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ASSEMBLÉE NATIONALE
DÉBATS PARLEMENTAIRES


JOURNAL OFFICIEL DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE DU VENDREDI 13 JUIN 2003

COMPTE RENDU INTÉGRAL
2e séance du jeudi 12 juin 2003


SOMMAIRE
PRÉSIDENCE DE M. ÉRIC RAOULT

1.  Réforme des retraites. - Suite de la discussion, après déclaration d'urgence, d'un projet de loi «...».

Rappels au règlement «...»

Mme Jacqueline Fraysse, MM. Jean-Pierre Brard, Bernard Accoyer, rapporteur de la commission des affaires culturelles ; le président, François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité ; Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances ; Jacques Brunhes.

DISCUSSION GÉNÉRALE (suite) «...»

M. Bernard Depierre.

Rappel au règlement «...»

MM. Alain Bocquet, le président.

Suspension et reprise de la séance «...»
Rappels au règlement «...»

MM. Jean-Pierre Brard, Gaëtan Gorce, Jean-Luc Préel, le président de la commission des finances.

Reprise de la discussion «...»

Clôture de la discussion générale.
M. le ministre des affaires sociales.
M. Jean-Paul Delevoye, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire.

Rappels au règlement «...»

MM. Jean-Marc Ayrault, Maxime Gremetz, Jean-Pierre Brard.

Suspension et reprise de la séance «...»
MOTION DE RENVOI EN COMMISSION «...»

Motion de renvoi en commission de M. Jean-Marc Ayrault : M. Gaëtan Gorce.

Demande de vérification du quorum «...»

MM. Alain Bocquet, le président.
Motion de renvoi en commission (suite) : MM. le rapporteur, le ministre des affaires sociales, Jean-Luc Préel, Jean-Paul Bacquet, René Couanau, Jean-Pierre Brard.
Le vote sur la motion de renvoi en commission est réservé dans l'attente de la vérification du quorum.

Suspension et reprise de la séance «...»

Le bureau de séance constate que le quorum n'est pas atteint.
Le vote sur la motion de renvoi en commission est reporté à la prochaine séance.
Renvoi de la suite de la discussion à la prochaine séance.
2.  Nomination d'un député en mission temporaire «...».
3.  Ordre du jour de la prochaine séance «...».

COMPTE RENDU INTÉGRAL
PRÉSIDENCE DE M. ÉRIC RAOULT,
vice-président

    M. le président. La séance est ouverte.
    (La séance est ouverte à quinze heures.)

1

RÉFORME DES RETRAITES

Suite de la discussion, après déclaration d'urgence,
d'un projet de loi

    M. le président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi portant réforme des retraites (n°s 885, 898).

Rappels au règlement

    Mme Jacqueline Fraysse. Je demande la parole pour un rappel au règlement.
    M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Fraysse, pour un rappel au règlement.
    Mme Jacqueline Fraysse. Je tiens à faire un rappel au règlement après l'échange qui a eu lieu tout à l'heure entre le président du groupe communiste Alain Bocquet et le président de la commission des finances. M. Méhaignerie nous a expliqué qu'il ne ménageait pas ses efforts pour faire échapper nos amendements au couperet de l'article 40 de la Constitution.
    M. Bernard Accoyer, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. C'est vrai !
    Mme Jacqueline Fraysse. Il a notamment cité ceux qui proposent un référendum, dont celui que j'ai sous les yeux, l'amendement n° 51, déclaré irrecevable au titre de l'article 40 : « Compte tenu du choix de société et de civilisation que représente la consolidation de notre système de retraites et les enjeux de cette réforme, à l'issue de son adoption par le Parlement, le texte sera soumis à la consultation du peuple français par voie de référendum. »
    Il y a tout de même quelque chose qui ne va pas dans l'application de l'article 40 !
    M. Jean-Claude Lenoir. Mais le référendum a un coût !
    Mme Jacqueline Fraysse. Il semble qu'il y ait des excès. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Brard pour un rappel au règlement.
    M. Jean-Pierre Brard. Moi aussi, je souhaite en appeler au règlement à propos de l'application de l'article 40 et, à ce propos, je soumets à votre sagacité cette citation de Montesquieu (« Ah ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) : « Le ciel peut faire des dévots, le prince fait des hypocrites. » De même, le Premier ministre - « le ciel » - peut déclarer que la discussion « sera libre » et qu'« on prendra le temps qu'il faudra » tandis que le président de la commission des finances - « le prince » - livre à la guillotine nos amendements !
    Ainsi les deux amendements que j'ai déposés concernant la CNRACL, qui prévoient des recettes, ne devraient pas a priori se voir appliquer l'article 40, même si ces recettes généreront - éventuellement ! - des dépenses trente ou quarante ans plus tard, pour les gens à qui Dieu - pour poursuivre dans le style de Montesquieu - aura prêté vie jusque-là. Et même si l'on s'en tient à l'arithmétique, il reste un bonus qui ne justifie pas l'application de l'article 40.
    Inutile de proclamer devant les médias et l'opinion qu'on prendra le temps qu'il faudra pour mener à bien la discussion, si c'est pour jouer en coulisses les Ravaillac et éliminer une grande partie de nos amendements !
    Mme Muguette Jacquaint. Tout à fait !
    M. Jean-Pierre Brard. Monsieur le président, vous êtes bien placé pour savoir que le règlement peut donner lieu à beaucoup d'interprétations, tout comme les saints Evangiles chers à M. Barrot !
    M. René Couanau. Notre collègue Brard est un archevêque qui s'ignore !
    M. Philippe Auberger. C'est l'heure des vêpres !
    M. Jean-Pierre Brard. Si on veut nous empêcher de discuter, nous demanderons un vote sur chaque amendement et sur chaque amendement, nous expliquerons pourquoi nous sommes pour. Je crains fort que les semaines d'ici le 14 juillet n'y suffisent pas !
    M. Jean-Claude Lenoir. Amen !
    Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Des menaces ?
    M. le président. Avant de vous répondre, madame Fraysse et monsieur Brard, je vais donner la parole à M. le rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.
    M. Bernard Accoyer, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. Je rappelle à l'intention de nos collègues du groupe communiste...
    M. Jean-Pierre Brard. Et républicain !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Cette récente évolution est intéressante, en effet, mais elle n'a pas fait changer votre point de vue sur l'économie de marché !
    Je vous rappelle donc que le groupe UMP a déposé, lui aussi, comme les autres groupes, des amendements et que l'article 40 leur a été appliqué par la commission des finances selon les critères habituels.
    M. Jean-Pierre Brard. Faux-nez !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Vous prétendez redouter de ne pas avoir assez de temps pour débattre sous prétexte qu'il n'y aurait plus assez d'amendements ! Je vous rassure : sur les 11 000 amendements déposés, 2 000 environ ont été écartés, pour cause d'irrecevabilité. Il en reste donc encore 8 000 : la discussion ne devrait pas s'en trouver bridée !
    M. Jean-Pierre Brard. Selon vous, 11 000 moins 2 000 font 8 000 ! Heureusement que vous n'êtes pas à la commission des finances !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Plus de 8 000, en effet ! A fortiori...
    L'article 40 a même été appliqué d'une manière particulièrement rigoureuse à certains amendements de l'UMP, comme celui qui prévoyait la réalisation d'un simple rapport !
    M. Jean-Claude Lenoir. A cause du coût du papier ? (Sourires.)
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Plutôt à cause de ce qu'aurait coûté au total son élaboration !
    En tout cas, vous voyez bien, monsieur Brard, aucun sectarisme ne préside à ces décisions.
    M. Patrick Ollier. Très bien !
    M. le président. Madame Fraysse, M. Méhaignerie, président de la commission des finances, a rappelé, à la fin de la séance précédente, tout le soin et l'attention apportés par sa commission à l'examen des amendements. Et je vous signale que l'amendement qui avait été jugé irrecevable hier sous le n° 51 est devenu recevable sous le numéro 11182, et qu'il est à votre disposition. (Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    Enfin, monsieur Brard, je ne ferai aucun commentaire sur vos références à Montesquieu !
    La parole est à M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité.
    M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Je veux insister auprès du groupe communiste : il n'y a pas de double langage ! Le Gouvernement souhaite que le débat soit le plus transparent et le plus complet possible. Je crois d'ailleurs l'avoir montré en répondant hier à vos arguments, monsieur Bocquet, et je continuerai à le faire tout au long de ce débat. Mais le Gouvernement a l'obligation, comme le Parlement, de respecter l'article 40.
    Contrairement à ce qu'a prétendu M. Brard à l'instant, il n'y a pas, d'un côté, un gouvernement ouvert à un long débat et, de l'autre, une majorité qui l'empêcherait.
    M. Jean-Pierre Brard. C'est une bonne description !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. L'article 40 de la Constitution s'impose à tous les groupes de l'Assemblée, ainsi qu'au Gouvernement. Pour ma part, je ferai tout pour que nous puissions aborder tous les sujets, et donc toutes les propositions qui seront faites par l'opposition ou par une partie de l'opposition.
    M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan.
    M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan. Je confirme ce que j'ai dit ce matin : nous étions à l'extrême limite de l'application de l'article 40 en acceptant l'amendement sur le référendum, compte tenu de sa dimension politique, bien qu'il représente un coût pour les finances publiques.
    M. Alain Bocquet. C'est la démocratie !
    M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. En tout état de cause, il reste plusieurs milliers d'amendements qui vont permettre le meilleur débat possible, M. Fillon vient de le souligner.
    M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Fraysse.
    Mme Jacqueline Fraysse. L'amendement n° 51 avait donc bien été rejeté abusivement. Cela vaudrait la peine de réexaminer attentivement tous les autres eux aussi rejetés ! Le rapporteur parle de 11 000 amendements. Mais ils n'ont pas tous été déposés par le groupe communiste.
    Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Combien ?
    Mme Jacqueline Fraysse. Et nous ne prétendons pas que l'article 40 ne s'est appliqué qu'au groupe communiste ! Mais qu'il s'applique à tout le monde, avec la même rigueur, à égalité, c'est la moindre des choses !
    Quant à l'appliquer à des amendements qui demandaient un rapport  - qu'ils soient de l'UMP ou de l'opposition - au motif que cela a un coût, autant rentrer chez nous ! il n'y a plus grand-chose à discuter car tout a un coût : le papier, l'électricité.
    Il faut appliquer les règles avec discernement. Si vous ne voulez pas que nous parlions de double langage, montrez concrètement que vous n'éludez pas le débat par des moyens technico-administratifs, réglementaires,...
    M. Xavier Bertrand, rapporteur pour avis de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan, et M. Patrick Ollier. Constitutionnels !
    Mme Jacqueline Fraysse. ... en fait dilatoires. Voilà ce que nous attendons. J'espère que la situation va se rétablir car, pour le moment, ce n'est pas bien parti !
    M. le président. La parole est à M. Jacques Bruhnes, pour un dernier rappel au règlement.
    M. Jacques Brunhes. Monsieur le ministre, vous déclarez souhaiter un débat clair, sans confusion, qui nous permette d'aller au fond des choses. Le rapporteur a tenu à nous montrer que l'article 40 s'appliquait aussi à la majorité : il n'y a pas de quoi se vanter, c'est la moindre des choses que d'appliquer le règlement !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Nous sommes républicains et démocrates !
    M. Jacques Brunhes. Mais ce qui est significatif, c'est que l'article 40 ait été opposé à un amendement du groupe UMP réclamant un rapport ! C'en est une application abusive !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. C'est une gestion attentive des deniers publics !
    M. Jacques Brunhes. En fait, ce n'est pas là appliquer l'article 40, c'est refuser le débat !
    Monsieur le président, voilà vingt-cinq ans que je suis dans cette maison. (« C'est trop ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Je n'ai jamais vu un amendement demandant la rédaction d'un rapport refusé au titre de l'article 40 ! Jamais !
    M. Maxime Gremetz. C'est du jamais vu !
    M. Alain Bocquet. Scandaleux !
    M. Jacques Brunhes. Voilà qui constitue un précédent regrettable !

Discussion générale (suite)

    M. le président. Nous reprenons maintenant la discussion générale.
    La parole est à M. Bernard Depierre que ses collègues du groupe UMP écouteront avec une attention particulière, sans répondre aux provocations qui pourraient venir d'une partie de l'hémicycle.
    M. Bernard Depierre. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne me risquerai pas, étant parmi les derniers inscrits dans la discussion générale, et craignant de vous ennuyer, à vous redire les raisons de cette réforme. De nombreux orateurs m'ayant précédé l'ont fait certainement mieux que je n'aurais pu le faire. Si j'osais, je dirais même que, depuis plusieurs années, tout a été dit sur la nécessité de cette réforme, par le biais notamment des nombreux rapports qui se sont succédé et dont la quasi-totalité concluait à la nécessité d'agir. C'est bien parce que l'ensemble des problèmes avaient été depuis longtemps identifiés que l'on attendit, en vain, au cours de la précédente législature, la venue d'une réforme. En réalité, une chose manquait peut-être encore au précédent gouvernement : être suffisamment responsable pour la mettre en oeuvre. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Aujourd'hui, nous avons ce gouvernement et la réforme sera menée à bien, en dépit du curieux comportement de l'ex-majorité devenue opposition qui, après s'être abstenue de réformer tandis qu'elle le pouvait, et à mon sens le devait, plaide désormais en faveur d'une réforme... sans réforme. Car telle est bien en définitive la fameuse alternative que nous proposent nos collègues socialistes, qui semblent avoir définitivement renoncé à déplaire. (Mêmes mouvements.)
    Il est vrai que la volonté réformatrice du Gouvernement peut ne pas plaire à certains, même ceux qui ne sont pas concernés par la réforme. Mais la bonne nouvelle pour les Français, c'est que ce gouvernement agit pour l'avenir de notre système de retraites, pour l'avenir des futurs retraités que seront nos enfants, et c'est bien là l'essentiel.
    Alors, bien sûr, nous avons entendu les voix de ceux qui disent que le Gouvernement aurait refusé le dialogue social et qu'il refuserait aujourd'hui de tendre la main aux syndicats. Mais, depuis le mois de février dernier jusqu'au milieu du mois de mai, cette main fut tendue. Et elle fut saisie puisqu'un accord avec plusieurs syndicats (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) a permis, les 14 et 15 mai derniers, d'enrichir le projet de réforme du Gouvernement.
    Les partenaires sociaux ont joué leur rôle, certains demandant au Gouvernement un retrait pur et simple de sa réforme, d'autres apportant des idées permettant d'enrichir le texte sur lequel nous débattons aujourd'hui.
    Chacun, dans cette réforme, a choisi de prendre position selon ses convictions. Et l'on n'en voudra, je crois, à personne de prendre ses responsabilités.
    Le dialogue a également eu lieu au cours des nombreuses rencontres entre les parlementaires et les forces vives de notre pays, ainsi qu'avec nombre de nos concitoyens partout en France.
    Bien sûr, nous avons entendu aussi ceux qui, après n'avoir rien fait, reprochent aujourd'hui au Gouvernement de ne pas en faire assez.
    Mme Muguette Jacquaint. Le MEDEF, par exemple ?
    M. Jean-Pierre Brard. On vous reproche plutôt d'en faire trop !
    M. Bernard Depierre. La réforme ne serait pas entièrement financée. L'aspect financier de la réforme, s'il nécessite des choix difficiles et judicieux, présente en revanche l'avantage de la simplicité s'agissant du nombre de paramètres sur lesquels il est possible d'agir puisqu'ils sont, chacun le sait, au nombre de trois : montant des prestations, taux des cotisations et, enfin, durée de cotisation.
    Dès lors que l'une des raisons de la réforme tient à l'allongement de la durée moyenne de vie, pour ne pas parler de la démographie, est-il vraiment étonnant que le Gouvernement ait choisi d'agir en premier lieu sur la durée de cotisation ? D'ailleurs, en agissant de la sorte, il n'a fait qu'harmoniser la durée de cotisation entre le secteur public et le secteur privé, en s'appuyant sur la logique d'allongement de la durée de cotisation du secteur privé, lancée par la réforme Balladur et que le gouvernement Jospin n'a jamais remise en question.
    Allongeant la durée de cotisation, le Gouvernement a souhaité, en revanche, conserver le niveau actuel des prestations, et chacun, je crois, s'en félicite. Aussi, lorsque l'ancienne majorité nous reproche de ne pas financer entièrement la réforme, elle nous reproche, si je comprends bien, de ne pas augmenter davantage les prélèvements obligatoires ! Mais en même temps, elle nous reproche de ne pas tenir suffisamment compte de la situation de l'emploi, alors que, chacun le sait, l'augmentation des prélèvements obligatoires, que l'opposition préconise, conduirait précisément à la dégrader encore !
    M. Denis Jacquat. Très juste !
    M. Bernard Depierre. A ces contradictions le Gouvernement oppose la souplesse et le pragmatisme en proposant des rendez-vous tous les cinq ans pour ajuster le financement de la réforme à la situation économique.
    Mme Martine David. C'est de l'autosatisfaction !
    M. Bernard Depierre. Cette réforme est indispensable à la survie de notre système de retraite par répartition. Elle est juste, beaucoup de ceux qui m'ont précédé l'ont rappelé. Ce projet de loi respecte, enfin, les spécificités de chaque régime et, dans la fonction publique, de chaque catégorie. Le travail parlementaire va permettre de le préciser encore et de l'améliorer.
    Je suis fier d'appartenir à une majorité qui tient ses promesses ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

Rappel au règlement

    M. Alain Bocquet. Je demande la parole pour un rappel au règlement.
    M. le président. La parole est à M. Alain Bocquet, pour un rappel au règlement.
    M. Alain Bocquet. Monsieur le président, je vous soumets le problème suivant : vendredi dernier, j'ai pris l'initiative d'écrire à chacun de nos collègues pour leur proposer, au nom du groupe des député-e-s communistes et républicains, le dépôt d'une motion référendaire.
    Il a fallu le temps que les lettres arrivent,...
    M. Denis Jacquat. Avec les grèves...
    M. Alain Bocquet. ... qu'on les lise, qu'on y réfléchisse. Et voilà que, depuis une heure environ, certains de mes collègues, de tous les bancs, se proposent d'accompagner notre initiative.
    M. Bernard Deflesselles. De tous les bancs ? Des noms ! Révélez-les !
    M. Alain Bocquet. Oui, de tous les bancs !
    Je ne révélerai pas leur nom, par discrétion, mais vous seriez surpris !
    M. le président. Poursuivez, monsieur Bocquet.
    M. Alain Bocquet. Certes, jusqu'à présent, il n'y a aucune signature émanant du groupe UMP. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Bernard Deflesselles. La vérité, enfin !
    M. Alain Bocquet. Mais j'ai des signatures d'un autre groupe de la majorité... (« Ah ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Richard Mallié. Des noms !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Charles-Amédée ?
    M. le président. Venez-en à votre rappel au règlement, monsieur Bocquet !
    M. Alain Bocquet. Il apparaît, monsieur le président, que nous pourrions réunir les cinquante-huit députés nécessaires pour déposer cette motion référendaire. Cela suppose aussi que nous disposions d'un certain temps pour régler les problèmes administratifs qui peuvent se poser, pour réunir des groupes et pour prendre des contacts. Or d'aucuns n'avaient pas vu que ce dépôt devait se faire avant la clôture de la discussion générale. Vous pourrez toujours me rétorquer que nul n'est censé ignorer le règlement, mais celui-ci est tellement touffu que, parfois, il est difficile d'en saisir tous les détails. Par conséquent, ou la séance est suspendue pendant trois heures (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), afin que nous puissions faire ce travail,...
    M. Robert Lamy. Où ça ? A la buvette ?
    M. Alain Bocquet. La démocratie vaut bien qu'on lui consacre trois heures, mes chers collègues ! (Exclamations sur les mêmes bancs.)
    M. Michel Françaix. Au moins !
    M. Alain Bocquet. ... ou le bureau accepte que ce dépôt puisse avoir lieu après la clôture de la discussion générale.
    C'est ou, ou, ou ! (Sourires.)
    M. Dino Cinieri. La réponse sera ni et ni !
    M. le président. Monsieur le président Bocquet, ce sera et et et.
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Fromage et dessert !
    M. le président. J'ai reçu la lettre circulaire que vous nous avez adressée,...
    M. Bernard Deflesselles. Nous l'avons reçue depuis longtemps !
    M. le président. ... et à laquelle je n'ai pas répondu, comme sûrement un certain nombre de nos collègues,...
    M. Jean-Pierre Brard. Pas encore !
    M. le président. ... le 4 juin,...
    M. Bernard Deflesselles. Il y a longtemps !
    M. le président. ... c'est-à-dire depuis un certain nombre de jours.
    Je ne pense pas, monsieur le président Bocquet, que suspendre la séance pendant trois heures, comme vous me le demandez, ou durant un quart d'heure, comme je vais vous le proposer, sera suffisant pour contacter tous les collègues qui ne vous ont pas encore répondu.
    Par ailleurs, l'article 122 de notre règlement, qui concerne les propositions de référendum, ne prévoit pas de suspendre la discussion générale aussi longuement, notamment lorsqu'il ne reste plus qu'un orateur à intervenir dans celle-ci...
    Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Eh oui !
    M. Bernard Deflesselles. Très juste !
    M. le président. ... et que la motion de renvoi en commission déposée par le groupe socialiste va être défendue aussitôt après.
    Une suspension de séance de trois heures est, à mon avis, beaucoup trop longue...
    M. Maxime Gremetz. Trois heures, ça va !
    M. le président. ... et cela nous obligerait à lever la séance maintenant pour ne la reprendre que ce soir.
    Je vous propose donc, monsieur le président Bocquet, une suspension de séance d'un quart d'heure. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Protestations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. Bernard Deflesselles. C'est bien payé !
    M. Richard Mallié. C'est déjà trop !
    M. le président. Vous avez la parole, monsieur le président Bocquet.
    M. Alain Bocquet. Monsieur le président, vous comprenez bien que la réflexion chemine. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Elle prend du temps.
    A l'ouverture de la séance, plusieurs collègues m'ont fait savoir qu'ils n'avaient pas perçu de prime abord l'intérêt de cette proposition (Mêmes mouvements sur les mêmes bancs)...
    M. Bernard Deflesselles. Les conversions tardives sont les plus belles !
    M. Alain Bocquet. ... et m'ont demandé ce qu'ils devaient faire.
    Vous savez très bien que le règlement stipule que la motion référendaire doit être cosignée par cinquante-huit députés et que ceux-ci doivent être présents physiquement dans l'hémicycle au moment du dépôt de celle-ci.
    M. Patrick Ollier. Cela n'a rien à voir avec le règlement de l'Assemblée !
    M. Alain Bocquet. M. le président, même si l'homme peut aujourd'hui marcher sur la lune, je suis incapable...
    M. Richard Mallié. Comme d'habitude !
    M. Alain Bocquet. ... de réunir cinquante-huit signatures en un quart d'heure ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Bernard Deflesselles. Eh bien, tant pis !
    M. Alain Bocquet. Donnez-moi le temps nécessaire pour concrétiser cette initiative démocratique ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. Monsieur le président Bocquet, la lettre dont vous faites état a été reçue par les députés il y a une semaine.
    M. Bernard Deflesselles. En effet !
    M. le président. Tous nos collègues, quel que soit le groupe auquel ils appartiennent, l'ont reçue ainsi que le formulaire réponse et les trois pages d'explication qui l'accompagnaient.
    Mme Muguette Jacquaint. Il y a du retard dans le courrier !
    M. Maxime Gremetz. Il y a des grèves !
    M. Richard Mallié. La faute à qui ?
    M. le président. Monsieur Gremetz, j'ai trouvé cette lettre au casier de la poste de l'Assemblée, qui n'a pas été en grève que je sache.
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. C'est vrai, monsieur le président !
    Mme Muguette Jacquaint. Il y a des grèves de transport !
    M. le président. Monsieur le président Bocquet, étant donné qu'il ne reste plus qu'un orateur à intervenir dans la discussion générale et que la motion de renvoi en commission déposée par le groupe socialiste doit encore être défendue, je vais suspendre la séance quinze minutes. Elle reprendra avec l'intervention de M. Christian Ménard.

Suspension et reprise de la séance

    M. le président. La séance est suspendue.
    (La séance, suspendue à quinze heures vingt-cinq, est reprise à quinze heures cinquante.)
    M. le président. La séance est reprise.

Rappels au règlement

    M. le président. Je crois que M. Jean-Pierre Brard souhaite faire un rappel au règlement, fondé sur l'article 58, alinéa 1er du règlement.
    M. Jean-Pierre Brard. Exactement, monsieur le président. Je constate que nous communiquons par télépathie ! (Sourires.)
    M. Bocquet a expliqué tout à l'heure pourquoi nous avions besoin de temps. A ces raisons, s'ajoute le fait que l'UMP exerce une réelle pression sur nos collègues de l'UDF ! (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Pas du tout !
    M. Jean-Pierre Brard. Vous n'aimez pas que l'on dise publiquement ce que vous concoctez dans les coulisses, n'est-ce pas ?
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Ce sont des élucubrations !
    M. Jean-Pierre Brard. Monsieur Accoyer, le jour du jugement dernier, chacun sera face à sa conscience ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Bernard Deflesselles. M. Brard va nous lire la Bible !
    M. le président. Laissez M. Brard faire son rappel au règlement !
    M. Jean-Pierre Brard. Je vous remercie, monsieur le président, pour votre esprit d'équité. Reconnaissez qu'il faut beaucoup de persévérance pour parvenir à s'exprimer dans cet hémicycle ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Or c'est précisément de persévérance que je voudrais parler.
    M. Méhaignerie a bien voulu, dans sa mansuétude, repêcher un amendement sur 2000. (Sourires.) Mais notre grand écrivain Flaubert ne disait-il pas : « Tout amuse quand on y met de la persévérance : l'homme qui apprendrait par coeur un dictionnaire finirait par y trouver du plaisir. » Ce que nous faisons ici est beaucoup moins rébarbatif qu'apprendre un dictionnaire puisque nous défendons l'intérêt du peuple français et que, pour cela, nous ne faisons jamais assez preuve de persévérance.
    Pourquoi ne voulez-vous pas du référendum ? Parce qu'après avoir goûté, il y a quelques années, d'une dissolution hasardeuse vous ne voulez pas prendre le risque d'un référendum dont l'issue, pour vous, est certaine, et parce que vous savez que nos interventions ont la légitimité que leur donne le soutien du mouvement social.
    M. André Schneider. Pourquoi ne pas en avoir proposé un pendant cinq ans ?
    M. Jean-Pierre Brard. Certes, vous vous congratulez, certains d'entre vous ont même réussi à se convaincre eux-mêmes. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. René Couanau. Quelle onction ! Ce n'est plus un archevêque, c'est un pape !
    M. Jean-Pierre Brard. Mais la légitimité du référendum est incontestable. Or, monsieur le ministre, qui êtes interrogé depuis hier sur ce sujet, vous ne voulez pas répondre sur cette question, à laquelle le général de Gaulle lui-même accordait une grande importance. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Si vous ne voulez ni rétablir nos amendements, ni nous répondre quant à la perspective d'un référendum, il faut que nous, nous usions de toutes les possibilités que nous donne la vie parlementaire pour faire entendre la voix profonde du peuple de France, que vous essayez de bâillonner. (Exclamations et rires sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à M. Gaëtan Gorce, pour un rappel au règlement.
    M. Gaëtan Gorce. Je souhaite revenir, non sur l'opportunité d'une motion référendaire, sur laquelle j'ai bien entendu les points de vue de différents collègues, mais, puisque vous me donnez la parole, monsieur le président, sur le débat que nous avons entamé à propos de l'article 40.
    J'ai été frappé d'entendre le rapporteur rappeler, d'un ton presque théâtral, qu'un certain nombre des amendements déposés par lui-même et par la majorité sont tombés sous le coup de cet article. Pourtant, il ne peut pas prétendre qu'il ignorait la rigueur toute constitutionnelle avec laquelle la commission des finances allait traiter ces amendements.
    M. Bernard Deflesselles. Comme vous !
    M. Gaëtan Gorce. On peut donc penser que tous ces amendements, qui ont un coût et qui ont été médiatiquement relayés à l'envi au cours de la semaine passée - à propos des conjoints survivants ou des handicapés - n'ont été déposés que dans le seul but d'assurer une sorte de promotion médiatique à des propositions qui ne sont pas reprises dans le débat. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Pascal Terrasse. Absolument !
    M. Gaëtan Gorce. A moins que le Gouvernement ne soit disposé à reprendre ces différentes propositions.
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Je l'ai déjà demandé au Gouvernement, qui s'est montré très ouvert à cet égard.
    M. Gaëtan Gorce. Nous serons vigilants sur ce point.
    Pour ce qui nous concerne, nous avons déposé un minimum d'amendements sur ces questions, pour bien montrer que, contrairement à ce qui a été dit hier soir, nous n'abordons pas le débat dans un esprit d'obstruction, mais dans un esprit constructif. C'est d'ailleurs pourquoi je ne demande pas, à l'issue de ce rappel au règlement, de suspension de séance. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

    M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Préel, pour un rappel au règlement.
    M. Jean-Luc Préel. Monsieur le président, M. Bocquet et M. Brard, voilà quelques instants, ont prétendu que l'UDF était soumise à des pressions extrêmement fortes, et que certains avaient pu succomber à la tentation, ce qui, bien entendu, ne peut être le cas. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. René Couanau. Ils sont tordus !
    M. Jean-Luc Préel. En effet, s'il est vrai que l'UMP est très puissante,...
    M. René Couanau. Eh oui !
    M. Jean-Pierre Brard. Ecrasante même !
    M. Jean-Luc Préel. ... l'UDF souhaite exister, et disposer d'une totale liberté. Nous avons pu montrer, à plusieurs reprises, que nous avions des propositions à formuler sur les réformes, notamment sur celle des retraites, qui nous paraît très importante.
    Il est vrai que nous avons été, nous aussi - et nous le regrettons -, sanctionnés par l'article 40 et par le président de la commission des finances sur la demande de plusieurs rapports. Nous aurons l'occasion d'y revenir lors des débats. Mais il nous paraît important de passer maintenant très rapidement à la discussion des articles, au cours de laquelle MM. les ministres pourront nous donner les réponses que nous attendons avec impatience. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

    M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances. Nous aborderons ensuite la motion de renvoi en commission.
    M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. Je ne parviendrai pas, je le sais, à purger le débat sur l'article 40, c'est trop difficile. Je voudrais simplement rappeler, pour les collègues qui s'inquiètent de voir que des rapports peuvent tomber sous le coup de l'article 40, ce que disaient Christian Goux (« Ah ? » sur plusieurs bancs) - ça remonte loin ! - mais aussi Jacques Barrot (« Ah ! » sur les mêmes bancs.)
    M. Pascal Terrasse. Un grand homme !
    M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. Ils se rencontraient sur ce point, pour dire qu'on ne pouvait pas accepter des amendements, qui, présentés sous l'apparence de demandes de rapports, constituaient en fait de véritables résolutions contribuant à l'aggravation de la dépense publique. Et c'est cette règle qui est suivie depuis de nombreuses années.
    M. Pascal Terrasse. C'est la jurisprudence !
    M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. Merci de le rappeler !
    M. Jean-Pierre Brard. C'est surtout de l'immobilisme !
    M. Pascal Terrasse. De la jurisprudence administrative !
    M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. Quand à M. Brard - il faut purger le débat, pour qu'il ne devienne pas permanent - je le crois beaucoup trop subtil pour ne pas comprendre que toute charge, même différée, doit être compensée.
    Mme Jacqueline Fraysse. C'est pourquoi il faut modifier cet article 40 !
    M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. Troisième remarque, je rappelle que c'est moins de 20 % des amendements proposés qui n'ont pas été acceptés au titre de l'article 40.
    Dernier élément important : il est toujours possible - et je me suis d'ailleurs fait enguirlander par le rapporteur, M. Accoyer...
    M. Jean-Pierre Brard. Voilà les pressions !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Enguirlander, enguirlander, n'exagérons rien ! Entourer de guirlandes, vous voulez dire ! (Sourires.)
    M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. ... que j'ai manifesté la même rigueur et la même impartialité, quelle que soit l'origine des parlementaires qui m'ont aimablement sollicité.
    M. René Couanau. Nous en témoignons !
    Mme Jacqueline Fraysse. Heureusement !
    M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. Il est toujours possible, chers collègues, de s'inscrire sur l'article et de demander un débat approfondi.
    M. Bernard Roman. C'est du vent.
    M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. Il est souhaitable que ce débat sur l'article 40, que nous avons déjà eu si souvent dans le passé, soit clos. Merci d'avance à ceux qui comprendront ce message. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. Chers collègues, je viens d'être informé que M. Christian Ménard avait renoncé à son temps de parole.
    M. Jean-Pierre Brard. Je demande la parole pour un rappel au règlement !
    M. le président. Monsieur Brard, la discussion générale est close. Il est temps de laisser les ministres répondre aux orateurs.
    M. Jean-Pierre Brard. Je voulais faire écho aux propos de M. le président de la commission.
    M. le président. Je ne peux pas vous donner la parole pour répondre au président de la commission des finances, nous ne sommes pas dans le débat des amendements.

