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ASSEMBLÉE NATIONALE
DÉBATS PARLEMENTAIRES


JOURNAL OFFICIEL DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE DU MERCREDI 9 AVRIL 2003

COMPTE RENDU INTÉGRAL
2e séance du mardi 8 avril 2003


SOMMAIRE
PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LOUIS DEBRÉ

1.  Questions au Gouvernement «...».

RÉFORME ÉLECTORALE «...»

MM. René Dosière, Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.

PÉNALITÉS EUROPÉENNES INFLIGÉES
À DES ORGANISATIONS AGRICOLES «...»

MM. François Sauvadet, Jean-François Copé, secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement, porte-parole du Gouvernement.

RETRAITES «...»

MM. François Liberti, François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité.

GIAT INDUSTRIES «...»

M. Pascal Clément, Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense.

PÉNALITÉS EUROPÉENNES INFLIGÉES
À DES ORGANISATIONS AGRICOLES «...»

MM. Jean-Marie Sermier, Jean-François Copé, secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement, porte-parole du Gouvernement.

CORSE «...»

MM. Dominique Tian, Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre.

GIAT INDUSTRIES «...»

Mmes Chantal Robin-Rodrigo, Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense.

COOPÉRATION JUDICIAIRE EUROPÉENNE «...»

MM. Michel Zumkeller, Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice.

ÉNERGIE ÉOLIENNE «...»

M. Claude Girard, Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de l'écologie et du développement durable.

POLITIQUE ÉCONOMIQUE ET SOCIALE «...»

MM. Daniel Vaillant, François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité.

LOGEMENT LOCATIF «...»

MM. Georges Siffredi, Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer.

QUALITÉ DES EAUX DE BAIGNADE «...»

MM. Dominique Caillaud, Léon Bertrand, secrétaire d'Etat au tourisme.
2.  Eloge funèbre de Jean-Marc Chavanne «...».
MM. le président, Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre.

Suspension et reprise de la séance «...»

3.  Nouvelle délibération de l'article 4 de la loi relative à l'élection des conseillers régionaux et des représentants au Parlement européen «...».
M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.
M. Jérôme Bignon, rapporteur de la commission des lois.

Rappel au règlement «...»

M. Jean-Marc Ayrault.

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ «...»

Exception d'irrecevabilité de M. Jean-Marc Ayrault : MM. René Dosière, Michel Vaxès, Claude Goasguen. - Rejet.

DISCUSSION GÉNÉRALE «...»

MM.
François Liberti,
Claude Goasguen,
René Dosière,
Nicolas Perruchot,
Christian Estrosi,
Mme
Martine Billard.
Clôture de la discussion générale.

MOTION DE RENVOI EN COMMISSION «...»

Motion de renvoi en commission de M. Alain Bocquet : M. Michel Vaxès. - Rejet.

Article 4 «...»

Amendement de suppression n° 2 de M. Vaxès : MM. Michel Vaxès, le rapporteur, le ministre. - Rejet.
Amendement n° 3 de M. Vaxès : M. Michel Vaxès. - Rejet.
Amendement n° 1 du Gouvernement : MM. le ministre, René Dosière. - Adoption.
Adoption de l'article 4 modifié.
4.  Ordre du jour de la prochaine séance «...».

COMPTE RENDU INTÉGRAL
PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LOUIS DEBRÉ

    M. le président. La séance est ouverte.
    (La séance est ouverte à quinze heures.)

1

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

    M. le président. L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.
    Nous commençons par une question du groupe socialiste.

RÉFORME ÉLECTORALE

    M. le président. La parole est à M. René Dosière.
    M. René Dosière. Monsieur le Premier ministre, les Français viennent de découvrir votre capacité d'innovation et d'improvisation en matière électorale. En fixant un seuil de 10 % des électeurs inscrits pour figurer au second tour des élections régionales, vous avez menacé le pluralisme et suscité les protestations de la totalité des partis politiques, qu'ils appartiennent à l'opposition ou à la majorité, à l'exception d'un seul - l'UMP.
    M. Dominique Dord. Tartuffe !
    M. René Dosière. Fuyant le débat à l'Assemblée nationale, vous avez utilisé l'article 49-3, ce que votre prédécesseur Lionel Jospin n'avait jamais fait en cinq ans de législature. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe socialiste. - Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Le Conseil constitutionnel a été saisi par des députés issus de tous les partis politiques représentés à l'Assemblée, à l'exception d'un seul : l'UMP.
    C'est la première fois, dans l'histoire de la République, qu'un recours au Conseil constitutionnel est cosigné de manière aussi large et diverse.
    Le verdict du conseil est sans appel : votre innovation hasardeuse est sanctionnée et annulée ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    A cette occasion, le Conseil vous rappelle à l'obligation « de respecter le pluralisme des courants d'idées et d'opinions, lequel est un des fondements de la démocratie ».
    Ma question, monsieur le Premier ministre, est simple : allez-vous persévérer dans l'erreur en considérant que vous avez raison seul contre tous ?
    M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. Oui !
    M. René Dosière. Allez-vous accepter une nouvelle improvisation arithmétique ? Ou allez-vous, tout simplement, revenir à la règle républicaine, respectueuse du pluralisme démocratique ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.
    M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Monsieur Dosière, sans vouloir polémiquer (Exclamations et rires sur les bancs du groupe socialiste), quand on se présente en professeur de vertu, mieux vaut faire attention au bilan qui est le sien !
    Puisque vous m'en faites l'obligation, je me vois contraint, monsieur Dosière, de vous rappeler qu'au cours des cinq dernières années, c'est à trente-six reprises que le Conseil constitutionnel a sanctionné - partiellement ou totalement - le gouvernement de M. Jospin. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur quelques bancs du groupe Union pour la démocratie française. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. François Hollande. Sauf que le gouvernement de M. Jospin n'a jamais fait usage de l'article 49-3 !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Et ce n'est pas tout, monsieur Dosière : à quatre occasions, le gouvernement de M. Jospin fut sanctionné par le Conseil constitutionnel sur la base de textes électoraux, pourtant présentés par la majorité de gauche d'alors ! Un bien lourd bilan à défendre pour un professeur de vertu ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Vous nous demandez, monsieur Dosière, ce que nous allons faire. Nous allons faire très exactement ce qu'un certain nombre d'entre vous n'avaient pas voulu faire à l'époque : prendre la décision du juge constitutionnel comme elle est. (« Encore heureux ! » et exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Nous la respectons, nous nous inclinons et nous faisons, de la règle qu'il nous a demandé de respecter, la nôtre.
    M. François Hollande. C'est bien le moins !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Nous démontrons ainsi la bonne foi du Gouvernement, sa parfaite honnêteté et son comportement républicain scrupuleux. Voilà, monsieur Dosière ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    J'espère qu'à l'avenir, si les Français vous confient des responsabilités, vous serez plus respectueux du juge. Vous ne critiquerez plus le Sénat quand il n'ira pas dans votre sens, et vous ne critiquerez pas le Conseil constitutionnel quand il voudra remettre à sa place des initiatives socialistes. (Vifs applaudissements du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

PÉNALITÉS EUROPÉENNES INFLIGÉES
À DES ORGANISATIONS SYNDICALES AGRICOLES

    M. le président. La parole est à M. François Sauvadet, pour le groupe Union pour la démocratie française.
    M. François Sauvadet. Monsieur le Premier ministre, les agriculteurs étaient très nombreux hier dans les rues pour protester contre la décision de la Commission européenne qui, la semaine dernière, a condamné six organisations syndicales agricoles françaises à une amende de 16,7 millions d'euros pour une prétendue entente illicite sur les prix de la viande.
    Je tiens à vous dire, au nom du groupe UDF, que nous avons ressenti, comme les professionnels, un sentiment de profonde injustice de voir santionnées des organisations qui ont su assumer leurs responsabilités. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Mes chers collègues, pour avoir présidé la commission d'enquête sur le recours aux farines animales et la lutte contre l'ESB, dont le rapporteur était mon collègue Michel Vergnier, je sais que c'est précisément parce que la Commission européenne n'a pas su imposer les mêmes règles sanitaires à tous les pays de l'Union européenne qu'une concurrence déloyale a sévi jusqu'à la fin de l'année 2000. (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Cette concurrence a opposé les pays qui avaient respecté les règles sanitaires, dont la France a fait partie dès le début, et ceux qui ont nié jusqu'au dernier moment la présence même de l'ESB sur leur territoire.
    Tout a été tenté, je peux en porter témoignage, par les autorités et par les professionnels de l'agriculture, pour enrayer cette baisse dramatique des prix. Je le dis ici devant la représentation nationale : les éleveurs ont eu raison d'agir comme ils l'ont fait et nous devons les soutenir.
    M. Edouard Landrain. Très bien !
    M. François Sauvadet Monsieur le Premier ministre, comment le gouvernement français entend-il aider la profession à sortir de cette crise qui porte un coup dur au modèle agricole que nous défendons, et obtenir le retrait de cette sanction, qui est profondément injuste ? Il en va de l'avenir du syndicalisme français. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement.
    M. Jean-François Copé, secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le député, je vous prie tout d'abord d'excuser Hervé Gaymard, retenu à un conseil des ministres de l'agriculture à Luxembourg.
    La décision que vous évoquez, et qui est la conséquence d'une procédure engagée par la Commission européenne il y a un an et demi, a surpris. Le niveau très élevé des amendes - plus de 16 millions d'euros, dont 12 millions pour la seule FNSEA - ne paraît pas tenir suffisamment compte de la réalité des faits et de leur contexte.
    M. Jean Auclair. C'est scandaleux !
    M. le secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement. Cette décision intervient près de dix-huit mois après l'accord incriminé et méconnaît l'ampleur de la crise et du traumatisme alors subi par la profession.
    Il appartient évidemment aux organisations d'apprécier les suites qu'elles envisagent de donner à cette décision. Des voies de recours existent, à commencer par un recours de pleine juridiction auprès du tribunal de première instance, à Luxembourg. Ce recours permettrait d'aller au-delà de la simple annulation de la décision, le tribunal pouvant réduire ou, le cas échéant, majorer l'amende infligée. Je précise cependant qu'un tel recours n'est pas suspensif, seul ce tribunal pourra décider, suite à une procédure de référé, diligentée parallèlement au recours principal, de suspendre l'obligation de paiement de l'amende.
    En tout état de cause, monsieur le député, je veux vous assurer que le Gouvernement sera très attentif aux actions contentieuses qu'engageront les organisations agricoles. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

RETRAITES

    M. le président. La parole est à M. François Liberti, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.
    M. François Liberti. Monsieur le Premier ministre, le 3 avril dernier, plus de 500 000 salariés du secteur public et du secteur privé se sont mobilisés pour défendre l'avenir de notre système de prestations sociales et de retraite. Depuis le 4 avril, dans nombre d'établissements du département de l'Hérault et des régions du Languedoc-Roussillon et de PACA, les enseignants sont en grève reconductible.
    Vous avez déclaré que la journée d'action du 3 avril ne changerait rien à votre détermination et que vous iriez jusqu'au bout de vos projets selon le calendrier que vous vous êtes fixé. Vous ne cessez de parler de dialogue et de concertation avec les syndicats, mais rien de ce qui transparaît de vos objectifs ne montre qu'ils soient écoutés, ni même entendus.
    Pourtant, les attentes sont fortes : pour une réévaluation significative du pouvoir d'achat des retraites ; pour garantir à toutes et à tous une retraite à soixante ans ; pour accorder à ceux qui ont déjà cotisé quarante ans et plus, sans avoir atteint l'âge de soixante ans, le droit au départ à la retraite à taux plein, comme le groupe des député-e-s communistes et républicains le propose dans sa proposition de loi.
    Le régime de répartition, basé sur la solidarité, a besoin d'une politique ambitieuse de création d'emplois, afin d'accroître le volume des cotisants, et d'un financement élargissant la base des cotisations aux profits financiers et spéculatifs.
    Monsieur le Premier ministre, la réforme des retraites doit se traduire par une grande avancée sociale. Tel est le sens que les parlementaires communistes et républicains donnent au forum social qu'ils vont organiser le mercredi 23 avril à l'Assemblée nationale.
    Monsieur le Premier ministre, allez-vous enfin entendre ces aspirations et en tenir compte dans votre projet de réforme ? Ou allez-vous balayer d'un revers de main tout apport constructif et légitime des partenaires sociaux, qui manifestent leur désir que le dialogue social se concrétise dans la réalité, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui ? (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et sur quelques bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité.
    M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Mesdames et messieurs les députés, le Gouvernement est évidemment attentif à toutes les formes d'expression des Français, y compris lorsque ceux-ci manifestent. Mais il est aussi attentif à la nécessité de sauver notre régime de retraite par répartition, mis à mal non seulement par les problèmes démographiques, mais aussi par l'immobilisme et l'inaction dont vous avez fait preuve ces dernières années. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    Le Gouvernement a organisé une concertation avec les partenaires sociaux, qui a déjà donné lieu à plusieurs dizaines de réunions, où l'ensemble des organisations syndicales et des organisations patronales ont discuté d'un texte qui fait, aujourd'hui, l'objet de réactions, de critiques, d'approbations, lequel texte rejoint très largement les principes évoqués par les partenaires sociaux eux-mêmes dans leur déclaration commune.
    Il s'agit d'abord de sauver notre régime de retraite par répartition.
    M. Alain Néri. Il y a un an, vous n'étiez pas du même avis !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Il s'agit ensuite d'assurer un haut niveau de retraite, en particulier à tous les Français qui ont eu, tout au long de leur carrière, des bas salaires, ou dont la carrière a été interrompue.
    Il s'agit de permettre à tous ceux qui ont soixante ans d'exercer leurs droits au départ à la retraite.
    M. Jacques Desallangre. Même avant, s'ils ont quarante ans de cotisation !
    M. François Liberti. Trente-sept ans et demi !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Mais il s'agit aussi d'assurer l'équité entre tous les régimes de retraite. (« Très bien ! » sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Nous voulons qu'à l'issue de la réforme que nous allons vous proposer, à salaire égal et à durée égale de cotisation, on puisse avoir la même retraite. Je pense que, sur tous les bancs de l'Assemblée, il y aura un grand consensus pour défendre cette idée.
    Enfin, nous voulons instaurer une véritable liberté de choix, pour que chaque Français puisse construire sa retraite comme il l'entend.
    M. Maxime Gremetz. Et la prendre à soixante-dix ans ?
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Monsieur le député, je suis convaincu qu'une très large majorité de Français est favorable à ces principes. D'ailleurs, vous le sauriez si vous aviez eu le courage d'organiser au cours cinq dernières années, cette concertation afin de préparer la réforme des retraites que tout le pays attend. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

GIAT INDUSTRIES

    M. le président. La parole est à M. Pascal Clément, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.
    M. Pascal Clément. Ma question s'adresse à M. le Premier ministre et je la pose aussi au nom de mes deux collègues, Yves Nicolin et François Rochebloine.
    M. Maxime Gremetz. C'est interdit, ça !
    M. Pascal Clément. La direction du groupe GIAT Industries vient d'annoncer une réduction de 3 750 emplois, sur un effectif actuel total de 6 250 salariés.
    Plusieurs députés du groupe socialiste. Eh oui !
    M. Pascal Clément. En Rhône-Alpes, pour le seul département de la Loire, est non seulement prévue la fermeture du site de Saint-Chamond où travaillent actuellement 734 personnes, mais également la suppression de 935 postes à Roanne, soit plus des trois quarts des personnels du site.
    La fermeture du site de Cusset dans l'Allier et de multiples compressions d'effectifs un peu partout en France complètent ce tableau tragique pour l'économie locale et pour des salariés de grande qualité, au savoir-faire unanimement reconnu.
    L'angoisse des personnels est profonde dans la Loire, département déjà traumatisé par des restructurations successives douloureusement vécues et où le potentiel fiscal est le plus faible de la région Rhône-Alpes.
    Au-delà des difficultés conjoncturelles des marchés de l'armement, l'instabilité récurrente du GIAT est le fruit combiné d'erreurs commerciales répétées, de mauvais choix de gestion et de l'insuffisance de la marge de manoeuvre laissée à la direction de l'entreprise.
    Acteur clé de l'économie locale, le GIAT doit faire l'objet de la plus grande attention de la part du Gouvernement. Sinon, on risque de compromettre durablement l'aménagement des territoires concernés par ces fermetures et ces réductions d'effectifs, qui posent par ailleurs la question de l'aptitude de la France à préserver une industrie d'armement autonome et cohérente.
    Pouvez-vous, monsieur le Premier ministre, nous expliquer en quoi la réorganisation du GIAT est compatible avec le maintien d'une industrie d'armement capable d'assurer l'indépendance de la France et son rang sur la scène internationale ?
    Pouvez-vous ensuite, au-delà des chiffres qui sont annoncés, nous préciser les marges de négociation dont disposeraient encore les partenaires sociaux ?
    Pouvez-vous indiquer à la représentation nationale quels engagements et quelles mesures l'Etat compte prendre pour apurer, sur le long terme, la situation du GIAT ?
    Quelles dispositions concrètes avez-vous arrêtées pour organiser le reclassement des personnels de cette entreprise (« Aucune ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains), notamment celui des 60 % de salariés de Saint-Chamond qui ne sont pas fonctionnaires ou ouvriers d'Etat, et qui ont déjà subi la restructuration de Creusot-Loire ?
    Pouvez-vous enfin nous expliquer les dispositions envisagées pour compenser localement les déséquilibres économiquement entraînés par les restructurations de GIAT Industries ?
    Monsieur le Premier ministre, les perspectives actuelles d'implantation, dans les villes touchées, soit de nouvelles unités relevant du ministère de la défense, soit d'activités relevant d'autres départements ministériels, me paraissent trop imprécises et radicalement insuffisantes pour compenser les déséquilibres induits par ce désastre industriel. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à Mme la ministre de la défense.
    Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense. Monsieur le président Clément, la réorganisation de GIAT Industries, au bout de cinq plans successifs qui n'ont pas donné de résultats, est non seulement ce qui peut rendre l'entreprise viable sur le long terme, mais c'est d'abord et avant tout une condition indispensable de sa survie.
    J'ai relevé, dans vos questions, trois éléments.
    Tout d'abord, le projet industriel. Celui que nous voulons mettre au point devra être, cette fois-ci, exactement dimensionné et sûr dans la durée.
    M. Maxime Gremetz. Il n'est pas épais !
    Mme la ministre de la défense. Nous souhaitons donner aux personnels qui resteront dans l'entreprise l'assurance d'une carrière sur le long terme.
    Plusieurs députés du groupe socialiste. Et les autres ?
    Mme la ministre de la défense. Pour cela, il convient d'apprécier concrètement les choses.
    Le projet industriel est en effet axé sur des commandes qui figureront dans le contrat d'entreprise : le VBCI, inscrit dans la loi de programmation militaire à hauteur de 700 véhicules ; la maintenance, le développement et l'entretien, notamment du char Leclerc et de l'AMX 10 P, puisque vous avez voté, mesdames et messieurs les députés, une loi de programmation militaire qui, enfin, garantit du MCO pour un volume important ; des commandes de munitions sur six ans, alors que le principe de commandes pluriannuelles avait toujours été refusé jusqu'à présent.
    Voilà des choses concrètes qui peuvent représenter le noyau dur de GIAT Industries. A partir de là, l'entreprise pourra être assainie, envisager l'avenir, préparer des développements, et notamment des alliances européennes.
    Voilà aussi une garantie pour les personnels. Au total, cela représente 450 millions d'euros par an, en dehors de l'apport en capital, qui sera de 1 milliard d'euros.
    Enfin, pour répondre à certaines critiques, je précise que le format retenu pour le nouveau GIAT correspond à celui des industries d'armement terrestre dans les autres pays, notamment la Grande-Bretagne et l'Allemagne.
    M. François Hollande. Quel format ? Il ne reste plus rien !
    Mme la ministre de la défense. Le projet social sur lequel vous avez raison d'insister, monsieur le député, est pour nous une préoccupation majeure.
    M. le président. Si vous voulez bien conclure, madame la ministre...
    Mme la ministre de la défense. Pardonnez-moi, monsieur le président, mais c'est un sujet que je dois aborder.
    Nous pensons aux salariés qui sont touchés.
    M. Pascal Terrasse. Quand même !
    Mme la ministre de la défense. Ce que nous avons voulu en la matière, c'est que leur situation soit traitée au cas par cas et qu'il soit proposé à chacun d'entre eux, quel que soit son statut, une ou plusieurs solutions de reclassement.
    M. Maxime Gremetz. Comme à Air Lib !
    M. François Rochebloine. On en reparlera, madame la ministre !
    Mme la ministre de la défense. Enfin, sur le plan de l'aménagement du territoire, nous avons mis en place un système qui doit permettre à de nouvelles entreprises d'intervenir, notamment dans les sites les plus touchés. Certaines viennent de la défense. Mais nous travaillons également, depuis plusieurs semaines, avec d'autres entreprises spécialisées en ce domaine. Nous avons des projets très concrets,...
    M. Jean-Claude Perez. Baratin !
    M. François Hollande. Il n'y a rien !
    Mme la ministre de la défense. ... sur la plupart des sites, avec des entreprises privées qui sont prêtes à reprendre du personnel. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. François Hollande. Lesquelles ?

PÉNALITÉS EUROPÉENNES INFLIGÉES
À DES ORGANISATIONS AGRICOLES

    M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Sermier, pour le groupe UMP.
    M. Jean-Marie Sermier. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales.
    Comme François Sauvadet, je suis inquiet pour l'agriculture de notre pays. En 2001, à l'heure la plus noire de la crise bovine, les agriculteurs français et les organisations professionnelles ont engagé des négociations, dans une totale transparence, pour maintenir les cours de la viande bovine et sauver de la faillite les éleveurs de notre pays. L'ensemble de la filière de la distribution, avec l'accord du Gouvernement, a ainsi évité une crise sans précédent, alors même que la Commission européenne restait complétement inerte.
    A situation exceptionnelle, remède exceptionnel : quinze jours après le congrès de la FNSEA, où les agriculteurs ont réaffirmé leur opposition à la réforme de Franz Fischler, la Commission européenne, avec un empressement peu habituel, a cru bon de condamner les organisations agricoles et professionnelles à 16,7 millions d'euros d'amende.
    Comme de nombreux parlementaires, j'ai reçu hier les éleveurs de mon département, le Jura, qui s'indignent, pour ne pas dire s'écoeurent, de cette décision : payer 16,7 millions d'euros sous trois mois, avec un recours non suspensif, signifie la prise en otage de la profession, l'asphyxie financière de ses organisations et la remise en cause du droit syndical.
    M. Jean-Claude Lenoir. Scandaleux !
    M. Jean-Marie Sermier. Quelle est la position du Gouvernement sur cette décision qui condamne ceux qui se sont préoccupés de l'intérêt général et de la santé publique ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement.
    M. Jean-François Copé, secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le député, je l'ai dit, M. Gaymard assiste aujourd'hui à un conseil des ministres à Luxembourg.
    Je voudrais, comme lui, exprimer l'étonnement du Gouvernement - et le mot est faible - devant une sanction aussi sévère prise par la Commission.
    M. René André. Aussi sévère qu'injustifiée !
    M. le secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement. Sévère par rapport au contexte : chacun se souvient des drames humains et économiques liés à la crise de la vache folle ; chacun se souvient également que c'est la réglementation communautaire elle-même qui avait limité l'accès à l'intervention et donc privé le marché de tout instrument de régulation, alors que, de l'avis même de la Commission, les mesures prises avant cet accord étaient insuffisantes.
    Sévère quant à ses modalités : dix-huit mois après, la Commission a incontestablement perdu de vue le traumatisme lié à cette crise et son approche, sur certains points, est pour le moins sujette à caution.
    M. Marc Le Fur. Pour le moins !
    M. le secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement. Sévère, enfin, quant à son ampleur : que dirait-on si l'on avait infligé à une organisation syndicale de salariés une amende égale au double de ses ressources annuelles ?
    Au-delà de la crise agricole, c'est l'existence même de la défense syndicale qui est aujourd'hui en cause. Il appartient évidemment aux organisations syndicales d'apprécier les suites à donner à cette décision, et en particulier l'opportunité d'introduire un recours auprès du tribunal de première instance. Autant vous dire que le Gouvernement suivra avec la plus grande attention les développements de ce dossier...
    M. François Hollande. Ça promet !
    M. le secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement. ... car, je le répète, c'est l'existence même de la défense syndicale qui est aujourd'hui gravement mise en cause, alors qu'elle n'avait fait qu'essayer de répondre à une crise économique et sanitaire gravissime et qu'elle continue d'oeuvrer en faveur de l'ensemble du monde agricole. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

CORSE

    M. le président. La parole est à M. Dominique Tian, pour le groupe UMP.
    M. Dominique Tian. Monsieur le Premier ministre, depuis bien trop longtemps, l'actualité corse ne semble marquée que par des actes de violence d'une minorité agissante et par les négociations sans fin sur son statut institutionnel.
    Vous vous êtes rendu hier en Corse, accompagné de M. Nicolas Sarkozy, pour indiquer qu'une consultation serait organisée le 6 juillet sur la mise en place d'une collectivité unique et la suppression des deux départements insulaires. A l'évidence, l'ambition gouvernementale est de simplifier une organisation administrative qui avait conduit à faire coexister dans l'île deux départements et une région, alors que la Corse ne compte que 260 000 habitants.
    Cependant, les Corses sont habitués aux modifications incessantes de leurs institutions. Pourriez-vous leur indiquer et indiquer à la représentation nationale en quoi votre réforme innove par rapport aux projets que nous avons connus par le passé et dans quelle mesure elle permettra de répondre aux défis que la Corse veut et doit relever ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à M. le Premier ministre. (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste. - Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. Monsieur le député, la question est grave, car nous avons tous en mémoire les attentats et les crimes perpétrés en Corse,...
    M. François Hollande. Cela continue !
    M. le Premier ministre. ... y compris le lâche assassinat d'un préfet, représentant de la République. Nous avons en mémoire tous ces drames qui, pendant vingt-huit ans, ont conjugué les difficultés de la violence, du retard économique et des incertitudes institutionnelles.
    De nombreux gouvernements ont, dans la bonne foi, cherché des solutions. Nicolas Sarkozy a, onze mois durant, mené des discussions avec les uns et les autres, pour dégager un projet qui ne soit pas partisan. La preuve en est que nous avons retenu tous les aspects positifs du processus antérieur : la loi de janvier 2002 est appliquée, le programme exceptionnel d'investissement est en place et nous assurons la continuité républicaine dans les engagements de l'Etat vis-à-vis de la Corse.
    Il va de soi qu'il nous fallait trouver une perspective nouvelle, car l'immobilisme, en Corse comme ailleurs, conduit aux pires difficultés. C'est pour cela que nous avons construit un projet, fondé sur la simplification, d'abord la cohérence et la proximité, ensuite.
    Dans le droit-fil de ce qui est notre nouvelle Constitution,...
    M. François Hollande. Tiens, il y a une nouvelle Constitution maintenant !
    M. le Premier ministre. ... c'est-à-dire une République décentralisée,...
    M. François Hollande. Et même une nouvelle République !
    M. le Premier ministre. ... nous constituons d'abord une collectivité territoriale unique, ce qui signifie que l'on simplifie la structure. Avec 260 000 habitants, faut-il conserver une région, deux départements, des rivalités institutionnelles, des paperasseries et des complexités qui font que l'action publique est souvent entravée parce qu'elle n'est pas claire et qu'elle est trop lourde ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur quelques bancs du groupe Union pour la démocratie française.)
    Nous voulons aussi de la cohérence, avec une capacité stratégique contractuelle : le niveau territorial, en même temps que de la proximité, avec le conseil de Haute-Corse et le conseil de Corse-du-Sud, pour déléguer des responsabilités de la collectivité unique...
    M. François Hollande. Il y en a pour tout le monde !
    M. le Premier ministre. ... à des acteurs qui, au plus près du terrain, pourront mener un développement multipolaire. (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste.) Ce n'est pas parce qu'on instituera une collectivité territoriale unique que Bastia, par exemple, ville au fort potentiel économique, ne trouvera pas sa place dans ce développement multipolaire, mais organisé politiquement et institutionnellement autour de l'instance territoriale.

