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ASSEMBLÉE NATIONALE
DÉBATS PARLEMENTAIRES


JOURNAL OFFICIEL DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE DU VENDREDI 6 JUIN 2003

COMPTE RENDU INTÉGRAL
1re séance du jeudi 5 juin 2003


SOMMAIRE
PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LOUIS DEBRÉ

1.  Droit d'asile. - Discussion d'un projet de loi «...».
M. Dominique de Villepin, ministre des affaires étrangères.
M. Jean Leonetti, rapporteur de la commission des lois.
M. Eric Raoult, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères.

PRÉSIDENCE DE M. ÉRIC RAOULT
EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ «...»

Exception d'irrecevabilité de M. Jean-Marc Ayrault : MM. Serge Blisko, le ministre, Christian Vanneste, André Gerin, Christophe Caresche. - Rejet.

QUESTION PRÉALABLE «...»

Question préalable de M. Alain Bocquet : MM. André Gerin, le ministre, Christian Vanneste, Christophe Caresche, Noël Mamère. - Rejet.
Renvoi de la suite de la discussion à la prochaine séance.
2.  Ordre du jour des prochaines séances «...».

COMPTE RENDU INTÉGRAL
PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LOUIS DEBRÉ


1

DROIT D'ASILE

Discussion d'un projet de loi

    M. le président. La séance est ouverte.
    (La séance est ouverte à dix heures.)
    M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi modifiant la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952 relative au droit d'asile (n°s 810, 883).
    La parole est à M. le ministre des affaires étrangères.
    M. Dominique de Villepin, ministre des affaires étrangères. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, chacun sait que la France, patrie des droits de l'homme, est une terre d'asile, et que ce droit d'asile est un principe qui remonte à 1793, quand les Constituants proclamaient que « le peuple français donne asile aux étrangers bannis de leur patrie pour la cause de la liberté ».
    Et pourtant, il faut raconter l'histoire de cet homme ou de cette femme que le fanatisme, l'intolérance ou la guerre a chassé de sa terre, l'histoire de ce père de famille arraché aux siens, de ce fils enrôlé de force, de ce converti poursuivi pour ses convictions religieuses...
    Au terme d'un voyage en forme de calvaire, chacun est arrivé chez nous pour trouver la porte de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou celle d'une préfecture. Là, ils ont raconté avec leurs mots des itinéraires de douleur, le naufrage de la vie, la disparition de proches... On leur a remis un document provisoire et indiqué que la décision leur serait communiquée plus tard.
    C'était il y a près de deux ans.
    Depuis, dans l'incertitude, la précarité et la méfiance, il attend : il n'a qu'une autorisation provisoire de séjour ; il n'a pas le droit de travailler ; il ne peut retrouver les siens ; il erre de foyer en foyer. Déraciné, fragilisé, il est exposé à toutes les compromissions.
    Telle est aujourd'hui la réalité de notre droit d'asile, marquée par l'attente, l'inquiétude et le doute.
    Pourtant, fidèle à sa tradition, la France s'est engagée, dans l'après-guerre, avec la signature de la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur les réfugiés, puis avec l'adoption de la loi du 25 juillet 1952, qui a créé l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, l'OFPRA, et la Commission des recours des réfugiés.
    Et ce dispositif a encore été complété en 1998, pour répondre aux nouvelles formes de persécutions que subissent trop de peuples dans ce monde incertain et dangereux, et notamment pour faire face à la situation créée par la crise algérienne. La loi RESEDA, adoptée à cette fin, a créé deux nouvelles formes d'asile : l'asile « constitutionnel », accordé par l'OFPRA à toute personne persécutée en raison de son action en faveur de la liberté, et l'asile territorial, accordé par le ministre de l'intérieur aux étrangers menacés dans leur pays ou exposés à des traitements inhumains ou dégradants.
    Ainsi, avec l'ensemble de ces aménagements, notre dispositif en matière d'asile pouvait-il apparaître comme complet et équilibré. Or l'examen de la situation sur le terrain nous conduit à nuancer singulièrement cette appréciation.
    Il faut en effet se rendre à l'évidence : l'exercice du droit d'asile est en crise. Ce système, généreux dans ses principes mais souvent lourd dans sa construction, ne correspond plus à la réalité d'aujourd'hui.
    Nous sommes confrontés à quatre difficultés : notre dispositif est engorgé ; il rend ses décisions dans des délais beaucoup trop longs ; il est source de détournements de procédures ; enfin, il est de plus en plus coûteux.
    Premièrement, donc, le dispositf est engorgé.
    En cinq ans, le nombre de demandes d'asile conventionnel reçues par l'OFPRA est passé de 23 000 à 53 000. Quant aux demandes d'asile territorial enregistrées par le ministère de l'intérieur, elles ont atteint en 2002, le nombre de 30 000. Au total, ce sont plus de 80 000 demandes d'asile qu'il faut traiter, et l'augmentation se poursuit. Comme l'a fort justement souligné M. Leonetti dans son rapport, notre pays est devenu l'un des premiers pays d'accueil d'Europe.
    Cette évolution spectaculaire a conduit à l'engorgement du dispositif. Les équipes de l'OFPRA et de la Commission des recours des réfugiés, comme celles du ministère de l'intérieur, sont submergées, malgré les nouveaux moyens mis en place par le Gouvernement depuis un an.
    Deuxième difficulté : l'allongement inacceptable des délais d'instruction.
    Le corollaire de l'engorgement, ce sont en effet les retards. Il n'est pas rare que s'écoulent dix-huit mois entre le dépôt d'une demande à l'OFPRA et la décision finale de la Commission des recours des réfugiés. Pour l'asile territorial, la situation est plus difficile encore et les délais encore plus longs.
    Pendant toute cette attente, quelles conditions de vie offrons-nous à ces femmes et à ces hommes ? Comment ne pas voir que la précarité ainsi subie entraîne avec elle son cortège de souffrances, d'incertitudes, de fragilités qui exposent à toutes les dérives et toutes les mafias ?
    De fait, les centres d'accueil des demandeurs d'asile sont aujourd'hui saturés, et beaucoup de demandeurs d'asile ont désormais recours au dispositif d'accueil d'urgence prévu pour les sans-abri.
    Troisième difficulté : les détournements de procédures.
    Certes, l'afflux de demandeurs d'asile témoigne de l'aggravation des violations des droits de l'homme et des persécutions à l'échelle de la planète. Chaque jour, des hommes et des femmes n'ont d'autre solution que de fuir leur pays pour échapper à des traitements dégradants, à la torture, à la mort.
    Mais les personnes réellement persécutées sont loin de représenter la majorité des demandeurs d'asile : alors qu'il reconnaissait le statut de réfugié à près d'un demandeur sur cinq il y a peu, l'OFPRA ne l'accorde plus aujourd'hui qu'à moins de 13 % des demandeurs. Le constat est encore plus net quant à l'asile territorial, pour lequel le taux de décisions favorables n'a pas dépassé 0,3 % en 2002.
    Le fait est que beaucoup d'étrangers sollicitent notre système d'asile, non pas pour obtenir la protection de notre pays, mais pour s'y maintenir le plus longtemps possible, leur motivation étant de nature économique.
    On notera à ce propos que, hormis les Algériens, près de 90 % des demandeurs d'asile sont entrés irrégulièrement sur notre territoire. Ces candidats à un asile que l'on pourrait qualifier d'« économique » recourent en effet aux filières d'immigration clandestine et arrivent en France, le plus souvent par voie terrestre, mais aussi par voie aérienne : sur plus de 800 demandes d'asile à la frontière reçues au mois d'avril à l'aéroport de Roissy, une trentaine seulement font actuellement l'objet d'un avis favorable du ministère des affaires étrangères.
    Les demandeurs d'asile abusifs voient dans la longueur de ces procédures la possibilité d'une implantation durable. En effet, la juxtaposition des procédures de l'asile conventionnel et de l'asile territorial leur permet de se maintenir jusqu'à trois ans dans notre pays, avant le rejet définitif de leur demande.
    Devons-nous tolérer plus longtemps qu'une mission à valeur constitutionnelle soit ainsi détournée pour devenir un moyen d'immigration irrégulière ?
    Soyons lucides : c'est le pacte social et républicain lui-même que ces errements mettent en péril. Et il est de notre responsabilité à tous d'empêcher cette dérive de se poursuivre.
    La quatrième difficulté, c'est le dérapage des coûts du traitement social des demandeurs d'asile.
    Ces réfugiés, maintenus dans une situation précaire, n'ont pas accès au marché du travail. Alors qu'ils devraient, conformément à notre conception du droit d'asile, trouver une vraie place dans notre société, les demandeurs d'asile sont durablement relégués dans les circuits de l'assistance d'Etat.
    Dépendants de notre aide sociale, ils contribuent à en déséquilibrer le financement. En deux ans, le coût du dispositif d'accueil des demandeurs d'asile est passé de 150 à 270 millions d'euros. Si rien n'est fait, cette tendance ira en s'accentuant et cumulera tous les inconvénients : une charge financière de plus en plus lourde, une situation de moins en moins digne pour les réfugiés, une incertitude chaque jour plus lourde à porter.
    Face à ce constat que devons-nous faire ? Le Président de la République l'a dit avec fermeté le 14 juillet dernier : cette situation est intolérable. Il faut y remédier, en trouvant un nécessaire équilibre entre deux exigences : la rigueur et la générosité.
    C'est donc en restant fidèles à notre tradition d'asile, tout en luttant efficacement contre les abus, que nous pouvons apporter des solutions efficaces et durables. Tel est bien l'esprit de cette réforme que le Gouvernement vous propose.
    C'est donc un dispositif rénové qui vous est soumis, autour de quatre grands objectifs : offrir une meilleure protection à ceux qui la méritent ; unifier nos procédures pour réduire les délais ; inscrire notre droit dans un cadre européen ; enfin, rationaliser les moyens alloués au dispositif.
    Tout d'abord, il faut mieux protéger ceux qui en ont besoin.
    Au-delà de la rationalisation du dispositif, qui va incontestablement bénéficier aux demandeurs d'asile, deux mesures essentielles illustrent la volonté du Gouvernement de mieux les protéger : l'abandon du critère jurisprudentiel de l'origine étatique des persécutions pour l'octroi du statut de réfugié et la substitution de la protection subsidiaire à l'asile territorial.
    C'est précisément pour mieux appliquer la convention de Genève et, partant, pour renforcer la protection des demandeurs d'asile que le Gouvernement propose l'abandon du critère de l'origine étatique des persécutions, lié à l'interprétation qu'ont faite les tribunaux de l'article 1er de la convention. Avec la réforme qui vous est proposée, le statut de réfugié pourra être accordé même si les persécutions proviennent d'acteurs non étatiques, comme c'est de plus en plus souvent le cas. Il faut souligner que cette évolution était souhaitée depuis longtemps par le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, ainsi que par les associations et organisations d'aide aux réfugiés.
    Mais la convention de Genève ne prend pas en compte toutes les violences qui conduisent leurs victimes à fuir leur pays. D'où, en 1988, l'introduction dans notre droit, par la loi RESEDA, de l'asile territorial, que le projet de loi qui vous est soumis remplace par la protection subsidiaire.
    Cette protection est dite « subsidiaire » parce qu'elle sera accordée aux personnes qui ne remplissent pas les conditions d'octroi du statut de réfugié prévues par la convention de Genève. L'OFPRA vérifiera donc si le demandeur relève des critères de la convention de Genève avant d'envisager, si tel n'est pas le cas, l'octroi éventuel de la protection subsidiaire.
    Ajoutons que les critères de cette protection subsidiaire sont plus précis que ceux de l'actuel asile territorial, ce qui devrait diminuer le risque d'arbitraire dans l'appréciation des situations individuelles.
    Cette hiérarchisation dans l'examen successif des deux formes d'asile montre bien que le Gouvernement n'a en aucun cas l'intention de marginaliser la convention de Genève dans notre système de protection au profit de la protection subsidiaire.
    En outre, alors que l'asile territorial laissait une grande marge d'appréciation au ministère de l'intérieur, l'OFPRA sera tenu - je dis bien tenu - d'accorder la protection subsidiaire, dès lors que les critères en seront réunis. Par ailleurs, ce seront les officiers de protection de l'OFPRA, spécialistes du droit d'asile, indépendants dans leur jugement et bons connaisseurs des pays d'origine, qui examineront désormais les demandes, tandis que les recours se feront devant la commission des recours des réfugiés et revêtiront un caractère suspensif qui n'existe pas actuellement devant les tribunaux administratifs. Là encore, l'extension de la protection pour les demandeurs d'asile est appréciable.
    Enfin, certains, au sein même de cette assemblée, se sont émus du fait que l'OFPRA reçoive ainsi la responsabilité de vérifier que la « présence du demandeur d'asile sur le territoire ne constitue pas une menace pour l'ordre public, la sécurité publique ou la sureté de l'Etat ». A cette inquiétude, je voudrais apporter deux réponses. D'une part, il est essentiel que l'appréciation de la demande soit tout entière dévolue à l'OFPRA plutôt que de souffrir encore un démembrement de cette compétence, avec les divergences d'appréciation et les délais que cela impliquerait. D'autre part, il me semble préférable que cette appréciation soit confiée à un agent indépendant dont la mission est de veiller à l'application du droit d'asile.
    En tout état de cause, il ne serait pas responsable de vouloir ignorer, en matière d'asile, le paramètre de la sécurité de nos concitoyens. Nous savons tous ce que les déplacements internationaux comportent de risques de trafics et de violences. Qui prendrait, en conscience, la responsabilité de ne pas en tenir compte ? Reste à évaluer cette menace de manière responsable et à éviter qu'elle ne devienne un prétexte trop facile pour refuser l'asile. Le Gouvernement est prêt, sur ce point, à réfléchir avec vous à la manière de prévenir tout risque de dérive.
    Le deuxième objectif de la réforme est d'unifier les procédures pour réduire les délais d'instruction.
    A cet égard, trois innovations vous sont proposées.
    Tout d'abord, le Gouvernement veut recentrer l'asile autour de l'OFPRA en instaurant un « guichet unique ». L'OFPRA sera donc seul compétent en matière d'asile conventionnel et de protection subsidiaire.
    Il s'agira d'un OFPRA rénové, mieux en phase avec son environnement administratif. Son encadrement sera renforcé, notamment avec la création d'un véritable conseil d'administration. Y siègeront trois personnalités qualifiées, choisies notamment au sein des associations compétentes, le représentant du HCR, ainsi que, ce qui est nouveau, un représentant du personnel de l'office. Sur ce point, la commission des lois a adopté un amendement qui prévoit la présence d'un représentant de ces associations. Sachez que le Gouvernement le soutiendra.
    Deuxièmement, à ce guichet unique correspondra une procédure unique. Je vous l'ai dit, l'OFPRA accordera selon les cas l'une ou l'autre des deux protections prévues. C'est à cet office qu'il appartiendra de qualifier la demande d'asile lors de l'instruction du dossier et d'éviter ainsi le dépôt de demandes successives pour le même motif mais sur des fondements juridiques différents, voire à des services différents, comme c'est le cas aujourd'hui. Cela mettra un terme aux abus qui en résultent.
    Troisièmement, un recours juridictionnel unique, devant la commission des recours des réfugiés, complètera logiquement ce dispositif.
    J'ai entendu la préoccupation des rapporteurs, de nombreux représentants d'associations et de plusieurs d'entre vous, mesdames et messieurs les députés, quant à la présence du HCR au sein de cette juridiction. Sachez que je ne m'opposerai pas, au cours de ce débat, à un amendement qui tendrait à restituer au haut-commissaire pour les réfugiés la responsabilité de désigner lui-même ses représentants au sein des sections de jugement de la commission des recours des réfugiés.
    M. André Gerin. Très bien !
    M. le ministre des affaires étrangères. Votre rapporteur y a réfléchi, et je comprends qu'il fera une proposition à cette fin. Le Gouvernement se félicite de cette contribution de la commission des lois, qui lève l'ambiguïté sur la participation du HCR au sein de la Commission des recours des réfugiés.
    Cette rationalisation de notre système d'asile va permettre de raccourcir très sensiblement les délais moyens de traitement des demandes par l'OFPRA.
    Soyons clair : cette réduction des délais d'instruction ne se fera pas au détriment des demandeurs d'asile en conduisant à des procédures expéditives. C'est même exactement le contraire qui va se produire, puisque la réduction des délais va lever bien plus vite l'incertitude sur leur sort.
    Elle ne sera en fait défavorable qu'à ceux qui misaient jusqu'à présent sur la longueur de la procédure pour se maintenir le plus longtemps possible sur notre territoire, en violation de notre droit.
    Je l'affirme une fois encore : les garanties offertes aux demandeurs d'asile vont être étendues, notamment la garantie d'un examen au fond de leur demande, la présence d'un conseil au cours des auditions et un recours juridictionnel à effet suspensif pour les deux types d'asile.
    A cet égard, la question de la convocation pour l'audition des demandeurs d'asile a été posée avec insistance. Prévue dans la rédaction initiale du projet de loi, cette disposition a été retirée, ayant été jugée de nature réglementaire.
    Il va de soi que le Gouvernement sera ouvert à tout ce qui peut garantir aux demandeurs d'asile un examen au fond des éléments de leur dossier. Mais nous devons tous être conscient que le principe d'une convocation systématique de chaque demandeur pour un entretien a un coût en termes de personnel supplémentaire, d'interprétariat, de locaux et se traduira par un accroissement des charges pesant sur le budget de l'Etat.
    Soyons attentifs, par conséquent, aux efforts déjà en cours pour augmenter le nombre de convocations et ayons en la matière des ambitions réalistes et responsables.
    Le troisième objectif de ce texte est d'inscrire notre droit d'asile dans un cadre européen.
    Avec le traité d'Amsterdam, nous nous sommes engagés dans la voie de l'harmonisation des droits de l'asile et de l'immigration. L'expérience de Sangatte, dois-je le rappeler, a montré les dérives auxquelles peuvent conduire des divergences entre Etats membres. Des divergences au sein de l'espace Schengen se traduiraient nécessairement par des flux secondaires de migration que nous devons absolument éviter.
    Le projet de loi s'inspire donc de deux directives, en cours de discussion à Bruxelles, sur le statut de réfugié et la protection subsidiaire, d'une part, et sur les procédures d'asile, d'autre part.
    Outre la création d'une procédure unique et la mise en place de la protection subsidiaire, l'inspiration communautaire du projet de loi se traduit par l'introduction de deux nouveaux concepts dans notre ordre juridique : l'asile interne et les pays d'origine sûrs.
    Nous devons en effet prendre en compte la réalité de la demande d'asile aujourd'hui et la diversité des situations dans les pays d'origine. Ainsi, ce n'est pas parce qu'une partie de la Côte d'Ivoire ou de la République démocratique du Congo est en proie à la rébellion ou aux massacres que tous les citoyens de ces deux pays, où qu'ils se trouvent, sont légitimes à demander l'asile en France.
    Les concepts d'asile interne et de pays d'origine sûr visent à répondre à de telles réalités. C'est à ce titre qu'ils figurent expressément dans les projets de directives communautaires que j'ai cités. Ils sont d'ailleurs déjà en vigueur chez la plupart de nos partenaires européens et reconnus par le HCR lui-même.
    En premier lieu, la notion d'asile interne permettra à l'OFPRA de ne pas retenir la demande d'asile d'une personne qui aurait accès à une protection sur une partie du territoire de son pays d'origine et qui pourrait raisonnablement y être renvoyée sans crainte d'y être persécutée.
    La rédaction proposée dans le projet de loi offre la garantie d'une application prudente, dans la mesure où il sera systématiquement procédé à une évaluation cas par cas du caractère raisonnable du retour de la personne dans la partie de territoire concernée.
    A ce sujet, j'ai entendu les préoccupations des associations engagées dans la protection des demandeurs d'asile - que j'ai reçues - comme celles exprimées par plusieurs d'entre vous. Je proposerai tout à l'heure un amendement qui devrait renforcer le souci de la plus grande prudence dans l'appréciation de cette possibilité locale d'asile.
    Quant à la notion, en deuxième lieu, de pays d'origine sûr, chacun peut comprendre qu'une demande d'asile devra être traitée différemment selon qu'elle provient d'un Etat de droit ou au contraire d'une dictature.
    Un pays d'origine sûr est celui qui respecte les principes de liberté et de démocratie, les droits de l'homme et l'Etat de droit. Des persécutions ne sauraient y être perpétrées, y être autorisées ou y demeurer impunies.
