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ASSEMBLÉE NATIONALE
DÉBATS PARLEMENTAIRES


JOURNAL OFFICIEL DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE DU VENDREDI 14 MARS 2003

COMPTE RENDU INTÉGRAL
1re séance du jeudi 13 mars 2003


SOMMAIRE
PRÉSIDENCE
DE Mme PAULETTE GUINCHARD-KUNSTLER

1.  Suppression du mot « race » de la législation. - Discussion d'une proposition de loi «...».
M. Michel Vaxès, rapporteur de la commission des lois.
M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Pascal Clément, président de la commission des lois.

DISCUSSION GÉNÉRALE «...»

Mme
Janine Jambu,
MM.
Jean-Paul Garraud,
Philippe Vuilque,
Yvan Lachaud,
Victorin Lurel,
Christian Vanneste.
Clôture de la discussion générale.
M. le rapporteur.

VOTE SUR LE PASSAGE
À LA DISCUSSION DES ARTICLES «...»

L'Assemblée, consultée, décide de ne pas passer à la discussion des articles ; la proposition de loi n'est pas adoptée.
2.  Rappel au règlement «...».
M. Alain Bocquet, Mme la présidente, M. Pascal Clément, président de la commission des lois.
3.  Modification de l'ordre du jour prioritaire «...».
4.  Ordre du jour des prochaines séances «...».

COMPTE RENDU INTÉGRAL
PRÉSIDENCE DE MME PAULETTE
GUINCHARD-KUNSTLER,
vice-présidente

    Mme la présidente. La séance est ouverte.
    (La séance est ouverte à neuf heures quinze.)