    C'est une simplification. C'est un projet populaire...
    M. François Hollande. Populaire et multipolaire !
    M. Jean Glavany. Ou multipopulaire ?
    M. le Premier ministre. ... et un projet républicain. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Car la grande différence avec tous ceux qui veulent nous donner des leçons, c'est que nous ne proposons pas un projet fait dans les palais nationaux à quarante (« Oh ! » sur les bancs du groupe socialiste), mais un projet élaboré avec le terrain...
    M. François Hollande. Le maquis !
    M. le Premier ministre. ... et soumis aux citoyens. Quand on est pour la République, on n'a pas peur des citoyens. Quand on est pour la République, on leur fait confiance, en Corse et ailleurs. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Jean-Claude Perez. Baratin !
    Mme Martine David. Raffarinade !
    M. le Premier ministre. C'est pourquoi nous souhaitons que, le 6 juillet, les Corses se rassemblent pour ce pacte populaire et républicain, qui va poser les bases de leur avenir, dans la droite ligne de leurs institutions. (Bruit continu sur les bancs du groupe socialiste, dont de nombreux députés font de grands gestes circulaires.)
    Mme Martine David. Encore ! Encore !
    M. le Premier ministre. J'entends tout le bruit que vous faites et je sais que ce bruit-là n'a jamais produit que de l'impuissance ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste. - Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Nous, nous faisons sa part au peuple. Nous avons un projet de cohérence et de simplification. Nous formulons une proposition républicaine, pour que la Corse soit dans la République, pour qu'on retrouve la France en Corse et la Corse en France (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste), le tout sans avoir peur du peuple et en lui faisant confiance, c'est-à-dire en lui demandant son avis. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur quelques bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

GIAT INDUSTRIES

    M. le président. La parole est à Mme Chantal Robin-Rodrigo, pour le groupe socialiste.
    Mme Chantal Robin-Rodrigo. Monsieur le Premier ministre, au moment où sont annoncés, jour après jour, des plans de licenciement qui jettent des milliers de salariés à la rue, le Gouvernement donne, lui aussi, un bien mauvais exemple, en annonçant, comme vient de l'indiquer M. Clément, un plan de restructuration sans précédent de GIAT, qui touche plus de 3 800 salariés.
    M. Jean-Luc Reitzer. Et les trois millions de chômeurs ?
    Mme Chantal Robin-Rodrigo. Ce plan est un coup terrible porté à GIAT, qui ne pourra s'en remettre, comme l'indique une note émanant d'un contrôleur général des armées et présentant des contre-propositions. Mais vous n'avez pas voulu tenir compte de ce rapport et vous avez rejeté le moratoire demandé par les syndicats et les élus. C'est la fin annoncée de GIAT et de l'industrie française de l'armement terrestre.
    Ce plan est bien sûr un coup terrible pour les salariés des bassins d'emploi concernés. Un sentiment de colère, de révolte gronde partout en France et tout particulièrement sur les sites les plus touchés : Cusset, Saint-Chamond et, bien sûr, Tarbes.
    Contrairement à ce que vous affirmez, vous n'avez pas tenu vos engagement en termes d'aménagement du territoire. Certains sites ont été protégés, alors que les conditions économiques y étaient plus favorables, et le dispositiif d'accompagnement est, à ce stade, dérisoire.
    Monsieur le Premier ministre, allez-vous, oui ou non, tenir compte des propositions qui vous ont été faites par les syndicats et les élus, et amender ce plan de restructuration de GIAT, qui est inacceptable ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. le président. La parole est à Mme la ministre de la défense.
    Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense. Madame la députée, c'est probablement parce que certains plans précédents, et notamment le dernier, ont manqué de courage que le plan d'aujourd'hui a cette ampleur. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste. - (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Edouard Landrain. Ils oublient vite !
    Mme la ministre de la défense. Le dernier plan, qui date de fin 1998, donnait comme unique perspective à GIAT la fabrication des chars Leclerc, pour 70 % de son activité, alors qu'on savait déjà, à l'époque, que ce programme serait épuisé en 2003 ou 2004.
    M. Jean Glavany. Mensonge !
    M. Augustin Bonrepaux. Dites-nous plutôt ce que vous allez faire !
    Mme la ministre de la défense. Au lieu de prendre des décisions courageuses, on a créé des illusions. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Aujourd'hui, nous prenons des décisions difficiles, mais courageuses, car nous le devons aux salariés qui vont rester et à qui j'ai expliqué que nous allions enfin avoir une industrie viable,...
    M. François Hollande. Viable ? Il n'y a plus rien !
    Mme la ministre de la défense. ... à la dimension des industries britannique et allemande.
    Par ailleurs, parce que nous nous préoccupons aussi des salariés qui vont se trouver démunis de leur emploi actuel dans GIAT...
    M. Jacques Desallangre. On les appelle des chômeurs : c'est plus simple !
    Mme la ministre de la défense. ... ou des sites qui seront particulièrement touchés, nous avons fait des recommandations à l'entreprise et nous prenons nos responsabilités...
    M. François Liberti. Avec ça, ils sont tranquilles !
    Mme la ministre de la défense. ... pour qu'un accompagnement social reposant sur les meilleures méthodes possibles permette d'offrir à chacun des solutions adaptées.
    M. Jean-Claude Perez. Baratin !
    Mme la ministre de la défense. En ce qui concerne les communes touchées, outre ses propres responsabilités que l'Etat assume, nous avons mis en oeuvre avec GIAT et avec les entreprises chargées de la reconversion un certain nombre de mesures prioritaires. Ce ne sont pas des aménagements à très long terme, ce sont des choses très concrètes, car notre priorité, c'est la création rapide d'emplois sur les sites. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Jean-Claude Perez. Comment ?
    Mme la ministre de la défense. Voilà ce qu'est la responsabilité. Nous assumons la nôtre pour que, grâce à ce plan, nous ayons enfin, dans trois ans, une industrie de l'armement viable et des salariés qui auront retrouvée confiance, où qu'ils soient. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

COOPÉRATION JUDICIAIRE EUROPÉENNE

    M. le président. La parole est à M. Michel Zumkeller, pour le groupe UMP.
    M. Michel Zumkeller. Monsieur le garde des sceaux, Rachid Ramda, Patrick Henry : deux cas que tout sépare mais qui interpellent l'opinion et que l'actualité vient de rapprocher, car tous deux font l'objet d'une demande d'extradition de la France, même si les motifs sont très différents. Dans l'un et l'autre cas, une nouvelle étape a été franchie, il y a quelques jours, vers l'extradition. Toutefois, d'autres étapes juridiques et politiques seront nécessaires avant que le terroriste présumé et le condamné en libération conditionnelle ne puissent rejoindre notre pays pour faire face à leurs juges.
    Ces deux cas mettent aussi en lumière les attentes concrètes de nos concitoyens pour une coopération judiciaire internationale et une Europe de la justice plus efficace. Est-il normal qu'au sein même de l'Europe les procédures soient si compliquées et les systèmes juridiques si différents ?
    Que comptez-vous faire, monsieur le garde des sceaux, pour renforcer la coopération judiciaire internationale et pour resserrer les liens entre les justices de l'Europe, afin de répondre à ces attentes ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur quelques bancs du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
    M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le député, vous avez raison de souligner l'importance d'une meilleure coopération judiciaire internationale, et plus particulièrement au sein de l'Europe.
    Pour ce qui concerne les deux cas que vous avez évoqués, je voudrais vous donner les informations suivantes.
    S'agissant de Patrick Henry, la justice espagnole s'est prononcée définitivement. Aujourd'hui, nous n'avons plus qu'à attendre la décision du gouvernement espagnol. Compte tenu des contacts que j'ai eus avec mon homologue, j'ai tout lieu de penser qu'elle interviendra très rapidement, sans doute avant la fin de cette semaine, et que Patrick Henry sera donc remis à la justice française dans les prochains jours.
    S'agissant de Rachid Ramda, vous avez noté, comme moi, que, à la suite des informations que nous avons communiquées à la justice britannique, une cour a pris la décision de réexaminer la possibilité d'extrader celui qui a sans doute été l'organisateur financier des attentats du RER et nous attendons impatiemment, avec les victimes, que ce personnage puisse être jugé en France. Cela étant, cet arrêt n'épuise pas le sujet. Au-delà des recours que l'avocat de Rachid Ramda peut introduire, il faut encore que le ministre britannique de l'intérieur prenne une décision positive. Et même si j'ai tout lieu de penser qu'il en sera probablement ainsi, il faudra aussi que la cour de Londres, si appel est interjeté devant elle, prenne également ensuite une décision positive.
    Ces deux cas montrent bien qu'il est nécessaire, comme vous l'avez suggéré, d'aller plus loin dans la coopération judiciaire, en particulier au sein de l'Europe. Vous avez récemment approuvé, en congrès, l'institution du mandat d'arrêt européen, qui est désormais compatible avec notre Constitution. Il sera mis en place à compter du 1er janvier prochain.
    Au-delà de cette étape importante, nous devons faire en sorte que magistrats et policiers puissent coopérer, au quotidien, plus efficacement et plus facilement. C'est dans cet esprit que je travaille, avec mes collègues européens, au sein du conseil « justice », en vue d'une reconnaissance mutuelle des décisions de justice dans les différents pays. C'est également dans cet esprit que j'ai rencontré hier, à Lyon, les procureurs d'une vingtaine de pays qui travaillent pour améliorer la collaboration antiterroriste et anticriminalité. C'est encore dans cet esprit que j'ai rendu visite à Interpol, pour souligner l'intérêt, pour les magistrats, d'utiliser davantage cet outil de coopération et d'échange de renseignements.
    Nous sommes déterminés, car il faut aller plus loin. L'opinion publique européenne attend de nous l'efficacité qui doit permettre une meilleure coopération judiciaire. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

ÉNERGIE ÉOLIENNE

    M. le président. La parole est à M. Claude Girard, pour le groupe UMP.
    M. Claude Girard. Madame la ministre de l'écologie et du développement durable, depuis le mois de janvier ont lieu, dans toute la France, des réunions d'information et des débats sur le projet de charte de l'environnement que le Président de la République a souhaité adosser à notre Constitution. C'est l'occasion, pour les élus locaux comme pour les associations et même pour tous ceux de nos concitoyens qui sont sensibles à l'urgence de protéger notre planète, de réfléchir aux problèmes des énergies renouvelables, en particulier de l'énergie éolienne.
    A ce sujet le Gouvernement, en particulier par l'intermédiaire de votre ministère, a souhaité donner la priorité à ces énergies nouvelles, notamment à celles provenant du vent. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Claude Bartolone. Avec vous nous sommes servis !
    M. Claude Girard. C'est, me semble-t-il, un bon choix quand on sait que l'énergie éolienne est la plus à même de nous permettre de satisfaire à la directive européenne de septembre 2001, la France s'étant engagée à élever la part de la consommation d'électricité provenant de sources d'énergies renouvelables de 17 % en 1997 à 21 % en 2010. Or, à l'heure actuelle, notre pays est en retard, en termes d'infrastructures, alors que sa position géographique lui permettrait d'être en deuxième position derrière la Grande-Bretagne.
    Il est bien entendu que le développement des énergies renouvelables, notamment avec l'installation des éoliennes, doit se conjuguer avec une bonne intégration dans les paysages et avec un respect exigeant de notre environnement. Cela est désormais possible grâce à la loi du 19 décembre 2002, qui soumet les éoliennes à permis de construire, à étude d'impact et à enquête publique.
    Certaines collectivités se mobilisent aussi avec vigueur pour développer ces énergies non polluantes. Ainsi mon département, le Doubs, a mis en oeuvre depuis 1999 un programme de développement des énergies renouvelables, notamment solaires ou bois-énergie.
    Madame la ministre, pouvez-vous nous détailler aujourd'hui les principales mesures que vous comptez prendre dans les jours qui viennent afin que la France rattrape son retard en matière d'énergies renouvelables, en particulier pour l'énergie éolienne ? Quelles actions les collectivités peuvent-elles mener à vos côtés pour que ce défi soit enfin relevé ?
    M. le président. La parole est à Mme la ministre de l'écologie et du développement durable.
    Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de l'écologie et du développement durable. Monsieur le député, la France n'a pas suffisamment tiré parti de son potentiel éolien.
    M. Daniel Paul. C'est du vent !
    Mme la ministre de l'écologie et du développement durable. Aussi le Gouvernement déploie-t-il son action dans quatre directions. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Nous voulons d'abord simplifier la réglementation. Un groupe de travail a émis des propositions concernant les permis de construire des éoliennes, les études d'impact et les enquêtes publiques. Ma collègue Nicole Fontaine a introduit ces dispositions dans la loi de janvier 2003 relative aux marchés du gaz et de l'électricité. Très prochainement, une circulaire interministérielle éclairera la mise au point de ce dispositif.
    Il convient ensuite d'améliorer l'acceptabilité de l'éolien par nos concitoyens. Dans ce domaine, si tout le monde veut de l'éolien, personne ne veut des pylônes. Nous allons donc, par la même circulaire, éclairer les dispositifs de schémas régionaux d'installation des éoliennes. En outre, ma collègue Nicole Fontaine (« Ah ! sur les bancs du groupe socialiste) mène un combat dans le secteur de l'énergie, en particulier sur les énergies renouvelables.
    Par ailleurs, il faut développer l'innovation et la recherche. Avec Claudie Haigneré et Mme la ministre de l'industrie, nous développons une initiative française destinée à mobiliser l'Union européenne en la matière.
    Enfin, nous devons utiliser tous les outils d'incitation financière disponibles, en particulier dans le cadre de la programmation pluriannuelle des investissements de production d'électricité qui prévoit, d'ici à 2007, l'installation de 6 000 mégawatts d'énergie éolienne, dont 500 à 1 500 en mer. Très prochainement, en octobre, le cahier des charges de l'appel d'offres sera élaboré. De plus, sur le modèle de ce qui existe en Italie et en Angleterre, je réfléchis à un marché de certificats verts.
    Monsieur le député, l'action du Gouvernement tend donc à développer de nouvelles technologies porteuses, à diversifier le bouquet énergétique français et à lutter contre le changement climatique. (Applaudissements sur divers bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

POLITIQUE ÉCONOMIQUE ET SOCIALE

    M. le président. La parole est à M. Daniel Vaillant, pour le groupe socialiste. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Daniel Vaillant. Monsieur le Premier ministre, semaine après semaine, nous vous alertons sur les graves conséquences de votre politique, inefficace sur le plan économique et injuste sur le plan social.
    Ainsi, vous avez réduit le budget de l'éducation nationale et 30 000 postes seront supprimés à la rentrée prochaine.
    Par ailleurs, votre ministre a supprimé la subvention de 615 000 euros au Salon de l'éducation alors que, dans le même temps, il dépense 1,2 million d'euros pour distribuer gratuitement son livre d'auto-promotion. (« Oh ! » sur les bancs du groupe socialiste. - Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. François Goulard. C'est mesquin !
    M. Daniel Vaillant. Vous réformez l'APA, réduisant ainsi l'aide aux personnes âgées dépendantes et vous conduisez une politique fiscale qui creuse les inégalités entre les Français et entre les territoires. Vous annoncez un plan Marshall contre la ghettoïsation des quartiers, vous évoquez la lutte contre les exclusions mais sans rien faire et vous gelez dramatiquement le budget de la politique de la ville. Vous n'en restez d'ailleurs pas là.
    M. Lucien Degauchy. Parlez-nous de sécurité !
    M. Daniel Vaillant. Aujourd'hui, nous avons appris que vous alliez réduire de moitié le budget du fonds d'action et de soutien à l'intégration et à la lutte contre les discriminations, c'est-à-dire le FASILD... (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire)...
    M. Michel Bouvard. Monsieur le président, pouvez-vous confirmer qu'il a été ministre ?
    M. le président. Je vous en prie ! Un peu de silence.
    M. Daniel Vaillant. Cette mesure injuste et choquante (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) frappe brutalement le travail des associations qui oeuvrent dans nos quartiers pour l'intégration et le maintien de la cohésion sociale.
    Il y a quelques mois, le Président de la République et vous-même annonciez la volonté de mettre en place un contrat d'intégration. Toujours et encore des promesses. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Edouard Landrain. Et c'est un socialiste qui parle !
    M. Michel Bouvard. C'est une honte pour la République !
    M. Daniel Vaillant. Ainsi, vous allez priver les acteurs locaux de l'intégration des moyens qui leur sont nécessaires.
    De telles mesures privent d'aide ceux qui en ont le plus besoin. Elles privent aussi le pays des leviers indispensables à la croissance, à l'emploi, à la consommation, à l'investissement et à la confiance.
    Chacun s'accorde à reconnaître, monsieur le Premier ministre, votre talent pour faire des effets d'annonce, bien relayés par les médias (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire),...
    M. le président. S'il vous plaît !
    M. Daniel Vaillant. ... à multiplier les plans, à définir sans cesse de nouvelles priorités, à afficher des caps, des routes et des ponts. Pourtant, systématiquement, vos actes contredisent vos promesses, vos plans restent en plan. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. S'il vous plaît, écoutez l'orateur !
    M. Daniel Vaillant. Alors, monsieur le Premier ministre, êtes-vous prêt à revenir sur vos choix et à dire enfin la vérité aux Français ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité.
    Si vous pouviez l'écouter tranquillement, ce serait parfait.
    M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Monsieur le député, oui, nous avons décidé de relancer la politique de l'intégration et, pour le faire, nous allons réunir le comité interministériel à l'intégration qui, mesdames, messieurs les députés, n'a pas été réuni depuis 1990. (« Hou ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Nous pensons, en effet, qu'à une politique choisie et maîtrisée en matière d'immigration doit correspondre une politique ferme et généreuse en matière d'intégration. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Jean-Claude Perez. Avec quoi ? Où sont les crédits ?
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Nous pensons, en effet, monsieur le député, que notre avenir est plus dans la République que dans le communautarisme.
    Dans cet esprit, non seulement nous n'avons pas réduit les crédits destinés à l'intégration,...
    Mme Martine David. Si !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. ... mais nous les avons accrus. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Mme Martine David. Non !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Par ailleurs, nous allons proposer au comité interministériel de fusionner l'OMI et le service social d'accueil des étrangers dans une agence française de l'accueil et des migrations internationales qui sera dotée de 18 millions d'euros de budget supplémentaire par rapport au budget actuel qui était lui-même déjà en augmentation par rapport au budget de 2002. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Quant aux crédits du FASILD qui a évoqués M. Vaillant, ils ne font l'objet d'aucune annulation. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Ils s'élèvent à 170 millions d'euros et ils vont même être augmentés d'environ 11 millions d'euros pour prendre en compte les décisions du comité interministériel. Telle est la réalité.
    Mme Martine Lignières-Cassou. Pas du tout !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Bien entendu, nous n'engageons ces crédits que pour la moitié, comme vous l'avez fait l'année dernière (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) mais cela ne correspond en rien à une décision d'annulation. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    Quant au budget de la ville, monsieur Vaillant, il a effectivement subi une décision de gel de 6 %, mais sur un budget de 260 millions d'euros. Cela étant, mesdames, messieurs les députés, en face de ce gel, il y a 35 millions de crédits reportés de l'année précédente. (« Ah ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    A cet égard, je veux interroger M. Vaillant dont le talent n'a échappé à personne dans la manière dont il a posé sa question...
    M. le président. Monsieur Fillon, n'en rajoutez pas trop !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. ... en lui demandant pour quelle raison, en 2000, 68 % seulement des crédits du ministère de la ville ont été consommés. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Alors peut-être y a-t-il un gel de 6 %, mais nous, nous allons faire en sorte que les crédits de la ville soient réellement utilisés pour leur destination. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire sur plusieurs bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

LOGEMENT LOCATIF

    M. le président. La parole est à M. Georges Siffredi, pour le groupe UMP.
    M. Georges Siffredi. Monsieur le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer, depuis quatre ans et la mise en place de la loi Besson, le nombre de ménages qui éprouvent des difficultés à se loger n'a cessé de croître, notamment à Paris et en proche banlieue parisienne. Ce malaise touche principalement les classes moyennes. Ainsi, à Paris, il est devenu fréquent que, pour un appartement mis en location, on compte plus de quarante-cinq demandeurs. Or, quand la loi de l'offre et de la demande est à ce point déséquilibrée, il est rare qu'elle profite aux demandeurs, c'est-à-dire aux ménages qui cherchent à se loger.
    Il était donc devenu indispensable de mettre en place un nouveau dispositif capable de débloquer la situation en redynamisant le locatif intermédiaire privé et de permettre de retrouver le succès du dispositif Périssol. A la suite de l'amendement que vous avez déposé jeudi dernier, monsieur le ministre, je souhaiterais que vous nous présentiez ce nouveau dispositif d'amortissement locatif et que vous nous précisiez l'impact que vous en attendez sur l'offre de logements locatifs, notamment en région parisienne. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer.
    M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer. Monsieur le député, votre diagnostic est tout à fait exact. Depuis plusieurs années déjà, en effet, des tensions pèsent sur le secteur du logement locatif, allongent les listes des demandeurs et provoquent une hausse des loyers et des coûts. Cela est insupportable. Le Gouvernement a donc décidé d'y remédier en favorisant une relance du logement locatif. Pour cela, il a choisi d'instaurer un dispositif beaucoup plus incitatif et plus attractif pour les investisseurs.
    Il s'agit simplement de faire en sorte que soient proposés des loyers légèrement inférieurs à ceux du marché, de façon à arrêter la spéculation en la matière. Il a ainsi été décidé de supprimer le plafond de ressources et de faciliter l'extension des investissements réalisés par les SCPI. Cette mesure a pris effet le 3 avril 2002. Nous espérons pouvoir étendre, dans les jours ou les semaines qui viennent, ce dispositif à l'investissement dans l'ancien pour remettre sur le marché des logements vacants ou insalubres, ou à la fois vacants et insalubres.
    Nous pensons ainsi ajouter sur le marché entre 10 000 et 15 000 logements par an, ce qui va non seulement accroître l'offre, mais également soutenir le bâtiment, c'est-à-dire l'emploi. C'est aussi ce que le Gouvernement recherche à travers cette bonne mesure. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

