, Mme Royal. Ce rapport démontre qu'avant douze ans, un enfant sur deux a visionné un film pornographique.
    Olivier Mongin, directeur de la revue Esprit, auteur de La violence des images ou comment s'en débarrasser ?, va jusqu'à interpréter la situation actuelle comme « un flux de violence qui ne rencontre plus d'obstacles et auquel rien, ni personne, ne résiste ».
    Car le développement des images violentes n'est pas seulement quantitatif, il est aussi qualitatif. On constate désormais une dérive difficilement mesurable qui se traduit par une exacerbation de la violence, un étalage de violence pure.
    Ainsi le public adolescent est particulièrement friand de films dits « gore », cette expression désignant des films d'horreur à forte dose d'hémoglobine.
    Dans une enquête du 6 juin dernier, on pouvait lire dans le journal La Croix : « pas un mois, ou presque, sans qu'apparaissent au rayon nouveautés des vidéo-clubs les derniers méfaits d'un tueur en série, les sanglantes éclaboussures d'un film gore ou les tranchantes aventures d'un thriller produit à la chaîne... Le phénomène n'est pas nouveau, mais ce qui surprend... c'est la précocité des amateurs ».
    Le psychiatre Zagury, dans une tribune publiée le 4 juillet 2002 dans Le Monde, intitulée : Le cinéma peut-il tuer ?, analysait ainsi le phénomène : « Le problème, c'est l'avènement d'un cinéma pervers, au sens de la perversité morale, de la perversion narcissique et de la perversité sexuelle. La limite à franchir est ailleurs, du côté de l'érotisation de la cruauté, de la prédation absolue, de l'ensemble des phénomènes mettant en scène le droit de vie ou de mort sur un autre. ».
    Face à la progression du nombre des images violentes et à leur caractère de plus en plus radical, il n'est pas inutile de rappeler que les enfants passent autant de temps devant leur écran de télévision que dans leur salle de classe, et que la télévision est devenue la première gardienne de nombre de jeunes enfants.
    Dès lors, on ne peut que se demander si la violence médiatique a une influence sur le jeune public.
    A l'heure où les publicitaires parviennent, grâce à quelques spots habilement conçus, à modifier nos habitudes de consommation, peut-on soutenir que ce bain prolongé de violence n'aurait aucun effet sur des personnalités non encore formées ?
    La prospérité et la puissance de la publicité constituent déjà une preuve éclatante du pouvoir de l'image.
    L'une des études les plus récentes, publiée en mars 2002 par la revue américaine Science et menée sur une période de dix-sept ans par une équipe de psychologues, a établi un lien étroit entre le temps passé par les adolescents devant la télévision et leur comportement agressif. Il ressort de ces travaux que plus les jeunes regardent le petit écran, plus ils commettent d'actes violents. Ainsi près de 42 % des garçons ayant passé plus de trois heures par jour devant la télévision à l'âge de quatorze ans ont, huit ans plus tard, agressé ou blessé quelqu'un alors que cette proportion descend à 9 % chez ceux qui regardent la télévision moins d'une heure par jour.
    Nous disposons de milliers d'études sur les relations entre médias et violence car, depuis les années 1930, les chercheurs en sciences sociales, en particulier américains, ont multiplié les études consacrées à l'impact des films sur la psychologie des spectateurs.
    On arrive bien, je crois, au constat que la violence dans les médias peut contribuer, à court terme, à un comportement agressif, à des troubles divers de type cauchemars ou stress, et, à plus long terme, à des attitudes négatives telles une désensibilisation vis-à-vis de la violence, des peurs, des angoisses ou encore une dépréciation du monde extérieur.
    Cette influence possible de la violence médiatique sur le comportement n'est toutefois jamais mécanique. Elle ne se produit que sur certaines catégories d'individus, dans des circonstances particulières, liées notamment à l'environnement familial et social. Les enfants sur lesquels s'exerce l'autorité parentale la plus faible, ceux qui pratiquent peu d'activités sportives, culturelles ou associatives, ceux qui vivent en milieu défavorisé sont nettement plus vulnérables à la violence télévisée que les autres.
    A cet égard, l'image s'avère bel et bien un élément déclencheur, accroissant les fragilités individuelles.
    Dès lors, la société n'a-t-elle pas le devoir de protéger les plus faibles, les plus fragiles ? Telle est ma question. Le débat n'est certes pas nouveau. En 1971, Stanley Kubrick s'était déjà attiré les foudres de la censure britannique après la multiplication d'agressions calquées sur les scènes d'Orange mécanique. Mais, nous le savons tous, l'adolescence est une période hautement sensible, et plus particulièrement dangereuse pour les jeunes Françaises et Français qui, au sein de l'Union européenne, détiennent de tristes records en matière de suicide, de toxicomanie, d'alcoolisme et d'anorexie.
    Loin de nous l'idée de vouloir cacher aux enfants la violence du monde dans lequel ils vivent. La violence inhérente au monde moderne est un fait. Lorsqu'une catastrophe se produit, elle fait partie de la vie quotidienne et doit, à ce titre, être montrée, même s'il est préférable de ne pas reproduire son image à l'infini au cours d'une même journée. Face à la violence de la vie quotidienne, il est toujours préférable de commenter, d'expliquer, plutôt que de garder le silence. En revanche, dans la fiction, la violence est délibérée. Et la fiction a de plus en plus tendance à y associer un désir, une jouissance. La pornographie, qui n'est en réalité qu'un type de violence particulier, s'inscrit dans cette perspective. De nombreux psychiatres s'accordent pour nous mettre en garde contre cette violence-là. Certains s'interrogent - c'est le cas de Mme Brisset dans son rapport remis au garde des sceaux le 10 décembre dernier - sur le lien entre la diffusion croissante d'images de pornographie et l'apparition de pratiques criminelles tels les viols collectifs, dont la progression constitue une atteinte insoutenable aux plus élémentaires droits de l'homme.
    Mme Christine Boutin. Eh oui !
    Mme Marie-Jo Zimmermann. Alors que faire ? L'une des solutions serait l'interdiction absolue des images de violence gratuite et notamment de pornographie, en transposant en droit interne, à l'article 15 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, la formulation précise de l'article 22 de la directive européenne dite « Télévision sans frontières ». Cette solution d'interdiction absolue nous semble devoir être conservée comme ultime recours, d'autant que la commissaire européenne Viviane Reding a fait publiquement savoir que la transposition actuelle de la directive en droit français était suffisante. En outre, dans les démocraties occidentales, la liberté d'expression, et donc la création, est posée comme principe fondamentale par des dispositions constitutionnelles et législatives. Cette interdiction ne manquerait donc pas de se heurter à ce principe auquel nous somme tous attachés. Telles sont d'ailleurs les raisons pour lesquelles l'interdiction stricte de ce type d'images sur les chaînes publiques et privées n'est appliquée qu'en Allemagne. Or, l'Allemagne est le plus gros consommateur et producteur de films X de l'Europe.
    M. le président. Il faut conclure, madame Zimmermann !
    Mme Marie-Jo Zimmermann. La prohibition, qui est toujours motivée par les intentions les plus louables, se traduit immanquablement par une mise en valeur de l'objet interdit. Il y a fort à parier que, dans le cas présent, une interdiction de diffusion en analogique et numérique susciterait automatiquement un transfert vers Internet, qui n'est pas réglementé, ainsi que vers les clubs vidéo. Il faut se rendre à l'évidence : l'interdiction absolue dans des sociétés modernes, ouvertes, curieuses, attachées aux libertés, à la diffusion des images via des technologies sans cesse plus performantes, est vouée à l'échec. Devons-nous pour autant nous contenter des solutions actuelles ?
    En matière de programmes violents, il y a eu de réels progrès dans la signalétique avec une action notable de simplification engagée par le CSA en juillet 2002, qui commence aujourd'hui à être mise en oeuvre. Mais la signalétique est loin de régler touites les difficultés. Par ailleurs, nouis savons bien que le recours à la violence n'est pas anodin de la part des producteurs de télévision, sensibles au fonctionnement du marché international des programmes.
    M. le président. Je vous demande de conclure, madame Zimmermann.
    Mme Marie-Jo Zimmermann. La violence fait vendre, la pornographie aussi. Le débat lancé à l'occasion de l'examen de notre proposition de loi aura d'ores et déjà été utile, car il constitue un appel fort à l'autodiscipline des médias.
    La proposition de loi d'Yves Bur, Jérôme Rivière et moi-même, ainsi que celle déposée par notre collègue Christine Boutin, ne sont pas étrangères à l'attitude sensiblement plus conciliante des chaînes. L'objet de notre texte consiste en effet à donner un cadre légal au système de double cryptage à déverrouillage volontaire. Il ne s'agit pas d'une démarche partisane. D'autres avant nous, sur d'autres bancs de notre assemblée, ont eu le même raisonnement.
    Canal plus s'est engagé à procéder au double cryptage des films de catégorie V pour tous ses abonnés. Pour lever ce double cryptage, il faudra en faire la demande expresse auprès d'un serveur vocal. Le rapporteur va nous présenter un amendement visant à préciser que la commission de classification des films doit penser aux jeunes téléspectateurs. Patrice Martin-Lalande, rapporteur spécial du budget de la communication, proposera, pour sa part, un opportun renforcement des pouvoirs de sanction du CSA.
    Telles sont les indications que je souhaitais vous apporter au nom du groupe UMP, afin de vous inciter à apporter votre soutien à cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. Mes chers collègues, il nous reste encore une heure et ving-cinq minutes de discussion générale, une dizaine d'inscrits sur l'article 1er, et trente-deux amendements à examiner. Si vous ne respectez pas strictement votre temps de parole, nous ne terminerons pas ce débat avant 13 heures, et le vote du texte sera reporté sine die.
    La parole est à M. Didier Mathus, pour dix minutes.
    M. Didier Mathus. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi dont nous sommes saisis ce matin est une mauvaise réponse à une vraie question. C'est une mauvaise réponse, mais qui vient de loin puisque c'est Bill Clinton - paradoxe de l'histoire ! - qui avait proposé, il y a quelques années, au cours de la campagne présidentielle de 1996 aux Etats-Unis, l'introduction de la puce anti-violence dans les décodeurs.
    La vraie question, c'est la présence de la violence et de la pornographie qui a peu à peu imprégné de nombreuses formes d'expression dans notre société. La vraie question, c'est l'impact de ces images sur les rapports humains, en particulier sur la construction de l'imaginaire des adolescents. La vraie question, c'est la non-prise en compte de la dimension éducative de la télévision et l'absence quasi totale de l'éducation nationale sur ce terrain pourtant essentiel. Nous n'en sommes qu'aux balbutiements, dont il faut se féliciter, de l'éducation à l'image, alors qu'il devrait s'agir d'une discipline obligatoire depuis bien longtemps dans notre société médiatique.
    Mais à cette vraie question, les réponses des spécialistes, des experts, des éducateurs, des philosophes sont aujourd'hui très contradictoires et rien ne permet vraiment de trancher sur l'impact réel de cette civilisation de l'image sur les comportements. Y a-t-il un effet d'entraînement et d'assimilation, comme je viens de l'entendre, qui serait bien sûr néfaste, ou y a-t-il au contraire, comme le plaident certains, un effet cathartique qui pourrait être bénéfique ? Il n'y a pas de réponse étayée scientifiquement à cette question et l'inconsistant rapport de commande de Mme Kriegel, conseillère du Président de la République, ne saurait tenir lieu de viatique à une réflexion digne de ce nom.
    Principe de précaution, alors ? Pourquoi pas ? Mais en réalité, vous savez bien que vous apportez vous-même une mauvaise réponse à une vraie question en vous en prenant au cinéma transformé, l'espace d'un débat, en bouc émissaire des problèmes de la société. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Michel Françaix. C'est vrai !
    Mme Françoise de Panafieu. Mais vous, qu'avez-vous fait ? Vous n'avez pris aucune de décision ?
    M. Didier Mathus. Les films ne sont qu'une part minoritaire de la programmation télévisuelle. Quant à ceux de catégorie IV ou V, ils ne représentent qu'une fraction infime des programmes d'ores et déjà cantonnés à des canaux et à des horaires très particuliers.
    Mme Françoise de Panafieu. C'est irresponsable !
    M. Didier Mathus. Oui, il y a une vraie question ! Non, la réponse schématique, embryonnaire, caricaturale que vous apportez n'est pas la bonne !
    Mme Françoise de Panafieu. Quelle est la vôtre ?
    M. Didier Mathus. Elle n'est qu'un signal de complaisance à l'égard de la frange la plus droitière de votre électorat. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Mme Françoise de Panafieu. Vraiment, nous adorons que ceux qui sont restés immobiles pendant des années nous donnent des leçons !
    M. Didier Mathus. Oui, il y a une esthétique de la violence. !
    Mme Françoise de Panafieu. Espèce de donneur de leçons !
    M. Didier Mathus. Oui, il y a une banalisation de la représentation sexuelle qui imprègne des pans entiers des formes d'expression contemporaines - la publicité, la radio, la télévision.
    Mme Françoise de Panafieu. Vous vous frottez les mains comme Ponce-Pilate pour prendre des décisions : zéro !
    M. Didier Mathus. Mais il y a des vecteurs autrement plus dangereux que le cinéma.
    Mme Françoise de Panafieu. Ben voyons !
    M. Didier Mathus. Ecoutez cette publicité pour un jeu vidéo sur certaines radios FM, ...
    Mme Françoise de Panafieu. Allons-y dans les fantasmes !
    M. Didier Mathus. ... une publicité qui proclame : « Apprends à tuer ! Deviens un serial killer ! » Ecoutez encore ces émissions à destination des jeunes sur les radios FM qui se livrent à une douteuse surenchère sémantique ! Regardez les émissions de télé-réalité sur TF1 ou M6 ...
    Mme Françoise de Panafieu. Qu'avez-vous fait pendant que vous étiez au pouvoir ? Zéro pointé.
    M. Didier Mathus. ... regardez encore certains jeux télévisés ! Pour prendre un exemple familier à vos électrices, madame de Panafieu, regardez les publicités de Madame Figaro et vous verrez qu'elles sont marquées par les codes de ce qu'il est convenu d'appeler le « porno chic » !
    Mme Françoise de Panafieu. Qu'avez-vous fait pendant cinq ans !
    M. Didier Mathus. Où est la véritable obscénité ?
Dans L'Ile de la tentation, diffusée en prime time, ou dans un film X disponible sur abonnement à une heure avancée de la nuit ?
    Mme Françoise de Panafieu. Seuls peuvent parler ceux qui agissent vraiment !
    M. Didier Mathus. Et puis, pour en rester aux formes les plus directes et les plus provocatrices de la violence et de la pornographie, vous savez bien que l'essentiel des images passe aujourd'hui par la vidéo et par Internet, sur des supports d'ailleurs beaucoup plus familiers aux jeunes qu'à leurs parents. Peut-on, sous prétexte de pragmatisme, faire l'impasse sur la question de la violence dans les informations télévisées ? Toutes ces questions, il faut les poser quand on aborde ce débat.
    Mme Françoise de Panafieu. Il est temps de le faire !
    M. Didier Mathus. On ne peut se contenter de botter en touche en accusant le cinéma. Vous avez d'ailleurs vous-même éprouvé la difficulté de définir la notion de très grande violence, de violence excessive ou gratuite. Et ce débat n'est pas près d'être tranché. Il occupe les philosophes depuis plus de vingt siècles. Je doute que nous puissions ce matin, malgré la qualité des participants, le trancher définitivement. La régulation de sa propre violence par la société est un sujet sans fin que même Mme Kriegel n'a pas réglé.
    Mme Françoise de Panafieu. Ben voyons !
    M. Didier Mathus. Cette proposition de loi n'est donc qu'une gesticulation électorale. La question du double cryptage n'avait nullement besoin, pour être résolue, d'un véhicule législatif. La preuve en est qu'aujourd'hui la quasi-totalité des opérateurs a déjà adopté ce dispositif. L'accès aux films de catégories IV ou V est déjà strictement encadré, et ce depuis 1989. Il ne peut de plus procéder d'un geste fortuit. Personne ne peut prétendre avoir de films pornographiques en libre accès sur son téléviseur à son insu. C'est, en effet, toujours sur la base d'une démarche volontaire que l'on en dispose, par le biais d'une option d'abonnement.
    M. Michel Françaix. Très juste !
    M. Pierre-Christophe Baguet. Ce n'est pas tout à fait exact !
    M. Didier Mathus. C'est donc la question de la responsabilité des parents et des opérateurs qui est posée et qu'il serait fâcheux d'évacuer au fil de ce débat technologique. Rappelons que, même dans le cas de Canal Plus en analogique, il suffit de retirer la carte à puce de son décodeur. C'est un geste relativement simple à faire pour les parents tout de même !
    J'ai entendu, au cours des débats en commission, des affirmations tout à fait surprenantes qui témoignent du caractère irrationnel et idéologique de cette démarche. Je ne résiste pas au plaisir de citer notre excellente collègue, qui affirmait avec force que l'on pouvait voir très facilement des films pornographiques sur TV5.
    M. Jean-Marie Le Guen. C'est de la publicité à TV5 ! (Sourires).
    M. Didier Mathus. Cette respectable chaîne francophone se voyait ainsi taxée d'être le véhicule insidieux de la dépravation. De deux choses l'une : soit notre collègue n'a jamais regardé TV5, soit elle ne sait pas ce que c'est qu'un film pornographique !
    M. Michel Françaix. Très juste !
    M. Didier Mathus. J'évoque cette anecdote parce qu'elle est révélatrice du parti pris, de la méconnaissance et de l'exaltation idéologique avec lesquels une partie de la majorité a abordé ce débat. Il ne s'agit que d'un signal politique à l'égard d'un électorat traditionaliste et conservateur. La question posée sur l'impact social des images et de la télévision est importante. Le problème de société est réel, mais ce n'est pas cela qui vous intéresse. Vous êtes en fait tournés vers le symbole politique d'une restauration des valeurs conservatrices. Le débat en commission en a témoigné avec l'adoption, à une très large majorité de l'amendement de Mme Boutin...
    M. Yves Bur, rapporteur. C'est faux ! Il a été adopté à une voix près !
    M. Didier Mathus. ... instituant la cotutelle du ministère de la famille sur la commission de contrôle du cinéma. Voilà une vision rafraîchissante ! Que l'on songe à placer la création cinématographique sous les auspices du ministère de la famille est révélateur d'une pensée un peu datée, car vous savez bien que, au-delà de cette commission, cela vise beaucoup plus que la classification des films. Maîtriser la classification, c'est maîtriser la diffusion en salle, et surtout à la télévision. C'est donc maîtriser les heures de passage et le financement. C'est donc disposer d'un pouvoir non seulement de formatage des oeuvres, mais de vie ou de mort sur celles-ci par le biais du financement. La disparition de l'amendement Boutin, que l'on nous annonce, ne change rien au fond. Modifier la composition de la commission et ses règles de fonctionnement par décret sera, certes, plus discret, mais l'effet sera le même. La volonté politique est la même.
    M. Yves Bur, rapporteur. Mais non !
    M. Didier Mathus. Ce texte, qui peut n'apparaître que comme un petit dispositif législatif somme toute inoffensif, s'inscrit en fait dans un mouvement beaucoup plus vaste.
    Mme Françoise de Panafieu. Ben voyons !
    M. Didier Mathus. Certes, nous pourrions même faire crédit aux auteurs de la proposition de loi d'avoir pris les devants pour éviter une surenchère qui s'est déjà fait jour dans les débats de la commission. Mais ce petit dispositif et les débats qui l'accompagnent éclairent un ensemble plus cohérent et plus inquiétant d'une pensée en marche.
    M. Michel Françaix et M. Jean-Marie Le Guen. Très bien !
    M. Didier Mathus. Les mesures Sarkozy de criminalisation de la prostitution et des clients, les déclarations de tel ou tel ministre, le rapport Kriegel, les propositions de loi moralisatrices qui s'accumulent : oui, il y a bien, dans vos rangs, la tentation d'une forme de retour à l'ordre moral !
    M. Dominique Richard. Nous y voilà !
    M. Didier Mathus. Oui, il y a bien dans vos rangs la tentation d'une restauration néo-conservatrice à l'américaine ! (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Mme Christine Boutin. Ça y est, ils sont lâchés !
