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ASSEMBLÉE NATIONALE
DÉBATS PARLEMENTAIRES


JOURNAL OFFICIEL DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE DU VENDREDI 13 DÉCEMBRE 2002

COMPTE RENDU INTÉGRAL
2e séance du jeudi 12 décembre 2002


SOMMAIRE
PRÉSIDENCE DE M. JEAN LE GARREC

1.  Marchés énergétiques. - Suite de la discussion d'un projet de loi adopté par le Sénat après déclaration d'urgence «...».

QUESTION PRÉALABLE «...»

Question préalable de M. Alain Bocquet : Mmes Marie-George Buffet, Nicole Fontaine, ministre déléguée à l'industrie ; MM. Jean Launay, Jean Dionis du Séjour, Jean-Claude Lenoir, Daniel Paul. - Rejet.

DISCUSSION GÉNÉRALE «...»

MM.
Pierre Ducout,
Jean Dionis du Séjour,
Daniel Paul,
Jean-Claude Lenoir,
Jean Gaubert,
Jean-Pierre Nicolas,
Claude Birraux,
Jean Launay,
Christian Philip,
David Habib,
François Brottes,
Jean-Jacques Guillet,
Pierre Micaux.
Clôture de la discussion générale.

Suspension et reprise de la séance «...»

Mme la ministre.

MOTION DE RENVOI EN COMMISSION «...»

Motion de renvoi en commission de M. Jean-Marc Ayrault : MM. Jean-Yves Le Déaut, le président, Daniel Paul, Jean Dionis du Séjour, Jean-Claude Lenoir, François Brottes. - Rejet.
Renvoi de la suite de la discussion à la prochaine séance.
2.  Ordre du jour de la prochaine séance «...».

COMPTE RENDU INTÉGRAL
PRÉSIDENCE DE M. JEAN LE GARREC,
vice-président

    M. le président. La séance est ouverte.
    (La séance est ouverte à quinze heures.)

1

MARCHÉS ÉNERGÉTIQUES

Suite de la discussion d'un projet de loi adopté
par le Sénat après déclaration d'urgence

    M. le président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat après déclaration d'urgence, relatif aux marchés énergétiques et au service public de l'énergie (n°s 326 et 400).

Question préalable

    M. le président. J'ai reçu de M. Alain Bocquet et des membres du groupe des député-e-s communistes et républicains une motion de renvoi en commission, déposée en application de l'article 91, alinéa 6, du règlement.
    La parole est à Mme Marie-George Buffet.
    Mme Marie-George Buffet. « Tout bien, toute entreprise dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait doit devenir la propriété de la collectivité. » Monsieur le président, madame la ministre déléguée à l'industrie, mes chers collègues, Gaz de France n'échappe pas à ce principe écrit noir sur blanc dans le préambule de la Constitution de 1946. L'énergie gazière est en effet utilisée par nombre de nos concitoyens pour satisfaire des besoins essentiels et elle contribue au développement économique.
    Actuellement, Gaz de France assure un service public d'intérêt national que menace la directive européenne que vous nous proposez de transposer. Aujourd'hui, c'est le marché du gaz qui est sur la sellette, après celui des télécoms, avant, sans doute, celui de La Poste. La logique libérale de Bruxelles, que vous reprenez sans fard à votre compte, repose sur le dogme du marché bienfaiteur.
    En réalité, cette logique ouvre grand les portes à la loi du profit dans des domaines qui en étaient encore protégés. Vous vous apprêtez à mener une offensive brutale contre les services publics, et contre le bien. Or nous avons besoin d'un grand secteur public pour répondre aux défis économiques et sociaux de notre temps, d'un secteur public renouvelé, citoyen, étendu. Nous avons besoin de ces salariés du public qui sont au service de nos concitoyennes et de nos concitoyens. Il y a dans ce monde des ressources, des énergies, des activités indispensables au bien-être des hommes et des femmes, au développement harmonieux et durable. Elles relèvent de l'intérêt général et ne sauraient être abandonnées ni à la concurrence ni à des gestions guidées par la course au profit, échappant à la souveraineté nationale et dont l'objectif n'est pas de satisfaire les besoins humains.
    Madame la ministre, l'ouverture du marché constitue un nouveau coup porté à l'édifice patiemment construit de la solidarité nationale. Il ne vous suffira pas de plaider la confiance, comme il est de coutume de le faire à la tribune du Gouvernement depuis le changement de majorité. Le 3 octobre dernier, les salariés d'EDF et de GDF ont exprimé leurs inquiétudes. Vous les avez entendus « cinq sur cinq », avez-vous affirmé dans ce même hémicycle. Mais vos actes démontrent le contraire. Les salariés ont exprimé leur attachement à leur statut, à leur mission, à leur entreprise publique au service des usagers. Mais vous leur répondez : « marché, concurrence ». Malgré vos déclarations, je crains donc que vos appels à la confiance manquent de crédit et que l'heure soit plutôt à la méfiance.
    La transcription en droit français de la directive de 1998, que nous abordons aujourd'hui, concerne les règles communes pour le marché intérieur du gaz. Vous semblez ne pas vous satisfaire de son périmètre puisque, dans son titre même, vous incluez l'ensemble des marchés énergétiques, reculant ainsi sur l'électricité. Il est vrai, madame la ministre, que vous vous êtes dite prête, au cours du Conseil des ministres des Quinze consacré à l'énergie, à débattre de la libération totale du marché du gaz et de l'électricité, y compris pour les particuliers. Nous n'en sommes qu'à la première étape, mais vous voulez accélérer le processus visant, à terme, à la privatisation de Gaz de France et d'autres entreprises. En confrontant GDF à un marché ouvert, vous voulez tout simplement l'obliger à adopter les normes sociales et économiques de ses hypothétiques concurrents.
    C'est le même dogme libéral qui vous pousse à cette triste entreprise. Visiblement, votre gouvernement supporte mal que la France soit une exception en Europe, avec un secteur public fort, efficace, bénéficiant d'une image éminemment populaire. De nombreuses enquêtes d'opinion ont montré la profondeur de ce sentiment, particulièrement vivace s'agissant d'EDF et de GDF.
    Les Françaises et les Français, madame la ministre, défendent le service public. Ils savent que celui-ci est garant de l'égalité de traitement des usagers. Ils savent aussi le rôle qu'il a joué et qu'il joue dans l'aménagement du territoire et dans la structuration des droits sociaux dans notre pays. En outre, EDF et GDF ont la réputation d'être des entreprises efficaces et opérationnelles, notamment en cas de crises graves, comme au moment de la tempête de 1999 ou des récentes inondations. Le service n'est pas une idée faible, c'est une valeur essentielle.
    En conséquence, il n'y a aucune raison valable, y compris économique, pour détruire le service public du gaz, pas plus d'ailleurs que tout autre. Pourquoi faudrait-il brader un secteur public efficace et en bonne santé ? Les vertus de la concurrence n'ont rien d'une évidence absolue, à en croire la guerre économique et les inflations dans le secteur des télécoms, à en croire les promesses qui émaillent les courses au marché et la réalité du service rendu par la suite. La « concurrence », tel un mot magique, semble vous suffire pour justifier une politique qui démantèle les structures sociales et réduit la capacité de notre peuple à décider de son avenir et à orienter lui-même la gestion de nos ressources.
    L'objectif de cette politique est d'ouvrir plus largement encore le champ où règne la loi du profit à tout prix, au mépris des salariés, qui subissent de plein fouet les conséquences de la course à la rentabilité, des consommateurs, qui n'ont rien à gagner à devenir clients plutôt qu'usagers et, au mépris des projets industriels eux-mêmes, qui sont peu à peu réduits à servir de prétextes.
    Cette ouverture du marché qui, dans l'esprit de Bruxelles et de votre gouvernement, vise à la privatisation aura des conséquences graves pour les usagers. La privatisation, vous le savez, c'est l'assurance d'une hausse des tarifs pour les particuliers et de leur baisse pour les grandes entreprises. Les exemples sont là, toujours les mêmes, qui vont toujours dans le même sens. Pourtant, à chaque fois, la rengaine est la même : la concurrence, c'est la compétition. Et la compétition, c'est la baisse des tarifs. Mais jamais cet adage ne s'est réalisé, pas plus en France qu'à l'étranger.
    M. François-Michel Gonnot, rapporteur de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire. Et le téléphone ?
    Mme Marie-George Buffet. Aux Etats-Unis, la privatisation de l'électricité en Californie a eu pour conséquence d'alourdir la facture de 270 % pour les clients de la côte Ouest. Plus près de chez nous, en Suède, la privatisation de la poste s'est soldée par une augmentation de 60 % du tarif postal de base. En France même, l'eau - dont nous proposons, d'ailleurs, le retour dans le giron public - a connu en dix ans une augmentation de 60 %, avec des inégalités de 0,25 euro à 6 euros le mètre cube d'un point à l'autre du territoire. Voilà les faits !
    La mise en concurrence et la privatisation de services essentiels à la vie des ménages, c'est l'accroissement des inégalités. A cela, madame la ministre, vous répondez devant notre commission que, bien entendu, il restera toujours un tarif préférentiel pour les plus démunis. Votre modèle est celui des Etats-Unis, où le service minimum existe pour les plus pauvres ; la collectivité nationale se dédouane ainsi de son rôle de défenseur de l'égalité des citoyennes et des citoyens. Piètre horizon !
    La revue économique de l'OCDE reconnaît les incidences de la privatisation : hausse des prix à court terme, discrimination au détriment des ménages. En outre, ces augmentations ne servent pas à améliorer le service au public. Au contraire, elles vont grossir les profits de ceux qui détiennent des parts de l'entreprise et qui influent peu à peu sur ses choix. A terme, c'est un service de moins bonne qualité pour le public et des investissements ciblés, au bénéfice exclusif des « gros » clients. En effet, l'émulation, fer de lance du credo libéral, tire toujours vers le bas toutes les normes sociales, écologiques, sanitaires et industrielles. La liberté que vous nous proposez se paye cher. Elle a même un prix exorbitant et n'a de liberté que le nom. En réalité, votre démarche conduit à instaurer une société à plusieurs vitesses.
    Au-delà de ce surcoût pour les ménages, les privatisations récentes de grands services publics en Europe ont abouti à des fiascos retentissants. Prenons l'exemple du rail anglais, dont la privatisation s'est soldée par des retards, une augmentation des tarifs, une baisse de la qualité des prestations, la fragilisation des personnels et, surtout, l'insécurité des passagers.
    Un exemple criant de l'échec d'ouverture du marché préparant une privatisation est celui de France Télécom. Depuis son éloignement du giron national, nous assistons à un émiettement incompréhensible des statuts du personnel. Cette entreprise, hier florissante, s'est lancée dans des aventures hasardeuses à l'étranger, qui l'ont totalement destabilisée et l'ont poussée à un niveau d'endettement de près de 75 millions d'euros, soit deux fois le déficit du budget de l'Etat. Les salariés de cette entreprise voient aujourdh'ui se confirmer tragiquement les inquiétudes qui sous-tendaient leur lutte.
    La Bourse n'a que faire de la solidarité, de l'égalité, du service public et du développement durable. La Bourse, c'est le rendement à court terme, alors que les services publics, et surtout celui dont nous parlons précisément aujourd'hui ont besoin de garanties sur le long terme. Garanties et pérennisation des financements lui permettent de maintenir les investissements en assurant l'égalité de traitement des usagers sur tout le territoire, à un haut niveau, avec du personnel qualifié. Vous choisissez donc délibérément d'affaiblir la maîtrise possible de tous ces paramètres.
    L'ouverture du marché, voie royale vers la privatisation, entraîne une régression sociale pour les salariés de ces entreprises, qui conduira tôt ou tard à la remise en cause des statuts.
    Je souhaite insister sur un autre point, celui de la sécurité des installations. Pour assurer la régularité et la permanence de l'approvisionnement, Gaz de France tient compte de plusieurs données : les données climatiques, les données d'approvisionnement et celles liées au développement des ventes. La conjoncture économique, les besoins en énergie et la concurrence des autres sources d'énergie peuvent nécessiter des modifications sur les ouvrages du réseau de distribution. De plus le stockage et le transport des produits gaziers doivent être intégrés dans une politique à long terme. Les relations avec les pays exportateurs nécessitent de planifier les investissements. Nous devons aussi prévoir une autonomie de consommation de plusieurs mois, afin de nous prémunir contre les aléas liés à des modifications de situations politiques, voire techniques. Nous savons bien qu'après 2015, au vu de la croissance, nous devrons diversifier nos fournisseurs, qui seront de plus en plus éloignés. Il me paraît pour le moins risqué de confier ces investissements et ces coopérations internationales à des entreprises privées, sans fragiliser notre système actuel qui fonctionne bien.
    Madame la ministre, je crains que votre projet ne mette en cause cette nécessité de sécurité et de stabilité de nos approvisionnements. La sécurité des moyens de transports et de stockage du gaz revêt une importance stratégique. Si nous appliquions le seul principe de précaution, il n'y aurait même pas lieu de discuter de votre texte, tant il s'exonère des simples mesures de sécurité qui doivent entourer un tel marché.
    Nous ne pouvons admettre, madame la ministre, un tel recul du service public. Vous faites fi, avec cette transposition de la directive de 1998, des principes inscrits dans notre Constitution, en particulier celui-ci qui figure dans le Préambule de 1946 : « Tout bien, toute entreprise dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité. » Mais nous savions bien que la France rayait d'un trait de plume ce principe constitutionnel en ratifiant le traité de Maastricht, dont je rappelle l'article 4 : « L'action des Etats membres de la communauté européenne comporte (...) l'instauration d'une politique économique (...) conduite conformément au respect du principe d'une économie de marché ouverte où la concurrence est libre. » Je vous demande, donc, mes chers collègues, de vous opposer à ce projet de loi qui porte atteinte aux principes de souveraineté nationale, et aux principes mêmes de notre Constitution.
    Le dogmatisme libéral inspire toutes les décisions du Conseil des ministres des Quinze, et je crains qu'il n'aveugle votre gouvernement. Cette Europe qui n'a de cesse, depuis sa création, de faire place à la main du marché nous entraîne dans la régression sociale. Les populations ont besoin d'une Europe qui sache s'inspirer du meilleur de la législation sociale de chaque pays, d'une Europe qui ait pour modèle le mieux-être et le mieux-vivre de ses salariés. C'est un tout autre projet que le vôtre : partout rogner les acquis, partout choisir les plus petits dénominateurs communs sociaux ; toujours, comme c'est le cas avec l'ouverture du marché du gaz, offrir des cadeaux aux marchés, au patronat et aux actionnaires.
    Votre Europe manque de souffle et de générosité. Comment voulez-vous que l'ensemble de ses habitants y adhère ? Nous sommes convaincus qu'il est impossible de construire une autre Europe sans réécrire complètement les traités qui nous unissent. Maastricht, Amsterdam, Barcelone sont des carcans dont les peuples d'Europe doivent s'extraire. C'est pourquoi, à l'occasion de l'élargissement de l'Union à dix nouveaux pays, il nous faut ratifier un nouveau traité respectueux de chacun et porteur d'un projet audacieux. Je veux parler d'une Europe du progrès et de la justice, qui cherche à construire de nouvelles relations entre les individus et les peuples.
    Nous agirons dans ce sens pour que les services publics soient reconnus, développés au plan européen. Il y a des combats qui en valent la peine. Qui aurait parié, il y a quelques années, que la France ferait de l'exception culturelle une règle commune au plan européen ? Nous devons faire la même chose pour les services publics. C'est essentiel, tout particulièrement pour l'énergie.
    L'énergie - et donc le gaz - n'est pas une marchandise comme les autres. Car de même que l'eau, l'énergie est tout simplement vitale. Nous ne pouvons donc admettre que l'Etat se désengage d'un tel domaine. Il en va du bien-être, de la sécurité des femmes et des hommes de ce pays, voire de sa stratégie énergétique et, donc, de notre indépendance.
    Le marché énergétique mondial est un marché à part. Le gaz n'est pas une énergie inépuisable. Nous avons le devoir, pour les générations futures, de ne pas le gaspiller. La France, par sa politique de contractualisation avec ses fournisseurs, a aussi des obligations qui vont dans le sens du développement durable et de la protection de l'environnement. Derrière ces contrats, il y a des nations, des hommes et des femmes pour qui le gaz est une ressource naturelle. Nous ne pouvons imaginer que ce bien commun à tous les habitants de la planète soit soumis aux aléas boursiers.
    Nous savons aujourd'hui qu'on peut faire la guerre pour le pétrole. Il est temps de travailler à une société où ces biens communs de l'humanité seraient gérés de façon coordonnée, économe et juste ; de penser à une régulation internationale de la production et de la distribution d'énergie, dans le souci de traiter de manière égale ceux qui produisent et ceux qui consomment. Certains habitants de la planète n'ont pas accès à l'électricité et au gaz, alors qu'ils ont des gisements dans leur sous-sol ! Allons-nous vers une planète solidaire ou vers un monde où tout se monnaye ?
    Madame la ministre, le groupe communiste est décidé à faire entendre le choix de la solidarité. Ne nous faites pas croire que votre texte n'est que technique. Il porte en lui une logique que nous combattons et qui s'appelle le libéralisme. Vous voulez déléguer des choix politiques au marché, vous voulez déposséder le peuple de sa capacité à choisir, vous voulez, au mieux, jouer un rôle d'arbitre. C'est une vision à courte vue, dépourvue de perspective et d'audace. La mondialisation capitaliste a déjà bien trop de poids dans les affaires du monde. Elle n'a que trop les mains libres, et vous lâchez encore ses liens. N'entendez-vous donc pas les aspirations des citoyens qui veulent avoir leur mot à dire sur le développement de notre planète ? Laissez-faire ? C'est la seule réponse que nous entendons. Et elle ne satisfait personne. C'est une autre mondialisation qu'il nous faut inventer. Je crois que les services publics ont une place importante à y prendre. Les biens communs de l'humanité ne doivent pas être exploités par quelques-uns pour faire des profits, mais ils doivent revenir à tous. En ouvrant le marché du gaz, vous êtes loin d'emprunter ce chemin.
    Madame la ministre, parce que votre projet remet en cause l'indépendance énergétique de notre pays, parce qu'il ouvre une brèche dans le principe d'égalité des citoyens et des territoires, parce qu'il ne comporte aucune garantie en matière de sécurité et de risques industriels, parce qu'il va à terme fragiliser le personnel de cette grande entreprise publique, parce qu'il risque d'être coûteux pour la collectivité nationale, parce que d'autres solutions que la libéralisation du marché existent, par exemple la fusion EDF-GDF qui renforcerait le pôle public et mutualiserait les moyens et les « énergies », parce que la directive de 1998 remet en cause un principe de notre Constitution, nous vous demandons de revenir sur cette directive et de renégocier avec nos partenaires européens.
    Mais je crains que votre politique n'ait pas d'autre ambition que de remettre les clés des locaux au MEDEF en lui abandonnant les citoyens, qui se voient imposer des choix par les impératifs du marché, par la recherche du profit sur la moindre parcelle existante, par les exigences de la rentabilité des actionnaires.
    L'ouverture du marché du gaz pose aussi la question de l'égalité entre les territoires mais, dans votre logique, peu importe la solidarité nationale, l'égal accès de tous et de toutes à des services élémentaires. A la solidarité, vous préférez le marché.
    Madame le ministre, nous avons trop conscience de notre responsabilité à l'égard de la politique énergétique de notre pays et envers les salariés et les usagers de ces entreprises publiques, pour ne pas les alerter sur la dangerosité de votre projet. Nous nous y opposons et nous demandons à nos collègues de nous suivre en votant la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)
    M. le président. Je vous remercie, madame Buffet, d'avoir été si rigoureuse dans l'utilisation de votre temps de parole.
    La parole est à Mme la ministre déléguée à l'industrie.
    Mme Nicole Fontaine, ministre déléguée à l'industrie. J'ai très largement répondu à Mme Buffet hier, dans mon propos introductif, et cela me permettra d'être brève.
    Non, madame la députée, l'ouverture du marché n'est pas un mauvais coup. Aujourd'hui, c'est une condition essentielle du dynamisme des entreprises. Et vous savez très bien que lorsque EDF s'est préparée à l'ouverture à la concurrence, les prix de l'électricité n'ont pas cessé de baisser pour les consommateurs.
    Non, nous n'avons pas porté atteinte à la notion française de service public. Au contraire, nous en avons assuré la promotion auprès de nos partenaires européens au point qu'aujourd'hui même la notion de service public se trouve garantie dans les textes communautaires, ce qui constitue un progrès extrêmement important.
    Oui, et je vous remercie de l'avoir rappelé, nous avons entendu les salariés d'EDF-GDF. Mais nous ne les avons pas seulement entendus, nous avons pu les assurer que le statut des personnels ne serait pas entamé ni modifié, et que le régime de financement de leurs retraites serait garanti. Non seulement nous avons pu les en assurer, mais nous l'avons, d'ores et déjà, démontré.
    Pour toutes ces raisons, madame Buffet, je crois que votre question préalable n'est pas justifiée.
    M. le président. Dans les explications de vote, la parole est à M. Jean Launay, pour le groupe socialiste.
    M. Jean Launay. Pour défendre sa question préalable, Marie-George Buffet a invoqué des arguments dont nous apprécions toute la pertinence et que nous garderons en mémoire.
    Comme Christian Bataille dans son exception d'irrecevabilité, elle considère que les biens publics doivent rester propriété de la nation.
    Elle a dénoncé le risque d'une société à plusieurs vitesses, risque inhérent à une ouverture au marché offerte en cadeau au secteur privé.
    Elle s'est inquiétée à juste titre de la sécurité des installations et de la stabilité des approvisionnements, prenant date face aux aléas des situations politiques dans les pays fournisseurs.
    Elle a cherché à ouvrir une autre perspective : celle d'une énergie qui est vitale mais qui n'est pas inépuisable, soulignant que le développement durable, thèse que nous défendons avec la même conviction, est évidemment contradictoire avec les vues à court terme des groupes boursiers.
    Enfin, nous partageons avec elle la volonté de faire entendre la solidarité. Le laisser-faire ne nous satisfait pas.
    Pour conclure, Marie-George Buffet a choisi une image très parlante en vous reprochant de vouloir remettre les clefs au MEDEF. Je vois, moi aussi, dans ce texte la collusion de votre pouvoir avec les thèses développées par la Fondation Concorde.
    Pour toutes ces raisons, le groupe socialiste votera la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. le président. La parole est à M. Jean Dionis du Séjour, pour le groupe UDF.
    M. Jean Dionis du Séjour. La question préalable tend à prouver qu'il n'y a pas à délibérer. Or, de toute évidence, nous devons délibérer.
    Nous le devons d'abord au regard du droit européen et pour honorer notre parole en respectant les traités fondamentaux auxquels se réfère la Constitution.
    Mais il y a plus fondamental que cela. En fait, tout l'intérêt de notre débat est de concilier l'ouverture à la concurrence telle qu'elle est prévue dans le projet européen et le service public à la française. C'est un vrai débat politique. C'est même un des débats politiques majeurs du moment.
    M. Pierre Ducout. Nous sommes d'accord !
    M. Jean Dionis du Séjour. Alors, bien évidemment, il y a lieu de délibérer. Alors, bien évidemment, nous nous opposerons à la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Lenoir, pour le groupe UMP.
    M. Jean-Claude Lenoir. Monsieur le président, notre groupe a peu à ajouter à ce qu'a dit excellemment Mme la ministre en réponse à la question préalable de Marie-George Buffet.
    Permettez-moi néanmoins de me faire un petit plaisir.
    De quoi s'agit-il ? Je le redis à l'intention de nos collègues de l'opposition qui n'ont pas pu assister à la séance d'hier soir : il s'agit, pour nous, de faire le travail que vous n'avez pas voulu faire lorsque vous aviez le pouvoir.
    La directive remonte au 22 juin 1998. En mai 2000, le gouvernement de M. Jospin déposait un projet de loi de transposition. Il n'a pas été capable, en deux ans, de faire examiner par le Parlement le projet de loi qu'il avait lui-même déposé.
    Aujourd'hui, nous faisons enfin, avec beaucoup de retard, le travail qui vous incombait. Vous multipliez pourtant les manoeuvres de retardement. Qui peut comprendre un tel comportement ?
    Hier, j'ai distribué quelques amabilités ; j'ai dit par exemple à Christian Bataille que c'était un sophiste.
    M. Christian Bataille. J'aurai l'occasion de vous répondre.
    M. Jean-Claude Lenoir. Je vais aujourd'hui, avec tout le respect que je lui dois, dire à Mme Buffet qu'elle est constante. C'est un vrai compliment que je lui fais.
    M. le président. Très bien !
    M. Jean-Claude Lenoir. Depuis toujours, madame Buffet, vous et le groupe communiste êtes opposés à cette transposition. C'est même vous - ce propos ne vaut pas dénonciation - qui avez empêché le gouvernement Jospin de soumettre le projet de loi au Parlement.
    M. Christian Paul. C'est vrai !
    M. Christian Bataille. Je l'assume, moi aussi !
    M. Jean-Claude Lenoir. C'est tellement vrai que, questionné par un membre de l'opposition d'hier, le secrétaire d'Etat à l'industrie, M. Pierret, reconnaissait qu'il n'y avait pas de majorité dans l'hémicycle pour adapter cette loi.
    M. François Brottes. Seulement une majorité relative.
    M. Jean-Claude Lenoir. Comme nous lui proposions de conforter la minorité du groupe socialiste en lui apportant toutes nos voix, les voix de toutes nos phalanges, il nous répondit qu'il souhaitait réfléchir à la question.
    M. Fabius, lui, avait été plus précis et plus franc, en reconnaissant qu'il n'y avait plus de majorité dans la majorité plurielle. Remarquable prémonition, mais sinistre présage : c'était en 2001 !
    Aujourd'hui, madame Buffet, vous venez nous dire qu'il ne faut pas délibérer. Puis-je vous rappeler tout de même que vous apparteniez, hier, au Gouvernement qui a signé à Bruxelles la directive dont la transposition nous amène à délibérer sur l'ouverture du marché du gaz ?
    Aujourd'hui, vous êtes parlementaire, vous avez recouvré votre droit de parole et vous dites tout haut ce que vous pensiez tout bas hier. Ce discours nous permet de constater une chose : la majorité plurielle d'hier était si âprement divisée que cela l'a conduite au désastre électoral.
    M. Christian Bataille. Oh là là !
    M. Jean-Claude Lenoir. Aujourd'hui, dans je ne sais quel dessein, le groupe socialiste et le groupe communiste essaient de se retrouver sur la même ligne. Franchement, tout cela n'est pas très sérieux !
    M. Christian Bataille. Vous ne répondez pas sur le fond.
    M. Jean-Claude Lenoir. Heureusement, nous avons aujourd'hui un gouvernement à la fois responsable et compétent, qui demande à la majorité de prendre ses responsabilités. Par ma voix, madame la ministre, le groupe UMP vous déclare qu'il s'oppose à la question préalable de Mme Buffet. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. Monsieur Lenoir, vous vous êtes fait un petit plaisir qui n'a pas duré cinq minutes. Rien à redire ! (Sourires.)
    La parole est à M. Daniel Paul, pour le groupe communiste et républicain.
    M. Daniel Paul. Monsieur Lenoir, il est vrai que vous allez vite ! (Sourires.) Mais si vous brûlez les étapes, c'est que vous avez des idées derrière la tête. Ce n'est pas uniquement parce que la directive devait être adoptée rapidement, c'est parce que vous sacrifiez à un dogme.
    M. Jean-Claude Lenoir. C'est vous qui avez signé la directive !
    M. Christian Bataille. Pour une ouverture à 33 % et non à 100 % !
    M. Daniel Paul. Vous et vos amis avez érigé en dogme la mise en concurrence des entreprises publiques,...
    M. Jean-Claude Lenoir. C'est votre idée !
    M. Daniel Paul. ... l'ouverture de leur capital, la satisfaction des marchés financiers. Vous refusez de tirer les leçons des expériences catastrophiques réalisées dans de nombreux pays, voisins ou plus lointains. A tel point que Mme la ministre, hier soir, intégrait dans ses réflexions ce qui s'est passé en Californie, prétendument pour mieux combattre ce risque dans notre pays.
    Mme la ministre déléguée à l'industrie. Certainement.
    M. Daniel Paul. Pourtant, madame la ministre, nous sommes entrés dans une logique que vous connaissez fort bien. Vous avez présidé aux destinées de l'Assemblée européenne pendant plusieurs années. Vous savez donc que devant la vague de la pression libérale, il est difficile de mettre des barrières.
    M. Jean-Claude Lenoir. C'est vous qui les avez ôtées !
    M. Daniel Paul. Vous allez même au-devant des attentes des libéraux ou des ultralibéraux en annonçant l'ouverture totale du marché du gaz pour 2007. Vous prévoyez un bilan préalable en 2006. Si encore vous aviez dit : on verra ensuite pour 2007, on aurait pu croire à ses vertus. Mais comme vous avez déjà tout accepté par avance, avouez que ce 2006-là est un paravent bien léger. En fait, pour vous, les dés sont jetés.
    Vous voulez ignorer les caractéristiques du gaz, qui n'est pas un produit comme un autre. Non seulement c'est un produit énergétique, mais c'est aussi un produit dont la manipulation est dangereuse.
    Vous voulez ignorer les caractéristiques du marché gazier, le fait que notre pays est totalement dépendant d'importations lointaines, de gisements qui ne sont pas toujours situés dans des régions stables.
    Vous refusez d'admettre l'intérêt de la responsabilité publique, exprimée jusqu'à ce jour par le monopole de GDF.
    En fait, vous ouvrez la boîte de Pandore non par naïveté, mais par volonté politique délibérée, et vous bradez pour cela la richesse que constituent les services publics, GDF pour aujourd'hui.
    Bien évidemment, nous voterons la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)
    M. le président. Je mets aux voix la question préalable.
    (La question préalable n'est pas adoptée.)

