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ASSEMBLÉE NATIONALE
DÉBATS PARLEMENTAIRES


JOURNAL OFFICIEL DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE DU MERCREDI 12 MARS 2003

COMPTE RENDU INTÉGRAL
3e séance du mardi 11 mars 2003


SOMMAIRE
PRÉSIDENCE DE M. RUDY SALLES

1.  Entreprises de transport aérien. - Suite de la discussion d'un projet de loi adopté par le Sénat «...».

DISCUSSION GÉNÉRALE(suite) «...»

MM.
Frédéric Dutoit,
Jérôme Chartier,
Claude Bartolone,
Jacques Le Guen,
Jean-Piere Blazy,
Jean Proriol,
Michel Pajon.
Clôture de la discussion générale.
M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer.

MOTION DE RENVOI EN COMMISSION «...»

Motion de renvoi en commission de M. Jean-Marc Ayrault : MM. Jean-Louis Idiart, Charles de Courson, rapporteur de la commission des finances ; François Goulard, Claude Bartolone. - Rejet.
Renvoi de la suite de la discusion à la prochaine séance.
2.  Dépôt d'un rapport en application d'une loi «...».
3.  Ordre du jour des prochaines séances «...».

COMPTE RENDU INTÉGRAL
PRÉSIDENCE DE M. RUDY SALLES,
vice-président

    M. le président. La séance est ouverte.
    (La séance est ouverte à vingt et une heures quinze).

1

ENTREPRISES DE TRANSPORT AÉRIEN

Suite de la discussion d'un projetde loi
adopté par le Sénat

    M. le président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, relatif aux entreprises de transport aérien et notamment à la société Air France (n°s 632, 654).

Discussion générale (suite)