    M. Didier Mathus. Monsieur le ministre, les procureurs et les moralisateurs sont légion, mais prenez garde car, au bout du compte, il ne fait jamais bon jouer avec les libertés publiques !
    Mme Françoise de Panafieu. Il est marrant !
    M. Didier Mathus. Notre société mondialisée, communautarisée, jetée au grand vent du marché et de l'individualisme, n'échappe pas à ce vieux théorème. Les boutefeux de l'ordre moral sont généralement d'autant plus exigeants sur la police des moeurs qu'ils sont complaisants avec la violence et l'obscénité sociales. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains - Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Michel Françaix et M. Jean-Marie Le Guen. Bravo !
    Mme Françoise de Panafieu. Continuez comme ça ! Cela va plaire à vos électeurs !
    M. le président. La parole est à M. Pierre-Christophe Baguet, pour dix minutes.
    M. Pierre-Christophe Baguet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, deux raisons nous conduisent à nous réunir ce matin dans l'urgence pour débattre une nouvelle fois du paysage audiovisuel français. D'abord, il est nécessaire de répondre à de plus en plus fréquents et inacceptables excès en matière de violence, de pornographie et d'atteinte à la dignité humaine ; ensuite, à peine deux ans après la loi marathon d'août 2000, qui a épuisé deux ministres, nous constatons déjà son obsolescence. Tout cela est un dramatique constat d'échec. Au-delà de la réponse immédiate que nous devons apporter à nos concitoyens, il nous faut aussi réfléchir à une solution plus durable et plus adaptée.
    Sérieusement, est-il de notre ressort de nous retrouver dans cet hémicycle à chaque nouveau concept télévisuel, à chaque nouvelle dérive de notre société ou de chaînes de télévision ? Ma réponse est assurément non. Mais revenons à l'enjeu qui nous réunit, à savoir faire face à un constat accablant, né de démarches commerciales globales, toujours plus alléchantes, d'évolutions technologiques qui ouvrent à toujours plus de produits concurrentiels, d'une guerre économique qui fait rage, plutôt dans la médiocrité que dans la qualité, de contrôles toujours plus difficiles à réaliser, soit à cause de failles juridiques, soit à cause d'obstacles techniques, soit en raison d'une liberté mal interprétée. A l'UDF, nous sommes pour la liberté, comme tous ici, mais pas la liberté sans responsabilité. Nous tenons, à cette occasion, à rappeler les valeurs auxquelles nous sommes attachés. Les droits ne peuvent se concevoir sans devoirs. Nous devons protéger les plus faibles, à commencer par nos enfants. La famille, cellule de base de notre société, doit pouvoir assumer toute sa responsabilité et en toute circonstance. Nous devons respecter la dignité humaine. Enfin, il n'est pas de liberté individuelle sans liberté collective, et, à ce titre, la responsabilité est l'affaire de tous.
    Mme Christine Boutin. Très bien !
    M. Pierre-Christophe Baguet. Or, rapports et commissions, chercheurs et experts, tous admettent aujourd'hui le poids considérable de l'image dans notre société. Tous reconnaissent l'impact déterminant de la télévision. Tous mesurent les conséquences dramatiques d'images de violence, de pornographie ou d'atteinte à la dignité humaine, surtout sur les plus démunis.
    Or la télévision est un produit grand public qui se subit plus qu'il ne se choisit, se sélectionne ou même se commande. Aussi les législateurs que nous sommes doivent-ils organiser la prévention. Je ne suis pas pour un retour de la censure politique, mais je voudrais que l'on ait le courage de donner, dans un cadre légal, un réel pouvoir de régulation et de contrôle aux professionnels compétents, à commencer par le CSA dans le domaine audiovisuel.
    Dans le domaine voisin du cinéma, c'est la même approche qui doit primer. Et grâce à Mme Blandine Kriegel, qui a confondu un peu trop hâtivement télévision et cinéma, nous avons connu le début d'une polémique entre le ministre de la famille et celui de la culture, qui s'est finalement révélée salutaire. En effet, même si tout un chacun est très attaché dans notre pays à la préservation et à la protection de la création, on ne peut pas laisser aux experts le pouvoir de s'expertiser entre eux.
    M. Michel Françaix. Très bien !
    M. Pierre-Christophe Baguet. Par ailleurs, nous savons tous qu'une double tutelle soit administrative, soit politique, soit ministérielle, préfigure souvent un enterrement de première classe. Compte tenu de ces deux remarques, il est heureux que le ministère de la culture continue à assumer seul la tutelle de la commission de contrôle du cinéma, et il est tout aussi heureux que le ministre de la famille ait obtenu une plus grande participation d'experts de la santé, de la jeunesse et de la famille dans cette même commission.
    Le contrôle des oeuvres cinématographiques, qui sont aujourd'hui fort heureusement diffusées bien au-delà des seules salles de cinéma et qui, par la télévision, la vidéo, les DVD et le Net, touchent un public toujours plus vaste, devait donc s'ouvrir dans le respect des auteurs et des réalisateurs.
    A ce propos, si le cinéma n'est pas toute la télévision, loin s'en faut, nous avons pu mesurer à cette occasion leur interdépendance. Si la manifestation d'inquiétude des professionnels portait sur la protection de la création, elle portait peut-être davantage sur l'avenir du financement du cinéma, dont on a pu mesurer une nouvelle fois l'extrême fragilité. Que Canal Plus éternue et le cinéma français s'enrhume !
    Monsieur le ministre, je vous l'ai déjà dit lors de l'examen du budget de la culture, mais permettez-moi d'insister : on ne pourra pas faire l'économie de cette réflexion.
    M. Michel Françaix. Exact !
    M. Pierre-Christophe Baguet. Il est urgent de rééquilibrer les différentes ressources du cinéma, par une réforme des SOFICA, un développement des aides régionales, un réaménagement des taxes sur la vidéo et les DVD et des aides aux industries techniques.
    Mais revenons à notre sujet et à la seule télévision. Je regrette le manque de préparation de ce texte. A cause de cette précipitation, il ne nous est pas permis d'aborder les autres supports de diffusion d'images violentes, de pornographie ou d'atteintes à la dignité humaine, que l'on retrouve pourtant sur les vidéo, les DVD et le Net. Même si l'accès aux deux premiers supports relève de démarches personnelles volontaires et si la diffusion sur le Net est un problème de dimension internationale, nous ne pourrons échapper à une réflexion dès l'examen de la loi sur les sociétés de l'information ou de celle sur la copie privée.
    Mais l'examen de la proposition de loi de nos collègues Bur, Zimmerman et Rivière ne doit pas se focaliser sur la diffusion du seul cinéma. Il faut parler du très médiatique dossier de la pornographie, car on atteint en la matière des sommets inacceptables, avec plus de 840 diffusions mensuelles, toutes chaînes confondues. Les accès accidentels et les trop grandes facilités techniques de visionnage de tels films doivent être combattus clairement.
    M. Dominique Richard. Tout à fait !
    M. Pierre-Christophe Baguet. A défaut d'une interdiction totale, qui devrait être plus sérieusement étudiée, le double cryptage est une réponse minimum, ...
    M. Dominique Richard. Absolument !
    M. Pierre-Christophe Baguet. ... surtout face à des offres commerciales de bouquets proposant des chaînes généralistes qui diffusent, entre cinéma, sport et divertissement, des films pornographiques, piégeant ainsi des familles entières. Ce n'est plus tolérable sans un avertissement clair préalable lors de la souscription de l'abonnement, mais surtout sans que les parents aient la possibilité technique d'assumer leur totale responsabilité. Il est urgent de préserver et de rétablir toute l'autorité parentale.
    Mais la protection des mineurs ne s'arrête pas là. Il est des images, des émissions encore plus faciles d'accès, dont l'approche sournoise ne saurait effacer des conséquences tout aussi graves : je veux parler de toutes les émissions qui portent atteinte à la dignité humaine, et je proposerai un amendement à ce sujet. Il y a quelques années, on parlait de « télé-poubelle ». Aujourd'hui, sous couvert de concepts, on emploie l'expression plus technique de « télé-réalité ». Les mots ont peut-être changé, mais le fond demeure. De confidences humiliantes en enfermements et mises sous conditions dégradantes, notre télévision s'achemine tout droit vers les dérives dont on nous a pourtant juré qu'elles n'arriveraient jamais en France. Et demain, qu'en sera-t-il, dans le combat pour la survie économique, avec la prolifération de nouvelles chaînes ? Qui peut nous garantir l'absence de surenchère dans l'horreur, au nom de la recherche du coup médiatique toujours plus tordu ?
    M. Dominique Richard. Bonne question !
    M. Pierre-Christophe Baguet. En ajoutant les termes « atteinte à la dignité humaine », nous permettrons au CSA d'agir sur l'ensemble des programmes susceptibles de porter atteinte à la personne. Nous permettrons à l'autorité de régulation de ne plus être prise de court devant tel nouveau concept susceptible de heurter la sensibilité des plus jeunes. Bref, nous lui permettrons de réguler dans la durée.
    Car tel est le fond du problème : la télévision évolue vite et même très vite. Or le CSA délivre les autorisations d'émettre tous les dix ans et renouvelle les conventions intermédiaires tous les cinq ans. Qui doit agir entre-temps et comment ? Certainement pas le législateur, sauf, bien sûr, comme ce matin, quand il y a urgence, mais l'urgence est rarement satisfaisante. Le CSA est composé de professionnels ; c'est à eux d'agir.
    Mme Christine Boutin. Absolument !
    M. Pierre-Christophe Baguet. Encore faut-il leur en donner réellement les moyens. Pour que cette régulation et ce contrôle soient crédibles, le CSA doit être doté d'une gamme de sanctions lui permettant de responsabiliser effectivement et efficacement les diffuseurs.
    M. Dominique Richard. Très bien !
    M. Pierre-Christophe Baguet. En cas d'infraction par manquement à leurs obligations, la sanction la plus appropriée envers les chaînes est la santion pécuniaire administrative. Mais pareille mesure n'est possible que si l'infraction en cause n'est pas constitutive aussi d'une infraction pénale, ce qui empêche le CSA d'agir avec rapidité et souplesse. C'est dans ce souci de plus grande efficacité que j'ai cosigné trois amendements de mon excellent collègue Patrice Martin-Lalande, tendant à renforcer les pouvoirs du CSA, en s'inspirant de ceux de la COB.
    Avec ces mesures et l'adoption de la proposition de loi, nous réglerons déjà certains problèmes, mais il en reste, à mon avis, au moins trois autres à résoudre.
    Le premier concerne l'article 227-24 du code pénal, de rédaction floue et trop générale.
    Mme Christine Boutin. Eh oui !
    M. Pierre-Christophe Baguet. Les tribunaux hésitent et se refusent à l'appliquer. Cette dérobade n'est pas concevable ; elle prive les téléspectateurs, les familles et même le CSA d'un outil efficace pour lutter contre la prolifération d'images d'une violence excessive. On connaît le cas à Paris, où une télévision pirate sévit depuis deux mois. Parce que la justice, le ministère et les juges, doivent également prendre leurs responsabilités dans ce dossier, une réforme spécifique, recentrée notamment sur l'audiovisuel, doit permettre aux tribunaux de proclamer des peines justes, rapides et rédhibitoires.
    Le deuxième problème concerne la chaîne hertzienne Arte...
    Mme Christine Boutin. Eh oui !
    M. Pierre-Christophe Baguet. ... qui, régie par un traité franco-allemand, échappe à la loi. Elle peut donc diffuser des films interdits aux moins de seize ans dès vingt heures trente. Il conviendra de revoir cette anomalie du paysage audiovisuel français.
    Enfin, le troisième problème concerne les bandes annonces, car ne pas programmer aux heures interdites est une chose, ne pas tenter en est une autre. Nous ne devons pas uniquement prendre en compte l'image violente en tant que telle, mais aussi la tentation de la voir. La diffusion aux heures dites normales des bandes annonces aguicheuses d'émissions programmées pour être vues après vingt-deux heures trente suscite chez nos enfants l'envie de veiller un peu plus tard et excite leur désir de braver l'interdit. Certes, la réglementation interdit la diffusion des bandes annonces de programmes de catégorie IV - moins de seize ans - avant vingt heures trente, mais les programmes de début de soirée commencent rarement avant vingt et une heures. Il faudrait pour le moins harmoniser les horaires.
    Comme on le voit, ce dossier est complexe et ne peut se limiter à une simple solution technique.
    M. Michel Françaix. Très bien ! Reportons-le !
    M. Pierre-Christophe Baguet. Il engage une vision de notre société, de ses devoirs et de nos responsabilités. Il aurait mérité moins de précipitation et plus de travail.
    M. Michel Françaix. Très bien !
    M. Pierre-Christophe Baguet. Mais si votre proposition ne règle pas tout, elle a le mérite, monsieur le rapporteur, d'apporter déjà un début de solution.
    Mme Christine Boutin. Eh oui !
    M. Pierre-Christophe Baguet. C'est pourquoi le groupe UDF la votera, sous réserve d'un travail parlementaire complémentaire que j'appelle de mes voeux. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le président. La parole est à M. Frédéric Dutoit.
    M. Frédéric Dutoit. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, quelques jours à peine après la publication du rapport demandé à Mme Kriegel par M. le ministre de la culture et de la communication, le groupe UMP sort de ses cartons une proposition de loi diantrement médiatique intitulée « Protection des mineurs contre la diffusion de programmes violents ou pornographiques ».
    Cette proposition est pour le moins partielle et nos collègues de droite auraient pu attendre que le ministre de la culture traduise les idées contenues dans le rapport ainsi que celles de la commission présidée par Mme Catherine Clément, afin que nous n'ayons pas l'impression de légiférer dans l'urgence, surtout sur un si petit aspect : je parle, bien sûr, du double cryptage. S'il fallait une nouvelle fois modifier la loi sur l'audiovisuel de 1986, nous aurions pu le faire plus complètement, dans un climat plus serein, après avoir nous-mêmes travaillé en commission et auditionné nous-mêmes les différents acteurs concernés par ce dossier.
    Je ne nie pas le travail de la commission Kriegel, mais les réactions que ses travaux ont suscitées auraient mérité plus de vigilance de la part de nos collègues de la majorité.
    Nous connaissons tous la place que la télévision occupe dans notre emploi du temps, dans la fabrication de notre imaginaire collectif et dans la perception que nous avons du monde. C'est particulièrement vrai pour les enfants. Ce média est et restera, pour longtemps, le principal outil d'information, mais aussi de culture de nos concitoyennes et concitoyens.
    A chaque retour de la droite, on a le sentiment que renaissent de vieux démons qui ont pour noms censure et pudibonderie. On a parlé, pas plus tard que cet été, d'interdire des livres qui n'étaient pas destinés à la jeunesse et à qui on voulait appliquer le décret de 1949. Le ministre de la culture a dû rappeler ce qu'était le principe de la liberté de création dans une société démocratique comme la nôtre, tant son collègue de l'intérieur outrepassait ses compétences.
    Je rappellerai aussi le malheureux épisode de l'exclusion de l'Association des parents gais et lesbiens et de la CADAC des structures de concertation avec le ministère de la famille.
    Monsieur le ministre, vous devez avoir fort à faire dans un gouvernement qui se sent investi d'une mission de contrôle de ce que doivent penser les Français !
    Mais revenons à l'objet de la proposition de loi. Le groupe communiste est profondément attaché aux droits de l'enfant. Année après année, il a déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale une proposition de loi tendant à faire du 20 novembre la journée des droits de l'enfance, reconnue désormais. Il a sans relâche demandé que des moyens soient alloués à la lutte contre la pédo-criminalité. Il a interpellé récemment le Gouvernement pour qu'il agisse au plan national et international contre l'exploitation sexuelle des mineurs.
    Dans le même temps, le groupe communiste a toujours défendu la liberté d'expression, peut-être même plus vigoureusement que d'autres parce que des gens se réclamant de l'idéologie communiste ont bafoué ces droits dans des pays où ils avaient le pouvoir.
    C'est notre ami et collègue Jack Ralite qui, le premier, a défendu le concept d'exception culturelle au cours des états généraux de la culture. C'est grâce à l'action des créateurs et des créatrices français et du système d'aide au cinéma que nous avons encore dans notre pays un cinéma digne de ce nom.
    La proposition de loi que vous nous demandez de voter est empreinte de bons sentiments. Elle vise légitimement à empêcher les mineurs d'accéder à des programmes qui ne leurs sont pas destinés. Si je suis en accord avec ses dispositions relatives à la pornographie - le double cryptage est une bonne formule -, je considère par contre que le flou le plus total persiste pour la définition de la « violence gratuite », même si le débat devrait la clarifier.
    Je ne suis pas certain que nous soyons tous d'accord ici sur ce que nous mettons derrière ce vocable. Les professionnels se sont légitimement émus du choix de cette expression, car si aucune définition n'en est donnée, le CSA et les directeurs de chaînes et de programmes auront tout pouvoir.
    Je crains de surcroît que cette définition ne serve à éloigner des grilles de programmes des films qui, bien qu'ils mettent en scène la violence, sont d'une vraie qualité artistique. On aime ou on n'aime pas, mais où classer Nikita de Besson, La Haine de Kassovitz et tant d'autres films comme ceux de Catherine Breillat ou Jacques Nollot ? C'est à dessein que j'ai choisi des films qui, pour les auteurs de la proposition de loi, seraient à ranger dans l'une ou l'autre de ces deux catégories.
    Savez-vous que si vous passez une journée à regarder des séries, pour la plupart américaines, sur toutes les chaînes de télévision, vous assistez à une quinzaine de meurtres, plus ou moins violents ?
    Savez-vous que si vous regardez les émissions de plateau, y compris sur les chaînes publiques, vous aurez plusieurs fois par semaine des débats ayant pour produits d'appel votre vie intime, pour ne pas dire votre vie sexuelle ? Toutes ces émissions sont très loin des émissions informatives ou instructives sur les contours de l'amour ou les mécanismes de la sexualité. Elles sont souvent constituées d'une suite d'exposés intimes qui ont désormais valeur universelle. Le témoignage remplace l'analyse. Il vaut vérité puisqu'il est dit par une personne éminemment concernée. Ce déballage de l'intime est noté par bon nombre de spécialistes des médias qui y voient la simple reproduction des schémas nord-américains.
    La médiocrité de certains programmes télévisés va même jusqu'à montrer des émissions dont le seul et unique but est de faire ou défaire des couples. La version soft est pour le prime time, la version hard pour les internautes. Je traduis pour ceux qui, comme moi, sont attachés à la loi Toubon sur la défense de la langue française, que le CSA peine à faire appliquer : la version douce est pour la première partie de soirée, la version dure pour les utilisateurs d'Internet.
    Peut-on réellement parler de séduction dans un lieu clos ? Qu'on le veuille ou non, Loft Story ou L'Ile de la tentation sont des prisons, même si elles sont dorées. Et on a rarement vu l'amour naître en prison. Je suis presque de l'avis de Guy Carlier, le chroniqueur de France Inter, interviewé la semaine dernière dans VSD. A Patrick Carmouze qui venait de lui dire : « La télé n'est que le reflet des Français tels qu'ils sont. On a la télé qu'on mérite. », il répondait : « Evidemment la démagogie attire les masses, mais ce que vous dites est populiste et notre télé est populacière. »
    Il aurait été judicieux que l'on travaille aussi sur le sujet de la télé-réalité qui est très regardée par les jeunes, programmée à des heures spécifiquement choisies pour eux, et qui s'avère, à mon goût, tout aussi pernicieuse. Les jeunes ne sont pas seulement les victimes de la violence ou de la pornographie, ils sont aussi les victimes de la niaiserie ou pire, de la médiocrité des programmes qui leur sont destinés.
    Tout autre est notre proposition pour une télévision moderne. Et en cela j'ai l'impression que nous n'avons pas lu les mêmes pages du rapport Kriegel, dont la presse n'a voulu retenir que les aspects les plus polémiques. La mission propose des pistes intéressantes en matière de programmes pédagogiques. Elle propose de créer :
    « Des émissions de promotion d'une culture de respect d'autrui et de dépassement de la violence ;
    « Un programme éducatif à l'apprentissage de la lecture critique de l'image », comme il en existe un seul sur France 5 et que nous proposons, par amendement, de prévoir dans les cahiers des charges de toutes les chaînes généralistes ;