Reprise de la discussion

    M. le président. La parole est à M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité.
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, lancé par le Président de la République au mois de janvier, précisé par le Premier ministre au Conseil économique et social quelques jours plus tard, le débat sur la réforme des retraites se déroule enfin au Parlement.
    C'est un débat fondamental - tous les orateurs qui se sont exprimés dans la discussion générale l'ont reconnu - pour l'avenir de la société française parce qu'il amorce - il ne fait d'ailleurs que les amorcer sur bien des points - des changements profonds dans notre pacte social, afin de permettre à notre pays de s'adapter à la révolution démographique qui est en cours.
    Il s'agit peut-être du débat le plus important de la législature. Il revêt une réelle gravité et il est sans doute plus dramatique dans notre pays que chez nos voisins, en raison des blocages qui affectent la société française et tout particulièrement son secteur public. En effet, c'est la première fois depuis 1964 qu'une réforme des régimes de retraite des fonctions publiques vient en discussion devant l'Assemblée nationale.
    Ce débat, nous ne l'engageons pas dans des conditions banales.
    Mme Jacqueline Fraysse. Ça, c'est vrai !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Nous l'engageons un an après le 21 avril 2002, c'est-à-dire un an après le séisme politique qui a vu le candidat de la gauche écarté au second tour de l'élection présidentielle au profit de l'extrême droite. Ce séisme est le révélateur d'une grave crise de confiance entre les Français et leurs institutions politiques.
    Mme Muguette Jacquaint. Cela ne va pas s'arranger !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Surtout si nous ne pouvons pas avoir de débat démocratique, tranquille, serein, en nous écoutant les uns les autres. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur plusieurs bancs du groupe Union pour la démocratie française.)
    Il est donc essentiel que, sur un sujet aussi important et après cet événement politique, nous prenions chacun nos responsabilités et que nous fassions notamment en sorte que ce débat soit exemplaire. Nous le devons aux Français tant en raison du sujet qu'en raison de la situation politique dans laquelle nous sommes.
    Le Gouvernement et la majorité ont pris leurs responsabilités en s'engageant sans ambiguïté sur un programme de réformes qui est respecté à la lettre, et en donnant toute sa place, dans la préparation de ces réformes, au dialogue social.
    Nous avons en effet pris le temps de la négociation sociale. Ainsi que je l'ai rappelé à plusieurs reprises, nous avons, pendant trois mois et demi, au cours de vingt et une réunions de négociation qui ont rassemblé l'ensemble des organisations syndicales et des organisations patronales, préparé le texte. Nous sommes parvenus à un accord avec la CFDT, la CGC et les organisations patronales.
    M. Jean-Pierre Brard. Que représentent-elles ?
    Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Et vous ?
    M. Jean-Claude Lenoir. Seulement 3 % !
    M. le président. Monsieur Lenoir, je vous en prie !
    M. Jean-Pierre Brard. C'est ça ! L'épaisseur d'une feuille de papier à cigarette !
    M. le président. Monsieur Brard, ne provoquez pas tous le temps vos collègues !
    M. Jean-Pierre Brard. Nous voulons dialoguer avec eux !
    M. le président. Vous interviendrez tout à l'heure.
    M. Jean-Pierre Brard. Vous ne me donnez pas la parole !
    M. le président. Pour l'instant, seul le ministre a la parole !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Cet accord est insuffisant, nous dit l'opposition. Certes, mais il représente un immense progrès par rapport aux pratiques sociales qui ont prévalu pendant cinq ans. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    J'ajoute qu'en remettre en cause la légitimité revient à prendre un risque considérable par rapport à la nécessaire modernisation du dialogue social sur laquelle, d'une manière ou d'une autre, se sont engagées toutes les orientations syndicales.
    Pouvait-on aller plus loin dans la négociation ? J'ai déjà répondu à cette question, mais j'y reviens puisque le sujet a été abordé par beaucoup d'orateurs. Je réponds non pour deux raisons : d'une part, parce que l'une des deux organisations syndicales qui ont refusé de s'associer à l'accord a posé comme préalable le maintien de la durée de cotisation des fonctionnaires et que c'était pour nous un préalable tout à fait inacceptable ;...
    Mme Muguette Jacquaint. Pourquoi ?
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. ... d'autre part, parce que la deuxième organisation, après avoir accompagné le Gouvernement très loin dans la concertation, à tel point qu'elle avait activement participé à la rédaction des principes dont nous allons débattre aux articles 1er, 2 et 3 du projet de loi, a, conformément à sa culture et à son histoire, refusé d'entrer dans une vraie négociation avec le Gouvernement et elle a refusé de rechercher un compromis acceptable par tous, y compris par le Gouvernement lui-même !
    M. Jean-Pierre Brard. Ce n'est pas exact !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Le Gouvernement a négocié un accord qui comporte de très importantes avancées sociales. L'objectif de tous ceux qui, parmi les partenaires sociaux, réclament aujourd'hui une renégociation, est en réalité le blocage de toute réforme des retraites, au moins à moyen terme, puisqu'ils n'ont pas présenté de véritable contre-proposition crédible. Il n'y a pas de contre-projet du côté des partenaires sociaux - nous parlerons ensuite des contre-projets des organisations politiques. Il n'y a donc pas de contre-projet à opposer à celui du Gouvernement (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains),...
    M. Patrick Braouezec. Bien sûr que si !
    M. le président. Je vous en prie, chers collègues !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. ... si ce n'est de vagues affirmations sur des principes et sur la nécessité d'élargir l'assiette des cotisations.
    Quoi qu'il en soit, nous sommes maintenant entrés dans le temps du débat parlementaire, et seul le Parlement peut conclure...
    M. Jean-Pierre Brard. Non ! Il y a le référendum !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. ... ce grand débat national sur les retraites qui concerne toute la société française, puisque seul le Parlement représente la société française dans son ensemble.
    M. Jean-Pierre Brard. Il y a le peuple lui-même !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. A l'issue de la discussion générale, nous voyons se dessiner les arguments des uns et des autres.
    Je voudrais remercier tous les orateurs et, au premier rang d'entre eux, les rapporteurs et le président de la commission des affires culturelles pour le travail remarquable qu'ils ont accompli dans un délai qui, c'est vrai, était contraint.
    M. Pascal Terrasse. Quel aveu !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Je voudrais remercier chacun des orateurs de la majorité. Ils ont mis en lumière l'importance de cette réforme.
    Denis Jacquat, Hervé de Charette, Hervé Novelli, Jean-Paul Anciaux ont parlé avec raison de « réforme nécessaire et capitale ». Cette réforme, si longtemps esquivée, n'a d'autre but que de maîtriser ce que l'on doit bien appeler une révolution, celle de la démographie.
    Georges Tron a légitimement évoqué la situation qui prévaut chez nos partenaires européens, qui ont tous sans exception engagé des réformes.
    Claude Greff s'est faite l'avocate des femmes, au nom de la délégation de l'Assemblée nationale aux droits des femmes, et a ouvert plusieurs pistes de réflexion sur lesquelles nous aurons l'occasion de revenir.
    Christine Boutin a justement évoqué l'amélioration nécessaire des compensations familiales.
    Nous avons tous été très touchés par le discours de Nadine Morano, qui a parlé avec son coeur et qui a exprimé au fond à sa façon la blessure que nombre de membres de la majorité ressentent devant la violence des attaques de certains - pas de tous - des orateurs de l'opposition (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste),...
    M. Jean-Pierre Brard. Le saint homme !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. ... qui semblent finalement n'avoir d'autre objectif dans ce débat que de dissimuler leur absence de contre-propositions. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Patrick Braouezec. Cela ne peut valoir pour nous !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Face à la révolution démographique, le Gouvernement a choisi un principe politique, celui de la répartition et de la solidarité.
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Très bien !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Ceux qui prétendent le contraire ne sont pas sincères. (Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. Jean-Pierre Brard. On vous prouvera le contraire !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Non, ils ne sont pas sincères !
    Il y avait cependant d'autres options. L'UDF, par la voix de Jean-Luc Préel, en a énoncé une : le régime par points. Les régimes par points, qui sont des régimes contributifs, sont, du point de vue technique, séduisants. La France dispose déjà, avec les régimes complémentaires de salariés ARRCO et AGIRC, des régimes par points.
    Par rapport au problème de financement qui nous est posé, le basculement du régime de base vers un régime par points est en soit neutre. Mais il s'agit pour nous d'un choix politique, d'un choix quasi philosophique : nous souhaitons maintenir un haut niveau de retraite et ne pas diminuer le taux de remplacement du fait de notre réforme. Nous souhaitons également rassurer les Français sur l'avenir du système.
    Mme Muguette Jacquaint. On ne peut pas dire qu'ils soient rassurés !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Or la complexité du basculement d'un régime comme le nôtre vers un régime par points susciterait des craintes et irait donc à l'encontre de cet objectif.
    Par ailleurs, je rappelle que le régime général de l'assurance vieillesse est caractérisé par la présence de très nombreux éléments non contributifs qui permettent la mise en oeuvre d'éléments de solidarité auxquels les Français sont très attachés. C'est le cas du mécanisme du minimum contributif, qui permet aux petites pensions d'être survalorisées, ou de la règle des vingt-cinq meilleures années, qui permet de ne retenir que les années les plus favorables au cotisant. Ces éléments peuvent difficilement être transposés dans un système par points où, même si des points gratuits peuvent être attribués, il n'en reste pas moins que les personnes travaillant ou ayant travaillé pendant une certaine période à temps partiel, par exemple, seraient fortement pénalisées.
    M. Gilles Carrez. C'est vrai !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. De plus, le basculement du régime de base vers un régime par points aurait très probablement comme conséquence la construction à terme d'un régime unique regroupant le socle de base et le socle complémentaire, ce qui est le souhait, je crois, de Jean-Luc Préel. Ce serait peut-être une simplification administrative, mais celle-ci recèlerait un important danger politique : l'Etat risquerait de se retrouver en première ligne pour définir la valeur du point du régime et l'on assisterait à une forme d'étatisation des régimes complémentaires gérés aujourd'hui par les partenaires sociaux.
    Pour toutes ces raisons, le Gouvernement n'a pas retenu cette option intellectuellement stimulante, mais contraire à son objectif de solidarité et de répartition.
    C'est le système par répartition que nous voulons conserver et qu'il faut aujourd'hui réformer.
    L'opposition, que j'ai écoutée avec beaucoup d'attention, ne présente pas, face à la réforme, un visage unique.
    Le Parti communiste a défendu un projet alternatif, sur lequel j'ai eu l'occasion de m'exprimer hier. Ce projet est, me semble-t-il, caractérisé par deux éléments.
    Premièrement - et Jean-Pierre Brard en a parlé -, la situation n'est pas urgente et n'est nullement pressante. Aux yeux du Parti communiste, le Gouvernement exagère le défi démographique et ses conséquences.
    M. Jean-Pierre Brard. Il ne s'agit pas du Parti communiste, mais du groupe des député-e-s communistes et républicains !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Cette vision irénique, monsieur Brard, n'est partagée ni par le Conseil d'orientation des retraites, ni par le Gouvernement.
    Deuxièmement, le Parti communiste nous affirme que la France est suffisamment riche (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains), et qu'il n'y a qu'à augmenter les impôts et taxer.
    M. Patrick Braouezec. C'est ce que dit le COR !
    M. Jacques Desallangre. Il faut taxer la valeur ajoutée, la création de richesses !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Cette fiscalisation tous azimuts n'a selon moi d'autre objectif que de financer le statu quo. (« Mais non ! » sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.) C'est, me semble-t-il, une erreur.
    En effet, le contrat social ne peut être financé que si notre économie continue à créer plus de richesses.
    Mme Sylvia Bassot. Evidemment !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Cette dynamique économique ne doit pas être étouffée si nous voulons qu'elle contribue à notre prospérité sociale. Que se passerait-il si, par exemple, on décidait d'augmenter à nouveau la part des salaires dans la valeur ajoutée par le biais d'un nouveau prélèvement fiscal pour financer les retraites ? (Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. Jacques Desallangre. C'est le contraire qu'il faut faire !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Vous devriez économiser votre souffle et votre salive car vous allez en avoir besoin tout au long du débat.
    M. Patrick Braouezec et M. Jacques Desallangre. On n'en manque pas !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. De toute façon, vos interruptions ne m'empêcheront pas de poursuivre mon propos.
    M. Jean Le Garrec. Votre arrogance est incroyable !
    M. Jacques Desallangre. Nous avons en ce qui nous concerne le souffle et la générosité !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Cette question, mesdames, messieurs les députés, doit s'analyser exactement comme l'inverse d'une baisse des charges pour les entreprises.
    M. Patrick Braouezec. Incroyable !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Ces dernières réagiraient à cette hausse du coût du travail en réduisant les embauches, de façon à restaurer leur rentabilité (Exclamations sur les bancs du groupe des députés-e-s communistes et républicains),...
    Mme Muguette Jacquaint. Ce serait le contraire !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. ... et il en découlerait une augmentation forte du chômage. C'est exactement ce qui s'est passé dans les années 70 et 80 à la suite des chocs pétroliers et de la hausse régulière des prélèvements fiscaux et sociaux.
    Dans ces hypothèses, M. Brard procède à des extrapolations des courbes sur les prélèvements obligatoires pour le paiement des retraites.
    M. Jean-Pierre Brard. Mais non !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Votre raisonnement est abstrait. Cette option dresserait demain les actifs contre les retraités.
    M. Michel Bouvard. Bien sûr !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Faut-il rappeler que le taux de pauvreté monétaire des retraités est estimé à 4 %, contre 8 % pour les actifs ?
    Faut-il rappeler que le revenu des retraités est en moyenne équivalent à celui des actifs alors même que leurs charges sont inférieures ?
    M. Jean-Pierre Brard. C'est pour cela que vous voulez les passer à l'essoreuse !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Oui, il y aura une évolution inévitable de la part du produit intérieur brut consacrée au paiement des retraites. Mais il faut réformer le système pour qu'il ne soit pas rejeté brutalement par les actifs de demain, s'ils venaient à récuser une croissance excessive des impôts et des cotisations.
    M. Jean-Pierre Brard. Alors, vous nous donnez acte de notre démarche ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Bien sûr, monsieur Brard !
    M. le président. Monsieur Brard, vous qui n'aimez pas être interrompu, n'interrompez pas le ministre !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. L'intérêt du débat est que j'écoute vos arguments et que je vous donne mes analyses. Mais si vous n'écoutez pas nos analyses, je n'ai plus de raison d'écouter vos arguments. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    Quant au Parti socialiste, il me semble qu'il a choisi d'oublier l'action qui a été la sienne au gouvernement sur les retraites.
    M. Yves Bur. L'inaction, plutôt !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Pourquoi a-t-il fait ce choix ? Parce qu'il a tenté ou tente encore de surfer sur un mouvement social...
    M. Bernard Deflesselles. C'est raté !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. ... qui, en dépit de son désir, est resté confiné à une partie du secteur public qui refuse sa part d'efforts pour sauver le régime par répartition. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    C'est un choix. Ce choix est critiqué à l'extérieur comme à l'intérieur du Parti socialiste.
    M. Jean-Louis Idiart. Vous êtes méprisant et méprisable !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. En tout cas, c'est un choix dont vous devrez, à un moment ou à un autre, répondre devant les Français. (« Très juste ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Mais ce choix, nous le respectons.
    M. Bernard Roman. Vous devrez vous aussi répondre du vôtre !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Bien sûr ! Mais je préfère être à ma place qu'à la vôtre. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Votre choix, mesdames, messieurs les députés socialistes, pour être crédible, devrait déboucher sur des propositions. Or, pendant la vingtaine d'heures que nous avons débattu, je n'ai jamais entendu le début du commencement d'une proposition concrète. (« Très juste ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - « C'est faux ! » sur les bancs du groupe socialiste.)
    Mais j'imagine que, d'ici à la fin du débat, nous aurons droit à des précisions. (Vives exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. Chers collègues du groupe socialiste, un de vos orateurs va pouvoir s'exprimer pendant une heure trente...
    M. Pascal Terrasse. Ce que dit le ministre est faux !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Monsieur Terrasse, je vous ai écouté pendant une heure et demie. A plusieurs reprises, vous nous avez indiqué que vous feriez des propositions, mais vous n'avez jamais atteint cette partie de votre exposé. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    En tout cas, pour que nous puissions discuter projet contre projet, il faut que nous connaissions vos propositions.
    M. Yves Bur. Il n'y a en pas !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Proposer simplement d'augmenter les prélèvements obligatoires n'est pas une contre-proposition.
    M. Didier Migaud. Vous êtes caricatural !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Votre choix n'autorise ni les caricatures ni les mensonges.
    Je voudrais revenir sur quelques caricatures que j'ai entendues au cours du débat.
    M. Didier Migaud. C'est vous qui cédez à la caricature !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Première caricature : nous aurions ignoré les conclusions du Conseil d'orientation des retraites.
    Pour répondre à cette affirmation, je ne peux pas mieux faire que de donner la parole à la présidente du Conseil d'orientation des retraites, que vos amis avaient nommée...
    M. Pascal Terrasse. Dites son nom !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Il s'agit de Mme Moreau, qui, le 2 juin dernier, a reconnu que « les orientations qui ont été décidées à l'unanimité par le Conseil d'orientation des retraites se retrouvent très largement dans le projet gouvernemental ». (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Deuxième caricature : le Gouvernement utiliserait pour seul levier l'allongement de la durée de cotisation. Or je me suis expliqué à plusieurs reprises sur ce sujet : l'allongement de la durée de cotisation permettra de répondre à un tiers environ des besoins de financement du régime général, les deux autres tiers étant financés par l'augmentation des cotisations.
    A ce sujet, je ne peux pas résister à l'envie de citer à mon tour le Premier ministre Lionel Jospin (« Oui ! oui ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) : « Quant à l'allongement de la durée de cotisation qui permettrait de réduire sensiblement le besoin de financement du régime, il garantirait les retraites des fonctionnaires sans accroître la charge pour la collectivité. Il s'agirait là, et cet élément est essentiel, d'une approche qui préserverait le niveau de vie des actifs comme celui des retraités ». (Exclamation sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Pascal Terrasse. Que dit-il après ?
    M. Bernard Roman. Lisez la suite !
    M. Christian Bataille. Oui ! La suite !
    M. le président. Chers collègues, je vous en prie !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. J'ai beaucoup de respect pour Lionel Jospin, mais pas assez pour lire tout son discours à sa place à la tribune.
    M. Augustin Bonrepaux. Vous ne citez que ce qui vous intéresse !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Troisième caricature : l'objectif d'un taux de chomage de 5 ou 6 % pour 2020 ne serait pas réaliste.
    M. Jean-Louis Idiart. Il est malhonnête !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Tous les orateurs du groupe socialiste qui se sont succédé à la tribune pour démontrer la force de leur argumentation se sont appuyés sur la situation du chômage aujourd'hui. Ils n'ont pas eu de mots assez durs pour dénoncer la politique économique et la politique de l'emploi du Gouvernement.
    M. Augustin Bonrepaux. Ils avaient raison : regardez le résultat !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Vous êtes toujours impatient, monsieur Bonrepaux. Laissez-moi poursuivre !
    M. le président. Calmez-vous, monsieur Bonrepaux !
    M. Augustin Bonrepaux. Le ministre nous provoque !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. La dernière année du mandat de la gauche, le chômage a frappé dans notre pays 160 000 personnes de plus. La première année du gouvernement auquel j'appartiens, il a augmenté de 100 000 personnes.
    M. Jean-Marc Ayrault. Et avant ?
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Reconnaissez au moins que, sur ce sujet, vous n'avez pas trouvé la solution permettant de s'abstraire complètement des résultats de la croissance dans le monde et dans notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Bernard Roman. Ridicule !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. D'après les principaux indicateurs de ces dernières semaines, nous devrions bientôt connaître une reprise de la croissance en France et dans le monde. D'abord, le secteur des nouvelles technologies et des télécommunications a tiré la croissance dont vous avez profité pendant trois ans. Il l'a ensuite stoppée, pour les raisons que l'on sait, et s'est remis en marche. Il devrait se remettre à doper la croissance.
    M. Jacques Desallangre. En attendant, on licencie : 3 000 emplois en moins chez Alcatel.
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Ensuite, les incertitudes internationales qui ont retardé cette reprise sont maintenant à peu près dissipées. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Enfin, les réformes structurelles qui ont été conduites dans notre pays vont commencer à produire des effets sur la politique de l'emploi.
    M. Bernard Roman. Ce n'est pas possible !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Notamment, les 7 milliards d'euros de baisse de charges en trois ans,...
    M. Michel Bouvard. Très bien !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. ... d'ailleurs souvent dénoncés sur ces bancs (« Tout à fait ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) vont donner des résultats en matière de création d'emplois à partir du mois de juillet prochain.
    Par ailleurs, vous faites comme si le retournement démographique n'existait pas. Mais pourquoi discutons-nous d'une réforme des retraites si ce n'est parce qu'il y a un retournement démographique ? Et ce retournement démographique qui nous oblige à réformer les régimes de retraite a aussi des conséquences sur l'emploi, le nombre des actifs, donc sur le nombre de chômeurs. En tout cas, quelles que soient vos argumentations sur ce sujet,...
    M. Jacques Desallangre. Dans votre logique, il n'y a pas d'emplois !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. ... il est une chose que vous ne pouvez pas esquiver, c'est votre objectif en matière de chômage. Puisque vous avez un contre-projet en matière de retraites, j'imagine que vous l'avez appuyé sur des hypothèses de chômage pour 2020.
    M. Pascal Terrasse. Absolument !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Pour continuer la discussion, nous avons besoin de savoir quel est l'objectif du Parti socialiste en matière de chômage à l'horizon de 2020. (« Oui ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Pascal Terrasse. Affecter de l'argent à la recherche !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Quatrième caricature : la réforme de 1993 devrait être abrogée.
    M. Pascal Terrasse. Nous n'avons pas dit ça !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. J'ai évoqué tout à l'heure la situation politique dans laquelle se trouve notre pays. Nous devons restaurer des relations de confiance entre les Français et les institutions politiques. Or ce n'est pas en prétendant qu'il faut aujourd'hui abroger la réforme de 1993, que vous avez appliquée pendant cinq ans sans jamais la contester, que vous réussirez à rétablir des relations de confiance avec l'opinion. (Protestations sur plusieurs bancs du groupe socialiste.) Vous avez eu raison d'appliquer cette réforme. Votre position actuelle n'a aucune justification. A l'inverse, le Gouvernement a décidé, à la suite de la négociation sociale, sur certains points, notamment sur la question de la garantie sur les basses pensions, de mettre en place des dispositifs permettant d'éviter, pour les petites pensions, une dégradation excessive du taux de remplacement. Nous avons ainsi pris l'engagement que les pensions ne seront pas inférieures à 85 % du SMIC.