    M. le président. Cet après-midi, l'Assemblée a commencé d'entendre les orateurs inscrits dans la discussion générale.
    La parole est à M. Frédéric Dutoit.
    M. Frédéric Dutoit. Monsieur le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer, vous proposez donc de privatiser Air France, l'un des fleurons de notre industrie nationale. Or cette privatisation est une totale aberration, pour plusieurs raisons. Permettez-moi d'en énumérer au moins une bonne dizaine qui, sur la forme comme sur le fond, rendent cette privatisation anti-industrielle, anti-économique et anti-rationnelle. Elle peut même s'apparenter à un acte d'hostilité à l'égard de la compagnie, car cela ne lui rapportera strictement rien. Au contraire. J'aimerais tout d'abord donner quelques raisons qui montrent que les fondements mêmes de cette activité sont assez peu compatibles avec les exigences des marchés boursiers.
    Première raison, la faiblesse des marges bénéficiaires. Air France est actuellement l'une des trois seules compagnies bénéficiaires au monde. Pourtant, dans la meilleure des conjonctures, le transport aérien ne dégage que 1 à 3 % de marges bénéficiaires. Comment de si faibles profits pourraient-ils intéresser durablement les marchés boursiers ? Le transport aérien est, par nature, une activité instable. Comment une telle instabilité n'accentuerait-elle pas encore la volatilité naturelle des marchés ? A l'évidence, cette activité n'est pas un secteur pour les marchés financiers. S'obstiner à le prétendre, c'est céder à l'aveuglement ou à l'entêtement idéologique.
    Deuxième raison, le poids du capital fixe dans les coûts de gestion. Vous n'ignorez pas, monsieur le ministre, le coût d'un Boeing ou d'un Airbus. Un Airbus A 340-600, par exemple, vaut 200 millions d'euros, soit plus d'un milliard de francs. C'est l'outil de travail de base d'une compagnie aérienne. Son achat coûte très cher mais son entretien également. Ce capital, qui représente un coût élevé, nécessaire à son métier, est et restera incompressible. Le prix des avions fait du transport aérien une activité à forte intensité et à immobilisation capitalisques. Monsieur le ministre, à qui voulez-vous faire croire que les investisseurs vont être durablement attirés par l'immobilisation de leurs investissements ?
    Troisième raison, l'accélération du renouvellement des flottes. Alors que les avions coûtent toujours plus chers, le rythme de renouvellement d'une flotte s'accélère. Un appareil, qui auparavant pouvait avoir une durée de vie de quinze ans et plus, arrive en fin de parcours après dix années de vol. L'âge moyen de la flotte d'Air France dépasse de peu les huit ans. Nous sommes donc dans une activité qui, malgré sa croissance, consomme toujours plus de capital. Je n'évoque même pas le prix des assurances, qui a doublé depuis le 11 septembre. Monsieur le ministre, qui peut penser que l'acquisition d'une grande compagnie internationale reposant sur une flotte moderne soit une affaire financièrement intéressante ?
    Quatrième raison, le caractère cytothymique de l'activité. Le transport aérien est, par excellence, l'activité sensible et réactive à la conjoncture. De multiples facteurs peuvent concourir à des retournements de tendance : la guerre, le terrorisme, le prix du pétrole, les catastrophes aérienes. La dépression dans ce secteur est toujours longue à surmonter. Monsieur le ministre, comment, en ajoutant l'instabilité du marché à tous ces aléas de la conjoncture, allez-vous faire d'Air France une entreprise encore plus forte et solide ?
    M. Jean-Claude Lefort. Eh oui !
    M. Frédéric Dutoit. Cinquième raison, le catastrophique exemple américain. Les Etats-Unis ne se privent pas de soutenir leurs compagnies. Le Trésor américain a ainsi déboursé pas moins de 15 milliards de dollars en aides diverses après les attentats du 11 septembre. Une disposition permet aux lois américaines de reporter les déficits et de bénéficier de remboursements fiscaux sur les impôts payés lors des cinq années précédentes. Dans les mois qui viennent, nombre de compagnies ne s'en tireront pas sans l'aide publique américaine. Le bilan américain est édifiant : 6 milliards de dollars de profit en vingt-quatre ans pour 12 milliards de perte en deux ans. Dans ce modèle, le contribuable paye toujours à la fin pour revaloriser le taux de profit des actionnaires.
    En livrant notre compagnie aux turpitudes du marché, le Gouvernement fait exactement le chemin inverse des autorités américaines. Par dogmatisme, il se montre plus viscéralement libéral que son homologue d'outre-Atlantique.
    M. Jean-Claude Lefort. Très juste !
    M. Frédéric Dutoit. Pourquoi alors vouloir privatiser la compagnie si c'est pour la recapitaliser lorsqu'elle ira mal ?
    Sixième raison, l'inéluctabilité de l'Etat. Dans une activité aussi structurellement vulnérable et fragile par le niveau de ses marges, même quand le contexte est favorable, l'Etat devient le seul recours. L'économiste Patrick Artus, professeur à l'Ecole polytechnique et directeur des études économiques à la Caisse des dépôts et consignations, indique à juste titre que l'enseignement de la crise aux Etats-Unis réside dans « l'échec dû à la privatisation totale des télécommunications, du transport aérien et de l'électricité ». Dans une situation de concurrence, ces activités à marges très faibles ne parviennent pas en effet à rentabiliser le capital investi sans aide publique. Un article du International Herald Tribune du 22 février 2001, journal dont vous connaissez pourtant les options libérales, titre ainsi sur quatre colonnes : « La privatisation des services publics peut être un désastre ». Monsieur le ministre, est-ce le modèle que vous souhaitez pour notre compagnie ?
    Septième raison, la menace sur l'emploi. La situation de l'emploi dans le secteur aérien est proprement catastrophique. Les faillites sont consommées ou potentielles. La quantité d'emplois perdus depuis fin 2001 est considérable. American Airlines en a supprimé 27 000 ; US Airways 12 000 ; British Airways 7 500 ; Delta Airlines 13 000 ; Air Canada 9 000 ; Swissair 9 000 ; la faillite d'United Airlines concerne 84 000 salariés. Le total s'élève à 160 000 emplois. Et je ne parle pas d'Air Lib.
    Depuis cinq ans, tout au contraire, Air France n'a cessé de créer des emplois. De 46 385 en 1998, elle est passée à 59 296 en 2002. La compagnie a ainsi créé 17 000 emplois depuis 1997. Cette politique de création d'emplois est d'autant plus remarquable qu'elle se situe dans un contexte de hautes turbulences.
    Alors que le Gouvernement ne cesse de stigmatiser l'impôt et de favoriser sa baisse parce que cela serait bon pour l'emploi, il poignarde à la première occasion l'entreprise qui crée vraiment de l'emploi. Il perd là une véritable occasion de montrer son attachement à l'emploi. Vous pouvez tout dire, monsieur le ministre, sauf que le sort que vous réservez à Air France va favoriser la création d'emploi.
    Huitième raison, le renoncement des pouvoirs publics à orienter les stratégies industrielles. Air France a joué un rôle capital pour le lancement d'Airbus. Elle a représenté une garantie d'achat pour le constructeur. Elle a payé ses Airbus au prix voulu par le vendeur, ce qui n'est pas le cas de tous les acheteurs de cet avion. Elle a stimulé la recherche et la construction aéronautique. Une fois livrée à la loi de la bourse, plus personne ne pourra forcer Air France à acheter des Airbus. L'initiative du Président de la République qui avait imposé un achat d'Airbus ne sera plus possible. Et la déstabilisation de toute la chaîne aéronautique avec tous les emplois induits qu'elle comporte n'est pas sans incidence sur les bassins d'activité notamment dans les régions parisienne et toulousaine.
    Neuvième raison, le renoncement à relier le territoire. En livrant l'entreprise à une autre logique de gestion, c'est le principe même de la péréquation territoriale que vous remettez en cause. Qui, en effet, empêchera la suppression des lignes intérieures déficitaires ? Certainement pas les regrets des responsables politiques. Vous abandonnez délibérément le principe de la continuité territoriale. C'est Air France qui, aujourd'hui, maintient cette continuité avec les DOM-TOM - M. Lurel a développé ce point tout à l'heure. Souhaitez-vous, monsieur le ministre, livrer ce principe à la grande main invisible du marché ?
    Dixième raison, c'est pour les personnels une mystification salariale. L'échange salaire-actions n'a jamais été à l'avantage des personnels.
    M. Charles de Courson, rapporteur de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan. Ce choix est libre !
    M. Frédéric Dutoit. L'échange commence toujours par un renoncement à son pouvoir d'achat pour un profit hypothétique. Monsieur le ministre, à quoi sert-il d'être actionnaire dans une société en faillite ? Les salariés d'United Airlines, majoritaires dans le capital de leur entreprise, n'ont plus le choix aujourd'hui qu'entre perte de leur capital ou perte de leur emploi. En quoi le transfert du risque au salarié serait-il un progrès ?
    Vous savez très bien, monsieur le ministre, que, statistiquement, à l'issue de la période de blocage, la moitié des salariés se désengagent. En 2004, l'actionnariat salarié pourrait être ainsi divisé par deux. La vente de ces actions, abondées par la compagnie, n'est pas une bonne chose pour la stabilité de son actionnariat. Or le Gouvernement se propose de rééditer l'opération. Les salariés d'Air France ont déjà perdu 50 % de leur portefeuille depuis le 1er janvier 2002. Monsieur le ministre, à qui voulez-vous faire croire que le développement de l'actionnariat salarié est l'intérêt d'un personnel qui vient déjà de perdre la moitié de son portefeuille ?
    Onzième raison : vous proposez de démanteler un système qui marche. De nombreux observateurs jugent le système d'alliance au sein d'un regroupement comme Skyteam plus performant que l'échange proprement capitalistique. Le président de la compagnie, lui-même, a jugé, dans un ouvrage récemment publié, que cette formule était opportune pour éviter la confrontation des cultures d'entreprise. La consolidation engagée sous forme d'alliance permet au contraire un rapprochement progressif. Cette formule a montré son efficacité et on voit tous les bénéfices qu'Air France, qui en est le pivot, pourrait en retirer.
    En 1997, avant l'alliance, le président de Delta Airlines avait déclaré qu'il ne réclamait ni la privatisation de son partenaire ni l'échange d'actions. Le président de General Electric avec qui la SNECMA fabrique le moteur le plus utilisé au monde - le CFM 56 - ne trouvait, lui, que des avantages à ce que son partenaire français soit public car cela garantissait sa fiabilité.
    La douzième raison, c'est la menace de régression sociale. Le transport aérien est, globalement, en difficulté. Parmi les grandes compagnies nationales, seules trois, dont Air France, sont encore bénéficiaires. Le taux de profit est structurellement bas. Les compagnies à bas coût, les low cost, sont celles qui dégagent le plus de profit parce qu'elles réduisent les coûts sur tout : sécurité, confort, service, emploi, salaire. Les compagnies à bas coût sont également les compagnies des coup bas : le billet de Ryanair - on en a déjà parlé tout à l'heure - à un euro pour le trajet Strasbourg-Londres en est un exemple. Ce sont les championnes du dumping social.
    Enfin, la dernière raison, la plus immédiate, la plus urgente, la plus évidente est liée à la conjoncture géopolitique. Après le 11 septembre, plus rien ne sera comme avant dans un transport aérien rendu vulnérable. Les menaces d'une intervention en Iraq ne pourront qu'accentuer la dépression du secteur. Le prix du pétrole, poste très important de dépense, se situe aujourd'hui à plus de trente dollars le baril et risque d'augmenter encore. Il affecte très directement la santé financière de l'entreprise.
    Un conflit en Iraq, avec les profondes répercussions géopolitiques qui en ressortiraient, pèserait durablement sur la croissance du secteur.
    On ne peut pas trouver plus mauvais moment pour privatiser une compagnie aérienne.
    M. Jean-Claude Lefort. Absolument !
    M. Frédéric Dutoit. Dans le contexte de l'après 11 septembre, le transport aérien est devenu un champ de ruines et de nouveaux nuages menacent. Comment pouvez-vous, monsieur le ministre, en pleine conscience, jeter notre compagnie nationale dans le tourbillon des faillites actuelles ?
    Monsieur le ministre, chers collègues, croyez-en un communiste de notre temps : ...
    M. Charles de Courson, rapporteur. Ça n'existe pas !
    M. Frédéric Dutoit. ... ne vous laissez pas guider par un dogmatisme toujours destructeur. Soyez ouverts à l'avenir de notre monde !
    M. Charles de Courson, rapporteur. Parce que les communistes sont ouverts, eux ?
    M. Frédéric Dutoit. N'appliquez pas les vieilles lunes libérales. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à M. Jérôme Chartier.
    M. Jérôme Chartier. Monsieur le ministre, la privatisation d'Air France constitue assurément une bonne nouvelle, en ce qu'elle met fin à un contrôle de l'Etat, dont la justification a disparu. Cette propriété de l'Etat, tutelle protectrice à ses origines, est devenue à l'heure de la libéralisation des marchés et des transports un handicap. Nous nous accordons donc tous pour accepter de rendre au secteur privé ce qui relève aujourd'hui de l'initiative privée.
    Ce mouvement est le prolongement logique de la démarche d'ouverture du capital engagée par le précédent gouvernement dont, une fois n'est pas coutume, je tiens à saluer la clairvoyance et la lucidité : sa prise de décision était en adéquation avec les réalités du moment.
    Autorisée depuis 1993, mais ne devant prendre pleinement effet qu'en 2003, la privatisation d'Air France est de nature à assurer le développement de ce transporteur aérien dans un contexte d'ouverture des marchés, de libéralisation internationale et d'alliances entre compagnies aériennes, qui sont des sociétés privées. Air France continuera donc à exister et sera sans doute encore plus performante, pour le plus grand bénéfice de tous, salariés comme clients.
    Le présent projet de loi constitue un dispositif d'accompagnement de cette privatisation, dont les maîtres mots sont la sagesse et le pragmatisme.
    La réalisation de la privatisation d'Air France, rappelons-le encore une fois, n'emportera aucune incidence sur le service public et l'aménagement du territoire. Air France est et restera soumise à des obligations de service public. Cependant, là ou hier l'avion était le lien principal entre les Français, les autres moyens de communication se sont considérablement renforcés, reléguant la prépondérance de l'air au rang ultime, mais entraînant simultanément de nouvelles perspectives de développement. Hier, le TGV a rendu la liaison aérienne Paris-Lille obsolète. Aujourd'hui, il relie la capitale à Marseille ou à Bordeaux en trois heures. Demain, le réseau ferroviaire rapide s'étendra encore, ainsi que vous nous l'avez confirmé cet après-midi, lors des questions au Gouvernement, monsieur le ministre.
    M. Jean-Louis Idiart. Il n'a guère été précis !
    M. Jérôme Chartier. Il en ressort que les liaisons aériennes intra-métropolitaines contribuent proportionnellement de moins en moins à l'aménagement du territoire. Les compagnies aériennes restent libres de proposer des liaisons concurrentes du chemin de fer ou de la route, mais leur présence ou leur absence n'a que peu d'effet sur l'accessibilité du territoire pour tous les citoyens.
    En revanche, il importe de conserver des liaisons vitales avec les territoires dont la desserte n'est pas possible par tous les moyens de transport. Ainsi, la Corse nécessite le maintien d'une desserte aérienne en complément des liaisons maritimes avec le continent. Plus encore, il nous faut conserver les lignes aériennes avec nos départements et nos territoires d'outre-mer, qui sont le lien et la garantie d'une certaine continuité territoriale à travers les airs.
    Les obligations spécifiques aux transporteurs aériens, l'Etat peut les imposer dès lors qu'il justifie du caractère vital des liaisons pour le développement économique de la région dans laquelle est située une plate-forme aéroportuaire. C'est bien le cas de la Corse ou des terres situées outre-mer.
    Air France, compagnie publique, appliquait ce règlement. Air France, société à capitaux majoritairement privés, le respectera tout autant. Air France concourra d'ailleurs d'autant mieux au service au public et à l'aménagement du territoire qu'elle constituera un pôle majeur et actif dans les alliances internationales, renforçant ainsi sa position et ses résultats.
    Aussi, ce n'est pas là que réside le débat ! dès lors que nous acceptons de renoncer aux vieilles antiennes idéologiques et que nous nous tournons résolument vers l'avenir, le développement et le progrès !
    M. Jean-Pierre Blazy. Quelle idéologie ? C'est de Gaulle qui a nationalisé Air France !
    M. Jérôme Chartier. Le débat concerne bien le service public des transports que nous voulons pour notre territoire. Or force est de constater que les insuffisances du service public des transports ne sont pas dues à une carence législative ou réglementaire, loin s'en faut. Ce ne sont pas les règles qui manquent pour garantir la pérennité, la qualité, la modération du coût, c'est-à-dire l'accessibilité, la régularité du service public. On ne peut que déplorer en revanche les insuffisances en termes de moyens d'intervention.
    Des organes existent, qui ont pour mission de garantir ce service public.
    Pour ce qui nous intéresse ce soir - le transport aérien - je dois alerter la représentation nationale sur la faiblesse des moyens financiers du fonds d'intervention pour les aéroports et le transport aérien, le FIATA, pour la partie desserte. Pour la partie plates-formes aéroportuaires, le rapporteur de la commission des finances est un observateur vigilant.
    A ce jour, la totalité des crédits du FIATA-desserte sont engagés, tant et si bien que des aides promises, décidées lors de précédents conseils d'administration de ce fonds, ne peuvent être honorées faute d'une ligne budgétaire suffisante. Comment peut-on décemment parler de service public des transports lorsqu'on sait qu'on n'intervient pas pour compenser le déficit d'exploitation de certaines liaisons, peut-être déficitaires par nature, si ce n'est par destination, dans un esprit d'accessibilité et d'aménagement du territoire ?
    Sans moyen d'intervention, les réglementations compensatrices ne sont que de vaines paroles, et l'Etat perd tout crédit, au sens moral du terme cette fois, ce qui est tout aussi grave. Car, finalement, quelles que soient les règles et leur haute exigence en matière de service public, le marché, comme chacun sait, a ses lois et, tôt ou tard, elles finissent par s'imposer sous leur angle le plus dur si elles ne sont pas dissuadées, incitées ou accompagnées par une intervention efficace et effective des pouvoirs publics. Je profite donc de cette discussion pour insister sur le manque criant de moyens financiers du FIATA-desserte. Il faut remédier à cette situation si l'on veut - ce dont je ne doute pas un seul instant - qu'il joue pleinement son rôle.
    Enfin, je souhaiterais soumettre à votre réflexion la création d'un autre fonds d'intervention, qui me paraît au moins aussi essentiel. Il s'agirait d'un fonds destiné à assumer une autre mission de service public en relation avec les transports. Ce fonds pourrait s'appeler le FIRATA : le fonds d'intervention pour les riverains des aéroports et du transport aérien.
    M. Jean-Pierre Blazy. Quelle belle trouvaille !
    M. Jérôme Chartier. La question de la création d'un tel fonds est en relation avec le débat sur les entreprises de transport aérien et sur la société Air France en particulier.
    La cession par l'Etat de ses parts dans le capital d'Air France doit constituer une recette importante. Symboliquement, il me paraîtrait opportun d'affecter tout ou partie de cette somme à la diminution des nuisances causées par l'activité du transport aérien. Air France s'appuie en effet fortement sur le territoire national pour son développement. Le hub de Roissy - Charles-de-Gaulle 2 s'accroît, disposant de cinq terminaux auxquels s'ajoutera un sixième au mois de juin prochain.
    M. Jean-Pierre Blazy. Et le troisième aéroport, qu'est-ce que vous en pensez, monsieur Chartier ?
    M. Jérôme Chartier. Ce développement des capacités aéroportuaires a une incidence déterminante sur l'activité économique d'Air France qui en est le principal bénéficiaire. Ce développement n'a pas atteint son terme, ainsi que l'affirment ces derniers temps la plupart des experts. Mais il ne s'inscrit pas dans la logique du développement durable à laquelle je vous sais attaché, monsieur le ministre.
    Qu'est-ce qui fait donc obstacle à ce développement durable, conciliant, pour l'avenir, activité économique et qualité de vie ? Les riverains des aéroports vous le diront unanimement : il s'agit du bruit.