    « Des émissions de fictions ou d'information pour entraîner à la vie citoyenne et démocratique. »
    La mission Kriegel suggère enfin que l'école « généralise l'éducation à l'image ».
    Voilà l'immense différence qui nous sépare, mesdames et messieurs de la majorité. Vous ne retenez du rapport que l'aspect répressif et vous ignorez le volet éducatif.
    M. Yves Bur, rapporteur. C'est un peu court !
    M. Frédéric Dutoit. Cette position a le mérite de la constance, car c'est celle que vous défendez depuis votre retour aux affaires. Réprimer, réprimer encore et toujours réprimer ! Nous avons une vision plus globale et plus généreuse de la société.
    M. Yves Bur, rapporteur. Mais vous n'avez rien fait !
    M. Frédéric Dutoit. Nous faisons confiance aux parents et aux éducateurs. Nous voulons d'abord que l'on prenne en compte les mouvements de la société qui, désormais, donnent plus de place à l'image qu'à la lecture. Il faut que les enfants et les jeunes aient les mêmes armes pour décrypter une image que celles que l'école leur a données pour décrypter un livre ou un journal. C'est de cela que j'aurais aimé que l'on parle aujourd'hui.
    Certes, les propositions de Mme Kriegel ont aussi un coût. Cela veut dire, si vous voulez être conséquents avec vous-mêmes, ne pas se contenter de l'actuel budget des chaînes publiques. Cela veut dire faire travailler des scénaristes, des réalisateurs et des techniciens sur des émissions éducatives et ludiques de qualité.
    Tel n'est pas votre projet et je le déplore. Les moyens que vous venez de voter aux chaînes publiques ne leur permettront pas de créer plus ni mieux. Nous avons affaire à un texte de circonstance, bien éloigné d'une vraie réflexion sur la télévision de qualité dont nous rêvons tous.
    En guise de conclusion, je dirai que la tenue d'un débat sur la violence et la pornographie à la télévision s'impose plus que jamais, tant au sein de notre assemblée qu'au sein de la société civile, des écoles, des collèges et des lycées.
    Certaines questions méritent enfin d'être posées. Ainsi, la télévision ne risque-t-elle pas d'être le bouc émissaire d'un phénomène qui la dépasse largement ? Autrement dit, la télé est-elle la cause de la violence ? Ne participe-t-elle pas, tout simplement, à une « violentisation » plus générale de la société et des médias ? La violence, la pornographie et la glorification de l'argent facile sont les modèles que la société offre aujourd'hui à notre jeunesse.
    Face à un débat d'une telle complexité, il faut se garder des solutions simplistes. Si certaines affirmations du rapport de Mme Kriegel sont de nature à conforter les peurs et les angoisses de nos concitoyens, nous sommes en droit de nous interroger sur leurs fondements.
    M. le président. Merci de bien vouloir conclure, monsieur Dutoit.
    M. Frédéric Dutoit. Je termine, monsieur le président.
    Que dire des propositions avancées pour la commission de classification des films ? Cet organisme est unique, puisqu'il rassemble des professionnels du cinéma et des représentants de l'Etat chargés, après visionnage, d'accorder les visas indispensables à la diffusion des films en salle.
    Pour notre part, nous considérons qu'en cas de dilemme entre le principe de liberté et le principe de protection des enfants, il faut toujours choisir, bien entendu, la protection de l'enfance. C'est pourquoi je vous propose, monsieur le ministre, d'organiser dans le pays et devant le Parlement un grand débat sur la violence et la pornographie à la télévision, afin d'étudier comment nous pouvons agir tous ensemble pour la protection de l'enfance en préservant la liberté de création. Notre vote sera déterminé par la réponse à cette proposition.
    M. Michel Françaix et M. Jean-Marie Le Guen. Très bien !
    M. le président. La parole est à Mme Christine Boutin.
    Mme Christine Boutin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la demande exprimée par le président du CSA, conformément à la directive « Télévision sans frontières » et à l'article 227-24 de notre code pénal, de voir interdire purement et simplement la pornographie et la violence gratuite à la télévision aura au moins eu le mérite d'ouvrir le débat. Mais avant d'entrer dans la discussion des articles, je veux consacrer le temps qui m'est imparti au problème qui a obscurci le débat depuis le mois de juillet : la censure.
    On a prêté de bien mauvaises intentions aux 103 parlementaires qui n'ont fait que reprendre, à la virgule près, le texte de la directive européenne, et qui souhaitaient seulement protéger la jeunesse - et parfois quelques adultes -, dont la résistance psychologique à l'image est trop faible pour qu'on les y expose.
    La commission Kriegel, à la demande de M. Aillagon, a rendu sur cette question un rapport éclairant. Oui, il y a un « effet net » de l'image sur le comportement, au nom duquel nous devons veiller à ne pas tout mettre à portée de toutes les télécommandes.
    La clarté de ce diagnostic est dérangeante, c'est vrai. Elle rappelle aux artistes et aux diffuseurs que leurs oeuvres ne sont pas sans conséquences. Cela aurait dû suffire à prendre la question à bras-le-corps. Mais on a voulu hurler à la censure, et préféré comme d'habitude la condamnation au débat de fond.
    Qui peut toutefois sérieusement prétendre qu'on a voulu rétablir la censure ? Où a-t-on lu qu'il faut supprimer la liberté d'expression et de création ?
    D'abord, mes chers collègues, nous devons reconnaître que l'interdiction existe en France, et nous nous en félicitons chaque jour : quand elle interdit toute forme d'atteinte à la dignité des personnes, que ce soit à titre collectif ou à titre privé, quand notre droit interdit et poursuit le racisme, les injures, la diffamation et l'insulte, par exemple.
    La Déclaration des droits de l'homme précise bien dans son article 4 que « la liberté consiste à faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ». Même chose pour la Convention européenne des droits de l'homme.
    La jurisprudence constante de la Cour de cassation prévoit également une limitation stricte à la liberté d'expression lorsque les restrictions constituent un besoin social impérieux - c'est l'arrêt du 20 septembre 2002 - ou quand elles constituent des mesures dites « nécessaires » dans une société démocratique - c'est l'arrêt du 27 février 2001. Et, dans un arrêt de 1997, la Cour a indiqué que la protection de la santé justifie également de limiter cette liberté fondamentale.
    C'est donc que cette liberté ne saurait être considérée comme une fin en soi, ni préservée contre vents et marées. Elle s'efface à chaque fois que la dignité personnelle ou le bien public est en cause. Elle ne permet pas tout, ne justifie pas tout, et ne donne pas tous les droits.
    Telle est la position constante de notre démocratie, et je n'ai pas l'impression qu'elle en ait particulièrement souffert. C'est au nom de cette priorité que l'article 227-24 du nouveau code pénal a été ainsi rédigé. Les auteurs et artistes ont, comme tous les autres citoyens, des droits et des devoirs. Rien ne justifierait qu'ils en soient exemptés.
    Alors, la question n'est pas de savoir si une interdiction de la violence et de la pornographie à la télévision constituerait ou pas une censure. Elle est de savoir si la protection de notre jeunesse, de nos enfants, est un bien, une valeur supérieure à la liberté d'expression, et plus généralement aux intérêts économiques d'une certaine industrie.
    M. Michel Françaix. Bonne question !
    Mme Christine Boutin. Encore une fois, le rapport Kriegel et avant lui les journalistes de Libération, de Marianne, et du Nouvel Observateur, ont relevé les dangers que peut occasionner ce genre d'images sur le psychisme des adolescents. Et je ne peux m'empêcher de vous citer Laurent Joffrin, journaliste du Nouvel Observateur, qui le 25 juillet dernier écrivait : « La question de la censure obscurcit le débat. Il faut se recentrer sur l'essentiel ; la prise de consciense. [...] Beaucoup d'intellectuels, peut-être parce qu'ils avaient vingt ans en 1968, croient qu'ils restent jeunes en gardant les réflexes de l'époque. L'ennui, c'est que l'époque a changé. Nous sommes au coeur de la société du signe marchand. »
    M. Jean-Marie Le Guen. En 1968, on disait : « Eteignez la télévision ! »
    M. Patrick Delnatte. Ce sont les « nouveaux réacs ! »(Sourires).
    Mme Christine Boutin. Dès lors, faut-il donner raison au rapport Kriegel, aux téléspectateurs et à l'opinion publique, très majoritairement favorables à une sévère restriction de la diffusion de ces images ? Ou faut-il renoncer, devant un lobby qui ne cherche en définitive qu'à défendre des intérêts économiques, au mépris des conséquences de ses productions sur le psychisme des plus jeunes et des autres ?
    M. Pierre-Christophe Baguet. Très juste !
    Mme Christine Boutin. Faut-il continuer de donner autant de place par l'image à la constante érotisation de notre société et à la violence, alors même que cette image contribue sans aucun doute à les nourrir ? Est-il illégitime d'intimer aux réalisateurs pornographiques de confiner leurs oeuvres sur les étagères des vidéo-clubs ? Remettrait-on alors en cause leur liberté de créer ? Bien sûr que non !
    On a beaucoup craint l'amendement de notre commission visant à prévoir la double tutelle du ministère de la culture et de celui de la famille sur les visas d'exploitation. Et les métiers du cinéma s'en sont émus. Mais personne ne songe sérieusement à inquiéter ces auteurs, auxquels je tiens à redire ici mon soutien, comme je l'ai fait par voie de presse.
    Je leur rappelle que j'ai été un des premiers parlementaires, en 1997, à aller à Strasbourg pour défendre l'exception culturelle française. Leur crainte est parfaitement infondée : il faut comparer ce qui est comparable. Je leur conseille, du reste, de veiller à ne pas devenir les otages non pas d'une cause juste, celle de la création, mais plutôt d'intérêts financiers plus ou moins clairs.
    La commission et le Gouvernement ont voulu laisser perdurer la diffusion de films pornographiques à la télévision, et s'orientent vers une solution de double cryptage. Souhaitons que, pour l'intérêt des enfants et des plus fragiles, il ne s'agisse pas d'un marché de dupes !
    Pour l'heure, je souhaite vivement que le texte que nous adopterons à la fin de notre discussion atteigne quatre objectifs : donner aux parents tous les moyens de protéger les enfants contre les images nuisibles ; donner à notre autorité de régulation, le CSA, tous les moyens de contrôler techniquement les dispositifs que nous déciderons ; accélérer et renforcer les moyens de sanction à l'égard des contrevenants, prévoir de reprendre au fond le débat sur la protection des jeunes publics et l'impact des images.
    Ce débat a été mal engagé, mal mené. Il n'a pas permis de regarder au fond tous les enjeux qui touchent à l'audiovisuel et à l'image.
    M. Jean-Marie Le Guen. C'est vrai !
    M. Michel Françaix. On est d'accord !
    Mme Christine Boutin. Ce matin, j'ai donc déposé avec quatre de mes collègues une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête. J'espère que cette commission d'enquête nous permettra de discuter sérieusement de l'impact de l'image sur l'enfant par rapport au passage à l'acte.
    M. Yves Bur, rapporteur. Mme Kriegel l'a fait !
    Mme Christine Boutin. Le débat qui s'ouvrira ainsi montrera que le principe « Il est interdit d'interdire » ne signifie pas aujourd'hui en France : « Il est interdit de réfléchir ». (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. Michel Françaix.
    M. Michel Françaix. Madame Boutin, dans la suite du débat, je ne serai peut-être pas toujours d'accord avec vous. Mais la suggestion que vous avez formulée à la fin de votre intervention me paraît très bonne.
    M. Jacques Le Guen. Excellent !
    M. Michel Françaix. Vive cette commission ! Sur ce point, vous pourrez compter sur l'appui des socialistes.
    M. Jean-Marie Le Guen. Très bien !
    M. Michel Françaix. Je crains que ce soutien ne soit que très ponctuel, mais c'est un commencement ! (Sourires.)
    Mme Christine Boutin. Tout à fait !
    M. Michel Françaix. Monsieur le ministre, nous croulons sous les rapports : le rapport de M. Boyon sur la télévision numérique, qui a ratiboisé le service public ; le rapport de Mme Catherine Clément sur l'offre culturelle à la télévision, qui tel Jean Vilar nous propose l'élitisme pour tous à la télé - elle a sans doute raison ; enfin, le rapport de Blandine Kriegel sur la violence à la télévision qui, appliqué à la lettre, pourrait mettre en péril les coproductions du service public télévisuel avec le cinéma.
    Ce dernier rapport a fait couler beaucoup d'encre et c'est d'ailleurs sans doute un peu pour cela que nous sommes ici ce matin. Pour les uns, il fallait l'enterrer par des mesurettes et quelques garde-fous - c'est peut-être l'objectif de la proposition de loi, voire la pensée profonde de notre ministre. Pour les autres, tenants de l'ordre moral, il s'agit de mener une croisade uniquement contre la création cinématographique, qui est pourtant la seule encadrée en matière de protection des mineurs contre la violence et la pornographie. C'est peut-être l'objectif d'un certain nombre de parlementaires qui ont proposé les amendements que nous connaissons.
    Nous sommes tous d'accord, ce rapport n'est pas, comme certains le disent, liberticide. Mais et c'est sans doute plus grave, il est rarement opératoire. Qu'à long terme l'exposition fréquente à des scènes de violence contribue à une désensibilisation du spectateur, qui s'habitue à la violence, soit. Que le temps considérable que les enfants et les adolescents passent devant le petit écran nous préoccupe tous, soit. Qu'en réduisant la sexualité à une mécanique, la pornographie la prive de ce qui en fait l'essentiel puisqu'elle abolit le langage et fait abstraction de l'émotionnel, soit. Au total, ne s'agirait-il pas un peu d'enfoncer des portes ouvertes ?
    J'aurais préféré une vision globale, qui ne se focalise pas sur le seul cas de l'image télévisuelle violente ou pornographique mais prenne en compte l'ensemble du flux d'images auquel nous sommes soumis : vidéo, jeux, publicité, information, Internet. Et que fait-on des images d'actualité qui passent et repassent en boucle, telle les scènes du 11 septembre ? Le comble de l'obscénité n'est-il pas de faire rire en humiliant ou de rechercher l'Audimat avec le spectacle de la souffrance ? Comment oublier que la télévision est un dispositif de marketing, où chaque émission pour enfants, entre autres, est vendue à l'avance aux annonceurs publicitaires et prépare plus nos enfants à être des consommateurs que des citoyens ? Tout cela n'est-il pas choquant ?
    En fait, la télévision est à l'image de la société. Ne ressemblons donc pas à cet homme qui a perdu ses clés et les cherche uniquement sous le réverbère, parce que c'est là qu'il y a de la lumière.
    Il y a du puritanisme dans l'attitude qui consiste à faire semblant que certaines choses n'existent pas. Et je ne suis pas sûre, madame Boutin, que développer à la télé la seule image de la vertu me rendrait forcément plus vertueux.
    Mme Christine Boutin. Ai-je dit cela ?
    M. Jean-Marie Le Guen. Votre vertu n'est pas en cause, madame Boutin !
    M. Michel Herbillon. Vous parlez en expert, monsieur Françaix ! (Sourires.)
    Mme Françoise de Panafieu. M. Françaix parle pour lui ! (Sourires.)
    M. Michel Françaix. Monsieur le président, veillez à décompter toutes ces interruptions de mon temps de parole ! (Sourires.)
    M. le président. Ne vous laissez pas interrompre, monsieur Françaix !
    M. Michel Françaix. Alors pourquoi pas le système du double cryptage ? Il existe déjà dans les faits. Mais c'est un peu court pour répondre à Nietzsche, qui voulait qu'à l'heure du tout-image la conscience soit une conquête. Avec les amendements, en tout cas, trop c'est trop. Faire du cinéma le bouc émissaire de la lutte contre la violence à la télévision, soit en interdisant tous les films de moins de douze ans avant vingt-deux heures - adieu Hitchcock et Les Oiseaux, Patrice Chéreau et La Reine Margot, et quelques Chabrol et Truffaut -, soit en soumettant les visas d'exploitation des films sous la tutelle du ministère de la famille. Dans les deux cas, c'est livrer les cinéastes pieds et poings liés soit à une commission de classification qui pourrait décider de l'avenir d'un film en l'interdisant à un public large, soit aux chaînes qui ne prennent plus le risque de financer un film interdisant le passage aux heures de grande écoute. Alors, aux exigences économiques s'ajouterait l'arbitraire.
    On croit protéger nos enfants, mais on condamne le cinéma d'auteur au profit d'un peut-être politiquement correct. S'il s'agit qu'ensemble tous les acteurs prennent conscience que les médias sont des institutions de socialisation pour les enfants, au même titre que famille et école, que cela implique le droit de diffuser des images, mais aussi des devoirs, en particulier le respect de l'individualité de l'enfant ; s'il s'agit de réfléchir à la corégulation dans l'environnement médiatique, à la coresponsabilité des professionnels, des parents et des éducateurs, à une politique audacieuse de la jeunesse dans les médias, commençons d'ailleurs par le service public, et laissons peut-être une chaîne pour la jeunesse ; s'il s'agit d'une éducation à l'usage de l'école, d'un observatoire de l'impact des médias sur les enfants, alors oui, nous pouvons tous travailler ensemble. Il faut mettre en place cette commission parlementaire. Au lieu de cette pâle mise en scène, recherchons peut-être la mise en perspective.
    Monsieur le ministre, vous avez parlé d'une loi remarquable, d'un rapport remarquable. Moi, je dirai plus simplement qu'il y avait peut-être des idées intéressantes et des idées nouvelles. Dommage que les idées nouvelles étaient rarement intéressantes et que les idées intéressantes n'étaient pas nouvelles. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. le président. La parole est à M. Patrice Martin-Lalande.
    M. Patrice Martin-Lalande. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, la question du contrôle de la pornographie et de la violence à la télévision ne constitue pas un sujet budgétaire direct. Il a néanmoins des incidences fortes sur l'équilibre économique de certaines chaînes privées, et, par conséquent, sur l'équilibre du paysage audiovisuel en général. C'est pourquoi, j'avais consacré dans mon rapport pour le budget un développement sur la pornographie et la violence à la télévision, en souhaitant que soient trouvées des réponses conjuguant responsabilité et éducation. Le problème a été mis en évidence notamment par le CSA, par le CIEM - le Collectif interassociatif « enfance et médias » - et par le rapport de Mme Kriegel commandé par le Gouvernement. Il est clair que les solutions au problème existent. Mais elles doivent être graduées et tenir compte d'un équilibre nécessaire entre liberté des adultes et protection des enfants, comme le recherche à juste titre la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui sur le double cryptage.
    S'agissant de la violence, cette protection ne doit pas pour autant se transformer en travestissement de la réalité dont les informations et la vie courante montreraient bien vite tant l'inanité que l'hypocrisie. Pour autant, les enfants eux-mêmes, notamment avec le déclencheur qu'a été la diffusion, en boucle, des images de l'attentat du 11 septembre 2001, sont sensibles à la nécessité d'être protégés contre les excès d'images agressives. Eux-mêmes demandent des explications sur la violence de l'information adaptées à leur âge. J'ai pu le constater dans le cadre du Parlement des enfants. La classe de ma circonscription qui avait été sélectionnée, l'année dernière, a proposé, en effet, un texte sur le décryptage de la violence à la télévision adapté aux enfants.
    Une signalétique efficace, lisible et harmonisée constitue, c'est vrai, le premier instrument de contrôle. Le CSA vient de faire l'effort de simplifier, à juste titre, la codification précédente. Mais la signalétique ne règle pas toutes les difficultés, lorsqu'elle ne les aggrave pas en incitant précisément les enfants à regarder les programmes qui, en principe, devraient leur être interdits.
    De même, les pouvoirs publics devraient rechercher les justifications d'une tolérance dans la classification des oeuvres cinématographiques en France, actuellement très supérieure à celle de nos voisins européens, car elle inspire ensuite la signalétique télévisuelle. L'exception culturelle française peut-elle suffire à expliquer que, sur 102 films entre 1997 et 2000, la commission de classification ait accordé 62 visas « tout public » quand, pour les mêmes films, le Royaume-Uni n'en a accordé que 29, les Pays-Bas 22, et l'Allemagne 16 ? Il faut donc rendre cohérents les systèmes de signalétique. Par exemple, le classement des films diffère de celui de la télévision, et il n'y a pas de classement pour les vidéos, les DVD et sur Internet.
