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ASSEMBLÉE NATIONALE
DÉBATS PARLEMENTAIRES


JOURNAL OFFICIEL DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE DU JEUDI 20 MARS 2003

COMPTE RENDU INTÉGRAL
1re séance du mercredi 19 mars 2003


SOMMAIRE
PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LOUIS DEBRÉ

1.  Questions au Gouvernement «...».

LAÏCITÉ DANS L'ENSEIGNEMENT «...»

MM. Jacques Myard, Luc Ferry, ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche.

POLITIQUE POUR L'OUTRE-MER «...»

MM. Victorin Lurel, Jean-François Copé, secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement, porte-parole du Gouvernement.

PRÉPARATION DU BUDGET DE 2004 «...»

MM. Nicolas Perruchot, Alain Lambert, ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire.

MOUVEMENTS SOCIAUX «...»

MM. Gilbert Biessy, François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité.

PRÊTS À TAUX BONIFIÉS DANS L'AGRICULTURE «...»

MM. Jean-Claude Mathis, Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales.

POLITIQUE POUR L'EMPLOI «...»

Mme Nadine Morano, M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité.

CONFÉRENCE NATIONALE SUR L'EMPLOI «...»

MM. Gérard Bapt, François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité.

APPROVISIONNEMENT DE LA FRANCE EN PÉTROLE «...»

M. Serge Poignant, Mme Nicole Fontaine, ministre déléguée à l'industrie.

SIMPLIFICATION DE L'ADMINISTRATION «...»

MM. Paul-Henri Cugnenc, Henri Plagnol, secrétaire d'Etat à la réforme de l'Etat.

RÉFUGIÉS KURDES «...»

MM. Tony Dreyfus, Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.

SNCF «...»

MM. Manuel Aeschlimann, Dominique Bussereau, secrétaire d'Etat aux transports et à la mer.

PNEUMOPATHIE «...»

Mme Claude Greff, M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées.

POLITIQUE EXTÉRIEURE EUROPÉENNE «...»

MM. Philippe de Villiers, Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre.

Suspension et reprise de la séance «...»
PRÉSIDENCE DE M. FRANÇOIS BAROIN

2.  Lutte contra la violence routière. Discussion d'un projet de loi «...».
M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer.
M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Richard Dell'Agnola, rapporteur de la commission des lois.

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ «...»

Exception d'irrecevabilité de M. Jean-Mard Ayrault : MM. Jacques Floch, le garde des sceaux, Christian Estrosi, Gilles Artigues, Jacques Floch - Rejet.
M. René Dosière.

Suspension et reprise de la séance «...»
DISCUSSION GÉNÉRALE «...»

M.
Gilles Artigues,
Mme
Janine Jambu,
MM.
Hervé Mariton,
René Dosière,
Rudy Salles,
Jean-Claude Viollet,
Jean-Michel Bertrand,
Jérôme Lambert,
Lionnel Luca,
Christophe Masse.
Renvoi de la suite de la discussion à la prochaine séance.
3.  Saisine du Conseil constitutionnel «...».
4.  Ordre du jour de la prochaine séance «...».

COMPTE RENDU INTÉGRAL
PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LOUIS DEBRÉ

    M. le président. La séance est ouverte.
    (La séance est ouverte à quinze heures.)

1

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

    M. le président. L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.
    Nous commençons par une question du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.

LAÏCITÉ DANS L'ENSEIGNEMENT

    M. le président. La parole est à M. Jacques Myard.
    Ne vous pressez pas pour gagner votre place, mon cher collègue : nous avons notre temps...
    M. Jacques Myard. Je vous prie de bien vouloir m'excuser, monsieur le président, mais à ma montre, il était moins une.
    M. le président. Je me permets de vous conseiller de vérifier si elle est à l'heure.
    M. Jacques Myard. Ma question s'adresse au ministre de l'éducation nationale, mais elle nous concerne tous.
    La loi du 9 décembre 1905 a proclamé la séparation de l'Eglise et de l'Etat, et c'est sur ses fondements qu'a été institué le principe de laïcité, qui a permis de tempérer les relations entre les religions et d'instaurer un grand climat de tolérance entre ce qui relève du domaine privé, la religion, et du domaine institutionnel.
    Or, depuis quelques mois, sur la base d'une forme de communautarisme, nous constatons une certaine dérive. Du fait d'attaques ayant des relents de racisme, voire d'antisémitisme, et de l'expression d'un prosélytisme religieux, il règne en effet parfois un climat d'intolérance dans les écoles publiques. De surcroît, il semblerait, selon mes informations, que certaines écoles sous contrat, et notamment des écoles confessionnelles, n'acceptent que les enfants d'une religion déterminée.
    M. Maxime Gremetz. Alors que ces écoles bénéficient pourtant de fonds publics !
    M. Jacques Myard. Monsieur le ministre, quelles mesures comptez-vous prendre pour soutenir les professeurs qui n'acceptent pas ce prosélytisme religieux exprimé notamment par des signes ostentatoires ?
    M. Christian Bataille. Tarfuffe !
    Un député du groupe socialiste. De quelle religion parlez-vous ?
    M. Jacques Myard. Ne pensez-vous pas qu'il sera, tôt ou tard, utile de demander au Parlement de réaffirmer solennellement, à travers une nouvelle loi, le principe de laïcité ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Christian Bataille. Non !
    M. le président. Monsieur Bataille, ne profitez pas du début de cette séance pour vous manifester trop bruyamment !
    M. Maxime Gremetz. M. Bataille défend les fonds publics !
    M. le président. La parole est à M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche.
    M. Luc Ferry, ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche. Monsieur le député, comme vous, je suis préoccupé par la situation que connaissent divers établissements et par le développement des communautarismes,...
    M. Christian Bataille. Tartuffe de l'école privée !
    Monsieur le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche. ... qui entraîne la montée du racisme et de l'antisémitisme, voire leur banalisation.
    M. Christian Bataille. Tartuffe !
    M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche. Nous devons donc nous interroger sur ce qu'il faut faire concrètement, notamment à la veille d'une guerre qui va inévitablement raviver les tensions intercommunautaires dans certains établissements. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Ne dramatisons pas les choses mais restons vigilants et mobilisés. Je vous indiquerai les actions que j'ai engagées.
    Cet après-midi, je réunis au ministère les cent chefs d'établissement les plus concernés par ces affrontements communautaires. Il me semble en effet important de les recevoir, d'abord parce que les incidents racistes et antisémites ne sont plus officiellement signalés au ministère, ensuite parce que nombre d'entre eux ont trouvé des solutions intelligentes sur le terrain, enfin parce qu'il faut écouter leurs demandes.
    Par ailleurs, je mets en place dans les rectorats, mais aussi au sein de l'administration centrale, une cellule de veille et d'actions (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste) comprenant vingt médiateurs qui pourront se rendre dans les établissements à la demande de leurs responsables pour faire oeuvre de pédagogie et rappeler fermement les principes républicains.
    Sachez encore que j'ai demandé aux recteurs de veiller à ce que la plus grande fermeté soit appliquée en cas d'affrontements communautaires. Cela signifie qu'il ne faut pas simplement recourir aux sanctions réglementaires. Le cas échéant, il faut aussi porter plainte devant la justice, action dont tous les chefs d'établissement me disent qu'elle est extrêmement efficace quand elle est menée à son terme.
    Enfin, je fais composer par l'inspection générale un « livret républicain » qui rappellera les grands principes républicains et de laïcité et comprendra des textes qu'on pourra travailler dans les écoles, les collèges et les lycées pour raviver ces principes, qui ont été abandonnés depuis une dizaine d'années.
    M. le président. Merci, monsieur le ministre, de votre réponse.
    M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche. Je reviendrai devant vous au mois de juin pour envisager les suites à donner à cette action. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie français.)
    M. le président. Mesdames, messieurs, je souhaite que chacun respecte son temps de parole afin que toutes les interventions puissent être retransmises à la télévision. Cela n'a pas été le cas hier. J'en appelle donc à la responsabilité de chacun.

POLITIQUE POUR L'OUTRE-MER

    M. le président. La parole est à M. Victorin Lurel, pour le groupe socialiste.
    M. Victorin Lurel. Avant de poser ma question, permettez-moi d'adresser au nom du groupe socialiste un message de solidarité et de fraternité à nos compatriotes de Nouvelle-Calédonie, durement frappés dans leur chair et dans leurs biens par un cyclone dévastateur. (Applaudissements sur tous les bancs.)
    Monsieur le Premier ministre, l'outre-mer est gangrené par des mouvements sociaux organisés contre les conséquences désastreuses de votre politique qui sacrifie l'emploi (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) en particulier l'emploi public.
    Le summum de l'exaspération a été atteint lors de votre séjour à la Réunion, où 10 000 manifestants ont défilé dans les rues pour stigmatiser les conséquences calamiteuses de votre action. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe socialiste.) Là-bas comme ici, vous pratiquez outrageusement l'austérité et le gel des crédits : 24 % de crédits d'investissement gelés et plus de 74 millions d'euros annulés sur le budget 2003 de l'outre-mer, qui était déjà le plus mauvais budget depuis six ans. Ce n'est plus du gel, c'est de la glaciation sibérienne ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire).
    Vos ministres n'hésitent même plus à insulter nos compatriotes, en stigmatisant, dixit Mme Girardin, un « comportement d'enfants gâtés pleurant la bouche pleine et qu'il faut mener à la baguette ». (Huées sur les bancs du groupe socialiste.)
    Plusieurs députés du groupe socialiste. C'est scandaleux !
    M. Victorin Lurel. Bouquet final de ces propos ignominieux : M. Devedjian a déclaré à la cantonade qu'en arrivant outre-mer il fallait sortir le carnet de chèques ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Enfin, vous n'avez absolument pas tenu la promesse contenue dans votre déclaration de politique générale de présenter un projet portant sur l'outre-mer avant la fin de l'année 2002. Vous avez manifestement le plus grand mal à inclure l'outre-mer dans vos priorités.
    Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Posez votre question !
    M. Victorin Lurel. En tout état de cause, votre projet sans souffle et sans vision est mal reçu outre-mer, jusque dans les rangs de votre clientèle et du MEDEF. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Sur les 260 millions d'euros qu'il prétend allouer à nos régions, soit la moitié environ du cadeau offert aux assujettis à l'impôt sur la fortune, les deux tiers représentent des exonérations essentiellement fiscales qui ne bénéficieront à terme qu'à quelques centaines de contribuables métropolitains fortunés.
    Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. La question !
    M. le président. Monsieur Lurel, quelle est votre question ? (Approbations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Laissez-le terminer : il va poser sa question !
    M. Victorin Lurel. Monsieur le Premier ministre, ce projet fait l'impasse sur les échéances européennes majeures, comme l'octroi de mer ou l'OCM-banane. Il est muet sur les services publics, la situation des collectivités territoriales, la culture, la coopération et les transports intérieurs.
    M. le président. Monsieur Lurel, posez votre question !
    M. Victorin Lurel. Ma question est la suivante.(« Enfin ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Loin de l'effort sans précédent annoncé par le Président de la République, la montagne de promesses n'accouchera que d'une souris législative. Quand allez-vous vous décarcasser pour l'outre-mer ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains. - Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement, porte-parole du Gouvernement.
    M. Jean-François Copé, secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le député, je vous prie tout d'abord de bien vouloir excuser l'absence de Mme Girardin, qui se trouve aux côtés de nos compatriotes calédoniens frappés par le cyclone Erica.
    Vous avez exprimé, monsieur Lurel, au nom du groupe socialiste, votre solidarité à l'égard de nos compatriotes : je pense qu'on peut aisément élargir cet homage à l'ensemble des membres de l'Assemblée. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française, ainsi que sur quelques bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    La sévérité de vos propos m'a fait mieux comprendre que vous ayez écrit, à l'occasion de la préparation de votre congrès, à l'ensemble de vos camarades socialistes pour leur faire part de votre inquiétude devant le risque que « l'outre-mer divorce de la gauche ». « La droite sait mieux converser avec les populations de l'outre-mer », avez-vous ajouté. En vous écoutant, j'ai en effet compris beaucoup de choses ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Jean Glavany. C'est nul ! Vous êtes à la hauteur de votre réputation !
    M. le secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement, porte-parole du Gouvernement. Monsieur Lurel, le projet de loi de programme pour l'outre-mer qui a été présenté il y a quelques jours au conseil des ministres traduit très exactement les engagements pris par le Président de la République et le Premier ministre devant les Français. Ce texte, qui sera soumis à l'examen du Parlement dans quelques semaines, s'inscrit dans le long terme.
    M. Patrick Lemasle. Baratin !
    M. Jean-Louis Idiart. Cette réponse est nulle !
    M. le secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement, porte-parole du Gouvernement. Ses objectifs sont clairs et ambitieux : il s'agit d'encourager la création d'emplois, en particulier pour les jeunes, de relancer l'investissement privé, notamment par la défiscalisation, et, enfin, de renforcer la continuité territoriale - autant de sujets qui correspondent exactement aux attentes de nos compatriotes d'outre-mer. C'est là un effort sans précédent de la nation et c'est l'honneur de la France d'assurer aux collectivités d'outre-mer les conditions d'un développement de même nature qu'en métropole, en particulier dans le contexte budgétaire difficile que nous connaissons.
    Je sais, monsieur le député, que votre esprit républicain vous conduira à saluer comme il se doit le souffle et l'ambition de ce grand texte tant attendu par nos compatriotes d'outre-mer. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

PRÉPARATION DU BUDGET DE 2004

    M. le président. La parole est à M. Nicolas Perruchot, pour le groupe Union pour la démocratie française.
    M. Nicolas Perruchot. Monsieur le ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire, la construction d'un projet de loi de finances obéit à une procédure longue et complexe.
    M. Christian Bataille. Et coûteuse !
    M. Nicolas Perruchot. Vous commencez à préparer le budget 2004, et le groupe UDF tient à souligner que vous le faites dans la plus grande transparence, ce qui nous change des pratiques du précédent gouvernement. (Exclamations et rires sur les bancs du groupe socialiste. - Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Lors de la discussion du projet de loi de finances pour 2003, le groupe UDF avait souhaité que le Gouvernement élabore un budget ajustable avec deux hypothèses de croissance : celle de 2,5 %, que vous avez retenue, et une seconde de 1,5 %,...
    M. Michel Lefait. La bonne !
    M. Nicolas Perruchot. ... qui aurait mis en évidence les efforts d'économie à réaliser pour éviter une explosion des déficits publics.
    Le contexte économique international est extrêmement tendu. Le Premier ministre a d'ailleurs indiqué que le taux de croissance révisé pour 2003 serait de 1,3 % au lieu des 2,5 % prévus initialement, que le déficit public atteindrait 3,4 % en 2003, et qu'il faudrait revenir à un déficit inférieur à 3 % en 2004. Il conviendra donc d'élaborer un budget rigoureux et réaliste.
    Pourriez-vous nous préciser l'ordre de grandeur des mesures d'économie sur les dépenses qui seront nécessaires pour respecter tant vos engagements européens que les objectifs fixés par le Premier ministre ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire.
    M. François Hollande. La transparence arrive ! (Rires sur les bancs du groupe socialiste.)

    M. Alain Lambert, ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire. Monsieur le député, comme vous l'avez dit, en cette période de l'année, il est encore difficile d'apporter des précisions sur l'esquisse du budget de 2004. La direction du budget ne m'a d'ailleurs pas encore fait parvenir le travail qui me servira de base.
    Il n'en reste pas moins, quelles que puissent être les responsabilités, que des données existent : nous dépensons, au nom de l'Etat, 15 % de plus que ce que nous prélevons. Nous avons trop souvent tendance à évoquer des pourcentages du produit intérieur brut. Or les Français qui nous écoutent doivent savoir qu'il est engagé en leur nom 15 % de plus de dépenses qu'il n'est levé de recettes pour les couvrir.
    M. François Lamy. Surtout depuis que vous êtes là !
    M. le ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire. Comment pouvez-vous dire que c'est depuis que nous sommes là alors que vous avez laissé un déficit en dérapage de 50 % ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Jean Glavany. Ça se détériore depuis que vous êtes aux affaires !
    M. le ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire. Vous vous comportez, mesdames, messieurs les députés du groupe socialiste, comme des pyromanes venant donner des leçons aux soldats du feu qui combattent l'incendie que vous avez vous-mêmes allumé ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste. - Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

    Ce qui importe, monsieur Perruchot, c'est de travailler ensemble sur la dépense et dans la transparence. Le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin est le premier a être venu devant la commission des finances de l'Assemblée nationale pour donner toutes les précisions utiles sur les réserves de précaution.
    C'est encore le premier à avoir donné à cette commission toutes les informations sur les annulations. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste. - Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) C'est encore le premier à avoir organisé en février des rencontres avec les ministres gestionnaires (Rires sur les bancs du groupe socialiste) afin de travailler ensemble sur les réformes de structures qui vont préparer les arbitrages budgétaires de juillet prochain. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communiste et républicains.)

MOUVEMENTS SOCIAUX

    M. le président. La parole est à M. Gilbert Biessy, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.
    M. Gilbert Biessy. Monsieur le Premier ministre, face à votre politique qui ne garantit que les intérêts du capitalisme, de la finance et du MEDEF (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française), un front de résistance se forme dans notre pays.
    Hier, enseignants et parents d'élèves ont exprimé leur colère et leur inquiétude devant votre projet de loi sur les assistants d'éducation, qui pose les jalons de la casse des principes fondamentaux de l'éducation nationale. (Exclamations sur les mêmes bancs.) Ils ont protesté contre la suppression des surveillants dans les établissements scolaires et contre votre projet de décentralisation, qui compromet l'égalité des chances et de traitement en matière d'éducation et de formation.
    Hier, les cheminots se sont mobilisés (« Ah ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) pour défendre le service public ferroviaire et s'opposer à la libéralisation du fret, craignant que celle-ci n'ouvre la porte à un chemin de fer à l'anglaise.
    Demain, d'autres se mobiliseront encore pour sauvegarder les acquis sociaux de notre système de retraite ou pour exiger une négociation salariale, notamment dans la fonction publique, où le ministre a refusé toute discussion sur ce sujet.
    M. Maxime Gremetz. Et ils auront raison de se mobiliser !
    M. Gilbert Biessy. Les salariés victimes des plans de licenciement, les personnes âgées et leurs familles ainsi que les associations concernées par la remise en cause de l'APA et le manque de moyens dans les maisons de retraite vont se mobiliser également.
    M. Maxime Gremetz et M. Michel Lefait. Eh oui !
    M. Gilbert Biessy. Toute cette mobilisation veut dénoncer une politique qui favorise les plus privilégiés, avec la réforme de l'ISF ou les cadeaux fiscaux aux entreprises, tout en détruisant l'emploi. Elle gèle les dépenses publiques, grève le pouvoir d'achat et altère l'unité de notre République. (« C'est faux ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Maxime Gremetz. C'est vrai !
    M. Gilbert Biessy. C'est un carton rouge que vous ont adressé tous ces manifestants.
    M. Lucien Degauchy. Rappelez-nous plutôt combien ont obtenu les communistes aux élections présidentielle et législatives !
    M. le président. Monsieur Biessy, posez votre question, s'il vous plaît !
    M. Gilbert Biessy. Je n'ai pas épuisé mes trois minutes, monsieur le président ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. C'est moi qui préside et je sais que vous avez dépassé votre temps de parole. Alors, posez immédiatement votre question !
    M. Gilbert Biessy. L'augmentation du pouvoir d'achat, la lutte contre les licenciements, les patrons voyous (Huées sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire)...
    M. le président. Quelle est votre question ?
    M. Gilbert Biessy. Allez-vous enfin entendre ce mécontentement et ce grondement, monsieur le Premier ministre ? Allez-vous enfin prendre des décisions en faveur de la France d'en bas ? Ceux de la France d'en bas n'attendent pas de beaux discours ils veulent des actes concrets ! (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. le président. Je n'aime pas beaucoup qu'on mette en cause ma neutralité ! Je veille à ce que chacun ait le même temps de parole, vous comme les autres. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Gilbert Biessy. Non !
    M. le président. La parole est à M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité.
    M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Monsieur le député, je voudrais d'abord vous remercier d'avoir bien voulu souligner que le Gouvernement a entrepris des réformes profondes et difficiles. Mais je comprends que cela vous dérange, car c'est là un vrai changement.
    M. Jacques Desallangre. Tu parles d'un changement !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Le Gouvernement et sa majorité ont pris la mesure des défis que notre pays doit relever : une mondialisation qui s'accélère, les contraintes de l'intégration européenne et de son élargissement, le vieillissement de la population, le risque de décrochage technologique, l'insécurité. Il était grand temps de remettre la France en mouvement et de gouverner avec réalisme.
    M. Jacques Desallangre. C'est de la marche arrière !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. C'est d'ailleurs le message que nous ont adressé les Français il y a tout juste onze mois. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Ils nous ont demandé de prendre nos responsabilités et de réformer un Etat dont le coût n'est pas en rapport avec l'efficacité ! (Exclamations sur les mêmes bancs.) Ils nous ont demandé de leur rendre la sécurité, de sauver leurs retraites et de redonner de la valeur au travail, à l'effort et au mérite. Ils nous ont demandé de leur rendre la fierté d'être Français ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) C'est ce que nous faisons,...
    Mme Martine David. Mal !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. ... sous l'autorité du Président de la République et du Premier ministre.
    Evidemment, monsieur le député, notre tâche serait plus facile si vous n'aviez pas plombé les comptes de la nation (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française. - Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains) et si vous n'aviez pas fait croire aux Français qu'on peut obtenir croissance et plein emploi sans effort, sans réforme, en un mot sans se retrousser les manches ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Oui, le Gouvernement écoute les protestations. (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Il dialogue avec les partenaires sociaux, comme hier soir lors de la table ronde sur l'emploi. Mais il est aussi très attentif à ce que le bruit de la rue ne l'empêche pas d'entendre la voix de la majorité des Français. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

PRÊTS À TAUX BONIFIÉS DANS L'AGRICULTURE

    M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Mathis, pour le groupe UMP.
    M. Jean-Claude Mathis. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales et concerne le dispositif des taux bonifiés dans l'agriculture.
    Depuis plusieurs semaines, les agriculteurs s'interrogent sur le maintien et les conditions de mise en place des prêts à taux bonifiés. En effet, ce dispositif de baisses des charges d'intérêt sur les investissements est un élément fondamental de l'intervention de l'Etat, au service d'une politique nationale dynamique en faveur des exploitations agricoles, en particulier pour les jeunes candidats à l'installation. Les professionnels y sont donc très attachés, surtout les jeunes agriculteurs qui bénéficient des taux bonifiés les plus bas, que je vous rappelle pour mémoire : 2 % en zone de montagne et 3,5 % en zone de plaine.
    Un député du groupe socialiste. Raffarin, c'est taux zéro !
    M. Jean-Claude Mathis. Dans ce contexte, trois points suscitent l'inquiétude et soulèvent des interrogations.
    Premièrement, les prêts bonifiés continueront-ils à exister dans un contexte européen peu favorable à cette disposition ?
    Deuxièmement, le caractère particulier de certaines situations, notamment celles des jeunes, sera-t-il pris en compte ?
    M. Maxime Gremetz. La question !
    M. Jean-Claude Mathis. Il faut savoir que les agriculteurs attendent surtout que des taux adaptés à leurs besoins leur soient proposés.
    M. Maxime Gremetz. Ça fait trois minutes qu'il parle !
    M. le président. Monsieur Gremetz, ne m'énervez pas !
    M. Jean-Claude Mathis. Ils sont en outre très attachés à l'égalité des taux sur l'ensemble du territoire. En effet, ils ne doivent pas être mis en situation de compétition pour le financement de leurs investissements, sinon seuls les plus solides financièrement pourraient bénéficier des aides publiques.
    Enfin, troisièmement,...
    M. le président. Monsieur Mathis, veuillez poser votre question.
    M. Jean-Claude Mathis. ... dans quels délais ces prêts seront-ils mis en place ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales.
    M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales. Monsieur le député, il y a peu, j'étais chez vous à Rumilly-les-Vaudes (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains), auprès des jeunes agriculteurs qui, effectivement, se préoccupaient du maintien des prêts bonifiés à l'installation et à la modernisation de l'agriculture. Ils avaient raison d'être inquiets parce que notre système n'était plus conforme aux directives européennes. Si nous l'avions maintenu, nous aurions risqué plusieurs centaines de millions d'euros de pénalités.
    Avec mes collègues chargés des finances et du budget, j'ai mené une négociation difficile avec Bruxelles. Aujourd'hui, je puis affirmer que le système des prêts bonifiés à l'agriculture sera maintenu, avec un taux équivalent pour tous les agriculteurs de France. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Il sera même amélioré puisque, pour les prêts spéciaux à l'élevage et pour les cultures végétales spécialisées, il baissera de 4,5 % à 4 %.
    Un député du groupe socialiste. C'est insuffisant !
    M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales. Enfin, ces prêts seront mis en place sans délai et, là où il y aurait des problèmes, les directions départementales de l'agriculture ont reçu pour instruction de les traiter cas par cas.
    C'est là un dossier difficile mais je crois que ces mesures vont dans le bon sens et favoriseront l'installation des jeunes agriculteurs. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française).

