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ASSEMBLÉE NATIONALE
DÉBATS PARLEMENTAIRES


JOURNAL OFFICIEL DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE DU MARDI 17 JUIN 2003

COMPTE RENDU INTÉGRAL
1re séance du lundi 16 juin 2003


SOMMAIRE
PRÉSIDENCE DE M. RUDY SALLES

1.  Rappel au règlement «...».
M. Maxime Gremetz.
2.  Résolution adoptée en application de l'article 88-4 de la Constitution «...».
3.  Réforme des retraites. Suite de la discussion, après déclaration d'urgence, d'un projet de loi «...».

Rappel au règlement «...»

MM. Jean-Pierre Brard, le président.

DISCUSSION DES ARTICLES (suite) «...»
Article 1er «...»

Mme Elisabeth Guigou, MM. Denis Jacquat, Jean LeGarrec, Mme Martine Billard, MM. Pascal Terrasse, Jean-Pierre Brard, Mmes Catherine Génisson, Ségolène Royal, MM. François Liberti, Pierre Goldberg, Maxime Gremetz, René Dosière, Christophe Masse, Gérard Bapt, Bernard Roman.
Amendements de suppression n°s 3304 à 3310 de Mme Buffet et des membres du groupe des député-e-s communistes et républicains : M. Maxime Gremetz.

Suspension et reprise de la séance «...»

MM. Jean-Pierre Brard, Maxime Gremetz, Mme Muguette Jacquaint, MM. Bernard Accoyer, rapporteur de la commission des affaires culturelles ; François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. - Rejet des amendements n°s 3310, 3309 et 3308.
MM. Maxime Gremetz, le président.
Amendement n° 3027 de M. Terrasse : MM. Pascal Terrasse, le rapporteur, le ministre, Jean Le Garrec, Jean-Pierre Brard. - Rejet.

Rappel au règlement «...»

MM. Pascal Terrasse, le président.

Suspension et reprise de la séance «...»
Reprise de la discussion «...»

Amendement n° 3023 de M. Gorce : MM. Pascal Terrasse, le rapporteur, le ministre, Denis Jacquat, Mme Ségolène Royal, M. Gérard Bapt. - Rejet.
Amendements identiques n°s 697 à 845 de Mme Adam et des membres du groupe socialiste et apparentés : MM. Pascal Terrasse, Christian Bataille, Jean Le Garrec, Bernard Roman, Mme Ségolène Royal, MM. le ministre, Michel Charzat, Manuel Valls, Gérard Bapt, Mme Catherine Génisson, M. Christophe Masse, Mme Elisabeth Guigou, MM. le rapporteur, le ministre.

Rappel au règlement «...»

MM. Pascal Terrasse, le président.

Suspension et reprise de la séance «...»
Rappels au règlement «...»

Mme Elisabeth Guigou, MM. Jean-Pierre Brard, le président.

Reprise de la discussion «...»

M. Denis Jacquat, Mme Muguette Jacquaint, M. Jean-Pierre Brard. - Rejet, par scrutin, des amendements n°s 837, 707, 789, 827, 830, 730, 841, 704, 763, 805 et 769.
Amendement n° 3018 de M. Beauchaud : Mme Catherine Génisson, MM. le rapporteur, le ministre, Jean Glavany, Jean Le Garrec. - Rejet.
Amendement n° 3025 de M. Le Garrec : MM. Jean Le Garrec, le rapporteur, le ministre, Jean Glavany, Pascal Terrasse. - Rejet.
Renvoi de la suite de la discussion à la prochaine séance.
4.  Ordre du jour de la prochaine séance «...».

COMPTE RENDU INTÉGRAL
PRÉSIDENCE DE M. RUDY SALLES,
vice-président

    M. le président. La séance est ouverte.
    (La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Rappel au règlement

    M. Maxime Gremetz. Je demande la parole pour un rappel au règlement, fondé sur l'article 58, alinéa 1.
    M. le président. La parole est à M. Maxime Gremetz.
    M. Maxime Gremetz. Monsieur le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité, le projet de loi portant sur la réforme des retraites - réforme majeure de la législature, avez-vous dit - suscite, vous le savez, un certain nombre de questions dans la population française. Sans doute avez-vous pris connaissance comme moi d'une étude d'opinion qui révèle que 53 % des Françaises et des Français considèrent que « le Gouvernement devrait rouvrir les négociations avec les organisations syndicales », et que 12 % d'entre eux estiment qu'il faut que vous retiriez votre projet. Cela signifie clairement que 65 % des Françaises et des Français ne sont pas d'accord...
    M. Jean-Claude Decagny. Ce n'est pas tout à fait ça !
    M. Maxime Gremetz. ... avec le contenu du projet de réforme du Gouvernement et qu'ils veulent qu'une négociation soit ouverte pour examiner une autre réforme des retraites, réforme qui est nécessaire.
    Si vous doutez, monsieur le ministre, du bien-fondé de ce sondage d'opinion - qui n'a pas été réalisé à notre demande, mais pour une émission à laquelle participait le rapporteur de notre commission -, je crois qu'il serait sage que le Gouvernement propose tout de suite de faire adopter par l'Assemblée l'amendement du groupe communiste qui vise à soumettre ce projet de réforme aux Françaises et aux Français par voie de référendum.
    Si, comme je le pense, ce projet était repoussé, il vous faudrait reprendre les négociations avec les organisations syndicales, afin d'examiner une autre réforme, qui garantisse l'avenir de notre système de retraite par répartition, qui favorise l'emploi, qui prenne en compte la pénibilité et assure le développement durable de notre pays.

2

RÉSOLUTION ADOPTÉE EN APPLICATION
DE L'ARTICLE 88-4 DE LA CONSTITUTION

    M. le président. J'informe l'Assemblée qu'en application de l'article 151-3, alinéa 2, du règlement, la résolution sur l'avenir d'Europol, adoptée par la commission des lois, est considérée comme définitive.
    M. Jean-Pierre Brard. Monsieur le président...
    M. le président. Laissez-moi au moins finir d'ouvrir la séance.

3

RÉFORME DES RETRAITES

Suite de la discussion, après déclaration d'urgence,
d'un projet de loi

    M. le président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi portant réforme des retraites (n°s 885, 898), comme on aurait pu s'en douter avec l'intervention de notre collègue Maxime Gremetz.

Rappel au règlement

    M. Jean-Pierre Brard. Je demande la parole pour un rappel au règlement.
    M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Brard, pour un rappel au règlement.
    M. Jean-Pierre Brard. Pardonnez-moi, monsieur le président, je pensais que la séance était ouverte...
    M. le président. Elle n'était qu'entrouverte (Sourires.)...
    M. Jean-Pierre Brard. Vous avez en quelque sorte donné la parole à notre collègue Maxime Gremetz en vedette américaine. (Sourires.)
    M. le président. C'est vous qui le dites !
    M. Jean-Pierre Brard. Oh ! vous savez, l'avenir est parfois facétieux...
    Monsieur le président, j'attire votre attention sur le déroulement de nos travaux. La droite déserte l'hémicycle. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Denis Jacquat et M. Gilbert Gantier. Ce n'est pas vrai, nous sommes là !
    M. Jean-Pierre Brard. Je sais que vous manquez de modestie, mes chers collègues, mais vous ne pouvez pas prétendre représenter à douze 400 députés.
    M. Denis Jacquat. C'est qualitatif !
    M. Jean-Pierre Brard. Cela mérite inventaire... Sous réserve d'inventaire précisément, l'absence de la droite déséquilibre le débat, puisque la gauche est quasiment aussi nombreuse. Or, vous ne pouvez pas accepter, monsieur le ministre, de participer à ce débat sans vos béquilles. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Bernard Accoyer, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. Ce n'est pas vrai, nous sommes largement majoritaires !
    M. Jean-Pierre Brard. Dans ces conditions, comment envisagez-vous la suite de nos travaux, monsieur le président ?
    M. le président. Monsieur Brard, je vous signale que nous allons commencer l'examen de l'article 1er, sur lequel vingt-trois orateurs sont inscrits.
    M. Maxime Gremetz. Et ce n'est qu'un début !
    M. le président. Je puis vous assurer que, pendant leurs interventions, notre hémicycle se garnira. Par conséquent, ne vous inquiétez pas, le rapport de force sera rétabli.

Discussion des articles (suite)

    M. le président. Vendredi après-midi, l'Assemblée a poursuivi la discussion des articles et s'est arrêtée à l'article 1er.