    Par ailleurs, sur un plan plus large, je partage les conclusions du rapport du CIEM - Collectif interassociatif enfance et médias - sur l'environnement médiatique des jeunes de zéro à dix-huit ans. Il est du devoir des pouvoirs publics, l'éducation nationale, comme la culture et la communication - de développer les capacités d'évaluation systématique de l'incidence des médias sur l'éducation et la formation des enfants.
    De même, doivent-ils développer leurs efforts en matière d'éducation à l'image - sujet, monsieur le ministre, sur lequel vous m'avez répondu très récemment, avec le ministre de l'éducation nationale - qu'il s'agisse de la télévision, de l'Internet ou des jeux vidéos. Il est primordial d'aider et de guider les enfants dans leur approche et leur consommation des médias.
    A cet égard, l'éducation à l'image, comme le balisage doivent privilégier le dialogue entre enfants, parents et éducateurs, qui constitue le meilleur moyen de former le jugement. Cet objectif est d'autant plus important que la consommation de télévision s'accroît très régulièrement - 3 heures 33 minutes en moyenne par jour - et que les chaînes publiques considèrent, et je le regrette, que la jeunesse n'est pas un enjeu privilégié. Ce sont autant de raisons pour agir très rapidement.
    Nous franchissons aujourd'hui, une première étape. Il faut continuer à travailler ensemble de manière permanente, en se fixant quatre objectifs : créer les moyens de comprendre et de corriger les effets de la violence et de la pornographie sur les enfants ; rendre plus cohérente la signalétique qui serait étendue à l'ensemble du système médiatique, et pas uniquement à la télévision ; relancer les programmes jeunesse de qualité à la télévision et faire de l'éducation à la société une véritable priorité nationale. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Le Guen, pour cinq minutes.
    M. Jean-Marie Le Guen. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dès l'âge de deux ans, nos enfants regardent plus de deux heures par jour la télévision, qui est devenue depuis de nombreuses années le troisième pilier de l'éducation dans notre pays après la famille et l'école. Son financement, qu'il s'agisse du service public ou des chaînes privées, est essentiellement assuré par la publicité. Les professionnels en charge de la programmation sont donc tenus de respecter la logique de l'Audimat et recherchent avant tout l'efficacité commerciale. A aucun moment du processus n'interviennent des pédagogues, des acteurs autres que les professionnels, souvent de bonne foi et parfois de qualité, mais qui, à l'évidence, restent largement en dessous de l'ambition éducative qui devrait être la nôtre.
    Les premières valeurs véhiculées sont celles de la consommation : nous apprenons à nos enfants à être avant tout des consommateurs.
    M. Dominique Richard. C'est vrai !
    M. Jean-Marie Le Guen. Ils ne savent pas encore lire, ils ont encore du mal à distinguer ce qui leur propre et ce qui relève de la société, qu'ils doivent déjà fournir un premier effort - et que font sans doute d'ailleurs la plupart d'entre eux - en discernant le réel, le fictif et le commercial. Tel est leur premier apprentissage.
    M. Dominique Richard. Exactement.
    M. Jean-Marie Le Guen. Peut-être ne peuvent-ils pas toujours prendre suffisamment de distance.
    La télévision les sollicitent d'abord en tant que consommateurs : ils sont conduits à réfléchir et à intervenir par un acte d'achat. Nous sommes dans la période de Noël, allez donc dans votre bureau regarder n'importe quelle chaîne et vous verrez de quoi il retourne.
    M. Michel Herbillon. Pas la Chaîne parlementaire ! (Sourires.)
    M. Jean-Marie Le Guen. Je vous le concède.
    C'est bien sûr le jouet qui suscite d'abord leur convoitise de consommateur. Pourtant, de nombreuses familles françaises ne pourront pas offrir à leurs enfants des produits de consommation présentés comme un élément d'identité et de valorisation du jeune. Vous imaginez leur frustration. A quatre, cinq, six, huit ou dix ans, il faut apprendre, c'est tout le travail de la maturation, à gérer ses frustrations - même à un âge plus avancé, nous avons parfois du mal ! Que doivent-ils penser ? Quelle éducation donnons-nous en créant des situations de frustration, en tout cas chez beaucoup d'entre eux ?
    La publicité diffusée pendant les programmes destinés à la jeunesse vante aussi à profusion les confiseries. Monsieur Bur, vous et moi qui travaillons sur la santé publique, savons qu'aujourd'hui 15 % des jeunes sont obèses dans notre pays. L'obésité est une maladie à laquelle nos sociétés occidentales sont particulièrement exposées, elle nous posera des problèmes majeurs.
    Par facilité et par laxisme, nous avons laissé s'installer un état de fait qui n'est pas supportable.
    La majorité précédente a réagi mais de manière insuffisante. Elle a commandé le rapport Dagnaud, qui constitue un élément primordial pour commencer à réfléchir et à définir notre action. Elle a proposé aussi, dans le cadre du développement de France Télévisions, la création d'une chaîne destinée aux jeunes sur la télévision numérique terrestre.
    Les moyens financiers à mobiliser sont, je vous le rappelle, largement à notre portée. Nous dépensons plusieurs centaines de milliards pour l'éducation nationale et fournissons à notre télévision publique des ressources, certes insuffisantes mais tout de même considérables. Nous pourrions bien rassembler les 200 à 250 millions d'euros nécessaires pour transformer complètement notre environnement audiovisuel.
    Mes chers collègues, il était parfaitement légitime d'intervenir dans les rapports entre la jeunesse et la télévision. Toutefois, nous ne pouvons les uns et les autres qu'être incités à aller plus loin. Sans exagérer la polémique, ce débat ne saurait nous satisfaire : nous avons une proposition de loi un peu « riquiqui », une discussion un peu ridicule au fur et à mesure de laquelle nous prenons conscience de l'immensité des responsabilités qui sont potentiellement les nôtres.
    Après Mme Boutin et M. Françaix, j'insisterai sur la nécessité de mettre enfin en place une commission d'enquête. Nous avons été bombardés de rapports de personnalités, de qualité inégale et inspirés par une vision souvent partielle, pour ne pas dire partiale.
    L'Assemblée nationale serat-elle donc la dernière à se saisir de cette question de société ? Pouvons-nous nous contenter de la manière dont nous l'abordons ce matin ?
    M. Patrice Martin-Lalande. Nous sommes d'accord.
    M. Jean-Marie Le Guen. Nous avons tous le sentiment, et j'en termine, que nous ne sommes qu'au début d'une prise de conscience.
    M. Yves Bur, rapporteur. C'est juste !
    M. Patrice Martin-Lalande. Ce n'est qu'un début.
    M. Jean-Marie Le Guen. Il faut maintenant que la représentation nationale s'empare du sujet, donne des signes forts et prenne l'engagement. C'est ce que j'attends de nos collègues de la majorité...
    M. Dominique Richard. Tout à fait !
    M. Patrice Martin-Lalande. Nous ferons ce que vous n'avez pas fait !
    M. Jean-Marie Le Guen. La question n'est pas là. Encore une fois, la majorité précédente a initié un certain nombre de choses même si c'était insuffisant.
    Certes, nous pouvons toujours voter l'article 1er de la proposition de notre collègue Bur, mais franchement nous passerions à côté de l'essentiel. Il est temps que l'Assemblée nationale se mobilise et qu'elle diligente une commission d'enquête qui réfléchisse à tous les aspects des rapports entre les enfants, les jeunes et l'audiovisuel.
    M. Patrick Bloche. Très bien !
    M. le président. La parole est à M. Jérôme Rivière.
    M. Jérôme Rivière. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour définir la conception de la proposition de loi qu'Yves Bur, Marie-Jo Zimmermann et moi-même avons déposée, je commencerai par préciser ce qu'elle n'est pas.
    Elle n'est pas un outil de censure ou d'interdiction - peu importe les mots, leur signification est la même - conçu pour empêcher ou perturber le bon fonctionnement de telle ou telle chaîne de télévision. Le texte est fidèle à l'esprit qui a présidé aux travaux de l'opposition pendant les cinq années de la législature précédente, celui des campagnes présidentielle et législative où nous dénonions tous, dans nos circonscriptions, le sectarisme de la gauche plurielle, sa volonté d'imposer sans écouter, son ardeur à faire des choix à la place des individus.
    Nous avons donc imaginé un texte qui respecte la personne en fournissant à chacun les moyens nécessaires pour exercer souverainement ses responsabilités. Cet engagement à associer plus de liberté à plus de responsabilité se trouve au coeur du pacte républicain proposé aux Français par Jacques Chirac. Nous souhaitons protéger les enfants en nous souvenant que leurs parents sont les premiers responsables. Comment imaginer que notre majorité, d'inspiration libérale et humaniste, propose que la loi se substitue à l'autorité et au rôle des parents ? Pour la société de liberté et de responsabilité que nous envisageons, un tel interdit serait une véritable privation de liberté, le déni de la responsabilité des parents dans l'éducation de leurs enfants. Cette liberté ne saurait toutefois être un alibi pour faire n'importe quoi.
    Trop de programmes comportant de scènes de grande violence ou des scènes pornographiques sont aujourd'hui disponibles sans contrôle, mettant ainsi de jeunes enfants en contact avec des images dont leur équilibre psychologique se passerait bien. Il fallait en passer par la loi, d'une part, pour envoyer un message non crypté aux chaînes de télévision, d'autre part, pour renforcer l'action du CSA. Le premier objectif est en passe d'être atteint puisque nous voyons fleurir dans la presse des communiqués indiquant que les dispositions techniques que le texte, s'il est voté, imposera.Marie-Jo Zimmermann nous a informés que Canal + avait pris des engagements sérieux sa diffusion tant numérique pour analogique. Encore faut-il qu'ils soient respectés. C'est pourquoi les pouvoirs du CSA doivent être renforcés.
    Mais il ne s'agit en aucun cas d'interdire la diffusion pure et simple des films pornographiques. De quel droit ? Je rappelle que 20 % des abonnés de Canal Plus regardent le film du samedi soir. Durant nos campagnes, il n'a jamais été question d'imposer nos choix à nos concitoyens mais plutôt de leur donner des outils pour conjuguer responsabilité et protection des enfants. C'est ce que nous tentons de faire avec ce texte.
    La loi sur l'audiovisuel de 1986 est bonne. Elle postule que la communication audiovisuelle est libre. Elle instaure le CSA, autorité indépendante, qui garantit l'exercice de cette liberté. Notre démarche a été pragmatique. Il s'agissait, à l'occasion d'une proposition de loi, non pas de réécrire un texte sur l'audiovisuel mais plutôt de l'amender, sur la base du constat que les jeunes téléspectateurs étaient insuffisamment protégés. Nous ne sommes pas les seuls à l'avoir remarqué puisque, dès le 7 juin, le Gouvernement confiait une mission sur ce sujet à Mme Kriegel. M. Mathus, tout à l'heure, nous demandait de faire plus. Avec mes deux collègues, nous n'avions pas l'ambition de remédier par un texte à cinq ans d'inaction du précédent gouvernement.
    M. Frédéric Dutoit. C'est trop facile !
    M. Jérôme Rivière. Il faut, comme le soulignait Pierre-Christophe Baguet, pousser plus loin la réflexion.
    En effet, le rapport rendu par Mme Kriegel désigne, outre les films, d'autres produits diffusés - téléfilms, fictions réalité, clips vidéo - et d'autres supports tels Internet ou les jeux vidéo. Comme nombre d'entre vous, j'ai découvert ces jeux en vente à l'occasion des fêtes de Noël. Leur objectif unique est le vol de voitures et l'assassinat des personnages du monde virtuel qu'ils mettent en scène ! Mais pour de jeunes esprits, surtout s'ils sont fragiles psychologiquement, sommes-nous bien certains que la différence est claire entre réalité et illusion ? Il est nécessaire d'installer une autre commission, pour la surveillance et le contrôle des jeux vidéo par exemple. Faudra-t-il la placer sous l'autorité du ministre de la culture ? Ce n'est pas certain car s'agit-il encore de produits culturels ?
    L'enfant n'a pas la capacité de gérer seul sa liberté. Il appartient aux adultes, en particulier à ses parents, de l'accompagner. La tâche devient quasi impossible si la télévision offre sans discernement des produits en self-service, toujours disponibles dès que l'on appuie sur le bouton marche/arrêt.
    Quelques amendements proposent d'améliorer le dispositif en facilitant la tâche du CSA. Ce sont de bonnes mesures qui permettent à chacun de mieux faire face à ses obligations et à ses responsabilités. Il est important qu'aujourd'hui le CSA, autorité indépendante, sorte renforcé de nos débats, que ses pouvoirs soient plus clairs et que nous lui manifestions notre confiance.
    Alors, je mets en garde mes collègues tentés par une approche plus sévère et animés de motivations estimables et sincères - le souci de protéger les mineurs - : n'agissez pas comme le boy-scout, qui, pour faire sa bonne action quotidienne, force un aveugle à traverser la route. Une B.A., c'est bien, encore faut-il atteindre l'objectif recherché. Un durcissement des règles ne nous y aiderait pas. Il n'est pas possible, après un débat court, de décider une mesure liberticide. Nous n'honorerions pas notre assemblée.
    Sur ces bancs, nous souhaitons tous, sortir de l'époque de déresponsabilisation dans laquelle notre société a trop longtemps été maintenue par la gauche. Nous ne pouvons ni maintenir le statu quo et laisser les mineurs sans protection, ni instaurer des interdits arbitraires qui placeraient les individus sous la tutelle de l'Etat. C'est la raison pour laquelle nous vous proposons ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Yves Bur, rapporteur. Très bien !
    M. Patrick Bloche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comment ne pas avouer une réelle perplexité devant une proposition de loi déposée et débattue dans la précipitation, sans qu'ait eu lieu préalablement le large débat qu'auraient nécessité des questions aussi complexes ?
    A entendre certains, les tenants de la liberté d'expression et de création auraient échappé au pire, à savoir l'interdiction pure et simple de la diffusion à la télévision de programmes et des scènes de pornographie ou de violence gratuite. Votre proposition de loi, monsieur le rapporteur, serait ainsi un moindre mal, après les offensives successives du ministre de la famille, du président du CSA, de M. de Courson, enfin de Mme Boutin et d'une centaine de ses collègues de l'UMP.
    Une mention particulière peut d'ailleurs être décernée à M. Baudis, si peu pressé d'appliquer la loi lorsqu'il s'agit de sanctionner des propos dégradants, insultants ou discriminatoires tenus à la radio ou à la télévision à l'encontre de certaines catégories de la population, et pourtant si prompt à jouer les pères « la pudeur », quitte à se faire désavouer par Mme Reding lorsqu'il accuse à tort le législateur de ne pas avoir véritablement transposé l'article 22 de la directive « télévision sans frontières ». Je m'étonne d'ailleurs, compte tenu des principes républicains qui régissent le fonctionnement de nos institutions, que le président d'une autorité administrative prétende de la sorte tenir la main de celles et ceux qui font la loi, dépositaires de la légitimité la plus forte qui soit en démocratie, celle conférée par le suffrage universel.
    M. Richard Mallié. M. Baudis l'a eue avant vous !
    M. Patrick Bloche. De fait, monsieur le rapporteur, nous sommes conduits à nous poser la seule question qui vaille : quelle est l'utilité d'inscrire dans la loi le double cryptage que vous nous proposez, alors que cette solution technique, efficace avant tout sur le numérique, est d'ores et déjà acceptée et même proposée par les diffuseurs concernés, Canal + en tête ?
    Curieuse façon de vouloir à tout prix légiférer pour rien, puisque ce qui devrait apparaître comme une contrainte fait actuellement l'objet d'un large consensus chez des professionnels qui ont pris l'initiative sans vous attendre. Mais voilà, monsieur le rapporteur, vous avez, avec vos deux collègues, ouvert la boîte de Pandore, et les apprentis censeurs qui vous cernent et qui, au passage, sont d'ailleurs beaucoup plus obsessionnels sur la pornographie que sur la violence, se sont engouffrés dans la brèche.
    Ainsi, depuis l'examen en commission, votre proposition de loi comporte un article 2 qui l'aggrave car, de l'initiative catégorie père fouettard, on passe à une offensive concertée pour mettre en place une censure d'Etat à l'encontre de la création cinématographique. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Jean-Marc Nudant. Scandaleux !
    M. Yves Bur, rapporteur. Excessif !
    M. Patrick Bloche. J'évoque à dessein une offensive concertée, tant les déclarations du ministre délégué à la famille, hier, ont été éclairantes, avec l'annonce de son décret dans les quatre mois. La journaliste qui l'interrogeait a d'ailleurs dit qu'il profitait de la vague pour forcer les portes de la commission de classification des films, commission dans laquelle, rappelons-le, siègent déjà des représentants des associations familiales.
    M. Dominique Richard. Un seul !
    M. Patrick Bloche. Plus préoccupante encore est la détermination de M. Jacob à faire sauter ce qu'il considère visiblement comme un verrou, à savoir la minorité de blocage dont disposent, au sein de la commission, les réalisateurs et les producteurs pour s'opposer à l'interdiction de certains films aux moins de dix-huit ans.
    M. Yves Bur, rapporteur. C'est tellement rare !
    M. Patrick Bloche. Après le coup de semonce qu'a constitué la publication du rapport hors sujet de la commission Kriegel, on peut finalement se demander si la télévision n'est pas un prétexte et si ce n'est pas le cinéma qui est visé par cette agression caractérisée d'un lobby familialiste bien identifié au sein de notre hémicycle et au-delà. Si notre collègue M. Brard était là, il y verrait sans doute une nouvelle fois la main de l'Opus Dei. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Jean-Pierre Grand. Lamentable !
    Mme Henriette Martinez. N'importe quoi !
    M. Dominique Richard. On a les obsessions qu'on peut !
    M. Patrick Bloche. Je ne fais qu'évoquer des propos de M. Brard.
    M. François Goulard. Et pourquoi pas l'Ancien Régime ?
    M. le président. Poursuivez, monsieur Bloche.
    M. Patrick Bloche. Ce qui est plus qu'une impression ne peut être que renforcé par le fait que l'interdiction des programmes violents et pornographiques entre sept heures et vingt-deux heures trente à la télévision est effective depuis plus de treize ans et que, par ailleurs, les films de cinéma représentent 3 % du temps de la programmation des chaînes de télévision hertzienne en clair. Visiblement, le ministre délégué à la famille ne souhaite pas s'arrêter à l'introduction du visa conjoint, véritable épée de Damoclès menaçant la liberté de création cinématographique dans notre pays.
    On vise aussi Internet invariablement associé à la pédophilie. De grâce, s'il faut naturellement lutter contre ce fléau en développant des moyens de filtrage efficaces, ne cédons pas au fantasme qui voudrait que le réseau des réseaux soit un espace échappant à toute réglementation. Tout particulièrement depuis la loi du 1er août 2000, les prestataires techniques sont responsables, sous l'autorité du juge, des contenus qu'ils hébergent.
    M. le président. Je vous remercie de conclure.
    M. Patrick Bloche. A ce rythme - et je conclus, monsieur le président - on peut craindre que, avec M. Jacob, avant la fin de la législature nos enfants ne puissent plus lire Titeuf qui est pourtant actuellement l'une de leurs BD préférées parce que les sujets abordés pourraient vite apparaître comme subversifs pour certains membres de la majorité.
    M. Dominique Richard. Caricature !
    M. Patrick Bloche. Mes chers collègues, nous aurions pu, ce matin, avoir un vrai débat de société. Nous aurions pu ainsi intégrer dans nos échanges les propositions très concrètes contenues dans le rapport du collectif interassociatif enfance-médias qui fait d'ailleurs régulièrement l'objet d'un véritable détournement. Nous aurions pu débattre sur la corégulation de l'environnement médiatique, sur la coresponsabilité des professionnels avec les parents, les éducateurs et les partenaires sociaux, sur l'éducation aux médias, à l'image et à l'information dès le plus jeune âge, sur une politique audacieuse de la jeunesse dans les médias, en particulier ceux du service public.
    Au lieu de cela, par des initiatives intempestives et parce que votre proposition de loi, monsieur le rapporteur, est finalement inutile, vous nous amenez à nous demander tout simplement si, dans cet hémicycle, l'ordre moral n'est pas de retour. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Michel Herbillon. Ce qui est excessif est insignifiant !