QUALITÉ DES EAUX DE BAIGNADE

    M. le président. La parole est à M. Dominique Caillaud, pour le groupe UMP.
    M. Dominique Caillaud. Monsieur le secrétaire d'Etat au tourisme, à quelques jours du début de la saison touristique, des efforts très importants sont consentis par les maires des communes du littoral pour offrir à leurs visiteurs des plages propres et accueillantes. Cela est encore plus vrai cette année sur la côte atlantique pour tous ceux qui ont eu à souffrir du naufrage du Prestige.
    Cependant, comme vous le savez, la fondation pour l'éducation et l'environnement en Europe octroie chaque année, depuis 1985, un label dit « pavillon bleu » aux stations balnéaires et aux ports qui satisfont à des critères relatifs à la qualité des eaux de baignade, à l'entretien des plages et à l'éducation à l'environnement. Or les modalités d'obtention de ce label très médiatisé ont fait l'objet de nombreuses polémiques avec les maires des communes côtières quant aux conditions et aux termes de cette attribution. Un « pavillon noir » pirate est même venu concurrencer ce pavillon bleu. Dans ces conditions, vous avez mandaté une mission d'inspection générale interministérielle pour dégager des propositions de nature à améliorer la situation actuelle et définir les rôles de l'Etat et de la structure associative attribuant ce label.
    Monsieur le secrétaire d'Etat, ma question sera double : pouvez-vous nous informer sur les conclusions de cette mission interministérielle et comptez-vous créer un label technique de qualité incontestable, tant pour les élus que pour nos concitoyens ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat au tourisme.
    M. Léon Bertrand, secrétaire d'Etat au tourisme. Monsieur le député, il est vrai qu'une grande confusion prévalait entre les campagnes privées « pavillon bleu » ou « pavillon noir », et la campagne gouvernementale sur la qualité des eaux de baignade, confusion qui ne garantissait pas, bien entendu, l'objectivité. Cela n'était évidemment pas bon du tout pour le tourisme ce qui avait été dénoncé par les élus.
    En réaction, Nicolas Sarkozy, Gilles de Robien, Jean-François Mattei, Roselyne Bachelot et moi-même avons décidé de créer une mission interministérielle diligentée par nos inspections. Elle a été mandatée le 6 août et la conclusion de ses travaux a été remise le 18 septembre dernier. En conséquence, le Gouvernement a pris les décisions suivantes : pas de suppression, mais repositionnement du « pavillon bleu » vers un écolabel d'éducation à l'environnement dans le cadre d'une démarche globale en relation avec les collectivités locales ; clarification du rôle de l'Etat en supprimant l'instruction des dossiers par les préfectures, et réaffirmation des prérogatives des pouvoirs publics afin de permettre une meilleure lisibilité des indications données, notamment par la DASS ; enfin, création d'un label acceptable par tous, plus transparent, plus réactif, à partir d'un groupe de travail composé par la FEEE et les services de l'Etat. Nous souhaitons que des expérimentations puissent avoir lieu rapidement dès l'été 2004. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

2

ÉLOGE FUNÈBRE
DE JEAN-MARC CHAVANNE


    (Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement se lèvent.)
    M. le président. Madame, monsieur le Premier ministre, mesdames et messieurs les ministres, mes chers collèges, le 11 mars dernier, notre ami, notre collègue Jean-Marc Chavanne nous quittait. Sa maladie, contre laquelle il avait lutté courageusement, jusqu'au bout, triomphait. Il a alors forcé notre admiration, l'admiration de ceux qui savaient, l'admiration de ceux qui se doutaient. Sans rien dire, il a assumé sa maladie, avec courage, avec lucidité.
    Avec Jean-Marc Chavanne disparaît un élu de la nation comme la République sait les forger : un homme respectueux des autres, un homme attentif aux autres, une personnalité toujours accessible, disponible, un député soucieux d'abord de servir son pays.
    Jean-Marc Chavanne a été appelé à devenir député par des circonstances qu'il n'a pas cherché à provoquer, mais qui se sont imposées à lui et qu'il a assumées. Il a accompli son mandat du premier au dernier jour, comme il avait assumé toutes les fonctions que le suffrage universel lui avait confiées, avec modestie, avec humilité, mais aussi avec sérieux, avec fidélité aux convictions gaullistes qui n'avaient jamais cessé de l'habiter.
    Jean-Marc Chavanne connaissait trop en effet les aléas de la vie politique pour ne pas la considérer avec une sagesse qu'il nous faut méditer : la vie politique a ses hauts et ses bas. Il refusait obstinément d'y voir un métier, d'y voir une carrière. Il la regardait d'abord comme une forme élevée du service de nos concitoyens. Et depuis 1978, date à laquelle il est sollicité pour se présenter au conseil municipal de Saint-Jeoire, ce goût, cette passion de se mettre à la disposition de la collectivité ne le quittera plus. Maire de Saint-Jeoire en 1980, il donnera à cette commune de Haute-Savoie un nouvel essor qui lui vaudra d'être ensuite systématiquement réélu.
    Conseiller général du canton de Saint-Jeoire à compter de 1985, il y laissera le souvenir d'un élu sur lequel on peut toujours compter, quel que soit son itinéraire personnel : un élu disponible, un élu exerçant avec détermination ses fonctions de président de la commission « éducation, formation, université et transports scolaires », et puis de vice-président chargé de l'éducation et de la formation du conseil général.
    Ses fonctions d'élu local suffisaient amplement à l'enfant de Haute-Savoie qu'était Jean-Marc Chavanne, à ce fils d'agriculteurs de montagne, né dans une famille de dix enfants, où il avait puisé pendant toute son adolescence le sens du devoir, du travail bien fait, de l'effort, de l'honnêteté et de la loyauté à cet amoureux de sa terre natale sur laquelle, à l'exception d'une héroïque guerre d'Algérie qui le marquera à jamais, il effectuera la majeure partie d'une existence professionnelle dédiée à l'entreprise d'abord, à l'assurance ensuite.
    Une nouvelle et déterminante étape de son itinéraire personnel l'attendait cependant, puisque, en 1988, Pierre Mazeaud, alors député de la cinquième circonscription de Haute-Savoie, lui demande de devenir son suppléant, mission dont il s'acquittera avec une conscience aiguë de ses devoirs. Le député qu'il deviendra en 1998 sera brillamment réélu en 2002, preuve, s'il en était besoin, de son enracinement et de ses qualités propres.
    Car Jean-Marc Chavanne avait su, au fil des années, au fil des rencontres, développer des liens de confiance avec l'ensemble de la population qu'il représentait à l'Assemblée nationale, parce qu'il savait écouter, parce qu'il savait dialoguer, parce qu'il savait rassembler dès lors que l'intérêt général était en jeu, de la même manière qu'il avait su au Palais-Bourbon, dans cet hémicycle, dans les deux commissions où il siégea, celle des affaires culturelles, familiales et sociales, celle ensuite de la défense nationale, gagner l'estime et le respect de tous et de toutes.
    Nous retiendrons de lui, mes chers collègues, au-delà de ses appartenances partisanes, de sa fidélité à sa terre d'élection, de son patriotisme sincère, authentique et désintéressé, l'image d'un homme qui répondait présent quand on avait besoin de lui, qui ne se dérobait pas lorsqu'il était sollicité, qui s'effaçait derrière les causes qu'il avait choisi de défendre.
    Mesdames et messieurs, mes chers collègues, en pensant avec affection à ses proches, à sa famille, à son épouse Suzanne comme à ses enfants Bruno et Eric, à qui j'adresse les condoléances de l'ensemble de l'Assemblée nationale, je vous demande de bien vouloir vous recueillir à la mémoire de celui qui fut notre collègue, mais qui fut aussi notre ami.
    (Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement observent une minute de silence.)
    M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
    M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. Monsieur le président de l'Assemblée nationale, mesdames et messieurs les députés, madame, c'est avec une immense tristesse que je rends aujourd'hui hommage, au nom du Gouvernement, à la mémoire de Jean-Marc Chavanne. La maladie l'a injustement soustrait à l'affection, à l'estime et à l'amitié de toutes celles et de tous ceux qui l'appréciaient.
    Toute sa vie durant, Jean-Marc Chavanne eut pour devise, selon sa propre expression, le sens de la discipline, de l'abnégation, de l'obéissance et de la loyauté. Et s'il s'engagea assez tard en politique, ses convictions et son sens aigu de l'intérêt général n'en furent que plus affirmés.
    En 1978, bien qu'il n'habite pas la commune de Saint-Jeoire, on vient le chercher. On lui demande de se présenter au conseil municipal. Deux ans plus tard, il en devient maire et sera depuis lors toujours brillamment réélu. Egalement élu conseiller général du canton de Saint-Jeoire en 1985, il devient trois ans plus tard le suppléant du député Pierre Mazeaud. Lorsque ce dernier entre au Conseil constitutionnel en 1998, il lui succède tout naturellement. Il sera ensuite réélu à une très large majorité.
    Tous ceux qui ont approché ou travaillé avec Jean-Marc Chavanne s'accordent à reconnaître ses grandes qualités d'homme, façonnées au fil d'une existence qui, pour être riche d'expériences, ne l'avait pas toujours épargné. De son enfance au sein d'une famille rurale d'agriculteurs de montagne, une famille nombreuse de dix enfants, le souvenir de son service militaire en Grande Kabylie, ou encore son parcours professionnel aux établissements Gambin à Saint-Jeoire auront marqué Jean-Marc Chavanne : il y puisera un sens inégalé du dévouement, du courage et de la détermination dans son expérience des responsabilités. C'est cette idée exigeante de la vie qui alimentera son itinéraire personnel et sa vie d'homme politique. Décoré de la croix du combattant commémorative avec agrafe « Algérie », Jean-Marc Chavanne recevra également la médaille du travail, les palmes académiques, la médaille d'argent de la jeunesse et des sports ainsi que la Légion d'honneur.
    « L'homme supérieur est celui qui remplit son devoir », disait Eugène Ionesco. Jean-Marc Chavanne fut à ce titre un exemple. A son épouse, à ses fils, Bruno et Eric, à ses frères et ses soeurs et à ses trois petits-enfants, à ses nombreux amis et à ses collègues, j'exprime, au nom du Gouvernement, ma compassion attristée et nos très sincères condoléances.

Suspension et reprise de la séance

    M. le président. La séance est suspendue.
    (La séance, suspendue à seize heures dix, est reprise à seize heures vingt.)
    M. le président. La séance est reprise.

3

NOUVELLE DÉLIBÉRATION DE L'ARTICLE 4 DE LA LOI RELATIVE À L'ÉLECTION DES CONSEILLERS RÉGIONAUX ET DES REPRÉSENTANTS AU PARLEMENT EUROPÉEN
    M. le président. L'ordre du jour appelle la nouvelle délibération de l'article 4 de la loi relative à l'élection des conseillers régionaux et des représentants au Parlement européen, ainsi qu'à l'aide publique aux partis politiques (n°s 770, 771).
    La parole est à M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.
    M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, le Gouvernement vous a présenté, au mois de février, un projet de loi modifiant les modes d'élection des conseillers régionaux et des représentants au Parlement européen, ainsi que les modalités d'aide publique aux partis politiques. Toutes les dispositions du projet de loi, à l'exception d'une, ont été validées par le Conseil constitutionnel le 3 avril dernier. Une première évidence s'impose donc : le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin a mené à bien une réforme que, depuis dix ans, tous les gouvernements, pour des raisons très diverses, n'avaient pu achever.
    Les députés européens seront donc élus dans huit circonscriptions - sept en métropole, une outre-mer - afin d'avoir un réel ancrage territorial. Les Français pourront, enfin, se reconnaître dans leurs élus européens.
    Les modes de scrutin régionaux permettront aux électeurs de mieux s'identifier à leurs élus. Les listes régionales pour les élections aux conseils régionaux seront présentées par sections départementales et garantiront un nombre de représentants conforme à la population de chaque département. Les conseillers régionaux seront élus à la proportionnelle avec une prime majoritaire fixée à 25 %. Les régions seront ainsi rendues gouvernables et l'on ne reverra plus le spectacle auquel on avait assisté en 1998 !
    Quant à la parité, elle est renforcée grâce au principe de l'alternance un homme une femme. Il y aura donc davantage de femmes dans les conseils généraux comme parmi les députés européens.
    L'expression démocratique des courants minoritaires sera facilitée par l'abaissement à 3 % du seuil des suffrages exprimés.
    Enfin, les règles de financement des partis politiques seront revues pour éviter les détournements scandaleux que l'on a connus dans le passé.
    Des députés européens dans lesquels on pourra se reconnaître, des conseils régionaux qui auront une vraie majorité, des formations politiques et des candidats qui pourront plus facilement se faire rembourser, une parité plus importante,...
    Mme Claude Greff. C'est bien !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. ... enfin, des règles de financement des partis politiques qui ne seront plus détournées : voilà le bilan. Ce bilan n'est pas négligeable. La preuve : tous les gouvernements, de gauche et de droite, des dix années passées, avaient voulu y parvenir mais, pour des raisons diverses, n'avaient pas pu.
    Nous sommes, aujourd'hui, réunis pour mettre un point final à cette réforme, parce que le Conseil constitutionnel a annulé l'article 4 relatif au seuil d'accès au second tour des élections régionales, pour défaut de procédure. Il nous faut tirer les conséquences de cette décision, ni plus ni moins.
    Ce n'est pas la première fois que la censure du Conseil constitutionnel frappe un texte d'un gouvernement, qu'il soit de droite ou de gauche. Sous la précédente législature, je le disais il y a quelques minutes, le Conseil constitutionnel a été saisi soixante et une fois : à trente-six reprises, il a invalidé un texte, totalement ou partiellement. Quatre de ces invalidations concernaient des projets de loi relatifs aux régimes électoraux.
    Il ne faut pas s'émouvoir outre mesure de ces décisions. Elles font partie du fonctionnement, j'allais dire « normal » de notre République. Le Gouvernement, comme l'a annoncé le Premier ministre, n'a nullement l'intention de discuter ou de contester la position du juge constitutionnel. Ce débat serait inutile et, de surcroît, déplacé dans un Etat de droit. Le Gouvernement s'incline donc devant la décision du juge constitutionnel,...
    M. Gaëtan Gorce. Il avait quand même engagé sa responsabilité sur ce texte !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. ... il s'incline devant cette décision et démontre ainsi sa bonne foi, son honnêteté intellectuelle...
    M. Manuel Valls. Enfin !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. ... et ses convictions républicaines. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Je doute que, parmi leurs préoccupations, les Français accordent une place prépondérante à cette question. Il faut avoir la franchise de le reconnaître et avoir le souci de la régler rapidement. Ce débat doit cesser car nous avons, ensemble, des problèmes beaucoup plus difficiles à résoudre.
    Le Conseil constitutionnel a fait plusieurs préconisations sur l'information nécessaire de nos concitoyens s'agissant des sections départementales et sur la question de la parité en Corse, dont il va de soi qu'elle s'y appliquera comme dans n'importe quelle autre région sur le continent.
    M. Robert Pandraud. Très bien !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Au nom de quoi d'ailleurs la parité ne s'appliquerait-elle pas en Corse ?
    M. René Dosière. Il fallait modifier votre texte !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. C'est d'ailleurs un élément extrêmement important du projet que nous avons présenté aux Corses. Aujourd'hui il n'y a pratiquement pas de femmes conseiller général : demain, la collectivité territoriale unique sera composée pour moitié de femmes !(Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Mme Claude Greff et Mme Marie-Jo Zimmermann. Très bien !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. L'article 4, c'est-à-dire le seuil des 10 % des inscrits, a suscité beaucoup de discussions, et cela dans toutes les familles politiques, à gauche comme à droite.
    MM. Daniel Vaillant et Gaëtan Gorce. Même à l'UMP ?
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Y compris à l'UMP ! Pourquoi l'UMP serait-il le seul lieu où l'on n'aurait pas le droit de débattre, où il faudrait que l'on s'excuse de débattre ? Il y a eu un débat à l'UMP. La preuve, c'est que le texte adressé au Conseil d'Etat - avec 10 % des suffrages exprimés - était aussi celui du Gouvernement. Aucune formation politique n'a le monopole du débat !
    M. René Dosière. Que s'est-il passé après ? Racontez-nous !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Je vais y venir !
    Aujourd'hui, notre intention n'est pas d'esquiver ni de présenter des faux-semblants, mais de régler la question et de le faire en tenant pour principe que chacun, dans ce débat, aura à coeur de mettre ses arrière-pensées en accord avec ses pensées et donc d'affirmer ses convictions dans la plus grande transparence et avec l'honnêteté intellectuelle qui sied.
    L'amendement que propose aujourd'hui le Gouvernement, à 10 % des suffrages exprimés...
    M. René Dosière. Retour à la case départ !
    M. le président. Monsieur Dosière, vous n'avez pas la parole.
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Je crains que la fin de mon propos ne soit plus douloureuse pour vous, monsieur Dosière !
    M. Jean-Claude Lenoir. Il a parlé trop vite !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. L'amendement proposé par le Gouvernement, disais-je, devrait recueillir la quasi-unanimité, à l'exception des communistes et des Verts dont il convient de reconnaître avec honnêteté qu'ils n'ont jamais considéré le seuil des 10 % des suffrages exprimés comme un seuil pertinent.
    M. Hervé de Charette. Fort bien !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Ce seuil de 10 % des suffrages exprimés me semble s'inscrire dans un consensus que j'oserais presque qualifier d'historique non pas tant par son importance que par son ancienneté.
    Outre que, depuis 1983, c'est ce seuil qui est en vigueur pour les élections municipales, le gouvernement de M. Jospin a en 1999 proposé que l'accès au second tour des élections régionales soit réservé aux listes ayant obtenu 10 % des suffrages exprimés.
    M. René Dosière. Je m'en souviens : j'étais le rapporteur !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Il est vrai que face à la polémique et au risque d'éclatement de sa majorité...
    Mme Marie-Jo Zimmermann. Tout à fait !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. ... il a finalement concédé, un peu à contrecoeur, 5 % des suffrages exprimés. Mais il n'est donc pas dans mon intention de contester au précédent gouvernement, celui de M. Jospin, la paternité de cette proposition à 10 % des suffrages exprimés ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Richard Mallié. Beau geste !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Je devais être honnête jusqu'au bout : cette idée vient des socialistes, il faut toujours reconnaître quand on prend une idée chez les autres (Rires) ; personne n'aurait compris que je n'en convienne pas.
    M. Daniel Vaillant. Et les 10 % des inscrits, cela vient d'où ?
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. D'ailleurs, en 1999, le débat portait déjà sur le projet d'article 4, fixant à 10 % le seuil d'accès au second tour. Beaucoup d'entre nous étaient présents.
    Je vous demande une minute d'attention parce que ce que je vais faire est rare : je vais rendre hommage à M. Ayrault.
    Mme Marie-Jo Zimmermann. Où est-il ?
    Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Allez le chercher !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. J'ai encore en mémoire ces débats aiguisés et passionnants où Jean-Marc Ayrault, s'adressant aux communistes, leur expliquait, avec l'autorité que chacun lui reconnaît - et je ne peux imaginer qu'il ait changé d'opinion : « Mais enfin, mes chers collègues, un seuil de 5 % des suffrages exprimés n'est en rien un progrès car il permettrait au Front national de se maintenir au second tour. »
    M Ayrault ne l'a sans doute pas oublié, à moins qu'il fasse au Gouvernement une telle confiance quant à sa politique de sécurité qu'il considère que, le problème du Front national serait définitivement réglé ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Daniel Vaillant. C'est un peu facile !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Soit M. Ayrault s'abandonne à l'excellente gestion du Gouvernement, ce qui nous ferait plaisir, et, dans ce cas, on peut comprendre qu'il renonce aux 10 %, soit il ne nous fait pas totalement confiance, et il en a parfaitement le droit, mais alors on se demande pourquoi il nous réclamerait aujourd'hui 5 % quand il proposait hier 10 % !
    Lorsque le ministre de l'intérieur de l'époque défendait le seuil de 10 %, vous jugiez tous que ce seuil assurerait un juste équilibre entre la nécessité de rendre les régions gouvernables et celle d'assurer une réelle pluralité. Mieux, le premier secrétaire du Parti socialiste lui-même, M. François Hollande, qui n'est pas connu pour son extrême indulgence, qui aime donner beaucoup de leçons aux autres mais déteste en recevoir et qui, il est vrai, est fort occupé par sa propre famille, déclarait, après la décision du Conseil constitutionnel, il y a quelques jours : « Le Gouvernement devrait revenir aux 10 % des suffrages exprimés... »
    Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Le voilà qui arrive !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Ne vous moquez pas de François Hollande, vous allez faire croire qu'il adore qu'on parle de lui...
    M. François Hollande. Vous y réussissez !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. ... puisqu'il vient quand je le cite !
    M. Hollande déclarait : « Si le Gouvernement revenait aux 10 % des suffrages exprimés, cela permettrait à l'ensemble des familles politiques, de gauche comme de droite, de concourir à l'expression du suffrage. »
    M. François Hollande. C'est vrai !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Je vous le disais, nous visons l'unanimité. Merci, François Hollande, de ce soutien à l'amendement du Gouvernement ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Nous devrions trouver également un consensus avec l'UDF, puisque M. Hervé Morin, président du groupe UDF, rappelait encore le mois dernier, dans cet hémicycle, avec beaucoup de force, qu'il suffisait de changer le mot « inscrits » par le mot « exprimés » pour que le consensus soit presque parfait. Je connais trop la qualité des parlementaires de l'UDF pour penser une minute qu'ils pourraient avoir changé d'avis.
    Aujourd'hui, je veux également rendre hommage à la sagesse du groupe UMP, notamment à son président, qui a immédiatement...
    M. François Hollande. Changé d'avis !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. ... soutenu la volonté d'apaisement du Premier ministre.
    Enfin, j'ai entendu certains affirmer que ce seuil ne permettrait pas d'éliminer le Front national des élections régionales. Cette question incontestablement grave mérite un échange entre nous. Ma conviction profonde est qu'un mode de scrutin n'a jamais servi à gagner les élections.
    M. Robert Pandraud. Très bien !
    M. François Hollande. Alors, pourquoi l'avoir changé ?
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. M. Mitterrand et ses amis nous en ont fait la démonstration. Un mode de scrutin ne permet pas non plus d'éliminer durablement une formation politique dont les idées sont, par ailleurs, à bannir.
    M. Christophe Caresche. Pourquoi l'avez-vous modifié, alors ?
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Je crois profondément que, dans le passé, la gauche a profité beaucoup du Front national en exploitant les divisions créées par ce parti. (« Oh oui ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. François Hollande. Qui a fait alliance avec lui ?
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Mais, à droite, nous portons également notre part de responsabilité puisque nous avons donné le sentiment à une partie de ses électeurs que nous renoncions à nos convictions sur l'immigration et sur la sécurité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Manuel Valls. Demandez donc ce qu'il en est à M. Soisson !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. En disant cela, je ne condamne personne,...
    M. François Hollande. M. Juppé seulement !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. ... j'essaye d'être à la hauteur d'une situation bien difficile par ailleurs.
    Et, monsieur Hollande, ce n'est pas un sujet de plaisanterie, mais un problème auquel nous sommes tous confrontés !
    M. François Hollande. Absolument !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Même si 5 millions et demi de personnes ont voté pour le Front national...
    M. Manuel Valls. Avancez-vous, monsieur Soisson !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. ... je suis convaincu que la France de 2002 n'est pas l'Allemagne de 1932 ; et le vote en faveur du Front national, ce n'est pas la tentation fasciste, comme je l'ai entendu dire si souvent, pas plus que la montée de la peste brune. Ce sont seulement 5 millions et demi de gens, parmi les plus modestes, qui se sont sentis abandonnés après cinq années de gouvernement de gauche. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. François Hollande. Et vos 19 % ?
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. D'ailleurs ce sont précisément les catégories les plus populaires, celles dont le niveau socioculturel est le plus faible, qui se sont détournées des urnes et ont renforcé les rangs d'un mouvement politique dont je ne dirai même pas, à l'instar de M. Fabius, qu'il pose les bonnes questions en apportant les mauvaises réponses. Car à mes yeux, le Front national ne pose aucune bonne question et n'apporte aucune bonne réponse.
    Mais ces gens qui ont voté pour le Front national, il ne sert à rien de défiler dans la rue en essayant de les culpabiliser...
    M. François Hollande. Heureusement qu'il y en a qui défilent dans la rue !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. ... car, auparavant, ils votaient bien pour des partis républicains de droite ou de gauche ! C'est par conséquent à nous de changer nos comportements...
    M. François Hollande. Vous n'en prenez pas le chemin !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. ... et les politiques que nous proposons, et de tenir nos engagements : c'est ainsi que nous retrouverons ces électeurs. La règle de 10 % des exprimés ou des inscrits n'est pas, me semble-t-il, une réponse à la hauteur de la situation.
    M. Jean-Pierre Soisson. Ça compte quand même !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Le Conseil constitutionnel a pris sa décision, le Gouvernement en tire les conséquences. Et, monsieur Jean-Pierre Soisson, je vous le dis comme je le pense : quand une majorité est solide et qu'une équipe est déterminée à gagner une région, elle n'a besoin de rien d'autre que de candidats déterminés, car ce sont eux qui remportent les élections !
    M. Manuel Valls. Ce n'est plus l'Assemblée nationale, c'est le congrès de l'UMP !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Mais on tromperait nos concitoyens si on leur laissait penser qu'on peut gagner les élections par un procédé aussi artificiel qu'une réforme des modes de scrutin.
    Le Gouvernement propose donc l'amendement de 10 % des exprimés...
    M. François Hollande. Il n'a pas le choix !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. ... conformément à ce que demandait le Conseil constitutionnel et, conformément à ce que déclaraient les socialistes, il y a encore quelques semaines pour les uns, quelques années pour les autres.
    Je crois qu'on peut maintenant sortir de ce débat, qui intéresse fort peu les Français,...
    M. François Hollande. Alors, pourquoi l'avez-vous ouvert ?
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. ... en décidant, de la façon la plus unanime qui soit, que les 10 % des exprimés seront désormais la règle pour les élections régionales. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.
    M. François Hollande. Il va nous expliquer le contraire !
    M. le président. Monsieur Hollande, M. Bignon va vous expliquer ce qu'il a à vous expliquer !
    M. François Hollande. Il aura du mal !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. M. Hollande se croit encore chez Drucker !
    M. Jérôme Bignon, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission des lois a été saisie par le président de l'Assemblée nationale à la suite du décret du 4 avril par lequel le Président de la République a demandé au Parlement, en application de l'article 10 de la Constitution, une nouvelle délibération de l'article 4 de la loi relative à l'élection des conseillers régionaux et des représentants au Parlement européen ainsi qu'à l'aide publique aux partis politiques.
    M. François Hollande. Jusque-là, c'est clair ! (Sourires.)
    M. Jérôme Bignon, rapporteur. Tant mieux !
    M. le président. Ne vous laissez pas interrompre, monsieur Bignon !
    M. Jean-Michel Ferrand. Ce n'est pas compliqué, mais ils ne peuvent pas suivre !
    M. le président. Monsieur Ferrand !
    M. Jérôme Bignon, rapporteur. Comme vous venez de le rappeler, monsieur le ministre, le Conseil constitutionnel a censuré, en raison d'un vice de procédure, la règle selon laquelle des listes de candidats aux élections régionales devaient avoir obtenu, pour accéder au second tour, un nombre de suffrages au moins égal à 10 % du nombre des électeurs inscrits. Le Conseil constitutionnel a fait une application assez stricte (Rires sur les bancs du groupe socialiste) de l'article 39, alinéa 2, de la Constitution, qui dispose que « les projets de loi sont délibérés en Conseil des ministres après avis du Conseil d'Etat »...
    M. François Brottes. Il fallait le savoir, ça !
    M. Jérôme Bignon, rapporteur. ... et il a considéré, ce qu'il n'avait pas toujours fait pendant les quarante ans qui viennent de s'écouler, que, si le Conseil des ministres délibère sur les projets de loi, et s'il lui est toujours possible d'en modifier le contenu, c'est à la condition d'être éclairé par l'avis du Conseil d'Etat. Autrement dit, s'il va de soi que l'avis du Conseil d'Etat sur un projet de loi ne lie pas le Conseil des ministres, celui-ci ne peut y insérer une disposition qui n'aurait pas été évoquée lors de la consultation du Conseil d'Etat.
    M. Paul Giacobbi. L'UMP n'est pas encore considérée comme un organe constitutionnel !
    M. Jérôme Bignon, rapporteur. La commission des lois a pris acte de la décision du Conseil constitutionnel, et de celle de M. le président de l'Assemblée nationale de renvoyer le texte devant elle, en application de l'article 116 de notre règlement. Elle a donc examiné l'article 4, qui est soumis à notre délibération, ainsi que l'amendement déposé par le Gouvernement ce matin même.
    La discussion que nous avons eue a été relativement courte.
    M. Paul Giacobbi. Et savoureuse !
    M. Jérôme Bignon, rapporteur. Après qu'eurent été rappelées les règles de procédure que je viens d'évoquer sur l'application de la Constitution par le Président de la République et la demande d'une nouvelle délibération, nous avons évoqué deux points qui nous ont paru intéressants, car, comme vous l'avez rappelé, monsieur le ministre, il n'était pas question pour la commision des lois, pas davantage qu'il ne l'avait été pour le Gouvernement, de remettre en cause une décision du Conseil constitutionnel, quelle que puisse être l'appréciation, personnelle ou politique, que nous portions sur la question. Nous nous inclinons devant une décision formulée par les neuf sages...
    M. François Brottes. Ils respectent les lois !
    M. Jérôme Bignon, rapporteur. ... car nous respectons la règle constitutionnelle et les principes juridiques dégagés par la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Il est vrai que tout le monde n'a pas toujours témoigné ce respect, que l'ancienne majorité n'aimait pas que le Conseil constitutionnel censure ses décisions, et qu'elle le disait. La différence, c'est que le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin et la majorité de la commission des lois s'inclinent quand le Conseil constitutionnel prend une décision. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. François Hollande. Vous n'avez pas le choix !
    M. Jérôme Bignon, rapporteur. Il n'en demeure pas moins que la commission des lois peut s'interroger sur deux aspects de la décision du Conseil constitutionnel.
    Le premier concerne la publicité de l'avis du Conseil d'Etat. Il est en effet assez paradoxal que le Conseil constitutionnel puisse, à la suite d'indiscrétions, de « fuites », être saisi sur un avis réputé secret.
    D'autre part, si l'on applique à la lettre les dispositions de l'article 39, alinéa 2, de la Constitution, le texte sur lequel délibère le conseil des ministres doit avoir été soumis au Conseil d'Etat. Dans le cas présent - et ce point n'a pas été abordé -, le conseil des ministres a délibéré, en fait, deux fois sur ce texte : une première quand il a approuvé le texte soumis à notre délibération, et une seconde lorsqu'il a autorisé le Premier ministre à engager la responsabilité du Gouvernement au titre de l'article 49-3.
    M. Jean Le Garrec. On ne comprend rien !
    M. Jérôme Bignon, rapporteur. Dans l'hypothèse du recours à l'article 49-3, le conseil des ministres n'a pas à solliciter l'avis du Conseil d'Etat. La commission - et votre rapporteur avec elle - s'est donc demandé si la deuxième délibération du conseil des ministres ne purgeait pas le vice de forme commis par le conseil des ministres lorsqu'il n'avait pas respecté la lettre de l'article 39-2 de la Constitution.
    M. Jean-Pierre Soisson. Très bien !
    M. Jean Le Garrec. On ne comprend rien !
    M. Paul Giacobbi. Vous n'avez qu'à refaire le 49-3 : vous verrez bien !
    M. Jean Le Garrec. Il n'y a que Soisson qui comprenne !
    M. Jérôme Bignon, rapporteur. Ces questions une fois posées, la commission des lois s'est à nouveau penchée sur l'article 4, à la lumière de l'amendement déposé par le Gouvernement, dont la volonté d'apaisement a trouvé un très large assentiment sur ses bancs. La commission a donc adopté le texte qui lui était proposé, en mesurant que les objectifs exprimés dans le texte de loi qui nous avait été soumis et avait été censuré reflétaient le débat qui oppose, d'une part, la volonté d'aboutir à une majorité stable dans les conseils régionaux - et le Picard que je suis connaît parfaitement les difficultés que vont rencontrer les conseils régionaux pour trouver une majorité - et, d'autre part, le souci d'assurer une représentation des courants politiques conforme à l'objectif de pluralisme rappelé par le Conseil constitutionnel dans l'arrêt qu'il vient de rendre.
    Il est clair que l'amendement du Gouvernement, dicté par une volonté d'apaisement, privilégie la préoccupation du pluralisme, et les démocrates qui sont dans cet hémicycle...
    M. Jean-Marc Ayrault. Tordent le nez !
    M. Jérôme Bignon, rapporteur. ... ne peuvent que s'en réjouir.
    M. François Hollande. C'est le contraire !
    M. Jérôme Bignon, rapporteur. C'est la raison pour laquelle la commission des lois a adopté l'amendement du Gouvernement et propose à l'Assemblée de faire sien l'article 4 ainsi amendé. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. Nous allons aborder les notions de procédure. Je vous précise qu'une exception d'irrecevabilité sera présentée par le groupe socialiste, et une motion de renvoi de commissions par le groupe des député-e-s communistes et républicains, mais qu'il n'y aura pas de question préalable. En effet, la dernière phrase de l'article 10 de la Constitution, suivant laquelle « cette nouvelle délibération ne peut être refusée », s'oppose à ce que l'Assemblée nationale soit saisie d'une question préalable dont l'objet est de faire décider qu'il n'y a pas lieu de délibérer.
    Je vous indique également que, à mon initiative et en application de la compétence que lui donne l'article 91-4 du règlement, la conférence des présidents a fixé à trente minutes la durée de la discussion de chacune des motions de procédure.