    Il ne s'agira pas de rejeter systématiquement les demandes d'asile déposées par des ressortissants de ces pays ni de les considérer comme irrecevables, mais simplement de traiter ces demandes selon une procédure accélérée, dite « prioritaire », avec la garantie d'un examen au fond de chaque dossier, conformément à nos principes constitutionnels.
    Nous devons aboutir rapidement à la fixation, sur le plan européen, d'une liste commune de pays présumés sûrs, sur la base de critères communs, facilement révisables pour tenir compte des évolutions de la situation internationale. D'ici là, le conseil d'administration de l'OFPRA, où siègent le Haut Commissariat aux réfugiés et des représentants de la société civile, seront chargés d'établir cette liste à titre provisoire.
    Le dernier objectif de la réforme est la rationalisation des moyens alloués au dispositif.
    En priorité, nous devons ramener à deux mois, en moyenne, le délai de traitement des dossiers par l'OFPRA. Ce devrait être chose faite au 1er janvier 2004, grâce aux moyens substantiels mais temporaires qui ont été dégagés sur le budget 2003, essentiellement pour traiter le grand nombre de dossiers en attente.
    Au-delà, des moyens permanents seront nécessaires à l'OFPRA et à la Commission des recours des réfugiés pour absorber la charge supplémentaire issue de la réforme. Dès lors, la fluidité améliorée du dispositif devrait se traduire par la réduction de la durée, et donc du coût du traitement social de la demande d'asile.
    J'ai demandé à cette fin au directeur de l'OFPRA, au président de la Commission des recours des réfugiés et à mes services de finaliser avant l'été, en liaison avec le ministère délégué au budget, un contrat d'objectif et de moyens reposant sur une analyse lucide de l'impact de la réforme, de l'augmentation tendancielle des dépôts de demandes et des innovations à trouver dans l'organisation du travail. Le personnel de l'office et celui de la Commission des recours seront évidemment associés à ce contrat.
    Permettez-moi de rendre ici hommage à l'ensemble des femmes et des hommes qui assument chaque jour la lourde mission dévolue à l'OFPRA. Ils le font avec un dévouement exemplaire, le sens aigu de leurs responsabilités et le souci de préserver ce service public si particulier qui leur a été confié. Le Gouvernement veillera, dans le contexte budgétaire difficile que nous connaissons, à leur donner les moyens adaptés à leur mission, dans le plein respect de leur indépendance.
    Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, les questions que nous évoquons aujourd'hui sont difficiles, car elles sont directement liées au destin d'hommes et de femmes qui souffrent et croient en la France.
    C'est un système d'asile plus juste et plus efficace que propose aujourd'hui le Gouvernement, pour que la France reste fidèle à sa tradition d'accueil, qui a tant contribué à son honneur et à sa réputation.
    Il ne faut plus que les désordres de notre dispositif d'asile soient porteurs d'injustices, d'inquiétudes et de précarité. Il faut au contraire que, ensemble, nous redonnions à l'asile dans notre pays ses lettres de noblesse et que nous soyons fiers de ce droit porté si haut dans notre histoire et si intimement lié aux valeurs, aux principes et aux convictions que la France entend défendre sans faiblesse et sans relâche à travers le monde. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République... dont je salue le président.
    M. Jean Leonetti, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. Vous l'avez dit, monsieur le ministre, le droit d'asile est profondément ancré dans notre tradition républicaine issue de la Révolution. C'est un droit constitutionnel et une liberté fondamentale. Notre pays a toujours été un ardent défenseur des réfugiés et des combattants de la liberté. Est-il utile de rappeler qu'un réfugié n'a pas cette qualité parce qu'elle lui est accordée ou octroyée, mais parce qu'elle lui est reconnue comme un droit ?
    Pourtant, ces principes sont aujourd'hui en grande partie vidés de leur sens. Le Président de la République, déclarait à juste titre le 14 juillet 2002 : « il faut réformer immédiatement le droit d'asile. Le droit d'asile est une absurdité en France... Aujourd'hui, quand quelqu'un demande le droit d'asile, la décision demande dix-huit mois, c'est absurde. »
    Raccourcir les délais, faire face à l'augmentation des demandes tout en offrant toutes les garanties nécessaires pour que les personnes susceptibles de bénéficier d'une protection soient en mises en mesure de formuler leur demande et harmoniser ces dispositions avec le droit européen, tels sont les objectifs de ce projet de loi.
    Si l'on regroupe en effet les différentes formes d'asile et même en tenant compte des demandes communes formulées, le nombre cumulé des demandeurs d'asile est passé de 17 405 en 1996 à près de 80 000 en 2002.
    Les flux en provenance d'Afrique sont devenus majoritaires, et alors que sur le plan européen la demande est stable depuis cinq ans - entre 380 000 et 390 000 environ -, la France, le Royaume-Uni, la Suède et l'Autriche connaissent une forte progression.
    La longueur des délais de traitement des demandes, qui font appel à l'intervention de plusieurs administrations ou structures, atteint en moyenne deux ans et participe à l'augmentation des coûts qui ont doublé en deux ans avoisinant aujourd'hui 270 millions d'euros.
    Enfin, alors que le taux d'accord était en 1981 de 80 %, il est aujourd'hui de 17 % après recours, pour l'asile conventionnel, et de moins de 2 % pour l'asile territorial.
    Menacé d'engorgement, cumulant le désordre et l'injustice, le dispositif français du droit d'asile doit être réformé par respect pour les réfugiés sur lesquels pèse un risque vital pendant plusieurs mois avant d'obtenir le statut de réfugié, et même pour les déboutés qui, reconduits tardivement aux frontières après avoir pendant tout ce temps noué des liens forts dans le pays d'accueil, se retrouvent dans des situations humaines quelquefois dramatiques.
    Le premier objectif de ce projet de loi est donc une meilleure efficacité, grâce à l'unification des procédures autour de structures rénovées.
    Désormais, seul l'OFPRA traitera tous les demandeurs d'asile, y compris la « protection subsidiaire » qui remplace l'asile territorial traité par les préfectures, dont le rejet n'avait pas besoin d'être motivé et qui n'était pas susceptible de recours.
    La reconnaissance de la « persécution d'origine non étatique » accroît les garanties offertes aux demandeurs d'asile par rapport à la précédente législation. Tout le monde, en commission et dans le pays, a salué cette avancée considérable dans le domaine de la protection des réfugiés.
    La commission des lois, dans le respect du cadre constitutionnel, a maintenu - et je vous remercie, monsieur le ministre, d'accueillir avec bienveillance cet amendement - le rôle du HCR au sein de la commission des recours, réaffirmé la possibilité, pour les demandeurs d'asile, de présenter les éléments à l'appui de leur demande et réintroduit les associations en charge des réfugiés dans le conseil d'administration de l'OFPRA en y adjoignant deux parlementaires.
    Si son directeur est nommé conjointement par le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères, l'OFPRA reste sous tutelle du ministère des affaires étrangères.
    Enfin, la confidentialité est maintenue pendant toute la durée des procédures et les informations ne sont transmises aux préfectures que lorsque le demandeur est définitivement débouté à l'issue de tous les recours.
    Sur les 83 % de demandeurs d'asile déboutés, une infime minorité, moins de 5 %, sont renvoyés dans leur pays d'origine. Une mesure de rigueur doit donc s'associer à la mesure de générosité.
    Par ailleurs, nous devons introduire dans notre droit interne de nouvelles notions, afin d'harmoniser les politiques européennes de l'asile et les rendre plus conformes aux situations internationales.
    Cette approche est nécessaire car si on constate que la demande d'asile est stable à l'échelle de l'ensemble des Etats membres de l'Union, on observe des mouvements de hausse ou de baisse dans les différents pays en fonction des disparités entre les législations nationales. L'exemple de Sangatte est à ce sujet exemplaire puisqu'un faible pourcentage de réfugiés - évalué à 2 % - demandait l'asile en France, la plupart souhaitant rejoindre la Grande-Bretagne en raison des conditions plus favorables qui leur étaient offertes.
    Contrepartie logique de l'abandon du critère de l'origine étatique des persécutions, le projet de loi définit la notion d'« asile interne ». La demande peut être rejetée au motif que la personne peut trouver une protection sur une partie du territoire de son pays par des acteurs non étatiques. La prudence rédactionnelle du texte de loi offre les garanties nécessaires pour limiter cette possibilité. Il faut en effet qu'il n'y ait « aucune raison » de craindre d'y être persécuté et qu'il soit « raisonnable » de penser qu'il peut rester dans la partie du pays concerné. Le Gouvernement proposera, par un amendement de précision, d'introduire une protection supplémentaire.
    La notion de « pays sûr » est définie de manière restrictive, ce qui permet de protéger les demandeurs d'asile en provenance de ces pays dont la demande est toujours examinée sur le fond. Un « pays sûr » est un pays respectant les principes de la liberté, de la démocratie, des droits de l'homme et de l'Etat de droit dans lequel on peut présumer que des persécutions ne sauraient être ni perpétrées, ni autorisées, ni laissées impunies.
    « Il ne faut pas encombrer l'OFPRA et la Commission des recours de demandes manifestement innondées. C'est le sens de la procédure d'examen des demandes dites prioritaires, c'est-à-dire accélérées. Elle concernera les ressortissants des pays devenus ou redevenus démocratiques comme la Roumanie ». Cette phrase, déjà un peu ancienne, a été prononcée par Jean-Pierre Chevènement en décembre 1997.
    Dire aujourd'hui que la notion de « pays sûr » est nouvelle est donc inexact ; elle existait déjà sous le terme de « clause de cessation ». Il vaut mieux établir une liste évolutive que de laisser à un seul individu le pouvoir de décider, de manière discrétionnaire, pour les réfugiés.
    En attente d'une liste de pays sûrs établie par la communauté européenne, la commission a proposé de confier à l'OFPRA le soin d'en établir une à titre transitoire, apportant une garantie supplémentaire de la connaissance des faits, de la possibilité d'évolution et de l'impartialité de la décision. Ces mesures sont à même de rationaliser, d'harmoniser et d'améliorer les procédures du droit d'asile dans notre pays.
    Mais, monsieur le ministre, cette réforme ne s'effectuera efficacement qu'à plusieurs conditions.
    La première, et la plus importante, est que l'augmentation des moyens matériels et humains continue sa progression telle qu'elle a été faite aujourd'hui, en particulier en direction de la Commission des recours qui sera amenée, par la disposition que nous adopterons, à examiner les recours de la plupart des 30 000 demandeurs d'asile territorial déboutés qui, aujourd'hui, n'ont pas accès à cette procédure.
    La deuxième est que les décrets d'application précisent un certain nombre de points très importants, en particulier la généralisation de la convocation à des entretiens et les délais de recours.
    La troisième est que l'OFPRA et la Commission des recours, organismes indépendants qui ont prouvé, au cours du temps, leur impartialité, puissent faire des propositions afin de pouvoir rejeter, après examen, les demandes relevant manifestement de détournements de procédures.
    La dernière condition est que le droit européen définisse rapidement des règles d'harmonisation du droit d'asile, en particulier dans le domaine sensible du droit au travail afin que les mêmes droits soient accordés sur l'ensemble de l'Union européenne.
    Ainsi, mes chers collègues, grâce à ce projet de loi enrichi par les travaux des commissions, nous avons le sentiment d'avoir en grande partie remédié aux plus graves anomalies qui existaient dans l'application du droit d'asile et d'avoir fait progresser la cause de ceux qui sont persécutés dans leurs pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. Eric Raoult, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères.
    M. Eric Raoult, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères. Monsieur le président, monsieur le ministre, mesdames et messieurs les députés, en se saisissant pour avis de ce projet de loi relatif au droit d'asile, la commission des affaires étrangères souhaitait s'assurer que l'indispensable réforme en cours ne remettait pas en cause la tradition française en matière de droit d'asile. Cette tradition se manifeste, d'une part, par un fort attachement aux conventions internationales, notamment à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole du 31 janvier 1967 et, d'autre part, par notre culture historique d'accueil, principe à valeur constitutionnelle.
    Afin de répondre à cet objectif, j'ai rencontré, le plus souvent avec mon collègue Jean Leonetti, tant les promoteurs de la réforme, dont vous-mêmes et vos services, monsieur le ministre, ou le directeur de l'OFPRA, M. Viaux, que des observateurs indépendants comme le délégué du haut commissaire pour les réfugiés en France, M. Boukry, le président de la commission sociale de l'épiscopat, Mgr de Berranger, évêque de Saint-Denis, ou encore les représentants des associations membres de la coordination française pour le droit d'asile.
    Par ailleurs, avec l'accord du directeur de l'OFPRA, je passerai au mois de juillet prochain trois jours dans les services de Fontenay-sous-Bois, afin d'évaluer les conséquences de la réforme en cours sur le fonctionnement de cet organisme.
    Ces rencontres m'ont permis de constater une véritable convergence : le droit d'asile est en crise et l'augmentation du nombre de demandes a entraîné un accroissement considérable des délais d'instruction. Chacun s'accorde sur un certain nombre d'avancées de ce projet de loi, à commencer par l'unification des procédures d'asile conventionnel et d'asile territorial, même si des craintes existent à l'égard de concepts nouveaux, comme l'asile interne ou les pays d'origine sûrs, issus des propositions de directives communautaires en cours de conclusion.
    La réforme du droit d'asile en France ne peut pas être dissociée des évolutions en cours en Europe, que ce soit dans le cadre communautaire ou dans la législation interne de chacun des Etats membres. Dans un espace européen sans frontières, les différences de législation en matière d'asile ont pour conséquence d'attirer les demandes dans les Etats où la législation est la plus attractive. Tous les orateurs l'ont souligné, nous l'avons vu à Sangatte, l'attrait traditionnel du Royaume-Uni en la matière est bien connu : il s'explique par l'absence de contrôles d'identité dans ce pays ainsi que par l'autorisation de travail accordée aux demandeurs d'asile jusqu'à juillet 2002.
    Il est donc très important de parvenir à un rapprochement des législations en matière d'asile. En l'absence d'harmonisation, il est en effet probable que des « transferts » de demandeurs d'asile s'effectueront entre pays de l'Union européenne. Ainsi, si le nombre de demandeurs d'asile a crû de 8 % en France en 2002, il a baissé, parfois de façon spectaculaire, chez certains de nos partenaires. Le Danemark, les Pays-Bas, l'Italie et l'Allemagne se sont en effet lancés dans des réformes profondes de leurs procédures en matière d'asile. Ces réformes peuvent être qualifiées, car elles reviennent parfois sur le principe de la liberté d'aller et de venir du demandeur d'asile, ce qui n'est absolument pas le cas de la réforme que nous examinons aujourd'hui.
    L'évolution globale des pays européens s'inscrit donc clairement dans un encadrement de plus en plus strict du droit d'asile. Pour autant, il n'est pas question pour la France de renoncer à sa tradition séculaire d'accueil des personnes persécutées, ni à l'inspiration libérale de son système d'attribution du droit d'asile, que l'indispensable réforme en cours ne remet pas en cause.
    La France, en raison de son rôle majeur dans les négociations ayant abouti à l'adoption de la convention de Genève de 1951, a fait le choix d'une approche internationale du problème des réfugiés et du droit d'asile, fondée sur l'ardente obligation de protéger ceux qui en ont besoin. En conséquence, elle a mis en place des procédures spécifiques pour l'attribution de la qualité de réfugié alors que de nombreux pays européens considèrent que cette question relève de la police de l'immigration, et par là du ministère de l'intérieur.
    Le point fort du projet de loi est l'unification du dispositif d'asile autour de l'OFPRA, organisme qui connaît bien les problèmes de réfugiés et qui sera désormais compétent pour les demandes d'asile formulées en application de la convention de Genève ainsi que pour l'asile subsidiaire, qui remplace l'asile territorial. Rappelons que ce dispositif avait été créé en 1998 par la loi Chevènement pour répondre à une question spécifique, celle des persécutions des démocrates algériens par le GIA, mais qu'il a, si l'on en juge par un taux de rejet de 95 % à 98 %, été complètement détourné de son objet.
    Par ailleurs, l'entrée en vigueur de la loi aura une conséquence majeure sur l'interprétation de la convention de Genève par la France, dans un sens favorable aux demandeurs d'asile. Jusque-là, les juridictions françaises appliquaient de façon restrictive la convention en ce qui concerne l'origine des persécutions prises en compte pour l'attribution de la qualité de réfugié : elles considéraient que ces persécutions devaient être le fait d'un Etat. Or, depuis 1951, le monde a considérablement changé. En conséquence, la notion de réfugié, au sens de la convention de Genève, sera élargie et pourront donc en bénéficier des personnes aujourd'hui exclues de la protection conventionnelle.
    Cependant, le droit d'asile vise à assurer la protection de personnes persécutées, non à constituer un moyen de régulariser une présence illégale sur le territoire français. Si tout réfugié a droit à la protection, cela peut certes passer par une installation sur le territoire français, mais il ne s'agit pas de l'unique solution envisageable. L'espoir du retour au pays, c'est aussi celui de la démocratie qui peut y revenir.
    Le projet de loi prévoit ainsi que les Etats ne seront plus considérés commes les seuls agents pouvant offrir une protection, ce qui signifie concrètement que, si des personnes peuvent obtenir une protection effective de la part d'organisation non étatiques, la France pourra refuser de leur octroyer la qualité de réfugié. Un autre concept du projet de loi, très lié au précédent, est l'asile interne : cette notion permettra à l'OFPRA de refuser des demandes d'asile si le demandeur peut trouver une protection sur une partie de son territoire d'origine.
    Faire obstacle à l'utilisation des procédures de demande d'asile par des personnes à qui l'asile n'est pas destiné est légitime. Par exemple, il est utile d'instaurer une procédure d'examen plus rapide, et sans recours suspensif, pour les ressortissants de pays dits sûrs, notion très encadrée par le projet de loi. Sur cette notion de « pays sûr », la commission des affaires étrangères a émis le voeu que les pays considérés comme sûrs soient inscrits sur une liste, afin d'éviter une application trop subjective de ce concept. Le rapporteur de la commission des lois a formulé des propositions à ce sujet dans son rapport.
    En outre, il est apparu normal à la commission de permettre à l'OFPRA de communiquer au ministère de l'intérieur des documents d'état-civil ou de voyage de personnes dont la demande d'asile a été rejetée, afin de permettre la mise en oeuvre d'une mesure d'éloignement. Or la situation actuelle est particulièrement peu satisfaisante : seuls 3 à 4 % des déboutés du droit d'asile sont effectivement reconduits à la frontière.
    En conclusion, je voudrais préciser que la commission des affaires étrangères a estimé de façon unanime que le succès de cette réforme dépendrait de sa mise en oeuvre et des moyens qui seront accordés à l'OFPRA et à la commission des recours des réfugiés, qui relèvent du budget du ministère des affaires étrangères. En effet, ces institutions seront dorénavant compétentes pour toutes les demandes d'asile, alors qu'elles n'en traitaient jusque là qu'une partie.
    Des crédits, non reconductibles, ont été inscrits dans la loi de finances pour 2003 afin de résorber le stock de dossiers en attente. Si un tel effort n'est pas reconduit et augmenté en 2004, les délais de traitement des demandes ne pourront que s'allonger, en contradiction avec l'objectif du projet de loi. Certes, la conjoncture budgétaire est difficile, mais la réforme du droit d'asile est une priorité, annoncée par la Président de la République en personne le 14 juillet dernier.
    Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, parce que la détresse des demandeurs d'asile commence à Haïti et à New Delhi, mais qu'elle se termine malheureusement bien souvent à Clichy et à Bobigny, l'élu de Seine-Saint-Denis que je suis et rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères vous invite à donner un avis favorable à l'adoption de ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    (M. Eric Raoult remplace M. Jean-Louis Debré au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. ÉRIC RAOULT,
vice-président