Article 1er

    M. le président. « Art. 1er. - La Nation réaffirme solennellement, dans le domaine de la retraite, le choix de la répartition, au coeur du pacte social qui unit les générations. »
    Sur cet article, plusieurs orateurs sont inscrits.
    La parole est à Mme Elisabeth Guigou.
    Mme Elisabeth Guigou. Monsieur le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité, l'article premier du projet de loi réaffirme, dans le domaine de la retraite, le choix de la répartition qui, nous dites-vous, est au coeur du pacte social qui unit les générations. Bien entendu, nous partageons cette affirmation.
    Mais votre projet respecte-t-il les principes ainsi énoncés ? Vouloir renouveler le pacte social pour l'adapter à la démocratie est bien sûr un objectif louable. Nous l'avons dit et répété : nous voulons, comme vous, une réforme pour sauvegarder notre système par répartition. Mais pour qu'une telle réforme aboutisse à un nouveau pacte social, encore faut-il qu'elle puisse emporter une large adhésion. Or celle-ci n'est pas acquise, d'abord en raison de la méthode que vous avez choisie, ensuite parce que votre projet ne donne pas de réelles garanties sur la pérennité du système.
    La méthode, d'abord, est, sur un tel sujet de société, évidemment essentielle. Elle doit permettre de comprendre ce qui est en jeu et va bien au-delà des aspects financiers. La retraite, nous le savons, donne la possibilité de profiter d'un troisième âge après une vie de travail marquée pour beaucoup par le chômage, la précarité, le durcissement des conditions de travail et le stress croissant lié à son évolution dans nos sociétés. La retraite offre une sérénité et une sécurité retrouvées, quelles qu'aient pu être les épreuves et les vicissitudes de la vie professionnelle.
    Une réforme qui a du sens doit donc assurer, par de nouveaux moyens, sécurité et sérénité. La consultation de quelques dizaines de dirigeants politiques ou syndicaux, quelles que soient leurs qualités, ne suffit pas. Il est nécessaire, en effet, que le débat se développe largement dans les syndicats, les services publics, les entreprises et la société tout entière. Une telle réforme de société mérite mieux, je crois, que quelques semaines de consultation et une nuit de négociation. D'ailleurs, dans tous les pays européens qui l'ont menée à bien, le débat a duré des mois, voire des années. Il a irrigué la société tout entière et a fait l'objet d'allers et retours féconds. Nous n'avons connu rien de tel ici.
    Lorsque vous avez engagé les discussions, monsieur le ministre, vous avez réclamé un consensus national sur un sujet qui, en effet, le mériterait. Mais nous pensons que vous ne vous êtes pas donné les moyens d'aboutir à ce consensus. Vous auriez pu, par exemple, consacrer l'année qui s'est écoulée depuis que vous êtes au Gouvernement à un grand débat national sur les retraites, ce qui vous aurait sans doute conduit à nous présenter ajourd'hui un projet vraiment négocié avec tous les syndicats réformistes et débattu dans le pays.
    Ma deuxième remarque portera sur l'affirmation, dans l'article 1er, du maintien d'un système par répartition. Très bien. Cela n'allait pas de soi, vous l'avez reconnu. Il n'y pas si longtemps, on s'en souvient, fut votée ici même la loi Thomas, qui engageait notre pays vers un système de capitalisation. La majorité de gauche l'a abrogée il y a maintenant plus de deux ans.
    Vous ne revenez pas en arrière, tant mieux. Mais permettez que nous émettions néanmoins des doutes sur la réalité du maintien du système par répartition. Car pour pérenniser la répartition, il faut davantage qu'une affirmation : il faut des garanties. Or votre projet n'en prévoit pas suffisamment.
    D'abord, rien ne laisse espérer que le socle de la pleine activité pour tous les actifs puisse être garanti à l'horizon 2020. Or, dans un système de retraite par répartition, l'emploi est central. Vous nous avez dit, en commission des affaires sociales : un point de chômage en moins, c'est quatre milliards d'euros en plus pour le financement des retraites. Permettez-moi de prendre cela comme un hommage au gouvernement de Lionel Jospin...
    M. Renaud Donnedieu de Vabres. Ben voyons !
    Mme Elisabeth Guigou. ... qui, en diminuant le nombre de chômeurs de 900 000 et en favorisant la création de deux millions d'emplois,...
    M. Jean-Luc Warsmann. Quelle autosatisfaction ! Cela recommence ! Soyez plus modestes !
    Plusieurs députés du groupe socialiste. C'est la réalité !
    Mme Elisabeth Guigou. ... a incontestablement contribué au financement des retraites.
    Il ne suffit pas, monsieur le ministre, de compter sur le départ en retraite de 300 000 personnes de plus par an, comme vous nous l'avez déclaré en commission. Il faut aussi inciter le secteur privé à embaucher des jeunes en remplacement des départs en retraite et le secteur public, à faire de même plutôt que de prévoir, comme l'a dit ici même M. Francis Mer, de ne remplacer qu'un fonctionnaire sur deux qui part à la retraite.
    Je déplore aussi l'absence dans votre projet d'une réelle incitation à garder les salariés de plus de cinquante ans. Il ne suffit pas, là encore, de réserver les préretraites aux travailleurs appelés à des travaux pénibles pour persuader les entreprises de garder leurs salariés plus âgés. Il faut que l'Etat définisse le cahier des charges d'une négociation destinée à redéfinir et à valoriser les secondes carrières.
    Quant à la formation continue, qui peut être un puissant levier, l'Etat a aussi un rôle majeur à jouer. Or, nous ne trouvons rien sur ces sujets dans votre projet. Vous vous en remettez à la bonne volonté des partenaires sociaux. Quand on connaît les positions du MEDEF, hélas ! cela augure mal du résultat.
    Enfin, ma troisième remarque sera pour dire que votre projet n'est pas financé.
    On sait que le Conseil d'orientation des retraites a identifié trois leviers pour financer les retraites : un haut niveau d'emploi - je viens de dire ce que j'en pensais -, le niveau de cotisation et l'allongement de la durée de cotisation. De ces trois leviers, vous n'utilisez que le dernier. Je ne dis pas, monsieur le ministre, qu'il ne faut pas utiliser ce levier, mais qu'il ne faut pas l'utiliser seul. Ne compter que sur l'allongement de la durée de cotisation, c'est se priver de répartir la charge sur d'autres acteurs économiques que les salariés.
    Outre une politique de l'emploi et de la pleine activité plus dynamique, nous proposons, vous le savez, que l'on affecte au financement des retraites d'ici à 2020 des ressources supplémentaires. Là encore, nous ne disons pas qu'il ne faut compter que sur les cotisations supplémentaires, mais que c'est un outil qu'il faut aussi utiliser. Or, vous refusez de le faire pour des raisons idéologiques. Bien sûr, vous avez prévu une hausse des cotisations vieillesse de 0,2 % pour financer les concessions que la CFDT a obtenues, mais il faut, à nos yeux, aller au-delà.
    D'abord, il est impératif de tracer la perspective d'une couverture totale du besoin de financement estimé, en 2020, à 43 milliards d'euros. Or, votre projet laisse un déficit résiduel de 25 milliards d'euros en 2020, c'est-à-dire plus de la moitié du besoin de financement total.
    M. le président. Merci de conclure, madame Guigou.
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. D'autant plus qu'il n'y a rien d'intéressant.
    Mme Elisabeth Guigou. Les ressources nouvelles doivent être, bien sûr, fixées dans des proportions compatibles avec la capacité contributive des agents économiques et un partage équilibré des gains de productivité. En tout cas, les prévoir dès maintenant permettraitd'étaler la charge dans le temps.
    Vous avez peut-être remarqué que nous proposions de combiner plusieurs ressources nouvelles, outre le relèvement des cotisations. D'abord, l'abandon de la baisse de l'impôt sur le revenu, ce qui représenterait, en 2020, 22 milliards d'euros, alors que le besoin de financement non couvert du régime général s'élève à 25 milliards d'euros.
    M. le président. Merci, madame Guigou.
    Mme Elisabeth Guigou. Ensuite, pour améliorer davantage les petites retraites et mieux tenir compte de la pénibilité, nous pourrions utiliser la CSG, qui présente l'avantage de porter sur toutes les catégories de revenu. Je connais votre réticence, sans doute parce que vous réservez la hausse de la CSG au financement de l'assurance maladie,...
    M. le président. Madame Guigou, il faut terminer maintenant.
    Mme Elisabeth Guigou. Je termine, monsieur le président.
    L'assurance maladie va en effet connaître un déficit historique cette année. Je vous rappelle que, entre 1999 et 2002, nous avons réussi à le diviser par quatre.
    M. Jean-Luc Warsmann. Toujours l'autosatisfaction !