Rappel au règlement

    M. le président. Monsieur Ayrault, vous m'avez demandé la parole en vertu de l'article 58 de notre règlement. Cette demande est de droit.
    La parole est à M. Jean-Marc Ayrault.
    M. Jean-Marc Ayrault. Monsieur le président, je vous remercie de me donner la parole, car le ministre de l'intérieur m'a mis en cause et, à travers moi, a mis en cause l'ensemble du groupe socialiste. En effet, lorsqu'il est en difficulté, M. le ministre de l'intérieur a la fâcheuse habitude d'attaquer, de caricaturer et de sortir de leur contexte des débats qui se sont déroulés il y a déjà quelques années. Monsieur le ministre, je comprends que vous vous sentiez en difficulté puisque - M. Bignon vient de nous le rappeler - le Conseil constitutionnel a censuré le Gouvernement sur l'article 4...
    M. Claude Goasguen. Ça ne s'appelle pas la censure ! La censure, c'est l'Assemblée, pas le Conseil constitutionnel.
    M. Jean-Marc Ayrault. ... étant donné qu'on avait oublié de consulter le Conseil d'Etat. M. Bignon vient de nous expliquer savamment que cette décision n'était pas motivée par un problème de fond, mais par une question de forme.
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. C'est vrai !
    M. Jean-Marc Ayrault. Monsieur le ministre de l'intérieur, vous qui, il y a quelques semaines, défendiez avec passion, au côté du Premier ministre, les 10 % des inscrits, expliquez-nous pourquoi, si ce n'est qu'un problème de forme, le Gouvernement n'a pas voulu redéposer un texte reprenant le chiffre et respectant les formes.
    M. Claude Goasguen. Parce que nous avons autre chose à faire ! Nous devons corriger vos erreurs !
    M. Jean-Marc Ayrault. En réalité, cela signifie que le Gouvernement s'est déjugé après avoir été mis en difficulté, car sa volonté d'imposer l'hégémonie d'un seul parti...
    Mme Christine Boutin. Non ! Arrêtez !
    M. Jean-Marc Ayrault. ... a été critiquée à l'Assemblée nationale par une très large coalition allant des socialistes à l'UDF et aux non-inscrits, en passant par les communistes, les radicaux, les Verts, et il a dû reculer sur ce point.
    M. Richard Mallié. Ça s'appelle de la mythomanie !
    M. Jean-Marc Ayrault. Le Premier ministre a dit lui-même qu'il voulait pratiquer l'apaisement. Il aurait été juste de votre part de le rappeler.
    Vous nous faites chaque fois le même procès à propos du Front national : je tiens tout de même à vous rappeler que nous avons voté une réforme en 1999, que nous avons accepté le débat pluraliste au sein de notre majorité, alors que nous aurions pu partir d'hypothèses et nous y tenir jusqu'au bout. En cinq ans, le gouvernement de Lionel Jospin n'a jamais eu recours à l'article 49-3, et c'est vous qui avez voulu passer en force. Voilà ce qui vous est reproché. Peut-être, demain, passerez-vous en force sur d'autres sujets, et c'est ce qui inquiète les Français.
    M. Claude Goasguen. Mais ça existe bien, le 49-3 !
    M. Jean-Marc Ayrault. Enfin, monsieur le ministre de l'intérieur, vous êtes mal placé pour nous donner des leçons à propos du Front national. C'est bien votre parti qui...
    M. Claude Goasguen. Et la proportionnelle, c'est qui ?
    M. le président. Monsieur Goasguen !
    M. Jean-Marc Ayrault. ... en Languedoc-Roussillon, en Picardie et en Bourgogne - n'est-ce pas, monsieur Soisson ? - a fait alliance avec le Front national pour conserver la région. Ce ne sont pas les socialistes. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Exception d'irrecevabilité