    M. Patrick Bloche. Vous l'avez déjà dit quand je suis intervenu sur le budget de la culture !
    M. Michel Herbillon. C'est une constante !
    M. Patrick Bloche. Une constante de vos interpellations !
    M. le président. La parole est à Mme Henriette Martinez.
    Mme Henriette Martinez. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il me paraît opportun de rappeler, en commençant ce propos, que nous parlons, aujourd'hui, de protection des mineurs.
    Mme Christine Boutin. Absolument !
    Mme Henriette Martinez. Il s'agit, dans ce débat, non pas d'instaurer d'autres principes tendant à interdire, à censurer, comme veulent nous le faire croire certains collègues, notamment le précédent orateur, mais de protéger le mineur. Qui pourrait être contre cette volonté, ici, dans cet hémicycle, sur tous les bancs ?
    M. Michel Françaix. Contre la volonté, non, mais il faut procéder autrement !
    Mme Henriette Martinez. En revanche, monsieur le ministre, il me paraît plus difficile de définir, en fait, où commence la violence et où commence la pornographie. (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste.)
    Le vrai débat, je vous l'accorde, mes chers collègues, est là.
    M. Michel Françaix. Restons jusqu'à minuit, alors !
    Mme Henriette Martinez. Chacun peut en avoir une conception personnelle, mais nous sommes tous d'acord pour vouloir protéger nos enfants. Cela justifie néanmoins le rôle joué par la commission de classification des films et notre volonté qu'elle l'assume pleinement.
    Il paraît évident que nous avons tous à coeur de protéger les enfants des programmes qui perturbent leur équilibre psychologique. La violence vue par des enfants fait peur, cause des troubles, des angoisses nocturnes ; des enfants le disaient encore eux-mêmes, hier soir, sur le petit écran. Elle peut même engendrer, pour les esprits les plus fragiles, la reproduction d'actes violents.
    La pornographie quant à elle perturbe les plus petits, qui n'ont pas encore découvert la sexualité.
    M. Jean-Marc Nudant. Tout à fait !
    Mme Henriette Martinez. Elle brouille les repères des adolescents et fausse leur découverte de la sexualité.
    Alors, nous direz-vous, pourquoi ne débattre aujourd'hui que de la télévision ? Tout simplement parce qu'elle est présente dans tous les foyers en accès libre pour les enfants dont nous savons qu'ils passent en moyenne trois heures par jour devant le petit écran, souvent seuls, pendant que les parents travaillent. Ils sont face à un nombre croissant de scènes violentes : cinq à dix scènes par heure à des périodes de grande écoute. Or, si les parents peuvent mettre sous clé certaines cassettes vidéo, les magazines, les CD-Rom, s'ils peuvent refuser d'acheter des jeux vidéo, au demeurant suffisamment coûteux pour que les enfants ne puissent, en principe, se les procurer seuls, ils ne peuvent aujourd'hui mettre sous clé des programmes qui arrivent dans leur maison malgré eux.
    Même pour Internet, dont pourtant certains sites sont particulièrement indignes, les familles peuvent choisir des fournisseurs d'accès sécurisés qui interdisent aux mineurs les sites pornographiques et autres, de nature à les perturber. Il doit en être de même aujourd'hui pour la télévision et les moyens préconisés sont simples.
    D'abord, le double cryptage remplira ce rôle de régulation en limitant l'accès aux programmes violents et pornographiques.
    Ensuite, la nouvelle composition de la commission de classification et les modalités de fonctionnement que vous nous avez annoncées, monsieur le ministre - et dont je prends acte avec satisfaction - permettront de mieux prendre en compte les droits de l'enfant. Aujourd'hui, en effet, ainsi que le constate Mme Kriegel, la France ne classe que 20 % des films, contre 80 % pour nos voisins, et nos critères sont plus laxistes que les leurs.
    Monsieur le ministre, en débattant de cette proposition de loi nous voulons affirmer à la fois les droits de l'enfant et, cela me paraît important, la responsabilité des parents dans le choix des programmes.
    Notre débat aura également eu pour mérite de sensibiliser l'ensemble de la communauté éducative, les médias, les producteurs, le CSA et l'ensemble de nos concitoyens à ce problème de la violence et de la pornographie à la télévision. Souhaitons que cette sensibilisation entraîne une prise de conscience et aide chacun à prendre ses responsabilités à l'égard des enfants.
    Pour ma part, je tiens à dire ici que s'il était nécessaire de protéger les mineurs des images de violence et de pornographie qui les pertubent psychologiquement, il conviendra d'aller plus loin et de les protéger aussi des violences qu'ils subissent dans leur corps par les maltraitances physiques et sexuelles dont ils sont encore trop souvent les innocentes victimes.
    Si cette proposition de loi est la première occasion donnée au Gouvernement de témoigner de sa volonté de mieux protéger nos enfants, il convient de s'en réjouir et de la voter sans état d'âme. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le président. La parole est à M. Dominique Richard.
    M. Dominique Richard. « Il est temps qu'on admette, une fois pour toutes, que les enfants ne sortent pas indemnes de la répétition d'images dégradantes. » Avec cette déclaration du 16 mars 2002, après avoir installé le CIEM, Mme Ségolène Royal, alors ministre chargée de la famille, posait toute l'ampleur du débat qui nous réunit aujourd'hui, et qui, à l'évidence, devrait transcender les clivages partisans.
    Il est à votre honneur, monsieur le ministre, d'avoir, dès votre prise de fonctions, commandé à Mme Kriegel un rapport sur la violence et la pornographie à la télévision. En effet, la question, la seule question, difficile s'il en est, est bel et bien la recherche du meilleur équilibre entre l'indispensable liberté de création et le devoir républicain de voir l'Etat protéger le plus faible, en l'occurrence l'enfant, parfois le très jeune enfant.
    L'exercice est difficile, mais, comme chaque fois qu'il est une tâche difficile, la solution ne réside-t-elle pas dans le retour aux valeurs essentielles qui fondent notre pacte républicain plutôt que la soumission à l'air du temps ? Or notre pacte républicain repose notamment sur les engagements de la France.
    Doit-on rappeler, à cet égard, que la convention internationale des droits de l'enfant, ratifiée par notre pays le 2 juillet 1990, dispose que les Etats signataires « s'engagent à protéger les enfants contre la violence et les traitements cruels » ?
    Quant au rapport du CIEM, il affirme : « Une forme de maltraitance est subie par les enfants soumis à la pornographie télévisuelle : ils vivent ces images comme une agression dont les conséquences sont assimilables à celles d'un abus sexuel. » En effet, comme nous le rappelle le pédopsychiatre Claude Allard, déjà cité par notre rapporteur, « l'enfant, totalement immergé dans les images : a de plus en plus de difficultés à discerner ce qui s'adresse à lui ».
    Violence extrême, pornographie, l'heure n'est assurément pas aux querelles sémantiques, tant il m'apparaît que la pornographie n'est qu'une des déclinaisons de la dérive sociétale qui consiste à ne pas respecter l'autre en tant que personne, à croire que, dans une démarche consumériste, « sa vie ou son corps m'appartient, pour peu que j'en aie décidé ainsi. »
    L'actualité du printemps 2002, rappelée par Mme Zimmermann, est, à cet égard, édifiante : dans la banlieue nantaise, le 3 juin, un lycéen de dix-sept ans a poignardé mortellement une voisine de quinze ans après avoir revêtu la tenue et le masque du tueur de Scream ; à Lyon, le 11 mai, huit collégiens ont participé au viol collectif d'une adolescente de quinze ans, mais cinq d'entre eux avoueront ne pas très bien comprendre ce qu'on leur reproche ! Comment s'étonner alors d'entendre cette jeune fille déclarer, le 19 novembre sur M 6, un terrible : « Ça fait peur d'être une fille dans une cité ! »
    Tous les travaux de recherche menés depuis trente ans, notamment aux Etats-Unis mais également en France, ont montré l'influence de la télévision sur les passages à l'acte violent. Ainsi, l'étude de Huesman, portant sur une période de vingt-quatre ans, a mis en évidence le fait que les garçons qui avaient beaucoup vu d'images violentes à l'âge de huit ans, avaient, à trente ans, un casier judiciaire plus chargé que les autres.
    D'autres travaux de recherche menés par Hearold, sélectionnant 230 études impliquant 100 000 sujets - excusez du peu ! - atteste que, dans tous les cas, la multiplication d'émissions violentes était liée à l'apparition de comportements plus agressifs.
    Sur des êtres faibles, et dépourvus de sens critique aiguisé, la frontière est ténue entre le virtuel et le réel. Notre propos est bien de protéger l'être faible en apportant une réponse au conflit d'intérêt entre le principe de liberté, qui, nul ne le conteste, est au coeur de notre société démocratique, et la protection du droit de l'enfant ainsi que de l'image de la femme, voire de la mère, présentée comme une marchandise.
    Mme Christine Boutin. Très bien ! C'est l'enjeu !
    M. Dominique Richard. Il est des propos que l'on ne veut plus entendre : ceux, par exemple, d'une ancienne responsable de la haute autorité, passée dans une société de production de films X, qui n'invoque que le manque à gagner d'une industrie spécialisée.
    Mes chers collègues, quel que soit le banc sur lequel nous siégeons, comment ne pas nous révolter unanimement face à un tel cynisme ? Comment ne pas ressentir l'impérieux devoir de réagir ?
    C'est ce que vous avez fait, monsieur le rapporteur, en déposant cette proposition avec Mme Zimmerman et M. Rivière. Je vous en remercie, comme je vous remercie, monsieur le ministre, d'apporter votre soutien à cette initiative parlementaire. Elle ouvre enfin le débat et propose une solution qui constitue un progrès certain. Ne boudons pas notre plaisir !
    Mais je crains que le compte n'y soit pas pour autant. L'institution d'un double cryptage n'est en effet qu'une des solutions, parmi d'autres que préconise la commission Kriegel. Mes chers collègues, il faut bien évidemment voter ce texte, mais n'imaginons pas que, comme Ponce Pilate, nous aurons ainsi définitivement réglé l'affaire. Il nous faudra, à l'évidence, avoir d'autres rendez-vous législatifs ; plusieurs collègues l'ont déjà souligné.
    De même, la redéfinition de la place du service public - d'une certaine façon, le rapport de Mme Clément ne dit pas autre chose - et le débat sur la TNT seront autant d'occasions de réfléchir à nouveau à ce que nous voulons transmettre à nos enfants. Le reste est accessoire. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le président. La discussion générale est close.
    La parole est à M. le président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.
    M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. Je veux avant tout, monsieur le ministre, remercier devant vous tous mes collègues pour la mesure des propos qu'ils ont tenus.
    M. Jean-Marie Le Guen. Quelle mesure ? (Sourires.)
    M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. Monsieur Le Guen, je vous remercie particulièrement.
    Il est, selon moi, tout à fait normal de demander aux chaînes de mettre la pornographie et la violence extrême hors de la portée des enfants. A ce propos, nous sommes en droit de leur demander qu'elles mettent en oeuvre des dispositifs efficaces, qui devront naturellement être visés et validés par des experts indépendants. Il me semble qu'il s'agit d'un ajustement auquel toutes les parties concernées peuvent consentir, car c'est une solution de bon sens.
    Il ne saurait, bien évidemment, être question d'aseptiser le petit écran et de prohiber toute représentation de violence ou d'érotisme. Le rapporteur souhaite - à moins que je ne me trompe - renforcer la vigilance des chaînes et responsabiliser les parents, qui seront conduits à faire des choix, au cas par cas, dans la réception de ces programmes sur leur téléviseur. Tel est bien, n'est-ce pas, monsieur le rapporteur, l'esprit de votre intervention ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Jean Le Garrec. Laissez-le parler, c'est le président de la commission !
    M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. J'ai le droit, monsieur le président Le Garrec, comme vous l'avez fait à de nombreuses reprises, de féliciter les rapporteurs.
    M. Jean Le Garrec. Ne faisons pas de comparaisons ! (Sourires.)
    M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. Merci de ce propos plein de bon sens, et qui me va droit au coeur. (Rires sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Jean Le Garrec. On peut échanger et débattre ! Je suis à votre disposition.
    M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. En réalité, le véritable débat est celui de la capacité d'une société à s'autolimiter, à fixer des limites, voire certains interdits. C'est aussi ce qui nous structure en tant qu'êtres humains.
    Je crois qu'Yves Bur, Marie-Jo Zimmermann et Jérôme Rivière ont bien fait de poser aujourd'hui la question de la protection des mineurs contre la diffusion de programmes comprenant des scènes de violence extrême ou de pornographie. Nous avons en effet assisté ces dernières années à deux phénomènes concomitants.
    Tout a été dit au cours du débat sur le premier phénomène : l'impact incroyablement puissant de la télévision et de la culture qu'elle véhicule, spécialement sur des enfants qui la regardent plusieurs heures par jour, car ils sont particulièrement réceptifs, influençables et vulnérables, vis-à-vis des messages qu'elle délivre.
    Le deuxième phénomène est constitué par le fait que la sphère privée n'est plus régie par les mêmes règles. La violence, la sexualité, mais aussi, plus largement, l'intimité, sont devenues des affaires publiques. Elles ne sont plus encadrées par une morale commune qui formatait les esprits, mais elles ne trouvent plus de limites non plus dans des valeurs collectives. La vision incessante de victimes de conflits, la demande de l'auteur de l'attentat d'Oklahoma City, que son exécution soit diffusée en direct, la promotion des biographies des hardeurs sur les plateaux télévisés, les émissions de Mireille Dumas, Loft Story, bref tout ce qui a été cité aujourd'hui, de même que certains écrits, eux aussi évoqués, sont autant d'indices de la fin de la notion de vie privée.
    Nous assistons peut-être à un véritable bouleversement social, monsieur le ministre. Tout est désormais sur la place publique : une nouvelle manière de vivre ensemble se dessine,...
    Mme Christine Boutin. Il ne faut pas généraliser !
    M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. ... pour le meilleur, et peut-être pour le pire.
    M. le président. La parole est à M. le ministre de la culture et de la communication.
    M. le ministre de la culture et de la communication. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, je tiens tout d'abord à saluer la qualité du débat et, comme vient de le relever le président Dubernard, sa mesure. Ce débat était nécessaire, nous ne pouvions en faire l'économie. Il a été alimenté par une abondante réflexion, laquelle s'est d'ailleurs déroulée sur plusieurs années. C'est à un débat de qualité que nous assistons. J'ai pour ma part beaucoup apprécié le ton nuancé des propos.
    La place occupée par la télévision dans le déversement du flot d'images et de sons qui se répand sur le monde a été appréciée de façon très juste. En effet, si le rôle de la télévision doit être examiné, pris en compte et régulé, il faut bien prendre la mesure qu'il n'est pas le seul à jouer dans ce processus et qu'il va d'ailleurs, il faut en être conscient, se marginalisant : Internet est également un pourvoyeur d'images, et d'images souvent beaucoup plus redoutables que celles que diffuse la télévision.
    M. Jean-Marie Le Guen. Ce n'est pas la même chose !
    M. le ministre de la culture et de la communication. La vidéo est, elle aussi, pourvoyeuse d'images, et elle constitue sans doute aujourd'hui le principal mode d'accès familial au cinéma.
    M. Jean-Marie Le Guen. Ce n'est pas pareil.
    M. le ministre de la culture et de la communication. C'est vrai, monsieur Le Guen, ce n'est pas la même chose. La télévision occupe dans le champ de l'accès social aux images une place qui reste prépondérante. Nos concitoyens passent chaque jour plusieurs heures devant leur poste de télévision et il n'est pas rare de voir dans les familles, de bonne heure le matin, les enfants installés devant le téléviseur, livrés au déversement des images des programmes.
    Néanmoins, la prise en compte des problèmes liés à la télévision ne doit pas nous faire perdre de vue les autres vecteurs de déversement, pour le meilleur et pour le pire, d'images.
    Le deuxième élément qui doit nous conduire à bien cibler notre propos est le fait que le cinéma n'occupe dans le champ de la programmation télévisuelle qu'une part relativement marginale : environ 7 % du temps passé en moyenne devant le petit écran.
    M. Jean Le Garrec. C'est un chiffre très important.
    M. le ministre de la culture et de la communication. C'est un chiffre important mais je tiens à souligner que d'autres programmes, en dehors de la diffusion des oeuvres cinématographiques, peuvent avoir un rôle percutant, déstabilisant.
    M. Jean Le Garrec et M. Jean-Marie Le Guen. Bien sûr.
    M. le ministre de la culture et de la communication. Je pense notamment à certaines émissions qui donnent des relations entre les hommes une image extrêmement violente...
    M. Jean Le Garrec. Absolument !
    M. le ministre de la culture et de la communication. ... une image...
    M. Jean-Marie Le Guen. Dévalorisante.
    M. le ministre de la culture et de la communication. ... brutale, une représentation d'exclusion des hommes par les hommes.
    M. Jean Le Garrec. Très juste.
    M. Jean-Marie Le Guen. Et par les femmes. Le maillon faible !
    M. le ministre de la culture et de la communication. La qualité et la rectitude morale des programmes de télévision sont, et seront toujours, de la responsabilité des éditeurs de programmes. Nous devons établir des barrières, définir des normes. Nous devons empêcher des débordements inadmissibles. Mais, en fin de compte, de même que la responsabilité des individus, et notamment des parents, devra toujours s'exercer, de même, celle des éditeurs de programmes sera toujours de veiller à ce qu'en aucun cas des programmes auxquels peuvent être exposés des regards désarmés, des regards de jeunes, ne puissent inclure des représentations inadmissibles du monde, de la société et de l'homme.
    J'ai noté avec beaucoup d'intérêt votre attachement au développement de l'éducation à l'image. Celle-ci est extrêmement importante. Patrice Martin-Lalande en a parlé ainsi que plusieurs d'entre vous. Mon collègue Xavier Darcos, a lui-même insisté sur la nécessité de développer des programmes spéciaux à cet effet.
    M. Jean-Marie Le Guen. Il parlait de la vidéosurveillance, ce n'est pas la même chose. (Sourires sur les bancs du groupe socialiste)
    M. le ministre de la culture et de la communication. Ils doivent occuper dans les dispositifs d'éducation artistique de l'éducation nationale une place importante.
    Je dirai quelques mots, puisque la question a été soulevée par plusieurs orateurs, du travail engagé à la suite du rapport Kriegel pour modifier la rédaction de l'article 227-24 du code pénal. Celle-ci est tellement large et vague que les procureurs hésitent à l'utiliser. Le ministère de la culture et de la communication s'est rapproché de la chancellerie afin de préciser l'incrimination.
    Le Gouvernement est conscient du fait que les citoyens, et notamment les plus jeunes, sont exposés à l'influence des images, que ce soit celles de la publicité, celles diffusées par la télévision ou celles auxquelles Internet permet d'accéder.
    Néanmoins, vous le savez, la violence et la pornographie, pour autant qu'on soit attaché à les réprimer - et il faut l'être -, sont, hélas ! l'une des faces noires de notre humanité. Nos aïeux ont imaginé que la nature même de l'homme avait été corrompue par une faute originelle, tellement ils étaient épouvantés par la capacité de leurs semblables à se livrer au mal. Gilles de Rais n'a été soumis à l'influence d'aucun programme de télévision, et pourtant il a occupé dans l'histoire de la noirceur une place particulière du fait du caractère épouvantable de ses actes. Les guerres de religion n'ont été conditionnées par le spectacle d'aucune image violente, et pourtant elles ont tristement marqué l'histoire de notre pays et de l'Europe.
    Cela ne veut pas dire, naturellement, qu'il n'y ait rien à faire. Il faut agir et c'est le but de cette délibération. Il faut d'ailleurs le faire avec détermination mais en ayant bien conscience que le mieux est toujours devant nous. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)