    M. Jean-Pierre Blazy. Il faut donc un troisième aéroport, monsieur Chartier !
    M. Jérôme Chartier. Quelle est l'origine de ce bruit ? Il provient essentiellement des moteurs des avions, couplé avec d'autres paramètres climatiques ou altimétriques.
    Pendant quinze ans, les motoristes ont engagé d'importants efforts, dont le résultat se mesure tout simplement à l'oreille. Les avions des chapitres les plus bruyants disparaissent, laissant la place à des appareils dotés de réacteurs plus silencieux. L'industrie aéronautique a réalisé des prouesses qui n'ont rien à envier aux progrès de sa consoeur de l'automobile.
    Pourtant, ces efforts semblent avoir cessé, sans doute en raison d'une concurrence accrue entre les constructeurs qui se sont concentrés sur les performances mécaniques de leurs engins et ont mis de côté les aspects secondaires : secondaires pour l'évolution de l'appareil, mais primordiaux pour les centaines de milliers de riverains des aéroports.
    En conséquence, j'estime qu'il est du devoir de l'Etat d'encourager les motoristes, notamment en aidant les compagnies aériennes à acquérir des moteurs moins bruyants.
    Les moteurs gagnant en silence, la gêne occasionnée par le transport aérien se retrouvera considérablement réduite et sera sans doute acceptée par l'immense majorité des riverains.
    M. Jean-Pierre Blazy. C'est incroyable !
    M. Jérôme Chartier. En conséquence, les avions ne représentant plus qu'une gêne résiduelle, et bien moindre que les automobiles ou les deux-roues, le développement des aéroports nationaux pourra se poursuivre harmonieusement. Il ne sera peut-être plus nécessaire de construire un troisième aéroport (« Oh ! » sur les bancs du groupe socialiste), et les incidences relatives à la constructibilité, inclues dans la révision du plan d'exposition au bruit, seront caduques.
    M. Jean-Pierre Blazy. Bravo ! les Valdoisiens apprécieront !
    M. Jean-Louis Dumont. On rêve !
    M. Jérôme Chartier. Oui, c'est un rêve, mais il n'appartient qu'à nous qu'il devienne réalité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Jean-Louis Dumont. Quelle envolée !
    M. Jean-Pierre Blazy. Attention au crash !
    M. Jérôme Chartier. Je ne suis pas sûr que vous ne me rejoigniez pas un jour ou l'autre !
    M. le président. La parole est à M. Claude Bartolone.
    M. Claude Bartolone. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la discussion générale permet l'expression d'un certain nombre d'orientations et de positions et, quelquefois aussi, un échange sur un certain nombre d'orientations ou d'idées. Permettez-moi, monsieur le ministre, de vous dire quel est mon sentiment, après avoir entendu votre intervention, celle du rapporteur et celle d'un certain nombre de mes collègues de la majorité.
    Premièrement, je doute que le moment que vous choisissez pour présenter ce projet soit approprié. Vous avez vous-même fait part de ce doute en commission. La législation communautaire n'est pas encore stabilisée et vous avez vous-même fait, en commission, le lien entre les droits négociés d'Etat à Etat et le changement qui pourrait frapper ces droits et le statut d'Air France.
    Deuxièmement, j'ai un doute quant aux retombées favorables de ce projet pour la corbeille. Il est tout de même significatif qu'après l'annonce de la privatisation, le cours de l'action soit passé, en un mois, de 11,63 euros à 7,32 euros, atteignant son niveau le plus bas le 10 octobre 2002.
    Troisièmement, enfin, j'ai un doute sur le montant des recettes attendues par l'Etat.
    En vous écoutant, monsieur le ministre, j'ai perçu les difficultés économiques que connaît le Gouvernement et sa recherche évidente d'argent de poche pour boucler les fins de mois.
    Pour l'Etat ce projet de privatisation intervient au plus mauvais moment.
    La situation défavorable du marché boursier a ramené la valeur de l'action Air France à 8 euros. Fin décembre 2000, la part de 56 % du capital d'Air France que l'Etat détenait représentait une valorisation totale de 3,074 milliards d'euros. Au 30 septembre 2002, les 54 % du capital détenus par l'Etat, ne représentent plus que 873 millions d'euros. Pourtant, ces six dernières années, Air France a présenté des résultats positifs. Elle est la seule compagnie - on a beaucoup insisté sur cet aspect, au cours de l'après-midi - à avoir pu en annoncer en 2001. En 1999, son résultat net consolidé était de 358 millions d'euros, en 2000 de 425 millions et en 2001 de 156 millions, soit un résultat net moyen de 313 millions d'euros sur les trois dernières années. Redistribué totalement sous forme de dividendes, avec 54 % du capital, cela représenterait une manne annuelle de 169 millions d'euros pour l'Etat.
    La valeur actuelle de la part que vous vous proposez de céder ne couvre pas un tiers du montant de la recapitalisation qui a eu lieu entre 1995 et 1997. Financièrement, nous ne retrouvons pas la valeur que nous avons donnée à cette entreprise et nous perdons avec ce projet de loi toute capacité à exercer des missions d'intérêt général spécifiques au transport aérien.
    Pour l'Etat, donc, pas d'avantage ! Pour les usagers, quels avantages ?
    Ils attendent légitimement que, quel que soit son statut, Air France conserve et garantisse une couverture homogène de l'ensemble du territoire, avec des prix et des horaires équilibrés entre les régions. Mais, en dépit des garanties données par le rapporteur en début d'après-midi, comment imaginer qu'elles puissent être apportées soit par l'Etat, dans le cadre de la compensation, soit par la compagnie, si, au lendemain de la guerre contre l'Irak, la situation se détériore ?
    Vous le savez, monsieur le ministre - on le voit assez dans les secteurs autoroutiers et routiers -, lorsque les crédits sont moins nombreux, il est plus difficile à l'Etat d'être généreux. Demain, si les recettes de l'Etat sont affaiblies, il sera beaucoup plus difficile de dire à l'habitant de Lannion qu'il pourra voyager à un coût comparable à celui de Toulouse. De même, si les bénéfices sont moins importants, il sera beaucoup moins facile à la compagnie de se comporter en entreprise citoyenne.
    Pour Air France, troisième compagnie mondiale, ce projet devrait permettre de nouer des alliances et des partenariats. Mais n'a-t-elle pas créé en juin 2000 avec succès l'alliance Skyteam, avec entre autres compagnies la très américaine Delta Airlines qui n'a, semble-t-il, pas été gênée par son statut d'entreprise publique ?
    M. Jean-Pierre Blazy. Absolument !
    M. Claude Bartolone. Air France est aujourd'hui dans une tout autre situation pour passer ce genre d'accord. A l'époque - et son président d'alors, M. Blanc, aurait pu en parler - il était difficile, pour la compagnie, de trouver à se marier, car elle était considérée, par certains côtés, comme le vilain petit canard. Il a fallu tous les efforts de son président, de ses salariés et de l'Etat pour lui redonner ses couleurs. Mais aujourd'hui, c'est une mariée convoitée ! Elle n'a plus du tout mauvaise réputation. Elle marque des points au niveau national, européen et international. Ce n'est plus une opprobre que de proposer une alliance avec la belle compagnie Air France.
    Je reviendrai sur les risques qu'une privatisation représente pour les salariés. Je pense que, pour eux, s'ouvre une longue période d'instabilité. Il est très difficile en effet de négocier avec un chef d'entreprise lorsque celui-ci a passé des accords avec ses salariés à un moment où l'horizon est plus nuageux, plus inquiétant. Au lendemain de la première guerre du Golfe, il a fallu six ans aux compagnies aériennes pour retrouver un environnement stabilisé. Pensez-vous réellement que les salariés pourront attendre tout ce temps sans connaître exactement le sort qui leur sera réservé ?
    Le précédent gouvernement avait ouvert le capital d'Air France. Vous avez évoqué ce point, monsieur le ministre. Mais, à l'époque, cela faisait partie d'une stratégie pour l'Etat, pour l'entreprise et pour les usagers.
    Avec le projet de loi que vous nous soumettez, je ne vois pas où est le gagnant : ce n'est ni l'entreprise, compte tenu de l'argent qu'elle pourra relever en bourse, ni les usagers...
    M. Charles de Courson, rapporteur. Ce ne sont pas des usagers, ce sont des clients !
    M. Claude Bartolone. ... et encore moins les salariés d'Air France. C'est la raison pour laquelle nous nous opposons à ce projet. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. le président. La parole est à M. Jacques Le Guen.
    M. Jacques Le Guen. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi qui nous est soumis s'inscrit dans un contexte très particulier : au ralentissement économique mondial de début 2001 se sont ajoutées les conséquences des attentats du 11 septembre 2001, qui ont plongé le secteur du transport aérien dans la plus importante crise de son histoire.
    Si cette crise s'est caractérisée par la faillite de très nombreuses compagnies aériennes outre Altantique, en Europe aussi les attentats de septembre ont eu des conséquences considérables : un millier de licenciements chez la compagnie scandinave SAS, 2 500 chez Alitalia et 7 000 chez British Airways : la compagnie Swissair a été liquidée, entraînant dans sa chute la belge Sabena.
    En France, ce mouvement avait jusqu'ici, semble-t-il, échappé à nos compatriotes qui commençaient à profiter de la concurrence féroce à laquelle se livraient les compagnies aériennes, notamment depuis l'arrivée sur notre territoire de compagnies à bas prix. Et pourtant, cette crise du secteur aérien est apparue comme une dure évidence il y a quelques semaines avec le dépôt de bilan d'Air Lib et la suppression de nombreux emplois.
    Dans ce contexte déprécié ; la société Air France a bien résisté. Elle enregistre les meilleurs résultats d'Europe, voire du monde. Air France a du reste été un des principaux bénéficiaires de la reprise du trafic aérien.
    Si la compagnie se trouve aujourd'hui dans cette situation favorable, c'est parce que, en moins de dix ans, elle a montré sa capacité d'adaptation. Le groupe ai ainsi procédé ces dernières années à 19 000 embauches en CDI, modernisé sa flotte et su faire face aux conséquences des attentats du 11 septembre 200.
    La privatisation peut aujourd'hui être envisagée pour deux raisons principales. La première, c'est que l'Etat a investi 20 milliards de francs, soit un peu plus de 3 milliards d'euros en 1994 pour recapitaliser la société. Il y a dix ans, la compagnie était au bord du gouffre ; elle a pu être sauvée grâce à la recapitalisation de l'Etat et, il faut le souligner, à l'action de M. Christian Blanc qui l'a remise à flot.
    Deuxièmement, la privatisation d'Air France a été rendue possible par la loi du 19 juillet 1993, qui d'ailleurs n'a jamais été remise en cause par le précédent gouvernement, bien au contraire : c'est M. Gayssot, ministre communiste, qui a décidé l'ouverture du capital de l'entreprise à hauteur de 44 %
    M. Jean-Claude Lefort. Et fixé celle de l'Etat à 54 % !
    M. Jacques Le Guen. Et l'a transformée en société cotée en bourse.
    Le texte qui nous est soumis aujourd'hui permet, comme l'ont très précisément exposé les rapporteurs, M. de Courson et M. Jean-Pierre Gorge, l'ouverture du capital d'Air France en toute sécurité, en respectant à la fois la spécifité historique de l'entreprise et les droits des salariés. Les mesures qu'il propose permettront, le moment venu, de mener sa privatisation à bien.
    Ces dispositions sont non seulement indispensables, mais également raisonnables. Indispensables parce que, face à l'évolution rapide du transport aérien, la question n'est pas de relancer le débat sur les privatisations ou les nationalisations. Il est temps au contraire d'aller plus loin et de faire en sorte qu'Air France puisse bénéficier des financements adéquats pour assurer son développement.
    L'espace aérien communautaire est devenu profondément concurrentiel. Air France, qui n'est plus en situation de monopole, doit faire face à cette situation de concurrence sur le marché européen.
    De nombreux experts s'accordent sur le fait que la phase d'adaptation du secteur du transport aérien n'est toujours pas achevée. Celui-ci est appelé à évoluer encore au cours des prochaines années. Voilà seulement quelques jours, la compagnie Ryanair a annoncé le plan détaillé d'une vaste restructuration du réseau général de la compagnie Buzz en France et en Europe. La restructuration touche aussi les low cost.
    Nous devons donner à Air France les moyens d'avoir accès à de nouvelles ressources sur les marchés financiers pour accompagner son développement et poursuivre la modernisation de sa flotte. Il est clair que l'Etat devra diminuer rapidement sa participation au capital afin de la faire passer sous la barre des 50 %, car il faut donner aux investisseurs le pouvoir d'orienter réellement le devenir de la compagnie et de prendre les décisions stratégiques qui s'imposent.
    Certes, le statut d'Air France a été modifié par la loi du 4 janvier 2001 qui a allégé les modalités d'exercice de la tutelle de l'Etat en contrepartie d'un renforcement du rôle du conseil d'administration, dont la composition a été adaptée pour prendre en compte l'ouverture du capital réalisée en 1999. Mais il faut aujourd'hui aller plus loin.
    Air France ne pourra se maintenir à niveau et assurer son développement qu'en consolidant son réseau d'alliances. Le groupe Sky Team, qui regroupe Air France, Delta, Aeromexico, Korean Air, CSA et Alitalia, est en train de s'imposer comme une des alliances les plus puissantes. Or un tel réseau ne peut raisonnablement se maintenir que pour autant que des échanges de capital deviennent possibles, ce que ne permet pas pour l'instant le statut public d'Air France.
    Il est clair que le maintien de la majorité du capital d'Air France dans le secteur public risquerait de pénaliser la compagnie. Or les enjeux sont considérables, non seulement pour la compagnie elle-même mais surtout pour l'emploi. Particulièrement attaché aux questions d'aménagement du territoire, je suis convaincu qu'Air France sera la plus à même de continuer de garantir une couverture homogène de l'ensemble du territoire si nous lui donnons les moyens d'agir.
    Indispensables, les mesures qui figurent dans ce projet de loi sont également raisonnables. Ainsi que vous l'avez rappelé, monsieur le ministre, il ne s'agit pas d'abandonner au marché la totalité du capital détenu par l'Etat, mais seulement une partie. L'Etat, qui possède actuellement 54,4 % du capital de l'entreprise, réduira sa participation pour n'en détenir plus que 20 % à l'issue de l'opération. Il est certain que le contexte boursier, marqué par les nombreuses incertitudes macroéconomiques, nous impose d'opérer ce transfert avec prudence. Vous avez raison, monsieur le ministre, de vouloir procéder par étapes afin de laisser à l'entreprise le temps de s'adapter à son nouveau statut et d'observer les évolutions du marché.
    Mais il est aussi indispensable, après l'annonce du dépôt de bilan d'Air Lib, de rassurer les salariés d'Air France sur le changement de statut dont ils vont faire l'objet au cours des prochaines années. Je constate avec satisfaction que votre projet de loi se traduira également par une démocratisation de l'accès au capital de l'entreprise, désormais ouvert à l'ensemble du personnel, soit aujourd'hui 70 000 salariés.
    Votre projet est encore raisonnable en ce qu'il a aussi pour objet de maintenir la caractère national ou communautaire des entreprises de transport aérien par le mécanisme de la cession forcée d'actions. Cette procédure obligera les étrangers à revendre leurs actions si par accident ils se retrouvent à entrer en nombre dans le capital de la société. Le dispositif législatif qui nous est proposé apparaît à cet égard parfaitement dissuasif.
    En conclusion, mes chers collègues, le projet de loi qui nous est soumis nous paraît équilibré et de nature à assurer dans de bonnes conditions la mise en route du processus de privatisation. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Blazy.
    M. Jean-Pierre Blazy. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi relatif aux entreprises de transport aérien, et notamment à la société Air France, examiné aujourd'hui par notre assemblée, est signicatif de la politique libérale débridée du gouvernement Raffarin.
    La privatisation d'Air France n'est pas une nécessité et encore moins une urgence. Aujourd'hui, la situation financière de la compagnie est assainie, et celle-ci a renoué avec les bénéfices.
    Air France se porte bien, et son statut d'entreprise publique n'a nui ni à son développement ni à son rayonnement.
    Air France est une entreprise rentable, à telle enseigne qu'elle a réalisé en 2002 le seul résultat bénéficiaire en Europe et le troisième mondial dans le difficile contexte du ralentissement économique et de l'après - 11 septembre 2001. Elle conforte sa position sur les cinq continents, notamment en Europe où elle gagne des parts de marché.
    Dès lors, le projet de privatisation que vous nous présentez aujourd'hui, monsieur le ministre, est une marque du dogmatisme idéologique du Gouvernement. Sans doute considère-t-il Air France comme l'entreprise publique la plus facile à privatiser.
    Il lui faudra pourtant attendre, à moins qu'il n'entende brader l'entreprise, car le cours de l'action, cotée à moins de 8 euros, ne plaide même pas en faveur de son projet. Nous ne connaissons pour l'instant ni le calendrier ni les modalités de l'opération de privatisation, mais vous avez tout à l'heure, monsieur le ministre, parlé de la fin 2003. Chacun aura compris que le Gouvernement veut attendre des jours meilleurs - mais ceux-ci ne semblent pas se profiler à l'horizon.
    De surcroît, ce projet de loi ouvre la voie aux multiples privatisations annoncées dans nos entreprises et services publics, à commencer par celle qui guette Aéroports de Paris, malgré les démentis du ministre de l'économie et des finances. J'aimerais bien, monsieur le ministre, que vous vous exprimiez sur cette question.
    L'histoire récente d'Air France est pourtant celle d'une réussite. En l'espace d'une décennie, la compagnie a su tout à la fois surmonter une grave crise, se restructurer, maintenir sa flotte, résister à la chute du trafic consécutive aux attentats du 11 septembre 2001 et initier un réseau d'alliances aujourd'hui formalisé par SkyTeam.
    Dans ces conditions, comment pourrions-nous vous suivre, monsieur le ministre ? Que serait devenue Air France en 1993, alors que l'entreprise connaissait de graves difficultés, si son actionnaire n'avait pas été l'Etat ? Quel investisseur aurait mobilisé plus de 3 milliards d'euros pour la redresser ? Et je ne parle pas des risques d'externalisation du fret, de la maintenance ou de la baisse du niveau de sécurité que redoutent, à juste titre, les syndicats, et que la seule recherche du profit est tout à fait susceptible de produire demain.
    En 1999, Jean-Claude Gayssot, alors ministre de l'équipement et des transports, avait décidé d'ouvrir le capital d'Air France en ramenant la part de l'Etat à 54,5 %.
    M. Jean-Claude Lefort. voilà !
    M. Jean-Pierre Blazy. Cette ouverture du capital mériterait certes évaluation. Mais la privatisation que vous proposez fait fi de l'intérêt stratégique d'Air France, pourtant invoqué par le Premier ministre dans sa déclaration de politique générale pour justifier le maintien de l'Etat dans le secteur concurrentiel.
    Deux arguments sont aujourd'hui avancés pour privatiser Air France : d'une part, le besoin d'accélérer la modernisation de sa flotte, d'autre part, celui de consolider ses alliances et de nouer des partenariats. Or ni l'un ni l'autre ne nous paraît tenir. La flotte d'Air France, en effet, est jeune et donc très bien portante, et renouvelée régulièrement : ses avions ont 8,3 ans de moyenne d'âge contre plus de dix ans en moyenne mondiale. Par ailleurs, chacun le sait, ce qui fait surtout la force d'Air France, c'est qu'elle valorise et utilise plutôt bien ses atouts principaux que sont SkyTeam et le hub de Roissy.
    A ce propos, il est essentiel pour Air France d'avoir une vision claire des perspectives de développement de la plate-forme de Roissy dans le cadre d'une politique du développement durable du transport aérien. Il est autrement plus déterminant pour la pérennité de l'entreprise de répondre à la question de la réalisation du troisième aéroport dans le grand bassin parisien, car on ne pourra plus développer le hub de Charles-de-Gaulle au-delà du niveau du trafic aujourd'hui atteint, en raison de la situation de saturation environnementale qui prévaut en Ile-de-France. Aussi ai-je du mal, monsieur Chartier, à comprendre votre déclaration de tout à l'heure, qui me semble procéder d'une profonde méconnaissance des problèmes du bruit au voisinage des aéroports. Vous êtes du reste bien seul à défendre cette position dans le département du Val-d'Oise.
    M. Jérôme Chartier. C'est tout le contraire !