POLITIQUE POUR L'EMPLOI

    M. le président. La parole est à Mme Nadine Morano, pour le groupe UMP.
    Mme Nadine Morano. C'est une députée de la France d'en bas (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains) qui pose cette question à François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité.
    Monsieur le ministre, il y a à peine dix mois, lorsque les Français nous ont accordé leur confiance, ils ont sanctionné une politique en matière d'emploi qui, notamment par l'application des 35 heures, a cassé l'attractivité de notre pays et la compétitivité des entreprises (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), et qui a porté atteinte à leur liberté de travailler plus pour gagner plus,...
    M. Jacques Desallangre. Dites plutôt : travailler plus pour gagner moins !
    Mme Nadine Morano. ... nuisant par là même à leur porte-monnaie et à leur pouvoir d'achat.
    Mais les Français nous ont accordé aussi leur confiance car ils attendent de nous une politique ambitieuse en matière d'emploi. L'action que vous avez engagée va dans le bons sens...
    M. Michel Lefait. On en voit le résultat !
    Mme Nadine Morano. ... avec l'assouplissement des 35 heures,...
    M. Jean-Marc Ayrault. La montée du chômage !
    Mme Nadine Morano. ... la création des contrats jeunes en entreprise à durée indéterminée, qui rompent avec les emplois-jeunes sur cinq ans sans sortie. Vous avez annoncé plus de 50 000 contrats signés et, rien que dans le secteur de la ville de Toul, près de quarante l'ont été depuis le mois de janvier, contre 100 emplois-jeunes en cinq ans ; cela montre le succès incontestable de ce nouveau dispositif.
    M. Jacques Desallangre. C'est de la lèche !
    Mme Nadine Morano. Les Français sont parfaitement conscients que nous traversons une crise internationale qui ralentit l'économie et la croissance.
    M. Jean-Claude Perez. Ben voyons !
    Mme Nadine Morano. La conjoncture est défavorable. Les entreprises gèlent, pour l'instant, leurs investissements, et les Français eux-mêmes sont inquiets.
    M. Maxime Gremetz. Deux minutes trente !
    Mme Nadine Morano. C'est dans ce contexte particulièrement difficile que vous avez tenu, avec les partenaires sociaux, la conférence nationale sur l'emploi, en annonçant notamment la mise en place du RMA, du CIVIS, et le renforcement des contrats aidés pour nos concitoyens en grande difficulté.
    Toutefois, il faut aller plus vite, vous l'avez rappelé. Plus vite en matière de formation professionnelle, plus vite aussi pour redonner aux entreprises la possibilité de créer de l'emploi en baissant les charges trop lourdes qui pèsent sur elles, et, en contrepartie, augmenter les bas salaires pour redonner du pouvoir d'achat et relancer la consommation.
    Nos concitoyens ont besoin de confiance. Ils attendent un message fort.
    Plusieurs députés du groupe socialiste. La question !
    M. le président. Madame Morano, veuillez poser votre question.
    Mme Nadine Morano. Le secteur marchand est le seul véritable créateur de richesses. Dans quel délai pourrez-vous mettre en oeuvre une politique audacieuse de baisse des charges pour relancer durablement l'emploi et la croissance ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité.
    M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Madame la députée, depuis neuf mois, un virage politique et économique a été pris. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Il est fondé sur la réhabilitation d'une valeur trop longtemps méprisée : celle de l'effort et du travail. C'est dans cet esprit que nous avons assoupli les 35 heures, que nous allons créer le revenu minimum d'activité, que nous allons relancer...
    M. François Hollande. Le chômage !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. ... le contrat initiative emploi, majoritairement utilisé par les PME.
    Mais ce virage politique et économique est aussi fondé sur la revalorisation du rôle des entreprises. Ce sont elles qui créent les richesses de notre pays...
    M. Gérard Charasse. On s'en aperçoit !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. ... et, contrairement à ce que certains prétendent, elles ne sont pas les alliées du chômage, mais, au contraire, elles servent l'emploi. Il est donc de notre devoir de leur faciliter la tâche. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Maxime Gremetz. Les patrons voyous, ça existe, pourtant !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Nous avons donc engagé une stratégie de baisse des charges pour renforcer le contenu de la croissance et de l'emploi. Un plan de 6 milliards d'euros sur trois ans sera lancé le 1er juillet 2003 ; vous l'avez voté lors de l'examen du texte sur l'assouplissement des 35 heures. Il se traduira par une diminution nette du coût du travail...
    M. Maxime Gremetz. Il est trop élevé, sans doute !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. ... de près de 5 % pour les bas et les moyens salaires dans neuf entreprises sur dix, essentiellement petites et moyennes. (« Bravo ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Cet allégement sera déconnecté de la durée du travail : notre objectif n'est pas de faire du troc avec telle ou telle entreprise, c'est de favoriser l'emploi partout où c'est possible.
    Enfin, le Gouvernement a mis en oeuvre un plan de relance de la création d'entreprises, avec une possibilité d'étalement des charges sociales, voire d'exonération totale la première année de leur création.
    A ces baisses de charges, madame la députée, il faut ajouter les emplois aidés dans le secteur marchand puisqu'une entreprise qui embauche par exemple avec un contrat jeune ou un CIE est gagnante en termes de coût du travail. Et nous avons prévu 500 millions d'euros pour le contrat jeune en entreprise, cette année, et 80 millions d'euros supplémentaires pour l'activation du CIE.
    Comme vous pouvez le constater, le Gouvernement est aux côtés des entreprises françaises parce que ce sont elles qui décident de la croissance. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

CONFÉRENCE NATIONALE SUR L'EMPLOI

    M. le président. La parole est à M. Gérard Bapt, pour le groupe socialiste.
    M. Gérard Bapt. Ma question s'adresse à M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité.
    M. François Hollande. Le ministre du chômage !
    M. Gérard Bapt. Monsieur le ministre, vous avez déclaré, ce matin, sur une radio nationale, que le chômage allait continuer à augmenter.
    M. Yves Fromion. C'est votre héritage !
    M. Lucien Degauchy. Les 35 heures !
    M. Gérard Bapt. Avec la multiplication des plans sociaux, le malaise social qui grandit, ainsi que l'inquiétude des ménages, il était compréhensible que vous ne vouliez pas apparaître aux yeux des Français comme le ministre du chômage. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Aussi avez-vous fait hier, à l'occasion de la conférence nationale sur l'emploi, l'annonce d'un mini-plan social pour l'emploi, annonce qui vise à donner aux Français l'impression que le Gouvernement se préoccupe enfin de l'emploi.
    Alors même que vous avez méthodiquement démantelé toutes les politiques actives de l'emploi (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire),...
    M. Augustin Bonrepaux. Eh oui !
    M. Gérard Bapt. ... supprimé des dispositifs, réduit de 1 milliard d'euros les crédits de l'emploi (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire),...
    M. Michel Delebarre. Tout à fait !
    M. Augustin Bonrepaux. On voit le résultat !
    M. Gérard Bapt. ... vous avez annoncé hier 300 millions d'euros de mesures nouvelles pour ressusciter les dispositifs publics que vous aviez abandonnés au profit, et vous venez de le confirmer, du seul allégement de charges pour les entreprises. (Approbations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Michel Delebarre. C'est vrai !
    M. Gérard Bapt. On pourrait se réjouir que vous adoriez aujourd'hui ce que vous brûliez hier encore. Mais le problème, c'est que vous n'avez plus de crédits (« Ni de crédit ! » sur les bancs du groupe socialiste),...
    M. Lucien Degauchy. Grâce à vous !
    M. Edouard Landrain. Qu'avez-vous laissé ?
    M. Gérard Bapt. ... dans tous les sens du terme ! Vous n'avez plus de crédits puisque, sur les 335 millions d'euros gelés en février, 167 millions ont été annulés par le Premier ministre la semaine dernière.
    M. Edouard Landrain. Il a bien fait !
    M. Gérard Bapt. En atteste le Journal officiel de samedi dernier, que je tiens à votre disposition au cas où cet exemplaire du week-end vous aurait échappé.
    Allez-vous présenter une loi de finances rectificative pour revenir sur ces annulations et corriger votre désastreux budget ? Si vous le le faites pas, les 300 millions d'euros annoncés hier resteront virtuels, et vous serez alors devenu le ministre du chômage qui, à défaut de créer des emplois, fabrique de la fausse monnaie ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité.
    M. Christian Bataille. Le ministre du chômage !
    M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Monsieur le député, le ton de votre question...
    M. Michel Delebarre. Etait excellent !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité... tranche fortement avec l'ambiance de la table ronde sur l'emploi, hier, avec les partenaires sociaux. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Julien Dray. Ce n'est pas ce qu'a dit Blondel !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Cette table ronde s'est déroulée dans un climat de gravité, certes, parce que la situation économique est extrêmement difficile et qu'elle est aggravée par le contexte international, mais aussi de grande sérénité, parce que l'ensemble des partenaires sociaux ont manifesté leur mobilisation aux côtés de l'Etat pour lutter contre le chômage.
    Trois orientations se sont dégagées de cette réunion.
    La première est que nous devons avoir une stratégie économique et sociale européenne plus offensive et plus volontariste.
    M. Augustin Bonrepaux. Baratin !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Le gouvernement français a déjà fait plusieurs propositions en ce sens auprès de la Commission et du Conseil. Ce sera le sujet principal du Conseil européen de printemps.
    La deuxième orientation est que nous avons besoin de réformes structurelles en matière d'emploi. La plus importante de ces réformes est celle de la formation profesionnelle. Elle était prête à être signée en 2001 ; elle ne l'a pas été.
    M. Maxime Gremetz. Parce que vous ne vouliez pas !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Nous disons aux partenaires sociaux que cela est bien de leur compétence mais que nous ne pouvons pas les laisser discuter pendant des mois et des mois sur ce sujet, car il y a urgence : nous voulons présenter au Parlement, à l'automne, un projet de loi sur la formation professionnelle.
    En outre, nous avons décidé de mettre à plat tout ce qui est source de complexité et d'insécurité juridiques dans le droit du travail. Un groupe d'experts sera constitué, qui remettra ses conclusions avant la fin de l'année.
    Enfin, troisième orientation : face aux difficultés de l'emploi, il faut activer les dépenses de solidarité.
    M. Christian Bataille. C'est une découverte pour vous !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. La mesure la plus importante discutée hier est la mise en place du revenu minimum d'activité.
    M. Bernard Accoyer. Très bien !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Demain, des personnes qui sont aujourd'hui au RMI pourront être recrutées dans des entreprises et pourront donc retrouver le chemin d'un véritable emploi avec un véritable salaire.
    M. le président. Monsieur le ministre...
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Je conclus, monsieur le président.
    Monsieur le député, je comprends votre exaspération, parce que la dernière table ronde s'est terminée sur un véritable flop, un flop qui a entraîné une glaciation des relations sociales dont nous ne sortons qu'aujourd'hui ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Daniel Vaillant. C'est un ministre qui fait pschitt !

APPROVISIONNEMENT DE LA FRANCE EN PÉTROLE

    M. le président. La parole est à M. Serge Poignant, pour le groupe UMP.
    M. Serge Poignant. Ma question s'adresse à Mme la ministre déléguée à l'industrie.
    Alors que la situation internationale est entrée dans une phase aiguë, pour reprendre les termes du Président de la République, nous nous accordons tous à dire qu'il faut anticiper, pour notre pays, les conséquences éventuelles d'un conflit en Irak. Cela vaut notamment sur le plan énergétique. En effet, si la France n'achète du pétrole à l'Irak, deuxième réserve mondiale, que dans des proportions modestes, beaucoup de Français s'inquiètent aujourd'hui de notre capacité à faire face à une rupture de l'approvisionnement en pétrole. Nous avons tous en mémoire les files de voitures venant faire le plein aux stations-service lors d'autres conflits.
    Pouvez-vous nous dire, madame la ministre, dans quelle mesure nous pourrions faire face à une rupture de l'approvisionnement en pétrole ? Disposez-vous d'éléments qui puissent rassurer les Français ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée à l'industrie.
    Mme Nicole Fontaine, ministre déléguée à l'industrie. Dans l'hypothèse, tragique, où la guerre éclaterait, comme, hélas, aujourd'hui, on peut le craindre, je puis vous rassurer, monsieur le député : il n'y a pas de risque de rupture d'approvisionnement (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste) en pétrole pour la France, non plus, d'ailleurs, que pour l'Europe. (« Oh ! » sur les bancs du groupe socialiste.)
    En effet, en premier lieu, l'approvisionnement pétrolier de la France vient d'abord de la mer du Nord (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste), pour 40 % ;...
    M. Bernard Roman. 41 % !
    Mme la ministre déléguée à l'industrie. ... 28 % viennent des pays du Moyen-Orient dont, comme vous l'avez dit vous-même, monsieur le député, une part très faible d'Irak.
    En outre, les pays de l'OPEP, et plus particulièrement l'Arabie Saoudite, nous ont assuré que, dans l'hypothèse d'un arrêt de la production de pétrole en Irak, ils veilleraient à augmenter aussitôt leur production à hauteur de 2,5 millions de barils par jour.
    Enfin, même dans l'hypothèse, encore une fois très improbable, d'une rupture d'approvisionnement, la France, comme vous le savez, participe à l'Agence internationale de l'énergie. Et à ce titre...
    M. François Hollande. Moi, je crois que je vais quand même faire le plein !
    Mme la ministre déléguée à l'industrie. ... nous disposons sur notre territoire d'une réserve correspondant à quatre-vingt-dix jours de consommation. (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste.)
    Le Gouvernement est extrêmement vigilant sur ce point...
    M. Albert Facon. C'est bien ça qui nous inquiète !
    Mme la ministre déléguée à l'industrie. ... et je puis vous assurer que, d'une façon générale, les mesures nécessaires seront prises pour éviter que les consommateurs ne subissent les conséquences des événements tragiques que nous risquons de vivre. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

SIMPLIFICATION DE L'ADMINISTRATION

    M. le président. La parole est à M. Paul-Henri Cugnenc, pour le groupe UMP.
    M. Paul-Henri Cugnenc. Ma question s'adresse à M. le secrétaire d'Etat à la réforme de l'Etat.
    La France, monsieur le secrétaire d'Etat, semble aujourd'hui, parmi les démocraties modernes, l'un des pays dont la réglementation, sans cesse plus complexe, pèse d'une façon de moins en moins supportable sur la vie de ses citoyens. Les Français, qui ressentent cette dérive comme une réalité et une évidence, ont alerté depuis de nombreuses années les majorités et les gouvernements successifs. Les promesses faites au cours de la précédente législature ne conservent, avec le recul dont nous disposons, que leur caractère incantatoire et une totale absence d'effet. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)
    En matière de simplification administrative, les attentes des Français sont importantes et nos engagements sont clairs. Je n'ignore pas les difficultés et les contraintes que votre démarche rencontre, mais je connais votre engagement et votre ambition de simplifier la vie des Françaises et des Français.
    Il serait exagéré d'affirmer que l'administration porte seule la responsabilité de cette complexité. L'exigence abusive du risque zéro qui obsède certains responsables, le principe de précaution,...
    M. Jean-Yves Le Déaut. Le principe de prévention !
    M. Paul-Henri Cugnenc. ... l'exigence de transparence de toute décision publique expliquent, pour une part, des réglementations de plus en plus précises, mais aussi de plus en plus longues et de plus en plus coûteuses, et ceux que nous représentons vont parfois jusqu'à dire qu'un certain nombre de professions se nourrissent d'une complexité qui les fait vivre.
    La simplication paraît simple, mais les décisions à prendre pour sa mise en place le sont moins.
    Nous venons d'adopter, avant-hier, la réforme constitutionnelle sur la décentralisation, qui sera un moteur de la croissance,...
    M. le président. Monsieur Cugnenc, je n'ai pas encore entendu votre question.
    M. Paul-Henri Cugnenc. ... mais cette réforme serait-elle complète sans la réforme de l'Etat, dont vous portez le projet d'habilitation et que vous avez présentée ce matin en conseil des ministres ?
    Comment parvenir à simplifier ? Comment aboutir à cette indispensable réforme de grande ampleur ? Comment concilier les attentes des Français, qui ne comprennent plus les contraintes qui leur sont imposées dans leurs rapports avec l'administration,...
    M. le président. Monsieur Cugnenc !
    M. Paul-Henri Cugnenc. ... mais qui expriment aussi leur volonté légitime d'être protégés dans le fonctionnement des services de l'Etat ?
    M. le président. M. Plagnol va vous répondre.
    M. Paul-Henri Cugnenc. En pratique, comment réussirez-vous dans un domaine où un grand nombre de vos prédécesseurs ont échoué ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat à la réforme de l'Etat.
    M. Henri Plagnol, secrétaire d'Etat à la réforme de l'Etat. Monsieur le député, vous avez raison de dire que les attentes en matière de simplification sont immenses...
    M. René Couanau. Absolument !
    M. le secrétaire d'Etat à la réforme de l'Etat. ... et que, souvent, dans le passé, elles ont été déçues.
    Il y a beaucoup trop de lois et de règlements, source d'une complexité difficilement vécue par nos concitoyens.
    Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Tout à fait !
    M. le secrétaire d'Etat à la réforme de l'Etat. C'est pourquoi, ce matin même, au conseil des ministres, avec le soutien de Jean-Paul Delevoye, ministre de la réforme de l'Etat, j'ai présenté un projet qui permettra de simplifier par ordonnances une trentaine de lois et quinze codes, avec des mesures concrètes pour lever les blocages dans la vie quotidienne des Français. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Le Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, a tenu à présenter lui-même, en fin de matinée, au Perreux, dans le Val-de-Marne, l'essentiel des dispositions contenues dans cette loi. Je prendrai deux exemples qui marquent la volonté du Gouvernement d'aller vite et de traduire ces avancées dans le quotidien des Français.
    M. François Hollande. Ah !
    M. le secrétaire d'Etat à la réforme de l'Etat. Concernant les relations entre les administrations et les usagers, nous allons faire le pari de la confiance et de la responsabilité, c'est-à-dire que, dorénavant, au lieu de demander des pièces justificatives, on se contentera d'une déclaration sur l'honneur, engageant la responsabilité de celui qui la signe. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Deuxième point : les retards inadmissibles et la longeur des délais en matière de commandes publiques et de marchés publics.
    M. René Couanau. Très bien !
    M. le secrétaire d'Etat à la réforme de l'Etat. A un moment où l'investisssement public est très important pour l'emploi et la croissance, nous allons, à l'initiative du ministre des finances et du ministre du budget, simplifier radicalement le code des marchés publics (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste. - Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), en prenant toutes les garanties de transparence nécessaires, et élargir les possibilités de partenariat entre public et privé, pour stimuler l'investissement et la réalisation des infrastructures.
    M. Jean Glavany. Magouille !
    M. Arnaud Montebourg. Cela fera beaucoup d'argent pour vos amis !
    M. le secrétaire d'Etat à la réforme de l'Etat. Enfin, tout cela ne sera possible que parce que la simplification est aussi une libération des énergies des fonctionnaires de terrain...
    M. le président. Merci, monsieur le secrétaire d'Etat. Simplifiez, s'il vous plaît. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)
    M. le secrétaire d'Etat à la réforme de l'Etat. ... qui, dans leur métier quotidien, attendent qu'on libère leur capacité d'initiative pour se consacrer à leur vocation. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. Il est vrai, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'il y a trop de lois, mais je vous rappelle qu'il y a 95 % de projets de loi et très peu de propositions de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains ainsi que sur plusieurs bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

RÉFUGIÉS KURDES

    M. le président. La parole est à M. Tony Dreyfus, pour le groupe socialiste.
    M. Tony Dreyfus. Ma question s'adresse à M. le ministre des affaires sociales.
    De nombreuses personnes, notamment des Kurdes, quittent leur région d'origine et cherchent à s'installer en Europe. Chacun peut comprendre les raisons économiques et politiques, encore aggravées aujourd'hui, de cette immigration. L'objectif de ces réfugiés est le plus souvent de gagner la Grande-Bretagne, mais ils transitent souvent par notre pays.
    Dans ce contexte, vous avez procédé, il y a quelques mois, à la fermeture du centre de la Croix-Rouge de Sangatte. De cela, je ne vous ferai pas reproche, car il s'agissait pour tous les gouvernements d'une question très difficile, mais votre initiative n'a pas abouti à régler le problème, elle l'a simplement déplacé.
    Ainsi le nord de Paris, autour de la gare du Nord et de la gare de l'Est, voit-il arriver depuis plusieurs semaines des réfugiés en grand nombre. C'est vrai également sur la côte du Nord - Pas-de-Calais et le problème s'étend jusqu'à Toulouse, où trente et un Kurdes ont commencé aujourd'hui une grève de la faim.
    Maire du Xe arrondissement de Paris, je constate le manque de moyens des associations, qui s'activent pourtant, dans des conditions qui forcent l'admiration, afin de soulager cette misère qui se présente à nos portes.
    Je peux comprendre que la situation actuelle ait contraint le Gouvernement à rechercher des économies budgétaires, mais est-il acceptable que ces restrictions frappent les subventions allouées aux associations caritatives au moment même où leur travail est justement rendu plus indispensable encore ?
    Ma question est donc simple : que comptez-vous faire pour que les associations qui prennent en charge les réfugiés et leur offrent un hébergement voient au moins leurs ressources maintenues ?
    M. le président. Monsieur Dreyfus, avez-vous terminé ?
    M. Tony Dreyfus. J'ajoute simplement qu'il s'agit pour nous tous d'une responsabilité collective, et je pense que M. le ministre des affaires sociales pourra facilement y répondre. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Laissez M. Sarkozy s'exprimer !
    M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Monsieur Dreyfus, vous avez eu raison d'être prudent en abordant ce sujet...
    M. Bernard Derosier. Le bâton !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. ... et le groupe socialiste a bien fait de désigner un orateur modéré. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Jean-Christophe Cambadélis. Pour qui se prend-il ?
    M. Bernard Derosier. Toujours des menaces !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Quelle difficulté avons-nous à régler, sous l'autorité de Jean-Pierre Raffarin, avec François Fillon ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. Mes chers collègues, je vous en prie !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Ce n'est pas seulement la question des subventions aux associations, c'est le problème dramatique des réfugiés kurdes, et je m'étonne que le groupe socialiste ne le mette pas au premier rang de ses préoccupations ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Plusieurs députés du groupe socialiste. C'est lamentable !
    M. Jean-Christophe Cambadélis. Il est inacceptable de parler ainsi !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Les subventions aux associations, c'est une réelle question.
    M. Jean-Yves Le Déaut. Arrogant Sarkozy !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. La question des millions de Kurdes qui vivent aujourd'hui dans une situation difficile, compte tenu du contexte international, me semble tout de même plus importante.
    M. Jean-Christophe Cambadélis. On peut pas se permettre de donner ainsi des leçons !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Qu'avons-nous fait avec François Fillon ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Trois mille places pour les nouveaux réfugiés demandeurs d'asile politique ont été créées, 30 % de plus ! Jamais un gouvernement n'avait fait autant ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) On peut d'ailleurs s'étonner qu'en cinq années vous n'ayez pas trouvé le moyen de faire ce que nous avons fait en dix mois ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Jean Le Garrec. Là n'est pas le problème !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. La question des Kurdes est dramatique car nombre d'entre eux ne demandent même pas le statut de réfugié politique en France...
    M. Jean Le Garrec. On le sait, tout ça !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. ... et nous nous trouvons face à une population qui, d'une part, ne peut pas être raccompagnée au Kurdistan pour les raisons que nous savons et, d'autre part, ne demande pas le statut de réfugié en France. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Jean-Christophe Cambadélis. Cette réponse est inacceptable !
    M. le président. Taisez-vous, monsieur Cambadélis !
    M. Jean-Christophe Cambadélis. Ça suffit ! Nous ne pouvons pas être traités comme cela ! C'est incroyable !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Le sort des Kurdes mérite mieux que les hurlements de M. Cambadélis qui, on peut en être sûr, ne régleront pas les problèmes. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Jean-Christophe Cambadélis. C'est insupportable ! Nous sommes des élus du peuple !
    M. le président. Ayez au moins la décence d'écouter les autres ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Ce qu'il convient de faire, à Paris comme ailleurs, c'est raccompagner les étrangers en situation irrégulière qui n'ont rien à faire sur notre territoire (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française) afin d'avoir des places pour accueillir ceux qui, à Paris et dans le Calaisis, ont besoin de la protection de la France. Telle est notre politique ! (Applaudissements sur les mêmes bancs.)
    Lorsque le gouvernement socaliste était en place, on recevait 200 réfugiés par jour dans le Calaisis. Selon les chiffres publiés hier, c'est quinze par jour en ce moment ! Vous parlez, nous agissons ! Voilà une bonne politique pour l'immigration ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française. - Vives exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Plusieurs députés du groupe socialiste. Zéro !
    M. Jean-Christophe Cambadélis. Ce n'est pas croyable !
    M. Jean-Yves Le Déaut. Au Prozac, Sarkozy !
    M. le président. Calmez-vous, monsieur Le Déaut !

SNCF

    M. le président. La parole est à M. Manuel Aeschlimann.
    M. Manuel Aeschlimann. Ma question s'adresse à M. le secrétaire d'Etat aux transport et à la mer.
    Une grève nationale à la SNCF a commencé lundi soir à l'appel des syndicats pour défendre le service public face à l'ouverture à la concurrence européenne. Les cheminots entendent dénoncer l'ouverture du fret à la concurrence européenne, effective depuis samedi.
    M. Maxime Gremetz. Ils ont raison !
    M. Manuel Aeschlimann. Ils craignent en effet qu'elle n'ouvre la porte à un chemin de fer à l'anglaise,...
    M. Jean-Yves Le Déaut. Sarkozy va répondre !
    M. Manuel Aeschlimann. ... avec des risques pour la sécurité du transport et pour leur statut social.
    Au-delà du fret, la question se pose d'une libéralisation à terme du trafic de voyageurs. Le 27 mars prochain à Bruxelles, les ministres des transports des Quinze doivent d'ailleurs examiner les propositions du Parlement européen, qui s'est prononcé en janvier dernier pour une libéralisation du trafic de voyageurs à l'horizon de 2008.
    Il est clair que les difficultés de l'activité de fret se sont amplifiées depuis un an, du fait d'un environnement économique international dégradé.
    M. Maxime Gremetz. Non, cela n'a rien à voir !
    M. Manuel Aeschlimann. Un rapport du Sénat publié la semaine dernière a aussi dressé un bilan alarmant de l'activité fret de la SNCF. Il convient donc bien d'ouvrir des perspectives à cette activité.
    Aussi, monsieur le secrétaire d'Etat, pouvez-vous nous informer sur cette grève et sur les revendications des cheminots ?
    M. Maxime Gremetz. Je peux vous informer, moi !
    M. Manuel Aeschlimann. Quels éléments pouvez-vous nous apporter sur l'avenir des activités de la SNCF ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat aux transports et à la mer.
    M. Dominique Bussereau, secrétaire d'Etat aux transports et à la mer. Monsieur le député, c'est vrai que la grève d'hier a été suivie, car il y avait chez les cheminots un certain nombre de craintes, dont celle que vous avez rappelée, de la libéralisation du fret.
    De quoi s'agit-il exactement ? M. Gayssot avait accepté en l'an 2000 que le secteur du fret international puisse faire l'objet d'une concurrence. Cela veut dire que la SNCF peut aller à l'étranger chercher des marchés, de même que des entreprises européennes peuvent venir sur notre réseau.
    Plusieurs députés du groupe socialiste. Ça !...
    M. le secrétaire d'Etat aux transports et à la mer. Cela concerne 50 000 kilomètres de notre réseau, soit 80 %.
    Nous considérons, monsieur Aeschlimann, que c'est une chance. La SNCF est une entreprise à haute technologie qui est capable de conquérir des parts de marchés et de jouer son rôle à l'échelle européenne. Mais il faut naturellement, et nous avons bien entendu le message, que les conditions de sécurité soient préservées et qu'il y ait une harmonisation sociale au niveau européen. Ce sont les positions que Gilles de Robien défendra à Bruxelles le 28 mars lors du Conseil européen des transports. Nous dirons la même chose pour la libéralisation du fret et pour le transport de voyageurs, mais il faut d'abord faire le bilan de ce qui va se passer pour le fret.
    Le Gouvernement croit qu'il y a un avenir pour le rail dans notre pays et que l'Europe est une chance pour la SNCF. Il faut saisir cette chance. Nous avons entendu le message d'hier, mais nous poursuivons notre effort pour sortir la SNCF de la situation très difficile dans laquelle elle se trouve actuellement. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