    M. le président. J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une exception d'irrecevabilité, déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.
    La parole est à M. René Dosière.
    M. René Dosière. Monsieur le ministre, quand on regarde le cheminement de ce texte, on comprend mieux la passion que vous mettez à le défendre devant cette assemblée. En effet, pour l'histoire parlementaire, ce texte restera riche en précédents - c'est un mot qui est cher aux administrateurs de l'Assemblée. Ainsi, il est désormais acquis que, en matière d'élaboration des projets de loi, le Gouvernement doit être plus respectueux de l'avis du Conseil d'Etat.
    Un député du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Il l'est !
    M. René Dosière. En second lieu, si le recours à l'article 49-3 n'est pas exceptionnel - quoique, en cinq ans, les socialistes y aient renoncé -, ...
    M. Claude Goasguen. Et sous Rocard ?
    M. René Dosière. ... il est rare de l'invoquer avant la discussion générale, puisqu'il faut remonter vingt ans en arrière...
    M. Claude Goasguen. On n'avait jamais eu 13 000 amendements !
    M. René Dosière. ... pour en trouver un exemple.
    En troisième lieu, voir un texte électoral adopté contre l'avis de tous les groupes de l'Assemblée nationale, sauf le groupe majoritaire, c'est aussi une première.
    M. Francis Delattre. Il ne manquait que le Front national !
    M. René Dosière. Autre première sous la Ve République, le recours devant le Conseil constitutionnel a été cosigné par tous les groupes de l'Assemblée, sauf, bien sûr, le groupe majoritaire.
    Enfin, une seconde délibération est aussi une procédure exceptionnelle, puisque c'est la deuxième dans l'histoire de la Ve République. J'évoque au passage l'humour involontaire qui en résulte, puisqu'on nous demande une deuxième lecture quand la première s'est effectuée sous le régime de l'article 49-3.
    A en croire certains - je pense aux premiers commentaires du Premier ministre la semaine dernière, et à ceux du rapporteur tout à l'heure -, le motif de la censure serait de pure forme et de procédure. Permettez-moi de vous le dire, c'est un argument de mauvais perdant, car il faut aller au-delà des apparences.
    Le Conseil constitutionnel a dit très clairement que la substitution à laquelle vous avez procédé modifie la nature de la question posée, ce qui est tout à fait contraire à l'argumentation que le Gouvernement a présentée devant le Conseil constitutionnel et selon laquelle il ne s'agissait que d'un ajustement ou d'une différence de degré.
    D'ailleurs, le Conseil constitutionnel a ajouté deux considérants qu'il n'est pas inutile de rappeler :
    « Considérant, en second lieu, que, s'il est loisible au législateur, lorsqu'il fixe les règles électorales relatives aux conseils régionaux, d'introduire des mesures tendant à inciter au regroupement des listes en présence (...), il ne peut le faire qu'en respectant le pluralisme des courants d'idées et d'opinions, lequel est un des fondements de la démocratie. » Cette phrase, un peu lourde, est reprise des textes de la décision du Conseil constitutionnel du 11 janvier 1990 qui avait, à l'époque, en vertu de cette justification, annulé le seuil de 5 % des suffrages exprimés pour bénéficier de l'aide publique.
    Le Conseil a poursuivi : « Considérant à cet égard que le seuil de 5 % des suffrages exprimés au premier tour pour avoir la possibilité de fusionner avec une autre liste au second tour, seuil déjà retenu pour d'autres dispositions du code électoral, lorqu'il s'agit d'assurer la conciliation entre représentation proportionnelle et constitution d'une majorité stable et cohérente, ne porte atteinte par lui-même ni au pluralisme des courants d'idées et d'opinions, ni à l'égalité devant le suffage, ni à la liberté des partis politiques. »
    Si la question était uniquement et aussi faiblement procédurale, on peut penser qu'une réserve d'interprétation, voire une injonction, aurait suffi. (« Bien sûr ! » sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Manuel Valls. Evidemment !
    M. René Dosière. D'ailleurs, si tel était le cas et comme vient de le dire excellemment Jean-Marc Ayrault, pourquoi changer votre texte ?
    Plusieurs députés du groupe socialiste. Tout à fait !
    M. François Hollande. Vous en avez honte !
    M. René Dosière. Il aurait simplement suffi de nous le représenter en respectant la procédure.
    M. Claude Goasguen. On a autre chose à faire !
    M. René Dosière. En réalité, il s'agit d'un problème politique, et vous le savez bien. Jamais un recours n'a été signé par une telle diversité de députés. Tous les partis politiques, à l'exception de l'UMP, se sont élevés contre cette disposition. Il faut beaucoup d'orgueil pour penser qu'on peut avoir raison seul contre tous.
    En réalité, chers collègues, en offrant au Conseil constitutionnel, au milieu d'un développement fort sur l'atteinte au pluralisme politique que représente ce texte, un argument d'apparence procédurale, nous permettions une censure respectueuse des égards qu'un Conseil constitutionnel ainsi composé se doit de manifester envers le Gouvernement nommé par Jacques Chirac. Ce faisant, notre but est atteint et c'est l'essentiel, mais personne n'est dupe quant au désaveu politique qui résulte pour le Gouvernement de la décision du Conseil constitutionnel.
    Mais ce n'est pas tout, car, il y a, dans la décision du Conseil constitutionnel, d'autres aspects qu'il convient de relever, en particulier ce qui concerne la complexité du mode de scrutin qui rend cette loi peu intelligible. Je cite à nouveau le Conseil :
    « Considérant, toutefois, qu'il incombera aux autorités compétentes de prévoir toutes dispositions utiles pour informer les électeurs et les candidats sur les modalités du scrutin et sur le fait que c'est au niveau régional que doit être appréciée la représentativité de chaque liste ; qu'il leur appartiendra en particulier d'expliquer que le caractère régional du scrutin et l'existence d'une prime majoritaire peuvent conduire à ce que, dans une section départementale donnée, une formation se voie attribuer plus de sièges qu'une autre alors qu'elle a obtenu moins de voix dans le département correspondant ; qu'il leur reviendra également d'indiquer que le mécanisme de répartition retenu peut aboutir, d'une élection régionale à la suivante, à la variation du nombre total de sièges attribués à une même section départementale ; »
    « Considérant, enfin, que, pour assurer la bonne information de l'électeur et éviter par là une nouvelle augmentation de l'abstention, le bulletin de vote de chaque liste dans chaque région devra comprendre le libellé de la liste, le nom du candidat tête de liste et, répartis par sections départementales, les noms de tous les candidats de la liste. »
    L'interprétation tend ici fortement à reconnaître que vous avez choisi un mode de scrutin qui est peu clair pour l'électeur. Je ne doute pas d'ailleurs, monsieur le ministre, que, à la veille des élections régionales, vous mettrez à la disposition des électeurs, dans les bureaux de vote, un petit livret expliquant comment les sièges seront répartis.
    Pour ce qui est de la Corse, nous avions noté une atteinte au principe d'égalité, au regard de la parité. Le Conseil déclare « qu'aucune particularité locale, ni aucune raison d'intérêt général, ne justifie la différence de traitement en cause ; qu'ainsi, celle-ci est contraire au principe d'égalité » ; et considère que « dans ces conditions, (...) il appartiendra à la prochaine loi relative à l'Assemblée de Corse de mettre fin à cette inégalité ». Sans doute le Conseil a-t-il considéré qu'une seule censure suffisait et qu'il n'était pas nécessaire d'en opposer une seconde.
    Quant aux élections européennes, il faut remarquer que l'objectif de proximité initialement affiché a disparu du texte à partir du moment où le Gouvernement a retiré, dans le cadre de la procédure liée à l'article 49-3, le mode de répartition des députés européens par région - heureusement, d'ailleurs, car cela lui a valu d'éviter une autre censure !
    Il subsiste donc de grandes circonscriptions, dont on voit mal comment elles pourraient répondre à l'objectif de proximité. En quoi l'électeur de Bonifacio ou de Menton aura-t-il un sentiment d'appartenance commune avec celui de Bourg-en-Bresse ? La même question se pose pour l'électeur d'Avranches et celui de Laon. Ils seront pourtant dans la même circonscription électorale !
    Parler de proximité à propos de circonscriptions hétérogènes comptant plusieurs millions d'habitants, dont chaque élu sera supposé représenter plus de 800 000 d'entre eux, est tout simplement une plaisanterie qu'on ne peut même pas qualifier d'aimable.
    En validant ce nouveau mode de scrutin, le Conseil a également validé le fait que de nombreux Français de l'étranger vont perdre leur droit de vote, car si certains auront la possibilité de se faire inscrire sur une liste métropolitaine, ce ne sera pas le cas de tous, hélas !
    Comme vous ne cessez de vous référer à notre pratique, monsieur le ministre, vous pourriez me répondre que nous-mêmes avions naguère étudié un tel mode de scrutin.
    M. Francis Delattre. Tout à fait !
    M. René Dosière. Mais il se trouve qu'après avoir dialogué avec nos partenaires de la majorité,...
    M. Francis Delattre. Plurielle...
    M. René Dosière. ... nous avons pris en compte leur opposition et le texte prévoyant ce mode de scrutin a été retiré de l'ordre du jour.
    Dialogue et écoute d'un côté, autoritarisme et article 49-3 de l'autre : écoutez la différence ! (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Christophe Masse. Tout à fait !
    M. René Dosière. Puisque cette nouvelle lecture nous permet de nous exprimer, ce qui nous avait été impossible lors de la première délibération, je voudrais formuler quelques observations complétaires.
    M. Jérôme Bignon, rapporteur. Non, c'est l'inverse : c'était une première lecture, et, maintenant, c'est une délibération !
    M. René Dosière. Monsieur le rapporteur, le Conseil constitutionnel a jugé, dans sa décision du 23 août 1985, que « lecture » et « délibération » voulaient dire la même chose.
    M. Jérôme Bignon, rapporteur. C'est vrai, mais ce n'est pas le texte de la Constitution !
    M. Gilbert Le Bris. Le rapporteur a encore perdu une occasion de se taire !
    M. René Dosière. Première observation : le Gouvernement ne dit pas la vérité quand il présente cette loi. En effet, que déclarait le Premier ministre ici même le 29 janvier 2003, cela ne remonte pas à plusieurs années, convenez-en ? Je le cite : « Je dépasse la vie partisane pour penser aux grandes institutions. [...] Dans le texte qui est proposé, ne voyez ni malice ni manoeuvre !  nous souhaitons donner à des majorités régionales stabilité et clarté.  Il se trouve que j'ai été député européen et, quinze ans durant, président de région. J'ai vu les combinazioni, j'ai vu le rôle joué par le Front national en 1998 au point que l'on a pu s'écrier : quelle honte pour les régions que cette situation !  Alors, ma réponse est simple : la stabilité, grâce à une "prime, comme c'est le cas pour les municipales. Il n'y a rien là d'extraordinaire ni de génial, je vous l'accorde. »
    Simplement, tout cela est faux, car ce n'est pas la réponse que nous a faite aujourd'hui le Premier ministre. Le mode de scrutin qui nous est proposé n'est pas la réponse du gouvernement actuel, mais celle du gouvernement Jospin ! En effet, c'est la loi de 1999 qui accorde une prime majoritaire au niveau régional, loi que vous n'avez aucunement modifiée. Par conséquent, ce n'est pas vous qui êtes responsables de la mise en oeuvre de ce mode de scrutin.
    M. Francis Delattre. Cela n'a rien à voir avec une exception d'irrecevabilité !
    M. René Dosière. Constatez que l'héritage n'est pas toujours mauvais. On pourrait même dire que vous faites une captation d'héritage, et çà, très franchement, ce n'est pas bien !
    Tout à l'heure, le Premier ministre a parlé d'immobilisme en évoquant les bancs de gauche. Eh bien, s'agissant du mode de scrutin régional, il aurait mieux fait de se taire. Pour ce qui est de l'immobilisme en la matière, la palme revient au gouvernement Juppé qui, de septembre 1995 à février 1997, c'est-à-dire pendant une période de dix-huit mois, n'est pas parvenu à modifier le système qui était en vigueur, et c'est ainsi que nous sommes allés aux élections de 1998 avec le mode de scrutin antérieur.
    Deuxième observation : le Gouvernement ne dit pas la vérité quand il parle de donner un nouvel élan à la région. Ce texte est en fait un retour au départementalisme : pour rapprocher l'élu du citoyen et des territoires, la répartition individuelle des sièges s'effectuera entre sections départementales. Bref, ce n'est rien d'autre que le maintien d'une départementalisation de la région.
    On oublie simplement que ce texte enterre le projet régional : il n'y aura plus, à l'occasion des élections régionales, présentation d'un projet régional, comme le permet le texte de 1999, mais présentation d'une addition de projets départementaux.
    Certains des membres de l'actuelle majorité ne disent pas autre chose quand ils proposent un texte dans lequel « la circonscription retenue sera la région, ce qui permettra de renforcer l'identité régionale auprès des électeurs et, parallèlement, de faire en sorte que les élus régionaux prennent davantage en compte l'intérêt régional avant les intérêts locaux ».
    Eh bien, il se passe exactement le contraire, et ce n'est pas le moindre paradoxe de constater que c'est un président de région, et fier de l'être, qui, en réalité, empêche la région de prendre son envol.
    Lionel Jospin, qui n'avait pourtant pas la même expérience d'élu local que M. Raffarin, avait une vision d'avenir beaucoup plus forte, en faisant de la région une véritable collectivité, avec un vrai territoire, qui était la circonscription régionale, et un projet régional.
    Le texte de 1999 était clair, simple à comprendre, politiquement novateur et mobilisateur pour l'opinion.
    Pourquoi avez-vous fait marche arrière ? C'est parce que vous avez, une nouvelle fois, cédé devant le conservatisme du Sénat, où les présidents de conseils généraux sont influents. Du reste, au printemps 1996, le groupe de travail du Sénat sur les modes de scrutin estimait qu'il était « impératif de maintenir le cadre départemental pour l'élection des conseils régionaux ».
    Lors des débats de 1999, on a d'ailleurs bien senti la réserve des départementalistes : ils n'avaient pas confiance en eux. Or, avec 40 milliards d'euros de budget, 120 000 fonctionnaires et 130 ans d'âge, ils ont pourtant les moyens d'exister à côté de régions, qui, elles, n'ont que 14 milliards d'euros de budget, 6 000 fonctionnaires et à peine 30 ans d'âge.
    Sans doute la crainte qu'une circonscription régionale ignore les départements peu peuplés est-elle légitime. Mais est-elle sérieuse ? Quel parti aurait pris le risque de ne pas représenter ou de sous-représenter un département ?
    En imposant une répartition des sièges par département, vous exprimez clairement la méfiance qui est la vôtre envers les élus, les partis et les électeurs. Mais surtout, vous optez pour un choix clair en refusant que la France soit dotée de véritables régions dynamiques.
    Fallait-il alors tant communiquer sur un texte constitutionnel qui allait, paraît-il, donner toute sa place à la région, alors que la réalité est fort différente ?
    M. Claude Goasguen. Quel rapport avec l'article 4 ?
    M. René Dosière. En fait, en revenant sur la loi de 1999, vous vous opposez à la montée en puissance de la région, ce qui va à contre-courant du mouvement que l'on constate chez nos voisins européens - je pense en particulier à l'Italie et à l'Espagne.
    M. Francis Delattre. Personne ne croira cela !
    M. René Dosière. Ce sera un handicap pour nos collectivités.
    Troisième observation : le Gouvernement ne dit pas la vérité quand il évoque les rapports avec le Front national.
    En effet, qu'a-t-on constaté en mars 1998 ? Que la collusion entre la droite et le Front national est apparue au grand jour dans quatre régions.
    En Picardie - votre région, monsieur le rapporteur - au deuxième tour de scrutin, Charles Baur est élu avec trente voix, dont onze du Front national.
    M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Eh oui !
    M. René Dosière. Certains élus de droite ont toutefois pris leurs distances, comme M. Alain Gest. D'autres, qui se reconnaîtront, s'en sont accommodés. Mais, aujourd'hui, Charles Baur fait partie de l'UMP et il dirige toujours le conseil régional avec le Front national.
    M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Un tour de passe-passe !
    M. René Dosière. En Languedoc-Roussillon, Jacques Blanc, qui, lui, est un récidiviste, est élu dès le premier tour par trente-cinq voix, dont les treize voix du Front national. Jacques Blanc fait aujourd'hui partie de l'UMP.
    M. Christophe Masse. Ils sont habitués !
    M. René Dosière. Je pourrais également rappeler les péripéties de l'élection de Charles Million en Rhône-Alpes ou de Jean-Pierre Soisson en Bourgogne, ce dernier étant d'ailleurs un autre récidiviste.
    M. Francis Delattre. Il est autant à vous qu'à nous ! (Sourires.)
    M. René Dosière. Je relève qu'aucune de ces alliances n'avait été annoncée aux électeurs avant l'élection,...
    M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Tout à fait !
    M. René Dosière. ... qu'elles ont été conclues pour maintenir au pouvoir des hommes dont les soutiens étaient minoritaires en voix dans la région et que ces alliances banalisent les idées de l'extrême droite.
    M. Richard Mallié. Le texte retoqué par le Conseil constitutionnel avait pour but d'éviter cela !
    M. René Dosière. Ce n'est pas seulement pour les régions, c'est une honte aussi pour tous ceux qui se sont prêtés et qui se prêtent encore à ces alliances et qui les soutiennent.
    Pour éviter toutes ces manoeuvres, il fallait modifier le mode de scrutin. Nous l'avons fait : la réponse aux difficultés que connaissent les régions se trouve dans la loi Jospin. Nous avons mis en oeuvre une loi électorale qui concilie justice et efficacité, capacité de gouverner et représentation des minorités. Pour cela, nous nous sommes inspirés de la loi relative aux élections municipales, une loi de gauche, qui - je le note au passage - a remplacé un système de scrutin majoritaire intégral ; nous en avons tiré les leçons, puisque la prime majoritaire accordée au niveau régional est plus faible (25 %), ce qui permet une meilleure représentation des minorités. Bref, nous avons retenu une formule à dominante majoritaire assortie d'un correctif « proportionnaliste ».
    J'ajoute, monsieur le ministre, qu'en vous entendant tout à l'heure évoquer les discours qui ont agrémenté la discussion du texte de 1999, je me suis aperçu que vous aviez oublié de préciser que, à l'époque, vos amis du RPR étaient contre ce mode de scrutin. Il est un peu facile aujourd'hui de faire des citations en oubliant de resituer les choses dans leur contexte.
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Elles gênent, mes citations !
    M. René Dosière. Je note d'ailleurs avec satisfaction que vos amis ont changé d'avis, ce qui est un avantage de l'alternance, puisqu'ils portent aujourd'hui aux nues ce qu'ils condamnaient hier en des termes très sévères.
    Votre texte est porteur d'une autre régression en ce qu'il permet à nouveau de cumuler un mandat de député européen avec celui de président d'un conseil régional ou d'un conseil général, voire avec celui de maire d'une grande ville.
    M. Claude Goasguen. Ce n'est pas dans l'article 4 !
    M. René Dosière. Pour justifier le retour à une telle disposition, le rapporteur et le Gouvernement nous disent que la loi traite différemment les parlementaires européens, selon qu'ils sont députés ou sénateurs. Mais cela résulte tout simplement de fait que, pour faire voter un texte conforme aux deux assemblées, il a fallu tenir compte de l'opposition farouche du Sénat : d'où ce traitement différent.
    Vous nous dites : ce qui est possible pour les uns doit l'être pour les autres. Mais la possibilité de cumuler des mandats améliorera-t-elle la présence française au Parlement européen ? Permettra-t-elle au député européen de se consacrer pleinement à son mandat ? L'exercice d'un mandat européen ne constitue-t-il pas une activité à temps plein ?
    M. Christian Estrosi. Ce n'est pas l'objet de l'article 4 !
    M. René Dosière. En décidant cette règle du non-cumul, la France avait aligné le statut de ses députés européens sur celui des autres pays. Citez-moi les pays de l'Union européenne qui permettent le cumul ! Nos députés sont-ils à ce point dotés d'une constitution exceptionnelle qu'elle leur permet de se livrer à deux activités en même temps ?
    Ce que l'on peut reprocher aux textes actuels sur le non-cumul, ce n'est pas leur rigueur, mais plutôt leur insuffisance !
    Une telle disposition est d'autant plus incompréhensible que le Premier ministre, M. Raffarin, a imposé à ses ministres la doctrine Jospin, qui veut qu'il n'y ait pas de cumul entre les fonctions de ministre et des fonctions locales... sauf pour M. Falco, qui continue à être un ministre à temps partiel.
    M. Claude Goasguen. C'est un excellent maire !
    M. René Dosière. D'ailleurs, je n'aurais pas moi-même compris si je n'avais pas été un lecteur habituel du Monde. C'est en effet en lisant ce quotidien que j'ai compris pourquoi vous avez rétabli la possibilité de cumuler.
    M. Daniel Vaillant. Ça c'est intéressant !
    M. René Dosière. Dans Le Monde du 13 septembre 2002,...
    M. Claude Goasguen. C'est votre Journal officiel !
    M. René Dosière. ... je lis ceci : « La succession de Charles Pasqua à la tête du département des Hauts-de-Seine n'est peut-être pas pour demain. Démissionnaire de la présidence du conseil général, le 25 juillet, l'ancien ministre de l'intérieur avait choisi, pour se conformer à la loi sur le cumul des mandats, de ne conserver que son siège de député européen, tout en restant l'élu du canton de Neuilly-nord.
    Mais si l'annonce de cet abandon semblait augurer l'épilogue d'une riche carrière politique, un nouveau scénario s'est fait jour depuis lors : lorsque le conseil général devra désigner son nouveau président - après les trois élections cantonales partielles prévues d'ici la fin de l'année -, M. Pasqua n'exclut plus de se présenter à sa propre succession. Il pourrait le faire grâce à une réforme que l'actuel ministre de l'intérieur, Nicolas Sarkozy, a discrètement préparée, et qui reviendrait sur l'interdiction faite aux députés européens d'exercer la présidence d'un exécutif local. »
    Mme Martine David. Et voilà !
    M. René Dosière. Je poursuis : « M. Pasqua, qui occupe toujours le bureau présidentiel du conseil général durant l'intérim assuré par son vice-président, Jean-Paul Dova, raconte volontiers qu'au lendemain de sa démission il reçut un appel de M. Sarkozy, qui lui adressa un reproche plein de sollicitude. "Mais, Charles, pourquoi ne pas m'en avoir parlé plus tôt ?, aurait demandé le ministre à son aîné, je vous aurais dit que nous étions en train de changer la loi.... L'entourage de M. Sarkozy ne conteste pas l'échange et confirme que l'"harmonisation du régime des parlementaires européens sur celui du député [...] est à l'ordre du jour. »
    Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. C'est honteux, monsieur Dosière !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Quand on n'a pas beaucoup de talent...
    M. Eric Raoult. N'est pas Alain Decaux qui veut !
    M. René Dosière. Alors, à ce niveau, monsieur le ministre, ce n'est plus de la cuisine électorale, c'est de l'arrière-cuisine. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Ce n'est pas talentueux ! C'est minable ! Ce n'est pas grand ! C'est vraiment tout petit !
    M. Richard Mallié. Dans les Bouches-du-Rhône, nous n'avons pas de leçons à recevoir de la gauche, monsieur Dosière !
    M. Christian Estrosi. Quelle médiocrité, monsieur Dosière !
    M. René Dosière. Quand on est un député de base, on emploie des arguments de base !
    Depuis les élections du printemps dernier, il revient aux partis de gouvernement, ceux qui sont représentés dans cet hémicycle, de répondre aux attentes qui se sont exprimées plus ou moins explicitement. La droite a la responsabilité de conduire la politique de notre pays pendant cette législature. Pour cela, elle dispose, fait unique d'ailleurs dans notre histoire politique, de tous les pouvoirs, je dis bien de tous les pouvoirs : présidence de la République, Gouvernement, majorité à l'Assemblée nationale, majorité au Sénat, majorité au Conseil constitutionnel et au CSA...
    M. Francis Delattre. Comment ça, au Conseil constitutionnel ?
    M. Claude Goasguen. Le débat d'aujourd'hui est la preuve du contraire, monsieur Dosière !
    M. Richard Mallié. Nous ne sommes pas des adeptes de la flagellation, monsieur Dosière !
    M. René Dosière. ... je veux parler des nominations. Elle a même l'appui du patronat et des principaux médias.
    Autrement dit, aucune excuse ne pourra être invoquée pour justifier l'impossibilité de conduire telle ou telle réforme. Dès lors qu'elle dispose de tous les pouvoirs, pourquoi la droite se montre-t-elle si dominatrice et autoritaire ?
    Mme Nadine Morano. N'importe quoi !
    M. Richard Mallié. Provocateur !
    M. René Dosière. Quant à l'opposition, à commencer par le Parti socialiste, elle a le devoir de contrôler, de critiquer, de proposer, afin de défendre les intérêts de tous ceux et celles qui se reconnaissent dans les valeurs que nous promouvons. Il nous est même possible d'approuver éventuellement telle ou telle initiative gouvernementale. Ce n'est pas le cas du texte que vous nous proposez aujourd'hui.
    M. Richard Mallié. Les approbations sont rares !
    M. René Dosière. Mais aux uns comme aux autres, il nous revient, chacun à notre place et dans notre rôle, d'éradiquer les peurs qui traversent la société française et surtout de lui fournir des repères qui la rassurent quant à son avenir. Si nous oublions cette exigence commune, ce que dans une autre période de crise, Péguy appelait une « mystique républicaine », alors le risque est grand d'assister à un véritable bouleversement de notre société, et si le séisme du printemps devait se renouveler, il serait sans doute beaucoup plus ravageur.
    Le texte sur les modes de scrutin n'est pas à la hauteur de cette exigence. C'est pourquoi le groupe socialiste lui a manifesté son hostilité, qui ne peut que s'étendre à cette seconde délibération, qui n'est pas détachable de l'ensemble du texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. le président. J'aimerais préciser un point, monsieur Dosière. Je vous ai écouté, et je crois qu'il est difficile de dire, par simple respect des institutions de la République, qu'il y a, au sein du Conseil constitutionnel, une majorité et une opposition.
    Mme Martine David. Pourtant, c'est la réalité !
    M. le président. Le Conseil constitutionnel se situe en dehors de la politique, et je crois qu'il est nécessaire de le rappeler, dans un souci de respect de cette institution. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Bonne leçon !
    M. le président. Le Gouvernement souhaite-t-il intervenir sur l'exception d'irrecevabilité ?
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Ça n'en vaut pas la peine !
    Mme Martine David. Quel mépris pour les gens !
    M. le président. La commission souhaite-t-elle intervenir ?
    M. Jérôme Bignon, rapporteur. Non, monsieur le président.
    M. le président. Nous en venons donc aux explications de vote.
    La parole est à M. Michel Vaxès.
    M. Michel Vaxès. Monsieur le président, mesdames, messieurs, lors de la première lecture, le Gouvernement n'a pas osé affronter l'opinion publique en proposant le seuil de 10 % des inscrits. Le ballon d'essai devait être envoyé par sa majorité, ce que celle-ci a fait.
    Ainsi que l'a rappelé M. Ayrault, ni le ministre, ni, semble-t-il, sa majorité ne prennent aujourd'hui le risque, après la décision sur la forme du Conseil constitutionnel, de revenir à la charge en reproposant le seuil de 10 % des inscrits, auquel le Gouvernement s'était bien gardé de s'opposer en première lecture.
    Mesdames, messieurs de la majorité, vous manquez soit de cohérence, soit de courage. Je vous laisse le choix mais, quel que soit le cas...
    M. Claude Goasguen. Vous ne manquez pas de culot.
    M. Michel Vaxès. Nous sommes démocrates, vous le savez bien !
    M. le président. M. Goasguen s'exprimera dans quelques instants.
    M. Francis Delattre. Ils sont « démocrates » ? Ça vient de sortir !
    M. le président. Monsieur Delattre, vous n'avez pas la parole !
    M. Michel Vaxès. Je dirai que vous manquez soit de cohérence, soit de courage. Je vous laisse le choix mais, quel que soit le cas, nous avons notre opinion. Dans les deux cas, nous assimilerons votre attitude à une reculade peu glorieuse mais, hélas pour la démocratie et la République, à une reculade insuffisante. C'est pourquoi l'exception d'irrecevabilité défendue par notre collègue du groupe socialiste emporte notre adhésion.
    En effet, le Conseil constitutionnel ne s'est pas prononcé sur les atteintes aux principes de pluralisme, de liberté et d'égalité : il a simplement statué sur le vice de procédure au regard de l'article 39 de la Constitution, lequel dispose que les projets de loi doivent être « délibérés en conseil des ministres après avis du Conseil d'Etat ».
    L'article 4 qui fait l'objet d'une nouvelle délibération aurait pourtant mérité un examen au fond. Nul doute, en effet, qu'il bafoue les principes de pluralisme, de liberté et d'égalité posés par les articles 3 et 4 de la Constitution...
    M. Richard Mallié. N'importe quoi !
    M. Michel Vaxès. ... Et par les articles IV et VI de la Déclaration des droits de l'homme de 1789.
    L'article  qui nous revient aujourd'hui est sans doute le plus clairement anti-démocratique du projet de loi.
    M. Claude Goasguen. Ça alors !
    M. Michel Vaxès. Je vous donnerai quelques explications tout à l'heure.
    M. Francis Delattre. Pour l'instant, vos explications sont plutôt embarrassées et alambiquées !
    M. Michel Vaxès. Ce pourrait être là l'unique motif pour notre assemblée de voter l'exception d'irrecevabilité. C'est la raison pour laquelle, en ce qui nous concerne, nous la voterons. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à M. Claude Goasguen.
    M. Claude Goasguen. Monsieur le président, je serai assez rapide...
    M. François Liberti. Evidemment, vous n'avez rien à dire !
    M. Claude Goasguen. D'après l'article 91-4 de notre règlement, une exception d'irrecevabilité a pour objet « de faire reconnaître que le texte proposé est contraire à une ou plusieurs dispositions constitutionnelles ».
    Sur le principe, reconnaissez, monsieur Dosière, que votre utilisation du règlement est abusive...
    M. René Dosière. Pas vous, pas ça !
    M. Christophe Masse. Ridicule !
    M. Claude Goasguen. Soyez gentils : quand il s'agit de droit, ne parlez pas de ridicule car vous n'y connaissez rien ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Mme Martine David. Vous non plus ! Vous ne savez faire que du théâtre !
    M. Claude Goasguen. Monsieur Dosière, soyons sérieux : l'exception d'irrecevabilité qui a été défendue tout à l'heure n'a rien à voir avec une vraie exception d'irrecevabilité !
    M. Jean Roatta. Vous avez raison !
    Mme Martine David. Notre collègue fait ce qu'il veut !
    M. Claude Goasguen. D'ailleurs, vous n'avez absolument pas parlé de l'article 4, objet d'une nouvelle délibération, pour une raison très simple : l'article 4 qui nous est proposé, c'est le vôtre !
    MM. Richard Mallié et Jean Roatta. Eh oui !
    M. Claude Goasguen. Je me serais plutôt attendu à ce que l'exception d'irrecevabilité d'aujourd'hui soit la reprise in extenso de l'exception d'irrecevabilité qu'avait dû défendre l'un de mes collègues RPR à propos de la loi Jospin. Je m'étais dit que nous en aurions après tout une copie conforme. Cela m'aurait fait plaisir de vous entendre, monsieur Dosière reprendre les arguments de l'ancien parti d'opposition sur la loi Jospin. Mais non ! Et comme vous n'aviez rien à dire sur l'article 4,...
    Mme Martine David. Vous non plus !
    M. Claude Goasguen. ... vous en avez profité pour donner libre cours à vos élucubrations politiciennes.
    Je pensais plutôt que ce serait la majorité...
    M. Christophe Masse. On ne fait pas ce que vous voulez !
    M. Claude Goasguen. ... qui s'irriterait de la décision du Conseil constitutionnel.
    M. René Dosière. Eh bien ! Irritez-vous-en !
    M. Claude Goasguen. Mes chers amis, que n'auriez-vous pas dit si le Conseil constitionnel avait annulé une de vos dispositions, ce qu'il lui est arrivé de faire à quelques reprises ! Voulez-vous que je parcoure le sottisier des déclarations qu'ont faites les prédécesseurs de M. Raffarin à propos des décisions du Conseil qui n'allaient pas dans le sens du gouvernement de l'époque ? Oserai-je rappeler que M. Jospin, à deux mois des élections législatives, disait très simplement que le Conseil constitutionnel était un « organe politique » ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Mme Martine David. Attention ! Il s'énerve !
    M. Claude Goasguen. M. Montebourg n'a-t-il pas demandé, comme M. Hue, la suppression du Conseil constitutionnel parce qu'une des dispositions qu'ils avaient votées n'avait pas plu à ce dernier ?
    M. Richard Mallié. Là, on ne les entend plus !
    M. Claude Goasguen. Je vous en prie, quand vous parlez du respect de la légalité, soyez prudents !
    M. François Liberti. C'est une explication de vote, ça ?
    M. Claude Goasguen. Nous n'avons pas de leçon à recevoir de vous.
    Mme Martine David. Ni nous de vous !
    M. Claude Goasguen. Vous avez constamment bafoué le Conseil constitutionnel. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Après le numéro de M. Dosière, même si certains d'entre nous avaient eu quelque réticence à suivre le Gouvernement (« Ah ? » sur les bancs du groupe socialiste),...
    M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Quel aveu !
    M. René Dosière. Remerciez-moi !
    M. Claude Goasguen. ... c'est sans ambiguïté que nous disons que dura lex sed lex et que nous suivrons le Gouvernement...
    M. Michel Vaxès. Comme toujours !
    M. Claude Goasguen. ... en votant, monsieur Dosière, contre votre pseudo-exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Mme Martine David. De toute façon, vous n'avez pas le choix !
    M. le président. Je mets aux voix l'exception d'irrecevabilité.
    (L'exception d'irrecevabilité n'est pas adoptée.)