    M. Bernard Roman. Avec quelle indexation ?
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Plusieurs d'entre vous ont fait remarquer que cela s'appliquera jusqu'en 2008 et que l'on ne sait pas ce qu'il adviendra après. Eh bien, nous offrons au pays un système de gestion de nos régimes de retraites continu, progressif, avec des rendez-vous, justement pour éviter de bloquer complètement, dans une réforme figée pour vingt ans, des dispositifs qui devront naturellement s'adapter à la situation de l'emploi, au taux d'activité, à la démographie. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Cinquième caricature : la remontée du taux d'activité des travailleurs âgés serait hautement improbable. Il est vrai que le Gouvernement fait le pari que, face au risque d'augmentation très forte des charges liées au financement de la vieillesse, le monde économique, notamment les entreprises, aura à coeur de changer son comportement à l'égard des salariés les plus âgés. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Ce sera l'intérêt des entreprises, du monde économique que de modifier ce comportement, car, sinon, il y aura une hausse drastique des cotisations vieillesse qui pénalisera le développement de nos entreprises, donc de l'emploi.
    M. Jean-Pierre Brard. Et vous y croyez ?
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Nous nous sommes donné un rendez-vous dans cinq ans. J'ai entendu un orateur du groupe socialiste dire : « pourquoi attendre cinq ans ? » Parce qu'il faut bien cinq ans pour faire ce travail !
    Permettez-moi, là encore, de vous demander d'être un peu plus modestes parce que vous avez été aux affaires pendant cinq ans et que nous avons aujourd'hui le taux d'activité des plus de cinquante ans quasiment le plus bas d'Europe et le taux de chômage des jeunes le plus élevé. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Bernard Roman. Ce n'est pas l'Etat qui licencie !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Sixième argument entendu sur les bancs du groupe socialiste : seuls les salariés sont mis à contribution. C'est oublier au passage que les deux tiers des cotisations retraite sont payés par les employeurs. Cela dit, il faut, d'après vous, élargir l'assiette des cotisations, donc mettre en place des prélèvements obligatoires supplémentaires.
    M. Augustin Bonrepaux. Bien sûr !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Je vais faire appel à des voix extérieures pour essayer de vous convaincre que c'est une mauvaise solution et je commencerai par la CFDT (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains), même si j'ai bien compris que cette référence était maintenant peu crédible à vos yeux.
    M. Jean-Pierre Brard. Vous avez acheté Chérèque !
    M. Jacques Desallangre. Ses adhérents renvoient leur carte !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Voici ce que dit la CFDT : « La répartition, c'est un système solidaire entre les générations de salariés. Ceux qui travaillent paient la retraite de ceux qui ne travaillent plus. C'est un système sûr et juste. Faire financer les retraites par la valeur ajoutée serait aléatoire et dangereux. »
    M. Jacques Desallangre. Arrêtez ! Bientôt, il n'y en aura plus chez moi, de cédétistes !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Je vais maintenant vous lire un article paru ce matin dans Libération, signé d'Elie Cohen, de Jean-Paul Fitoussi et de Jean Pisani-Ferry :...
    M. René Couanau et M. Guy Teissier. Très bien !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. ... « En outre, on renoncerait à un avantage majeur du dispositif de 1945 : la garantie collective du financement des retraites. »
    M. René Couanau et M. Jean-Claude Lenoir. Très bien !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. « En effet, les recettes d'une taxation des revenus du capital seraient proportionnelles à l'évolution de ces revenus, donc intimement liées aux caprices de la conjoncture. Le financement des retraites serait en partie indexé sur les cours de la Bourse. »
    Mme Jacqueline Fraysse. C'est plutôt positif !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. « Mais surtout, serait-il légitime de faire appel à la solidarité pour financer un système qui n'est pas solidaire ? »
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Très bien !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. « Peu fondée en termes de justice sociale, la proposition de taxer le capital est de surcroît peu réaliste pour deux raisons : la première est que le remède n'est pas à la hauteur du problème, la seconde, que l'accroissement des cotisations patronales ou la taxation des profits des entreprises, surtout dans un contexte de chômage de masse et de concurrence fiscale en Europe (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains),...
    M. Christian Bataille. Le ministre nous fait une revue de presse !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. ... se feront à terme de facto au détriment des salariés. » (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.) En refusant d'écouter les arguments de vos adversaires, vous donnez un spectacle qui n'est pas bon pour la démocratie ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Je ne vous demande pas d'admettre ces arguments. Je vous demande de les entendre !
    Je continue puisque vous n'en avez pas assez. (Mêmes mouvements.)
    M. le président. Chers collègues, l'un d'entre vous va bientôt intervenir pendant une heure et demie. Accepteriez-vous que la majorité lui fasse la même chose ? Ecoutez donc le M. ministre et vous développerez vos arguments tout à l'heure !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Je n'ai aucun doute sur l'image qui est donnée par ce que j'entends à gauche de l'hémicycle ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    Je continue en citant un directeur de l'Ecole des hautes études en sciences sociales, Thomas Piketty, qui a écrit dans un article du Monde, il y a deux jours : « ... il est malhonnête de laisser croire que la réforme proposée fait tout peser sur l'allongement de la durée de cotisation et qu'un gouvernement de gauche parviendrait à un équilibre radicalement différent. » (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Enfin, dernière caricature, nous aurions fait, de manière dissimulée, le choix de la capitalisation. Alors là, c'est le championnat de la mauvaise foi ! En effet, pourquoi le Gouvernement se donne-t-il le mal de mettre en oeuvre une réforme des retraites qui vise à allonger la durée de cotisations et à augmenter le niveau de celles-ci si l'objectif est de changer de système ? Il y avait d'autres options, notamment le passage au régime par points, qui permettrait d'aller vers un régime de capitalisation. C'est d'ailleurs un choix qui a été fait par nombre de pays européens, mais que nous avons refusé, parce que nous voulons consolider notre régime par répartition. Les propositions que nous faisons en matière d'épargne-retraite n'ont qu'un seul objectif : la justice sociale.
    M. Jacques Desallangre. Comment peut-on entendre des choses pareilles ?
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Il s'agit d'ouvrir à tous ce qui est aujourd'hui réservé à deux catégories de Français : les fonctionnaires - pas 2 500 comme l'a dit M. Terrasse, mais 250 000 - et les salariés des grandes entreprises.
    M. Pascal Terrasse. J'ai bien parlé de 250 000 fonctionnaires ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Non, vous avez dit 2 500 ! C'était sans doute un lapsus, mais nous vous avons tous entendu !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Je le lui ai déjà fait remarquer !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. En tout cas, seuls les fonctionnaires et les salariés des grandes entreprises ont aujourd'hui accès à des systèmes d'épargne-retraite. Nous voulons mettre en place un système de PREFON pour tous et améliorer le dispositif de plan épargne-entreprise mis en place par M. Fabius. Vous aurez du mal à convaincre les Français que le plan épargne-entreprise de Laurent Fabius était en réalité un cheval de Troie pour introduire la capitalisation en matière de retraite. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. Jacques Desallangre. C'est bien ce que nous avons dit !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. M. Le Garrec,...
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Le secrétaire d'Etat aux nationalisations !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. ... dont j'ai écouté l'intervention avec beaucoup d'intérêt parce qu'elle était brillante et ne versait pas dans la caricature, nous a expliqué avec beaucoup de force que pour les salariés, au-delà de quarante annuités, « le cap est infranchissable ».
    M. Yves Bur. Eh oui !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Je pourrais naturellement m'appuyer sur les exemples des pays voisins, mais j'ai cru comprendre qu'il ne fallait pas le faire. Il y a, semble-t-il, des différences fondamentales entre les Français, les Allemands, les Hollandais, les Danois et les Suédois dans ce domaine.
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Et les Suisses ?
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Mais je voudrais dire à M. Le Garrec qu'il y a beaucoup de salariés qui, dès à présent, ont à soixante ans plus de quarante annuités d'assurance. Je le rejoins, sur le fait que la durée d'assurance nécessite, sur le moyen et le long terme, une réorganisation du travail, notamment du travail des seniors, une valorisation de leur expérience, de nouvelles modalités d'exercice de leur profession. Avec cette réforme nous allons impulser une mutation des pratiques, mais il va falloir la creuser et l'enrichir au cours des prochaines années. Contrairement à M. Le Garrec, j'ai confiance en la capacité des partenaires sociaux à faire avancer ce dossier, comme celui de la formation d'ailleurs, sur lequel nous reviendrons dans quelques semaines.
    M. Pascal Terrasse. Vous faites surtout confiance au MEDEF !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Selon l'opposition, la réforme diminuerait les retraites. C'est faux, et la majorité l'a démontré.
    M. Christian Bataille. Ça, c'est un débat !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. D'ailleurs, en affirmant cela, l'opposition oublie toujours de dire quelles seraient les conséquences de l'absence de réforme...
    M. Gilles Carrez. Exactement !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. ... qui a été son credo politique durant ces dernières années. La réforme ne diminue pas les retraites !
    Plusieurs députés du groupe des député-e-s communistes et républicains. Mais si !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Elle augmente la durée d'assurance nécessaire pour pouvoir bénéficier d'une pension de retraite à taux plein, mais elle récompense le travail. L'augmentation ne concernera pas tous les salariés. Beaucoup d'entre eux ont cotisé pendant quarante-deux ans, et même bien davantage, avant l'âge de soixante ans.
    M. Patrick Braouezec. Ils sont de moins en moins nombreux, vous le savez bien !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. C'est d'ailleurs tout le problème de la mesure de départ avant soixante ans pour ceux qui ont quarante années d'assurance. Cela concerne aujourd'hui un million de personnes.
    Si la réforme avait consisté à équilibrer le régime général en 2020 en diminuant les retraites, celles-ci auraient baissé de 20 % entre 2000 et 2020, et le taux de remplacement aurait chuté de dix points. Les adversaires de la réforme ne le disent pas. Implicitement, c'est le choix de reporter sur les générations futures les impôts et les charges qu'ils privilégient.
    M. Michel Bouvard. Ils veulent taxer les jeunes !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Ou alors, ils disent qu'il suffit de taxer le capital. Je me suis déjà expliqué sur ce sujet.
    Mme Muguette Jacquaint. Ah oui, capital pas touche !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. La réforme n'intègre pas la pénibilité, ai-je entendu. C'est un argument qui est non seulement faux, mais très injuste, car avec ce texte c'est la première fois que le mot « pénibilité » est mentionné dans un texte de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Jean-Pierre Brard. Même en enfer on trouve de bonnes intentions !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Il faut que tous les arguments soient examinés - les vôtres comme les nôtres - et si vous voulez que ce débat ait un réel intérêt, il faut aller jusqu'au bout des choses !
    M. Pascal Terrasse. Sans mensonge !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. La définition de la pénibilité par la loi n'a, jusqu'à maintenant, jamais réussi.
    M. Jean-Pierre Brard. Raison de plus pour commencer !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. L'ordonnance du 19 octobre 1945 avait, pour la première fois, prévu une retraite anticipée pour les personnes ayant exercé pendant vingt ans une activité pénible. Cette disposition n'a jamais eu de suite véritable en l'absence de décret, en dehors de cas relativement rares d'usure prématurée au sens de l'assurance maladie. La loi du 30 décembre 1975 avait ouvert un droit à la retraite à soixante ans, au lieu de soixante-cinq ans, pour des catégories de travaux pénibles, mais, là encore, en renvoyant à un décret d'application qui, cette fois, a été pris, mais sans toutefois établir la liste des professions concernées. Evidemment, beaucoup de difficultés d'application ont été constatées jusqu'à ce que la retraite à soixante ans, en 1982, rende ce texte caduc. L'idée de définir la pénibilité dans la loi ou le règlement n'est pas réaliste. D'ailleurs, nous n'avons jamais trouvé trace d'une définition législative ou réglementaire de la pénibilité dans les autres pays.
    M. Jean-Pierre Brard. Ce n'est pas un argument !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Les partenaires sociaux, avec lesquels nous avons eu de longs débats sur ce sujet,...
    M. Jean-Pierre Brard. Et fructueux avec Seillière !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. ... ont, dans leur totalité, accepté l'idée d'une définition de la pénibilité soit dans le cadre des branches, soit dans le cadre d'accords interprofessionnels.
    M. Jean-Pierre Brard. Vous y croyez ?
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Un amendement de la majorité sur ce sujet reprend d'ailleurs les termes de l'accord du 15 mai.
    M. Jean-Pierre Brard. Vous faites confiance à Seillière ?
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. J'ai entendu aussi que la réforme ne tenait pas compte des différences d'espérance de vie, mais aucun pays n'a jamais fondé sa réforme des retraites sur une prise en compte différenciée de l'espérance de vie.
    M. Pascal Terrasse. L'Allemagne l'a fait !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. C'est une philosophie assurancielle qui est aux antipodes de notre système de retraite par répartition,...
    M. Pascal Terrasse. C'est bismarckien !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. ... qui mutualise les différences d'espérance de vie entre les cotisants. Distinguer selon les catégories socioprofessionnelles serait complexe et critiquable. Pourquoi, dans ces conditions, ne pas distinguer selon le sexe ?
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Bien sûr !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Une ouvrière non qualifiée a une espérance de vie à soixante ans nettement supérieure à celle d'un homme cadre.
    Mme Martine Billard. C'est le contraire !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Pourquoi, dans ces conditions, ne pas distinguer selon l'origine géographique ? On sait que l'espérance de vie est meilleure dans le Midi que dans la région Nord - Pas-de-Calais. Nous ouvririons un débat qui ne serait pas maîtrisable. Notre système est solidaire et collectif et il nécessite la mutualisation de l'espérance de vie. (Protestations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Voilà !
    M. Jean-Pierre Brard. Quelle mauvaise foi !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. La réforme corrige cependant un élément essentiel d'iniquité. En effet, le système actuel pénalise ceux et celles qui ont commencé à travailler très jeunes. Nous leur ouvrons justement le droit de partir avant l'âge de soixante ans. D'une manière générale, l'augmentation de la durée d'assurance sera sans effet pour ceux ayant commencé à travailler avant l'âge de dix-neuf ans. Ceux qui ont commencé à travailler jeunes sont rarement des cadres, lesquels disposent d'une meilleure espérance de vie. Ce sont le plus souvent des ouvriers et des employés, ceux-là mêmes qui ont une espérance de vie à soixante ans moins importante que celle des cadres. Si l'on veut défendre les ouvriers et les employés au titre de la différence d'espérance de vie constatée entre eux et les autres catégories de la population, alors il faut soutenir la réforme ! (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire).
    Enfin, cette réforme pénaliserait les femmes. On ne peut pas dire cela !
    M. Jean-Pierre Brard et Mme Muguette Jacquaint. Mais si !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Notre système est fondé sur un principe contributif. La principale explication de la faiblesse des pensions des femmes réside dans le fait que toutes n'ont pas travaillé et que celles qui ont travaillé ont parfois des durées de cotisation courtes, voire très courtes. Contrairement aux assertions, le montant moyen des pensions servies aux femmes continuera à s'améliorer de manière considérable dans les années à venir compte tenu de l'augmentation de la durée des carrières féminines.
    Mme Muguette Jacquaint. Il faudra qu'elles travaillent plus !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. On estime que le montant de retraite des femmes atteindra, en 2015, 81 % du montant de retraite des hommes, alors qu'il n'est que de 50 % aujourd'hui. Par ailleurs, la proportion de femmes de soixante-cinq ans n'ayant jamais travaillé était encore de 16 % en 2000. Ce pourcentage chutera à 4 % en 2020. Le facteur qui expliquera à terme la différence entre le montant des pensions masculines et celui des pensions féminines, c'est en réalité l'écart de rémunération que l'on peut constater aujourd'hui, cet écart étant, à qualification comparable, de 18 % à 25 %.
    Par conséquent, la priorité essentielle, plutôt que de chercher à corriger les choses à travers le système de retraite, c'est naturellement de tendre vers l'égalité des rémunérations.
    Même dans le système contributif, les femmes disposent cependant de compensations fondées sur le principe de solidarité. Les majorations de durée d'assurance dans le régime général permettent ainsi de prendre en compte le handicap pour la carrière que constitue la charge d'enfants. Elles sont réservées aux femmes. Deux années sont accordées par enfant, ce qui permet à une femme ayant eu trois enfants et ayant effectivement travaillé trente-quatre ans de bénéficier de 160 trimestres à soixante ans. En moyenne, la majoration est de 5,2 années.
    La possibilité pour les salariés à temps partiel de cotiser sur une assiette à taux plein - c'est l'article 23 du projet de loi - concernera principalement les femmes.
    Enfin, la réforme de la réversion est favorable aux femmes. Compte tenu des différences d'espérance de vie, la réversion concerne principalement les femmes et le dispositif que nous proposons, dont j'ai entendu dire qu'il suscitait des inquiétudes, se traduit en réalité par un accroissement du coût qui est de l'ordre de 300 millions d'euros, ce qui signifie sans doute qu'il est globalement favorable aux personnes concernées.
    Pourquoi, mesdames et messieurs les députés, le débat sur les retraites a-t-il une telle résonance ? Bien sûr, il y a la controverse sociale. Bien sûr, il y a le débat politique. Au-delà, il y a surtout une réalité qui touche les Français matériellement, sans doute, mais plus encore psychologiquement. Dans la première moitié du xxe siècle, un homme - tout au long de sa vie - travaillait environ 80 000 heures ; on en est aujourd'hui à moins de 50 000.
    M. Jacques Desallangre. Mais il produit plus de richesses : le PIB a doublé sur la même période.
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Certains croient que l'on peut aller vers une société du non-travail. Pour ma part, je suis convaincu que nous n'avons pas aujourd'hui les moyens de faire baiser encore le temps de travail par rapport au temps d'inactivité, non seulement parce que le travail est créateur de richesses collectives indispensables à notre modèle social, mais aussi parce que, selon moi, le travail peut et même doit contribuer à la construction de la personne dans la société, y compris tard dans la carrière. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Jacques Desallangre. Il n'y a pas que le travail !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Un homme ou une femme de plus de cinquante-cinq ans ne sont pas aujourd'hui des personnes inutiles pour l'entreprise ou le service public, bien au contraire !
    M. Patrick Braouezec. Alors pourquoi les licencier à cinquante ans ?
    Mme Muguette Jacquaint. Il faut aussi donner du travail aux jeunes et aux chômeurs !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Allonger le temps de travail à proportion des gains d'espérance de vie ne sera pas si simple. La loi et le décret n'y suffiront pas. Il faudra une évolution forte des conditions de travail et du système de formation.
    Mme Martine Billard. En attendant, les retraites vont baisser !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Sans cela, sans de vrais changements sur le marché de l'emploi qui prennent en compte la démographie, sans implication des partenaires sociaux, ce n'est pas seulement le projet de réforme des retraites qui serait en cause, ce serait tout notre équilibre social.
    Il nous faudra collectivement réussir le veillissement de la France. La prise en compte des réalités est toujours difficile, en particulier lorsqu'il faut infléchir les comportements.
    M. Patrick Braouezec. Il faut changer de société !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. C'est à ce gouvernement et à cette majorité qu'il revient de changer de cap. Ils le feront au nom de l'intérêt général, avec tous ceux qui voudront bien mesurer la nécessité d'agir enfin. (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire.
    M. Jean-Paul Delevoye, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je me réjouis de voir enfin s'ouvrir un débat que nos concitoyens attendent et dont la qualité n'échappe à personne, même si l'on commence à distinguer certaines attitudes. D'aucuns cherchent à camoufler la faiblesse de leurs arguments derrière des procédures ou des manoeuvres formelles. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains. - Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Jacques Desallangre. Ne soyez pas inutilement désagréable !
    M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire. D'autres assument des arguments dont il nous appartiendra, au cours du débat, de démontrer l'inanité ou, en tout cas, le caractère extrêmement préoccupant compte tenu des défis que nous devons relever ensemble.
    M. Jacques Brunhes. C'est ça le débat démocratique que vous voulez ? Ça commence bien !
    M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire. Je voudrais remercier en particulier les rapporteurs, mais aussi les orateurs...
    M. Patrick Braouezec. De la majorité ?...
    M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire. Oh ! Vous savez, chaque orateur a ses qualités et ce qui est intéressant dans le débat - telle est du moins la conception que j'en ai - c'est de favoriser le dialogue. Mais pratiquer le dialogue, ce n'est pas refuser systématiquement l'argument d'autrui en croyant que l'on détient la vérité à soi tout seul.
    M. Jean-Pierre Brard. On ne peut pas discuter avec des clones !
    M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire. A l'évidence, ce débat devrait nous permettre de confronter un à un nos arguments.
    Mme Muguette Jacquaint. On nous en refuse la possibilité !
    M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire. Mais il est un point sur lequel, je crois, nous pouvons tous être d'accord,...
    M. Jean-Pierre Brard. C'est que nous ne sommes pas d'accord !
    M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire. ... c'est que le problème des retraites n'est pas uniquement budgétaire, mais est aussi un problème de société, de solidarité intergénérationnelle et de relation au travail, ce que disait M. Le Garrec avec beaucoup de justesse.
    Nous aurons à réfléchir à la pertinence des choix arrêtés par le Gouvernement et au caractère extrêmement préoccupant de ces prétendues solutions qui paraissent tomber sous le sens, mais qui se retournent en réalité contre les causes qu'elles sont censées défendre.
    Nous devrons aussi répondre à une question récurrente : ce pays est-il capable de se réformer sans crispation,...
    Mme Muguette Jacquaint. Cela semble difficile !
    M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire. ... sans créer systématiquement des clivages qui semblent infranchissables entre celles et ceux qui souhaitent une réforme parce qu'elle paraît nécessaire, celles et ceux qui la refusent quand ils sont au pouvoir de peur de le perdre, celles et ceux qui, immédiatement, créent l'illusion.
    J'ai pour référence un certain nombre d'hommes politiques dans le paysage européen, l'un d'entre eux étant M. Tony Blair. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. Jean-Pierre Brard. A côté, même M. Fillon est de gauche ! (Rires.)
    M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire. J'ai donc été ravi d'entendre l'appréciation qu'il porte sur notre politique : « Nous essayons tous de rendre nos services publics et nos prestations sociales compatibles avec les exigences du monde moderne. Cela requiert des décisions très difficiles et je voudrais rendre hommage au caractère personnel du Premier ministre français qui relève ces défis. »
    M. Pascal Terrasse. Et qu'en pense Bush ?
    M. Augustin Bonrepaux. Tony Blair est un très mauvais exemple !
    M. Maxime Gremetz. Quelle piètre référence !
    M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire. Nous n'avons pas d'amitiés à géométrie variable ni de convictions à géométrie d'opportunité. Ce qui est essentiel dans la vie politique, c'est la constance dans les arguments, la constance dans les convictions (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française), et non pas le changement d'avis systématique, voire le reniement.
    L'opinion sait parfaitement reconnaître ceux qui n'ont jamais changé d'avis et ceux qui, ayant fui leurs responsabilités quand ils étaient au pouvoir, prétendent aujourd'hui donner des leçons à leurs successeurs et multiplient les procès d'intention. La parole est facile, mais l'action est difficile !
    Tony Blair ajoutait :...
    M. Yves Durand. C'est votre avis que l'on veut, pas celui de Blair !
    M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire. « Quand on mène une réforme, c'est toujours un moment difficile mais, une fois la réforme faite, on s'aperçoit de sa nécessité. »
    Mme Muguette Jacquaint. Thatcher disait pareil !
    M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire. Contrairement au conseil - qui nous était parfois prodigué - de profiter de l'état de grâce...
    M. Jean-Pierre Brard. Vous ne l'avez jamais eu, l'état de grâce !
    M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire. ... pour nous dépêcher de faire des réformes dites impopulaires, le Premier ministre a souhaité, répondant en cela à la demande des syndicats, avoir un débat très clair, les yeux dans les yeux avec les Françaises et les Français. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Nous avons donc pris notre temps en suivant une méthode qui semble vous surprendre. La logique parlementaire eût consisté, puisque nous disposions d'une majorité stable, fidèle, solide, à déposer un projet de loi et à le soumettre à l'opinion pour qu'elle en débatte. Nous avons préféré afficher d'abord la volonté politique par un discours du Président, confirmé par le discours du Premier ministre, et aller ensuite sur le terrain discuter avec les conseils économiques et sociaux et avec les élus. C'est seulement au terme de nombreux mois et après de multiples rencontres que nous avons déposé un projet de loi, aujourd'hui soumis à vos délibérations.
    Contester cette méthode qui consiste à distinguer le temps du débat et le temps de la décision politique me paraît tout à fait surprenant car, à mes yeux, elle exprime la volonté d'associer le plus grand nombre de nos concitoyens aux décisions qui conditionnent leur avenir et, surtout, de les responsabiliser en les confrontant au choc de nos différences.
    M. Jean-Pierre Brard. Tromperie ! Pourquoi pas le référendum ?
    M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire. Quant à nous, cela nous contraint à assumer la responsabilité de notre discours. Dans les périodes d'incertitude, invoquer de faux arguments, c'est manquer à la responsabilité du politique.
    En présentant cette réforme, nous avons eu, dès le départ, le souci d'afficher notre volonté de rassembler les Françaises et les Français.
    M. Jacques Desallangre. C'est réussi !...
    M. Pascal Terrasse. Regardez ce qui se passe à Marseille !
    M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire. Il n'y a pas, d'un côté, le secteur public et, de l'autre, le secteur privé. Il n'y a pas, d'un côté, les jeunes et, de l'autre, les anciens. Il n'y a pas, d'un côté, ceux qui peuvent bénéficier - très légitimement - d'une bonne retraite sur leurs contributions personnelles et, de l'autre, ceux qui ne le peuvent pas.
    M. Jacques Desallangre. Si ! Il y a ceux qui peuvent se payer des fonds de pension et ceux qui n'en ont pas les moyens.
    M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire. Au lieu de séparer, nous avons cherché au contraire à renforcer la solidarité collective, qui est au coeur du pacte républicain et qui fait la fierté de notre République.
    M. Jean-Pierre Brard. Vous ne manquez pas d'air !
    M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire. Nous n'avons pas voulu non plus « victimiser » les fonctionnaires.
    M. Jean-Pierre Brard. Vous avez un sacré culot !
    M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire. Pourquoi certains, qui disent vouloir défendre le service public, se laissent-ils aller à fragiliser la cause qu'ils prétendent servir ?
    Il n'y a pas, d'un côté, les privilégiés...
    M. Jean-Pierre Brard. Si !
    Mme Muguette Jacquaint et M. Patrick Braouezec. Il y a des privilégiés !
    M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire. ... et, de l'autre, ceux qui ne le sont pas. Nous avons un souci d'équité, de convergence. En quoi serait-ce injuste d'allonger la durée de cotisation dans le secteur public pour qu'elle soit identique à celle du secteur privé ?
    M. Jean-Claude Lefort. Pourquoi pas dans l'autre sens ?
    M. Jacques Desallangre. L'injustice, c'est la loi Balladur !
    M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire. Pourquoi serait-il injuste de demander aux Françaises et aux Français les mêmes efforts ?
    M. Jean-Claude Lefort. Regardez-nous aussi, monsieur le ministre !
    M. Jean-Pierre Brard. Osez soutenir nos regards !
    M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire. En quoi proposer des avancées considérables pour les basses retraites, en faveur des handicapés, des veuves, des métiers pénibles, serait-il un recul social ?
    Nous sommes au contraire convaincus que cette réforme sécurise les retraites, sécurise les actifs et sécurise surtout celles et ceux qui participent - salariés et employeurs - à la création des richesses.
    M. Jacques Desallangre. Mais vous ne frappez que les salariés !
    M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire. Certains nous disent, en effet, que nous faisons porter le poids de notre réforme sur les seuls salariés.
    M. Patrick Braouezec. Exactement !
    M. Jacques Desallangre. Vous parlez d'or !
    M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire. Eh bien, nous les remercions d'avancer cet argument, car nous pourrons ainsi en démontrer la fausseté.
    M. Jacques Desallangre. Vous aurez du mal !
    M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire. La preuve en est que le financement de la réforme ne couvre que 50 % de son coût et que, notamment dans la fonction publique, le reste sera assuré par le budget.
    M. Pascal Terrasse. Quel aveu !
    M. Patrick Beaudouin. Pourquoi, monsieur Terrasse ?
    M. Denis Jacquat. Cela n'a rien de nouveau !
    M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire. Ce n'est pas un aveu, cela figure dans les textes.
    M. Jean-Claude Lefort. Et qui paie les impôts ? Les salariés !
    M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire. Nous avons clairement annoncé dès le départ que, dans le secteur public, 50 % du besoin de financement serait couvert, ce qui est légitime, par le budget.
    M. Jean-Claude Lefort. C'est-à-dire par l'impôt ! Mais le MEDEF ne paiera rien !
    M. le président. Monsieur Lefort...
    M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire. Nous avons aussi clairement dénoncé, en nous fondant notamment sur les articles de M. Fitoussi, que vous contestez (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains), l'illusion de la taxation du capital.
    M. Jean-Pierre Brard. Vous ne voulez pas tondre le veau d'or !
    M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire. En voulant mélanger deux problèmes pour en régler un seul, vous faites un amalgame extrêmement dangereux.
    Qu'est-ce qui est en cause aujourd'hui ? La solidarité intergénérationnelle qui est le principe même du système de répartition auquel nous sommes, les uns et les autres, tellement attachés. Ceux qui sont au travail paient pour les retraités. Par conséquent, si vous abaissez le niveau des pensions, vous faites porter le poids de la mesure sur les retraités. Si vous allongez la durée de cotisation, ce sont les actifs qui en supportent les conséquences.
    M. Jacques Desallangre. Eh oui !
    M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire. Et si vous vous en lavez les mains, vous faites porter tout le fardeau de cette non-décision sur les jeunes, qui paieront demain la retraite du père, celle du grand-père et l'éducation de leurs enfants ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Mme Muguette Jacquaint. Non ! On peut faire autrement !
    M. Jacques Desallangre. La création de richesses, la valeur ajoutée : voilà la solution !
    M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire. Aujourd'hui, nous déplaçons le curseur qui garantit la solidarité intergénérationnelle, afin d'assurer - et nous ne comprenons pas, monsieur Le Garrec, l'obstination avec laquelle vous refusez cette évidence - le maintien d'un rapport constant entre la durée du travail et la durée de vie.
    Ayant été éduqué dans le culte du doute, j'ai toujours été étonné, voire un peu effrayé, par les gens qui n'ont que des certitudes. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Et tels étaient mes sentiments quand je vous entendais, par le passé, affirmer avec obstination les bienfaits du partage du travail et soutenir contre vents et marées - avec, d'ailleurs, un mépris évident pour les organisations syndicales - que les 35 heures étaient la solution à tous les problèmes.
    M. Jean-Pierre Brard. Parlez-nous des retraites !
    M. Jean-Claude Lefort. Quand on n'a rien à dire...
    M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire. Non sans raison, car nous constatons aujourd'hui qu'en affirmant poursuivre un objectif à caractère social, vous avez enclenché, en réalité, trois mécaniques infernales liées à l'augmentation du coût du travail : l'aggravation du chômage, les entreprises étant amenées à remplacer l'homme par la machine ; les délocalisations ; la disqualification sociale de ceux qui n'avaient pas le niveau. Ainsi, avec un objectif social, vous avez obtenu trois résultats antisociaux. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. René Couanau. Merci la gauche !
    M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire. Vous voulez maintenant nous démontrer, avec la même certitude, que vous avez raison contre tous les autres et qu'il convient aujourd'hui de figer la durée du travail quel que soit l'allongement de la durée de la vie. C'est le contraire même du système de répartition, du principe de la solidarité entre les générations. Car, à l'évidence, seuls ceux qui ont les moyens, dans une durée d'activité de plus en plus courte, avec des revenus de plus en plus élevés, de se constituer une retraite complémentaire pourraient échapper à la fragilisation du système de répartition que vous provoqueriez ainsi.
    L'ensemble des économistes, et même quelques voix autorisées dans votre camp, comme M. Attali ou M. Delors,...
    M. Jacques Desallangre. Ce ne sont pas nos références !
    M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire. ... soutiennent l'orientation que nous prenons, même s'ils nous demandent, peut-être, des avancées supplémentaires. Mais je n'entends aucune voix autorisée soutenir le contraire.
    M. Pascal Terrasse. Avec votre réforme, on passera directement du chantier au cimetière !
    M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire. Je vous repondrai justement, monsieur Terrasse, qu'il faut faire attention aux exemples que l'on invoque. Dans les tracts distribués à l'occasion des manifestations, on trouve sans cesse des arguments qui ont pour but, à l'évidence, de nourrir les inquiétudes : vous allez travailler jusqu'à soixante-quinze ans ; vous allez devoir cotiser quarante ans pour obtenir 20 % de pension en moins !
    M. Pascal Terrasse. Eh oui ! Du chantier au cimetière !
    M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire. Si je ne me trompe, vous-même, dans votre intervention, avez évoqué le cas d'un fonctionnaire de l'équipement, préposé à l'entretien des routes,...
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. En Haute-Savoie, a-t-il dit, où ces personnels sont décentralisés depuis sept ans !
    M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire ... qui allait devoir travailler jusqu'à soixante-trois ans. Je suis très surpris de cet argument, parce que cet agent d'entretien, classé en service actif en raison de la pénibilité de son travail, peut aujourd'hui prendre sa retraite dès cinquante-cinq ans et bénéficier, à soixante ans, de la limite d'âge, qui annule la décote.
    M. Augustin Bonrepaux. Quel sera le montant de sa pension ? Il ne va pas travailler jusqu'à soixante-quinze ans pour avoir une retraite décente !
    M. le président. Ne criez pas, monsieur Bonrepaux !
    M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire. Ainsi, puisque la décote s'annule à la limite d'âge et que la valeur de l'annuité est de 1,875 % au lieu de 2 %, le recul de l'âge limite est, au contraire, favorable au retraité. C'était donc un faux argument, et nous voyons bien à quel point il convient d'être prudent.
    Pour votre part, monsieur Le Garrec, vous avez demandé, si j'ai bien entendu, la suppression de l'article 29. Je suis, là encore, surpris, car c'est l'article qui permet à un agent de prolonger sa carrière au-delà de la limite d'âge, dans la limite de deux ans et demi, afin de pouvoir atteindre le maximum de la pension dans le respect de la liberté, offerte à chacun, de choisir l'amélioration de son niveau de vie. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. René Couanau. Bien sûr ! M. Le Garrec s'est trompé !
    M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire. Vous le voyez, tout a été dit dans ce débat : des choses intéressantes, pertinentes, d'autres qui ne sont pas fondées. J'aimerais donc que, pendant ces heures où se joue l'avenir de nos concitoyens, nous prenions le temps d'apporter de la clarté dans un débat dont on voit bien qu'il nourrit des inquiétudes souvent fondées sur la méconnaissance des systèmes de retraite. Répondre au besoin d'information de nos concitoyens est quelque chose d'essentiel. Et je crois qu'à chaque fois que je vous entends je m'enrichis. J'ai donc toujours beaucoup de plaisir à vous répondre, surtout quand cela me donne l'occasion de démentir une contrevérité.
    Vous estimez, monsieur Le Garrec, qu'il est absolument impossible de franchir le mur des quarante ans. Vous partez d'un constat que nous pourrions partager mais, en réalité, vous posez mal la question, car il faut distinguer la durée d'assurance de la durée d'activité. Je rappelle en effet que nous avons mis en place la validation de la durée d'assurance tout au long de la vie, ainsi qu'un système qui améliore considérablement la possibilité de valider des trimestres. Selon des simulations qui seront disponibles sur Internet dès la semaine prochaine...
    M. Jean-Claude Lefort. Et le débat parlementaire, à quoi il sert ? (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. Monsieur Lefort...
    M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire. Selon ces simulations...
    M. Jean-Claude Lefort. Donnez-les nous !
    M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire. Monsieur Lefort, cessez de croire que seuls vos arguments soient pertinents. Nous sommes tout disposés à vous démontrer la qualité des nôtres par des simulations de cas individuels...
    M. Jean-Claude Lefort. On veut les voir !
    M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire. ... qui confirment qu'il ne faut pas confondre durée d'activité et durée d'assurance. A cet égard, notre texte propose toute une série d'avancées : sur le temps partiel, sur le temps partiel familial, sur la cessation progressive d'activité. Et dès lors, l'angoisse de ne pas atteindre les quarante ans d'activité n'est plus fondée.
    Je relève d'ailleurs un curieux paradoxe de notre société : tous les salariés du secteur privé ont l'angoisse de ne pas pouvoir aller jusqu'aux quarante ans à cause des licenciements,...
    Mme Muguette Jacquaint. Eh oui ! On les vire avant !
    M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire. ... tandis que, dans le secteur public, on n'a qu'une seule envie, cesser de travailler avant les quarante ans pour mieux profiter de sa retraite !
    En réalité, le défi est le même dans les deux secteurs : faire en sorte que les conditions d'épanouissement au travail soient réunies pour que les fonctionnaires comme les salariés du privé aient envie d'aller jusqu'au bout de leur contrat. La lassitude, l'inquiétude, la fatigue que peuvent ressentir certains fonctionnaires posent la question d'un Etat employeur qui a peut-être été insuffisant dans la gestion de ses ressources humaines, dans la prise en considération de la dimension humaine de ses personnels. C'est un chantier que nous avons ouvert avec les organisations syndicales et qui sera pris en compte par les propositions de réforme de l'Etat que nous ferons dès l'automne.
    Je terminerai en m'adressant à M. Kamardine, qui a notamment soulevé des questions concernant les fonctionnaires d'outre-mer, et plus particulièrement de Mayotte. Il s'est ainsi interrogé sur la bonification de dépaysement. Qu'il soit rassuré, comme d'ailleurs tous les députés représentant nos compatriotes d'outre-mer : la bonification de dépaysement est maintenue dans ce projet de loi.
    Sa seconde question portait sur la majoration de pension pour les fonctionnaires ayant eu au moins trois enfants, disposition qui existe dans le régime général des salariés. Il a souligné que l'article 9 d'une ordonnance du 27 mars 2002, relative à la protection sanitaire et sociale à Mayotte, plafonne cette majoration de pension, contrairement aux autres territoires. Or ce texte s'applique aux personnels relevant d'un comité départemental de Mayotte. Ils sont juridiquement soumis à un régime particulier de droit privé et sont rattachés à une caisse locale de retraite. Il s'agit donc non pas d'une question touchant au régime de retraite des fonctionnaires mais d'un régime de politique familiale propre à Mayotte. Nous sommes conscients du problème et je vais appeler l'attention de mes collègues Brigitte Girardin et Christian Jacob sur ce sujet.
    En conclusion, nous voyons bien qu'en réalité ce projet n'est ni de droite, ni du centre, ni de gauche (Exclamations et rires sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains)...
    Mme Janine Jambu. Il est du capital !
    M. Gilbert Biessy. Il est libéral !
    M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire. ... et qu'il ne devrait y avoir, à l'issue de ce débat ni vainqueur ni vaincu...
    M. Jean-Claude Lefort. N'ayez donc pas peur de votre étiquette !
    M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire. ... car c'est un choix de société, c'est un choix de relation par rapport au travail, c'est un choix qui consiste à rappeler une vérité fondamentale. Si nous voulons sécuriser les dépenses publiques au coeur de nos politiques de solidarité...
    M. Jean-Claude Lefort. M. Delevoye a honte d'être de droite !
    M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire. ... il convient en effet que nous ayons le souci de sécuriser les recettes et de favoriser la croissance et un taux d'activité en rapport avec cette croissance. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

Rappels au règlement

    M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Ayrault, pour un rappel au règlement.
    M. Jean-Marc Ayrault. C'est juste pour faire une observation à M. le ministre des affaires sociales. D'abord, je le remercie d'avoir répondu à tous les orateurs (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), ce qui est normal dans le cadre d'un débat à l'Assemblée nationale. Je regrette toutefois qu'il ait souvent été tenté par la polémique et la caricature,...
    M. Jean-Claude Lefort. Voire l'invective !
    M. Jean-Marc Ayrault. ... notamment des points de vue que nous défendons. Je voudrais lui faire observer qu'il n'est pas juste de faire passer les socialistes pour les partisans de la société du non-travail.
    Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Si !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. C'est bien cela, pourtant !
    M. Jean-Marc Ayrault. C'est une vieille rengaine. Mais ce n'est pas parce que la gauche a soutenu les revendications du mouvement social, historiquement, pour obtenir des conditions de travail meilleures, pour raccourcir la durée du temps de travail - ça a été la revendication des huit heures, des quarante heures, des congés payés, des 35 heures -...
    M. Patrick Ollier. Monsieur le président, ce n'est pas un rappel au règlement !
    M. Jean-Marc Ayrault. ... que, pour autant, elle est hostile à la société du travail. (« Ah ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Nous en avons fait la démonstration. Après la dissolution ratée de Jacques Chirac en 1997, les Français nous avaient donné un mandat, celui de faire reculer le chômage dans notre pays et de contribuer à la création d'emplois. Nous l'avons fait en créant plus de deux millions d'emplois. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Nous vous demandons simplement, monsieur le ministre, de ne pas démanteler les outils que nous avons mis en place et qui nous ont permis de faire reculer le chômage.
    J'en viens à votre démonstration...
    M. le président. Venez-en surtout à votre rappel au règlement, monsieur Ayrault !
    M. Jean-Marc Ayrault. Monsieur le président, allez-vous me couper la parole ? Il est tout de même d'usage de répondre au Gouvernement.
    M. Léonce Deprez. Non !
    M. le président. Non, monsieur Ayrault, pas à ce stade du débat. Mais vous pouvez faire un rappel au règlement.
    M. Jean-Marc Ayrault. Monsieur le président, c'est la deuxième fois que vous m'interrompez.
    M. le président. Et vous pourrez prendre la parole pour expliquer votre vote sur la motion de renvoi en commission.
    M. Jean-Marc Ayrault. Vous n'allez tout de même pas réduire l'échange. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Je souhaite un échange de qualité, respecteux.
    M. le président. C'est pour cela que vous avez la parole, mais revenez au rappel au règlement !
    M. Jean-Marc Ayrault. Vous donnez facilement la parole sur des rappels de procédure. Là, je mets au point un certain nombre de règles pour avoir un débat digne dans notre assemblée. (Exclamations sur les mêmes bancs.)
    Monsieur le ministre, tout le raisonnement de la réforme du Gouvernement est fondé sur un recul massif du chômage en 2008. Le taux de chômage serait censé passer de 9,3 % à 4,5 %. Comment prétendez-vous atteindre ce chiffre ? Quelle crédibilité peut-on accorder à votre réforme alors que vous cassez tous les outils qui permettraient d'en finir avec ce fléau du chômage des jeunes et des plus de cinquante ans ?
    M. Robert Lamy. Monsieur le président, ce n'est pas un rappel au règlement ! M. Ayrault refait le débat !
    M. Jean-Marc Ayrault. Autre élément que je voudrais évoquer, monsieur le ministre,...
    M. le président. Monsieur Ayrault, M. Gorce pourra développer tous ces arguments pendant une heure trente, dans le cadre de la motion de renvoi en commission.
    M. Jean-Marc Ayrault. Vous m'interrompez alors que j'ai quasiment terminé, monsieur le président !
    M. le président. Veuillez conclure sur votre rappel au règlement, monsieur Ayrault !
    M. Jean-Marc Ayrault. Voulez-vous que je demande une suspension de séance, monsieur le président ? Je peux le faire !
    Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Chantage ! Lamentable !
    M. Jean-Marc Ayrault. N'insistez pas !
    M. le président. Poursuivez, monsieur Ayrault !
    M. Jean-Marc Ayrault. Je vous demande simplement de me laisser terminer tranquillement,...
    M. le président. Votre rappel au règlement !
    M. Jean-Marc Ayrault. ... comme tout à l'heure M. Gorce dont le rappel au règlement ne s'est pas conclu par une demande de suspension de séance. Ne me provoquez donc pas ! (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Patrick Ollier. C'est vous qui provoquez !
    M. Guy Teissier. C'est une menace !
    M. le président. Personne ne provoque qui que ce soit mais veuillez conclure sur votre rappel au règlement, monsieur Ayrault !
    M. Jean-Marc Ayrault. Quant à la qualité de nos échanges, je peux admettre que M. le ministre des affaires sociales ressente une certaine fatigue compte tenu de la charge de travail que représente sa fonction, mais il n'aurait pas dû, comme il l'a fait, tronquer la citation tirée du discours de Lionel Jospin sur les retraites de mars 2000. S'il avait poursuivi jusqu'à la ligne suivante, qui concernait notamment la fonction publique et l'avenir de notre système de retraite, il aurait lu tout simplement : « Il est nécessaire d'agir mais le Gouvernement n'entend pas imposer une solution. La concertation doit être la règle. Je souhaite donc qu'une négociation s'engage rapidement avec les organisations syndicales. » (Exclamations et rires sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Philippe Cochet. Cinq ans sans rien faire !
    M. Jean-Marc Ayrault. C'est là une différence fondamentale entre nous. Et il y en a bien d'autres et nous en ferons la démonstration. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    Dernier point et j'en aurai terminé, monsieur le président.
    Monsieur le ministre, et je m'adresse là à tout le Gouvernement, puisque vous répétez sans cesse que nous ne faisons aucune proposition,...
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Eh oui !