1

SUPPRESSION DU MOT « RACE »
DE NOTRE LÉGISLATION

Discussion d'une proposition de loi

    Mme la présidente. L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. Michel Vaxès et de l'ensemble de ses collègues constituant le groupe des député-e-s communistes et républicains tendant à la suppression du mot « race » de notre législation (n°s 623, 670).
    La parole est à M. le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.
    M. Michel Vaxès, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, ministre de la justice, mes chers collègues, à quelques jours du 21 mars, journée internationale contre toutes les formes de racisme et de discrimination, nous sommes contraints de constater que la lutte contre le racisme et les discriminations reste une priorité.
    Certes, la loi seule ne peut suffire à combattre le racisme et l'intolérance, mais cette évidence justifie précisément que, dans le même temps, soit déclarée la guerre à l'ignorance. L'effort doit être mené au quotidien, partout et par tous : les institutions républicaines et religieuses, les hommes et femmes politiques, les médias et chaque personne individuellement.
    En ce sens, les avancées de la production scientifique peuvent constituer des points d'appui essentiels pour affronter les préjugés racistes ou, à l'inverse, comme le montre l'histoire, être utilisées par les idéologues racistes pour tenter de légitimer leurs propros et leurs actes. Ainsi, la société colonialiste s'est-elle efforcée d'accréditer l'idée de « races » hiérarchisées à partir du postulat d'inégalité naturelle entre groupes humains ; elle justifiait de la sorte les inégalités sociales et l'esclavage. De même, l'idéologie faciste, sous ses formes nazie, mussolinienne ou franquiste, s'est prévalue de la science pour justifier les horreurs qu'elle a commises il y a un demi-siècle à peine.
    Prenant prétexte d'études scientifiques aujourd'hui réfutées, l'idée que les « races » humaines étaient inégales s'est vulgarisée et répandue. Des idéologues ont prétendu que les « races » correspondaient à différents stades de l'évolution de l'espèce animale. Ainsi l'Européen germanique ou anglo-saxon était-il présenté comme le plus évolué ! Ainsi étaient « naturellement » justifiées toutes les discriminations et les souffrances imposées aux « races » dites inférieures ou cosmopolites.
    Aujourd'hui, le concept de « race » n'a plus la moindre légitimité scientifique, et, depuis plus de trente ans, nombreux sont les scientifiques qui ont montré que, dans la famille humaine, les « races » n'existent pas et que ce concept devait donc être définitivement réfuté.
    M. Alain Bocquet. Très bien !
    M. Michel Vaxès, rapporteur. Je suis certain qu'il n'y a pas nécessité de convaincre qui que ce soit ici sur ce point. Il nous incombe, cependant, de prendre en compte le fait qu'il existe un décalage considérable entre ce que dit la science et la représentation dans l'imaginaire des hommes du concept de « race ». Il est, par conséquent, nécessaire que le combat contre les préjugés racistes se mène aussi sur le terrain du langage. Les premiers constituants l'avaient parfaitement compris lorsqu'ils déclaraient que « l'abus des mots a toujours été un des principaux moyens qu'on a employés pour asservir les peuples ».
    Tel est l'objet de la proposition qui tend à supprimer le mot « race » du langage juridique dans tous les cas où il ne se réfère pas à la désignation d'espèces animales.
    Le mot « race » est apparu pour la première fois dans la législation française en 1939, mais c'est dans la législation antisémite de Vichy que la « race » a été érigée en catégorie juridique explicite. Le législateur de l'époque s'était alors efforcé d'en définir le contenu. La relecture des lois du 3 octobre 1940 et du 2 juin 1941 permet, à cet égard, de mesurer la responsabilité du législateur durant cette période sombre de notre histoire et la charge mortelle de ce mot lorsqu'il lui est attaché une signification juridique.
    A partir de 1945, les textes qui sont venus proscrire les discriminations fondées sur la « race » intervenaient en réaction contre le nazisme et le régime de Vichy. Mais en proscrivant les discriminations fondées sur la « race », le législateur a, malgré lui, entériné dans le même temps l'existence de celle-ci. Pire, dans les différentes lois où apparaît le mot « race », il est suivi ou précédé des mots « religion », « nation », « ethnie » ou « origine », ce qui signifie que, pour le législateur, la « race » est une donnée objective, aussi objective que l'appartenance à une religion, à une ethnie ou à une nation. Autrement dit, cela signifie également que pour le législateur le concept de « race » renvoie à une réalité différente de la religion, de l'ethnie ou de la nation.
    Quelle définition donner au mot « race », sinon la définition anthropobiologique à laquelle le concept de « race » reste attaché ? La question mérite d'être posée.
    C'est également la présence du mot « race » dans notre législation qui a permis de justifier un décret datant du 2 février 1990 autorisant le fichage des origines « raciales » des personnes. Depuis les lois sur le « statut des juifs », c'est la première fois que la « race » réapparaît dans notre droit positif. Et c'est la mise en oeuvre de la possible dérogation inscrite dans la loi qui a permis cette modification radicale de la détermination juridique des origines « raciales ». Ainsi l'inversion de l'injonction d'interdiction en agrément a-t-elle conféré à l'expression « origines raciales » une portée juridique positive. C'est donc bien la présence du mot « race » dans notre Constitution et dans notre législation qui permet de telles dérives.
    A contrario, prenant conscience de cette incohérence, le législateur a, en 1983, délibérément pris le parti de ne pas se référer à la « race » mais à l'« ethnie » dans la loi qui porte sur les « droits et obligations des fonctionnaires ». Néanmoins, le Sénat a, dans la loi du 16 novembre 2001 sur la lutte contre les discriminations, amendé ce texte pour y introduire la référence au mot « race ». Pourquoi introduire un mot dont l'absence dix-huit ans durant n'a jamais empêché le juge de qualifier une discrimination raciste ?
    S'il n'appartient pas au législateur de régler l'usage des mots dans la langue, il est en revanche de son devoir de veiller à leur bon emploi institutionnel.
    La proposition de loi du groupe des député-e-s communistes et républicains, si elle ne prétend nullement enrayer, à elle seule, les idées ou attitudes racistes, permettra au moins d'empêcher que les idéologues racistes puissent tirer prétexte de la présence du mot « race » dans notre législation pour valider et illustrer leurs certitudes sur l'existence des « races » et leur hiérarchisation.
    M. Alain Bocquet. Tout à fait !
    M. Michel Vaxès. La commission des lois a estimé que la suppression du mot « race » fragiliserait l'ensemble de notre édifice juridique. C'est pourquoi elle a décidé de ne pas présenter de conclusions sur cette proposition. Selon la commission, l'adoption du présent texte aurait pour effet de faire disparaître de notre droit un « outil juridique » permettant la répression des infractions à caractère raciste.
    M. Christian Vanneste. Absolument !
    M. Michel Vaxès. Je dois avouer que cette assertion me surprend. Devons-nous donc conclure que l'article 6 de la loi de 1983 précédemment évoquée était proprement inutile et que sa rédaction plaçait le juge dans l'incapacité de sanctionner des discriminations inspirées par des sentiments racistes ?
    Dans l'ensemble de nos textes qui visent à combattre et à sanctionner le racisme, le mot « race » n'apparaît jamais seul, il est toujours accompagné des termes « ethnie », « origine », « nation » ou « religion ». Dans chacun des articles où le mot « race » est utilisé, nous constatons que sa suppression ne permettra jamais, même à un juge peu scrupuleux, de se réfugier derrière cette absence pour ne pas sanctionner des comportements racistes, car les mots qui l'accompagnent se suffisent à eux-mêmes. A l'inverse, le conserver revient à faire du langage du préjugé un « outil juridique », ce qu'un législateur conséquent ne peut accepter.
    M. Victorin Lurel et M. Philippe Vuilque. Très bien !
    M. Michel Vaxès. Prenant à son compte une partie des arguments qui nous sont opposés une certaine presse a poussé plus loin le raisonnement : au nom de la science, nous - entendez le parti des fusillés - préparerions des lendemains qui chantent au racisme, qu'on ne pourrait plus condamner au nom de la loi ! L'auteur de cet avertissement serait sans doute mieux inspiré d'interroger l'actuel ministre de la santé, Jean-François Mattei, qui lui expliquerait, de façon certainement plus convaincante que moi, les raisons qui l'ont conduit, il y a quelques années, à co-signer la charte Galilée 90 demandant la suppression du mot « race » dans l'article 2 de la Constitution. (« Tout à fait ! » « Très bien ! » sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    A ceux qui ont prétendu que nous aurions la naïveté de penser qu'un peu de sémantique suffirait à faire disparaître le racisme, je tiens courtoisement à faire remarquer qu'aucun des intervenants plaidant pour la suppression du mot « race » n'a justifié celle-ci par la conviction qu'il avait qu'elle suffirait à combattre le racisme.
    Il a été également objecté que le mot « race » avait plusieurs sens, qu'il était un élément du langage courant. Mais est-ce au législateur de promouvoir la langue du préjugé, au motif qu'elle est comprise par le plus grand nombre ?
    J'ai abordé et analysé l'ensemble de ces questions dans mon rapport écrit. Je ne doute pas que ceux qui s'y sont référés sans préjugé partisan auront été convaincus de la nécessité de mettre en oeuvre la réforme dont je vais vous présenter brièvement l'économie.
    L'article 1er de la proposition tend à supprimer le mot « race » dans la législation française, à l'exception des textes où il se réfère à la désignation d'espèces animales.
    Les articles 2 et 3 s'attachent à supprimer les adjectifs dérivés du mot « race », à savoir « racial » et « raciaux », pour les remplacer par l'adjectif « ethnique » lorsque la seule suppression pose des difficultés.
    Bien évidemment, les mots « raciste » et « racisme » ont vocation à demeurer dans notre droit parce que, malheureusement, si les « races » n'existent pas, le racisme et les racistes existent.
    M. Christian Vanneste. Ce n'est pas très logique !
    M. Michel Vaxès, rapporteur. La suppression du mot « race » de notre législation permettait de signifier solennellement que le législateur ne reconnaît pas l'existence des « races ». Elle permettrait de corriger la contradiction selon laquelle notre législation invoque la « race » ou les origines « raciales » pour prévenir ou combattre une discrimination contraire aux droits de l'homme garantis par notre Constitution.
    Et puisque le Gouvernement a annoncé sa volonté d'enrayer le racisme dans le milieu scolaire, une telle loi constituerait un point d'appui efficace pour tous les enseignants afin d'aborder avec leurs élèves la question du racisme.
    Mme Muguette Jacquaint et M. Philippe Vuilque. Tout à fait !
    M. Michel Vaxès, rapporteur. Certains pourraient légitimement reprocher à cette proposition de ne porter que sur nos lois et de ne pas proposer la suppression du mot « race » de nos textes fondamentaux.
    Les auteurs de cette proposition, lors de la rédaction de ce texte, ont souhaité prendre en compte les réticences de certains de leurs collègues à revoir des textes qui ont une portée historique. Ils proposent donc, dans un premier temps, de ne modifier que les lois ordinaires. Cette première étape, si elle était retenue, pourrait nous permettre de nous acheminer vers une révision constitutionnelle.
    Notre assemblée va devoir, conformément à l'article 94 du règlement, statuer sur le passage à la discussion des articles de cette proposition de loi. Je souhaite évidemment qu'elle ne suive pas la commission des lois et décide, dans sa majorité, d'examiner son contenu pour permettre, éventuellement, à la représentation nationale de voter un texte dont les effets ne doivent pas, ne peuvent pas, être sous-estimés. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)
    Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
    M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, l'Etat de droit, qui repose sur les valeurs essentielles d'égalité, de liberté et de sécurité, se doit de défendre ses membres contre les différentes formes d'atteinte à leur intégrité physique ou psychique, à leur dignité ou à leur propriété, et se montrer d'autant plus implacable lorsque ces atteintes sont déterminées par un mobile raciste, antisémite ou xénophobe.
    Je souhaite d'emblée rappeler que le Gouvernement est animé de la plus grande détermination à lutter contre toutes les discriminations. Ainsi a-t-il encouragé et soutenu, tout récemment, la proposition de loi de votre collègue Pierre Lellouche visant à aggraver les peines punissant les infractions à caractère raciste, antisémite ou xénophobe. La loi du 3 février 2003 visant à aggraver les peines punissant les infractions à caractère raciste, antisémite ou xénophobe, que le Parlement a adoptée à l'unanimité, s'intègre parfaitement dans le dispositif destiné à réprimer tous les comportements discriminatoires.
    A côté des infractions racistes par nature, cette loi a fort opportunément créé une circonstance aggravante applicable à certaines infractions qui portent atteinte aux personnes et aux biens lorsque leur mobile est raciste, comblant ainsi un vide juridique que trop de victimes ont vécu comme un renoncement de l'Etat de droit.
    J'avais pu indiquer devant vous à cette occasion que le racisme ne participe pas de la liberté, mais constitue, au contraire, l'atteinte la plus grave et la plus intolérable qui puisse lui être portée. En effet, le racisme aliène les hommes, les rend étrangers à eux-mêmes et crée des catégories ou des groupes là où il n'y a que des hommes égaux qui possèdent tous les mêmes « droits inaliénables et sacrés », comme le proclame solennellement le préambule de la Constitution d'octobre 1946.
    Le Gouvernement souhaite renforcer encore ce dispositif, puisque le projet de loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, que j'aurai prochainement l'honneur de présenter devant le Parlement, comportera une série de dispositions renforçant la lutte contre les discriminations. Ces dispositions ont pour objet : d'étendre le champ de la circonstance aggravante créée par la loi du 3 février 2003 aux menaces, au vol et à l'extorsion de fonds ; d'aggraver les peines encourues pour le délit de discrimination commis par des personnes exploitant une activité ouverte au public ; enfin, d'allonger le délai de prescription de l'action publique de trois mois à un an pour les délits de provocation à la discrimination, d'injures ou de diffamation raciales prévues par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.
    La proposition de loi tendant à la suppression du mot « race » de notre législation discutée aujourd'hui aborde la problématique générale de la lutte contre le racisme, et le travail de votre commission a justement soulevé les questions de fond, philosophiques et juridiques, que pose la référence au mot « race » dans notre législation.
    Si le Gouvernement partage, bien évidemment, l'élan humaniste qui anime la représentation nationale et la finalité de la proposition de loi tendant à consacrer dans la loi l'inexistence des races au sein de l'espèce humaine, il convient cependant de ne pas perdre de vue qu'en l'état actuel du droit positif, le mot « race » reste objectivement un outil nécessaire pour l'incrimination des infractions que je viens d'évoquer.
    A cet égard, la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale du 7 mars 1966, qui a été adoptée sous l'égide des Nations unies et qui guide l'action des Etats en cette matière, est exemplaire et devrait nous conduire à adopter une démarche juridique pragmatique, afin de ne pas affaiblir notre dispositif répressif actuel et futur.
    Il me semble donc qu'avant de légiférer, et même si j'ai conscience que notre discussion intervient fort opportunément avant la journée nationale de lutte contre les discriminations et le racisme du 21 mars prochain, un examen attentif de l'ensemble de notre législation, qu'elle soit pénale, civile, sociale ou fiscale, demeure un préalable indispensable.
    Il convient en effet de garantir la sécurité juridique et l'efficacité de la répression des actes racistes, et cette réflexion pourrait d'ailleurs franchir nos frontières pour s'inscrire dans un cadre européen, voire international.
    Compte tenu de ces considérations, le Gouvernement se range à la position adoptée par la commission des lois. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, vous me permettrez en préalable de dire combien la commission des lois a apprécié le travail du rapporteur...
    M. Alain Bocquet. Excellent rapporteur !
    M. Pascal Clément, président de la commission. ... et le débat qui a suivi.
    En effet, on considère parfois, avec une certaine désinvolture, que l'examen des propositions de loi réservées aux groupes parlementaires ne font pas l'objet d'une étude approfondie. Ce ne fut pas le cas, en particulier grâce au travail de Michel Vaxès, que je veux féliciter.
    M. Alain Bocquet. Merci !
    M. Pascal Clément, président de la commission. Je me suis aperçu, dans le dialogue qui s'est instauré avec lui, qu'il avait vraiment « fouillé » le sujet.
    Je voudrais, pour commencer, souligner deux aspects positifs et pas du tout artificiels de cette proposition de loi.
    Premier point positif, cette proposition rappelle un élément que sans doute tous les parlementaires, quelle que soit la travée sur laquelle ils siègent, connaissent mais que l'ensemble de l'opinion publique ne sait peut-être pas, à savoir qu'il n'y a aucun fondement scientifique et biologique au mot « race ». Il n'est donc pas mauvais, et c'est un euphémisme, il est même excellent de le rappeler.
    J'en viens ainsi au second point que je trouve extrêmement positif : cette proposition de loi permet de faire de la pédagogie. Or, je le précise parce que c'est la principale objection qui est faite à ce texte, nous voulons tous, avec le rapporteur et le groupe parlementaire qui soutient la proposition, lutter contre le racisme. Je ne puis donc que rendre hommage à cet aspect pédagogique évident.
    Toute la question est de savoir si cette proposition aboutit au résultat recherché.
    M. Christian Vanneste. Très juste !
    M. Pascal Clément, président de la commission. Nous avons eu, lors du débat sur la décentralisation, le même débat avec M. Hurel. C'est sur ce point que nos avis peuvent diverger, pas sur le fond.
    M. Christian Vanneste. Tout à fait !
    M. Pascal Clément, président de la commission. Sur le fond, le texte est pédagogique, positif, essentiel. Il était même indispensable de présenter cette proposition de loi, ne serait-ce que pour purger le problème. Celui-ci est malheureusement fort complexe puisque des mots qui ne correspondent pas à la réalité scientifique servent pourtant d'outils juridiques. C'est d'ailleurs assez courant en droit, on est obligé d'utiliser des mots qui ne correspondent plus aux concepts philosophiques.
    Philosophiquement, personne ne peut donc s'opposer à la proposition de loi de M. Vaxès, techniquement, c'est une autre affaire, et c'est à ce niveau, et pas sur le fond, que la commission des lois s'est placée. Cette introduction me semblait nécessaire.
    Je ferai maintenant quelques observations. D'abord, je suis frappé de voir que, parallèlement au dépôt de nombreuses propositions de loi qui visent à étoffer notre arsenal législatif et pénal dans ce domaine, et plusieurs ont été adoptées depuis quelques années et même depuis quelques mois, de plus en plus de propositions de loi, émanant de tous les bancs de cette assemblée, proposent de durcir la répression contre les propos ou les attitudes racistes.
    Dans le même temps, il y aurait une contradiction à enlever le mot. Comment supprimer le mot tout en gardant l'outil ? Nous ne savons pas faire.
    Loin de moi l'idée de faire un procès au rapporteur ou à son groupe, mais si le préambule de la Constitution de 1946 est considéré comme un texte pratiquement sacro-saint et intouchable, c'est que sa rédaction a été élaborée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, après la Shoah. Cinquante ans plus tard, une hypersensibilité - combien légitime - se manifeste encore chez tous ceux qui sont attachés à faire que cette époque abominable de notre histoire ne soit pas enfouie dans les sables de la mémoire. Or le préambule stipule bien que tous les hommes ont la même dignité, quelle que soit leur « race », leur « religion », etc. Le mot « race » est employé et il ne viendrait à l'idée de personne de vouloir, au niveau même du préambule de la Constitution, gommer ce moment historique en supprimant ce terme, qui correspond incontestablement à une évolution de la pensée et de la pédagogie humaine. Le préambule a été conçu pour « ne plus jamais revoir cela », comme on dit communément. Ce préambule, qui chapeaute et a une valeur supraconstitutionnelle, est devenu ainsi un texte presque sacro-saint, qui restera intouchable probablement pendant encore longtemps.
    Certains mots, même s'ils sont connotés, à travers le temps, l'histoire, la sociologie et la psychologie des peuples, ne peuvent pas être touchés, c'est le cas de ceux employés par le Préambule de la Constitution.
    C'est l'outil juridique dont nous nous servons habituellement. Dans la loi de finances rectificative de 2001, que vous avez votée, mes chers collègues, il est ainsi fait mention de tous les enfants orphelins de ces parents qui ont disparu dans les camps d'extermination et il est prévu, pour eux, une indemnisation particulière. Le mot « race » est précisément employé dans ce dispositif de la loi de finances rectificative, parce que les parents en question ont non seulement été poursuivis mais exterminés du fait de leur race. C'est tout l'édifice juridique français qui pourrait être immédiatement balayé. C'est extrêmement difficile. Nous ne pouvons pas revenir là-dessus. Utiliser un autre mot reviendrait à dénaturer l'histoire et, soyons franc, la vérité.
    J'en arrive au troisième point, la sémantique.
    La pensée se traduit par des mots et vous en avez d'ailleurs eu conscience, monsieur le rapporteur, puisque vous avez essayé de substituer au mot « race » le mot « ethnie ».
    M. Christian Vanneste. Grave erreur !
    M. Pascal Clément, président de la commission. Se laisser emporter par le vent, pourtant critiqué, du « politiquement correct » qui souffle d'ouest en est, en préférant l'euphémisme minoré au mot lui-même signifierait que nous faisons plus attention aux mots qu'aux concepts véhiculés par les mots. Cette démarche qui consiste supprimer tous les mots qui peuvent accrocher la sensibilité pousse à l'évidence à ne pas modifier la nature profonde de ce qui est en cause.
    Le mot ethnie, si l'on se donne le mal d'aller voir dans le Larousse ou le Robert, c'est la volonté de vivre ensemble. C'est d'ailleurs un peu la définition que donne Zola de la nation.
    Prenons l'exemple de M. Lurel et de moi-même. Nous sommes tous les deux Français et nous avons tous les deux la volonté de vivre ensemble mais si nous disons à la France entière que nous appartenons à la même ethnie, les gens trouveront que c'est un abus de langage, que ce mot ne correspond pas à la vérité. Je veux montrer, avec ce cas concret, pardonnez-moi mon cher collègue Lurel, combien il ne faut pas que les mots mentent. Il faut faire attention, en matière sémantique, que le mot corresponde à une catégorie mentale des Français, à un moment sociologiquement, historiquement marqué.
    M. Christian Vanneste. Absolument.
    M. Pascal Clément, président de la commission. Nous sommes en 2002, pas en 2040 et sans doute Michel Vaxès a-t-il un peu d'avance ! C'est du moins ce que je pense.
    M. Alain Bocquet. Nous avons toujours été à l'avant-garde !
    M. Pascal Clément, président de la commission. Je n'en disconviens pas, monsieur le président Bocquet (Sourires.), et à travers ce mot, je voulais vous en rendre hommage. (Sourires.) En avance du moins dans l'idéal, pas sur les moyens.
    Avec le mot « race », nous disposons d'un outil juridique indispensable et nous sommes totalement condamnés à cette expression conceptuelle, qui ne correspond à rien ni sur le plan philosophique, ni sur le plan biologique.