Discussion des articles

    M. le président. J'appelle maintenant les articles de la proposition de loi dans le texte de la commission.

Avant l'article 1er

    M. le président. Mme Boutin a présenté un amendement, n° 21, ainsi rédigé :
    « Avant l'article 1er, insérer l'article suivant :
    « Dans le troisième alinéa de l'article 15 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, après les mots : "avertissement au public, sont insérés les mots : "diffusé pendant toute la durée du programme. »
    La parole est à Mme Christine Boutin.
    Mme Christine Boutin. Nous avons, dans notre très grande majorité, affirmé notre souci que les parents puissent assumer leurs responsabilités. Cet amendement, comme le suivant, traduit notre préoccupation puisqu'il propose que l'avertissement au public soit diffusé pendant toute la durée du programme.
    Le rapporteur m'a objecté en commission que la signalétique montrant que le programme est déconseillé aux moins de dix ans, aux moins de douze ans, aux moins de seize ans ou aux moins de dix-huit ans suffisait à l'information des parents. Je propose que l'avertissement au public, qui n'apparaît que quelques instants au début de la projection, puisse figurer de façon permanente pendant la diffusion du film, de façon que les parents soient véritablement éclairés et puissent ainsi exercer leurs responsabilités.
    M. le président. Quel est l'avis de la commission?
    M. Yves Bur, rapporteur. La nouvelle signalétique définie par le CSA est beaucoup plus explicite que les pictogrammes, utilisés jusqu'à présent, totalement incompréhensibles.
    M. Patrice Martin-Lalande. Il y a du mieux !
    M. Yves Bur, rapporteur. Entrée en vigueur le 18 novembre, elle est appliquée sur l'ensemble des chaînes, à l'exception, naturellement, d'Arte.
    M. Patrice Martin-Lalande. Et de la chaîne parlementaire !
    M. Yves Bur, rapporteur. La nouvelle signalétique se compose d'un message d'avertissement lisible la première minute et par un pictogramme indiquant très clairement pendant toute la durée du film si celui-ci est déconseillé aux moins de dix ans, aux moins de douze ans, aux moins de seize ans ou aux moins de dix-huit ans. Je considère que ce dispositif est suffisamment clair. La loi ne pourra pas renforcer à l'infini cette signalétique. Les parents ont très bien compris le sens des pictogrammes, qui sont très explicites. C'est la raison pour laquelle l'amendement n° 21 a été repoussé par la commission.
    M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
    M. le ministre de la culture et de la communication. Je partage l'avis de la commission.
    M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Le Guen.
    M. Jean-Marie Le Guen. Je n'ai pas bien compris le sens de l'amendement de Mme Boutin. S'agit-il simplement de faire appliquer ce qui existe déjà, c'est-à-dire le système de pictogrammes, ou bien de faire passer en surimpression sur les images une sorte de filtre,...
    Mme Christine Boutin. Non, pas du tout !
    M. Jean-Marie Le Guen. ... destiné à cacher avec pudeur certaines scènes ?
    M. Pierre-Christophe Baguet. Quelle caricature !
    M. Jean-Marie Le Guen. Pouvez-vous, madame Boutin, nous expliquer exactement le sens de votre amendement ? Je pressens une certaine orientation, mais j'aimerais des précisions.
    M. le président. La parole est à Mme Christine Boutin.
    Mme Christine Boutin. Je pense que M. Le Guen a parfaitement compris le sens de mon amendement. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle) et je ne voudrais pas que nous perdions trop de temps afin que cette proposition de loi puisse être adoptée.
    Tout d'abord, monsieur Le Guen, sachez que je suis contre la censure. Je tiens à le dire officiellement dans cet hémicycle afin que les choses soient claires. Il ne s'agit donc pas du tout de placer un filtre pudique devant les films.
    M. Patrick Bloche. Un voile, alors ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. François Goulard. N'est-ce pas la gauche qui est spécialiste du voile ?
    Mme Christine Boutin. Il ne s'agit pas non plus de voile. Regardez la statue qui décore cet hémicycle !
    M. Jean-Marie Le Guen. Quel est l'avis de l'opposition sur La Religieuse, madame Boutin ?
    Mme Christine Boutin. Je vous en prie, monsieur Le Guen. La signalétique à la télévision est aujourd'hui plus claire. Je rappelle que c'est à la suite d'un rapport que j'avais rédigé en 1994 que les premiers signaux, d'ailleurs complètement incompréhensibles, ont été introduits à la télévision. Une évolution a eu lieu en dix ans et, depuis trois semaines, le système est plus clair.
    Aujourd'hui, un avertissement explicite est diffusé au début du film, mais la mention : « Déconseillé aux moins de dix ans », par exemple, n'est que fugitive. Par cet amendement, je demande qu'elle soit visible pendant toute la diffusion du film, en bas de l'écran, afin de permettre aux parents de bien comprendre la signalétique.
    Mme Marie-Jo Zimmermann. M. Le Guen avait parfaitement compris !
    M. Jean-Marie Le Guen. Monsieur le président, je demande la parole ! (« Non ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. Non, monsieur Le Guen, Mme Boutin a répondu à votre question.
    M. Jean-Marie Le Guen. Je souhaite lui répondre. Nous sommes dans un débat, tout de même ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Mme Marie-Jo Zimmermann. Vous avez très bien compris de quoi il s'agissait, monsieur Le Guen !
    M. Patrice Martin-Lalande. Il y en a qui ne veulent vraiment pas que le texte soit adopté !
    M. le président. Mes chers collègues, je vous en prie...
    M. Jean-Marie Le Guen. S'il est impossible de discuter, il faut le dire tout de suite ! C'est l'opposition que l'on censure en ce moment, pas les films !
    M. le président. Monsieur Le Guen, vous êtes intervenu une première fois sur l'amendement. Vous avez interpellé Mme Boutin, qui vous a répondu. Le moment est venu de passer au vote.
    Je mets aux voix l'amendement n° 21.
    (Après une épreuve à main levée douteuse, l'Assemblée est consultée par assis et levé.)
    M. le président. L'amendement n'est pas adopté.
    M. Jean-Marie Le Guen. Que les censeurs se lèvent ! Plutôt que de protester contre l'opposition, vous feriez mieux de vous mettre d'accord entre vous ! Soyez droits dans vos bottes !
    Mme Christine Boutin. Nous sommes droits dans nos bottes, monsieur Le Guen, et droits dans nos votes !

Rappel au règlement

    M. Jacques Barrot. Je demande la parole pour un rappel au règlement.
    M. le président. La parole est à M. Jacques Barrot, pour un rappel au règlement.
    M. Jacques Barrot. Je voudrais tout simplement rappeler qu'il s'agit d'une niche parlementaire.
    M. Jean-Marie Le Guen. A la niche ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Jacques Barrot. Je vous en prie, monsieur Le Guen ! Ça suffit ! Quand vous parlez, je vous écoute sans vous interrompre. C'est à mon tour d'avoir la parole et je demanderai au président de faire respecter mon temps de parole.
    M. le président. Monsieur Le Guen, quand je vous ai donné la parole vous n'avez pas été interrompu. Je vous prie de laisser parler M. Barrot.
    M. Jacques Barrot. Nous examinons un texte d'initiative parlementaire. Le groupe socialiste a également la possibilité d'en déposer et, d'ailleurs, il l'a déjà fait. Nous exerçons là un droit parlementaire.
    M. Michel Françaix. C'est la voix de la sacristie ?
    M. Jacques Barrot. Ce droit doit s'exercer dans la sérénité. Compte tenu du nombre de nos orateurs, nous avons besoin de cinq minutes pour nous concerter.
    M. Jean-Marie Le Guen. N'allongez pas vous-même le débat !
    M. Jacques Barrot. Cher collègue, mon rappel au règlement porte sur la méthode de travail.
    M. le président. Tout à fait.
    M. Jacques Barrot. Je demande une suspension de séance de cinq minutes, monsieur le président, pour nous concerter afin de tenir compte des contraintes horaires de cette assemblée. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. Jean-Marie Le Guen. Fini le libre vote ! Voilà la censure !
    M. Patrice Martin-Lalande. C'est vous qui censurez la majorité.
    M. le président. Monsieur Le Guen, s'il vous plaît ! Laissez terminer M. Barrot !
    M. Henri Nayrou. Monsieur le président, présidez !
    M. le président. Mais je préside !
    M. Jacques Barrot. Ne donnez pas de cette assemblée, monsieur Le Guen, une image qui ne soit pas digne d'une vraie démocratie. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Je le dis, parce que je n'ai pas peur ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.) J'ai d'ailleurs l'intention de soumettre, au nom du groupe UMP, des projets d'amélioration de notre règlement.
    M. Jean-Marie Le Guen. A la niche !
    M. Michel Françaix. Scandaleuse hypocrisie !
    M. le président. Monsieur Françaix !
    M. Jacques Barrot. Je considère en effet que les Français doivent avoir la garantie que le Parlement fonctionne normalement. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains), sans obstruction !
    M. Michel Françaix. C'est scandaleux !
    M. Jacques Barrot. Comment ça scandaleux ?
    Plusieurs députés du groupe socialiste. Oui, scandaleux !
    M. Jacques Barrot. Un président de groupe ne peut-il demander une suspension de séance, simplement pour examiner, compte tenu du temps qu'il nous reste, comment organiser le débat ? Je demande, monsieur le président, une suspension de séance de cinq minutes seulement.
    M. le président. Monsieur le président Barrot, la suspension de séance est de droit.

Suspension et reprise de la séance

    M. le président. La séance est suspendue.
    (La séance, suspendue à onze heures trente-cinq, est reprise à onze heures quarante-cinq.)
    M. le président. La séance est reprise.

Rappels au règlement

    M. Didier Mathus. Je demande la parole pour un rappel au règlement.
    M. le président. La parole est à M. Didier Mathus, pour un rappel au règlement.
    M. Didier Mathus. Mon rappel au règlement est fondé sur l'article 58, alinéa 1, relatif au déroulement de nos débats.
    Nous assistons à un curieux spectacle. Il est, en effet, surprenant de voir le président du principal groupe de cette assemblée venir interférer dans le débat et même proposer d'en modifier l'organisation, pour qu'elle corresponde à ses voeux ! C'est une singulière façon de voir les choses.
    M. Richard Mallié. Caricature !
    M. Didier Mathus. Et lorsque la séance a repris, nous avons bien compris qu'il avait essayé de mettre de l'ordre dans sa majorité qui était singulièrement divisée. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Yves Bur, rapporteur. Pas du tout !
    Mme Marie-Jo Zimmermann. Vous êtes mal placé pour dire cela.
    M. Didier Mathus. Tout cela pèse sur le déroulement de notre discussion. Aussi, au nom du groupe socialiste, je demande une suspension de séance de cinq minutes.
    M. le président. La suspension est de droit. Mais avant de suspendre la séance, je vais donner la parole à M. Frédéric Dutoit, pour un rappel au règlement.
    M. Frédéric Dutoit. Monsieur le président, mes chers collègues, jeune parlementaire, j'avoue être très surpris par la façon dont ce débat se déroule. (Murmures sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.) Je ne comprends pas pourquoi, alors qu'il s'agit d'une niche parlementaire et que le débat a été engagé, la séance ne pourrait pas se poursuivre normalement. Il me paraît donc nécessaire de demander, moi aussi, une suspension de séance.
    M. le président. Monsieur Mathus, monsieur Dutoit, cette suspension de séance est de droit, elle va donc vous être accordée. Néanmoins, je vous fais observer que le président Barrot est venu s'exprimer au nom du groupe UMP et que c'est son droit également de demander une suspension de séance pour se concerter avec son groupe.
    Nous sommes dans le cadre d'une fenêtre parlementaire et nos travaux doivent s'effectuer dans les limites de la matinée prévue à cet effet. Chacun a pu s'exprimer librement et il est tout à fait normal qu'à un moment du débat nous fassions le point sur l'organisation du débat lui-même.
    M. Henri Nayrou. Mais c'est à vous de le faire !
    M. le président. Je vous remercie de le souligner.

Suspension et reprise de la séance

    M. le président. La séance est suspendue.
    (La séance, suspendue à onze heures cinquante, est reprise à onze heures cinquante-cinq.)
    M. le président. La séance est reprise.
    L'amendement n° 22 n'est pas soutenu.