    M. Jean-Marc Ayrault. ... nous allons vous lancer un défi. Nous avons déposé plus de 2 500 amendements qui sont autant de contre-propositions. (« Non ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Hervé Novelli. Blocage !
    M. Jean-Marc Ayrault. Nous allons voir si vous acceptez ces amendements (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) et si vous êtes capables d'en débattre avec nous sur le fond. Si vous les refusez systématiquement, cela signifiera que vous repoussez toutes les contre-propositions des socialistes. Nous vous demandons simplement, honnêtement et tranquillement d'examiner ces amendements et d'en débattre avec nous. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à M. Maxime Gremetz, pour un court rappel au règlement.
    M. Maxime Gremetz. M. Fillon a dit fort justement que nous assistions aujourd'hui au débat le plus important de la législature,...
    Mme Muguette Jacquaint. C'est vrai !
    M. Maxime Gremetz. ... et que, à ce titre, ce dernier devait être exemplaire aux yeux des Françaises et des Français.
    M. Patrick Ollier. Il faut que vous fassiez des efforts alors !
    M. Maxime Gremetz. J'approuve le propos du ministre. C'est pourquoi, si la commission continue à nous empêcher d'avoir un débat sur nos contre-propositions en invoquant l'article 40, nous considérerons que le Gouvernement se livre à une obstruction. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Oh non, pas vous !
    M. Maxime Gremetz. En ce cas nous serons contraints d'utiliser toutes les formes et tous les moyens d'obstruction. Nous en avons beaucoup et nous le ferons jusqu'au bout, puisque M. le Premier ministre a annoncé qu'il était prêt à débattre pendant tout l'été.
    M. le président. Concluez, monsieur Gremetz !
    M. Maxime Gremetz. En attendant, monsieur le président, après les interventions des ministres et compte tenu de l'importance des propos qui ont été tenus, nous demandons une suspension de séance afin de réunir notre groupe pour y réfléchir.

    M. Patrick Ollier. Profitez-en pour rédiger des amendements supplémentaires !
    M. le président. Monsieur Gremetz, votre collègue Jean-Pierre Brard souhaite également faire un rappel au règlement. Je vais lui donner la parole, puis je suspendrai la séance pour cinq minutes, votre groupe ayant déjà obtenu une suspension d'un quart d'heure, qui a finalement duré vingt-cinq minutes.
    M. Guy Teissier. Cinq minutes, c'est déjà trop, monsieur le président !
    M. Maxime Gremetz. Non, car de nouveaux éléments sont intervenus !
    M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Brard.
    M. Jean-Pierre Brard. Vraiment, messieurs les ministres, vous ne manquez pas d'audace, ni l'un ni l'autre !
    M. Bernard Accoyer. Ce n'est pas correct, monsieur le président !
    M. Jean-Pierre Brard. Pour la correction, monsieur Accoyer, vous n'avez de leçons à donner à personne ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Mme Muguette Jacquaint. Tout à fait !
    M. Michel Vergnier. C'est vrai !
    M. René Couanau. Pas de mépris, monsieur Brard !
    M. le président. Revenons à l'article 58 et à votre rappel au règlement, monsieur Brard.
    M. Jean-Pierre Brard. Avec votre bonhomie et votre onctuosité habituelles, monsieur Fillon, vous avez présenté des contrevérités comme des évidences. Quant à M. Delevoye, il nous a submergés sous une diarrhée de paroles. Il a essayé de nous saouler et de nous faire perdre raison. (Rires sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)
    M. Patrick Ollier. Il ne croit même pas à ce qu'il dit ! Il se fait rire lui-même ! Quel spectacle !
    M. le président. Je vous en prie, mes chers collègues !
    M. Jean-Pierre Brard. J'en viens à mon rappel au règlement qui se fonde sur l'article 58 car mon intervention ne vise qu'à éclairer le déroulement du débat.
    Monsieur Fillon, vous avez parlé de dialogue, mais avec des personnes qui ne sont pas là ! Or votre collègue Jean-François Copé, qui appartient au trio des idéologues du Gouvernement (Rires et exclamations sur divers bancs), et qui a participé, pour le journal Le Monde, à un débat avec Bernard Thibault, n'a rien répondu quand ce dernier a déclaré : « le texte dit 85 % au moment de la liquidation, ce qui ne garantit pas le montant de la pension, qui baissera au fil des ans ».
    M. Guy Teissier. Cela n'a rien à voir avec le débat, monsieur le président !
    M. Patrick Ollier. Ce n'est pas un rappel au règlement !
    M. Jean-Pierre Brard. Mais si ! Il faut éclairer le débat ! Il faut vérifier la sincérité de ce qui a été dit !
    M. le président. Monsieur Brard, concluez !
    M. Jean-Pierre Brard. Je voudrais bien, monsieur le président, mais je suis sans cesse interrompu ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. Monsieur Brard, veuillez conclure !
    M. Jean-Pierre Brard. Je vais être très bref.
    Monsieur Delevoye, prenons le cas d'une fonctionnaire de vingt-huit ans domiciliée à Caen, qui dépend de votre ministère et de celui de M. Ferry, et qui veut partir à soixante ans à la retraite...
    M. Patrick Ollier. Ce n'est pas un rappel au règlement !
    M. Jean-Pierre Brard. Il faut rétablir les faits parce que M. Delevoye n'a pas dit la vérité ! (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. Monsieur Brard, concluez !
    M. Jean-Pierre Brard. Avec la législation actuelle, elle percevrait à l'âge de soixante ans une pension de 1 772 euros, contre 1 187 euros avec votre réforme, soit une perte de 585 euros. (Mêmes mouvements sur les mêmes bancs.)
    M. Patrick Braouezec. Laissez parler l'orateur !
    M. le président. Monsieur Brard !
    M. Jean-Pierre Brard. Et ça, ce ne sont pas des falbalas, c'est du réel !
    M. le président. A la demande du groupe des député-e-s communistes et républicains, je vais suspendre la séance pour cinq minutes. Nous examinerons ensuite la motion de renvoi en commission.

Suspension et reprise de la séance

    M. le président. La séance est suspendue.
    (La séance, suspendue à dix-sept heures dix, est reprise à dix-sept heures vingt.)
    M. le président. La séance est reprise.