PNEUMOPATHIE

    M. le président. La parole est à Mme Claude Greff, pour le groupe UMP.
    Mme Claude Greff. Ma question s'adresse à M. le ministre de santé, de la famille et des personnes handicapées.
    Monsieur le ministre, en janvier et février derniers, une épidémie de pneumonie a été décelée en Chine. Mi-février, deux cas de grippe du poulet ont été identifiés à Hong Kong. Aujourd'hui, une trentaine de cas de pneumopathie sévère ont été diagnostiqués parmi le personnel de la clinique française de Hanoi. Ces cas sont apparus à la suite de l'arrivée, le 26 février dernier, d'un patient américain présentant les mêmes symptômes. Il venait de Chine et avait transité par Shanghai et Hong Kong. Nous devons déplorer deux décès dans cette clinique : une infirmière et un médecin qui se sont directement occupés de ce patient. Ce matin, on annonce un cas à l'hôpital de la Pitié, à Paris, et nous apprenons le décès d'un médecin français à Hanoi.
    Monsieur le ministre, pouvez-vous nous assurer que toutes les dispositions sont prises sur notre territoire pour éviter la propagation de cette épidémie, et nous donner les informations dont vous disposez sur son origine ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées.
    M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées. Comme vous, mandame la députée, le Gouvernement est attentif à la situation et préoccupé par cette épidémie que l'Organisation mondiale de la santé qualifie de menace sanitaire mondiale. On a en effet observé une progression rapide du nombre de cas, notamment en Asie, une gravité avérée et souvent fatale, un agent causal non identifié et une propagation en différents points du globe, y compris en Europe, récemment à Francfort et en Suisse.
    Dès lors, le Gouvernement a pris des mesures d'urgence. Nous avons immédiatement envoyé à Hanoi une équipe médicale constituée d'anesthésistes, d'un épidémiologiste, d'un virologue et d'infirmières, ainsi que du matériel de réanimation. Nous avons déclenché une alerte sanitaire aux frontières et, naturellement, dans tous nos hôpitaux et dans les SAMU, et tous les services de l'Etat ont été informés. Enfin, nous avons mis en place un numéro vert pour fournir au public informations et conseils, et nous assurons l'information des personnes revenant des zones d'épidémie ou ayant le projet de s'y rendre. Enfin, nous sommes en contact permanent avec l'OMS.
    Depuis hier, le nombre de cas a relativement peu progressé. Nous en sommes à 219. Le nombre de décès est de onze, dont les deux membres du personnel soignant de l'hôpital français de Hanoi. Les foyers sont désormais bien localisés, essentiellement à Hong Kong, Hanoi et Singapour. L'agent aurait été identifié comme un paramyxovirus, ce qui pourrait éventuellement fournir une piste thérapeutique.
    Je comptais vous dire que le cas annoncé ce matin par la presse n'était pas avéré, mais j'ai malheureusement appris, à deux heures, avant de venir en séance, qu'un cas était authentifié en France et que le malade venait d'Hanoi. C'est dire que la situation n'est pas encore dominée et que nous restons en alerte sanitaire maximum. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

POLITIQUE EXTÉRIEURE EUROPÉENNE

    M. le président. La parole est à M. Philippe de Villiers.
    M. Philippe de Villiers. Monsieur le Premier ministre, au cours du week-end dernier, aux Açores, trois chefs de gouvernement de l'Union européenne se sont réunis autour du président des Etats-Unis pour affirmer, à propos de l'Irak, une position rigoureusement contraire à tous les efforts de la diplomatie française, dont chacun, sur tous les bancs de cet hémicycle, a salué la cohérence et le panache.
    Or, au même moment, et parallèlement à l'expression de ces tropismes diplomatiques inconciliables, il y a comme un acharnement à vouloir mettre en place coûte que coûte une politique européenne étrangère unique,...
    M. Jean Glavany. Ce n'est pas demain la veille, hélas !
    M. Philippe de Villiers. ... qui viendrait comme un carcan contraindre les Etats membres.
    La contribution conjointe franco-allemande a elle-même préconisé et réclamé cette politique extérieure unique, décidée à la majorité, ce qui, naturellement, disqualifie définitivement le compromis de Luxembourg.
    La convention présidée par M. Giscard d'Estaing propose la création d'un poste de ministre des affaires étrangères européen.
    M. Maxime Gremetz. Qui parlerait d'une seule voix !
    M. Philippe de Villiers. Plus surprenant encore, le Gouvernement a déposé récemment un amendement allant dans le même sens.
    Monsieur le Premier ministre, ma question est simple : à la lecture des dernières déclarations et à la lumière des derniers événements, pouvez-vous faire en sorte que nous ayons une position cohérente, visant à préserver la liberté de la France dans sa politique étrangère ?
    Comment pourrait-on en effet considérer que le droit de veto est essentiel au Conseil de sécurité des Nations unies et deviendrait superfétatoire dans le cadre des institutions européennes ?
    Comment peut-on imaginer une politique étrangère unique, votée à la majorité qualifiée ?
    M. le président. Merci, monsieur de Villiers.
    M. Philippe de Villiers. Si tel était le cas, aujourd'hui, à l'heure où nous sommes, nous assisterions impuissants au départ des soldats français en Irak (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire)...
    M. Renaud Donnedieu de Vabres. Caricature !
    M. Philippe de Villiers. ... pour aller faire là-bas une guerre que nous ne voulons pas. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. Merci, monsieur de Villiers, vous allez maintenant écouter la réponse à votre question.
    M. Philippe de Villiers. Bref, comment vouloir garder les mains libres à New York et à Paris et les avoir liées à Bruxelles ?
    M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
    M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. Monsieur le député, avant d'exprimer mon désaccord sur votre vision européenne, je voudrais saluer, en votre nom, tous les marins vendéens qui, aux côtés des marins basques, ont participé à la lutte contre les dégâts provoqués par le naufrage du Prestige. Il s'est agi d'un combat très important, et je voulais saluer ceux qui y ont participé. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. François Hollande. Quel rapport avec la question ?
    M. le Premier ministre. J'en viens à votre question.
    Les difficultés ne justifient pas les renoncements. Or, actuellement, nous sommes dans une période où les difficultés sont grandes : il est vrai que, sur l'affaire irakienne, nous avons un profond désaccord avec le Royaume-Uni et l'Espagne. Toutefois, ce n'est pas parce que nous avons un désaccord que nous avons des humeurs ou des rancoeurs.
    Il est clair que la construction européenne est au coeur de la vision du monde que défend la France. Pourquoi nous battons-nous aujourd'hui avec tant de force au sein du Conseil de sécurité de l'ONU ? Parce que nous le faisons pour une vision du monde multipolaire, pour la diversité et contre le choc des civilisations. Et, pour cela, nous avons besoin de l'Europe.
    Pour que le pôle européen puisse équilibrer le monde, nous avons besoin d'une Europe qui soit porteuse des valeurs qui sont les nôtres, et que nous ne soyons plus, à l'avenir, les seuls à défendre les idées que notre histoire et nos convictions nous ont données. Avec une Europe forte, le monde sera davantage équilibré.
    Cependant, il est vrai, monsieur le député, que ni la géographie ni l'histoire...
    M. François Hollande. Ni les sciences naturelles ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Monsieur le premier ministre. ... n'ont rendu l'Europe évidente : la géographie nous sépare et l'histoire a fait que nous avons pu nous entretuer.
    Il est évident, comme l'a écrit Edgar Morin dans son superbe ouvrage, Penser l'Europe, que nous sommes une communauté de destin et que l'Europe est un besoin. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Et, dans la langue de Jean Monnet, l'Europe était aussi synonyme de paix. C'est pour cela qu'il faut se battre pour cette idée et pour essayer de construire l'Europe, en dépit de toutes les difficultés auxquelles nous sommes confrontés aujourd'hui.
    Du reste, ces difficultés, nous réussissons à les surmonter, y compris sur des sujets aussi délicats que celui de la défense : dans quelques jours, c'est l'Europe qui prendra la relève de l'OTAN en Macédoine. De même, de grands groupes industriels français participeront à la construction du futur porte-avions britannique. Cest dire que, en dépit des difficultés internationales, nous continuons de progresser.
    Certes, il reste encore des pas importants à faire, mais l'Europe doit trouver la force de surmonter les difficultés et d'oeuvrer pour son avenir. C'est pour cela que nous restons européens et que nous défendrons nos principes et nos convictions avec autant de force à Bruxelles qu'à New York. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Un député du groupe socialiste. C'est digne du café du commerce !
    M. le président. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance

    M. le président. La séance est suspendue.
    (La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures vingt, sous la présidence de M. François Baroin.)

PRÉSIDENCE DE M. FRANÇOIS BAROIN,
vice-président

    M. le président. La séance est reprise.

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LUTTE CONTRE LA VIOLENCE ROUTIÈRE

Discussion d'un projet de loi

    M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi renforçant la lutte contre la violence routière (n°s 638, 689).
    La parole est à M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer.
    M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, le projet de loi renforçant la lutte contre la violence routière, que mon collègue M. Perben, garde des sceaux, ministre de la justice, et moi-même vous présentons, vise à mettre un terme à une situation que tout le monde peut qualifier d'intolérable : accepter comme une fatalité la première cause d'insécurité en France. Les accidents de la route provoquent chaque année, je vous le rappelle, 5 000 tués et plus de 120 000 blessés, à comparer aux 1 000 décès annuels par homicide volontaire. Malgré une décrue régulière du nombre de victimes depuis le pic de 1972, avec ses 16 545 tués, sur le long terme, les chiffres sont effrayants : au cours des quarante dernières années, près de 500 000 vies humaines ont été perdues, brisées, volées, plus de 11 millions de blessés ont souffert ou souffrent encore dans leur chair des conséquences de ces drames.
    Dans 90 % des cas, ces souffrances sont le résultat d'un comportement au mieux inadapté, mais le plus souvent transgressif. Car si la circulation est un domaine depuis longtemps très règlementé, elle est aussi le lieu où les occasions de violer la norme sont nombreuses et aisées. A force d'arrangements personnels, chaque conducteur considère trop souvent les règles du code de la route comme optionnelles.
    Cette transgression, qui touche tous les milieux sociaux et toutes les tranches d'âge, même si l'on peut déplorer une nette surreprésentation des jeunes, ne doit certes pas éluder les autres causes d'accident, comme les insuffisances ou certains défauts dans les infrastructures, ou encore le retard pris dans la nécessaire amélioration de la sécurité active et passive des véhicules. Mais c'est bien le changement de comportement du conducteur qui permettra de mettre un terme aux drames humains provoqués par la délinquance routière.
    Ces drames sont d'autant plus inacceptables que, dans 60 % des cas, les victimes de la route n'ont aucune responsabilité dans l'accident. Elles ont perdu la vie ou ont été blessées, innocentes ! Oui, 60 % des victimes ont eu pour seul tort de croiser la route d'un délinquant routier !
    Face à cette responsabilité collective et individuelle, le Président de la République a décidé, le 14 juillet 2002, de faire de la lutte contre l'insécurité routière l'un des trois chantiers de son quinquennat.
    Le 18 décembre dernier, le comité interministériel de la sécurité routière a arrêté, dans le cadre d'un programme pluriannuel, les premières mesures propres à mieux faire respecter les règles existantes.
    Nous prendrons parallèlement, dans les prochains jours, les mesures réglementaires destinées à mettre en oeuvre les orientations retenues, notamment le retrait de deux points pour l'usage d'un téléphone portable tenu en main lors de la conduite et le retrait de un à trois points pour le défaut de port de la ceinture, ou du casque pour les motocyclistes.
    Le projet de loi que nous vous présentons aujourd'hui répond quant à lui à un double objectif. D'une part, renforcer l'efficacité de la justice pénale dans le traitement du contentieux routier, afin que cesse ce sentiment d'impunité qui trop souvent habite le conducteur ; ce dispositif est prévu par les chapitres I et II du projet de loi. D'autre part, renforcer la prévention des accidents par des mesures concernant la sécurité des transports routiers, des infrastructures et des véhicules, mais aussi permettant une responsabilisation accrue des conducteurs, en particulier les nouveaux conducteurs et les récidivistes ; ces dispositions relèvent des chapitres III et IV.
    Sur le premier volet, le texte prévoit l'aggravation des peines pour les délits les plus graves, notamment les atteintes involontaires à la vie ou à l'intégrité de la personne commises à l'occasion de la conduite d'un véhicule. Il prévoit le renforcement de l'effectivité des sanctions et l'accélération des procédures. Pour ce faire, il permet une large refonte des modes de traitement de la délinquance routière, en les rendant plus efficaces et plus rapides. Le garde des sceaux vous précisera l'ensemble des mesures prévues pour atteindre cet objectif et passer ainsi, dans les semaines et les mois à venir, de la période des annonces et des engagements à celle des décisions destinées à faciliter et à développer l'efficacité des contrôles et des sanctions.
    Contrairement aux commentaires que l'on a pu entendre ici et là au cours des dernières semaines, ce projet de loi ne comporte pas seulement des mesures qui accentuent la répression - mesures au demeurant indispensables -, il permet également un renforcement des moyens de prévention des accidents par toute une série de dispostions, que je vais maintenant exposer dans leurs grandes lignes.
    La plus significative d'entre elles concerne l'instauration du permis probatoire, c'est-à-dire l'article 8.
    Plusieurs d'entre vous avaient, dans le passé, déposé des propositions de loi en ce sens. Cette disposition va permettre un meilleur apprentissage de la conduite pour les conducteurs novices en instaurant un système qui développe la responsabilisation : le capital total de 12 points du permis ne sera obtenu qu'à l'issue d'une période probatoire de trois années sans infraction. Au départ, le permis de conduire ne sera donc affecté que de la moitié du capital de points, soit six points. Ainsi, un conducteur nouveau, je ne dis pas un jeune conducteur, parce que l'on peut y être très bien, un conducteur nouveau à quarante ou cinquante ans,...
    M. René Dosière. Ce sera souvent un jeune !
    M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer. ... un nouveau conducteur, donc, commettant dans le délai de trois ans un délit en matière de sécurité routière ou une contravention de conduite sous l'empire d'un état alcoolique, ce qui entraînera prochainement un retrait non plus de trois points mais de six points, verra son permis invalidé.
    Ces dispositions se justifient par le fait que, dans les deux ou trois premières années de conduite, les nouveaux conducteurs sont les plus impliqués dans les accidents de circulation, avec un taux près de trois fois supérieur au taux moyen.
    Cette volonté de prévention, nous l'avons également marquée dans le projet de loi à travers d'autres dispositions.
    Par exemple, l'achat de kits pour le débridage des cyclomoteurs ou l'équipement de détecteurs de radars ne seront plus tolérés et seront sanctionnés avec la plus extrême fermeté. L'article 12 prévoit d'aggraver les sanctions contre ceux qui commercialisent de tels appareils. Il habilite également les agents de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes à constater ces infractions, qui deviennent des délits.
    Comme je le disais dans mon propos introductif, il n'est pas dans l'intention du Gouvernement d'éluder les causes d'accidents pouvant provenir des infrastructures ou des véhicules. C'est pourquoi le projet de loi prévoit, dans son article 13, de faciliter le déplacement des obstacles fixes situés en bordure des routes, comme les arbres, les poteaux, les murets, les fossés ou les talus, qui interviennent dans 1 250 accidents mortels par an, en permettant aux gestionnaires de voirie d'imposer la prise en charge financière de l'ensemble des travaux par les concessionnaires eux-mêmes.
    M. René Dosière. Les infrastructures, c'est plus large !
    M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer. Au-delà du traitement de ces obstacles et des infrastructures, il s'agit de développer une culture de la prévention du risque routier chez les aménageurs et les gestionnaires d'infrastructures, et d'améliorer la prise en charge de la sécurité routière au quotidien, dans toutes leurs activités, de l'urbanisme à la gestion des déplacements, de la conception à l'entretien et l'exploitation routière, de la planification territoriale à la réalisation d'aménagements.
    M. Christian Estrosi. Très bien !
    M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer. Le projet de loi redéfinit également, à l'article 14, le rôle des experts automobiles, pour améliorer la sécurité des véhicules, en leur donnant de nouveaux pouvoirs lorsqu'ils constatent la dangerosité d'un véhicule gravement endommagé.
    Il permet de renforcer la protection des délégués à la formation du permis de conduire et des inspecteurs du permis de conduire et de la sécurité routière, qui travaillent dans des conditions souvent difficiles, il faut le reconnaître, pour assurer leur mission de service public. C'est ainsi que le candidat à l'examen du permis de conduire qui aura eu un comportement violent envers un inspecteur pourra se voir interdit de se présenter à nouveau avant un délai de trois ans : c'est l'article 15.
    Il n'est pas de bonne politique de sécurité routière sans un diagnostic précis des causes des accidents. L'importance que revêt aujourd'hui une bonne connaissance de l'accidentologie conduit à demander aux collectivités territoriales gestionnaires de voirie de fournir, en vertu de l'article 16, des données statistiques à l'Observatoire national interministériel de la sécurité routière. Celles-ci porteront sur la caractéristique de leurs réseaux et le trafic routier correspondant.
    Les mesures proposées concernent également les professionnels de la route et visent à renforcer les dispositifs existant en matière de sécurité. Les articles 17 et 18 traitent de ce sujet.
    Il s'agit tout d'abord de compléter le code de la route pour permettre l'immobilisation immédiate des véhicules routiers en infraction aux prescriptions de la réglementation du transport des marchandises dangereuses qui peuvent compromettre la sécurité. Il est en effet nécessaire de pouvoir exiger d'un transporteur qu'il interrompe un transport de marchandises dangereuses effectué dans des conditions contraires à la sécurité et qu'il procède aux remises en conformité requis, avant de poursuivre son trajet.
    Il s'agit ensuite de confirmer dans la loi d'orientation des transports intérieurs que la profession de déménageur reste bien soumise aux règles qui s'appliquent à toutes les entreprises de transport.
    Il s'agit encore de prendre en compte la mise en place prochaine du chronotachygraphe électronique, prévue par la réglementation européenne pour août 2004. Cet appareil entièrement numérique remplacera progressivement l'appareil actuel, de technique plutôt horlogère. Il fonctionnera avec une carte propre à chaque conducteur, sur laquelle seront enregistrées les données qui le concernent. Les infractions et les sanctions éventuelles actuellement prévues doivent être adaptées pour tenir compte de cette évolution technologique.
    Il faut enfin simplifier la constitution des commissions des sanctions administratives, en plaçant celles-ci auprès des préfets de région. Ces commissions sont chargées de veiller au respect, par les entreprises de tranport, de la réglementation, notamment de celle concernant la sécurité routière.
    Mesdames, messieurs les députés, la qualité du travail de votre commission, de son président, de son rapporteur M. Richard Dell'Agnola ici présent, et de vous tous, mérite véritablement d'être saluée.
    M. Christian Estrosi. Merci !
    M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer. Le nombre et la qualité des amendements déposés démontrent tout l'intérêt suscité par ce sujet, et la réelle prise de conscience qu'il provoque chez chacun d'entre nous.
    Cependant, toutes vos propositions ne pourront pas, vous pouvez l'imaginer, être retenues au cours de ce débat. Certaines portent sur des mesures réglementaires sur lesquelles nous travaillerons. Votre avis sera précieux, bien sûr, dans la rédaction, le cas échéant, des décrets ministériels.
    M. Christian Estrosi. Nous voilà rassurés !
    M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer. D'autres propositions nécessitent des expertises préalables, que nous engagerons au cours des prochaines semaines, notamment au sein du Conseil national de la sécurité routière. Je viendrai volontiers rendre compte de leurs conclusions devant votre commission.
    En faisant de la sécurité routière une grande cause nationale, le Président de la république, aidé par le Gouvernement, a fait le choix de la vie contre la mort, le choix de l'usager de la route et de la société contre la violence et la transgression. La rupture, que nous appelons de nos voeux, nécessite la mobilisation de tous sans états d'âme, loin de tout esprit partisan.
    Et puisque les parlementaires ont souvent des mandats locaux,...
    M. Jacques Floch. Ou en ont eu !
    M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer. ... ou du moins sont souvent en contact avec les élus locaux, les maires, les conseillers généraux et régionaux, les présidents de communauté d'agglomération, je voudrais à toutes et à tous vous dire combien sont nécessaires l'aide, l'appui et la volonté de ces élus locaux, qui peuvent faire de grandes choses pour la sécurité routière.
    M. René Dosière. Ne leur prenez pas l'argent, alors !
    M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer. Tous ensemble, transformons l'amélioration constatée aujourd'hui en tendance durable, pour en faire une victoire commune.
    Ici, devant la représentation nationale, je dis solennellement qu'il est des circonstances où l'individualisme doit s'effacer devant la règle civique. Sauver chaque année des milliers de vies, épargner chaque année à des dizaines de milliers de personnes de souffrir, cela justifie bien quelques sacrifices et quelques efforts de discipline et de respect de l'autre pour la pacification durable d'une route mieux partagée.
    En conclusion, je voudrais rendre ici hommage aux associations qui oeuvrent depuis des décennies en faveur d'une route pacifiée. Elles ont été écoutées souvent, entendues parfois, mais leurs conclusions n'ont pas toujours été prises en compte. Et ne voyez dans cette remarque aucune connotation partisane. Toutefois, leur poids, au fil des ans, a été décisif car nous revenons de loin. D'ailleurs, si, en trente ans, nous sommes passés de 17 000 vies humaines sacrifiées à 8 000 aujourd'hui - nous avons fait la moitié du chemin -, c'est probablement en grande partie grâce à ces associations. Elles renforcent la conscience qui doit être la nôtre du devoir qui nous attend, que nous soyons membres du Gouvernement ou parlementaires. En tout cas, je vous remercie pour le travail que vous avez déjà effectué comme pour celui que nous allons accomplir au cours de ce débat parlementaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
    M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, nous en sommes, je pense, tous convaincus, l'insécurité routière, la violence routière est un véritable scandale auquel notre pays paie, un trop lourd tribut, depuis trop longtemps.
    La France ne pouvait plus demeurer la lanterne rouge de l'Europe. Notre société tolère, heureusement, de moins en moins, toutes les formes de violence, elle rejette de plus en plus les risques absurdes que la violence routière fait courir aux vies humaines. Il fallait répondre à la très grande attente des Français dans ce domaine.
    Le Président de la République a dit au Gouvernement qu'il attendait une action concertée, énergique et opiniâtre. Il a assigné aux pouvoirs publics l'objectif de rejoindre le plus rapidement possible nos voisins européens qui obtiennent les meilleurs résultats dans la lutte contre ce fléau. « Les Français sont, a-t-il ajouté, prêts à accepter des mesures courageuses. » Eh bien, nous y sommes.
    Avant de revenir sur la mobilisation des pouvoirs publics et de la justice en particulier, je veux à mon tour, après mon collègue Gilles de Robien, devant l'Assemblée nationale, rendre un hommage appuyé aux associations qui, depuis des années, ont ouvert les yeux de nos compatriotes sur les réalités de ce scandale de l'insécurité routière. Sans leurs efforts inlassables, la prise de conscience salutaire que je viens d'évoquer n'aurait pas eu lieu.
    M. de Robien vient de rappeler la mobilisation nationale dont témoigne l'engagement de tous les ministères concernés pour rompre véritablement avec la « fatalité ». Le comité interministériel de la sécurité routière du 18 décembre a mis en oeuvre ce changement de perspectives.
    Deux mots clés me paraissent pouvoir résumer notre action, et celle de la justice en particulier : la responsabilité et l'efficacité. La responsabilité passe par la sanction et par la pédagogie de la sanction. L'efficacité concerne l'ensemble du traitement des infractions tout au long de la chaîne pénale. La justice joue dans ce cadre un rôle de premier plan, ainsi que l'illustre la nomination récente d'un magistrat aux fonctions de délégué interministériel à la sécurité routière.
    La mobilisation pour la sécurité routière est générale. Elle engage au premier chef le Parlement, et je m'en réjouis. Ainsi, je veux saluer l'excellent travail de votre commission des lois et de votre rapporteur, M. Dell'Agnola, dont les différents amendements enrichissent le présent projet de loi et renforcent sa cohérence.
    Cette convergence de vues ne saurait étonner puisque M. Dell'Agnola est à l'origine de la loi du 3 février 2003 permettant de réprimer l'usage de stupéfiants au volant. Cette loi a posé la première pierre de l'édifice juridique rénové que le Gouvernement vous propose de construire. Le décret d'application sera publié très rapidement.
    M. Christian Estrosi. Très bien !
    M. le garde des sceaux. Permettez-moi maintenant de vous présenter en quelques mots les principales dispositions du projet de loi qui relèvent de la justice.
    Je parlerai d'abord de la responsabilité.
    Le projet tend à sanctionner plus sévèrement les responsables d'accidents mortels ou corporels de la circulation. Il prévoit en effet une première aggravation des peines encourues lorsque l'accident mortel ou corporel est causé par l'imprudence d'un conducteur. La faute d'imprudence au volant, qui constitue une contravention au code de la route, demeure en tout état de cause nécessaire pour caractériser une infraction.
    Les peines sanctionnant les homicides et les blessures involontaires résultant de l'imprudence d'un conducteur sont respectivement portées par le projet de trois à cinq ans d'emprisonnement et de deux à trois ans d'emprisonnement.
    Une deuxième augmentation des peines est prévue lorsque les faits sont commis avec l'une des six circonstances aggravantes suivantes : conduite sous l'empire d'un état alcoolique, conduite après avoir fait usage de stupéfiants, mise en danger délibérée d'autrui, délit de fuite, conduite sans permis de conduire, délit de grand excès de vitesse.
    Les peines sont à nouveau aggravées si sont réunies deux ou plus de ces circonstances, pour s'élever à dix ans d'emprisonnement en cas d'homicide involontaire et à sept ans d'emprisonnement en cas de blessures involontaires.
    Je rappelle, pour que les choses soient bien claires, que la peine de dix ans d'emprisonnement est déjà inscrite dans notre législation en cas d'homicide involontaire avec, d'une part, alcoolémie, usage de stupéfiant ou délit de fuite et, d'autre part, mise en danger délibérée. La peine la plus élevée prononcée en 2001 par une juridiction dans une telle hypothèse a été de sept ans d'emprisonnement ferme.
    Bien évidemment, il ne s'agit là que des peines maximales édictées par la loi, les juridictions répressives devant apprécier, pour chaque affaire et en fonction des circonstances, les sanctions qui devront être effectivement prononcées. Ces peines maximales sont destinées à faire prendre conscience aux conducteurs de la gravité des actes de violence routière. Je me réjouis en conséquence qu'elles aient été adoptées par votre commission des lois, sous réserve d'améliorations rédactionnelles et formelles tout à fait justifiées.
    Votre commission propose par ailleurs de prévoir que les nouvelles incriminations réprimant les accidents corporels de circulation continuent de relever de la compétence du juge unique, ce qui constitue une précision indispensable.
    Enfin, elle a adopté un amendement, déposé par M. Garraud, qui comble une lacune de notre législation dénoncée depuis quelques années par les praticiens, tenant au fait que l'auteur fautif d'un accident de circulation qui provoque l'interruption d'une grossesse ne commet aucune infraction. Cette situation est pourtant paradoxale puisqu'un délit sera constitué si l'accident ne provoque pas l'interruption de la grossesse, mais que l'enfant naît avec, du fait de cet accident, des lésions physiques ou psychiques. Pour ces raisons, le texte adopté par votre commission me paraît justifié.
    D'une manière générale, le projet de loi qui vous est soumis renforce, dans un souci d'efficacité, la répression des infractions portant atteinte à la sécurité routière.
    Pour ce qui est de la matière pénale et de la procédure pénale, trois autres séries de modifications sont apportées à la législation actuelle. Ces modifications font l'objet des trois sections du chapitre II du projet de loi ; elles concernent respectivement la récidive, les peines complémentaires et la procédure de l'amende forfaitaire.
    S'agissant de la récidive, il convient, en premier lieu de mieux sanctionner les conducteurs qui, après avoir commis une première infraction, continuent d'avoir un comportement dangereux sur la route. L'efficacité des règles applicables en cas de récidive en matière de sécurité routière doit donc être accrue.
    Ainsi, en ce qui concerne les contraventions de la cinquième classe au code de la route qui deviennent des délits en récidive, comme le défaut de permis ou le grand excès de vitesse, le délai de récidive est porté d'un an à trois ans.
    De même, la sanction de la récidive de certains délits violents est harmonisée. Ainsi, le conducteur qui, par ses fautes de conduite répétées provoque un premier accident en blessant un piéton, puis un second causant la mort d'un automobiliste, sera considéré comme récidiviste.
    La personne poursuivie pour usage de stupéfiant au volant après avoir été condamnée pour conduite sous l'emprise de l'alcool sera également considérée comme récidiviste.
    L'efficacité des peines complémentaires est également renforcée par le projet de loi.
    Des modifications significatives concernant les peines complémentaires paraissent en effet indispensables. Les dispositions du texte les plus notables en la matière sont celles qui suppriment la possibilité d'aménagement de la peine de suspension du permis de conduire en cas de délit mettant en danger la vie d'autrui. La pratique dite des « permis blancs » a en effet provoqué d'importants contentieux et elle paraît par nature incompatible avec la condamnation de conducteurs au comportement particulièrement dangereux ainsi qu'avec la nécessaire dimension pédagogique de la sanction.
    Le tribunal conservera la faculté de fixer la durée de la suspension du permis de conduire pour réprimer les infractions en cause mais, s'il décide d'une suspension, il ne pourra l'aménager. En effet, on ne peut considérer qu'une personne est dangereuse au volant le week-end et qu'elle ne l'est pas les autres jours de la semaine.
    Le projet de loi poursuit par ailleurs la diversification des peines complémentaires commencée avec l'entrée en vigueur du nouveau code pénal afin de permettre au juge de mieux personnaliser la peine pour les comportements les plus dangereux au volant. A cet effet, de nouvelles peines complémentaires sont créées : la peine complémentaire de stage de formation à la sécurité routière et la peine complémentaire d'interdiction de conduire certains véhicules.
    D'autres peines sont ajoutées à des incriminations existantes, telle la peine complémentaire de confiscation du véhicule, notamment en cas d'homicide involontaire ou de conduite sans permis en récidive.
    Votre commission des lois propose fort opportunément de prévoir certaines de ces peines, comme la confiscation du véhicule, pour certains délits au code de la route, ce qu'avait omis de prévoir le projet de loi.
    L'efficacité de la procédure de l'amende forfaitaire est renforcée.
    Le projet entend faciliter, et ce n'est pas la moindre de ses ambitions, le traitement du contentieux routier par l'institution judiciaire.
    La procédure de l'amende forfaitaire est ainsi rendue plus opérationnelle par le fait que la recevabilité des contestations émanant des personnes titulaires de la carte grise est subordonnée à la consignation préalable de l'amende dans les cas où sont applicables les dispositions de l'article L. 121-3 du code de la route prévoyant à leur encontre une présomption de responsabilité pécuniaire.
    Parallèlement, la possibilité de recourir à des contrôles automatisés des infractions routières est expressément prévue par la loi afin de permettre le développement et la montée en puissance de ces dispositifs, pour le déploiement desquels une mission interministérielle, je vous en informe, est au travail depuis plusieurs semaines, impliquant en particulier le ministère de l'intérieur et le ministère de l'équipement.
    En outre, une présomption de domiciliation est instituée, trop de contrevenants échappant actuellement aux poursuites en ne déclarant pas leur changement d'adresse au fichier national des immatriculations.
    On aboutit ainsi à un véritable renforcement de l'efficacité de la chaîne contrôle-sanction, qui est indispensable si l'on souhaite éviter l'engorgement des tribunaux tout en permettant une surveillance accrue du comportement des automobilistes sur les routes.
    Là encore, je me félicite que ces dispositions pragmatiques et cohérentes reçoivent l'accord de votre commission des lois.
    Enfin, pour être complet sur le dispositif pénal figurant dans le projet de loi, je vous indique que deux nouvelles incriminations sont créées afin d'aggraver la répression de la commercialisation et de l'utilisation de « détecteurs de radars » - pourquoi sanctionner leur utilisation si l'on n'agit pas sur leur commercialisation ? - ou bien celle de la promotion des fameux « kits de débridage » des cyclomoteurs, destinés à en augmenter la puissance et donc, pour les plus jeunes, la dangerosité.
    J'en suis convaincu, les dispositions du projet répondent à une attente forte et légitime des Français, chez qui l'on peut déceler une véritable prise de conscience de l'importance et de la gravité de la délinquance routière ; les chiffres des derniers mois en témoignent.
    Les associations de lutte contre la violence routière ont été largement consultées lors de la préparation du texte et nombre de leurs propositions ont été prises en compte.
    Certes, le droit pénal et la procédure pénale ne sauraient constituer, Gilles de Robien l'a dit avant moi, les seules réponses à la violence routière, mais ils ont leur place dans le combat que notre société engage contre ce fléau.
    Il ne faut pas davantage se méprendre sur le rôle du droit pénal. Les nouvelles dispositions ne tendent évidemment pas à augmenter le nombre des automobilistes incarcérés dans des établissements pénitentiaires : l'objectif est de renforcer le caractère dissuasif des sanctions applicables, en prévoyant des peines cohérentes et lisibles, et d'accroître, je le répète, l'efficacité du dispositif contrôle-sanction, en permettant une effectivité des contrôles sur l'ensemble du réseau routier.
    Nous avons noté que la seule annonce de la présente réforme semble déjà produire des effets bénéfiques, ce qui impose de ne pas relâcher l'effort engagé par les pouvoirs publics.
    Le Gouvernement est bien conscient que la lutte contre la violence routière s'inscrira dans le temps et qu'elle nécessitera, au-delà du vote de ce texte, une mobilisation sans faille des autorités concernées, et tout spécialement de l'institution judiciaire.
    C'est dans cet esprit que je vous demande d'adopter le projet de loi qui vous est soumis. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.
    M. Richard Dell'Agnola, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, avec plus de 8 000 tués et 150 000 blessés sur ses routes en 2001, la France est l'un des pays les plus meurtriers d'Europe. Face à cette réalité, le Président de la République s'est engagé, le 14 juillet dernier, à faire de la lutte contre l'insécurité routière l'un de ses chantiers prioritaires. Le Gouvernement a organisé les premiers états généraux sur ce sujet le 17 septembre et a arrêté son programme de mesures le 18 décembre dernier, lors du comité interministériel.
    L'annonce de ces mesures a eu un effet immédiat, comme l'a rappelé M. le garde des sceaux. Le nombre de tués sur les routes diminue depuis neuf mois consécutifs, avec une baisse de 28 % en décembre, de 33 % en janvier et de près de 36 % en février. Le projet de loi soumis aujourd'hui à notre assemblée montre la détermination du Gouvernement à pérenniser cette tendance. Je salue ici l'action volontariste conjointe de M. le ministre de l'équipement et des transports et de M. le garde des sceaux. Ce texte, qui reprend l'ensemble des mesures législatives décidées lors du comité interministériel, vise, d'une part, à améliorer l'efficacité de notre système répressif, en prévoyant des sanctions plus lourdes pour les délinquants routiers, des contrôles automatisés et des amendes forfaitaires, et, d'autre part, à renforcer la prévention des accidents par une responsabilisation accrue des conducteurs novices et une meilleure information sur les risques routiers.
    Il faut le souligner, le projet de loi a été très bien accueilli par les acteurs de la sécurité routière, en particulier par les associations concernées. Le dialogue noué avec elles au cours des auditions a été très fructueux ; qu'elles en soient ici remerciées.
    Les drames dont la presse s'est fait l'écho ont profondément, et à juste titre, ému l'opinion. Les Français ont compris la nécessité de modifier leur comportement sur les routes et approuvent dans leur grande majorité l'action du Gouvernement dans ce domaine.
    Que prévoit le projet de loi ?
    Tout d'abord, il vise à donner une meilleure lisibilité aux sanctions applicables. Pour ce faire, il crée des délits d'homicide et de blessures involontaires à l'occasion de la conduite d'un véhicule. En effet, ces délits ne sont pas aujourd'hui réprimés par des dispositions spécifiques, mais ils relèvent à la fois d'articles du code pénal et d'articles du code de la route.
    Ensuite, le texte alourdit les peines encourues pour les délits les plus graves. Ainsi, l'homicide involontaire sera puni de cinq ans d'emprisonnement, au lieu de trois ans actuellement, de sept ans lorsqu'il y aura une circonstance aggravante, et de dix ans lorsqu'il existera au moins deux circonstances aggravantes.
    Pour les blessures involontaires entraînant une incapacité de travail temporaire supérieure à trois mois, les peines seront de trois ans d'emprisonnement, au lieu de deux, de cinq ans avec une circonstance agravante et de sept ans avec deux circonstances aggravantes.
    Les blessures involontaires avec incapacité de travail inférieure ou égale à trois mois seront punies respectivement de deux ans, de trois ans ou de cinq ans d'emprisonnement, selon les circonstances aggravantes.
    Une justice exemplaire doit pouvoir s'opposer aux individus les plus dangereux sur la route.
    La liste des circonstances aggravantes est complétée. Seront désormais considérées comme telles la conduite sous l'empire d'un état alcoolique, la conduite après avoir fait usage de stupéfiants, la mise en danger délibérée d'autrui, le délit de fuite, la conduite sans permis de conduire et le grand excès de vitesse.
    De plus, afin de mettre fin à la pratique abusive des « permis blancs », le texte supprime toute possibilité d'aménagement de la peine de suspension du permis de conduire pour les délits routiers les plus graves. Cette peine aura ainsi toute son efficacité.
    La commission des lois, à l'initiative de notre collègue Jean-Paul Garraud, a complété ces dispositions en adoptant un amendement tendant à punir de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende toute personne qui provoque une interruption involontaire de grossesse à l'occasion d'un accident de la route.
    La commission a également adopté un amendement présenté par Michel Buillard visant à étendre à la Polynésie française la loi du 3 février 2003 relative à la conduite sous l'influence de substances ou plantes classées comme stupéfiants. Cet amendement permettra de lutter plus efficacement contre la consommation de pakalolo, drogue très répandue chez les jeunes de ce territoire.
    Le projet de loi se donne également pour objectif de sanctionner plus sévèrement les conducteurs qui, en dépit d'une première condamnation, continuent d'avoir un comportement dangereux sur les routes. Ainsi, l'article 4 du texte durcit les règles applicables en matière de récidive. Le délai pour apprécier la récidive est portée d'un à trois ans pour les contraventions de la cinquième classe, lorsque cette récidive, pour les infractions de défaut de permis de conduire ou de grand excès de vitesse, par exemple, constitue un délit.
    De son côté, l'article 6 crée deux nouvelles peines complémentaires : l'interdiction de conduire certains véhicules à moteur et l'obligation de suivre un stage de sensibilisation à la sécurité routière. Il prévoit également la confiscation du véhicule pour les délits les plus graves et l'interdiction définitive de solliciter un nouveau permis en cas de récidive d'homicide involontaire aggravé.
    La commission des lois a adopté deux amendements qui visent à élargir l'éventail des réponses à la disposition du juge : l'un, de Georges Fenech, permet d'imposer au délinquant routier l'installation sur son véhicule d'un enregistreur de vitesse pour une durée de cinq ans ; l'autre, de René Dosière, incite le juge à condamner les auteurs d'infractions routières à des peines de travail d'intérêt général dans un établissement spécialisé dans l'accueil des blessés de la route.
    Ces deux amendements ont un intérêt pédagogique et préventif, même s'ils soulèvent l'un et l'autre des difficultés d'ordre pratique.
    Afin d'améliorer l'efficacité du traitement du contentieux routier, le projet de loi étend la possibilité de recourir aux contrôles automatisés et aux amendes forfaitaires. A cet effet, il élargit le champ d'application de l'article L. 121-3 du code de la route, qui prévoit une responsabilité pécuniaire du propriétaire du véhicule. Ce dernier ne pourra désormais contester l'amende forfaitaire que s'il dépose au préalable une consignation d'un montant égal à celui de l'amende. Cette mesure vise à éviter un recours abusif au juge.
    De façon générale, cette réforme répond à la nécessité de désengorger les tribunaux. Aujourd'hui, l'institution judiciaire ne parvient pas à faire face. Le taux de recouvrement des amendes et des condamnations pécuniaires est faible : à peine plus de 35 %.
    De surcroît, le contentieux routier sera plus équitable avec la certitude d'une sanction immédiate et égale pour tous.
    Le texte comporte enfin un volet préventif, que les travaux de la commission des lois ont permis d'enrichir. Ce volet instaure notamment un permis probatoire pour les conducteurs novices. Disposant de six points, le conducteur novice récupérera les douze points au bout de trois ans sans infraction. Cette disposition devrait contribuer à faire reculer la surmortalité des 18-24 ans.
    Pour assurer une bonne articulation avec le dispositif de la conduite accompagnée, qui donne des résultats satisfaisants, j'ai proposé à la commission un amendement tendant à réduire la période probatoire des conducteurs novices de trois à deux ans lorsqu'ils ont suivi un apprentissage anticipé de la conduite.
    Le projet de loi comprend en outre un certain nombre d'autres mesures préventives, comme la répression de la commercialisation et de l'utilisation des détecteurs de radars et des kits de débridage des cyclomoteurs. Ces délits sont passibles de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende.
    Il prévoit également des mesures destinées à déplacer les obstacles latéraux, à retirer de la circulation les véhicules gravement endommagés, en donnant plus de pouvoirs aux experts en automobile, et à renforcer la sécurité du transport de matières dangereuses.
    Afin de prévenir les agressions contre les inspecteurs du permis de conduire, le texte donne aux magistrats la possibilité de prononcer une peine complémentaire d'interdiction de se présenter à l'examen du permis de conduire pour une durée de trois ans.
    La commission des lois a adopté, sur proposition de Patrick Delnatte, un amendement tendant à sensibiliser les conducteurs aux notions élémentaires de premiers secours dans le cadre de leur formation.
    M. René Dosière. Très bien !
    M. Richard Dell'Agnola, rapporteur. Cet amendement nécessitera un décret d'application.
    La commission a également adopté, contre l'avis de son rapporteur, deux amendements de Christian Estrosi.
    Le premier tend à relever à 150 km/h la vitesse maximale autorisée sur les autoroutes comportant au moins trois voies...
    M. Armand Jung. Scandaleux ! Inadmissible !
    M. Christian Estrosi. Plusieurs commissaires socialistes, dont M. Dosière, pourtant l'ont voté !
    M. Richard Dell'Agnola, rapporteur. Je pense que cette mesure, à contre-courant du projet de loi, n'est pas le meilleur signal à envoyer aux Français au moment où leur comportement sur les routes commence à changer.
    M. Armand Jung. Elle est indigne.
    M. Richard Dell'Agnola, rapporteur. Le second amendement vise à soumettre les conducteurs à un examen médical pour vérifier tous les dix ans leur aptitude physique à la conduite. Une mesure de même nature a déjà été arrêtée lors du comité interministériel du 18 décembre, et elle doit d'ailleurs faire prochainement l'objet d'un décret.
    La commission des lois a aussi adopté un amendement de notre collègue Lionnel Luca qui doit permettre la mise en place rapide de l'immatriculation des cyclomoteurs.
    Enfin, le projet de loi comporte deux séries de dispositions sans lien avec le texte, mais qui se justifient par l'urgence qui s'attache à leur adoption.
    La première concerne les enquêtes techniques destinées à déterminer les causes des accidents d'aéronefs militaires.
    La seconde complète les dérogations apportées au principe de l'encellulement individuel, posé par la loi du 15 juin 2000 et qui doit entrer en vigueur le 16 juin 2003. Par cette disposition, le Gouvernement ne renonce pas au principe de la mise en cellule individuelle, mais il prend acte de l'impossibilité pratique de le mettre en oeuvre immédiatement. Le plan de construction de prison annoncé en novembre doit permettre d'atteindre progressivement cet objectif.
    M. René Dosière. Cela n'a rien à voir avec le présent texte !
    M. Armand Jung. Aucun rapport !
    M. Richard Dell'Agnola, rapporteur. Ce projet de loi constitue le volet législatif du programme d'action décidé par le comité interministériel du 18 décembre dernier. D'autres mesures d'ordre réglementaire sont en préparation. Pour mémoire, elles concernent l'usage du téléphone portable au volant, le port de la ceinture de sécurité et l'aptitude physique à conduire.
    L'application de ces mesures nécessite une augmentation des moyens financiers et humains. Certes, les crédits consacrés à la sécurité routière ont sensiblement augmenté dans la loi de finances de 2003 - 1 200 policiers et gendarmes seront recrutés en cinq ans. Cet effort doit être poursuivi ; le Gouvernement devra nous le confirmer.
    L'efficacité de ce plan d'action suppose, enfin et surtout, la mobilisation de l'ensemble des acteurs de la sécurité routière. A cet égard, le projet de loi, présenté conjointement par le garde des sceaux et le ministre de l'équipement et des transports, témoigne de la mobilisation de l'ensemble du Gouvernement sur ce chantier. Il illustre la volonté nouvelle de traiter ce problème de manière interministérielle et transversale. C'est là un véritable changement de culture que je tenais une nouvelle fois à saluer.
    L'insécurité routière n'est pas une fatalité. Une dynamique nouvelle est engagée : à nous de l'amplifier. Cette victoire sur l'un des fléaux les plus inacceptables de notre pays ne pourra être que collective. C'est pourquoi il est important que notre assemblée apporte un large soutien à ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