Discussion générale

    M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Pierre Ducout.
    M. Pierre Ducout. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui le projet de loi, adopté par le Sénat après déclaration d'urgence, relatif aux marchés énergétiques.
    Ce texte a théoriquement pour objet principal la transposition en droit français de la directive communautaire adoptée en 1998 sur les règles communes du marché intérieur du gaz.
    Ce texte est en fait une transposition ultralibérale de la directive.
    Il remet en cause les acquis obtenus depuis 1946 avec la nationalisation du gaz, la création de Gaz de France, l'action de l'entreprise et l'engagement de son personnel depuis plus de cinquante ans, tant pour le développement et la qualité du service public du gaz que pour la sécurité énergétique à long terme de la France. Près de 80 % de nos concitoyens sont desservis en gaz et GDF assure 95 % de la distribution.
    Il prépare dans les faits l'ouverture complète du marché du gaz et la privatisation totale de Gaz de France.
    Ce n'est pas le rajout par le Sénat, dans l'intitulé du projet de loi, des termes « service public de l'énergie » qui peut changer la finalité du texte et conjurer les risques qui lui sont inhérents.
    Je voudrais, dans mon intervention, décrire succinctement l'environnement dans lequel nous nous situons ; rappeler l'action du gouvernement de la gauche plurielle pour la défense du service public et des intérêts de notre pays ; présenter les amendements constructifs que le groupe socialiste défendra.
    Ces amendements visent à faire progresser le service public en matière de desserte du territoire, de péréquation tarifaire, de sécurité et de sûreté, de développement durable et de respect de l'environnement ; à conforter la mission de contrôle des collectivités concédantes ; à nous donner les moyens de suivre, dans tous les pays européens, l'application réelle de la directive.
    Dans quel environnement nous situons-nous ?
    La politique de libéralisation débridée des marchés de l'énergie connaît des échecs cinglants. Avec le scandale d'ENRON, les Etats-Unis, le pays le plus riche du monde, et son plus grand Etat, la Californie, n'ont pas pu garantir la fourniture d'électricité, bien de première nécessité pour nos concitoyens comme pour l'économie. En Grande-Bretagne, on assiste à la quasi-faillite de British Energy, liée à la diminution à court terme du prix de l'électricité produite à partir de centrales à gaz et au dumping meurtrier entre producteurs.
    Pourtant, les enjeux énergétiques sont au coeur des politiques stratégiques de la première puissance mondiale, les USA, dans ses relations avec la Russie comme dans sa politique au Moyen-Orient, sans parler de l'Irak.
    L'augmentation des besoins énergétiques mondiaux et les inquiétudes légitimes des opinions publiques à propos de l'énergie nucléaire - il n'est qu'à voir la récente décision de la Belgique - vont provoquer un accroissement de la consommation mondiale de gaz et donc l'augmentation de son prix dans les décennies, voire les années à venir.
    De ce point de vue, l'Union européenne, engluée dans son élargissement à vingt-cinq, n'est pas prête à se comporter en « Europe-puissance » capable de négocier les conditions d'approvisionnement global en gaz ou en pétrole avec les grands interlocuteurs qui sont en fait les Etats disposant de la ressource. Pourtant, le taux de dépendance énergétique de l'Union européenne va très fortement s'accroître, avec des conséquences lourdes, en termes économiques comme en matière géopolitique, vis-à-vis du Moyen-Orient et de la Russie en particulier, quelles que soient les politiques d'économie d'énergie et de promotion des énergies renouvelables que nous avons encouragées.
    Dans les réflexions destinées à alimenter le travail de la Convention sur les institutions européennes, il est dommage, par ailleurs, de ne pas se saisir des propositions du président de la Commission, M. Romano Prodi, tant sur le concept d'Europe-puissance que sur la reconnaissance des services publics et sur la marge plus importante proposée à chaque Etat pour les défendre et les développer.
    Enfin, s'agissant des éléments de conjoncture, il faut noter l'échec des marchés de capitaux pour préparer le long terme. L'Etat est un mauvais actionnaire, qui n'a rien apporté à EDF ou GDF depuis des décennies, mais il est moins mauvais que le marché pour préparer l'avenir, et en particulier pour appuyer la recherche.
    En deuxième lieu, il faut rappeler l'action du Gouvernement de la gauche plurielle. La plupart de nos partenaires européens étaient moins bien organisés que nous en matière de desserte gazière efficace en dépit du contexte ultra-libéral qui régnait, le Gouvernement de Lionel Jospin a pu faire prendre en compte le service public - en particulier dans le considérant 12 de la directive de 1998 - et accepter l'ouverture progressive à 33 % du marché, et limitée aux clients éligibles importants en 2008, ce qui a contrario laissait deux tiers du marché non libéralisés.
    A la suite de la transposition minimale de la directive électricité, le Gouvernement avait préparé un projet de transposition de la directive gaz, destiné à moderniser le service public du gaz naturel et à développer nos entreprises gazières. L'article 1er rappelait les missions de qualité au moindre coût, les principes d'égalité, de continuité et d'adaptabilité, au bénéfice de tous les consommateurs et de manière solidaire. Enfin, le texte insistait sur le nécessaire développement de la desserte gazière, l'amélioration de l'indépendance énergétique, le renforcement de la sécurité d'approvisionnement.
    Dans ses rapports avec ses partenaires, la France, contrairement à beaucoup d'autres, respectait l'ouverture réelle du marché - j'insiste sur ce point - pour les clients éligibles consommant plus de 25 millions de mètres cubes par an et par site dès le 10 août 2000, soit deux ans après l'adoption de la directive. Elle n'avait pas intérêt à poursuivre la transposition du texte dans l'urgence. Les négociations entre pays européens continuaient et notre pays n'encourait pas d'amende à attendre 2002 pour transposer a minima la directive en question - je rappelle que la directive sur l'électricité de 1996 a été transposée en 2000, c'est-à-dire quatre ans après. La non-transposition ne constitue que le prétexte des rétorsions exercées sur Gaz de France par l'Espagne dont le marché gazier est en fait moins ouvert que le nôtre. Contrairement à ce que vous dites et à ce que voudrait faire croire le Gouvernement, la France n'est pas le mouton noir de l'Europe en la matière.
    La temporisation du Gouvernement de la gauche plurielle a été bénéfique pour notre pays qui, au sommet de Barcelone, a fait acter deux points très importants : premièrement, l'adoption préalable d'une directive-cadre sur les services d'intérêt général ; deuxièmement, l'absence de date pour l'ouverture totale du marché de l'électricité et du gaz. Le Président de la République Jacques Chirac et le Premier ministre Lionel Jospin s'en sont même tous deux réjouis.
    Qu'a fait depuis le gouvernement de droite ? Il a renié ce que le candidat Chirac présentait comme un succès de la politique française en mars 2002. Ainsi, sans avoir reçu aucune assurance à propos de la directive-cadre sur les services d'intérêt général, il a décidé l'ouverture complète du marché du gaz en août 2007, après l'ouverture partielle en 2004 aux seuls clients éligibles, soit quatre ans avant ce qui était prévu dans la directive de 1998. Il n'a obtenu aucune garantie réelle que l'ouverture aux industriels ferait l'objet d'un bilan, ni qu'elle serait effective dans tous les pays d'Europe. Il est regrettable que vous ne nous ayez pas adressé la totalité du projet de directive que vous avez approuvé, le 25 novembre, à Bruxelles.
    Il est à craindre par ailleurs que le Gouvernement ne prépare la privatisation complète de Gaz de France, en escomptant avant tout une recette financière. Peut-être pas vous, madame la ministre, mais nous connaissons le ministre du budget. Nous avons pu, lors de l'audition du président Gadonneix devant notre commission des affaires économiques, juger de ses intentions d'après ses réponses à certains de nos collègues de la majorité.
    Renforcer le lien avec EDF, créer des synergies avec Statoil, qui est une entreprise publique, ou encore avec TotalFinaElf, ne saurait se comparer à la vente de GDF au groupe Suez. Je garde en tête le bradage de Thomson Multimédia proposé pour un franc symbolique par le gouvernement Juppé en 1996.
    M. Jean Launay. Pour un franc !
    M. Christian Bataille. Il n'y a qu'eux qui ne s'en souviennent pas !
    M. Pierre Ducout. Nous nous y étions vigoureusement opposés. Aujourd'hui, nous savons que nous avons eu raison.
    M. Richard Cazenave. Pour une fois !
    M. Jean Dionis du Séjour. Et le Crédit lyonnais ?
    M. Jean Launay. Pour le bien de la nation !
    M. Pierre Ducout. Et que dire de la vente aux enchères du Crédit lyonnais, même si l'opération financière a pu être positive à court terme ? A l'opposé, la constitution d'un champion européen de l'industrie aéronautique et spatiale avaient guidé les cessions de sociétés publiques menées par le gouvernement de Lionel Jospin.
    A mon tour, parce que j'ai présidé un groupe parlementaire européen de l'espace, en y associant des collègues siégeant sur tous les bancs, je tiens après l'échec d'Ariane 5 à exprimer notre solidarité avec tous les Européens portant l'Europe spatiale et à réaffirmer que nous comptons sur eux pour faire progresser le positionnement stratégique de l'Europe par rapport aux Etats-Unis.
    M. Pierre Micaux. Très bien !
    M. Pierre Ducout. Oui, nous sommes clairement contre l'ouverture du capital de Gaz de France ou d'EDF ! Le caractère libéral de votre projet ressort très clairement et suscite d'ailleurs la satisfaction de l'Union professionnelle des industries privées du gaz, l'UPRIGAZ, qui approuve une ouverture qui va au-delà des seuils fixés par la directive et souligne cette avancée significative par rapport à une transposition a minima.
    La position du Gouvernement inspire des inquiétudes même à certains sénateurs qui ont voté le texte, mais qui gardent en tête les acquis de la politique énergétique française initiée par le général de Gaulle et portée par EDF et Gaz de France. Dans une proposition de résolution, ils demandent d'abord que l'on conserve l'unité des opérateurs nationaux d'électricité et du gaz - que deviendra la qualité du service de proximité assuré par la direction EDF-GDF service ? -, ensuite que soit préservée la richesse nationale que constituent les stockages gaziers souterrains, enfin que soient établis des bilans réguliers des effets de la « démonopolisation » des secteurs de l'électricité et du gaz pour les consommateurs. Pour préserver le service public dans le secteur de l'énergie, nous considérons que la solution consiste à conforter l'entreprise publique GDF. Ces sénateurs rejoignent donc la position et les objectifs du groupe socialiste, servis par les amendements que nous avons présentés et qui prouvent notre participation constructive à la mission du Parlement.
    Les services publics étant un élément primordial de notre cohésion nationale, nos amendements visent en priorité à renforcer le service public du gaz. C'est bien de mission de service public qu'il faut parler et non simplement d'obligation, comme vous l'écrivez, et même si ce sont les termes de la directive. Sur ce point, nous sommes en opposition totale avec le rapporteur de notre commission, François-Michel Gonnot. Il estime, quant à lui, que l'ouverture à la concurrence apportera des gains de productivité qui profiteront d'abord aux consommateurs. C'est rarement le cas pour les plus modestes d'entre eux, les oligopoles privés cherchant d'abord l'intérêt des actionnaires. Nos inquiétudes sont partagées par les associations de consommateurs en Grande-Bretagne et en Allemagne qui redoutent respectivement la « remonopolisation » privée de l'énergie autour de Centrica, et la constitution d'un pôle multi-énergie entre E.ON et Ruhrgas.
    Nous insistons sur le rôle d'aménagement du territoire des services publics, et voulons que soit assurée leur présence en matériel et en personnel dans les zones rurales et les quartiers urbains sensibles, de même que soit poursuivie l'action menée par le gouvernement de gauche pour élargir la desserte gazière à de nouvelles communes. Cette action serait évidemment fortement compromise par une ouverture totale à la concurrence. Nous demandons donc que l'ouverture soit limitée aux seuils stricts fixés par la directive et que ne soient pas rendues éligibles les cogénérations bénéficiant des obligations d'achat par EDF.
    Nos amendements tendent également à assurer la plus grande transparence possible, en particulier en prévoyant que la ministre de l'énergie publie la liste des clients éligibles.
    Nos préoccupations de sûreté et de sécurité seront bien défendues et développées par notre collègue Le Déaut, qui a beaucoup travaillé, notamment dans le cadre de l'Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques, sur les problèmes de transparence et de sécurité des installations. C'est, à juste titre, une des préoccupations fortes de l'ensemble de nos concitoyens.
    Il est indispensable d'assurer la transparence de la sécurité nucléaire, mais aussi la sûreté des installations intérieures de gaz. Notre collègue Jean Gaubert défendra des amendements visant à renforcer la sécurité des installations des particuliers. De même David Habib, député de Lacq, soutiendra les amendements consacrés à l'amélioration de la sécurité environnementale grâce au développement du stockage souterrain particulier du Crétacé 4000.
    Nos amendements cherchent aussi à garantir la sécurité et la diversité d'approvisionnement à long terme, en rappelant la force des contrats take or pay et en renforçant les pouvoirs de la ministre de l'énergie, sur les plans prévisionnels d'approvisionnement.
    Comme la directive le permet, la Commission de régulation de l'électricité et du gaz doit autoriser l'accès des tiers aux réseaux, à la fois dans le cadre d'autorisations ou de négociations, pour l'intérêt du service public.
    En ce qui concerne le renforcement des réseaux de transport et des réseaux transeuropéens des transports, nous pensons que l'existence d'une entreprise intégrée, comme Gaz de France, opérant sur un marché ouvert uniquement pour les clients éligibles professionnels, est le cadre le plus approprié pour réaliser des investissements préparant l'avenir, comme l'expérience l'a d'ailleurs prouvé. Je salue cependant le travail réalisé par Gaz du Sud-Ouest - GSO - dans son secteur.
    A ce propos, je rappelle l'aberration que constitue la mise en place de deux réseaux de fibre optique de très haut débit, qui seront en surcapacité pendant des décennies. Dans ma circonscription, l'un de France Télécom et l'autre de Dreyfus Communications font doublon sur plusieurs dizaines de kilomètres, alors que beaucoup de secteurs de notre territoire ne seront pas desservis.
    Nous prenons acte des propositions constructives présentées par la commissaire européenne à l'énergie, Mme de Palacio, pour réaliser des réseaux gaziers d'intérêt européen.
    Notre collègue Christian Bataille présentera les amendements tendant à préserver l'esprit et l'efficacité du texte de transposition de la directive électricité, dont il avait été l'excellent rapporteur dans notre assemblée. Il s'agit de garantir le service public et en particulier les principes d'égalité et de solidarité, comme il l'a si bien rappelé dans la motion d'irrecevabilité. Jean Launay défendra des amendements destinés à renforcer le contrôle des collectivités concédantes sur la distribution, pour assurer le meilleur service à nos concitoyens.
    Nous proposons enfin d'appliquer complètement les principes d'égalité et de solidarité, que vous avez vous-même rappelés, madame la ministre, en assurant la péréquation totale des tarifs pour tous les consommateurs domestiques sur tout le territoire desservi.
    Nous refusons le dessaisissement de notre assemblée et le fait que beaucoup de points fondamentaux soient renvoyés à des décrets en Conseil d'Etat.
    Vous l'avez compris, madame la ministre, nous voulons rappeler l'excellence et l'efficacité de l'action menée par l'entreprise publique Gaz de France depuis plus de cinquante ans, la qualité et l'engagement de ses personnels, qui doivent conserver leur statut. L'ouverture de son capital serait contraire à l'intérêt de notre pays. Nous voulons renforcer le service public du gaz, en particulier pour préparer l'avenir.
    Nous suivrons de près la discussion du projet de loi et le sort réservé à nos amendements en réaffirmant qu'en l'état nous voterons contre la transposition ultralibérale que vous proposez. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. Jean-Claude Lenoir. Ce sont vos amis qui ont signé la directive !
    M. le président. La parole est à M. Jean Dionis du Séjour.
    M. Jean Dionis du Séjour. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, rendons d'emblée hommage au Gouvernement et à vous, madame la ministre, pour avoir décidé, malgré l'urgence, de soumettre au Parlement la transposition de la première directive sur le gaz. Légiférer par ordonnance aurait été légalement possible mais aurait constitué, compte tenu de l'importance du texte, un mauvais choix.
    Est-il vraiment nécessaire de rappeler que la directive de 1998 aurait dû être transposée avant le 10 août 2000 ? Les subtils équilibres de la gauche plurielle, et M. Paul l'a admis hier soir, ont joué dans ce dossier, comme dans beaucoup d'autres, leur rôle d'anesthésiant et rien n'a été fait. Reconnaissez, mes chers collègues de l'opposition, que l'énergie est un sujet qui vous divise. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire. Très bien !
    M. Jean Dionis du Séjour. Il aurait été intéressant d'entendre M. Mamère ou M. Cochet. Superphénix,...
    M. Pierre Ducout. Nous y étions !
    M. Jean Dionis du Séjour. ... la plate-forme de la gauche plurielle,...
    M. Patrick Ollier, président de la commission. Il a raison !
    M. Jean Dionis du Séjour. ... ont été autant d'occasions de marquer sa différence. Nous étions bien loin de M. Bataille dont on aurait pu d'ailleurs soutenir de larges parties du discours qu'il a prononcé hier soir. (Exclamations sur divers bancs.)
    M. Jean-Claude Lenoir. Il y a du progrès !
    M. Jean Dionis du Séjour. Vous étiez profondément divisés donc,...
    M. Pierre Ducout. Vous n'y étiez pas !
    M. Jean Dionis du Séjour. ... vous l'êtes toujours.
    M. François Brottes. Et entre l'UDF et l'UMP ?...
    M. Jean Dionis du Séjour. Il manque seulement la voix de Verts dans ce débat ; elle aurait servi de révélateur. Une fois de plus, en tout cas, la France confirmait son statut peu enviable de mauvais élève européen et s'exposait à une lourde astreinte à partir de janvier 2003.
    M. Pierre Ducout. Où sont passés les colbertistes ?
    M. Jean Dionis du Séjour. L'ouverture du marché du gaz est donc un impératif juridique, économique et stratégique. C'est pourquoi, madame le ministre, le groupe UDF vous apportera, notamment avec mon collègue Jean Lassalle, député des Pyrénées-Atlantiques, son soutien en faisant entendre sa différence.
    Le gaz naturel est en effet une ressource d'avenir : en 2020, il représentera le quart de la consommation d'énergie dans le monde. Son abondance, sa rentabilité, son haut pouvoir énergétique seront autant d'atouts pour la compétitivité de notre industrie et le bien-être de nos concitoyens.
    Sur le plan stratégique, l'exemple récent de l'attentat terroriste contre le Linsburg montre que nous devons rester extrêmement vigilants, vous l'avez souligné, madame la ministre, à la continuité et à la diversité de nos approvisionnements. Depuis le déclin de Lacq, la France importe 97 % de sa consommation de gaz naturel, ce qui la rend extrêmement vulnérable à la conjoncture mondiale. Il est donc important, comme cela a été rappelé, que notre pays se dote d'une capacité de stockage stratégique équivalente à celle de l'Italie ou de l'Allemagne.
    L'ouverture du marché gazier français permettra de faire de Gaz de France un des grands acteurs mondiaux en lui donnant la chance de nouer des alliances avec les leaders mondiaux du secteur et de s'implanter sur des marchés jusque là la abrités derrière des mesures protectionnistes au motif - et l'alibi était servi sur plateau par le précédent gouvernement - que la France refusait elle aussi d'ouvrir son marché national.
    M. Pierre Ducout. C'est anecdotique !
    M. Jean Dionis du Séjour. Le problème posé par la transposition nous est maintenant bien connu. Il faut ouvrir à la concurrence européenne un marché national dominé par un opérateur historique en situation de monopole et assurant des missions de service public.
    Nous sommes tous à la recherche d'un nouveau modèle économique entre l'archaïsme du modèle socialiste et les excès du libéralisme...
    M. Pierre Ducout. Pas les socio-démocrates !
    M. Jean Dionis du Séjour. Nous devrions tous être très humbles, vous peut-être un peu plus que nous !
    M. François Brottes. Vous êtes sur la bonne voie !
    M. Jean Dionis du Séjour. C'est tout l'intérêt du projet politique européen.
    M. Pierre Ducout. On verra ce qu'en disent Delors et Bayrou !
    M. Jean Dionis du Séjour. Exactement ! La tension entre l'arrivée de la concurrence européenne, la présence d'un opérateur historique dominant et les obligations de service public se retrouve dans les télécommunications et la messagerie avec La Poste, dans l'électricité avec EDF, et dans le rail avec la SNCF. Nous avons donc une certaine expérience de ce qu'il faut faire et surtout de ce qu'il ne faut pas faire. Nous participerons à la discussion générale avec l'approche originale de l'Union pour la démocratie française.
    M. François Brottes. Petite formation !
    M. Jean Dionis du Séjour. Je vous en prie !
    Fidèles à nos convictions libérales en matière économique et, nous osons le dire, sociales en ce qui concerne le partage de la richesse de la nation, et européennes, nous n'opposons pas concurrence et service public. Bien au contraire, nous défendons une approche ambitieuse permettant à la fois plus de concurrence, et plus de service public.
    Une ouverture à la concurrence réussie favorise l'émergence d'une plus grande diversité de produits et de services à meilleur coût pour les clients, en l'espèce - excusez du peu - sidérurgie, transformation des métaux, aluminium, verrerie, papeterie, céramique, automobile, agroalimentaire. Quel enjeu pour l'emploi industriel français !
    M. Pierre Ducout. Il rêve !
    M. Jean Dionis du Séjour. Mais non, c'est le coeur du problème !
    L'ouverture ne peut se faire sans une instance de régulation forte. Cela est particulièrement vrai dans le domaine des industries de réseau, comme nous l'a montré la récente ouverture du marché des télécommunications. En effet, l'ART, instance de régulation, n'est toujours pas en mesure, faute de moyens, de jouer son rôle d'arbitre, notamment vis-à-vis de l'opérateur historique France Télécom, si bienqu'une guerre de positions commerciales et juridiques a empêché l'accès des tiers au réseau. C'est la raison de l'échec actuel du dégroupage sur le réseau de desserte de France Télécom.
    De la même manière, le marché de l'énergie ne deviendra jamais véritablement concurrentiel sans une autorité de régulation forte, indépendante, et adaptée aux spécificités du secteur gazier français.
    Madame la ministre, en élargissant au gaz les compétences de la CRE - dans laquelle le Gouvernement aura toute sa place ainsi que le consommateur -, dans l'article 6 de votre texte de loi, vous allez dans la bonne direction. Mais vous y allez beaucoup trop timidement. Ainsi le marché ne peut pas se contenter d'une CRE croupion, il a besoin d'une CRE qui, forte de prérogatives étendues, assoit son autorité d'arbitre du marché.
    La CRE doit garantir l'accès équitable de tous les tiers au réseau, en ayant les moyens de prévenir les tentations inévitables et compréhensibles de l'opérateur historique d'empêcher la mise en oeuvre d'une véritable concurrence. Ainsi les tiers doivent pouvoir accéder à des services auxiliaires de modulations tarifées sous l'autorité de la CRE. Par ailleurs, toute la transparence doit être faite sur la disponibilité des gazoducs, qui doivent devenir publics, comme chez beaucoup de nos voisins européens.
    Enfin, la lourdeur des modalités contractuelles d'accès des tiers aux réseaux est telle qu'elle décourage les clients éligibles de moindre importance. Ainsi seuls les clients éligibles consommant l'équivalent de quatre fois le seuil actuel d'éligibilité ont effectivement changé de fournisseur. Dès lors, il est à craindre que l'abaissement du seuil d'éligibilité ne soit rien d'autre qu'un coup d'épée dans l'eau si les modalités contractuelles en vigueur ne sont pas revues et corrigées.
    Il n'est donc pas surprenant que la CRE estime que les conditions offertes par les opérateurs français, au-delà des faux semblants, ne s'écartent pas significativement de ce qui est constaté chez nos voisins européens. Il sera éminemment souhaitable, dans un proche futur, de renforcer les pouvoirs de la CRE dans deux directions : elle doit devenir l'instance décisionnaire en matière de tarifs, pouvoir aujourd'hui assumé par les ministres chargés de l'économie et de l'énergie, ainsi que la véritable instance d'appel en cas de conflits entre l'opérateur historique, propriétaire du réseau, et un autre distributeur.
    Pour que le marché du gaz devienne un jour réellement concurrentiel, nous devons avoir une vision à long terme et faire preuve d'anticipation. La décision du 25 novembre relative à la seconde directive gazière, qui évoque l'ouverture totale du marché pour 2007 et la séparation légale des activités de fourniture et de transport, est un signal fort que nous devons d'ores et déjà prendre en compte.
    Le texte qui nous est présenté s'arrête au milieu du gué à bien des aspects, notamment par rapport aux récentes décisions de la Commission qui prévoient en 2007 la séparation légale des activités. La séparation comptable des activités, proposée à l'article 6, nous apparaît ainsi comme une demi-mesure, qui risque d'être inefficace. Si elle a le mérite de prévenir les subventions croisées et les distorsions de concurrence, elle ne saurait suffire pour lever tous les obstacles qui risquent d'entraver la libre concurrence dans le secteur gazier.
    La condition sine qua non à une ouverture à la concurrence réussie réside dans une séparation plus franche...
    M. Pierre Ducout. Le démantèlement !
    M. Jean Dionis du Séjour. ... entre les activités de transport et de fourniture.
    C'est pourquoi il est nécessaire d'opérer dans un premier temps une véritable séparation managériale, ainsi que cela a été fait pour EDF avec la création de RTE, entre les activités de transport et de fourniture de GDF, comme préalable à une future séparation légale des activités.
    C'est, à nos yeux, l'unique moyen pérenne de poser les conditions d'un accès équitable de tous les opérateurs au réseau de transport, poussant l'opérateur historique à ne pas abuser de sa position dominante tout en laissant l'autorité de régulation jouer son rôle d'arbitre.
    Nous voulons, ensuite, plus de service public, car le gaz n'est pas une marchandise banale, mais un bien de première nécessité pour de très nombreuses familles françaises. Voilà pourquoi l'UDF veillera tout particulièrement, dans les années à venir, à ce que le service public du gaz ne connaisse pas de recul.
    En la matière, le projet de loi s'arrête aux déclarations de principe de l'article 11 et renvoie l'organisation concrète du service public à des décrets d'application. Nous pensons, comme M. Ducout, que cela est regrettable.
    M. Pierre Ducout. Absolument !
    M. David Habib. Et voilà !
    M. Jean Dionis du Séjour. Il est, en effet, nécessaire de dépasser l'incantation - cette observation vaut pour nous tous -, et de donner au service public un contenu précis en ce qui concerne la desserte des zones reculées, les territoires d'outre-mer, les dispositifs contre la précarité ou la prévention des dangers d'explosion. Nous sommes là au coeur du débat politique entre l'ouverture à la concurrence et le maintien du service public.
    M. Pierre Ducout. Cela ne marche pas !
    M. Jean Dionis du Séjour. Il est d'ailleurs légitime que ce débat ait lieu à l'Assemblée nationale. C'est la raison pour laquelle nous nous sommes opposés à la question préalable de Mme Buffet.
    Pour ne prendre que l'exemple de la sécurité sur laquelle Jean Lassalle reviendra, il est clair que le gaz est une source de bien-être, mais que, si les conditions de sécurité de sa distribution ne sont pas respectées, il peut devenir une véritable menace pour la sécurité de nos concitoyens. Chaque année, des dizaines de personnes trouvent la mort ou voient leur habitation détruite à cause d'explosions dues à la vétusté des conduites de gaz. S'il n'est pas maîtrisé, le gaz devient destructeur. Nous serons donc intransigeants pour que la sécurité des utilisateurs finaux soit assurée.
    Les sénateurs ont prévu que la sécurité en amont du compteur devienne une obligation de service public, ainsi que les diagnostics gratuits des installations domestiques. Ils ont aussi prévu des aides pour la remise aux normes, le cas échéant, des installations défectueuses. Voilà du concret ! Nous sommes dans la bonne voie.
    Fort bien, me direz-vous, mais qui paie ? En effet, si la sécurité de nos concitoyens n'a pas de prix, elle a néanmoins un coût, qu'il convient d'évaluer avec précision. Le service public mérite aussi des garanties législatives solides concernant le financement de ces mêmes obligations. Nous souhaitons que soit donné au secteur gazier un équivalent du fonds électrique, qui finance les charges du service public, afin que la sécurité ne soit pas uniquement un souhait législatif et devienne une réalité concrète.
    Il faut, enfin, permettre le développement de Gaz de France par l'ouverture de son capital et la modernisation de son système de retraites. Parlons clair, madame la ministre : Gaz de France a vocation à être l'un des acteurs majeurs du marché du gaz européen. Il devra, pour financer ce développement, ouvrir son capital. Or cette évolution est impossible sans une réforme profonde du régime de retraites de ses agents car il constitue une lourde hypothèque pour l'avenir de Gaz de France. Sur 100 francs de chiffre d'affaire de GDF, 54 sont consacrés aux retraites, ce qui serait rédhibitoire dans un contexte concurrentiel. Tout le monde le sait, les syndicats le savent, et l'accord signé lundi est un bon signe de prise de conscience collective.
    Il importe donc d'intégrer les bénéficiaires du régime EDF-GDF dans le régime de droit commun ou, au moins, d'ancrer ce régime à celui du droit commun. Tel est d'ailleurs le sens de l'accord intervenu lundi, ce qui me laisse penser que nous allons dans la bonne direction.
    Quant au volet électricité, saluons la sagesse de la Haute Assemblée pour ce toilettage fort à propos de la loi du 10 février 2000 relative au service public de l'électricité. Il était temps en effet, mes chers collègues, de mettre fin à un état de fait hypocrite, où l'Etat faisait financer par EDF les obligations de service public, qu'il s'agisse en matière d'énergies renouvelables, de desserte de territoires non-interconnectés ou de lutte contre la précarité.
    Nous avons, grâce au travail parlementaire, un texte précis sur le contenu du service public, et je ne doute pas que notre débat aboutira à des mécanismes de financement de ce service public à la fois justes et sauvegardant la compétitivité de notre industrie.
    Ouverture à la concurrence européenne, ouverture de leur capital, nouveau contenu pour le service public, nouvelles règles de financement de celui-ci, modernisation du système de retraites ; madame la ministre, 2003 sera une année charnière décisive pour nos deux entreprises nationales. Le pire serait, cette année, de rester entre deux eaux et de ne pas décider. Par contre, si nous faisons, sans naïveté, mais avec courage, le pari européen, les consommateurs français, quelle que soit leur taille, mais aussi les personnels d'EDF et GDF en profiteront. C'est peut-être cela le secret de la dynamique européenne. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Pierre Ducout. C'est à voir !
    M. François Brottes. On verra ça en 2007 !
    M. le président. La parole est à M. Daniel Paul.
    M. Daniel Paul. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, si plus de dix années de négociations furent nécessaires avant l'adoption d'un premier texte législatif européen, c'est que la libéralisation du secteur de l'énergie, de l'électricité et du gaz n'allait pas de soi.
    Dans le plupart des pays, l'énergie était considérée comme une industrie stratégique au niveau économique et social, relevant du monopole national et nécessitant une tutelle politique forte, dans l'intérêt général des populations. En effet, l'énergie est l'un des secteurs industriels les plus importants de notre économie. A titre d'exemple, le chiffre d'affaires annuel dégagé par celui de l'électricité dans les Etats membres de la Communauté européenne est estimé à 150 milliards d'euros, tandis que celui du secteur du gaz naturel est évalué à 100 milliards d'euros. On comprend mieux, dans ces conditions, les convoitises que ce « marché » suscite.
    De plus, l'énergie constitue une part significative des dépenses totales des usagers privés et des industries. Des prix compétitifs - entendons par là accessibles et péréqués - sont donc indispensables, non seulement pour les ménages, mais aussi pour nos industries utilisatrices si elle entendent maintenir leur compétitivité sur le marché mondial. Dans les six premiers mois de l'année en cours, les comptes d'exploitation de Gaz de France révèlent une absence de marge sur les clients éligibles mais, par contre, une marge de 30 % sur les petits et moyens consommateurs. Tel est le premier effet concret de la libéralisation.
    Pourtant, dès le début des années 80, la vague libérale venue d'Angleterre et des USA a entraîné peu à peu une accélération de la politique libérale dans une Europe construite autour de ce modèle idéologique. Depuis, comme le secteur électrique, le secteur gazier connaît de profondes évolutions.
    L'Europe du gaz est en marche : c'est une réalité confirmée par la directive européenne du 22 juin 1998 sur le marché intérieur du gaz, négociée - il convient de le rappeler, pour éclairer les responsabilités - par le Conseil des ministres des quinze Etats membres et approuvée, contre l'avis des collègues de mon groupe, au Parlement européen.
    Déjà, dans le cadre d'un texte portant diverses dispositions d'ordre économique et financier, le précédent gouvernement avait tenté d'introduire deux amendements sur l'organisation du transport du gaz. Les députés communistes, s'appuyant sur une forte mobilisation des agents concernés, avaient contribué à repousser cette transposition à la sauvette de la directive européenne en exigeant un véritable débat démocratique associant les élus, les responsables des agents et les usagers.