Discussion générale

    M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. François Liberti.
    M. Francis Delattre. Encore une nouveau démocrate !
    M. le président. Monsieur Delattre, ce genre de remarque est inutile.
    M. François Liberti. Je suis démocrate depuis longtemps !
    M. le président. Je viens de répondre à M. Delattre, monsieur Liberti !
    M. François Liberti. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici à nouveau réunis à propos du texte relatif aux modes de scrutin des élections régionales et européennes, à la suite de la censure, par le Conseil constitutionnel, de son article 4.
    Le Premier ministre n'avait pas hésité à modifier l'article 4, après le passage du projet en Conseil d'Etat, en relevant le seuil permettant à une liste de se maintenir au second tour des élections régionales de 10 % des suffrages exprimés à 10 % des inscrits.
    Cette modification était intervenue sur les judicieux conseils de M. Juppé, qui avait parié sur la bipolarisation de notre vie politique, en commençant par l'installer dans les régions, et qui avait alors obligé le Premier ministre à durcir son texte au dernier moment.
    L'Etat UMP était alors en marche. Les parlementaires que nous sommes et qui demandaient un débat démocratique sur un texte attentatoire au pluralisme ont été tout simplement muselés, contraints de se taire au profit de la seule volonté gouvernementale.
    En effet, le Premier ministre n'avait, à l'entendre, pas d'autre possibilité que celle de recourir à l'article 49-3 de la Constitution pour ne pas paralyser son ministre de l'intérieur pendant les cent soixante-dix jours qu'aurait, paraît-il, duré le débat si tous les amendements déposés avaient été examinés.
    Mais nous avons remarqué que, lors de la discussion au Sénat, M. le ministre de l'intérieur n'a pas semblé très préoccupé d'être absent quasiment tout au long de l'examen du texte, différents autres ministres se succédant à la tribune.
    Le projet de loi fut néanmoins voté par la majorité, mais la censure du Conseil constitutionnel sonne comme un désaveu flagrant de ce coup d'Etat électoral du Premier ministre qui, préférant aller dans le sens des intérêts partisans et politiciens du président de l'UMP avait modifié à la dernière minute le texte présenté aux députés.
    M. Eric Raoult. Voilà qui est excessif !
    Mme Christine Boutin. C'est le moins que l'on puisse dire !
    M. François Liberti. Non, ce n'est pas excessif du tout !
    Mme Christine Boutin. Ah que si !
    M. François Liberti. En effet, le Conseil constitutionnel a censuré un vice de forme, considérant qu'« en substituant, pour l'accès au second tour des élections régionales, un seuil égal à 10 % du nombre des électeurs inscrits au seuil de 10 % du total des suffrages exprimés retenu par le projet de loi soumis au Conseil d'Etat, le Gouvernement a modifié la nature de la question posée au Conseil d'Etat ».
    La procédure étant donc déclarée irrégulière, le Conseil constitutionnel censura le seuil de 10 % des inscrits permettant à une liste de se maintenir au second tour. Toutefois, s'il ne s'est pas prononcé sur le fond, le Conseil a néanmoins rappelé que « s'il est loisible au législateur, lorsqu'il fixe les règles électorales relatives aux conseils régionaux, d'introduire des mesures tendant à inciter au regroupement des listes en présence, en vue notamment de favoriser la constitution d'une majorité stable et cohérente, il ne peut le faire qu'en respectant le pluralisme des courants d'idées et d'opinions, lequel est un des fondements de la démocratie ».
    Le Conseil constitutionnel a cependant reconnu que le seuil des 5 % de suffrages exprimés au premier tour pour avoir la possibilité de fusionner avec une autre liste au second tour ne porte pas atteinte par lui-même au pluralisme, ce que nous continuons de contester puisque nous avons déposé un amendement tendant à revenir aux seuils instaurés par la loi de 1999.
    Il n'en reste pas moins que le vice de forme de l'article 4 l'a empêché de se prononcer au fond sur le seuil des 10 % des inscrits en ce qu'il porte atteinte au pluralisme, et que la réserve qu'il émet ensuite peut être considérée comme une recommandation de prudence à l'égard d'une telle atteinte.
    Ce sera donc à nous, parlementaires, de veiller à ce que le pluralisme politique puisse s'exercer le plus librement et le plus démocratiquement possible.
    Désormais, les choses ont au moins le mérite d'être claires : le Gouvernement souhaite aller toujours plus vite pour réformer le mode de scrutin régional.
    Mais, de toute façon, sa réforme sera applicable, en dépit de son empressement à imposer un texte passé en force ici même, dans l'année qui précédera les prochaines échéances électorales de mars 2004, ce qui constituera une transgression contestable de la tradition selon laquelle les modes de scrutin ne peuvent être modifié moins d'un an avant que celles-ci n'aient lieu.
    Le Premier ministre en appelle donc au Président de la République afin de proposer, ou plutôt d'imposer une nouvelle délibération de l'article 4. Cette procédure a été préférée au dépôt d'un nouveau projet de loi par le Gouvernement, qui aurait, entre parenthèses, permis qu'un vrai débat ait lieu. C'est ainsi que, toujours dans un souci de rapidité antidémocratique, le Président de la République intervient dans l'ordre du jour parlementaire en demandant cette nouvelle délibération à la suite de la censure du Conseil constitutionnel.
    Le Parlement se voit donc encore un peu plus réduit au simple rôle de marionnette manipulée par l'exécutif.
    M. Eric Raoult. Oh !
    M. François Liberti. Au moment où le Gouvernement souhaite que nous examinions un projet de loi d'habilitation sans précédent, dont le champ d'application, aussi large que diversifié, nous dessaisirait de notre pouvoir législatif, c'est le Président de la République qui modifie l'ordre du jour des deux assemblées en recourant à l'article 10, alinéa 2, de la Constitution. Cet article n'a pourtant été invoqué que deux fois au cours de la Ve République, une fois en 1983 et une autre en 1985.
    Cette procédure est en l'occurrence d'autant plus contestable que l'article 10 de la Constitution précise que la nouvelle délibération ne peut être refusée. Les parlementaires que nous sommes sont donc une nouvelle fois contraints de se plier aux volontés de l'exécutif. Celui-ci souhaite décidément faire passer cette réforme au forceps, que ce soit en recourant à l'article 49-3 ou, comme cette fois, à l'article 10 de la Constitution, et ce, bien évidemment, au détriment du débat démoratique.
    Voilà, monsieur le ministre, qui préfigure bien l'image que vous entendez donner de plus en plus à notre vie politique !
    Comme je le disais, l'Etat UMP est en marche. Nous le constatons un peu plus chaque jour. (Exclamations sur les bancs du du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Et bien souvent, hélas, les parlementaires appartenant à cette formation politique reçoivent de leur président la consigne de voter conformes les textes du Gouvernement, ce que nous pourrons vérifier dans quelques instants.
    Mme Christine Boutin. Nous sommes libres ! Il n'y a pas de mandat impératif !
    M. Serge Poignant. Ils sont rigolos, ces gens-là !
    M. François Liberti. Les débats parlementaires en sont réduits à ne refléter que la position de l'opposition. Mais la démocratie s'exerce pourtant pleinement grâce à l'expression de toutes les formations politiques, de tous les représentants des citoyens. L'atteinte au pluralisme politique, instaurée par votre loi du fait du relèvement du seuil permettant à une liste de se maintenir au second tour des élections régionales, est bien la preuve du peu de considération que vous portez aux petites formations politiques. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Elle est également la preuve du peu de considération que vous avez à l'égard de nos concitoyens, qui ne se retrouvent pas forcément dans les deux grands partis que sont l'UMP et le Parti socialiste.
    Faut-il vous rappeler que M. Chirac n'a obtenu qu'un peu plus de 19 % des suffrages exprimés au premier tour de l'élection présidentielle de l'année dernière ?
    M. Eric Raoult. Vous avez voté pour lui !
    M. François Liberti. La vie politique française ne se résume heureusement pas à deux partis. Vous souhaiteriez pourtant instaurer une telle situation par la force et sans attendre l'application de la loi du 19 janvier 1999, qui modifiait déjà le mode d'élection des conseillers régionaux. En prévoyant une prime majoritaire de 25 % des sièges pour la liste arrivée en tête, cette loi favorisait déjà la mise en place d'exécutifs stables à la tête des régions. Alors, pourquoi en pas avoir attendu qu'elle soit appliquée ?
    Votre soif du pouvoir vous a poussés à produire un texte d'une rare complexité - mais le Conseil constitutionnel n'a pas censuré certaines dispositions pour cette raison - et entaché d'un vice de forme.
    Il n'en reste pas moins que votre texte demeure et demeurera incompréhensible pour nos électeurs en raison de la création de sections départementales. Ceux-ci auront toutes les peines du monde à mesurer la portée de leur vote, le candidat placé en tête de liste, qu'ils auront choisi, pouvant ne pas figurer en rang utile pour être élu conseiller régional.
    Mais puisque vous avez décidé de clore l'affaire au plus vite, vous n'avez pas souhaité recommencer tout le parcours législatif qu'aurait exigé le dépôt d'un nouveau projet de loi, ce qui n'améliorera pas la compréhension qu'auront nos concitoyens de ce texte.
    Sous le prétexte que le Parlement a un ordre du jour très chargé, vous usez de toutes les procédures constitutionnelles vous permettant d'abréger les débats parlementaires.
    Mais cet ordre du jour, qui en est le maître ? Comment affirmer qu'il sera trop chargé alors que vous prévoyez un dessaisissement considérable du Parlement dans moins de quelques heures ?
    Vos pratiques sont décidément déplorables tant à l'égard du Parlement qu'à l'égard de nos concitoyens, ce qui est plus grave encore.
    Le fait d'avoir voulu instaurer un seuil suffisamment élevé pour asseoir votre position de grand parti de droite et du centre vous a conduits à vouloir instaurer un bipartisme à la française, qui ne correspond pourtant pas à la réalité politique de notre pays et qui porte atteinte au pluralisme, ce qui ne rapprochera certainement pas les citoyens de leurs élus et de la vie politique.
    C'est pourquoi nous voterons résolument contre cette nouvelle rédaction de l'article 4 de la loi relative aux modes d'élection des conseillers régionaux et des représentants au Parlement européen. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains. M. Christophe Masse applaudit également.)
    M. le président. La parole est à M. Claude Goasguen.
    M. Claude Goasguen. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le problème que nous abordons aujourd'hui n'est pas de pure forme. En effet, il n'est pas question pour nous, et le Gouvernement l'a, à juste titre, affirmé avec force, de remettre en cause la décision du Conseil constitutionnel.
    Je voudrais le souligner car, depuis quelques mois, de nombreuses voix se sont élevées pour prétendre que la concentration des pouvoirs au sein d'une même formation politique provoquerait la paralysie et la domination exclusive de la vie politique française par l'exécutif.
    Quel contre-exemple nous administre aujourd'hui le Conseil constitutionnel car, en prenant une décision qui va à l'encontre de la position gouvernementale, celui-ci affirme son autonomie institutionnelle et politique !
    Rappelons à quel point, pendant cinq ans, le Conseil, dont la dominante politique n'était alors pas la même qu'aujourd'hui, ce qui aurait pu lui valoir les mêmes critiques, a été attaqué par les pourfendeurs actuels du Gouvernement. N'oublions jamais que le précédent Premier ministre demandait explicitement que le Conseil constitutionnel soit encadré ni que le leader du parti communiste en demandait carrément la suppression.
    C'est pourquoi je ne crois pas inutile de réaffirmer aujourd'hui la souveraineté et l'indépendance du Conseil constitutionnel au sein de nos institutions.
    M. Dominique Dord. Vous avez raison !
    M. Claude Goasguen. Ensuite, cette loi qui, je l'espère, va être adoptée, aura des conséquences positives que je tiens à souligner tant le débat est obscurci par des considérations politiciennes.
    D'abord, elle permettra incontestablement d'assurer la stabilité de l'exécutif régional et de renforcer l'identité de la région grâce aux sections départementales. Ce n'est pas rien, dans un pays qui a tant de mal à trouver la voie décentralisatrice, que de créer des structures qui permettront à la future loi de décentralisation d'être appliquée dans les meilleures conditions.
    Ensuite, les élections européennes étaient auparavant l'occasion de prises de position politique qui n'avaient en réalité rien à voir avec l'Europe. Il s'agissait d'élections intermédiaires à but strictement politicien où l'on voyait des moralistes voisiner avec des personnes appelées à fréquenter les tribunaux. Je pense à certains députés qui étaient sur la liste Tapie et qui sont aujourd'hui les plus grands moralisateurs de l'Assemblée nationale.
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Très bien !
    M. Claude Goasguen. Je pense au maire de Bègles, qui n'arrête pas de nous dire qu'il faut moraliser le scrutin et qui figurait sur la même liste que quelqu'un dont le devenir politique n'était pas indépendant du bon devenir judiciaire.
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Très bien !
    M. Claude Goasguen. Ces gens-là devraient savoir que les élections européennes doivent avant tout valoriser une institution importante, l'Europe, qui est importante pour nous, et j'espère que, du fait de la structure régionale, le débat portera désormais strictement sur l'avenir de l'Europe. Il n'est pas sans intérêt de le souligner dans ce moment difficile de notre histoire. C'est le deuxième point positif.
    Troisième point positif : la parité, qui n'a très longtemps été qu'une invocation et a été instaurée par une loi que nous avons votée bien qu'étant hostiles à la politique menée par le gouvernement de l'époque - nous avions fait cette exception -, va devenir une réalité au sein des conseils régionaux.
    Cette loi répond en fait à un véritable défi démocratique auquel nous n'avons peut-être pas suffisamment réfléchi. L'article 4 initial prenait acte de la situation aveuglante à laquelle nous avons été confrontés le 21 avril, lorsque certains de nos concitoyens, suivant des démagogues de droite ou de gauche, ont voté « contre ». C'est la spécificité française que constitue le vote contre, qui explique la démarche du Gouvernement : nous sommes le seul pays européen à disposer d'un électorat tribunitien, à droite comme à gauche. On parle souvent de l'électorat tribunitien de droite, mais pas assez de celui de gauche, qui est pourtant en pleine émergence. D'ailleurs, si nous avons assumé les difficultés nées de la présence d'un électorat tribunitien à droite, quitte à aller à l'encontre des lois électorales les plus élémentaires, les moralistes de l'actuelle opposition seraient bien inspirés de regarder sur leur gauche pour assurer, eux aussi, une certaine dignité à leurs comportements électoraux. Ils n'ont aucune leçon à nous donner quand ils s'acoquinent avec M. Besancenot, Mme Laguiller et autres révolutionnaires comme M. Bové, qui n'ont d'autre intention que de mettre à bas notre système politique !
    M. François Liberti. Parlez-nous du Front national !
    M. Claude Goasguen. Par conséquent, gardez vos accusations morales pour vous-mêmes ! Le Parti communiste pleure après cet électorat perdu.
    Cela étant, le problème, c'est que l'objectif des élections européennes et régionales en France est dénaturé par leur caractère intermédiaire. En fait, elles sont l'occasion, pour l'électorat, de sanctionner la politique du Gouvernement.

    Le Gouvernement a apporté à cette grave situation politique un embryon de réponse qui a été refusé par le Conseil constitutionnel. J'admets la décision du Conseil constitutionnel, mais la disposition sanctionnée aurait permis à nos concitoyens de voter non plus contre ou pour un gouvernement, mais pour une gestion régionale, en faisant sortir du jeu politique certains électeurs tribunitiens dont le vote était purement négatif et ne visait pas à soutenir un mode de gestion plutôt qu'un autre. Cette solution a été abandonnée et il ne faut pas la regretter, mais toutes les formations politiques, de droite comme de gauche, doivent maintenant relever le défi démocratique lancé par le nouvel article 4 et qui consiste à mettre un terme au comportement consistant à se contenter de dénoncer. Le 21 avril, nous avons combattu l'addition des « non » et la droite continuera, bien évidemment, à condamner toute collusion avec ceux qui profiteraient, par démagogie, des élections régionales ou européennes pour imposer des idées contraires à la République. Je souhaite que la gauche en fasse autant !
    En même temps, nous ne pouvons pas nous satisfaire de voir autant de Français manifester, à l'occasion de ces élections, qu'il ne croient plus en la République, qu'ils n'ont plus confiance en l'Etat de droit. C'est, pour le Gouvernement, une incitation à aller plus vite et plus loin, et je tiens à dire au ministre de l'intérieur, qui a engagé cette politique, que si nous parvenons un jour, dans l'intérêt de la République, à réduire cet électorat tribunitien que la gauche, si morale, a fait émerger en 1986, c'est que nous aurons réglé les problèmes politiques réels et graves, de l'insécurité, de l'immigration et du décalage qui s'instaure désormais entre la ville et les campagnes. La démocratie nous commande en effet de reprendre à notre compte certaines des inquiétudes de cet électorat, qui n'a rien à voir avec les anti-républicains démagogues, et la volonté de comprendre ses interpellations pour leur apporter des réponses républicaines, comme c'est le cas avec cet article 4. Celui-ci changera véritablement la nature des élections intermédiaires qui, souvent, dénaturent le paysage politique français. Nous pouvons dès lors espérer que les partis politiques se préoccuperont enfin de l'Europe lors des élections européennes et de la gestion des régions lors des élections régionales !
    Les députés du groupe UMP voteront l'article 4 sans ambiguïté, sans regret et sans condamner le Conseil constitutionnel, car la loi républicaine, si dure soit-elle, est la loi : dura lex sed lex ! Nous voterons cet article sans ambiguïté en sachant que nous avons un défi à relever : donner des réponses à ceux qui n'ont plus confiance en l'Etat de droit, en la République. Il faut condamner les démagogues, mais nous réconcilier avec ceux qui sont désormais les exclus de notre République. Je souhaite que le ministre de l'intérieur et le Premier ministre entendent ce message du groupe UMP. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à M. René Dosière.
    M. René Dosière. Soyez rassuré, monsieur le président, je serai nécessairement bref pour ne pas répéter ce que j'ai dit tout à l'heure !
    M. Nicolas Perruchot. C'est une bonne nouvelle !
    M. le président. Nous en jugerons à la fin, monsieur Dosière !
    M. René Dosière. Vous avez raison d'être prudent. (Sourires.)
    Si cette nouvelle délibération est exceptionnelle, elle n'en est pas moins parfaitement constitutionnelle. Je tiens à le souligner d'emblée tout simplement parce que lorsque l'article 10, alinéa 2, de la Constitution a été appliqué pour la première fois suite à une censure du Conseil constitutionnel, l'opposition d'alors avait parlé de détournement de procédure. Fort heureusement, le Conseil constitutionnel en avait alors donné une interprétation qui s'impose bien évidemment. C'est la raison pour laquelle je ne conteste absolument pas le recours à ce procédé. Vous le voyez, monsieur Goasguen, les professeurs de droit peuvent se tromper !
    M. Claude Goasguen. Les vôtres se trompent !
    M. René Dosière. Je parle de la décision du Conseil constitutionnel du 23 août 1985 sur la Nouvelle-Calédonie.
    M. Claude Goasguen. Vous savez très bien que c'était un détournement de procédure !
    M. René Dosière. Je regrette simplement que cette nouvelle délibération ne porte que sur l'article 4, car d'autres dispositions auraient parfaitement pu en faire l'objet. Je pense en particulier à l'article 9.
    M. Claude Goasguen. Oui, mais ce n'est pas le cas !
    M. René Dosière. Quoi qu'il en soit, cet article 4 ne peut être détaché de l'ensemble du texte, auquel a d'ailleurs été appliqué l'article 49-3 de la Constitution. Le vote du groupe socialiste traduira donc sa position sur l'ensemble du texte et sur la procédure utilisée. Nous pensons en effet qu'il faut renoncer à utiliser l'article 49-3, auquel n'a d'ailleurs jamais recouru le dernier gouvernement socialiste, malgré des problèmes de majorité autrement plus compliqués qu'aujourd'hui.
    Quoi qu'il en soit, le groupe socialiste se réjouit du résultat du combat qu'il a mené. Il n'a pas été le seul d'ailleurs, puisque presque tous les autres groupes politiques et certains non-inscrits se sont joints à lui. Cela dit, force est de constater que sans les troupes du parti socialiste, les opposants au texte n'auraient pas été en nombre suffisant pour saisir le Conseil constitutionnel.
    Sur le fond, ce texte ne permet pas l'apparition d'une véritable région et c'est une déception. Même si la prime majoritaire, introduite en 1999, est de nature à garantir une majorité, ce qui est une très bonne chose, la région sera maintenue dans son statut actuel qui en fait une addition de départements. Je ne suis pas sûr que la campagne électorale régionale permettra de faire apparaître un vrai projet régional. Cela ne sera encore que l'addition de projets régionaux.
    J'ai fait un rêve, monsieur le ministre. Si l'on avait conservé le mode de scrutin de 1999, quitte à en modifier certaines dispositions, quelle allure aurait eu en Ile-de-France, par exemple, une campagne menée par une vraie tête de liste régionale avec une liste régionale et un projet régional ? On voit tout de suite comment la campagne aurait été menée et quel aurait été le président - je ne citerai pas de nom. Il n'aurait été que président de l'Ile-de-France, mais, enfin, c'est déjà pas mal ! Avec votre texte, celui qui conduira la liste en Ile-de-France sera entouré de sept autres têtes de liste, comme au Politburo ! (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Cela n'aura pas le même effet. En outre, le projet régional ne sera que l'addition de projets départementaux et de la défense d'intérêts départementaux.
    Sans vouloir polémiquer, je pense qu'il y a là une occasion ratée. Sans doute fallait-il améliorer le texte de 1999, mais là, nous assistons à un recul. Nous aurions pu, par exemple, procéder à la séparation du pouvoir délibératif et du pouvoir exécutif, ou préciser le statut des présidents de région élus dans un cadre régional, ce qui pose certains problèmes. En 1985, le ministre de l'intérieur de l'époque, Pierre Joxe, s'était d'ailleurs montré hostile à l'élection dans un cadre régional. Il fallait donc sans doute préciser les choses, mais il aurait fallu mieux définir les pouvoirs, les compétences, les moyens de vraies régions capables de dialoguer à égalité avec leurs homologues d'Europe. Nous aurions alors été au coeur du processus de décentralisation, alors que nous n'aurons encore qu'une mini-région et c'est regrettable.
    Ensuite, le nouveau mode de scrutin européen n'est pas de nature à conforter l'idée européenne. M. Goasguen pense le contraire.