Motion de renvoi en commission

    M. le président. J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une motion de renvoi en commission, déposée en application de l'article 91, alinéa 7, du règlement.
    La parole est à M. Gaëtan Gorce, pour une durée qui ne peut excéder une heure trente.
    M. Gaëtan Gorce. Monsieur le ministre des affaires sociales, je commencerai mon intervention de manière un peu différente de celle que j'avais envisagée compte tenu des propos que vous avez tenus tout à l'heure. J'ai parfois le sentiment que, contrairement à ce que prévoit notre constitution, vous cumulez deux emplois : celui de ministre de la République et celui de caricaturiste,...
    M. Gilles Carrez. Oh !
    M. Gaëtan Gorce. ... en tout cas lorsque vous vous adressez à l'opposition pour commenter les orientations qu'elle défend. Certes, nous aimons tous beaucoup M. Plantu, mais nous n'attendons pas de lui qu'il dirige les affaires du pays et encore moins qu'il prépare et applique une réforme des retraites.
    M. Jean-Louis Idiart. Très bien !
    M. Gaëtan Gorce. L'opposition, les socialistes en particulier, a des propositions et des orientations à présenter. Elle les présentera tout au long de ce débat. Je le ferai moi-même à cette tribune. Nier qu'il soit possible de présenter une alternative à votre projet, c'est nier au fond, le sens même du débat social, du débat politique et démocratique. Permettez-moi, par conséquent, de souhaiter que nous évitions une opposition stérile pour débattre des grandes orientations. C'est en tout cas ce que j'essaierai de faire dans le cadre de cette intervention et tout au long de ce débat.
    Permettez-moi de commencer cette motion de renvoi en commission en rendant hommage à plusieurs de nos prédécesseurs, à commencer par un député de la Nièvre, Arsène Fié. Rapporteur de la seconde loi sur les assurances sociales en 1930, il fut l'un des précurseurs et l'un des plus ardents défenseurs de la retraite par répartition. Il avait été précédé et il fut suivi par d'autres grandes voix et d'autres grandes initiatives. J'ai été frappé, à cet égard, que personne n'ait encore fait référence à la loi du 9 juin 1853...
    M. René Couanau. M. Delevoye l'a évoquée !
    M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire. Tout à fait.
    M. Gaëtan Gorce. Je n'ai donc pas été suffisamment attentif lors de votre intervention, monsieur Delevoye.
    Pour la première fois, on instaurait, pour les fonctionnaires, un régime de retraite par répartition dans lequel l'âge de départ était fixé à soixante ans et à cinquante-cinq ans pour les travaux les plus pénibles. Il allait être ensuite généralisé à l'ensemble des Français. Il ne faut jamais oublier que c'est par la fonction publique qu'a débuté la mise en place d'un régime de retraite par répartition. De nombreuses voix se sont ensuite élevées pour faire en sorte que le retard qu'avait pris ce pays par rapport à bien d'autres nations européennes soit compensé.
    Comment oublier celle de Jaurès qui, en 1886, au congrès des mineurs de Saint-Etienne, réclamait cette retraite et vingt-quatre ans plus tard, en 1910, en défendait le principe à cette même tribune et la faisait voter ? Réforme insuffisante, sans doute, qu'il a fallu corriger en 1930, mais qui ouvrait la voie à d'autres grandes avancées comme celles contenues dans le programme du Conseil national de la résistance que le général de Gaulle mettra en oeuvre, à la Libération, avec des représentants de plusieurs partis, dont certains, notamment le Parti socialiste et le Parti communiste, sont encore représentés dans cet hémicycle.
    Comment ne pas entendre d'autres grandes voix, comme celle, sans doute plus discrète, de Pierre Laroque, qui fut cependant l'un des fondateurs du régime de retraite par répartition et de notre système de sécurité sociale ? Au début des années 1960, assumant jusqu'au bout ses responsabilités en la matière, il publiait un rapport qui soulignait la faiblesse des pensions et invitait à une revalorisation à laquelle contribuera une autre grande loi, celle que Robert Boulin fit voter en 1971, et qui porta le taux de remplacement de 40 % à 50 % avant que ne soient généralisés les régimes complémentaires.
    Comment ne pas y associer les noms de François Mitterrand et de Pierre Mauroy, Président de la République et Premier ministre, qui établirent, en 1982, le droit à la retraite à soixante ans ?
    Si je fais référence à ces événements, à ces hommes et à ces lois, ce n'est pas par nostalgie, mais parce qu'il est toujours intéressant de se référer à notre histoire et d'y puiser sinon une leçon, du moins une inspiration, car nous ne sommes au fond que les continuateurs du travail accompli par les générations qui nous ont précédés. Notre régime de retraite appartient d'une certaine manière à notre histoire sociale et politique, à notre patrimoine social. Il ne faut donc le modifier, le réformer qu'avec prudence - ce qui n'exclut pas la détermination -, et avec le souci constant de préserver les bases de l'accord qui en a fait l'un des principaux éléments du progrès social au cours de ces dernières décennies.
    M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Tout à fait !
    M. Gaëtan Gorce. Or, avec votre projet, monsieur le ministre, nous sommes loin d'une telle réforme, menée avec prudence, avec le souci de rechercher les accords les plus larges et de favoriser, si possible, un consensus, ce qui suppose évidemment une négociation à laquelle chacun soit associé.
    En effet, loin de garantir ni même de rechercher un consensus, votre projet a pour effet de diviser les Français, d'opposer les actifs et les inactifs...
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Non !
    M. Gaëtan Gorce. ... le public et le privé, et le Gouvernement aux salariés du public comme du privé.
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Mais non !
    M. Gaëtan Gorce. Cela est dommageable, car notre système de retraite est au coeur du principe de solidarité, dont il incarne sans doute l'exigence la plus haute, la plus nette et la plus vive.
    Loin, par ailleurs, d'assurer l'avenir de notre système de répartition, le projet que vous nous présentez débouchera sur une baisse du niveau des pensions qui accroît les inégalités entre les salariés.
    Loin, enfin, de faire progresser - contrairement à ce que vous dites, monsieur le ministre - l'idée de réforme, votre projet repose sur une vision de la société qui ne fera qu'exacerber les blocages, accroître les résistances et les tensions.
    Je commencerai par évoquer votre méthode. Jusqu'à présent plutôt contestable, elle prend parfois aujourd'hui un tour regrettable et, oserai-je dire, détestable dans certains de ses aspects, notamment en ce qui concerne les initiatives qui ont été prises récemment.
    En effet, vous avez choisi de passer en force, de faire l'économie d'un véritable débat,...
    M. René Couanau. Mais que faisons-nous ?
    M. Gaëtan Gorce. ... prétextant la prétendue inertie de vos prédécesseurs - dont nous avons entendu parler si souvent dans cet hémicycle - et, plus encore, l'urgence qu'il y aurait à régler cette question au plus vite, avant l'été. Mais que valent ces arguments à bien y regarder ?
    Qui peut nier tout d'abord qu'une réforme des retraites soit nécessaire ? Certainement pas les socialistes, qui ont dû, au cours de la législature précédente - je l'indiquais hier -, traiter les conséquences du plan Juppé et de son échec,...
    M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Très bien !
    M. Gaëtan Gorce. ... dépassionner le débat en mettant en place le Comité d'orientation des retraites et en soutenant ses travaux, préparer l'avenir en créant le Fonds de réserve - le grand oublié de vos propositions...
    M. René Couanau. Vous y croyez encore ?
    M. Gaëtan Gorce. ... et qui ont contribué à l'équilibre du régime général jusqu'en 2008 en soutenant la création et en participant à plus de deux millions d'emplois. Car au cours de ces cinq dernières années, les socialistes se sont mobilisés pour l'emploi...
    M. René Couanau. Une sacrée mobilisation !
    M. Gaëtan Gorce. ... dans la perspective d'une réforme des retraites. Ces initiatives, que je voulais rappeler, sont en effet autant de jalons d'une réforme qu'il fallait réaliser au lendemain de l'élection présidentielle.
    M. René Couanau. Vous l'avez préparée ?
    M. Gaëtan Gorce. C'est vrai, la méthode proposée par Lionel Jospin - que vous avez cité de manière incomplète, tout à l'heure - était d'une conception différente de la vôtre. En effet, nous n'avons jamais conçu la réforme des retraites comme un « blitzkrieg », mais, bien au contraire, comme une démarche de concertation, de négociation, de pédagogie, d'explication, de confiance et de conviction.
    Qu'en est-il de l'argument de l'urgence ? La brusque accélération du calendrier à laquelle on assiste depuis le mois de mars sent bien son paradoxe, puisque l'on constate qu'il vous aura fallu pas moins d'un an pour avancer vos propositions. Or il faudrait maintenant que, à peine mises sur la table, celles-ci soient adoptées en un tour de main,...
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. C'est fou d'entendre ça !
    M. Gaëtan Gorce. ... qu'à peine formulées, elles prennent force de loi, avec en prime un droit d'amendement largement contenu, comme le rappelaient nos collègues communistes, et un débat parlementaire que l'on veut sans doute laisser durer mais que l'on ne veut pas véritablement engager, puisque l'on nie le principe même du dialogue, de l'échange, de la confrontation des points de vue en prétendant qu'une seule réforme serait possible.
    M. Xavier Bertrand, rapporteur pour avis de la commission des finances. Vous avez tout faux !
    M. Gaëtan Gorce. Fallait-il qu'à peine engagée, la négociation que vous avez menée avec les partenaires sociaux soit terminée, après quelques heures, presque au saut du lit - mais pas sur vos tapis, si j'en crois les comptes rendus des discussions que j'ai pu lire ces derniers jours ?
    Vous nous répondrez que les déficits menacent, que l'équilibre des régimes de retraite est en péril. C'est vrai. Mais à partir de 2008, et plus encore de 2015 ; certainement pas, en tout cas, au 15 juin, ni même au 14 juillet, même si pareille échéance fournirait au Président de la République l'occasion d'intervenir et de fournir des explications.
    Vous nous répondrez fort justement qu'il faut trouver 15 milliards d'euros pour équilibrer le régime général d'ici à 2020 et qu'il n'y pas un instant à perdre.
    Mais alors, comment expliquer qu'avec un déficit prévisionnel du régime d'assurance maladie de plus de 10 milliards d'euros, et qui, cumulé, devrait atteindre plus de 18 milliards d'euros dès cette année, vous restiez l'arme au pied ? N'avez-vous donc d'attention que pour les déficits de demain, ou plutôt d'après-demain ? Ceux d'aujourd'hui vous laissent-ils de marbre ? Pourquoi cette urgence dans un cas et cette inertie dans l'autre ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    Faut-il que vous redoutiez le mouvement social et que vous craigniez les conséquences d'un véritable débat, en particulier sur la nature de votre projet, sur son contenu et, plus encore, sur le niveau des retraites auquel il conduira pour que vous ayez ainsi choisi de pousser les feux, d'alimenter la chaudière. Mais peut-être cherchez-vous au contraire - je regrette de dire que le doute est permis - à remporter à toute force une victoire politique, ici, dans cette assemblée, dans le cadre du débat parlementaire et, plus encore, une victoire sur le mouvement social que vous avez acculé à la contestation par votre refus de la négociation, pour mieux les affaiblir et avoir, à l'automne, les mains libres pour réduire les moyens des services publics, diminuer le nombre de fonctionnaires et entamer une réforme de notre système d'assurance maladie que vous êtes en train de mettre progressivement en faillite ?
    M. René Couanau. Quel machiavélisme !
    M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Les masques tombent !
    M. Gaëtan Gorce. Je crains, monsieur le ministre, qu'il y ait dans votre politique moins de courage que vous ne le dites et plus de cynisme qu'on ne pourrait le penser !
(« Eh oui ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)
    Quelles seront en effet les conséquences de votre attitude ?
    Elles seront tout d'abord redoutables pour l'avenir du dialogue social !
    Vous nous dites que votre projet serait issu de la plus large négociation. Je me garderai bien, pour ne pas allonger inutilement cette discussion, de citer les innombrables déclarations des responsables syndicaux - elles ont paru dans la presse et ont été répétées à l'envi. Ils se plaignent de n'avoir jamais pu engager avec vous - sauf peut-être la dernière semaine, en quelques heures - de véritables discussions. Ils dénoncent l'absence, au-delà des déclarations générales, de véritables propositions à partir desquelles une discussion approfondie, point par point, aurait pu s'engager. Enfin, ils ressentent les nombreux groupes de travail auxquels vous faites allusion comme autant de leurres, faute d'avoir pu s'appuyer à chaque fois sur des propositions précises et d'avoir pu dépasser le simple énoncé d'intentions.
    Je préfère m'en tenir à l'accord lui-même, approuvé par deux organisations syndicales représentatives, parfaitement dans leur rôle en jouant le jeu du compromis. Pour notre part, nous ne trouvons rien de choquant, monsieur le ministre, à ce qu'un syndicat, la CFDT ou la CGC, approuve un accord et le considère, à un moment donné, comme la seule solution possible. La CFDT a considéré qu'avec votre gouvernement, doté d'une large majorité dans cette assemblée pour les quatre années à venir - pour autant qu'on puisse anticiper les décisions du Président de la République -, il n'était pas possible d'obtenir plus, d'obtenir mieux, d'aller plus loin. Cette appréciation, d'un point de vue strictement syndical, est parfaitement légitime.
    Mais, il est tout aussi légitime que, dans le même rôle, d'autres organisations syndicales et, dans le rôle qui est le leur, les organisations politiques représentées dans cet hémicycle contestent ce projet parce qu'elles estiment qu'il ne répond pas de manière satisfaisante à la principale question qui vaille d'être posée au regard de la réforme des retraites : celle du niveau des ressources que peut garantir le régime par répartition comparé au dernier salaire d'activité du futur retraité !
    Il est d'ailleurs profondément choquant que vous n'ayez de cesse d'utiliser la CFDT comme une sorte de bouclier, qui vous éviterait d'avoir à assumer dans cet hémicycle la totalité du projet que vous présentez aux Français.
    Je le dis et je le redis : cette attitude est redoutable pour l'avenir du dialogue social dans notre pays. Je n'en prendrai qu'un seul exemple. Avez-vous encore en tête, monsieur le ministre, l'ambition que vous affichiez il y a quelques mois, non seulement dans cet hémicycle, mais aussi devant les partenaires sociaux, de rénover en profondeur nos relations sociales et de revitaliser notre démocratie sociale en favorisant l'association et la responsabilisation des partenaires sociaux ? Cette ambition, d'abord déçue par les innombrables retards que vous lui avez imposés, est aujourd'hui brisée.
    De quelle crédibilité pouvez-vous désormais vous prévaloir pour défendre l'idée d'un accord majoritaire, alors que vous cherchez à imposer à toute force, sur un dossier aussi lourd, aussi grave, aussi conséquent que l'avenir de nos retraites, un accord qui n'a été signé que par deux organisations syndicales représentatives ? Comment vous croire désormais lorsque vous parlerez de dialogue et de concertation, puisque vous opposez le silence, et parfois le mépris, à l'appel que vous lancent chaque semaine des centaines de milliers de salariés et leurs représentants à travers les mouvements de grève et les manifestations ?
    Non, monsieur le ministre, ne nous dites pas que ce projet serait un succès du dialogue social, alors qu'il est tout le contraire. En effet, il y a mieux en la matière que de mobiliser contre soi la majorité des organisations syndicales et de mettre dans la rue des centaines de milliers de Français. Surtout, vous aurez, par votre attitude, refermé pour longtemps la porte sur un changement en profondeur de notre démocratie sociale qu'un grand nombre de syndicats appellent pourtant de leurs voeux.
    M. Pascal Terrasse. Ça, c'est grave !
    M. Gaëtan Gorce. Enfin, l'évolution perceptible de plusieurs de ces syndicats, à commencer par la Confédération générale du travail, a été brisée dans son élan. Du reste, lors de sa récente visite en « Sarkoland », M. Raffarin n'a pas hésité à qualifier le principal responsable de cette organisation de « nouveau militant socialiste », montrant ainsi le respect et la considération qu'il a pour son action syndicale. La Confédération générale du travail était pourtant disposée à entrer dans le champ du possible, du probable, du réalisable dans le domaine social. Il est dommage que votre gouvernement n'ait pas pris la mesure des choses.
    En refusant la main offerte par de nombreuses organisations, en séparant par des manoeuvres rapides, les mains jointes de toutes les organisations syndicales, dans leur déclaration commune du 15 janvier dernier, vous remportez peut-être un succès aujourd'hui, mais vous perdez, pour demain et pour longtemps, la chance offerte, la perspective ouverte d'un autre rapport entre le syndical et le politique. Ce faisant, contrairement à vos affirmations, vous faites plus de tort que vous ne le pensez à l'esprit de réforme, si nécessaire à ce pays. Vous confortez à nouveau cette conviction, qui pouvait s'atténuer, que rien n'est possible en France par la concertation et le dialogue.
    Si votre méthode a des conséquences redoutables sur nos relations sociales, elle aura également des conséquences regrettables du point de vue de notre démocratie.
    Regrettables d'abord, parce que, en opposant à la demande d'explication ou de discussion de centaines de milliers de Français, mobilisés chaque semaine, le silence et le mépris, vous allez nourrir leur frustation et leur amertume. En laissant pourrir le conflit, en jouant sur sa radicalisation et d'éventuels débordements, vous prenez le risque et la responsabilité de ne laisser à ces femmes et à ces hommes d'autre issue que le renoncement ou la résignation aujourd'hui, et peut-être, demain, l'abstention dans les urnes ou, pire encore, le recours aux extrêmes.
    Votre attitude aura également des conséquences détestables ensuite - et j'emploierai ce terme à dessein - parce que en dénonçant ce mouvement comme vous le faites, en prétendant, comme vous l'avez fait dans cet hémicycle, monsieur le ministre, que ceux qui l'animent chercheraient à reprendre dans la rue ce qu'ils n'ont pu obtenir dans les urnes, vous prenez le risque et la responsabilité d'opposer entre eux les Français, alors que le devoir du Gouvernement devrait être, au contraire, d'assurer leur solidarité et leur cohésion.
    M. Bernard Roman. Bien sûr !
    M. Gaëtan Gorce. Votre stratégie de communication vise à provoquer et, d'une certaine manière à utiliser, l'exaspération des usagers du service public. Elle n'est pas seulement cocasse lorsqu'elle fait réapparaître M. Juppé, président de l'UMP, comme le défenseur jaloux du dialogue et de l'écoute des Français ; elle est aussi choquante lorsqu'elle se traduit par la mobilisation politique d'une partie de l'opinion contre l'autre à coups de pétitions, de tracts ou de déclarations.
    Quel est le sens, en effet, des tracts distribués par l'UMP accusant les syndicats de désinformation, alors que vous allez dépenser des millions d'euros pour communiquer sur votre réforme,...
    M. Jean-Louis Idiart. Scandaleux !
    M. Gaëtan Gorce. ... sinon une volonté inédite de la part d'un gouvernement de faire entrer un parti majoritaire sur le terrain syndical pour combattre et nier la crédibilité, la légitimité des organisations qui y sont normalement engagées ?
    Qui plus est, que signifie la pétition lancée par l'UMP pour soutenir votre réforme ? Que penser d'un parti majoritaire qui invite les citoyens à signer contre les organisations syndicales qui ne font qu'user de leur droit constitutionnel à manifester et à faire grève ? Quel est le sens de l'invitation lancée à nos concitoyens à protester et à signer contre la Confédération générale du travail, contre Force ouvrière, contre la FSU, contre l'UNSA ?
    M. Bernard Roman. C'est du jamais vu !
    M. Gaëtan Gorce. En agissant ainsi, vous portez, aux libertés syndicales, une atteinte, indirecte mais d'autant plus grave qu'elle est faite en pleine conscience et qu'elle vise précisément à affaiblir ces organisations.
    M. Pascal Terrasse. C'est le retour du SAC et des barbouzes !
    M. Gaëtan Gorce. Ne voyez-vous pas que, au-delà du succès à court terme que vous en attendez, vous portez, en réalité, un coup à notre démocratie ?
    Partout ailleurs en Europe, la réforme des retraites s'est faite par la concertation et, le plus souvent, par le consensus, à la condition, naturellement, que ce consensus soit recherché et pas simplement revendiqué. Cela a été le cas en Italie avec la réforme Dini, après que le premier gouvernement Berlusconi a été obligé de retirer son projet qu'il voulait faire passer en force contre l'avis des partenaires sociaux.
    Cela a été le cas en 1992, en Allemagne, dans le cadre d'un accord trouvé au sein du conseil social des retraites qui réunit les représentants des employeurs, des salariés, de la banque centrale et des personnalités qualifiées. C'est d'ailleurs l'absence de consensus au sein de ce conseil qui a fait échouer, en 1997, la deuxième phase du projet de réforme.
    Cela a été le cas en Suède, où la réforme des retraites s'est étagée sur près de quatorze années, de 1984 à 1998, associant, à chaque étape, les partenaires sociaux et l'ensemble des forces politiques.
    Je pourrais ainsi multiplier les exemples qui apportent, sur cette question, un double éclairage, au fond assez cruel pour la méthode que vous avez retenue.
    En premier lieu, ils démontrent qu'une bonne réforme prend du temps, pas quelques semaines, pas quelques jours de discussion ou de négociation. Elle n'est en rien compatible avec l'urgence, ce qui relativise beaucoup le caractère catastrophiste de votre discours et, plus encore, les reproches que vous nous avez adressés.
    Le second éclairage que l'on peut retirer de la comparaison avec nos partenaires européens - il s'agit presque d'un paradoxe - c'est qu'il a été possible d'aller plus loin dans la réforme, parfois dans les sacrifices demandés, chaque fois qu'elle a été conduite par le consensus. En ce cas, les réformes conduites ont toujours été plus courageuses et, surtout, plus solides, plus durables. Cela tient sans doute aussi au fait qu'aux efforts demandés, notamment en termes de durée de liquidation, correspondaient de véritables contreparties, en particulier en faveur des salariés les plus âgés ou de ceux dans les situations les plus fragiles.
    Ne serait-il pas souhaitable, monsieur le ministre, que vous en tiriez toutes les conclusions ? Que vous mettiez un terme à cet entêtement qui bloque toute avancée ? Oui, une réforme est nécessaire. Nous n'avons cessé, nous socialistes, de le dire. C'est d'ailleurs pour la rendre possible, pour qu'elle entre dans les faits et soit acceptée que nous en appelons à une nouvelle discussion. Acceptez de rouvrir la négociation ! Donnez sa chance à une véritable réforme des retraites ! Renoncez à la tentation du coup politique et du passage en force ! Quel mérite aurez-vous à faire voter un tel projet par une majorité qui vous est toute dévouée ? Pourquoi vous comporter comme si, ayant réussi un coup heureux en matière de dialogue social, vous vouliez empocher en quelques jours, en quelques heures le bénéfice d'un tel comportement ?
    Pour notre part, nous sommes prêts à prendre toute notre responsabilité dans le dialogue et la négociation.
    Si vous revenez à la voie de la négociation et de la discussion sereine, sérieuse, sans tabou, avec une date butoir pour éviter tout retard, vous nous trouverez l'esprit ouvert, constructif, avec le souci d'aboutir. Si, en revanche, vous conservez la même attitude, vous n'aurez pas d'adversaires plus déterminés que les socialistes ; non seulement parce que nous contestons - je vais y venir - les effets de votre projet, mais aussi, parce que, en vous entêtant, vous entretenez cette conviction, si fausse et si nuisible, selon laquelle notre pays serait irréformable, la réforme ne pouvant aboutir, comme vous l'avez souligné dans votre réponse, qu'au mépris du dialogue et de l'écoute des Français.
    Une telle vision conduit nécessairement à l'impasse. Elle conforte les blocages, les corporatismes, les conservatismes qu'elle prétend combattre. Elle dresse les Français les uns contre les autres. J'aurais au fond tendance à dire que, à ce titre, vous êtes plus conservateur que réformateur, plus conformiste qu'innovateur. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste.) Si on peut le regretter, qui pourrait s'en étonner ? J'en viens au contenu même de votre projet.
    Le groupe socialiste, pour sa part, se refuse à s'engager dans un débat caricatural qui consisterait à tout rejeter, tout le temps et en bloc. Le projet qui nous est présenté aurait mérité une véritable négociation avec les partenaires sociaux. Il aurait pu en fournir la base ! Il aurait pu faire l'objet d'un vrai débat parlementaire qui ne soit pas réduit à un simulacre dont on sait d'avance ce qu'il en sortira. Il s'appuie en effet sur un constat partagé par tous : il nous faut, d'ici à 2020, préserver l'équilibre de nos régimes de retraites.
    Les solutions, nous le savons tous, sont à trouver dans un équilibre entre un ensemble de mesures parfaitement identifiées et chiffrées par le comité d'orientation des retraites. De ce point de vue, monsieur le ministre, ne semblez pas étonné de ne pas trouver sur votre table un contre-projet car tous les éléments figurent dans ce qu'avait préparé ce comité. En réalité, la véritable question n'est pas tant de fournir un contre-projet que de pouvoir discuter de l'ensemble des alternatives que vous avez écartées au travers des propositions que vous nous présentez. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Philippe Vuilque. C'est exactement cela !
    M. Gaëtan Gorce. C'est sur ce point que le débat commence, que notre désaccord initial se fonde !
    En effet, nous sommes favorables au principe d'une réforme ; nous avons la même appréciation quant aux leviers sur lesquels il va falloir jouer. Ensuite se posera ce qui n'est peut-être plus qu'une question de dosage, car il faudra assurément opérer des choix politiques sur des sujets essentiels, mais nous sommes prêts à en discuter.
    Monsieur le ministre, la retraite par répartition est un contrat entre les générations, mais celui-ci suppose la confiance. Qu'attendent les Français d'une réforme des retraites ? Qu'elle préserve la répartition, certes, mais pas seulement dans son principe. En effet, la répartition ne sera véritablement préservée que si les régimes de retraites sont en mesure de garantir aux Français, notamment aux plus modestes, un niveau de pension le plus proche possible de leur dernier salaire d'activité. Et il ne peut y avoir de confiance de la part de ces salariés que si l'effort qui leur est demandé trouve sa contrepartie dans un niveau de retraite élevé. Or, c'est là le point faible de votre projet, qui déséquilibre tout le reste : le niveau des retraites va se dégrader par rapport au revenu d'activité, pour tous, salariés du public comme du privé - en 2010, en 2020 et, plus encore, en 2040...
    Mme Marylise Lebranchu. Eh oui !
    M. Gaëtan Gorce. ... ce qui ouvrira le champ sinon à la capitalisation, du moins à l'épargne ou à l'assurance privée. Cela sera d'autant plus inéluctable que votre projet ne présente pas non plus les garanties suffisantes en matière de financement.
    Mme Elisabeth Guigou. Absolument !
    M. Gaëtan Gorce. Comment pouvez-vous prétendre préserver le régime par répartition, alors que rien, dans votre texte, ne vise à interrompre le processus de dégradation du niveau des pensions que vous allez même au contraire encore accélérer ?
    Mme Marylise Lebranchu. C'est vrai !
    M. Gaëtan Gorce. Cette question du niveau des retraites, point central de la discussion, est le talon d'Achille de vos propositions, car à aucun moment, vous n'acceptez d'engager la discussion sur ce sujet. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Bernard Roman. C'est bien le problème !
    Mme Ségolène Royal. C'est vrai !
    M. Gaëtan Gorce. Oui, le niveau des retraites va se dégrader par rapport à celui des salaires. Les Français doivent le savoir...
    Mme Elisabeth Guigou. Ils le savent !
    M. Gaëtan Gorce. ... ainsi que les parlementaires, au moment où il leur appartient de se prononcer sur les propositions qui leur sont présentées.
    Mme Marylise Lebranchu. Très juste !
    M. Bernard Roman. C'est ce dont il faut parler !
    M. Gaëtan Gorce. Comment préserver notre système par répartition si l'on ne peut pas garantir à ceux qui cotisent aujourd'hui, à ceux qui travaillent, le niveau de retraite le plus proche possible de leur dernier salaire d'activité, autrement dit la possibilité de préserver leur niveau de vie, celui qu'ils auront pensé construire, grâce à leur travail au travers des cotisations qu'ils auront versées, pendant quarante années, comme vous le proposez ?
    Mme Marylise Lebranchu. C'est tout à fait juste !
    M. Gaëtan Gorce. Bien qu'il s'agisse d'une question centrale, il n'a pas été possible d'en débattre jusqu'à présent. Or nous souhaitons qu'elle soit au centre de nos discussion durant tout le débat que nous aurons dans cet hémicycle.
    M. Jean-Marc Ayrault. Ils ne veulent pas en parler !
    M. Gaëtan Gorce. J'ai d'ailleurs été choqué, monsieur le ministre, en vous entendant déclarer, lorsqu'il a été question des déclarations malencontreuses, malheureuses, tristes...
    M. Jean-Marc Ayrault. Affligeantes !
    M. Philippe Vuilque. Inadmissibles !
    M. Gaëtan Gorce. ... du Premier ministre sur le Parti socialiste, que vous aviez vous-même été victime, dans cette enceinte, de mensonges et même d'injures proférés par mon collègue Pascal Terrasse dans son intervention sur l'exception d'irrecevabilité.
    S'il faut, certes, que l'opposition équilibre ses propos et, nous y veillons toujours, cette attention doit être réciproque. Je ne peux donc pas accepter que vous considériez que le porte-parole de notre groupe aurait porté, par des injures, atteinte à votre honneur ou à celui du Gouvernement au travers des propos qu'il a tenus. Relisez-les et vous verrez que, à quelques corrections près sur le nombre de fonctionnaires concernés qu'il est prêt à accepter, qu'ils étaient parfaitement décents et s'inscrivaient dans un débat constructif, politique certes, avec parfois, une part de polémique, mais surtout engagé avec le souci de faire progresser la discussion par l'échange des arguments. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Jean-Marc Ayrault. Voilà la vérité !
    M. Gaëtan Gorce. Les travaux du COR, j'y reviens, ont montré clairement que l'indexation des salaires qui sont reportés aux comptes, et partout sur les vingt-cinq meilleures années, entraîne mécaniquement une baisse régulière du taux de remplacement par rapport au dernier salaire. Alors qu'un retraité dont le salaire a évolué comme le salaire moyen, s'attend à bénéficier, au titre du régime de base, d'un taux de remplacement brut de 50 % - c'est finalement ce qui caractérise notre régime général - sa retraite se situera en réalité à 41 % de son dernier salaire.
    Mme Elisabeth Guigou. Eh oui !
    M. Gaëtan Gorce. De plus, la même évolution négative sera observée au niveau des régimes complémentaires. Ainsi un salarié qui aura disposé d'un salaire situé dans la moyenne de l'ARRCO verra son taux de remplacement net passer, au titre des régimes complémentaires, de 29 % aujourd'hui à 21 % en 2020 et à 19 % en 2040.
    Mme Elisabeth Guigou. Absolument !
    M. Philippe Vuilque. Voilà la vérité !
    M. Gaëtan Gorce. Faites le compte, monsieur le ministre : cela représente grosso modo une baisse du niveau des retraites attendues de l'ordre de 20 %.
    Cette dégradation du taux de remplacement est significative. Certes vous nous direz peut-être qu'elle n'est pas inéluctable, mais encore faudrait-il que la question soit ouverte à la discussion et que nous puissions nous interroger sur cette situation, sur ses causes, sans doute, mais aussi sur ses effets, et sur la manière de les combattre.
    Les Français et les parlementaires devraient pouvoir débattre et indiquer s'ils sont prêts à accepter un système de retraite dans lequel le niveau des pensions baissera, ou bien s'ils préfèrent que l'on revoie la question des cotisations et l'ensemble des paramètres à prendre en considération, au lieu de limiter à la solution unique que constitue l'allongement de la durée de cotisation. Il ne faut pas considérer qu'une fois les hausses de cotisation décidées, le débat devra s'arrêter et qu'aucune discussion ne sera plus possible, sauf à présenter un hypothétique contre-projet.
    Bien que nous soyons dans un cadre contraint, des options s'offrent à nous. Elles sont politiques et peuvent être syndicales, mais ne déniez pas à l'opposition la capacité de les faire formuler, en tout cas, le droit de soutenir ce débat. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Pascal Terrasse. Quelle démonstration !
    Mme Elisabeth Guigou. Quel talent !
    M. Gaëtan Gorce. Comment pouvez-vous prétendre défendre la répartition alors même que vous n'entreprenez rien pour contrecarrer son érosion ?
    La vraie question, celle que se posent les Français, est celle de savoir combien ils perdront quand ils partiront à la retraite et si cela sera supportable. C'est sur ce sujet que les partenaires sociaux, unanimes, ont souhaité, dans le cadre du Comité d'orientation des retraites, obtenir des garanties sur lesquelles vous devriez accepter de rouvrir les discussions. Vous n'avez pu ou peut-être pas voulu apporter ces garanties ! Vous affirmez, certes, à l'article 2 de votre projet de loi : « Tout retraité a droit à une allocation en rapport avec les revenus qu'il a tirés de son activité. » Mais cette belle déclaration de principe restera vide de sens, si l'on ne donne aucune garantie à nos concitoyens quant au niveau de ce rapport.
    Vous vous flattez d'avoir préparé votre réforme des retraites par un voyage européen. Il ne vous aura donc pas échappé qu'en Allemagne, pour prendre un exemple difficile, la réforme des retraites s'est articulée autour de la garantie d'un taux de remplacement.
    Mme Elisabeth Guigou. Bien sûr ! C'est très important !
    M. Gaëtan Gorce. Elle a certes introduit un élément de capitalisation, mais elle a fait de la répartition le pivot de la retraite.
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Le PS veut faire un taux de remplacement avec la répartition ! On aura tout vu !
    M. Gaëtan Gorce. Elle affiche clairement quel sera, pour l'ensemble des retraités allemands, le niveau de pension dont ils pourront bénéficier à la fin de leur activité.
    Nos compatriotes doivent donc savoir qu'ils entameront leur retraite avec un taux de remplacement dégradé et sans aucune garantie - second élément qui nous paraît extrêmement critiquable - de bénéficier, au cours de leur retraite, d'une augmentation de pouvoir d'achat. Indépendamment de toutes les inégalités auxquelles on peut faire allusion, l'espérance de vie en retraite est d'environ vingt années. Pendant ces vingt ans, si l'on retient les hypothèses du Comité d'orientation des retraites, le revenu des actifs augmentera, en moyenne de 37 % à 40 %. Croyez-vous que cet appauvrissement relatif d'environ 40 % des retraités soit soutenable ? Etes-vous de ceux, monsieur le ministre, qui considèrent que les personnes âgées sont des privilégiés aujourd'hui ? Vous ne le direz sûrement pas aussi crûment, mais il est clair que les décisions que vous prenez sont inspirées par cette idée, puisque vous acceptez et programmez une dégradation relative de leur niveau de vie par rapport aux actifs.
    Ainsi que l'indique aussi le Comité d'orientation des retraites - car, je le répète, nous sommes dans un débat contraint -, la pension moyenne, qui représente actuellement 78 % du salaire moyen, n'en représentera plus que 64 % en 2040. C'est donc bien, malgré vos déclarations vertueuses, telle celle de l'article 2 du projet de loi, un affaiblissement important de la place de la répartition qui est engagé. Quoi que vous en disiez, comme à cette tribune, il y a quelques minutes, vous ouvrez ainsi un espace pour la capitalisation de manière dissimulée et honteuse. Cela n'aurait-il pas mérité une véritable négociation ? Après tout, ne sommes-nous pas suffisamment mûrs pour aborder l'ensemble de ces questions avec les partenaires sociaux et dans cet hémicycle ?
    Je suis désolé, monsieur le ministre, d'interrompre votre lecture du Monde. J'espère que vous y trouverez toutes les informations nécessaires. Vous demandiez tout à l'heure à l'opposition de vous écouter. Je suis ravi de voir que vous préférez la presse écrite aux expressions parlées de l'opposition. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    C'est sur ce thème, comme l'avaient souhaité les partenaires sociaux au sein du Comité d'orientation des retraites, qu'il fallait ouvrir, et qu'il faut rouvrir, une véritable discussion.
    M. Philippe Vuilque. Arrêtez-vous, le ministre n'écoute pas !
    M. Augustin Bonrepaux. Attendez qu'il ait fini de lire !
    M. Gaëtan Gorce. Ces discussions doivent pouvoir être engagées ouvertement dans cet hémicycle et devant les Français.
    Pourquoi d'ailleurs, puisque vous nous dîtes qu'une négociation a eu lieu entre les partenaires sociaux, ces questions n'ont-elles jamais été mises en débat ? Peut-être cela a-t-il été le cas avec eux, en quelques heures, dans votre bureau, ou dans celui du Premier ministre, mais jamais complètement devant les Français pour qu'ils en soient totalement informés.
    M. Jean-Pierre Brard. Et pas dans une soupente, comme avec Chérèque ! D'ailleurs ce n'est pas très moral tout ça !
    M. Gaëtan Gorce. Sans doute êtes-vous enfermé dans votre dogmatisme anti-prélèvements obligatoires. Il est vrai que, dans ces conditions, l'équation est et reste peut-être encore aujourd'hui, pour vous, insoluble !
    Il est encore plus grave que votre projet, loin de rectifier ces évolutions, cette dégradation du taux de remplacement les aggrave, notamment par l'effet de l'allongement de la durée des cotisations et de la proratisation de la durée de cotisation.
    Tous ceux qui demain - voici encore l'un des éléments fondamentaux du débat qui n'a jamais été abordé - ne pourront pas reporter leur départ à la retraite pour se conformer aux nouvelles exigences qui seront imposées en matière de durée d'assurance, verront nécessairement leur pension amputée.
    M. Bernard Roman. Malheureusement !
    M. Gaëtan Gorce. Vous dites qu'il sera toujours possible de commencer à quarante annuités avant de passer à quarante et une ensuite, à quarante-deux demain et de retrouver grosso modo le même niveau de pension. J'ai déjà admis que si cela serait peut-être vrai en euros constants, ce sera faux au regard du niveau d'activité, compte tenu de l'évolution des pouvoirs d'achat. Il y aura forcément une dégradation du taux de remplacement. Quant à ceux qui ne pourront pas attendre quarante, quarante et un ou quarante-deux ans pour des raisons sur lesquelles je reviendrai, ils subiront une double baisse de leur niveau de pension. Ce sera un peu la double peine évoquée hier par mon ami Pascal Terrasse.
    Vous ne pouvez pas en effet décider d'augmenter la durée de cotisation comme vous l'envisagez à quarante, quarante et un, quarante-deux ans, sans tenir compte de la réalité des comportements, des entreprises comme des salariés.
    M. Philippe Vuilque. Eh oui !
    M. Alain Bacquet. Ils se débarrassent des seniors !
    M. Gaëtan Gorce. L'âge moyen de cessation d'activité est aujourd'hui de cinquante-sept ans et demi. Plus des deux tiers des salariés prennent leur retraite alors qu'ils ont déjà cessé de travailler depuis plusieurs mois et surtout depuis plusieurs années. Pour beaucoup, les conditions de travail, en particulier la pénibilité des tâches, mais aussi la lassitude faute de perspectives réelles de carrière créent, si j'ose dire, un besoin de retraite qui ne pourra attendre pour être satisfait, soixante-cinq ans.
    M. Jean Le Garrec. Très juste !
    M. Gaëtan Gorce. Et que deviendront les salariés licenciés à cinquante-cinq, cinquante-six, cinquante-sept ans qui devront attendre quatre, cinq ou six ans pour bénéficier de leur retraite à taux plein, faute de disposer du nombre d'annuités pour compenser les effets de la proratisation des coefficients de pension qui pénalisera particulièrement les carrières irrégulières.
    Et ce ne sont pas les départs anticipés à quarante annuités que vous avez chichement annoncés - que l'on vous a même arraché et sur ce rendons-en grâce à la CFDT - qui permettront de régler la question. Je rappelle que sur les 800 000 salariés concernés, 180 000 seulement seront touchés par vos propositions.
    Pour répondre à ces questions, il conviendrait de mettre en oeuvre une politique active en direction des salariés âgés dans l'entreprise, une politique négociée qui ne s'improvise pas, une politique qui devrait s'inscrire dans la durée et dont il aurait été normal de faire, comme à l'étranger, un préalable à la réforme et non sa conséquence, sinon le risque d'échec est considérable ! Je ne suis pas certain, comme l'a dit l'un d'entre nous, monsieur le ministre, qu'il soit préférable pour notre pays d'avoir demain de vieux chômeurs plutôt que de jeunes retraités.
    Sur ces questions, comme sur celle de l'emploi, vous renvoyez à une négociation ultérieure. Mais les partenaires sociaux étaient autour de la table des négociations que vous prétendez avoir menées ! Pourquoi ces questions n'ont-elles pas été abordées plus concrètement à cette occasion ? Pourquoi, dans le cadre de l'accord que vous dites avoir obtenu, les aspects de pénibilité et d'âge au travail n'ont-ils pas été traités ni même évoqués ?
    Mme Elisabeth Guigou. Très bien !
    M. Gaëtan Gorce. Pourquoi ne figurent pas dans l'accord des propositions concrètes qui auraient permis d'obtenir l'engagement ferme, non seulement des organisations de salariés - dont on peut penser qu'elles seront mobilisées sur ce sujet - mais également du patronat...
    M. Pascal Terrasse. Pour ne pas le nommer, le MEDEF !
    M. Gaëtan Gorce. ... et du MEDEF ? Vous savez bien, d'ailleurs, pour le menacer d'une éventuelle hausse des cotisations, que celui-ci est extrêmement réticent à de telles évolutions, et qu'il ne s'y résoudra que sous réserve que vous en montriez la volonté politique et, surtout, que la pression des organisations syndicales soit forte.
    Il y a un manque - un trou, si j'ose dire -,...
    Mme Elisabeth Guigou. Un énorme trou !
    M. Gaëtan Gorce. ... dans votre accord qui pose des problèmes majeurs, car il n'apporte que des solutions hypothétiques et qui sont renvoyées à demain, alors que l'allongement de la durée de cotisation est décidé aujourd'hui, avec toutes ses conséquences.
    Mme Elisabeth Guigou. Exactement !
    M. Gaëtan Gorce. Il ne s'agit pas là de théorie, monsieur le ministre, mais de réalité. Vous qui ne cessez, avec vos collègues de la majorité, de nous parler de la réalité de l'entreprise - que n'avons-nous entendu, depuis un an, sur ce sujet ! - regardez donc aussi celle du travail !
    Ces données rappelées et réaffirmées, on jette un regard plus cru sur les conséquences de votre projet. Avec l'allongement de la durée de cotisation, complété par les effets de la décote et de la proratisation de la durée de cotisation - qui sont, je le répète, les éléments centraux de votre texte - il faudra avoir commencé à travailler à dix-huit ans pour avoir droit, à soixante ans, à une retraite à taux plein.
    Les actifs qui auront commencé à travailler entre dix-huit et vingt-trois ans seront fortement incités à attendre quarante-deux ans. Partir à soixante ans coûtera près d'un tiers de sa retraite à un actif qui aura commencé à travailler à vingt-deux ans. Alors que, sans les mesures que vous préconisez, sa retraite à soixante ans aurait été de 71,2 % de son salaire brut, elle se réduira à un peu moins de 50 %, selon les chiffres fournis par l'OFCE - car, vous l'imaginez bien, je n'ai pas fait ces calculs moi-même.
    Et que se passera-t-il pour les salariés qui souhaiteront travailler jusqu'à soixante-cinq ans tandis que l'entreprise, poursuivant la politique qu'elle applique aujourd'hui, souhaitera les voir partir plus rapidement ? Pourront-ils attendre cinq ans pour faire liquider une retraite à taux plein, alors que les mécanismes de préretraite et de chômage dispensé de recherche d'emploi auront été réduits ? Devront-ils choisir entre vivre quelques années avec de faibles ressources au chômage ou se résigner à liquider leur pension à soixante ans, avant d'avoir atteint les quarante-deux ans leur permettant de bénéficier du taux plein, subissant alors une perte de 20 % sur une pension déjà réduite par les réformes des mécanimes d'indexation ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste.)
    M. Philippe Vuilque. C'est la triste réalité !
    M. Gaëtan Gorce. Voilà les réalités dont nous devons débattre dans cet hémicycle. Voilà les réalités dont nous allons pouvoir discuter devant les Français, et dont les partenaires sociaux qui sont dans la rue aujourd'hui souhaitent pouvoir discuter avec vous. Ils ne s'opposent pas en bloc à une réforme des retraites. Ils ne disent pas non à tout. Ils disent : « Nous devons mettre sur la table ces questions ». Celles-ci, en effet, ne sont pas résolues de manière satisfaisante par l'accord que vous nous présentez. Sans doute quelques améliorations ont-elles été obtenues, mais, au regard de cette question centrale de la garantie du niveau de vie des retraités, les réponses ne sont pas satisfaisantes. Elles sont, le plus souvent, oubliées, elles ne sont pas abordées. En tout cas, elles ne sont pas discutées. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    Ne croyez-vous pas - pour reprendre encore une fois ce qui sera l'antienne de cette intervention - que l'examen de ces questions aurait mérité une vraie - et, en tout cas, une nouvelle - négocation ? Ce n'est pas au Parlement de régler, en un tour de main, ce type de question, même s'il nous revient - légitimement - de trancher. Mais toutes ces questions ne sont pas réglées, les réponses ne sont qu'évoquées. C'est à la fin d'un processus de discussion et de négociation, lorsque l'ensemble des partenaires sociaux auront été étroitement associés, lorsque l'opinion aura été clairement informée, que le Parlement doit se prononcer. Pas en amont quand les questions sont encore sans réponse.
    Votre projet va se traduire non seulement par une baisse du niveau des pensions liée à la dégradation du taux de remplacement, mais aussi par une baisse de la retraite effectivement touchée par certains salariés, qui ne pourront pas attendre l'âge à partir duquel ils pourraient bénéficier du taux plein.
    Prenons l'exemple des fonctionnaires.
    Un enseignant qui commence à travailler à vingt-quatre ans - c'est la moyenne, aujourd'hui - bénéficie actuellement d'une pension de l'ordre de 72 % de son traitement statutaire s'il part à la retraite à soixante ans. En 2008, il n'en aura plus que 60,8 %, moins 15 % ; en 2020, 48,2 %, moins 33 %, s'il part à soixante ans, j'insiste !
    M. Philippe Vuilque. Eh oui !
    M. Gaëtan Gorce. En fait, en 2020, il devra continuer à travailler jusqu'à soixante-cinq ans pour s'assurer le même taux de remplacement qu'aujourd'hui. On peut discuter ces chiffres : je les tire de l'OFCE, ils ont été publiés, et ils peuvent être réfutés. Mais l'ensemble des organisations syndicales, si elles sont mobilisées, ne le sont pas nécessairement contre le principe de l'harmonisation des régimes, mais contre les conséquences de vos mesures. Alors que les deux tiers des enseignants atteignent soixante ans sans avoir le nombre d'annuités, 90 % d'entre eux partent à la retraite sans avoir atteint ce nombre d'annuités. Cela veut dire que, dans la fonction publique, en particulier dans l'éducation nationale, la situation professionnelle et peut-être sociale est telle qu'elle pousse les salariés à quitter leur emploi avant d'avoir la totalité des annuités nécessaires au taux plein. Il s'ensuivra pour eux, avec votre réforme, une baisse nette, et même forte - près de 30 % - du niveau des pensions.
    Voilà encore des éléments qui doivent être réintégrés dans le débat. Il aurait été légitime et logique, sans crier au loup ni appeler à la révolte sociale, d'en débattre avec les partenaires sociaux. Il y a là encore matière à prolonger la discussion. Et n'attendez pas des parlementaires, des groupes politiques, qu'ils formulent des contre-propositions : c'est à la négociation de traiter ces questions !
    M. Philippe Vuilque. Bien sûr !
    M. Gaëtan Gorce. Aux parlementaires ensuite d'en débattre. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.) N'inversons pas l'ordre des facteurs, comme vous le faites sans cesse.
    En clair, votre réforme obligera un grand nombre de fonctionnaires à partir à soixante-cinq ans ou à accepter des pensions singulièrement diminuées. On comprend que ces fonctionnaires réagissent. Ils ne refusent pas, contrairement à ce que vous avez dit tout à l'heure, un effort qui serait partagé par tous les Français et auquel ils essaieraient de se soustraire. Ils refusent simplement une dégradation de leur situation et on peut juger légitime dans ces conditions qu'ils réclament une nouvelle discussion et des garanties.
    Plusieurs députés du groupe socialiste. Bien entendu !
    M. Gaëtan Gorce. En somme, l'érosion de la répartition, son affaiblissement progressif, la perte de substance du contrat entre les générations sont au coeur de votre projet et contredisent les proclamations vertueuses de votre exposé des motifs.
    Vous m'objecterez que vous prenez un certain nombre de mesures qui vont permettre de compenser partiellement ces effets, notamment la garantie d'un taux de remplacement net de 85 % pour les bénéficiaires du SMIC.
    Que vaut d'ailleurs cette garantie, qui suppose la coopération des régimes complémentaires, comme pour l'ensemble de la réforme d'ailleurs ? Je note que les négociations seront menées l'une après l'autre, sans que l'on puisse être sûr que le niveau de pension que vous prétendez assurer le soit réellement, puisque nous ne savons pas ce qui sortira de la réforme des régimes complémentaires.
    Mme Elisabeth Guigou. Très importante remarque !
    M. Philippe Vuilque. On n'en parle pas assez !
    M. Gaëtan Gorce. Le MEDEF accordera peut-être aujourd'hui un coup de pouce, mais qu'en sera-t-il demain ? Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous assurer que vous ferez appliquer cette garantie - celle des 85 % - si le MEDEF s'y oppose ? Pouvez-vous nous préciser les moyens que vous utiliserez en cas de réticences de l'organisation patronale ?
    M. Jean-Pierre Brard. Aucun ! Une génuflexion devant le MEDEF !