    Enfin, et je voudrais conclure par là, nous sommes aujourd'hui, et c'est le côté modeste de l'être humain, face à la véritable difficulté du droit : le droit n'est pas là pour dire la vérité, à l'inverse de la philosophie sans doute. Le droit est là pour fixer des règles en société par rapport à la psychologie sociale d'un moment. Ces règles doivent employer les mots de tous les jours, même si c'est dommage. C'est la seule raison pour laquelle la commission des lois s'est opposée à la proposition de loi de M. Vaxès qui a le mérite de coller à la vérité scientifique et de faire de la pédagogie. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Discussion générale

    Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Janine Jambu.
    Mme Janine Jambu. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, chers collègues, si la loi est l'expression d'une volonté, notre assemblée peut aujourd'hui, en se prononçant pour la suppression du mot « race » de notre législation, exprimer la claire volonté d'être actrice de cette pédagogie de la tolérance dont la mise en oeuvre concrète est souhaitée sur tous les bancs, ainsi que l'a fait apparaître le récent débat qui a abouti à l'adoption de la loi du 3 février 2003.
    Loin de priver le législateur et le juge d'un outil efficace pour lutter et sanctionner les actes, comportements et propos racistes, comme vient de le démontrer excellemment le rapporteur, mon collègue Michel Vaxès, c'est à un geste de portée symbolique certes, mais aussi historique et politique, que nous appelons notre assemblée.
    Sur le strict plan du droit, je veux rappeler brièvement que les textes portant sur les droits et obligations des fonctionnaires et la déontologie médicale ne mentionnent pas le mot « race » et n'en perdent pas pour autant leur efficacité en matière de sanction des discriminations. Dans le code pénal, le mot « race » apparaît bien comme une référence en trop dont la suppression n'entamerait nullement la qualification juridique de la discrimination.
    Quant à la question constitutionnelle, le premier pas franchi aujourd'hui permettrait d'en envisager l'abord selon la procédure appropriée.
    A l'approche de la journée internationale de lutte contre le racisme, le 21 mars, ne serait-ce pas l'honneur de la France que d'être l'initiatrice ; comme elle sait et a su l'être en d'autres domaines ; d'une réflexion européenne et internationale visant à l'éradication d'un concept dont plus personne n'ose défendre les fondements ?
    Ne s'agirait-il pas là d'une contribution s'inscrivant dans la filiation des Lumières et de la Déclaration de 1789, qui proclame avec force que « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits », ainsi que de notre tradition républicaine laïque, ouverte et universelle, qui rejette à bon droit les modèles communautaristes ?
    Ne serait-ce pas un apport précieux au travail pédagogique que M. le ministre de l'éducation nationale vient d'engager en milieu scolaire pour lutter contre le racisme, les dérives communautaristes, et pour réaffirmer les principes de la laïcité républicaine ?
    J'ai pu noter d'ailleurs, en lisant les mesures qui ont été portées à notre connaissance, qu'il n'est à aucun moment fait usage du mot « race ». En outre, le ministre a, devant la presse, indiqué qu'il s'agissait d'aider les chefs d'établissement et les enseignants à expliquer, à trouver les mots. Nous leur en donnerions les moyens en adoptant la proposition de loi.
    Le message transmis aux élèves sera sans doute proche de celui porté par le petit livre, rédigé sous une forme dialoguée, de Tahar Ben Jelloun, intitulé Le Racisme expliqué à ma fille, et dont je tiens à citer tout particulièrement un passage : « Le mot "race ne doit pas être utilisé pour dire qu'il y a une diversité humaine. Le mot "race n'a pas de base scientifique. Il a été utilisé pour exagérer les effets de différences apparentes, c'est-à-dire physiques. On n'a pas le droit de se baser sur les différences physiques - la couleur de la peau, la taille, les traits du visage - pour diviser l'humanité de manière hiérarchique, c'est-à-dire en considérant qu'il existe des hommes supérieurs par rapport à d'autres hommes qu'on mettrait dans une classe inférieure. »...
    M. Christian Vanneste. C'est ce que dit la loi !
    Mme Janine Jambu. ... « Je te propose de ne plus utiliser le mot "race. »
    M. André Chassaigne. Très bien !
    Mme Janine Jambu. C'est cette même proposition que nous faisons aujourd'hui à la représentation nationale.
    Car si la science a démontré l'inconsistance du concept de race dans l'espèce humaine et permet d'énoncer cette définition extraite de la charte Galilée 90 et si belle à mes yeux : « Autrui est un semblable en chaque individu différent », la loi continue quant à elle de véhiculer ce mot.
    Cette subsistance ne contrevient-elle pas au travail pédagogique souhaité ? N'offre-t-elle pas un point d'appui, ne fournit-elle pas une arme à ceux qui se font les chantres des idéologies d'exclusion, de rejet ?
    Les 20 et 21 mars prochains, l'UNESCO invite à célébrer la journée internationale pour l'élimination de la discrimination raciale. Les documents de travail de son programme d'action contre le racisme soulignent que « l'éducation et l'enseignement constituent les voies royales de la transformation des esprits ; c'est là qu'il faut inscrire d'abord et avant tout en profondeur l'éthique du pluralisme et du dialogue. L'élimination des manifestations du racisme, de la xénophobie et de l'intolérance est un processus long qui nécessite une volonté politique, la mobilisation de moyens et un travail d'éducation ».
    C'est cette volonté politique que nous voulons affirmer aujourd'hui en défendant la proposition de loi.
    Si nous n'avons pas la naïveté de penser que la suppression du mot « race » permettra de décréter l'éradication du racisme, nous avons par contre la conviction que les débats, les échanges et les explications souvent fondamentales engendrées par notre vote auront une profonde et durable portée.
    Cela se traduira d'abord dans l'immédiateté du débat et de l'information, notamment au travers des multiples initiatives prises à l'occasion du 21 mars et, à plus long terme, au travers des actions qui pourront être menées auprès de la jeunesse, en milieu scolaire mais aussi, au-delà, dans les villes et les quartiers, à la faveur des échanges culturels et sportifs. Car ceux qui sont souvent les premières victimes du racisme, repoussés par la crise économique et sociale du fait du manque de perspectives dues aux limites du communautarisme, sont aussi, dans le même mouvement, les porteurs non conscients de ces mêmes préjugés qui engendrent hostilité et rejet. Ils en sont ainsi doublement victimes.