    Mme Elisabeth Guigou. Enfin, on peut renforcer le fonds de réserve des retraites en y affectant le produit de l'impôt sur la fortune.
    Voilà quelques propositions, ce qui prouve d'abord qu'elles existent...
    M. le président. Madame Guigou, vous n'avez pas dix minutes de temps de parole, mais cinq minutes !
    M. Patrick Ollier. Elle s'en moque éperdument !
    M. le président. Vous êtes priée de terminer maintenant.
    Mme Elisabeth Guigou. Je termine, monsieur le président. Nous vous saurions gré, monsieur le ministre, de bien vouloir prendre acte que nous ne faisons pas appel au mythe du trésor caché et que nous proposons à la fois des ressources qui maintiennent le lien entre salaire et retraite et qui ne sont pas celles des seuls salariés.
    M. le président. Merci, madame Guigou.
    Mme Elisabeth Guigou. J'espère, monsieur le ministre, mais je ne suis pas sûre de vous avoir convaincu, vous avoir montré que, malgré vos dénégations,...
    M. le président. Merci, c'est terminé maintenant.
    La parole est à M. Denis Jacquat.
    M. Denis Jacquat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'UMP est pour le système de retraite par répartition et fera tout pour le sauver ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    En réaffirmant notre attachement à ce système, c'est la solidarité que nous défendons. Solidarité entre les générations, bien sûr : ce sont les actifs d'aujourd'hui qui cotisent pour les retraités et ce sont demain nos enfants qui cotiseront pour notre retraite. Solidarité entre les actifs également : notre système d'assurance vieillesse comporte des mécanismes destinés à corriger un certain nombre de situations particulières et d'aléas de carrière résultant d'interruptions d'activités liées au chômage, à la maladie ou à l'éducation des enfants. Il accorde des minima aux assurés ayant eu tout au long de leur vie de faibles rémunérations ou encore atténue les conséquences du travail à temps partiel.
    Ce système-là a fait ses preuves. Il a permis d'augmenter progressivement le niveau de vie des retraités qui est aujourd'hui comparable à celui des actifs. La pauvreté a fortement reculé, le nombre d'allocataires du minimum vieillesse ayant été divisé par trois en quarante ans.
    Ce système-là, les Français y sont profondément attachés. La retraite, c'est bien plus qu'un acquis social. C'est le coeur de notre système de solidarité.
    Or, aujourd'hui, les Français sont inquiets : toutes les études d'opinion le montrent, ils savent que le système est menacé. Les rapports se sont multipliés. Les travaux d'experts, et récemment ceux du Conseil d'orientation des retraites, ont permis de dégager un consensus sur ce point. Les conditions de l'équilibre ne sont plus assurées puisque le nombre de ceux qui paient diminue alors que le nombre de ceux qui touchent augmente.
    Davantage de retraités, des retraites de plus en plus longues, des actifs de moins en moins nombreux, telles sont les données de l'équation que nous devons résoudre. Eh bien, mes chers collègues, l'UMP fera tout pour la résoudre. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. Merci, monsieur Jacquat, pour la brièveté de vos propos.
    La parole est à M. Jean Le Garrec.
    M. Jean Le Garrec. Monsieur le président, monsieur le ministre, bien entendu, nous prenons au pied de la lettre l'affirmation de la garantie du système par répartition. Mais il est clair qu'à l'heure actuelle, les salariés de notre pays, du public comme du privé, ne croient pas en votre affirmation.
    M. Denis Jacquat. Oh !
    M. Jean Le Garrec. En effet, 53 % d'entre eux demandent une renégociation et 12 % le retrait du texte.
    J'ajoute, monsieur le ministre, que pour 86 % des actifs, travailler au-delà du seuil des quarante annuités apparaît comme infranchissable parce qu'ils vivent des conditions de travail très dures, avec un avenir peu lisible et une inquiétude pour eux et pour leurs enfants. Voilà la réalité sociale de ce pays.
    Vous assortissez certes l'inscription dans la loi d'un effet mécanique d'allongement de la durée des cotisations à partir de 2008, d'une adresse aux entreprises en particulier les plus importantes, en indiquant que si le taux d'activité ne passait pas de 57,5 années à 59 ans - et je reprends vos propos - il y aurait une hausse drastique de leurs charges. Néanmoins, si l'effet mécanique est inscrit dans la loi, l'obligation envisagée pour les grandes entreprises n'est que déclarative.
    C'est pourquoi je vais vous proposer, monsieur le ministre, un autre calendrier dont la mise en oeuvre impliquerait évidemment une réécriture de votre texte.
    Vous prévoyez donc une augmentation des cotisations de 0,2 % en 2006. Ce serait le moment idéal pour faire le test sur ce que représenterait l'évolution du taux d'employabilité. Ce serait le moment idéal pour faire le point sur ce que sera l'évolution du marché de l'emploi et le taux d'employabilité dans les entreprises. Ce serait le moment idéal pour faire le point sur ce que deviendra la formation professionnelle. Ce serait le moment idéal pour faire le point sur la validation des acquis.
    M. François-Michel Gonnot. En attendant, ne faisons rien !
    M. Jean Le Garrec. Ce serait le moment idéal, en prenant en compte cette obligation que vous voulez créer pour les entreprises et que j'approuve, pour engager une véritable négociation sur l'évolution du système de retraite par répartition.
    Pour l'instant, pour les salariés, il ne reste que cette augmentation mécanique de la durée des cotisations qui figure dans le texte et, pour les entreprises, seulement une menace dont on ne sait pas si elle sera prise en considération d'autant que ce qui s'est passé au cours des dernières années nous incite à beaucoup de méfiance. En effet nous ne voyons pas pour quelles raisons les entreprises abandonneraient des pratiques que nous avons souvent dénoncées et que nous nous étions efforcés d'encadrer par la loi de modernisation sociale.
    Nous aurions pu déposer des amendements pour changer l'écriture de votre texte ; mais nous savions très bien qu'ils seraient tombés sous le coup de l'article 40 et n'auraient donc pas été appelés en séance.
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Cela fait cinq minutes, monsieur le président !
    M. Jean Le Garrec. C'est à travers les déclarations des uns et des autres, à travers vos propos, à travers l'argumentation qu'a développée Mme Guigou, après Pascal Terrasse et Gaétan Gorce, que nous voulons faire comprendre l'enjeu de ce texte.
    Si vous voulez qu'un climat de confiance s'instaure, posez clairement les données pour 2006 puisque c'est la date à laquelle vous-même avez prévu l'augmentation des cotisations. Nous pourrons alors faire le point, avec l'ensemble des partenaires sociaux, sur ce qu'il en aura été de l'obligation dont vous-même avez parlé pour les entreprises ainsi que sur la situation de l'emploi. Une nouvelle écriture du texte est indispensable pour mettre fin à cette inquiétude très forte, à ce sentiment de rage et d'incompréhension, pour que le débat puisse être engagé dans la sérénité.
    Sinon il ne restera, monsieur le ministre, que l'effet mécanique et une vague obligation en direction des entreprises dont nous avons quelque raison de douter de la réelle application sur le terrain. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à Mme Martine Billard.
    Mme Martine Billard. Après une semaine de débats, il apparaît clairement que la notion de solidarité n'est pas la même pour tous. Pour certains, dans le cas des retraites, elle se limite à la solidarité entre salariés. Or telle n'est pas la vision des Verts sur cette question.
    Nous refusons de découper la solidarité en lamelles en fonction des sujets : retraites, santé, etc. Pour nous, il n'est qu'une solidarité, celle qui est au coeur du développement durable, ce qui explique mon amendement avant l'article 1er, que vous avez traité de « littérature », monsieur le ministre. Cette solidarité concerne tous les Français. Il faut donc partir des richesses de la France et se mettre d'accord sur la façon de les répartir entre les différentes catégories de notre population.
    De ce point de vue, cela ne nous choque pas, au contraire, qu'une partie du financement des retraites provienne d'une autre source que les cotisations sur les salaires. Tel est déjà le cas avec la CSG. C'est pourquoi nous sommes favorables à l'élargissement des sources de financement. Je défendrai d'ailleurs des amendements sur cette question. Une telle démarche prend, en effet, en compte l'évolution de notre société avec l'apparition, depuis vingt ans, de périodes non travaillées de plus en plus nombreuses dans la vie des salariés pour cause de chômage ou de contrats précaires divers. Ainsi certains obtiennent des droits pour la retraite, mais sans effet pour leur pension puisqu'ils n'ont pas cotisé. En conséquence, toutes ces personnes, principalement les femmes, notamment avec les temps partiels imposés, n'auront que des retraites de misère.