    M. Gaëtan Gorce. Et quid de l'indexation de cette garantie ? Car, si vous revalorisez le minimum contributif, en trois coups de pouce de 3 % sur trois ans à 85 %, est-ce que ce seuil sera ensuite lui-même indexé sur les prix ou sur le SMIC ? Il est vrai que, s'agissant du SMIC, vous avez suspendu l'indexation sur le pouvoir d'achat. Vous la rétablirez, c'est en tout cas l'engagement que vous avez pris. Qu'en sera-t-il du seuil de 85 % ?
    Et ceux qui bénéficient de cette garantie à 85 %, la verront-ils progresser comme les prix ou comme les salaires ?
    M. Jean-Pierre Brard. Comme les prix !
    M. Gaëtan Gorce. Autrement dit, aura-t-on 85 % lorsqu'on partira à la retraite, mais 70 ou 65 % à la fin de sa retraite ? C'est une question essentielle sur laquelle nous n'avons pas de réponse.
    M. Bernard Roman. Bien sûr ! Ça va durer trente ans !
    M. Gaëtan Gorce. Sans réponse claire de votre part, nous serions fondés à considérer que cet engagement n'est que de la poudre aux yeux.
    Mais plus fondamentalement, notre régime de retraite n'est pas un régime d'assistance à l'anglo-saxonne, c'est l'ensemble des retraités et non les seuls smicards qui doivent bénéficier d'une garantie sur le taux de remplacement - j'y reviens car cela me paraît la question centrale. Le Comité d'orientation des retraites, dans toutes ses composantes, avait été unanime sur ce point. Je cite son premier rapport - la Bible, pour vous, d'une certaine manière ! - page 210 : « Pour engager les réformes qui permettront de garantir la solidarité financière, le Conseil estime qu'il est nécessaire que des objectifs soient fixés sur le niveau des retraites - j'insiste sur ce point - et sur leur mode de revalorisation. » Vous n'avez tenu aucun compte de cette exigence.
    Vous m'objecterez sans doute qu'au-delà du minimum contributif, vous avez prévu, par exemple, pour les fonctionnaires des éléments nouveaux, comme un régime complémentaire sur les primes. Mais, monsieur le ministre, l'intérêt d'un tel régime par répartition dépendra de l'évolution démographique du corps des fonctionnaires. Vous conviendrez qu'il est pour le moins cavalier de votre part de vous flatter d'instituer un tel régime, alors que votre Gouvernement affirme tous les jours sa volonté de réduire le nombre des fonctionnaires, et donc de rendre plus difficile l'équilibre de cette caisse complémentaire axée sur les primes. Sur ce point également, nous attendons des précisions. Sur quelles hypothèses démographiques pour la ou les fonctions publiques est fondé ce régime ? Quelles garanties pouvez-vous apporter quant à son rendement ? Sans réponses claires à ces interrogations, nous serions fondés de nouveau à considérer que votre réforme est en trompe-l'oeil.
    Outre que le projet que vous nous présentez ne garantit pas un taux convenable de remplacement, outre qu'il va se traduire par une baisse du niveau des pensions, les faibles garanties que vous apportez quant au niveau des retraites ne peuvent être considérées comme telles car vos propositions ne sont pas financées.
    Vous prétendez défendre la répartition alors que, nous venons de le voir, vous en programmez l'érosion. Non seulement vous programmez des retraites diminuées mais, même diminuées, ces retraites ne sont pas assurées pour la bonne, ou plutôt la mauvaise raison, je le répète, qu'elles ne sont pas financées.
    Pour le régime général, les économies que vous avez prévues, pour l'essentiel une réduction de la pension des femmes frappées par la proratisation à cent soixante trimestres, ne représentent que 5 à 6 milliards sur un total de 15 à 16 milliards d'euros à financer.
    J'ai bien entendu vos explications que, après les avoir données à la presse, vous avez répétées dans cet hémicycle. Vous prétendez faire face à ce plan de financement par un transfert des prélèvements affectés au chômage. Il ne faut pas manquer d'audace pour tabler sur un tel transfert alors que l'on connaît les performances de votre politique de l'emploi. Les entreprises ont en effet changé de rythme : 600 000 emplois créés en 2000, 60 000 en 2002. Je crois même que la production industrielle était en baisse au mois d'avril, voilà pour répondre à vos propos sur la réussite de votre politique économique ! Nous avons entendu vos arguments ; entendez les nôtres et nos inquiétudes qui sont, malheureusement, fondées sur des données objectives !
    Le chômage a repris sa course à la hausse et rien n'est entrepris pour en stopper l'ascension. Vous nous avez promis une stabilisation pour les mois qui viennent et une baisse ensuite, quasi mécanique. Mais elle semble plutôt relever de la génération spontanée ou de la méthode Coué, car vous avez omis d'en donner les raisons et, surtout, d'en préciser les moyens. Je n'en trouve en tout cas pas l'explication dans votre politique. « Efforcez-vous de croire et bientôt vous croirez » : ce pari pascalien me semble mal convenir à la conjoncture actuelle.
    Aussi avons-nous l'un des taux de chômage les plus élevés de l'Union européenne, même supérieur à celui de notre voisin allemand dont nous connaissons pourtant les graves difficultés.
    Vous parlerez du passé. Nous disons, pour notre part, que vous en portez, au bout d'un an au Gouvernement, la pleine responsabilité. Comment, dans ces conditions, croire à vos prévisions ? Y croyez-vous vous-même ? Nous avons tous été frappés à la commission des affaires sociales l'autre jour, des réserves que vous émettiez sur la possibilité d'atteindre l'objectif de baisse du taux de chômage, sur lequel table le COR à 4,6 % en 2010. Car, pour financer les 10 milliards qui manquent à votre plan de financement pour le régime général, vous tablez vous aussi sur cette baisse du chômage. D'ores et déjà, vous avez repoussé cette échéance à 2020. Où trouverez-vous les financements nécessaires si ce n'est pas sur les économies que vous comptez réaliser sur les cotisations chômage ?
    M. Philippe Vuilque. Pari risqué !
    M. Gaëtan Gorce. Si j'ai mal compris, vous vous répéterez, monsieur le ministre. Après tout, la pédagogie, c'est la répétition !
    J'espère simplement n'être pas obligé, après vous avoir entendu à nouveau, de répéter à mon tour mes questions et mes arguments parce que vos explications auraient été insuffisantes. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Yves Durand. Je crains que si !
    M. Gaëtan Gorce. Il en est de même pour les fonctions publiques : votre réforme ne permet pas d'équilibrer les régimes.
    Pour la fonction publique d'Etat, le besoin de financement n'apparaîtra pas clairement puisqu'il est intégré dans le budget général.
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Vous voulez donc une caisse spécifique pour la fonction publique ?
    M. Pascal Terrasse. Il n'a pas dit ça !
    M. Gaëtan Gorce. Monsieur le rapporteur, vous aurez largement l'occasion de vous exprimer dans ce débat, plus que je ne pourrais le faire !
    M. le président. Continuez, monsieur Gorce, ne vous laissez pas interrompre !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Oui ou non ?
    M. Gaëtan Gorce. Aussi, je vous demande de ne pas m'interrompre. D'ailleurs, à la différence d'autres parlements, ce n'est pas la tradition ici ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. Seul M. Gorce a la parole !
    M. Gaëtan Gorce. Monsieur le président, nous avons eu droit tout à l'heure à des remarques sur le comportement de l'opposition pendant qu'intervenaient les orateurs de la majorité et le Gouvernement. J'observe qu'elles pourraient s'appliquer à la majorité qui n'hésite pas à multiplier les interruptions !
    M. le président. Tout s'est bien passé jusqu'à présent, poursuivez !
    M. Gaëtan Gorce. Pour la CNRACL, vous devez être en mesure de nous fournir les prévisions à court et à moyen terme sur la situation de cette caisse, avant et après la réforme. Il convient que vous nous disiez, dès à présent, dans le cadre de ce débat sur les retraites, les mesures que vous avez envisagées pour assurer l'équilibre de ce régime dans les années qui viennent. Je ne doute pas que vous aurez à coeur de nous apporter des précisions sur ce point, dont vous savez qu'il préoccupe tout particulièrement les élus locaux. Je doute cependant que vous puissiez le faire, d'autant que les collectivités locales doivent d'ores et déjà se préparer à un alourdissement de leurs charges lié au processus de décentralisation.
    M. Yves Durand. Eh, oui !
    M. Gaëtan Gorce. Vous vous êtes, en effet, engagé dans une impasse en refusant a priori toute augmentation nette des prélèvements pour financer les retraites. Dès lors, deux options seulement sont possibles.
    Soit vous vous y refusez parce que au-delà du discours, vous n'êtes pas réellement déterminés à garantir le régime par répartition en y affectant les ressources nécessaires - je note à cet égard que le fonds de réserve que nous avons doté, pour notre part, de plus de 12 milliards d'euros en dix-huit mois et que vous n'avez abondé que d'à peine 4 milliards, est le grand oublié de votre dispositif - et, dans ce cas, il n'est plus possible de vous créditer, comme vous le faites, d'une véritable volonté politique.
    Soit, au contraire, vous ne voulez pas annoncer aujourd'hui les hausses de prélèvements qui seront inévitables, en partie pour ne pas engager le débat sur la manière dont cet effort pourrait être partagé.
    Et, dans ce cas, il n'est plus possible de vous créditer du courage que vous prétendez avoir. D'autant que, dans cette hypothèse, tout le poids de l'effort, à travers la hausse des cotisations, reposera sur les salaires, alors que nous pensons que celui-ci doit être équitablement partagé entre le travail et le capital, entre les entreprises et les ménages, entre les actifs et les inactifs.
    A moins que vous ne vouliez réserver cette hausse des prélèvements au financement de la seule assurance maladie. Dois-je préciser que notre inquiétude sur le financement des retraites est d'autant plus vive que nous constatons une dégradation des comptes de l'assurance maladie sans précédent dans l'histoire de la sécurité sociale ? Le déficit du régime général pour l'assurance maladie pourrait avoisiner en 2004 celui que l'on prévoit en 2020 pour les retraites. Face à cette crise, nous n'avons entendu jusqu'à présent que des propos lénifiants ou des menaces à peine voilées sur les remboursements, comme celles contenues dans le rapport Chadelat.
    Nous avons bien compris que le Gouvernement voulait saucissonner les débats. Nous savons que l'assurance maladie ne relève pas de votre responsabilité. Pour autant, monsieur le ministre des affaires sociales, la sécurité sociale forme un tout, et vous devez des éclaircissements à la représentation nationale sur vos intentions à son sujet. L'inquiétude sur les retraites ne peut qu'être avivée par la déshérence dans laquelle semble être tombé le dossier de la maladie. J'espère que vous aurez à coeur de nous donner toutes les informations nécessaires pour que nous ayons une vue globale de la protection sociale à l'occasion de ce débat sur les retraites.
    Mme Elisabeth Guigou. Il le faut !
    M. Gaëtan Gorce. Le vrai débat ne consiste pas seulement à discuter les propositions faites par l'opposition : il faut également que vous nous éclairiez sur la manière dont l'ensemble de notre système de sécurité sociale va évoluer et sera financé.
    Mme Elisabeth Guigou. Bien sûr !
    M. Gaëtan Gorce. J'espère surtout que vous serez cohérent avec vous-mêmes et pourrez nous assurer et nous démontrer que vous parviendrez à remédier au déficit de l'assurance maladie sans hausse des prélèvements, puisque, par principe, vous vous y refusez pour les retraites...
    M. Philippe Vuilque. Comment vont-ils faire ? Cela nous intéresse !
    M. Gaëtan Gorce. ... parce que cela nuirait à la compétitivité de notre pays. Comment pourriez-vous justifier une hausse des prélèvements pour l'assurance maladie, alors qu'elle aurait les mêmes effets sur notre économie ?
    Mme Elisabeth Guigou et M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Bonne question !
    M. Gaëtan Gorce. Je souhaiterais donc des éclaircissements sur tous ces points : aux questions que vous nous posez, monsieur le ministre, je me permets d'en ajouter quelques-unes à votre intention.
    Convenez que votre projet comporte, comme je viens de le montrer, trop d'incertitudes et trop d'ambiguïtés pour ne pas être rediscuté !
    Mais sur quelles bases ?
    Reconnaissons tout d'abord que nous partons d'un constat commun : la démographie comme l'allongement de l'espérance de vie rendent nécessaires des réformes si l'on veut préserver le principe de la répartition.
    Je me répète, certes, mais je ne peux pas vous laisser dire, monsieur le ministre, que les socialistes seraient opposés par principe à une réforme des retraites qui s'engagerait dès cette année, qu'ils voudraient finalement garder le statu quo par je ne sais quel immobilisme.
    Oui, nous voulons une réforme, mais une réforme négociée.
    Reconnaissons ensuite ensemble qu'il n'existe pour réaliser cette réforme que trois solutions : l'allongement de la durée de cotisations, l'augmentation des prélèvements et la baisse des pensions. Pour notre part, nous refusons cette dernière. C'est notre premier désaccord. Mais vous-même, en privilégiant la première, en refusant la deuxième, vous aboutissez naturellement et inéluctablement à la troisième.
    M. Michel Françaix. Très bien !
    M. Gaëtan Gorce. Et ce, de manière d'autant plus critiquable que votre démarche est inavouée, masquée, occultée.
    Or, nous considérons qu'il s'agit là de la question centrale, du noeud du problème : il ne suffit pas de dire qu'il faut garantir un niveau élevé de pension, il faut dire aux Français de quel niveau il s'agit et comment y parvenir. C'est notre deuxième point de désaccord.
    Nous pensons en effet, instruits par les exemples étrangers, que la négociation - une négociation complète sans tabou, qui ne laisse rien de côté - doit constituer l'axe de toute réforme. Elle est d'ailleurs la condition de sa réussite. Nous pensons enfin - et c'est peut-être là le désaccord le plus fort, le plus profond entre nous - qu'une réforme des retraites exprime un vrai choix de société, une certaine idée de la place de l'homme et du travail dans cette société. A cet égard, nous avons le sentiment que vous avez le regard tourné vers le passé, alors que nous voulons prendre en compte les mutations d'une société en mouvement, qui appelle effectivement le changement.
    Oui, monsieur le ministre, ne vous en déplaise, une autre réforme est possible.
    Depuis des semaines, vous ne cessez de nous dire qu'il n'existe pas d'autre voie que celle que vous avez choisie de suivre.
    M. François Brottes. C'est de la prétention !
    M. Gaëtan Gorce. Or, il existe une autre voie, parce que vous récusez a priori toute négociation qui permettrait d'explorer les autres pistes, mais surtout parce que vous avez fait de la question des prélèvements un tabou. Or ce dernier doit être impérativement levé. J'ai d'ailleurs indiqué tout à l'heure que vous n'auriez très vite d'autre choix que de le faire, mais vous vous refusez aujourd'hui à l'avouer !
    Lever ce tabou, c'est d'abord considérer réellement, et non d'un point de vue idéologique, les conditions d'une vraie compétitivité. Pas plus que l'allongement de la durée de cotisation, l'augmentation des prélèvements ne peut être la solution unique. Et nous ne l'avons d'ailleurs pas proposée. C'est une caricature que de prétendre le contraire.
    Mme Elisabeth Guigou. Bien sûr ! C'est une caricature !
    M. Gaëtan Gorce. Les socialistes ne considèrent pas que l'augmentation des prélèvements soit la solution pour résoudre l'ensemble de la question des retraites. Contrairement à ce que dit le Premier ministre, qui connaît sans doute mal l'histoire de notre organisation et ses engagements, nous avons le souci de l'intérêt national. Or l'exigence de solidarité doit être sans cesse confrontée avec le défi de l'efficacité et concilié avec celui-ci.
    M. Philippe Vuilque. Très bien !
    M. Gaëtan Gorce. Cela doit-il pour autant nous empêcher d'envisager d'affecter des ressources nouvelles en faveur de nos retraites par répartition, alors que celles-ci n'ont cessé, en une trentaine d'années, d'occuper de plus en plus de place dans notre PIB, passant de six points à plus de douze points.
    Mme Elisabeth Guigou. Bien sûr que non !
    M. Gaëtan Gorce. La première condition est, par conséquent, que cette évolution reste mesurée. Nous en sommes d'accord. Toutefois, la préoccupation de notre compétitivité n'exclut nullement, sous réserve de cette condition, d'y recourir.
    Permettez-moi de vous signaler à cet égard que notre compétitivité dépend autant - sinon plus - de l'effort de recherche et de développement, de l'effort d'investissement des entreprises, de l'effort de formation initiale et continue, et de l'introduction des nouvelles technologies que du niveau des prélèvements.
    M. Patrick Ollier. Vous ne l'avez pas démontré en cinq ans !
    M. Gaëtan Gorce. Merci, monsieur Ollier, de rappeler que toutes les économies que le Gouvernement fait - avec le soutien de la majorité - dans tous ces budgets qui ont subi des coupes claires, qu'il s'agisse de celui de la recherche ou de celui de l'éducation, portent des coups terribles à notre compétitivité,...
    M. Michel Françaix. Eh oui !
    M. Gaëtan Gorce. ... surtout si l'on sait que nous accusons dans ces domaines, et en particulier celui de l'innovation, un retard sensible par rapport aux Etats-Unis, qui coûte près d'un point de PIB.
    La deuxième condition est que cette évolution s'inscrive dans un pacte de croissance. Et c'est là où nous sommes en désaccord avec la politique économique que vous conduisez. Nous aurons l'occasion d'en reparler.
    La troisième condition est que cette évolution soit partagée, c'est-à-dire qu'elle soit équitablement répartie entre les ménages et les entreprises, les actifs et les inactifs, les revenus du travail et ceux du capital. Qui peut nier que nous disposons à cet égard de marges de manoeuvre. Certaines sont symboliques : je pense en particulier à l'impôt de solidarité sur la fortune, dont le produit pourrait être affecté au financement des retraites, ce qui serait sans doute un bon moyen de le préserver des réductions que vous voulez accorder à ceux qui le paient. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Yves Durand. C'est ça la vérité !
    Mme Elisabeth Guigou. C'est sûr !
    M. Gaëtan Gorce. D'autres, plus pratiques, touchent aux prélèvements sur les revenus du capital et du patrimoine.
    De l'avis même des experts que vous citez à cette tribune pour vous opposer à nos propositions, ces prélèvements sont sous-taxés en France et en Europe. Y recourir présenterait l'avantage, s'ils sont augmentés, de répondre à l'exigence de justice et de ne pas affecter les entreprises et donc la compétitivité. Tripler la contribution sur les revenus du capital et du patrimoine pourrait rapporter de l'ordre de 4 à 5 milliards d'euros supplémentaires.
    M. Pascal Terrasse. C'est vrai !
    M. Guy Drut. Et cela en ferait perdre combien ?
    M. Gaëtan Gorce. Faut-il enfin récuser toute augmentation des cotisations ? D'autant moins que vous le faites vous-même, même si ce n'est pas ouvertement. Faut-il augmenter la CSG ? S'il y a récusation, il faudra que ce soit aussi le cas pour l'assurance maladie, comme cela l'a été pour l'assurance vieillesse. Car enfin, le principe de compétitivité est un principe qui ne se divise pas en fonction des charges sociales et selon le régime qu'il faut financer.
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Cela s'additionne !
    M. Gaëtan Gorce. Il s'agit de choix à faire. En ce qui concerne l'assurance maladie, vous avez fait des choix depuis un an qui n'ont fait qu'accélérer son déficit. (« Très juste ! » sur les bancs du groupe socialiste.)
    Mme Elisabeth Guigou. C'est vrai !
    M. Gaëtan Gorce. Je rappelais tout à l'heure ce que déficit est équivalent à celui du régime de retraite annoncé pour 2015 et qu'il est historiquement le plus élevé que ce pays n'ait jamais connu. C'est le bilan de votre politique au bout d'un an de responsabilités ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. Philippe Vuilque. Il faut le rappeler !
    M. Gaëtan Gorce. Je sais bien que votre discours est prêt et que vous allez nous accuser, comme vous l'avez fait à l'instant, de vouloir écraser le pays d'impôts et de menacer ainsi des millions d'emplois. Vous allez nous accuser de vouloir « charger la barque » en proposant par exemple de porter le minimum contributif à 100 % du SMIC, soit 3 milliards d'euros supplémentaires,...
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Pourquoi n'y avez-vous pas touché pendant cinq ans ?
    M. Gaëtan Gorce. ... ou de permettre le départ à quarante annuités sans condition d'âge, ce qui représente 8 milliards d'euros supplémentaires.
    Pourtant, ces mesures ne sont-elles pas des mesures de justice ? Ne serait-il pas normal de les intégrer dans la balance, pour autant que la négociation puisse se voir confier le soin de fixer le point d'équilibre ?
    Que vaut l'argument du Gouvernement quand il nous accuse ainsi de porter un coup majeur à nos finances publiques, alors que nous proposons de déplacer simplement 10 milliards d'euros, somme à comparer aux 30 milliards d'euros de réductions d'impôts promises par le Président de la République à l'occasion de la dernière élection présidentielle ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Jean Le Garrec. Très juste !
    M. Gaëtan Gorce. S'il nous est impossible de proposer une dépense de 10 milliards d'euros pour les quinze prochaines années, alors qu'en est-il d'une dépense fiscale trois fois supérieure pour les quatre années à venir ?
    M. Philippe Vuilque. C'est un choix !
    M. Gaëtan Gorce. Et si le budget, à l'inverse, peut absorber une telle dépense fiscale, pourquoi ne pourrait-il tolérer un effort trois fois moindre pour les retraites (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste),...
    M. Jean Le Garrec. Très bien !
    M. Gaëtan Gorce. ... surtout si l'on propose d'affecter ces baisses d'impôts au financement de nos retraites ?
    Oui, nous pensons que ces 30 milliards d'euros annoncés par le Président de la République, si soucieux cette fois-ci de tenir ses promesses, seraient mieux employés à financer les retraites qu'à alimenter l'épargne déjà surabondante des couches les plus aisées de notre population ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. Bernard Roman. C'est bien cela, c'est un choix !
    M. Gaëtan Gorce. Cet effort partagé suppose naturellement d'être négocié. C'est la deuxième différence entre nous, et elle est fondamentale.
    Vous ne pouvez pas nous présenter, j'ai déjà eu l'occasion de vous l'indiquer, votre projet comme un succès de la négociation. J'observe d'ailleurs que, bien que vous fassiez sans cesse allusion dans vos discours à la réforme de la démocratie sociale et au recours à l'accord majoritaire, ces belles déclarations d'intention cèdent très vite devant les réalités politiques...
    M. René Couanau. Ne dites pas cela !
    M. Gaëtan Gorce. ... et que certaines pratiques connues font leur réapparition. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) On accepte vite un accord minoritaire lorsqu'on estime qu'il peut permettre de réaliser rapidement une réforme ou un projet. On en revient vite à la division syndicale lorsqu'elle peut présenter un avantage pratique dans un débat social et politique.
    Nous faisons pour notre part un raisonnement radicalement différent. Parce qu'il est un contrat passé entre les générations, parce qu'il est un élément constitutif de notre modèle de société, notre système de retraite ne peut et ne doit être réformé qu'avec l'accord le plus large.
    J'ai dressé précédemment la liste des questions non réglées par votre projet et qui auraient pu être précisées par la voie de la négociation. Quel équilibre trouver entre les trois curseurs que sont l'allongement de la durée de cotisation, l'ajustement des pensions et l'augmentation des prélèvements ? Comment garantir le niveau de retraite le plus élevé et quel doit être ce niveau ?
    Au-delà de ces questions cadres, la négociation devrait permettre d'inscrire la réforme des retraites dans une stratégie concertée sur le travail et sur l'emploi. C'est dans cet esprit que nous proposons que soit mis en place un pacte national pour le travail et pour l'emploi. Oui, c'est ce pacte qui fait défaut aujourd'hui à votre politique. Il viserait à préciser les conditions à partir desquelles un contre-choc sur l'emploi pourrait répondre au choc démographique qui affecte nos retraites. Il devrait à l'évidence constituer un préalable à l'adoption et à la mise en oeuvre d'une réforme portant spécifiquement sur les retraites. Nous proposons pour notre part que ce pacte soit ordonné autour de trois grands principes.
    D'abord, il faut améliorer les conditions de travail de manière générale, lesquelles se sont régulièrement dégradées depuis une trentaine d'années. Toutes les études dont nous disposons montrent que le nombre de salariés soumis à une pression forte, victimes du stress ou ne connaissant pas a priori leurs horaires de la semaine ou du jour même n'a cessé d'augmenter au cours de ces trente dernières années.
    Plus globalement, cette discussion devrait permettre d'aborder celle, prioritaire en matière de retraite, de la pénibilité.
    M. René Couanau. Ben voilà !
    M. Gaëtan Gorce. Nous proposons pour notre part que cette discussion, je le répète, soit un préalable et que la question de l'allongement de la durée de cotisation, dans le public comme dans le privé, y soit étroitement liée. Ensuite, l'égalité de traitement entre les cotisants est une question clef, mais elle ne peut être abordée selon le seul critère des statuts, privés ou publics, qui n'ont aucune incidence sur la réalité des tâches effectuées. Elle doit être traitée en fonction des métiers. De préférence à l'équité, concept vague et ambigu qui recouvre votre projet, nous préférons la notion d'égalité de traitement, laquelle doit se décliner au moins à trois niveaux.
    D'abord, l'égalité entre les catégories professionnelles plaide pour la prise en compte de la situation des salariés qui ont cotisé quarante annuités, en commençant généralement très tôt leur carrière professionnelle. La gauche a effectué de réelles avancées ces dernières années, notamment avec l'article 70 bis du projet de loi de finances pour 2002, créant l'allocation d'équivalent retraite qui garantit aux chômeurs en fin de droits et justifiant de 160 trimestres avant soixante ans une ressource ne pouvant être inférieure à 877 euros par mois, soit 5 750 francs net.
    Notre conviction est qu'il faut aller maintenant plus loin pour des raisons évidentes de justice et de solidarité.
    M. Yves Censi. Pourquoi maintenant ? C'était moins évident il y a deux ans ?
    M. Gaëtan Gorce. Cette première mesure devrait s'accompagner d'une meilleure prise en compte des critères de pénibilité, à moins de laisser se détériorer progressivement les possibilités de départs anticipés ouverts aujourd'hui aux invalides.
    Pour notre part, nous proposons une formule de bonification en fonction du temps passé dans les emplois pénibles. Il appartiendra à la négociation, branche par branche, de définir les catégories et, mieux encore, les emplois qualifiés de pénibles. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Léonce Deprez. C'est ce que nous allons faire !
    M. Gaëtan Gorce. Parallèlement, le fonds de réserve des retraites pourrait être alimenté par une modulation des cotisations vieillesse pour inciter les entreprises à la réduction du nombre d'emplois pénibles, ce qui permettrait d'agir en amont comme en aval du problème.
    M. Yves Censi. Vous ne l'aviez pas compris il y a deux ans ?
    M. Gaëtan Gorce. Force est d'observer que, dans ces domaines essentiels, votre projet est pratiquement muet pour ce qui est l'égalité.
    Mme Elisabeth Guigou. Totalement muet !
    M. Gaëtan Gorce. Une telle égalité suppose aussi que soient mieux pris en compte les aléas de carrière, à moins de faire de l'allongement de la durée de cotisation une machine infernale à transformer les jeunes retraités en vieux chômeurs. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Les changements des modes de travail se sont traduits par une précarisation accrue pour les jeunes comme pour les plus âgés et par une instabilité des situations de travail. Une juste réforme des retraites ne saurait ignorer une telle situation. Nous proposons donc la validation des périodes non couvertes liées à ces aléas de carrière : périodes de chômage non indemnisées, périodes de stages d'insertion professionnelle pour les plus jeunes ou périodes de RMI ne donnant l'occasion d'aucune activité.
    Il faut savoir, par exemple, en ce qui concerne le temps partiel, que plus de 200 000 femmes sont employées aujourd'hui moins de seize heures par semaine, c'est-à-dire qu'elles effectuent des périodes de travail qui ne donnent droit à aucune validation, et que des enquêtes effectuées à deux ans d'intervalle ont montré que, deux ans plus tard, ces mêmes femmes occupent les mêmes emplois et, par conséquent, ne se constituent aucun droit à la retraite. Une réforme des retraites ne peut ignorer une telle situation.
    Une approche en termes d'égalité de traitement conduit enfin à proposer de surseoir à toute décision sur la durée de cotisation, voire sur la décote, avant la conclusion d'une négociation sur la pénibilité et les aléas de carrière, qui doit permettre de mesurer clairement les incidences, sur les carrières et les niveaux de pension, des mesures que vous préconisez.
    Je le répète, il n'est pas normal que la négociation sur les retraites, que vous avez menée en quelques heures, ait abouti sans que ces questions aient été non pas seulement évoquées mais traitées, et que les solutions proposées ne nous permettent pas d'engager une discussion complète et équilibrée.
    Le second axe du pacte national pour l'emploi que nous proposons devrait avoir pour objet de traiter la question fondamentale du maintien ou du retour au travail des salariés âgés de plus de cinquante ans.
    L'allongement de la durée de cotisation ne peut avoir que des conséquences dramatiques si cette question n'est pas réglée préalablement. La manière dont votre projet se défausse sur cette question est inacceptable.
    Rappelons tout d'abord les données. Le taux d'activité des cinquante - cinquante-neuf ans ne cesse de diminuer depuis vingt-cinq ans et il est passé de 82 à 68 % chez les hommes entre 1975 et 2000, et pour l'ensemble de la population de 62 à 59 %, contre 65 % en Allemagne, 70 % aux Etats-Unis et 82 % en Suède. A cinquante-neuf ans, seul un tiers des actifs sont occupés, ce qui signifie que les deux tiers des salariés atteignent soixante ans après avoir déjà cessé toute activité professionnelle - dont un tiers pour cause du chômage et un cinquième pour cause de préretraite. Or le nombre de salariés concernés par ces situations intermédiaires ne va cesser d'augmenter au cours des années à venir. Les hommes de cinquante-cinq - cinquante-neuf ans sont 1 100 000 aujourd'hui ; ils seront au moins 400 000 de plus en 2015. Quant aux femmes entre cinquante-cinq et cinquante-neuf ans, elles sont 750 000 aujourd'hui et elles seront deux fois plus nombreuses en 2015.
    La conclusion s'impose d'elle-même : sans une politique particulièrement dynamique, le processus se poursuivra parce qu'il rencontre le souhait des entreprises, voire, parfois, celui des salariés, et il se traduira par une dégradation sensible des conditions de vie et de ressources des salariés de cette tranche d'âge, sommés de choisir entre un chômage mal indemnisé ou une retraite anticipée, amputée par les effets de la décote de votre réforme.
    M. Philippe Vuilque. Eh oui !
    M. Gaëtan Gorce. C'est la raison pour laquelle nous proposons que l'allongement de la durée de l'activité passe avant celui de la durée de cotisation. C'est d'autant plus justifié que, selon les travaux du COR, une augmentation d'un an de la durée d'activité contribuerait pour 10 à 15 % des besoins de financement des retraites à l'échéance de 2020.
    Cela suppose une action volontariste des pouvoirs publics dans un cadre négocié. Cette volonté sera d'autant plus nécessaire qu'elle se heurtera à des résistances fortes. Les entreprises, bien qu'elles réclament par la voie de leurs organisations professionnelles un allongement de la durée de cotisations, n'ont de cesse d'avancer l'âge à partir duquel elles se séparent de leurs salariés.
    M. Philippe Vuilque. C'est le double langage du MEDEF !
    M. Gaëtan Gorce. Les salariés eux-mêmes ont totalement modifié leur perception de ces mesures, aujourd'hui vécues par nombre d'entre eux comme une opportunité positive, comme un droit. Cette double pression s'est traduite par la mise en oeuvre de dispositifs successifs : l'ASFNE par l'Etat en 1993, l'ARPE par l'UNEDIC en 1995 et maintenant les CATS, chaque interlocuteur prenant le relais de celui qui se révèle peu à peu défaillant au regard du coût et de l'ampleur de ces mesures. Au point que 500 000 personnes sont aujourd'hui concernées par des formules de préretraite ou dispensées de recherche d'emploi.
    Cette volonté devra se traduire par une série d'initiatives étroitement coordonnées.
    La première touche aux conditions de travail et à la pénibilité, et elle nous renvoie à nos réflexions précédente tant il est vrai que l'amélioration de la qualité de vie au travail est de nature à réduire le phénomène d'usure et de lassitude. Comment d'ailleurs, à cet égard, ne pas observer le rôle positif qu'a pu jouer la réduction du temps de travail à 35 heures ?
    La deuxième initiative devra porter sur la formation continue. La reconnaissance d'un droit à la formation tout au long de la vie doit permettre de lutter contre un processus qui exclut les salariés les plus âgés des plans de formation. Je rappelle pour mémoire que les salariés de cinquante à soixante-quatre ans ont un taux d'accès à la formation continue près de deux fois plus faible que celui des salariés âgés de vingt-cinq à quarante-neuf ans. Dans le même esprit, la validation des acquis de l'expérience professionnelle constituera l'outil indispensable pour favoriser des orientations professionnelles.
    La troisième initiative devra consister en une incitation forte adressée aux entreprises et aux branches professionnelles à négocier sur les questions de pénibilité et d'adaptation des emplois à l'évolution de l'âge des salariés. On peut d'ailleurs, à cet égard, s'interroger sur le devenir de la contribution Delalande : faut-il la remettre en cause, modifier ses conditions d'attribution, diminuer les seuils, comme vous le proposez dans le texte, ou faut-il au contraire l'augmenter, considérant qu'elle aurait pour effet de dissuader plus fortement le licenciement des salariés âgés ? Ce débat mérite d'être lancé.
    La quatrième initiative devra porter sur le retour au plein emploi, sans lequel il est impossible d'envisager une quelconque évolution en la matière.
    La cinquième initiative devra consister en une mobilisation forte de l'ANPE pour favoriser, à partir d'une approche la plus individualisée possible, le retour à l'emploi des chômeurs âgés. On sait que les probabilités de retour à l'emploi sont faibles au-delà de cinquante ans. L'ancienneté moyenne au chômage est ainsi de vingt-cinq mois pour un chômeur de plus de cinquante ans, contre treize mois pour l'ensemble des chômeurs : 62 % des chômeurs de plus de cinquante ans, sont au chômage depuis plus d'un an, contre 40 % pour les vingt-cinq - cinquante ans.
    La sixième initiative, enfin, devra favoriser toutes les formes de passage progressif à la retraite grâce à des formules que nous devons encourager.
    Naturellement, ce pacte pour l'emploi doit s'inscrire dans une logique de croissance, qu'il nous faut retrouver au moyen d'initiatives fortes, ce qui suppose que votre gouvernement agisse de manière plus coordonnée, plus déterminée et plus volontaire, à l'échelon européen, pour obtenir que des mesures soient prises pour soutenir la croissance européenne et pour soulager les contraintes du pacte de stabilité. Cela suppose également que des initiatives soient prises pour soutenir la consommation, non à travers d'hypothétiques baisses de l'impôt sur le revenu, mais par le biais de l'activation de la prime pour l'emploi, qui touche dix millions de personnes et qui est de nature à soutenir directement la consommation de manière beaucoup plus efficace. (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    Cela implique également que, dans le cadre de ce pacte, des initiatives soient prises pour interrompre l'effet négatif des mesures qui, actuellement, jouent contre l'emploi. Je sais que cela ne relève pas directement de votre responsabilité, mais les responsabilités, dans ce gouvernement sont un peu interchangeables puisque nous avons vu M. Sarkozy s'occuper d'éducation.
    M. Michel Françaix. C'est le vice-Premier ministre ! (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Gaëtan Gorce. Ce serait une mesure juste et efficace, étant donné la recrudescence du chômage des jeunes, à laquelle nous assistons depuis un an et demi, et plus encore depuis que vous êtes aux responsabilités, que de suspendre la décision que vous avez prise de supprimer les aides-éducateurs au 1er juillet.
    M. Guy Geoffroy. C'est vous qui les avez supprimés !
    M. Gaëtan Gorce. Cela permettrait de maintenir dans l'emploi, plusieurs dizaines de milliers de jeunes salariés, qui autrement seront renvoyés au chômage du fait de votre décision. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    Ce dernier point me conduit à évoquer la troisième différence de fond qui nous sépare sur le dossier des retraites.
    Votre projet est tout entier bâti sur une vision de la société qui nous paraît aller au rebours des évolutions constatées et des attentes de nos concitoyens. Il repose sur l'idée d'un allongement de la durée de cotisations, que l'on peut mettre en parallèle avec l'allongement de la durée du temps de travail, que vous aviez proposé il y a quelques mois lors du débat sur la réduction du temps de travail. C'est l'affirmation, que vous avez reprise tout à l'heure, selon laquelle il ne serait pas possible d'associer le progrès économique et la baisse du temps travaillé, soit sur la semaine, soit sur l'année, soit sur la durée de la vie. Le Premier ministre n'a d'ailleurs pas hésité - il est vrai qu'il est en veine de déclarations ces derniers mois - à stigmatiser, comme Alain Juppé, une sorte de « culture de la paresse » qui se serait installée dans notre société...
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. C'est vrai !
    M. Gaëtan Gorce. ... et qui tendrait à instaurer une société du non-travail. (« Oh ! là ! là ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Je vous ferai tout d'abord remarquer que cette idée est contredite par les performances de notre économie.
    M. Jean-Pierre Brard. Eh oui !
    M. Gaëtan Gorce. Celle-ci est en effet soutenue par un taux record de productivité par salarié, taux plus élevé qu'aucun autre constaté dans les pays de l'OCDE.
    Mme Marylise Lebranchu. Très bien !
    M. Gaëtan Gorce. C'est-à-dire que les salariés français, contrairement à ce que vous prétendez, n'économisent ni leur peine, ni leur talent, ni leurs compétences. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Jean-Pierre Brard. Très bien !
    M. Gaëtan Gorce. Je m'inscris par conséquent en faux contre l'idée selon laquelle il faudrait que chacun travaille plus, non seulement parce que cette idée est contraire au mouvement séculaire qui a vu les gains de productivité bénéficier prioritairement à la baisse du temps de travail, mais aussi parce que notre société et notre économie sont de plus en plus organisées autour d'une valorisation du temps libéré, qui n'est pas seulement de l'oisiveté mais aussi de la valorisation du capital humain à travers le développement de la formation ou le développement de nouveaux secteurs d'activité tels que les services aux personnes, ou plus encore l'économie des loisirs ou du tourisme. Nos compatriotes, et c'est bien légitime, souhaitent consacrer plus de temps à leur vie personnelle, à leur famille, à leurs engagements. Et s'il existe une réticence si forte de la remise en cause de la retraite à soixante ans ou face à l'hypothèse d'un allongement des durées de cotisation, c'est que la période de retraite est de plus en plus assimilée à la fin d'une période de travail souvent jugée comme peu valorisante. Un temps où, grâce au gain d'espérance de vie, on devrait pouvoir profiter de soi-même, de ses proches, en quelque sorte de la vie.
    M. Jean-Pierre Blazy. Très bien !
    M. Gaëtan Gorce. Opposer à cette tendance forte une sorte de jugement moral constitue une erreur majeure et traduit en réalité une vision passéiste de notre société. Pour notre part, nous voulons y opposer une vision plus ouverte, résolument tournée vers l'avenir. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste.) Celle-ci passe, c'est vrai, par une revalorisation du travail. Mais la revalorisation du travail, ce n'est pas faire travailler plus, dans de plus mauvaises conditions, un nombre réduit de salariés. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    Revaloriser le travail c'est, d'une manière concrète, retrouver l'objectif perdu du plein emploi en l'associant à la recherche d'un emploi de qualité, c'est-à-dire à la lutte contre la précarité. Cela passe ensuite par une approche différente de l'articulation entre les différents temps de vie. La réduction du temps de travail a, en quelque sorte, montré le chemin.
    La réforme des retraites pourrait aller plus loin. Nous devons progressivement renoncer à une vision cloisonnée de la vie, séparée en cycles étanches : formation, travail et retraite. C'est le sens d'une mesure comme celle de la formation tout au long de la vie. Ce devrait être le sens de mesures telles que les retraites progressives sur lesquelles des discussions pourraient être engagées. De telles mesures sont de nature à faciliter les transitions entre l'emploi et la retraite, pour autant, naturellement, qu'elles s'inscrivent dans des cadres clairs, avec des références solides, notamment sur l'âge de soixante ans.
    Tout cela devrait ouvrir une perspective plus large pour permettre aux salariés, au fur et à mesure de l'évolution de notre société, de mieux partager sa vie entre son temps de travail et ses horaires pour concilier exigences professionnelles et exigences personnelles. Naturellement, ces évolutions devront rester encadrées par la loi et par la négociation. Nous sommes loin naturellement du caractère lourd et mécaniste de votre projet qui, en jouant uniquement sur l'allongement de la durée de cotisation pour tous et sans distinction, ignore ces mutations et ne répond pas aux attentes des Français.
    Ce constat est d'autant réaliste que ces mécanismes d'allègement pourraient être, avec le temps, encore aggravés. Vous prévoyez en effet des clauses de rendez-vous destinés à faire le point sur les différents paramètres de la réforme. Or, le peu de crédibilité de vos hypothèses économiques et d'emploi laisse craindre qu'à l'échéance, l'allongement de la durée des cotisations soit encore accentué pour compenser le manque à gagner que la persistance d'un chômage élevé aura provoqué et qu'une hausse de cotisations ne suffira pas à couvrir.
    Monsieur le ministre, dans votre intervention devant la commission des affaires sociales la semaine dernière, vous avez dit que ce projet devrait rassembler.
    Vous avez eu raison d'employer le conditionnel car ce qui devrait être, malheureusement n'est pas ! Est-ce encore possible ? Nul doute que ce soit nécessaire. Presque partout ailleurs en Europe, j'ai eu l'occasion de l'indiquer, une telle réforme s'est effectuée par le consensus. Il ne tient aujourd'hui qu'à vous : rouvrez sans délai les négociations et vous verrez qu'il existe dans ce pays...
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Ce pays, c'est la France !
    M. Gaëtan Gorce. ... plus d'organisations syndicales et politiques ouvertes à l'esprit de réforme que vous ne le croyez ou plutôt que vous ne le prétendez !
    Car, au fond, on peut s'interroger sur la sincérité de votre engagement à ce sujet. Au soir du conseil des ministres qui adoptait votre projet, vous laissiez entendre que vous étiez impatient d'en découdre avec l'opposition, comme s'il s'agissait moins d'un débat serein et fécond auquel vous aspiriez que d'une bataille, d'une confrontation dont vous attendiez une victoire politique.
    M. André Schneider. Nous avons été à bonne école pendant cinq ans !
    M. Gaëtan Gorce. Permettez-moi de vous dire qu'au regard du rapport des forces dans cette assemblée, la majorité représentant près des deux tiers des sièges, vous ne prenez pas grand risque. En revanche, vous prenez une lourde responsabilité à l'égard du pays puisque, sous les apparences du dialogue, vous avez fait le choix de la stratégie du conflit.
    M. Didier Migaud. A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire.
    M. Jean-Jacques Descamps. Ce sont les urnes qui ont décidé !
    M. Jean-Pierre Brard. Retournons aux urnes !
    M. Gaëtan Gorce. Nos compatriotes, d'ailleurs, ne s'y trompent pas. Ils continuent à ne pas vous faire confiance, d'une manière générale, sur les dossiers sociaux, et encore moins quant à votre capacité à mettre en oeuvre des réformes plus justes, équilibrées des retraites. Tous les sondages le confirment.
    Vous prétendez classer ce dossier en accélérant le temps politique, le temps parlementaire, alors que le temps social n'est pas même achevé. Vous voulez vous appuyer sur votre majorité parlementaire toute acquise a priori...
    M. Patrick Ollier et M. Guy Geoffroy. Tout à fait !
    M. René Couanau. Et solidaire !
    M. Gaëtan Gorce. ... alors que vous n'avez pas su convaincre une majorité de Français et que vous avez mobilisé contre vous une majorité de salariés.
    M. le président. Monsieur Couanau, laissez l'orateur terminer.
    M. Patrick Ollier. Qu'il nous respecte alors !
    M. le président. L'orateur va vous respecter comme il va respecter son temps de parole.
    M. Didier Migaud. Si on le laisse parler !
    M. Gaëtan Gorce. Je redoute qu'en réalité, monsieur le ministre, vous n'ayez d'autre objectif que de combattre et d'affaiblir le mouvement syndical et occasionnellement votre opposition politique.
    Je le répète, il s'agit là d'une stratégie à court terme et qui ne vous apportera que des satisfactions de courte durée. Pour notre part, nous considérons que votre projet ne règle pas l'essentiel, à savoir le niveau des retraites.
    Nous proposons que cette question, qui doit être l'axe de la négociation, soit abordée clairement pour être réglée. Sinon, un doute s'installera dans l'esprit des assurés qui fragilisera l'ensemble du système, provoquera des turbulences et ébranlera par conséquent la solidarité entre les générations.
    La détermination de ce niveau de retraite acceptable doit résulter de la négociation et du débat. Elle doit intervenir après qu'auront été prises en compte ses conditions et ses conséquences.
    En clair, les Français doivent pouvoir choisir entre deux types d'options :
    D'une part, quel niveau de prélèvements et de cotisations sont-ils prêts à accepter pour assurer un niveau élevé de retraites ou bien quel niveau de pension sont-ils prêts à accepter pour éviter une augmentation trop sensible de leurs prélèvements ?
    D'autre part, quelle part de ces prélèvements doit être affectée à la solidarité et quelle part consacrer au maintien du niveau des pensions ?
    Il s'agit là de véritables questions que vous n'avez pas tranchées, faute d'avoir accepté de les regarder de front. Elles sont indissociables d'une deuxième série de préoccupations : comment garantir le retour au plein emploi d'ici à 2010 ?
    Cette question est cruciale d'un double point de vue : y répondre commande d'abord votre capacité à financer votre projet qui, sans cela, ne pourra être équilibré que par la hausse massive des cotisations que vous prétendez par ailleurs refuser par un nouvel allongement de la durée de cotisations. Y répondre est ensuite une exigence de justice et de solidarité. Ce sera le seul moyen d'éviter que l'allongement de la durée de cotisations ne se traduise par un allongement de la période de chômage.
    A cette question du plein emploi, vous n'apportez qu'une réponse imprudente et peu crédible liée à une évolution mécanique du taux de chômage. Pari hasardeux qui ne devrait pas vous conduire à faire l'économie d'une vraie politique de l'emploi dont un an après votre entrée en fonction, nous attendons toujours les prémices.
    Vous avez d'ailleurs, pour éviter d'avoir, sur ce sujet comme sur d'autres, à vous expliquer, multiplié les mises en cause contre l'opposition. Vous l'avez encore fait tout à l'heure. Mais la démocratie s'est toujours bâtie sur l'existence d'une majorité et d'une opposition. Je regrette que vous ayez parfois du mal à vous y faire ! Et ce, d'autant plus que l'opposition pousse l'impudence jusqu'à ne pas approuver toutes les mesures que vous nous présentez et à ne pas considérer que vous ayez raison en tout. (« C'est vrai ! » sur les bancs du groupe socialiste.)
    La vigueur de vos attaques témoigne au moins que, passé un délai décent après l'élection de l'an dernier, l'opposition est de retour. (« Ah ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Cette opposition se veut non seulement ferme et sans concession, mais aussi responsable et constructive.
    Oui, une réforme des retraites est nécessaire. Elle doit être décidée et conduite au cours de cette année. Oui, elle appellera des efforts et parfois et parfois des sacrifices, mais elle doit, pour durer, reposer sur la négociation et la recherche du consensus. Elle doit, pour être acceptée, s'appuyer sur des objectifs clairs...
    M. René Couanau. Et lucides !
    M. Gaëtan Gorce. ... qui fui font aujourd'hui défaut, afin que les efforts soient équitablement partagés et les sacrifices compensés par de véritables contreparties.
    Réformer, monsieur le ministre, ce n'est ni régler des comptes, ni solder des différends, ni mégoter des acquis, ni dénoncer des avantages ou des privilèges !
    Réformer, c'est ouvrir pour tous une perspective, c'est fixer un horizon où un nouvel équilibre plus juste aura été proposé pour régler le problème d'aujourd'hui.
    Réformer, c'est d'abord convaincre le pays de la nécessité de la réforme, puis de son équité. C'est, au fond, dépasser des blocages et non les ressusciter !
    Non, monsieur le ministre, le grand débat national sur les retraites ne doit pas se réduire à un affrontement entre les pouvoirs publics et la majorité des syndicats ou entre la majorité et l'opposition.
    Renoncez à la stratégie du bunker qui vous fait croire que, parce que vous auriez obtenu l'assentiment de cette assemblée, vous auriez celui du pays. La situation est plus grave que vous ne le pensez et elle laissera des blessures profondes !
    Il est encore temps de suivre un autre chemin, de refuser le rapport de force, de saisir les mains tendues. Et si vous ne jugez pas utile de faire ce geste, monsieur le ministre, j'invite l'Assemblée à le faire à votre place en votant la motion de renvoi en commission. (Applaudissements prolongés sur les bancs du groupe socialiste.)