    Aujourd'hui, comme dans d'autres secteurs où les coups portés par le Gouvernement sont rudes, le texte qui nous est soumis dans l'urgence et qui a été aggravé par le Sénat va bien au-delà des recommandations de ladite directive européenne. Il convient de souligner la portée et la signification symbolique de tels projets en termes de choix de société idéologiquement réfléchis et dont la mise en oeuvre s'articule sur un calendrier minutieusement préparé.
    Vous avez annoncé que le Gouvernement entend doter la France d'une loi d'orientation sur l'énergie, qui définira et précisera, à l'issue d'un grand débat national en début d'année, nos grandes options énergétiques. Nous craignons qu'une nouvelle fois il s'agisse d'une fausse concertation, à l'instar de ce que vous faites pour la décentralisation. En effet, alors que vous prétendez organiser ce grand débat national auquel il faudra selon nous associer les élus et représentants des salariés ainsi que les usagers, le 7 janvier prochain, lors du Conseil supérieur de l'électricité et du gaz, sera présenté, sans aucune information préalable, un plan pluriannuel d'investissement.
    Dans le même esprit, dans le projet de loi soumis aujourd'hui à notre examen, toutes les dispositions visent à réduire les pouvoirs de contrôle et d'intervention du Gouvernement et de la représentation nationale au profit d'organismes bureaucratiques chargés d'accélérer la libéralisation du secteur. La CRE en est une belle illustration.
    En fait, il est clair que le Gouvernement veut mettre en cause des services publics historiques et, par conséquent, le statut des agents, avant de s'engager plus avant vers une remise en question structurelle et plus globale de l'ensemble des acquis sociaux fondamentaux tant du secteur public que du secteur privé. Comment séparer votre loi sur le gaz de votre volonté de remettre en cause le régime de retraites des gaziers et électriciens, préalable à la refonte totale que vous voulez opérer du système de retraites dans notre pays ? C'est parce que, à vos yeux, il conditionne la suite des événements que vous êtes décidée à passer outre, coûte que coûte, tout en restant attentive aux protestations que provoque votre projet. D'où l'importance, à nos yeux, de résister fortement à la régression que vous nous proposez pour EDF-GDF.
    Avec ce projet que vous avez, un temps, rêvé d'adopter par voie d'ordonnance pour éviter tout débat contradictoire, vous semblez aussi, madame la ministre, afficher une ferme volonté - en bonne élève de la classe européenne dans sa version ultralibérale - d'accélérer l'ouverture à la concurrence. Dans les sphères dirigeantes de Gaz de France, on murmure que vous auriez déjà renoncé - au niveau européen - à combattre l'accès des tiers au stockage souterrain en échange d'une possibilité de choix entre un système de tarif réglementé et une formule de tarif négocié. Je suis sûr que vous aurez à coeur de nous éclairer sur ce point.
    M. Jean-Claude Lenoir. C'est déjà fait !
    M. Daniel Paul. D'ailleurs, votre gouvernement vient de se déclarer favorable à l'ouverture du marché du gaz et de l'électricité aux ménages, au cours du conseil des ministres des Quinze consacré à l'examen de la deuxième directive sur l'énergie.
    En réalité, votre volonté est de généraliser aux autres types d'énergie le contenu régressif de votre projet, qui pose - j'y reviendrai - le problème du contrôle de la nation en matière de politique énergétique. D'une manière cavalière - au sens parlementaire du terme -, vous profitez de ce texte pour remettre en cause plusieurs avancées inscrites dans la loi de février 2000 sur l'électricité, grâce à l'insistance, à l'époque, des parlementaires communistes. Il est vrai que le retard pris dans la publication des décrets d'application vous rend la tâche plus aisée, puisque cette remise en cause ne sera pas lisible immédiatement.
    Votre projet de loi de libéralisation de ce secteur, largement anticipé dans son application, constitue une première étape de la privatisation envisagée de deux grandes entreprises publiques, EDF et GDF, alors qu'aucune règle juridique, au plan européen, n'oblige de placer nos services publics en général et l'énergie en particulier sous la coupe de la logique des actionnaires ; nous pensons ici, bien évidemment, à l'ouverture du capital.
    Nous continuons, quant à nous, à penser que l'énergie n'est pas un bien de consommation à banaliser. Des enjeux fondamentaux y sont attachés, liés en particulier à la sécurité d'approvisionnement de la France, à la protection de l'environnement, à la continuité de la fourniture. C'est pourquoi elle faisait l'objet, jusqu'à présent, d'une politique publique avec obligation d'assurer des missions de service public. Au regard de ces impératifs, votre projet de loi est volontairement flou. A aucun moment il ne matérialise ces missions et ces obligations de service public.
    Dans ce débat, les amendements déposés par les parlementaires communistes visent à préserver des objectifs et des contraintes maltraités dans votre projet. Il s'agit d'objectifs tels que la sécurité des approvisionnements énergétiques, qu'ils soient physiques ou géopolitiques, de l'indépendance nationale, de la sûreté des installations et de la distribution du gaz, de l'équité sociale grâce à des prix accessibles et péréqués, de l'aménagement du territoire, etc., mais aussi de contraintes telles que la préservation de l'environnement, les économies externes, l'indivisibilité technique de la plupart des projets énergétiques, les politiques d'investissement à long terme.
    Face à ces objectifs et à ces contraintes, la logique de marché que vous préconisez de manière dogmatique est myope. Ajoutons que plus le marché est concurrentiel, plus il se financiarise et plus son degré de myopie augmente. Dans cet esprit, la transformation, dont vous rêvez, du marché énergétique en marché boursier, comme cela est le cas actuellement aux Etats-Unis, n'est pas une garantie de son efficacité, bien au contraire ! En matière énergétique, la régulation et la planification semblent être les domaines par excellence du pragmatisme et beaucoup moins de l'utopie.
    S'agissant de la sécurité d'approvisionnement en gaz naturel, la France est le pays d'Europe dont la position est la plus défavorable : en 1999, environ 31 % de ses approvisionnements provenaient de la Norvège, 28 % de la Russie, 24 % de l'Algérie, 12 % des Pays-Bas, contre 4 % seulement pour les ressources nationales.
    Pendant des dizaines d'années, tous les gouvernements ont considéré, compte tenu de cette particularité, que les contrats d'achat à long terme - ce qu'on appelle les take or pay - étaient le seul moyen de garantir l'approvisionnement de la France en gaz, grâce au monopole d'importation confié à GDF et à une programmation pluriannuelle des investissements nécessaires pour les acheminements par gazoducs ou par navires méthaniers.
    Ces contrats à long terme doivent rester la clé de voûte de nos approvisionnements. Ils garantissent les investissements nécessaires au développement de la production et l'acheminement du gaz vers les lieux de consommation. Or, suivant aveuglément les recommandations de la Commission, vous souhaitez les limiter de façon à laisser le champ libre au marché à court terme, dit « spot », qui fonctionne comme une bourse avec tous les risques inhérents à ce mode de régulation, à l'instar de ce qui se passe pour le pétrole.
    Votre logique vous conduit à sacrifier une entreprise publique qui a fait la preuve de son efficacité, au profit d'un marché financier dont l'objectif sera, avant toute autre chose, la rentabilité immédiate de ses capitaux.
    L'Europe, vous le savez, sera de plus en plus dépendante. On prévoit le doublement de sa consommation d'ici à 2020 et les réserves mondiales sont de plus en plus éloignées géographiquement. C'est dire les enjeux géopolitiques qui se rattachent à ce secteur.
    Dès lors, l'enjeu constant doit être de créer les conditions pour assurer une sécurité d'approvisionnement, c'est-à-dire assurer les transits à des prix accessibles pour tous les consommateurs.
    Face à l'ampleur des investissements nécessaires, estimés à 200 milliards de dollars par les spécialistes, et compte tenu surtout de leur très longue durée d'amortissement, la loi du marché est incapable de garantir de telles sécurités d'approvisionnement.
    L'alimentation en gaz de ces différents clients est soumise à des aléas de plusieurs types, aléas climatiques, aléas d'approvisionnement, aléas liés au développement de la vente et de la consommation. Pour être en mesure d'assurer une continuité de fournitures dans la quasi-totalité des situations, GDF a défini des critères aussi bien pour la conception du réseau que pour son exploitation. Ces critères consistent en des scénarios dits « dimensionnants » correspondant à des conditions de climat ou d'approvisionnement considérées comme extrêmes, pour lesquelles GDF a alimenté sa clientèle. Or rien dans votre projet ne précise ces obligations de service public.
    Au demeurant, quelles que soient la puissance et l'intelligence des acteurs du libéralisme, ici ou ailleurs, il est aussi une réalité de base qu'il n'est pas possible d'ignorer : on ne peut pas dépenser l'argent deux fois.
    Dans cet esprit, dans un contexte concurrentiel aggravé, l'argent investi par la direction de GDF dans sa stratégie internationale, l'est au détriment des cinq mille communes qui ont demandé leur raccordement ou au détriment de la sécurisation des installations de transport et de distribution. Qui plus est, du fait de la libéralisation du secteur de l'énergie, n'importe quel opérateur doit désormais avoir accès au réseau de transport, en construire ou en exploiter de nouveaux.
    Or, vous le savez, le gaz qui, décidément, n'est pas un bien à banaliser, est transporté en France à travers plus de soixante sites classés Seveso, plus de quatre mille bouches de gaz à très haute pression situées à proximité de zones d'habitation et 38 000 kilomètres de canalisations très haute pression, enfouies sous nos routes, sous nos voies de chemin de fer, sous nos habitations.
    L'exploitation, la maintenance et l'entretien de ces installations nécessitent l'emploi de personnels qualifiés. Notre collègue Claude Billard, qui s'était fortement investi dans le travail de la commission d'enquête parlementaire créée à la suite de l'accident d'AZF, avait insisté sur la nécessité de renforcer l'ensemble des normes de sécurité. L'accident survenu récemment à Toulouse, où trente-cinq mètres de fonte cassante n'ont pas été remplacés, a eu des conséquences mortelles. Cet événement rappelle, si besoin est, la pertinence de nos préoccupations.
    Toutes les procédures de construction et d'exploitation devraient être encadrées par des normes fixant les exigences en matière de sécurisation des réseaux de transport. Les obligations d'entretien et de maintenance, comme les exigences en matière d'effectifs et de qualification des personnels, devraient elles aussi figurer dans le cahier des charges des opérateurs. Là encore, aucune de ces préconisations n'est prise en compte dans votre projet. Nous proposerons dans le débat plusieurs amendements pour corriger cette grave lacune.
    Dans le même esprit, les activités nécessaires à GDF mais qui ne lui procurent aucun avantage concurrentiel, telles les études sur la sécurité des réseaux ou l'amélioration du matériel d'installation, sont aujourd'hui remises en cause. En fait, c'est l'ensemble du budget de la direction de la recherche qui ne cesse de baisser. Il ne représentait plus que 0,56 % du chiffre d'affaires du groupe GDF en 2001. Le pire reste à venir puisque la direction annonce une baisse de 50 % de ce budget d'ici à 2004.
    Force est de constater que, dans le domaine de la recherche et du développement, l'ouverture du marché du gaz a des conséquences désastreuses. Nous pensons quant à nous que l'amélioration continue de l'efficacité énergétique, la réduction des pollutions, la découverte de nouvelles techniques doivent être des préoccupations permanentes du service public du gaz.
    Dans cet esprit, la recherche doit être un élément central de l'action de Gaz de France. Or non seulement elle est soumise aujourd'hui à des restrictions, mais, demain, la concurrence dont vous accélérez la mise en oeuvre et les ratios de remplacement qui semblent être votre seule référence risquent fort de la compromettre davantage encore.
    En fait, dans tous les domaines, votre texte s'articule sur une volonté de liquider le service public et ses fondamentaux. Voilà pourquoi notre groupe combattra résolument ce projet et sa logique libérale. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Lenoir.
    M. Jean-Claude Lenoir. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous voilà depuis hier dans un débat qui aurait dû être ouvert il y a déjà plusieurs années. Nous nous retrouvons à assumer, nous ne cesserons de le répéter, les responsabilités d'une majorité qui n'avait pas accepté de soutenir l'action réformatrice de son gouvernement, lequel a finalement renoncé à faire à Paris ce qu'il avait accepté à Bruxelles.
    M. Patrick Ollier, président de la commission. Eh oui !
    M. Jean-Claude Lenoir. Et pourtant, il s'agit d'un domaine tout à fait important, je dirais même essentiel pour le développement économique de notre pays. Le secteur gazier, nous le savons, est un des acteurs majeurs de notre paysage énergétique.
    Or cette fin de l'année 2002 est un de ces moments que l'on peut qualifier de charnière. En effet, il s'agit de donner à l'entreprise les moyens de se mettre en position d'affronter les années à venir en nous proposant d'engager une réforme tout à la fois profonde et indispensable.
    Les rapports entre ce qui se passe à Paris et à Bruxelles ont toujours donné lieu à débat, vieux débat, surtout lorsqu'il est alimenté par les omissions, les errements et les erreurs de la gauche. Pourtant, M. Jospin, en présentant le programme de son gouvernement à cette même tribune en 1997, avait tenu à cet égard des propos particulièrement intéressants. « Nous ne voulons pas, disait-il, de ce jeu de défausse qui a trop souvent consisté à se décharger sur l'Europe de tâches qui auraient dû être assumées dans le cadre national. Nous ne voulons pas de ce jeu de défausse qui a consisté à imputer à l'Union européenne des défaillances qui procédaient souvent de nos propres insuffisances. » C'était porter, avant l'heure, un jugement cruel sur l'action ou plus exactement l'inaction de son propre gouvernement !
    Les engagements que la France avaient contactés - certes à Bruxelles - en 1998 n'ont jamais été tenus ici, bien que votre prédécesseur, madame la ministre, ait déposé un projet de loi. Il faut le rappeler à l'opposition, car elle l'a oublié !
    M. Pierre Ducout. Nous l'avons dit. Nous n'avons pas à rougir de ce que nous avons fait !
    M. Jean-Claude Lenoir. Et si vous l'avez oublié, j'en tiens un exemplaire à votre disposition. Je suis d'ailleurs persuadé que vous ne l'avez pas lu. Je parle bien du projet de loi déposé par M. Pierret en mai 2000.
    M. Pierre Ducout. Ce n'est pas le même que le vôtre !
    M. le président. Monsieur Lenoir, résistez aux interruptions de M. Ducout.
    M. Jean-Claude Lenoir. Monsieur le président, j'entends bien développer mon argumentation sans me laisser impressionner par les tentatives de M. Ducout. Il devrait lire le projet de loi déposé par le prédécesseur de Mme la ministre : il y aurait trouvé des réponses à ses questions et des affirmations que nous partageons.
    M. Pierre Ducout. Vous n'avez décidément pas bien vu la différence !
    M. Jean-Claude Lenoir. J'en viens à me dire, mes chers collègues de l'opposition, que si vous étiez conséquents avec vous-mêmes, il vous eût suffi de transformer le projet de loi de M. Pierret en amendement. Nous aurions eu ainsi sous les yeux le texte de l'actuel gouvernement, et les contre-propositions, certes tardives, de l'ancien.
    M. Pierre Ducout. Encore aurait-il fallu que nous ayons eu le temps d'en discuter en commission !
    M. Jean-Claude Lenoir. Nous aurions comparé et jugé. Jugé tout simplement que la plupart des dispositions que vous dénoncez aujourd'hui étaient contenues dans le projet de loi déposé par MM. Lionel Jospin et Christian Pierret ! Jugé aussi que leur inaction nous a conduits dans une situation de pré-contentieux qui devient contentieuse ; et, si nous ne faisons rien, une grande entreprise, Gaz de France, se verra bientôt confrontée au jugement sévère de la Cour de justice européenne.
    M. Pierre Ducout. Il ne faut rien exagérer !
    M. Jean-Claude Lenoir. Sans oublier, hélas ! que le refus de la France de tenir ses engagements a largement entamé la crédibilité de notre pays auprès de nos partenaires.
    Pourquoi en est-on arrivé là ? Le prétexte, je vais en parler dans un instant, c'est la défense du service public. La vérité, c'est que notre opérateur historique, Gaz de France, se trouve de ce fait dans une position juridique et financière particulièrement délicate.
    M. Pierre Ducout. C'est vous qui le dites !
    M. le président. Allons !
    M. Jean-Claude Lenoir. Cloisonnée, entravée dans son développement, Gaz de France ne peut poursuivre l'expansion de ses activités dans des pays proches, notamment l'Espagne. Vous connaissez le contentieux avec Eurogaz. Pendant ce temps-là, GDF a perdu des clients, puisque la directive de 1998 avait pour partie des effets immédiats et que la société n'a pu de ce fait développer ses activités à l'étranger.
    M. Pierre Ducout. C'est faux !
    M. Jean-Claude Lenoir. Mme la ministre a souligné, avec raison, devant la commission des affaires économiques, que le gaz, comme l'électricité, n'était pas une marchandise comme les autres. La France, c'est vrai, est très dépendante. Elle ne produit que 4 à 5 % du gaz qu'elle consomme. Raison de plus pour permettre à Gaz de France de se développer à l'international. Encore faut-il que notre secteur gazier ait une stratégie clairement identifiée. Gaz de France et les entreprises de ce secteur ont besoin de perspectives de conquête européenne. Il y va de l'intérêt de l'entreprise, comme des consommateurs.
    La directive acceptée par le précédent gouvernement et le projet de loi déposé par son successeur laissent pourtant de larges marges de manoeuvre, qui permettraient notamment de trouver un compromis extrêmement intéressant à même de concilier la tradition des services publics à la française et la nécessaire ouverture des marchés.
    Certes, la loi de 1946 a nationalisé les secteurs gazier et électrique. Cela dit, chacun le sait, cette loi de nationalisation répondait à une situation particulière. La tradition du service public en France reste la concession, non la nationalisation.
    M. Pierre Ducout. Ce sont les deux, cher collègue !
    M. Jean-Claude Lenoir. Du reste, on s'était aperçu dès les années soixante que les entreprises gazières et électriques étaient confrontées à de lourds problèmes de financement de leurs équipements et que l'Etat, c'est-à-dire le contribuable, n'était pas forcément celui qui devait répondre à leurs besoins d'investissement.
    M. Pierre Ducout. C'est ce qu'on dit depuis vingt ans !
    M. Jean-Claude Lenoir. Autrement dit, mes chers collègues, le régime qui a prévalu jusqu'à maintenant n'a pas vocation à être gravé dans le marbre de la pérennité. Mais cela n'empêche pas une minorité d'afficher une vision rétrograde et, faute d'arguments, d'entretenir la confusion dans les termes.
    M. Daniel Mach. Très bien !
    M. Jean-Claude Lenoir. Remettre en cause aujourd'hui un monopole ne signifie pas brader le service public.
    M. Pierre Ducout. On verra en 2007 !
    M. Jean-Claude Lenoir. Le texte qui vous est proposé - mais l'avez-vous lu ? - contient deux dispositions essentielles.
    La première c'est, bien sûr, l'éligibilité des consommateurs avec un abaissement progressif et maîtrisé des seuils. Rappelons d'ailleurs que l'entreprise a pour l'essentiel déjà réalisé ce qui est contenu dans la directive...
    M. Pierre Ducout. Absolument !
    M. Jean-Claude Lenoir. Le problème est que, par votre inertie, votre inaction,...
    M. Pierre Ducout. Pas du tout ! C'est le Gouvernement qui l'a demandé !
    M. Jean-Claude Lenoir. ... c'est-à-dire votre absence de courage, vous avez mis Gaz de France dans une position difficile...
    M. Pierre Ducout. En aucune manière !
    M. Jean-Claude Lenoir. ... en refusant d'inscrire en droit ce qu'elle a réalisé dans les faits.
    M. Pierre Ducout. Pas aujourd'hui !
    M. Jean-Claude Lenoir. C'est le clivage entre le de facto et le de jure.
    La deuxième disposition a trait aux obligations de service public, c'est-à-dire les obligations qui ressortent de l'intérêt économique général. Il nous appartient aujourd'hui de rechercher une définition des missions de service public et de veiller à leur respect ; mais c'est là un tout autre débat que celui de la préservation d'un monopole.
    C'est ainsi que nous sommes arrivés aujourd'hui à la notion de « service universel », définition à laquelle la France a beaucoup contribué, notamment dans le cadre des travaux parlementaires. Disons-le très clairement : le service public ou universel, c'est un cahier des charges, c'est-à-dire des obligations, avec un régulateur qui veille à leur respect. Ce n'est pas le maintien d'un monopole qui a eu sa justification, mais qui aujourd'hui doit être remis en cause.
    Enumérons rapidement ces obligations de service public, curieusement réclamées par l'opposition à cette tribune, mais qui figurent précisément dans un texte qu'elle n'a à l'évidence pas lu. C'est d'abord la sûreté des installations, la sécurité des personnes, la continuité dans la fourniture du gaz, la sécurité de l'approvisionnement, notamment au profit des personnes en situation de précarité, la protection des consommateurs et la transparence des conditions commerciales. Permettez-moi d'insister sur deux ou trois des points que je viens rapidement d'évoquer.
    La sécurité de l'approvisionnement pour commencer. Il est vrai qu'il étaient plus facile d'y veiller lorsqu'il n'y avait qu'un seul opérateur, en l'occurrence Gaz de France. La question peut se poser de ce qui se passera du fait du pluralisme. Rappelons, d'une part, que la Commission de régulation de l'énergie a prévu un dispositif de contrôle et que, d'autre part, les opérateurs seront amenés à déposer un plan prévisionnel d'approvisionnement du gaz.
    S'agissant de la transparence commerciale et de la nécessaire absence de discrimination, remarquons qu'il est prévu une séparation comptable et que la tenue des comptes sera elle-même vérifiée et contrôlée par la commission de régulation.
    S'agissant de l'aménagement du territoire, qui est une des valeurs fortes inscrites dans la notion de service public et de service universel, rappelons que les tarifs seront harmonisés. J'ai cru comprendre qu'un orateur demandait à cette tribune, il y a quelques instants, la péréquation des tarifs du gaz. Qu'il me dise comment faire, et surtout quelle est sa logique par rapport au texte déposé par M. Jospin ! Le mot « harmonisation » y figure, tout comme dans celui d'aujourd'hui. N'allez pas faire croire aux consommateurs que si vous étiez au pouvoir, vous seriez capables d'assurer la péréquation des tarifs du gaz, alors même qu'il est prévu que ces tarifs seront uniformes sur le territoire de chacun des opérateurs du service public de l'électricité et du gaz !
    M. Pierre Ducout. La différence est très faible !
    M. Jean-Claude Lenoir. L'objectif, et c'est bien notre volonté, est d'éviter les disparités régionales. Ajoutons que, sur le plan de la décentralisation, le rôle des régions par le biais des observatoires régionaux se trouvera ainsi renforcé.
    N'était mon souci, monsieur le président, de m'en tenir au temps que vous m'avez attribué, j'aurais bien relu l'ensemble du projet de loi de MM. Jospin, Fabius, et Pierret.
    M. Pierre Ducout. Une bonne lecture !
    M. Jean-Claude Lenoir. Mais nous aurons l'occasion, au cours de la discussion, de mettre nos collègues en contradiction avec des textes qu'ils adoraient, qu'ils vénéraient, mais qu'ils ont aujourd'hui tout bonnement oubliés. En fait, ce débat sera, et malheureusement pour ceux qui sont aujourd'hui dans l'opposition, révélateur d'un clivage, un clivage classique mais saisissant, entre le pragmatisme et l'archaïsme,...
    M. Pierre Ducout. Ce qu'il ne faut pas entendre !
    M. Jean-Claude Lenoir. ... entre la modernité et l'idéologie. Car l'idéologie n'a cessé de vous guider, chers collègues ! Elle vous a guidés et accompagnés jusqu'au bout, c'est-à-dire jusqu'à l'échec électoral.
    M. Pierre Ducout. C'est ce qu'on nous a répété cinq heures durant !
    M. Jean-Claude Lenoir. Je souhaite que cette idéologie ne vous quitte pas. Car elle est pour nous, de même que pour les Français, un rempart contre tous les risques de dérive liés à un retour de vos amis aux affaires de la France.
    M. Pierre Ducout. Souvenez-vous de 1997 !
    M. Jean-Claude Lenoir. Heureusement, le bon sens l'emporte aujourd'hui. L'union de la majorité est là, madame la ministre,...
    M. Pierre Ducout. On n'avait pas remarqué !
    M. Jean-Claude Lenoir. ... pour soutenir votre texte. Ne doutez pas de notre détermination à aider le Gouvernement, mais aussi nos opérateurs historiques, Gaz de France et Electricité de France, à qui nous devons tant,...
    M. Pierre Ducout. Ah ! il reconnaît ses sources, tout de même !
    M. Jean-Claude Lenoir. ... qu'il se soit agi de reconstruire la France ou qu'il s'agisse désormais de s'ouvrir sur un siècle moderne auquel nous entendons bien participer. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le président. M. Lenoir a donné l'exemple : il est resté un peu en deçà de son temps de parole.
    M. Jean-Claude Lenoir. Je peux remonter à la tribune si vous voulez, monsieur le président !
    M. le président. Non, monsieur Lenoir ! Je vous félicitais justement de ne pas y être resté ! (Sourires.)
    La parole est à M. Jean Gaubert.
    M. Jean Gaubert. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, certes, il fallait transcrire la directive européenne, mais, d'autres l'ont dit avant moi, il y avait deux manières de le faire : celle que vous proposez, qui fait de l'excès de zèle, et celle que nous souhaitions, c'est-à-dire une transcription a minima, comme nous l'avions déjà fait, d'ailleurs, pour la directive électricité. Ça n'aurait pas été compliqué, il suffisait de respecter l'esprit de la directive.
    Mais ce qui importe pour la majorité et le Gouvernement, c'est d'abord d'obtenir un brevet de « bon libéral ». Ils veulent même en faire un peu plus, pour être sûrs de ne pas pas être critiqués en haut lieu !
    Vous pouvez déclarer qu'il n'y a plus de nuages à Bruxelles : évidemment, dès lors qu'on pense comme les autres, il est plus facile de s'entendre ! Mais aura-t-on pour autant défendu l'intérêt de la France et des Français ?
    Mieux vaut examiner le texte et, surtout, écouter ce que vous nous avez dit - et ce, monsieur Lenoir, sans aucun dogmatisme ! De même que, quand on parle d'associations qui pensent comme nous, on les qualifie de citoyennes et les autres de lobbies, de même on a vite fait de grouper les idées que l'on désapprouve sous le vocable de « dogmatisme » !
    Mieux vaut, disais-je, regarder les faits.
    Du point de vue économique, les réseaux français sont reconnus comme fiables, sûrs et très développés, compte tenu de la faible densité de certaines parties du territoire. Les prix tant du gaz que de l'électricité sont très compétitifs. La concurrence existe déjà entre les énergies, et l'organisation de notre système montre, de plus, qu'elle n'est pas nécessaire à la satisfaction du client citoyen. Enfin, on sait allier le souci du court terme, c'est-à-dire le prix et la quantité disponible, à celui du long terme, en particulier la sécurité d'approvisionnement. En un mot, ça marche ! Et nos concitoyens approuvent.
    Regardons maintenant ce qui se passe chez nos voisins, puisque les libéraux étaient dans les autres pays et ils nous ont montré ce qu'il convenait de faire ! Je m'abstiendrai d'évoquer la situation de la Grande-Bretagne, certains l'ont déjà fait - on peut penser qu'elle est caricaturale. De même que la situation aux Etats-Unis où, petit à petit, on abandonne la dérégulation, sauf au Texas - on peut comprendre que l'Etat de M. Bush ne saurait montrer le mauvais exemple !
    Parlons plutôt des pays du Nord de l'Europe : la Norvège et la Finlande.
    La Norvège est un formidable producteur d'énergie : du gaz, du pétrole, de l'hydraulique. Le système y est libéralisé depuis 1992, dix ans déjà. Les prix ont certes baissé les premières années, mais pour atteindre en 2001 ceux du départ actualisés. Et, surtout, ce pays est arrivé à une situation de tension extrême sur les marchés de l'énergie, avec des conséquences tant sur l'approvisionnement que sur les prix.
    Ce n'est pas moi qui le dis. Le ministre norvégien de l'énergie déclarait, il y a quelques jours : « Eteignez vos lumières et baissez vos radiateurs dans les pièces inhabitées. Tous ceux qui en ont la possibilité devraient utiliser leurs réchauds. Les industries qui le peuvent devraient utiliser du fioul plutôt que de l'électricité. » Et il poursuivait en évoquant un rationnement de l'électricité au cours de l'hiver, même si le Gouvernement espérait « éviter les mesures drastiques ».
    Telle est la situation de la Norvège après dix années de système libéral alors que ce pays contient et exploite des ressources énergétiques extraordinaires. Mais on y a tout simplement voulu rentabiliser au mieux les équipements et les réseaux !
    Quant à la situation en Finlande, elle n'est pas plus brillante. Les distributeurs viennent de décider d'augmenter les factures de 11 % au 1er janvier 2003. Alors, les consommateurs ont-ils gagné dans ce pays ? En urgence, on vient d'y décider la construction d'un nouveau réacteur nucléaire.
    L'approvisionnement en énergie ne peut décidément pas être laissé au libre arbitre du marché, pour des raisons de quantité, certes, mais aussi pour des raisons d'avenir.
    Il y a deux grandes catégories d'énergie. La première nécessite des investissements importants et recourt à des consommables à des prix faibles : il s'agit du nucléaire, de l'hydraulique, du vent et du soleil. La deuxième réclame des investissements plus faibles, mais des consommables plus coûteux, comme le gaz, le pétrole, le charbon.
    Devant l'absence de contrats à long terme, il est clair que les industries privilégieront la deuxième, avec des conséquences diverses : moins de nucléaire et, à terme, sans doute, plus de nucléaire du tout, car quelle entreprise privée investirait avec un retour espéré à trente-cinq ans ? Mais aussi moins d'énergies renouvelables, un recours massif aux énergies fossiles, l'épuisement des ressources, et la pollution de l'atmosphère. Que diront nos enfants ? Comment appliquerons-nous les protocoles de réduction des émissions de gaz à effet de serre que nous avons signés ? Où est la notion de développement durable dans tout cela ?
    Voilà à quoi je voudrais vous rendre attentifs.
    La libéralisation, c'est la tension sur les prix et sur les approvisionnements, c'est l'appauvrissement des ressources naturelles de la planète et la pollution de l'atmosphère. Et c'est, en contrepartie, l'enrichissement de quelques groupes capitalistes, quand la spéculation excessive ne leur « vole » pas au visage.
    Le texte que nous examinons est inspiré par ces perversions. En matière d'aménagement du territoire, que devient la péréquation si chère à nos citoyens et l'extension du réseau reste-t-elle une priorité ? Qu'en est-il de l'indépendance nationale, de la sécurité des approvisionnements et du stockage, du statut et de l'existence même de GDF ? La privatisation guette l'entreprise et elle le sait, je crains qu'elle ne se fasse des illusions sur sa capacité à résister seule. Déjà on rôde autour d'elle !
    Quel est le rôle de la CRE ? Nous sommes maintenant instruits par les deux ans de fonctionnement de cette institution créée par la loi de 2000. Pour ne pas être mise en cause, elle pénalise souvent l'opérateur historique et elle veille jalousement sur la séparation comptable. Le plus extraordinaire, c'est qu'on invoque en permanence la séparation comptable pour les opérateurs actuels de gaz et d'électricité, mais qu'on ne se pose pas de questions sur les moyens que les futurs intervenants du secteur vont pouvoir injecter pour organiser le dumping et prendre les marchés, dans un premier temps, en utilisant, du reste, les matelas qu'ils ont constitués sur d'autres services concédés, comme l'eau ou les ordures ménagères.
    M. Pierre Ducout. Très bien !
    M. Jean Gaubert. Plus libérale que la loi, la CRE l'est, sans aucun doute. Ainsi, avant même que la loi ne l'y autorise, elle a encouragé la bourse de l'énergie. Vous nous avez dit qu'on avait obligé nos opérateurs à créer des bourses ailleurs. Mais ils n'étaient aucunement obligés d'embaucher des spéculateurs sur le marché du café et du cacao pour nous faire subir, à terme, le sort des paysans d'Amérique du Sud ! En fait, on veut calquer ces bourses sur la façon dont ont fonctionné les bourses que je viens de citer.
    La bourse, c'est la déréglementation totale. Votre texte, c'est la mort des choix citoyens en énergie. C'est une page formidable qui est tournée et qui avait été ouverte, en son temps, par le général de Gaulle et par ceux qui le soutenaient, en 1946, poursuivie par M. Pompidou et M. Messmer, puis par tous les gouvernements successifs, au rythme des besoins, avec les adaptations nécessaires, mais toujours avec le souci de l'avenir. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Nicolas.
    M. Jean-Pierre Nicolas. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, enfin nous y sommes, serais-je tenté de dire, puisqu'il s'agit de transposer la directive européenne du 22 juin 1998 relative aux règles communes du marché intérieur du gaz naturel.
    Chacun le sait, l'objectif de la directive est de réaliser un marché concurrentiel du gaz en s'abstenant de toute discrimination, tout en légitimant le service public. L'ouverture du marché progressive s'adressera d'abord aux gros consommateurs, dits « clients éligibles », puis à l'ensemble des clients.
    Cela a déjà été dit, mais la répétition est une méthode de pédagogie, la transposition de cette directive aurait dû intervenir avant le 10 août 2000. Mais le gouvernement de M. Jospin, empêtré dans ses contradictions internes - Christian Perret, alors secrétaire d'Etat à l'industrie, n'avait-il pas déclaré : « La France doit être exemplaire en matière de gaz » -, empêtré également dans son idéologie, hostile à toute idée de concurrence, obsédé par un souci électoral qui le conduisait à l'immobilisme, a été incapable de respecter ses engagements au niveau national. Il a bien déposé, le 17 mai 2000, un projet de loi relatif à la modernisation du service public, mais ce projet de loi n'a été suivi d'aucun effet, Jean-Claude Lenoir le rappelait à cette tribune il y a quelques instants.
    Les engagements européens n'ont pas non plus été tenus et la France a été mise au banc des accusés par la Commission européenne et condamnée le 28 novembre 2002 pour manquement à son obligation de transposition de la directive.