    Aussi suis-je hésitante face à cet article 1er. Faut-il le prendre au pied de la lettre et le croire, ou s'agit-il, aussi, de « littérature » ?
    En effet, monsieur le ministre, depuis un an, nous avons appris à connaître la beauté de la langue française dans vos lois. Les 35 heures ne sont pas supprimées ; elles sont « assouplies » ; certaines dispositions de la loi de modernisation sociale ne sont pas supprimées ; elles sont « suspendues ». C'est pourquoi je me demande si, en matière de répartition, « le choix de la répartition au coeur du pacte social » ne signifie pas un étouffement de la répartition, sous la capitalisation contenue dans le titre V de votre projet de loi.
    Quant au « pacte social », il est limité, dans cet article, à unir les générations, ce que, personnellement, je regrette, car, il devrait unir l'ensemble des Français, quelle que soit leur génération. Or il n'en est pas question. Le COR utilisait d'ailleurs l'expression de « contrat social », ce qui engage davantage au niveau de la solidarité entre générations. Le commentaire de notre rapporteur pour expliquer l'abandon du terme « contrat », est d'ailleurs surprenant. Il écrit, en effet : « Il n'en est pas moins vrai que cette touche rousseauiste aurait pu paraître excessive dans une rédaction qui veut faire appel au sens de la responsabilité de Français ». Il est évident qu'un pacte engage beaucoup moins qu'un contrat.
    A défaut du contrat, je reviens sur le pacte social, lequel devrait donc unir l'ensemble des Français face à la retraite. A ce sujet, monsieur le ministre, je vous demande de m'écouter car je vais vous poser des questions.
    M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Je vous écoute, madame !
    Mme Martine Billard. Elles faisaient l'objet d'amendements que j'avais déposés mais ils ont été déclarés irrecevables au titre de l'article 40. Comme vous avez indiqué que vous étiez prêt à répondre à toutes les questions contenues dans de tels amendements, je vais donc vous en poser plusieurs.
    Je voudrais d'abord savoir comment vous allez prendre en compte la situation des travailleurs handicapés. Seront-ils, eux aussi, soumis à l'allongement de la durée de cotisation ?
    Par ailleurs qu'en sera-t-il de la bonification pour enfant dont bénéficient les femmes exerçant des professions libérales, entre autres les infirmières libérales, mais aussi les avocates ou les kinésithérapeutes ? En commission, il nous a été répondu que la caisse correspondante n'avait rien demandé. C'est un fait, mais est-ce parce qu'une caisse de retraite ne demande rien, que toutes les femmes cotisant à cette caisse de retraite doivent être écartées de cette bonification qui, dorénavant, sera accordée aux femmes de tous les autres systèmes de retraite ?
    Nous voulions aussi mettre fin à la discrimination dont sont victimes les couples non mariés en matière de pension de réversion. Faut-il continuer à la réserver aux couples passés devant le maire ? Ne devons-nous pas évoluer dans le même sens que notre société afin que la pension de réversion soit aussi ouverte aux couples pacsés ? (« Très bien ! », sur les bancs du groupe socialiste.)
    Notre proposition sur ce sujet a été rejetée au motif que cet élargissement coûterait trop cher.
    Par ailleurs la prise en compte des périodes d'inactivités contraintes, notamment le chômage non indemnisé va mettre beaucoup de salariés du secteur privé dans l'impossibilité d'atteindre les quarante-deux ans de cotisation. Ainsi, même le taux de 85 % du SMIC garanti ne concernera que ceux qui auront cotisé à temps plein. Nous verrons alors apparaître une nouvelle génération de retraités très pauvres.
    Enfin, monsieur le ministre, il est une question à laquelle je n'ai jamais eu de réponse en commission : le paragraphe IV de l'article 22 va supprimer le plafonnement pour les cotisations salariales. Avez-vous prévu de porter, à terme, le taux de cotisation pour les salariés sur cette partie déplafonnée au même niveau que celui retenu pour la cotisation patronale ?
    M. le président. La parole est à M. Claude Bartolone.
    Il n'est pas là.
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Il doit y avoir une fête dans son école !
    M. le président. La parole est à M. Alain Vidalies.
    Il n'est pas là.
    La parole est à M. Yves Durand.
    Il n'est pas là.
    M. Pascal Terrasse. Je suis là, monsieur le président !
    M. Patrick Ollier. Heureusement qu'il en reste quelques-uns !
    M. le président. Excusez-moi !
    La parole est à M. Pascal Terrasse.
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Mais il n'était pas là samedi !
    M. Jean-Pierre Brard. Ce qui compte, comme à Valmy, ce n'est pas le nombre, mais le poids de la conviction !
    M. le président. Je vous en prie, seul M. Terrasse a la parole.
    M. Pascal Terrasse. Je fais observer à notre collègue M. Ollier que nous sommes aussi nombreux que la majorité, sinon plus !
    M. Christian Paul. M. Ollier fait son courrier !
    M. Pascal Terrasse. La faible représentation de la majorité démontre, s'il en était besoin, le peu d'intérêt qu'elle accorde à votre texte, monsieur le ministre.
    A propos de l'article 1er, je veux insister sur la nécessité absolue de retrouver un consensus autour d'une réforme aussi importante que celle des retraites.
    Dans une intervention récente, le tout nouveau secrétaire général des confédérations des travailleurs européens, qui vient de prendre ses nouvelles responsabilités, indiquait que la manière dont avait été traitée la réforme des retraites en France n'était pas la meilleure des choses, et qu'il fallait évidemment que ce soit en France, en Espagne - puisqu'il est espagnol - ou ailleurs en Europe, parvenir au consensus chaque fois que cela est possible, sur les grandes lois sociales. Or, malheureusement, en l'occurrence, le consensus non seulement entre les partenaires sociaux mais également avec l'ensemble des partis politiques n'a pas été recherché.
    Certes la discussion aurait été beaucoup plus longue et six mois n'y auraient pas suffi. Cependant, il n'y avait pas urgence. Chacun sait, en effet - M. le ministre l'a rappelé lui-même - que la caisse d'assurance vieillesse n'est pas en déficit. Elle ne le sera pas non plus l'année prochaine. Les prémices des déficits sont annoncées pour 2006, 2007, et même, plus vraisemblablement, d'après le conseil de surveillance de l'assurance-vieillesse, plutôt en 2008. Nous avions donc le temps et nous n'étions pas à quelques mois près.
    Je tiens d'ailleurs à citer, à cet égard, certains extraits du rapport du COR, aux travaux duquel j'ai participé avec plusieurs parlementaires de droite et de gauche.
    Il fixe ainsi l'objectif de « bâtir un contrat social renouvelé entre les générations ». Je reviendrai d'ailleurs sur cette notion de contrat social qui n'a rien à voir, en effet, avec un pacte social. Il ajoute : « Le consensus sur le contrat social entre les générations est naturellement bien ancré dans notre pays. Le conseil d'orientation des retraites a même souligné qu'il devrait être réaffirmé dès lors que les inquiétudes, s'agissant des retraites, sont mises en évidence. »
    On retrouve d'ailleurs, page 137 de ce rapport, un élément fondamental qu'il convient de rappeler : « Rechercher un point d'accord qui recueille l'approbation de l'ensemble des parties sur les orientations structurantes pour l'avenir des retraites. Malheureusement, là encore, la décision pratiquement unilatérale prise par le Gouvernement ne laisse pas augurer, dans les années à venir, un réel consensus autour de cette réforme des retraites. Le ministre a d'ailleurs lui-même précisé que cette réforme se mettra en place très progressivement, jusqu'en 2020. Le texte comporte d'ailleurs plusieurs clauses prévoyant sa révision. Or, si les fondations de la future loi ne reposent pas sur un véritable consensus, comment voulez-vous qu'il soit, ensuite, possible de la réviser régulièrement ?
    En l'occurrence, le plan de réforme des retraites du Gouvernement possède au moins une caractéristique sur laquelle tout le monde s'accorde - en tout cas celles et ceux que l'on peut entendre - les efforts sont demandés uniquement aux salariés et non aux employeurs. Nous aurons l'occasion d'insister tout au long des débats sur cet aspect du projet en mettant en avant la nécessité d'instaurer un équilibre qui n'existe pas aujourd'hui.