Demande de vérification du quorum

    M. Alain Bocquet. Monsieur le président...
    M. le président. Monsieur Bocquet, je sais que les présidents de groupe ont un droit acquis au rappel au règlement, mais nous allons passer aux explications de vote. Donc, à moins que cette motion de renvoi ne soit pas conforme au règlement...
    M. Alain Bocquet. Il ne s'agit pas d'un rappel au règlement, monsieur le président.
    M. Pierre-Louis Fagniez. C'est l'heure du quorum !
    M. le président. Je ne vous donne pas la parole, alors !
    M. Alain Bocquet. Avant que ne commencent les explications de vote, je veux invoquer l'article 61-2 du réglement. Le taux de « présentéisme » des députés de la majorité est en effet particulièrement faible.
    M. René Couanau. C'est l'heure du quorum !
    M. Pierre-Louis Fagniez. Effectivement !
    M. Alain Bocquet. J'ai noté qu'ils étaient à peine une quarantaine de présents, ce qui représente 10 % de leurs groupes respectifs, alors que les députés de l'opposition présents représentent 25 % de leurs groupes. (« Oui ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. Bernard Roman. Nous sommes étonnés en effet !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. C'est faux ! Nous sommes plus de cent !
    M. Robert Pandraud. Et ce sont les meilleurs !
    M. Alain Bocquet. C'est la preuve du manque d'engouement, d'une part...
    M. Jacques Desallangre. D'intérêt !
    M. Alain Bocquet. ... et d'intérêt, d'autre part, pour ce dossier particulièrement important pour l'avenir de la France.
    Mme Muguette Jacquaint. Il devrait y avoir une majorité de députés présents !
    M. Alain Bocquet. Je voulais que ce soit noté. C'est la raison pour laquelle vous comprendrez que je demande la vérification du quorum avant le vote sur la motion de renvoi en commission.
    M. le président. Monsieur le président Bocquet, votre voeu va être exaucé. Nous allons passer aux explications de vote et nous vérifierons à un autre moment...
    M. Alain Bocquet. Ah non !
    M. le président. Si !
    M. Alain Bocquet. Non, monsieur le président, il faut vérifier maintenant.
    M. le président. Pardonnez-moi ! Je vous ai donné la parole pour un rappel au règlement qui n'en était pas un, vous l'avez vous-même reconnu.
    Je vais donner la parole au rapporteur,...
    M. Alain Bocquet. Monsieur le président...
    M. le président. ... puis au Gouvernement.
    M. Bernard Roman. Monsieur le président, appliquez le règlement !
    M. le président. Après viendront les explications de vote, puis nous vérifierons le quorum.
    M. Alain Bocquet. Monsieur le président...
    Plusieurs députés du groupe socialiste. Il y a un règlement ! Appliquez le règlement !
    M. Manuel Valls. N'interprétez pas le règlement !
    M. Alain Bocquet. Monsieur le président, je vous prie de m'excuser...
    M. le président. Monsieur Bocquet, ce n'est pas vous qui choisissez...
    M. Alain Bocquet. Monsieur le président, permettez...
    Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Non !
    M. Jean-Pierre Brard. Vous n'êtes pas le président ! Ne parlez pas à sa place !
    M. Alain Bocquet. Monsieur le président, j'ai remarqué qu'il est d'usage que le président annonce le scrutin au cours des explications de vote.
    M. Bernard Roman. Bien sûr !
    M. Alain Bocquet. Donc, pour ne pas perdre de temps et ne pas faire d'obstruction, j'ai préféré...
    M. Manuel Valls. C'est une sage initiative !
    M. Alain Bocquet. ... avant même que les choses ne s'engagent, vous demander la vérification du quorum ! C'est tout simple !
    M. le président. Monsieur le président Bocquet, vous avez fait référence à l'article 61. Si vous en êtes d'accord, je vais vous le lire.
    M. Jean-Pierre Brard. Lentement !
    M. le président. « L'Assemblée est toujours en nombre pour délibérer et pour régler son ordre du jour. »
    Le deuxième alinéa prévoit que « les votes émis par l'Assemblée sont valables quel que soit le nombre des présents si, avant l'annonce lorsqu'il s'agit d'un scrutin public, ou avant le début de l'épreuve »... Je vais appliquer cet alinéa.
    Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Très bien !
    M. Henri Emmanuelli. Ce n'est pas vrai !
    M. le président. Je vais donner la parole à la commission, puis au Gouvernement. Viendront ensuite les quatre explications de vote et au moment de l'épreuve, c'est-à-dire avant que l'Assemblée ne soit interrogée, nous vérifierons le quorum. Il n'y a pas une énorme différence avec ce que vous demandez et j'applique le règlement. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. Bernard Roman. Ce n'est pas le règlement !
    M. Henri Emmanuelli. Ce n'est pas sérieux !
    M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
    M. Augustin Bonrepaux. Appliquez le règlement !
    M. le président. Monsieur Bonrepaux, vous avez un timbre de voix perçant. Nous avons tous une profonde estime pour vous mais essayez d'éviter d'éructer au sein de cet hémicycle ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) On peut se parler, dialoguer, point n'est besoin de s'invectiver ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Henri Emmanuelli. Nous allons demander une réunion de bureau !

Motion de renvoi (suite)