    Il en est ainsi encore de celles et de ceux à qui le rejet de l'autre apparaît comme l'exutoire immédiat de leurs propres souffrances. La méconnaissance et la peur sont alors le fonds de commerce politique de ceux qui, à l'extrême droite, sont ouvertement racistes, trouvent des arguments à l'existence des races, fondent leur soif de pouvoir sur la haine, l'exclusion, la régression sociale.
    Plus subtils sont ceux dont le chemin croise les mêmes terres, qui manipulent les thèmes de l'inquiétude et de l'insécurité sociale et qui poussent les feux d'une politique qui divise et rejette et qui, à terme, est lourde de dangers pour la liberté d'action de chaque citoyen.
    Face à ces menaces, face à ces chemins dangereux, nous voulons redonner force aux valeurs de solidarité, de respect, d'ouverture à l'autre, mais aussi de lutte pour empêcher, selon une formule de Sartre, que le « racisme permette aux maîtres de communier avec leurs serviteurs ».
    Pour l'ensemble de ces raisons, nous appelons l'Assemblée à donner un signal fort en acceptant de passer à la discussion des articles de la proposition de loi et de prolonger ensuite cette démarche en décidant d'adopter ce texte. (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)
    Mme la présidente. La parole est à monsieur Jean-Paul Garraud.
    M. Jean-Paul Garraud. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je tiens d'abord à dire que nous sommes évidemment, sur la question du racisme, tous d'accord et que je suis très heureux d'avoir l'occasion de m'exprimer à ce sujet à la tribune de l'Assemblée nationale.
    Nous sommes tous d'accord sur le fond pour reconnaître que les races n'existent pas. C'est une vérité scientifique qui est désormais totalement admise. Nous mettons d'ailleurs tout en oeuvre pour lutter contre le racisme. Lutter de la façon la plus efficace possible contre le racisme est notre objectif commun. Je rappelle qu'une proposition de loi de l'un de nos collègues tendant à aggraver les peines en cette matière ô combien importante a été adoptée à l'unanimité. Au surplus, un projet de loi, dont certaines dispositions visent à lutter contre le racisme, en allongeant notamment le délai de prescription, nous sera prochainement proposé.
    En la matière, nous n'avons aucun souci partisan : sur tous nos bancs, nous avons, je le répète, la même volonté de combattre de la façon la plus efficace possible le racisme.
    La question qui nous occupe aujourd'hui est de savoir si la suppression du mot « race » ainsi que de tous ses adjectifs dérivés, tels que « racial », servira à lutter contre le racisme. Je pense que non, et je vais, monsieur le rapporteur, vous expliquer pourquoi. Comme M. le président de la commission des lois, je pense même que cette suppression, et c'est bien là le plus grave, risque d'avoir l'éffet inverse de celui que nous souhaitons.
    En premier lieu, monsieur le rapporteur, il me semble que vous n'allez pas au bout de votre logique. En effet, vous demandez la suppression du mot « race » et de ses adjectifs dérivés dans notre législation. Mais il faudrait que vous demandiez cette suppression dans les textes fondamentaux de notre législation, tels que le préambule de la Constitution de 1946, l'article 2 de la Constitution de 1958, ainsi que dans tous les traités internationaux.
    La Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 oblige, et c'est bien naturel, les Etats à respecter « sans distinction aucune, notamment de race » ou de « couleur », les droits de l'homme. Le mot « race » y est donc employé.
    Faut-il évoquer aussi la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme de 1950 ?
    Comment voulez-vous que la suppression du mot « race » soit possible dans toute notre législation, tant nationale qu'internationale ?
    A cette difficulté importante de forme s'ajoutent des problèmes de fond.
    Le terme « race » et les adjectifs qui en sont dérivés sont utilisés dans notre législation à la seule fin de mieux lutter contre le racisme. Vous ne l'avez pas dit. Tous les textes qui parlent de racisme ont été élaborés justement pour stigmatiser les comportements racistes et pour lutter contre les discriminations. On mesure ainsi la force de ce mot.
    En outre, comme l'a rappelé le président de la commission des lois, ce terme fait partie du sens commun. Si vous décidez de le supprimer, il faudra le remplacer. Mais par quel autre terme ? Vous proposez de substituer au mot « race » le mot « ethnie ». A mon avis, cela ne règlera rien du tout et risquera même de créer de nouvelles difficultés que nous ne sommes pas aujourd'hui en mesure d'apprécier véritablement. Qui peut en effet dire aujourd'hui avec précision si le remplacement du mot « race » et de ses adjectifs dérivés par le terme « ethnie » et ses adjectifs dérivés, lesquels seront difficiles à trouver, n'entraînera pas des complications d'ordre juridique ?
    Mme Muguette Jacquaint. L'argument est tiré par les cheveux !
    M. Jean-Paul Garraud. Les textes qui luttent contre le racisme sont des textes du droit pénal et du code des pocédures pénales. Or le droit pénal est d'interprétation stricte : le juge n'a pas la possibilité d'interpréter la loi pénale. Les mots ont leur sens juridique, qui doit être respecté à la lettre par le juge. Si vous supprimez le terme « race » et les adjectifs qui sont dérivés de la loi pénale, le risque, que vous n'imaginez sans doute pas encore, est que le juge ne soit plus en mesure de réprimer le racisme comme on doit le réprimer. Ce risque ne doit pas être négligé.
    Nous comprenons tous votre démarche, mais l'enfer est souvent pavé de bonnes intentions. Ce n'est pas forcément en cassant le thermomètre que l'on élimine la maladie !
    Il ne s'agit pas pour nous d'un débat sémantique, d'un débat de pure forme, d'un débat symbolique. Nous souhaitons être efficaces, pragmatiques, et faire en sorte que le racisme soit effectivement condamné.
    Au nom de mon groupe, je vous affirme qu'il faut conserver le mot « race », justement pour mieux lutter contre le racisme.
    M. Christian Vanneste. Très bien !
    M. Jean-Paul Garraud. C'est essentiel, car nous avons besoin de cet outil juridique.
    Nous sommes tous d'accord sur le fond et les objectifs, mais en aucune façon sur les moyens.
    Il est impossible d'aller dans votre sens, même si nous comprenons vos motifs. Car notre volonté première est de lutter efficacement contre le racisme. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire).
    Mme la présidente. La parole est à M. Vuilque.
    M. Philippe Vuilque. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, il nous est proposé d'examiner une proposition de loi déposée par Michel Vaxès et son groupe. Ce texte est court puisqu'il ne comporte que trois articles, et son importance juridique, et surtout symbolique, est inversement proportionnelle à sa longueur : il s'agit en effet de supprimer l'exécrable, l'inadapté mot « race » de l'ensemble des textes de notre législation.
    Nous avons à plusieurs reprises, les uns et les autres, demandé la suppression de ce mot. Tel a été le cas lors de la discussion de la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre les discriminations, que nous avons adoptée sous la législature précédente et dont j'ai eu l'honneur d'être co-auteur et rapporteur. Tel a encore été le cas lors du débat sur la décentralisation, où notre collègue Victorin Lurel a brillamment défendu un amendement visant à supprimer le mot « race » dans l'article 1er de notre Constitution. Le débat sur cet amendement a été riche et a montré combien il était nécessaire d'aborder à nouveau cette question à l'occasion d'un texte spécifique.
    Tout récemment encore, lors de l'examen du texte visant à aggraver les peines punissant les infractions à caractère raciste, antisémite ou xénophobe, présenté par M. Lellouche, j'ai personnellement, mais je n'étais pas le seul, souligné de nouveau la nécessité d'avancer en ce sens.
    A ce sujet, permettez-moi, madame la présidente, au nom du groupe socialiste, de vous faire part une nouvelle fois de notre indignation à la suite des propos inadmissibles tenus par M. Lellouche et selon lesquels « l'antisémitisme aurait contaminé la gauche modérée, y compris le parti socialiste ».
    Nous sommes indignés par de telles accusations ! Le parti socialiste a toujours été à la pointe de tous les combats contre le racisme, l'antisémitisme et les discriminations.
    Nous connaissons l'ego surdimensionné de M. Lellouche, son besoin d'exister politiquement et, surtout, médiatiquement. Mais ce n'est pas une raison pour raconter n'importe quoi !
    M. Christian Vanneste. Aucun rapport avec le débat d'aujourd'hui !
    M. Philippe Vuilque. M. Lellouche serait bien inspiré de nous faire des excuses publiques.
    Je reviens au texte qui nous est soumis, ce qui est tout de même beaucoup plus intéressant.
    La proposition de loi de M. Vaxès nous donne aujourd'hui l'occasion d'une nouvelle avancée. Le groupe socialiste avait d'ailleurs l'intention de déposer un texte allant dans le même sens. La suppression du mot « race » de notre législation nous semble en effet opportune car cette référence n'y a plus sa place, et surtout, sa réfutation biologique et scientifique a rendu son utilisation ambiguë, dangereuse et contraire à nos principes.
    L'introduction de la notion de race dans notre législation résulte de notre histoire. C'est le régime de Vichy qui l'a, si je puis dire, consacrée : on se souvient des trop célèbres « lois juives » qui ont érigé la « race » en catégorie juridique explicite. Le terme avait certes été utilisé dans le décret-loi du 21 avril 1939, dit « décret Marchandeau », dont le but était d'interdire la propagande antisémite qui sévissait à l'époque dans une certaine presse. Mais c'est bien le régime de Vichy qui l'a instrumentalisé et qui en a fait un concept porteur de droits discriminatoires.
    En réaction, les constituants de 1946 ont utilisé le mot « race » dans le Préambule de la Constitution pour justement mieux le marginaliser et mieux le combattre : « Le peuple français proclame à nouveau que tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés », texte repris dans la Constitution de 1958 à travers une référence au Préambule du texte de 1946.
    La Déclaration universelle des droits de l'homme du 10 décembre 1946 y fait également référence, dans son article 2, pour lutter contre toute forme de discrimination, de même que d'autres textes de portée internationale et toute notre législation répressive : la loi du 1er juillet 1972 relative à la lutte contre le racisme, celle du 6 juillet 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés et, plus récemment, la loi du 16 novembre 2001 relative à la lutte contre les discriminations et celle du 3 février 2003 visant à aggraver les peines punissant les infractions à caractère raciste, antisémite ou xénophobe.
    Notre législation emploie donc le mot race « à toutes les sauces », si je puis dire, peut-être par commodité, peut-être par paresse, afin d'éviter une réflexion sur sa réelle portée, et ce n'est pas la moindre contradiction de son utilisation. Notre législation est, de ce fait, aujourd'hui ambiguë, car elle repose explicitement sur un concept, la « race », qui n'a aucun sens concernant l'espèce humaine. Et cette ambiguïté est renforcée, car c'est justement un mot utilisé pour lui dénier toute portée.
    Scientifiquement - d'autres l'ont dit avant moi - le concept de race appliqué à l'espèce humaine est une ineptie. M. Vaxès, dans son excellent rapport, a utilement rappelé les travaux des François Jacob, d'Albert Jacquart, et de Jacques Ruffié, qui ont montré l'absence de tout fondement scientifique de ce concept fondé sur la différence et la hiérarchie des individus.
    La charte « Galilée 90 », signée par de nombreux scientifiques, dont l'actuel ministre de la santé, M. Mattei, et dont le but était la suppression du mot « race » de la Constitution expliquait : « La race, c'est une idée, laquelle, bien que fondée souvent, mais pas toujours, sur la continuité des apparences et des moeurs, renforce l'adversité entre les groupes sociaux et par conséquent leur cohésion. Cette idée - et donc le mot - entretient dans l'imaginaire des individus la force des préjugés. Le mot « race » a acquis d'autant plus de signification raciste qu'il a perdu de valeur scientifique. »
    Les signataires soulignaient qu'un fait scientifique établi ne pouvait évidemment pas, en vertu de cette seule qualité, constituer un principe de droit et fonder la loi. Mais, a contrario, la loi ne saurait être formulée en des termes qui sont des contrevérités ou en invoquant des concepts dont la validité a été scientifiquement réfutée. Or, tel est bien le cas du concept de race humaine. Le législateur a le devoir d'en tirer les conséquences.
    La suppression du mot « race » est d'une importance non seulement pédagogique, juridique, mais surtout symbolique. Vous l'avez d'ailleurs souligné, monsieur le président de la commission, ainsi que certains orateurs. Il serait souhaitable que nous partagions tous le même souhait de supprimer toute référence à cette notion dans notre législation. Or, si nous sommes unanimement d'accord philosophiquement, nous divergeons sur les conséquences juridiques d'une telle suppression et c'est cela qui pose problème. En ce qui nous concerne, nous considérons, en effet, qu'elle ne mettrait pas en péril l'efficacité de notre législation pénale visant à combattre le racisme.