Exception d'irrecevabilité

    M. le président. J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une exception d'irrecevabilité déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.
    La parole est à M. Jacques Floch.
    M. Jacques Floch. Monsieur le garde des sceaux, avez-vous l'intention de remplir au-delà du raisonnable les maisons d'arrêts de notre pays en jouant d'abord sur le tout répressif en matière de sécurité routière, comme dans d'autres domaines ? A moins que, avec l'ensemble du Gouvernement, vous ayez ignoré la réalité de la situation dans les prisons, ce qui vous permet de ne pas vouloir satisfaire à une précaution unanimement reconnue comme un gage nécessaire, même s'il n'est pas suffisant, de la baisse de la violence en prison et de la lutte contre la récidive, à savoir la mise en cellule individuelle.
    Est-ce à dire que le Gouvernement a sous-estimé la tendance des tribunaux, entraînés dès la précampagne présidentielle dans une surenchère répressive, à prononcer des peines de plus en plus longues ? Il aurait bien été le seul ! Il est tout à fait dommage que vous ayez cru nécessaire d'introduire dans ce texte l'article 24,...
    M. René Dosière. Eh oui !
    M. Jacques Floch. ... dont ni vous, monsieur le garde des sceaux, ni vous, monsieur le ministre des transports, n'avez parlé lors de la présentation de ce projet de loi.
    M. Jean-Claude Viollet et M. René Dosière. Il s'agit d'un cavalier !
    M. Jacques Floch. Il est bien dommage que vous ayez cru nécessaire d'introduire cet article, car il vous permet de changer de cap sans prévenir, sans débat de fond sur un sujet qui, par la force des choses, ne peut être à l'ordre du jour.
    Le présent projet de loi traite d'un sujet grave, sur lequel, au-delà des clivages gauche-droite, l'ensemble des élus aurait dû depuis longtemps se retrouver : la lutte contre les violences routières et le problème plus large de la sécurité routière dans notre société. C'est un sujet grave parce que, encore aujourd'hui, 8 000 personnes meurent chaque année sur nos routes, sans compter les trop nombreux blessés, dont certains sont marqués à vie. C'est également un problème de société qui, paradoxalement, tire son caractère très particulier de ce que les délinquants sont des gens comme tout le monde.
    Les socialistes auraient aimé voter un texte fondateur d'une politique qui aurait rassemblé la droite et la gauche. Cette dernière, qui s'est trouvée souvent bien isolée depuis 1989 sur de tels sujets (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), ne peut que se réjouir de voir les oeillères tomber et les intérêts particuliers mis de côté.
    M. Jean-Paul Garraud. Quel culot !
    M. Jacques Floch. Le projet de loi qui nous est proposé contient de nombreuses dispositions que nous soutiendrons, mais d'autres nous paraissent plus discutables. En effet, considérer un véhicule comme une arme, c'est-à-dire comme un outil conçu pour blesser ou tuer, n'est pas une évidence qui s'impose à tous. Par ailleurs, certaines propositions sont franchement contestables : je pense notamment à celle, votée en commission des lois, qui tente d'assimiler une fois de plus l'embryon à l'être humain, l'avortement à l'homicide.
    M. Dominique Richard. Ce n'est pas du tout ça ! Vous n'avez rien compris !
    M. Jacques Floch. Ce sujet donnera lieu, tout à l'heure, à une explication, car il a des conséquences sur d'autres questions.
    M. Jean-Claude Viollet. C'est un cavalier noir !
    M. Jean-Paul Garraud. Les femmes apprécieront votre discours !
    M. Jacques Floch. Oui, justement !
    Il est toujours indécent d'utiliser le support d'un texte sérieux et d'un sujet largement consensuel pour faire passer, en catimini, une disposition sans rapport avec le sujet. Je me bornerai ici à attirer votre attention sur la suppression d'une règle qui, à en croire les déclarations des uns et des autres, tient à coeur à tout le monde, y compris au Gouvernement. Il s'agit de la règle « un détenu une cellule », principe de bon sens enfin inscrit dans la loi du 15 juin 2000 par un législateur soucieux d'accélérer, dans l'intérêt de tous - celui des détenus, des personnels et de la société -, l'indispensable amélioration des conditions de l'exécution des peines d'enfermement prononcées au nom de la République.
    La disposition adoptée par l'Assemblée comme par le Sénat prévoit que la distribution intérieure des maisons d'arrêt et leur encombrement temporaire ne peuvent justifier que les prévenus ne soient pas emprisonnés individuellement. La mesure, introduite par voie d'amendement à l'Assemblée, était envisageable grâce à la diminution attendue du nombre des détentions provisoires et devait entrer en vigueur en juin prochain, soit trois ans après avoir été votée.
    Si Elisabeth Guigou, alors garde des sceaux, s'y était opposée alors, c'est qu'elle craignait, en toute honnêteté, n'être pas totalement en mesure de disposer des places nécessaires pour respecter la loi nouvelle. Elle demandait donc deux ans de plus. Hormis cette querelle strictement limitée au délai nécessaire pour sa réalisation, aucune voix ne s'est élevée - pas même à droite - contre le principe énoncé. Chacun savait que le défi allait être difficile à relever et tout le monde a estimé que les enjeux en valaient la peine. Tout a été dit dès le mois de mars 1999. Nul ne peut prétendre qu'il ne savait pas à quoi s'en tenir !
    Or voilà qu'à la fin d'un texte consacré à la sécurité routière un cavalier surgit pour réduire à rien un principe fort et revenir à la détestable situation antérieure. L'encellulement individuel ne serait plus obligatoire non seulement quand le détenu le demande ou quand les nécessités de l'organisation de son travail l'imposent, mais également quand sa personnalité le justifie - il faut sans doute comprendre « s'il est suffisamment solide pour le supporter ! » - ou « si la distribution intérieure de la maison d'arrêt ou le nombre de détenus présents ne permet pas un tel emprisonnement ».
    Et pourquoi ? Par manque de place. Faut-il rappeler que l'entassement dont il s'agit concerne des êtres humains dont la dignité est placée sous la sauvegarde de la société et de la République, et non des boîtes de conserve ou des livres ! C'est l'ensemble de la politique de réinsertion qu'il est ici proposé d'abandonner sans lutter. A terme, c'est donc la politique de lutte contre la récidive qui sera mise à mal. Pis encore : si les prisons de la République continuent à être considérées comme de vulgaires poubelles, elles continueront à jouer le rôle d'école du crime que chacun leur reconnaît.
    Le Conseil constitutionnel ne manquera pas de sanctionner, conformément à sa jurisprudence, ce cavalier particulièrement noir qui ne peut que désespérer ceux qui connaissent le monde des prisons et ceux qui y travaillent, du moins si l'amendement de suppression proposé par les socialistes est repoussé en séance publique comme il l'a été en commission.
    Mais il faut revenir sur le fond de l'affaire ; comment apprécier une disposition qui vise à autoriser l'inacceptable, alors précisément que le devoir du législateur comme du Gouvernement est de l'empêcher ? Comment excuser la commission des lois qui, pour éviter au Gouvernement un grand embarras - c'est l'argument qui a justifié son refus de supprimer l'article incongru -, a préféré céder sur un principe alors qu'on aurait pu, à l'extrême rigueur, se contenter d'en aménager les modalités d'exécution ?
    Les prisons sont engorgées comme jamais - ce n'est pas un scoop - mais, avec 57 621 détenus pour 48 761 places, la situation est dorénavant catastrophique. Faut-il pour autant s'accommoder de cet état des choses, le banaliser et au fond cesser de le considérer comme une priorité ? Car il ne faut pas s'y tromper, c'est cela qui est demandé au Parlement : cet article, s'il est voté, maintiendra l'insupportable statu quo ante juridique. Ne vaudrait-il pas mieux résister, et avant tout comprendre comment, en moins d'un an, on a pu en arriver là, plutôt que de baisser les bras, et qui plus est discrètement ?
    Maintenir la situation en l'état est une folie. Le bilan qui avait été dressé en 2000 avait déjà révolté chacun sur ces bancs. Je pense aux deux rapports parlementaires votés à l'unanimité par l'Assemblée et le Sénat, notamment à celui intitulé « La France face à ses prisons ». Ces prisons sont une honte pour la France. Elles constituent des lieux d'où l'on ne sort pas meilleur, mais plutôt malade ou désaxé. On peut rappeler la fréquence des suicides en prison et s'étonner au passage que la majorité n'ait pas jugé utile d'adopter la proposition de résolution du groupe socialiste tendant à créer une commission d'enquête sur l'augmentation du nombre de suicides dans les prisons françaises.
    De façon très informelle le président Pascal Clément, interrogé par notre collègue Vallini, a admis - je cite le compte rendu des travaux de la commission des lois du 26 février dernier - « la situation très préoccupante des prisons, déjà relatée dans plusieurs rapports parlementaires, et exprimé le souci de trouver, pour faire face à la surpopulation carcérale, une solution de transition entre la période actuelle, marquée par une évolution de la politique pénale, et l'ouverture de nouvelles prisons conformément à la programmation en cours. Dans cette perspective, il a suggéré l'utilisation de casernes dont le ministère de la défense n'a plus l'usage, et jugé préférable de proposer des solutions concrètes plutôt que de refaire un diagnostic qui a déjà été fait, notamment par une commission d'enquête créée sous la précédente législature ».
    On peut s'étonner d'une telle déclaration, non seulement parce que le problème du suicide n'a pas été directement abordé dans les rapports cités, mais surtout parce que la situation ne peut que s'aggraver dans l'avenir en raison de l'inflation carcérale. Les causes sont au nombre de quatre.
    Première cause : l'emprisonnement appliqué sans discernement à la délinquance de masse.
    Deuxième cause : de nouvelles peines de prison sont prévues là où d'autres sanctions étaient possibles. Je pense à l'abaissement à dix ans de la majorité pénale, à la modification de l'ordonnance de 1945, qui ne peut qu'augmenter le nombre des prisonniers mineurs et à la correctionnalisation de la contravention en cas de récidive.
    Troisième cause : la transformation du référé-liberté en référé-détention et la généralisation des procédures de comparution immédiate dans des affaires graves puisque punies jusqu'à sept ans d'emprisonnement.
    Quatrième cause : l'augmentation du quantum des peines encourues ainsi que des peines prononcées, sans que l'on puisse déterminer lequel, du législateur ou du juge, encourage l'autre à la sévérité.
    En bref, au nom de la tolérance zéro, les petites peines de prison se multiplient là où des mesures alternatives étaient possibles. Les juges sont incités à être de plus en plus sévères. Le Gouvernement semblait pourtant avoir choisi de défendre la réinsertion et il avait présenté comme indiscutable la poursuite de la mise en place de l'encellulement individuel. Il allègue aujourd'hui une surpopulation qui est dramatique. De deux choses l'une : ou bien le Gouvernement ne connaissait pas, il y a six mois, l'état des prisons, ou bien il savait et a feint d'ignorer pour les besoins d'un affichage humanitaire.
    En toute hypothèse, en niant l'évidence, en pensant que la réalité des choses ne le rattraperait pas, il a manqué de clairvoyance. S'il s'est lui-même piégé, ce n'est pourtant pas faute d'avoir été mis en garde. Non, le Gouvernement n'ignorait pas la situation existante, exacerbée par des mesures sécuritaires extrêmes ! La preuve en est la nomination de notre éminent et compétent collègue, Jean-Luc Warsmann comme parlementaire en mission chargé de trouver des alternatives à l'incarcération. Sa lettre de mission, signée par M. le Premier ministre, me semble très claire :
    « La loi d'orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002 donne au ministère de la justice les moyens qui lui faisaient défaut pour augmenter la capacité d'accueil des établissements pénitentiaires et pour, notamment, améliorer leur fonctionnement et leur sécurité. Elle permettra ainsi de porter remède à la surpopulation carcérale.
    « Le programme de modernisation de l'administration pénitentiaire va en effet disposer de ressources budgétaires accrues qui, sur une période de cinq ans, représenteront un effort sans précédent de la collectivité nationale.
    « Toutefois, si la construction ou la rénovation des établissements pénitentiaires sont indispensables à une meilleure prise en charge des détenus, il apparaît nécessaire de ne pas exclusivement fonder la politique pénale sur le recours à la détention : le profil des délinquants est dans les faits très diversifié et l'incarcération ne constitue pas nécessairement la sanction la plus adaptée. Un séjour, même court, en détention peut avoir des effets négatifs pour certains d'entre eux quant à leur vie professionnelle, personnelle et familiale, et constituer un facteur de récidive. Par conséquent, je souhaite que vous conduisiez une réflexion sur les modalités d'exécution des courtes peines et sur les alternatives à l'incarcération. Cette réflexion est inséparable de la volonté du Gouvernement d'assurer une meilleure efficacité des sanctions et de réduire la récidive. » Voilà une belle lettre que nous pouvons apprécier !
    Les débats sur la loi d'orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002 sont tout aussi clairs. Cette loi a mis en place, dans son volet relatif à la pénitentiaire, un système d'aménagement spécialisé des unités hospitalières, le placement sous surveillance électronique d'un condamné, destiné à faciliter les autorisations par le juge d'application des peines, ce qui, du point de vue qui nous occupe, pourrait être considéré comme allant dans le bon sens, à condition toutefois que la disposition soit effectivement exécutée. Elle a également prévu une nouvelle affectation des détenus n'ayant plus que des peines inférieures ou égales à cinq ans d'emprisonnement à purger. Depuis la suppression des centres régionaux de détention, c'est l'administration qui apprécie, en fonction de leur dangerosité, la préparation des détenus à leur sortie. Certains à gauche, comme M. Vaxès et Mme Lebranchu, s'en sont émus tandis que M. Myard et M. Warsmann niaient que la réinsertion des détenus ait cessé d'être une priorité pour la droite. M. Warsmann estimait que cette suppression permettrait une affectation plus adaptée des détenus, « une meilleure fluidité », sans voir qu'il s'agissait au contraire d'un premier avertissement quant à l'insuffisance de place dans les prisons et un premier pas vers le retour à la situation connue dans les prisons il y a fort longtemps. Puisqu'on manquait d'espace, on a réquisitionné celui qui servait à la préparation des sortants.
    Lors des débats, le 2 août dernier, Pierre Albertini, néanmoins inquiet, a voulu rappeler, par le biais d'un amendement « d'appel », que l'encellulement individuel avait un objectif essentiel : « faire en sorte que les conditions de détention deviennent décentes ». Constatant, avec Marylise Lebranchu, que l'encellulement individuel n'était pas encore réalisé dans l'ensemble des centres de détention et à plus forte raison dans les maisons d'arrêt, et que l'isolement de nuit lui-même n'était pas toujours pratiqué alors que le code de procédure pénale l'impose, il a proposé, pour « rappeler à quel point la rénovation des prisons est essentielle dans une perspective de réinsertion des détenus », de fixer un délai de cinq ans pour parfaire le mouvement engagé. On le lui a refusé au motif que l'objectif était d'ores et déjà atteint dans les centres de détention - c'est ce qu'a dit le rapporteur Jean-Luc Warsmann et que, pour ce qui concerne les maisons d'arrêt, la réalisation était programmée à plus courte échéance. Quant au secrétaire d'Etat aux programmes immobiliers de la justice, son argumentation était la suivante : « l'article 2 prévoit les moyens nécessaires pour construire suffisamment de places pour pouvoir envisager cet objectif. Nous comptons bien le faire dans les cinq ans qui viennent, c'est-à-dire dans la durée de la législature : c'est d'ailleurs ce qui me vaut le plaisir d'être parmi vous aujourd'hui ».
    En bref, il y a moins de neuf mois, l'affaire était en bonne voie de réalisation. Dormez sur vos deux oreilles, messieurs Albertini et Warsmann, le Gouvernement veille ! Il a si bien veillé que ce n'est pas un délai qu'il demande à présent pour faire face à la montée de l'emprisonnement en France, mais carrément la suppression de son obligation, et sans compensation.
    Dès lors, quel sens donner au débat budgétaire ? Dans son rapport budgétaire, Pierre Albertini s'inquiète du « rebond de l'inflation carcérale » devenir brutalement alors même que « les flux d'entrée en détention diminuent de façon constante depuis 1994 » - à cette date le gouvernement n'était pas de gauche - « mais que la durée moyenne de détention ne cesse de croître », les juges étant plus sévères.
    Néanmoins, monsieur le garde des sceaux, vous avez affirmé, rassurant, que le taux de surpopulation était très différent de celui que nous connaissions il y a une dizaine d'années - avant le plan Chalandon - et que la construction de 11 000 places, dont 4 000 places de remplacement, ne manquerait pas de régler le problème. A cette époque, il s'agissait « d'accueillir dans la dignité les personnes condamnées » et les services du ministère de la justice étaient sommés publiquement de présenter rapidement des propositions pour remédier à la situation.
    M. Jean-Paul Garraud. Hors sujet !
    M. Jacques Floch. Sans doute voit-on l'occasion de justifier la construction de places de prison sans prendre garde au phénomène si bien décrit en son temps par notre ancien collègue Gilbert Bonnemaison : plus il y a de places et plus il y a de personnes enfermées, la surpopulation ne diminue pas.
    M. Dominique Richard. Ce n'est pas le sujet !
    M. René Dosière. Hélas si !
    M. Jacques Floch. C'est l'article 24 du projet de loi. Lire le règlement de l'Assemblée nationale, mon cher collègue Richard.
    C'est pour cela que ce député exemplaire a « inventé » les TIG et prôné les peines alternatives, sous l'accusation de laxisme. Car construire des prisons n'est pas une solution ; il faut imaginer d'autres sanctions, d'autres solutions que la prison et se mettre en situation de les appliquer correctement.
    Des prisons, nous en avons malheureusement besoin, mais des prisons modernes, adaptées, solides et vivables ; des prisons où chaque détenu puisse occuper une cellule sans la partager ; des prisons de remplacement.
    Seulement, à peine annoncé, ce projet était, sinon abandonné, du moins oublié. Ce n'est pas pour rien que le bruit court avec persistance que non seulement l'encellulement individuel sera abandonné, mais que les 4 000 places qui devaient être supprimées pour cause de vétusté ne le seront pas ; peut-être même devra-t-on rouvrir des prisons déjà fermées pour insalubrité. Dans la panique, certains comme M. Clément, vont jusqu'à proposer de réquisitionner les casernes. Jusqu'où irons-nous ?
    Je ne crois pas au plan miracle annoncé, et ce d'autant moins que les crédits, à peine votés, ont déjà été amputés - on dit pudiquement « mis en réserve » - au moins pour partie : 27 millions d'euros sur les 706 millions prévus en autorisations de programme, tous crédits de la justice confondus, mais surtout 28,90 millions sur les 303 millions d'euros de crédits de paiement pour les investissements.
    La cause de l'aggravation brutale de la situation au moment où, enfin, se dessinait une solution n'est pas considérée avec sincérité : c'est la campagne électorale qui a cultivé l'inquiétude des Français ; c'est la politique de l'aggravation des peines qui est la cause première du phénomène.
    Une absence de sincérité révélée a posteriori entache le texte et justifie à elle seule, s'il en était besoin, le vote de l'irrecevabilité. Car l'article 98, alinéa 5, du règlement de l'Assemblée nationale, précise que, tout comme les articles d'une proposition ou d'un projet de loi, « les amendements et sous-amendements ne sont recevables que s'ils s'appliquent effectivement au texte qu'ils visent ».
    M. René Dosière. En l'occurrence, il n'y a aucun rapport avec le texte !
    M. Jacques Floch. Aussi une disposition abusivement incorporée dans une loi où elle n'a pas sa place sera-t-elle censurée par le Conseil constitutionnel.
    Ai-je besoin de vous rappeler, monsieur le ministre, qui êtes un grand juriste, que la loi votée n'exprime la volonté générale que dans le respect de la Constitution ?
    L'article 24 du projet de loi qui nous est soumis est inconstitutionnel. Vous êtes en droit, mes chers collègues, de voter cette motion d'irrecevabilité, à moins que M. le garde des sceaux ne retire cet article ou ne propose, par amendement, un autre texte conforme à la Constitution. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
    M. le garde des sceaux. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, je souhaite tout d'abord revenir sur ce qui est proposé à l'article 24. En effet, je crains que, après avoir écouté M. Floch, les parlementaires n'en aient pas une vision très juste.
    La loi de 1993, qu'il s'agit au fond de rétablir, énonçait le principe de l'emprisonnement individuel, tout en prévoyant quelques exceptions : lorsque la distribution intérieure des établissements, lorsque leur encombrement lorsque l'organisation du travail éventuel des prévenus ne le permet pas. Nous maintenons bien entendu ce principe, en ajoutant deux exceptions : la demande expresse des intéressés, ce qui semble assez logique et les cas où la personnalité des prévenus impose qu'ils ne soient pas laissés seuls ; vous avez vous-même évoqué, monsieur Floch, le problème des personnes psychiquement déséquilibrées qui risquent de se donner la mort.
    A ce propos, mon collègue Jean-François Mattei et moi-même avons mis en place une équipe qui travaille sur le suicide en prison et comporte notamment un psychiatre d'un hôpital lyonnais spécialiste de la question. Cette équipe nous fera des propositions pour essayer de lutter contre ce phénomène absolument dramatique et insupportable, le taux de suicide en prison étant aujourd'hui largement supérieur au taux moyen de suicide de la population.
    Il faut donc que l'Assemblée nationale sache bien qu'il ne s'agit pas de revenir sur le principe de l'encellulement individuel, qui reste notre objectif, sous réserve des exceptions que je viens de citer et qui procèdent du principe de réalité, c'est-à-dire du constat de l'encombrement des établissements pénitentiaires.
    M. Floch, qui se trompe sans doute de débat.
    M. Jacques Floch. Pas du tout !
    M. le garde des sceaux. ... nous a tenu un discours sur la prison.
    La population carcérale augmente et diminue d'une manière assez difficile à interpréter sur le plan historique. Le chiffre actuel de 57 000 détenus a été atteint dix fois depuis une dizaine d'années, à des époques différentes ; voilà qui relativise certains commentaires.
    Le taux d'augmentation actuel - apprécié début 2003 - est par ailleurs nettement inférieur à celui de l'année 2002 - période où je n'étais pas garde des sceaux : c'était Mme Lebranchu, que vous avez citée à plusieurs reprises.
    Vous avez décrit l'état de nos prisons dans des termes un peu tragique. Certes, pour en avoir la responsabilité, je sais qu'il n'est pas bon en bon état. Mais je sais aussi dans quel état je les ai trouvées, cinq ans après.
    Qu'avons-nous fait ?
    Premièrement, nous avons décidé, avec l'appui du Parlement, de construire 13 500 places en cinq ans. C'est un effort considérable, même si une partie de ces places correspond à la reconstruction de places qui seront détruites.
    Deuxièmement, et pour la première fois dans l'histoire pénitentiaire française, nous allons aménager des prisons spécifiques pour les mineurs, de façon que ceux-ci ne soient plus mélangés aux adultes. Ces prisons seront construites autour de la salle de classe, afin de bien montrer qu'elles seront d'abord conçues pour la réinsertion. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Troisièmement, par la loi du 9 septembre dernier, nous avons permis à la protection judiciaire de la jeunesse de travailler en milieu carcéral, ce qui n'était pas possible jusqu'ici. Cela prouve notre volonté de faire en sorte que les mineurs soient attentivement suivis pour préparer leur sortie des établissements pénitentiaires.
    Enfin, M. le Premier ministre a confié à M. Warsmann un travail de réflexion sur les peines de substitution et sur l'adaptation des courtes peines. D'autres formes de peines devraient pouvoir apporter une réponse plus efficace ce qui concerne aussi bien la sanction que la responsabilisation.
    En outre, monsieur Floch, vous dites des choses fausses, comme vous en avez dit, l'été dernier d'ailleurs. Nous aurions ramené la majorité pénale à dix ans. C'est totalement faux !
    M. Christian Estrosi. Pas la majorité pénale : la responsabilité pénale !
    M. le garde des sceaux. A partir de dix ans, des sanctions éducatives sont possibles, mais pas l'incarcération. Pourquoi dire des choses erronées ? Cela ne sert pas l'efficacité de votre démonstration.
    Votre majorité, à l'époque, avait pris un engagement - auquel Mme Guigou était d'ailleurs hostile -, sans se préoccuper de savoir comment elle allait le tenir. En fait, entre 2000 et 2002, pendant que vous étiez aux responsabilités, vous n'avez pas défini de plan de construction de prisons. De toute façon, je ne vois pas comment vous auriez pu tenir cet engagement : il n'était pas tenable !
    Je demande simplement au Parlement de le constater, étant bien précisé que nous souhaitons que la situation dans nos prisons s'améliore. Nous maintenons le principe de l'encellulement individuel tout en admettant des exceptions, dont certaines sont liées au principe de réalité.
    Voilà de quoi il est question à l'article 24, qui est un élément du code de procédure pénale, et trouve donc tout à fait sa place dans un texte pénal. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

Explications de vote

    M. le président. Nous en venons aux explications de vote.
    La parole est à M. Christian Estrosi, pour le groupe de l'UMP.
    M. Christian Estrosi. Monsieur le président, messieurs les ministres, monsieur le rapporteur, j'ai sincèrement le sentiment que l'exception d'irrecevabilité de M. Floch est hors sujet...
    Mme Catherine Génisson. Mais non !
    M. Christian Estrosi. ... au regard de l'objectif visé par ce projet si important.
    M. René Dosière. C'est incroyable !
    M. Christian Estrosi. Comme l'ont rappelé M. le garde des sceaux et M. le ministre de l'équipement et des transports, le texte qui nous est présenté vise à défendre une grande cause nationale voulue par le Président de la République. L'action politique commence à avoir des résultats probants et le nombre des accidents ayant entraîné des blessures irréversibles ou la mort baisse de mois en mois. Et au moment où, pour renforcer cette action politique, on nous soumet un texte permettant d'aller encore plus loin, vous nous proposez ce qui aurait pour résultat de ralentir cette action.
    Pourtant, combien de drames humains, de situations tragiques, de foyers brisés au cours des années écoulées, du fait de la consommation d'alcool, de stupéfiants, des excès de vitesse.
    M. René Dosière. C'est vous qui êtes hors sujet, pour l'instant !
    M. Christian Estrosi. Alors qu'il nous faut faire appliquer avec la plus grande fermeté et sans complaisance les règles qui sont aujourd'hui en place, que le Gouvernement nous propose de les renforcer, vous voulez vous attaquer à l'ensemble du dispositif.
    M. René Dosière. A l'article 24 seulement !
    M. Christian Estrosi. Pourquoi ai-je le sentiment, monsieur Floch, que vous êtes hors sujet ? Parce que vous avez évoqué, pêle-mêle, bien des choses qui ne me paraissaient pas cohérentes les unes avec les autres. Ainsi, vous avez abordé le problème de l'embryon humain, ...
    M. Jacques Floch. C'est dans le texte !
    M. Christian Estrosi. ... laissant notamment entendre que certaines dispositions assimilaient l'embryon à l'être humain. Soyons précis. Notre collègue Garraud pourrait intervenir beaucoup mieux que moi, puisqu'il est à l'origine de l'amendement que le garde des sceaux a salué tout à l'heure. Des drames humains sont provoqués par la mort d'un embryon ou par des séquelles irréversibles, sur le plan physique ou psychique pour le bébé à naître. Les dispositions proposées ne remettent en cause ni l'IVG ni le statut de l'embryon. Dans ces conditions, nous ne pouvons pas vous laisser « galvauder » des dispositions qui ont été très clairement explicitées en commission par notre collègue Garraud.
    Vous évoquez, ensuite, pêle-mêle, la loi sur la présomption d'innocence, la loi d'orientation pour la sécurité intérieure et la loi d'orientation pour la justice. Vous mélangez l'abaissement de l'âge de la responsabilité pénale et l'abaissement de l'âge de la majorité pénale, qui sont deux notions fondamentalement différentes. Vous parlez enfin des comparutions immédiates. Autant de mesures qui ont été réclamées par les Français parmi les plus modestes, parmi les plus démunis, ceux-là mêmes qui ont assisté ces dernières années à une montée de la violence et de la délinquance en espérant que le pacte républicain serait enfin rétabli dans notre pays.
    S'agissant de la violence routière, à l'origine de tant de débordements et d'excès, les Français attendaient aussi que l'autorité de l'Etat puisse enfin s'exprimer. Et voilà que vous tentez de fausser ce débat en prenant prétexte de l'article 24 pour évoquer la situation des prisons en général !
    Le garde des sceaux vous a répondu sur ce point, mais je veux, au nom du groupe UMP, réaffirmer quelle politique nous avons soutenue en la matière. Comme vous, nous voulons qu'il y ait dans ce pays des prisons plus humaines et que le principe de la cellule individuelle soit respecté. Il n'en demeure pas moins qu'il existe des situations spécifiques auxquelles l'article 24 permettra de répondre.
    J'ajouterai que, pour l'instant, nous gérons votre héritage. Malgré tout ce que vous dénoncez, vous n'avez pris aucune initiative, au cours des années écoulées, engagé aucune politique, affiché aucune détermination pour améliorer la situation dans laquelle se trouvaient les prisons.
    Pour notre part, nous avons voté au mois d'août dernier une loi d'orientation qui engage fermement la politique du Gouvernement pour les cinq prochaines années. Puis nous avons voté pour 2003 un budget qui a dégagé les crédits nécessaires afin d'apporter de premières réponses, tant en ce qui concerne le personnel pénitentiaire que les nouvelles réalisations. Je suis témoin de la détermination...
    M. le président. Monsieur Estrosi, veuillez conclure.
    M. Christian Estrosi. ... du garde des sceaux à trouver des solutions, qui passent par la construction de nouvelles structures pénitentiaires : centres de détention pour les jeunes détenus, centres d'éducation fermés ou prisons ; en quelques mois seulement, des procédures d'utilité publique ont été lancées.
    Alors, je vous en prie, n'essayez pas d'affaiblir la démarche engagée. D'ailleurs, s'agissant des 146 articles de la loi sur la sécurité intérieure, le Conseil constitutionnel vous a donné tort sur tous les points !
    M. François Goulard. Nous avons le droit avec nous !
    M. Christian Estrosi. Cela prouve que la majorité actuelle respecte parfaitement la loi fondamentale. Le Conseil constitutionnel le démontrera avec la même force s'agissant du texte qui nous est présenté aujourd'hui, je n'en doute pas un seul instant.
    J'invite donc l'ensemble de nos collègues de la majorité parlementaire à soutenir le texte du Gouvernement et à rejeter cette exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. M. Estrosi connaît suffisamment bien le règlement de notre assemblée pour savoir que le temps de parole pour les explications de vote n'excède pas cinq minutes.
    Ma remarque vaut également pour M. Artigues, qui va s'exprimer au nom du groupe UDF.
    M. Gilles Artigues. Nous avons écouté avec beaucoup d'attention les arguments de notre collègue Jacques Floch et de M. le garde des sceaux : nous n'avons rien trouvé d'inconstitutionnel dans l'article 24. Nous regrettons que cette motion ait retardé l'examen d'un texte qui méritait mieux. Nous souhaitons maintenant entrer dans le vif du sujet car nous savons que, depuis trente ans, chaque fois que le Gouvernement a pris des mesures énergiques, le nombre de tués a baissé sur nos routes.
    Bien évidemment, le groupe UDF ne votera pas l'exception d'irrecevabilité ; il souhaite s'engager concrètement dans la lutte contre l'insécurité routière. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à M. Jacques Floch, pour le groupe socialiste. (« Encore ? » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Jacques Floch. Je suis suffisamment discret dans cette assemblée pour ne pas abuser du temps de parole, mais je dois souligner à nouveau que ce n'est pas l'opposition, que ce n'est pas le groupe socialiste qui a inventé l'article 24. C'est le Gouvernement, et c'est vous, monsieur le garde des sceaux, qui le défendez aujourd'hui.
    Cet article pollue le projet de loi sur la sécurité routière. Dans ce texte important, nous avons trouvé - je l'ai dit, je le répète, et les orateurs du groupe socialiste le confirmeront - des dispositions fort intéressantes et que nous voulons soutenir, mais que vient y faire l'article 24 ? Vous auriez pu trouver un autre support, un autre texte traitant de la justice ou des prisons où cet article aurait trouvé sa place. Vous auriez pu aussi ouvrir un débat spécifique autour de dispositions visant à remédier à l'encombrement des prisons.
    J'ai expliqué les causes de ce phénomène et j'ai dit aussi pourquoi il faudra trouver d'autres solutions. Quand nous avions présenté l'amendement au texte de Mme Guigou posant le principe de l'emprisonnement individuel, tous les députés de l'actuelle majorité alors présents l'avaient voté avec nous, et certains d'entre vous, mes chers collègues, avaient même dit qu'il fallait faire plus fort et ne pas accorder un délai de trois ans, tandis que d'autres - je me souviens de M. Warsmann - avaient estimé ce délai suffisant pour que l'on puisse trouver des solutions. Ils avaient raison, car ce sont les modalités d'enfermement appliquées aujourd'hui qui conduisent à cette impossibilité.
    Encore une fois, ce n'est pas nous qui avons proposé cet article 24 qui pollue le projet dont nous commençons l'examen. Je me demande d'ailleurs ce que pensent les grandes associations de défense de la sécurité routière de la façon dont vous détournez ce texte.
    M. René Dosière C'est invraisemblable !
    M. Jacques Floch. Quant au Conseil constitutionnel, il n'aime pas ce genre de cavalier. Vous le savez d'ailleurs très bien, monsieur Estrosi, car vous êtes un vieux parlementaire. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Lionnel Luca. Il est jeune !
    M. le président. Ce n'est pas l'état civil qui est en cause, monsieur Estrosi. (Sourires.)
    M. Jacques Floch. Le parlementaire disons plutôt expérimenté que vous êtes sait parfaitement que nous avons souvent réussi, les uns et les autres, à faire sauter de tels cavaliers grâce au Conseil constitutionnel.
    Vous nous dites aujourd'hui qu'il ne faut pas parler de l'article 24, que c'est incongru. Alors, il ne fallait pas l'écrire ! C'était aussi simple que cela. Il n'était pas opportun d'introduire cette disposition ; vous n'aviez qu'à trouver un texte adéquat pour l'y inscrire. Vous nous dites qu'aujourd'hui les conditions ne sont pas remplies pour assurer l'emprisonnement individuel. Si vous aviez demandé à l'Assemblée de prolonger le délai de trois ans, compte tenu des propositions que vous faites en matière de construction et d'aménagement des maisons d'arrêt, nous aurions certainement accepté de le faire, mais pas dans ce texte sur la violence routière.
    M. Lionnel Luca. On a compris !
    M. Christian Estrosi. Les cinq minutes sont écoulées, monsieur le président !
    M. Jacques Floch. Je présente mes excuses à l'Assemblée d'avoir dû à nouveau préciser les choses, mais j'y ai été obligé, et je lui demande maintenant de voter l'exception d'irrecevabilité en raison de l'inconstitutionnalité de l'article 24. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. Je mets aux voix l'exception d'irrecevabilité.
    (L'exception d'irrecevabilité n'est pas adoptée.)
    M. le président. La parole est à M. René Dosière.
    M. René Dosière. Monsieur le président, compte tenu du débat qui vient d'avoir lieu et des positions prises par M. le garde des sceaux, je vous demande une suspension de séance d'un quart d'heure pour réunir mon groupe.
    M. le président. La suspension est de droit, monsieur Dosière, mais je vous accorde dix minutes et je vois à votre regard malicieux qu'elles devraient vous suffire.

Suspension et reprise de la séance

    M. le président. La séance est suspendue.
    (La séance, suspendue à dix-sept heures quarante-cinq, est reprise à dix-sept heures cinquante-cinq.)
    M. le président. La séance est reprise.