    M. le président. Vous avez la parole, monsieur le rapporteur.
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Monsieur le président, nous avons écouté attentivement la défense de la motion de renvoi en commission présentée par Gaëtan Gorce au nom du groupe socialiste.
    Je voudrais rappeler que la commission des affaires culturelles a travaillé avec une rare intensité : vingt et une heures de travail au cours de trois journées, pendant lesquelles 6 600 amendements ont été examinés dont 100 amendements du groupe socialiste. Cent amendements ont été adoptés.
    M. Jean-Pierre Brard. Ce ne sont pas les mêmes !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. M. Gorce prétend qu'il n'y a pas d'urgence à examiner l'avenir de nos régimes de retraite pour le sécuriser.
    Qu'il me soit permis de lui répéter ce qui a été déjà souligné, c'est-à-dire que dans deux ans et demi, à peine, ce sont plus de 300 000 retraités supplémentaires qui partiront à la retraite. Il y a donc bien une extrême urgence à réformer notre système de retraite. Sans cela, les retraites ne seront pas payées !
    M. Gorce, ensuite, évoque le dialogue social. Si le dialogue social a été rétabli dans le pays, ce que personne, aujourd'hui, ne conteste (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), il n'est pas inutile de rappeler les propos que tenaient les partenaires sociaux lorsque M. Gorce était dans la majorité. (Exclamations sur les mêmes bancs.)
    M. Jean-Pierre Blazy. Pas d'éructation !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Je citerai notamment Mme Notat, le 17 mai 2001 : « Le gouvernement Jospin ignore superbement les partenaires sociaux, comme s'il ne percevait pas leur rôle et leur utilité. Il préfère s'enfermer dans un tête-à-tête avec l'opinion publique, par sondage interposé ». Je pourrais aussi citer M. Thibault et d'autres leaders syndicaux incontestés.
    Je préfère en revenir au fond parce que c'est cela l'important. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Pascal Terrasse. On attend des réponses.
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Après une heure de remarques...
    M. Pascal Terrasse. Une heure et demie !
    M. Jean-Pierre Blazy. D'excellentes remarques !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. ... sur le projet du Gouvernement, M. Gorce a avoué que le Parti socialiste ne disposait d'aucun projet alternatif. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.) Le Journal officiel l'attestera.
    M. Bernard Roman. Il a dit le contraire !
    M. Philippe Vuilque. C'est faux !
    M. Didier Migaud. Il faut vous équiper d'un Sonotone !
    M. Pascal Terrasse. Quel autisme !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Il stigmatise une prétendue baisse des retraites, alors que c'est l'absence de réforme qui conduirait à terme à diviser le niveau des retraites par deux. Cela montre encore une fois la nécessité d'avancer dans l'examen de ce projet de loi puisque ce texte offre une garantie de taux de remplacement particulièrement importante, entre deux tiers et 75 %...
    M. Jean-Pierre Blazy. Le compte n'y est pas !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. ... et avec une garantie de 85 % pour le SMIC, ce qui constitue une authentique et très importante avancée sociale.
    M. Jean-Pierre Blazy. C'est insuffisant !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. L'indexation sur les prix représente, contrairement à la désinformation propagée par M. Gorce, une garantie de maintien du pouvoir d'achat des retraités pour aujourd'hui, demain et encore après-demain.
    Le groupe socialiste vante, et j'en suis particulièrement surpris, l'indexation du taux de remplacement sur la capitalisation. C'est dire son degré d'égarement aujourd'hui, comme le laisse clairement apparaître le discours de M. Gorce. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Jean-Pierre Blazy. Il éructe !
    M. Pascal Terrasse. C'est carrément hors sujet !
    M. le président. Laissez le rapporteur terminer !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Quand M. Gorce conteste le financement de l'avenir des retraites, c'est absolument sans aucune sincérité ni exactitude, et ce pour plusieurs raisons.
    M. Pascal Terrasse. Xavier Bertrand, lui, connaît le dossier ! Au secours Xavier Bertrand, reviens !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Personne ne peut nier qu'avec 300 000 départs à la retraite supplémentaires chaque année, il n'y aura pas nécessairement un mouvement en retour sur le chômage. Surtout, je citerai les propos du suppléant de M. François Hollande, au cours de la dernière législature, M. Roger Teulade.
    Plusieurs députés du groupe socialiste. René !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Excusez-moi, je ne suis pas un expert en histoire du Parti socialiste ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Plusieurs députés du groupe socialiste. On le sait !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. M. René Teulade, dans le rapport qu'il avait produit à la demande du gouvernement de Lionel Jospin, retenait des hypothèses infiniment plus optimistes que celles particulièrement prudentes que retient le Gouvernement.
    M. Pascal Terrasse. Parce qu'on avait une bonne politique de l'emploi !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Je me permettrai de poser deux questions au groupe socialiste. Est-il, oui ou non, favorable à l'allongement de la durée de cotisation dans le secteur public, et jusqu'à quel niveau ?
    M. René Couanau. Eh oui !
    M. Pascal Terrasse. C'est nous qui posons les questions !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Est-il, oui ou non, pour l'équité et à quel moment ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Quant au fonds de réserve pour les retraites, chacun sait qu'il a été créé par complaisance pour cacher l'inaction du gouvernement Jospin. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Plusieurs députés du groupe socialiste. Zéro ! Zéro !
    M. le président. Mes chers collègues, je vous en prie !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Le gouvernement actuel a abondé ce fonds de réserve car il agit sans préjugés : il agit avec pragmatisme. Cet outil existe et il a donc décidé de l'utiliser. Il l'a d'ailleurs abondé de 500 millions d'euros il y a quelques mois à l'occasion de la privatisation du Crédit lyonnais. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Vous avez raison, monsieur Gorce, l'allongement des cotisations procède d'un choix de société. Vous qui avez rapporté les lois Aubry sur les 35 heures, vous aviez déjà fait un choix de société en décidant délibérément de porter sur la valeur du travail un regard que nous ne partageons pas. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Henri Emmanuelli. Et l'augmentation du chômage en plus ? Vous êtes ridicule !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Vous avez, avec ces textes que vous avez élaborés en tournant le dos au dialogue social et qui ont été imposés aux partenaires sociaux qui n'en voulaient pas, conduit la France à une régression sans précédent (Protestations sur les bancs du groupe socialiste), à une régression quant à ses conditions de travail,...
    M. Henri Emmanuelli. C'est faux !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. ... et à sa productivité qui, alors qu'elle était de 3 % en 1997, a diminué de 1,6 % en 2002. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Jean-Pierre Blazy. Menteur !
    M. Henri Emmanuelli. Ridicule !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Dès lors, vous privez notre pays d'un moyen de financement social particulièrement important. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Jean-Pierre Blazy. Vos propos ne sont qu'éructations !
    M. Henri Emmanuelli. Ce que vous dites est grotesque ! Reportez-vous plutôt aux statistiques de l'OCDE !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Vous proposez, monsieur Gorce, de financer les retraites par une taxation du capital.
    M. Pascal Terrasse. Vous ne pouvez pas dire cela !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. A ce sujet, permettez-moi de citer la conclusion d'un article, très clair, paru ce matin dans Libération sous la plume des experts incontestés que sont MM. Cohen, Fitoussi et Pisani-Ferry ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Pascal Terrasse. On travaille avec eux !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Ils concluent leur article par ces mots : « La proposition de taxer le capital nous semble avoir tous les traits d'une tactique d'évitement, au lieu d'aider les Français à poser collectivement les termes d'un choix intergénérationnel. »
    Tout est dit !
    Enfin, mes chers collègues, l'allongement de la durée de cotisation, qui traduit le courage d'adapter les réalités du financement social du niveau de vie de ceux qui ont travaillé avec l'évolution de notre démographie et de l'espérance de vie, sans pour autant porter atteinte au niveau des cotisations,...
    M. Pascal Terrasse. Le choix du MEDEF !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. ... au pouvoir d'achat des salariés ou à celui des retraités...
    M. Jean-Pierre Blazy. C'est faux !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. ... est la seule voie possible.
    M. Michel Françaix. C'est bien connu, il n'y a qu'une voie en politique : le politiquement correct !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Je vais donc vous rappeler ce qui en a été dit par l'un des vôtres, celui qui, le premier, a ouvert le dossier en 1991, alors qu'il était Premier ministre, avec le Livre blanc sur les retraites...
    M. Yves Bur. Nous sommes des rocardiens !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Je veux parler de Michel Rocard qui, le 30 mai dernier, déclarait : « Cette réforme » - celle que nous présente François Fillon - « est indispensable pour éviter une baisse des pensions que personne ne souhaite... »
    M. Bernard Roman. Accoyer est rocardien !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. ... « et, dans les conditions actuelles, je ne vois pas comment aboutir à un texte moins douloureux. Je suis convaincu que, si nous, gouvernement d'orientation socialiste, étions en train de négocier, nous déboucherions sur un équilibre à peu près équivalent. » (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Plusieurs députés du groupe socialiste. N'importe quoi !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Vous en voulez encore ? Eh bien ! je vais vous en donner. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    S'agissant de l'augmentation de la CSG, que vous appelez de vos voeux - il est vrai que vous êtes des spécialistes en ce domaine -, Michel Rocard précise... (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. Mes chers collègues, écoutez M. Accoyer !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. A propos de l'augmentation de la CSG, M. Rocard affirme : « C'est extrêmement dangereux : cela aurait un coût pour notre économie et notre compétivité. Ce serait prendre un risque commercial terrible et donc exposer le pays à une hausse du chômage. Quand on met nos entreprises en faillite, elles licencient. Une hausse des prélèvements obligatoires serait complètement stupide, suicidaire même. » (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Je poursuis mes citations.
    M. Delors, le 2 juin 2003 : « Si j'étais député, je voterais le projet. » (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Kouchner, le 18 mai : « Les propositions de la gauche me semblent des propositions poudre aux yeux. Sur le fond, j'ai le sentiment que nous sommes du côté de l'immobilisme. » M. Kouchner a raison. (Exclamations sur les mêmes bancs.)
    M. Michel Charasse (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste), le 4 juin : « Les socialistes qui ont été au pouvoir ont repoussé le débat devant eux depuis des années et des années. On s'est dit : "On verra après les présidentielles. Il se trouve que Lionel Jospin n'a pas été élu. » (Vives exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Pascal Terrasse. Qu'il se taise ! Débranchez-le !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Sans poursuivre indéfiniment ces citations, je souhaite souligner la vacuité des propositions formulées par le Parti socialiste et l'absence d'intérêt qu'il y avait à retourner en commission. Je dois noter, d'ailleurs, qu'un intéressant débat s'y est ouvert avec nos collègues du groupe communiste, qui refusent l'économie de marché. Si nous ne partageons pas les mêmes choix, il y a au moins là de quoi débattre. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Jean-Claude Lefort. Exactement !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, je vous invite à rejeter la motion de renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur plusieurs bancs du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité.
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, M. Gorce vient d'inviter l'Assemblée nationale à renvoyer devant la commission des affaires culturelles le projet de réforme des retraites. Ce faisant, il a considéré, fidèle au choix qui ont été ceux du Parti socialiste depuis plusieurs années,...
    M. Yves Bur. Les choix de l'autruche !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. ... qu'il est, sur la question des retraites, urgent d'attendre. Mais attendre quoi ? Il convient d'attendre, nous a-t-il dit, un accord de l'ensemble, c'est-à-dire de la totalité, des partenaires sociaux,...
    M. Gaëtan Gorce. J'ai parlé d'un accord majoritaire !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Il a repris une idée émise il y a quelques jours, à l'occasion des questions d'actualité par Mme Buffet, qui considérait que le Parlement n'aurait pas de légitimité pour débattre de la question...
    M. Jean-Claude Lefort. Nous n'avons jamais dit ça !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. ... tant qu'il n'y aurait pas eu d'accord avec l'ensemble des partenaires sociaux. C'est une conception de la démocratie que nous ne partageons pas.
    Quant au nombre de partenaires susceptibles de participer à l'aboutissement d'un accord, j'ai dit tout à l'heure pourquoi je considérais que nous étions allés jusqu'au bout de l'intérêt général. Nous ne pouvions en effet accepter de renoncer à l'harmonisation des durées de cotisation entre le public et le privé.
    Qui peut croire que la CGT puisse aujourd'hui, compte tenu de son histoire et de sa culture, soutenir quelque réforme des retraites que ce soit ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. Jean-Claude Lefort. Est-ce là une opinion démocratique ?
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Il demeure que la CGT a participé, d'un bout à l'autre, aux réunions de la négociation que nous avons conduite et à la rédaction des principes généraux de la réforme, qui ont été introduits dans les articles 1er, 2 et 3 du projet de loi.
    M. Henri Emmanuelli. Et cela vous dérange ?
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. La CGT a également fait preuve, tout au long du conflit, d'une attitude responsable qui montre qu'il y a eu un vrai dialogue social, insuffisant, peut-être (Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains), mais certainement plus intense et plus fructueux que tous ceux que nous avons connus ces dernières années.
    M. Henri Emmanuelli. Ce n'est pas ce que disent ses représentants !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. L'attitude de la CGT montre enfin, monsieur Gorce, que les chances d'une négociation sur la modernisation du dialogue social dans les mois qui viennent sont préservées.
    M. Henri Emmanuelli. Grâce à vous, la CGT va gagner des voix !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. D'ailleurs, le dialogue a rarement été aussi intense que ces derniers mois. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    Il y a aujourd'hui, mesdames, messieurs les députés, une négociation entre les partenaires sociaux sur la formation professionnelle.
    M. Jean-Pierre Blazy. Tu parles !
    M. François Brottes. Et l'éducation ?
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Je me souviens qu'à l'occasion du débat sur l'assouplissement des 35 heures, vous aviez tous indiqué que la négociation ne reprendrait pas. Or il y aujourd'hui une négociation entre les partenaires sociaux sur la manière de traiter les plans sociaux...
    M. François Brottes. Comme chez Marks & Spencer ?
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité ... et sur les articles de la loi de modernisation sociale dont l'application a été suspendue.
    Une négociation s'est également ouverte sur la modernisation de la démocratie sociale.
    M. Gorce, si une réforme de la démocratie sociale était intervenue il y a quelques années, le débat sur la réforme des retraites aurait sans doute été plus facile, et peut-être serions-nous arrivés à un consensus plus large.
    M. Jacques Desallangre. Non, car il y a un désaccord fondamental !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Quoi qu'il en soit, nous reprendrons à l'automne la préparation des propositions qui seront soumises à l'Assemblée nationale avant la fin de l'année.
    Vous nous proposez d'attendre le projet du Parti socialiste pour en discuter en commission. Mais 2 500 amendements ne font pas un projet ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Jacques Barrot. Evidemment ! Si c'était le cas, cela se saurait !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Si 2 500 amendements faisaient un projet, celui du Parti communiste serait meilleur puisqu'il résulterait de 6 500 amendements ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Nous avons besoin de savoir quels sont les principes sur lesquels le Parti socialiste veut s'appuyer pour construire une réforme des retraites.
    M. Augustin Bonrepaux. Il vous l'a dit ! Vous êtes sourd ?
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Quelle est l'architecture de sa réforme ? Quelles sont les garanties qu'il propose...
    M. Jean-Louis Idiart. Votez pour nous aux prochaines élections !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. ... et, surtout, quels sont les financements des avantages que vous avez égrenés tout au long de votre discours, monsieur Gorce ? Quels prélèvements doivent être augmentés ? A quel niveau ? Quelles seraient les conséquences de ces augmentations sur la croissance, sur le pouvoir d'achat, sur les emplois ? Quelle est la place du travail dans le projet de société du parti socialiste ?
    A aucune de ces questions nous n'avons reçu de réponse, sinon à la fin de votre intervention, monsieur Gorce, lorsque vous avez proposé un pacte national pour l'emploi.
    Ce pacte s'appuie sur trois idées.
    D'abord, il faut stopper la dégradation qui, depuis trente ans, frappe les conditions de travail des salariés. Nous pourrions en discuter ensemble. Je vous sais gré d'avoir reconnu que cette dégradation datait de trente ans. On pourrait rechercher qui était, pendant ces trente années, au pouvoir, et à quel moment.
    Ensuite, vous proposez d'engager une discussion sur la pénibilité, qui devrait être un préalable à l'allongement de la durée de cotisation. C'est exactement ce que prévoit le projet du Gouvernement.
    M. Bernard Roman. Cela veut-il dire qu'il n'y pas de métiers pénibles dans la fonction publique ?
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Nous avons pris l'engagement de demander aux partenaires sociaux, dans un délai maximum de trois ans...
    M. Jean-Louis Idiart. C'est bien pourquoi nous demandons le renvoi en commission !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. ... d'engager la discussion sur la définition des métiers pénibles.
    M. Bernard Roman. Et pour ce qui concerne la fonction publique ?
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Or nous envisageons dans notre projet de n'augmenter la durée de cotisation que dans cinq ans, à partir de 2008, et à condition qu'un certain nombre de paramètres soient vérifiés dans le cadre d'un débat qui aura lieu de nouveau devant l'opinion publique. Nous sommes donc bien dans l'esprit du pacte national pour l'emploi du Parti socialiste.
    M. Jean-Claude Lefort. Et le référendum ?
    Plusieurs députés du groupe des député-e-s communistes et républicains. Et la fonction publique ?
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Je vais y venir ! Ne soyez pas toujours aussi impatients. Vous interrompez sans cesse les orateurs de la majorité et le Gouvernement alors que nous vous écoutons avec la plus grande attention.
    M. Jean-Claude Lenoir. C'est vrai !
    M. le ministre des affaires sociales du travail et de la solidarité. M. Gorce nous a indiqué qu'il était favorable à une négociation branche par branche à propos de la pénibilité, rejoignant là, ce qui est naturel puisque telles sont les propositions des partenaires sociaux, les projets du Gouvernement.
    Quant aux fonctions publiques, nous avons introduit, dans l'accord du 15 mai dernier, à la demande des partenaires sociaux, le même engagement, lequel, naturellement, conduira l'Etat à ouvrir des négociations sur la pénibilité.
    M. Bernard Roman. Quand ?
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Il n'y a aucune raison de renvoyer le projet de loi en commission.
    M. Robert Pandraud. Absolument !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Nous avons, en ce qui nous concerne, développé les arguments en faveur de cette réforme. Vous les avez critiqués, ce qui est votre rôle, mais vous n'avez pas fait de proposition qui permette d'engager un vrai débat, projet contre projet.
    M. André Schneider. Ils sont à sec !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Vous n'avez pas non plus répondu, depuis des semaines et des semaines, à la question fondamentale de l'équité.
    M. Jean-Claude Lenoir. Ils se gardent bien d'y répondre !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Etes-vous favorables à l'harmonisation des durées de cotisation ?
    M. Jean-Claude Lefort. Oui, mais par le haut !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Permettez-moi de vous lire une déclaration de Guy Carcassonne,...
    M. Jean-Claude Lenoir. Un des vôtres !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. ... parue cette semaine dans Le Point : « Un enseignant peut donc avoir de bonnes raisons de refuser la réforme de sa retraite, mais à la condition de ne pas se dissimuler que le déficit structurel qui en résultera devra être comblé par l'Etat, c'est-à-dire par les contribuables. En réalité, ceux d'entre eux qui ne bénéficient pas de l'avantage paieront sans contrepartie. »
    M. Bernard Roman. Il a aussi écrit des choses intéressantes sur le mode de scrutin des élections régionales ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Maxime Gremetz. Qui est Guy Carcassonne ? (Sourires.)
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Dès lors, mesdames, messieurs les députés, je vous demande de rejeter la motion de renvoi en commission.
    Comme j'en ai pris l'habitude depuis le début du débat, j'emprunterai ma conclusion au Parti communiste... J'espère que, cette fois-ci, il ne s'agira pas d'une section dissidente. (Sourires.)
    Je lis, dans L'Humanité, sous la plume de Pierre Laurent : « Les ambiguïtés persistantes du projet socialiste non seulement n'y répondent pas, mais demeurent à leur manière un facteur de crise en nourrissant l'idée de la vanité des changements politiques. » (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. Nous en venons aux explications de vote.
    La parole est à M. Jean-Luc Préel, pour le groupe UDF.
    M. Jean-Luc Préel. Bien entendu, le groupe UDF votera contre la motion de renvoi en commission.
    La sauvegarde de notre système de retraite fondé sur la répartition est en effet sérieuse, urgente, indispensable. Tout le monde, semble-t-il, en convient. Tous affirment, semble-t-il aussi, la nécessité de la réforme, qui mérite un débat sérieux et approfondi.
    A l'UDF, nous avons proposé une autre méthode et une réforme différente : plus de démocratie sociale en donnant une réelle responsabilité aux partenaires sociaux, plus de liberté avec une retraite à la carte par points, plus d'équité, comme vient de le rappeler M. le ministre, entre tous les français.
    Quoi qu'il en soit, nous n'avons aucune leçon à recevoir de ceux qui n'ont rien fait pendant cinq ans (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste), mis à part la création d'un fonds de réserve au demeurant fort peu doté, et qui ne font aucune proposition sérieuse, comme nous avons pu nous en rendre compte pendant une heure et demie, se contentant de critiques d'une rare mauvaise foi.
    M. Jean-Pierre Blazy. Rendez-nous Lassalle ! Nous voulons une chanson !
    M. Jean-Luc Préel. Oserai-je reprendre le qualificatif, utilisé par de nombreux leaders du PS, que Bernard Accoyer vient de rappeler fort opportunément ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. J'en ai d'autres en réserve !
    M. Jean-Luc Préel. M. Charasse a dénoncé la position « pitoyable » du PS. Ce jugement me semble assez conforme à la réalité. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. Je vous en prie, chers collègues !
    M. Jean-Luc Préel. Le Gouvernement, après une phase de concertation et de dialogue, présente un projet de loi qui constitue un pas important vers la sauvegarde de notre système de retraite, vers plus d'équité, et qui prévoit de nombreuses améliorations.
    Le temps parlementaire est effectivement venu. Nous avons la légitimité requise pour voter la réforme de la retraite.
    M. Pierre Hellier. Absolument !
    M. Jean-Luc Préel. Nous avons déjà travaillé en commission de nombreuses heures, débattu des articles, discuté de nombreux amendements...
    M. Jacques Desallangre. Du MEDEF !
    M. Jean-Luc Préel. Il est donc inutile de retourner en commission car chacun a pu s'exprimer et pourra à nouveau le faire à l'occasion de la discussion en séance publique.
    Cependant, je voudrais, moi aussi, au nom de l'UDF, m'interroger sur l'article 40 et sur son application. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    Quelle écoute ! Comme vous êtes sympathiques, mes chers collègues ! (Sourires.)
    Nous sommes en démocratie représentative et nous nous en félicitons. Les députés examinent un texte et ils ont le souhait, bien légitime, de l'améliorer. Mais comment l'améliorer si chaque amendement est rejeté sous le prétexte qu'il entraînerait une dépense supplémentaire ? Or il est possible de gager cette dépense en augmentant les taxes prélevées sur l'alcool et le tabac, comme c'est le cas habituel, voire en augmentant la CSG. Pour contourner l'obstacle, nous avons l'habitude de demander au Gouvernement un rapport pour étudier la possibilité de mettre en oeuvre l'amélioration proposée.
    Très souvent, ce type d'amendement passe l'obstacle de l'article 40 grâce à la compréhension du président de la commission des finances.
    M. Maxime Gremetz. Tiens, tiens !
    M. Pascal Terrasse. Un ex-UDF !
    M. Jean-Luc Préel. Mais même la demande de Bernard Accoyer concernant les handicapés n'a pu franchir l'obstacle.
    Je trouve cette vigilance quelque peu excessive. Elle a empêché de livrer au débat des améliorations qui nous tenaient à coeur, concernant les retraites agricoles, les retraites des enseignants, les conjoints survivants, les handicapés et le congé parental.
    Je souhaitais, au nom de l'UDF, regretter que cette procédure ait été appliquée avec une extrême rigueur. Dès lors, il ne servirait sans doute à rien de retourner en commission.
    Plusieurs députés du groupe socialiste. Si !
    M. Augustin Bonrepaux. Pourtant, il vaudrait mieux !
    M. Jean-Luc Préel. Il n'en demeure pas moins qu'il est urgent de légiférer. Trop de temps a été perdu par les gouvernements précédents. Par conséquent, refusons cette manoeuvre dilatoire !
    L'UDF votera donc contre la motion de renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Bacquet, pour le groupe socialiste.
    M. Jean-Paul Bacquet. Le groupe socialiste votera bien sûr la motion de renvoi en commission. Nous ne pouvons en effet accepter une pseudo-réforme bâclée, qui n'est qu'une régression sociale (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) se traduisant par une perte de revenus pour les retraités et une augmentation du temps de cotisation.
    M. Patrick Ollier. Vous n'êtes pas très convaincant !
    M. Jean-Paul Bacquet. Il s'agit, pour parler clair, de travailler plus pour gagner moins. C'est une méthode d'autant plus inacceptable que l'on a refusé la négociation. Vous avez voulu passer en force, montrer que la droite ne cédait pas à la rue, peut-être parce que vous aviez le complexe Juppé de 1995 ou celui de Bayrou à propos de la loi Falloux. Si, comme le disait M. Raffarin, ce n'est pas la rue qui gouverne,...
    M. Charles Cova. Bien sûr que non ! C'est le Premier ministre !
    M. Jean-Paul Bacquet. ... cela n'empêche pas d'écouter la rue. Quand elle manifeste, c'est qu'elle n'a pas d'autre moyen de s'exprimer et qu'elle n'a pas de possibilité de négocier.
    Nous demandons le respect pour ceux qui manifestent et traduisent ainsi leur inquiétude, leur désespoir, comme le disait hier Jean Le Garrec avec modestie. Ils ne s'inquiètent en effet pas seulement pour eux-mêmes, mais aussi pour leurs enfants. Nous savons combien les retraités participent à la solidarité intergénérationnelle et aident leurs enfants quand ils n'ont pas d'emploi ou des revenus très insuffisants. Il n'y a pas de honte, monsieur le ministre, à écouter la rue, car on ne gouverne pas contre elle. François Mitterrand, lui, l'avait bien compris en 1983 (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française), lorsqu'il a retiré la loi Savary ou encore lorsqu'il a reculé sur la Nouvelle-Calédonie. Vous, vous avez choisi l'affrontement social. Vous avez choisi de diviser les Français, d'opposer les actifs aux retraités, le public au privé, les enseignants aux parents d'élèves. Or ce n'est pas en divisant que l'on règle un tel problème intergénérationnel, car celui-ci se posera bien après nous et exige que l'on recherche le plus grand consensus.
    Chacun a apporté la preuve qu'il acceptait de faire un effort supplémentaire, mais pas en faveur d'une seule catégorie ! Chacun reconnaît la nécessité d'une vraie réforme. Chacun reconnaît qu'il y a des problèmes démographiques. Chacun reconnaît que l'augmentation de l'espérance de vie, dont on ne peut que se réjouir, pose de nouveaux problèmes. Alors vraiment, mesdames, messieurs de la droite, vous êtes caricaturaux ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Charles Cova. Et vous, vous êtes des clowns !
    M. Jean-Paul Bacquet. Vous êtes caricaturaux quand vous nous accusez d'immobilisme, nous qui avons mis en place le COR que vous n'arrêtez pas de citer comme étant une excellence référence !
    M. Claude Goasguen. Arrêtez ce cinéma !
    M. Jean-Paul Bacquet. Vous êtes caricaturaux quand vous oubliez que nous avons mis en place un fonds de réserve que vous n'avez pas les moyens d'alimenter !
    M. Claude Goasguen. La faute à qui !
    M. Jean-Paul Bacquet. Et vous êtes encore plus caricaturaux quand vous oubliez de dire que s'il y a réforme, c'est parce qu'il y a retraite à soixante ans, et que la retraite à soixante ans est un acquis de la gauche,...
    M. Bernard Roman. Eh oui !
    M. Jean-Paul Bacquet. ... et non le résultat de votre immobilisme et de votre conservatisme ! (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour le mouvement populaire.) Oui, tout nous différencie sur le problème des retraites, et cela nous honore ! La gauche ne parle pas de retraites sans parler d'emploi : un million de chômeurs en moins entre 1997 et 2002, alors que depuis un an le chômage ne cesse d'augmenter et que vous voulez nous faire croire qu'en 2007 il aura baissé de 50 %...
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Pourquoi pas en 2004, tant que vous y êtes ?
    M. Jean-Paul Bacquet. ... pour participer au financement de votre pseudo-réforme ! Vous vous êtes empressés de supprimer la loi de modernisation sociale, ce qui provoquera un peu plus de licenciements, un peu plus de chômage, voire un peu plus de délocalisations. Et ce ne sont pas quelques déclarations sur les « patrons voyous » qui vont changer la situation ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Claude Goasguen. A bas la gauche caviar !
    M. Jean-Paul Bacquet. M. Raffarin disait, puisque vous voulez qu'on le cite (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), que la retraite c'était le patrimoine de ceux qui n'en ont pas.
    M. Claude Goasguen. Y en a marre de la gauche caviar ! Dehors !
    M. le président. Monsieur Goasguen !
    Chers collègues, un peu de calme !
    M. Jean-Paul Bacquet. C'est pour cela qu'il faut défendre ce petit patrimoine qu'est la retaite. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.) Comme le disait Gaëtan Gorce : « Pour la droite, il vaut mieux des vieux chômeurs que des jeunes retraités. » C'est toute la philosophie de votre projet.
    M. Claude Goasguen. On va envahir votre château !
    M. Jean-Paul Bacquet. Oui, vous avez choisi la précipitation, car elle vous évitait la négociation !
    Pourtant, en Europe, des réformes ont abouti après des négociations qui duraient parfois depuis 1987.
    M. Charles Cova. Cinéma !
    M. Jean-Paul Bacquet. Vous faites preuve de précipitation pour les retraites, mais vous êtes totalement immobiles sur l'assurance maladie alors que les déficits sont bien supérieurs à ceux qui avaient justifié le plan Juppé (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire),...
    M. Patrick Ollier. Qu'avez-vous fait pendant cinq ans ?
    M. Jean-Paul Bacquet. ... alors qu'après avoir donné aux professions médicales, on voit apparaître des déconventionnements, des demandes de liberté d'honoraires. Certes, M. Mattei, avec sa modestie traditionnelle, nous a dit que, tout restant à faire, il allait le faire. Là par contre, il n'y a pas précipitation ! Oui nous refusons cette pseudo-réforme, parce qu'elle est injuste. Elle ne tient pas compte de l'espérance de vie, de la pénibilité, de l'entrée tardive dans le monde du travail. Gaëtan Gorce le disait à juste titre,...
    M. Claude Goasguen. A bas la gauche caviar !
    M. Jean-Paul Bacquet. ... pour avoir la retraite à soixante ans, il faudra avoir commencé à travailler à dix-huit ans.
    M. Patrick Ollier. Ce n'est pas vrai !
    M. Jean-Paul Bacquet. Une augmentation de l'activité est préférable à une augmentation des cotisations.
    M. le président. Veuillez conclure, monsieur Bacquet !
    M. Jean-Paul Bacquet. Je termine, monsieur le président. (« Ah ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Cela dit, cette pseudo-réforme des retraites aura au moins eu un avantage : elle a montré votre vrai visage. Bas les masques ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Vous avez refusé toute forme de négociation. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Votre vrai visage, c'est le conservatisme, c'est la régression sociale, c'est le corporatisme, qui nous rappelle de tristes heures ! (Mêmes mouvements.)
    M. le président. Monsieur Bacquet, veuillez conclure !
    M. Jean-Paul Bacquet. Je n'ai donc éprouvé aucune honte lorsque certains d'entre nous, d'ailleurs souvent des has-been que vous citez abondamment (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), ont cru bon de vous apporter quelque soutien, parce qu'ils sont à la recherche d'un plat de lentilles ou d'une quelconque audience médiatique.
    M. le président. Merci, monsieur Bacquet !
    M. Jean-Paul Bacquet. Ce débat aura eu l'intérêt de la clarification. Il y a la droite. Il y a la gauche. Et elles ont une conception différente du social ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à M. René Couanau, pour le groupe UMP.
    M. René Couanau. Mes chers collègues, en particulier messieurs Terrasse, Gorce et Le Garrec, depuis le début de cette discussion nous avons cherché en vain, en commission comme en séance, à discerner non pas le projet, mais au moins la ligne générale du groupe socialiste, du Parti socialiste concernant la réforme des retraites. S'agit-il pour vous de nier l'urgence évidente d'une réforme ? Cela s'expliquerait évidemment par la nécessité dans laquelle vous êtes de légitimer la carence et l'inconséquence dont vous avez fait preuve durant cinq ans en ne traitant pas la question de fond. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Ou croyez-vous sincèrement, comme vous l'avez avancé, que la seule issue au problème du financement des retraites soit dans la politique économique et de l'emploi que vous avez menée et qui a toujours reposé essentiellement sur la création d'emplois publics, même précaires, compromettant ainsi à terme l'emploi privé par une croissance inéluctable des charges et des prélèvements ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Pierre Hellier. Eh oui !
    M. Pascal Terrasse. Sortez des notes que les technocrates vous ont écrites, monsieur Couanau ! D'habitude, vous êtes meilleur !
    M. René Couanau. Vous prétendez ainsi assurer et la retraite et l'emploi. Vous ne préserveriez à terme avec cette méthode ni l'emploi ni la retraite. (« Bravo ! » et applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Jean-Pierre Blazy. C'est le MEDEF qui parle !
    M. Jacques Desallangre. Bravo Seillière !
    M. René Couanau. Les plus raisonnables, les plus modérés, les moins partisans d'entre vous le savent pertinemment, l'écrivent et le disent, et on a vu le peu d'enthousiasme de vos orateurs cet après-midi. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) S'agit-il pour vous d'amorcer des pistes dont aucune ne peut aboutir, parce que, toutes conduisent à des impasses ?
    M. Augustin Bonrepaux. Vous ne croyez pas ce que vous dites !
    M. René Couanau. Voulez-vous augmenter les prélèvements et les cotisations ? C'est le pouvoir d'achat des actifs, en particulier des bas salaires, qui en subirait immédiatement l'impact négatif. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.) Voulez-vous augmenter la CSG ? (« Oui ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) C'est en réalité à une baisse du pouvoir d'achat des pensions que vous aboutiriez, puisque l'assiette de la CSG concerne l'ensemble des revenus, donc les pensions. Contrairement à vos alliés communistes, vous évoquez du bout des lèvres la taxation du capital. Notre ami Accoyer l'a rappelé tout à l'heure, des économistes de renom vous répondent aujourd'hui dans Libération. Je les cite à nouveau : « Au lieu d'aider les Français à fixer collectivement les termes d'un choix intergénérationnel, cette proposition signifie qu'il suffirait, pour y échapper, de puiser dans un trésor caché. Ce n'est pas rendre service au débat démocratique. » (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Jacques Desallangre. Ce sont des économistes libéraux !
    M. Jean-Pierre Blazy. La pensée unique !
    M. Jacques Desallangre. Ils défendent ceux qui les paient !
    M. René Couanau. En réalité, en contournant l'indispensable recours à l'allongement de la durée de cotisation, vous n'avez résolu aucune de vos contradictions, lesquelles vous auraient conduits encore à l'immobilisme si vous aviez retrouvé la majorité. Et votre immobilisme aurait conduit à l'érosion progressive, puis à la ruine de la retraite par répartition.
    M. Henri Emmanuelli. Vous, c'est le retour en arrière ! Ce n'est pas l'immobilisme !
    M. René Couanau. Parce que vos analyses ne reposent ni sur les constats objectifs de l'expérience, ni sur une réflexion quant à l'échec de votre bilan, ni sur les conseils de vos anciens responsables, ni sur la prise en compte d'une économie ouverte et des exemples européens,...
    M. Jean-Louis Idiart. Qu'est-ce que cela signifie ?
    M. René Couanau. ... parce que votre attitude apparaît de plus en plus dictée par des considérations qui ne sont pas politiques, mais purement politiciennes et partisanes (Applaudissements sur les bancs de l'Union pour un mouvement populaire. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste), nous ne pouvons vous suivre et l'opinion ne vous suit pas sur les chemins obscurs que vous tentez d'emprunter.
    M. Jean-Louis Idiart. Des chemins obscurs ?
    M. Jacques Desallangre. Les chemins du MEDEF !
    M. René Couanau. Croyez-vous vraiment que la reconquête de votre électorat, ou au moins d'un peu de votre audience, passe par le manque de courage et le seul espoir que la rue compensera l'absence d'idée et de propositions dans vos rangs ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.) Vous demandez le respect, il vous est acquis.
    M. Henri Emmanuelli. On a vu !
    M. René Couanau. Il vous sera acquis chaque fois que, vous appuyant sur des analyses qui vous sont propres, vous avancerez des propositions qui pourraient être crédibles dans votre système de pensée et votre conception de la société, même si nous ne les partageons pas. Mais il s'agit ici non pas de pensées, mais d'arrière-pensées.
    Mme Marylise Lebranchu. Quel prétentieux ! C'est incroyable !
    M. René Couanau. Pardonnez-moi, mais ce qui est en jeu, ce n'est pas la survie du Parti socialiste, c'est l'avenir de la répartition, celui des revenus et des modes de vie à venir de millions et de millions de Français, la solidité de notre pacte social ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Votre critique infondée, injuste, systématique d'une réforme indispensable et urgente n'est pas à la hauteur de cet enjeu. (Mêmes mouvements.)
    M. Pierre Cohen. On compte sur vous pour être à la hauteur !
    M. René Couanau. Le Parti socialiste n'est pas, dans ce débat, à la hauteur qui convient. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.) Vous ne faites que vous dérober devant l'obstacle ! Votre seule politique, c'est une politique d'évitement et, pour certains, de démolition ! Parce que ce projet est le nôtre, nous le mènerons à bien avec détermination. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) C'est parce que vous n'avez aucun contre-projet crédible à nous présenter que vous le rejetez ! Le groupe UMP rejettera quant à lui votre motion de renvoi en commission, car aucun délai supplémentaire, aucune rémission si j'ose dire, ne vous conduirait à évoluer, pas plus que vous n'avez évolué depuis votre échec, dont vous n'avez malheureusement pas su tirer les leçons ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Brard, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.
    M. Jean-Pierre Brard. Monsieur le ministre des affaires sociales, vous êtes fort habile, on s'en est déjà rendu compte. En vous écoutant tout à l'heure, je pensais que nous sommes tous ici en CDD et qu'il faut toujours penser à sa reconversion. Si demain vous deviez faire un autre métier, ce serait certainement funambule. (Sourires sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste. - Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Guy Teissier. Et vous, vous seriez au trapèze !
    M. Jean-Pierre Brard. Vous avez cité des personnalités diverses, des économistes, avec un esprit taquin vis-à-vis de nos collègues socialistes - ils ont apprécié d'ailleurs -, mais tous ces économistes - vous auriez pu en citer de droite qui disent la même chose - ne sont pas des économistes de la pensée unique, ce sont des économistes de la pensée atrophiée ! (Sourires.) Vous voyez, l'intérêt d'être dans l'opposition c'est que cela donne le temps de la réflexion - vous l'avez eu pendant cinq ans. D'ailleurs, vous, vous avez réfléchi. La preuve : vous avez préparé les mauvais coups que vous nous présentez aujourd'hui. Vous avez entendu Gaëtan Gorce dire qu'il y a des choses qui bougent, qui évoluent et qu'il faut poser des jalons pour construire des perspectives pour le futur. Il a dit, par exemple, qu'il était pour la taxation des revenus financiers,...
    M. Jean-Pierre Blazy. Ils n'en sont pas encore là, eux !
    M. Jean-Pierre Brard. ... pour le départ dès les quarante annuités. Certains ont raison avant d'autres ! Nos collègues de l'UDF savent bien qu'il n'est pas toujours confortable d'être minoritaire dans de la majorité ! N'est-ce pas, monsieur Préel ?
    M. André Schneider. Vous en savez quelque chose !
    M. Jean-Pierre Brard. Dans Le Monde, lors de la confrontation qu'il a eue avec Jean-François Copé, qui est un peu votre complément monsieur Fillon, Bernard Thibault s'exprimait ainsi : « Nous voulons que les revenus financiers subviennent aux besoins sociaux. » Et que répond Jean-François Copé avec, on l'imagine, des trémolos dans la voix ? « Mais alors, on touche très vite aux bénéfices ! Que fait-on quand les trente premières entreprises françaises sont déficitaires, comme en 2001 ? » Heureusement, Le Monde lui répondait le lendemain : « Toujours plus riches malgré la baisse des Bourses. » Et que dit-il ? « Le nombre des riches a continué d'augmenter en 2002, et leur patrimoine à s'apprécier. »
    M. Jacques Desallangre. Ouf ! (Sourires.)
    M. Jean-Pierre Brard. Comme vous dites ! Les riches sont désormais 7,3 millions - pas seulement en France, à l'échelle planétaire -, en hausse de 2,1 % par rapport à 2001. On en recense désormais davantage dans l'Union européenne - 2,6 millions. Mais, en dépit du plongeon des actions, les riches ont vu leur patrimoine s'accroître de 3,6 % en 2002. Les plus fortunés n'ont pas trop de souci à se faire ! Leur patrimoine progressera au rythme de 7 % l'an dans les cinq prochaines années, soit un peu plus que le rythme de progression que vous avez prévu pour les retraites ! En général, les plus fortunés ont tiré les leçons de trois années de baisse sur les marchés. Ils ont placé leurs nouvelles économies ailleurs qu'en Bourse, dans l'immobilier par exemple. Compte tenu des tensions internationales, ils ont aussi investi dans les valeurs réputées sûres, comme l'or ou le platine.
    Denis Jacquat disait hier : « Il ne faut pas toucher aux bénéfices. » Et il a avancé un argument très étonnant en expliquant que, comme ils varient d'une année sur l'autre, en fin de compte, ils ne permettraient pas d'assurer de façon stable le financement des retraites. Mais nous connaissons tous Denis Jacquat : il a le sens de l'humour, même s'il l'ignore lui-même !
    M. René Couanau. C'est déplacé !
    M. Jean-Pierre Brard. Nous voterons la motion de renvoi en commission, car le projet du Gouvernement n'est ni équitable ni juste. La preuve : avec l'allongement de la durée de cotisation et la baisse des niveaux de pension, ce sont les salariés qui supporteront 91 % de l'effort financier de la réforme. Les entreprises sont ainsi largement exonérées. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.) Aucune retraite ne sera inférieure à 85 % du SMIC, dites-vous. C'est faux ! Il n'y aura rien de changé pour les 4 millions de retraités déjà au minimum de pension. Le niveau de toutes les retraites continuera de fondre en raison de leur indexation sur l'évolution des prix, et non sur les salaires. Ecoutez, monsieur Fillon, cela vous intéresse ! Un smicard ne touchera plus que 65 % après quinze ans de retraite.
    Le régime par répartition est sauvegardé, dites-vous. Absolument pas !
    M. le président. Veuillez conclure, monsieur Brard.
    M. Guy Teissier. Parlez-nous des retraites !
    M. Jean-Pierre Brard. Je suis sûr, monsieur le président, que vous m'écoutez d'une oreille attentive...
    M. le président. Oui, mais en regardant ma montre !
    M. Jean-Pierre Brard. ... et vous avez raison, parce qu'il y a des gens qui appartiennent à cette catégorie au Raincy. Des gens fort respectables que j'ai rencontrés récemment.
    M. le président. Je confirme.
    M. Jean-Pierre Brard. Monsieur le ministre, je voudrais continuer (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire)...
    M. Claude Goasguen. Et le règlement, monsieur le président ?
    M. Jean-Pierre Brard. ... en vous rappelant que vous introduisez deux nouvelles dispositions pour compenser la baisse programmée de 20 à 30 % du niveau des retraites. Premièrement, un dispositif d'épargne-retraite pour ceux qui pourront se le payer, ce qui revient à introduire la capitalisation au détriment de nos droits solidaires.
    M. Guy Teissier. Et la Préfon, c'est quoi ?
    M. le président. Monsieur Brard...
    M. Jean-Pierre Brard. Deuxièmement, et j'en arrive ainsi, monsieur le président, à une conclusion provisoire, le cumul emploi-retraite pour les plus pauvres, dispositif avec lequel vous inventez les « emplois-vieux », les employeurs n'ayant plus qu'à verser la différence entre le montant de la retraite acquise et l'ancien salaire. Quel cadeau !
    M. le président. Concluez, monsieur Brard !
    M. Claude Goasguen. C'est à lui seul le quorum de la parole !
    M. Charles Cova. Le champion de la logorrhée verbale !
    M. Jean-Pierre Brard. Eh bien, monsieur le président, sans le savoir, vous avez donné la parole à Bernard Thibault, dont je viens de lire en substance la lettre ouverte au Gouvernement. (Sourires.)
    M. Fillon l'a cité plusieurs fois, mais comme dans les Evangiles, il n'a fait que l'exégèse de ses propos. Moi, c'est l'original, la version authentique que je vous ai lue, avec l'autorisation de Bernard Thibault. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)
    M. le président. Je suis saisi par le président du groupe des député-e-s communistes et républicains d'une demande, faite en application de l'article 61 du règlement, tendant à vérifier le quorum avant de procéder au vote sur la motion de renvoi en commission.
    Le vote est donc réservé dans l'attente de cette vérification, qui aura lieu dans l'hémicycle.

Suspension et reprise de la séance

    M. le président. La séance est suspendue.
    Elle reprendra à dix-neuf heures cinquante-cinq.
    (La séance, suspendue à dix-neuf heures quarante, est reprise à dix-neuf heures cinquante-cinq.)
    M. le président. La séance est reprise.
    Le bureau de séance constate que le quorum n'est pas atteint.
    Conformément à l'alinéa 3 de l'article 61 du règlement, je vais lever la séance.
    Le vote sur la motion de renvoi en commission est reporté à la prochaine séance, qui aura lieu ce soir à vingt et une heures trente.

2

NOMINATION D'UN DÉPUTÉ
EN MISSION TEMPORAIRE

    M. le président. J'ai reçu de M. le Premier ministre une lettre m'informant de sa décision de charger M. André Thien Ah Koon, député de la Réunion, d'une mission temporaire, dans le cadre des dispositions de l'article L.O. 144 du code électoral, auprès de M. le ministre des affaires étrangères.
    Cette décision a fait l'objet d'un décret publié au Journal officiel du jeudi 12 juin 2003.

3

ORDRE DU JOUR DE LA PROCHAINE SÉANCE

    M. le président. Ce soir, à vingt et une heures trente, troisième séance publique :
    Suite à la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi n° 885 portant réforme des retraites :
    M. Bernard Accoyer, rapporteur au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales (rapport n° 898) ;
    M. François Calvet, rapporteur pour avis au nom de la commission de la défense nationale et des forces armées (avis n° 895) ;
    M. Xavier Bertrand, rapporteur pour avis au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan (avis n° 899) ;
    Mme Claude Greff, rapporteure au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes (rapport d'information n° 892).
    La séance est levée.
    (La séance est levée à vingt heures.)

Le Directeur du service du compte rendu intégralde l'Assemblée nationale,
JEAN PINCHOT