    M. Jean-Pierre Blazy. Je suis, pour ma part, favorable à la réduction du bruit à la source. Il faut poursuivre les efforts dans ce sens, mais nous avons déjà, me semble-t-il, atteint certaines limites et nous verrons, avec l'arrivée des très gros porteurs, qu'il existe une autre source de bruit, le bruit aérodynamique. Cela ne manquera pas, vous le savez, de poser problème autour des aéroports situés dans des secteurs très urbanisés. J'appelle d'ores et déjà votre attention sur ce point, monsieur le ministre.
    La question du troisième aéroport est essentielle pour l'avenir d'Air France.
    Votre projet de loi prévoit de conforter la place des salariés dans le capital social d'Air France. Leur grève d'ajourd'hui n'est, dit-on, pas très suivie. Reste que 14 000 pétitions nous sont parvenues en même temps, qui témoignent de leur crainte de perdre leur statut d'ici à deux ans. Les salariés ne semblent guère désireux de souscrire une nouvelle offre dans le cadre d'un échange « salaire contre actions ». Ils demandent, en tout état de cause, que le capital soit composé de pôles stables, ce que le texte qui nous est présenté ne garantit absolument pas.
    Il est également tout à fait naturel que les salariés s'inquiètent du changement de statut dont ils vont faire l'objet au cours des prochaines années. Nous ne pouvons que partager leurs interrogations. Le délai d'une durée maximale de deux ans pour conduire les négociations collectives menant à une convention destinée à remplacer le statut réglementaire sera-t-il suffisant ? L'accès des salariés au capital de la compagnie est-il suffisamment large ? Sera-t-il assorti de conditions suffisamment préférentielles ?
    Se pose également, et je veux une fois de plus l'évoquer, la question non encore réglée à ce jour des anciens salariés d'UTA - sujet dont M. Blanc a eu évidemment à connaître mais qu'il n'a pas résolu en son temps, pas plus que son prédécesseur, qui en est d'ailleurs le responsable, ni son successeur. Si donc la majorité décidait malgré tout la privatisation, il serait équitable de résoudre ce problème : c'est l'objet d'un amendement que présentera le groupe socialiste. L'indemnisation des anciens salariés d'UTA pourrait prendre la forme d'une attribution d'actions. Cette solution aurait l'avantage de mettre un terme à un conflit qui perdure depuis des années, et de surcroît le double mérite d'être tout à la fois supportable pour les finances de la compagnie et d'éviter la réouverture de ce dossier rappelant certains épisodes ténébreux de la fusion UTA-Air France.
    Se pose également, et c'est l'un des points les plus importants, la question de l'emploi. Au moment où les plans sociaux se multiplient en France, où le secteur aérien français et international traverse une crise qui a mis en grande difficulté de nombreuses compagnies aériennes, vouloir privatiser, c'est aller contre l'emploi.
    Aux Etats-Unis comme en Europe, les compagnies privées ont réduit de manière drastique leurs effectifs depuis la fin de l'année 2001. Jusqu'à présent, Air France a mieux résisté aux conséquences du ralentissement du trafic aérien. On voit donc bien la différence entre une gestion purement privée et une gestion publique où la visée à long terme prime sur les circonstances conjoncturelles, où l'intérêt général du secteur comme celui des salariés sont pris en compte !
    Ce n'est pas d'un bradage dont nous avons besoin, monsieur le ministre, ...
    Un député du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Un bradage ?
    M. Jean-Pierre Blazy. ... mais d'un véritable pôle public du transport aérien, ouvert bien évidemment à la concurrence, contribuant, en complémentarité avec les autres modes de transport, ...
    M. Jean-Pierre Gorges, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire. Un pôle public, cela n'existe pas ! Il faut être raisonnable, monsieur Blazy !
    M. Jean-Pierre Blazy. ... à l'aménagement de notre territoire dans une perspective de développement durable.
    Outre le fait que vous abandonnez le principe même de la péréquation tarifaire, condition sine qua non d'un développement équilibré de notre territoire qui ne saurait se limiter à l'exploitation des seules lignes rentables, vous n'intégrez pas la nécessaire complémentarité des modes de transport et des infrastructures dans un souci d'économie d'énergie, de réduction des durées des trajets pour les usagers et de réduction de la pollution. C'est bel et bien notre secteur public que vous sacrifiez aujourd'hui avec un tel projet de loi !
    Le dispositif financier que vous prévoyez, pas plus que les mesures conservatoires destinées à préserver la nationalité du capital, ne donne à l'Etat aucun levier décisif pour préserver nos intérêts stratégiques dans ce secteur et garantir le maintien des missions de service public dans le transport aérien. C'est donc bien une dérégulation totale du secteur qui se profile à l'horizon et ce n'est pas acceptable.
    La preuve est fait, monsieur le ministre, que la détention majoritairement publique du capital n'est pas un handicap pour Air France. Les stratégies d'alliances démontrent que le transport aérien se structure non sur des échanges capitalistiques, mais bien sur des partenariats commerciaux. Dans la mesure où les enjeux des alliances se situent sur un terrain non pas financier mais strictement commercial, le statut d'Air France ne peut donc être évoqué comme un frein au développement de nouveaux partenariats.
    Derrière ces arguments, on peut dès lors discerner les vraies motivations du Gouvernement : des motivations non seulement idéologiques, mais également budgétaires. Le Gouvernement doit, en effet, impérativement trouver de nouvelles mannes budgétaires, afin de donner suite aux promesses électorales de baisse des impôts pour les plus riches sans encourir de blâme européen quant au déficit budgétaire.
    Mme Geneviève Perrin-Gaillard. Bravo !
    M. Jean-Pierre Blazy. Après le sacrifice d'Air Lib, deuxième compagnie nationale, au profit des compagnies low cost étrangères dont vous assurez avant tout la promotion, en particulier Easy Jet, vous nous proposez maintenant la privatisation d'Air France. Dans la période incertaine dans laquelle nous sommes, cela constitue un risque majeur pour l'avenir du transport aérien français. Nous ne pouvons que nous y opposer fermement. (Applaudissement sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à M. Jean Proriol.
    M. Jean Proriol. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi qui nous réunit aujourd'hui, bien que centré sur le groupe Air France, a la particularité de s'inscrire dans une continuité. Il fait suite à une ouverture déjà effective du capital d'Air France depuis 1999 mais avec une dimension prospective et bien plus large puisqu'il offre des moyens juridiques devenus indispensables pour pérenniser l'exploitation et les droits de trafic des compagnies françaises. Ce n'est donc pas à proprement parler un texte de transfert de la propriété d'Air France.
    M. François Asensi. C'est faux !
    M. Jean Proriol. Ce n'est pas non plus une nouvelle privatisation !
    M. Jean-Claude Lefort. Si !
    M. Jean Proriol. Celle-ci a déjà été votée dans la loi n° 93-923 du 19 juillet 1993...
    M. Jean-Claude Lefort. Qu'est-ce qu'on fait là alors ?
    M. Jean Proriol... appelée justement loi de privatisation d'Air France.
    Sur ce volet, je relèverai simplement quelques discours dogmatiques ou idéologiques...
    M. Jean-Louis Idiart. Ne critiquez pas votre ministre !
    M. Jean Proriol. ... dans l'exception d'irrecevabilité, la question préalable et même dans quelques interventions ce soir.
    L'argumentation selon laquelle la réduction déjà opérée de la participation de l'Etat serait une situation immuable et viable pour la compagnie, s'appuyant sur des accords déjà passés, évacue d'un revers de main les blocages et l'échec dans les discussions avec KLM, Alitalia ou encore Iberia.
    Comment des compagnies étrangères accepteraient-elles des prises de participation dans une compagnie majoritairement détenue et donc un peu sous la tutelle d'un Etat étranger ?
    La volonté de s'en tenir au modèle des entreprises publiques dans un marché concurrentiel va à l'encontre des réalités de la mondialisation des échanges. Elle se cramponne aux modèles du siècle passé et se refuse à repenser l'action de l'Etat pour une nouvelle défense des services publics. La théorie juridique du service public, ou de la mission de service public dont a parlé tout à l'heure Christian Blanc, a plus d'un siècle. A nous de l'enrichir, à nous de sauvegarder, comme ici, les droits des salariés.
    Il ne faut pas feindre de croire que les monopoles nationaux du transport aérien ont dynamisé le trafic et permis un accroissement de l'offre des lignes desservies, tandis que la libéralisation aurait conduit à un appauvrissement des dessertes. C'est la libéralisation du ciel européen en 1993 qui a permis l'émergence des plates-formes de correspondance. Aujourd'hui, les hub parisiens ou provinciaux assurent en effet une grande partie de la croissance du trafic national.
    Certes, le projet ne touche aujourd'hui que la compagnie Air France. Il porte sur la mise en place d'un système de garantie de la nationalité de l'entreprise cotée sur un marché réglementé. Il prépare donc aussi l'avenir en conciliant le droit international, issu de la Convention de Chicago qui fonde le droit de trafic sur la nationalité des compagnies dans le cadre d'accords de réciprocité bilatéraux entre Etats, et le droit communautaire, qui interdit la discrimination entre ressortissants d'Etats membres. Comment empêcher le changement de nationalité de la compagnie tout en préservant le principe de non-discrimination envers nos partenaires européens ? Le projet gouvernemental a le grand mérite d'y parvenir.
    Ce projet de loi se définit donc comme la traduction du respect de nos engagements de 1993 vis-à-vis de l'Union européenne, mais aussi comme une nécessité commerciale, notre collègue Christian Blanc, ancien président d'Air France, l'a bien rappelé tout à l'heure.
    L'enjeu de la desserte régionale pose, en effet, en filigrane la question non pas d'un schéma simplificateur et dépassé de l'Etat entrepreneur actionnaire majoritaire mais bien d'une ré-invention des modes juridiques de régulation économique de l'Etat.
    La libéralisation du secteur aérien et l'ouverture des marchés nationaux à la concurrence intracommunautaire ont abouti à un double effet yoyo : l'ouverture à la concurrence s'est rapidement traduite par un phénomène de concentration par rachats successifs qui confine à une monopolisation de fait qui n'est d'ailleurs pas sans rappeler, quant aux résultats tout du moins, la situation que connaissent les marchés énergétiques nationaux ; la libéralisation a permis le développement d'un important maillage aérien alors inexistant grâce notamment à des liaisons provinciales.
    La déréglementation, comme le notent les autorités de l'aéroport de Clermont-Ferrand-Auvergne, dont a parlé avant moi Mme Odile Saugues, a permis l'ouverture de lignes directes et la création de hubs ou plates-formes de correspondances offrant de nombreuses possibilités de connexions entre des villes moyennes ou petites, ...
    M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan. C'est vrai !
    M. Jean Proriol... mais cette réalité a eu aussi pour corollaire une hiérarchisation dans la gestion des dessertes. Les liens entre les agglomérations les plus rentables ont rapidement pris le dessus sur les petites et moyennes villes, quand ce n'est pas une politique de rachat en forme de rabattage, orientée uniquement vers une meilleure alimentation du premier hub de France, je veux parler de Roissy.
    M. Pierre Méhaignerie, président de la commission. Très juste !
    M. Jean Proriol. Et on assiste malheureusement, depuis deux ou trois ans, à la suppression de quelques lignes transversales.
    Mme Odile Saugues. Et ce n'est pas fini, mon cher collègue !
    M. Jean Proriol. Cela se passait déjà, madame Saugues, dans les cinq années qui ont précédé 2002 !
    Ce double phénomène pose clairement le problème de la transformation du rôle de l'Etat. Aux acteurs économiques la gestion des intérêts de l'entreprise, à l'Etat la garantie de l'intérêt public et la définition des logiques prioritaires. Dès lors qu'est levée l'hypothèque d'un Etat qui pèse effectivement sur les décisions, via sa mainmise d'actionnaire, se pose alors la question des nouveaux types de régulation possibles. S'agissant des plates-formes de correspondances, les risques de voir les utilisateurs remettre en cause leur desserte et se désengager sont réels. Or, comme le notait récemment dans ces travées notre collègue Louis Giscard d'Estaing, pour l'aéroport de Clermont-Ferrand-Auvergne, l'Europe via le FEDER, l'Etat par le FNADT, les collectivités locales régionales, départementales et communales ont largement contribué au financement d'importants travaux d'infrastructure. Leur finalité serait remise en cause par des décisions unilatérales de la compagnie régionale CAE, ex-Régional Airlines, de fermer des lignes, sans qu'il soit possible de peser sur ces décisions.
    Face à ces logiques contradictoires, c'est donc au politique de trancher résolument en faveur d'une politique d'aménagement et de développement de l'économie du territoire. Dès lors, plusieurs pistes méritent d'être suivies. Le mode de subvention et de péréquation, via le FIATA devra sans doute être remis à plat. La redéfinition d'un partenariat autorités publiques - transporteurs - usagers se révèle inéluctable. La signature de conventions pluripartites associant Etat / collectivités territoriales / chambres de commerce / et transporteurs qui imposeraient à ces derniers un cahier des charges spécifique pour chacune des liaisons concernées pour contrepartie de l'aide publique nationale et locale, tel que le préconise le rapport d'information sénatorial de Jean-François Le Grand de mai 2002, m'apparaît comme une bonne solution.
    On ne peut donc que louer votre initiative, monsieur le ministre, de lancer une réflexion sur l'exercice des missions d'intérêt général spécifiques au transport aérien. Je souhaite que l'examen de ce texte soit ainsi l'occasion de débattre de ces enjeux cruciaux, autant pour le transport international que pour la desserte et donc l'avenir de nos territoires. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. Michel Pajon.
    M. Michel Pajon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi est autant inopportun qu'approximatif.
    Il est en effet inopportun parce que vous avez choisi de le présenter au Parlement dans une conjoncture particulière inadaptée pour débattre sereinement des questions relatives au transport aérien et pour envisager une cession de capital dans ce secteur.
    Vous avez pris la responsabilité de faire voter ce texte précipitamment, alors que l'attention de l'opinion publique est captée par la question irakienne, alors que le transport aérien français est lourdement touché par le dépôt de bilan d'Air Lib, alors que les marchés financiers sont au plus bas et que les tensions internationales hypothèquent encore un peu plus l'avenir du secteur aérien.
    A l'annonce des dernières estimations d'un déficit public à 3,4 % du PIB, on comprend que vous ayez d'ardentes motivations pour brader à la hâte nos entreprises publiques...
    M. Jean-Claude Lefort. Tout a fait !
    M. Michel Pajon. ... mais il faut tout de même beaucoup de légèreté et bien peu de réalisme pour envisager de vendre d'ici à deux ans l'action Air France, qui est, depuis six mois à ses niveaux les plus bas des cinq dernières années !
    En dépit d'indicateurs économiques très favorables pour cette entreprise publique qui n'a enregistré aucune perte après les attentats du 11 septembre 2001 et qui a maîtrisé son endettement, l'action Air France a perdu au cours des douze derniers mois 60 % de sa valeur.
    Il faut en tirer une conclusion évidente : l'entreprise Air France n'est pas cotée à sa valeur réelle, et il est plus que téméraire d'envisager sa vente dans des conditions satisfaisantes dans le délai de deux ans que vous prévoyez.
    Du reste, les objectifs de valorisation que vous vous êtes fixés, monsieur le ministre, ne sont guère rassurants : 1 milliard d'euros pour plus de 30 % du capital d'Air France, que vous voulez céder, cela semble très en dessous de la valeur historique de cette compagnie performante.
    Il est vrai que cet objectif n'est même pas inscrit dans le projet de loi et fait partie des nombreux non-dits de ce texte. Cette rédaction lacunaire affecte en effet la totalité de votre texte qui se garde bien de faire encadrer ou garantir par la puissance publique les dispositifs envisagés. Ainsi, sur la nationalité de l'entreprise, l'Etat ne disposera plus que d'une procédure de dernier ressort, pour intervenir en urgence, en cas de prise de contrôle par des intérêts étrangers.
    M. Victorin Lurel. C'est vrai !
    M. Michel Pajon. C'en est donc terminé de la « golden share » qui permettait un contrôle souple et régulier du capital de l'entreprise.
    Concernant le passage des salariés au régime de droit commun, le Gouvernement abandonne à la seule négociation collective la responsabilité de redéfinir les conditions de travail du personnel d'Air France. Une fois de plus, la loi s'abstient de mettre des garde-fous et de garantir certains acquis sociaux qui sont aussi des gages de la qualité du service d'Air France.
    M. Victorin Lurel. Très juste !
    M. Michel Pajon. Quant à l'obligation faite à la compagnie en matière d'aménagement du territoire, le projet de loi supprime purement et simplement cette disposition. De nouveau, le texte ne détermine pas les conditions dans lesquelles, sur des liaisons non rentables, le service pourra continuer à être assuré.
    En réalité, la doctrine qui sous-tend ce projet de loi reste arc-boutée sur une croyance idéologique libérale qui n'est pas à une approximation près.
    M. Victorin Lurel. C'est du dogmatisme !
    M. Michel Pajon. Vous laissez entendre qu'une gestion privée serait plus performante qu'une gestion publique, mais vous n'expliquez pas ce qui fait aujourd'hui la force d'Air France, deuxième compagnie européenne et troisième compagnie mondiale pour le transport aérien de personnes.
    Vous prétendez aussi que la transformation d'Air France en société privée cotée en bourse facilitera les alliances nécessaires dans un contexte économique mondialisé, mais vous omettez de relever que ces alliances étaient déjà envisageables, et même déjà pratiquées, comme l'illustre d'ailleurs la constitution réussie du réseau Sky Team.
    Vous évoquez enfin la possibilité ouverte par la privatisation de laisser réaliser des opérations de recapitalisation par les marchés financiers mais vous feignez d'oublier que la recapitalisation par l'Etat d'une entreprise publique est tout aussi compatible avec les règles de concurrence européenne, pourvu que l'Etat se comporte en actionnaire de droit commun, comme il l'a fait en 1994.
    Il n'est pas jusqu'à la question du remplacement d'une partie des rémunérations salariales par une cession d'actions qui ne soit très politiquement marquée. En substituant partiellement à la progressivité de l'impôt sur le revenu, l'imposition proportionnelle sur les plus-values de cession de valeurs mobilières, cette disposition profitera en effet en priorité, une fois de plus, aux plus hauts revenus.
    Monsieur le ministre, de toute évidence, votre texte n'est pas opportun. Il offre peu de garanties, il repose sur des préjugés idéologiques. Nous y sommes donc défavorables. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. Jean-Louis Idiart. Quel talent !
    M. le président. La discussion générale est close.
    La parole est à M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer.
    M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer. Monsieur le président, messieurs les rapporteurs, mesdames et messieurs les députés, je vais essayer de répondre à chacun d'entre vous sur au moins un ou deux points, brièvement car nous aurons l'occasion d'y revenir lors de l'examen des articles et des amendements.
    M. Goulard a affirmé, avec raison, qu'il y avait des inconvénients à laisser Air France dans le secteur public. Air France, je le rappelle, a coûté beaucoup d'argent au contribuable. Garder cette compagnie dans le secteur public, c'est prendre le risque qu'elle lui coûte à nouveau beaucoup d'argent. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains).
    M. Jean-Pierre Blazy. C'est incroyable !
    M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer. On est aujourd'hui dans le domaine concurrentiel. Rappelez-vous l'expérience de France Télécom ! On est dans une économie de marché. Certain ici ne l'ont pas encore perçu. Qu'ils se réveillent ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains), quelle que soit l'heure ! Vous pouvez ricaner mais c'est ainsi, et il faut faire avec. C'est parce que vous n'avez pas compris que les Français vous ont sanctionnés ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire - Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