Discussion générale

    M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Gilles Artigues, au nom du groupe UDF, pour cinq minutes.
    M. Gilles Artigues. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, la situation internationale et le climat angoissant de guerre ne doivent pas nous faire oublier les enjeux nationaux et les réformes dont notre pays a besoin. Ce débat n'est donc pas du tout décalé. Il est de notre devoir de parlementaires de pallier les dysfonctionnements de notre société et, en matière d'insécurité routière, ils sont nombreux. Les familles qui ont vu leur vie basculer par la faute de délinquants de la route ne comprendraient pas que nous ne prenions pas les décisions qui s'imposent.
    Nous tenons à saluer la détermination du Président de la République qui a fait de cette question une priorité. C'est un chantier important pour lui. Ce n'est pas un chantier de pierre ; plutôt que construire au cours de son quinquennat une grande bibliothèque ou un monument à sa gloire, il a décidé de lutter pour que des vies humaines soient sauvées, et c'est tout à fait louable.
    Je tiens également à remercier M. Richard Dell'Agnola pour la détermination dont il fait preuve depuis de nombreuses années. J'avais déjà eu l'occasion de le dire lorsque nous avons voté, il y a quelques semaines, sa proposition de loi faisant de la conduite sous l'emprise de stupéfiants un véritable délit.
    Oui, monsieur le garde des sceaux, il faut être beaucoup plus sévère avec ceux qui, par bêtise ou par inconscience, transforment leur véhicule en arme meurtrière. Avoir le permis de conduire, ce n'est pas avoir le permis de tuer ! Et nous vous félicitons d'avoir prévu des peines sévères en cas de circonstances aggravantes.
    Nous souhaitons par contre qu'on ne touche pas aux seuils, ni pour les limitations de vitesse ni pour les taux d'alcoolémie. Nous avons une réglementation : donnons-nous les moyens de la faire respecter telle qu'elle est les contrôles automatisés et les peines forfaitaires vont bien dans ce sens.
    On dit souvent que la meilleure des répressions, c'est la prévention, qui relève plus directement de votre compétence, monsieur le ministre des transports. Le groupe UDF a particulièrement travaillé cet aspect avec les associations. Le texte ne manque pas de mesures de sensibilisation, comme la mise en place du permis probatoire, lequel ne s'attaque pas aux jeunes mais concerne tous les conducteurs novices : il convient donc de dénoncer les raccourcis un peu rapides que certains n'ont pas hésité à prendre.
    M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer. Tout à fait !
    M. Gilles Artigues. En ce qui concerne la prévention, le groupe UDF défendra plusieurs amendements.
    Nous souhaitons que les forces de l'ordre et les fonctionnaires de l'équipement aient la possibilité d'interroger les conducteurs dans le cadre d'enquêtes ayant pour objet de mieux adapter les infrastructures au trafic.
    Nous demandons au Gouvernement de nous informer le plus régulièrement possible sur les actions qu'il mène en matière d'éducation à la sécurité. Sans doute faudrait-il augmenter le nombre d'heures prévues à cet égard dans les programmes scolaires. De la maternelle à la terminale, cinq heures seulement sont réservées à cet enseignement qui se résume à la délivrance d'une attestation de sécurité routière en cinquième et en troisième. Chez nos voisins, en Allemagne par exemple, on consacre plus d'une centaine d'heures à la sécurité routière. Il n'est donc pas étonnant que les Allemands respectent mieux le code de la route. Inspirons-nous des méthodes qui marchent chez eux, au lieu d'admirer sans les imiter nos partenaires d'outre-Rhin.
    Il serait aussi intéressant que les jeunes qui ont, par exemple, entre quinze et vingt ans, puissent avoir des contacts avec les accidentés de la route. Une mesure dans ce sens aurait certainement des vertus pédagogiques et éducatives, tout comme les films très explicites que nous avons vus à la télévision ou l'installation de mannequins le long des routes pour rappeler qu'à tel endroit une vie a été perdue.
    En attendant ces avancées, ainsi que les décrets - relatifs au téléphone portable, au port de la ceinture de sécurité et du casque ou aux contrôles médicaux - qui seront pris dans quelque temps, le groupe UDF votera ce texte avec enthousiasme, dans un contexte plutôt favorable. En effet, les résultats sont bons, même si nous devons nous garder de trop d'optimisme : peut-être tiennent-ils encore être plus à la peur du gendarme qu'à un véritable changement de mentalité. Il faut donc que nous restions très mobilisés.
    En tout cas, nous ne pouvons que nous réjouir que, dans cet hémicycle, il y ait presque unanimité. C'est un signe fort que nous allons adresser à la nation et nous le ferons au nom de huit mille pères, mères, fils, filles, frères, soeurs et amis qui, chaque année, sur nos routes, sont arrachés à l'affection de leurs proches. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à Mme Janine Jambu, au nom du groupe des député-e-s communistes et républicains, pour un quart d'heure.
    Mme Janine Jambu. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le ministre, chers collègues, améliorer la sécurité sur les routes est sans nul doute une volonté partagée par tous ici. Il est en effet insupportable que le nombre des victimes d'accidents de la route soit aussi élevé. Chaque année, cela a été dit mais il faut le répéter, près de 8 000 personnes sont tuées sur les routes de France. Notre pays se situe loin derrière d'autres pays européens qui ont su définir et imposer une politique de sécurité routière efficace.
    C'est avec le souci d'agir pour modifier positivement cet état de fait et en fonction de l'intérêt général que nous abordons l'examen du présent projet de loi et que nous nous déterminerons sur son contenu.
    Depuis quelques mois - et cela va dans le bon sens -, les statistiques font apparaître une baisse du nombre des victimes, bien que celui-ci encore trop important.
    Voici en effet ce qu'indique l'Observatoire national interministériel de la sécurité routière : « Le mois de février 2003 a connu une baisse de 35,8 % du nombre de tués, qui ne s'explique pas par l'effet de la météo, laquelle, au contraire, a été défavorable à la sécurité routière au cours de ce mois. Sans cet effet défavorable, la baisse aurait pu atteindre 41,6 % ». Le nombre de décès dus à un accident est passé de 567 en février 2002 à 364 en février 2003.
    Cette évolution, qui reste partielle, confirme qu'il n'y a pas de fatalité en matière de sécurité routière et qu'il faut de la ténacité. Notons que, depuis vingt-cinq ans, des progrès ont été accomplis puisque le nombre de victimes a été divisé par deux alors même que la circulation a pratiquement doublé.
    La dernière diminution est sans doute due à la place donnée à cette question dans l'actualité et à la peur du gendarme. Elle montre également qu'il est important de mener de façon permanente une politique de prévention accompagnée de sanctions effectivement appliquées. Ne vaut-il pas mieux persévérer dans cette voie que multiplier les nouvelles sanctions pénales ? En ce domaine, les dispositions du code pénal et du code de la route sont déjà nombreuses.
    Nous considérons quant à nous qu'il faut avant tout responsabiliser les conducteurs. Conduire un véhicule, quelle que soit sa catégorie, n'est pas simplement un acte individuel isolé : c'est un acte social fort, qui peut mettre en danger la vie d'autrui.
    Nous ne souhaitons donc pas alourdir davantage l'arsenal répressif. Au contraire, il faut, selon nous, appréhender la politique de sécurité routière de façon globale et transversale, en agissant simultanément sur la responsabilité du conducteur - par la formation, l'éducation, la prévention, et si nécessaire par la sanction - et sur celle des constructeurs automobiles. Ces derniers, en effet, continuent de présenter la voiture comme un véhicule autonome, entièrement sécurisé, déconnecté de son environnement et donnent en cela une image uniquement rassurante. Nous aurions donc souhaité que ce projet de loi contienne des dispositions relatives au bridage des moteurs. Il est temps de dépasser l'hostilité des constructeurs à cet égard.
    Enfin, il ne faut pas oublier que jeunes et familles modestes sont souvent dans l'incapacité d'acquérir des véhicules plus modernes, mieux équipés et entretenus, inégalités liées au pouvoir d'achat. Il faut prendre en compte les familles modestes.
    Il convient également de favoriser la sensibilisation et la formation des enfants dès le plus jeune âge et d'agir sur les deux facteurs d'accidents mortels que sont la vitesse et l'alcool. S'agissant du premier facteur, ne faut-il pas réfléchir aux modèles véhiculés auprès des jeunes qui associent vitesse, puissance, illusion de liberté et de plus en plus hélas ! violence ? Quant au second, je crois nécessaire de s'interroger sur la justification du maintien de 0,5 gramme d'alcool par litre de sang comme taux légal.
    L'abaissement de ce taux à 0,2 gramme, voire l'institution d'un taux zéro n'aurait-il pas un effet psychologique et concret plus important ? N'est-il pas temps d'associer, comme c'est déjà le cas dans les pays scandinaves, la conduite à la non-consommation d'alcool ? On sait bien que la consommation d'alcool, comme d'autres substances stupéfiantes ou médicamenteuses, provoque de dangereux effets sur la vision, la vigilance et le temps de réaction.
    Selon le comité interministériel de la sécurité routière du 18 décembre dernier, en 2001, dans 31,2 % des accidents mortels, l'un des conducteurs avait un taux d'alcoolémie supérieur au taux maximal autorisé. C'est pourquoi les contrôles d'alcoolémie sont nécessaires, non seulement aux abords des discothèques, mais aussi sur l'ensemble du réseau routier. C'est en effet une question qui touche aux comportements sociaux et qui traverse toutes les catégories et les tranches d'âge.
    Il faut punir, mais aussi traiter et soigner. Le problème se pose exactement dans les mêmes termes pour la drogue au volant il est évident qu'on ne peut accepter qu'une personne conduise sous l'emprise de stupéfiants.
    Vous savez bien, toutefois, et nous nous étions exprimés en ce sens lors de l'examen de la proposition de loi de notre collègue Richard Dell'Agnola, que le problème, avec les différentes drogues, et plus spécialement le cannabis, c'est qu'il est difficile de savoir exactement quand a eu lieu la consommation et quels ont été ses effets réels sur l'accident. Les policiers vont donc effectuer des dépistages compliqués et onéreux sans être sûrs que l'accident est imputable à la consommation de stupéfiants.
    En tout état de cause, s'agissant tant de la drogue que de l'alcool, il faut déplorer que l'aspect sanitaire n'ait pas été pris en compte. Aucune différence n'est faite effectivement entre consommateur occasionnel et consommateur dépendant. Pourtant, cela change tout du point de vue de la sanction : si elle peut être efficace dans le premier cas, elle sera sans doute inutile dans le second. Avec ces nouvelles dispositions, les forces de l'ordre et la justice vont retirer six points de permis ; une injonction thérapeutique devrait absolument compléter la pénalisation.
    Nos concitoyens sont aussi de grands consommateurs de médicaments ayant également de dangereux effets sur la conduite. Près de 1 500 médicaments présentent une mention de mise en garde en cas de conduite car ils peuvent modifier la vision, entraîner une perte de conscience ou avoir d'autres effets néfastes provoquant un accident de la route.
    De plus, l'association de certains médicaments et d'alcool ou de drogues et d'alcool reste résolument incompatible avec la conduite. C'est pourquoi il faut mettre l'accent sur d'autres campagnes de sensibilisation insistant également sur l'échelle des peines encourues par les automobilistes contrevenants.
    L'aggravation des sanctions n'est sans doute pas aussi indispensable que vous le croyez. La récente période montre que l'annonce du renforcement des contrôles et la présence des gendarmes au bord des routes contribuent pour une part à la baisse du nombre des accidents de la route.
    « L'importance des sanctions encourues est toutefois peu connue des justiciables », peut-on lire dans l'exposé des motifs. Si la seule mesure prise consiste à aggraver les sanctions, les citoyens n'en seront pas plus informés. D'où la nécessité de continuer des campagnes publicitaires chocs, en les accompagnant - pourquoi pas ? - d'informations sur les dispositions législatives.
    C'est en ce sens que nous estimons qu'il faut favoriser, sans les stigmatiser, les mesures préventives prises en direction des jeunes. Il est dramatique, en effet, que les 18-24 ans soient toujours parmi les premières victimes de la route et représentent à eux seuls un quart des accidentés.
    Selon le comité interministériel de la sécurité routière, c'est dans les trois premières années qui suivent l'obtention du permis de conduire que le risque d'avoir un accident est le plus élevé. L'instauration d'une période probatoire, d'une durée de trois ans après l'obtention du permis de conduire, est-elle une bonne chose ? S'agit-il de responsabiliser davantage les nouveaux conducteurs en développant leur motivation ?
    Notons que ce permis probatoire dépend non pas de l'âge mais du caractère récent de l'obtention du permis de conduire. Ainsi, tous les conducteurs novices, quel que soit leur âge, y seront soumis. Le dispositif proposé, même s'il les concerne au premier chef, n'est donc pas réservé aux jeunes. Sera-t-il vraiment efficace ?
    En revanche, s'il est un point sur lequel nous aimerions insister, et qui est absent de votre projet de loi, c'est la période d'apprentissage de la conduite. Le temps de formation, qui est actuellement de vingt heures, nous paraît un peu court, c'est également l'avis de diverses associations de lutte contre l'insécurité routière, qui proposent de porter à vingt-cinq, voire trente heures, le temps de formation obligatoire pour se présenter à l'examen du permis de conduire. Cela suppose aussi que le coût de cette formation améliorée soit accessible à tous, dans de bonnes conditions.
    Bien évidemment, le permis probatoire n'est pas le remède miracle au problème de l'insécurité routière chez les jeunes conducteurs. Il faut que l'école et les familles participent à cette information routière qui relève tout simplement du civisme. Pourquoi ne pas traiter la sécurité routière comme les disciplines scolaires ?
    Il apparaît en effet essentiel de conforter le rôle de l'école dans l'éducation routière, avec une meilleure implication des enseignants, une adéquation des contenus et une modernisation des outils pédagogiques. Malheureusement, tout cela demande d'importants moyens financiers et ne semble pas prévu par le Gouvernement puisque le budget pour la sécurité routière est loin d'avoir augmenté.
    Ce n'est d'ailleurs pas la seule critique que l'on peut émettre à l'encontre de la politique de sécurité routière. En effet, cela fait un certain temps que de nombreuses associations d'usagers des routes et autoroutes réclament une rénovation des infrastructures qui s'avèrent, à certains endroits, dangereuses, voire mortelles.
    Je pense notamment aux revendications des motards, qui demandent en vain un réaménagement des bords d'autoroutes, et plus particulièrement des glissières de sécurité ; ces dernières sont en effet de véritables dangers pour eux.
    Il faut également souligner que les moyens de communication sur les grands axes routiers et autoroutiers sont le plus souvent insuffisants. Les panneaux d'affichage devraient être multipliés et présenter le plus rapidement possible les informations en amont.
    Je souhaite émettre une autre critique concernant, cette fois, la priorité donnée par le Gouvernement à la route plutôt qu'au rail. Vous vous engagez en effet à mener une politique de sécurité routière forte, mais vous ne faites rien pour désengorger les axes les plus fréquentés. Le déséquilibre manifeste du rail face à la route peut légitimement inspirer aux citoyens le sentiment que vous tenez un double langage.
    Jean-Claude Gayssot avait eu le courage de donner le signal d'un rééquilibrage.
    M. Hervé Mariton. Hier, par exemple ?
    Mme Janine Jambu. Gardez votre calme, monsieur Mariton ! Je ne cèderai pas à la provocation.
    M.  le président. Poursuivez, madame Jambu. Ne vous laissez pas interrompre !
    Mme Janine Jambu. Aujourd'hui, le Gouvernement fait un grand pas en arrière, au détriment des utilisateurs du réseau autoroutier et de ses riverains.
    Au moment où vos priorités sont, officiellement, le combat contre l'insécurité routière ou la lutte contre les pollutions et l'effet de serre - objectifs qui plaident pour une prédominance du rail sur la route -, vous décidez le retour à la circulation des poids lourds dans les deux sens sous le tunnel du Mont Blanc, comme si les trente-neuf personnes qui y ont trouvé la mort étaient oubliées et le report, pour ne pas dire l'enterrement, du projet de liaison ferroviaire Lyon-Turin.
    Faut-il encore vous convaincre de la pertinence d'un projet lancé il y a près de quinze ans, et que Jacques Chirac avait déclaré « irréversible » après la signature de l'accord franco-italien, en janvier 2001 ? Il faut croire que oui.
    Voici donc un argument : le futur axe combinant le transport de fret et de voyageurs permettrait de soulager les vallées alpines, asphyxiées par le trafic des camions. Ce projet comporte des enjeux non seulement économiques et stratégiques, mais aussi géopolitiques et, surtout, environnementaux, sans parler du renforcement de la sécurité sur les autoroutes concernées, qui seraient déchargées du trafic des poids lourds.
    Le projet Lyon-Turin traduit malheureusement les insuffisances de votre politique de sécurité routière. La route reste à vos yeux inévitable pour les poids lourds, au détriment d'une plus grande sécurité sur les routes et les autoroutes.
    D'une manière générale, votre préférence va à l'accroissement des sanctions pour lutter contre l'insécurité routière. Ne faudrait-il pas, déjà, respecter le code de la route, augmenter les contrôles de vitesse et d'alcoolémie, sensibiliser les conducteurs, jeunes et moins jeunes, aux dangers de la route et aux sanctions encourues ?
    M. Lionnel Luca. Pourquoi M. Gayssot ne l'a-t-il pas fait ?
    Mme Janine Jambu. Compte tenu de cet ensemble d'appréciations, et sous réserve de l'aboutissement des débats, nous émettrons dans l'immédiat un vote d'absention sur ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. René Dosière. Très bien !
    M. le président. La parole est à M. Hervé Mariton pour le groupe de l'UMP.
    M. Hervé Mariton. Le groupe UMP approuve totalement le texte de fermeté et d'équilibre que nous présente le Gouvernement aujourd'hui. Ce projet répond en effet à l'objectif fixé par le Président de la République, le 14 juillet dernier, un objectif de salut public dont la dimension raisonnable et indispensable s'impose à tous.
    A dire vrai, il nous avait paru, lors des débats préparatoires à cette séance, que ce texte rencontrait un large consensus politique. Du reste, la lutte contre la violence routière ne semblait pas de nature à favoriser la division partisane. Mais, les choses sont parfois un peu plus compliquées qu'il n'y paraît et il est toujours étonnant de constater que, alors qu'on pourrait partager le même objectif entre hommes et femmes de bonne volonté, il est cependant nécessaire pour certains de trouver matière à critiquer.
    M. Jérôme Lambert. C'est vous qui nous donnez cette matière !
    M. Hervé Mariton. Chacun aura compris !
    Au surplus, et sur ce point nous pouvons être d'accord avec l'orateur communiste, les politiques de sécurité routière et de transports durables sont indissociablement liées. Cet élément n'a pas échappé à notre majorité. Il n'est que de regarder le budget 2003 de l'équipement et des transports pour constater les efforts notables qui ont été accomplis dans ce domaine. Je pense aussi à des actions très concrètes.
    Vous évoquiez, madame Jambu, les problèmes relatifs à la traversée alpine : eh bien, c'est le gouvernement que nous soutenons qui, par l'intermédiaire de l'entreprise publique SNCF, aura l'occasion, dans quelques mois, de traduire concrètement le principe de l'« autoroute ferroviaire » dans les Alpes. Nous mettrons ainsi en oeuvre l'intermodalité. Cette action va favoriser l'adaptation et l'amélioration de la politique de transport, ainsi que le développement durable et, finalement, la sécurité routière elle-même. Voilà la preuve que les mesures que vous préconisez, non sans raison parfois mais avec un peu d'agressivité, sont engagées par la majorité et le gouvernement qu'elle soutient. Christian Estrosi le rappelait tout à l'heure : la différence est nette entre la politique virtuelle et l'action concrète.
    Le présent débat a fait l'objet, avant notre séance, de nombreuses réunions et d'échanges au sein du groupe UMP. Si nous partageons les objectifs de ce texte et approuvons le dispositif qu'il propose, nous ne pouvons toutefois nier qu'il aborde aussi des questions de société ou d'ordre technique non négligeables, sur lesquelles il était normal que nous nous attardions. Il était normal aussi que ces questions provoquent certaines discussions, qui, sans rien enlever à notre approbation, éclairent des dimensions importantes de ce projet. Je les résumerai par quatre interrogations très simples, car, sur un sujet aussi essentiel, il n'est pas interdit de faire simple : quoi, qui, où, comment ?
    D'abord, de quoi parlons-nous ? De lutte contre la violence routière. Le groupe UMP approuve le Gouvernement d'avoir choisi le bon mot - violence -, car cela permet, et c'est essentiel, d'impliquer tous nos compatriotes. En effet, malheureusement, dans nombre de cas tragiques - bien trop nombreux -, la violence routière est un véritable acte de délinquance, voire un actre criminel. De tels actes sont parfaitement caractérisés. Si nous voulions associer tous nos concitoyens à la démarche engagée depuis le 14 juillet dernier, il était important de choisir le mot qui évite que certains, automobilistes ordinaires, puissent se sentir exonérés de la mobilisation à laquelle nous appelons aujourd'hui.
    Le présent projet de loi renforçant la lutte contre la violence routière comporte - pourquoi nous en cacher ? - des mesures de répression. Mais elles sont nécessaires lorsque le salut public l'exige. Inutile donc de faire preuve de fausse pudeur. Cela dit, il y ajoute à juste titre une dimension pédagogique et appelle, nous l'avons évoqué dans les débats préalables et vous l'avez rappelé, monsieur le ministre de l'équipement, des mesures d'accompagnement auxquelles je vais venir.
    Projet pour qui ? La réponse est simple : pour tout le monde, c'est-à-dire tous les conducteurs, et d'abord ceux qui sont le plus souvent les victimes des drames de l'insécurité routière, en particulier les jeunes. Certes, le permis probatoire s'adresse aux conducteurs novices. Mais n'ayons pas de tabou et ne faisons pas preuve de fausse pudeur face à ce que nous indiquent les données de l'accidentologie : les jeunes, en effet, paient un lourd tribut à l'insécurité routière. Et ce qui nous inquiète plus encore, c'est que si, depuis quelques mois, les enquêtes menées par la délégation interministérielle à la sécurité routière prouvent que les conducteurs sont plus sensibles qu'avant aux enjeux et aux contraintes de la sécurité routière, la dernière enquête d'opinion fait apparaître une évolution des mentalités très nette et très posivive chez tous les conducteurs, sauf chez les jeunes ! A cet égard, notre souci demeure. Cette constatation constitue une alerte devant laquelle nous devons continuer à nous mobiliser. Il faut donc maintenir et accroître encore l'effort pour remédier à cette situation inacceptable.
    Il faut bien sûr agir pour la protection des conducteurs fragiles, et c'est l'objet de certaines dispositions, mais il n'y a aucune raison, monsieur le ministre, de réserver un sort particulier à ce que j'appellerai les professions spécifiques.
    J'étais hier dans un taxi. Il y a peu, je ne suis pas sûr que je bouclais ma ceinture de sécurité à l'arrière. Mais depuis que nous avons entamé ce débat, plus conscient, comme chacun d'entre nous, des enjeux et de la discipline que nous devons avoir sur nous-mêmes, je le fais. Mais j'ai constaté que mon chauffeur, comme tous les chauffeurs de taxi, ne le faisait pas. Pour quelles raisons ? Celles qui sont invoquées sont assez spécieuses, je crois, et je ne veux pas montrer du doigt exclusivement cette profession, car on pourrait en citer d'autres.
    Il est indispensable de proclamer que les contraintes de sécurité routière s'imposent à tous et qu'aucune profession n'est exceptée. Vous proposez dans le texte des évolutions positives à cet égard quant aux transports de marchandises et aux entreprises de déménagement, ce qui touche des secteurs qui étaient jusqu'à présent un peu à la marge de la réglementation ; ce travail doit être poursuivi.
    M. Lionnel Luca. Et voilà comment on prend le bus ! (Sourires.)
    M. Hervé Mariton. Mais dire que l'enjeu de sécurité routière s'adresse à tous, cela signifie qu'il concerne aussi les maîtres d'ouvrage responsables des infrastructures, les départements, les communes et les groupements de communes, auxquels on demandera de fournir des données sur les accidents de la route survenus sur leurs réseaux. Sans oublier, bien sûr, et vous l'avez évoqué dans votre intervention liminaire, l'Etat, qui doit accomplir un important travail d'audit, d'inventaire et de résorption des points noirs.
    Enfin, la mobilisation pour la sécurité routière concerne aussi les constructeurs automobiles. Or, depuis quelques mois que nous nous focalisons tous sur ce sujet, dans tous les groupes, nous avons le sentiment qu'ils restent étrangement discrets dans le présent débat.
    Mme Janine Jambu. Absolument !
    M. Hervé Mariton. Sûrement font-ils beaucoup de choses et sont-ils capables d'initiatives intelligentes. Ils n'en restent pas moins pour l'instant des acteurs trop discrets dans cette mobilisation pourtant indispensable.
    Où faut-il agir ? A cette question simple, la réponse, là encore, est simple : partout, avec la fermeté dont vous faites preuve et en respectant l'équilibre que vous avez choisi. Cela veut dire à la ville comme à la campagne, sur le réseau départemental, sur le réseau national et sur les autoroutes. A ce propos, d'accord avec le rapporteur, je répondrai à notre collègue Estrosi que, même si la question qu'il pose, nombre de nos compatriotes la posent, la mobilisation impérative d'aujourd'hui ne permet pas d'introduire le doute dans leur esprit : l'obligation de prudence s'impose partout, et sur tous les réseaux. Et particulièrement là où ça compte. Nous reviendrons sur ce point à l'occasion de la discussion des amendements. Nos compatriotes ont parfois le sentiment que les forces de l'ordre essaient de les piéger dans des endroits « faciles ». Ce n'est pas le cas, mais il faut le leur prouver. Par conséquent, il faut redoubler d'efforts là où l'accidentologie a montré qu'il le fallait, là où les conduites à risques sont à craindre.
    Pourquoi le cacher ? Nous avons eu, au cours de la préparation de ce débat, un échange qui s'assimilait parfois à un débat entre la France des villes, assez normative, et la France des champs qui trouve que la norme, c'est bien, mais se demande comment elle s'appliquera.
    Au-delà de ce que l'opinion a parfois perçu, le texte que vous nous proposez maintient un bon équilibre sur deux questions.