Exception d'irrecevabilité

    M. le président. J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une exception d'irrecevabilité, déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.
    La parole est à M. Serge Blisko.
    M. Serge Blisko. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le droit d'asile, dont l'origine remonte aux cités grecques de l'Antiquité, est inséparable des régimes démocratiques. Il s'agit de l'ultime droit de l'homme, que ce dernier exerce lorsque tous les autres ont disparu, lorsque monte vers le ciel le cri des torturés et des suppliciés.
    La Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 énonce dans son article 14 : « Devant la persécution, toute personne a le droit de chercher asile et de bénéficier de l'asile en d'autres pays. »
    Or, monsieur le ministre, le texte que vous présentez au nom du Gouvernement ne répond que très imparfaitement à ce principe. Et pourtant la force de l'article 14 de la Déclaration de 1948 doit être conservée. Cela est essentiel pour l'avenir de la France et pour son image.
    Avant d'entrer plus avant dans mon propos, je relève avec plaisir, monsieur le ministre, que c'est vous qui présentez ce projet, et non votre collègue de la place Beauveau, dont on sait qu'il piaffait d'impatience - M. Raoult rappelait que dans d'autres pays cela se passe autrement - pour ravir en quelque sorte la responsabilité du droit d'asile à votre département. Nous verrons hélas, à l'analyse du texte, qu'il n'y a pas renoncé entièrement.
    M. Christophe Caresche. Il a déjà l'éducation nationale, il ne peut pas tout faire !
    M. Serge Blisko. L'exposé des motifs du projet de loi est assez étonnant car vous hésitez entre deux motivations.
    La première est d'ordre quantitatif. Vous affirmez qu'il y a trop de demandeurs : 80 000 environ en 2001, qui demandaient l'asile au moyen de deux procédures : 50 000 par la voie de l'asile conventionnel auprès de l'OFPRA, 30 000 par celle de l'asile territorial auprès du ministère de l'intérieur. Personne ne contestera ces chiffres, bien qu'il y ait certainement des doubles comptes. Et cet afflux vers la France coûte de plus en plus cher : vous parlez de 270 millions d'euros.
    Une autre motivation, tout aussi sérieuse, est ce que vous appelez la mise en conformité avec l'esprit des dispositifs déjà adoptés par la plupart de nos partenaires européens, notamment l'Allemagne, le Royaume-Uni ou les Pays-Bas.
    La législation sur l'asile, prérogative étatique par excellence, est demeurée de la compétence des Etats membres jusqu'au traité d'Amsterdam, entré en vigueur le 1er mai 1999. L'article 63 du traité a « communautarisé » le droit d'asile, comme on dit dans le jargon d'aujourd'hui, en prévoyant une période transitoire de cinq ans au cours de laquelle l'Union fixerait les normes minimales applicables à l'accueil des demandeurs d'asile, aux conditions de reconnaissance du statut de réfugié et aux conditions d'octroi et de retrait de ce statut. A l'issue de cette période de cinq ans - nous y sommes presque -, le Conseil des chefs d'Etat et de gouvernement pourra, en vertu du même article 63, après consultation du Parlement européen et à l'unanimité, décider de statuer désormais à la majorité qualifiée dans cette matière.
    J'entends vous démontrer, monsieur le ministre, que la France, qui a su résister, lors de la crise irakienne, à la pensée unique, peut et doit résister au nivellement par le bas préparé par l'Union européenne.
    D'abord, il est essentiel pour nos valeurs démocratiques que nous refusions tous absolument l'amalgame entre asile et immigration. Trois idées sous-tendues par votre projet de loi me semblent en effet très graves.
    Premièrement, ce projet réalise une confusion totale des questions d'asile et d'immigration.
    Deuxièmement, beaucoup de nos collègues de la majorité sont persuadés que tout candidat à l'asile est un fraudeur potentiel qui détourne la procédure d'asile pour mieux contourner les lois sur l'immigration régulière.
    M. Jean Leonetti, rapporteur. Pas du tout !
    M. Serge Blisko. Enfin, au vu des deux projets de loi - le vôtre, monsieur le ministre, et celui relatif à l'immigration que M. Sarkozy présentera dans quelques jours après le débat sur les retraites -, il apparaît que les réfugiés et les immigrés sont plutôt un mal pour notre pays, une source de difficultés et d'appauvrissement, alors que nous prétendons qu'ils sont au contraire source d'enrichissement pour la République et la rendent plus forte.
    Il faut battre en brèche ces idées reçues. L'asile etl'immigration, monsieur le ministre, n'ont que peu de rapport.
    Sur le plan quantitatif, depuis les années 50, arrivent en France entre 100 000 et 150 000 immigrés tous les ans, par le biais des procédures légales, et notamment du regroupement familial. M. le ministre de l'intérieur s'enorgueillit d'avoir ramené ce nombre, en un an, de 120 000 à 100 000 ; ce résultat, entre nous, tient peut-être plus, hélas ! aux difficultés économiques accrues de la France qu'à sa propre action.
    Les demandes d'asile déposées depuis cinquante ans au titre de la convention de Genève connaissent certaines années de pics très élevés et d'autres de volumes beaucoup plus faibles, tout simplement parce qu'elles suivent une autre logique que l'immigration, celle qu'impriment les crises géopolitiques, les guerres civiles, les conflits régionaux et les persécutions politiques ou religieuses.
    Vous avez ainsi rappelé, monsieur le ministre, que les demandeurs d'asile furent très nombreux à la fin des années 80, juste après la chute du mur de Berlin. Une crise grave secoua alors l'OFPRA, déjà totalement dépassé par l'afflux des demandes. Le gouvernement de Michel Rocard prit des mesures exceptionnelles, notamment le recrutement de vacataires, pour renforcer les effectifs de l'OFPRA, et jusqu'en 1998, l'office put traiter convenablement 15 000 à 22 000 demandes d'asile par an.
    Depuis lors, notamment en raison du conflit du Kosovo, à cause des désordres qui minent le Moyen-Orient, en particulier l'Afghanistan et le Kurdistan, Etat fantôme, virtuel, écartelé entre plusieurs pays, du fait également de l'instabilité politique et des menaces qui pèsent dans certains Etats de l'ancien empire soviétique - je pense au Caucase et à l'Asie centrale, régions très instables -, le nombre des demandeurs d'asile conventionnel a très vite augmenté, passant de 31 000 en 1999 à 39 000 en 2000, 48 000 en 2001 et 51 000 en 2002, d'après le dernier rapport de l'OFPRA, que nous venons de recevoir.
    A cette explosion on doit ajouter celle de l'asile territorial, passé de 1 300 demandes en 1998 à 31 000 en 2002.
    Ces chiffres sont certes impressionnants et ont eu pour effet d'« emboliser » totalement le travail de l'OFPRA et de la Commission des recours. Bien entendu, votre texte a raison de le souligner, cela entraîne des délais de traitement insupportables qui atteignent aujourd'hui dix-huit mois à deux ans en moyenne.
    Mais vous comprendrez aisément que ce n'est pas parce qu'un dispositif est saturé ou coûte de plus en plus cher - ce qui est certainement vrai - qu'il faut le modifier profondément sans faire au préalable une analyse plus fine pour comprendre ce qui se passe.
    Ce serait un raisonnement absurde que de vouloir restreindre un droit constitutionnel sous prétexte qu'un trop grand nombre de personnes veulent l'exercer. Si l'on suivait ce raisonnement, il faudrait fermer les hôpitaux en cas d'épidémie, refuser d'enregistrer les plaintes dans les commissariats de police quand la délinquance augmente, radier les demandeurs d'emploi dans les agences de l'ANPE dès que le chômage s'accroît... Mais pardonnez-moi, monsieur le ministre, je m'égare un peu, car personne n'aurait l'absurdité de raisonner ainsi.
    Pour résoudre le problème de l'OFPRA, il aurait été plus simple de lui donner plus de moyens - ce que vous faites partiellement - pour lui permettre de résorber très vite le stock des dossiers de demandeurs d'asile, comme l'avait fait le gouvernement Rocard il y a douze ans.
    Par ailleurs, un traitement juste mais rapide aurait de toute façon un effet dissuasif pour les « demandeurs abusifs » - il en existe bien entendu - qui tentent leur chance parce que le système de la demande d'asile est totalement engorgé et qu'ils savent ainsi qu'ils pourront rester dans notre pays très longtemps avant de recevoir une décision définitive. C'est une aubaine pour ceux-là, mais une grande gêne pour les autres.
    Car, mes chers collègues, M. Leonetti l'a rappelé, déposer une demande d'asile ne garantit pas du tout qu'elle soit acceptée. De ce point de vue, les chiffres sont éloquents. Malgré leur crise de fonctionnement, l'OFPRA et la Commission des recours restent des filtres sévères parce que les officiers de protection sont des personnels de qualité qui connaissent la situation géopolitique de chaque pays du monde. Ils permettent de détecter les réfugiés au sens de la convention de Genève et de les distinguer de ceux que vous appelez - mais ce n'est pas mon vocabulaire - les « faux réfugiés ». Ainsi, l'OFPRA, sans doute trop sévère - il faudrait en discuter -, a donné son accord à moins de 13 % des demandeurs et, avec la Commission des recours, on arrive à peine à 17 % de statuts acceptés. Je tire également ces chiffres du rapport d'activité pour 2002 de l'OFPRA.
    Asile et immigration ne se confondent pas, sinon dans le fantasme de certains de nos collègues, car la carte d'origine des demandeurs d'asile montre à l'évidence, à une exception près, celle des Algériens, dont nous discuterons plus tard, qu'il ne s'agit pas des mêmes pays d'origine que ceux de l'immigration.
    D'ailleurs, quand il s'agit des pays classiques d'immigration, le taux d'accord cumulé de l'OFPRA et de la Commission des recours est extrêmement faible. J'en veux pour preuve le fait que, sur les quelque 3 000 demandeurs originaires de Chine - et nous savons que les Chinois sont une composante importante de l'immigration régulière ou irrégulière -, 1 % seulement, soit trente personnes, se sont vu reconnaître le droit d'asile.
    Sur les 2 413 demandes déposées en 2002 par des ressortissants du Mali, pays que je connais bien et où la démocratie est en place depuis plus de dix ans grâce aux magnifiques efforts des présidents Konaré et Touré, dix seulement ont débouché sur l'octroi de l'asile en France, et c'est sans doute normal compte tenu de l'évolution démocratique de cet Etat.
    A qui donne-t-on l'asile dans notre pays ? Record pour les Rwandais, peu nombreux il est vrai : 300 l'ont demandé, 85 % l'ont obtenu. Bon score pour les derniers arrivants du Sud-Est asiatique : 266 Cambodgiens, Laotiens et Vietnamiens l'ont demandé, 57 % l'ont obtenu. On trouve aussi bon nombre d'Irakiens. Quant aux ex-Yougoslaves, l'OFPRA fait preuve de finesse à leur égard. Ils ne sont que 30 % à obtenir l'asile, mais avec des différences notables suivant la République d'origine. Le taux monte à 60 % quand ils viennent de Bosnie où, en raison des intrications de populations, des menaces subsistent de village à village. Je pourrais citer enfin les demandeurs d'asile originaires de la République démocratique du Congo, les Tchétchènes, quelques dizaines d'Afghans.
    Monsieur le ministre, l'OFPRA travaille lentement, trop lentement, mais arrive à faire la différence entre asile et immigration et sait reconnaître les blessures de notre monde « là où, comme le disait Aragon, notre siècle saigne ».
    Au total, la France, qui représente 5 % du PNB mondial et 1 % de la population mondiale, accueille aujourd'hui 130 000 réfugiés au titre de la convention de Genève. Il y a, bien sûr, des strates successives : beaucoup repartent dans leur pays, d'autres sont naturalisés français, d'autres encore, par le jeu de la clause de cessation, n'ont plus le statut. La France accueillait 180 000 réfugiés en 1986 et près de 400 000 au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Les 130 000 réfugiés présents sur notre sol représentent 0,5 % des 22 millions de réfugiés dans le monde.
    La patrie des droits de l'homme n'est donc pas submergée par les réfugiés. Aujourd'hui, et c'est une tendance lourde, les trois quarts des réfugiés sont accueillis dans et par les pays du tiers monde : deux millions au Pakistan, près de deux millions en Iran et des centaines de milliers dans les Etats voisins du Congo-Kinshasa.
    D'autres chiffres, déjà cités par M. Leonetti, montrent que le phénomène se stabilise en Europe. Alors que 692 000 demandes d'asile avaient été enregistrées dans l'Union européenne en 1992, année qui marque un pic, 380 000 seulement ont été déposées en 2002, émanant en majorité de ressortissants afghans, yougoslaves, russes, irakiens et turcs. Pour ces deux dernières nationalités, il s'agit en réalité de Kurdes, dont nous connaissons la situation difficile. La demande d'asile adressée à l'Europe des Quinze s'est stabilisée depuis 1998 sous la barre des 400 000 demandes par an.
    Reste le problème très particulier de l'asile territorial, mis en place par le précédent gouvernement pour les personnes menacées dans leur pays, non par l'autorité étatique mais par des groupements politiques usant de procédés terroristes ou terrorisants. On pense bien sûr à l'Algérie. En effet, trois quarts, peut-être plus, des 30 000 demandeurs d'asile territorial de ces dernières années sont des Algériens menacés parce que francophones, libres-penseurs, femmes émancipées, journalistes, intellectuels. Rasssurez-vous, mes chers collègues, 1 ou 2 % seulement de ces demandeuses et demandeurs d'asile territorial l'ont obtenu.
    La troisième idée reçue, c'est que réfugiés et immigrés sont source d'ennuis, porteurs de bien des maux. Là encore, la France est bien loin derrière ses partenaires européens. Car, contrairement à ce qui est affirmé depuis vingt ans et répété démagogiquement parfois par le ministère de l'intérieur, la France a plutôt un faible taux d'immigrés. N'oublions pas que, depuis juillet 1974, la fermeture théorique des frontières à l'immigration a ramené les flux migratoires en France à un niveau assez modeste, puisqu'ils sont cinq fois plus importants en Allemagne, deux fois plus importants en Grande-Bretagne et plus importants encore en Espagne, en Italie ou en Grèce.
    Monsieur le ministre, dans les années 30, les politiques restrictives que notre pays avait hélas mises en place par malthusianisme, et déjà sous la pression de l'extrême droite, ont fait que nous avons refusé d'accueillir des dizaines de milliers d'Allemands ou d'Autrichiens fuyant le nazisme. La plupart sont partis en Angleterre ou aux Etats-Unis, où ils ont contribué de façon décisive à l'essor scientifique, culturel et médical de ces pays. Sait-on, par exemple, qu'un quart des Prix Nobel américains sont des réfugiés d'Autriche et d'Allemagne ? Beaucoup ont regretté, d'ailleurs, de n'avoir pas été bien accueillis, ou pas accueillis du tout en France. Pire encore, le régime de Vichy avait persécuté les citoyens allemands et autrichiens antinazis et les avait remis aux nazis, comme le relate Anna Seghers, dans un beau roman intitulé Transit.
    A la fin de la Seconde Guerre mondiale, le souvenir brûlant de ces épisodes peu glorieux avait fait mûrir dans notre pays la volonté, exprimée notamment par René Cassin, de devenir exemplaire en ce domaine.
    Aujourd'hui, je regrette que l'on parle plus de chasse aux fraudeurs que de droits de l'homme, au moment où le nombre de réfugiés n'a jamais été aussi important dans le monde : 22 millions, je le rappelle, un million à peine en 1951.
    L'Europe elle-même a redécouvert en 1989-1990, après la chute du mur de Berlin, que ce phénomène n'était pas réservé aux dictatures du tiers monde ou aux affres de la décolonisation. Passé de 500 000 en 1990 à 5 millions en 1994, le nombre de réfugiés en Europe témoigne des désordres qui affectent notre continent.
    Restant muet, malheureusement, sur le grand dérangement du monde, que vous connaissez pourtant mieux que quiconque, monsieur le ministre, l'exposé des motifs du projet de loi est très décevant, et se fonde, il faut bien le dire sur un raisonnement un peu étriqué : il y en a trop, ça coûte cher et, en plus, ce sont des fraudeurs !
    Le deuxième présupposé est que l'on ne peut guère faire mieux du fait des contraintes européennes, qui devraient aboutir, d'après le traité d'Amsterdam, à un statut commun le 1er mai 2004.
    Je décrivais à l'instant cette marche progressive vers la communautarisation du droit d'asile. Si, auparavant, les politiques de gestion des flux migratoires spontanés relevaient individuellement de chaque Etat, les accords de Schengen de juin 1985, la définition du mécanisme de Dublin, en 1990, et le traité de Maastricht du 7 février 1992 ont marqué autant d'étapes dans le processus de transfert de compétences des pays membres de l'Union au bénéfice des institutions communautaires.
    Aboutissement de ce processus, l'adoption du traité d'Amsterdam marque une étape majeure pour la construction de l'Europe. Les questions relatives au droit d'asile et à l'immigration - hélas mélangées - relèvent désormais de politiques communautaires, afin de permettre non seulement de rapprocher les législations et les pratiques des Etats membres de l'Union, mais aussi, à terme, de transférer définitivement cette prérogative des Etats aux institutions européennes.
    A l'échéance de la première phase d'harmonisation, fixée au 1er mai 2004 - dans moins d'un an -, la politique européenne en matière de droit d'asile doit avoir produit un règlement précisant les critères de détermination de l'Etat responsable de l'examen de la demande et avoir défini les normes minimales communes - j'insiste sur « minimales » -, communes concernant l'accueil, les procédures de détermination du statut et les critères de reconnaissance.
    Les effets conjugués de la politique de responsabilisation et de pénalisation des transporteurs - aériens, en particulier - acheminant des personnes dépourvues des documents d'entrée nécessaires et de la politique restrictive des visas ont déjà touché de plein fouet les demandeurs d'asile qui, devant un verrouillage croissant des voies d'accès au territoire européen, sont contraints, pour la plupart, de franchir illégalement les frontières, en recourant notamment aux filières et aux passeurs, parfois au prix de leur vie.
    En ce qui concerne la France, par exemple, 11 000 personnes sont entrées en 2002 sur le territoire en passant par Roissy, principale voie d'entrée aérienne, ce qui implique ipso facto qu'environ 40 000 demandeurs d'asile conventionnel entrent par la voie terrestre, clandestinement pour la plupart.
    Lors du conseil européen de Tampere des 15 et 16 octobre 1999, la tonalité était libérale, au sens, comme le disait M. Raoult, de l'ouverture. Les chefs d'Etat et de gouvernement avaient, en effet, réaffirmé leur attachement à la convention de Genève et leur solidarité à l'égard des réfugiés. En revanche, les préoccupations sécuritaires, exprimées au lendemain des événements du 11 septembre 2001, ont conduit les Quinze, réunis à l'occasion du conseil européen de Laeken des 14 et 15 décembre 2001, à affirmer, pour freiner l'essor de la demande d'asile, que la construction d'un système d'asile devait inévitablement prendre en considération la sécurité intérieure de l'Union - c'est un nouveau critère -, ainsi que les capacités matérielles d'accueil - ça, c'est un vrai problème.
    L'expérience montre que les propositions de la Commission, lorsqu'elles sont de tonalité ouverte, sont dénaturées en cours de route par les Etats membres et sont en définitive réduites au plus petit commun dénominateur. La Commission n'est généralement pas en cause mais les Etats membres font, au final, prévaloir la règle la moins favorable. C'est ainsi que, dernièrement, l'Allemagne et le Royaume-uni sont venus, pour des raisons d'ordre interne, au secours de la France afin d'écarter du droit au travail les demandeurs d'asile. Les Etats se repassent le mistigri.
    Malgré la très prochaine arrivée à échéance de la première phase d'harmonisation des politiques d'asile et d'immigration en Europe, dans un dernier réflexe souverainiste, les Etats membres de l'Union européenne ne se sont pas privés de modifier dans un sens défavorable aux demandeurs d'asile leur propre législation nationale.
    On peut noter ainsi la suppression de l'accès au marché du travail pour les demandeurs d'asile au Royaume-Uni, la suppression de l'asile diplomatique au Danemark, la révision des conditions de séjour des réfugiés en Allemagne, le durcissement des conditions d'entrée en Italie, la précarisation du statut social des demandeurs d'asile en Autriche, etc. Loin d'échapper à ce mouvement, la France cherche à faire de même à l'occasion de ses nouvelles lois sur l'asile et sur l'immigration.
    S'agissant du droit d'asile, vous proposez, sous prétexte de modernisation, un texte qui bafoue notre Constitution et nos principes fondamentaux à plusieurs reprises. J'en arrive ainsi aux motifs d'inconstitutionnalité de ce projet.
    Monsieur le ministre, je vous en prie, ne laissez pas renier nos valeurs les plus nobles. Nous pensons tous à cet instant à « ceux pour qui le mot liberté et la France sont synonymes d'espoir », comme vous l'avez déclaré à Genève, le 24 mars dernier.
    Je veux aujourd'hui vous rappeler des choses simples mais essentielles. Des propositions, fussent-elles européennes, surtout lorsqu'elles ne sont ni signées ni ratifiées, ne sauraient primer notre charte fondatrice ni nos principes de valeur constitutionnelle.
    J'entends vous démontrer, premièrement, que le droit d'asile fait partie du bloc de constitutionnalité ; deuxièmement, que ce projet de loi aboutira à instaurer deux catégories de réfugiés ; troisièmement, que les procédures nouvelles prévues pour l'OFPRA posent problème.
    Premièrement, le droit d'asile fait partie du bloc de constitutionnalité. Il faut rappeler que le droit d'asile n'occupe pas une place ordinaire dans le paysage constitutionnel français. Le droit d'asile est un devoir pour la France et son contenu a toujours été afirmé comme tel par le Conseil constitutionnel qui l'a exprimé, au cours de ces décisions, de plus en plus précisément.
    La France peut négocier l'organisation ou la mise en oeuvre du droit d'asile, c'est ce que prévoit d'ailleurs la convention de Genève. Mais la France ne peut en aucun cas déléguer ses prérogatives quant à l'appréciation des conditions d'attribution de la qualité de réfugié - décision du Conseil du 5 mai 1998 sur l'entrée et le séjour des étrangers et sur le droit d'asile.