    Mme Odile Saugues. Dites que vous avez raison parce que vous êtes les plus nombreux !
    M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer. M. Goulard a ensuite expliqué que le contrôle du capital par l'Etat handicapait Air France pour ses alliances. J'ai essayé de le dire. Quant on est dans l'opposition, on écoute le Gouvernement d'une oreille distraite.
    Mme Geneviève Perrin-Gaillard. Quelle morgue !
    M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer. Mais quand c'est un ancien président d'Air France qui raconte sa propre expérience, qui nous explique que, pour ses alliances, pour ses augmentations de capital à venir, il est important qu'Air France soit privatisée, je pense que l'on pourrait l'écouter davantage.
    Je remercie M. Goulard d'avoir mis en exergue ces deux éléments de fond qui sont la clef permettant de comprendre pourquoi il faut poursuivre le processus de privatisation d'Air France engagé en 1993. C'est la loi de 1993 qui nous permet de le faire. Elle n'a pas été abrogée, quels que soient les gouvernements...
    M. Jean-Pierre Blazy. On n'a pas privatisé !
    M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer. ... et en 1998-1999, elle a été mise à contribution puisqu'un autre gouvernement a su ouvrir largement le capital.
    Monsieur Lurel, vous avez parlé de façon un peu scandaleuse...
    M. Victorin Lurel. Oh !
    M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer. ... de la façon dont le Gouvernement aurait agi pour liquider Air Lib. Vous avez parlé d'indécence.
    M. Victorin Lurel. C'est indécent !
    M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer. Sachez être modéré dans vos propos, et sachez écouter aussi. S'il y a eu quelque chose d'indécent, c'est d'avoir fait croire trop longtemps à 2 700 personnes que cette compagnie était viable. C'était indécent de laisser ce dossier en l'état en quittant le pouvoir en mai 2002. C'était en tout cas un drôle de cadeau et un drôle d'héritage que nous avons reçu de la majorité et du gouvernement que vous souteniez !
    M. Victorin Lurel. C'est facile !
    Plusieurs députés du groupe socialiste. Et Seillière ?
    M. Augustin Bonrepaux. Seillière a une responsabilité totale !
    M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer. En janvier 2002, mon prédécesseur a accordé à Air lib un prêt de six mois, de 30,5 millions d'euros, pour laisser passer les élections. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Ça, c'était un assassinat programmé. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Protestation sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Il y a là tout de même un concours de circonstances, vous l'avouerez ! Et vous pouvez remuer, faire des gestes, c'est pourtant vrai !
    M. Dominique Tian. Il faut dire la vérité !
    M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer Nous, nous avons donné toutes ses chances à Air Lib. Nous avons donné toutes ses chances aux seul repreneur intéressé, un seul, hélas ! Cette reprise a échoué.
    Le tribunal a prononcé la liquidation d'Air Lib. Aujourd'hui, notre seul souci, c'est le sort des salariés : nous faisons tout pour faciliter leur embauche.
    M. Jean-Pierre Blazy. La compassion, toujours la compassion !
    M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer. A ce propos, et contrairement à ce que vous avez dit - encore une contrevérité - , je n'ai rien imposé à Air France. Vous ne craignez pas de vous contredire, puisque vous expliquez à la fois qu'il ne faut pas privatiser Air France pour ne pas perdre de pouvoir, et que j'ai imposé un plan d'embauche à Air France, ce qui est faux. J'ai simplement invité les responsables de la compagnie au ministère, et, quelques jours plus tard, ils m'ont dit que, conformément à leur plan de charge, ils comptaient embaucher quelque 3 000 personnes dans les dix-huit mois à deux ans, et que mille postes seraient réservés à Air Lib. C'est ça, la solidarité.
    M. Louis-Joseph Manscour. On verra, on verra.
    M. Jean-Pierre Gorges, rapporteur pour avis. Ecoutez M. le ministre !
    M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer. Reconnaissez au moins au président d'Air France le mérite d'avoir tendu la main aux salariés d'Air Lib. Ne pas le faire serait indécent. Car vous n'allez tout de même pas lui reprocher d'avoir accepté de proposer mille emplois.
    M. François Asensi. Il « a accepté de proposer » ? Elle est bien bonne, celle-là !
    M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer. Contrairement à ce que vous affirmez, monsieur, l'article 6 ne supprime en rien les dispositions communautaires sur les liaisons de service public avec l'outre-mer. Elles s'appliquent, et continueront de s'appliquer, à toute compagnie, privée ou publique, qui veut être présente sur ces lignes. Et le statut d'Air France n'a rien à voir avec ce sujet. Il est d'ailleurs un peu curieux que vous condamniez, en même temps, le duopole Air Fance...
    M. Victorin Lurel. J'essaie d'entendre cela !
    M. Jean-Louis Idiart. Le rapport est sorti ce matin !
    M. Charles de Courson, rapporteur. C'est dans le rapport !
    M. Gilbert Meyer. Est-ce-que vous pouvez écouter ?
    M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer. Vous avez entendu la dernière phrase, monsieur Lurel ? C'est une contrevérité de plus que je démolis. Vous condamnez donc en même temps le duopole Air France - Corsair, sur les DOM-TOM.
    M. Victorin Lurel. On verra l'augmentation des tarifs !
    M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer. Madame Saugues, vous avez parlé des mouvements sociaux chez les personnels au sol. Permettez-moi de vous citer un chiffre : on a compté 5,8 % de grévistes parmi les personnels au sol lors de la dernière grève de février. Il semble que ce soit encore plus faible aujourd'hui, mais nous aurons les chiffres exacts dans les jours qui viennent.
    Mme Odile Saugues. Quand on perd son emploi - mais vous ne savez peut-être pas ce que c'est, monsieur le ministre -, on hésite à faire grève !
    M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer. Monsieur Christian Blanc, vous avez rappelé, à juste titre, qu'une entreprise privée peut se voir confier des missions de service public. La confusion règne en effet sur certains bancs, s'agissant de la forme de l'entreprise qui peut rendre un service public. Fonctionnaires ou agent privés, il y a mille et une façons de rendres un service public. Vous avez eu raison de le souligner, et je le répète : le texte de loi dont nous débattons n'a pas d'impact sur l'accomplissement des missions de service public.
    Par ailleurs, Air france pourra jouer à armes égales dans un champ concurrentiel. C'est votre expresssion, monsieur Blanc, et j'y souscris totalement. De fait, c'est le but que nous poursuivons : donner toutes ses chances à Air France. Le projet de loi propose en particulier de conserver la structure actuelle du conseil d'administration. Je tiens à préciser que c'est une possibilité, pas une obligation. Cette disposition a simplement pour but de ne pas compliquer les discussions sociales à venir, en laissant aux négociateurs toute la souplesse possible.
    M. Chartier a insisté sur les besoins financiers du FIATA. Je partage son point de vue, les besoins de subventions pour les lignes d'aménagement du territoire se font de plus en plus pressants. Je rappelle que le FIATA est alimenté par la taxe de l'aviation civile qui pèse sur le prix des billets d'avion. Je vais demander à mes services une étude d'ensemble pour examiner comment nous pourrions améliorer le système actuel et, peut-être, revoir certaines règles et certains équilibres.
    Monsieur Dutoit, vous dites qu'Air France joue un rôle capital pour le lancement d'Airbus. Je rappelle qu'Air France vit dans un monde concurrentiel. Elle doit donc pouvoir faire jouer la concurrence entre les constructeurs d'avions, comme le font toutes les autres compagnies aériennes. Il est permis à des compagnies américaines d'acheter des Airbus. C'est inévitable, puisque nous sommes dans une économie de marché.
    M. Hervé Novelli. Bien sûr !
    M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer. A cet égard, bien qu'elle soit détenue par l'Etat, Air France a adopté une politique bien connue, et qu'a rappelée M. Blanc. Elle achète 50 % d'Airbus et 50 % de Boeing.
    Monsieur Bartolone, vous vous demandez où est le jeu gagnant-gagnant. C'est facile. Il est gagnant pour la compagnie qui va bénéficier de la même souplesse de gestion que les entreprises avec lesquelles elle est en concurrence ou en réseau, et parfois les deux. Il est gagnant pour l'Etat qui donne ses chances à Air France et qui remplit ainsi son rôle de facilitateur plutôt que de capitaliste et qui ne court plus le risque de faire échouer la compagnie. Ainsi, si elle venait à devoir augmenter son capital, elle ferait, comme toutes les entreprises appel au marché.
    Monsieur Le Guen, merci d'avoir souligné le caractère raisonnable du projet de loi : l'Etat gardera, à ce stade, environ 20 % du capital ; la démocratisation de l'accès au capital est garantie ; un dispositif clair est mis en place pour garantir les droits de trafic d'Air France.
    M. Blazy, lui, s'est inquiété pour le personnel. Je rappelle que la privatisation est légale depuis 1993 et qu'elle n'a pas été remise en cause depuis. Le projet de loi poursuit deux objectifs. Le premier a été peu souligné, me semble-t-il, dans ce débat : c'est qu'Air France doit rester une entreprise majoritairement française.
    D'autre part, les personnels d'Air France sont protégés par cette loi. Ils sont d'ailleurs beaucoup plus nuancés que semble le croire M. Blazy. J'observe que, sur 70 000 personnes, il a fait état de 12 000 signatures.
    M. Jean-Pierre Blazy. Quatorze milles signatures !
    M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer. C'est beaucoup, mais, toutes proportions gardées, cela ne représente que 20 %.
    M. Jean-Pierre Blazy. C'est déjà pas mal, monsieur le ministre !
    M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer. Tout à l'heure, nous avons vu et entendu des manifestants. Nous sommes passés à côté d'eux. D'après une dépêche que je viens de lire, ils étaient environ 150. C'est beaucoup, mais, par rapport à 70 000 personnes, c'est bien peu.
    Enfin, monsieur Blazy, vous ne savez peut-être pas que, lors des dernières élections professionnelles du 6 mars, les syndicats hostiles à ce projet de loi ont tous reculé, alors que ceux qui y sont favorables ont tous progressé.
    M. Victorin Lurel. Ah bon ? C'est le Gouvernement qui fait gagner les syndicats ? C'est un Gouvernement ouvriériste ?
    M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer. Monsieur Proriol, je vous remercie de votre analyse, excellente, comme chaque fois que vous prenez la parole, dans cet hémicycle ou ailleurs. Vous rejoignez la demande formulée par M. Chartier. Je suis évidemment d'accord avec vous pour lancer une réflexion sur le système actuel d'aide aux lignes d'aménagement du territoire. Ce système est bon dans son principe. Même s'il manque de moyens, il est en tout cas indispensable à nos territoires. Il faut l'améliorer et nous allons y travailler. Si vous pouvez nous faire part de vos réflexions pour l'optimiser, je crois que beaucoup de nos régions en profiteraient.
    Monsieur Pajon, vous nous avez accusé de brader Air France. Comment pouvez-vous dire cela, alors que nous n'avons pas encore cédé une seule action ?
    M. Jean-Pierre Blazy. Mais le cours des actions n'est pas au niveau qu'il atteignait alors. Elles sont à moins de 8 euros !
    M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer. Si, à ce jour, quelqu'un a cédé des actions d'Air France, c'est vous.
    M. Michel Pajon. Ça s'appelle une avance sur héritage !
    M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer. Comment pouvez-vous dire que le Gouvernement brade Air France, alors que le projet de loi a pour objet de conserver à Air France son statut de compagnie française et de protéger les salariés ? Est-ce cela, brader Air France ? Je me demande vraiment où vous allez chercher cela.
    Monsieur Pajon, reparlons-en, si vous voulez bien, lorsque nous aurons vendu, dans le délai de deux années que vous avez rappelé.
    M. Jean-Louis Idiart. Il sera trop tard !
    M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer. Contrairement à vos dires, la loi ne fixe aucun prix de vente. Nous ne nous avancerons évidemment pas sur ce chemin dans le climat actuel du marché, de la bourse, où, certains l'ont rappelé, l'action est en dessous de 8 euros. Nous sommes plus raisonnables que ce que vous imaginez. Faites-nous confiance pour attendre que le marché soit porteur.
    M. Jean-Pierre Blazy. Quand allez-vous vendre ?
    M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer. Le service sur les lignes non rentables continuera d'être assuré comme aujourd'hui, conformément au droit de la concurrence.
    C'est donc bien un texte de garantie qui vous est proposé là, mesdames et messieurs les députés. J'espère avoir ainsi répondu...
    M. Jean-Pierre Blazy. En partie seulement !
    M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer. ... en partie au moins, à quelques-unes de vos nombreuses questions. J'essaierai, tout au long de ce débat, de répondre aux autres. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Motion de renvoi en commission