    M. Jean-Paul Garraud. C'est toute l'erreur !
    M. Philippe Vuilque. Nous ne méconnaissons pas la difficulté, mais supprimer le mot, si on le remplace par un terme suffisamment explicite - notre rapporteur propose de remplacer les adjectifs dérivés du mot « race » par l'adjectif « ethnique » -,...
    M. Christian Vanneste. Erreur considérable !
    M. Philippe Vuilque. ... ne créerait pas de vide juridique, puisque le mot « race » figure dans le préambule de la Constitution de 1946, texte historique faisant partie du droit positif, ainsi que dans la Convention européenne des droits de l'homme. Cette référence, qui figure ainsi dans le texte fondamental, permet d'expliquer ce que l'on souhaite et d'éviter une interprétation anachronique.
    M. Jean-Paul Garraud. Si vous voulez la laisser dans la Constitution, il faut la laisser dans la loi !
    M. Philippe Vuilque. Même si nous supprimons le mot « race », nous pourrons ainsi continuer à condamner le racisme sous toutes ses formes. Ce n'est pas une querelle de juristes, c'est un débat, d'une portée symbolique forte ! Adopter cette proposition de loi serait une avancée importante.
    J'entends bien les arguments du président de la commission des lois, qui est d'accord sur la plan philosophique, mais considère que cette proposition aurait pour effet de faire disparaître un outil juridique permettant la répression des infractions à caractère raciste. Ces arguments ne nous paraissent pas pertinents. La majorité de la commission des lois a suivi la proposition de son président de ne pas examiner les articles. Si notre assemblée faisait de même, ce serait une occasion perdue. Pour lever vos craintes, monsieur le président, et pour éviter tout risque j'ai une proposition à vous faire, parce qu'il serait vraiement dommage d'en rester là. Créons, au sein de notre commission des lois, un groupe de travail chargé d'examiner de manière approfondie les conséquences juridiques d'une telle suppression ! (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Evaluons ses éventuels risques et ensuite prenons une décision !
    Il n'en reste pas moins qu'à quelques jours du 21 mars, journée nationale de lutte contre les discriminations et le racisme, l'adoption en première lecture de ce texte aurait été plus qu'un signe, un symbole fort permettant d'affirmer la volonté du législateur de mettre notre législation en conformité avec la réalité scientifique et biologique et de nous éviter de parler de « race » pour lutter contre le racisme. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. le président. La parole est à M. Yvan Lachaud.
    M. Yvan Lachaud. Madame la présidente, monsieur le ministre, chers collègues, les mots changent de sens. Le mot « race » n'a pas toujours été considéré comme un terme péjoratif. A une certaine époque, il apparaissait même comme une donnée d'observation évidente. Selon les lieux et les régions, il peut aussi revêtir des significations différentes.
    Comme le rappelait François Bayrou lors du débat sur le projet de loi constitutionnelle relatif à l'organisation décentralisée de la République, en béarnais, par exemple, ce mot n'a rien de péjoratif, bien au contraire : on se glorifie d'être « de bonne race », c'est-à-dire de bonne lignée. Néanmoins, le mot « race » a pris un sens tragique au xxe siècle, avec l'avènement de l'hitlérisme et d'autres idéologies racistes fondées sur la prétendue inégalité des races. Il a été introduit dans le droit français par la législation antisémite du régime de Vichy.
    Ce mot a donc laissé une marque au fer rouge chez beaucoup de nos compatriotes. Souvenir des tragédies passées, il est encore aujourd'hui porteur d'une forte connotation péjorative. Il est souvent utilisé pour stigmatiser certaines populations et véhiculer des préjugés liés à l'origine des individus.
    Ainsi, force est de constater que le mot « race » est aujourd'hui mal ressenti et vécu comme une agression par nombre de nos concitoyens. Beaucoup de jeunes ont le sentiment d'être exclus à cause de leur nom ou de leur couleur de peau. Ce sentiment de discrimination est au coeur des problèmes d'intégration que connaissent nombre de nos concitoyens, et notamment les jeunes des banlieues. Nous sommes très sensibles à cet aspect et il est important de tenir compte de cette sensibilité.
    Plusieurs collègues viennent de le dire, la lutte contre le racisme et les discriminations doit évidemment être au coeur de la politique d'intégration républicaine. Ainsi, notre discussion aurait mérité de s'inscrire dans un débat plus large, au lieu de se limiter à un ajustement technique de notre législation.
    Mme Janine Jambu. C'est un alibi !
    M. Yvan Lachaud. Derrière les questions sémantiques se cachent des enjeux beaucoup plus profonds qu'il convient de ne pas négliger. Au-delà de la portée symbolique évidente de la mesure, il convient d'en évaluer un peu mieux les effets potentiels. Personne dans cette assemblée ne nie aujourd'hui l'absence de fondement scientifique du concept de « race ». Nous comprenons bien ce que la consécration du terme « race » comme catégorie juridique peut comporter d'ambigu. Néanmoins, la suppression de ce mot de notre législation soulèverait d'autres problèmes.
    Tout d'abord, la question de fond que nous débattons aujourd'hui a déjà été évoquée lors du débat sur le projet de loi constitutionnelle relatif à l'organisation décentralisée de la République. L'amendement proposé par M. Lurel tendant à supprimer le mot « race » de notre Constitution avait alors été rejeté. Dans ce contexte, la suppression de ce mot de notre législation constituerait une réforme partielle et peu cohérente. Si tant est que l'on considère que la suppression du terme est susceptible d'avoir un impact positif sur les comportements et les préjugés, la proposition qui est faite aujourd'hui n'apporterait qu'une réponse partielle, donc insatisfaisante et inefficace.
    Par ailleurs, se pose la question du remplacement du mot « race » dans notre législation. La proposition qui est faite à l'article 3 consistant à lui substituer le terme « ethnie » mérite d'être débattue, puisque la portée et la signification exactes des deux termes, race et ethnie, ne font pas l'unanimité, loin s'en faut. On ne saurait considérer cette mesure à la légère et la traiter comme s'il s'agissait d'un simple ajustement dont la portée et les enjeux seraient clairs et entendus de tous.
    C'est la raison pour laquelle, après une longue discussion, les députés du groupe UDF s'abstiendront de voter cette proposition de loi qui, si elle s'inspire d'une bonne intention, ne pousse pas le débat à la mesure des enjeux de cette question.
    Mme la présidente. La parole est à M. Victorin Lurel.
    M. Victorin Lurel. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, comme l'ont dit certains collègues, j'avais proposé, lors de la discussion du projet de loi constitutionnel relatif à l'organisation décentralisée de la République, un amendement visant à supprimer le mot « race » de notre Constitution. SOS Racisme m'avait alors envoyé un courrier de soutien. Les députés communistes et l'UDF étaient aussi favorables à cette suppression. L'UMP était la seule à avoir voté contre et son argument principal était le même qu'aujourd'hui, à savoir le risque de régression juridique dans la lutte contre le racisme qu'engendrerait une telle suppression.
    Cet argument est totalement infondé à partir du moment où l'interdiction de différence selon la « race » continuerait de figurer dans le préambule de la Constitution de 1946, qui a la même valeur juridique que notre Constitution, ainsi que dans la Convention européenne des droits de l'homme.
    Je regrette sincèrement que vous n'ayez pas saisi cette occasion, car si tel avait été le cas il y aurait cohérence entre la Constitution et ce que nous proposons aujourd'hui. Je le regrette d'autant plus que le ministre de l'éducation nationale s'inquiète légitimement de la recrudescence des violences communautaires et ethniques à l'école, alors que M. Mattei est lui-même membre d'une association - Galilée 90 - dont l'unique objet est justement la suppression du terme « race » de notre loi fondamentale.
    En effet, l'urgence de la reconnaissance de l'inapplicabilité de ce terme est évidente. Les attentats du 11 septembre, les élections du 21 avril, les propos scandaleux d'un chef de gouvernement sur la supériorité d'une civilisation sur une autre à la veille d'une guerre en Irak, la banalisation du discours xénophobe, les agressions dues à la seule couleur de la peau ou au préjugé de couleur, tout cela exige non seulement une vigilance de tous les instants, mais également une action forte et exemplaire de notre part.
    A l'heure où la « peur de l'autre », l'assimilation maghrébins-musulmans-islamistes-terroristes font florès alors qu'un ministre du Gouvernement, M. Copé, pour ne pas le nommer, se félicitait, avant de s'excuser pour ce lapsus révélateur, de la « présence dans le Gouvernement de deux ministres musulmans », la République doit rappeler ses principes fondamentaux à vocation universelle : tous les hommes sont égaux, quelle que soit leur origine, la couleur de leur peau ou leur religion.
    Cette proposition tire donc la conséquence des conclusions quasi unanimes des scientifiques qui jugent totalement aberrante et dangereuse l'utilisation de ce terme à l'espèce humaine. L'inscription du terme « race » est inadmissible, même dans des « phrases qui ont pour objet de lui dénier toute portée ». C'est ce que disait Guy Carcassonne dans son ouvrage sur la Constitution de 1958. La Constitution et les lois qu'il est proposé de modifier reconnaissent en effet l'usage d'un terme dont l'application à l'espèce humaine est non seulement inopérante, mais surtout choquante et dangereuse. Il faut donc supprimer ce mot de notre droit positif. Le concept biologique de « race » n'est pas pertinent pour l'espèce humaine comme le reconnaît l'ensemble des scientifiques. Il est dangereux politiquement et juridiquement. Dangereux par son indétermination, il l'est également par son rôle de support idéologique. En raison de la classification et de la hiérarchisation qu'induit ce terme, son utilisation permet de présenter un ordre des valeurs justifiant, sur des bases prétendument scientifiques, l'inacceptable.
    En tant que républicain et « homme de couleur », je suis choqué par ce terme et je suis favorable à sa suppression de notre Constitution et de notre législation. Permettrez-moi une parenthèse historique. Quand ici même, le 26 août 1789, on a proclamé l'égalité des hommes - « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits » -, cela n'était valable que pour l'Europe, pour les « blancs », pour employer des catégories que nous n'aimons pas. Il a fallu le combat de Toussaint Louverture et ce qui s'est passé en Guadeloupe, avec Delgrès, en 1802, pour que la liberté et l'égalité s'appliquent aux esclaves et aux Noirs. Il a donc fallu un combat des hommes et des législateurs pour faire accepter ces principes et c'est ce même combat que nous conduisons aujourd'hui plus sereinement.
    Si supprimer le support ne supprime pas le discours, il lui ôte toute légitimité qu'il pourrait puiser dans notre droit positif. En effet, lorsque la loi interdit d'établir une distinction selon « la race », elle légitime paradoxalement, par simple raisonnement a contrario ou à rebours, l'opinion selon laquelle il existe des « races distinctes ». L'utilisation du terme race pour l'espèce humaine est, de plus, contraire à notre tradition constitutionnelle républicaine qui vise, depuis 1789, à nier le concept même de différence naturelle, différence par la naissance ou par la généalogie. L'apparition subreptice de ce terme dans le droit positif, puis dans la Constitution, est purement conjoncturelle et historiquement datée.
    On comprend aisément les raisons pour lesquelles deux parlementaires de « haute combustion », si je puis dire, Pierre Cot et Paul Ramadier, au lendemain de l'horreur de la Seconde Guerre mondiale, avaient amendé le préambule du projet de Constitution de 1946 lors des travaux de la commission constituante pour ajouter : « au lendemain de la victoire remportée par les peuples libres qui ont tenté d'asservir et de dégrader la personne humaine, le peuple français proclame à nouveau que tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés ». Oui, il convient de répéter cette belle phrase !
    Il convient de répéter cette belle phrase.
    On comprend beaucoup moins que le constituant de 1958 puis le législateur aient conservé ce terme alors même que celui d' « origine », plus objectif et général, permet d'interdire toute distinction ou discrimination selon la couleur de la peau, l'origine génétique, et que sais-je encore.
    La loi fondamentale de notre République et, à sa suite, de nombreuses dispositions législatives reconnaissent et, donc, fondent une notion, si ce n'est un concept, que la science récuse. On sait pourtant depuis un certain temps que notre humanité forme une seule espèce génétiquement polymorphe qui fait mentir toute conception typologique ou holotypique de l'espèce humaine.
    Il me semble opportun et absolument pertinent, puisque le Gouvernement et la majorité n'ont pas voulu saisir l'occasion de la révision constitutionnelle, de tenter de redonner une base à l'identité de notre République fondée sur le partage de valeurs communes.