    Cette carence de l'Etat français a été préjudiciable à Gaz de France qui, après avoir, de fait, ouvert son marché national, s'est vu barrer l'accès à certains marchés européens, notamment en Espagne...
    M. Pierre Ducout. Anecdotique !
    M. Jean-Pierre Nicolas. Mais réalité !
    Notamment en Espagne, disais-je, où Unigas lui a refusé l'accès à son réseau de transports en invoquant la clause de réciprocité.
    L'absence d'équivalence dans la libéralisation des différents marchés européens a eu pour effet de générer une hostilité très forte des autorités étrangères face à toute tentation d'expansion des opérateurs français, au motif qu'ils bénéficiaient sur leur territoire d'un monopole, fait difficilement contestable.
    M. Pierre Ducout. Mais non, le marché a été ouvert !
    M. Jean-Pierre Nicolas. Cette situation était également préjudiciable à la clientèle qui ne bénéficiait pas des effets positifs de la libération du marché de l'énergie qui permettra d'améliorer la compétitivité de l'industrie française, notamment celle qui consomme beaucoup d'énergie.
    M. Jean Gaubert. Rendez-vous dans quelques années !
    M. Pierre Ducout. On verra en 2007 !
    M. Jean-Pierre Nicolas. Enfin, cette situation pesait sur la motivation des personnels des entreprises gazières qui s'interrogeaient sur la volonté de l'Etat et sur les conséquences que pourrait avoir sur leur entreprise, sur leur métier, sur leur mission et sur leur statut la transposition de la directive européenne. Il y avait donc urgence à transposer cette directive. Je me réjouis que le Gouvernement, après avoir fait légiférer sur les missions régaliennes de l'Etat et les budgets correspondants, ait inscrit avec célérité dans un débat législatif un projet de loi relatif aux marchés énergétiques dont tout le monde connaît l'importance économique, environnementale et sociale.
    Je me réjouis également de constater que, malgré l'urgence de la situation, le Gouvernement ait renoncé à la procédure de l'ordonnance et marqué sa volonté de respecter les prérogatives du Parlement tout en faisant confiance à sa capacité de travailler rapidement. A cet égard, permettez-moi de saluer le remarquable travail du Sénat, qui a sensiblement enrichi le projet initial en introduisant notamment un volet sur le développement du service public de l'électricité.
    Je salue également le travail de notre commission et de son rapporteur, qui ont eu la sagesse de ne pas chercher à tout prix l'originalité et se sont efforcés de poursuivre le travail d'amélioration, afin de transposer, au mieux, dans l'intérêt national, la directive de 1998 et de toiletter la loi du 10 février 2000.
    Ainsi, nous devons nous prononcer sur ce projet de loi qui constitue l'un des volets d'une série de réformes destinées à permettre à nos opérateurs énergétiques nationaux d'être les champions dans l'espace européen qui est désormais le leur et qui le sera encore davantage puisque, au sommet de Barcelone, le Président de la République et le Premier ministre de l'époque se sont prononcés en faveur de l'ouverture du marché aux clients professionnels en 2004-2005.
    Il faut regretter d'autant plus la perte de temps qui restreint la période d'évaluation et d'adaptation. Il ne s'agit pas de polémiquer stérilement sur la libéralisation des marchés énergétiques. Chaque démocratie doit assumer ses choix. La France a choisi l'Europe.
    Les marchés énergétiques sont ouverts à la concurrence, et il nous faut y voir une opportunité à saisir, au bénéfice des seuls véritables destinataires des réformes du Marché unique : les consommateurs, qui doivent bénéficier des prix les plus bas et des meilleures conditions de service, y compris en matière de sécurité des personnes et des biens et de sécurité de l'approvisionnement.
    Alors que le marché unique européen du gaz naturel n'en est encore qu'à ses balbutiements, il convient de mettre en place les mécanismes qui permettront au secteur gazier de jouer pleinement son rôle d'acteur économique et social en France. Je rappelle, pour mémoire, que la consommation gazière française a quintuplé en trente ans, passant de 100 térawatts-heure environ en 1970 à près de 500 térawatts-heure en 2000. Dans le même temps, la production nationale a diminué, et ne couvre plus que 3,7 % de la demande française.
    A l'évidence, les opérateurs gaziers français doivent donc conclure des partenariats et saisir des opportunités d'alliance, à l'instar de leurs concurrents, pour satisfaire leurs quelque 13 millions de clients et prendre toute leur place dans l'évolution du marché européen qui, selon les estimations, pourrait progresser de quelque 60 % en dix ans, passant de 410 milliards de mètres cubes en 2000, à 650 milliards de mètres cubes en 2010.
    Le secteur de l'énergie est intensif en capital, et le développement de Gaz de France suppose une augmentation de ses fonds propres qui excède les capacités de l'Etat. Il s'agit, dans le cadre de la législation européenne, de donner à ce grand opérateur de nouvelles capacités de financement lui permettant d'alléger son compte d'exploitation et de faire face à ses engagements.
    Indispensable au développement économique des opérateurs nationaux, ce projet ne néglige pas pour autant, je tiens à le réaffirmer, la défense du service public à la française. En effet, il définit les obligations de service public qui s'imposent aux différents acteurs pour garantir la solidarité entre territoires, au bénéfice des plus démunis, ainsi que la sécurité de l'approvisionnement. Sur ce dernier point, une solution adéquate a été trouvée en imposant aux fournisseurs l'obligation de produire, à la demande du ministre, un plan prévisionnel d'approvisionnement prouvant la diversification suffisante desdits approvisionnements.
    Par ailleurs, il convient de rester attentif au sort des clients non éligibles. Comme on l'a vu, les gros clients vont pouvoir choisir le fournisseur et exercer le pouvoir du marché, alors que les particuliers resteront des clients captifs jusqu'à la libéralisation totale du marché. Le projet est tout à fait clair sur ce point : le consommateur final continuera à bénéficier d'un tarif réglementé et ne verra donc pas sa situation bouleversée.
    Ce projet préserve aussi la véritable richesse que constitue le stockage gazier, convoitise de nos voisins, qui souhaitent l'institution d'un droit d'accès au stockage, facilitant leurs échanges. La position de la France sur ce point est sage et devra, me semble-t-il, être maintenue.
    M. Pierre Ducout. Attention, madame le ministre !
    M. Jean-Pierre Nicolas. Ce projet de loi, structurant pour les opérateurs, le sera également pour les collectivités locales. Le raccordement des clients, tant en électricité qu'en gaz, devrait être davantage fondé sur l'application des dispositions des cahiers des charges de distribution publique. Le toilettage de la loi SRU pourrait être l'occasion de s'en assurer.
    Par ailleurs, le débat sur l'énergie en France, qui viendra probablement devant notre assemblée en 2003, définira une véritable stratégie à moyen terme pour l'approvisionnement énergétique de la France. Le nucléaire, le gaz naturel et les énergies renouvelables seront, à n'en pas douter, au coeur du débat.
    Il conviendra notamment de préciser quelle place prendront dans ce dispositif les systèmes de production décentralisés, qui forment quasiment 70 % des 1 481 millions que représente la compensation des charges du service public. Compte tenu de la simplification du nouveau mécanisme de compensation de ces charges, il est permis de penser que celui-ci sera mieux appliqué que le précédent, dont la complexité constituait un frein à son application. Il paraît donc nécessaire de s'interroger sur l'impact économique et social de ce nouveau dispositif, qui prévoit le paiement de chaque consommateur. Ne risque-t-il pas de rendre encore plus difficile le règlement des factures pour certains clients domestiques ? Ne risque-t-il pas de grever la compétitivité de très gros consommateurs, pour lesquels le coût de l'électricité est essentiel dans la détermination du prix de leur produit ? Ne doit-on pas réfléchir à une diminution de ces charges de compensation ?
    Pour conclure, je dirai que le projet de loi qui nous est soumis est un texte équilibré, qui conjugue impératifs économiques, environnementaux et sociaux. Il est le résultat d'une concertation en profondeur conduite par le Gouvernement. Cette démarche de confiance me paraît être de bon augure pour continuer à doter notre pays des mécanismes indispensables à la nécessaire performance des opérateurs énergétiques au service de l'intérêt général. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. Claude Birraux, pour dix minutes.
    M. Claude Birraux. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la discussion de ce texte relatif aux marchés énergétiques pourrait être sous-titrée ainsi : pourquoi viens-tu si tard ?
    M. François Brottes. Déjà dit !
    M. Pierre Ducout. Pas vous, monsieur Birraux !
    M. Claude Birraux. Beaucoup d'orateurs l'ont dit, mais je crois qu'il est utile de marteler que nous avons plus de deux ans de retard dans la transposition de la directive gaz, qui devait être achevée au plus tard le 10 août 2000.
    M. Pierre Ducout. La directive électricité, c'était pareil !
    M. Claude Birraux. Vous êtes là, madame la ministre, à défendre ce texte devant la représentation nationale parce que le gouvernement Jospin n'a pas eu le courage d'en soutenir la discussion. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Aujourd'hui, la gauche, traumatisée par son échec électoral, complètement déboussolée - et quand on écoute ses orateurs, on se dit que le mot est faible - , cherche, à travers ses gesticulations, à retrouver une ligne idéologique. C'est vrai que les socialistes ont aussi leur congrès à préparer. Pauvre spectacle ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Pierre Ducout. C'est bas, venant d'un collègue qui préside l'office des choix scientifiques et technologiques !
    M. Claude Birraux. La gauche devrait pourtant se poser la question : quel gouvernement a négocié en 1998 cette directive gaz ? Quel gouvernement n'a pas eu le courage de la soumettre au vote, et pourquoi ? Le pourquoi est simple : tiraillé entre les surenchères contradictoires de la gauche plurielle, prisonnier de son archaïsme et des pesanteurs sociologiques, M. le Premier ministre Jospin, les yeux fixés sur le deuxième tour de l'élection présidentielle, ne voulait rien entreprendre qui pût gêner ses alliés de la gauche plurielle.
    M. François Brottes. Facile !
    M. Jean Dionis du Séjour. Mais c'est la vérité !
    M. Claude Birraux. Dans mon intervention sur la transposition de la directive électricité, j'avais dit que pour un plat de lentilles électoral le gouvernement Jospin sacrifiait les intérêts des entreprises françaises. Vous, à gauche, qui semblez si sûrs du comment traduire cette directive, pourquoi ne l'avez-vous fait quand vous étiez au pouvoir, et selon ce que vous souhaitiez ?
    M. Pierre Ducout. C'est petit !
    M. François Brottes. Au fait !
    M. Claude Birraux. J'ai repris le dossier « Vers la future organisation gazière française », édité sous les auspices de MM. Fabius et Pierret.
    Ainsi, dans l'avis adoptée par le Conseil économique et social le 27 octobre 1999, M. Charles Fiterman - vous connaissez, c'est sûrement un réactionnaire notoire - écrivait dans sa conclusion : « Le secteur gazier connaît (...) des mutations importantes, tant technologiques et économiques que sociétales. »
    M. Pierre Ducout. Il avait tout à fait raison !
    M. Claude Birraux. « Saisir l'occasion, poursuivait M. Fiterman, de la transposition en droit interne de la directive européenne sur le gaz pour procéder aux évolutions nécessaires constitue une légitime et opportune ambition. »
    M. Jean Dionis du Séjour. Il est sulfureux ce Fiterman !
    M. Claude Birraux. « L'objectif est clair : avec la même efficacité qu'il l'a fait hier, le secteur gazier français doit être demain en mesure de servir les intérêts du pays, en faisant face avec succès à la concurrence internationale. »
    M. Pierre Ducout. C'était très bien !
    M. Claude Birraux. « La démarche doit être confiante. La France dispose d'atouts de grande valeur : des opérateurs gaziers efficaces, en premier lieu Gaz de France, des équipements de qualité, un solide potentiel technologique, des personnels motivés et expérimentés. »
    M. Fiterman poursuivait : « Il ne s'agit pas d'entrer à reculons dans un avenir non désiré, pas plus que de se lancer à l'aveugle dans une aventure coûteuse. Dès lors, la démarche doit être offensive. »
    Cet avis n'a pas donné du courage au gouvernement Jospin. Pas plus que celui du groupe de la CFDT sur le rapport Fiterman : « La conviction de la CFDT est que la concurrence internationale constitue une réalité et que toute tentation protectionniste sera non seulement inefficace mais préjudiciable à l'avenir des entreprises gazières françaises. Il ne faut donc pas entrer à reculons dans l'ouverture du marché. »
    M. Pierre Ducout. Il s'agissait alors d'une ouverture limitée !
    M. Claude Birraux. Le Conseil supérieur du gaz et de l'électricité - repaire d'ultra-libéraux et de réactionnaires s'il en est... - déclarait, quant à lui, dans son avis du 12 octobre 1999 : « Pour fonder ses travaux, le CSEG a majoritairement considéré que, quel que soit le caractère divergent des appréciations sur la directive "marché intérieur du gaz naturel, il convenait qu'il considère le dispositif juridique communautaire comme une donnée. Par ailleurs, il a souhaité majoritairement que l'échéance fixée pour la transposition, soit le 10 août 2000, puisse être respectée. »
    M. Pierre Ducout. Elle l'a été.
    M. Claude Birraux. « Un retard prononcé entraînerait en effet une situation d'attente et de flou préjudiciable aux intérêts des opérateurs nationaux et de leurs clients. »
    On ne peut donc pas dire que le gouvernement Jospin manquait d'avis pertinents pour pouvoir agir. Le regard fixé sur la ligne bleu horizon du deuxième tour de l'élection présidentielle, il a préféré sacrifier les intérêts de la France, de l'entreprise Gaz de France et de l'honneur de ses travailleurs. Une procédure contentieuse engagée par l'Union européenne non seulement nous désigne comme le plus mauvais élève, mais va nous coûter cher.
    M. Pierre Ducout. Vous le croyez ?
    M. Claude Birraux. Certains évoqueront la menace d'un changement de statut, qui, in fine, plane sur nos débats, ainsi que l'ouverture totale prévue par la deuxième directive. Ce n'est pas l'objet de ce texte. S'il y a accélération apparente dans le calendrier de la libéralisation, c'est d'abord à cause de notre retard, qui n'est pas imputable au gouvernement actuel.
    M. Pierre Ducout. Qu'est-ce qu'il ne faut pas entendre !
    M. Claude Birraux. Et je vous rappelle, comme l'a fait mon collègue Nicolas, l'engagement pris par M. Jospin à Barcelone.
    M. Pierre Ducout. Et par Chirac !
    M. Claude Birraux. Sur le statut de Gaz de France, il est utile, là encore, de rafraîchir la mémoire de certains.
    Le 27 octobre 1999, une femme fort honorable et sans doute ultra-libérale quoique membre du groupe socialiste, j'ai nommé Mme Nicole Bricq, parlementaire en mission...
    M. Pierre Ducout. C'est vrai qu'elle est très honorable !
    M. Claude Birraux. ... rendait son rapport au Premier ministre, dans lequel on pouvait lire, à la page 29 : « Ainsi, pour donner à Gaz de France les moyens de son développement, il semble préférable de transformer l'établissement public en société anonyme et de réaliser l'ouverture du capital, l'actionnaire majoritaire demeurant l'Etat. » Le Gouvernement actuel ne dit pas autre chose.
    M. François-Michel Gonnot, rapporteur. Tout à fait !
    M. Pierre Ducout. On verra ce qu'il en est dans quatre ou cinq ans !
    M. Claude Birraux. Mme Bricq ajoutait : « Cette évolution de la structure juridique ne correspond ni à une position idéologique ni à la nécessité de transposition de la directive, mais au principe de réalité. »
    M. François-Michel Gonnot, rapporteur. Très juste !
    M. Claude Birraux. « La transposition, poursuivait-elle, est l'occasion de faire cette transformation et de préparer l'évolution de Gaz de France dans les meilleures conditions pour l'entreprise tout en préservant l'intérêt des salariés sans être contraint ultérieurement à agir dans l'urgence. »
    M. Jean Dionis du Séjour. Bravo !
    M. Claude Birraux. Je n'ai pas une virgule à changer à cet écrit de Mme Bricq, qui relativise largement les arguments de l'opposition d'aujourd'hui.
    M. François-Michel Gonnot, rapporteur. Absolument !
    M. Claude Birraux. J'aimerais insister maintenant sur plusieurs points importants.
    Le service public du gaz est particulier dans la mesure où les opérateurs ne sont pas en état de toucher tous les citoyens et toutes les entreprises, et où la péréquation tarifaire ne s'applique pas. Il n'empêche que les principes généraux doivent s'appliquer, ainsi qu'une très grande transparence pour les utilisateurs particuliers ou les non éligibles.
    Pour ce qui est de la sécurité d'approvisionnement, elle n'est évidemment pas assurée par les marchés spot. Elle repose sur la considération du long terme, qui inclut la diversification des sources d'approvisionnement, les contrats long terme et le stockage,...
    M. Jean-Yves Le Déaut. Eh oui !
    M. Pierre Ducout. M. Birraux devient enfin sérieux !
    M. Claude Birraux. ... auxquels on peut ajouter la construction de nouvelles structures pour éviter des goulets d'étranglement. Je suis pour le moins réservé sur un éventuel accès des tiers aux installations de stockage,...
    M. Pierre Ducout. Nous aussi !
    M. Claude Birraux. ... mais ce n'est pas dans le texte. Une coordination européenne, voire une régulation, doit préserver la sécurité d'approvisionnement pour qu'en tout temps l'offre puisse répondre à la demande en garantissant notre indépendance.
    Quant à la CRE, c'est très bien qu'elle devienne le seul régulateur de l'électricité et du gaz. Il faudra la doter de moyens pour accomplir cette double mission.
    M. Jean Dionis du Séjour. Très bien !
    M. Claude Birraux. Autre chapitre, les modifications apportées à la loi de modernisation sur l'électricité, notamment sur le commerce. Si vous reprenez mes interventions dans la discussion sur cette loi, vous constaterez que j'avais dénoncé vigoureusement l'attitude du gouvernement Jospin. Ce dernier, qui osait affirmer que « l'Europe doit devenir le marché d'EDF », s'est ingénié à dresser des lignes Maginot pour rendre la directive inopérante, faisant mine d'oublier que la réciprocité était le fil conducteur de la directive.
    M. Pierre Ducout. Mais le marché a été ouvert !
    M. Claude Birraux. J'ajoute que les lignes Maginot, le parti communiste les connaît bien : il les a vues de près.
    Quel en a été le résultat ? Alors qu'EDF faisait du commerce à l'étranger par le biais de filiales, ses concurrents ne pouvaient pas faire de même en France. Conséquence : la Commission, excédée, déclenche une enquête dont la suite peut être gravement pénalisant pour l'entreprise. M. Jospin et sa majorité plurielle ont préféré le sacrifice des intérêts de la France sur l'autel de leurs intérêts électoraux contradictoires.
    M. Pierre Ducout. Il ne faut pas exagérer !
    M. Claude Birraux. Dernier point, celui des énergies renouvelables. Dans le rapport que Jean-Yves Le Déaut et moi-même avons rendu en novembre 2001, pour le compte de l'office des choix scientifiques, sur les possibilités techniques des énergies renouvelables,...
    M. Pierre Ducout. Très bon rapport !
    M. Claude Birraux. ... nous sommes partis de considérations simples : l'effet de serre commence à se voir dans les diagrammes de température de la Terre et le respect de Kyoto est impératif ; les courbes de consommation, ces dernières décennies, montrent une tendance de forte consommation dans le résidentiel, le tertiaire et les transports ;...
    M. Pierre Ducout. Voilà du sérieux !
    M. Jean-Yves Le Déaut. Il termine mieux qu'il n'a commencé...
    M. Claude Birraux. ... les projections de consommation globale en 2010 montrent que nous aurons besoin de toutes les énergies et que l'objectif de 21 % de l'électricité obtenue à partir des énergies renouvelables est ambitieux et difficile à tenir.
    Il nous a semblé que l'énergie éolienne, contrairement à l'idée qui se répandait, ne pouvait pas à elle seule répondre aux objectifs, et qu'il fallait relancer le solaire et les biocarburants. Mais nous n'avons pas dit qu'il fallait renoncer à l'éolien, bien au contraire, puisque nous avons demandé que l'Etat dresse des cartes des sites équipables.
    Si je conçois qu'il faille mettre un peu d'ordre dans l'absence de réglementation, cela ne veut pas dire qu'il faille dresser des obstacles à l'infini pour empêcher l'implantation des éoliennes. Les cas récents montrent que l'on peut être à la fois « environnementaliste » et écologiste, et contre les éoliennes près de chez soi.
    Il serait souhaitable que la future loi de programmation clarifie durablement les conditions de développement des énergies renouvelables, afin d'éviter que ne se dresse l'enfer, pour leurs promoteurs, sur une route - ou sur une loi - qui peut être pavée de bonnes intentions.
    M. Pierre Ducout. On ne sait toujours pas ce que propose le président de l'office !
    M. Claude Birraux. En conclusion, je dirai simplement, madame la ministre, qu'à travers ce texte, dont l'approche est pragmatique, vous allez mettre la France au diapason de l'Europe. Le gouvernement Jospin et sa majorité plurielle avaient relégué la France au dernier rang des pays européens.
    M. Pierre Ducout. Restez sérieux !
    M. Claude Birraux. Avec ce texte enfin voté, vous permettrez à la France de n'être plus montrée du doigt et de rejoindre le peloton de nos compétiteurs européens. Vous permettrez surtout à l'entreprise Gaz de France, à son savoir-faire technologique, à ses employés motivés, expérimentés et compétents, de pouvoir donner toute la mesure de leurs très grandes capacités et ambitions pour jouer ainsi à armes égales avec leurs concurrents pour le marché européen. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. Jean Launay pour cinq minutes.
    M. Jean Launay. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ma courte intervention portera particulièrement sur le titre VII, Dispositions relatives au service public de l'électricité, et plus précisément sur le FACE, le fonds d'amortissement des charges d'électrification.
    L'article 20 A nouveau, introduit par le Sénat - comme presque tous les articles de ce titre, d'ailleurs - est le seul qui mentionne le FACE, ce bel outil de péréquation créé par la loi du 31 décembre 1936, portant fixation du budget général de l'exercice 1937.
    L'amendement n° 144 que nous défendrons complétera utilement le travail commencé par le Sénat, comme un chapeau nécessaire pour présenter le FACE et le défendre. J'y reviendrai.
    Avant même la nationalisation de l'électricité et à la demande de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies, le FACE a été créé afin que la logique d'entreprise des concessionnaires soit équilibrée par la puissance publique - déjà. Il constitue un formidable instrument de péréquation des investissements relatifs aux réseaux de distribution et contribue au maintien de la cohésion nationale entre les territoires.
    En pratique, ce fonds permet l'externalisation, par rapport à EDF, de la maîtrise d'ouvrage assurée par les collectivités locales des investissements sur les réseaux ruraux, non rentables pour EDF.
    M. Pierre Ducout. Très juste !
    M. Jean Launay. Le FACE est alimenté par les prélèvements sur les recettes en basse tension des distributeurs - EDF et régies municipales - à des taux différenciés entre communes rurales - 0,44 % - et communes urbaines, celles qui ont plus de 2 000 habitants, qui se voient appliquer un taux de 2,2 %. Pour autant, il ne s'agit en aucun cas de l'argent d'EDF, et le FACE doit, au moment où la libéralisation gagne du terrain, faire l'objet de toute notre attention, pour peu que nous soyons soucieux de lui préserver son rôle redistributeur, et dès lors que nous partageons l'idée de maintenir publique la propriété des réseaux locaux.
    Mes chers collègues, si j'insiste sur ce point, c'est parce que les « nouvelles visions » de la fondation Concorde sur EDF ont bel et bien de quoi inquiéter. Et leur lecture, au moment de ce premier morceau du débat sur la politique énergétique de notre pays, est malheureusement révélatrice, madame la ministre, de la volonté de spolier les collectivités locales, au motif de trouver des solutions aux deux problèmes des retraites et de l'ouverture à la concurrence.
    Le constat fait par ce club de réflexion, dont je rappelle qu'il est placé sous le patronage de Jérôme Monod, conseiller politique du Président de la République, est parfaitement erroné à de nombreux égards.
    Oui, les collectivités locales jouent un rôle important, aussi bien dans la construction des lignes que dans le contrôle du concessionnaire. Non, EDF n'a pas la propriété, même de fait, des réseaux de distribution, car EDF ne les a ni construits ni entretenus ; ce sont les syndicats d'électrification, avec les communes qui les composent, qui l'ont fait, grâce au FACE. Non, il n'y a aucune raison pour que les collectivités concédantes apportent leurs réseaux au capital d'EDF et de GDF si ces établissements étaient, demain, transformés en sociétés commerciales.
    La vente envisagée du réseau des collectivités constitue une proposition inacceptable, car l'abandon de leurs réseaux laisserait les collectivités minoritaires au capital des entreprises EDF et GDF et ne donnerait aucune contrepartie positive en faveur des citoyens consommateurs qu'elles représentent. En pratique, aucune recette ne viendrait donc abonder le budget des communes. Les taxes locales sur l'électricité, et bien sûr le système du FACE, disparaîtraient. Cela, nous ne le voulons pas.
    C'est la raison pour laquelle, appliquant l'adage « mieux vaut prévenir que guérir », j'ai jugé utile de prendre date et d'anticiper sur un débat que la frénésie libérale ambiante nous proposera prochainement. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - M. Jean Dionis du Séjour et M. Jean Lassalle applaudissent.)
    M. Jean Dionis du Séjour. Bon sujet !
    M. le président. La parole est à M. Christian Philip, pour dix minutes.
    M. Christian Philip. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, « enfin ! » et « félicitations » pourraient être mes premiers mots.
    Enfin, parce que, d'autres l'ont dit avant moi, cette directive gaz, nous aurions dû la transposer en droit interne depuis longtemps. Il faut répéter ici que nous sommes le seul pays membre de l'Union à ne pas l'avoir fait. Je ne crois pas que l'influence de notre pays parmi les Quinze se renforce quand nous ne respectons pas les engagements pris. La responsabilité du précédent gouvernement est engagée dans une situation qui, quoi qu'on en dise, n'a pas servi les intérêts de la France.
    Félicitations, madame la ministre, car vous avez voulu très vite mettre fin à ce retard. Vous avez souhaité le faire en toute clarté, à travers un projet de loi et non pas par ordonnance.
    M. Jean Dionis du Séjour. Très juste !
    M. Christian Philip. Félicitations aussi pour l'attitude d'ouverture que vous avez adoptée sur le dossier de l'énergie en général, qui a conduit à l'accord conclu le 25 novembre sur la nouvelle directive, laquelle viendra compléter le texte aujourd'hui examiné.
    Auteur d'un rapport d'information de la délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne sur ce dossier de la directive gaz, je veux d'abord insister sur le fait que notre pays ne pouvait pas rester, concernant la transposition des directives, l'Etat membre le moins respectueux de l'application du droit communautaire. Le retard pris au cours des dernières années, et pas seulement sur le gaz, était inacceptable. Dois-je rappeler que le Conseil européen de Stockholm, au printemps 2001, avait invité tous les Etats membres - et nous nous y étions engagés - à réduire leur déficit de transpositions à 1,5 % avant le Conseil européen de Barcelone en mars 2002. Où en étions-nous, en mars 2002 ? A 3,8 % - nous étions le plus mauvais élève de la classe, la Grèce étant à 3,3 %, le Portugal à 3,1 %.
    Le nombre de procédures d'infraction relatives aux marchés intérieurs engagées par la Commission contre la France à cette date s'élevait à 216, quand celles engagées contre l'Italie se chiffraient à 190. Je vous fais grâce des autres chiffres. Est-ce que cela a servi notre pays ?
    Au 1er juillet dernier, 116 directives - 116 ! - n'étaient pas transposées, et le délai dépassé. Au 1er novembre, il en reste 100.
    Je me félicite de la volonté affichée par le Premier ministre, dès le mois de juillet dernier, dans sa déclaration de politique générale, de modifier cet état de fait. Les propositions d'action présentées par Mme Lenoir au Conseil des ministres du 6 novembre seront efficaces, en particulier celle qui consiste à réserver une place, une fois par mois, dans l'ordre du jour de notre assemblée, à la discussion d'un texte transposant une directive lorsqu'une loi est nécessaire pour ce faire.
    La délégation pour l'Union européenne a fait d'autres suggestions. A partir du mois de juin prochain, elle présentera chaque année un rapport sur l'état d'exécution des directives adoptées.
    Venons-en maintenant à la directive gaz et au projet de loi. Les raisons invoquées pour ne pas transposer la directive européenne concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel n'étaient pas sérieuses, mais résultaient d'une absence de courage politique.
    D'abord, on ne le répètera jamais assez, la France avait, en conseil des ministres, donné son accord à cette directive.
    M. Claude Birraux. C'était Jospin !
    M. Christian Philip. Si cette directive avait été adoptée contre l'avis du gouvernement français, cela ne nous aurait pas empêcher de devoir la mettre en oeuvre, mais au moins aurait-on pu comprendre qu'un certain retard soit pris pour ce faire. Nous, nous l'avons votée à Bruxelles, mais nous ne l'avons pas appliquée. Est-ce être responsable que de dire, comme je l'ai entendu tout à l'heure, que notre pays pouvait avoir été bénéficiaire de ne pas avoir appliqué un engagement international qu'il avait lui-même pris ?
    En outre, suite d'ailleurs aux positions prises par la France en 1998 durant les négociations, cette directive garantit de façon toute particulière les obligations de service public, montrant ainsi que l'idée européenne et les obligations de service public ne sont pas incompatibles quoi qu'on en dise - et il ne faut pas laisser se répandre ce préjugé surtout à l'heure où l'Europe s'apprête à franchir, avec l'élargissement, un pas considérable dans son histoire. La concurrence européenne permet de maintenir, si les Etats membres le souhaitent, des obligations de service public.
    Le projet qui nous est présenté, amendé par le Sénat, est clair et l'argument selon lequel cette loi signifierait une attaque contre la notion de service public n'a aucun sens.
    En effet, si la plupart des textes communautaires évoquent les « services d'intérêt général », cette directive mentionne clairement les « services publics ». Mme de Palacio, la commissaire européenne responsable du secteur énergétique, a eu raison d'affirmer que les dispositions de cette directive sont « celles qui, jusqu'à ce jour, prennent, dans l'ensemble du droit communautaire, le plus en compte la dimension du service public dans un acte législatif de l'Union ». Il est bon de le rappeler.
    Je souhaite, en dernier lieu, insister sur les évolutions futures, au-delà de cette première directive. Madame la ministre, vous avez eu raison de mettre fin à notre attitude de blocage, alors même que nous ne récusons pas le principe du marché unique, car, ici comme ailleurs, ce marché unique sera une condition du succès de nos entreprises, de Gaz de France, d'Electricité de France, comme des autres, et ce quel que soit le statut.
    Dire toujours non, essayer de retarder au maximum nous a isolés ces dernières années. Cela nous empêchait d'être ensuite entendus sur les modalités des textes à adopter. Dire oui, ce que vous avez choisi de faire, mais en insistant sur les conditions, notamment les délais de mise en vigueur, c'est au contraire une attitude qui nous fait réintégrer un circuit d'influence.
    Enfin, avoir une attitude positive n'empêche pas d'être réaliste. Il faut donc, c'est vrai, s'interroger sur certaines pratiques nationales de tel ou tel pays qui entravent encore le libre jeu du marché. Transposer dans les temps est nécessaire, accepter une ouverture totale est un choix qu'on peut admettre, encore faut-il ensuite mettre en oeuvre. Ce n'est pas le cas partout.
    Cessant d'être négative, la France doit pouvoir désormais exiger que ces entraves disparaissent. Il est nécessaire qu'existe partout une autorité de régulation avant que peut-être ne soit instituée un jour une autorité européenne de régulation.
    En conclusion, madame la ministre, la transposition et la manière dont on transpose, quoi qu'on en ait dit, cette directive devrait permettre à la France sur cette question du gaz, sur la question de l'énergie en général, d'être, demain, mieux écoutée et d'influer sans doute sur les conditions dans lesquelles la concurrence se met en place au niveau de l'Union européenne. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. David Habib.
    M. David Habib. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, élu des Pyrénées-Atlantiques, maire de Mourenx, capitale du bassin de Lacq, je suis naturellement vigilant aux évolutions du marché du gaz dans notre pays. Je reviendrai dans un instant, si vous le permettez, sur notre expérience à la fois du groupe TotalFinaElf, directement concerné par ce texte, et sur les problématiques de sécurité industrielle.
    Auparavant, je souhaite, comme d'autres orateurs du groupe socialiste, vous exprimer, madame la ministre, ma gêne face à un texte qui relève, on l'a souvent répété à cette tribune, de la stricte vision libérale de ce gouvernement et de sa majorité.
    Je voudrais, après d'autres, vous rappeler, madame, que s'il y avait effectivement nécessité de transcrire la directive gaz, l'Europe ne nous impose en aucune façon le texte que vous nous soumettez et qui, à la fois sur le marché du gaz et sur le volet électricité, va bien au-delà de l'accord communautaire.
    La directive 98-30 du Conseil européen du 22 juin 1998 n'abordait pas en effet les questions électriques, cela est un fait que l'on doit au Sénat, et fixait en matière de gaz un régime de seuil d'ouverture du marché qui n'est aucunement celui retenu par le Gouvernement.
    Je profite, par ailleurs, de cette discussion pour rappeler à notre assemblée que le droit communautaire ne saurait tenir lieu de prétexte pour ceux qui veulent libéraliser à tout prix et déréglementer en tous domaines. Nous savons que le droit communautaire retient la notion de service public. Le juriste Paul Cassia précise que non seulement le droit communautaire n'ignore pas le service public mais que, à l'inverse, il l'enrichit.