    La France ne peut donc échapper à son obligation d'examen individuel de toutes les demandes d'asile qui lui sont présentées. A l'occasion de la révision constitutionnelle de 1993, ce principe a été solennellement réaffirmé. Elle doit offrir au demandeur d'asile, comme au réfugié - celui qui a obtenu un statut -, un véritable statut comprenant la liberté d'aller et venir, une mise à disposition de tous les documents utiles, une information suffisante et, bien évidemment, une garantie des droits de la défense. Il incombe au législateur de transcrire dans la loi ces garanties constitutionnelles - décision du Conseil du 22 avril 1997 sur l'immigration.
    Autant de principes simples que vous semblez oublier dans ce texte.
    Deuxièmement, ce projet de loi aboutira à instaurer deux catégories de réfugiés. Le texte propose, en effet, un droit d'asile et ce que j'appellerai un sous-droit d'asile. Cette aberration induit deux statuts différents : l'un noble, l'autre au rabais, alors que le concept du droit d'asile, pour le Conseil constitutionnel, est un et indivisible. Il convient d'affirmer et de réaffirmer ici qu'il n'y a qu'un seul droit d'asile.
    Certes, me direz-vous, la loi de 1998 a créé, au côté de l'asile dit « convention de Genève », un asile territorial destiné à étendre la notion de réfugié.
    M. Jean Leonetti, rapporteur. Vous lisez dans nos pensées !
    M. Serge Blisko. Il s'agissait de répondre à des situations exceptionnelles, lorsque l'agent de persécution n'était pas étatique. A l'époque c'était d'ailleurs considéré comme un progrès. Mais cela n'a pas bien marché, nous sommes d'accord.
    Le présent texte aujourd'hui semble finaliser ce dispositif dans la mesure où il intègre l'idée que les personnes persécutées par un agent non étatique méritent protection. Parfait. Nous vous en donnons acte, mais au-delà de l'effet d'annonce, c'est l'ensemble du droit d'asile qui est manipulé et affaibli.
    Contrairement aux apparences, en effet, ce projet de loi ne poursuit pas malheureusement les objectifs de la loi RESEDA qui créait des droits utiles répondant à des besoins conjoncturels.
    Nous aurions pu espérer que la généralisation de la notion d'asile territorial s'accompagnerait d'une extension des droits reconnus au réfugié. Mais vous en profitez pour restreindre la portée du droit d'asile : paradoxe extrême, le risque pour la liberté de ceux qui agissent pour la liberté n'est plus un critère, seulement une promesse qui n'ouvre plus les frontières françaises. On exigera en effet du demandeur la preuve complémentaire que sa vie ou son intégrité physique est menacée.
    Et vous ne vous arrêtez pas là. Vous vous apprêtez à dire à un demandeur d'asile : « Vous avez droit à l'asile mais pas chez nous. » C'est votre asile subsidiaire qui n'en est plus un. Vous vous apprêtez encore à lui dire : « Vous avez le droit de demander l'asile mais sachez que vous ne l'aurez pas. » Vous allez d'ailleurs examiner la demande en quatre jours, ce qui est tout à fait décourageant.
    Comment procéderez-vous ? Vous créez, au troisième alinéa du III de l'article 1er du projet de loi une notion parfaitement étrangère à notre droit : celle de territoire, de région ou de pays considérés comme sûrs ou pas sûrs. Pour cela, la France - donc nos agents détachés à l'OFPRA, établissement public - devra prendre en compte des données dont elle n'aura pas la maîtrise. Certes, monsieur le ministre, vous recevez des télégrammes diplomatiques tous les jours, mais il y a des choses que l'on ne peut pas toujours dire, on ne peut pas tout dévoiler.
    Pratiquement, il s'agira pour la France, et pour l'OFPRA, de prononcer un jugement, difficilement gérable diplomatiquement. Comment expliquer aux pays avec lesquels nous avons des relations commerciales importantes, des relations diplomatiques fécondes, où vit, par exemple, une communauté française expatriée considérable, qu'ils sont tout à coup sortis de la liste des pays sûrs pour entrer dans celle des pays non sûrs ? Ce concept, qui ne saurait être que subjectif - mais après tout, on a le droit de dire qu'un pays qui était sûr ne l'est plus -, va induire une rupture d'égalité dans la mesure où, à identité de situation, les solutions proposées aux demandeurs seront nécessairement différentes.
    Prenons l'exemple de la Côte d'Ivoire que vous avez cité. C'était un pays sûr, il y a quelques années. Certes, ce n'était pas la démocratie à la française mais il y avait tout de même un certain nombre de garanties constitutionnelles. Or, à présent, il faut s'attendre à ce qu'il soit en quelque sorte déclassé en fonction de l'avancée des forces rebelles ou de tel ou tel événement.
    Et la Tunisie, pays proche que nous aimons tous, mais où les organisations non gouvernementales, la Ligue des droits de l'homme entre autres, ne peuvent contrôler le respect des droits de l'homme, est-elle sûre ou non ? Les critères de l'Union européenne auxquels vous vous référez, vous interdisent de qualifier la Tunisie de pays d'origine sûre. Sommes-nous prêts collectivement à l'assumer eu égard à la profondeur de nos liens avec la Tunisie ?
    A cet égard, rappelons-nous les difficultés que pose l'établissement de liste, de pays tiers réputés sûrs par le GAFI - groupe d'action financière sur le blanchiment des capitaux - qui lance chaque année - je lis cela dans la presse - la France dans d'interminables discussions. Elle se trouve confrontée à d'interminables difficultés diplomatiques et relationnelles quand il s'agit en quelque sorte de dire que tel pays ami avec lequel on a des rapports économiques forts est un peu truand ou un peu voyou sur les bords. Or, avec le droit d'asile, il est question non pas simplement d'argent, mais de la vie d'hommes et de femmes. Pensez-vous qu'il soit utile de nous enfermer dans un système aussi délicat ?
    C'est peu dire que cette disposition porte en elle-même un germe d'anticonstitutionnalité. Elle génère des discriminations insupportables et elle est contraire à l'idée que le Conseil constitutionnel se fait de la souveraineté.
    En effet, que nous dit le Conseil constitutionnel dans sa décision du 31 décembre 1997 relative au traité d'Amsterdam intégrant l'acquis de Schengen ? « Le transfert de compétences au profit de la Communauté dans les domaines de l'asile [...] par un vote à la majorité se substituant à un vote à l'unanimité dès mai 2004 doit être déclaré contraire à la Constitution. » Dès le 1er mai 2004, si nous déléguons une partie de notre souveraineté, nous serons donc en opposition avec la Constitution.
    Ce transfert constitue en effet « une modalité nouvelle de transfert de compétences dans des domaines où est en cause la souveraineté nationale et dans de telles matières qui pourraient conduire à ce que trouvent affectées les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale... ».
    L'étendue d'un droit constitutionnel ne peut dépendre d'une décision de l'Union européenne - ce que vous soutenez dans l'exposé des motifs de votre projet de loi, monsieur le ministre - alors et surtout que le vote à la majorité serait mis en oeuvre cinq mois après l'entrée en vigueur de la loi que vous prévoyez pour le 1er janvier 2004.
    En clair, comme il l'avait envisagé pour Maastricht, le Conseil réaffirme le même principe : il est des domaines, tel le droit d'asile, dans lesquels la France ne peut envisager de se défaire de sa souveraineté, quelles que soient les modalités de ce transfert.
    La notion de pays sûrs est inacceptable, tant du point de vue éthique que diplomatique. Tel est aussi l'avis du Conseil, sauf en matière de délivrance de visa dans les pays tiers, ce qui est compréhensible car le problème posé n'est pas le même.
    En résumé, le législateur ne peut pas, s'agissant d'un droit constitutionnel, refuser de définir la notion de pays considéré comme sûr, ni transférer cette compétence à l'Union européenne. Or le projet de loi renvoie à l'Union européenne le soin de fixer la liste des pays d'origine considérés comme sûrs, liste qui s'imposera à tous les pays membres. Outre le fait que cette délégation n'a ni base constitutionnelle ni base européenne, il n'est pas possible de faire dépendre la portée d'un droit constitutionnel en France de décisions prises à l'étranger.
    Dans ce cas, en effet, les autorités françaises n'auront plus aucun droit de regard en la matière et la portée d'un droit constitutionnel pourrait être réduite à néant si la liste des pays considérés comme sûrs s'allongeait jusqu'à comprendre les 186 ou 190 pays internationalement reconnus.
    En tout état de cause, ce mécanisme est contraire à la Constitution car il aura pour effet d'affaiblir le droit d'asile au lieu de le rendre plus effectif à la faveur d'une modification de la loi - je vous renvoie à la décision du Conseil du 13 août 1993 : « Le législateur ne peut se contenter d'appliquer une convention internationale car il a le devoir absolu d'assurer en toute circonstance l'ensemble des garanties légales. »
    Le Conseil constitutionnel l'avait déjà précisé dans sa décision du 3 septembre 1986 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France : le droit d'asile est un principe de valeur constitutionnelle, mis en oeuvre par des conventions internationales, et notamment par la convention de Genève et par la loi interne. Chaque organe de l'Etat français a en charge de veiller à l'application de conventions internationales - donc de la convention de Genève - « dans le cadre de leurs compétences respectives ».
    En conséquence, le législateur ne peut dénaturer, gravement méconnaître, ou, à l'occasion de l'abrogation d'un texte préexistant, affaiblir les garanties accordées. Il peut seulement en réglementer les conditions d'exercice « en vue de le rendre plus effectif ou de le concilier avec d'autres règles de valeur constitutionnelle ». C'est le fameux « effet cliquet » !
    Pour conclure sur ce point, si l'on poursuivait le raisonnement jusqu'à son terme, l'établissement d'une liste des pays considérés comme sûrs, qui inclut déjà les pays membres de l'Union européenne - c'est le protocole Aznar -, et bientôt les dix Etats candidats à l'adhésion, aurait pour effet de faire disparaître le droit d'asile en France.
    Monsieur le ministre, votre projet résulte, me semble t-il, d'une confusion de deux questions : celle du droit d'asile et celle de l'immigration. Je vous rappelle que le droit d'asile repose sur une contrainte, car le demandeur n'a pas d'autre solution, alors que l'immigration résulte d'un choix, celui de demander l'entrée dans notre pays sachant que nous avons le choix de le refuser, eu égard par exemple à la situation de l'emploi. Le droit d'asile s'impose en revanche à la France, sous réserve de vérification pour qu'il n'y ait pas d'abus.
    Vous nous proposez donc deux statuts ; tous deux en deçà des garanties reconnues par le Conseil constitutionnel et la convention de Genève. Je vous rappelle que cette dernière présente un lien étroit avec la Constitution, puisqu'elle poursuit des buts équivalents et propose une protection identique de l'asile.
    Vous nous proposez un statut noble que vous nous présentez, bien évidemment, comme équivalent au droit d'asile actuellement pratiqué. Or il n'en est rien car il est amoindri, rogné par l'introduction de l'asile interne.
    Et je voudrais en arriver à la deuxième nouveauté qui nous fait peur : l'asile interne. Celui-ci autoriserait la France à refuser l'asile à des personnes dont l'OFPRA a pourtant reconnu l'éligibilité. Indépendamment des aspects philosophiques, on voit les difficultés techniques. Vous y avez insisté en parlant de garanties, de précautions à prendre. Le texte prévoit que des autorités non étatiques, voire des partis, des milices armées de partis, des organisations internationales assureront la protection des hommes. Mais techniquement comment cela va-t-il se passer ? Comment renvoyer le Kosovar menacé à Belgrade, sans passer par Belgrade ? Va-t-on l'escorter ? Des agents consulaires vont-ils le prendre en charge à l'aéroport de Belgrade pour le conduire au Kosovo ? Sera-il en sécurité dans le village d'origine de sa famille ? Cela paraît invraisemblable. Et le Kurde de Turquie, à qui on désignerait Dyarkarbir comme place sûre, sous prétexte que son parti la contrôle ?
    En ce domaine, certaines situations sont dramatiques. Souvenons-nous de ce qui s'est passé à Srebrenica. Il y avait quand même là-bas une force internationale, l'ONU, encadrée par un général français, ainsi que des troupes néerlandaises, me semble-t-il. Or il a fallu traiter avec les Serbes, qui ont bien voulu laisser sortir les femmes et les enfants, mais on a retrouvé 7 000 cadavres.
    On ne peut pas dire à un demandeur d'asile : « Monsieur, madame, vous avez droit au statut mais pas chez nous. » Pouvez-vous imaginer une seconde que ce résumé un peu familier - après avoir parlé de Srebrenica, je ne voulais pas poursuivre sur une note aussi grave - est conforme à notre Constitution ? Votre projet de loi mérite d'être revu à l'aune de la Constitution et de la convention de Genève. Je rappelle qu'il ne s'agit pas simplement d'idées ou de réglementations. Ils s'agit d'hommes et de femmes qui fuient et dont la vie est menacée.
    Troisièmement, le problème des procédures OFPRA. Je ne voudrais pas terminer mon propos sans vous faire part d'une réelle inquiétude concernant le poids du ministère de l'intérieur sur les procédures d'asile et sur un certain nombre d'anomalies que présente le recours en révision d'une décision de l'OFPRA.
    Je veux vous dire aussi combien je trouve choquante l'obligation imposée à cette institution de transmettre l'ensemble des données dont elle dispose au ministère de l'intérieur.
    S'agissant du recours en révision, je reste perplexe. Vous souhaitez renforcer la mainmise - je n'ai pas dit la co-tutelle - du ministère de l'intérieur sur l'OFPRA dans un domaine qui relève de votre responsabilité, monsieur le ministre. J'en veux pour preuve le nouveau système de nomination de son directeur sur proposition conjointe. L'OFPRA n'est donc pas une autorité administrative indépendante, de ce point de vue.
    Pour autant, vous ouvrez au ministre de l'intérieur un droit de recours contre une décision de l'OFPRA qui aurait le malheur de lui déplaire. Ce n'est pas un droit accordé au Gouvernement de saisir un organe administratif mais, compte tenu de la présence du ministère de l'intérieur dans les organes de l'OFPRA, un moyen de remettre en cause sa propre décision. On pourrait vous opposer la règle nemo auditur - personne n'est autorisé à se prévaloir de sa propre turpitude. Ou alors feriez-vous si peu confiance à votre administration ? Les agents de l'OFPRA sont vos agents, en effet. Je ne le crois pas car vous leur avez rendu hommage et je voudrais m'associer à vos propos. Il y a donc là un véritable problème et je pense que cette disposition n'est pas correcte.
    Je m'étonne également de la modification de la composition de la Commission des recours et de la place limitée du représentant du HCR. Mais comme vous avez annoncé de bonnes nouvelles, par l'intermédiaire de M. Leonetti, je n'en dirai pas plus. Laissons le HCR nommer son représentant. Et je vous remercie, monsieur le ministre, d'avoir déjà fait avancer le texte sur ce point.
    Néanmoins, des dispositions très dangereuses pour les individus sont prévues, dont je m'explique mal la raison. Comment osez-vous accepter que soient transmis au ministère de l'intérieur, en même temps que les décisions de l'OFPRA, des « documents d'état civil ou de voyage... des demandeurs d'asile déboutés » ? Sans doute souhaitez-vous rendre effective une mesure d'éloignement des personnes déboutées, mais serez-vous en mesure de résister aux demandes d'information qui vous parviendront, que ce soit dans le cadre d'Europol ou d'Interpol ? On peut en douter, auquel cas le danger encouru par l'étranger débouté et sa famille sera grand, dans la mesure où participent aux organisations internationales, Interpol en particulier, des pays peu sûrs, pour reprendre la terminologie du jour. C'est la raison pour laquelle le Conseil constitutionnel énonce, dans sa décision du 22 avril 1997, que la transmission aux agents du ministère de l'intérieur et de la gendarmerie nationale de tout document nécessaire à la mise en oeuvre des mesures d'éloignement des personnes dont la demande d'asile aurait été rejetée porterait atteinte à une garantie essentielle du droit d'asile, celle qui touche à la confidentialité des éléments d'information détenus par l'OFPRA relatifs à la personne sollicitant en France la qualité de réfugié.
    Cette décision relève du bon sens, voire de la prudence, car elle tient compte d'un précédent. Nous avons connu une situation dans laquelle la communication de documents confidentiels de l'OFPRA, par des moyens d'ailleurs peu glorieux, a entraîné des effets gravissimes : il s'agit de l'affaire du GAL entre 1983 et 1987. Rappelez-vous : les informations nominatives concernaient des militants basques réfugiés en France. Le choix de cet exemple n'implique de ma part aucune adhésion aux thèses ni aux pratiques d'ETA. Je note simplement qu'ils avaient à l'époque obtenu le statut de réfugié. Ils n'en bénéficieraient pas aujourd'hui. Ces informations furent vendues par des policiers français - vendues ! il y a eu un procès - à un groupuscule antiterroriste constitué de policiers espagnols, le GAL, mis au point au niveau gouvernemental, dans des officines, comme on dit, du ministère de l'intérieur espagnol.
    M. Christian Vanneste. C'était un gouvernement socialiste, il faut le noter !
    M. Serge Blisko. Résultat : des dizaines de réfugiés, dans les Pyrénées-Atlantiques ou les Landes, ont été exécutés sur ordre de cette officine espagnole. On a parlé de quatre-vingts victimes. Ce fut un scandale retentissant. Il faut reconnaître que le gouvernement espagnol a fait amende honorable il a jugé et condamné les policiers impliqués dans cet escadron de la mort. A elle seule, cette dérive nous oblige à protéger de façon absolue toute information identifiante révélée à l'OFPRA par les demandeurs d'asile, qui sont souvent des opposants politiques.
    Quelque chose me frappe quand on parle d'immigration à propos de l'asile. L'immigré en situation irrégulière a des faux papiers, un faux passeport, mais le demandeur d'asile, lui, reconnaît tout de suite qu'il s'est procuré un faux passeport, pour franchir la frontière de son pays et il abandonne sa fausse identité dès qu'il le peut. C'est tout l'inverse de l'immigré clandestin qui, quand il demande l'asile politique indûment, ne donne pas son vrai nom. Au contraire, quand un demandeur d'asile arrive sur notre territoire - je reviendrai sur cette notion - c'est pour lui un moment très particulier, celui du dévoilement. Tout à coup, il se sent en liberté, admet qu'il a un faux passeport, explique comment il a pu franchir telle ou telle frontière parce qu'il se sent en sécurité. Il sait que l'OFPRA - et c'est vrai - ne va pas le juger, qu'il va seulement examiner sa demande, et il révèle sa véritable identité. C'est pourquoi je suis vraiment très troublé et très choqué, comme l'ensemble de mes collègues du groupe socialiste, par cette infiltration de l'OFPRA par le ministère de l'intérieur. C'est inconcevable ! Le droit d'asile n'a rien à voir avec la sécurité intérieure, contrairement à ce que prétend l'exposé des motifs du projet de loi sur l'immigration. Pas le vôtre, monsieur le ministre.
    Nous le savons, les policiers du monde entier n'aiment pas les demandeurs d'asile, car la convention de Genève leur reconnaît des droits exorbitants eu égard aux risques qu'ils encourent : droit aux faux papiers, aux faux visas, à la fausse identité, droit de franchir les frontières sans visa. Ils s'enfuient, laissant derrière eux souvent une famille, des parents, des amis, une situation professionnelle, ce qui ne fait qu'aviver leur angoisse.
    Ils escaladent les murs, franchissent les barbelés, naguère encore se lançaient du haut d'un mur. Ils se lancent sur la mer dans de vieux rafiots, menacés par les passeurs, les pirates, les délateurs, les détrousseurs. Ils fuient vers ces petites lueurs de liberté qui brillaient dans la nuit de leurs cachots. Ils fuient et beaucoup disparaîtront en route. Combien meurent sans même qu'on le sache ? Où fuient-ils ? Vers l'Europe des Lumières, et plus spécialement vers la France, celle qu'ils ont appris à aimer, du fond de leur nuit. Peut-être ont-ils appris par coeur l'article 120 de la Constitution du 24 juin 1793, celle de la Montagne, qui proclame que « le peuple français donne aide aux étrangers bannis de leur patrie pour cause de la liberté. Il la refuse aux tyrans ».
    Et que vont-ils trouver en arrivant en France ? Des policiers qui, dans les zones d'attente - elles sont terrifiantes, les zones d'attente pour immigrés en particulier la ZAPI2 de Roissy - les dissuaderont trop souvent de faire une demande d'asile. On leur dit : « Cela ne marchera pas, laissez tomber, j'ignore où est le bureau de l'OFPRA. » Peu d'associations, d'ailleurs, ont le droit d'y entrer. Franchissent-ils cet obstacle ? Ils devront attendre longtemps, trop longtemps, nous en convenons tous, leur convocation devant l'OFPRA. Le système de récépissé de première convocation avec autorisation est une telle usine à gaz que je souhaite bien du plaisir au demandeur d'asile qui, malheureusement pour lui, ne parle pas le français. Moi-même, j'ai beaucoup de mal à comprendre la réglementation. Faute de moyens, et nous le déplorons tous, l'OFPRA ne réussit à convoquer pour un entretien que 60 % des demandeurs. Mais vous vous êtes engagé, monsieur le ministre, à faire en sorte de les augmenter et nous en sommes évidemment d'accord.
    Où ces demandeurs d'asile seront-ils hébergés ? Dans des foyers sociaux, à la rue, dans des centres d'hébergement, ou chez des amis le plus souvent. Seuls 10 000 d'entre eux trouveront une place dans un centre d'accueil des demandeurs d'asile, un CADA. Monsieur le ministre, et j'en aurai presque fini, ...
    M. Jean-Paul Garraud. Tout de même !
    M. Serge Blisko. ... je souhaiterais attirer votre attention sur une inégalité tout à fait anormale et très choquante. Les chances d'obtenir le statut de réfugié varient non seulement selon le lieu d'où l'on vient - ce qui est normal -, mais aussi selon le type d'hébergement. Elles sont de 70 %, s'il est hébergé dans un CADA géré par l'association bien connu, France-Terre d'asile, à laquelle je rends hommage, et de 50 % s'il est hébergé dans un CADA géré par l'association, comme Lyon-Forum-Réfugiés, qui fait du très bon travail dans la région lyonnaise, mais elles tombent à moins de 20 % si le demandeur est à la rue, chez des amis ou dans un centre d'hébergement social. Pourquoi ? Parce qu'il faut du temps pour se reconstruire, pour préparer un dossier et faire traduire les quelques papiers qu'on a apportés avec soi.