    Nous verrons comment les choses se passeront aux prochaines élections européennes, mais les nouvelles circonscriptions ne me paraissent pas présenter plus d'avantages ou moins d'inconvénients qu'une seule circonscription nationale. En outre, la circonscription nationale permettait à nos compatriotes français de l'étranger de voter. Alors que l'Europe a besoin aujourd'hui de l'adhésion d'un nombre croissant de citoyens, on réduit le nombre de ceux qui peuvent voter !
    Enfin - je n'insisterai pas sur ce point, car j'ai eu l'occasion de le développer tout à l'heure -, ce texte marque un recul en matière de cumul des mandats. La démocratie impose, au contraire, que l'on se dirige de plus en plus vers une séparation entre mandat parlementaire et mandats locaux, voire vers le mandat unique.
    M. Patrick Lemasle. Très bien !
    M. René Dosière. De ce point de vue, les citoyens attendent de nous certains gestes. Sans doute faut-il y aller progressivement, mais nous donnons là un très mauvais signe. En outre, les raisons qui justifient ce recul en matière de cumul des mandats traduisent des préoccupations qui n'ont rien à voir avec l'intérêt général.
    Telles sont les raisons pour lesquelles le groupe socialiste votera contre ces dispositions. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. Vous n'avez en effet pas utilisé tout votre temps de parole, monsieur Dosière, et je vous en remercie.
    La parole est à M. Nicolas Perruchot qui, je l'espère, sera aussi synthétique que M. Dosière.
    M. Nicolas Perruchot. S'il est loisible au législateur, lorsqu'il fixe les règles électorales relatives aux conseils régionaux, d'introduire des mesures tendant à favoriser la constitution d'une majorité stable et cohérente, il ne peut le faire qu'en respectant le pluralisme des courants d'idées et d'opinions, lequel est l'un des fondements de la démocratie.
    Plusieurs députés du groupe Union pour la démocratie française. Très bien !
    M. Nicolas Perruchot. Voilà, en substance, l'essentiel de la décision du Conseil constitutionnel sur la loi relative à l'élection des conseillers régionaux et des représentants au Parlement européen. Monsieur le ministre, la censure n'a pas porté uniquement sur la forme, sur le non-respect de l'article 39 de la Constitution. Plus que la forme, le Conseil constitutionnel a censuré le fond. (« Bien sûr ! » sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. René Dosière. Absolument !
    M. Nicolas Perruchot. La loi peut, certes, favoriser la formation de majorités par le regroupement des partis politiques, mais elle ne saurait nier le pluralisme, car les sages savent bien qu'il n'y a pas de démocratie réelle sans liberté de choix. La négation du pluralisme ne correspond pas à la diversité qui fait la richesse de la France.
    La France n'a jamais été un pays de bipartisme. Il est dans sa nature de se plaire dans la diversité, diversité que même la société industrielle n'a pu anéantir.
    Jamais les candidats issus des grands partis politiques n'ont rassemblé aussi peu de suffrages. Alors que les partis dominant la vie politique française représentaient 85 % des voix dans les années 70, ils n'en représentent aujourd'hui qu'une bonne moitié. Considérer que c'est la multiplicité des candidatures qui en est la cause est une inversion de la logique : c'est parce que l'offre politique ne convient pas aux Français et que leur ressentiment à l'égard de la classe politique est profond que les candidatures se multiplient. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.) De cinq candidats à l'élection présidentielle à la fin des années 60, d'une toute petite dizaine à la fin des années 80, on est passé à seize candidats à la dernière élection présidentielle. Contrairement à l'analyse de M. Jospin, ce n'est pas parce qu'il y a beaucoup de candidats que les partis dominants font moins de voix : c'est parce que l'offre dominante est apparue - à tort ou à raison - incapable de répondre à la demande politique.
    M. Jean-Christophe Lagarde. Exactement.
    M. Patrick Lemasle. C'est un peu simpliste !
    M. Nicolas Perruchot. Nous avons entendu ces derniers jours que cette nouvelle délibération allait faire le jeu du Front national. Il serait vain de croire que la méthode pour combattre le Front national consisterait à modifier le mode de scrutin. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.) Ce serait oublier une fois de plus le message du premier tour de la présidentielle. Comment imaginer que le meilleur moyen de lutter contre les ennemis de la démocratie est de les empêcher d'accéder à la démocratie elle-même ? Peut-on nier la vérité des urnes en ne les ouvrant que partiellement ?
    M. Maurice Leroy. Et toc !
    M. Nicolas Perruchot. Quel démocrate peut penser que le meilleur moyen d'empêcher l'expression d'une partie des Français est de leur interdire d'avoir des représentants ? Si l'on considère que l'extrême droite doit être combattue par tous les moyens, il faudrait d'abord s'interdire d'accepter, au sein des groupes parlementaires, des présidents de région qui ont été élus grâce aux voix du Front national. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe socialiste.)
    Il vaudrait mieux que l'extrême droite soit présente dans tous les hémicycles, y compris celui-ci, afin que les Français puissent juger, à travers chaque vote, chaque délibération, chaque expression, le projet politique qu'elle compte mener. Ces propos sont aussi valables, d'ailleurs, pour l'extrême gauche.
    M. René Dosière. Tout à fait !
    M. Maurice Leroy. Un partout !
    M. Nicolas Perruchot. Mes chers collègues, on ne fera reculer le vote extrême qu'en menant les réformes courageuses que le pays attend et en ayant confiance dans une politique ambitieuse et réformatrice.
    M. Jean-Christophe Lagarde. Excellent !
    M. Maurice Leroy. Très bien !
    M. Nicolas Perruchot. Sinon, aucun seuil ni aucune loi électorale n'empêcheront les Français d'exprimer leur exaspération et leur mécontentement.
    En conclusion, monsieur le ministre, je ne résiste pas à l'idée de vous citer - peut-il y avoir meilleure source : « Je n'ai jamais pensé qu'on gagnait une élection par un mode de scrutin. La question du Front national interpelle tous les républicains. Elle ne se règle pas par un niveau de participation à 10 % des inscrits, elle se règle par un nouveau comportement de la classe politique, elle se règle par l'action. »
    Monsieur le ministre, le groupe UDF votera l'article 4 ainsi modifié. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Jean-Christophe Lagarde. Synthétique et brillant !
    M. le président. La parole est à M. Christian Estrosi.
    M. Christian Estrosi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la réforme des modes de scrutin revient ce soir devant nous.
    M. René Dosière. Eh oui !
    M. Christian Estrosi. Ce n'est pour la majorité ni une offense ni une humiliation,...
    M. Patrick Lemasle et M. René Dosière. Si !
    M. Christian Estrosi. ... sauf si l'on considère que le contrôle du juge constitutionnel, dans notre République, s'assimile à une décision politique. Ce serait faire injure au Conseil constitutionnel que d'interpréter sa décision dans un sens aussi caricatural !
    Contrairement à l'opposition si souvent censurée par le passé, nous, nous respectons le juge constitutionnel parce qu'il constitue un des piliers de notre démocratie. Notre rôle n'est pas ici de juger le juge. Nous prenons acte de sa décision. Nous le faisons dans la sérénité, bien loin des outrances, des polémiques et des anathèmes.
    Le Conseil constitutionnel a censuré une disposition non fondamentale d'un projet de loi fondamental.
    M. Jean-Christophe Lagarde. C'était la seule contestable !
    M. Christian Estrosi. Il a validé par ailleurs toute l'économie générale du texte. Une seule disposition est concernée. Cette disposition ne méritait pas autant d'honneur ou autant d'indignité. Elle fut le prétexte à tous les faux-semblants et à tous les discours de dupes.
    M. Jean-Christophe Lagarde. Ça, on l'a entendu !
    M. Christian Estrosi. Nous ne souhaitons pas poursuivre un débat volontairement biaisé. Cette volonté d'apaisement honore le Gouvernement, le Premier ministre et le ministre de l'intérieur. Car ce débat, mes chers collègues, méritait hauteur, sérénité, et non d'être pollué par d'autres considérations.
    Après une longue phase de concertation avec l'ensemble des formations politiques, le Gouvernement a souhaité assurer un meilleur fonctionnement à notre démocratie. Cet objectif devrait tous nous rassembler.
    Ce texte reposait - et repose toujours - sur quelques principes clairs. La démocratie n'est forte que si elle permet de dégager des majorités stables, incontestées et légitimes ; la démocratie n'est forte que si un lien direct s'installe dans des circonscriptions clairement définies entre le mandant et son représentant ; la démocratie n'est forte que si elle invite la grande majorité de ses citoyens à participer activement aux processus électoraux.
    Or, depuis quelques années, notamment du fait d'un mode de scrutin inadapté pour les élections régionales et pour les élections européennes, nous nous étions sensiblement écartés de ces grands principes républicains. Cette rupture a profondément affecté notre vie politique. L'abstention, la confusion, voire la compromission se sont substituées à la participation, à la transparence, à la liberté de choix. Qui peut dire aujourd'hui, sans se compromettre durablement, qu'il souhaite que se réitère en mars 2004 le spectacle que nous avons connu dans les régions en mars 1998 ?
    M. Jean-Pierre Blazy. Vous voulez parler de M. Soisson ?
    M. Christian Estrosi. Personne sauf peut-être ceux qui ont fait depuis 1981 commerce de l'exploitation du Front national à des fins électorales...
    Nous le savons bien : le Front national est l'enfant illégitime de la gauche. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) C'est sa créature avec laquelle elle tente de jouer une nouvelle fois. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.) Cette créature vous a pourtant déjà brûlé les doigts, au printemps dernier ! Mesdames et messieurs de l'opposition, rien ne se gagne jamais dans la combinaison politicienne.
    M. Jean-Pierre Blazy. M. Soisson s'en va...
    M. Christian Estrosi. Rappelez-vous l'épisode de l'inversion du calendrier électoral, qui vous a conduit là où on sait.
    Voilà pourquoi je vous invite, ce soir, mesdames et messieurs de l'opposition, à un peu de réserve, à un peu de pudeur et surtout à un peu de mémoire.
    M. Jean-Pierre Blazy. C'est dur de devoir dire aujourd'hui le contraire de ce qu'on disait voici quelques semaines !
    M. Christian Estrosi. Vous ne pouvez pas dire n'importe quoi, même si vous souhaitez faire n'importe quoi. Pour nous, le débat reste le même, que ce soit avec 10 % des inscrits ou 10 % des exprimés. Les objectifs de la loi voulue par le Premier ministre demeurent. Cette réforme est une bonne réforme. Car elle remplira son oeuvre au service d'un meilleur fonctionnement de nos institutions.
    M. Jean-Pierre Blazy. C'est le contraire de ce que nous avons entendu l'autre jour !
    M. Christian Estrosi. Cette loi est juste car elle accompagne la deuxième étape de la décentralisation ; elle est moderne car elle participe au rapprochement entre les citoyens et l'institution européenne. Bien sûr, aucun système électoral ne peut prétendre à la perfection. Celui qui nous est proposé a au moins le mérite de combler des lacunes incontestables.
    Et puis allez, je souhaite ce soir vous donner rendez-vous sur le terrain. Nous, nous n'avons jamais gagné sur le tapis vert. Nous n'avons jamais sombré dans les combinaisons de couloirs, dans les alliances contre-nature. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. Patrick Braouezec. Oh non !
    M. Christian Estrosi. Vous rêvez, mesdames et messieurs de l'opposition, d'un Front national dépassant les 10 % des suffrages exprimés dans toutes les régions.
    M. Jean-Pierre Blazy. C'est un comble !
    M. Christian Estrosi. Je suis sûr que, lors des régionales et des européennes qui s'annoncent, une nouvelle fois nous contrarierons vos desseins obscurs.
    M. Jean-Pierre Blazy. Toujours aussi modéré !
    M. Christian Estrosi. Nous le ferons parce que depuis le printemps dernier nous abordons sans tabou mais aussi sans excès les vrais problèmes des Français, que ce soit en matière de sécurité ou en matière d'immigration. Mais là n'est pas l'essentiel. Avec ce texte, quoi qu'il advienne, au mois de mars prochain, les régions seront gouvernées, que ce soit par la droite ou par la gauche,...
    M. Jean-Pierre Blazy. Ah !
    M. Christian Estrosi. ... et avec des majorités claires et stables. Seuls les Français au final seront juges et désigneront ceux qui leur paraissent les plus à même de répondre à leurs aspirations profondes. C'est la seule chose qui vaille.
    Vous nous avez lancé un défi. Une nouvelle fois, c'est sans crainte et en toute confiance que nous le relèverons. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur plusieurs bancs du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à Mme Martine Billard.
    Mme Martine Billard. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, nous voici donc à nouveau réunis pour parler de respect de la Constitution, de pluralisme et de démocratie. Cet hémicycle est certainement le lieu consacré pour aborder de tels sujets, mais que de temps perdu avec cette réforme électorale, quand l'actualité sociale et internationale mériterait que la représentation nationale s'y penche davantage !
    Au nom des députés Verts, il ne me paraît pas superflu de rappeler que cette réforme avait été repoussée par l'ensemble des formations politiques sauf une, et rejetée par une majorité de Français, à en croire les sondages du mois de février.
    Quel constat d'échec pour ce premier passage en force du Gouvernement ! Utiliser l'article 49-3 avec une telle majorité dans cette assemblée, pour se voir ensuite opposer un motif d'inconstitutionnalité par le Conseil constitutionnel ! Le Gouvernement aurait mieux fait d'arrêter les frais et de laisser telle quelle la loi votée en 1999.
    Cette loi prévoit déjà un système à deux tours avec une prime majoritaire afin de dégager des exécutifs stables dans les régions.
    Inutile de nous répéter que la gauche fait le jeu du FN. Qui gère aujourd'hui trois régions avec les élus FN ? Ni la gauche, ni les écologistes !
    Je rappellerai à ceux qui ont tendance à l'oublier rapidement que le 21 avril l'ensemble des formations de gauche ont pris leurs responsabilités pour faire barrage au Front national au second tour de l'élection présidentielle.
    M. Jean-Christophe Lagarde. Heureusement !
    Mme Martine Billard. Trop souvent, cette majorité et le Président de la République, ont tendance à l'oublier. (Protestation sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Jean-Pierre Blazy. Absolument ! Il faut le rappeler !
    Mme Martine Billard. Il est significatif que le Conseil constitutionnel, dans son rejet de l'article 4, ait invoqué un vice de procédure, tout en exprimant des réserves sur le respect du pluralisme et l'intelligibilité du disposif prévu.
    Le Gouvernement et sa majorité ont ainsi été pris au piège de leur propre mépris pour l'opposition, et au piège d'une partie de leur majorité en tentant de durcir ce projet et de garantir à un parti l'hégémonie pour les prochaines échéances régionales.
    Au-delà des questions de forme, la question du pluralisme reste posée. Le Gouvernement a choisi de baisser le seuil, de 10 % des inscrits à 10 % des exprimés pour le maintien au second tour. C'est qu'il n'avait plus le choix. Mais voulons-nous continuer à nier tous les courants d'opinion émergeants et à rejeter toujours plus d'électeurs dans le premier parti de France, celui des abstentionnistes ?
    Je tiens à redire, au nom des Verts, notre opposition au nouveau mode de scrutin des élections européennes. Le découpage en grandes régions sera totalement incompréhensible pour le commun des mortels et aura comme conséquence de limiter à la fois le débat sur la question européenne et la possibilité de représentation des formations émergentes, en raison des seuils d'accès pour la répartition des sièges. Une telle disposition n'a pas été voulue au nom de la proximité, comme vous nous le répétez. Vous l'avez prise par peur de devoir affronter un scrutin national, qui pourrait permettre aux électeurs de désavouer la politique du Gouvernement.
    Ces deux modes de scrutin provoqueront aussi un recul de la parité, parce que, nous le savons tous, et, nous, les femmes, plus particulièrement, un système de tête de liste profite immanquablement aux hommes.
    Cette nouvelle loi représente donc un recul de la parité, un recul s'agissant du non-cumul des mandats et un recul de la simplicité électorale. C'est un bel exemple à ne pas reproduire. On n'avait encore jamais atteint un tel niveau de complexité dans le système électoral proposé. En fin de compte, il s'agit d'un recul de la démocratie.
    C'est pourquoi, au nom du pluralisme des formations et des idées, de l'intelligibilité de la loi et de la parité entre les femmes et les hommes en politique, les députés Verts voteront à nouveau contre cette réforme.
    M. le président. La discussion générale est close.