    Notre collègue Christian Philip, qui vient de s'exprimer devant cette assemblée, rappelait récemment, dans un rapport pour la délégation pour l'Union européenne, cette donnée, qui tranche avec l'idée communément admise que si l'on privatise ou que l'on dérèglemente, c'est parce que Bruxelles l'exige. Il vous faut, madame la ministre, dans ce débat comme dans d'autres, assumer vos choix et rendre compte demain de vos responsabilités.
    Enfin, je souhaite indiquer à notre collègue, M. Gonnot, que je ne peux partager son analyse selon laquelle le projet de loi ne concerne en aucun cas l'adaptation de notre politique énergétique dont la future loi d'orientation sur l'énergie donnera l'occasion. Au contraire, ce projet de loi remet en cause les rapports entre Gaz de France et les distributeurs non nationalisés, et entre Gaz de France et les deux fournisseurs autonomes que sont la société Gaz du Sud-Ouest, GSO, et la Compagnie française du méthane, CFM. Au-delà vous savez bien, monsieur le rapporteur, que c'est la question de la pérennité de Gaz de France qui est aujourd'hui posée.
    Ne sous-estimez pas, mes chers collègues, l'inquiétude à propos des salariés de GDF et d'EDF. Nous les avons tous rencontrés, ils vivent ces moments comme une atteinte à la culture de leur entreprise. Il ne suffit pas, Mme Buffet l'a rappelé, de les féliciter pour leur disponibilité, leur dévouement et leur compétence quand notre pays est confronté à des situation difficiles. Ils attendent surtout que nos choix ne bouleversent pas, au nom d'une frénésie libérale, la politique énergétique patiemment construite en France, et qui peut encore servir d'exemple pour nos amis européens.
    M. Pierre Ducout. Très bien !
    M. David Habib. Comme d'autres, j'ai reçu une coupure de presse tirée de la revue Enerpresse et datée du 5 décembre qui évoque le modèle nordique et ses grandes défaillances en matière de fourniture électrique. En effet, il n'y a pas que la Californie qui procède à des rationnements dans ce domaine, la Norvège l'envisage par la bouche de son ministre du pétrole et de l'énergie. Quant à la Finlande, elle a annoncé pour le 1er janvier 2003 une hausse des tarifs de 11 %.
    Telles sont, mesdames et messieurs, les raisons majeures qui m'amèneront, comme l'ensemble des élus socialistes, à rejeter ce projet de loi.
    Je vous disais en introduction que j'étais l'un des élus du bassin de Lacq. Ce texte me donne l'occasion de rappeler que notre pays dispose encore d'un site unique qui a constitué pour lui l'une des plus formidables aubaines économiques, financières, industrielles et technologiques depuis la Seconde Guerre mondiale. Ce gisement de gaz représentait, en 1957, au début de son exploitation, 250 milliards de mètres cubes. Son extinction est programmée pour 2010-2012 et il ne reste qu'environ 15 à 20 milliards de mètres cubes mobilisables jusqu'à l'épuisement physique de la poche gazière.
    La France a bénéficié de cette richesse géologique, sans en restituer au Béarn sa part légitime.
    M. Pierre Ducout. C'est vrai !
    M. David Habib. Nous en ressentons de l'amertume, mais au moins était-ce pour le bien commun du pays. Et puis, depuis quelques années, l'Etat l'a montré à l'occasion du CIADT, le Comité interministériel de développement et d'aménagement du territoire, du 18 mai 2000 nous accompagne dans la mutation de notre chimie, nous aidant à passer d'une chimie de l'extraction à une chimie de la molécule. Elf, quant à elle, a tiré et continue de tirer un profit considérable de ce gisement.
    M. Pierre Ducout. C'est vrai aussi !
    M. David Habib. L'usine de Lacq, amortie depuis plus de cinquante ans, rapporte 100 millions d'euros, résultat net après impôts pour 2001, bénéfice qui devrait être amplifié en 2002.
    Or, que constatons-nous aujourd'hui ? TotalFinaElf se désengage de ce site « berceau », sans en avoir assuré la mutation, et après avoir bousculé notre environnement. Tous les élus confondus des Pyrénées-Atlantiques, de Mme Alliot-Marie à M. Bayrou, de M. Labarrère à Mme Lignières-Cassou, de M. Lassalle à moi-même,...
    M. Pierre Ducout. Belles références !
    M. David Habib. ... nous avons multiplié les démarches et les appels pour que cette entreprise qui nous doit tant assure ses devoirs régionaux.
    M. Jean Launay. Très bien !
    M. David Habib. Sur ce terrain, madame la ministre, il peut y avoir accord entre nous, et je n'ai aucune raison de douter de l'écoute et du soutien que vous-même et votre cabinet pourrez mobiliser pour nous aider à dominer nos difficultés.
    Pourtant, Elf, ou plus exactement TotalFinaElf, qui veut aujourd'hui donner des leçons aux entreprises publiques, présente le pire exemple de l'entreprise soumise aux marchés, incapable de stratégie industrielle à plus de dix-huit mois, méprisante pour son environnement immédiat, et même ne remplissant pas - nous aurons l'occasion d'en reparler quand Mme Bachelot présentera son projet - ses obligations de sécurité, comme l'actualité nous l'a dramatiquement rappelé.
    Le projet de loi qui nous réunit aborde trois questions qui, en Béarn, sont une réalité : le problème des stockages souterrains - mais je l'évoquerai lorsque nous aborderons la discussion sur les articles et les amendements -, la question de la sécurité des sites industriels et notamment des stockages, qui exigent, madame la ministre, davantage que le renvoi à l'arsenal réglementaire, et, enfin, la sécurité des approvisionnements.
    On nous dit que le secteur privé sera capable, demain, de fournir autant de gaz que nous le souhaitons. D'ici à 2005, l'usine de Lacq ne sera plus en mesure d'alimenter en éthane l'usine d'Ato-Fina-Mont, filiale du même groupe TotalFinaElf, et distante de moins de deux kilomètres. Faute de disposer de cet éthane, l'unité d'éthylène de Mont cessera son activité : deux cent cinquante emplois sont condamnés et, plus largement, l'ensemble du bassin de Lacq, dont les unités sont interdépendantes, souffrira de cet affaiblissement industriel.
    Nous demandons à TotalFinaElf d'assurer à l'usine de Mont la fourniture en gaz chargé d'éthane. TFE est incapable de nous apporter une réponse favorable. Le pipe est considéré, par elle, comme trop cher. Quant au réseau Transcal - justement concerné par ce projet de loi -, TotalFinaElf nous indique qu'elle ne peut le mobiliser, car elle ne dispose pas de suffisamment d'assurances quant à la qualité du gaz qui y circule.
    Imaginons, mes chers collègues, une politique industrielle qui serait aussi fragile que ces réponses ! C'est pourtant ce que nous prépare cette construction législative. Le gaz est un bien précieux, nous nous sommes accordés, les uns et les autres, à le rappeler, une richesse énergétique et une activité industrielle sur laquelle notre pays peut asseoir son développement. C'est pourquoi, avec les autres membres du groupe socialiste, je vous invite à rejeter ce projet de loi et à revenir à une transcription plus juste et plus équilibrée de la directive européenne. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à M. François Brottes.
    M. François Brottes. Madame la ministre, la presse ne s'y trompait pas lorsque, il y a quelques jours, elle commentait votre prestation, le 25 novembre dernier, à Bruxelles. Voici ce qu'écrivait Le Monde : « Contrairement à ce qu'elle avait fait en mars au sommet européen de Barcelone, la France ne s'est pas opposée au projet de directive européenne prévoyant l'ouverture totale du marché de l'énergie. » Chacun peut se dire que cette information est anodine, ou bien qu'elle ne fait que prolonger une démarche inéluctable engagée depuis longtemps. Pour vous, madame la ministre, c'est une occasion pour la France de se faire pardonner d'avoir été le plus mauvais élève du libéralisme pendant la période du gouvernement Jospin. Pour ce qui me concerne, je suis fier d'avoir soutenu un gouvernement qui a su être ferme sur les valeurs du service public, face à la tourmente libérale qui souffle en Europe.
    M. Jean-Claude Lenoir. Il n'a pas été très courageux, ce gouvernement !
    M. François Brottes. Ainsi donc, aujourd'hui, le gouvernement Raffarin, que vous soutenez, chers collèges, fait du zèle et sacrifie le service public sur l'autel du « tout marché » et du « tout profit ».
    M. Jean-Claude Lenoir. Il est courageux, lui !
    M. François Brottes. Cette valeur d'un « service public de qualité accessible à tous » que le groupe socialiste, à l'Assemblée nationale, a voulu inscrire dans la Constitution à l'occasion de l'actuel débat sur la révision de notre Constitution, cette valeur est au coeur du principe fondamental d'égalité. Ce n'est pas un hasard si la droite libérale s'y est opposée, si la droite libérale démantèle, dérégule, si la droite libérale brade. Elle a la conviction que la seule loi qui compte c'est la loi du plus fort ou du plus riche.
    M. Jean Dionis du Séjour. Comme Christian Pierret !
    M. François Brottes. Notre projet est ailleurs. Non, le service public, ça n'est pas ringard ! Non, le mot « monopole » n'est pas un gros mot !
    M. Jean-Claude Lenoir. Il ne fallait pas signer !
    M. François Brottes. De quoi sommes-nous en train de parler ? Des besoins vitaux de chacun : se chauffer, s'éclairer, boire, se laver, communiquer au téléphone avec ses proches, son médecin, pouvoir recevoir son journal tous les jours, suivre ses programmes à la radio ou à la télévision, mais aussi pouvoir se déplacer grâce aux transports en commun, se faire soigner en toute sécurité, accéder à la connaissance et au savoir...
    M. François-Michel Gonnot, rapporteur. Pouvoir promener son chien ! (Sourires.)
    M. François Brottes. Il s'agit de garantir à chacun, où qu'il vive sur le territoire, et même en montagne, chers collègues, tout cela avec la même sécurité des installations, avec la même qualité, les mêmes garanties et avec les mêmes innovations technologiques.
    Sans arrogance, mais, il est vrai, avec fermeté, nous avons à convaincre la majorité de nos partenaires européens du lien que nous faisons entre les entreprises publiques et la nécessité pour elles de conserver une partie de leur activité sous monopole. Encore faut-il que votre gouvernement ait la volonté de mener ce combat pour une Europe plus juste, plus sociale. Ça a été le sens de notre engagement sous présidence française pour l'adoption d'une charte des droits fondamentaux en Europe, qui reconnaît, pour les Européens, la nécessité de bénéficier de services d'intérêt général.
    C'est un premier pas qui impose d'aller au-delà, et d'être normalisé sous la forme de directive - celle-là sera juste - avant que tout soit dérégulé et libéralisé. De ce point de vue, en faisant sauter la digue érigée à Barcelone, votre gouvernement vient de franchir le Rubicon.
    Ne nous y trompons pas : ce renoncement du gouvernement n'est pas banal. Car il y a une différence énorme, mes chers collègues, entre ouvrir une partie du marché à la concurrence et soumettre la totalité des familles et des territoires aux lois impitoyables du marché pour l'accès aux services publics.
    M. Jean Launay. La nuance est importante !
    M. François Brottes. L'ouverture d'une partie du marché à la concurrence peut être, c'est vrai, une source d'émulation positive, dans tel ou tel domaine (« Ah ! » sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française),...
    M. le président. Allons, allons...
    M. François Brottes. ... lorsque les clients concernés sont pour l'essentiel des entreprises, ou lorsque les entreprises publiques concernées ont par nature besoin de se développer à l'étranger, cela peut s'entendre car s'il n'y a pas de réciprocité, il n'y a pas de loyauté par rapport aux autres pays d'Europe. Mais choisir l'ouverture totale, et les mots sont pesés, du marché dans les domaines des services publics, c'est faire le choix de l'exclusion de millions de gens et de l'abandon pour beaucoup de territoires.
    Car la dérégulation totale, c'est la consécration naturelle d'une offre proposée à un tarif accessible seulement dans les zones rentables et d'une offre prohibitive ou même d'une absence totale d'offre dans le reste du pays. C'est cela qui nous attend.
    Nos entreprises de services publics doivent garder un lien fort avec l'Etat, car c'est lui qui est garant des droits de chaque citoyen, c'est lui qui est garant du principe d'égalité, et non pas les autorités de régulation. Les personnels de nos entreprises publiques ont acquis un savoir-faire et des compétences reconnues, et parfois jalousées, dans le monde entier. Alors ne venons pas brader l'outil, casser la motivation des femmes et des hommes qui ont cette culture du service public chevillée au corps, et qui ont démontré en de très nombreuses circonstances que s'ils avaient acquis des droits dans leurs entreprises, c'est aussi parce qu'ils avaient un sens aigu du devoir au service de l'intérêt public.
    Votre gouvernement, madame la ministre, vient de céder sur l'essentiel en acceptant que les services publics soient progressivement tous soumis, pour tout le monde, à la loi de la jungle. Il ne peut y avoir de péréquation tarifaire si l'on ne garantit pas aux entreprises de service public qu'une part de leur activité, notamment la part qui concerne les ménages, peut s'exercer sous monopole.
    Si ce renoncement-là est définitivement entériné, il y a fort à parier que, pour le gouvernement Raffarin, le débat sur le statut de telle ou telle entreprise publique est une formalité libérale réglée d'avance. C'est parce qu'il faut parfois savoir marquer une étape et prendre date qu'il m'a semblé nécessaire de rappeler quelques règles de base. Car, de révision constitutionnelle en renoncement sur les principes, le gouvernement Raffarin est en train d'inventer une République aux pieds d'argile.
    Le texte que vous nous proposez aujourd'hui n'échappe pas à la logique d'une pratique zélée du libéralisme en Europe. Et, pardon de vous dire les choses franchement, madame la ministre, mais l'actualité nous montre que, sur la question de la pêche maritime, la France semble vouloir faire entendre une voix différente en Europe.
    Comme quoi, au sein d'un même gouvernement, - que l'on soit pêcheur ou dérégulateur - les jugements de nos concitoyens vous rendront blanc ou noir. Et ce sera, pour le service public, de triste mémoire. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Guillet.
    M. Jean-Jacques Guillet. Au début de la discussion, madame la ministre, vous avez souhaité que nous sortions des vieux réflexes idéologiques et je le souhaite avec vous. Le projet de loi que vous nous présentez et l'excellent rapport de notre collègue Gonnot le montrent bien, nous sommes animés par une volonté commune, qui s'est d'ailleurs également exprimée au Sénat : celle de sortir des vieux réflexes et de faire preuve d'un maximum de pragmatisme. La question en mérite beaucoup, pas seulement, en raison de nos engagements européens - après tout, on peut toujours revenir sur des engagements -, mais surtout en raison du souhait de nos propres concitoyens. Il se trouve en effet que, depuis de nombreuses années, je fais réaliser tous les ans une enquête par l'IFOP, au titre de l'établissement public que je dirige, auprès de l'ensemble des consommateurs d'électricité et de gaz d'Ile-de-France, et il se confirme chaque année que ceux-ci souhaitent à la fois le maintien du service public et l'ouverture à la concurrence. Contrairement à ce qu'on pourrait penser, ces deux objectifs sont, je crois, conciliables.
    Vous avez rappelé, madame la ministre, l'objet principal de ce projet de loi. Je ne voudrais pas m'en écarter excessivement mais le temps presse - le 1er juillet 2004, c'est demain, le 1er juillet 2007, après-demain - et je crois que quelques observations concernant les objectifs que nous devons poursuivre en commun, avec la volonté de concilier service public et ouverture des marchés, sont nécessaires.
    Première observation : il faut conforter, c'est important, nos deux grandes entreprises d'énergie. Nous savons que Gaz de France avait anticipé l'application de la directive gaz. Il était en effet compréhensible que notre entreprise publique ne soit pas considérée comme le mouton noir de la libéralisation et se voit bloquée dans son développement sur le marché européen. Il faut bien reconnaître cependant - on a déjà cité l'exemple de l'Espagne - que cette anticipation n'a pas suffi. La bonne foi de nos partenaires peut être quelque peu mise en doute, c'est vrai.
    M. Pierre Ducout. Absolument !
    M. Jean-Jacques Guillet. Il n'empêche que l'absence de cadre juridique national de transposition leur offrait un prétexte facile.
    M. Pierre Ducout. Il faut le souligner ! Vous avez raison, cher collègue !
    M. Jean-Jacques Guillet. Il convient de souligner, à ce propos, que chaque pays de l'Union européenne a tendance à profiter de la période de transition actuelle pour conforter, voire créer, des champions nationaux - on peut citer notamment l'Allemagne et E. ON-Ruhrgas - et à ne procéder, par conséquent, qu'à une ouverture toute théorique de leur marché.
    M. Pierre Ducout. Absolument !
    M. Jean-Jacques Guillet. Ainsi, en Allemagne précisément, le marché est théoriquement ouvert à 100 %. Or nous savons très bien qu'il est difficile d'y avoir accès en raison de la multiplication des acteurs au niveau de la distribution.
    M. Pierre Ducout. Tout à fait !
    M. Jean-Jacques Guillet. Nous nous trouvons donc dans une situation paradoxale puisque nous apparaissons comme les moins ouverts alors que, dans la réalité, nous le sommes au moins autant que les autres. Mais il serait tout aussi paradoxal de ne pas donner à nos champions nationaux, Gaz de France et Electricité de France, qui sont les entreprises les plus puissantes et les plus performantes, non seulement en Europe, mais aussi dans le monde, les moyens d'être des acteurs majeurs du marché. Dans ce contexte, l'ouverture du capital devient une nécessité. Les perspectives de rapprochement actuellement envisagées, même si elles sont parfois niées, entre Gaz de France et Suez d'une part, entre Elf et Vivendi Environnement d'autre part, c'est-à-dire avec des entreprises elles-mêmes délégataires de missions de service public depuis de très longues années - si j'insiste sur ce point, c'est bien parce qu'il s'agit d'un métier en soi -, laissent présager l'existence de deux champions nationaux, dont on sait très bien qu'ils seront probablement en partie concurrents sur le même marché.
    Ils seront cependant particulièrement solides et actifs à l'échelle européenne, voire internationale.
    M. François Brottes et M. Pierre Ducout. On en reparlera !
    M. Jean-Jacques Guillet. Les échéances de 2004 et 2007 sont proches et il faut aller vite. Votre projet de loi répond à cette urgence. Comme notre rapporteur, je remarque que le Sénat a fait oeuvre utile, non seulement en le complétant par des dispositions d'adaptation de la loi de 2000 sur l'électricité, mais surtout en l'inscrivant encore plus clairement dans le contexte de service public. Je me réjouis que notre commission soit allée également dans ce sens.
    J'en arrive, ainsi, à ma deuxième observation : l'ouverture des marchés et services publics ne sont en rien incompatibles, si on le veut, et il convient de sortir de ce débat purement idéologique. L'origine même de la production et de la distribution d'électricité et du gaz le démontre amplement. Les règles de l'économie concessionnaire, rappelées par notre collègue Jean-Claude Lenoir tout à l'heure, fixées dès 1906, s'appliquent toujours parfaitement et, dans une certaine mesure, l'existence de monopoles publics depuis 1946 y a un peu contrevenu en occultant l'autorité et le pouvoir concédant des collectivités locales.
    M. Pierre Ducout. Vous mélangez !
    M. Jean-Jacques Guillet. La notion de régulation, qui s'inscrit dans la logique de l'organisation d'un marché ouvert, est au coeur du dispositif de la gestion déléguée qui laisse aux opérateurs le risque économique, donc la liberté d'action et de moyens, tout en donnant à la puissance publique un pouvoir d'encadrement, de contrôle et de sanction.
    Nous nous retrouvons ainsi dans une logique de développement durable tout à fait actuelle : promouvoir des objectifs communs de caractère pérenne, limiter les risques que fait courir la recherche d'un profit immédiat.
    Cela me conduit à ma troisième observation : il faut protéger le consommateur et assurer la qualité des réseaux.
    Un service public rénové, retrouvé - car il s'agit bien de retrouver l'esprit même du service public, dont nous devons d'autant plus fixer les principes, ce que nous faisons, que nous sommes dans un contexte de libéralisation -, cela s'adresse avant tout au consommateur final qu'est le particulier ou le petit professionnel. Le marché des grandes entreprises consommatrices et celui du petit consommateur sont évidemment de nature différente. Je me réjouis d'ailleurs qu'on ait sérieusement entrepris, à l'échelle européenne, une réflexion sur le service public qui apparaissait jusqu'à présent contradictoire avec la règle absolue de la concurrence.
    Je sais bien que le projet de loi n'aborde pas - c'est pour plus tard - le problème des petits consommateurs que sont les ménages. Néanmoins, je le répète, les choses vont vite et il faut poser dès maintenant le problème de la relation fournisseurs-consommateurs. Car ce n'est pas lorsque tous les consommateurs, y compris les petits, pourront choisir leur fournisseur que la situation deviendra parfaite par la seule suppression du risque de subventions croisées. Dans un marché devenu oligopolistique, le pouvoir de négociation du petit consommateur placé devant un nombre restreint de fournisseurs sera inexistant. On le sait : des exemples étrangers, que l'on a d'ailleurs cités un peu à tort et à travers, nous le montrent.
    M. Pierre Ducout. Très bien ! C'est tout à fait vrai !
    M. Jean-Jacques Guillet. Ce ne seront pas tant les prix que les services à la clientèle, rendus actuellement impossibles par un principe de spécialité - qu'il faudra bien faire sauter, car il n'aura plus de raison d'être -, qui feront la différence.
    En Allemagne, l'opacité est totale, et en Grande-Bretagne, la libéralisation est un peu débridée. Ces expériences ne condamment pas pour autant le marché, mais elles nous obligent à prendre conscience que le consommateur domestique doit être protégé grâce à une régulation adaptée à l'électricité et au gaz qui prenne en considération chaque tradition nationale, qui influence les habitudes et le comportement du consommateur.
    La fourniture d'électricité et de gaz peut parfaitement rester dans le cadre du service public, même si elle est gérée par des entreprises privées...
    M. Jean-Claude Lenoir. Bien sûr !
    M. Pierre Ducout. On verra !
    M. Jean-Jacques Guillet. ... et même si elle est en concurrence. Il faut d'ailleurs souligner que, pour la fourniture, le service public n'est pas une conséquence du monopole, mais du cahier des charges des concessions.
    M. Jean-Claude Lenoir. Absolument !
    M. Jean-Jacques Guillet. Le service public, ce n'est nullement, contrairement à ce qu'on a pu croire pendant cinquante ans, la trilogie entreprise d'Etat-monopole-statut protégé du personnel. Ce sont, comme M. Lenoir l'a rappelé tout à l'heure, des critères de continuité, d'égalité, d'aide sociale, de protection de l'environnement, d'aménagement du territoire, et cela doit être réhabilité. La problématique du développement durable que j'évoquais tout à l'heure contribue d'ailleurs à cette réhabilitation. Nous devons, dans ce domaine, faire preuve d'imagination et je souhaiterais, madame la ministre, que nous travaillions ensemble sur ce problème pendant les mois qui viennent.
    Deuxième problème qui me paraît tout à fait fondamental, celui de la qualité des réseaux. S'agissant du transport, on peut penser que les pressions qui s'exerceront pour que le marché existe réellement pousseront naturellement à l'investissement, car celui-ci sera rentable pour les opérateurs.
    En revanche, s'agissant de la distribution, il y a de quoi être sérieusement inquiet si rien n'est organisé rapidement. En effet, les investissements destinés à lutter contre les congestions ou à remplacer les canalisations anciennes par de plus modernes seront de moins en moins rentables pour les opérateurs. Dans un premier temps, ce seront certaines banlieues et les zones rurales qui en souffriront, puis l'on observera des anomalies sur l'ensemble des réseaux. Du reste, on en observe déjà sur le territoire de ma concession en Ile-de-France, région qui n'est pourtant pas particulièrement défavorisée.
    Le risque provient en réalité de ce que, en vue d'un marché crédible, il sera jugé opportun que les prix baissent. Or il n'est pas sûr que l'ouverture à la concurrence - qui ne concerne que la fourniture et non l'acheminement par les réseaux - fasse baisser significativement les prix de la fourniture. Il faudra donc se rabattre sur le prix de l'acheminement par les réseaux qui restera, sinon administré, du moins réglementé. La tendance naturelle consistera ainsi à baisser le plus possible le tarif d'utilisation des réseaux, ce qui aura des répercussions sur les investissements. La solution de ce problème essentiel, consiste à fixer par décret une norme nationale de qualité qui s'imposera aux distributeurs sous peine de sanctions financières et dont le respect sera vérifié dans le cadre du contrôle actuellement exercé par les collectivités concédantes, propriétaires des réseaux de distribution, dont je me réjouis que la commission ait voulu renforcer le rôle. Ce décret, d'ailleurs prévu à l'article 18 de la loi du 10 février 2000, devra prévoir des objectifs quantifiés, étalés dans le temps, afin que nos réseaux de distribution se modernisent progressivement.
    En résumé, il faut impérativement que des normes techniques et environnementales s'appliquant aux réseaux soient fixées par décret et que les coûts correspondants s'imposent de manière réglementaire dans le calcul des tarifs d'utilisation des réseaux. Il faut en outre, là aussi, un contrôle public, décentralisé et démocratique, de l'application de ces normes, exercé par les propriétaires des réseaux que sont les collectivités locales. Si ces normes ne sont pas respectées, des sanctions doivent être appliquées, qu'il faut définir.
    Madame le ministre, je sais que vous êtes sensible aux problèmes de la protection du consommateur et de la qualité des réseaux de distribution.
    S'agissant de la protection du consommateur, nous bénéficierons d'une expérience, puisque 60 % du marché seront ouverts en 2004. Certes, cela concerne les petits professionnels mais les petits professionnels sont des petits consommateurs. Nous avons encore un peu de temps devant nous, mais il faut garder cet objectif présent à l'esprit.
    Pour ce qui est de la qualité des réseaux, nous n'avons plus le temps car les entreprises vont faire des choix dès maintenant et les obligations du service public doivent apparaître clairement aux futurs actionnaires.
    Enfin, et ce sera ma conclusion, monsieur le président, nous devons impérativement renforcer le pouvoir des autorités concédantes que sont les collectivités locales. Cela va dans le sens de la décentralisation, du développement durable, du service de proximité, et cela répond au souci d'efficacité.
    A ce propos, je souhaite que l'on n'envisage pas, comme cela se passe parfois à l'étranger et comme cela a été évoqué dans certains rapports, d'intégrer les collectivités locales dans les sociétés gestionnaires de réseaux de dsitribution par le biais d'une participation au capital de ces sociétés. Je crois en effet profondément que la gestion déléguée, l'économie concessionnaire ont un grand avenir pour préserver la qualité du service public.
    M. François-Michel Gonnot, rapporteur. Très bien.
    M. Pierre Ducout. Vous n'êtes pas si libéral que cela !
    M. le président. J'informe l'Assemblée que je suspendrai la séance pour cinq minutes après l'intervention de M. Pierre Micaux, qui sera la dernière de la discussion générale. Mme la ministre répondra après cette suspension.
    La parole est à M. Pierre Micaux.
    M. Pierre Micaux. Madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes saisis d'un projet de loi relatif aux marchés énergétiques et au service public de l'énergie dont le propos, initialement limité au gaz, a été, au cours de son examen en première lecture par le Sénat, substantiellement élargi au domaine de l'électricité.
    Ce projet a, ainsi, acquis un caractère déterminant pour l'avenir de l'ensemble du système électrique et gazier français.
    Nous devons, dès lors, être particulièrement attentifs à ce qu'il respecte tout d'abord un principe fondamental pour la préservation des intérêts des consommateurs d'électricité et de gaz que nous sommes tous : la décentralisation.
    Depuis l'origine, en effet, la distribution d'électricité et de gaz est conçue comme un service public de proximité puisqu'elle constitue une compétence des communes, qui l'ont transférée le plus souvent à des établissements publics de coopération.
    Le fait que cette compétence d'autorité organisatrice de la distribution publique d'électricité et de gaz soit confiée aux collectivités locales garantit que les orientations fondamentales dans ce domaine seront le reflet et l'expression des préocupations exprimées par les citoyens auprès des élus locaux.
    Je souligne, à cet égard, que, depuis soixante-cinq ans, certains syndicats ont fait leurs preuves et sont maintenant imités dans tout l'Hexagone.
    La décentralisation de la distribution d'énergie se décline en particulier sur deux niveaux.
    Au premier niveau, il s'agit du contrôle de proximité exercé par les élus locaux sur l'exécution des contrats de concession par EDF, Gaz de France ou les distributeurs non nationalisés auxquels il vient d'être fait allusion.
    Le second niveau est celui de la maîtrise d'ouvrage des collectivités concédantes pour une partie importante des travaux réalisés sur les réseaux électriques avec l'aide du fonds d'amortissement des charges d'électrification, le FACE.
    Le contrôle de proximité exercé par les collectivités concédantes est, et sera, de plus en plus déterminant pour la qualité de l'énergie livrée aux petits consommateurs. Avec l'ouverture du marché, il est important que les contrôles puissent être assurés avec une parfaite compétence. La situation dissymétrique de ces consommateurs et des grands opérateurs laisse craindre, en effet, que, sans la vigilance de l'autorité concédante, des rentes de monopole ou d'oligopole...
    M. Pierre Ducout. Eh oui ! On peut le craindre !
    M. Pierre Micaux. ... soient prélevées à l'encontre des consommateurs de petite taille sous forme de détérioration du rapport qualité-prix du produit énergie ou des services associés.
    Nous constatons encore trop souvent l'existence de monopoles ou d'oligopoles cachés, dans le domaine de l'eau ou du traitement des déchets notamment.
    Il faut donc donner aux agents de contrôle des collectivités locales concédantes tous les moyens d'accomplir leurs missions dans de bonnes conditions, ce qui implique qu'ils puissent accéder normalement à l'ensemble des informations nécessaires.
    M. Pierre Ducout. Très bien !
    M. Pierre Micaux. Je ne vous le fais pas dire ! (Sourires.)
    Une autre attribution essentielle des collectivités concédantes concerne la maîtrise d'ouvrage de travaux d'extension, de renforcement et d'enfouissement des réseaux de distribution d'électricité.
    Cette mission est accomplie avec l'aide de notre célèbre et cher FACE, qui a permis d'apporter aux territoires ruraux une qualité d'électricité comparable à celle proposée aux citadins, contribuant ainsi puissamment à l'aménagement du territoire. N'oublions pas, en effet, qu'avec la diffusion de l'informatique et de l'électronique - Internet, ADSL -, l'ensemble des activités, qu'elles soient professionnelles ou domestiques, urbaines ou rurales, sont devenues directement dépendantes de la qualité et de la régularité de l'électricité fournie. A nous de savoir si nous voulons un réel aménagement du territoire.
    Il est devenu aujourd'hui nécessaire d'adapter le mode de financement du FACE à l'évolution de l'acheminement et de la fourniture d'électricité, de façon à ce qu'il puisse continuer à garantir la capacité à apporter en tout lieu une électricité de qualité.
    C'est parce que la mise en cohérence de l'ouverture à la concurrence des systèmes électriques et gaziers avec la préservation de l'intérêt général passe véritablement par la décentralisation que je vous soumettrai, mes chers collègues, quelques amendements destinés à la conforter davantage encore. Pour autant, l'intervention publique doit demeurer économe des moyens de la collectivité, et strictement proportionnée à ce qui est nécessaire pour neutraliser les insuffisances et les dysfonctionnements du marché.
    Sur ce point, nous devrons demeurer particulièrement attentifs à ce que les efforts demandés à la nation pour le développement de certaines sources d'énergie renouvelables soient justifiés. En effet, alors même que, grâce à l'importance de la production d'électricité à partir de l'énergie nuclaire, la France est particulièrement performante en ce qui concerne la minimisation des rejets de gaz à effet de serre, il est permis de s'interroger sur la pertinence du rachat de l'électricité d'origine éolienne à des tarifs extrêmement élevés, qui pèsent inéluctablement sur les charges supportées par les clients finals, qu'il s'agisse des entreprises ou des ménages. Personnellement je pense qu'il n'est pas sage d'en faire une véritable religion, comme le font ceux qui préfèrent vivre dans les nuages !
    Le développement de l'électricité éolienne mérite d'ailleurs d'autant plus notre circonspection que cette énergie, par définition aléatoire, car liée aux caprices de la météo, ne permet pas de s'affranchir des capacités de production d'électricité nucléaire qui seules garantissent en permanence la puissance nécessaire au pays.
    J'ouvre une parenthèse, et j'interroge l'ensemble des Français pour qu'on me dise quels incidents graves a connus notre industrie nucléaire : je peux attendre longtemps la réponse. Donc, pas de faux procès !
    Le développement de l'éolien ne peut que se traduire, en réalité, par de substantiels surcoûts d'investissement.
    L'impératif économique plaide ainsi pour que nous privilégions plutôt les investissements réellement alternatifs et substituables aux installations de productions traditionnelles. Je pense notamment à la valorisation de la biomasse ou à l'amélioration de l'efficacité énergétique grâce à la cogénération qui permettrait au moins d'éviter des pertes d'énergie.
    L'économie passe également par une utilisation parcimonieuse des moyens de la collectivité dans la gestion du développement à l'international de nos entreprises publiques. Les stratégies de partenariats et d'alliances devenues nécessaires pour assurer la pérennité et la solidité d'EDF et de Gaz de France ne peuvent justifier des prises de participations trop risquées, consommatrices de capacités de financement qui pourraient être fort utilement affectées, en France même, par exemple au renouvellement régulier des réseaux dont ces entreprises ont la charge. Cela signifie qu'EDF et Gaz de France ont besoin d'équipes capables de les diriger. C'est clair et net. A distance, sur la rive droite de la Seine, on est bien souvent éloigné de la réalité.