    Quant à la notion de pacte social, loin de celle de contrat social renouvelé, elle nous plonge en pleine littérature. Pourtant le terme « contrat » me semblait incontournable, s'agissant de la relation entre les générations, voire au sein d'une même génération. Il aurait donc été préférable de réfléchir à un nouveau contrat social entre les générations. Tel n'a malheureusement pas été le cas. L'article 1er se contente de réaffirmer la nécessité de s'appuyer sur notre modèle de répartition.
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Cela fait cinq minutes, monsieur le président !
    M. Pascal Terrasse. En réalité il ressort de l'architecture du texte que, compte tenu de l'affaiblissement attendu des pensions de retraite - dont nous avons eu l'occasion de dire la semaine dernière ce que nous en pensions - il faut mettre en place des fonds de pension. Or on ne peut pas réaffirmer dans l'article 1er la nécessité de s'appuyer sur la répartition et puis organiser, dans le titre V, un système qui, peu à peu, se substituera à la répartition et siphonnera, à terme, le bénéfice de la répartition pour s'orienter vers un système par capitalisation. On peut le regretter. Nous aurons l'occasion de nous exprimer à ce sujet. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Brard.
    M. Patrick Ollier. Pourquoi Mme Guigou est-elle partie ? J'espère qu'elle va revenir !
    M. Jean-Pierre Brard. Monsieur le ministre, aujourd'hui, chacun s'interroge sur sa propre situation au regard de la retraite et ces préoccupations personnelles sont tout à fait légitimes. En même temps, nos concitoyens perçoivent mieux ce qui est en jeu par rapport à l'avenir de nos retraites.
    Il faut en effet penser à l'avenir des retraites, c'est-à-dire pas seulement à la sienne ni même à celle des jeunes collègues, mais, globalement, à ce qui fait la collectivité salariale, la collectivité sociale aujourd'hui dans un esprit de solidarité nationale entre générations.
    Il s'agit d'un débat crucial à propos duquel je veux faire un bref rappel historique. Vous avez fait souvent référence, pendant le débat, à la Confédération générale du travail, monsieur le ministre. Sur un ton badin, je pourrais dire que, d'une certaine manière, c'est un peu l'hommage du vice à la vertu (Sourires). Je ne parle évidemment de vice que sur le plan politique.
    Lors de sa création, voilà un peu plus d'un siècle, elle a porté, comme première revendication de son programme, l'obtention d'une retraite ouvrière. A la fin du xixe siècle, en effet, ne plus pouvoir travailler était synonyme de misère, de dépendance : c'était la famille ou le bureau d'aide sociale, voire une caisse de secours pourvoyant aux besoins des travailleurs qui ne pouvaient plus exercer leur métier.
    Ensuite, dès le début du siècle, il y a eu plusieurs avatars de caisses de retraites, dans des formes différentes.
    Après l'effondrement, dans les années 30, de ce qui avait été mis en place pour accompagner la grande crise de 1929, c'est en 1945 que s'amorce la constitution, sur la base du programme du Conseil national de la Résistance, d'un système de retraites, que, d'ailleurs, les progressistes de l'époque voulaient, à juste titre, national et unifié, couvrant l'ensemble de la population. Finalement il n'a concerné que la population salariée, puisqu'une partie des cadres, les artisans et les professions libérales l'ont refusé. Il est donc devenu un régime de salariés, mais, au moment de sa constitution, en 1945, il n'assurait un taux de remplacement - c'est-à-dire le niveau de retraite relativement au salaire - que de 20 %. Ce taux a ensuite été porté à 40 %, mais en contrepartie d'un allongement de la durée de cotisation, jusqu'à soixante-cinq ans à cette époque.
    C'est dans cette matrice de 1945 que s'est construit le système que nous connaissons aujourd'hui avec plusieurs étapes qui ont marqué son amélioration : d'abord du régime de base, puis, avec la création et le développement des régimes complémentaires, cadres et ouvriers, qui ont permis, en 1982, d'avancer la retraite à soixante ans, avec un taux de remplacement en moyenne supérieur à 75 % des salaires d'activité. La mise en place de ce système est donc relativement récente.
    Aujourd'hui, ce système est forcément menacé pour ce qu'il représente financièrement puisque le flux annuel des retraites représente actuellement environ 176 milliards d'euros. Il est clair que les cotisations redistribuées aux anciens actifs retraités peuvent susciter la convoitise de diverses puissances financières - banques, sociétés d'assurances par exemple. Après tout, dans d'autres pays, des systèmes de retraites sont organisés sur d'autres bases que le nôtre.
    Tous ceux qui nourrissent des appétits financiers et veulent élargir toujours plus le champ du marché et de ses profits misent sur le fait que nous devons affronter le problème des changements démographiques - mais vous n'évoquez d'ailleurs, monsieur le ministre, que le vieillissement, et jamais la question du taux de natalité.
    Soyons clairs : ce qui pose problème n'est sans doute pas tant la question structurelle d'allongement de la durée de la vie - qui est, finalement, une bonne chose, bien qu'elle ne soit pas égale pour toutes les catégories sociales -, car le mouvement est engagé depuis déjà bien longtemps, et l'on peut espérer qu'il est loin d'être parvenu à son terme. Le problème auquel nous sommes confrontés est celui de l'arrivée à l'âge de la retraite, dans trois ans pour les premiers - mais pour les premiers seulement, ce qui signifie que la situation n'est pas catastrophique - des actifs des générations nombreuses d'après-guerre. Au lieu de 500 000 départs à la retraite par an, il y en aura chaque année 750 000, pendant quinze ans. Il y aura donc, en 2020, 50 % de retraités de plus qu'aujourd'hui.
    M. le président. Veuillez conclure, je vous prie, monsieur Brard.
    M. Jean-Pierre Brard. Pour agréer à M. le président, je voudrais dire, brièvement, que votre projet de loi, monsieur le ministre, commence par une imposture : vous affichez le principe de répartition dans l'article 1er, qui est tout entier consacré à le démolir. D'une certaine manière, vous pratiquez l'endormissement avant de passer à l'acte coupable.
    M. Maurice Leroy. Si seulement c'était vrai !
    M. le président. La parole est à Mme Catherine Génisson.
    Mme Catherine Génisson. Je souhaiterais revenir sur un sujet que nous avons déjà largement évoqué au cours de nos débats : la pénibilité qui est très insuffisamment prise en compte dans ce projet de loi.
    En effet, sans évoquer tous les aspects de ce sujet, je rappellerai que la pénibilité, tant physique que morale et intellectuelle, touche de plus en plus les travailleurs d'âge intermédiaire, entre trente-cinq et quarante-quatre ans. Les plus âgés peuvent encore se trouver protégés de ces pénibilités, mais cette possibilité se raréfie, compte tenu des difficultés que rencontrent les jeunes pour accéder à un emploi.
    De plus, cette exposition à la pénibilité du travail s'accompagne très fréquemment de douleurs ostéo-articulaires, de nouvelles pathologies que nous avons à prendre en charge et qui sont très difficiles à vivre pour ces travailleurs. Ainsi, parmi ceux qui portent des charges lourdes, 70 % des hommes de quarante-cinq à cinquante-quatre ans et plus de 80 % des femmes de plus de cinquante ans souffrent de mal de dos. Dans le secteur de la fonction publique hospitalière, par exemple, c'est un problème quotidien.
    En ce qui concerne le travail posté et en horaires de nuit, les problèmes de santé pour les travailleurs concernés sont fréquents. Entre quarante-cinq et cinquante-quatre ans, près d'un tiers des hommes disent souffrir de troubles du sommeil liés à leur travail. Nous avons, il y a près de deux ans, légiféré sur le travail de nuit. Ce débat, d'ailleurs assez rude, était tout à fait justifié, car rien n'est plus nocif que le travail de nuit.
    M. Maxime Gremetz. Arrêtez !
    Mme Catherine Génisson. Nous sommes fiers d'avoir légiféré sur ce sujet et, en particulier, d'avoir permis la mise en place de contreparties pour les salariés qui travaillent de nuit - contreparties dont l'application doit, d'ailleurs, être dissuasive, car elles sont lourdes pour l'employeur.
    J'entends M. Gremetz protester, mais il serait important que l'application de ce dispositif sur le travail de nuit soit soumise à une évaluation, afin que nous puissions savoir si le travail de nuit a augmenté depuis sa mise en place et réaliser, avec les partenaires sociaux, des études sur les conséquences épidémiologiques, médicales et sociales du travail de nuit - qui est au coeur de nos préoccupations à propos de la pénibilité du travail.
    L'accès aux nouvelles technologies de l'information, dit-on, se traduit par une moindre pénibilité du travail. Or, selon les résultats d'une enquête européenne menée en 2000, la proportion de gens qui n'utilisent jamais l'informatique au travail augmente fortement chez les salariés âgés de plus de quarante-cinq ans.