    Si le permis blanc n'est plus possible pour les infractions les plus graves, il le reste dans un certain nombre de situations : c'est là une réponse adaptée à la réalité de notre pays. Mais il faudra évaluer ce dispositif dans les mois ou les années à venir.
    Le Gouvernement a également fait le choix de ne pas modifier les règles concernant l'alcoolémie. Il ne s'agit en aucune manière de « mollir » dans ce domaine, mais, comme beaucoup d'entre nous le disent : avant de modifier une règle, il est d'abord essentiel de l'appliquer avec le sérieux et la rigueur nécessaires. Là aussi, le dispositif est aujourd'hui calé : son évaluation doit être permanente.
    Enfin, comment mettre en oeuvre la politique de sécurité routière que vous proposez dans ce texte ? Nous insistons pour que l'action menée soit partagée : elle ne doit pas apparaître comme une contrainte exercée par l'Etat, mais comme un contrat entre l'Etat, les collectivités locales et les automobilistes. Vous le savez, messieurs les ministres, je tiens comme vous à rassurer nos compatriotes : l'objectif n'est pas financier ou budgétaire, c'est uniquement un objectif de sécurité routière. Aussi suis-je attaché à ce que le produit des amendes soit à l'avenir consacré intégralement et en toute transparence aux actions de sécurité routière.
    Celles-ci recouvrent un champ très vaste. L'effort budgétaire s'est accru en 2003, tant pour les infrastructures que pour l'action des inspecteurs du permis de conduire ou celle de la délégation interministérielle, pour la mobilisation des forces de police et de gendarmerie, et pour bien d'autres enjeux encore. Les ordres de grandeur budgétaires sont en réalité assez comparables. Mais lorsque la mobilisation sera un peu moins sous les feux de l'actualité, il faudra, messieurs les ministres, continuer à convaincre et entraîner nos compatriotes. Parier alors sur la transparence budgétaire et donner l'assurance que le produit des amendes sera intégralement consacré aux actions de sécurité routière, ce serait là un beau contrat à passer avec les Français !
    Il faut aussi que l'action menée soit cohérente et effective. Pour les contrôles automatiques et la mise en place d'une chaîne contrôle-sanction automatisée, le Gouvernement a eu la sagesse de prévoir la nécessaire progressivité de la mise en oeuvre. Certains radars seront installés en 2003 - peu nombreux parce qu'il n'est pas possible ni techniquement ni juridiquement de faire plus vite -, d'autres en 2004, d'autres plus tard encore. Voilà un bon exemple : dans le domaine de la sécurité routière comme dans d'autres, l'important est l'action effectivement menée, loin de tout effet d'annonce ou de tribune. Gardons cette sagesse.
    Les mesures prises au cours des dernières décennies ont toujours eu un impact important dans l'immédiat, mais il s'est émoussé au fil du temps. Par la cohérence de votre politique, par son effectivité, par le contrat que nous proposons, nous faisons en sorte que, demain, les effets du dispositif nouveau puissent durer.
    M. le président. Une phrase de conclusion, s'il vous plaît.
    M. Hervé Mariton. Enfin, l'action doit être transparente. Nous ne sommes pas là pour piéger nos compatriotes, mais pour encourager des contrôles là où il est important qu'ils aient lieu. Il faut donc dire à nos concitoyens qu'il ne s'agit pas de répression par pur instinct répressif mais d'une répression au service d'un objectif, préserver la vie de chacun. Avons-nous plus belle mission à remplir ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. René Dosière, pour le groupe socialiste ; un quart d'heure maximum, mon cher collègue.
    M. René Dosière. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, au début de ce débat, je ne peux que vous avouer ma perplexité.
    Certes, je suis très satisfait de l'engagement récent - il a fallu attendre le 14 juillet pour que le Président de la République s'engage résolument dans cette campagne - et déterminé du Gouvernement en faveur de la lutte contre l'insécurité routière. Lors de la discussion de la loi d'amnistie, nous étions quelques-uns, de bords différents, à dénoncer les effets néfastes d'une amnistie en la matière. Plusieurs ont même suggéré de renoncer à l'avenir à tout effet d'annonce sur l'amnistie. M. le ministre des transports est, sur ce plan, d'une grande cohérence puisqu'il a toujours été hostile à ce type d'amnistie.
    Il s'agit bien d'un engagement déterminé dont on voit, d'ailleurs, qu'il obtient de premiers résultats encourageants ; on ne peut que s'en féliciter.
    Nous sommes, du reste, à un moment favorable pour aller au fond des choses en matière de lutte contre l'insécurité routière et accomplir des pas décisifs, pour au moins trois raisons.
    D'abord, on voit bien que l'opinion publique a évolué sur ce sujet. On l'avait pressenti durant la campagne présidentielle quant à son attitude sur l'amnistie. Depuis, ce sentiment n'a fait que s'accentuer : il y a bien eu une prise de conscience face aux drames occasionnés par la route. Tous ceux qui depuis longtemps - je pense en particulier aux associations de victimes - se sont mobilisés autour de cette grande cause ne peuvent qu'en concevoir une grande satisfaction. Souvent, ils avaient l'impression de prêcher un peu dans le désert, et voilà que s'ouvre devant eux un chemin d'espoir. C'est un succès pour ces associations et pour tous ceux qui, depuis longtemps, sur tous ces bancs, agissent en faveur de la lutte contre l'insécurité routière.
    Le sondage de l'institut BVA à paraître demain dans Auto-Moto ne fait que confirmer cette évolution de l'opinion, même s'il convient d'en interpréter les résultats avec prudence.
    Je salue l'humilité et la modestie dont vous faites preuve en les commentant, monsieur le ministre des transports : ils sont significatifs, mais l'essentiel est qu'ils soient durables.
    Si, selon ce sondage, deux tiers des Français affirment avoir modifié leur comportement - ce qui témoigne d'une attitude plus civique - et près de 80 % d'entre eux sont favorables à des sanctions, je ne suis pas sûr que, dans quelque temps, on retrouve les mêmes proportions. Défions-nous des effets de mode et de foule !
    La deuxième raison qui montre que les choses évoluent, c'est la mobilisation de l'ensemble du Gouvernement. Le précédent ministre des transports, M. Gayssot, se sentait quelquefois un peu seul dans sa lutte contre l'insécurité routière. Aujourd'hui, l'engagement personnel du Président de la République entraîne la mobilisation de tout le Gouvernement. Le discours sécuritaire - c'est d'ailleurs à qui tiendra le plus sécuritaire ! - ...
    M. Jean-Claude Viollet. C'est vrai !
    M. René Dosière. ... joue un rôle certain, on le voit bien, au point qu'on a un peu le sentiment que l'opinion pense que les dispositions répressives ont déjà été prises ! Après tout, ce n'est pas plus mal !
    Cela dit, c'est une réalité, et chacun peut s'en rendre compte : les contrôles sont plus nombreux et plus visibles, les forces de l'ordre, police et gendarmerie, sortent davantage. C'est également très important. La peur du gendarme reste un élément fort.
    La troisième raison qui rend la période favorable à la lutte contre l'insécurité routière, c'est un changement assez sensible dans l'opinion de la majorité d'aujourd'hui, changement dont ce texte témoigne.
    Rapporteur de la loi de 1999, qui a pratiquement créé la responsabilité pécuniaire du propriétaire du véhicule, que n'ai-je entendu à ce propos sur les bancs de ce qui était alors l'opposition ! Je ne ferai pas de nombreuses citations...
    M. Hervé Mariton. Est-ce bien utile, en effet ?
    M. René Dosière. .... mais je ne résiste pas au plaisir, sans citer de nom, de lire ce que disait un de ses orateurs : « Quant à l'extension de la responsabilité pécuniaire du propriétaire du véhicule à des infractions graves, nous y demeurons hostiles. Nous soulignons en particulier l'atteinte possible au principe de la responsabilité pénale, selon lequel seule la personne pénalement responsable doit supporter la sanction. »
    M. Jean-Pierre Blazy. Qui a dit ça ? Des noms !
    M. Hervé Mariton. Que voulez-vous démontrer ?
    M. René Dosière. Que la majorité a changé sur ce point et que ce changement permet d'aller plus loin en matière de lutte contre l'insécurité routière !
    Je ne résiste pas non plus au plaisir de citer un autre député de ses rangs, aujourd'hui membre du Gouvernement : « J'observe que, par sa nature, l'article 4 « - il s'agissait de la responsabilité pécuniaire du propriétaire du véhicule - » viole de nombreux principes de notre droit : l'égalité des citoyens devant la loi, les garanties apportées par le droit pénal à toutes peines, la séparation des pouvoirs, la responsabilité pénale personnelle, la personnalisation des peines, l'établissement par la loi de peines strictement nécessaires, la présomption d'innocence, les droits de la défense. »
    M. Jean-Pierre Blazy. Rien que ça !
    M. Jérôme Lambert. C'est Devedjian qui parle !
    M. René Dosière. L'orateur de l'opposition d'alors concluait : « Sur tous ces points, nous saisirons le Conseil constitutionnel et, connaissant sa grande sévérité, même par les temps actuels, je ne doute pas qu'il saura défendre les libertés publiques. » Ça, c'était sans doute un peu prématuré, car le Conseil constitutionnel a validé le texte.
    Quand je vois la majorité, qui condamnait hier une telle disposition, en approuver aujourd'hui l'extension, je me dis que le fait majoritaire réalise des miracles ! Ce qui était contesté hier dans l'opposition devient une disposition exemplaire dans la majorité !
    M. Jean-Pierre Blazy. Miracle, en effet !
    M. René Dosière. Je vous rassure tout de suite : l'opposition d'aujourd'hui ne renie pas ce qu'elle a fait ou approuvé hier. Par conséquent, nous continuerons à approuver cette disposition validée par le Conseil constitutionnel.
    M. Jean-Pierre Blazy. Très bien !
    M. René Dosière. Si j'ai un certain nombre de motifs de satisfaction, j'ai aussi quelques inquiétudes, parce que ce texte ne va pas au fond des choses. Il contient essentiellement trois types de mesures : une aggravation très nette des sanctions, dispositif d'application immédiate, dès que la loi sera votée, au point même qu'on peut se demander si c'est vraiment raisonnable ; quelques dispositions un peu pédagogiques, un peu de prévention, mais à dose homéopathique, comme le permis probatoire, l'interdiction de débrider les cyclomoteurs et de fabriquer, importer ou vendre des détecteurs de radars ; enfin, la forfaitisation des amendes et leur automatisation, dispositif intéressant, sans doute d'application un peu plus lointaine.
    Je passe sur les autres dispositifs qui ont été soulignés et paraissent plus divers.
    Par contre, rien, du moins à ce stade de la discussion, sur la mise aux normes des infrastructures, qui, monsieur le ministre des transports, va bien au-delà de quelques arbres coupés.
    M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer. Ce n'est pas l'objet du texte !
    M. René Dosière. J'ai d'ailleurs proposé un amendement, qui a été repoussé en commission, pour insister sur le fait qu'il est important que l'on traite aussi du problème des infrastructures. La faute n'est pas seulement dans les comportements ou dans les véhicules, il faut aussi des normes de sécurité pour les infrastructures. Il faut sans doute aussi renforcer un certain nombre de dispositifs d'éducation à la conduite. On a le sentiment que le sujet est abordé de manière un peu étroite. D'ailleurs, il suffit de voir le titre, et j'ai là une divergence d'appréciation avec l'orateur précédent. C'est un texte contre la violence routière : nous aurions préféré un texte pour la sécurité routière, plus global.
    Premier type de mesures : l'aggravation des peines.
    Les sanctions sont nécessaires, elles sont indispensables, mais faut-il pour autant aller aussi loin, au point d'aboutir quelquefois à des anomalies ? Je prendrai deux exemples.
    Quelqu'un qui a commis deux homicides involontaires en trois ans, une fois en nettoyant son fusil, et une autre à la chasse, encourt une peine maximale de six ans. Une telle peine pourra être appliquée à un conducteur dont le taux d'alcoolémie dépasse la norme, qui ne maîtrise pas sa vitesse, qui aura provoqué deux accidents sur une période de trois ans, avec, dans le premier accident, une jambe cassée, et, dans le second, un bras cassé, entraînant des périodes d'arrêt de travail de moins de trois ans. La même peine dans les deux cas, ce n'est peut-être pas si évident !
    Deuxième exemple : provoquer un homicide involontaire sur la route peut valoir cinq ans d'emprisonnement. La mort d'un homme, c'est toujours un drame, quelle que soit la cause, et je pense bien entendu à la famille, mais cinq ans, c'est la peine que peut encourir un chef d'entreprise, par exemple du BTP, qui oblige ses salariés immigrés clandestins, moins payés, à travailler sur un chantier sans dispositif de sécurité, ce qui peut provoquer leur mort.
    On a parfois le sentiment que certains veulent traiter tous les conducteurs comme des délinquants en puissance.
    Oui, il y a des assassins de la route, et il faut les sanctionner très fortement, mais attention ! Les morts et les accidents de la route causent effectivement des drames et des souffrances qui méritent à la fois sanction et réparation personne n'en doute d'ailleurs, mais essayons malgré tout de raison garder et n'allons pas trop loin. Je crains qu'à terme nous n'ayons à subir un effet boomerang, ce qui pourrait se révéler très dangereux, d'autant qu'en commission certains ont essayé d'aggraver encore le dispositif.
    Deuxièmement, le volet prévention manque un peu de muscle, avec comme seule disposition le permis probatoire pour les nouveaux conducteurs : six points qui passeront à douze au bout de trois ans s'ils n'ont commis aucune infraction. On nous dit que cela fonctionne bien à l'étranger. Je ne demande qu'à le croire mais j'aurais préféré, monsieur le rapporteur, que nous ayons le temps de le vérifier, car votre rapport ne présente aucun élément susceptible de nous prouver que ce dispositif a les vertus pédagogiques qu'on lui prête.
    Autres faiblesses : les infrastructures et les véhicules. Nous continuons à fabriquer des véhicules très rapides, les constructeurs faisant souvent de leur vitesse l'un des arguments de publicité ; nous défendrons des amendements à ce sujet.
    Enfin, troisième point, le traitement rapide des infractions par la forfaitisation des amendes et l'automatisation. C'est une mesure à laquelle j'adhère pleinement. Elle a d'ailleurs fait l'objet d'un avis unanime du Conseil national de la sécurité routière de juillet dernier. C'est le dernier que j'ai présidé, la majorité n'ayant pas renouvelé ma nomination.
    M. Jean-Pierre Blazy. Encore une disponible !
    M. René Dosière. Concernant le contrôle automatisé, nous avions relevé quelques blocages. Où en est-on, monsieur le ministre des transports, quant à l'homologation des dispositifs de sécurisation des données et du suivi automatisé du règlement de l'amende ? Dans quel délai les blocages seront-ils levés pour que le nouveau dispositif fonctionne ?
    Un autre problème n'est pas non plus résolu, celui de savoir qui sera le bénéficiaire des amendes forfaitaires. Aujourd'hui, ce sont les collectivités locales qui perçoivent le produit de ces amendes, elles l'utilisent d'ailleurs pour réaliser des équipements de sécurité. Il serait question que l'Etat en récupère la totalité. Ce serait une erreur, je vous le dis franchement.
    M. François Sauvadet. Ce serait effectivement dommage.
    M. René Dosière. Dans la lutte contre l'insécurité routière, tout le monde doit être mis dans le coup : les collectivités locales, les associations. C'est d'ailleurs le cas aujourd'hui, mais il faut leur donner les moyens de participer à la sécurité routière...
    M. François Sauvadet. Sur ce point, vous avez raison !
    M. René Dosière. ... en réalisant des équipements de proximité qui seront bien mieux adaptés par elles.
    M. Lionnel Luca. Dosière au pouvoir !
    M. le président. Monsieur Dosière, il vous faut conclure.
    M. René Dosière. Je termine, monsieur le président.
    Quel rôle, monsieur le ministre, entendez-vous faire jouer au Conseil national de la sécurité routière, qui est en panne depuis plus de huit mois puisqu'il n'a plus de président et qu'il ne s'est pas réuni. C'est une instance jeune, qui a besoin d'être confortée, dynamisée. Elle présente l'intérêt de réunir tous ceux qui s'occupent de sécurité routière. Ses travaux sont d'autant plus nécessaires que c'est là que vous avez trouvé l'idée de la forfaitisation des amendes. Il serait utile que vous nous disiez quel rôle vous entendez lui faire jouer.
    Le groupe socialiste, naturellement, soutient la démarche du Gouvernement contre l'insécurité routière, ...
    M. François Sauvadet. Très bien !
    M. René Dosière. ... même si nous manifestons quelques réserves, ce qui est légitime car l'intervention du garde des sceaux en début de séance nous a inquiétés. C'est d'ailleurs pourquoi j'ai demandé tout à l'heure une suspension de séance pour réunir mon groupe. Deux dispositions, je vous le dis franchement, nous posent un grave problème, elles n'ont rien à voir avec le texte concernant la sécurité routière. La première, et je n'insiste pas puisque c'était l'objet de l'exception d'irrecevabilité défendu par Jacques Floch, c'est l'article 24. La seconde, c'est l'amendement de M. Garraud, qui a été adopté, avec difficulté, par la commission des lois et auquel le garde des sceaux s'est déclaré tout à fait favorable.
    Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. C'est un très bon amendement !
    M. le président. Monsieur Dosière, il aurait fallu demander un peu plus de temps à votre groupe.
    M. René Dosière. Je termine, monsieur le président.
    M. le président. Cela fait déjà cinq minutes que vous auriez dû terminer !
    M. René Dosière. Cet amendement touche au statut de l'embryon.
    M. le garde des sceaux. Ce n'est pas vrai !
    M. René Dosière. Il n'a rien à voir avec la sécurité routière.
    Nous verrons au cours de la discussion si ces deux points qui polluent le texte sur la sécurité routière sont maintenus, voire renforcés. C'est en fonction des décisions qui seront prises sur ces deux questions que le groupe socialiste déterminera son vote final. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à M. Rudy Salles.
    M. Rudy Salles. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, c'est avec une grande satisfaction que je prends acte de la détermination du Gouvernement à s'engager de manière énergique dans la lutte contre la violence routière.
    Ma satisfaction est d'autant plus grande qu'il devenait urgent de prendre ce problème à bras-le-corps car, trop longtemps en effet, dans ce pays, nous avons attribué à la fatalité le nombre anormalement élevé de morts sur nos routes. Trop longtemps, les gouvernements successifs, toutes tendances confondues, ont fait preuve de passivité face à ce problème récurrent. Et, à force d'inertie, nous avons laissé se développer inexorablement ce fléau et son désolant cortège de morts et de handicapés à vie.
    Il faut se féliciter que, dès le début de son mandat, le Président de la République ait fait de la lutte contre la violence routière un de ses chantiers prioritaires, car nous constatons aujourd'hui que cette politique énergique n'est pas vaine.
    En effet, la traque des chauffards et des inconscients du volant, pratiquée par la police depuis plusieurs mois, porte déjà ses fruits. En février 2003, le nombre d'accidents corporels a baissé de 27 % et le nombre de tués de 35 % par rapport à février 2002.
    Ces chiffres encourageants doivent nous conforter dans notre conviction que cette politique de répression est payante et qu'il n'y a pas de place dans cette lutte pour la passivité et le fatalisme ; mais il ne faut pas en rester là. Le texte qui nous est proposé aujourd'hui va constituer, à n'en pas douter, une nouvelle étape importante dans le combat sans merci que nous devons mener contre les fous du volant.
    Ce combat, si nous voulons le gagner, implique intransigeance et sévérité à l'égard des comportements les plus dangereux. C'est pourquoi il convient d'approuver sans réserve toutes les mesures du projet de loi tendant à réprimer plus sévèrement les infractions au code de la route. Il faut que la tolérance zéro, objectif du Gouvernement en matière de sécurité intérieure, s'inscrive aussi dans notre politique contre la violence routière.
    Pour ce faire, le présent projet de loi prévoit un grand nombre de mesures qui devraient se révéler assez dissuasives pour les chauffards patentés. Parmi ces mesures, la mise en place d'une période probatoire de trois ans consécutive à l'obtention du permis de conduire recueille de ma part un assentiment tout particulier puisqu'elle reprend le dispositif d'une proposition de loi que j'avais déposée sur le bureau de notre assemblée en 2001. Cette proposition de loi n'avait pas été adoptée à l'époque, mais je me félicite que l'instauration de cette période probatoire puisse voir le jour et constituer un dispositif efficace pour les jeunes conducteurs, les nouveaux conducteurs, qui sont malheureusement, du fait tant de leur inexpérience que de leur inconscience, les principaux responsables et les principales victimes des accidents de la route.
    Il faut aussi, et en priorité, s'attaquer à la vitesse excessive, qui demeure la principale cause des accidents de la route. Il est tout à fait choquant de voir des bolides dépasser les 200 km/heure, parfois en pleine agglomération, et causer les ravages que l'on sait. Contre ces chauffards, des moyens techniques et humains ont déjà été déployés depuis plusieurs mois sur nos routes, réduisant, ainsi que je l'ai souligné, le nombre d'accidents de manière très encourageante. A cet égard, la multiplication des radars constatant les excès de vitesse constitue un progrès significatif qu'il convient de signaler. Cependant, j'estime qu'il faut aller plus loin encore et régler le problème de la vitesse à sa source.
    La solution serait d'empêcher techniquement que les véhicules n'atteignent des vitesses qui se révèlent bien souvent meurtrières. C'est pourquoi j'avais déposé un amendement au présent projet de loi pour que tous les engins terrestres à moteur vendus neufs sur notre territoire soient munis d'un régulateur de vitesse. Ainsi, ces véhicules ne pourraient dépasser les 130 km/h, soit la vitesse maximale autorisée sur les autoroutes françaises. Les constructeurs automobiles implantés sur le sol français devraient alors se conformer à cette nouvelle exigence, sous peine de voir leur responsabilité pénale engagée. Malheureusement, cet amendement n'a pas été retenu par la commission des lois en raison des directives européennes en la matière, sur lesquelles nous devrions aussi nous pencher.
    Je voudrais également profiter de ce texte pour vous rappeler, monsieur le ministre, l'intérêt que présente l'immatriculation des deux-roues de moins de cinquante centimètres cubes, à la fois pour la sécurité routière et pour la lutte contre la délinquance juvénile.
    M. Gilles Artigues. C'est très urgent !
    M. Rudy Salles. Bien qu'adoptée lors de la précédente législature, à la suite d'un amendement de l'opposition et contre l'avis du Gouvernement - j'avais moi-même déposé une proposition de loi en ce sens -, cette mesure n'est toujours pas entrée en application. Je vous remercie de veiller à ce que les décrets d'application puissent être rapidement pris afin que le dispositif que nous étudions aujourd'hui soit ainsi utilement complété.
    Enfin, pour conclure mon propos, je souhaite rappeler que l'arsenal répressif policier législatif institué par le présent projet de loi ne suffira sans doute pas, à lui seul, à résorber le fléau que constitue la violence routière. C'est pourquoi le combat ne pourra être remporté sans une prise de conscience collective des dangers de la route. Il revient donc à tous les Français d'effectuer cette prise de conscience et de se montrer enfin raisonnables. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Viollet.
    M. Jean-Claude Viollet. Monsieur le président, messieurs les ministres, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le fait d'être usager de la route ne dispense pas de l'observation du pacte républicain, de la responsabilité individuelle, fondement de la citoyenneté, qui veut que toute infraction soit sanctionnée et la récidive plus durement punie ; respect de l'autre, de la règle commune, mais aussi de tous ceux qui ont pour difficile mission de la faire appliquer ; exemplarité des comportements mais aussi des sanctions.
    C'est pour cette raison que, le 9 juillet 2002, je m'étais, ici même, opposé au projet de loi d'amnistie, parce qu'il contribuait précisément à la dégradation de l'esprit public.
    Cela étant, puisque nous parlons de sécurité, fût-elle routière, je voudrais rappeler, comme je l'avais fait lors du débat sur le projet de loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure, que la sécurité routière ne saurait se réduire à la seule répression et qu'elle est aussi affaire d'éducation et de prévention.
    La sécurité est affaire d'éducation. De ce point de vue, l'école doit être davantage impliquée dans l'enseignement de la sécurité routière. Nous avons progressé avec la création de l'attestation scolaire de sécurité routière et sa généralisation prochaine à son deuxième niveau, pour préparer le permis de conduire dès le collège. Nous devons aller plus loin, à l'école primaire, avec la création d'une attestation de première éducation à la route, et à l'école maternelle, en permettant aux plus jeunes d'appréhender les principes généraux du code de la route, par exemple en organisant des sorties « sécurité routière », sans oublier l'enseignement des gestes de premiers secours qui devrait être généralisé dans le primaire et se poursuivre au collège, pour déboucher sur l'attestation de formation aux premiers secours, ce qui nécessitera bien entendu de développer une formation spécifique des enseignants dans les IUFM.
    Une telle éducation ne prend réellement sens que dans un continuum, tout au long de la vie, parce que ces acquisitions initiales s'estompent avec le temps, parce que les caractéristiques techniques des véhicules comme des routes et les règles même de la conduite évoluent.
    C'est pourquoi il convient de développer les rendez-vous d'évaluation pour les titulaires du permis depuis moins d'un an, et de perfectionnement pour ceux qui le possèdent depuis plus de dix ans, notamment lorsqu'ils veulent pratiquer la conduite accompagnée, que nous devons encourager en impliquant les régions et les départements.
    La sécurité est affaire de prévention, ensuite, ce qui renvoie à l'interaction entre conducteur, véhicule et infrastructure routière.
    Pour le conducteur, il faut instaurer un rendez-vous santé dont le but premier serait de l'informer des risques particuliers qu'il court, mais fait aussi courir aux autres usagers de la route, en cas de dégradation de son état de santé, due à l'âge ou la maladie, mais aussi en cas de consommation d'alcool, de drogues ou d'autres substances médicamenteuses susceptibles d'altérer son comportement au volant. Ce rendez-vous santé devrait être obligatoire pour passer le permis, puis renouvelé tous les dix ans après son obtention, au même rythme que les rendez-vous de perfectionnement, avec lesquels il pourrait d'ailleurs être jumelé.
    S'agissant du véhicule, il faut développer sur tous les véhicules neufs les organes de sécurité active.
    Quant aux infrastructures, il faut mettre en place une surveillance systématique pour le contrôle de leur sécurité.
    La sécurité est affaire de répression enfin, chaque fois que la règle commune est transgressée.