    Concilier la concurrence et le service public, mettre en cohérence le marché et l'intérêt général, tels devront être nos principaux objectifs, tels sont les principaux défis à relever dans cet important projet de rénovation de notre système gazier et de notre système électrique. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La discussion générale est close.

Suspension et reprise de la séance

    M. le président. La séance est suspendue.
    (La séance, suspendue à dix-huit heures, est reprise à dix-huit heures dix.)
    M. le président. La séance est reprise.
    La parole est à Mme la ministre déléguée à l'industrie.
    Mme Nicole Fontaine, ministre déléguée à l'industrie. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je remercie l'ensemble des orateurs pour la qualité de leurs interventions et pour leurs apports à la réflexion commune. Au-delà de nos différences politiques, chacun a bien conscience que ce qui est en jeu aujourd'hui, c'est la participation de la France à la constitution d'un grand marché européen de l'énergie intégrant les spécificités de notre pays.
    Je me félicite de l'excellent travail accompli par le rapporteur, François-Michel Gonnot, et par la commission. M. Gonnot a déposé de nombreux amendements qui, s'ils sont adoptés, amélioreront sensiblement le projet de loi. C'est le cas de la proposition d'article liminaire, qui conforte la reconnaissance et la compatibilité de deux grands principes politiques : l'ouverture du marché et le service public. C'est le cas de sa proposition d'instituer, à l'article 11, un plan indicatif de développement du réseau gazier. Enfin, concernant le secteur de l'électricité, je partage son souci d'assurer la pérennité du fonds d'amortissement des charges d'électrification et de permettre aux distributeurs non nationalisés de bénéficier d'une éligilité totale, à l'instar de ce qui est prévu pour le gaz.
    Je remercie les orateurs qui ont bien voulu me manifester leur soutien : M. Dionis du Séjour, M. Lenoir, M. Nicolas, M. Birraux, M. Philip, M. Guillet et M. Micaux. Mon intervention liminaire a répondu très largement aux remarques qu'ils ont soulevées. L'occasion me sera donnée d'y revenir, lors du débat que nous aurons sur les amendements.
    J'ai conçu une grande perplexité en écoutant les orateurs socialistes. A plusieurs reprises, en effet, ils ont affirmé qu'ils voulaient une transposition de la directive, mais a minima. Pourquoi ne pas l'avoir fait pendant toutes ces années où ils étaient au pouvoir ?
    M. Pierre Ducout. Ce n'était pas opportun !
    Mme la ministre déléguée à l'industrie. Pourquoi avoir bloqué le texte de M. Pierret ? Pourquoi ne pas avoir épargné à la France l'humiliation d'être condamnée par la Cour de justice ? (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Christian Bataille. C'est très excessif !
    Mme la ministre déléguée à l'industrie. A la question posée par M. Paul sur le stockage de gaz, je répondrai que l'accord du 25 novembre prévoit un accès des tiers au stockage et laisse aux Etats la responsabilité de choisir entre un accès négocié ou régulé. La France choisira un accès négocié, dans la mesure où le stockage est indispensable au bon accomplissement de l'approvisonnement en gaz des ménages.
    M. Pierre Ducout. Ce n'est pas ce qu'ont dit certains collègues de droite !
    Mme la ministre déléguée à l'indutrie. Une preuve de plus, s'il en était besoin, de notre souci de respecter les missions de service public.
    Les propos tenus par M. Paul lorsqu'il a défendu la question préalable de Mme Buffet me donnent l'occasion de remettre quelques pendules à l'heure.
    Celui-ci ne pouvait pas ignorer que la proposition de directive, débattue à Bruxelles le 25 novembre dernier, exigeait un vote à la majorité qualifiée. Si d'aventure la France avait maintenu sa position de blocage, nous aurions été mis en minorité sans rien obtenir.
    M. Pierre Ducout. On peut négocier !
    Mme la ministre déléguée à l'industrie. M. Paul sait très bien que nous étions totalement isolés. Aucun de nos quatorze partenaires n'avait de problème avec l'ouverture du marché pour les ménages en 2005, comme le proposait la Commission ; ils étaient même demandeurs. De la même manière, s'agissant de la séparation juridique entre le gestionnaire de réseau et la distribution, dont certains d'entre vous craignent qu'elle ne conduise au démantèlement, ils étaient tous demandeurs,...
    M. Christian Bataille. C'est parce qu'ils n'ont pas de service public !
    Mme la ministre déléguée à l'industrie. ... à la seule exception de l'Allemagne.
    M. Pierre Dupont. La France et l'Allemagne, rien que ça !
    Mme la ministre déléguée à l'industrie. Qu'ai-je obtenu ? Une ouverture du marché en juillet 2007 seulement, c'est-à-dire dans plus de cinq ans. Un bilan d'évaluation préalable, en 2006, qui conduira, si besoin était, à l'adoption de mesures correctrices tenant compte des expériences constatées ; la dispense de séparation juridique dans la distribution, si nous démontrons que notre marché a été correctement ouvert ; enfin, des garanties de service public particulièrement détaillées, sans précédent dans un texte communautaire.
    Sincèrement, je ne crois pas que nous ayons à rougir de ce bilan. Bien au contraire. En parvenant à une libéralisation progressive et maîtrisée, nous avons contribué à sortir la France de son isolement, nous avons restauré sa crédibilité auprès de nos partenaires. Ainsi n'en sera-t-elle que plus forte pour faire entendre sa voix dans la construction européenne. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)