    La commission s'est interrogée sur le sort des déboutés du droit d'asile. Ils restent évidemment en France pour plus de 80 % d'entre eux, qui viennent alimenter, une fois qu'ils ont épuisé tous les recours, la cohorte des sans-papiers, c'est-à-dire des immigrés en situation irrégulière. A quoi tient, alors, cette réticence à les expulser ? L'on sait bien que le retour dans leur pays d'origine est risqué ! Ils restent au limbe des statuts, ni réfugiés ni expulsables, et c'est bien le paradoxe ! A trop verrouiller le droit d'asile, on crée des réfugiés sans droit !
    Monsieur le ministre, vous représentez la France et vous êtes sa voix. La France a été longtemps le phare du continent européen pour ce qui concerne l'accueil et la protection des étrangers réfugiés et exilés.
    L'Europe occidentale d'hier avait conclu la convention de Genève pour oublier l'Europe d'avant-hier, celle de l'avant-guerre, celle qui n'avait pas voulu accueillir les 4 500 juifs allemands, partis de Hambourg sur un vieux cargo, l'Altona, et qui avaient erré de port en port dans toute l'Europe libre en 1938 et 1939, sans jamais recevoir l'autorisation de débarquer, et qui avaient dû regagner Hambourg. Cette honte avait été effacée.
    Parfois la France hésite et nous ne reconnaissons pas son visage. Mais le plus souvent, elle est grande car elle est fidèle à ses valeurs ; elle est grande, quand elle accueille plusieurs centaines de milliers de républicains espagnols en 1939. Ils furent nombreux, ces exilés, à rejoindre les jeunes Français dans les maquis et dans les chars qui libérèrent Paris en août 1944. Et nous saluons avec vous les combattantes de la liberté, comme Ingrid Betancourt, Rigoberta Menchu ou Aung San Sui Kyi pour laquelle nous éprouvons de vives inquiétudes dans ces dernières heures.
    Une personnalité hors du commun vient de disparaître, le prince Sadruddin Aga Khan, haut-commissaire aux réfugiés, qui partout dans le monde, a porté haut et fort le message de l'universalité des droits de l'homme qui transcende les différences ethniques, religieuses, politiques que certains veulent toujours accuser. Nous aurions souhaité que la nécessaire amélioration des procédures de demande d'asile dans notre pays s'inscrive dans le droit-fil de son oeuvre et nous regrettons cette occasion manquée. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. Christophe Caresche. Bon discours !
    M. le président. La parole est à M. le ministre des affaires étrangères.
    M. le ministre des affaires étrangères. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, il s'agit bien, avec ce projet de loi, de faire en sorte que la France reste pleinement fidèle à sa vocation d'accueillir tous ceux qui justifient et méritent le droit d'asile.
    Le projet qui vous est soumis aujourd'hui est à quelques détails près celui qu'a adopté l'assemblée générale du Conseil d'Etat le 10 avril dernier, après un examen exigeant. Si le Conseil d'Etat a exprimé une inquiétude quant à cette réforme, c'est sur les moyens de la mettre en oeuvre, mais en aucun cas sur ses principes. Je souligne également que la plupart des notions qui viennent d'être contestées par M. Blisko, telles que la protection subsidiaire, l'asile interne, ou le pays d'origine sûr, sont en quelque sorte les précurseurs du droit communautaire de l'asile qui verra le jour avant la fin de l'année, conformément aux décisions du Conseil européen de Séville. En retarder l'application serait différer inutilement une réforme nécessaire. Ce serait également prendre le risque de la non-harmonisation des droits respectifs des pays de l'espace Schengen, avec tous les inconvénients que cela comporte, notamment en termes de migrations secondaires.
    Les observations de M. Blisko portent essentiellement sur quatre points : la notion d'asile interne, celle de pays d'origine sûr, les conditions de refus de la protection subsidiaire, la participation du HCR et des associations au sein du dispositif dont je dirai un mot, si vous le permettez.
    En ce qui concerne l'asile interne, vous demandez la suppression pure et simple de cette référence dans le projet de loi. Selon vous, l'asile interne réduirait l'effectivité du droit d'asile et reposerait sur une évaluation subjective et circonstancielle de la situation internationale. Soyons conscients que notre monde a changé depuis la conclusion de la convention de Genève. Les conflits, les persécutions ainsi que leurs auteurs ont changé de nature, il faut en tenir compte. Ainsi, le bénéfice de la protection a été élargi aux personnes victimes de persécutions d'origine non étatique. Corrélativement, si un demandeur d'asile peut avoir accès à une protection sur tout ou partie du territoire de son pays d'origine et qu'il n'a raisonnablement aucune raison de craindre d'y être persécuté ou exposé à une atteinte grave, l'OFPRA pourrait lui refuser le statut de réfugié. Je dis bien « pourrait » et non « devrait », ce qui veut dire qu'un examen au fond de sa demande est bien prévu. La France, respectueuse de ses engagements internationaux et de ses valeurs, continuera à défendre le droit fondamental à un examen au fond de chaque demande. Au demeurant, je suis disposé à cerner davantage la notion et je vous proposerai tout à l'heure un amendement en ce sens. Il faut, je suis d'accord avec vous sur ce point, que l'évaluation des possibilités d'asile interne se fasse au vu des évolutions les plus récentes, non seulement de celle du pays d'origine, mais aussi de la situation personnelle du demandeur. Je rappelle enfin que l'asile interne, qui figure dans les projets de directive que j'ai mentionnés, recueille d'ores et déjà l'accord de tous les Etats de l'Union.
    Vous vous êtes également ému du fait que les agents de protection pourront être d'autres entités que des Etats. Les persécutions passent par de nouveaux acteurs, mais la protection aussi, par exemple, le Haut Commissariat aux réfugiés ou les Nations unies. Cette « désétatisation » ou externalisation de la protection par des autorités non étatiques ne conduit pas à l'amoindrissement du droit d'asile.
    M. Serge Blisko. Nous le craignons, monsieur le ministre.
    M. le ministre des affaires étrangères. Une protection non étatique, celle de l'ONU en l'occurrence, peut être efficace et justifier le refus opposé aux demandeurs d'asile de telle ou telle région. La France, comme la communauté internationale, a tiré les leçons de Srebenica. Nos interventions pour protéger les populations, directement ou sous l'égide de l'ONU, sont très fréquentes. Songez au Kosovo ou à l'Afghanistan. Ces jours-ci, un bataillon français va être détaché en Ituri, au nord-est du Congo, dans le cadre d'une force multilatérale pour arrêter les massacres qui s'y déroulent.
    J'en viens à la notion de pays d'origine sûr. Vous demandez, monsieur Blisko, la suppression de cette notion qui, selon vous, remettrait en question l'effectivité du droit d'asile et serait contraire au Préambule de la Constitution.
    De quels pays parlons-nous ? Précisément de ceux où n'existe pas de risque sérieux de persécution. Cette notion est déjà utilisée par certains de nos partenaires européens. Elle renvoie à l'idée de pays stables, disposant de structures démocratiques et respectant les droits de l'homme, dans lesquels on peut présumer que des persécutions ne sauraient être ni perpétrées, ni autorisées, ni laissées impunies.
    Elle permet de traiter les demandes d'asile concernant ces pays en procédure accélérée ou prioritaire. L'OFPRA, aura donc à statuer dans un délai de quinze jours, voire moins si la personne est placée en centre de rétention administrative. Pour autant, les demandeurs d'asile auront la garantie d'un examen au fond de leur demande, conformément à l'esprit de la convention de Genève. Il n'est pas question, par conséquent, de rejeter systématiquement une demande au motif qu'elle proviendrait d'un pays d'origine sûr. Enfin, je vous confirme que la liste de ces pays sera arrêtée au niveau communautaire, selon des critères et une procédure qui sont en cours de discussion.
    Vous estimez que l'OFPRA, avant de se prononcer sur l'attribution de la protection subsidiaire, ne devrait pas avoir à examiner les menaces contre l'ordre public. J'ai déjà souligné combien il paraît essentiel au Gouvernement que l'appréciation de la demande soit tout entière dévolue à l'OFPRA, plutôt que de souffrir encore un démembrement, avec les divergences d'appréciation et les délais qu'il entraînerait. En tout état de cause, exclure des critères d'appréciation des demandes d'asile le paramètre de la sécurité de nos concitoyens ne paraît pas réaliste. L'ordre public représente aujourd'hui un facteur qu'il convient de prendre en compte, sous peine d'instruire de manière incomplète. Il n'y a d'ailleurs là rien de nouveau, puisque la loi RESEDA elle-même intégrait cet aspect du problème pour l'évaluation des demandes d'asile territorial.
    J'évoquerai brièvement, pour répondre à M. Blisko, la place du ministère de l'intérieur dans le dispositif. Le ministère de l'intérieur appliquera demain, de la même manière qu'il le fait aujourd'hui, les décisions de l'OFPRA et de la Commission des recours des réfugiés. Mais, alors qu'il va transférer ses compétences sur l'asile territorial, il importe que ses relations de travail avec l'OFPRA soient facilitées. En pratique, une cellule du ministère, placée sous l'autorité du directeur de l'OFPRA, assurera la liaison quotidienne avec les préfectures et les sources d'informations du ministère de l'intérieur. La cellule devra aussi veiller à l'application des décisions de l'OFPRA et de la commission des recours des réfugiés, notamment pour la délivrance des documents de séjour, mais aussi pour la reconduite à la frontière, lorsque le rejet de la demande d'asile sera définitif.
    Conséquence logique du souci de l'Etat d'appliquer strictement les décisions de l'OFPRA, le droit de recours contre ses décisions ne sera plus réservé aux seuls déboutés du droit d'asile. L'office rend et rendra ses décisions en toute indépendance, mais l'Etat, s'il s'oppose à l'une d'entre elles, notamment pour des raisons d'ordre public, aura désormais la possibilité de faire trancher ce désaccord par le juge indépendant qu'est la Commission des recours des réfugiés.
    Un tel recours ne paraît pas exorbitant du droit commun. Il me paraît même témoigner d'une volonté sincère du Gouvernement de préserver l'indépendance des décisions de l'office et d'agir selon les règles et les principes de notre droit s'il constate un désaccord de fond avec celui-ci.
    Enfin, j'évoquerai rapidement la place du Haut-commissariat aux réfugiés et celle des associations au sein du dispositif.
    Vous avez demandé et souhaité que le HCR soit représenté au sein des sections de jugement de la Commission des recours des réfugiés et que le haut-commissaire nomme lui-même ses représentants. Sur ce point, je veux dissiper tout malentendu : il n'est pas dans les intentions du Gouvernement de marginaliser le rôle du HCR par la réforme qui vous est présentée aujourd'hui. Au contraire, sa présence au sein du conseil d'administration est réaffirmée. Il y participera comme aujourd'hui et son rôle au sein de la commission des recours des réfugiés sera élargi. La commission aura en effet à connaître, à partir du 1er janvier 2004, des recours contre toutes les décisions de l'OFPRA. Le HCR verra sa mission de surveillance, dont le projet de loi rappelle le principe, élargie à la protection subsidiaire qui remplacera l'asile territorial.
    Compte tenu de cette extension de compétence, certains de nos juristes se sont demandés s'il était encore possible, pour des raisons constitutionnelles, de maintenir en l'état le mode de désignation des représentants du HCR à la commission des recours des réfugiés, dès lors que la justice de notre pays est rendue « au nom du peuple français ». A cette fin, le projet de loi a prévu que les assesseurs du HCR seront désormais proposés par le haut-commissaire, mais désignés par le vice-président du Conseil d'Etat, ce qui est un gage d'indépendance supplémentaire pour la juridiction qu'est la commission des recours des réfugiés. Ainsi que je l'ai déjà indiqué, le Gouvernement saura se montrer ouvert en la matière car l'essentiel est bien que le HCR conserve sa place dans le dispositif, ce qui sera le cas. Il ne s'opposera donc pas à un amendement qui pourrait préserver au mieux la participation du HCR dans la nomination des assesseurs.
    Puisque vous vous êtes inquiétés de la place et du rôle des associations au sein du futur conseil d'administration de l'OFPRA, je précise d'abord que les trois personnalités qualifiées qui seront nommées par décret, sur proposition du ministre des affaires étrangères, le seront en fonction de leurs compétences. Il est clair que c'est bien sur cette base que les désignations interviendront. Sur ce point la commission des lois a adopté un amendement qui assure la présence d'un représentant des associations. Sachez que le Gouvernement le soutiendra.
    Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, tel est l'état d'esprit qui inspire le Gouvernement dans cette réforme. Il n'est rien qui, dans l'inspiration ou dans la lettre, me paraisse contraire à la Constitution. C'est la raison pour laquelle j'invite votre assemblée à rejeter cette motion d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. Dans les explications de vote sur l'exception d'irrecevabilité, la parole est à M. Christian Vanneste.
    M. Christian Vanneste. M. Blisko m'a semblé animé par deux états d'esprit divergents.
    Il a d'abord exprimé l'habituel soupçon selon lequel nous confondrions asile et immigration ; il a même parlé d'une infiltration de l'OFPRA par le ministère de l'intérieur. Nous sommes habitués à cette prévention quasi systématique, pour ne pas dire instinctive, à l'égard de notre police nationale en particulier.
    M. Pierre Cardo. Peut-être faudrait-il la supprimer !
    M. Christian Vanneste. ... et du ministère de l'intérieur en général.
    M. Jean-Paul Garraud. Inadmissible !
    M. Christian Vanneste. Il nous a également accusés de bafouer les droits constitutionnels, ce qui me paraît excessif.
    Cependant, nous avons senti que cela dépassait sa pensée véritable puisque, dans le même temps, il a marqué sa satisfaction de voir que ce projet de loi était présenté par le ministre des affaires étrangères et non par celui de l'intérieur. Cela témoigne de notre volonté de séparer les deux questions de l'asile et de l'immigration.
    Sur ce point nous sommes d'accord puisque l'un des objectifs de ce projet de loi est de faire en sorte que le traitement des dossiers d'asile soit suffisamment respectueux à l'égard des demandeurs et ne soit pas encombré par les très nombreux dossiers d'immigration à vocation économique.
    Monsieur Blisko, vous avez toutefois dressé un panorama un peu schématique de la situation actuelle en soulignant que beaucoup de pays connaissaient des situations troublées. Or on pourrait tenir le raisonnement inverse en soulignant que la grande nouveauté, aujourd'hui, est que les démocraties sont de plus en plus nombreuses sur la planète. En conséquence il est de plus en plus facile de passer les frontières. Il y a donc de plus en plus d'immigration économique.
    Il est vrai, je le reconnais, que les pays connaissant des situations instables, au point que, parfois, l'Etat ne contrôle pas la totalité du territoire, sont de plus en plus nombreux. C'est d'ailleurs ce qui justifie le principe de l'asile interne.
    Permettez-moi cependant de vous livrer une petite anecdote.
    Recevant, un jour, un Kosovar albanais qui souhaitait demander l'asile, je lui avais expliqué que son pays assurait désormais une protection à ses ressortissants. Il était revenu quelques jours plus tard pour m'avouer qu'il avait collaboré avec les Serbes et que son but était de venir en France pour travailler. Il aurait mieux fait de la dire clairement d'emblée.
    Il faut prendre en considération l'évolution économique actuelle. On voit bien, en effet, que les demandes évoluent en fonction de ce qu'offrent en matière sociale et économique les pays recherchés. Ainsi Sangatte s'explique tout simplement par le fait que le Royaume-Uni accorde la possibilité de travailler six mois après le dépôt de la demande d'asile. Le choix des intéressés est purement économique et n'a rien à voir avec une quelconque protection politique.
    De même, toute modification législative sur ce sujet provoque une évolution du nombre des demandes. Entre 1998 et 2001, elles ont ainsi diminué de 10 % vers l'Allemagne et de 28 % vers les Pays-Bas, alors que, dans le même temps, la France, tenez-vous bien, connaissait une augmentation de 235 %. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    La conclusion est simple. Certes vous affirmez que le droit d'asile fait partie du bloc de constitutionnalité, et nous en sommes tous d'accord. M. le ministre a même souligné que, depuis 1993, il était inscrit au coeur de notre esprit républicain. Mais quand vous indiquez ensuite que cela conduit à deux statuts différents, vous êtes pris en flagrant délit de contradiction. En effet, nous allons aboutir à un statut unique alors que vous-même, à travers la loi de 1998, aviez bel et bien institué deux statuts différents et pour des raisons extrêmement ténues.
    Enfin, monsieur Blisko, vous avez fait état d'une atteinte profonde à la souveraineté nationale. Cela avait quelque chose d'assez drôle dans votre bouche et nous nous en sommes tous amusés, mais intérieurement, parce qu'il faut quand même respecter l'opposition.
    M. François Goulard. Cela pourrait se discuter !
    M. Christian Venneste. En effet, cela revient à refuser de prendre en compte l'évolution du droit européen, d'autant que, en la matière, on assiste à une merveilleuse convergence de tous les Etats membres.
    A ce propos, nous avons examiné en commission des lois une proposition de M. Mariani qui formule un certain nombre de réserves. Ainsi elle exclut les pays tiers sûrs, afin de laisser à la France une marge de manoeuvre. C'est vous dire que, en vous appuyant sur ce principe un peu exacerbé de la souveraineté, vous niez la magnifique constitution actuelle d'un espace européen de liberté et de droit auquel nous souhaitons participer.
    C'est la raison pour laquelle le groupe UMP votera contre votre exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à M. André Gerin.
    M. André Gerin. Il faut voter cette question d'irrecevabilité et je vais vous dire pourquoi.
    M. François Goulard. C'est même le but d'une explication de vote ! (Sourires.)
    M. André Gerin. On peut se demander, en lisant ce projet de loi et l'exposé des motifs, où se trouve l'esprit de générosité et d'hospitalité de notre pays.
    M. Jean-Paul Garraud. Sortez les mouchoirs !
    M. André Gerin. Au-delà de vos propos rassurants, monsieur le ministre, et de votre présence positive compte tenu de ce que représente le Quai-d'Orsay, je pense qu'il y a trop d'amalgame et, surtout, trop d'hypocrisie. En effet, on parle de la France et de son hospitalité mais on propose des mesures restrictives qui nous discréditent et portent atteinte à nos idéaux démocratiques.
    M. François Goulard. Vous parlez des bulldozers ?
    M. Jean-Paul Garraud. Que des clichés !
    M. André Gerin. Bien que cela ne ressorte pas de l'exposé des motifs, on constate dans les faits un amalgame de plus en plus fréquent entre le droit d'asile et la politique de l'immigration. Ce processus de stigmatisation nous paraît dangereux.
    Nous avons toujours demandé l'abrogation des lois Pasqua-Debré et nous avons toujours regretté que le gouvernement Jospin ne l'ait pas accepté.
    M. François Goulard. Il fallait le quitter ! Débrouillez-vous entre vous ! On ne peut pas intervenir dans cette querelle !
    M. Jean-Paul Garraud. Il fallait prendre vos responsabilités et le censurer !
    M. Serge Blisko. Vous ne perdez jamais une occasion, monsieur Goulard !
    M. Jean-Paul Garraud. La critique est facile, après !
    M. André Gerin. Je n'ai pas changé d'opinion à ce sujet et j'aurai l'occasion de répéter que le processus engagé aujourd'hui avec ce projet de loi et le lien très étroit établi avec le projet de loi sur l'immigration est dangereux. C'est encore plus grave que ce qui a été fait avec les lois Pasqua-Debré.
    M. le président. La parole est à M. Christophe Caresche.
    M. Christophe Caresche. Je vais essayer de m'en tenir à la motion d'irrecevabilité qui a pour vocation de montrer qu'un texte peut être inconstitutionnel.
    S'il s'agit parfois d'un exercice un peu formel dans notre assemblée, en l'occurrence nous pensons qu'il existe des risques sérieux que ce texte soit censuré par le Conseil constitutionnel.
    M. Pierre Cardo. Nous verrons !
    M. Jean-Paul Garraud. Vous le dites à chaque fois ! C'est la grande menace.
    M. Christophe Caresche. Nous avons donc déposé cette exception d'irrecevabilité car les deux notions nouvelles introduites par ce texte dans la législation - celles de pays sûrs et d'asile interne - sont manifestement contraires à la fois à notre tradition et à la Constitution. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. François Goulard. Quel article ?
    M. Christophe Caresche. Je ne vais pas reprendre nos arguments, mais si vous y tenez, je peux le faire ; nous avons le temps ! (« Non ! Non ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Jean-Paul Garraud. Vous n'avez que cinq minutes !
    M. Christophe Caresche. Je ne reprendrai donc pas les arguments excellemment développés par M. Blisko, mais je veux souligner que l'introduction de ces deux notions limitera finalement les possibilités de présentation et d'examen des demandes d'asile. Cela est manifestement contraire à notre Constitution. Je ne comprends d'ailleurs pas pourquoi le Gouvernement prend ce risque d'autant que les directives européennes invoquées pour justifier l'introduction de ces deux notions dans notre législation n'ont pas encore été adoptées.
    Pourquoi anticiper ? Pourquoi affaiblir prématurément la position de la France dans les discussions européennes en transposant des décisions qui n'ont pas été prises ? Pourquoi risquer ainsi une censure du Conseil constitutionnel ?
    Vous savez en effet très bien, monsieur le ministre, que tous ceux qui connaissent ces questions complexes sur le plan juridique, estiment qu'il y a un risque de censure.
    C'est bien pour cela que nous voterons cette exception d'irrecevabilité.
    M. le président. Je mets aux voix l'exception d'irrecevabilité.
    (L'exception d'irrecevabilité n'est pas adoptée.)