    Pour prendre les choses à la source, il conviendrait ainsi de sanctionner toute publicité en faveur de la vitesse des véhicules ou de comportements en infraction avec les dispositions du code de la route.
    Au-delà, les sanctions infligées aux conducteurs doivent, pour être pleinement efficaces, être certes rapides, mais également justes, et donc proportionnées.
    De ce point de vue, plus que du montant de l'amende ou de la durée de l'emprisonnement affichée, il conviendrait, à la lumière de l'expérience, que nous nous préoccupions de leur application et de leur caractère réparateur, pour le coupable comme pour les victimes, en laissant certes le juge apprécier le quantum de la peine, mais dans un cadre mieux défini par le législateur, notamment en incitant au développement du travail d'intérêt général dans les établissements accueillant des victimes de la route.
    De même, il serait utile de revenir sur l'équivalence des peines et plus encore sur la récidive, entendue au sens large en cas d'accidents de la route, tandis qu'elle l'est au sens strict pour d'autres cas d'homicides ou de coups et blessures commis par négligence.
    Tels sont les quelques points que j'ai déjà abordés lors des réunions du groupe d'études « route et sécurité routière » et que je souhaitais à nouveau évoquer ici.
    En matière de sécurité routière aussi, c'est seulement une politique continue, cohérente, proche du terrain, alliant éducation, prévention et, bien entendu, répression chaque fois que c'est nécessaire, qui nous permettra d'agir, dans la durée et en profondeur, dans un domaine dont nous connaissons la difficulté et qui doit devenir une préoccupation majeure pour chacun de nos concitoyens, comme elle l'est depuis des années pour les associations de prévention routière ou pour celles des familles de victimes. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à M. Jean-MichelBertrand.
    M. Jean-Michel Bertrand. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le projet de loi renforçant la lutte contre la violence routière constitue un grand texte de société visant à la responsabilisation et à la protection des personnes.
    En faisant de la sécurité routière une cause nationale inscrite dans les trois grands chantiers de son quinquennat, le Président de la République a décidé de mettre fin à une désolante exception française. Aux états généraux de la sécurité routière de septembre dernier, comme au comité interministériel de sécurité routière du 18 décembre, le Premier ministre a annoncé un plan ambitieux et cohérent, qui se traduit par le projet de loi qui nous est soumis aujourd'hui.
    La très forte mobilisation voulue par le Gouvernement commence à porter ses fruits, notamment par la prise de conscience collective du fléau que représente la violence routière. L'annonce du renforcement des sanctions et de la fin de la pratique du « pas vu, pas pris » produisent déjà leurs effets, avant même l'entrée en vigueur des nouvelles dispositions du présent texte. Toutefois, si la crainte de sanctions a des vertus préventives et dissuasives sur les automobilistes, il faut éviter tout triomphalisme et tout relâchement prématuré de l'effort en donnant des signes contradictoires.
    En tenant compte de ce contexte, je voudrais brosser succinctement le tableau de ce que pourraient être une coordination et une articulation efficaces entre tous les partenaires de la sécurité routière pour faire de ce texte une loi d'espérance et de confiance.
    Je commencerai par le rôle de l'Etat en matière de sécurité routière. En ce domaine les pouvoirs publics ont pour mission de créer les conditions favorables à la protection des personnes contre des comportements et des actes irresponsables. Ainsi, les mesures proposées par le Gouvernement, comme la mise en place de radars automatisés, du permis probatoire, de la nouvelle échelle des sanctions pénales, de l'automatisation des peines, ou comme le traitement rapide du contentieux routier sont parfaitement adaptées pour casser la spirale de la violence routière. Je ne développerai pas ce point : d'autres l'ont fait excellemment avant moi et très bien.
    Il faudra toutefois veiller scrupuleusement à ce que les règles soient respectées et les peines systématiquement appliquées. En ce domaine, le sentiment d'impunité se traduit trop souvent par un comportement irresponsable mettant en danger la vie d'autrui. La sanction doit être certaine, rapide, mais aussi proportionnée.
    L'Etat a également la responsabilité de coordonner les politiques d'éducation, de formation, de sensibilisation et de responsabilisation de chaque conducteur. Les pays européens exemplaires en matière de prévention routière doivent leur succès non pas tant à la peur du gendarme qu'à la responsabilisation dès le plus jeune âge : c'est le fruit d'une éducation qu'il nous reste à mieux dispenser et à mieux développer en France.
    La route n'est pas un espace individuel mais un espace collectif à partager et à organiser comme tel. Le journaliste Hervé Chabaud, dans un article du 12 mars dernier, a parfaitement situé les enjeux. Je cite : « La route appartient à tous. Elle existe pour rendre service, favoriser les échanges, relier les hommes, pas pour détruire des familles et inscrire à chaque virage les croix de tragédies insoutenables et les fleurs d'un souvenir éternel. La sécurité, c'est chacun d'entre nous qui la construit par un comportement exemplaire : il doit être le résultat d'un apprentissage à la maison, à l'école et en société, et d'une conscience des dangers jamais altérée. Pour mener à bien un tel changement des mentalités, l'Etat ne pourra réussir seul, ce sera l'affaire de tout le pays. »
    S'agissant du rôle des collectivités territoriales et des élus locaux en matière de prévention routière, on peut parfaitement appliquer la formule « penser globalement, agir localement », à un moment où le Parlement, réuni en Congrès, vient d'entériner l'acte II de la décentralisation.
    Le comité interministériel de la sécurité routière de décembre dernier a affirmé que la lutte contre l'insécurité routière s'inscrivait dans la politique de sécurité intérieure. De ce fait, elle sera considérée comme un enjeu à part entière des conseils départementaux de prévention et des conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance. Dans cette optique, les plans départementaux de contrôle devront impliquer toutes les collectivités territoriales, pour qu'elles soient des partenaires de la sécurité routière.
    Enfin, des crédits supplémentaires seront accordés aux préfets afin de développer l'animation et les actions partenariales avec les conseils généraux dans le cadre des plans départementaux d'action de sécurité routière.
    On ne saurait trop souligner que les élus locaux sont des partenaires incontournables qui agissent au plus près des citoyens. Ils ont de surcroît des compétences en matière de gestion des paysages, d'urbanisme et de voirie, autant de domaines qui ont un impact indéniable sur la sécurité routière. Rappelons seulement que l'Etat n'est responsable à ce jour que de 40 000 kilomètres de voies, alors que les conseils généraux ont la responsabilité de plus de 500 000 kilomètres et les communes de plus de 800 000 kilomètres.
    M. René Dosière. Et cela va encore s'aggraver !
    M. Jean-Michel Bertrand. Il est essentiel d'intégrer systématiquement un volet « sécurité routière » dans les chartes ou plans de déplacements urbains, de réaliser une cartographie de tous les accidents et incidents, afin d'évaluer l'efficacité des travaux et aménagements réalisés. Tel est le sens de l'article 16, et nous sommes un certain nombre de maires à pouvoir attester de l'efficacité de ce dispositif.
    Toutefois, intégrer la sécurité routière dans la façon de penser l'aménagement urbain et l'aménagement des territoires représente un coût important pour les élus locaux. C'est la raison pour laquelle, dans le cadre des nouveaux transferts de compétences et des transferts de ressources financières qui les accompagneront, une partie significative du produit des amendes sanctionnant les infractions au code de la route devrait être affectée à un fonds destiné à financer les projets d'investissement des collectivités territoriales en matière de sécurité routière.
    M. René Dosière. Très bien !
    M. Jean-Michel Bertrand. Je voudrais également insister sur le rôle central que devront jouer les auto-écoles pour l'apprentissage et la formation-prévention. Pour avoir longuement rencontré leurs représentants, je peux vous assurer que les auto-écoles aspirent à devenir des acteurs majeurs du dispositif de lutte contre l'insécurité routière. Dans ce contexte, l'Etat devra veiller à une refonte de l'enseignement du permis de conduire, à une redéfinition des missions et au renforcement de la formation et des connaissances des moniteurs d'auto-école.
    M. Lionnel Luca. C'est clair !
    M. Jean-Michel Bertrand. Ces derniers jouent un rôle important dans l'insertion professionnelle des jeunes en les aidant à obtenir leur permis.
    Toutefois, on recense plus de 15 000 auto-écoles en France, ce qui en fait une profession très disparate. Il serait opportun de diversifier leurs activités et de mettre en place des contrats d'objectifs permettant de valoriser les auto-écoles les plus efficaces. En contrepartie d'une plus grande implication des auto-écoles dans la sensibilisation des enfants à la prévention routière, l'Etat pourrait envisager quelques incitations fiscales, comme la détaxe du carburant ou la suppression de la redevance pour les téléviseurs utilisés à des fins pédagogiques.
    J'en viens au rôle de l'éducation nationale et des associations dans la sensibilisation de nos enfants à la sécurité routière. Le dernier CISR a proposé de renforcer le continuum éducatif en confortant le rôle de l'école dans l'éducation routière par une meilleure implication des enseignants et par une modernisation des outils pédagogiques. La sécurité routière pourrait faire l'objet d''une approche pluridisciplinaire et cohérente, notamment en éducation civique, éducation physique, sciences de la vie et de la terre. Ces enseignements pourraient être coordonnés avec les actions préventives des grandes compagnies d'assurance, qui engagent des campagnes nationales exemplaires auprès des enfants et des adolescents.
    On peut enfin observer que le temps de loisir de l'enfant, ou l'espace périscolaire, serait particulièrement approprié à une sensibilisation ludique au bon comportement. Une sensibilisation à la sécurité routière des animateurs et des directeurs de centres de loisirs ou de centres de vacances contribuerait à la mobilisation générale.
    J'aborderai maintenant l'implication du corps médical. Le CISR a décidé qu'un certificat médical d'aptitude à la conduite serait exigé avant la délivrance du permis de conduire. De même, un module d'évaluation de l'aptitude à conduire sera inséré dans le cadre des visites médicales déjà mises en place qui accompagnent l'adulte tout au long de la vie : visite médicale du travail, visite médicale pour les étudiants.
    La visite médicale obligatoire devra être mise en oeuvre par décret très rapidement et concomitamment à l'évaluation tout au long de la vie des connaissances du code de la route.
    D'une manière générale, il est essentiel que le corps médical soit associé pleinement à cette grande cause. Il faudrait que les médecins développent dès leur formation ce que j'appelle le « tropisme sécurité routière », c'est-à-dire qu'ils intègrent systématiquement dans l'examen de leurs patients les conséquences éventuelles de l'état de santé de ceux-ci sur leur aptitude à conduire, donc à risquer leur vie et celle d'autrui.
    En conclusion, je dirai que, comme la lutte contre la délinquance, la lutte contre la violence routière est une question de volonté politique. Or toutes les conditions sont réunies pour réussir : les Français le veulent, tous les acteurs de la sécurité routière sont mobilisés et le Gouvernement est très déterminé.
    Ce projet propose un bon équilibre entre prévention, éducation, dissuasion et sanction. Nous devons travailler à l'instauration d'un nouvel état d'esprit. N'est-ce pas exactement ce qu'affirmait le ministre des transports ? Prendre la route, c'est adhérer à une déontologie de la vie. Enfreindre la loi routière revient à rompre le contrat social et nous fait entrer dans le cercle de l'irresponsabilité.
    Nombre d'accidents de la route ne relèvent pas de la fatalité. Il nous appartient de nous engager tous ensemble, au-delà de clivages partisans, pour préserver notre société dans ce qu'elle a de plus précieux : la vie de nos enfants et l'équilibre affectif et social de toutes nos familles. Ce sera l'honneur de notre assemblée. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. Jérôme Lambert.
    M. Jérôme Lambert. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, je tiens d'abord à saluer les résultats actuels en matière de sécurité routière, qui ont été obtenus grâce à la mobilisation de tous - policiers, gendarmes et magistrats - et ont permis de préserver des vies et l'intégrité des personnes.
    Mais ces résultats, nous les devons avant tout aux Français, et à la prise de conscience qui semble se faire jour progressivement, sans que nous ayons eu besoin, jusqu'à présent, d'adopter la moindre mesure législative nouvelle.
    Or, aujourd'hui, le Gouvernement nous propose de légiférer. Un texte de loi portant sur la sécurité routière devrait pour le moins prendre en compte tous les facteurs complexes qui sont la cause des accidents très nombreux et dramatiques qui ont lieu. Si nous examinions un texte portant sur tous les moyens à mettre en oeuvre pour assurer une meilleure sécurité routière, et sur cela seulement, nous serions heureux de pouvoir l'adopter dans un total consensus.
    Ces moyens sont de tous ordres : la réglementation, l'éducation, la prévention, l'adaptation des réseaux et des véhicules à des normes nouvelles, les sanctions à mettre en oeuvre en cas de violation des règles. C'est en combinant toutes ces politiques et toutes ces volontés que nous pourrions poursuivre une politique cohérente et, à ce titre, comprise par nos concitoyens. L'enjeu est de faire naître un état d'esprit nouveau fondé sur une pédagogie autour du concept de sécurité routière.
    Or, avec ce texte, nous n'allons pratiquement pas retenir d'autre moyen que la peur engendrée chez tous les automobilistes par les sanctions très lourdes qui frapperont tout écart de conduite dont ils pourraient se rendre coupables, sciemment ou par imprudence.
    Monsieur le garde des sceaux, vous avez évoqué tout à l'heure « la sanction et la pédagogie de la sanction ». Certes, les lois et les règlements sont faits pour être respectés, et il est légitime que la législateur prévoie une échelle de sanctions pour les contrevenants. La question que nous devons cependant légitimement nous poser, en tant que législateurs, est celle des contraintes que nous entendons faire peser sur nos compatriotes pour les amener à respecter scrupuleusement les règles que nous fixons.
    Quand une loi, comme c'est ici le cas, doit être assortie d'un régime de sanctions extraordinairement répressif pour être respectée, ainsi que l'a souligné tout à l'heure René Dosière, exemples à l'appui, on doit se demander s'il ne manque pas des fondations dans la construction de notre politique de sécurité routière. En effet, ce n'est pas, en général, le régime des sanctions qui rend une loi opérante dans notre société. Si c'était le cas, puisque le crime est gravement puni et que les criminels encourent des sanctions sévères, il n'y aurait plus de criminels. Malheureusement, il y en a toujours !
    Ce qui limite les crimes, ce qui fait que ces actes ne sont pas trop nombreux, ce sont les valeurs transmises par l'éducation, ainsi que l'organisation sociale dont la pression s'oppose à de tels comportements, et l'adéquation entre la faute telle qu'elle est perçue par l'opinion et la peine encourue.
    Cette loi est donc très incomplète. En se limitant au régime des sanctions applicables aux contrevenants, elle ne traite pas du fond de la question de la sécurité routière, comme l'illustre d'ailleurs parfaitement son titre : ce n'est pas une loi « contre l'insécurité routière » mais une loi « contre la violence routière ». La conduite routière est considérée dorénavant comme un facteur de violence dans notre société, souvent plus grave que beaucoup d'autres comportements, et tout conducteur devient un délinquant en puissance au moindre écart de conduite.
    J'estime que l'esprit de ce texte n'est pas conforme à ce qu'il devrait être. Il nous faut au contraire poursuivre dans la voie de la prévention, de la responsabilisation et de l'éducation des conducteurs, et trouver un régime de sanctions qui traduirait cette volonté politique consensuelle. Mais ce texte ne fait qu'aggraver la sanction sans se préoccuper vraiment des moyens de l'éducation.
    En frappant fort contre les contrevenants, allons-nous changer la mentalité de nos compatriotes, ou allons-nous tout simplement augmenter considérablement le taux de délinquance dans notre pays ? Je ne prendrais pas le pari.
    Ce texte comporte de nombreuses lacunes car il ne parle pratiquement que de violence et de délinquance. De fait, il est muet sur les infrastructures, les véhicules, les équipements de sécurité. Certes, il y a un homme au volant, mais son comportement s'inscrit dans un contexte matériel que nous devons aussi faire évoluer : ce n'est plus de la violence routière, mais de la prévention routière qu'il s'agit alors.
    Ainsi, nous savons que certaines routes - je pense par exemple à certains tronçons de la route centre Europe Atlantique, la RCEA - sont encore à deux voies, voire départementales, alors que des axes autoroutiers sont demandés. Or ces axes routiers sont extrêmement accidentogènes. Est-ce la faute des conducteurs ? Si c'était le cas, les statistiques signifieraient alors que les conducteurs les plus dangereux circulent sur ces routes ! Ne serait-ce pas plutôt ces routes qui présentent un danger pour les conducteurs ? Devant une telle situation, qui s'aggrave au fil des ans, que fait-on ?
    Quant aux véhicules, les constructeurs les vendent en vantant leur puissance, pour éviter de parler de vitesse pure ; mais en réalité, en termes de marketing, l'effet est le même. Où est la réglementation pour lutter contre l'état d'esprit engendré par un tel concept, en particulier chez les jeunes conducteurs ?
    On nous dit qu'il est impossible de brider la puissance des véhicules. De qui se moque-t-on alors que, depuis vingt ans, il est possible de brider celle des motos à cent chevaux ?
    De même, on autorise la vente de véhicules dont le compteur affiche des vitesses qui sont des invitations à l'excès. Parfois, les vitesses indiquées dépassent les 300 km/h...
    M. Jean-Pierre Door. Très juste !
    M. Jérôme Lambert. ... tant sur certaines motos que sur certaines voitures ; or rien n'est prévu dans ce domaine.
    Par ailleurs, l'obligation de consigner le montant d'une amende avant de pouvoir contester l'infraction devant les juridictions porte en elle-même un grave danger d'iniquité. Celui ou celle qui ne parviendra pas à réunir les fonds nécessaires dans le délai prévu ne pourra plus se défendre. Nous devrions revenir sur cette disposition porteuse de graves injustices.
    Notons enfin que ce qui tue et blesse, c'est le nombre des véhicules. Les accidents de transports en commun sont rares, et un vélo qui percute un abribus ne risque guère de faire subir aux piétons des dommages très graves. Dès lors, pourquoi ne pas lancer un vaste programme de développement des transports collectifs ou alternatifs adaptés aux trajets quotidiens qui, en dépit d'un faible kilomètrage, sont les plus accidentogènes. Nous attendons, là aussi, que vous nous fassiez des propositions ; pour l'heure, elles sont absentes du projet de loi.
    Voilà quelques réflexions de bon sens qui, je l'espère, pourront faire naître, dans un proche avenir, les compléments indispensables à ce projet de loi, malheureusement incomplet et déséquilibré, et dont certaines des dispositions, étrangères au texte initial, sont inappropriées. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à M. Lionnel Luca.
    M. Lionnel Luca. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le texte que nous étudions aujourd'hui a déjà produit ses effets avant même d'être voté, ce qui n'est guère habituel : le nombre de morts et de blessés a spectaculairement diminué depuis l'annonce des mesures dont nous allons débattre, la peur du gendarme faisant une nouvelle fois ses preuves.
    Sans reprendre ce qui a déjà été dit, je souhaiterais insister sur la nécessité de parvenir à changer les comportements de nos concitoyens, notamment grâce à une éducation à l'école beaucoup plus rigoureuse que celle pratiquée jusqu'à maintenant. La bonne volonté des enseignants, qui ne sont pas tous spécialement formés ou sensibilisés, et l'attestation de sécurité routière, délivrée au bout de trois heures seulement, ne suffisent pas. La formation dispensée dans les auto-écoles se résume trop souvent à un bachotage décalé par rapport aux réalités, sinon aux capacités. Quant à la formation post-permis, elle est inexistante car fondée sur le volontariat.
    Voilà pourquoi, même si cela suscite des réticences, il faudra bien que nous parvenions à imposer, comme cela se fait dans bien des pays, une évaluation post-permis régulière, par exemple tous les dix ans. Cette évaluation présenterait un double intérêt : une remise à niveau tenant compte des dispositions nouvelles du code de la route, ainsi qu'une sensibilisation aux risques inhérents à la conduite, une sorte de piqûre de rappel. Plus personne aujourd'hui ne conteste la nécessité d'un contrôle technique des véhicules. Il apparaîtra bientôt inconséquent de ne suivre aucune formation continue en soixante ou soixante-dix ans de conduite, alors que celle-ci est considérée comme indispensable dans la vie professionnelle.
    Cette évaluation est d'ailleurs réclamée par certains utilisateurs de la route, comme l'Association des motards en colère, dont bon nombre de suggestions mériteraient d'être reprises sur le plan réglementaire : l'utilisation exclusive de revêtements adhérents pour la signalisation horizontale,...
    M. Jérôme Lambert. C'est vrai !
    M. Lionnel Luca. ... la suppression des obstacles latéraux, poteaux, piquets, en particulier en milieu urbain,...
    M. François Sauvadet. Tout à fait !
    M. Lionnel Luca. ... le changement des glissières couperets par le doublement des rails de sécurité, ou l'obligation d'équipements de sécurité comme les vêtements, dont le port pourrait être favorisé par un taux de TVA réduit.
    M. François Sauvadet. Encore une bonne suggestion !
    M. Lionnel Luca. Il est par ailleurs étonnant que la loi adoptée ici à l'unanimité le 15 novembre 2001, particulièrement l'article 19 concernant l'immatriculation des scooters et des motocyclettes, soit toujours en attente d'application en raison de difficultés pratiques notamment, la nécessité de mettre en place d'importants moyens techniques, matériels et humains. J'ai donc proposé, dans un amendement, que la commission des lois a bien voulu adopter, que les mairies accueillent les demandes. Cela allégerait la tâche des services préfectoraux tout en permettant aux maires de connaître les possesseurs de deux-roues dans leur commune en attendant l'immatriculation établie, bien sûr, par les préfectures et les sous-préfectures. Cette simple mesure pourrait calmer l'ardeur de certains amateurs de rodéo et se révéler dissuasive à l'égard des professionnels du vol à la portière.
    Enfin, dès lors que le laxisme est banni et que la réglementation s'applique dans toute sa rigueur, il est indispensable de revoir les panneaux fixant les limitations de vitesse actuelles car beaucoup se révéleront inadaptés. En effet, pour espérer voir les véhicules rouler à 70 ou même à 90 km/h, on n'hésitait pas, ces dernières années, à implanter des panneaux indiquant 50 km/h. C'est absurde. Désormais, il faudra que les panneaux correspondent réellement à la vitesse compatible avec la sécurité. Sinon, la répression subie par les conducteurs, qui ne sont pas tous des délinquants ou des chauffards, sera vécue comme un abus, ce qui ira à l'encontre du but visé. Il faut donc donner des consignes en ce sens aux préfets et surtout des moyens aux subdivisionnaires de l'équipement pour procéder aux adaptations nécessaires.
    Ces remarques participent à l'esprit du texte et vont dans le sens des efforts que le Gouvernement engage pour relever le défi lancé par le Président de la République voici à peine huit mois. Et la représentation nationale salue, messieurs les ministres, votre courage pour y répondre avec célérité et efficacité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à M. Christophe Masse.
    M. Christophe Masse. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le débat parlementaire qui s'ouvre aujourd'hui devait être largement consensuel, tant le sujet le méritait.
    M. François Sauvadet. Il le mérite toujours.
    M. Christophe Masse. En effet, le prix payé aux accidents de la route en vies humaines et en blessés graves est toujours trop important. Mais, comme Jacques Floch et René Dosière l'ont fait remarquer, nous nous trouvons ce soir dans une position un peu difficile. Alors que nous étions d'accord avec la ligne adoptée et favorable à ce que ce projet de loi voie le jour, la mise en avant de deux éléments extérieurs, je veux parler de l'article 24 et de l'amendement Garraud, nous oblige à revoir notre point de vue. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Hervé Mariton. Suivez votre premier sentiment !
    M. Christophe Masse. Oui, à un vrai débat sur la sécurité routière,...
    M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer. Faites-le, alors !
    M. Christophe Masse. ...non à l'ajout d'éléments étrangers au débat.
    M. René Dosière. Très bien !
    M. François Sauvadet. C'est un faux prétexte !
    M. Christophe Masse. On ne peut que se féliciter de la diminution du nombre des victimes d'accidents de la circulation ces derniers mois, avant même que nous ne prenions des dispositions importantes. La peur du gendarme fonctionne toujours, mais en vitesse instantanée. Ephémère, elle se dilue souvent rapidement avec le temps. Voilà pourquoi il nous revient maintenant de débattre, puis de légiférer sur les dispositifs permettant de diminuer, de manière pérenne, le nombre de victimes et de blessés dus aux accidents de la route.
    La route tue, beaucoup trop, malheureusement, et les solutions miracles n'existent pas. Nous naviguons sans cesse entre répression et prévention, sous l'oeil toujours attentif de l'opinion publique qui, ne nous méprenons pas, souhaite toujours plus de mesures draconiennes, à condition qu'elles concernent les autres.
    Chacun, en France, se sait ou se croit bon conducteur ;
    Chacun, en France, est sûr de soi au volant ;
    Chacun, en France, pense que la qualité des véhicules rend obsolètes certaines limitations de vitesse ;
    Chacun, en France, pense enfin que la sanction ou, pire, l'accident, c'est pour l'autre.
    Pourtant, personne n'est à l'abri, ni d'une faute personnelle, d'une négligence, d'un manque de concentration, ni surtout de la faute de l'autre.
    Malheureusement, dans ce débat qui vise plus à renforcer la sécurité routière qu'à lutter contre la violence routière comme l'a souligné René Dosière, les principales parties intéressées au débat ne sont pas toutes là. Si certaines sont très présentes, ainsi nous, les parlementaires, capables de légiférer tout en étant les représentants de l'opinion publique, d'autres, comme les constructeurs automobiles et leurs lobbys si efficaces, sont absentes.