    Au moment où ressurgit l'hydre du racisme et du fanatisme et où les « nouveaux réactionnaires » banalisent un discours justifiant les inégalités de tous types, il est sain et bon de raturer dans notre loi toute référence à une notion contraire à l'essence de la démocratie égalitaire.
    Je le répète, j'insiste, je le martèle : il est inadmissible de voir s'inscrire le mot « race » dans notre droit positif - quand bien même c'est pour dénier toute portée à ce mot. L'inscrire, c'est quelque part le reconnaître et c'est justifier, en creux, l'idée et l'idéologie, les actes et les actions qu'il peut générer. Nul ne l'ignore, le mot « race » a toujours servi de support aux barbaries ethno-nationalistes, aux abominations fondamentalistes, à l'extermination de populations et à la purification ethnique.
    Faire figurer le mot « race » dans une phrase qui promeut l'égalité sans discrimination et qui refuse toute forme de darwinisme social part d'un excellent principe, qui honore notre République. Mais hélas ! Comme on peut faire de mauvais romans avec de bons sentiments, on peut créer un corpus juridique fragile et douteux avec de bons principes et des idées généreuses.
    Utilisé indifféremment pour distinguer les groupes humains sur la base de caractères apparents tels que la couleur de la peau, la forme du visage, la texture des cheveux, ce terme s'applique tout autant aux différences culturelles et sociales pour établir une hiérarchie implicite ou explicite. Terme à connotations multiples, éminemment péjoratives, polysémiques, foisonnant, « ondoyant et divers », vecteur de férocité et d'inhumanités armées, il n'a pas sa place dans notre droit. Ce scandale sémiotique qui a gravement profané et compromis l'unité de l'espèce humaine doit être congédié !
    L'argument selon lequel la suppression de ce terme risquerait de faire régresser la lutte contre les discriminations doit être écarté. En effet, quand il figure dans certains textes, il est précédé ou suivi des mots : « origine, ethniques », qui sont plus objectifs et permettront toujours de sanctionner des actes ou propos racistes.
    Prenons un exemple précis : cette proposition de loi conduirait à la suppression du terme « race » de l'article 225-1 du code pénal, lequel définit les discriminations. Selon cet article essentiel de notre droit, une discrimination est « une distinction opérée entre les personnes physiques à raison (...) de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ».
    Une fois le terme « race » supprimé, la discrimination serait définie comme « une distinction opérée entre les personnes physiques à raison (...) de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, ou une religion déterminée ». Tout acte ou propos que l'on qualifie de raciste tomberait bien évidemment sous le coup de cet article et serait sanctionné comme ils le sont à l'heure actuelle.
    A supposer même que cette démonstration soit erronée, et je ne vois pas en quoi elle le serait, l'interdiction, dans des textes supralégislatifs, de discriminations fondées sur la « race » suffirait à sanctionner des actes racistes.
    A supposer, donc, que les arguments du Gouvernement et du président de la commission des lois soient juridiquement fondés, c'est-à-dire que la suppression de ce terme ferait tomber le dispositif répressif de notre législation, il suffirait de rappeler que tout juge peut et doit appliquer l'ensemble de notre droit au sommet duquel figure le bloc de constitutionnalité. Si la suppression de ce terme de la législation existante avait l'inconvénient de diminuer l'arsenal antiraciste de notre droit, il suffirait d'invoquer le bloc de constitutionnalité qui est supérieur aux lois que nous proposons de modifier. En effet, depuis la décision du Conseil constitutionnel de 1971 relative à la liberté d'association, ce n'est pas seulement la Constitution de 1958, mais également son Préambule, donc celui de la Constitution de 1946 et la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qui figurent au sommet de notre système juridique - auquel il conviendrait d'ajouter la CEDH.
    M. Christian Vanneste. C'est complètement contradictoire !
    M. Victorin Lurel. Pas du tout !
    Enfin, on peut aller jusqu'à dire que le maintien de ce terme dans notre législation est dangereux.
    En effet, le risque juridique existe qu'une personne poursuivie sous cette incrimination arguë de l'inapplicabilité du terme « race » à l'espèce humaine - inapplicabilité que nous reconnaissons tous - et conteste la définition du délit ou du crime pour lequel il est poursuivi. Les débats qui ont eu lieu en séance publique quand j'avais proposé la suppression de ce mot de notre législation, ou qui ont eu lieu en commission sur cette proposition de loi l'ont démontré : il n'est pas inenvisageable qu'un juge reconnaisse que cette incrimination est fondée sur un concept qui n'existe pas, donc que l'incrimination elle-même n'est pas définie juridiquement.
    M. Alain Bocquet. Tout à fait !
    M. Victorin Lurel. Contrairement aux arguments que vous avancez, c'est donc le maintien de ce terme dans notre droit positif qui pourrait constituer une régression de la lutte contre le racisme.
    Telles sont les raisons pour lesquelles le groupe socialiste soutient la proposition de loi de notre collègue.
    J'emprunterai ma conclusion à Guy Baret, journaliste au Figaro...
    M. Christian Vanneste. Bonne lecture !
    M. Victorin Lurel. ... qui, malgré son opposition à cette proposition de loi, reconnaît que « n'existant ni philosophiquement ni scientifiquement, la race devient un pur concept judiciaire n'ayant aucune réalité ailleurs que dans le prétoire. »
    M. Alain Bocquet. Eh oui !
    M. Victorin Lurel. Cette schizophrénie juridique doit être bannie. Nous ne devons être tenus par aucun fétichisme sémantique d'un autre âge. Les députés socialistes voteront cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    Mme la présidente. La parole est à M. Christian Vanneste.
    M. Christian Vanneste. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, l'enfer est pavé de bonnes intentions, comme notre collègue Garraud le disait avec justesse tout à l'heure. Ce proverbe pourrait résumer la contradiction entre la motivation de votre proposition et sa conséquence.
    La motivation est claire : vous voulez exclure le mot « race » de notre législation, parce que ce mot vous fait horreur.
    M. Alain Bocquet. Non, parce qu'il n'est pas fondé !
    M. Christian Vanneste. L'utilisation idéologique qui en a été faite par le pire des totalitarismes, le nazisme, permet à chacun de vous comprendre. Mais sans doute est-ce la pire façon de combattre un crime que de ne pas le nommer ou de jeter un voile pudique sur son mobile réel ou imaginaire.
    Mme Janine Jambu. Ça, c'est de la théorie !
    M. Christian Vanneste. En fait, votre proposition de loi repose sur une triple erreur.
    Première erreur : vous voulez exclure le mot « race » de notre législation parce qu'il ne serait pas scientifique. C'est une bien curieuse conception que de subordonner la loi à la vérité scientifique. La première est l'expression de notre liberté, elle est le choix de la volonté générale, elle découle du contrat social, elle prend sa source dans des valeurs de plus en plus universellement admises sur le plan philosophique. La vérité scientifique, elle, se constate, s'impose. Une société qui chercherait à s'y soumettre ne serait pas une démocratie, mais serait Le Meilleur des mondes d'Aldous Huxley. Je vous laisse explorer votre inconscient idéologique pour voir les rapports qu'il pourrait nourrir avec cet ouvrage (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. Alain Bocquet. Oh ! Monsieur Vanneste !
    M. Christian Vanneste. Le mot « race » ne nous intéresse que dans la mesure où il est lié au problème de l'inégalité et de l'égalité.
    Il est tout à fait possible que la science, la biologie, fournissent d'autres arguments beaucoup plus solides que la race en faveur de l'inégalité. La génétique n'attribue pas la même espérance de vie aux individus ni les mêmes handicaps. Mais précisément, cet exemple montre que le droit n'a pas à obéir à la science. Son but est de respecter des valeurs, celle de l'égalité en l'occurrence, et de mettre en oeuvre un cadre pour y parvenir. Lorsque la science souligne les inégalités, le droit doit, au contraire, les combattre et au moins créer un cadre qui les atténue.
    Par ailleurs, ce n'est pas tant le concept de « race » qui n'est pas scientifique que la théorie dans laquelle il s'intègre : le racisme. J'ai relu avec plaisir un ouvrage qui date un peu : Le Racisme devant la science, cosigné notamment par Claude Lévi-Strauss, Michel Leiris et un biologiste, M. Dunn, qui écrit clairement : « Bien qu'il soit difficile de délimiter ce qu'il faut entendre par "race, la formation des races n'en est pas moins un important processus de l'évolution de l'homme et, en tant que telle, elle doit être définie et expliquée. Il semble donc préférable de définir ce terme, d'expliquer comment il faut l'employer et de le dégager ainsi de ses acceptions erronées, plutôt que de l'écarter purement et simplement, renonçant ainsi à résoudre le problème. » Je vous rappelle que cet ouvrage était une arme contre le racisme, et que cette arme était produite par l'UNESCO.
    Chacun sait, bien sûr, qu'est absurde la théorie de Gobineau suivant laquelle des caractères héréditaires de groupe comme la couleur de la peau induisent des inégalités culturelles. Mais vous, vous voulez à la fois dénoncer la théorie et nous interdire d'employer le concept sur lequel elle s'appuie. Pourquoi ? Tout simplement, et c'est là votre seconde erreur, parce que vous méconnaissez la part de subjectivité qu'il y a dans le débat. La race, comme la nation, comme la religion, sont des notions non scientifiques, en partie objectives et en partie subjectives. Les différences physiques, facilement repérables, sont objectives et font précisément la force du préjugé raciste qui, lui, est subjectif. Mais comment définir la religion ? Où finit celle-ci ? Où commence la secte ? C'est une question plus subjective qu'il n'y paraît, puisqu'un habitant de Salt Lake City n'aura sans doute pas la même réponse que celui de Rome ou celui de La Mecque. Je n'ajouterai rien, bien sûr, sur la nation corse.
    M. Emile Zuccarelli. Le « peuple » corse !
    M. Christian Vanneste. Ce sont des questions qui se débattent. La réalité, c'est que les uns et les autres, ici, d'accord pour dire que si les appartenances religieuses ou nationales ont fondé des discriminations, ...
    M. Victorin Lurel. Le débat était de bonne qualité, et vous le dégradez !
    M. Christian Vanneste. ... la religion ou la nation peuvent aussi être des valeurs positives inscrites dans notre droit. Ce qui n'est pas le cas de la race.
    La distinction que vous faites entre la race, d'une part et la religion et la nation, d'autre part, est infondée, puisque les textes que vous citez n'utilisent ces concepts que pour dénoncer leur utilisation à des fins de ségrégation. Cette confusion est évidente dans votre exposé des motifs où vous citez l'un après l'autre deux textes qui utilisent le mot « race » dans des buts contradictoires : le premier est le décret-loi Marchandeau qui réprimait la diffamation raciale ; le second est une loi raciste de la dictature - et j'emploie volontiers le mot - pétainiste. Dans le premier cas, il s'agit de condamner le racisme ; dans le second, il s'agit de le justifier. C'est cela qui fait toute la différence. Or, dans notre législation actuelle, ne subsiste que le premier usage : celui qui condamne. Le second a été éradiqué à juste titre, et nous en sommes tous fiers.
    La nation, bien sûr, doit être maintenue comme valeur de la République mais elle doit être dénoncée lorsqu'elle sert d'argument aux préjugés et à l'exclusion. C'est là et, non dans le caractère scientifique des termes, que réside toute la différence. A ce titre, il serait particulièrement inopportun de substituer le terme « ethnie » au mot « race ». En effet, cher collègue Vaxès, ce terme est un concept scientifique, fondamental pour l'ethnologie. Utiliser ce terme, qui doit recouvrir une notion précise, au nom du « politiquement correct », aurait pour but de le polluer ce terme qui doit recouvrir une notion précise. Nous risquerions de lui associer un jugement de valeur qui existe à l'évidence dans le terme « race », puisque c'est pour le dénoncer.
    Rendons à César ce qui lui appartient. Tout ce débat doit beaucoup à l'un des fondateurs de l'ethnologie, Claude Lévi-Strauss, qui soulignait le risque de voir les préjugés racistes à peine déracinés de leur base biologique se reformer sur un autre terrain. Ce serait la conséquence du remplacement du mot « race » par le mot « ethnie ». La diversité des cultures humaines est un fait qui se constate à travers l'étude des ethnies. L'inégalité des races est un préjugé qui se combat. Il faut éviter absolument toute confusion, ne serait-ce que de vocabulaire, entre les deux.
    Mais il y a plus grave. C'est votre troisième erreur et cette fois, c'est une faute. (Protestations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    Vous semblez oublier complètement que le préjugé raciste, pour non scientifique qu'il soit, pour subjectif qu'il soit, est aussi celui qui, au siècle dernier, a atteint le mal absolu : il a tué des femmes, des hommes, des enfants, au nom de la race, c'est-à-dire simplement parce qu'ils étaient nés. Aucun autre mot que « race » ne recouvre cette réalité. On peut changer de religion, on peut être binational, on peut passer d'un groupe ethnique à un autre, seule la race nous condamne à être définitivement ce que nous sommes dans l'esprit de celui qui condamne. C'est justement parce que ce préjugé est celui d'un bourreau implacable, que le terme qui le désigne doit être gardé pour mieux marquer le respect que nous devons à ceux qui en ont été victimes.