    Pour l'accès à la formation, on constate, au niveau européen, que, plus ils avancent en âge, plus les travailleurs ont l'impression que leur travail ne leur permet pas l'acquisition de nouveaux savoirs. De plus, la polyvalence des tâches se raréfie sensiblement à partir de quarante-cinq ans.
    Je ne fais là qu'évoquer certains aspects de la pénibilité du travail. Monsieur le ministre, vous nous dites que votre projet de loi prend ce sujet en compte : c'est faux, il n'est mentionné que dans l'exposé des motifs. En ce qui concerne le secteur privé, il n'est pas précisé, en particulier, le délai laissé aux partenaires sociaux pour négocier sur la pénibilité : celui de trois ans, qui a été évoqué en séance, ne figure plus dans le texte. Certes, plusieurs articles évoquent ce sujet à propos de la fonction publique, en particulier de la fonction publique hospitalière et des enseignants, avec le problème de la deuxième carrière. Mais c'est un sujet éminemment transversal, et l'on ne peut pas parler d'égalité entre les salariés sans considérer cette question de la pénibilité, tant dans le secteur privé que dans le secteur public.
    Il faut donc nous laisser le temps de retravailler ce dossier, et, si besoin est, d'établir de nouveaux critères, d'élaborer une loi un peu plus explicite, sans bien évidemment traiter de tout, pour laisser aux partenaires sociaux la possibilité de négocier. Le thème de la pénibilité montre à quel point il est urgent de rouvrir des négociations sociales avant d'aller plus avant dans l'examen du projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à Mme Ségolène Royal.
    Mme Ségolène Royal. Monsieur le ministre, l'article 1er de votre projet de loi pose le principe du choix de la répartition, ce qui est un minimum.
    Mais, si l'on veut mesurer la portée véritable de cet article, il faut le rapprocher de l'article 2 qui est également un article de principe et qui est ainsi rédigé : « Tout retraité a droit à une allocation en rapport avec les revenus qu'il a tirés de son activité. » Ce qui est inquiétant, c'est que ces deux articles ne comportent aucune allusion aux cotisations ou au caractère contributif du régime.
    Les principes de base de l'assurance vieillesse sont pourtant clairs : le montant de la pension dépend, d'une part, de la durée d'assurance et, d'autre part, du niveau de revenus atteint au moment du départ en retraite. Pourquoi ces deux principes ne sont-ils pas rappelés dans ces deux dispositions liminaires ?
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. On les retrouve dans le texte !
    Mme Ségolène Royal. L'article 2 ne parle que des revenus de l'activité. Cela signifie-t-il que tous les autres revenus, en particulier les revenus financiers et les revenus du capital,...
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Ce n'est pas le propos !
    Mme Ségolène Royal. ... sont exclus de votre texte, et que le dispositif est verrouillé pour l'avenir ? Cela signifie-t-il que les revenus non soumis à cotisation n'ont pas vocation à être pris en compte ? Cela signifie-t-il aussi que vous voulez proportionner un jour les retraites à la moyenne des salaires perçus tout au long de la carrière, et donc aller plus loin encore que la loi de juillet 1993 qui a déjà porté la période de référence des salaires de dix à vingt-cinq ans ? En clair, compte-t-on sur ces deux articles extrêmement brefs et lacunaires pour ouvrir la porte à des avantages retraite fondés sur l'accumulation des revenus ou l'affectation d'une partie de ces revenus à des fonds de pension, en contradiction avec l'article 1er du projet de loi ?
    Il faut signaler deux autres lacunes très importantes : la question de la pénibilité, on vient de le dire, n'apparaît pas dans ces deux articles de principe.
    M. Denis Jacquat. Article 12 !
    M. Patrick Ollier. Il faut aller jusqu'à l'article 12, mais, pour cela, il faut lire le texte !
    M. François-Michel Gonnot. Ou être de bonne foi !
    Mme Ségolène Royal. Or, j'ai bien entendu M. Chérèque affirmer que le critère de pénibilité, auquel faisait explicitement référence le protocole qu'il a signé, serait inscrit dans le projet de loi. Pourquoi n'y figure-t-il pas dès l'ouverture ? Cela pourrait rassurer.
    M. Denis Jacquat. Il figure dans le projet de loi, c'est suffisant !
    Mme Ségolène Royal. Nous vous donnons acte que le principe de la répartition est rappelé dans ces articles de principe. Mais il y manque le critère de pénibilité.
    M. Patrick Ollier. Article 12 !
    Mme Ségolène Royal. Vous avez prétendu qu'il serait inscrit dans la loi, puisqu'il apparaît dans le protocole signé par la CFDT. Pourquoi ne l'est-il pas dès l'article 1er ?
    Mme Marie-Jo Zimmermann. On ne peut pas tout mettre dans l'article 1er !
    Mme Ségolène Royal. La seconde lacune est l'absence totale de dimension familiale. Le niveau des retraites dépend pourtant du nombre d'enfants. Certes, vous prétendez maintenir l'ensemble des avantages familiaux, mais vous savez pourtant bien qu'il en est beaucoup qui sont supprimés. La réponse que vous aviez apportée à ce sujet au début de nos débats n'est pas satisfaisante.
    Monsieur le ministre, j'imagine d'ailleurs que vous avez, comme moi, reçu de nombreux e-mails, car nombre de femmes ont réagi à vos propos. Je pourrais vous en donner lecture, mais mon temps de parole est bientôt terminé et je tiens ces courriers à votre disposition. Marie-Lise Martel, par exemple, écrit : « Quand M. Fillon dit que toutes les mères ayant eu des enfants avant 2004 bénéficieront de cette bonification, il ne dit pas la vérité puisqu'il ne prévoit pas le cas des nombreuses mères ayant eu leurs enfants pendant la durée des études, le passage des concours, qui ont donc commencé à travailler après leur maternité et qui, aujourd'hui, bénéficient de cette année de bonification. »
    Mme Nicole Le Breton dit ceci : « L'instauration de pénalités pour les carrières incomplètes porte un très lourd préjudice... » (« C'est l'heure ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Je comprends bien que cela vous gêne, mais écoutez un peu la France d'en bas.
    « L'instauration de pénalité pour les carrières incomplètes porte un très lourd préjudice à toutes les personnes qui ont fait de longues études. » (« Elle a fini ! » sur les mêmes bancs.)
    Cela vous gêne d'entendre les femmes de ce pays ?
    M. le président. Poursuivez, madame Royal !
    Mme Ségolène Royal. Une inspectrice principale de la DDASS de Savoie, Mme Christiane Foray : « Ce qui m'a frappée depuis le début et jusqu'à la version finale du projet, écrit-elle, c'est le peu de cas qui a été fait des conséquences désastreuses de ce projet sur les femmes qui ont eu des enfants et qui ont interrompu leur carrière ou travaillé à temps partiel pour pouvoir concilier vie professionnelle et familiale. J'espère qu'il s'élèvera des voix pour enfin prendre en compte la situation des femmes en s'interrogeant notamment sur les effets combinés de la décote à cause de leur carrière imcomplète, de la restriction d'accès à la bonification pour les enfants nés avant le 1er janvier 2004 et de la suppression de la bonification pour les enfants nés après le 1er janvier 2004 ». Monsieur Fillon, cette femme calcule que sa retraite va baisser de 40 %. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à M. François Liberti.
    M. François Liberti. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour préserver le régime par répartition, étendre son champ d'application et assurer son financement, il faut d'abord une véritable politique pour l'emploi et, surtout, une politique dynamique pour réduire la précarité. Or, monsieur le ministre, ce n'est pas la voie que vous avez choisie : du RMA aux « emplois-vieux », c'est bien vers une nouvelle fragilisation de l'emploi que nous allons, avec de la main-d'oeuvre gratuite pour les entreprises exonérées de cotisations sociales, ce qui fragiliserait par là même le financement des retraites par répartition.
    L'incohérence de votre projet et des souhaits exprimés par le MEDEF, qui exige des salariés qu'ils travaillent quarante-deux ans pour bénéficier d'une retraite à taux plein, laisse ainsi les mains libres aux entreprises pour licencier tous leurs salariés quinquagénaires. Les rapports du COR montrent bien, à cet égard, l'écart grandissant entre la date effective de cessation d'activité et celle de la liquidation de la retraite. Retarder le moment de la liquidation de la retraite, sans mener de politique active en faveur de l'emploi ni contraindre les employeurs à arrêter de licencier à tour de bras, est inacceptable.