    M. le président. J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une motion de renvoi en commission, déposée en application de l'article 91, alinéa 6, du règlement.
    La parole est à M. Jean-Louis Idiart.
    M. Jean-Louis Idiart. Monsieur le ministre, permettez-moi de commencer en vous remerciant d'avoir répondu à la volonté majoritaire des syndicats d'Air France : si je comprends bien, en effet, vous privatisez parce que les syndicats y sont favorables.
    M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer. Pourquoi dites-vous cela ?
    M. Jean-Louis Idiart. Quoi qu'il en soit, nous avons très bien compris, en vous écoutant, monsieur le ministre, qu'il y a dans cet hémicycle ceux qui savent, dont vous êtes, et les autres.
    M. Charles de Courson, rapporteur. Non, il y a la France d'en bas.
    M. Jean-Louis Idiart. C'est nous, dans ce cas. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Céleste Lett. Il y a ceux qui ne comprennent pas !
    M. Jean-Louis Idiart. Cher collègue, vous confirmez donc les propos de M. le ministre : il y a ceux qui savent et ceux qui ne savent pas, ceux qui comprennent et ceux qui ne comprennent pas, il y a la France d'ici et l'autre France, celle d'en haut et celle d'en bas.
    M. Victorin Lurel. Il y a les possédants et les dépossédés !
    M. Jean-Louis Idiart. Avant d'entamer une réflexion sur les éléments de fond qui justifient un renvoi en commission, je voudrais, en quelques mots, regretter la façon dont sont organisés nos débats, la précipitation qui conduit notamment, en raison sans doute de la surcharge de travail imposée à la commission des affaires économiques, à retenir une organisation différente de celle qui a prévalu au Sénat. La commission des finances a donc, à l'inverse du Sénat, été saisie au fond et nos collègues de la commission des affaires économiques n'auront pu que regretter de n'avoir pu vous auditionner, monsieur le ministre, sur un texte qui est pourtant important.
    Mme Odile Saugues. Mais, là aussi, nous l'avons dit, ça a été très mal perçu !
    M. Jean-Louis Idiart. Que pourraient penser nos concitoyens de notre façon de travailler ? Une commission des finances auditionnant le ministre, désignant son rapporteur dans la foulée et examinant aussitôt après quelques amendements de ce rapporteur pourtant à peine nommé ?
    M. Charles de Courson, rapporteur. Ah !
    M. Jean-Louis Idiart. Décidément, les pratiques se dégradent, alors que nos concitoyens attendent de l'exécutif plus de transparence, du législatif plus de travail en profondeur et plus de débat.
    Mme Odile Saugues. C'est tout à fait vrai !
    M. Jean-Louis Idiart. M. de Courson nous recommandait tout à l'heure de lire son rapport. Je n'ai pu en obtenir un exemplaire à la distribution que ce matin à neuf heures.
    M. Charles de Courson, rapporteur. Vous avez donc eu tout le temps de le lire !
    M. Jean-Louis Idiart. J'ai eu tout le temps, jusqu'à seize heures, de le lire, de rédiger le texte de mon intervention, de préparer nos amendements. C'est sans doute ce que vous considérez comme un bon fonctionnement pour le Parlement...
    Mme Odile Saugues. L'Assemblée est traitée par-dessus la jambe !
    M. Jean-Louis Idiart. ...un bon fonctionnement pour étudier ce texte.
    M. Victorin Lurel. Ce n'est pas normal !
    M. Jean-Louis Idiart. Nombre de députés membres de la commission des finances ont en outre été privés, dès seize heures quinze, de la possibilité de siéger en commission pour participer à la séance publique et à l'examen du présent projet de loi.
    M. François Goulard. Mais c'était un sujet qui ne vous a jamais intéressé : la réduction des déficits publics.
    M. Jean-Louis Idiart. Cela fait sans doute partie des pratiques normales.
    M. Augustin Bonrepaux. Ce n'est pas normal !
    M. Jean-Louis Idiart. Alors, compte tenu de tout cela, personne ne voudra s'opposer à notre souhait de revenir en commission des finances pour approfondir les textes et pouvoir en discuter.
    Mme Odile Saugues. C'est sûr ! Très bon argument !
    M. Jean-Louis Idiart. Je comprends qu'une majorité soit tentée par ce genre de choses : dans le cas présent, cela revient à priver l'opposition de plusieurs de ses droits. Il aurait été normal que nous puissions lire le rapport de M. de Courson plus tôt, auditionner cet après-midi en commission des finances et participer aux débats normaux sur ce texte. Nous n'avons pas pu le faire convenablement et il est normal que je le dise du haut de cette tribune.
    Venons-en au fond en notant tout d'abord que les rapporteurs de la majorité et vous-même, monsieur le ministre, avez régulièrement rappelé qu'Air France faisait partie des entreprises privatisables depuis la loi de 1993. Pourtant, à l'époque, il y avait aussi une très large majorité conservatrice...
    M. Charles de Courson, rapporteur. De progrès !
    M. Jean-Louis Idiart. ... plus large qu'aujourd'hui, et l'on avait tout de même eu recours à l'article 49-3.
    Un député du groupe socialiste. Déja ? Il y a des précédents !
    M. Jean-Louis Idiart. Je ne sais pour quelle raison, cettte loi a été adoptée de cette façon-là. C'était déjà la pratique parlementaire.
    M. Jean Proriol. Vous ne l'avez pas abrogée !
    M. François Goulard. Il y avait de l'obstruction !
    M. Jean-Louis Idiart. Vous conviendrez que cet argument est bien faible et qu'il tend en fait à esquiver un débat au fond sur l'avenir de l'entreprise Air France, de ses salariés et de la politique de transport aérien et du service public en France.
    Au titre de la question générale des transports aériens, quelles que soient les faibles dénégations des rapporteurs, au Sénat ou à l'Assemblée, il est bien évident que les autres compagnies aériennes ne sont malheureusement guère prises en compte par le texte qui nous est présenté. Elles sont, en effet, de moins en moins nombreuses. Il n'aura échappé à personne à quel point la concomitance de nos débats et des déboires de la compagnie Air Lib aura souligné l'idéologie et le dogmatisme de ce texte. Or, que propose-t-il pour tenir compte de la situation nouvelle ? Vous vous êtes contenté, avec bien peu de cohérence, d'ailleurs, si l'on songe à votre volonté de privatiser la compagnie, de donné des instructions à Air France - même si vous avez précisé, il y a quelques instants, que vous n'aviez pas donner d'instructions, que vous aviez invité ses responsables à venir discuter chez vous -...
    M. Charles de Courson, rapporteur. Le dialogue !
    M. Jean-Louis Idiart. ... pour qu'elle participe au traitement du choc social engendré par la disparation d'Air Lib. Toutefois, les premiers éléments concrets dont bénéficient les salariés semblent indiquer que les reclassements évoqués pour ces derniers risquent fort d'être limités à des embauches - quand il y en aura - sans prise en compte de l'expérience.
    Il nous semble au contraire qu'il convient de dresser au plus vite l'indispensable état des lieux, qui a des implications sociales, d'aménagement du territoire et industrielles importantes : à soi seul, cela justifierait un examen plus approfondi de votre texte en commission.
    De plus, en dehors d'Air France, les entreprises de transport aérien encore en activité dans notre pays, c'est-à-dire essentiellement les compagnies low cost, ne sont guère prises en compte par ce texte.
    Ne conviendrait-il pas, pourtant, de mener une réflexion sur le comportement de ces compagnies face à l'Etat, pour leur façon d'appliquer la réglementation sociale et leur participation à l'aménagement du territoire, et face aux collectivités locales, pour leurs décisions d'implantation ? Ces sujets, pourtant essentiels, ne sont pas évoqués dans votre texte, qui ne définit en outre aucun cadre pour l'exercice des missions de service public pouvant être confiées aux transporteurs aériens. Odile Saugues a largement traité de ce problème, mais je voudrais y revenir pour constater une nouvelle fois que le renvoi en commission serait particulièrement justifié de ce point de vue.
    En effet, qu'avez-vous déclaré en commission des finances monsieur le ministre ? D'abord, que vous reconnaissiez - mais sans en tirer les conséquences - qu'un problème se posait pour la desserte de l'outre-mer. Je vous cite : « La desserte de l'outre-mer ne pose pas de problème en terme d'offre mais il semblerait qu'elle en pose en termes de coût pour les passagers. »
    M. Victorin Lurel. Eh oui !
    M. Jean-Louis Idiart. Quel aveu de faiblesse ! Dois-je vous rappeler, monsieur le ministre, que même dans le cadre minimal du service universel défini au niveau communautaire, l'accès au service de l'ensemble des usagers doit être assuré à des tarifs raisonnables...
    M. Victorin Lurel. Bien sûr ! Il y a un problème de prix !
    M. Jean-Louis Idiart. Vous semblez admettre qu'il n'en est rien dans le cadre actuel marqué notamment par la disparition d'Air Lib...
    De plus, vous évoquez, tout en affirmant qu'Air France et Corsair assurent la continuité territoriale et la desserte des DOM,...
    M. Victorin Lurel. Tu parles !
    M. Jean-Louis Idiart. ... que la création d'une autre entreprise est envisageable, sans guère plus de précision qu'un nom hypothétique, « Air Dom ».
    M. Victorin Lurel. C'est indécent !
    M. Jean-Louis Idiart. Ne pensez-vous pas avec nous que la discussion de ce projet de loi, dont l'article 6 prévoit la suppression, pour partie, du mode actuel d'organisation des obligations de service public dans le transport aérien, ne saurait souffrir de telles imprécisions ?
    M. Victorin Lurel. Ce sont des ayatollahs du marché !
    M. Jean-Louis Idiart. Encore une fois, sur ce sujet, il me semble qu'il serait nécessaire que vous nous fournissiez des informations plus précises et que nous puissions en débattre de façon approfondie, en commission.
    Autre sujet essentiel sur lequel vous reconnaissez vous-même l'insuffisance de votre projet de loi, la définition de nouvelles règles de service public. Pourquoi vous être contenté de supprimer le cadre actuel en renvoyant à plus tard la redéfinition des règles ?
    Il est, en effet, évident qu'il sera beaucoup plus difficile de négocier face à un ensemble d'opérateurs privés - dans le meilleur des cas, c'est-à-dire si vous ne créez pas un monopole privé contesté seulement par les compagnies low cost !
    Le modèle que vous nous présentez - privatisation puis réflexion sur un éventuel cahier des charges pour les opérateurs privés afin que les obligations de service public soient remplies - est assez inédit... Je vous cite, monsieur le ministre : « Cette évolution pose toutefois la question d'un nouveau cadre pour l'exercice de missions d'intérêt général spécifiques aux transports aériens permettant de pallier les inconvénients de la contractualisation et de la réquisition. Une réflexion a été lancée sur ce sujet afin de déterminer quelles missions d'intérêt général l'Etat pourrait confier aux entreprises de transport aérien, et quel cadre juridique, prenant en compte l'ensemble des compagnies françaises, pourrait, dans cette perspective, être mis en place. »
    On ne saurait mieux dire à quel point votre texte est imparfait et incomplet ! Vous nous dites préparer la privatisation, et, outre que nous n'avons aucune information précise sur la privatisation elle-même en termes de dates ou de recettes, vous avouez que vous n'en êtes qu'au stade de la réflexion sur l'organisation du transport aérien et du service public qui devra pallier la disparition de l'opérateur public !
    Ce texte apparaît bien uniquement inspiré par le souci, encore une fois, de « faire du symbole ». Même si vous n'osez plus tenir les discours que vous nous teniez en 1986 et en 1993, ce sont bien, concrètement, les mêmes modèles dérégulateurs qui inspirent votre action, au mépris de tous les enseignements de l'expérience.
    Ce gouvernement n'a qu'une obsession, faire reculer la présence de l'Etat. A tout prix, à tout crin. Et même si cela se fait au mépris de l'emploi et de l'organisation du territoire, alors que vous clamez sur toutes les tribunes que telles sont vos priorités.
    Il suffisait d'entendre nos collègues de l'UMP, l'autre soir, en commission des finances, apporter leur soutien ardent à M. Trichet et au funeste projet de la Banque de France. Il y en a même qui s'immolaient pour leur propre ville, considérant que « l'honnêteté intellectuelle » leur imposait de faire cela. Et il suffit de voir ce qui se passe dans nos territoires. Je ne peux pas rentrer dans ma circonscription sans apprendre de nouvelles fermetures de services publics. Encore vendredi dernier, on nous a annoncé la suppression de services du ministère des finances. Faire faire des économies à l'Etat est un objectif que l'on défend toujours au niveau national avec ardeur, mais l'ennui, c'est que l'Etat fait toujours ces économies sur le dos des mêmes.
    M. Pierre Cohen. C'est le désert français !
    M. Jean-Louis Idiart. J'invite les ministres qui le souhaitent à venir dans ma circonscription.
    M. Christian Jeanjean. Et que faites-vous des 35 heures ?
    M. Jean-Louis Idiart. C'est cela, ce sont les 35 heures qui suppriment les emplois dans la fonction publique, maintenant ! La vérité, c'est que vous prenez des décisions ici, et que vous ne les assumez plus quand leurs conséquences se font sentir sur le terrain ! Et j'ai toujours une cohorte d'élus locaux UMP qui défilent à mes côtés après que vous ayez fait des déclarations ici. Maintenant, ils savent à quoi s'en tenir.
    M. Michel Pajon. L'UMP d'en bas, ils s'en foutent !
    M. Jean-Louis Idiart. Bien sûr !
    L'idéologie thatchérienne gagne tous les secteurs gouvernementatux, avec toutes les conséquences sur le démantèlement des territoires. Et pourtant, elle a échoué. Pourquoi ne nous parlez-vous plus de British Airways, le modèle de la droite de 1993, cette si grande compagnie qui dégageait, à l'époque, des bénéfices, à côté de laquelle la « passéiste » Air France faisait pâle figure ? Dix ans plus tard, regardez Air France, regardez ses résultats. Qui a gagné ? Que sont devenus les si grands exemples de ses concurrents privés - Air Liberté, AOM, TAT avalé par British Airways, puis qui a presque quitté notre territoire - que vous ne cessiez de vanter ? Où sont les résultats ? Vos prévisions de l'époque sont toutes contredites.
    Je ne vois donc pas pourquoi on devrait plus vous faire confiance aujourd'hui qu'il y a dix ans. M. le ministre Bussereau devrait reprendre ses déclarations enflammées de l'époque sur l'ultralibéralisme en matière de transports.
    Vous écouter aujourd'hui entraînerait des conséquences terribles pour demain.
    Je voudrais ici aborder un second temps de mon intervention en notant que s'il est lacunaire sur l'organisation du service public - ce que l'on peut comprendre, au vu de votre peu d'intérêt pour cette question -, votre projet de loi est également lacunaire, de façon beaucoup plus surprenante, sur ce qui est pourtant sa principale raison d'être, à savoir la privatisation proprement dite d'Air France.
    Sur la question de l'avenir de l'entreprise tel que vous l'envisagez, on perçoit une nouvelle fois à quel point votre projet est idéologique et peu en phase avec les réalités économiques du secteur.
    Que nous affirmez-vous en effet ? Vous affirmez que la privatisation est nécessaire pour avoir accès aux marchés de capitaux et assurer le financement de la flotte et le développement de la compagnie.
    Faut-il vous rappeler les déboires que connaissent actuellement nombre de compagnies qui ont transféré, justement, aux banques et organismes financiers la propriété d'une grande partie de leurs flottes, jusqu'à 80 % pour British Airways, à travers les mécanismes de location ou leasing ?
    Car le tout n'est pas d'avoir accès aux marchés ! Nous le savons bien, avoir accès aux marchés signifie entrer dans une logique particulière qui conduit ensuite à réduite à tout prix ses coûts pour répondre aux attentes des actionnaires. Ainsi, au lieu du modèle traditionnel dans lequel la flotte constitue un élément d'actif permettant de survivre aux fluctuations conjoncturelles, les entreprises cherchent à réduire de plus en plus leurs besoins en capitaux en utilisant l'endettement.
    Si tout semble aller bien en période haute, une brusque chute de la demande ou des difficultés de trésorerie à court terme peuvent rapidement conduire - nous le voyons depuis 2001 - à de graves difficultés pour régler les loyers mensuels dus aux banques.
    L'exemple le plus marquant de ces dérives est sans doute celui d'American Airlines, première compagnie américaine et mondiale, qui a présenté un bilan 2001 marqué par des dettes financières de 11 milliards de dollars pour des fonds propres de 4 milliards.
    Vous nous affirmez aussi que la privatisation est nécessaire pour permettre de nouer des alliances. Mais ma collègue Odile Saugues, ainsi que la plupart des intervenants, a bien montré que la logique du transport aérien réside dans des alliances commerciales, et non capitalistiques, dont la possibilité existe d'ailleurs actuellement pour Air France.
    Vos réponses sur ce sujet, conformes à celles que vous aviez données au Sénat, relèvent plus de l'acte de foi que de la démonstration.
    M. Michel Pajon. C'est une position dogmatique !
    M. Victorin Lurel. Théologique !
    M. Jean-Louis Idiart. Vous présentez également votre projet comme offrant un cadre adapté au passage d'Air France vers le secteur privé, sans remise en cause de l'intérêt général. Mais j'ai déjà énoncé les lacunes flagrantes de ce projet en ce qui concerne l'avenir du service public aérien et l'aménagement du territoire.
    De même, les rares protections prévues, en 1986 et 1993, autour des actions préférentielles données à l'Etat ont disparu, au profit d'un dispositif de dernier recours permettant seulement d'éviter la perte des licences et droits de la compagnie dont le contrôle serait pris par des investisseurs étrangers.
    J'entends déjà vos remarques quant à la difficulté, au regard du droit communautaire, de mettre en place des actions préférentielles de cette nature. Mais la difficulté ne doit pas conduire à un abandon du type de celui que vous nous proposez avec un dispositif « de crise » permettant uniquement la sauvegarde, en dernier ressort, de la nationalité de l'entreprise, et donc de ses licences et droits.
    Parallèlement à cela, je ferai encore une observation sur cette question, qui prouve encore une fois que le calendrier est mal choisi pour l'examen de ce texte. Je songe, en effet, à la confiance des épargnants, mise à mal par la situation actuelle des marchés et les différentes « affaires » apparues aux Etats-Unis, mais auxquelles nous n'échapperons pas totalement, qui fragilisent la foi dans l'égalité d'accès à l'information et la transparence des comptes.
    Nous ne pouvons que déplorer le choix consistant à lancer symboliquement la privatisation d'Air France, avant d'avoir entamé la discussion du projet de loi relatif à la sécurité financière, qui permettra d'aborder la question du gouvernement d'entreprise.
    Très concrètement, le texte ne propose que de sauvegarder l'organisation actuelle du conseil d'administration, avec une représentation plus favorable des salariés par rapport au droit commun. Je passerai rapidement sur les mauvais procès initiés par le rapporteur, qui songeait à remettre en cause cette disposition pour mettre fin à l'émiettement syndical ... On voit mal comment on peut, dans le contexte actuel, songer à réduire la représentation des « stakeholders » - c'est-à-dire des ayants droit, dont font partie les salariés - pour des questions de meilleur contrôle de la paix sociale à très court terme.
    Concernant Air France et le mécanisme prévu à l'article 1er pour la sauvegarde des licences, ce débat prend également un relief particulier : il conviendra, en effet, d'assurer que les salariés peuvent participer, puisque leur emploi est en jeu, à la mise en oeuvre de ce mécanisme, au même titre que les actionnaires, auxquels le rapporteur a songé dans des amendements qui soulèvent la question sans y apporter de réponse réellement satisfaisante à ce stade.
    Ce débat essentiel mériterait également un examen plus approfondi au sein des commissions des finances et des affaires économiques, examen qui gagnerait à être éclairé de notre travail sur le texte « sécurité financière ».
    Vous nous affirmez, enfin, que la privatisation ne sera pas néfaste pour les salariés, puisque ceux-ci pourront renégocier à l'identique leur statut. Ici, je pense qu'il faudrait que la majorité respecte un peu plus les salariés, en ayant au moins un souci de cohérence. Comment pouvez-vous prétendre que des propriétaires privés ne chercheront pas, par tous les moyens, à remettre en cause ce statut à plus ou moins long terme, afin d'abaisser les coûts ? Dois-je vous rappeler que votre majorité ne manque pas une occasion de remettre en cause, notamment à travers la mise en place d'une commission d'enquête sur la gestion des entreprises publiques, ...
    M. Edouard Jacque. Heureusement qu'elle existe !
    M. François Goulard. Il en faudrait plus d'une !
    M. Jean-Louis Idiart. Il en faudrait plusieurs ? Mais bien sûr ! Là, vous avez plus d'inspiration que quand il s'agit de nous permettre de bien approfondir ces textes et de le faire dans un bon climat, ça c'est sûr !
    Le texte instituant cette commission d'enquête évoquait « une dérive généralisée des coûts, et particulièrement des charges de personnel ». Ayez donc au moins le courage de vos opinions ! Ou alors, si, comme le groupe socialiste, vous jugez effectivement essentiel de préserver le statut des salariés - qui, à long terme, conditionne le succès de la compagnie -, ne vous en remettez pas uniquement à une période de deux ans permettant les renégociations.
    Ce dispositif doit être largement revu et amélioré, ce qui ne peut se faire qu'avec un renvoi en commission. Faute de quoi, comme le soulignait ma collègue Odile Saugues, ce délai risque de ne conduire qu'à la mort annoncée des dispositions essentielles du statut.
    Concernant, enfin, les aspects budgétaires de cette privatisation annoncée, il serait indispensable que nous puissions travailler plus avant en commission tout à la fois sur le produit attendu et sur le calendrier de la privatisation, qui nous restent largement inconnus.
    Il est inadmissible, monsieur le ministre, que la représentation nationale ne soit pas informée précisément du montant des recettes que vous comptez obtenir de la privatisation d'Air France.
    M. Michel Pajon. Exact !
    M. Gérard Bapt. Eh oui ! Du déficit, on ne peut pas juger !
    M. Jean-Louis Idiart. Ça c'est sûr, vous ne pouvez pas du tout le prévoir.
    M. François Goulard. Vous connaissez les cours de la Bourse trois mois à l'avance, vous ?
    M. Jean-Louis Idiart. Faute d'information complémentaire - dont l'absence justifie pleinement le retour en commission afin que vous puissiez sereinement nous présenter vos projets en la matière et l'ensemble de vos estimations, qui nous restent inconnues -, nous sommes tenus de procéder par des calculs approchés.
    Si nous nous en tenons au montant inscrit au compte d'affectation spéciale 902-24, nous en déduisons que vous envisagez un montant inférieur à 1,6 milliard d'euros, puisqu'il s'agit du total des recettes « d'ouvertures de capital privatisantes » inscrit en loi de finances initiale.
    M. Jean-Pierre Blazy. C'est le grand bradage !
    M. Jean-Louis Idiart. Ce chiffre serait cohérent avec celui avancé par le rapporteur pour avis du Sénat, M. Fréville, qui indique qu'il était « impossible de connaître avec précision le montant des recettes qui pourrait être tiré de la privatisation », mais que celui-ci « pourrait être de l'ordre de 1 milliard d'euros ». Je suppose que ce sénateur, voisin de M. Méhaignerie, a dû réfléchir sur ce sujet pour nous suggérer cela. Il n'a pas été « inspiré ».
    M. Gérard Bapt. Parfois, ils réfléchissent au Sénat, c'est vrai !
    Mme Odile Saugues. Soldes à tous les rayons !
    M. Jean-Louis Idiart. Vous n'avez ni confirmé ni infirmé, monsieur le ministre.
    La seule chose que vous ayez consenti à nous annoncer est que, « bien sûr », vous n'envisagez pas de vendre l'action à un niveau de 8 euros. Une nouvelle fois, prenant modèle sur le Premier ministre, vous refusez le pire... pour ne faire que le très mauvais.
    M. François Goulard. C'est déjà un progrès par rapport à Jospin !
    M. Jean-Louis Idiart. C'est heureux, notamment si l'on veut bien se souvenir qu'en 1994, l'ensemble des contribuables français avaient consacré 3 milliards d'euros à la recapitalisation de l'entreprise... Mais cela ne nous renseigne que très modérément sur les projets précis du Gouvernement en la matière.
    Je rappellerai en effet que vendre la totalité de la part de l'Etat à un cours de 8 euros rapporterait près de 997 millions d'euros si l'on prend pour base les chiffres du dernier rapport « Trésor et entreprises publiques » de M. Diefenbacher. Et je ne fais aucune allusion à dimanche dernier.
    En effet, ce rapport indique que les 54 % du capital détenu par l'Etat représentaient 873 millions d'euros pour un cours de 7 euros fin septembre 2002.
    Ainsi, vendre 35 % du capital, pour porter, comme vous nous l'annoncez, la participation de l'Etat autour de 20 % rapporterait près de 650 millions d'euros pour un cours de 8 euros. Par approximation, il semble que vouloir tirer 1 milliard de recettes de la vente de 35 % obligerait ainsi à vendre à un cours de 12,3 euros, qui reste bien loin, par exemple, du cours de 25 euros de la fin 2000.
    On ne peut qu'être surpris, par contre, de constater que le cours de 12 euros correspond à celui qu'a connu Air France le 30 septembre 2001, soit quinze jours après les attentats contre les Etats-Unis... Personne, je pense, ne songe à présenter ce cours comme représentatif de la valeur réelle de l'entreprise.
    Si, à l'inverse, vous acceptiez, sinon d'abandonner, du moins de remettre la privatisation à de meilleurs jours, soit après 2003, il est bien évident que se poserait à vous le problème de ce milliard de recettes en moins, dans un climat budgétaire déjà passablement assombri par la situation internationale, aggravée par vos malheureuses options de politique économique.
    Le ministère des finances, après nous avoir expliqué qu'il ne gelait pas les crédits mais les mettait en réserve, se dirige visiblement vers la rigueur et donc vers des coupes sombres dans l'ensemble des budgets, avec leurs cortèges de demandeurs d'emplois dans le secteur public et de fermetures dans des villes moyennes.
    Je comprends que vous n'ayez, dans cette perspective, guère de marges de manoeuvre pour repousser la mise sur le marché.
    Nous avons donc bien compris que votre dilemme se situe entre le bradage et le gel. Mais, si vous me permettez un peu d'humour, reste pour nous à disposer des informations précises nous permettant d'apprécier quel est votre choix réel en la matière.
    Au terme de cette intervention, il apparaît bien que ce projet de loi est mal préparé, décidé de façon précipitée, pour de pures raisons d'affichage, et sans qu'aucune réflexion sérieuse sur l'avenir du service public des transports aériens n'ait été conduite.
    Ce travail aurait dû être mené de façon préalable. Et c'est pour pouvoir le mener à bien que je vous appelle, mes chers collègues, à voter cette motion de renvoi en commission défendue par le groupe socialiste. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. le président. La parole est à M. le rapporteur de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan.
    M. Charles de Courson, rapporteur. Les arguments que vous avez développés, monsieur Idiart, qu'ils portent sur le fond...
    M. Gérard Bapt. Et qui sont très bons !
    M. Charles de Courson, rapporteur. ... ou sur la forme, ne sont pas très bons.
    Je commencerai par ceux qui portent sur la forme.
    Je tiens tout d'abord à rappeler que le texte a été adopté en conseil des ministres à la mi-décembre et que le Sénat ne l'a pratiquement pas modifié, puisqu'il n'a adopté qu'un amendement de forme.
    Odile Saugues. Ce sont des godillots !
    M. Charles de Courson, rapporteur. Vous avez donc bénéficié de trois mois pour examiner ce projet de loi. J'ajoute que le ministre a été entendu en commission.
    J'observe d'ailleurs que vous n'avez pas déposé d'amendement dans le cadre des dispositions que prévoit l'article 88 de notre règlement.
    M. Jean-Louis Idiart. Nous n'avons pas eu le temps, nous n'avons disposé du rapport que ce matin !
    M. Charles de Courson, rapporteur. Nul besoin du rapport pour déposer des amendements. Du reste, nos collègues communistes ont déposé, eux, un peu plus de dix amendements dans les délais, qui ont été examinés dans le cadre des dispositions de l'article 88.
    Par conséquent, vos arguments portant sur la forme ne sont pas recevables.
    Et même si le rapport n'a été distribué que ce matin, je vous rappelle que je l'ai écrit en huit jours et qu'il ne comporte que cent pages. Vous aviez donc tout le temps de le lire avant le débat de la séance.
    Maintenant, j'en viens au fond.
    Vous avez, comme plusieurs de nos collègues l'ont fait lors de la discussion générale, soulevé un vrai problème, celui des pratiques anticoncurrentielles de certaines compagnies de low cost. C'est d'ailleurs l'un des points que je traiterai dans mon rapport sur le transport aérien dans le cadre du projet de budget pour 2004. Toutefois, je me permets de vous faire observer que ce problème n'a rien à voir avec le texte dont nous discutons. Là, il s'agit de savoir quelle est la politique de la concurrence qui doit être menée et comment les pratiques anticoncurrentielles doivent être sanctionnées.
    Par ailleurs, vous avez, pour la énième fois, repris le thème du service public. Mais je n'ai jamais entendu dans votre intervention un quelconque élément démontrant le caractère de service public du transport aérien. Au reste, de quoi s'agit-il ?
    Mme Odile Saugues. Merci pour nos amis d'outre-mer !
    M. Charles de Courson, rapporteur. Ainsi que je l'ai indiqué dans mon exposé préliminaire et longuement développé dans mon rapport écrit, la partie service public d'Air France ne représente que 6,2 % de son chiffre d'affaires. Ne parlez donc pas d'Air France comme d'un service public ! Le service public concerne essentiellement les DOM-TOM et la Corse, et l'essentiel de celui-ci ne donne pas lieu à des compensations. Tout cela a été débattu en long, en large et en travers.
    Je ne vois pas très bien en quoi cette référence persistante à la notion de service public conforte votre argumentation, car la compagnie Air France assure très peu de service public.
    Vous avez également demandé pourquoi le Gouvernement n'avait pas choisi l'action spécifique en ce qui concerne Air France. Sur ce point, je regrette que vous n'ayez pas lu mon rapport écrit, car il explique clairement que si, après l'avoir envisagé, le Gouvernement a renoncé à emprunter cette voie, c'est en raison de l'arrêt du 4 juin 2002 de la Cour de justice des Communautés, qui a annulé toute une série d'actions spécifiques, dont une concernant la France et qui portait sur la société Elf.
    S'agissant de l'utilisation du mot « bradage », je voudrais qu'on garde un peu la tête froide. Vous avez dit : « On va brader Air France. » Mais je vous ferai observer, mon cher collègue, que le ministre s'est bien gardé de répondre à la question : « A quelle date allez-vous privatiser ? » Pourquoi ? Tout simplement parce que, quand vous vendez un bien, à moins d'être complètement fou, vous ne le vendez pas lorsque le prix est au plus bas, vous attendez des circonstances plus favorables. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Mme Odile Saugues et M. Jean-Pierre Blazy. C'est ce que nous disons !
    M. Charles de Courson, rapporteur. Le Gouvernement attendra donc que le cours de l'action Air France remonte,...
    M. Claude Bartolone. Si vous le savez !
    M. Charles de Courson, rapporteur. ... à l'instar de ce que ferait toute personne sérieuse. Et si j'ai un conseil à donner au Gouvernement, c'est surtout de ne pas indiquer à quelle date il compte vendre, car cela a toujours pour conséquence la dépréciation du bien.
vendez un bien, vous dépréciez celui-ci.
    M. Jean-Pierre Blazy. M. le ministre a dit « avant la fin de l'année » !
    M. Charles de Courson, rapporteur. Telles sont les raisons pour lesquelles je vous invite, mes chers collègues, à repousser cette motion de renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