    Les morts d'Auschwitz pouvaient ne pas être de confession juive, ils pouvaient avoir un comportement culturel propre à leur pays d'origine - lisez Elie Wiesel. C'est bien leur ascendance naturelle qui était en cause dans l'esprit du nazi, et c'est cela que l'on appelle la race et que l'on doit conserver dans nos textes pour mieux en dénoncer définitivement l'horreur - je dis bien « définitivement ».
    Contrairement à ce que disait le président de la commission tout à l'heure, je ne pense pas que vous ayez raison dans quelques années : vous avez définitivement tort, parce que ce mot doit rester une blessure dans l'histoire de l'humanité (Protestations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains) et doit être dénoncé comme telle non seulement au niveau de la Constitution, au niveau de nos textes fondamentaux, mais partout là où nous le pouvons. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Jean-Claude Sandrier. Quelle prétention !
    M. Alain Bocquet. Quel bel humanisme !
    M. André Chassaigne. C'est très ambigu comme discours.
    M. Victorin Lurel. C'est même limite !
    Mme la présidente. La discussion générale est close.
    La parole est à M. le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.
    M. Michel Vaxès, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. Commençons par la question soulevée par M. Garraud, qui a dit que nous étions tous d'accord sur le fond. Eh bien non, nous ne sommes pas tous d'accord sur le fond. De même que nous ne sommes pas tous d'accord avec l'appréciation de notre président selon laquelle le droit serait à distinguer de la politique. Si tel était le cas, pourquoi, lorsqu'on veut écrire le droit de ce côté-ci, on trouve des obstacles de ce côté-là, et inversement ? C'est que l'obstacle n'est pas juridique. Il est politique.
    Mme Janine Jambu et M. Alain Bocquet. Absolument !
    M. Michel Vaxès, rapporteur. Faire le droit, c'est faire de la politique. Passons au fond. Il me semble nécessaire de rappeler certaines définitions, après tout ce que je viens d'entendre. Celle que le Petit Larousse donne du mot « race » est la suivante : « Catégorie de classement biologique et de hiérarchisation des divers groupes humains scientifiquement aberrante, dont l'emploi est au fondement des divers racismes et de leurs pratiques. » C'est ce qui est écrit dans notre droit lorsqu'on utilise le mot race.
    M. Christian Vanneste. Nous sommes d'accord !
    M. Michel Vaxès, rapporteur. Et celle du mot « ethnie » est la suivante : « Ce qui fonde des distinctions entre des populations, non pas sur des critères génétiques mais sur des spécificités sociales, historiques. Il est fait référence à des caractères de civilisation, de langue, de culture, à des particularismes alimentaires, sociaux ou de croyance ». Est-ce que ce mot permet aujourd'hui de qualifier l'attitude ou le comportement raciste ? Oui !
    M. Christian Vanneste. Non !
    M. Michel Vaxès, rapporteur. Il faudra que vous nous expliquiez tout à l'heure, selon ce que deviendra ce texte, pourquoi le législateur a laissé subsister depuis 1983, c'est-à-dire pendant dix-huit ans, dans la loi sur les droits des fonctionnaires, une expression visant à condamner les discriminations sans avoir recours au mot « race ». Aurait-il fait preuve de cécité ?
    M. Christian Vanneste. C'est une erreur !
    M. Michel Vaxès, rapporteur. Aucun juriste n'a eu à en souffrir.
    Les arguments utilisés sont toujours les mêmes. Ainsi, il a été fait référence, une fois de plus, à la Constitution de 1946. Or je rappelle à notre éminent juriste M. Garraud que le préambule de la Constitution de 1946 est intouchable.
    M. Jean-Paul Garraud. Bien sûr, d'où le problème !
    M. Michel Vaxès, rapporteur. Mais, monsieur Garraud, dans un souci de cohérence, je suis prêt à déposer une proposition de loi constitutionnelle et notre groupe, j'en suis convaincu, sera d'accord pour que vous en soyez cosignataire. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. Alain Bocquet. Quelle excellente proposition !
    M. Michel Vaxès, rapporteur. Dans la discussion générale, comme lors du débat en commission, les mêmes objections à la proposition de suppression du mot « race » de notre lexique législatif sont revenues. Selon certains de nos collègues, ce mot serait un outil juridique irremplaçable. Il trouverait sa légitimation dans l'utilisation qu'en font les textes internationaux, la Constitution et surtout dans le fait qu'il serait plus facilement appréhendé par le plus grand nombre.
    Or accepter ces objections conduirait le législateur à préconiser l'utilisation de la langue du préjugé au motif que celle-là seule serait intelligible par tous.
    M. Christian Vanneste. Pour le dénoncer !
    M. Michel Vaxès, rapporteur. Ce serait, au-delà d'un singulier mépris pour nos concitoyens, une bien curieuse façon de lutter contre l'ignorance et l'obscurantisme et ce serait surtout s'entêter à ne pas vouloir prendre la juste mesure des dérives auxquelles cette cécité persistante nous a déjà conduits et peut continuer de nous conduire.
    Pour vous, c'est supprimer le mot « race » de notre lexique législatif qui présenterait le plus de risque mais vous n'apportez aucune preuve de ce que vous avancez. Moi, j'affirme le contraire et je donne des éléments qui justifient mon appréciation. Je retiendrai deux exemples parmi tant d'autres. L'un est emprunté à un règlement du service militaire datant de la fin des années cinquante ; l'autre, à un dictionnaire en vente aujourd'hui dans nos librairies, car il y a autant de définitions que de dictionnaires. Je l'ai vérifié et je vous invite à vous livrer à cet exercice qui est très instructif.
    Dans le règlement du service de l'armée, au chapitre précisant les missions du colonel, on trouve la phrase suivante : « Le colonel [...] indique les moyens les plus propres à développer le patriotisme : fortifier l'amour de la patrie et le sens de la supériorité de la race... » Et il ne s'agit pas, mes chers collègues, d'un règlement concernant l'armée allemande au temps du nazisme. Il s'agit bel et bien de l'armée française et ce document a été imprimé en 1957, onze ans après l'écriture du préambule de la Constitution de 1946 et un an avant celle de 1958.
    Je ne sais pas si ce document figure encore dans les bibliothèque des armées.
    Un député du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. En tout état de cause, ce n'est pas une loi !
    M. Michel Vaxès, rapporteur. Mais qu'une telle phrase ait pu être écrite et approuvée par plusieurs ministres et chefs d'état-major illustre combien il peut apparaître naturel de définir une « race française » et de glorifier sa valeur par rapport à « d'autres races », lorsque le législateur lui-même, et sans doute malgré lui - il ne s'agit pas de faire des procès d'intention -, rechigne à supprimer le mot de son lexique législatif et laisse ainsi ouverte la porte à toutes les dérives.
    Mon second exemple est plus actuel. Je l'ai trouvé dans le dictionnaire de la langue française, Lexis, édité en 1993, chez Larousse et qui est toujours en vente dans nos librairies. Voici la définition qu'il donne du mot « race » : « Groupe d'individus se distinguant des autres par un ensemble de caractères biologiques, psychologiques ou sociaux, qui se transmettent par hérédité ». Nos enfants apprendront une telle définition et notre droit n'interpellera pas les auteurs de cette aberration diffusée probablement par millions d'exemplaires. Voilà à quoi conduit la définition biologisante du terme « race » !
    M. Christian Vanneste. Non !
    M. Alain Bocquet. C'est très grave !
    M. Michel Vaxès, rapporteur. Que l'on puisse nier, après ces deux exemples, les dérives auxquelles conduit, dans les institutions militaires et dans l'enseignement, l'utilisation d'un concept dénué de tout fondement me stupéfait et renforce encore ma conviction qu'il appartient au législateur de donner l'exemple en bannissant de son vocabulaire ce concept dangereux.
    M. Alain Bocquet. Tout à fait !
    M. Michel Vaxès, rapporteur. Par ailleurs, et comme l'a rappelé Victorin Lurel, dans nos textes, le mot « race » n'apparaît jamais seul. Jugeons-en, par exemple, à partir de l'article 225-1 du code pénal qui définit ainsi les discriminations : « Constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques, à raison de leur origine [...], de leur appartenance, vraie ou supposée, à une éthnie, une nation, une race ou religion déterminée ». Si nous supprimons ici le mot « race », il est évident, à tous les gens de bonne foi, à tous les juristes de bonne foi, que la qualification juridique de la discrimination fondée sur des sentiments racistes demeure.
    M. Émile Zuccarelli. Très bien !
    M. Michel Vaxès, rapporteur. Mais si nous le maintenons, qu'ajoute-il de plus, sinon sa signification anthropologique du ixe siècle ?
    Je ne reviendrai pas sur la loi de 1983 sur les droits des fonctionnaires.
    Enfin, lorsque le nouveau racisme, qui s'élabore et s'étend, en appelle surtout à la différence ethno-culturelle, pourquoi vouloir à tout prix pérenniser l'acception biologisante ? Je laisse un scientifique américain, internationnalement reconnu...
    M. Pascal Clément, président de la commission. Vous avez de bonnes références ! (Sourires.)
    M. Michel Vaxès, rapporteur. Eh oui, on trouve de bonnes références, y compris de l'autre coté de l'Atlantique, monsieur le président !
    Je laisse donc un scientifique américain internationalement reconnu avancer son explication après qu'il eut dénoncé l'une des plus récentes tentatives chez certains scientifiques de justifier la hiérarchisation naturelle des groupes humains.
    En 1994, Richard Herrnstein et Charles Murray publiaient un livre : The Bell Curve. Ils y exprimaient une nouvelle fois ces thèses d'apparition périodiques si chères aux Américains pour justifier les inégalités culturelles et sociales par l'invocation des prétendus diktats de la biologie.
    Stephen Jay Gould, dans un livre intitulé La Mal mesure de l'homme relate qu'il ne fallait pas s'étonner que la publication de The Bell Curve ait coïncidé « avec une période de restriction des dépenses sociales sans précédent aux Etats-Unis, l'arrêt de toutes les subventions en faveur des arts, la réduction d'impôt pour les riches, et que le retour périodique des thèses du déterminisme biologique recouvrait les périodes de récessions économiques et de repli politique ».
    M. Victorin Lurel. Exact !
    M. Michel Vaxès, rapporteur. Il ajoutait qu'ainsi le déterminisme biologique devenait une arme sociale.
    Il rappelait plus loin que « la période d'activité maximale des scientifiques qui ont soutenu ces thèses a correspondu aux années qui ont suivi la Première Guerre mondiale : ce fut l'époque des restrictions imposées à l'immigration, de l'imposition de quotas concernant les juifs, de l'exécution de Sacco et Vanzetti, de la flambée des lynchages dans les Etats du Sud des Etats-Unis. »
    Pourquoi ? Pour en trouver la raison, je vous invite, mes chers collègues, à méditer cette phrase de Darwin : « Grande est notre faute si la misère de nos pauvres découle non pas des lois naturelles mais de nos institutions. »
    Mme Janine Jambu. C'est vrai !
    M. Michel Vaxès, rapporteur. Posant cette question, j'interroge votre inconscient psychologique, monsieur Vanneste. (Sourires.)
    M. Patrick Braouezec. Retour à l'envoyeur !
    M. Michel Vaxès, rapporteur. Et si la difficulté du législateur à bannir de son vocabulaire ces notions, que la science a depuis longtemps répudiées, avait à voir avec le lien entre le biodéterminisme et les inégalités sociales ?
    M. Alain Bocquet. Très bien !
    M. Michel Vaxès, rapporteur, L'invitation à approfondir la réflexion à partir de cette interrogation serait pour moi la conclusion d'un débat inachevé. Ce débat ne fait que commencer et il devra aller à son terme pour que ne souffre plus la France de la Déclaration universelle des droits de l'homme et du citoyen, la France des Lumières, la France des conquêtes sociales et des avancées démocratiques, la France de Jaurès pour qui « la vérité est toujours bonne à dire » mais qui a tant de mal à être reconnue et admise. Vous nous en faites une nouvelle démonstration.
    Il est encore possible que, par son vote, notre assemblée décide de ne pas suivre l'avis de la commission des lois et de passer à la discussion des articles pour nous permettre de mettre en conformité notre législation avec le bon usage des mots, comme y invitait déjà Diderot qui réclamait pour la nation un dictionnaire débarrassé des fausses acceptions.
    Oui, mes chers collègues, la représentation nationale s'honorerait à supprimer de notre vocabulaire juridique un concept impropre et dangereux. Elle exprimerait ainsi sa détermination à combattre l'obscurantisme et ses conséquences sur des femmes et des hommes toutes et tous différents, mais toutes et tous semblables, parce qu'appartenant toutes et tous à une même et grande famille humaine. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)