    Si l'on aborde le problème de l'emploi des jeunes, là aussi, l'incohérence est terrible : les jeunes sont les plus touchés par le chômage et par la précarité. Ils ne peuvent donc pas cotiser pour leurs retraites. Et vous voulez les maintenir dans la vie active quarante-deux ans alors qu'ils ne trouvent pas d'emploi au moment où ils veulent travailler. La situation ne pourra qu'empirer.
    Ceux qui font des études longues et contribueront donc au renforcement de notre économie et à l'accroissement de sa productivité, sont également pénalisés, puisqu'ils devront travailler jusqu'à soixante-dix ans, d'autant plus que le coût des rachats d'annuités est absolument prohibitif - 5 000 euros en début de carrière.
    S'agit-il de renforcer notre économie et de soutenir la formation des jeunes ? La question mérite d'être posée et il convient de ne pas se résigner, comme vous le faites, à la dégradation de la situation de l'emploi et d'intégrer, comme nous le proposons, le temps de formation dans le temps de cotisations pour les retraites.
    Quant aux politiques d'exonération des cotisations sociales, leur coût est énorme au regard de l'efficacité de la mesure. En 2003, plus de 16 milliards d'euros sont inscrits au budget au titre des exonérations de cotisations sociales. Combien d'emplois durables sont-ils créés ? Les rapports les plus favorables au dispositif ne tablent pas sur plus de 300 000 emplois en dix ans, soit à peine plus de 30 000 par an. Le coût de cette mesure est donc exorbitant.
    Elle ne permet la création que de rares emplois sous-payés et précaires. Ces exonérations de cotisations sociales constituent de fait un immense cadeau au patronat. Elles auront un impact économique désastreux à long terme, qui se répercutera sur le financement de nos retraites. C'est une véritable machine à fabriquer des trappes à bas salaires et donc de salariés cotisant peu. Comme les patrons ne paient plus de cotisations sociales sur les bas salaires, ils feront tout pour éviter d'augmenter ces salaires.
    La demande en travail non qualifié est faible, non en raison de son coût, mais parce que les entreprises ne veulent plus que des salariés qualifiés. Si l'on veut donc créer des emplois, il faut encourager la formation initiale et continue. Plus on augmentera la qualification des salariés, plus nombreux seront les emplois créés, les salaires distribués, et donc les cotisations retraites prélevées. Voilà un des points fondamentaux pour assurer le financement du régime par répartition.
    M. Jean-Pierre Brard et M. Maxime Gremetz. Très bien !
    M. le président. La parole est à M. Pierre Goldberg.
    M. Pierre Goldberg. Monsieur le ministre, votre projet dans sa globalité, mais aussi, tout spécialement, l'article 1er, s'en prend directement à la retraite par répartition.
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Mais non ! C'est tout le contraire !
    M. Pierre Goldberg. Le sort réservé aux salariés payés au SMIC en témoigne d'une façon extrêmement claire. La garantie de retraite actuelle pour les salariés au SMIC s'élève à 83 %. Il nous est proposé une très légère augmentation - encore qu'il ne s'agisse que d'une simple prévision, car vous vous contentez, monsieur le ministre, de la formule « il faut tendre... » - qui n'interviendrait au demeurant qu'en 2008, c'est-à-dire dans cinq ans. Lorsqu'on regarde de près l'évolution des critères sur lesquels se fondent les calculs de la pension, on s'aperçoit que le niveau de vie des retraités anciens salariés au SMIC a diminué. Votre projet ne vise pas à mettre un terme à cette situation qui, vous en conviendrez, est indigne. Comment tolérer que des hommes et des femmes, qui ont souvent effectué des travaux pénibles durant leur parcours professionnel, ne disposent pas, au moment de leur retraite, d'un revenu décent pour vivre ?
    L'augmentation annoncée est donc un leurre. Le minimum contributif versé par le régime général de la sécurité sociale est attribué en fonction de la durée de cotisation. Pour prétendre à 83 % du SMIC, il fallait jusqu'à présent 150 trimestres. Demain, il en faudra 160 pour en percevoir 85 %. Où est l'avancée ?
    Il faut en outre considérer que, à l'heure de la liquidation de leur retraite, quatre salariés sur dix ont une carrière incomplète, et nombre de salariés payés au SMIC sont dans cette situation, car, personne n'en disconviendra, leur parcours a le plus souvent été semé d'embûches. Au cours de l'année 2000, par exemple, 40 % des retraites nouvellement attribuées l'ont été au niveau du minimum contributif. Les trois quarts concernaient des femmes. Les syndicats et les associations de retraités évaluent la régression du pouvoir d'achat des retraites à plus de 10 % sur les dix dernières années. Mais des simulations montrent que la perte de pouvoir d'achat sera de 17 % à l'horizon 2020.
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. C'est faux !
    M. Pierre Goldberg. Il y a plusieurs raisons à cela, et notamment la suppression, par la loi Balladur en 1993, de l'indexation des retraites du régime général sur les salaires et son remplacement par l'indexation sur les prix. L'application des accords AGIRC-ARRCO sur les retraites complémentaires de 1993, 1994 et 1996 a amplifié cette tendance. Les prélèvements sur les retraites institués à partir de 1980 par le gouvernement Barre ont été multipliés par 2,5 entre 1993 et 1997.
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Pourquoi n'avez-vous rien fait pendant cinq ans ?
    M. Pierre Goldberg. Cotisation maladie, CSG et RDS représentent, chaque année, près de un mois de retraite net !
    Les retraités, anciens salariés au SMIC, n'ont pas été épargnés. Ils se sont appauvris, et c'est en les appauvrissant encore que vous voulez les conduire - quel leurre ! - aux fonds de pension. Malheureusement, nous constatons qu'à aucun moment votre projet de loi ne prend en compte le sort, déjà si difficile, des smicards.
    M. le président. La parole est à M. Maxime Gremetz.
    M. Maxime Gremetz. J'entends bien, monsieur le ministre, que vous voulez réaffirmer le principe du système de retraites par répartition, historique dans notre pays, fondé par un ministre communiste, Ambroise Croizat, fondé sur la solidarité intergénérationnelle, et s'appuyant sur les richesses produites. Mais plus vous essayez de nous convaincre que vous voulez sauver ce système-là, plus nous sommes convaincus du contraire.
    En effet, il ne suffit pas d'affirmer un principe, encore faut-il regarder le contenu de la réforme. Je crois que les interventions qui viennent d'avoir lieu ont démontré qu'on ne peut pas affirmer qu'on maintient un système par répartition quand on décide d'allonger les annuités - quarante, quarante et une, quarante-deux, et au-delà -, et quand on baisse le niveau des pensions. Car il faut se rappeler que vous poursuivez, comme vous l'avez fort bien dit, la réforme Balladur, qui a mis en cause, précisément, l'égalité et l'équité qui existait à l'époque entre le privé et le public, en décidant que le privé passerait à quarante annuités. Mais vous poursuivez aussi dans le sens de cette réforme quand vous indexez le montant des pensions non plus sur les salaires mais sur les prix. J'ajoute que la réforme Balladur a institué le calcul des pensions non plus sur les dix meilleures années, mais sur les vingt-cinq meilleures années, ce qui a eu pour effet de les faire baisser, depuis 1993, de plus de 10 %.
    D'autre part, il est évident que vous remettez en cause un autre principe, celui de la retraite à soixante ans. Bien sûr, vous dites : « Ah non ! On ne touche pas à la retraite à soixante ans ! » Théoriquement, on peut toujours prendre sa retraite à soixante ans, en effet. Mais la vérité, c'est qu'il faudra continuer au-delà de soixante ans. Car, quand on sait comment fonctionne aujourd'hui notre système économique, il est évident que pour atteindre les quarante annuités puis les quarante-deux annuités exigées pour avoir une pension de retraite à taux plein, il faudra travailler jusqu'à soixante-trois, soixante-quatre, soixante-cinq, soixante-six ans, et plus.
    Donc, on ne met pas en cause les principes, mais on s'arrange, en fait, pour les détourner.
    Et puis, je veux parler aussi de la pénibilité. Vous dites : « Dans notre projet, nous prenons en compte la pénibilité, mais nous demandons aux employeurs, aux acteurs économiques, aux acteurs sociaux de discuter de cette question dans les trois ans. » Mais enfin ! Il y a des gens qui font aujourd'hui les 3 x 8. Et il y a des femmes qui les font, y compris dans l'industrie, car au nom de l'égalité on est revenu à ce qui existait en 1892 - c'est pourquoi j'ai réagi tout à l'heure. Au nom de l'égalité ! Et alors que tout le monde s'accorde à dire que le travail de nuit n'est pas bon pour la santé ni pour les hommes ni pour les femmes.