    M. le président. Nous en venons aux explications de vote.
    La parole est à M. François Goulard, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.
    M. François Goulard. Mes propos seront dans la droite ligne de ceux de M. le rapporteur. Je crois, en effet, que Jean-Louis Idiart a trop d'expérience pour s'étonner de la publication d'un rapport sur un texte seulement quelques heures avant le début de la discusion de celui-ci. Ce sont les conditions dans lesquelles nous travaillons depuis, hélas, de très nombreuses années et qui font que, parfois, nous disposons de délais assez courts. Toutefois, les uns et les autres, que nous appartenions à la majorité ou à l'opposition, nous sommes habitués à ce type de contrainte et, en général, nous nous en accommodons.
    M. Idiart souhaite que le calendrier des cessions d'actions lui soit communiqué. En faisant une telle demande, il interfère avec le pouvoir réglementaire, car il n'est pas du ressort de la loi de déterminer le calendrier des ventes d'actions.
    Il voudrait également disposer de davantage de temps pour apprécier la portée des opérations qui vont être conduites. Mais les gouvernements pouvant privatiser Air France depuis 1993, il a eu tout le temps de réfléchir à ce sujet. Du reste, sa brillante démonstration, peu convaincante néanmoins, nous a montré qu'il avait su mettre ce délai à profit.
    Bref, la demande de renvoi en commission n'est évidemment pas fondée. M. Idiart a parlé de privatisation et non du texte qui nous est soumis, et c'est pourquoi il n'a développé aucun argument de fond pour justifier les raisons qui pourraient nous conduire à renvoyer en commission le projet de loi. En conséquence, le groupe de l'UMP votera contre la motion de renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. Claude Bartolone, pour le groupe socialiste.
    M. Claude Bartolone. Comme il n'est pas question de mettre les actions d'Air France sur le marché tant que le titre cotera moins de 8 euros, voilà un élément qui renforce la démonstration de Jean-Louis Idiart et qui confirme que nous avons tout le temps de retourner en commission. D'ailleurs, à entendre les prévisions, y compris celles du MEDEF, sur le taux de croissance et sur l'amélioration de la situation économique, à entendre les prévisions des économistes sur les conséquences de la guerre en Irak, à entendre les remarques qui sont faites sur ces sujets dans cet hémicycle, j'aurais plutôt tendance à penser que nous avons du temps devant nous pour examiner ce texte.
    M. Jean-Pierre Blazy. Absolument !
    M. Claude Bartolone. En outre, l'échange que vous avez eu avec un représentant des DOM-TOM, monsieur le ministre, montre que nous devrions prendre plus de temps pour étudier ce projet de loi. Cela dit, vous ne pouvez pas employer le ton que vous avez utilisé à l'égard de ce représentant des DOM-TOM, étant donné les préoccupations et les angoisses qui existent outre-mer à propos du transport aérien, vu l'importance de celui-ci pour les populations locales.
    M. Victorin Lurel. C'est vrai !
    M. Claude Bartolone. A cet égard, j'ai encore en tête les propositions du Président de la République lors de la campagne électorale pour essayer de calmer les inquiétudes de nos compatriotes des DOM-TOM en ce qui concerne le transport aérien.
    Aujourd'hui, on ne peut se contenter de dire, comme vient de le faire M. le rapporteur, que les liaisons avec les DOM-TOM ne représentent qu'une petite part du chiffre d'affaires d'Air France,...
    M. Charles de Courson, rapporteur. 6% !
    M. Victorin Lurel. C'est méprisant pour nous !
    M. Claude Bartolone. ... sans donner plus de précisions sur la manière dont les habitants des DOM-TOM seront désormais traités en matière de transport aérien. Ce point mériterait à lui seul que les députés retournent en commission pour mieux travailler sur le sujet.
    Un autre point mériterait également qu'on lui consacre un peu plus de temps.
    M. Richard Mallié. On en a déjà trop perdu !
    M. Claude Bartolone. Il s'agit de la nouvelle réglementation qui pourrait s'appliquer au plan européen. C'est vrai qu'il va y avoir une grande renégociation des droits, qui va concerner notamment ceux des pays extra-communautaires. Nous sommes donc dans une période de grande incertitude, et c'est d'ailleurs ce qui, selon vous, justifie que l'Etat conserve une part dans le capital d'Air France. Il ne faudrait pas que la perte de « nationalité » d'Air France nous contraignent à renégocier un certain nombre de ces droits. Ce point justifierait également à lui seul le retour en commission pour tenter de comprendre à quelle sauce Air France pourrait être accommodée.
    Vous avez évoqué, monsieur le ministre, le faible nombre des manifestants contre la privatisation d'Air France. Toutefois, nous savons tous que ce n'est pas nécessairement à l'aune du nombre des manifestants que l'on mesure l'inquiétude qui existe dans une entreprise. Manifester lorsqu'on est salarié d'une entreprise de transport aérien dans la situation actuelle n'est pas chose facile : les salariés au sol ou les navigants d'Air France savent très bien qu'aucune autre compagnie aérienne ne pourrait les reprendre aujourd'hui C'est aussi cela qu'il faut prendre en compte. Au demeurant, le nombre de pétitions qui vous ont été adressées pour s'opposer à ce texte a été bien plus élevé que celui des manifestants.
    Un autre point qui justifierait aussi le renvoi du texte en commission, c'est la nécessité de disposer de temps. Nous savons tous qu'après la première guerre du Golfe, six ans ont être nécessaires pour redessiner un paysage stable pour les compagnies aériennes. Dès lors, comment pouvez-vous n'accorder que deux ans aux salariés d'Air France pour négocier avec leur direction ? D'autant plus que ces deux années vont peut-être constituer pour les compagnies aériennes la période la plus difficile à traverser, étant donné les conséquences, hélas ! prévisibles, que ne manquera pas d'entraîner une nouvelle guerre en Irak.
    Monsieur le ministre, vous avez dit : « Gagnant-gagnant. » Je ne vois pas « où sont les gagnants ». Je ne vois pas comment l'Etat et chacun des Françaises et des Français qui, par leurs participations, ont contribué au prestige d'Air France, pourraient tirer un bénéfice de cette privatisation étant donné le montant actuel du titre Air France et celui qui peut être envisagé à court terme.
    Je ne vois pas de gagnants chez nos concitoyens, qui peuvent légitimement s'interroger sur la façon dont seront desservies un certain nombre de villes de province, moins rentables que la ligne Paris-Nice.
    Je ne vois pas de gagnants chez un certain nombre de salariés, qui peuvent légitimement se poser des questions sur l'évolution de leur statut.
    Enfin, vous nous avez dit qu'il n'était pas question de mettre les actions d'Air France sur le marché tant que durera cette dépréciation boursière. Or j'ai l'impression que le retour à un cours plus acceptable n'est pas pour demain. Rien que cela justifierait également que nous disposions de plus de temps pour approfondir l'examen de ce texte et pour améliorer celui-ci.
    Pour toutes ces raisons, nous voterons la motion de renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. le président. Je mets aux voix la motion de renvoi en commission.
    (La motion de renvoi en commission n'est pas adoptée.)
    M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