Vote sur le passage à la discussion des articles

    Mme la présidente. La commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République n'ayant pas présenté de conclusions, l'Assemblée, conformément à l'article 94, alinéa 3, du règlement, est appelée à statuer sur le passage à la discussion des articles du texte initial de la proposition de loi.
    Conformément aux dispositions du même article du règlement, si l'Assemblée vote contre le passage à la discussion des articles, la proposition de loi ne sera pas adoptée.
    Je ne suis saisie d'aucune demande d'explication de vote.
    Je mets aux voix le passage à la discussion des articles.
    L'assemblée ayant décidé de ne pas passer à la discussion des articles, la proposition de loi n'est pas adoptée.

2

RAPPEL AU RÈGLEMENT

    M. Alain Bocquet. Je demande la parole pour un rappel au règlement.
    Mme la présidente. La parole est à M. Alain Bocquet, pour un rappel du règlement.
    M. Alain Bocquet. Mardi dernier et aujourd'hui, deux propositions de loi du groupe des député-e-s communistes et républicains ont été présentées, la première sur le droit à la retraite pleine et entière pour tous ceux qui, sans avoir atteint soixante ans, ont cotisé quarante annuités, la seconde sur la suppression du mot « race » dans notre législation. Or, à deux reprises, respectivement au titre de l'article 40 de la Constitution puis, ce matin, de l'article 94, alinéa 3, de notre règlement, la discussion n'a pu se poursuivre jusqu'à l'examen des articles. Et cette situation est inacceptable. Chacun, en effet, aurait dû avoir la possibilité de se déterminer à partir de la discussion des articles et des amendements.
    Force est de constater que le débat sur les propositions de loi examinées dans le cadre des « niches » parlementaires ne va pas jusqu'à son terme. C'est anormal et je tenais à le signaler.
    Les mêmes situations se reproduisent, quelles que soient les majorités. Je m'aperçois que les critiques formulées par l'opposition d'hier peuvent être renvoyées à la majorité d'aujourd'hui. Or si l'on veut approfondir des thèmes qui ne relèvent pas de la politique politicienne, il faut changer d'état d'esprit.
    Il est tout à fait regrettable que la discussion sur les deux propositions de loi communistes n'ai pu se poursuivre jusqu'à son terme.
    M. Patrick Braouezec. On aurait pu au moins nous laisser en débattre !
    M. Alain Bocquet. Il aurait été bon que la représentation nationale puisse se prononcer clairement sur ces importants sujets de société. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)
    Mme la présidente. Je prends acte, monsieur Bocquet, de votre remarque. Notez simplement que le règlement a été respecté dans les deux cas.
    La parole est à M. le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. Monsieur le président Bocquet, cette discussion pourra être reprise bientôt, dans le cadre de la modification de notre règlement.
    Sur le fond, je ne partage pas votre point de vue. S'agissant de la proposition de loi dont nous débattons ce matin, nous avons tous dit que nous étions d'accord sur sa philosophie, sur sa finalité pédagogique, mais que, en termes juridiques, le dispositif n'était pas transposable en droit. Or les articles visaient précisément à transposer en droit les considérations que nous exposons depuis maintenant deux heures.
    M. Alain Bocquet. Laissez-nous discuter des articles, nous verrons ce qu'il en est !
    M. Pascal Clément, président de la commission. S'il s'agissait de rester deux heures de plus en séance, je vous donne raison. Mais s'il était question de convaincre l'Assemblée de changer d'avis, je ne peux vous suivre. Hier, déjà, le groupe socialiste qui, dans cette affaire, a évolué, avait été conduit à la même constatation que nous. Si philosophiquement nous sommes tous d'accord, le dispositif proposé est juridiquement impossible à transposer.
    M. Patrick Braouezec. C'est une affirmation gratuite !
    M. Pascal Clément, président de la commission. Dès lors qu'on a débattu au fond sur la philosophie d'un texte, passer à la discussion des amendements, qui ne vise qu'à décliner ce qui a déjà été tranché, n'apporterait rien de plus. Cela risque simplement de faire fuir nos collègues de l'hémicycle, qui considéreront que tout a été dit.
    Cela étant, monsieur le président Bocquet, vous pourrez présenter votre demande dans le cadre de la modification de notre règlement. J'estime pour ma part que faire durer les débats ne fait pas forcément avancer la réflexion. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

3

MODIFICATION DE L'ORDRE DU JOUR
PRIORITAIRE

    Mme la présidente. J'ai reçu de M. le secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement la lettre suivante :

    « Paris, le 13 mars 2003

    « Monsieur le président,
    « J'ai l'honneur de vous informer qu'en application de l'article 48 de la Constitution, le Gouvernement demande de retirer de l'ordre du jour du jeudi 13 mars, la proposition de résolution sur la création d'un procureur européen.
    « Je vous prie d'agréer, monsieur le président, l'expression de mes sentiments les meilleurs. »
    L'ordre du jour prioritaire est ainsi modifié.

4

ORDRE DU JOUR DES PROCHAINES SÉANCES

    Mme la présidente. Cet après-midi, à quinze heures, deuxième séance publique :
    Suite de la discussion de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, n° 642, portant modification de la loi n° 2001-647 du 20 juillet 2001 relative à la prise en charge de la perte d'autonomie des personnes âgées et à l'allocation personnalisée d'autonomie :
    M. Georges Colombier, rapporteur au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales (rapport n° 685).
    A vingt et une heures, troisième séance publique.
    Suite de l'ordre du jour de la deuxième séance.
    La séance est levée.
    (La séance est levée à onze heures cinq.)

Le Directeur du service du compte rendu intégralde l'Assemblée nationale,
JEAN PINCHOT