Motion de renvoi en commission

    M. le président. J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une motion de renvoi en commission, déposée en application de l'article 91, alinéa 6, du règlement.
    La parole est à M. Jean-Yves Le Déaut.
    M. Jean-Yves Le Déaut. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le projet qui nous est soumis aurait pu apparaître comme un simple texte technique visant à la transposition d'une directive européenne, qui s'imposait de toute façon. Il n'en est rien et j'ai un peu regretté que plus d'un tiers de ces trois heures de débat ait été consacré à une longue litanie de reproches pour déplorer, du temps où nous étions au pouvoir, que nous ne soyons pas allés plus vite. Si nous avons pris du temps, c'est que ce texte, au-delà de ses aspects techniques, pose de vraies questions sur le devenir du service public du gaz et sur sa modernisation.
    Je vous dirai enfin, mes chers collègues de la majorité, et j'arrêterai là cette polémique, que vous faites preuve d'une curieuse amnésie, car Alain Juppé, alors Premier ministre, n'avait pas montré beaucoup d'enthousiasme, en 1996, pour transcrire la directive sur l'ouverture du marché de l'électricité, échaudé par les mouvements sociaux en faveur du service public à l'automne 1995. Finalement, cette directive a été transcrite en droit français par la loi du 10 février 2000, c'est-à-dire par Lionel Jospin. Il ne faut pas oublier le passé.
    M. Jean-Claude Lenoir. Le passif !
    M. Jean-Yves Le Déaut. Il ne faut pas oublier non plus que des dizaines de directives dorment dans des tiroirs et ne sont toujours pas transposées.
    Si je défends devant vous cette motion de procédure, c'est pour quatre raisons essentielles.
    Premièrement, ce projet sur les marchés énergétiques et le service public de l'énergie reste dans le vague, car il renvoie à des décisions ultérieures qui seront prises par décret en Conseil d'Etat. Vous nous dites en quelque sorte, madame la ministre : « Faites-nous confiance, nous nous occupons de tout. » Mais votre texte nous semble dangereux car il ouvre une brèche dans le service public et il fragilise notre indépendance énergétique en déstabilisant notre capacité d'approvisionnement.
    Deuxièmement, la politique relative au gaz dans l'Union européenne doit être totalement revue car, à notre sens, elle ne correspond en rien aux enjeux de l'avenir pour l'Europe. La filière gaz a un bel avenir devant elle, mais à condition que des investissements colossaux soient réalisés, investissements dont les montants dépassent l'horizon et la capacité des marchés.
    Troisièmement, une politique de libéralisation à marche forcée est aujourd'hui à l'oeuvre dans l'Union. La France, qui avait mis en place une approche équilibrée, a aujourd'hui battu en retraite. C'est selon nous un contresens économique et un marché de dupes.
    Enfin, avant d'examiner le texte qui nous est soumis, il est urgent de savoir quelle politique de l'énergie le Gouvernement compte appliquer et quelle place il entend assigner à la filière gaz en France.
    Pour toutes ces raisons, le groupe socialiste demande le renvoi en commission.
    Le gaz est une énergie ancienne, puisque la première mention que nous en connaissons est due à Plutarque, évoquant les « feux éternels » qui sortaient de la terre sur l'actuel territoire de l'Irak.
    M. Christian Bataille. Oh !
    M. Pierre Ducout. Voilà qui réjouira les sophistes, monsieur Lenoir !
    M. Jean-Yves Le Déaut. Mais je vous fais grâce de l'historique que je vous destinais, pour tenir compte des impératifs de l'ordre du jour.
    Aujourd'hui, le boom de la demande de gaz naturel est essentiellement dû à l'industrie, pour la production de chaleur et d'électricité.
    Selon l'OCDE, la demande de gaz croîtra de 2,7 % par an en moyenne entre 2000 et 2020 tandis que sa part de marché dans l'approvisionnement énergétique de la planète passera de 22 % à 26 %. On peut donc parler d'une véritable percée du gaz naturel, moins pour les usages domestiques que dans l'industrie.
    Les nouvelles centrales à cycle combiné au gaz, construites en moins de trois ans, produisent une électricité compétitive, grâce aux progrès considérables réalisés dans la conception des turbines par emprunt de technologies utilisées pour les moteurs d'avions. Il est dès lors prévu que ces centrales se multiplieront dans de nombreux pays industrialisés.
    A titre d'exemple, à la mi-2002, Alstom, l'un des leaders du marché mondial, recevait commande d'un cycle combiné par Gaz de France. Cette usine originale, construite pour approvisionner le marché français de l'électricité, se situera à Dunkerque, non loin du point d'arrivée du gazoduc sous-marin Norfra, qui achemine vers la France le gaz des gisements norvégiens de Sleipner et de Troll en mer du Nord. L'usine comprendra deux tranches de 400 mégawatts comportant chacune une turbine fonctionnant au gaz naturel. Chaque turbine sera complétée par une chaudière fonctionnant avec le gaz récupéré des hauts fourneaux et des fours à coke de l'aciérie voisine de Sollac Atlantique.
    Ce type de réalisation devrait normalement intéresser les pays en développement disposant de gisements de gaz naturel ou desservis par des gazoducs. En effet, les centrales à gaz sont bien moins polluantes que les centrales thermiques à charbon. Leurs rejets de SO2, d'oxydes d'azote et d'aérosols sont beaucoup plus réduits. Autre avantage, les coûts d'investissement d'une centrale à cycle combiné au gaz sont, pour le moment, moitié moins élevés que ceux d'une centrale au charbon à lit fluidisé circulant. Grâce au gaz, on pourrait donc utiliser plus massivement l'électricité dans les pays en développement sans augmenter la pollution atmosphérique.
    Bien entendu, leurs rejets contenant du gaz carbonique, les centrales à cycle combinés au gaz ne présentent un avantage en matière d'effet de serre que dans la mesure où leur rendement énergétique est plus élevé que celui des centrales à charbon. Rappelons que le charbon a pour lui son abondance, la faiblesse de son coût d'extraction et la stabilité de son prix sur le marché international.
    A supposer que le gaz naturel devienne plus attractif que le charbon pour la production d'électricité, je ne pense pas toutefois, madame la ministre, que la production mondiale et les capacités de transport pourraient augmenter suffisamment pour couvrir les besoins si seuls les opérateurs internationaux financent ces investissements pharaoniques. C'est le noeud du débat. L'idéologie de dérégulation totale qui inspire l'Union européenne nous promet à mon avis des lendemains qui déchantent.
    M. Christian Bataille. Eh oui !
    M. Jean-Yves Le Déaut. On n'arrivera plus à réaliser ces énormes investissements qui ont pu être financés dans le passé, non par les forces du marché, mais grâce au volontarisme des Etats.
    Il existe un déséquilibre géographique entre la production et la consommation.
    La production et les réserves de gaz naturel sont mieux réparties sur le plan géographique que les puits et les réserves de pétrole. On pourrait donc penser que l'augmentation de la consommation de gaz ne s'accompagnera pas d'une dépendance aussi forte que celle observée pour le pétrole vis-à-vis du Moyen-Orient. En réalité, toutes les conditions sont réunies pour que se créent des dépendances fortes envers deux ou trois sources d'approvisionnement.
    Autre inconvénient : les gisements de gaz sont éloignés des centres de consommation. L'exploitation et le transport du gaz exigent donc, je l'ai dit, des investissements lourds.
    La dépendance de l'Europe sera croissante pour le gaz naturel.
    La production de gaz en mer du Nord, en augmentation dans les années récentes, est toutefois insuffisante pour couvrir des besoins européens eux-mêmes en croissance. C'est ainsi que l'Union européenne a importé 70 % de sa consommation de gaz en 1999, creusant année après année sa dépendance vis-à-vis de ses principaux fournisseurs, que je vais citer pour des raisons que vous comprendrez : la Russie et l'Algérie.
    Concentrées à 80 % en Norvège, qui compte sur le gaz pour compenser la baisse de sa production pétrolière, les réserves européennes de gaz naturel déjà découvertes et les ressources à découvrir s'élèvent à 17 milliards de mètres cubes. Les gisements néerlandais, pour leur part, ont devant eux plus de vingt années de production. Au contraire, le Royaume-Uni prévoit une diminution rapide de sa production à partir de 2005 et il deviendra alors importateur de gaz naturel.
    Au niveau mondial, je m'en tiendrai à quelques éléments structurels. Les deux Amériques, du Nord et du Sud, sont en concurrence pour la production de gaz. Les pays de l'ex-Union soviétique sont détenteurs de réserves considérables, notamment la Russie, mais avec les fragilités géostratégiques que l'on sait. C'est au Moyen-Orient que les réserves sont les plus abondantes mais, là aussi, avec une fragilité géostratégique. Faute d'usines de liquéfaction et de gazoducs en nombre suffisant pour exporter, la production, d'un montant réduit, est principalement consommée sur place. Enfin, l'Asie est loin, même si elle dispose de réserves non négligeables.
    Au total, si les ressources mondiales sont considérables et si leur répartition est plus équilibrée que celle du pétrole, les centres de production sont le plus souvent éloignés des centres de consommation. Le développement du gaz naturel présente donc sans aucun doute des perspectives favorables, mais le taux de croissance élevé prévu par certaines organisations internationales comme l'OCDE pourrait toutefois ne pas être atteint en raison - je ne cesserai de le répéter - de l'importance des investissements à réaliser dans la chaîne gazière.
    Nul doute que l'effort d'investissement serait rendu encore plus difficile à accomplir si les prix du gaz empruntaient à ceux du pétrole leur volatilité et si la concurrence exacerbée des grands groupes se soldait par leur volonté de toucher des dividendes financiers plutôt que de préparer l'avenir.
    La volatilité des prix est une menace pour les approvisionnements. Les prix du pétrole sont devenus extrêmement volatils depuis la fin des années 1990. En 1999, le prix du baril est passé de 10 dollars à 25 dollars. En 2000, il a atteint des pics de 33, puis de 38 dollars. Ensuite, il a décrû progressivement et s'est stabilisé à 24 ou 25 dollars en novembre 2002.
    La volatilité des prix du pétrole est un problème crucial pour l'utilisation de cette énergie. Au sein même de cette assemblée, on a vu Francis Mer bien embarrassé, lorsqu'il a dû expliquer les conséquences pour les consommateurs de cette instabilité.
    Or, selon l'OCDE, la volatilité que l'on observe aujourd'hui pour le pétrole, on pourra demain l'observer pour le gaz, car la forte croissance de la demande devrait entraîner une hausse des prix du gaz naturel à partir de 2005.
    M. Christian Bataille. Bien sûr !
    M. Jean-Yves Le Déaut. Les ressources conventionnelles locales en gaz naturel devraient se contracter aux Etats-Unis et au Canada, où le gaz non conventionnel et le gaz naturel liquéfié prendraient une importance croissance.
    Pour toutes ces raisons, on peut s'attendre à une volatilité croissante des prix du gaz naturel, ce qui constituerait une rupture par rapport au passé, où prédominaient les contrats à long terme et où les marchés spots étaient d'une importance réduite, alors que ces marchés vont se développer si la concurrence s'accroît au niveau européen.
    D'immenses investissements sont nécessaires dans le monde.
    Le transport de gaz par méthanier nécessite une liquéfaction totale préalable dans des usines coûteuses et consommatrices d'énergie, des navires spécialisés d'une capacité maximale de 135 000 mètres cubes, des installations de regazéification et des capacités de stockage. Le transport par gazoduc utilise des canalisations et des stations de compression. L'ensemble de la chaîne gazière, terrestre ou maritime, représente donc un coût considérable.
    La construction de nouveaux gazoducs ou d'unités de liquéfaction sera indispensable pour transporter vers les lieux de consommation le gaz extrait en Alaska, dans les îles de l'Arctique ou au large du Labrador et de Terre-Neuve.
    Si elle mise sur le gaz naturel, la Chine devra construire plusieurs terminaux pour méthaniers, ainsi que des gazoducs à longue distance la reliant, d'une part, au Bangladesh et, d'autre part, à l'Iran, au Qatar ou à l'Asie centrale.
    Or seuls les contrats à long terme, j'y insiste à nouveau, ont permis dans le passé d'assurer le financement des infrastructures gazières.
    Le développement du gaz en France est difficile dans le cadre du marché.
    La loi du 8 avril 1946 sur la nationalisation de l'électricité et du gaz a confié à Gaz de France la distribution nationale du gaz, tout en reconnaissant et en maintenant l'existence d'une distribution publique par des distributeurs locaux non nationalisés. L'existence de ces distributeurs locaux a été confortée par l'article 88 modifié de la loi d'orientation du 6 février 1992 relative à l'administration territoriale de la République. Le plan national de desserte gazière prévu par l'article 50 de la loi du 2 juillet 1998 précitée et défini par l'arrêté du le 3 avril 2000 a complété ce dispositif.
    Toutefois, afin de répondre aux demandes d'alimentation en gaz des communes non encore desservies par un réseau public de gaz combustible et ne figurant pas au plan national de desserte, l'article 8 du décret du 12 avril 1999 permet à ces communes de recourir à l'opérateur de leur choix, sous réserve de son agrément par le ministre chargé de l'énergie dans les conditions prévues à l'article 10 du décret.
    Ces nouvelles modalités n'excluent pas l'intervention de Gaz de France ou des distributeurs non nationalisés historiques sur le territoire des communes non encore desservies par un réseau public de distribution de gaz combustible.
    On peut se demander, madame la ministre, si le nécessaire développement de la desserte gazière pourra s'effectuer dans les conditions fixées par la directive que vous nous proposez aujourd'hui de transposer.
    M. Christian Bataille. Les petites communes isolées, comment feront-elles ?
    M. Jean-Yves Le Déaut. C'est pourquoi le groupe socialiste a présenté un amendement qui prévoit explicitement la mise en oeuvre d'un plan national de desserte gazière et qui, sans proposer un tarif unique sur l'ensemble du territoire, compense les charges imputables aux missions de service public assignées aux distributeurs et aux opérateurs du secteur du gaz naturel. La compensation de ces charges est assurée par des contributions recouvrées sous forme d'un prélèvement additionnel aux tarifs d'utilisation du réseau de gaz naturel, dû par chacun des utilisateurs de ce réseau.
    Telles sont les perspectives de développement de la filière gaz dans le monde et en France.
    Ne nous faisons aucune illusion : pour que le gaz naturel prenne une place importante dans l'approvisionnement énergétique, des investissements colossaux devront être réalisés. Or nous pensons que la libéralisation à marche forcée qui nous est imposée aujourd'hui n'est pas la bonne réponse.
    M. Roger Boullonnois. Si ! Je suis plombier ! J'entends bien les choses ! (Sourires.)