2

DÉPÔT D'UN RAPPORT
EN APPLICATION D'UNE LOI

    M. le président. J'ai reçu, le 11 mars 2003, de M. le Premier ministre, en application de l'article L. 3122-6 du code de la santé publique, un rapport sur le dispositif d'indemnisation des hémophiles et transfusés contaminés par le virus de l'immunodéficience humaine (VIH), pour les neuvième et dixième exercices du Fonds d'indemnisation des transfusés et hémophiles.

3

ORDRE DU JOUR
DES PROCHAINES SÉANCES

    M. le président. Mercredi 12 mars 2003, à quinze heures, première séance publique :
    Questions au Gouvernement ;
    Suite de la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, n° 632, relatif aux entreprises de transport aérien et notamment à la société Air France :
    M. Charles de Courson, rapporteur, au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan (rapport n° 654) ;
    M. Jean-Pierre Gorges, rapporteur pour avis, au nom de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire (avis n° 655).
    Discussion de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, n° 642, portant modification de la loi n° 2001-647 du 20 juillet 2001 relative à la prise en charge de la perte d'autonomie des personnes âgées et à l'allocation personnalisée d'autonomie :
    M. Georges Colombier, rapporteur, au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales (rapport n° 685).
    A vingt et une heures, deuxième séance publique :
    Suite de l'ordre du jour de la première séance.
    La séance est levée.
    (La séance est levée à vingt-trois heures vingt-cinq.)

Le Directeur du service du compte rendu intégralde l'Assemblée nationale,
JEAN PINCHOT
DÉCÈS D'UN DÉPUTÉ

    M. le président de l'Assemblée nationale a le regret de porter à la connaissance de Mesdames et Messieurs les députés le décès de Jean-Marc Chavanne, député de la cinquième circonscription de la Haute-Savoie, survenu le 11 mars 2003.

REMPLACEMENT D'UN DÉPUTÉ DÉCÉDÉ

    Par une communication en date du 11 mars 2003, faite en application des articles L.O. 176-1 et L.O. 179 du code électoral, M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales a informé M. le président de l'Assemblée nationale que Jean-Marc Chavanne, député de la cinquième circonscription de la Haute-Savoie, décédé le 11 mars 2003, est remplacé jusqu'au renouvellement de l'Assemblée nationale par M. Marc Francina, élu en même temps que lui à cet effet.

MODIFICATIONS
À LA COMPOSITION DES GROUPES
(Journal officiel, Lois et Décrets du 12 mars 2003)
Groupe de l'Union pour un mouvement populaire
(351 membres au lieu de 352) :

    Supprimer le nom de M. Jean-Marc Chavanne.

Liste des députés n'appartenant à aucun groupe
(12 au lieu de 11) :

    Ajouter le nom de M. Marc Francina.

TEXTES SOUMIS EN APPLICATION
DE L'ARTICLE 88-4 DE LA CONSTITUTION
Transmissions

    M. le Premier ministre a transmis, en application de l'article 88-4 de la Constitution, à M. le président de l'Assemblée nationale les textes suivants :

Communication du 6 mars 2003

N° E 2227. - Projet d'action commune ... /.../ PESC du Conseil du ... modifiant l'action commune 2002/210/PESC relative à la mission de police de l'Union européenne.
N° E 2228. - Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif au statut et au financement des partis politiques européens (COM [2003] 77 final).

Communication du 10 mars 2003

N° E 2229. - Proposition de décision du Parlement européen et du Conseil relative à l'adaptation des perspectives financières en fonction de l'élargissement, présentée par la Commission conformément au point 25 de l'accord interinstitutionnel du 6 mai 1999 sur la discipline budgétaire et l'amélioration de la procédure budgétaire (COM  70 final).