Article 1er

    M. le président. « Art. 1er. - Après le troisième alinéa de l'article 15 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, sont insérés deux alinéas ainsi rédigés :
    « Il veille par ailleurs à ce que des programmes comprenant des scènes de violence gratuite ou de pornographie ne soient pas mis à la disposition du public par un service de radiodiffusion sonore ou de télévision, sauf lorsque seules des personnes majeures sont en mesure de les voir ou des les entendre. Il s'assure pour cela que ces programmes ne sont diffusés que sur des services accessibles sur abonnement et après mise en oeuvre, par les éditeurs et distributeurs concernés, d'un dispositif, opérationnel sur l'ensemble des terminaux permettant d'accéder au service, subordonnant systématiquement l'accès à chacun de ces programmes à la composition d'un code personnel.
    « Les bandes-annonces représentant des images violentes ou pornographiques, ou titres pornographiques, sont prohibées pendant les heures protégées. »
    Sur cet article, plusieurs orateurs sont inscrits.
    La parole est à M. Jean Le Garrec.
    M. Jean Le Garrec. Monsieur le président, vous me prenez par surprise, il m'avait semblé que plusieurs de mes collègues devaient s'exprimer avant moi.
    M. le président. Vous êtes le premier, monsieur Le Garrec !
    M. Jean Le Garrec. Je m'interroge sur le fait qu'ils y aient renoncé. J'aurais beaucoup aimé, pourtant, entendre M. Herbillon qui a joué un rôle important au sein de la mission sur le cinéma que j'avais créée. Elle a travaillé pendant un an et rendu un rapport extrêmement intéressant. Sans doute s'est-il passé quelque chose. Je suis donc le premier. Soit.
    Mon intervention a simplement pour objet d'interroger le ministre.
    A propos de la violence, un accord assez général s'est dégagé sur tous les bancs de cette asssemblée. Il y a aussi un accord assez général, me semble-t-il, pour convenir que l'article 1er ne traite pas à fond du problème. Et chacun a bien compris l'importance de ce que nous demandons, c'est-à-dire une commission d'enquête sur le problème de la violence.
    L'article 2 est encore plus dangereux, car il cible un seul support : le cinéma. Or j'ai retenu le chiffre cité par le ministre, le cinéma ne représente que 7 % des images diffusées sur les écrans de télévision et il y a bien d'autres véhicules de la violence, du racisme et du machisme susceptibles d'influencer les jeunes ! Mais, comme par hasard, nous ne parlons pas de ces sujets !
    Par exemple, quand à « Star Academy » deux garçons tabassent une fille - et j'emploie à dessein le verbe tabasser - personne ne réagit ! On parle du cinéma, mais le ministre le sait mieux que quiconque, et la mission que j'avais créée l'a démontré, le cinéma est, en même temps qu'un art, une industrie, et une industrie extrêmement fragile. M. Herbillon, en particulier, sait combien l'exception culturelle française en matière de cinéma est fragile elle aussi. Et son équilibre économique tient en partie au financement de la télévision. J'ajoute que le cinéma est déjà très contrôlé. La commission joue un rôle extrêmement important et fournit un travail très précis, très sérieux, avec des votes secrets.
    On dit qu'en France on est extrêmement laxiste. C'est vrai si l'on compare avec l'Angleterre où Ken Loach est interdit aux moins de dix-huit ans,...
    M. Jean-Claude Thomas. Entre les deux, il y a une marge !
    M. Jean Le Garrec. ... où Le Fabuleux Destin d'Amélie Poulain est interdit aux moins de quinze ans, de même que Les Visiteurs au motif qu'on y relève des grots mots ou des scènes gauloises ; que l'on aime ou que l'on n'aime pas, c'est une autre affaire. De pareilles comparaisons n'ont pas de sens car nous n'avons pas la même conception de l'art de raconter des histoires.
    Le texte, en ciblant sur un seul support, risque de le fragiliser gravement, alors qu'il participe de l'exception culturelle française. Là est le problème, monsieur le ministre. Cela dit, j'ai bien compris - et l'amendement déposé par le rapporteur le démontre - que l'on ne va pas garder l'article 2. Mais, tout le monde le sait - M. Jacob, ministre délégué à la famille, s'est exprimé sur ce sujet -, vous allez revoir le décret, monsieur le ministre, alors que, par ailleurs, vous avez demandé à M. Kessler une mission sur la commission de contrôle, en concertation avec les producteurs et les diffuseurs. Le moins qu'on puisse vous demander, c'est que le futur décret soit soumis à ces derniers, à l'occasion d'une véritable négociation.
    Je crois savoir, monsieur le ministre, que cette remise en cause du décret, concernant la composition de classification des oeuvres cinématographiques, porterait sur deux éléments : d'une part, sur la composition du premier collège, le ministère de la famille pourrait prendre la place du ministère de l'intérieur, par exemple - ce qui, en soi, ne me pose pas de problème ; d'autre part, sur le régime de l'interdiction aux moins de dix-huit ans, et ce point m'inquiète en revanche beaucoup. Un glissement serait opéré qui consisterait à banaliser l'interdiction, jusqu'à présent exceptionnelle, aux moins de dix-huit ans. Pourquoi cette évolution ?
    M. Jack Lang avait lancé le mouvement, avec l'interdiction aux moins de douze ans et aux moins de seize ans, pour prendre en compte une certaine maturité de la jeunesse et l'accès à de nombreuses images. Tout le monde s'accorde là-dessus, et il n'est pas question de remettre en cause cette distinction. L'interdiction exceptionnelle aux moins de dix-huit ans, elle, a été introduite par Mme Tasca pour prendre en compte un désaccord que le Conseil d'Etat avait relevé entre l'avis de la commission et la loi pénale à propos d'un film - et je demande qu'on n'utilise pas à mon égard le double cryptage puisque je vais donner le titre pour que les choses soient claires - il s'agissait du film Baise-moi. Donc l'interdiction exceptionnelle aux moins de dix-huit ans ne concernait qu'un film et elle était intervenue après un débat suscité par la décision du Conseil d'Etat.
    Or je crains qu'il soit décidé que cette interdiction exceptionnelle, qui actuellement doit être votée à la majorité des deux tiers, pourra être prise à la majorité simple, comme c'est le cas aujourd'hui pour les interdictions aux moins de douze ans et c'est ce glissement, cette banalisation de l'interdiction aux moins de dix-huit ans qui me préoccupe car elle pourrait avoir des conséquences extrêmement graves sur la diffusion de films à l'heure de grande écoute, sur donc le financement.
    Monsieur Barrot, cessez de montrer votre montre au président. Mais laissez-le présider, il sait que j'interviens rarement et peu longuement.
    M. le président. Monsieur Le Garrec...
    M. Jean Le Garrec. Mais le jeu en vaut la peine.
    M. le président. ... je vous demande de conclure.
    M. Jean Le Garrec. Merci de votre indulgence. Je disais simplement que M. Barrot n'avait pas besoin d'attirer l'attention du président.
    M. Bernard Accoyer. Mêlez-vous de vos affaires !
    M. Jean Le Garrec. En tout cas, c'est ainsi que je conçois les choses quand je préside.
    M. Michel Françaix. Censeurs !
    Mme Françoise de Panafieu. La règle est la même pour tous !
    M. Jean-Marie Le Guen. Excusez-nous d'être là !
    M. le président. Madame de Panafieu, la règle vaut pour tout le monde, je l'applique toujours avec beaucoup d'équilibre.
    M. Jean-Marie Le Guen. Jamais nous n'avons traité l'opposition comme çà quand nous étions dans la majorité.
    M. Jean Le Garrec. Monsieur le ministre, ma question est extrêmement simple : quels sont vos projets concernant la modification du décret ? Là est le fond du problème, même si je regrette que l'on cible, et vous l'avez dit vous-même, sur le seul support du cinéma, alors qu'il existe bien d'autres canaux de diffusion de la violence.
    M. le président. Merci, monsieur Le Garrec.
    M. Jean Le Garrec. C'est en cela que ce texte ne nous paraît pas approprié et que nous demandons une commission d'enquête.
    M. le président. La parole est à M. Didier Mathus.
    M. Didier Mathus. Monsieur le président, je m'étonne du climat dans lequel se déroule le débat. Alors que nous étions tous d'accord sur la nécessité d'avoir une vraie discussion sur ces questions, importantes pour toute la société, le président du groupe UMP, au nom d'un ordre non plus moral mais tout simplement procédural, s'emploie à resserrer les boulons d'une majorité qui partait dans tous les sens. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Richard Mallié. Ne prenez pas vos désirs pour la réalité !
    M. Didier Mathus. Il en a bien sûr parfaitement le droit, mais je m'interroge tout de même sur cette volonté d'escamoter le débat.
    M. le président. Monsieur Mathus, soyez gentil de revenir sur l'article 1er.
    M. Jean-Marie Le Guen. Laissez-le dire ce qu'il veut !
    M. Didier Mathus. Vous savez bien que nous sommes là au coeur même du sujet.
    M. Jean-Marie Le Guen. Absolument !
    M. le président. Parlez du fond parce que je vous rappelle que votre temps de parole est limité à cinq minutes.
    M. Didier Mathus. Je suis bien dans le sujet, monsieur le président. Cette proposition de loi...
    M. Jean-Marie Le Guen. Nulle et non avenue !
    M. Didier Mathus. ... constitue un artifice dont use la majorité pour déborder le Gouvernement sur la thématique, dans laquelle il excelle pourtant, du retour à l'ordre moral. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Jean-Pierre Grand. Cela vaut toujours mieux que le désordre immoral !
    M. Didier Mathus. On essaie de verrouiller le débat, alors que c'est un vrai sujet.
    Sur le fond, tout le monde sait que cet article 1er n'a aucune portée réelle et concrète.
    M. Jean-Marie Le Guen. Zéro !
    M. Didier Mathus. Tous les opérateurs concernés proposent d'ores et déjà des systèmes de double cryptage sans qu'il y ait besoin de légiférer. Il ne restait qu'un cas à régler, celui de Canal Plus analogique. Et cela aurait pu être fait très simplement. Pour empêcher les enfants d'accéder à la vision d'images choquantes sur le film X de Canal +, il suffit que les parents retirent la carte à puce du décodeur. C'est un geste simple, voire rustique, qui ne fait appel à aucune prouesse technologique. Nul besoin donc d'un support législatif pour inventer cette formule du double cryptage qui est, d'ores et déjà, mise en place par les opérateurs et qui relevait, tout simplement, d'une concertation entre le CSA et les opérateurs.
    La question la plus grave et la plus sensible est celle de la violence et la majorité n'a pas de solution. Nous n'avons même pas de définition claire : qu'est-ce que la violence excessive, la violence gratuite ? Il faut reconnaître que c'est un sujet difficile, dont on parle depuis déjà quelques siècles. Qu'est-ce que la société est capable d'admettre pour réguler sa propre violence ? On ne le sait pas. Les philosophes s'interpellent depuis l'antiquité grecque pour essayer de déterminer cette norme. Je ne crois pas que l'on puisse résoudre ce problème ce matin.
    La commission « Kriegel » a bien proposé une définition de la violence, « la force déréglée qui enlève l'humanité d'autrui », mais on mesure tout de suite les limites de cette définition. Imaginons qu'une télévision décide de retransmettre l'exécution des condamnés à mort américains, nous ne sommes pas là en présence d'une force déréglée, mais au contraire de la force méthodique, organisée et planifiée d'une société à travers son corpus législatif et institutionnel. Et la définition de Mme Kriegel ne convient pas.
    Bref, cette proposition de loi n'a pas de véritable objet. Elle témoigne simplement d'un mouvement intellectuel profond qui travaille aujourd'hui la majorité et qui s'apparente à une volonté de restauration des valeurs néo-conservatrices. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Richard Mallié. Caricature !
    M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Le Guen.
    M. Jean-Marie Le Guen. Nous avons eu ce matin une discussion tout à fait intéressante, et nos points de vue semblaient converger. La majorité des intervenants a en effet pu constater que nous ne touchions, avec cette proposition de loi, qu'à un aspect extrêmement étroit du problème et que les difficultés auxquelles nous étions confrontés étaient évidemment beaucoup plus générales.
    M. Patrice Martin-Lalande. On peut dire ça de beaucoup de lois !
    M. Jean-Marie Le Guen. Or, au moment où nous allions discuter des articles, une crispation apparaît au sein de la majorité qui fait que nous allons complètement passer à côté du débat.
    Mme Christine Boutin. Pas du tout !
    Mme Françoise de Panafieu. Est-ce que nous avons une tête de crispés ?
    M. Jean-Marie Le Guen. Pour ma part, je suis extrêmement favorable à la proposition de Mme Boutin de créer une commission d'enquête, pour permettre, contrairement au souhait du président du groupe UMP, que le débat ne soit pas fermé, mais enfin ouvert.
    Pour certains d'entre nous, c'est le problème de la pornographie et de la violence qui est posé. Pour d'autres, même si ce problème fait partie du débat, ce qui est en cause c'est la mission éducative de la télévision, et singulièrement du service public, et cela relève bien de la responsabilité des politiques. C'est pourtant le pilier fondamental de l'éducation de nos enfants, un élément primordial de ce que pourrait être la citoyenneté, de ce que pourrait être l'éducation sanitaire. Nous en parlons sur d'autres bancs, notamment au sein de la commission, nous savons l'importance de ces sujets. Et, aujourd'hui, on voudrait, par une espèce de queue de poisson, en terminer avec cette question ?
    M. Patrice Martin-Lalande. Non, on commence !
    M. Jean-Marie Le Guen. Quelles que soient nos divergences, même à l'intérieur des groupes, nous devons débattre de ces questions. C'est la raison pour laquelle nous sommes fondamentalement opposés à l'idée que tout ce que nous avons abordé ce matin soit simplement conclu par un article mineur.
    M. Patrice Martin-Lalande. Il ne s'agit pas de conclure !
    M. Michel Herbillon. Nous avons bien compris que vous ne vouliez pas que nous votions le texte ! (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)
    M. Jean-Marie Le Guen. Mes chers collègues, je m'adresse aux anciens d'entre vous, je n'ai pas souvenir - et je comprends toutes les disciplines de minorité - qu'une minorité ait été traitée de cette façon. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Michel Herbillon. Vous avez des trous de mémoire !
    M. Jean-Marie Le Guen. Vous pourrez sûrement, monsieur Herbillon, me faire part de précédents que j'examinerai avec intérêt.
    M. Michel Herbillon. Ils sont nombreux !
    M. Jean-Marie Le Guen. Parce que ce débat dépasse le simple clivage majorité-opposition, nous voulons, mes chers collègues, que chacun ait la possibilité de s'exprimer et de développer des idées, souvent excellentes. J'avais moi-même essayé, non sans difficulté sous la majorité précédente en tant que rapporteur des questions de communication, de pose ce type de questions. Puisque vous avez pris l'initiative d'une proposition de loi, je trouve dommage de vouloir la réduire et refermer la parenthèse.
    M. Patrice Martin-Lalande. Au contraire, nous ouvrons le débat.
    M. Jean-Marie Le Guen. Il faut l'ouvrir, ce débat.
    M. Patrice Martin-Lalande. Faisons-le aujourd'hui !
    M. Jean-Marie Le Guen. Comme nous l'avons fait pour la loi Evin en matière de santé publique, nous pourrions décider une réglementation en avance sur le reste de l'Europe. Nous avons les moyens de refuser le conformisme. L'éducation de nos enfants est aujourd'hui, en grande partie, confiée aux moyens audiovisuels. Nous devons ouvrir ce débat avec toutes les précautions de liberté, en respectant le pluralisme philosophique...
    M. le président. Merci, monsieur Le Guen !
    M. Jean-Marie Le Guen. ... et en faisant valoir notre conception de la citoyenneté.
    Mes chers collègues, c'est le sens des interventions que nous ne manquerons pas de faire pendant toute cette matinée.
    M. le président. La parole est à M. Frédéric Dutoit.
    M. Frédéric Dutoit. Monsieur le président, j'aurais pu être d'accord avec les propos de M. Barrot si son souhait de vouloir écourter le débat dans l'hémicycle avait eu pour but d'engager un vrai débat de fond sur la question de la violence et de la pornographie à la télévision. Je le répète, le vote que j'émettrai sur cette proposition de loi dépendra de l'évolution du débat.
    A cet égard, j'ai de nombreuses inquiétudes quant au devenir des divers amendements que la majorité a proposés. Le groupe communiste, pour sa part, n'avait pas déposé d'amendement afin qu'un grand débat national puisse avoir lieu dans de très bonnes conditions. C'est pourquoi je souscris pleinement à la proposition de Mme Boutin et de mes collègues socialistes visant à créer une commission d'enquête afin que nous puissions travailler ce sujet. Quand je vois la division qui semble régner aujourd'hui au sein de l'UMP, je me dis que j'avais tout à fait raison de proposer un vrai débat national, que tout le monde réclame, d'autant que le double cryptage soulève de nombreuses questions sur le plan technique. Le double cryptage interviendra-t-il d'office, et le décryptage se fera alors à l'aide d'un code d'accès, ou bien est-ce les usagers qui le demanderont ? Sera-t-il suffisammment confidentiel pour que les enfants ne puissent le déjouer ?
    Je pense qu'il fallait en rester à l'article unique. Encore faudrait-il définir ce qu'on entend par « violence ». M. Bur disait qu'il ne fallait pas parler de violence gratuite. Faut-il parler alors de très grande violence ?
    Je le répète, je ne sais pas encore quel vote j'émettrai à l'issue de ce débat. Si, comme l'a dit le ministre, le débat est serein et pondéré, ce que je souhaite personnellement - la question est suffisamment sociétale, comme l'on dit, pour intéresser tout le monde - j'ai envie de proposer que le Conseil national de la jeunesse, par exemple, soit associé à la commission de classification des films. Peut-être le ferai-je par voie d'amendement, mais pas dans le cadre de l'article 1er dont ce n'est pas l'objet.
    Je souhaite également discuter des questions qui renvoient à un débat plus général sur les films pornographiques et la grande violence, comme celles qui concernent les cassettes vidéo en vente et en diffusion libre ou l'accès à Internet.
    Ce sont autant de questions qui montrent à quel point nous avons besoin d'un débat serein et pondéré, tant ici, à l'Assemblée nationale, que dans le pays, dans les écoles et les lycées, pour associer à la réflexion les jeunes et les familles même si je ne suis pas du tout favorable au retour à une sorte de tutelle du ministère de la famille au sein de la commission de classification des oeuvres cinématographiques. Je souhaite que ce débat soit mené dans le pays. Peut-être pourriez-vous, monsieur le ministre, avec votre collègue de l'éducation et de la jeunesse, nous indiquer quel engagement vous pourriez prendre pour associer la jeunesse - l'ensemble des associations de jeunesse de France - dans un véritable travail d'éducation populaire qui nous permette d'avoir ce débat serein et de trouver enfin un accord sur des modalités permettant d'éviter que les films pornographiques ou de très grande violence puissent être présentés à des enfants à la télévision. Je vous remercie.
    M. le président. La parole est à M. Henri Nayrou. ...
    La parole est à M. Michel Françaix.
    M. Michel Françaix. Monsieur le président, nous pensions que le débat de cette matinée nous permettrait de réfléchir et même de mettre chacun devant ses propres contradictions. S'il y a, en effet, un domaine dans lequel nous manquons de certitudes, c'est bien celui-là. Il était donc particulièrement intéressant d'entendre, venant des divers bancs de cette assemblée, des arguments qui nous invitaient à réfléchir et à considérer cette matière sous un angle nouveau. Je n'ai pas honte de dire qu'à l'intérieur de notre propre groupe, nous ne sommes pas tous d'accord quand il s'agit d'aborder les problèmes de la violence et de la pornographie.
    Il n'est donc pas du tout anormal que, dans le groupe superpuissant que représente l'UMP à l'heure actuelle, des différences puissent se manifester. Ces différences doivent enrichir le débat, et apporter à chacun d'entre nous des éléments nouveaux au moment où nous devons faire la loi.
    On nous avait dit qu'il n'y aurait aujourd'hui qu'une petite loi technique. Or nous nous trouvons devant un grand problème de société sur lequel chacun d'entre nous essaie de s'exprimer et d'y voir clair, car le monde bouge, et nous ne pouvons pas rester immobiles. Le monde de l'image a transformé la société au cours des vingt dernières années.
    M. le président. Concluez, monsieur Françaix.
    M. Michel Françaix. Je vais terminer, monsieur le président. S'il ne s'agissait que d'une petite mesure technique - dont nous savons d'ailleurs qu'elle ne nécessitait pas une intervention législative, puisqu'il s'agit d'une certaine façon de reprendre ce qui existe déjà - nous aurions pu nous mettre d'accord, mais à condition que le vrai débat ait lieu et que nous ne sortions pas d'ici, monsieur Barrot, sans nous être mis également d'accord sur la création d'une commission d'enquête parlementaire.
    J'interroge donc le président du groupe UMP pour savoir s'il reprend la proposition de Mme Boutin, car seule une commission d'enquête parlementaire nous permettra de dépasser la vision microscopique avec laquelle nous avons abordé le dossier.
    Si l'un d'entre vous quitte cet hémicycle fier de lui en se disant que nous avons trouvé la solution idéale au problème de la violence dans notre société, alors que nous n'avons évoqué ni la vidéo, ni les jeux télévisés, ni la publicité, ni Internet, c'est à lui - et non à M. Santini - qu'il faudra décerner le prix de l'humour dans quelques mois.
    Je vous demande simplement que nous nous mettions tous d'accord pour reconnaître qu'une commission d'enquête parlementaire est nécessaire. Oui, il faut un véritable débat ; oui, il faut qu'y soient associées l'ensemble des forces vives de ce pays. Certes nous ne sommes pas tous d'accord sur la façon d'aborder cette question, mais nous savons tous qu'elle est capitale pour nos enfants, pour nos petits-enfants, madame Boutin.(Rires.)
    Mme Christine Boutin. Absolument !
    M. Pierre-Christophe Baguet et M. Jean-Marie Le Guen. Un rappel au règlement, madame Boutin !
    M. Michel Françaix. Peut-être allez-vous apprendre, madame Boutin, que c'est moi qui vous ai envoyé des fleurs il y a quelques années. En tous cas, je veux bien vous en envoyer quelques-unes aujourd'hui, puisque vous êtes d'accord avec l'idée selon laquelle seule une commission d'enquête parlementaire nous permettra de sortir de ce problème par le haut.
    M. le président. Merci, monsieur Françaix.
    M. Michel Françaix. Je termine ici monsieur le président.
    M. le président. Non, vous avez terminé, monsieur Françaix.
    M. Jean-Marie Le Guen. Notre collègue a été interrompu !
    M. le président. Non, il ne l'a pas été !
    M. Michel Françaix. Monsieur le ministre, qu'allez-vous faire dans cette galère ?
    M. le ministre de la culture et de la communication. Vous l'avez déjà faite celle-là !
    M. Michel Françaix. Car, après le travail intéressant que vous avez accompli et les réflexions importantes qui ont été engagées par les commissions que vous avez réunies, c'est peut-être vous, monsieur le ministre, qui êtes le plus malheureux d'entre nous.
    M. le président. La parole est à monsieur Jacques Barrot. Pour un rappel au règlement, monsieur Barrot ?
    M. Jacques Barrot. Notre règlement dispose que lorsque plusieurs orateurs de l'opposition - ou de la majorité - sont inscrits sur un article, il est normal qu'une autre voix puisse se faire entendre.
    M. le président. Tout à fait !
    M. Jacques Barrot. C'est donc à ce titre que j'interviens sur l'article 1er.
    Je souhaite répondre très simplement à nos collègues que nous ne prétendons nullement limiter le débat. Celui-ci doit avoir lieu, et il a d'ailleurs commencé. La commission, des affaires culturelles a estimé, j'en suis convaincu, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, que la proposition de loi n'épuisait pas le sujet : elle traduit une prise de conscience des difficultés que rencontrent les parents. Cette proposition de loi est un signal. A cet égard, je veux remercier M. Dutoit et M. Françaix qui ont été très mesurés à l'instant tout en soulignant qu'il s'agissait d'un texte très modeste, ce que nous ne contestons pas. Celui-ci s'inscrit dans la lignée du rapport Kriegel qui a recommandé le double cryptage en soulignant l'impact très net de la diffusion de spectacles violents sur le comportement des plus jeunes.
    Mes chers collègues, les travaux de la commission ont été menés à ma connaissance, en toute démocratie, en toute liberté. Evidemment, nous aimerions que ce débat puisse se prolonger...
    M. Michel Françaix. Allons-y alors !
    M. Jacques Barrot. Non, mes chers collègues, et Jean Le Garrec qui a une grande expérience de la maison et qui est vice-président de l'Assemblée nationale, ne me contredira pas : nous sommes condamnés à suspendre nos débats à treize heures, car l'ordre du jour établi par la conférence des présidents ne permet pas d'aller au-delà.
    M. Jean-Marie Le Guen. Alors, acceptez la commission d'enquête de Mme Boutin !
    M. Jacques Barrot. Monsieur Le Guen, je ne vous ai pas interrompu, alors ne m'interrompez pas.
    M. le président. Monsieur Le Guen, vous n'avez pas la parole.
    M. Jacques Barrot. Nous sommes donc confrontés à un dilemme, monsieur le président. Certes, prolonger le débat serait tout à fait souhaitable, notamment parce que - et je veux les citer - Richard Mallié, Jean-Yves Hugon, Patrick Delnatte, Philippe Vitel, Axel Poniatowski, Emmanuel Hamelin, Michel Herbillon, Françoise de Panafieu, Jean-Marc Nesme et Etienne Pinte ont tous demandé à s'exprimer dans ce débat. Mais nous devons choisir entre deux maux. Le premier consiste à écourter un peu notre débat. (Exclamations et sourires sur les bancs du groupe socialiste),
    M. Patrice Martin-Lalande. Il a déjà duré trois heures et demie quand même !
    M. Jacques Barrot. Le débat a déjà eu lieu en commission.
    M. Jean-Marie Le Guen. Il y a une censure !
    M. Jacques Barrot. Mon cher collègue, j'aimerais ne pas être censuré moi-même.
    M. Jean-Marie Le Guen. Parlons-en.
    Mme Françoise de Panafieu. En l'occurrence, c'est nous, qui sommes censurés !
    M. Jean-Marie Le Guen. C'est vrai.
    M. Richard Cazenave. Soyez un peu responsables !
    M. le président. Laissez monsieur Barrot poursuivre son intervention.
    M. Jacques Barrot. Je termine.
    Certes, le débat ne pourra pas aller à son terme aujourd'hui. Mais il mérite d'être prolongé, et il le sera sous une forme ou sous une autre, car nous n'avons pas la prétention d'épuiser le sujet ce matin.
    M. Jean-Marie Le Guen. Vous renvoyez l'ascenseur !
    M. Jacques Barrot. En tout cas, il faudra, et je me tourne vers lui, que le Gouvernement accepte que d'une manière ou d'une autre nous puissions débattre de toute la portée du phénomène auquel nous sommes confrontés et qui vous a en effet conduit, monsieur le ministre, à réunir la commission présidée par Mme Kriegel.
    Le second mal serait de ne rien voter aujourd'hui alors qu'il y a eu un travail de commission et que celui-ci a abouti à un texte, à nos yeux équilibré, de protection et non pas de censure. En outre, il serait regrettable plutôt que de donner le sentiment que l'Assemblée nationale est impuissante à prendre une mesure qui, je le répète, n'a qu'un caractère ponctuel et ne vise pas à substituer qui que ce soit à l'autorité parentale, mais à faciliter l'exercice de celle-ci. Dès lors, monsieur le président, je remercie mes collègues qui ont bien voulu renoncer à leurs amendements, et ce de manière volontaire. (Rires et exclamations sur le bancs du groupe socialiste.) Nous avons le sens du collectif !

    M. François Loncle. C'est incroyable !
    M. Jacques Barrot. Notre priorité est d'envoyer un signal à toutes les Françaises et tous les Français et aux familles qui attendent quelque chose. Bien entendu, nous ne prétendons pas avoir le dernier mot sur ce problème. Nous avons simplement le souci d'aller de l'avant, sans tomber dans la censure, en permettant aux parents de ce pays de mieux exercer leurs responsabilités. Nous donnons donc la priorité au vote du texte. C'est pourquoi nous avons renoncé, les uns et les autres, à notre temps de parole et nous essaierons également de retirer la plupart de nos amendements. Il s'agit, encore une fois, d'encourager les familles qui prennent conscience du problème. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)

Rappel au règlement

    M. Jean Le Garrec. Je demande la parole pour un rappel au règlement.
    M. le président. La parole est à M. Jean Le Garrec, pour un rappel au règlement.
    M. Jean Le Garrec. Je voudrais répondre à M. Barrot avec beaucoup de courtoisie. (Exlamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Richard Cazenave. Mais il n'y a pas lieu de répondre !
    M. Jean Le Garrec. Nous avons le sentiment d'une véritable confiscation...
    M. le président. Monsieur Le Garrec, il s'agit bien d'un rappel au règlement ?
    M. Jean Le Garrec. Oui, mon intervention concerne l'organisation de nos débats, monsieur le président.
    M. le président. L'organisation des débats...
    M. Jean Le Garrec. Vous savez bien que c'est de cela qu'il s'agit, monsieur le président !
    Nous assistons à une véritable confiscation de ce débat et cela nous inquiète. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Bernard Accoyer. Vous faites de l'obstruction !
    M. Jean Le Garrec. J'aimerais m'expliquer et être écouté calmement.
    Premièrement, vous parlez, monsieur Barrot, d'une loi ponctuelle.
    M. Patrice Martin-Lalande. Comme toutes les propositions de loi !
    M. Jean Le Garrec. En effet, l'article 1er, qui concerne le double cryptage, est ponctuel, même si nous doutons de l'efficacité réelle de cette mesure et si nous considérons que le vrai problème n'est pas posé. Mais la commission a voté un article 2, qui n'est pas mince, car il cible l'action sur le cinéma, ce qui suscite quelques inquiétudes, que partagent, j'en suis sûr, un certain nombre de mes collègues qui ont participé à la mission d'information sur le cinéma.
    Plusieurs députés du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle. Ce n'est pas un rappel au règlement !
    M. Jean Le Garrec. Je vous en prie, j'ai le droit de m'exprimer ! Ensuite, le Gouvernement a déposé un amendement qui soulève un problème de fond, qui n'est pas ponctuel celui-là, monsieur Barrot, mais majeur pour la culture en France puisqu'il s'agit de la pérennité de l'action que nous menons pour défendre l'exception culturelle française dans le domaine du cinéma.
    Si vous en étiez restés à l'article 1er, cela ne nous aurait pas posé de problème mais le Gouvernement a déposé un amendement à l'article 2, et nous avons du souci à nous faire sur ce qui va se passer réellement.
    Enfin, il ne faut pas oublier que nous avons étéraisonnables puisque nous n'avons pas déposé d'amendements et nous ne nous sommes pas inscrits sur l'article 1er. Or dix orateurs de votre majorité étaient inscrits sur cet article, monsieur Barrot, et 27 amendements ont été déposés. Ce n'est pas nous qui créons la difficulté, c'est votre majorité.
    M. Jean-Marie Le Guen. C'est mal géré !
    M. Jean Le Garrec. Vous comprenez bien que, loin de nous rassurer, le fait que les orateurs de la majorité renoncent à intervenir et retirent leurs amendements renforce nos inquiétudes quant à l'action que vous voulez mener en matière de cinéma aux risques qui en découlent. Je souhaite donc, monsieur le président, réunir mon groupe, je vous demande une suspension de séance de cinq minutes.
    M. Patrick Bloche. Très bien !
    M. le président. La suspension est de droit. Je suspends la séance pour cinq minutes.