    M. Jean-Yves Le Déaut. Certes ! C'est grâce aux plombiers qu'il n'y a pas d'eau dans le gaz ! (Sourires.)
    La dérégulation n'est pas une réponse politique appropriée aux enjeux du développement du gaz. On peut regretter que le modèle économique dominant, prôné également par l'Union européenne, n'intègre que le seul critère de concurrence, alors que les enjeux énergétiques nécessitent de prévoir une planification à long terme des investissements.
    M. Christian Bataille. Il n'y a plus d'Etat !
    M. Jean-Yves Le Déaut. J'en viens au deuxième point de ma démonstration : la libéralisation accélérée est un contresens économique et un marché de dupes.
    Toute l'histoire économique et l'actualité la plus récente nous enseignent que l'énergie est le domaine des investissements lourds et réalisés à long terme, pour lesquels les pouvoirs publics ont un rôle déterminant, relayés le plus souvent par des compagnies géantes.
    Comment ne pas considérer, dans ces conditions, que la libéralisation qui nous est imposée représente un contresens économique, tant les situations réelles sont hétérogènes dans l'Union européenne et souvent en contradiction avec les politiques affichées ?
    Le gaz, comme l'électricité, constitue un bien de première nécessité, dont la fourniture exige des investissements lourds, dont on peut se demander s'ils sont à la porté d'entreprises privées, opérant sur un marché entièrement dérégulé.
    Pour montrer la pertinence de cette interrogation, je vais prendre le cas de l'électricité.
    La production électrique de masse exige des centrales de forte puissance, dont la durée de construction s'étale sur deux ans au moins pour les centrales au gaz et cinq à dix ans pour les centrales nucléaires. Elle a nécessité la construction d'un réseau national à haute capacité et celle d'un réseau de distribution irriguant tout le territoire depuis cinquante ans.
    L'électricité impose aussi, au plan européen, une interconnexion entre les Etats membres, qui a toujours été la règle pour secourir un réseau dont la production est insuffisante lors de pics de consommation momentanés ou accuse des déficits durables de production par rapport à la consommation. Le Conseil européen de Barcelone a décidé que les capacités d'interconnexion entre les Etats membres devraient atteindre 10 % de leur production nationale. Peut-on sérieusement considérer que les investissements correspondants seront réalisés par des entreprises privées ? C'est toute la question.
    M. Christian Bataille. Eh oui !
    M. Jean-Yves Le Déaut. L'interconnexion avec l'Espagne peut-elle être réalisée aujourd'hui par des entreprises privées, dans les conditions de compétition du marché ?
    Revenons sur l'effort de construction des centrales nucléaires, engagé dans les années soixante par les grands programmes du général de Gaulle qui ont débouché sur l'espace, l'aéronautique et le nucléaire. Que constate-t-on ? En 1973, la recherche était déjà passée par là et le taux d'indépendance énergétique de la France atteignait 24 %, avec une production d'énergie primaire de 43 millions de tonnes-équivalent-pétrole. En 2001, le taux d'indépendance énergétique de la France est passé à 50 %, grâce à une production nationale d'énergie primaire de 134 millions de tonnes-équivalent-pétrole, multipliée par trois par rapport au niveau de 1973.
    L'investissement d'EDF depuis vingt-cinq ans, qui est évalué à environ quarante-cinq milliards d'euros courants, apparaît aux yeux de chacun remarquablement rentable et perspicace, surtout comparé à l'endettement catastrophique que certaines entreprises, que je ne citerai pas, ont contracté dans les années récentes pour un résultat presque nul. On peut légitimement se demander si des entreprises privées auraient pu produire un effort d'équipement équivalent.
    M. Christian Bataille. Bien sûr que non !
    M. Jean-Yves Le Déaut. A l'avenir, le gaz exigera des investissements considérables, personne n'en disconvient. Outre des installations d'extraction, le cycle de production comprend des terminaux de compression, des méthaniers, des gazoducs sous-marins, des réseaux de transport à forte pression, des stations de compression, et des réseaux de distribution dont le coût est tellement élevé que de nombreuses communes ne sont toujours pas desservies aujourd'hui.
    La construction de réseaux de gazoducs européens à haute pression coûte un million d'euros au kilomètre ; les investissements réalisés en France dans ce domaine se sont élevés à 34 milliards d'euros. Par rapport au nucléaire, c'est important. Un centre de stockage d'un milliard de mètres cubes coûte près de 500 millions d'euros. Les investissements nécessaires au transport et au stockage sont donc gigantesques. 70 % du chiffre d'affaire de Gaz de France est aujourd'hui consacré au transport. La première conséquence du texte qui nous est proposé sera de stopper net les investissements lourds, qui ont pourtant permis le développement de la filière.
    La finalité de ce texte est limpide : on a sauté à pieds joints dans un piège idéologique... La Commission européenne veut banaliser le transport - même si c'est lui qui coûte le plus cher au motif que les investissements sont déjà réalisés - et se contenter sans se soucier de la suite d'ouvrir la seule distribution à la concurrence. Ce texte n'anticipe en rien. Qui aura, demain, mes chers collègues, la surface financière pour étendre le réseau de transport de gaz à des clients qui n'y ont pas accès, pour entretenir le réseau existant en assurant une sûreté maximale des installations et pour développer la recherche-développement ? Seuls les contrats à long terme ont permis d'assurer le financement des infrastructures gazières.
    Au reste, l'actuelle déréglementation des marchés de biens de première nécessité comme l'électricité ou le gaz doit être mise en perspective avec les nationalisations opérées après-guerre. La loi de nationalisation du secteur électrique du 8 avril 1946, votée sur la base d'un large consensus, eut pour effet de remplacer un millier de sociétés de production, de transport et de distribution par deux établissements publics, seuls capables, avec les régies, la Compagnie nationale du Rhône et quelques grands producteurs comme les Houillères et la SNCF, de fournir l'effort requis par la reconstruction. La tarification au coût marginal, le tarif vert et la programmation des équipements seront ultérieurement mis en place.
    Les investissements lourds de l'énergie atteignent des montants et s'étendent sur des durées qui les mettent totalement hors de portée des marchés d'aujourd'hui. Prenons l'exemple du nucléaire aux Etats-Unis. Quels sont les freins essentiels à son redémarrage ? Ce n'est ni le souvenir de l'accident de Three Mile Island, ni une réglementation trop tatillonne - les centrales sont autorisées pour quarante ans mais elles ont obtenu de prolonger leur exploitation pendant au moins vingt ans -, ni la faiblesse des réseaux de transport, qui pourraient être renforcés si nécessaire, encore que l'interconnexion entre Etats, on a eu l'occasion de le voir, ne soit pas parfaite. Le système privé américain se heurte tout simplement à la durée de construction des centrales et au montant de l'investissement. Attendre cinq ans ou plus le retour sur investissement dans un système totalement libéral est insupportable pour une société cotée à Wall Street, qui doit justifier de ses résultats tous les trimestres. Une somme de 3 milliards d'euros - soit le coût d'une centrale nucléaire de 1 500 mégawatts - à amortir sur cinq ans, ne peut être financée aujourd'hui, en dépit du très bas niveau des taux d'intérêt à long terme.
    M. Christian Bataille. Eh oui !
    M. Jean-Yves Le Déaut. S'agissant de la France, l'effort d'équipement principal a déjà été réalisé dans les secteurs de l'électricité et du gaz. Mais il a fallu vingt-cinq ans pour construire notre parc de cinquante-huit réacteurs et sa durée de vie ne sera pas plus longue.
    De même, les infrastructures gazières opérationnelles sont globalement suffisantes mais il faudra les entretenir, les renouveler et les développer ainsi que les capacités de stockage. La concurrence et les entreprises privées ne me semblent pas adaptées à de tels efforts sur le long terme.
    M. Christian Bataille. Bien sûr !
    M. Jean-Yves Le Déaut. Il est pourtant de notre devoir de vérifier la viabilité des structures que nous mettons en place.
    A l'inverse de ce qui a été dit, la France, entre 1995 et 2002, a eu une approche prudente, ce ne sera plus le cas ensuite par idéologie politique.
    M. Pierre Micaux. Oh !
    M. Jean-Yves Le Déaut. Je m'étonne que certains de mes collègues, d'habitude très sérieux, aient pu se livrer à une analyse purement politique.
    La politique énergétique n'est pas une compétence européenne stricto sensu, elle demeure largement une prérogative nationale. C'est par le biais de la construction du marché unique que la Commission européenne s'est intéressée à la question dès 1987. Les gouvernements de gauche ont toujours posé comme principe la préservation du service public et le droit à l'énergie. Après dix-huit mois de négociations, durant lesquels le gouvernement de Lionel Jospin a été très actif, le Conseil « énergie » est parvenu à un accord le 8 décembre 1997. Les exigences de la France ont été satisfaites, la notion de service public reconnue par le biais notamment des outils permettant de sécuriser les approvisionnements en gaz : planification à long terme, protection des contrats à long terme, stockages non accessibles aux tiers. Elles ne figurent plus dans le texte d'aujourd'hui. On sent ce qui se profile au niveau européen.
    M. Daniel Paul. Le loup est dans la bergerie !
    M. Jean-Yves Le Déaut. En effet ! La directive aurait dû être traduite en droit interne au plus tard le 10 août 2000 mais le Gouvernement de Lionel Jospin, a effectivement choisi de mener une longue concertation. Le Conseil économique et social a été saisi et notre excellente collègue Nicole Bricq a rédigé un rapport relatif à la modernisation du service public du gaz naturel et au développement des entreprises gazières. De ces consultations a émergé un projet de loi qui transposait la directive a minima. En parallèle, le gouvernement Jospin a négocié au niveau européen le préalable - et c'est fondamental - d'une directive-cadre sur les services d'intérêt général. Au sommet de Barcelone en mars 2002, la France a obtenu que cette étape soit confirmée et qu'aucune date ne soit fixée pour l'ouverture totale du marché de l'électricité et du gaz. Lionel Jospin a conditionné toute nouvelle ouverture du marché domestique des particuliers et des PME à la préparation de la directive-cadre européenne sur les services publics. Où en est-elle, madame la ministre ? Personne n'en entend plus parler !
    M. Christian Bataille. Nulle part !
    M. Jean-Yves Le Déaut. La France avance à marches forcées vers la libéralisation. Je regrette - non pas pour des raisons idéologiques, car je souhaite, comme tous mes collègues, aider notre pays - ...
    M. Roger Boullonnois. Bravo !
    M. Pierre Ducout. Ce n'est pas l'Europe libérale qui le fera !
    M. Jean-Yves Le Déaut. ... que, telle la chèvre de M. Seguin, vous ayez capitulé le 25 mai dernier à Bruxelles. La presse ne s'y est pas trompée puisqu'elle déclare : « Rompant avec ses prédécesseurs, le Gouvernement Raffarin a levé les réserves françaises. » Un journaliste d'un grand journal du soir a écrit : « La France ne dispose plus d'aucun joker qui lui permettra de bloquer en dernière minute l'ouverture totale du marché. » Autrement dit, dès 2007, le service public de l'énergie sera à ranger au rayon des accessoires. Comment pourrez-vous, en effet, imposer à des opérateurs uniquement soucieux de rentabilité financière, d'assurer la péréquation des prix et la desserte équilibrée du territoire français ? Il faut rappeler que 8 200 communes seulement sont aujourd'hui desservies mais que plusieurs milliers pourraient l'être demain. Avez-vous eu l'assurance que les consommateurs domestiques, madame la ministre, bénéficieront encore sur le long terme de la péréquation tarifaire ?
    En ayant accepté d'anticiper dès 2007 l'ouverture aux consommateurs domestiques, vous prenez le risque d'en faire les premières victimes de la libéralisation. Même si elle a profité aux consommateurs - l'énergie britannique est la moins chère d'Europe -, la libéralisation a surtout rapporté aux gros industriels et aux entreprises pour qui les prix ont baissé, alors qu'ils sont restés stables depuis deux ans pour les ménages.
    Enfin, nous souhaiterions que vous nous donniez des informations sur le calendrier d'ouverture des marchés. Comment pourrez-vous en 2006, trop tard, bien sûr, faire jouer une clause de révision ? Comment avez-vous négocié la séparation des gestionnaires de réseaux de transport et de réseaux de distribution ? Quand l'Etat procédera-t-il à la vente de ses infrastructures gazières de transport ? Quels en seront les bénéficiaires ? Quelle est votre position sur le service universel, notamment pour le gaz ? Et sur l'étiquetage énergétique ? Comment mentionner les rejets de gaz à effet de serre et faire apparaître la comparaison avec le nucléaire ? Enfin, M. Daniel Paul le disait tout à l'heure avec raison, comment concevez-vous l'accès aux installations de stockage de gaz ? Etes-vous en désaccord avec ce qui se trame aujourd'hui à Bruxelles ? Nos grands opérateurs Gaz de France et TotalFinaElf ont une capacité de stockage de gaz de 11 milliards de mètres cubes, elle est encore insuffisante...
    M. Christian Bataille. Il faut répondre !
    M. Jean-Yves Le Déaut. ... et ils devraient laisser la libre utilisation à de grands opérateurs nationaux qui ont en vue un seul souci, la rentabilité ? N'est-il pas singulier que les actifs stratégiques que constituent les stockages souterrains pour les entreprises gazières qui les ont aménagés soient demain accessibles à des tiers et qu'ils servent à l'équilibre des réseaux ?
    L'ouverture accélérée du marché européen est un leurre car elle est factice. Certains de nos collègues, au demeurant sympathiques,...
    M. Patrick Ollier, président de la commission, et M. François-Michel Gonnot, rapporteur. Oui ! (Sourires.)
    M. Jean-Yves Le Déaut. ... avec qui on travaille en bonne intelligence,...
    M. Patrick Ollier, président de la commission. Merci !
    M. Jean-Yves Le Déaut. ... ont-ils, avant de discuter du gaz, tiré les leçons de l'ouverture à 60 % - en théorie - du marché de l'électricité ? Je ne vais prendre que l'exemple de l'Allemagne. Le marché allemand de l'électricité est en principe ouvert à 100 % mais les opérateurs étrangers se heurtent à de nombreuses difficultés pratiques et à un système réglementaire relativement opaque.
    M. François-Michel Gonnot, rapporteur. Leur loi est une mauvaise loi !
    M. Jean-Yves Le Déaut. Il existe un péage sur le transport d'électricité dont le montant est défini de fait par les entreprises allemandes. Plusieurs opérateurs de réseaux de transport coexistent dans les Länder, ce qui rend plus difficile la négociation pour demander à traverser plusieurs régions. Enfin, l'Allemagne se caractérise par l'absence d'un régulateur indépendant !
    M. François-Michel Gonnot, rapporteur. Absolument, c'est le problème !
    M. Jean-Yves Le Déaut. C'est pourquoi les clients ayant changé de fournisseurs ont, dans leur très grande majorité, opté pour d'autres opérateurs allemands. Si le marché est ouvert en 2002, il l'est uniquement au profit des opérateurs allemands. Et on parle d'Europe...
    M. Christian Bataille. Oui, on va la faire !
    M. Jean-Yves Le Déaut. Voilà la réalité ! A l'inverse, M. Jospin et M. Pierret - c'était avant vous ! - ont ouvert à la concurrence 30 % du marché français et les clients consommant plus de 16 millions de kilowattheures par an et par site, ce qui représente 1 400 sites en France, peuvent choisir leur fournisseur d'électricité. N'importe quel opérateur peut s'installer en France, la loi offre des garanties pour que la concurrence se développe à côté de RTE et la Commission de régulation de l'électricité fonctionne. On a demandé aux opérateurs de prendre des mesures permettant de rendre effective une ouverture à la concurrence, qui existe déjà. Nous avons été, pour reprendre nos expressions, étudiants, plus royalistes que le roi, et avons donné les bâtons pour nous faire battre car une libéralisation à marches forcées pourrait rendre plus vulnérables nos entreprises.
    C'est quand même un comble, monsieur le rapporteur, cher ami Gonnot, que vous justifiiez le fait que nos partenaires européens se soient prévalus du retard de transposition pour gêner Gaz de France dans ses opérations de croissance externe, et soyez allé jusqu'à indiquer que la position de la France avait été fragilisée dans les négociations sur la deuxième directive ! Chez beaucoup d'autres, l'ouverture n'est qu'en trompe-l'oeil ! Il fallait le dire à Bruxelles ! (« Oui, il fallait le dire ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste.) Au lieu de quoi, ce texte n'a pas été discuté au Parlement, et nous laissons dire que le marché de notre pays n'est pas ouvert à la concurrence, alors qu'il l'est davantage en France qu'ailleurs !
    M. Christian Bataille et M. Pierre Ducout. Oui ! On s'est fait avoir !
    M. François-Michel Gonnot, rapporteur. Il faut être exemplaire pour donner des leçons !
    M. Jean-Yves Le Déaut. Je voudrais, pour finir, expliquer pourquoi il faut renvoyer ce texte en commission.
    D'abord, comme je l'ai déjà indiqué, un certain nombre de menaces pèsent, à long terme, sur notre approvisionnement en énergie. En effet, le recours au gaz est amené à s'accentuer dans les années à venir, tant au niveau français qu'européen. En France, la consommation de gaz croît de plus de 3 % par an. Selon le Livre Vert européen sur la sécurité d'approvisionnement, la demande en gaz devrait être dopée par plusieurs facteurs, comme la lutte contre l'effet de serre - le gaz est une énergie moins polluante que le fioul et le charbon - et le développement de l'usage du gaz pour la production d'électricité, ainsi que pour le transport.
    Il est aujourd'hui évident, comme l'a bien souligné mon collègue Birraux à la fin de son intervention, que le développement des éoliennes de plusieurs milliers de mégawatts va s'accompagner de la création de centrales à gaz, car, par nature, et comme l'a dit aussi notre collègue Micaux, l'énergie éolienne est intermittente, et il faudra donc fournir une énergie de substitution pour les périodes où les éoliennes seront à l'arrêt. Néanmoins, nous sommes favorables, comme l'a dit Pierre Ducout, à un plan national de construction d'éoliennes...
    M. Daniel Paul. Chez les autres !
    M. Patrick Ollier, président de la commission. Très bien !
    M. Jean-Yves Le Déaut. Sans passion, toutefois, car parmi les énergies renouvelables, le solaire et la biomasse sont plus prometteurs. En effet, les éoliennes, avec les installations, les centrales à gaz qu'il faut construire, le raccordement au réseau, reviennent plus cher que l'énergie nucléaire, sans garantir pour autant l'indépendance énergétique.
    La sécurité d'approvisionnement ne rime donc pas avec concurrence exacerbée, flexibilité, ou libéralisation du marché. Les gisements d'Europe du Nord, et notamment du Royaume-Uni, vont se tarir et la sécurité de notre approvisionnement dépendra de pays comme la Russie ou l'Algérie, c'est-à-dire de zones politiquement instables.
    Si à l'incertitude géopolitique s'ajoute la dérégulation totale, les ingrédients sont réunis pour provoquer de graves crises économiques. Vous auriez dû, madame la ministre, vous rappeler l'équation de la Californie, P + E = PE, c'est-à-dire privatisation plus éoliennes égale pénurie d'électricité. (Sourires.)
    M. François Brottes. Bravo !
    M. Jean-Yves Le Déaut. Malheureusement, vous l'avez oubliée, et on ignore qui paiera les pots cassés en cas d'augmentation brutale du prix du gaz, ou de crise politique dans un des pays producteurs.
    Plus grave encore, dans un contexte totalement dérégulé, l'ouverture de capital qui ne manquera pas de suivre l'ouverture du marché sera l'occasion d'une guerre sans merci opposant les tenants de la production électrique à partir du gaz naturel à ceux de l'énergie nucléaire.
    Toutes les énergies ont des avantages et des inconvénients. C'est à l'Etat d'arbitrer entre elles et non au marché d'en décider en fonction des paramètres économiques du moment. Voilà une argumentation simple !
    Avant de terminer je veux insister sur deux aspects essentiels : ce projet ouvre une brèche dans le concept de service public ; la sûreté de nos infrastructures gazières et des personnes est insuffisamment prise en compte.
    En effet, dans cette marche béate vers une transposition sans imagination, nous ouvrons une première brèche dans le concept de service public. Il faut rappeler que l'énergie fait partie des droits fondamentaux auxquels doivent avoir accès nos concitoyens. L'électricité et le gaz ne sont pas des marchandises comme les autres. Les ruptures d'alimentation en Californie, la faillite d'Enron et le récent scandale de World-Com aux Etats-Unis, l'effondrement - que j'espère passager - de France Télécom en France, prouvent que la bourse et le marché ne s'accordent pas avec la nécessité de prévoir à long terme. Pour nous, la sécurité d'approvisionnement est un préalable à l'élaboration de la politique énergétique du pays. L'électricité et le gaz font partie des biens de première nécessité et l'accès à l'énergie ne peut, à notre sens, être régie par les seules forces du marché.
    La directive a explicitement reconnu la possibilité d'imposer des obligations de service public pouvant porter sur la sécurité - y compris celle d'approvisionnement -, la régularité, la qualité et le prix des fournitures, la protection de l'environnement.
    M. François-Michel Gonnot, rapporteur. Absolument !
    M. Jean-Yves Le Déaut. Le titre III confère aux pouvoirs publics le droit d'imposer des obligations de service public à l'ensemble des opérateurs gaziers : opérateurs des réseaux de transport et de distribution, exploitants de gaz naturel liquéfié, fournisseurs, distributeurs, titulaires de concessions de stockage.
    Ces obligations portent sur la sécurité, y compris celle d'approvisionnement, la continuité de fourniture de gaz, la qualité et le prix des produits fournis, la protection de l'environnement, le développement équilibré du territoire, la garantie du maintien temporaire d'une fourniture de gaz naturel aux personnes en situation de précarité. Elles sont prévues dans les autorisations de fourniture ou de transport, les concessions de stockage et les cahiers des charges, les règlements des distributeurs. Elles varient selon les différentes catégories d'opérateurs mais dans des conditions qui seront, dit le texte, fixées par décret en Conseil d'Etat.
    Cela signifie que le Parlement, représentant du peuple, sera « shunté », si j'emploie un terme de physique, «squeezé » comme on dirait au bridge, dans la mesure où il ne décidera pas des obligations de service public.
    M. Pierre Ducout. Eh oui !
    M. Daniel Paul. Il est dessaisi !
    M. Jean-Yves Le Déaut. Enfin, il est prévu, comme l'autorise la directive, une disposition spécifique permettant au ministre en charge de l'énergie de prendre les mesures strictement nécessaires comme, par exemple, la suspension ou l'octroi d'autorisations, en cas de menace pour la sécurité d'approvisionnement. Le cas échéant, un décret en Conseil d'Etat précisera les conditions d'application de cet article. On peut, une fois de plus, regretter que ce texte s'appuie sur des décrets dont nous ne pouvons pas aujourd'hui mesurer la portée. Ce sont des raisons supplémentaires pour demander le renvoi en commission de l'examen du texte.
    On peut aussi regretter que le projet de loi ne consacre qu'une portion congrue au service public et que les références à l'égalité, à la continuité, à l'adaptibilité, à la sécurité, à la qualité et aux meilleurs prix ne soient qu'un cache-sexe pour masquer la volonté de libéralisation totale du marché de l'Union européenne. L'avant-projet de loi, que vous avez rédigé, n'y faisait même pas référence. Alors on amende au niveau des titres, mais on y parle d'« obligations », ce qui, en sémantique, signifie que le service public est, pour la Commission européenne, une contrainte au marché.
    A l'inverse, le texte de loi préparé par Christian Pierret avait pour titre : « Moderniser les services publics du gaz naturel et développer les entreprises gazières ».
    M. Jean-Claude Lenoir. Pourquoi n'a-t-il pas été inscrit à l'ordre du jour ?
    M. Christian Bataille. C'est l'ami de Mme Fontaine !
    M. Jean-Yves Le Déaut. Le service public, monsieur Lenoir, était défini par un article de principe qui énonçait ses différentes missions.
    D'abord, l'approvisionnement en gaz, le développement rationnel de sa desserte et la fourniture du gaz dans les zones raccordées, en deux mots : la continuité du service et l'aménagement du territoire.
    Ensuite, venaient ses missions au regard des objectifs de la politique énergétique : protection de l'environnement, cohésion sociale, lutte contre les exclusions.
    Enfin, son importance dans le domaine de la recherche et du progrès technologique était affirmée, deux points complètement oubliés, monsieur Birraux, président de l'office, dans le texte présenté aujourd'hui.
    Le corollaire de l'ouverture à la concurrence dans le secteur électrique et gazier conduira à la suppression de nombreux emplois et à une dégradation des garanties individuelles et collectives des salariés ; Christian Bataille et François Brottes en ont parlé. On peut regretter que la course au profit ne conduise au moins-disant social et à la dégradation de la sûreté sur les sites industriels. Mais ce texte a malheureusement peu pris en compte les exigences en termes de sécurité industrielle, à l'inverse du projet. Vous savez que j'ai été, ayant travaillé avec François Loos, votre collègue au gouvernement, le rapporteur de la commission d'enquête sur les risques industriels, diligentée après l'accident de l'usine AZF à Toulouse. Je souhaiterais donc aborder ce volet.
    Le transport du gaz en France concerne près de soixante sites classés Seveso, dont deux terminaux méthaniers, 120 000 kilomètres de canalisations sous haute pression de 3 à 6 bars dans les zones urbaines et sous les rues, à un mètre de profondeur, 30 000 kilomètres de canalisations à très haute pression, jusqu'à 100 bars enterrées à un mètre de profondeur, souvent à proximité de lieux publics, de voies ferrées, de routes ou d'autoroutes, 4 000 postes de gaz à très haute pression, quatorze stockages souterrains. L'incendie sur le circuit torchage au terminal méthanier de Montois-en-Bretagne en septembre 1997 s'est traduit par des flammes de quarante mètres de haut. Une explosion récente, à Dijon, due à la présence de fontes cassantes, a fait onze morts.
    En fait 80 % des accidents industriels dans le monde seraient dus à un facteur humain. Il est donc urgent de réhabiliter la place de la dimension sociale et humaine dans l'analyse des risques face à l'approche, notamment technique, souvent privilégiée dans des secteurs caractérisés par la complexité des procédés et le haut niveau technologique des installations. Seuls les hommes présents sur place ont la capacité de pouvoir interpréter les enchaînements logiques qui relient l'existence du risque à l'accident. C'est d'ailleurs souvent ce qui empêche des catastrophes plus grandes.
    Les organisations syndicales ne cessent de le répéter, mais, le plus souvent, les opérateurs sont sourds, privilégiant la précarité au détriment de la sûreté, faisant même du facteur humain une variable d'ajustement. Nous avons pu le vérifier lors de la visite du centre de stockage de Cerville, en Meurthe-et-Moselle, mon département, en janvier 2002.
    Aujourd'hui, il est bien vu par les actionnaires de licencier, de supprimer des emplois, alors que la sécurité des personnes et de l'environnement extérieur dépend avant tout de la vigilance, de la rigueur et de la compétence à l'intérieur de l'établissement. Selon l'expression d'un salarié de Toulouse, tout employé d'un établissement industriel doit être un « guetteur de dérive ».
    Il faut donc s'attaquer de front à trois problèmes : mieux associer les personnels à la sécurité des sites, lutter contre le développement de l'emploi précaire, ne pas s'engager dans une politique d'externalisation de certains travaux relatifs à la sécurité industrielle.
    La commission d'enquête a clairement indiqué que les DRIRE devaient prendre en compte, dans les recommandations qu'elles formulent, les dimensions humaines et sociales ainsi que les problèmes posés par l'organisation du travail et la formation des salariés.
    Je suis persuadé que la baisse des effectifs organiques à GDF - ou, comme notre collègue Habib l'a indiqué, à TotalFinaElf, en les ramenant à un niveau minimum suffisant pour un fonctionnement normal -, devient inadaptée pour faire face à une situation de crise ou pour permettre le déroulement de plans de formation satisfaisants. Les DRIRE devraient mentionner dans les études de danger, ces évolutions comme un facteur aggravant du risque.
    Beaucoup d'agents considèrent qu'ils sont court-circuités en matière de risque et de sécurité et que aujourd'hui, la sûreté est considérée comme une compétence managériale exercée sans partage par l'équipe de direction.
    Plusieurs collègues, Christian Bataille, Pierre Ducout, Daniel Paul - je n'en vois pas sur les bancs de l'opposition aujourd'hui, mais certains sont actuellement ministres - ont dénoncé la sous-traitance en cascade et plaidé pour que la recherche de rentabilité ne se fasse pas en supprimant des effectifs, au détriment de la sûreté. Nous suggérons d'étendre la négociation aux contraintes spécifiques qui résultent des activités présentant de graves dangers pour la sécurité. Nous demandons, monsieur le rapporteur, que, dans les établissements classés Seveso, on autorise les CHSCT à créer une commission de sûreté industrielle, Le sujet ne sera peut-être abordé que dans la discussion sur le texte relatif aux risques industriels - il faudrait aussi inclure dans le bilan social des incidents et quasi-accidents dans les établissements classés Seveso faire en sorte que les CHSCT soient rendus destinataires de ce document et élargir le droit d'alerte, comme le réclament les organisations syndicales du secteur gazier, pour rendre obligatoire la réunion du CHSCT par le chef d'établissement lorsqu'un membre du personnel signale l'existence d'un risque d'accident majeur. Enfin, il nous paraît indispensable qu'une personne qualifiée puisse intervenir en moins de vingt minutes pour parer à toute difficulté rencontrée sur un réseau de gaz.
    Je ne suis pas persuadé que la libéralisation et l'ouverture à la concurrence amélioreront la sûreté industrielle et le climat social, dans ce secteur d'activité.
    Avant de conclure, je veux souligner l'incertitude qui pèse sur le rôle assigné à Gaz de France.
    On peu comme des moutons de Panurge, le Gouvernement et l'actuelle majorité pensent qu'en se jetant le plus vite possible à l'eau, la France sera mieux armée pour défendre ses positions dans la négociation de la deuxième directive, que la situation de Gaz de France s'en trouvera renforcée - cela a été répété plusieurs fois -, et que cette société nationale pourra mener à bien des projets d'expansion à l'étranger.
    C'est malheureusement l'inverse qui risque de se passer. L'entreprise Gaz de France, avec un chiffre d'affaires annuel de plus de 14 milliards d'euros, monospécialisée dans le gaz, n'a pas les moyens de jouer seule sur le marché international et risque, lors de l'ouverture du capital souhaitée par le gouvernement Raffarin, d'être une proie facile.
    M. Pierre Ducout. Ils vons se faire manger !
    M. Jean-Yves Le Déaut. L'Etat actionnaire, via les gouvernements successifs, a laissé passer la chance historique de regrouper EDF et GDF pour en faire un acteur de dimension internationale...
    M. Pierre Ducout. Eh oui ! Cela a été une erreur historique !
    M. Jean-Yves Le Déaut. ... pouvant allier sa capacité de production nucléaire, hydraulique ou thermique à un réseau d'importation et de transport de gaz ainsi qu'un fantastique maillage permettant la distribution d'énergie et de services sur le territoire national.
    Le fait qu'EDF n'ait pas développé d'activité gazière et que GDF concentre la part la plus importante de son activité à l'importation et au transport de gaz signifie tout simplement que nos deux entreprises nationales seront contraintes à des alliances avec des pétroliers ou avec des entreprises de services.
    M. Christian Bataille. Vivendi, Suez !
    M. Pierre Ducout. Elles seront mangées par Suez !
    M. Jean-Yves Le Déaut. Les non-décisions d'hier auront des conséquences lourdes demain.
    Le renvoi en commission pour un examen d'ensemble de la politique énergétique française est la solution préconisée car la recherche du profit par les grands opérateurs et la concurrence sans merci à laquelle ils vont se livrer dans un système totalement libéralisé n'est pas compatible avec la définition d'une stratégie énergétique indépendante.
    Le groupe socialiste a une position claire : il veut moderniser le service public du gaz mais il considère qu'il faut d'abord débattre des grandes orientations de notre politique énergétique nationale, déterminer la place que nous voulons donner au gaz naturel dans notre pays, améliorer la sûreté de nos infrastructures gazières, avant de mettre le doigt dans l'engrenage de la dérégulation.
    M. Pierre Ducout. Très bien !
    M. Jean-Yves Le Déaut. Une fois franchies ces étapes, nous pourrons transposer la directive du 22 juin 1998. Il n'y a aucune urgence puisque, de fait, notre marché est déjà plus ouvert que le marché allemand ou espagnol.
    En réalité, chers collègues, la collectivité nationale ne peut prendre le risque de voir le fruit des efforts réalisés par l'intermédiaire de son entreprise publique Gaz de France, être demantelé sous la pression de la Commission européenne, alors qu'il est absolument indispensable de procéder avec ordre. C'est un leurre de croire que l'on peut proposer les prix les plus bas au consommateur, assurer à nos compatriotes les meilleures conditions de sécurité, tout en préservant le service public. Même si la Commission européenne le prétend, personne n'y croit.
    M. Pierre Ducout. Cela n'a jamais marché !
    M. Jean-Yves Le Déaut. Nous pourrions, avant de prendre une décision, réfléchir ensemble à la meilleure manière de moderniser le secteur public du gaz en préservant notre indépendance énergétique, notre sécurité d'approvisionnement, la continuité de fourniture du gaz, la protection de l'environnement, le développement équilibré du territoire et l'accès de tous nos concitoyens à l'utilisation de l'énergie.
    C'est pour toutes ces raisons que nous vous demandons de voter, mesdames et messieurs les députés - j'espère vous avoir convaincus (Sourires) -, le renvoi en commission du projet de loi relatif aux marchés énergétiques et au service public de l'énergie. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. le président. Je tiens à remercier les orateurs car tous ont fait l'effort de respecter leur temps de parole. Cela était indispensable pour que nous puissions en terminer avec la motion de renvoi en commission avant dix-neuf heures trente . Cela méritait d'être souligné. (« Très bien ! » sur tous les bancs.)
    La parole est à M. Daniel Paul pour expliquer le vote.
    M. Daniel Paul. Madame la ministre, je vous remercie d'avoir confirmé ce que je craignais : vous avez capitulé. Ainsi vous avez reconnu que l'accès des tiers au stockage pourra être autorisé de façon négociée. Autant dire que cela se fera. J'ai du mal à imaginer, compte tenu de la configuration dans laquelle nous serons dans quelques mois, tant au plan politique qu'au niveau institutionnel, que Gaz de France ne devienne pas la vache à lait, les requins profitant des installations de stockage mises en place depuis plusieurs dizaines d'années avec de l'argent public. Je vous remercie de l'avoir reconnu.
    Cela étant, qui financera désormais les investissements requis pour le stockage et la distribution de gaz dans le cadre de la directive, dès lors que ces efforts seront en concurrence avec la rentabilité exigée par les actionnaires, règle d'or de votre système ? Je ne me lasserai pas, madame la ministre, de vous poser cette question, car elle est synonyme de sécurité des approvisionnements, comme vient de le souligner M. Le Déaut, et de sécurité des installations, ce qui me semble prioritaire par rapport à toutes les considérations que vous pouvez avancer pour défendre votre projet.
    Je pense qu'il est encore temps de réexaminer ces questions et c'est la raison pour laquelle je voterai la motion de renvoi qui nous est proposée par le groupe socialiste. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à M. Jean Dionis du Séjour.
    M. Jean Dionis du Séjour. J'ai déjà souligné l'importance du projet européen pour le groupe UDF, ainsi que la nécessité, pour la France, de respecter la parole donnée dans la continuité de l'action de l'Etat. C'est une première raison pour laquelle le groupe UDF s'opposera au renvoi en commission.
    Il est aussi une deuxième raison de fond. En effet, malgré les longues interventions que nous avons entendues, nous n'avons pas encore saisi quelle serait la vision alternative du groupe socialiste. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Christian Bataille. On peut vous le répéter !
    M. Pierre Ducout. On va vous l'expliquer !
    M. Jean Dionis du Séjour. Certes, ses membres disent qu'ils ont préféré prendre du temps pour transposer et qu'ils veulent une transposition a minima. Mais où est leur vision, sachant qu'il y aura ensuite une deuxième directive ? (« Ah !» sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. Pierre Ducout. Eh bien, voilà !
    M. Christian Bataille. Le Gouvernement a déjà tout lâché !
    M. Jean Dionis du Séjour. Vous savez très bien qu'il y a un mouvement d'ensemble, car il s'agit du projet européen.
     Je constate donc que vous n'avez aucun projet alternatif. Or il faut aller de l'avant, donner toutes les chances à nos entreprises nationales.
    Pour ces raisons, le groupe UDF votera contre la motion de renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Lenoir.
    M. Jean-Claude Lenoir. Le groupe de l'UMP votera contre cette notion de renvoi en commission, pour des raisons de fond qui ont été largement évoquées à la tribune par des orateurs particulièrement compétents et avertis. Ils ont rappelé notre position sur ce projet de loi. Nous voulons donc en discuter sans tarder. Nous avons trop longtemps attendu, pendant des mois, des années. Le moment est venu de débattre, alors que l'opposition voudrait reporter à nouveau son examen.
    L'autre raison, qui m'incite à dire qu'il faut absolument débattre et ne pas renvoyer le texte en commission, est que cette dernière a accompli un excellent travail (Rires sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains), sous l'autorité de son président et grâce aux éclairages apportés par notre ami François-Michel Gonnot.
    M. Pierre Ducout. Que de travail !
    M. Jean-Claude Lenoir. Nous avons examiné tous les amendements, un par un, entendant, chaque fois, les explications de l'opposition ; nous avons donc eu des échanges approfondis.
    M. Pierre Ducout. Combien de temps ? De très nombreuses heures ?
    M. Patrick Ollier, président de la commission. Un temps suffisant pour vous permettre de vous exprimer !
    M. Jean-Claude Lenoir. Je ne vois pas en quoi une réunion supplémentaire de la commission permettrait de modifier les positions des uns et des autres et, surtout, comment nous pourrions ajouter à ce qui a été dit au cours des longues séances auxquelles, les uns et les autres, nous avons participé.
    Sur la base du travail qui a ainsi été accompli, nous tenons donc à engager l'examen du texte en séance publique. C'est pourquoi nous nous opposons à cette nouvelle manoeuvre de retardement. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Daniel Paul. Il a osé !
    M. le président. La parole est à M. François Brottes.
    M. François Brottes. Je veux d'abord remercier M. Jean-Yves Le Déaut pour la force de son argumentation, que tout le monde a notée, pour la clarté et le sérieux de sa démonstration. A l'inverse des propos polémiques et politiciens tenus tout à l'heure par nos collègues de la majorité - même par M. Birraux, c'est tout dire, plus sérieux d'habitude sur ces questions - ; à l'inverse de la distance, et le mot est pudique, prise par madame la ministre qui n'a pas jugé utile de répondre aux orateurs socialistes...
    Mme la ministre déléguée à l'industrie. Mais si !
    M. François Brottes. ... Jean-Yves Le Déaut a eu le souci du détail qu'il s'agisse de technique, d'aménagement du territoire, d'indépendance énergétique, ou des garanties en matière de sécurité. Il a lancé une sorte d'appel à la raison et émis des propositions constructives. Il devrait donc vous avoir convaincus de renvoyer ce texte en commission, afin que nous puissions rectifier le tir pendant qu'il est encore temps. En effet, nous ne pouvons supporter que l'on mette en péril la recherche et les investissements du futur, qu'on les sacrifie aux désirs d'une armée de concurrents intéressés par le seul profit à court terme.
    Madame la ministre, la gravité des enjeux, rappelés par Jean-Yves Le Déaut, et la pertinence des arguments utilisés nous imposent de soutenir ce renvoi en commission afin que nous puissions élaborer un nouveau texte répondant à toutes les questions qu'il a posées, même si je comprends bien qu'elles vous dérangent. Il a eu la clairvoyance de les poser l'une après l'autre, en les explicitant extrêmement bien.
    Par ailleurs, le texte proposé ignore totalement l'accord que le Gouvernement a signé le 25 novembre dernier à Bruxelles.
    Nous refusons de voter un texte à l'aveugle. Il faut retourner en commission pour reprendre ce projet à zéro. Nous refusons une pratique gouvernementale qui exclut le Parlement du droit d'élaborer lui-même les dispositions qui garantissent le service public de l'énergie à nos concitoyens.
    M. Christian Bataille. On ne les connaît pas !
    M. François Brottes. Nous refusons la formule : « par décret, ou de force ». Je vous invite à vous ressaisir, chers collègues, et à voter cette motion de renvoi en commission pour que nous puissions restituer ce texte dans un débat plus large sur la politique énergétique nationale.
    M. le président. Personne ne demande plus la parole ?
    Je mets aux voix la motion de renvoi en commission.
    (La motion de renvoi en commission n'est pas adoptée.)
    M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

2

ORDRE DU JOUR
DE LA PROCHAINE SÉANCE

    M. le président. Ce soir, à vingt et une heures trente, troisième séance publique :
    Suite de la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat après déclaration d'urgence, n° 326, relatif aux marchés énergétiques et au service public de l'énergie :
    M. François-Michel Gonnot, rapporteur au nom de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire (rapport n° 400).
    La séance est levée.
    (La séance est levée à dix-neuf heures vingt.)

Le Directeur du service du compte rendu intégralde l'Assemblée nationale,
JEAN PINCHOT