Question préalable

    M. le président. J'ai reçu de M. Alain Bocquet et des membres du groupe des député-e-s communistes et républicains une question préalable, déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.
    La parole est à M. André Gerin.
    M. André Gerin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, une fois de plus, la République est face au droit d'asile. Pour quoi faire ? Pour aller où ? Surtout, pour quelle société ? N'oublions jamais que les inégalités n'ont jamais été aussi grandes dans le monde à l'heure du capitalisme triomphant.
    Avec ce projet, vous allez poursuivre la logique de dégradation engagée dans les années 70 où, au nom d'une crise économique, les gouvernements ont fermé les frontières à l'immigration de travail. La France n'a été généreuse avec les réfugiés que lorsqu'elle a eu besoin de main-d'oeuvre. Aujourd'hui, c'est fini et les propos lénifiants sur l'intégration masquent mal une politique de plus en plus répressive. Or la notion éminemment politique qui a été au coeur du siècle des Lumières est celle du droit d'asile.
    Or, depuis les années 80, on vide cette notion de son sens au profit de deux discours : le discours humanitaire et le discours bureaucratique. La suspicion est permanente ; chaque demandeur d'asile est suspecté d'être un faux réfugié en puissance.
    La France et nous, citoyens français et européens, sommes-nous capables de savoir si nous sommes prêts à payer le prix nécessaire pour prolonger nos traditions d'accueil et d'hospitalité ?
    Les gouvernements veulent nous faire croire qu'ils peuvent défendre le droit d'asile et fermer les frontières. Aujourd'hui, comme Jules Michelet, Jean-Paul Sartre, Victor Hugo, Anatole France, Romain Rolland, nous voulons relancer le droit en remobilisant les citoyens, dans un cadre essentiel qui honorerait le France.
    Comment admettre cet argument fallacieux du recours à la fraude, qui permet de faire porter aux étrangers eux-mêmes la responsabilité de la répression qui les vise, tout en faisant croire que l'on reste fidèle aux grands principes de 1789 ? Certes, nous entendons des propos lénifiants sur l'intégration et le couplet habituel sur nos traditions d'accueil, mais la réalité est la mise en oeuvre de mesures de plus en plus répressives à l'encontre des immigrants et des réfugiés.
    En ce sens, la grande victoire du Front national a été d'imposer non pas ses réponses, mais bel et bien ses questions. Il a réussi un véritable tour de passe-passe. C'est exactement, selon nous, ce que fait aujourd'hui le gouvernement Raffarin. Du fait de problèmes sociaux comme le chômage, les difficultés de vie dans nos quartiers populaires ou le blocage de la promotion sociale, le fossé se creuse entre la sphère politico-médiatique et le reste de la société française.
    L'essentiel est occulté, ou présenté en diabolisant l'intégration des immigrés et en brandissant le danger communautariste. Cette globalisation, cette stigmatisation sont d'autant plus dangereuses qu'elles favorisent l'amalgame et refusent de comprendre les comportements des milieux populaires. Pour ces raisons, les étrangers, en particulier la jeunesse, sont marginalisés.
    La société française a-t-elle peur de son ombre et de sa jeunesse ? Au nom d'impératifs que nous qualifierons de « lepénisés », on serait traité d'angélique et d'irresponsable ? Poutant, le débat sur le droit d'asile dans les années 80 a traduit un repli, un égoïsme et un refus d'affronter politiquement cette question et de demander au peuple de France s'il était prêt à honorer les traditions d'hospitalité dont il est fier, quitte à en payer le prix en accueillant plus généreusement les victimes de l'oppression politique.
    Ce débat a été éludé par crainte de faire le jeu de l'extrême droite. Tel était l'objectif des lois Pasqua en 1993 et, en dépit des promesses électorales, le gouvernement Jospin n'a pas abrogé les lois Pasqua-Debré, même si la législation adoptée en 1998 a atténué la sévérité du dispositif.
    En poussant jusqu'à l'absurde la logique de la lepénisation et des « identités de papiers », les pouvoirs publics ont placé des centaines de milliers d'individus dans une position personnelle intolérable, qui a été brutalement révélée à l'opinion publique grâce au mouvement des sans-papiers ou à des grèves de la faim qui tendent à se multiplier.
    Le collège des médiateurs a, d'ailleurs, explicitement déploré les pratiques administratives qui portent atteinte au droit d'asile en se retranchant derrière une exigence exorbitante de preuve de la persécution que les situations vécues et les conditions de départ rendent radicalement impossibles à fournir.
    Voilà la réalité d'une situation que, selon nous, votre projet va encore aggraver.
    Malgré cela, monsieur le ministre, le 25 septembre 2002, vous nous annonciez la réforme du droit et des procédures d'asile. Cette réforme est motivée notamment par le fait que les demandes d'asile sont en augmentation et que, par conséquent, les délais moyens de traitement des dossiers atteignent aujourd'hui deux ans.
    Selon vous, le cumul de procédures distinctes pour l'asile conventionnel et pour l'asile territorial mobilise inutilement les services préfectoraux et contribue trop souvent à faire de l'asile un moyen pour séjourner en France et un vecteur d'immigration irrégulière.
    Voilà ainsi le premier point sur lequel nos conceptions de l'asile divergent.
    En effet, le droit d'asile est un droit fondamental. Je crois utile de revenir sur l'histoire de ce droit, dont la France ne peut que se féliciter.
    Le droit d'asile est inscrit dans la Constitution de 1793 en des termes qui ont déjà été cités. Je ne les rappelle pas. Mais, en l'absence de textes internationalement consacrés, l'efficacité du droit d'asile dépendait, et dépend toujours, étroitement des aléas de la politique intérieure.
    Par la suite, même la IIIe République appliquait irrégulièrement cette politique d'accueil, que le régime de Vichy a évidemment mise au rebut.
    Après la Seconde Guerre mondiale, le préambule de la Constitution de 1946 a consacré comme deuxième « principe particulièrement nécessaire à notre temps » - le premier étant l'égalité entre les hommes et les femmes -, celui selon lequel « tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d'asile sur les territoires de la République ».
    Cependant, l'asile constitutionnel ainsi reconnu ne fera l'objet que de très rares applications en raison de son domaine spécifique.
    Il importe toutefois de souligner que la France s'est toujours considérée comme une terre d'accueil et d'asile pour les personnes persécutées dans leur pays d'origine. Nous ne pouvons oublier ni écarter totalement cet ancrage constitutionnel du droit d'asile.
    Le droit d'asile a ensuite été régi au niveau international, tant par la Déclaration universelle des droits de l'homme - son article 14 dispose que : « devant la persécution, toute personne a le droit de chercher asile et bénéficier de l'asile en d'autres pays. » - que par la convention de Genève de 28 juillet 1951, transposée en droit interne par la loi du 25 juillet 1952.
    Cette convention est donc la référence en matière de droit d'asile puisqu'elle a véritablement consacré le droit d'asile aussi bien en France que dans le monde.
    Toutefois, elle n'offre pas une protection complète de tous les demandeurs d'asile dans leur diversité.
    C'est pourquoi, pour remédier à cette carence de protection, le ministre de l'intérieur a toujours fait usage de son pouvoir discrétionnaire d'admettre au séjour des personnes menacées ne remplissant pas les critères de la convention de Genève : il fait ainsi bénéficier ces personnes de l'asile territorial.
    Le problème est que cet asile est d'accès difficile et n'est pas entouré des conditions protectrices de la convention de Genève.
    Nous le voyons, le droit d'asile est complexe et, du fait de l'augmentation sensible des demandes, est un droit appliqué de manière de plus en plus restrictive au mépris du droit international.
    Il est vrai que la contradiction entre le respect des droits de l'homme qui est l'héritage de la Révolution française de 1789 et le respect de la défense des intérêts de la Nation, concept construit au fil des ans, est l'élément essentiel de tout débat sur ce sujet.
    Comme le déclare M. Gérard Noiriel dans son livre intitulé Réfugiés et Sans-Papiers, « les pouvoirs publics ont refusé de justifier les restrictions apportées au droit d'asile en invoquant des raisons de politique intérieure. Ils ont préféré mettre en avant la responsabilité des réfugiés eux-mêmes, arguant du fait qu'un grand nombre d'étrangers qui demandent l'asile politique aujourd'hui ne sont pas « vraiment » victimes de persécutions politiques. Force est de constater que cette stratégie a été efficace. Depuis la publication de ce livre, la plupart des Etats de l'Union européenne l'ont reprise à leur compte pour durcir leur législation sur le droit d'asile ».
    C'est la raison pour laquelle le précédent gouvernement n'a pas abrogé les lois Pasqua adoptées par le Parlement en 1993. En effet si la loi Chevènement de 1998 a quelque peu modifié ses dispositions, tant décriées par les associations de défense des droits de l'homme, elle n'en a pas changé le fond. La construction, la consolidation de ce concept est un point d'appui indéniable de la réforme que vous nous proposez.
    Le problème est que votre réforme ne vise pas, ou peu, à améliorer l'application du droit d'asile. En réalité, son principal objectif, tel qu'il est défini dans l'exposé des motifs, est de « raccourcir les délais d'instruction des demandes d'asile en rationalisant les procédures et en les recentrant autour d'un OFPRA rénové et performant ».
    Cette réforme se base finalement sur deux postulats ; premièrement, le prolongement des délais d'instruction des dossiers contribue à faire de l'asile un vecteur d'immigration irrégulière ; deuxièmement, l'asile n'est vu que comme un droit coûteux pour l'Etat. L'exposé des motifs est clair à cet égard : « Les dépenses de prise en charge des demandeurs d'asile ont été estimées à cent cinquante millions d'euros en 2000, deux cent millions en 2001 et deux cent soixante-dix millions en 2002, le coût du traitement administratif des demandes ne représentant que 10 % de la dépense totale. »
    Ces quelques phrases montrent bien que la réforme de l'asile se situe dans un contexte de maîtrise des flux migratoires, de lutte contre l'immigration.
    Il est à nos yeux inadmissible d'engager une réforme de l'asile, droit fondamental, en présumant de la mauvaise foi des demandeurs, qui ferait de ce droit « un vecteur d'immigration irrégulière », et en insistant sur le poids économique de la prise en charge, par ailleurs miséreuse, de ceux-ci sans rappeler que c'est la France elle-même qui, depuis 1991, leur refuse le droit de travailler pendant l'instruction de leur demande.
    Pour résumer, les modalités choisies dans ce projet de loi pour réduire les délais d'instruction visent surtout à réduire les dépenses de l'Etat et à réexpédier plus rapidement les « fraudeurs » dans leurs pays d'origine, au lieu d'accélérer l'accès des persécutés au bénéfice de la protection qu'ils sollicitent, sur notre territoire.
    La présomption de mauvaise foi ou de dangerosité de certaines catégories de la population n'est malheureusement pas l'apanage de ce seul projet de loi. Depuis maintenant un an, règne en effet une suspicion généralisée sur toutes les catégories de personnes qui sont loin de répondre aux critères de « bon père de famille ». Je pense à tous ces jeunes issus de l'immigration, aux prostituées, aux mendiants, aux gens du voyage, qui paient leur différence au prix fort. Eux aussi sont présumés coupables de nombreux délits et dérangent uniquement parce qu'ils existent. Leur présence gêne. Il fallait donc nettoyer les trottoirs et les terrains des communes de ces individus.
    La loi sur la sécurité intérieure s'en est chargée, alourdissant davantage encore les peines de prison et créant de nouveaux délits tels que le racolage passif. Nous avons eu la chance de pouvoir mesurer l'efficacité de cette nouvelle infraction sur les chiffres de la sécurité et sur le démantèlement des réseaux de proxénétisme qu'elle était censée permettre...
    Le garde des sceaux s'est inspiré de cette loi lorsqu'il nous a présenté, il y a deux semaines, un projet de loi visant à lutter contre la criminalité organisée qui, en fait, conforte et augmente les pouvoirs de la police par rapport à ceux de la justice. On va encore taper les petites gens !
    Malheureusement, monsieur le ministre, votre projet de loi n'est qu'un avant-goût de ce que nous prépare le projet de loi sur la maîtrise de l'immigration et le séjour des étrangers en France. C'est, selon nous, du Pasqua-Debré à la puissance 3 !
    Cela ne fait qu'entraîner la confusion, déjà largement entretenue, entre asile et immigration. Il ne faut pas oublier que le principe constitutionnel du droit d'asile, comme il est indiqué dans l'avis de la commission nationale consultative des droits de l'homme, « interdit en premier lieu de confondre les questions d'asile et d'immigration ». C'est bien là que le bât blesse : cette confusion est entretenue par des arrière-pensées politiques.
    L'asile et la politique d'immigration sont différents. Le Conseil européen d'octobre 1999, la loi du 11 mai 1998 et le travail parlementaire originel d'un côté, l'ordonnance du 2 novembre 1945 et la loi du 25 juillet 1952 ont marqué la distinction entre ces deux notions, de l'autre.
    Le Gouvernement se félicite d'avoir une politique d'asile et d'accueil des étrangers « généreuse »  - C'est le terme employé couramment par le ministre de l'intérieur lui-même - alors que, dans le même temps, s'organise une politique de fermeture des frontières et de rejet systématique des étrangers arrivant sur notre territoire.
    Que dire quand les personnes sont ré-acheminées par charter, sans même avoir eu l'occasion de poser le pied sur le sol français, comme c'est le cas depuis quelques mois déjà ? Le droit d'asile et l'hospitalité française exaltés en 1789 sont-ils à ranger au placard pour satisfaire les revanchards de la Révolution ?
    La question de l'accès au territoire est en effet inhérente à toute procédure d'asile. La procédure d'asile la meilleure et le statut de réfugié le plus protecteur sont inopérants si le réfugié ne peut accéder au territoire et être admis à la procédure.
    Quel engagement comptez-vous prendre, monsieur le ministre, pour garantir une totale effectivité du droit d'asile en France, alors que s'applique une politique de contrôle très strict des frontières ?
    Nous tenons absolument à distinguer asile et immigration et à sortir de l'amalgame. La délivrance des visas et, de manière générale, les mesures relatives au contrôle et à la gestion des frontières ne doivent être en aucun cas liées à la nécessité d'admettre en lieu sûr ceux qui fuient la persécution ou un conflit.
    Les personnes en quête d'asile doivent être admises en lieu sûr au moins à titre temporaire et se voir offrir protection aussi longtemps que nécessaire. La politique de visas ne doit pas intervenir dans la mise en oeuvre de ces mesures de protection.
    Ce projet de loi sur la maîtrise de l'immigration et le séjour des étrangers en France inclut un certain nombre de mesures qui, en limitant drastiquement l'accès au territoire, réduisent d'autant la possibilité d'accéder à la procédure d'asile.
    Le dispositif mis en place par le projet de loi relatif au droit d'asile, suivi de peu par celui sur l'immigration, consiste surtout à restreindre au maximum les chances de l'intéressé d'accéder au territoire français, d'annihiler le rôle et la place de la France.
    Votre projet de loi va restreindre les chances de voir aboutir les demandes d'asile des étrangers. Pourquoi ? Parce que nous constatons simplement que ce texte est une porte ouverte, toujours dans le même esprit, d'une gestion des flux migratoires et d'une maîtrise sécuritaire de l'immigration.
    Dans l'exposé des motifs du projet de loi, il est explicitement affirmé que celui-ci s'inspire de propositions de directives européennes, que ce soit celle concernant « les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers et les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou de personne qui, pour d'autres raisons, a besoin d'une protection internationale, et relatives au contenu de ce statut ou encore celle relative à des normes minimales de protection concernant la procédure d'octroi et de retrait du statut de réfugié dans les Etats membres ».
    Monsieur le ministre, votre inspiration n'est qu'un trompe-l'oeil, puisque vous avez le plus souvent déformé les articles des propositions de directives dont vous vous réclamez, tout en oubliant d'en transposer d'autres, notamment ceux qui offrent les meilleures garanties procédurales aux demandeurs d'asile.
    Mais de toute façon, même si la référence à des directives européennes est désormais un passage obligé pour la rédaction de notre législation nationale, celles-ci ne proposent que des garanties minimales de protection des demandeurs d'asile et des réfugiés qui sont encore trop restreintes et personne n'empêche la France d'être généreuse envers le Sud.
    Nous avons donc la possibilité d'améliorer non pas votre texte mais le droit existant, et c'est ce que nous nous proposons de faire avec plusieurs de nos amendements qui vont dans le sens d'un renforcement des protections accordées aux demandeurs d'asile et aux réfugiés.
    Ce texte constitue donc la peau de chagrin du droit d'asile et n'institue que le moyen de maîtriser la gestion des flux migratoires. C'est ce que je vais essayer de vous démontrer.
    Tout d'abord, ce projet de loi tend à donner une définition restrictive du droit d'asile.
    L'instauration de la « protection subsidiaire » en lieu et place de l'asile territorial est une mesure plus ou moins positive puisqu'elle ne sera pas accordée discrétionnairement par le ministre de l'intérieur -, c'est l'aspect positif. En effet, l'asile territorial était un droit bien trop insuffisant, sans les garanties octroyées par la Convention de Genève pour le demandeur d'asile.
    Le statut du bénéficiaire de l'asile territorial est en outre bien plus précaire que celui du réfugié conventionnel, la loi ne précisant ni les critères applicables pour l'examen de la demande d'asile territorial, ni les règles de renouvellement du titre de séjour attribué au bénéficiaire de ce statut, ni les conditions de retrait de la protection et les recours ouverts dans ce cas.
    Mais sa création demeure trop limitée et trop précaire sur deux points.
    Premièrement, selon l'article 1er du projet de loi, « la protection subsidiaire est accordée à toute personne qui ne remplit pas les conditions d'octroi du statut de réfugié... ».
    Nous insistons sur le fait que la demande d'asile devra toujours être examinée d'abord sous l'angle de la convention de Genève et, seulement en cas d'inéligibilité, sous l'angle de la protection subsidiaire. Nous craignons pourtant que la protection subsidiaire ne devienne la règle au détriment du statut de réfugié issu de la convention de Genève, d'autant plus qu'en l'état du texte que vous nous proposez, elle est des plus précaires puisque l'on ne sait pas précisément quels droits y sont attachés.
    Deuxièmement, le champ de la protection subsidiaire est plus étroit que celui de l'asile territorial puisque le projet de loi, dans son article 1er, ne fait plus état de l'hypothèse pour le demandeur de « menace » pesant « sur sa vie ou sa liberté dans son pays » prévue par l'article 13 de la loi du 25 juillet 1952.
    L'exposé des motifs du projet de loi indique que les dispositions sur la protection subsidiaire s'inspirent de l'article 15 de la proposition de directive du Conseil du 12 septembre 2001.
    Or, les garanties offertes par la version française de la protection subsidiaire se révèlent bien moindres que celles prévues par la directive, elle-même sujette à caution.
    Quant aux motifs d'exclusion de la protection subsidiaire, nous ne pouvons que nous étonner de la compétence donnée à l'OFPRA par l'article 1er du projet de refuser d'accorder la protection subsidiaire à une personne si « on a des raisons sérieuses de penser que [...] sa présence sur le territoire constitue une menace pour l'ordre public, la sécurité publique ou la sûreté de l'Etat ».
    Il est révélateur que l'autorité susceptible d'avoir « des raisons sérieuses de penser » ne soit spécifiée que par le pronom indéfini « on ».
    « On » n'aurait à se baser que sur des « raisons sérieuses de penser » que la présence de la personne constitue une menace pour l'ordre public. Sur quels éléments juridiques et matériels se fonder pour motiver le refus d'accorder la protection subsidiaire ?