Suspension et reprise de la séance

    M. le président. La séance est suspendue.
    (La séance, suspendue à douze heures trente-cinq, est reprise à douze heures quarante.)
    M. le président. La séance est reprise.
     La parole est à M. François Loncle.
    M. François Loncle. En attendant que nos collègues Richard Mallié, Jean-Yves Hugon, Patrick Delnatte,Philippe Vitel, Axel Poniatowski, Emmanuel Hamelin, Michel Herbillon, Françoise de Panafieu, Jean-Marc Nesme et Etienne Pinte s'expriment et participent ainsi à un débat que nous avons toujours jugé utile, en attendant que nos collègues de la majorité défendent leurs vingt-sept amendements, je m'étonne à mon tour de la tournure que ce débat a prise et j'attire votre attention sur son caractère préjudiciable, y compris pour vous-mêmes, mes chers collègues de la majorité.
    M. François Loncle. Nous traitons là d'un sujet de société d'autant plus important qu'il touche à quelque chose de fondamental : la création, la diffusion, la culture, singulièrement le septième art où la France excelle puisque notre industrie s'exporte. La création cinématographique française est la seule au monde à résister depuis des années à la production américaine. Et voilà que l'on nous présente une proposition de circonstance qui, en outre, va être complètement vidée de son sens, puisqu'il est question d'en supprimer certaines parties. Sur ce sujet touchant de près aux libertés, je suis étonné que M. le président Barrot, qui nous a habitué à mieux, exerce une sorte de censure. M. Jacques Anastasie Barrot, (« Honteux !» sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle), pourrait-on dire, est le censeur en chef d'un groupe parlementaire ! (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Bernard Accoyer. C'est scandaleux !
    M. François Loncle. Je suis désolé, mais vous offrez une image détestable du débat public...
    Mme Françoise de Panafieu. C'est vous qui êtes détestable !
    M. François Loncle. ... sur un sujet essentiel.
    M. Guy Geoffroy. C'est scandaleux !
    M. François Loncle. Souffrez que je termine ! Je maintiens la totalité de mes propos !
    Mme Françoise de Panafieu. Vous n'êtes pas digne de conclure ! Demi-portion !
    M. Richard Cazenave. Vous ne vous arrangez pas dans l'opposition !
    M. François Loncle. Etant donné la manière...
    Mme Françoise de Panafieu. Vous êtes pitoyable !
    M. Jean-Marie Le Guen. Monsieur le président, faites respecter le règlement !
    M. François Loncle. Etant donné la manière dont vous avez organisé ce débat et dont vous videz de son sens ce sujet si important, il n'y a pas lieu de légiférer. S'il était possible de déposer des motions sur une proposition de loi, nous l'aurions dit.
    Mme Françoise de Panafieu. Et vous, de quelle manière traitez-vous les autres ! Vous parlez de censure et vous pratiquez l'injure !
    M. François Loncle. Vous savez très bien que les instances professionnelles et les instances publiques sont suffisamment responsables, à condition que l'on dialogue véritablement avec elles, pour aboutir à des procédures et à des dispositions sur lesquelles nous pourrions tomber d'accord. En passant par-dessus ces instances vous émettez, en direction du monde culturel, un signal de dérive d'ordre moral qui porte atteinte aux libertés. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Patrick Delnatte. Vous n'avez rien compris !
    M. François Loncle. Nous disons une fois pour toutes : Oui au débat ! Allez jusqu'au bout de ce débat sans le censurer vous-même ! Oui à la commission d'enquête parlementaire que demandent Mme Boutin et M. Le Guen ! Mais non à cette stupide proposition de loi bâclée et de circonstance ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)

    M. le président. L'amendement n° 17 de Mme Boutin a été retiré.
    M. Jean-Marie Le Guen. Je le reprends, monsieur le président !
    M. le président. Non, il a été retiré avant la mise en discussion de l'article. Vous ne pouvez donc pas le reprendre. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Jean-Marie Le Guen. Je vous prie de m'excuser, monsieur le président !
    M. le président. Non, je suis désolé, s'il avait été retiré en séance, vous pourriez le reprendre, mais ce n'est pas le cas !
    L'amendement n° 18 de Mme Boutin a été également retiré. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    La parole est à M. Frédéric Dutoit.
    M. Frédéric Dutoit. Monsieur le président, comme je l'ai dit tout à l'heure, je ne suis pas encore très familier de la procédure parlementaire et je ne comprends pas bien où l'on va.
    M. Richard Cazenave. Il faut vous former, cher collègue !
    M. Michel Herbillon. Nous nous avons bien compris où vous voulez en venir !
    M. Frédéric Dutoit. Je souhaiterais me concerter avec mes amis du groupe communiste.
    M. Bernard Accoyer. C'est un rappel au règlement ? ou quoi ?
    M. Frédéric Dutoit. C'est pourquoi, monsieur le président, je vous demande une suspension de séance. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.) Vous en avez accordé une tout à l'heure au groupe socialiste.
    M. le président. Désolé, monsieur Dutoit, mais nous sommes dans la discussion de l'article et je ne puis vous l'accorder. (Protestations sur les bancs du groupe des député-e-scommunistes et républicains et du groupe socialiste.)
    M. Bur a présenté un amendement, n° 7, ainsi rédigé :
    « Dans la première phrase du deuxième alinéa de l'article 1er, substituer aux mots : "violence gratuite, les mots : "très grande violence. »
    La parole est à M. Yves Bur.
    M. Yves Bur, rapporteur. Nous voyons là le vrai visage de nos collègues de l'opposition. Ils veulent nous empêcher d'adopter une disposition préconisée tant par le rapport du CIEM, qui a été commandé par Mme Ségolène Royal, que par le celui de Mme Blandine Kriegel qui soulignent la nécessité de mettre en oeuvre très rapidement une telle disposition pour que les enfants soient protégés et n'arrivent pas, par inadvertance, sur des images pornographiques ou d'une grande violence. Ils ont voulu dénaturer ce débat en essayant de faire croire que nous allions vers la censure. Ce que nous proposons aujourd'hui, c'est un texte de responsabilisation des parents. C'est aussi un appel aux responsable des chaînes. Je souligne d'ailleurs que le dépôt de cette proposition de loi a fait évoluer la situation, puisque même Canal Plus, qui souhaitait s'engager pour l'analogique, a proposé un dispositif de responsabilisation. Mais tout cela, vous n'en voulez pas, nous l'avons bien compris. Vous ne voulez pas protéger les enfants. Vous ne voulez pas permettre aux parents d'assurer leur responsabilité. C'est vous qui en porterez l'entière responsabilité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    S'agissant de l'amendement n° 7, la qualification de la violence est toujours difficile. C'est la raison pour laquelle après de longs débats, notamment avec le CSA, je propose de substituer à la notion de « violence gratuite » celle de « très grande violence ». Les programmes de « violence gratuite », tout comme ceux de « violence extrême » sont déjà interdits de diffusion par le CSA. Les programmes de « très grande violence » s'inséreront entre ceux de catégorie IV, qui relèvent de la « grande violence », et ceux de « violence extrême », qui sont interdits de diffusion. Les programmes de la catégorie V, interdits au moins de dix-huits ans, seront donc qualifiés de « très grande violence ». La commission a émis un avis favorable à l'adoption de cet amendement.
    M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
    M. le ministre de la culture et de la communication. Favorable.
    M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Le Guen pour répondre à la commission. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Bernard Accoyer. Non, il s'exprime contre l'amendement, monsieur le président !
    M. Jean-Marie Le Guen. Je réponds au rapporteur, de la même façon que l'un de mes collègues peut répondre au Gouvernement. Je précise, pour que tout soit clair, que nous allons essayer de préserver la sérénité de nos débats.
    M. Bernard Accoyer. Monsieur le président, s'il n'a rien d'autre à dire, il n'a pas à prendre la parole !
    M. Jean-Marie Le Guen. Monsieur le président, j'aimerais que vous décomptiez les interruptions de la majorité de mon temps de parole !
    M. le président. Monsieur le député, vous n'avez rien entendu ! Vous avez la parole, utilisez-la ! Pas longtemps puisque votre temps est limité !
    M. Jean-Marie Le Guen. J'entends bien, monsieur le président, mais vous ne pouvez pas comptabiliser le temps qu'il me faut pour répondre aux vociférations de la majorité !
    M. le président. Vous vous êtes exprimé dans le calme toute la matinée, continuez, monsieur Le Guen !
    M. Jean-Marie Le Guen. Ce débat a commencé dans d'excellentes conditions...
    M. Michel Herbillon. Pas grâce à vous !
    M. Jean-Marie Le Guen. ... alors que nos positions de départ semblaient relativement éloignées.
    M. Richard Cazenave. Sur quoi parle-t-il ? Sur l'amendement ou quoi ?
    M. Jean-Marie Le Guen. Je comprends que vous soyez énervés, mais nous sommes intervenus, durant tout ce débat, de façon convergente, en assumant notre responsabilité de parlementaires. Nous étions d'accord, sur tous ces bancs, pour dire qu'il était intéressant de débattre de ces sujets, mais que le pauvre article 1er dont nous discutons était à la fois très insuffisant par rapport au problème et très incertain quant à son contenu. Nous sommes en effet en train de passer, sans aucune qualification juridique, de la notion de « violence gratuite » à celle de « très grande violence », alors qu'aucun d'entre nous ici ne maîtrise véritablement ces termes. Nous ne légiférons pas dans de bonne conditions. Je le répète : nous ne manifestons pas notre opposition à la nécessité de débattre ; nous nous opposons à votre volonté de refermer brutalement ce dossier pour des raisons purement tacticiennes.
    M. Patrice Martin-Lalande. Nous l'ouvrons au contraire !
    M. Jean-Marie Le Guen. Vous avez essayé de faire un bon coup en flattant une partie de l'opinion publique sur l'ordre moral !
    Mme Françoise de Panafieu. L'orateur ne parle pas de l'amendement, monsieur le président !
    M. le président. Monsieur Le Guen, excusez-moi mais votre intervention contre l'amendement n'est pas très lisible ! Je vous demande de conclure maintenant !
    M. Jean-Marie Le Guen. Monsieur le président, n'allez pas au-delà de votre rôle ! (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le président. Je vous demande de conclure !
    M. Jean-Marie Le Guen. Je parle de la manière dont nous débattons. Je parle de l'amendement même ; c'est-à-dire de la substitution de la notion de « très grande violence » à celle de « violence gratuite ». Vous avez peut-être noté que c'est de cela que nous discutons ! M. le rapporteur a développé une argumentation sur le fait que nous passions d'un concept à un autre. M. Barrot nous a expliqué pourquoi il souhaitait ce changement.
    Mme Françoise de Panafieu. Monsieur le président, ce n'est pas l'amendement !
    M. le président. Madame de Panafieu, ne perdons pas davantage notre temps !
    M. Jean-Marie Le Guen. Or, la mojorité ne souhaite qu'une chose : refermer le débat.
    M. Yves Bur, rapporteur. C'est vous qui le dites !
    M. Jean-Marie Le Guen. Ce que nous voulons, nous, c'est que vous acceptiez la proposition, qui vient de vos bancs, tendant à créer une commission d'enquête. Nous voulons que le Parlement se charge de ces questions, mais nous ne voulons pas qu'il légifère dans l'urgence. Nous voulons prendre le temps de travailler sur une question que nous considérons comme extrêmement sérieuse.
    Mme Françoise de Panafieu. Où est l'amendement dans tout cela ?
    M. Jean-Marie Le Guen. Nous voulons que vous preniez une initiative et que vous vous engagiez à mettre en place une commission d'enquête sur ce sujet. Alors, nous accepterons cette perspective.
    M. le président. Monsieur Le Guen, vous ne parlez pas de l'amendement ! Vous avez épuisé votre temps de parole !
    M. Jean-Marie Le Guen. Vous nous proposez de voter des amendements dont vous êtes incapables de définir le contenu !
    M. Michel Françaix. Monsieur le président, je demande la parole pour répondre au Gouvernement !
    M. le président. Non, monsieur Françaix, c'est une faculté, pas un droit !
    M. Jean-Marie Le Guen. C'est un débat sur la censure, monsieur le président, restez dans votre rôle !
    M. le président. Monsieur Le Guen, je ne vous autorise pas à dire cela ! Vous vous êtes exprimé toute la matinée avec beaucoup de liberté !
    M. Jean-Marie Le Guen. Monsieur le président, restez dans votre rôle ! Ne vous laissez pas impressionner par...
    M. le président. Il vous reste exactement vingt secondes !
    M. Jean-Marie Le Guen. ... une majorité d'autant plus énervée qu'elle a été privée de parole, qu'elle n'a pas pu dire ce qu'elle pense ! (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Yves Bur, rapporteur. C'est vous qui êtes énervé !
    M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 7.
    M. Michel Françaix. Et la réponse au Gouvernement !
    (L'amendement est adopté.)
    M. le président. L'amendement n° 13 est retiré.

Rappels au règlement

    M. François Loncle. Monsieur le président, je demande la parole pour un rappel au règlement.
    M. le président. La parole est à M. François Loncle, pour un rappel au règlement.
    M. François Loncle. Monsieur le président, mon intervention se fonde sur l'article 58, paragraphe 1, de notre règlement concernant l'organisation du débat. Je pensais que nous pouvions répondre au Gouvernement qui s'est exprimé sur l'amendement n° 7. Je voulais intervenir strictement sur l'amendement, rien d'autre ! D'ailleurs, nous devrions pouvoir faire la même chose sur l'amendement n° 13 de M. Baguet.
    M. Bernard Accoyer. C'est un rappel au règlement ?
    M. François Loncle. Mais puisque vous ne nous avez pas permis de répondre au Gouvernement, nous allons être conduits à demander une suspension de séance.
    M. Jean-Claude Thomas. Nous sommes là depuis neuf heures ce matin !
    M. Bernard Accoyer. Cela fait quatre heures qu'on parle !
    M. François Loncle. En traitant de façon précipitée, au détour d'un amendement, de la violence gratuite, de la très grande violence, vous oubliez complètement le problème de la violence dans les journaux télévisés, les émissions d'information.
    M. le président. Monsieur Loncle, ce n'est plus un rappel au règlement, je suis désolé ! Vous avez la parole pour un rappel au règlement concernant l'organisation des travaux, pas sur l'amendement qui vient d'être adopté !
    M. François Loncle. D'accord, mais puisque vous m'avez empêché de répondre au Gouvernement, je demande une suspension de séance au nom du groupe socialiste.
    M. le président. Je vais auparavant donner la parole à M. Accoyer, qui la demande pour un rappel au règlement.
    M. Bernard Accoyer. Merci, monsieur le président. Mon rappel au règlement se fonde sur l'article 58 de notre règlement, alinéa 3. Voilà quatre heures que nous débattons d'une question extrêmement importante que le groupe UMP a voulu inscrire dans sa niche parlementaire.
    M. Jean-Yves Le Déaut. La censure à la niche !
    M. Bernard Accoyer. C'est une question fondamentale puisqu'elle a trait à la réglementation de la diffusion, sur les chaînes de télévision, des images violentes et pornographiques. La commission a travaillé très sérieusement sur ce texte et, au terme de fructueux travaux, a trouvé un équilibre particulièrement heureux. Il était donc possible d'aboutir de façon que ce texte entre en vigueur rapidement. Cela aurait constitué une avancée dans un domaine que n'est pas sans incidence sur l'équilibre des jeunes enfants, l'éducation de notre jeunesse et sur la société dans son ensemble.
    M. Jean-Claude Thomas. Absolument !
    M. Jean-Yves Le Déaut. Et ça, c'est un rappel au règlement !
    M. Bernard Accoyer. C'est une question essentielle et c'est la raison pour laquelle les députés du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle ont voulu inscrire ce texte dans la niche parlementaire.
    M. Jean-Marie Le Guen. Acceptez la proposition de Mme Boutin !
    M. Bernard Accoyer. Or, depuis bientôt deux heures, l'opposition mène une action de pure obstruction parlementaire, assez grossière d'ailleurs. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Jean-Claude Thomas. Tout à fait !
    M. Henri Nayrou. Vous êtes un connaisseur !
    M. Bernard Accoyer. Elle a multiplié les provocations, les suspensions de séance et autres rappels au règlement, sans le moindre fondement, alors qu'elle aurait pu contribuer à l'enrichissement de nos débats et à l'amélioration de notre texte. Cela revient à mépriser les droits du Parlement qui ont été élargis, il y a quelques années, par la création de la procédure des niches parlementaires.
    M. Jean-Marie Le Guen. C'est vous qui empêchez vos collègues de parler !
    M. Henri Nayrou. La majorité est bâillonnée !
    M. Bernard Accoyer. C'est l'opposition elle-même qui est en train de s'en prendre à cette liberté du Parlement ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Mme Françoise de Panafieu. Il a raison ! Nous sommes tous d'accord !
    M. Bernard Accoyer. Malheureusement, nous ne pourrons pas adopter ce texte ce matin, mes chers collègues ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Nous devons aujourd'hui prendre acte, devant la nation, que c'est l'opposition qui aura retardé cette avancée considérable qu'aurait permis l'adoption, ce matin, de ce texte.
    Mme Christine Boutin. La nation sera informée !
    M. Bernard Accoyer. ... pour le bien des enfants, pour l'éducation de la jeunesse et pour la nation. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Michel Françaix. On ne peut pas laisser dire de telles choses !
    M. Patrick Bloche. Vous sonnez la retraite !
    M. Bernard Accoyer. Monsieur le président, le groupe UMP souhaite que la conférence des présidents soit saisie de cette situation extrêmement grave au regard des droits du Parlement, afin qu'elle puisse se prononcer sur la nécessité de poursuivre de ce débat dans les meilleurs délais et, en tout état de cause, sur la prise en compte d'un grave problème qui, en raison de l'attitude de l'opposition n'aura pas pu être résolu, pour le malheur de la France et des Français. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. Pierre-Christophe Baguet, pour un rappel au règlement.
    M. Pierre-Christophe Baguet. Mon rappel au règlement porte sur l'organisation de nos débats. Le groupe UDF regrette sincèrement que des artifices de procédure nous empêchent de débattre au fond. Face à une obstruction évidente, nous avons retiré nos amendements, mais nous tenons à rappeler notre détermination à défendre à la fois la liberté et la responsabilité. Plus que jamais, je rappelle notre attachement à la famille et au rétablissement de l'autorité parentale. Plus que jamais, l'UDF entend défendre la dignité humaine. A ce titre, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, il conviendra d'organiser très rapidement un débat sur la télé-réalité, la violence et la pornographie. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le président. Chacun a pu librement s'exprimer !
    M. Jean-Marie Le Guen. Rappel au règlement !
    M. le président. Non, monsieur Le Guen. Le groupe socialiste a déjà fait un rappel au règlement ! C'est terminé ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Compte tenu de l'heure, nous allons devoir interrompre nos travaux.
    Il appartiendra à la conférence des présidents de déterminer les conditions dans lesquelles la délibération sera poursuivie.

2

ORDRE DU JOUR
DES PROCHAINES SEANCES

    M. le président. Cet après-midi, à quinze heures, deuxième séance publique :
    Suite de la discussion du projet de loi adopté par le Sénat après déclaration d'urgence, n° 326, relatif aux marchés énergétiques et au service public de l'énergie :
    M. François-Michel Gonnot, rapporteur au nom de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire (rapport n° 400).
    A vingt et une heures trente, troisième séance publique :
    Suite de l'ordre du jour de la deuxième séance.
    La séance est levée.
    (La séance est levée à treize heures.)

Le Directeur du service du compte rendu intégralde l'Assemblée nationale,
JEAN PINCHOT