    Comment pourrons-nous faire comprendre aux Français que nous comptons faire du thème du renforcement de la sécurité routière une priorité si aucune des mesures ne concerne les constructeurs automobiles ? Certes, cette affirmation est quelque peu réductrice, et je sais que des mesures seront prises par exemple pour équiper les véhicules d'éléments supplémentaires de signalisation et de sécurité intérieure. Mais il ne s'agit là que d'équipements, ces mêmes véhicules pouvant toujours continuer à tutoyer les 200 km/h. Vous-même, monsieur le garde des sceaux, ne vous demandiez-vous pas, à propos d'autres équipements, comment on pouvait justifier une sanction si on ne faisait rien en ce qui concerne la commercialisation ? Je crois que nous avons là aussi fort à faire.
    En restant dans notre domaine de compétence, la législation, nous allons essayer avec les moyens du bord d'enrayer le fléau. Deux volets sont abordés.
    D'une part, la répression. Elle est absolument indispensable pour confirmer que des sanctions existent bien face aux comportements délictueux, et le projet de loi ne l'oublie pas.
    D'autre part, ce qui est tout aussi logique, la prévention. Le permis probatoire, les contrôles de vitesse, les contrôles du taux d'alcoolémie, d'absorption de stupéfiants ou de substances médicamenteuses, l'immatriculation des cyclomoteurs de moins de 50 cm³, qui devrait être rapidement appliquée, toutes ces mesures vont dans le bon sens.
    Il faudrait aussi permettre au conducteur automobile ou au futur automobiliste d'être préparé dans les meilleures conditions possibles pour appréhender les responsabilités qui lui incombent lorsqu'il conduit. C'est vrai, vous l'avez dit, M. le ministre de l'équipement, c'est le changement de comportement du conducteur qui permettra le mieux de renforcer la sécurité routière. Mais les paramètres de ce changement doivent intervenir très rapidement dans le cycle de formation à la conduite. Il faut insérer dans notre bloc éducatif des mesures exceptionnelles afin de permettre aux enfants et aux adolescents de se familiariser dès l'école primaire avec la conduite automobile, d'en connaître les risques pour soi-même et pour les autres, de craindre rapidement les sanctions et d'être ainsi conscient des risques encourus, tant en termes de sanctions pénales qu'en termes d'intégrité physique. Les messages chocs, les publicités volontairement choquantes sont à mon avis des éléments intéressants de cette prévention. Le dispositif scolaire doit largement dépasser le simple brevet de sécurité routière actuellement délivré.
    En conclusion, il ne s'agit pas de montrer systématiquement du doigt le conducteur chauffard, de le stigmatiser. L'amalgame, la généralisation ainsi faite de l'image du conducteur délinquant est très néfaste pour une bonne entente, un vrai dialogue entre le législateur et le conducteur. Il ne s'agit pas non plus de sous-estimer l'impact des dispositions répressives auprès de l'opinion et ses effets. Toutefois, il convient, si l'on veut obtenir des résultats à long terme, non seulement de modifier les comportements humains, mais aussi d'améliorer les véhicules et les infrastructures. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

3

SAISINE DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL

    M. le président. J'ai reçu de M. le président du Conseil constitutionnel une lettre m'informant qu'en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, plus de soixante sénateurs ont saisi le Conseil constitutionnel d'une demande d'examen de la conformité à la Constitution de la loi constitutionnelle relative à l'organisation décentralisée de la République.

4

ORDRE DU JOUR DE LA PROCHAINE SÉANCE

    M. le président. Ce soir, à vingt et une heures, deuxième séance publique :
    Suite de la discussion du projet de loi, n° 638, renforçant la lutte contre la violence routière :
    M. Richard Dell'Agnola, rapporteur au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République (rapport n° 689).
    La séance est levée.
    (La séance est levée à dix-neuf heures trente.)

Le Directeur du service du compte rendu intégralde l'Assemblée nationale,
JEAN PINCHOT