Motion de renvoi en commission

    M. le président. J'ai reçu de M. Alain Bocquet et des membres du groupe des député-e-s communistes et républicains une motion de renvoi en commission, déposée en application de l'article 91, alinéa 6, du règlement.
    La parole est à M. Michel Vaxès.
    M. Michel Vaxès. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 3 avril dernier, le Conseil constitutionnel a rendu sa décision sur la loi relative à l'élection des conseils régionaux et des représentants au Parlement européen, ainsi qu'à l'aide publique aux partis politiques. Il a censuré une des dispositions de ce texte, et cette censure porte sur le seuil des 10 % des inscrits.
    Nous avions saisi le Conseil constitutionnel essentiellement sur cette question, parce que l'article 4 de ce texte violait les articles 39 et 4 de la Constitution, ainsi que l'article IV de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 en matière de liberté et de pluralisme ; tout comme les articles 3 de la Constitution et VI de la Déclaration de 1789 en matière d'égalité.
    Cette disposition nous a été imposée avec l'ensemble des autres dispositions, par le recours à l'article 49-3 de la Constitution. Or elle porte atteinte à la liberté et au pluralisme, en entravant l'expression et, plus encore, la représentation de courants d'idées et d'opinions dans notre pays.
    L'article 4 oblige les listes qui n'ont pas atteint ce seuil de 10 % à fusionner avec un grand parti au second tour, alors même que leur maintien ne menacerait en aucun cas l'existence d'une majorité stable après le vote de la loi de 1999 - dont personne ne parle. Il est donc contraire à l'article IV de la Constitution qui dispose que « les partis et groupements politiques concourent à l'expression du suffrage » et à l'article IV de la Déclaration de 1789 en les empêchant d'exercer leur activité librement.
    Ces contraintes ne se bornent pas à entraver les partis et à reduire leurs droits. Elles restreignent aussi les droits des électeurs qui, sauf à s'abstenir, seront amenés inutilement à faire des choix réducteurs, parce qu'ils ne disposeront pas de la pluralité des listes et, par conséquent, de la pluralité des propositions portées par chacune d'entre elles.
    L'article 4 de la loi porte également atteinte au principe d'égalité. En effet, le mode de scrutin applicable aux élections régionales a pour vocation d'assurer la représentation des minorités au sein de l'assemblée délibérante. En imposant un seuil de 10 % pour le maintien des listes au second tour, le principe d'égalité est rompu de fait, puisqu'il pourra exister une distorsion importante entre le pourcentage des voix obtenues dans un premier tour, et celui des sièges conquis au second tour. Ce sont les électeurs qui pâtiront de cette rupture du principe d'égalité en ne pouvant être représentés dans les assemblées élues par les candidats et les propositions qu'ils auront librement choisi de soutenir au premier tour.
    Le Conseil constitutionnel ne s'est pas prononcé sur les atteintes à ces principes du pluralisme, de liberté et d'égalité. Il a simplement statué sur le vice de procédure découlant de l'article 39 de la Constitution, qui dispose que les projets de loi doivent être délibérés en conseil des ministres, après avis du Conseil d'Etat. En effet, le texte présenté par le Gouvernement au Conseil d'Etat prévoyait le seuil de 10 % des suffrages exprimés et pas des électeurs inscrits. Avouez que cela change tout ! C'est d'ailleurs pourquoi le Conseil constitutionnel a estimé qu'une telle modification aurait dû, pour le moins, donner lieu à une lettre rectificative.
    Pourquoi le Gouvernement, qui a fait passer sa réforme en force, dans le mépris le plus absolu de la représentation nationale, de l'avis se serait-il encombré du Conseil d'Etat ?
    Rien qui ne puisse nous étonner après la réforme fondamentale que le Gouvernement a engagée sur la décentralisation en modifiant substantiellement notre Constitution et le rapport de nos concitoyens à leurs institutions, sans même prendre le temps de consulter les Françaises et les Français, comme il eût convenu s'il avait eu le souci de respecter la démocratie.
    Rien qui ne puisse nous surprendre lorsqu'on sait qu'aujourd'hui même il présente un projet de loi visant à obtenir de sa majorité une habilitation à légiférer, par la voie des ordonnances, pour un nombre sans précédent de mesures imprécises !
    Enfin, rien qui ne puisse nous étonner c'est désormais le Président de la République qui décide de l'ordre du jour de notre assemblée.
    Ainsi, fort malheureusement pour la démocratie française, nous voici face à une nouvelle méthode de gouvernance. Nous sommes avertis. Mais ne croyez pas pour autant, monsieur le ministre, que nous nous y habituerons et que nous nous y résoudrons. Sachez que nous combattrons et que ne cesserons de dénoncer ces méthodes inacceptables, qui portent atteinte aux fondements mêmes de notre République.
    Revenons, en deçà de la censure du Conseil constitutionnel, à cette réforme électorale, une des plus importantes de la Ve République. Je crois en effet nécessaire de rappeler les conditions dans lesquelles elle nous a été soumise et a été adoptée.
    Après avoir fait l'objet d'un examen bâclé et hâtif en commission, elle a été inscrite en urgence à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale, sans même que le Premier ministre juge bon de venir défendre son texte en personne. Ensuite, non content de proposer une réforme bouleversant notre système électoral dans le contexte, que nous connaissons tous, d'un groupe UMP majoritairement aux ordres et méprisant à l'égard de tous les autres groupes (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire),...
    M. Michel Voisin. Ridicule !
    M. Michel Vaxès. ... le Gouvernement a refusé d'examiner les modifications que la représentation nationale souhaitait apporter à ce texte et a décidé de recourir à l'article 49-3 de la Constitution.
    Ainsi, en définitive, aucune place n'a été faite à la discussion parlementaire. Il a suffi de quatre heures trente à peine pour détruire des règles que des décennies de travail législatif avaient établies. Les motions de procédure n'ont pas été présentées. La discussion générale n'a pas pu se dérouler comme le veut la tradition. C'est une première dans la vie parlementaire récente !
    M. Claude Gousguen. Et les 13 000 amendements ?
    M. Michel Vaxès. Le respect de l'Assemblée nationale aurait pourtant pour le moins justifié de lui donner la parole avant le passage à la discussion des articles. Le Gouvernement l'a bâillonnée.
    En arrêtant le débat parlementaire avant qu'il ne commence, le Gouvernement a confirmé non seulement la nocivité de son projet pour la démocratie et le pluralisme, dénoncé sur presque tous les bancs de cette assemblée, mais de plus, il n'en a même pas assumé la discussion contradictoire. Alors qu'une majorité de nos concitoyens allait perdre la possibilité d'être représentés, il a étouffé le débat, comme pour se débarrasser de la pièce à conviction d'un méfait qui ouvre la porte à un bipartisme contraire à toutes nos traditions et à l'attente des Françaises et des Français.
    Mais c'était sans compter sur la censure du Conseil constitutionnel. Finalement, et paradoxalement, c'est lui qui nous donne aujourd'hui ce que le Gouvernement nous a refusé hier : le droit d'examiner l'article 4 de cette réforme, article qui se trouve au coeur même du dispositif, et qui est porteur symboliquement de la volonté du Gouvernement de porter atteinte au pluralisme et de mettre en place la bipolarisation de notre vie politique, deux objectifs contraires à nos traditions démocratiques et républicaines.
    Au-delà de la méthode, des critiques sur le fond, essentielles, doivent êre adressées à cette réforme. Malheureusement, monsieur le ministre, parce que le Gouvernement craignait ce débat...
    M. André Chassaigne. C'est sûr !
    M. Michel Vaxès. ... et a fait en sorte qu'il n'ait pas lieu, nous n'avons pu vous faire part de ces critiques. Vous me permettrez donc de les exposer aujourd'hui.
    La réforme d'un mode de scrutin à quelques mois d'une échéance électorale ne peut que masquer, très grossièrement certes, les calculs politiciens. Le 21 avril 2002, la droite a réalisé un score désastreux : elle n'a rassemblé que 13 % des inscrits.
    M. Patrick Braouezec. Quant à nous...
    M. Michel Vaxès. Le Gouvernement a décidé d'en tirer les conséquences. Comme au lendemain de l'instauration de la Ve République, il a jugé bon de modifier les lois électorales pour s'emparer durablement de tous les leviers du pouvoir afin d'imposer son projet de société.
    M. Claude Goasguen. Et vous, combien avez-vous fait le 21 avril ?
    M. André Chassaigne. Chut !
    M. Patrick Braouezec. Ne répondez pas, monsieur Vaxès !
    M. Michel Vaxès. Nous n'avons jamais exercé le pouvoir, monsieur Goasguen.
    M. Jean-Christophe Lagarde. Il fallait laisser M. Gremetz déposer une liste ! C'est scandaleux de l'avoir fait taire !
    M. le président. Je vous en prie, messieurs.
    M. Michel Vaxès. Le Gouvernement a ciblé en particulier les régions et l'Europe, car ces deux espaces territoriaux sont stratégiquement au coeur du remodelage de la société française. En effet, cette réforme électorale ne peut être dissociée ni de la réforme constitutionnelle sur la décentralisation ni de la convention de M. Giscard d'Estaing sur la future constitution européenne. L'ensemble constitue une véritable machine de guerre contre toute construction politique alternative au libéralisme.
    Le Gouvernement veut briser la représentation politique pluraliste et verrouiller l'avenir. Cette réforme aboutira immanquablement à la bipolarisation de la vie politique, déjà fortement dessinée avec le quinquennat, que nous avons combattu non par fétichisme des chiffres - c'est l'histoire qui fait rouler les dés -, mais à cause de la concomitance des consultations présidentielle et législatives, couplage dont nous avons dit qu'il favoriserait la bipolarisation de la vie politique française autour des seuls partis en situation d'avoir un candidat élu à la présidence de la République.
    La dramatique inversion du calendier électoral, qu'on le veuille ou non, subordonne l'Assemblée nationale au pouvoir présidentiel.
    Aujourd'hui, le Parlement est déshonoré parce que sa fonction est devenue subalterne. D'autant plus que, par un mode de scrutin inique, le pouvoir dispose d'une majorité parlementaire aux ordres et les pouvoirs du Président de la République sont renforcés. Cette dérive conduit à une république de courtisans, une république de spectateurs, une république dangereuse pour la démocratie.
    M. André Chassaigne. C'est très bien dit !
    M. Michel Vaxès. Le rééquilibrage des institutions au profit, par exemple, d'un parlement qui ait une place et un rôle premier dans nos institutions, comme le souhaitait la commission Vedel, vous n'en voulez pas. Pire, vous aggravez le déséquilibre par cette réforme électorale qui n'est qu'une magouille politicienne, « un projet de convenance partisane », pour reprendre le titre d'un article de M. Jean-Thomas Nordmann. A treize mois des futures élections, par un coup de force contre la démocratie et le pluralisme, vous avez joué avec le suffrage universel. Jamais, dans l'histoire de notre pays, un pouvoir n'a pu le faire impunément. Le Gouvernement devrait prendre garde.
    M. Jacques Desallangre. Belle mise en garde !
    M. Michel Vaxès. Permettez-moi de vous citer un extrait de l'exposé des motifs de ce texte : « Devant la baisse déjà ancienne mais continue de la participation électorale, le but poursuivi par le Gouvernement est d'une part de renforcer la responsabilité de l'élu devant l'électeur et d'autre part de redonner, autant que faire se peut, de la clarté à l'expression du suffrage, en améliorant les conditions dans lesquelles celui-ci permet la représentation équitable des sensibilités politiques et des territoires, mais aussi la constitution sans ambiguïté de majorités capables d'assumer la responsabilité des décisions publiques. »
    Il faut faire preuve de la plus grande mauvaise foi, d'un insolent mépris pour les citoyens et leurs représentants, pour prétendre que votre projet vise le rapprochement de l'élu et de l'électeur, une représentation équitable du pluralisme et l'émergence de conseils régionaux gouvernables, alors que le dispositif et la finalité du texte sont aux antipodes des intentions affichées.
    M. Jacques Desallangre. Bien sûr !
    M. Michel Vaxès. Si l'enjeu n'était pas si grave, puisqu'il s'agit d'instaurer par un coup de force un système bipartisan pour les élections régionales et européennes, je dirais que votre exposé des motifs relève du mensonge burlesque.
    Votre réforme n'atteint aucun des objectifs déclarés. La réforme des modes de scrutin pervertit totalement la logique proportionnelle, porte une atteinte extrêmement grave au pluralisme, constituant par là une véritable régression pour la démocratie.
    M. André Gerin. Excellent discours !
    M. Michel Vaxès. Le système d'élection par section départementale et régionale, tellement complexe qu'il en devient presque incompréhensible, ne rapproche aucunement les électeurs et les élus ; c'est même le contraire.
    M. Jacques Desallangre. Remarquable démonstration !
    M. Michel Vaxès. Quant à l'émergence de majorités unies et à la gouvernabilité des conseils régionaux, la loi votée en 1999, et jamais appliquée puisqu'il n'y a pas eu d'élections régionales depuis cette date, le permet indubitablement. La montée de l'abstention à laquelle se réfère l'exposé des motifs risque d'atteindre des hauteurs vertigineuses si votre objectif inavoué d'américanisation de la vie politique française se réalisait un jour.
    M. Jacques Desallangre. Le remède est pire que le mal !
    M. Michel Vaxès. Concernant les dispositions relatives à l'élection des conseillers régionaux, dont l'objectif est selon vous la constitution de majorités claires et la gouvernabilité des assemblées, permettez-moi de vous rappeler une fois encore que nous ne sommes pas dans la situation de 1998 du point de vue du scrutin régional. Depuis cette date, une nouvelle loi a été votée. Or tout a été dit et fait comme si elle ne l'avait jamais été, comme si elle n'existait pas.
    C'est pourquoi je voudrais au préalable rappeler le contexte et certains éléments du débat de juin 1998 relatif à cette question, ainsi que les prises de position du groupe communiste à l'époque.
    Ce projet était la conséquence directe des élections régionales de mars 1998 et de la course sans principes à la présidence des exécutifs régionaux qui les a suivies, course qui a révélé le comportement honteux et l'alliance avec l'extrême droite d'une partie des amis de la majorité actuelle.
    M. André Gerin. C'est vrai !
    M. Michel Vaxès. Je rappelle ce que personne ne doit oublier, à savoir que dans un certain nombre de conseils régionaux - la Picardie, le Languedoc-Roussillon, la Bourgogne -,...
    M. Jean-Pierre Blazy. N'est-ce pas, monsieur Soisson ?
    M. Michel Vaxès. ... cette situation honteuse perdure et que certaines personnalités à l'origine de cette majorité contre nature se trouvent sur les bancs de l'UMP, ici ou au Sénat.
    M. André Gerin. Eh oui !
    M. Patrick Braouezec. C'est bien de le rappeler à M. Estrosi !
    M. Michel Vaxès. Lors de ce débat, nous avions souligné le danger de légiférer pour des motifs de circonstance, de nourrir l'illusion que la lutte contre le Front national pourrait se faire par des artifices électoraux. Nous avions également rappelé l'importance à nos yeux de la proportionnelle, qui est consubstantielle à la démocratie.
    Mais nous avions aussi reconnu, en tout pragmatisme, que les conseils régionaux connaissaient depuis des années de réels problèmes de gouvernabilité. Le législateur se devait donc d'apporter une réponse assurant la continuité de l'action de l'exécutif, tout en garantissant le pluralisme au sein de chaque conseil régional, c'est-à-dire l'expression la plus large de la démocratie. C'est sur cette base que nous avions accepté le principe d'une prime en sièges accordée à la liste arrivée en tête, ainsi que la notion de seuil, soit pour être présent au second tour, soit pour fusionner avec une autre liste.
    Toutefois, cette acceptation était subordonnée à un autre principe : la prime et les seuils ne devaient pas être un moyen de pénaliser l'expression de la démocratie pluraliste. Cette condition impliquait que les pourcentages retenus ne soient pas trop élevés. Nous souhaitions, de fait, les pourcentages les plus bas compatibles avec l'émergence de majorités stables. C'est la raison pour laquelle nous avions déposé de nombreux amendements au projet de loi qui retenait le seuil de 10 % de suffrages exprimés pour pouvoir se maintenir au deuxième tour, et de 5 % des suffrages exprimés pour fusionner avec une autre liste. Estimant que ces seuils, trop élevés, pénalisaient l'expression du suffrage dans sa diversité, et cela sans raison valable puisque, par définition, une liste était assurée d'obtenir la majorité des sièges avec le système de prime, nous avions dit à nos collègues socialistes que nous ne transigerions pas sur ce point. Le problème de la gouvernabilité des régions ne saurait être un prétexte ni pour réduire l'expression du pluralisme, inhérent à la démocratie, ni pour permettre à quelque formation politique que ce soit de prétendre à une attitude hégémonique.
    Mon collègue Jacques Brunhes avait d'ailleurs rappelé, lors de la discussion de ce texte, cette évidence qui reste toujours d'actualité : « On ne luttera pas contre le Front national par une loi électorale. Cela demande un engagement politique qui passe par une mobilisation sur le terrain, une attention soutenue auprès des victimes de la crise, une politique donnant effectivement la priorité à l'emploi et au développement de l'activité industrielle et de services pour prévenir l'exclusion, la précarité, et lutter réellement contre elles par des mesures de justice sociale. Cela demande un engagement politique qui exclut les alliances contractées par la droite dans trois régions au moins, dont on voit les désastreux résultats. On met en jeu le Front national quand on compose avec lui sans le combattre. »
    Pour défendre le seuil exorbitant de 10 % des inscrits prévu par la réforme de l'actuel gouvernement, le président de la commission des lois avait indiqué que ce seuil n'avait rien de choquant puisqu'il avait toujours prévalu pour les élections cantonales. Mais comment est-il possible, monsieur Clément, de comparer un mode de scrutin uninominal avec un scrutin proportionnel dont la logique, et donc les modalités, sont forcément différentes ?
    Par ailleurs, soutenir que les petites formations politiques doivent aujourd'hui s'organiser au sein d'une coalition, parce que c'est cela la modernité, nous paraît un argument tout aussi irrecevable. En effet, il y a une différence entre les conditions d'un scrutin qui s'en remettent au libre arbitre des petites formations pour constituer ou non des alliances politiques et celles qui imposent cette solution, leur ôtant ainsi toute indépendance.
    Cette loi, monsieur le ministre, est dangereuse pour les minorités. Vous voulez les étouffer, vous n'y parviendrez pas. En empêchant leur expression dans les assemblées élues, vous contribuerez à amplifier le volume de leur voix dans la rue, parce que la voix de la conscience finit toujours par se faire entendre.
    La loi de 1999 avait retenu, sur nos propositions, les seuils de 5 % et 3 % des suffrages exprimés respectivement pour le maintien des listes au second tour et pour leur fusion. Cette solution de compromis avait conduit notre groupe à voter cette loi qui permettait ainsi d'allier le respect de la proportionnelle avec la gouvernabilité des régions, la constitution d'une majorité dans toutes les régions, quelles que soient les formations majoritaires avec la représentation des listes minoritaires. Ainsi se trouvait réglée la question de la représentation des diverses sensibilités, condition du respect de la démocratie et de la pluralité.
    La loi de 1999 répondait donc parfaitement au souci que vous exprimiez, monsieur le ministre, dans votre exposé des motifs. Or, avant sa première application, qui aurait permis de mesurer son efficacité, et un an avant les élections régionales, vous avez changé la donne.
    Et quel changement ! Le seuil à atteindre pour fusionner les listes est élevé à 5 % des suffrages exprimés et celui qui permet d'être présent au second tour est porté à 10 % des électeurs inscrits, et non plus des suffrages exprimés, comme le prévoyait le texte soumis au Conseil d'Etat.
    Quel est le but de cette opération ?
    Si votre souci était réellement la constitution d'une majorité claire et stable, et si vous pensiez que la loi de 1999 ne parviendrait pas à l'établir, pourquoi ne pas avoir relevé le pourcentage de la prime, qui garantirait cet objectif ?
    M. le président. Un peu de silence, mes chers collègues.
    M. Michel Vaxès. Merci, monsieur le président.
    M. le président. Si vous alliez plus vite à votre conclusion, peut-être vous écouterait-on plus attentivement.
    M. Michel Vaxès. Je vais m'y efforcer.
    On murmure dans les coulisses, et pas seulement sur ces bancs, qu'il s'agirait de réduire l'influence de l'extrême droite et sa présence dans la région PACA, c'est-à-dire dans le fief de M. Gaudin, qui a par ailleurs obtenu un redécoupage sur mesure à Marseille pour les cantonales, avant la refonte globale des cantons au niveau national. Permettez-moi une nouvelle fois d'affirmer que ce n'est pas par le code électoral qu'on combat le Front national, mais par des actes politiques forts.
    Déjà, en 1986, Charles Pasqua, alors ministre de l'intérieur, avait justifié son charcutage électoral et le retour au scrutin majoritaire par la nécessité de marginaliser le Front national. Le résultat a certes été de faire disparaître de l'Assemblée les députés du Front national mais, depuis cette date, non seulement cette mesure n'a pas empêché Le Pen d'augmenter les scores de son parti, mais il a pu, pour la première fois, atteindre le deuxième tour de l'élection présidentielle. De même, la barrière des cinq cents signatures à la présidentielle a plutôt été pour lui un argument de campagne qu'un obstacle. Le 21 avril en témoigne.
    M. Jacques Desallangre. Joli résultat, en effet !
    M. Michel Vaxès. C'est pourquoi, on peut légitimement penser que, loin de réduire l'influence de l'extrême droite, les tripatouillages électoraux lui permettront de se poser en martyr et stimuleront son activité.
    En revanche - c'est l'essentiel -, ce seuil, qui équivaut, compte tenu de l'abstention, à 15 à 20 % des suffrages exprimés, sonne le glas, pour la représentation indépendante sur la scène politique régionale, des partis autres que les deux partis majoritaires. Les autres formations sont mises devant l'obligation soit de s'allier dès le premier tour avec l'un des deux grands, soit de solliciter des places sur leurs listes au second tour, au risque de disparaître, comme l'indiquait le politologue Jean-Luc Parodi, dans un récent article de presse. Elles sont donc pratiquement condamnées à choisir entre la fusion inéquitable et la disparition.
    Certes, le problème des alliances politiques se pose forcément dans un pays comme le nôtre, mais elles doivent être le résultat d'un choix fait en fonction de la proximité idéologique et programmatique.
    Nous n'avons pas eu de débat en première lecture puisque vous avez eu recours au 49-3. Permettez donc que je puisse donner, sinon à vous, du moins à l'opinion publique, nos explications. Je le ferai jusqu'au bout. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)
    M. Patrick Braouezec. Et avec conviction !
    M. Michel Vaxès. Si le système électoral ne permet plus la survie des divers courants politiques, sauf au prix d'une inféodation aux deux partis dominants, nous passons à un régime bipolaire imposé, bipolarisme dont la tentation existe chez les formations dominantes et dont la logique a imprégné toutes les réformes institutionnelles, comme le quinquennat ou l'inversion du calendrier électoral, mises en oeuvre depuis quelques années et qui conduisent à une République de spectateurs et de courtisans.
    Un tel régime est totalement étranger à notre culture politique et à l'attachement du peuple français au respect de la diversité politique. De surcroît, il est contraire aux dispositions de l'article 4 de la Constitution, selon lequel les partis et groupements politiques qui concourent à l'expression du suffrage doivent pouvoir se former et exercer leur activité librement.
    D'ailleurs, M. Raffarin, aujourd'hui Premier ministre, s'était élevé, en 1999, contre les dangers d'un système qui aboutirait à l'émergence de deux grands blocs quasi hégémoniques. Depuis, devenu Premier ministre, il a changé d'avis ! En effet, le relèvement des seuils de maintien et de fusion des listes pervertit complètement la logique même du scrutin proportionnel qui était la base des élections régionales.
    Ainsi, dans la plupart des régions, la représentation du peuple français sera quasiment réduite aux seuls élus de l'UMP et du Parti socialiste dont les candidats à la présidentielle n'ont rassemblé, ensemble, le 21 avril, que 36 % des suffrages exprimés et 25 % des inscrits. Cela n'est pas acceptable.
    Le peuple français a pourtant clairement exprimé sa demande pour le pluralisme. D'ailleurs un sondage CSA - Le Parisien, effectué le 2 septembre 2002, a relevé que 73 % des Français souhaitent que l'on favorise la diversité politique et la juste représentation de tous les partis que seule la proportionnelle peut garantir, proportionnelle à laquelle le groupe communiste et républicain reste profondément attaché parce qu'elle est la plus conforme à l'esprit de notre Constitution qui précise que le suffrage doit être égal pour tous.
    M. André Gerin. Très bien !
    M. Richard Mallié. Avec la proportionnelle, il n'y aurait plus de députés communistes, mais il y aurait des députés du Front national !
    M. Michel Vaxès. Tel est le principe fondamental de notre édifice institutionnel et normatif. En clair, cela signifie que la voix de chaque électeur devrait compter autant qu'une autre, et que chaque élu devrait présenter le même nombre d'électeurs.
    Nous ne pouvons accepter le reproche souvent adressé à la proportionnelle de ne pas dégager de majorité ou de favoriser l'émiettement des partis. A cet égard, je répète ce qu'affirmait Jacques Brunhes à la commission Vedel, en 1992, sur la réforme du mode de scrutin : « Le mode de scrutin ne peut ni ne doit avoir pour objet de créer artificiellement une majorité pour maintenir la stabilité gouvernementale, mais seulement amener l'ensemble des citoyens à une exacte représentation ».
    La perversion de la logique de la proportionnelle, qu'introduit votre projet, aura de très graves conséquences pour la démocratie. Alors que l'abstention progresse inexorablement, de scrutin en scrutin, depuis 1989, que le 21 avril 2002 il y a eu 12 millions d'abstentionnistes - un record pour une élection présidentielle - , et que ce taux a atteint 35,5 % lors des législatives suivantes, c'est jouer avec le feu que de vouloir réduire, par des artifices législatifs, la représentation du peuple français dans les régions aux partis dominants.
    Vous le savez, le filtre déformant du scrutin régional proposé ne pourra que renforcer l'abstention de ceux qui pensent qu'ils n'ont pas voix au chapitre et la tentation populiste de nombreux électeurs. Cela pourrait bien avoir un effet de boomerang pour les concepteurs de ce projet : prenez-y garde ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    En effet, cette réforme, comme l'écrit Jean-Claude Casanova dans un journal du soir, alimentera « les frustrations, les ressentiments et la vindicte que créent inévitablement la non-représentation et l'effet majoritaire qui a souvent pour résultat de donner le pouvoir à la plus forte des minorités. L'expérience des autres pays européens montre que les coalitions, que favorise la proportionnelle, réduisent les tensions, modèrent les extrêmes et appuient les majorités réelles, ce qui est souhaitable au plus haut point dans les régions, où on organise la vie quotidienne des Français ».
    Ne serait-ce que de ce fait, votre projet va encore aggraver, chez nos concitoyens, la crise de la politique, la distanciation, voire la résignation et le rejet à l'égard de la politique et du monde politique et, par là même, creuser encore l'abîme entre le pays réel et sa représentation légale.
    Est-ce ainsi que le Gouvernement compte rapprocher l'élu et l'électeur, sans parler de la complexité introduite par le système de classement des listes par sections départementales pour les régionales et le mode de représentation des sièges, difficilement lisible par le législateur ? Que réservez-vous encore aux électeurs ? (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Nous regrettons que le Conseil constitutionnel n'ait pas examiné les arguments de fond que nous avions soutenus devant lui, car nous restons convaincus que, au-delà du vice de procédure, la loi voulue au service de l'UMP aurait mérité la censure.
    De même, nous soutenons que l'amendement du Gouvernement, qui vise à instaurer un seuil de 10 % des suffrages exprimés pour permettre aux listes de se maintenir au second tour, reste contraire à notre Constitution. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Il est très difficile de s'exprimer lorsque vous organisez un tel bruitage, tout à fait indigne du travail de cette assemblée ! Néanmoins cela ne m'impressionne pas.
    M. le président. Mes chers collègues, je vous en prie ! M. Vaxès va tranquillement terminer et vous allez l'écouter en silence.
    M. Jean-Pierre Blazy. Il serait temps !
    M. Michel Vaxès. Merci, monsieur le président. Je vais terminer très rapidement. (« Ah ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Jacques Desallangre. Prenez votre temps !
    M. Michel Vaxès. Encore faut-il qu'ils me laissent terminer dans le calme.
    M. le président. Oui, continuez !
    M. Jérôme Bignon, rapporteur. Ce sont vos amis qui vous interrompent !
    M. Michel Vaxès. L'indépendance des partis politiques est une dimension constitutive de la démocratie pluraliste. Elle est primordiale pour la diversité de la vie politique et pour une citoyenneté qui ne soit pas de convention. Or l'article 4, amendé par le Gouvernement, ne permettrait pas à une liste ayant obtenu moins de 10 % des suffrages exprimés au premier tour de se présenter au second. Avec ce seuil, seuls resteront en lice le Parti socialiste, l'UMP et, malheureusement, le Front national.
    Le respect du pluralisme appelle un abaissement sensible de ce seuil, afin que les partis puissent choisir librement soit de négocier pour faire liste commune au second tour, soit, au contraire, de s'y présenter seuls. C'est une question d'identité pour les formations politiques.
    Cette liberté n'est pas synonyme d'isolement ou d'irresponsabilité. Au contraire, elle est une invitation pour chacune des formations politiques à la responsabilité devant les électeurs. Si elles ne participaient pas à une liste commune alors que ceux-ci le souhaitent, la sanction électorale serait certaine. C'est pourquoi un abaissement du seuil de 10 % à 5 %, comme le prévoit la loi de 1999, ne conduirait pas à une multiplication des listes au second tour. Par contre, il permettrait des négociations sans abus de position dominante de l'un des partis. Un seuil de 5 % est nécessaire pour ne pas porter atteinte au pluralisme, principe essentiel de notre République.
    M. Patrick Braouezec. Il a raison !
    M. Michel Vaxès. Seul ce seuil permettrait de garantir le pluralisme.
    Dans le même esprit, il nous semble que toute liste obtenant plus de 3 % au premier tour devrait pouvoir fusionner avec des petites listes ayant obtenu au moins 5 % des suffrages exprimés au premier tour.
    Enfin, j'ajouterai, pour conclure (« Ah ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire)...
    M. le président. Poursuivez, car vous avez déjà épuisé votre temps de parole.
    M. Philippe Briand. Il a aussi épuisé l'auditoire !
    M. Michel Vaxès. Je n'en suis pas seul responsable, monsieur le président.
    M. le président. Concluez, monsieur Vaxès !
    M. Michel Vaxès. J'ajouterai pour conclure, à l'adresse de M. Juppé - auquel d'ailleurs cet article 4 et sa censure peuvent être dédiés - selon lequel la décision des neuf sages « est une très belle victoire pour le Front national qui va se retrouver arbitre de la situation dans un grand nombre de régions », que cet argument lui permet de donner au mot « démocratie » un sens exactement inverse de son sens originel, et que, par son insistance, il se déclare ennemi de la démocratie, au nom de la démocratie. Habile, certes, mais grossier !
    M. Philippe Briand. Je croyais que vous alliez conclure !
    M. Michel Vaxès. Comme vous le voyez, mes chers collègues, l'enjeu de ces seuils est capital pour la démocratie française. C'est pourquoi nous aurions souhaité un examen et un débat plus approfondis en commission.
    M. Philippe Briand. Nous n'avons pas de temps à perdre !
    M. Richard Mallié. Nous avons autre chose à faire !
    M. Michel Vaxès. Le recours à une nouvelle délibération de l'article 4, organisée en toute urgence, presque au lendemain de l'avis rendu par le Conseil constitutionnel, ne peut satisfaire aux exigences d'un travail sérieux. C'est pourquoi, et au nom des principes de notre démocratie, la représentation nationale s'honorerait de voter cette exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et sur quelques bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. Je ne suis saisi d'aucune demande de parole de la part du Gouvernement et de la commission.
    Il n'y a pas d'explications de vote ?...
    Je mets aux voix la motion de renvoi en commission.
    (La motion de renvoi en commission n'est pas adoptée.)
    M. le président. J'appelle maintenant l'article 4 de la loi, soumis à nouvelle délibération. Je précise que, cette délibération portant sur ce seul article, aucun amendement portant article additionnel ou s'appliquant à un autre article de la loi ne pouvait être reçu.
    L'objet de cette limitation est d'assurer le respect d'une prérogative constitutionnelle du Président de la République, qui a seul compétence pour définir le champ de la nouvelle délibération : en l'espèce, il s'agit de l'article 4 de la loi et de rien d'autre.
    C'est pourquoi j'ai dû déclarer irrecevable un amendement présenté par un de nos collègues, trois amendements, recevables ceux-là, étant soumis à notre discussion.

Article 4

    M. le président. « Art. 4. - L'article L. 346 du code électoral est ainsi modifié :
    « 1° Les deux dernières phrases du premier alinéa sont ainsi rédigée : "Le nombre de candidats figurant sur les sections départementales de chaque liste est fixé conformément au tableau n° 7 annexé au présent code. Au sein de chaque section la liste est composée alternativement d'un candidat de chaque sexe. ;
    « 2° Le deuxième alinéa est ainsi modifié :
    « a) Les mots : "5 % du total des suffrages exprimés et "3 % des suffrages exprimés sont remplacés respectivement par les mots : "10 % du nombre des électeurs inscrits et "5 % des suffrages exprimés ;
    « b) Après la première phrase, sont insérées deux phrases ainsi rédigées : "Dans le cas où une seule liste remplit cette condition, la liste ayant obtenu après celle-ci le plus grand nombre de suffrages au premier tour peut se maintenir au second. Dans le cas où aucune liste ne remplit cette condition, les deux listes ayant obtenu le plus grand nombre de suffrages au premier tour peuvent se maintenir au second. »
    M. Vaxès et les membres du groupe des député-e-s communistes et républicains ont présenté un amendement, n° 2, ainsi rédigé :
    « Supprimer l'article 4. »
    La parole est à M. Michel Vaxès.(Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Vaxès a le droit de parler ! Vos protestations n'y changeront rien ! Il y a des limites !
    M. Richard Mallié. Il n'y a que lui qui parle !
    M. Philippe Briand. C'est de la gourmandise !
    M. Michel Vaxès. Merci, monsieur le président !
    L'article 4, qui nous revient aujourd'hui, est sans nul doute le plus clairement antidémocratique du projet de loi...
    M. Claude Goasguen. C'est le seul !
    M. Michel Vaxès. ... portant modification des scrutins régionaux et européens, adopté à l'Assemblée nationale grâce au 49-3.
    En effet, cet article propose de remplacer le seuil actuel de 5 % des suffrages exprimés nécessaires pour permettre le maintien d'une liste au second tour des élections régionales par le seuil de 10 % des électeurs inscrits, et le seuil de 3 % des suffrages exprimés pour pouvoir fusionner avec une autre liste en vue du second tour par le seuil de 5 % des suffrages exprimés. Cette réforme est de pure circonstance. Elle s'inscrit dans la plus pure tradition du tripatouillage électoral, du changement des règles démocratiques, dans l'année précédant les élections. Le projet n'est pas tant celui du Gouvernement que celui d'un parti. Il ne vise qu'au bénéfice du parti majoritaire de la majorité, un parti qui concentre tous les pouvoirs exécutifs et législatifs et qui entend légiférer non pour le pays mais, au travers de cet article 4, pour asseoir sa domination dans les régions françaises.
    M. Gilbert Meyer. Il l'a déjà dit !
    M. le président. Il a le droit de le répéter !
    M. Jacques Desallangre. Cela mérite d'être rappelé !
    M. le président. Monsieur Vaxès, vous vous êtes déjà exprimé longuement. S'il vous plaît, vous terminez votre explication. Je crois que tout le monde a compris !
    M. Philippe Briand. Ah, ça oui !
    M. Michel Vaxès. Je ne pense pas, monsieur le président, qu'il soit normal qu'un texte de cette importance n'ait donné lieu, depuis sa première lecture, qu'à des débats aussi restreints.
    M. Claude Goasguen. Il faut l'arrêter !
    M. le président. Monsieur Vaxès, je vous ai laissé vous exprimer, il y a un instant, au-delà du temps qui vous était imparti ! Je vous demande maintenant de bien vouloir conclure sur cet amendement.
    M. Michel Vaxès. Je vais conclure, monsieur le président !
    Au total, cet article 4 constitue, en l'état, une avancée supplémentaire vers l'avènement d'un système que l'on connaît bien pour l'observer depuis des décennies outre-Atlantique. Telle n'est pas notre conception de la démocratie. Telle n'est pas celle de l'immense majorité des citoyens français respectueux et désireux du pluralisme. Nous refusons votre projet d'appauvrissement de l'offre politique.
    Le système bipartisan bride les choix démocratiques. Aux Etats-Unis, il détourne plus de la moitié des citoyens du chemin des isoloirs. Ce modèle d'alternance molle n'a rien à voir avec la culture démocratique française qui est marquée par des ruptures réelles et des projets politiques véritablement alternatifs. C'est cette possibilité d'alternative qui demain, seule, pourrait ramener massivement les électeurs de France vers les urnes. C'est pourquoi nous demandons la suppression pure et simple de l'article 4.
    M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
    M. Jérôme Bignon, rapporteur. La commission n'a pas examiné cet amendement. A titre personnel, j'y suis défavorable car son adoption nous ramènerait aux seuils de 5 % et 3 % fixés dans la loi du 19 janvier 1999.
    M. Jean-Pierre Blazy. Elle n'a jamais été appliquée.
    M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Défavorable.
    M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 2.
    (L'amendement n'est pas adopté.)
    M. le président. M. Vaxès et les membres du groupe des député-e-s communistes et républicains ont présenté un amendement, n° 3, ainsi rédigé :
    « Supprimer le a du 2° de l'article 4. »
    Est-il défendu, monsieur Vaxès ?
    M. Michel Vaxès. Oui, monsieur le président.
    M. le président. La commission et le Gouvernement ont le même avis défavorable.
    Je mets aux voix l'amendement n° 3.
    (L'amendement n'est pas adopté.)
    M. le président. Le Gouvernement a présenté un amendement, n° 1, ainsi rédigé :
    « Dans le a du 2° de l'article 4, substituer aux mots : "du nombre des électeurs inscrits les mots : "des suffrages exprimés. »
    La parole est à M. le ministre.
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Il est défendu.
    M. le président. La parole est à M. René Dosière.
    M. René Dosière. Je veux profiter de la discussion de cet amendement pour formuler quelques observations et répondre au ministre de l'intérieur qui a ironisé tout à l'heure sur un ton sans doute un peu trop suffisant (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française) sur les positions et sur les votes du groupe socialiste en 1999.
    M. Christian Estrosi. Pas vous !
    M. René Dosière. Je tiens donc à lui faire remarquer qu'il a omis de rappeler que, lorsque nous avons discuté dans cet hémicycle de la loi de 1999, ses amis disaient pis que pendre du mode de scrutin proposé. Aujourd'hui ils le trouvent excellent. Je ne peux que m'en réjouir, mais l'argument est un peu court.
    Je dois également relever que, dans son texte initial, le Gouvernement avait prévu un seuil de 10 % des suffrages exprimés auquel, à l'époque, étaient hostiles non seulement nos partenaires de la majorité, mais aussi nos adversaires de l'opposition, pour des raisons d'ailleurs tout à fait différentes. Autrement dit, pour faire voter ce texte il n'y avait pas de majorité et le Gouvernement avait le choix entre dialoguer avec sa majorité et passer en force.
    M. Jean-Christophe Lagarde. C'est vrai !
    M. René Dosière. Eh bien, Lionel Jospin n'a pas voulu utiliser l'article 49-3. Il avait d'ailleurs pour l'Assemblée nationale plus de respect que son successeur. (Murmures sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) C'est ce qui nous différencie, monsieur le ministre.
    Nous avions donc choisi le débat parlementaire,...
    M. Claude Goasguen. Et les 13 000 amendements ?
    M. René Dosière. ... le dialogue, pour trouver une majorité librement choisie et non imposée.
    M. Claude Goasguen. C'est ça !
    M. René Dosière. Je me permets d'ailleurs de souligner que si vous aviez utilisé la même procédure, vous auriez évité la censure du Conseil constitutionnel. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 1.
    (L'amendement est adopté.)
    M. le président. Je ne suis saisi d'aucune demande d'explication de vote.
    Nous allons passer au vote sur l'article 4, qui conclura la nouvelle délibération.
    Je mets aux voix l'article 4, modifié par l'amendement n° 1.
    (L'article 4, ainsi modifié, est adopté.)

4

ORDRE DU JOUR DE LA PROCHAINE SÉANCE

    M. le président. Ce soir, à vingt et une heures, troisième séance publique :
    Discussion du projet de loi, n° 710, portant habilitation du Gouvernement à prendre par ordonnance des mesures de simplification et de codification du droit :
    M. Etienne Blanc, rapporteur au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République (rapport n° 752).
    La séance est levée.
    (La séance est levée à dix-neuf heures.)

Le Directeur du service du compte rendu intégralde l'Assemblée nationale,
JEAN PINCHOT