    Nous nous sommes toujours opposés, lors des différents textes relatifs à la sécurité quotidienne ou encore intérieure, à la notion de « raison plausible de soupçonner » lorsqu'il s'agit d'élargir les possibilités de contrôle d'identité ou de placement en garde en vue.
    En effet, nous estimons que cette notion de « raison plausible de soupçonner » était bien trop subjective et laissait une grande place à l'arbitraire, alors que la notion d'indices graves et concordants était juridiquement acceptable.
    La notion de « raisons sérieuses de penser » que l'ordre public est menacé est pire encore, parce qu'elle n'a aucun fondement juridique.
    Et surtout, la notion d'ordre public est trop vague et ambiguë. Elle autorise, par son manque de précision, tous les excès de pouvoir, tous les abus, toutes les interprétations. L'histoire de notre pays l'a suffisamment démontré. Ce n'est pas en rajoutant la notion de sécurité publique et de sûreté de l'Etat que les choses seront clarifiées. Au contraire, cela ne fait qu'aggraver le sentiment d'arbitraire et souligne la dérive sécuritaire que subit notre pays.
    Cette dispostion veut conférer une compétence de police à l'office qui, entre parenthèses, est conçue de manière extensive puisque la seule référence à une menace à l'ordre public aurait suffi pour justifier l'exclusion de la protection subsidiaire.
    Cette disposition ne peut entraîner que la confusion entre les logiques de protection de répression. Les questions d'ordre public et de protection doivent être impérativement dissociées. D'une part, en confiant à l'office et à la commission de recours le soin de se prononcer, comme elles le font pour la protection conventionnelle, uniquement sur le seul bénéfice de la protection subsidiaire. D'autre part, en laissant aux autorités de police leur traditionnelle compétence pour apprécier, sous le contrôle du juge administratif, si des raisons d'ordre public sont susceptibles de fonder une restriction au séjour des bénéficiaires de cette nouvelle protection.
    L'ensemble de cette démarche, qui amalgame l'ordre public, la sécurité publique et la sûreté de l'Etat, révèle à point nommé l'obsession sécuritaire du Gouvernement. Car s'il est normal qu'un Etat cherche à se prémunir contre les agressions de toutes sortes, il est parfaitement contraire à nos valeurs républicaines de jeter par avance l'opprobre sur des personnes fragilisées, victimes de graves atteintes à leurs droits fondamentaux.
    Cette pratique généralisée de la suspicion que met en oeuvre avec obstination l'actuel gouvernement est proprement intolérable. Elle porte gravement atteinte à l'image de notre pays dans le monde. Quelle désolation, alors que la France avait su trouver des accents de vérité pour s'opposer à l'agression américaine en Irak ! Vous en fûtes d'ailleurs un témoin privilégié, monsieur le ministre, notamment au Conseil de sécurité de l'ONU.
    Mais la protection subsidiaire n'est pas la seule disposition à nous laisser sur notre faim pour ce qui concerne le droit d'asile, qui, je le répète, est un droit fondamental. Ce droit fondamental n'a malheureusement pas fini de subir des restrictions dans ce projet de loi relatif au droit d'asile.
    Cela est particulièrement regrettable alors que la France a toujours été plus généreuse que d'autres pays européens en matière d'accueil des populations persécutées. C'est pourquoi nous ne pouvons que condamner l'alignement de notre politique d'asile sur celle d'autres Etats qui en ont une vision beaucoup plus restrictive, allant même au-delà de Schengen. La France se devrait au contraire de continuer à défendre haut et fort son attachement à ce droit fondamental. D'où notre étonnement face au choix du Gouvernement d'introduire des notions très restrictives - ainsi celle dite « d'asile interne ».
    Selon l'article 1er du projet de loi, « l'office peut rejeter la demande d'asile d'une personne qui aurait accès à une protection sur une partie du territoire de son pays d'origine si cette personne n'a aucune raison de craindre d'y être persécutée ou d'y être exposée à une atteinte grave s'il est raisonnable d'estimer qu'elle peut rester dans cette partie du pays ».
    Cette disposition est d'ailleurs liée à celle qui la précède dans le texte, relative aux acteurs de protection, notion tout aussi dangereuse et à nos yeux contestable.
    Nous ne pouvons que nous inquiéter de l'introduction dans notre droit de la notion d'acteurs de protection et d'asile interne, qui pourraient réduire à néant la possibilité concrète d'obtenir la protection de la convention de Genève ou de la protection subsidiaire pour de nombreux demandeurs d'asile.
    S'agissant tout d'abord de la protection accordée par des autorités internes mais non étatiques, il faut immédiatement préciser que cette disposition est en contradiction avec la convention de Genève. En effet, selon celle-ci, seuls les Etats internationalement reconnus peuvent offrir une protection effective à leurs ressortissants. Un parti politique, des puissances occupantes, des organisations intergouvernementales, des groupes armés, etc., ne sauraient assurer une protection comparable à celle offerte par un Etat internationalement reconnu, tout simplement parce qu'ils ne peuvent pas assurer le respect des droits d'une personne ni la protéger contre les atteintes de la même manière qu'un Etat.
    Une fois de plus, vous avez choisi de reprendre une partie seulement de la directive communautaire du 12 septembre 2001. Celle-ci, il est vrai, introduit la notion des acteurs qui pourraient dans certaines circonstances assurer une protection interne. Mais ces derniers, précise-t-elle, doivent pouvoir protéger juridiquement les ressortissants du pays d'origine.
    Le projet de loi propose donc une définition des acteurs de protection moins contraignante que celle utilisée dans la directive - ce qui, reconnaissez-le, monsieur le ministre, est tout de même paradoxal.
    Quant à la notion d'asile interne, nous ne pouvons que douter du bien-fondé de son introduction dans notre ordre juridique. Nous déplorons la possibilité qui sera ouverte à l'OFPRA par ce projet de loi de rejeter la demande d'asile « d'une personne qui aurait accès à une protection sur une partie du territoire de son pays d'origine si cette personne n'a aucune raison de craindre d'y être persécutée ».
    Cette disposition, qui s'applique aussi bien à la protection conventionnelle que subsidiaire, est en contradiction avec la définition du réfugié telle qu'elle est énoncée à l'article 1er A de la convention de Genève, qui prévoit que la qualité de réfugié s'appliquera à toute personne qui, craignant d'être persécutée, « se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de protection de ce pays » ou encore « ne veut y retourner ». A aucun moment il n'est dit qu'une personne ayant des raisons de se sentir persécutée dans son pays d'origine devra y rester ou y retourner malgré tout. De fait, cela revient à interdire catégoriquement d'opposer à un réfugié qu'il aurait pu demeurer sur une partie de son pays d'origine.
    Par ailleurs, le concept d'asile interne implique que le demandeur d'asile doit chercher d'abord protection et refuge à l'intérieur de son propre pays avant d'envisager un refuge à l'étranger. J'espère, monsieur le ministre, que vous comprendrez enfin l'impossibilité d'appliquer une telle mesure, et les conséquences qu'elle aura pour les demandeurs d'asile.
    En effet, cette disposition a un grand intérêt pour votre politique d'asile et de gestion des flux migratoires. Elles permettra de refuser toutes demandes d'asile des personnes venant de pays où il existe une zone de protection de l'ONU, ou une zone occupée par une ONG. Or le problème est qu'il n'existe aucune zone réelle de protection, ni dans le cadre d'une présence des forces de l'ONU ni dans le cadre d'aucune autre force extérieure au pays concerné. Ou alors, monsieur le ministre, essayez de nous prouver le contraire !
    Quant à la sécurité qui serait assurée dans une partie délimitée d'un pays par des forces internes à ce pays, il est bien évident que la protection qui peut en résulter est de nature précaire, aléatoire et susceptible de disparaître du jour au lendemain. Un citoyen qui aurait trouvé asile dans une partie dite sûre de son pays pourrait se voir doublement menacé en cas de renversement de situation, une première fois pour s'être opposé à ses persécuteurs et une seconde fois pour avoir essayé de les fuir. En revanche, les possibilités pour lui de s'échapper seront d'autant plus réduites.
    En introduisant la notion d'asile interne, le Gouvernement prend la lourde responsabilité d'empêcher des personnes persécutées de bénéficier de la protection internationale et même de les exposer à des traitements inhumains. Cette conception des droits de l'homme est à nos yeux parfaitement indigne d'un pays comme la France. C'est d'autant plus grave que l'Europe s'apprête à adopter cette notion d'asile interne et risque de se servir de la position de la France pour justifier les restrictions au droit d'asile.
    Que dire enfin de la notion de « pays d'origine sûr ». Le projet de loi précise, en son article 6, qu'un pays est considéré comme un pays d'origine sûr « s'il respecte les principes de la liberté, de la démocratie et de l'Etat de droit, ainsi que les droits de l'homme et les libertés fondamentales ».
    Cette notion nous inquiète, par son côté sécuritaire et malsain, presque stigmatisant. Nous avons bien compris, monsieur le ministre, le sens que vous avez donné à cette définition, mais je ne suis pas sûr que celle-ci soit réellement opérationnelle, et qu'elle donne du sens, sur le fond, à votre exposé sur le droit d'asile, tel que le voit actuellement le Gouvernement, qu'elle soit en tout cas de nature à donner du sens à notre exposé sur la vision du Gouvernement, sur cette affaire. Quoi qu'il en soit, la notion de pays d'origine sûr va nous paraître malsaine, voire de nature à jeter l'opprobe. Pourquoi ? tout simplement parce que sur la base d'un semblable critère, comment affirmer que tel pays est réellement d'origine sûr ? Pouvez-vous nous citer un Etat, même parmi ceux que nous appelons les démocraties modernes, qui n'ait mis de côté certains de ses droits les plus fondamentaux, par exemple en cas de guerre ou de danger public considéré comme une menace pour la nation ? Les Etats-Unis en sont un cas typique, mais la France n'est pas davantage exemplaire en matière de défense des droits de l'homme dans certains domaines. Ainsi, dans les années 30 - je choisis délibérément cette époque pour couper court à toute ambiguité - de hauts fonctionnaires de bonne foi ont refusé d'accueillir dans notre pays des Juifs allemands au motif que l'Allemagne était alors considérée comme un pays sûr. J'ai bien écouté votre argumentation, monsieur le ministre ; je pourrais à la limite, soutenir, voire partager, votre argumentation, mais la notion de « pays d'origine sûr » n'étant pas aussi chargée de sens, malsaine et ambiguë.
    L'exposé des motifs précise que « l'objectif du Gouvernement est d'aboutir à la fixation sur le plan européen d'une liste commune de pays présumés sûrs, qui s'imposera à l'ensemble des Etats membres de l'Union européenne, facilement révisable pour tenir compte des évolutions de la situation internationale. »
    Nous allons nous retrouver dans une configuration de type G 8, où des pays soi-disant développés et démocrates fixeront arbitrairement la liste de pays considérés par eux comme dangereux. Sur quels critères ? En fait, peu importe : de toute façon, cette liste sera « facilement révisable ». Tel jour un pays sera considéré comme sûr, le lendemain il ne le sera plus. Les demandeurs vont-ils subir ces fluctuations d'ordre politique ? Vont-ils être déboutés de leur demande puis finalement accueillis sur notre territoire pour finalement être expulsés ? Un pays ami, mais peu respectueux des droits de l'homme pourrait ainsi être considéré comme un pays d'origine sûre uniquement au motif que nous entretenons avec lui des relations économiques et financières avec lui. Un seul exemple : l'Irak...
    Le Gouvernement souhaite pourtant nous rassurer - et je vous crois de bonne foi, monsieur le ministre -, en précisant qu'il ne s'agirait pas de rejeter systématiquement les demandes d'asile déposées par des ressortissants de pays d'origine sûr ni de les considérer comme irrecevables, car la garantie d'un examen au fond serait respectée.
    Mais je ne vois rien dans l'article 6 qui garantisse effectivement l'examen au fond du dossier du demandeur d'asile. Il est écrit que l'admission en France d'un étranger qui demande à bénéficier de l'asile ne peut être refusée que si celui-ci a la nationalité d'un pays considéré comme un pays d'origine sûr.
    Encore parlons-nous ici d'admission en France et non de l'admission au séjour : l'étranger pourra se faire refouler avant même d'avoir pu déposer une demande d'asile !
    Enfin, cette notion est contraire à l'esprit même de la convention de Genève, et notamment à son article 3, qui prévoit que « les Etats contractants appliqueront les dispositions de cette convention aux réfugiés sans discrimination quant à la race, la religion ou le pays d'origine ».
    Dès lors qu'il est impossible, nous venons de le voir, de déterminer si un pays est sûr ou non, comment admettre qu'une demande d'asile soit rejetée en se jugeant exclusivement sur la provenance de l'intéressé, sans même examiner le fond de sa demande ?
    Je vous le redis, monsieur le ministre, cette notion nous paraît dangereuse parce que sélective. Elle ouvre à tout le moins la porte à l'opprobre et aux a priori. Elle méprise le droit universel de la personne humaine au profit d'une conception d'un monde coupé en deux, pour reprendre une formule utilisée par le président américain, entre le bien et le mal. Faisant fi des droits universels de la personne humaine, lesquels englobent la condition des femmes, les droits de l'enfant, le respect des minorités, n'est-on pas en train de nous proposer - c'est en tout cas le sentiment que l'on peut avoir à entendre certains des dirigeants américains et du G 8 - d'organiser une forme d'apartheid planétaire 71 où le monde serait découpé en périmètres régionaux à plusieurs vitesses, à plusieurs niveaux de qualification ?
    L'ensemble du projet de loi qui nous est présenté aujourd'hui est bien marqué par une refonte en profondeur du dispositif d'asile, puisque sont touchées à la fois la composition des organes de détermination, la définition du réfugié et de l'asile ainsi que les procédures d'admission au séjour et de reconnaissance de la protection de la personne.
    De façon générale, vous ne pouvez cacher que cette réforme privilégie la gestion des flux migratoires au détriment de la notion de protection.
    Cette orientation est marquée par les pouvoirs conférés aux préfets en matière de réexamen des demandes. Le ministère de l'intérieur fait main-basse sur le droit d'asile. La très officielle agence France-Presse ne s'y est pas trompée. Elle titre sa dépêche du 2 juin concernant votre projet de loi : « Droit d'asile : premier volet contre l'immigration illégale devant les députés. »
    Si vous gardez la tutelle sur l'OFPRA, ce qui est à l'évidence une bonne chose, son président sera désigné conjointement avec le ministère de l'intérieur et les décisions de l'OFPRA directement transmises place Beauvau pour faciliter les mesures d'éloignement. Cette transmission est parfaitement contraire au principe constitutionnel de confidentialité des dossiers de l'OFPRA. Il est particulièrement choquant de voir le ministère de l'intérieur entrer par la grande porte alors que l'on jette la suspicion sur le Haut Commissariat aux réfugiés. Mais j'ai bien noté, monsieur le ministre, et l'on me pardonnera de me contredire aussi vite, que vous avez reprécisé la place du Haut Commissariat aux réfugiés. C'est effectivement un point essentiel, car il y va de la crédibilité de cet organisme. La convention de Schengen, signée en 1988 par cinq pays de la CEE, donne déjà une idée de ce que peut être une Europe des polices, qui éleverait encore des restrictions et des barrières. Au niveau politique, le nationalisme européen s'étend en reprenant les arguments de l'extrême droite sur la « distance culturelle », jugée comme un obstacle à l'intégration des immigrés ou des réfugiés du tiers monde.
    Tout porte à croire que le Gouvernement se met dans l'ambiance européenne. Le droit d'asile, en tant qu'exemple emblématique de l'idéal d'universalité, constitue pourtant le bien le plus précieux légué par la Révolution française. Mais ne sommes-nous pas en train de revenir en arrière, à tout le moins de rester à la croisée des chemins ?
    Jamais l'écart entre les pays riches et ceux du tiers-monde n'a été aussi important. Jamais, dans toute l'histoire de l'humanité, les réfugiés n'ont été aussi nombreux. Si les pays du tiers monde sont désormais les principaux pays d'exil, ils sont devenus également les premiers pays d'asile. Ils accueillent sur leur sol 12 des 14 millions de réfugiés que compte notre planète. Nous sommes entrés dans une phase nouvelle de l'histoire du droit d'asile, dans une phase dans une situation, vous l'avez dit, tout à la fois inédite et historique.
    Les déséquilibres économiques liés à l'extension sans fin du capitalisme renforcent la violence de masse, la misère et tout ce qui nourrit les fanatismes. Tous les jours, dans le pays des idéaux de justice et de vérité proclamés par la Révolution française, se fabriquent de nouvelles catégories d'exclus, ceux que l'on appelle, selon les cas, les déboutés ou les « réfugiés sur orbite » - appellation saisissante ! - que les Etats occidentaux refusent de recevoir mais qui, à défaut de pouvoir être renvoyés chez eux, errent d'un pays à l'autre.
    Non, les scènes de l'Exodus n'ont pas disparu avec la fin de la Seconde Guerre mondiale. Les avions ont seulement remplacé les bateaux et les « barbares » sont toujours là.
    Quatre-vingt-dix pour cent des demandes d'asile déposées sont rejetées par l'OFPRA. Un tel bilan aurait rempli d'aise les ministres de l'intérieur des années trente !
    Monsieur le ministre, peut-on dès lors poursuivre une politique des droits de l'homme fondée sur l'hypocrisie d'Etat sans aggraver encore le discrédit dont souffrent les idéaux démocratiques ?
    Permettez-moi, monsieur le ministre, en guise de conclusion, de citer ce beau passage. En conclusion, je vous renvoie donc à votre intervention du 14 février au Conseil de sécurité de l'ONU.
    M. Frédéric de Saint-Sernin. Très bien !
    M. André Gerin. Si nous avions été présents, en tous les cas pour ce qui me concerne, nous vous aurions applaudi avec fierté, notre fierté d'être français.
    M. Frédéric de Saint-Sernin. C'était une excellente intervention !
    M. André Gerin. « Dans ce temple des Nations unies, disiez-vous, nous sommes les gardiens d'un idéal, nous sommes les gardiens d'une conscience. La lourde responsabilité et l'immense honneur qui sont les nôtres doivent nous conduire à donner la priorité au désarmement dans la paix.
    « Et c'est un vieux pays, la France, un vieux continent comme le mien, l'Europe, qui vous le dit aujourd'hui, qui a connu des guerres, l'occupation, la barbarie. Un pays qui n'oublie pas et qui sait tout ce qu'il doit aux combattants de la liberté venus d'Amérique ou d'ailleurs. Et qui pourtant n'a cessé de se tenir debout face à l'Histoire et devant les hommes. Fidèle à ses valeurs, il veut agir résolument avec tous les membres de la communauté internationale. Il croit en notre capacité à construire ensemble un monde meilleur. »
    Dans ce débat sur les réfugiés et le droit d'asile, cette citation sur l'idée de capacité à construire ensemble un monde meilleur me paraît opportune.
    Pour nous, députés communistes et républicains, la politique du Gouvernement est une machine à exclure de façon de plus en plus intransigeante et monolithique. Cela ressemble de moins en moins à la France. Le République est de plus en plus défigurée.
    Votre projet de loi franco-français de régression vers une France frileuse et repliée, va, selon nous, porter atteinte à son image dans le monde. Il est dérisoire au regard des ambitions que vous affichiez à l'ONU.
    Nous voulons prendre date. Le sommet du G 8 laisse le Sud sur sa faim. Le club des Etats les plus riches du monde n'a répondu à aucun des problèmes les plus graves de la planète. Comment croire que l'économie de marché soit la seule réponse à la misère, alors que tout montre qu'elle en est la cause principale ? La question des réfugiés est cruciale pour l'avenir des civilisations au XXIe siècle, et le G 8, autant que j'ai pu le constater, l'a traitée par-dessus la jambe.
    Bref, monsieur le ministre, allons-nous enfin oser une mondialisation de la solidarité, de la justice et de la fraternité ? Les députés communistes et républicains, s'ils n'en négligent pas certains aspects techniques positifs, sont fondamentalement opposés, vous l'aurez compris, à la philosophie de votre projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à M. le minsitre.
    M. le ministre des affaires étrangères. Monsieur Gerin, nous nous retrouvons tous, soyez-en convaincu, dans votre rappel solennel des principes de l'asile et du devoir, de la France, mais de générosité au-delà des principes, il y a une réalité de la demande d'asile que nous devons prendre en compte. La vérité et l'honneur de la décision politique nous commandent d'agir. Faisons face ensemble, avec exigence et lucidité, aux blocages et aux insuffisances, pour que la France puisse assumer pleinement sa vocation de terre d'asile pour ceux qui sont persécutés en raison de leur opinion, de leur religion, de leur ethnie.
    L'asile est un droit et ce droit doit être respecté. Il doit devenir réalité vraie, réalité vécue.
    Vous parlez d'hypocrisie. Eh bien parlons sans hypocrisie, sans céder au vertige de la bonne conscience facile, sans céder à la logique des épileurs de chenilles ou des rétameurs d'échos pour citer un grand poète français, de surcroît résistant, René Char, alias Capitaine Alexandre.
    En laissant ce droit faire scandaleusement l'objet d'abus, on le tue, la main sur le coeur, on ne le défend pas. Or notre ambition commune n'est-elle pas de le faire vivre ? Regardons donc la réalité en face.
    Sur les 80 000 demandes d'asile reçues en 2002 par l'OFPRA et les préfectures, plus de 90 % d'entre elles ne peuvent être rattachées au droit d'asile, dont bénéficie, selon la convention de Genève, « toute personne qui, craignant d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou ne veut y retourner ».
    Telle est la réalité de la demande d'asile : plus de 90 % des demandes n'ont pu être retenues par les officiers de protection de l'OFPRA parce qu'elles se fondaient sur des motivations économiques et sociales, qui méritent sans aucun doute d'être prises en considération, mais qui n'ont pas de lien avec le droit d'asile.
    Certes, face à la détresse économique, la pauvreté, l'exclusion sociale, les nations riches ont le devoir de venir en aide aux populations les plus démunies, mais ce devoir-là ne s'appelle pas l'asile. Il s'appelle solidarité, aide au développement, coopération, aide humanitaire, et ce devoir-là, comme vous le savez, le Président de la République et le Gouvernement auquel j'ai l'honneur d'appartenir en ont fait une priorité. En dépit d'une conjoncture économique et budgétaire difficile, nous tenons fermement le cap de la progression de notre aide publique au développement par rapport à notre produit intérieur brut.
    Vous avez, pour défendre votre question préalable, voulu démontrer qu'il n'y a pas lieu de légiférer sur la question de l'asile.
    Vos arguments rejoignent ceux du groupe socialiste sur des questions telles que l'asile interne, les pays d'origine sûrs ou la protection subsidiaire. Vous me permettrez donc de ne pas revenir sur toutes les explications que j'ai déjà données en réponse à l'exception d'irrecevabilité.
    Je rappellerai néanmoins que plusieurs candidats à l'élection présidentielle, notamment M. Chirac comme M. Jospin, avaient inscrit la réforme de l'asile à leur programme.
    Le Président de la République a souhaité, le 14 juillet 2002, que l'on réforme le droit d'asile, au motif qu'une décision en matière d'asile peut demander jusqu'à dix-huit mois pour être prise, ce qui n'est pas une situation acceptable.
    La commission des affaires étrangères de votre assemblée a émis un avis favorable à l'adoption du projet de loi sur la base du rapport d'Eric Raoult. Celui-ci fait état d'une situation devenue ingérable du fait de l'explosion des demandes d'asile en partie déconnectées des évolutions géopolitiques. Votre commission des lois, sur le rapport de Jean Leonetti, a estimé de son côté que la procédure actuelle du droit d'asile se caractérisait à la fois par le désordre et l'injustice, ce dont M. Blisko est lui-même convenu.
    Au-delà de ces rappels, il me paraît évident que nous ne pouvons pas nous contenter du statu quo, comme nous y invite cette question préalable.
    Nous ne le pouvons pas pour les raisons que j'ai déjà évoquées dans mon intervention initiale : l'engorgement actuel du dispositif, les retards de plus en plus importants constatés dans la prise de décision, les détournements observés dans la procédure, qui sont mis à profit pour développer une nouvelle forme d'immigration, le coût enfin du traitement social des demandeurs d'asile.
    Mais, au-delà de ces arguments, il en est d'autres qu'il faut ici brièvement aborder.
    La loi RESEDA, adoptée en 1998, a montré depuis lors ses limites puisqu'en matière d'asile territorial, moins de 1 % des demandeurs se voient accorder le droit d'asile. Il est donc clair que nous devons réfléchir à un changement. N'est-il pas rationnel alors de le faire en liaison avec nos partenaires européens et en inscrivant sans tarder dans nos lois les principales dispositions qui sont en train d'être consolidées à Bruxelles ? Peut-on soupçonner au demeurant ces Etats européens avec lesquels nous partageons désormais un espace commun pour la circulation des personnes, l'espace Schengen, de vouloir instaurer des régimes juridiques contraires à la convention de Genève ?
    Une deuxième raison me semble rendre l'évolution indispensable : peut-on défendre le statu quo quand votre commission relève, tout comme l'a fait le Gouvernement, que les procédures d'asile sont utilisées de plus en plus par des réseaux d'immigration clandestine, voire par des mafias ? Notre système d'asile s'accompagne aujourd'hui d'une réalité sociale que nous ne pouvons plus tolérer. Nous devons agir et nous devons le faire rapidement.
    Vous nous avez fait part, monsieur Gerin, de votre inquiétude sur le rôle que tiendra à l'avenir le ministère de l'intérieur dans le dispositif de l'asile.
    Le ministère de l'intérieur et nos forces de police, qui agissent dans le cadre de la loi, appliquent déjà aujourd'hui les décisions de l'OFPRA et de la commission des recours des réfugiés. Cela ne changera pas. Ce qui va changer en revanche, c'est que le ministère de l'intérieur va perdre sa compétence sur l'asile territorial, compétence qui lui avait été attribuée par la loi RESEDA votée en 1998.
    Il faut par conséquent veiller à ce que les services du ministère de l'intérieur, la police de l'air et des frontières notamment, préservent des relations de travail nourries avec l'OFPRA. En pratique, une cellule de l'intérieur, placée sous l'autorité du directeur de l'OFPRA, assurera la liaison quotidienne avec les préfectures et le ministère de l'intérieur. Cette cellule devra en particulier veiller à l'application des décisions de l'OFPRA et de la commission de recours des réfugiés, notamment pour la délivrance des documents de séjour, mais aussi pour la reconduite à la frontière si le rejet de la demande d'asile est définitif. Il est essentiel en effet que les décisions ayant l'autorité de la chose décidée ou de la chose jugée soient suivies d'effet.
    Il reste que certains peuvent être tentés de voir dans la démarche du Gouvernement visant à moderniser le droit d'asile une tentative pour mettre ce droit au service de la politique d'immigration. Or c'est là, à l'évidence, le contraire des intentions de ce gouvernement.
    Sur ce point, je vous rejoins totalement quand vous dites que l'asile et la politique d'immigration sont différents. En effet, l'asile est un droit et l'immigration un choix.
    D'abord, nous présentons un projet de loi distinct de celui sur l'immigration ; les pouvoirs publics témoignent par là même de leur volonté de ne pas mélanger deux sujets, certes importants tous les deux, mais inspirés par des philosophies très différentes.
    Ensuite, nous confions la gestion du droit d'asile à l'OFPRA et à la Commission des recours des réfugiés. N'oublions pas que l'indépendance et le devoir d'asile sont au coeur de la culture de ces deux organisations. C'est leur métier et leur fierté depuis cinquante ans, et il n'est pas question de revenir là-dessus.
    Le Gouvernement ne présente pas une réforme confiant les asiles conventionnel et territorial à un établissement placé sous la tutelle du ministère de l'intérieur. Au contraire, avec cette réforme, il consolide l'esprit de la convention de Genève en l'étendant à toutes les formes d'asile. Il valorise les vertus d'indépendance, d'expertise et d'écoute de l'OFPRA en lui confiant toute la responsabilité de l'asile. Et le meilleur garant de cette extension sera bien les officiers de protection de l'office et les juges de la Commission des recours des réfugiés.
    Au demeurant, ce serait se tromper de cible que de vouloir traiter la question de l'immigration en l'abordant par le biais de l'asile. Les chiffres parlent d'eux-mêmes ! Il y avait 3 350 000 étrangers en France au 1er janvier 2002 ; cette même année, le ministère de l'intérieur a délivré 207 000 titres de séjour à des premiers arrivants.
    En 2002, l'OFPRA a accordé l'asile conventionnel à 8 500 demandeurs d'asile, c'est-à-dire 4 % des premiers arrivants, et le ministère de l'intérieur a accordé l'asile territorial à 1 296 personnes depuis l'adoption de la loi RESEDA, c'est-à-dire en cinq ans.
    Mesdames, Messieurs les députés, le règlement de la question de l'immigration ne passe pas par celui de l'asile. Ce ne sont à l'évidence pas les même chiffres, ce ne sont pas les mêmes démarches, et, à l'avenir, ce ne seront pas les mêmes services qui en auront la charge.
    Notre objectif est uniquement de mettre un terme à la situation actuelle caractérisée par l'incertitude, la précarité et le doute. Nous voulons rendre confiance à tous ceux qui continuent de croire à la vocation d'accueil de notre pays. Nous voulons nous montrer dignes de cette tradition qui a été et doit redevenir notre fierté commune.
    Remettre à plus tard cette réforme indispensable ne serait pas une démarche responsable. Le Gouvernement, en tout cas, n'y souscrira pas. Ni le droit, ni l'équité, ni l'efficacité de l'action publique ne sauraient le justifier.
    Au total, je reste convaincu qu'il y a urgence pour le Parlement à légiférer sur la question de l'asile. Je demande en conséquence à votre assemblée de rejeter cette question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. Dans les explications de vote, la parole est à M. Christian Vanneste, pour le groupe UMP.
    M. Christian Vanneste. Comme le disait Talleyrand, monsieur Gerin, tout ce qui est excessif est insignifiant. Je pourrais me contenter de cette formule, mais je vais aller un peu plus loin.
    Il y a chez vous deux aspects : le recours immodéré à des automatismes propres à votre mode de pensée et, derrière, quand on vous connaît bien, une exigence d'humanisme sincère qu'il faut vraiment respecter.
    Apartheid dites-vous, entre les pays sûrs et les pays pas sûrs. C'est vrai qu'il reste encore des rideaux de fer, c'est vrai, qu'on est moins en sûreté à Cuba dont le régime dictatorial profite de la situation en Irak pour embastiller un certain nombre d'opposants qu'on ne l'est au Canada ou en Belgique.
    « Lepénisation des esprits », dites-vous également. Mon Dieu ! Quand on voit le texte que nous avons aujourd'hui ! Vraiment, lorsque vous n'aurez plus Le Pen, vous serez bien malheureux ! Ce recours immodéré à la caricature est vraiment dérisoire.
    Fermeture des frontières, dites-vous encore. Je vous invite à écouter non seulement le ministre des affaires étrangères, mais également le ministre de l'intérieur. A la commision des lois, pas plus tard qu'hier, il a été extrêmement clair sur le fait qu'il y a deux attitudes extrêmes, qui se détruisent l'une l'autre : vouloir accepter toute immigration - c'est un peu votre attitude - et prétendre qu'il y aura un jour une immigration zéro. Au contraire, il faut faire en sorte qu'il y ait une immigration raisonnable et contrôlée.
    Enfin, vous avez fait une référence historique, habituelle de votre part, à 1793. C'est vrai que, pour vous, la Révolution, c'est surtout 1793 ! Moi, je pense plutôt, comme Furet, que la Révolution c'est entre 1789 et 1791. C'est peut-être en 1793 qu'on a écrit les plus beaux textes, mais ils n'ont jamais été mis en pratique. C'est juste après que Condorcet a dû fuir la dictature de Robespierre, et il n'a pu la fuir que dans la mort. C'est exactement le problème qui vous est posé aujourd'hui. A un texte idéal, mais inapplicable, nous préférons un texte réaliste que l'on applique, parce qu'il protège véritablement les gens.
    Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Très bien !
    M. Christian Vanneste. En effet, mieux vaut faire en sorte que les véritables demandeurs d'asile soient traités avec respect et humanité, et ne soient pas condamnés, notamment, à attendre pendant deux longues années le traitement de leur dossier avant de se perdre dans la nature, dans l'illégalité et, souvent, dans la misère.
    Pour toutes ces raisons, vous comprenez bien, monsieur Gerin, que nous rejetons votre question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. Christophe Caresche, pour le groupe socialiste.
    M. Christophe Caresche. Monsieur le ministre, je voudrais lever toute ambiguïté, s'il y en avait, sur la position du groupe socialiste.
    Nous reconnaissons comme vous qu'en France le droit d'asile est en crise, et que ne rien faire serait le compromettre. Il faut à l'évidence une réforme pour faire en sorte qu'il redevienne effectif, et, comme j'aurai l'occasion de le dire tout à l'heure, mais vous ne serez plus là, monsieur le ministre, et je le regrette parce que ce débat me semble très important, il y a à cet égard des points positifs dans votre texte.
    Par exemple, puisque vous avez évoqué la position d'un des candidats à l'élection présidentielle, il est clair que la réforme qui consiste à faire de l'OFPRA un « guichet unique » est une bonne réforme, et nous l'approuvons. Il y a aussi - et nous y reviendrons dans le débat - des points que nous n'acceptons pas, en particulier l'introduction des deux notions nouvelles de pays sûr et d'asile interne.
    Mais il ne faut pas caricaturer notre position. Estimant qu'une réforme est, en effet, une nécessité urgente, et qu'il y a lieu de débattre, nous nous abstiendrons sur la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à M. Noël Mamère.
    M. Noël Mamère. Monsieur le ministre, je suis frappé, pour ne pas dire choqué, par l'immense décalage, voire le fossé, qui existe entre ce texte et le discours que vous tenez en public à l'extérieur, vous et le Président de la République. A l'occasion de la guerre américaine en Irak, par exemple, vous avez défendu avec conviction le droit contre l'imposition d'une certaine forme de démocratie par la force, mais à la tribune de cette assemblée, vous nous proposez un projet de loi tendant à restreindre la notion de protection due à ceux qui sont aujourd'hui victimes de la tyrannie.
    Vous vous inspirez en cela de ce qui a été dit par le Président de la République au sujet de l'accélération des procédures pour le droit d'asile. Cette accélération a en fait pour seul but de donner la priorité à une gestion restrictive des flux migratoires, au motif que la longueur d'attente favoriserait l'immigration clandestine. Ce faisant, elle fait passer au second plan la notion de protection.
    Vous employez des arguments qui ne nous semblent pas convaincants, comme la nécessité d'un alignement sur les directives de l'Union européenne. D'abord, quand on regarde de près ce qui a été promulgué par l'Union européenne, on s'aperçoit que les décisions qui ont été prises sont des décisions a minima et que rien n'empêche les Etats d'améliorer les directives qui ont été adoptées. Au fond, vous ne tenez aucun compte de vos grands discours, de vos grandes envolées sur les droits de l'homme, sur la nécessité de lutter contre les inégalités qui déchirent ce monde. On sait, par exemple, que 1,3 milliard d'êtres humains n'ont toujours pas accès à l'eau potable et que 20 % des pays les plus riches consomment 80 % des ressources de cette planète. (« Ce n'est pas le problème ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire). Outre les réfugiés que nous connaissons aujourd'hui, qui sont victimes de la tyrannie ou du sous-développement et quelquefois des deux, nous connaîtrons peut-être bientôt - et c'est l'une des conséquences de l'évolution de l'environnement sur les droits de la personne - des réfugiés climatiques. Que fera-t-on d'eux ? Comment considérera-t-on leur situation ? Fera-t-on appel à la convention de Genève ? Bref, dans le projet que vous nous présentez, il y a un réel recul par rapport à la convention de Genève fixant le statut de réfugié.
    Je voudrais encore insister sur un point - ou peut-être même deux, sans vouloir être trop long. Concernant la notion de « pays sûr », mon collègue Gerin a évoqué tout à l'heure l'Allemagne des années 1930, mais on peut très bien se reporter à ce qui est la réalité d'aujourd'hui. Quels pays doit-on considérer comme des pays sûrs ? Pouvez-vous me dire, monsieur le ministre, vous qui connaissez beaucoup mieux que nous tous réunis la situation de cette planète, pouvez-vous nous dire si, pour un Kurde de Turquie, la Turquie est un pays sûr ? Pouvez-vous nous dire si, pour un Algérien qui ne partage ni l'avis des généraux ni celui des intégristes et des fondamentalistes, l'Algérie est un pays sûr ?
    M. Pierre Cardo. Et la Chine ?
    M. Noël Mamère. Pouvez-vous me dire, vous qui connaissez bien l'Afrique, pour laquelle vous éprouvez une passion, si, aujourd'hui, pour celui qui ne partage pas les opinions du pouvoir ivoirien, la Côte d'Ivoire est aujourd'hui un pays sûr ? La réponse est évidemment non. Par conséquent, introduire cette notion dans votre projet de loi est extrêmement dangereux.
    C'est la raison pour laquelle, en tant que député non-inscrit et député Vert, je soutiens bien évidemment la question préalable d'André Gerin, contrairement à mes amis du groupe socialiste qui s'abstiendront.
    Voyez-vous, nous faisons partie de ceux qui ont réclamé la réforme du droit d'asile. Il se trouve que votre serviteur a été candidat à l'élection présidentielle et a fait des propositions de réforme du droit d'asile. Elles ont peut-être été moins entendues que celles de M. Chirac ou de M. Jospin, mais elles ont été défendues, et n'avaient rien à voir avec les leurs puisqu'elles visaient à renforcer la protection des persécutés. Or ce n'est pas ce que vous faites aujourd'hui. Vous faites une confusion - car même si vous vous en êtes défendu à la tribune, c'est pourtant cela le fond de votre projet - entre la gestion des flux migratoires et la question du droit d'asile. Il y a là un amalgame. D'ailleurs, ce n'est pas pour rien qu'à partir du 19 juin, dans cet hémicycle, nous serons appelés à examiner le projet de loi du ministre de l'intérieur relatif à l'immigration. Or, on sait bien que pour la famille politique à laquelle vous appartenez, cette question de l'immigration est devenue emblématique, idéologique, une sorte d'icône que l'on ressort régulièrement pour signifier que nous serions, nous, les alliés objectifs de M. Le Pen et de ceux qui veulent faire naître chez les Français des illusions dangereuses. Ce n'est pas vrai. C'est avec les propositions que vous nous faites - aussi bien sur le droit d'asile que sur l'immigration - que vous chaussez finalement les bottes de M. Le Pen. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Et ces bottes sont malheureusement cloutées.
    M. le président. Je mets aux voix la question préalable.
    (La question préalable n'est pas adoptée.)
    M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

2

ORDRE DU JOUR DES PROCHAINES SÉANCES

    M. le président. Cet après-midi, à quinze heures, deuxième séance publique :
    Suite de la discussion du projet de loi, n° 810 modifiant la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952 relative au droit d'asile :
    M. Jean Leonetti, rapporteur au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République (rapport n° 883) ;
    M. Eric Raoult, rapporteur pour avis au nom de la commission des affaires étrangères (avis n° 872).
    Discussion du projet de loi, adopté par le Sénat après déclaration d'urgence, n° 881, de programme pour l'outre-mer :
    M. Philippe Auberger, rapporteur pour avis au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan (rapport n° 891) ;
    M. Joël Beaugendre, rapporteur pour avis au nom de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire (avis n° 887).
    A vingt et une heures trente, troisième séance publique :
    Suite de l'ordre du jour de la première séance.
    La séance est levée.
    (La séance est levée à treize heures cinq.)

Le Directeur du service du compte rendu intégralde l'Assemblée nationale,
JEAN PINCHOT