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. C'est une raison pour ne pas prolonger nos travaux inconsidérément, monsieur Gremetz.
    M. Maxime Gremetz. On aurait dû faire l'inverse. La pénibilité existe dans un grand nombre de secteurs de l'industrie. Nous les connaissons, et vous les connaissez aussi bien que nous. D'ailleurs, elle n'existe pas seulement dans l'industrie mais aussi dans les services, où il y a des travaux répétitifs, où il y a les 3 x 8, où il y a des conditions de travail insupportables. Ces salariés-là méritent de partir non pas à soixante ans mais à cinquante-cinq ans, avec une pension à taux plein. Or c'est tout l'inverse qui est fait. On ne prend pas en compte la diversité des situations.
    Beaucoup de gens se demandent pourquoi ce gouvernement fait une chose pareille, pourquoi il baisse les pensions, pourquoi il augmente les annuités de cotisation, etc. La réponse, elle est aussi dans ce qui s'est passé en 1993. Quand la réforme Balladur a été discutée ici, je me souviens que nous avons discuté, à la même époque, d'une proposition de loi de réforme des pensions, celle de M. Thomas, qui d'ailleurs se découvre une grande vertu aujourd'hui puisqu'il fait un grand article dans le Figaro, où il dit : « Dites-le clairement, il faut accompagner cette réforme de la création de fonds de pension. »
    M. Pascal Terrasse. M. de Charette aussi dit cela !
    M. Maxime Gremetz. Je crois que...
    M. le président. Merci, monsieur Gremetz, vous aurez l'occasion de revenir sur ces arguments.
    M. Maxime Gremetz. ... c'est ça, la réalité. C'est pourquoi la démonstration est faite...
    M. le président. Voilà. Merci.
    M. Maxime Gremetz. ... que tout en réaffirmant le principe de la répartition, en fait, vous voulez aller...
    M. le président. Merci.
    M. Maxime Gremetz. ... de façon déguisée vers la capitalisation.
    M. le président. La parole est à M. René Dosière.
    M. René Dosière. Monsieur le président, monsieur le ministre, l'article 1er de ce projet de loi affirme que la retraite par répartition est « au coeur du pacte social. » Si les socialistes ne peuvent que souscrire à une telle affirmation, force est de constater qu'à droite, cette conversion est récente.
    M. Denis Jacquat. C'est faux ! Nous avons toujours dit, les années précédentes, que nous étions pour la retraite par répartition ! Arrêtez de mentir ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Un député du groupe socialiste. Oh, on ne parle pas pour vous, monsieur Jacquat !
    M. Denis Jacquat. Ça suffit ! J'en ai ras le bol !
    M. le président. Poursuivez, monsieur Dosière !
    M. René Dosière. Ces interruptions seront décomptées de mon temps de parole, monsieur le président ?
    M. le président. Non, monsieur Dosière. Poursuivez.
    M. René Dosière. La répartition, cela signifie que les actifs paient des cotisations qui assurent le financement des pensions des retraités. Or on sait bien que l'évolution démographique, comme l'évolution de la santé, donc de la durée de la vie, qui conduit à un vieillissement de la population, rendent nécessaire une réforme. Personne ne le conteste. Mais comment retrouver un équilibre entre les actifs et les inactifs ? Le projet que vous nous présentez ne porte que sur un paramètre, l'allongement de la durée de cotisation de ceux qui sont en activité et, accessoirement, la diminution du niveau des pensions.
    Pourtant, il y a d'autres solutions. Il y a des solutions plus fortes.
    Et tout d'abord, celle qui consiste à réduire le taux de chômage, en particulier chez les salariés les plus âgés, ceux qui ont cinquante-cinq ans et qui ne sont pas en retraite tout en n'étant plus en activité. Et à cet égard, puisque vous nous citez souvent des experts, je vous renvoie à tous ceux qui soulignent la contradiction qui consiste à maintenir des actifs au chômage alors que par ailleurs vous avez comme projet d'augmenter la durée de cotisation.
    Et puis, il y a une autre solution, à laquelle il faudra bien se résoudre, je veux parler du recours à l'immigration. Ce sera d'ailleurs l'occasion de dire, demain comme hier, que l'immigration est une chance pour la France et pour les Français.
    Mais dans votre texte, on ne trouve pas grand-chose sur la remise au travail des seniors. De plus, la politique économique que vous suivez a de quoi nous rendre inquiets.
    Une troisième solution, pour conforter la répartition, consiste à consacrer une part plus importante de la richesse nationale à la vieillesse. On nous dit qu'une hausse de six ou de neuf points, selon les hypothèses, du produit intérieur brut en 2040 est impossible - et je sais qu'un point de PIB, aujourd'hui, c'est 15 milliards d'euros. On nous dit que les actifs refuseront une telle amputation de leur pouvoir d'achat. Or les actifs d'aujourd'hui sont les retraités de demain.
    M. François-Michel Gonnot. Quelle découverte !
    M. René Dosière. Pourquoi refuseraient-ils de cotiser davantage pour préserver leur retraite ? D'autant plus que cette augmentation, sur la durée, serait faible : selon les hypothèses, elle serait comprise entre 0,25 et 0,30 point de PIB. En outre, même dans l'hypothèse que vous avez retenue d'une augmentation de la productivité de 1,6 % par an, le pouvoir d'achat augmenterait encore, malgré cette augmentation de cotisation, de l'ordre de 1 % à 2 % par an selon les hypothèses.
    Vous nous dites : tout cela est impossible. Mais reportons-nous en arrière. En 1960, si un homme politique avait dit : « Des irresponsables, dans les quarante ans à venir, vont augmenter de sept points le poids des retraites dans le PIB, et cette hausse de 130 % va faire couler toutes nos entreprises », on ne l'aurait pas cru. Or, entre 1960 et aujourd'hui, la part du PIB consacrée à la vieillesse est passé de 5,4 % à 12,6 %. On a pu faire reculer massivement la pauvreté chez les retraités, dont le niveau moyen des retraites est aujourd'hui du même ordre que le salaire moyen ; on a pu abaisser l'âge de la retraite de cinq ans ; l'espérance de vie à soixante ans a augmenté de 5,3 ans. Tout cela avec une augmentation de 7,3 points de la part du PIB consacrée à la vieillesse. Et ce que l'on a pu faire hier, les Français d'aujourd'hui et de demain ne pourraient pas le faire ? Je ne vois pas pourquoi on pourrait en douter.
    Voilà le véritable débat, celui que vous refusez par principe, car vous considérez comme néfaste toute augmentation des prélèvements, alors que toute l'histoire passée nous montre le contraire.
    M. le président. Veuillez conclure, monsieur Dosière.
    M. René Dosière. Je termine, Monsieur le président.
    Il est fondamental de préserver le niveau des retraites, car si celui-ci est trop faible, on voit bien que l'on ira vers le développement de la capitalisation...
    M. Denis Jacquat. Mais c'est une obsession !
    M. François Liberti. Non, c'est vrai !
    M. René Dosière. ...et seuls ceux qui en ont les moyens pourront capitaliser. Nous verrons également le retour de la pauvreté parmi les retraités.
    M. le président. Veuillez conclure.
    M. René Dosière. Voilà pourquoi nous nous opposons à ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à  M. Christophe Masse.
    M. Christophe Masse. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous partageons tous la volonté de maintenir le système de retraite par répartition. Mais pour paraphraser une citation bien connue, il ne suffit pas de crier : la répartition, la répartition, la répartition ! comme vous le faites, monsieur le ministre. Il faudrait peut être donner de votre attachement à la répartition des preuves un peu plus tangibles. Ce n'est malheureusement pas le cas, en l'espèce.
    Ce n'est pas le cas, parce que l'affirmation de ce principe tente de masquer une autre réalité beaucoup plus grave, qui tend à faire peser sur les salariés, et uniquement sur eux, toutes les charges du financement des retraites, sans explorer toutes les pistes possibles, cela a déjà été dit à plusieurs reprises,...
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. En effet, cela a déjà été dit à plusieurs reprises !
    M. Christophe Masse. ... et en ignorant, surtout, tous les autres acteurs économiques.
    Nous avons donc, monsieur le ministre, des doutes sur votre volonté de maintenir la retraite par répartition. En effet, la vraie répartition est celle qui met l'emploi au coeur du dispositif, comme d'ailleurs toute solution au problème des retraites en général.
    Si vous le voulez bien, je vais donner un éclairage local en prenant l'exemple du département des Bouches-du-Rhône et de la ville de Marseille, haut lieu du mouvement social, qu'on peut aussi qualifier de haut lieu de la résistance sociale à l'heure actuelle, puisque la population, comme partout en France d'ailleurs, manifeste largement et massivement. Cette ville fournit une photographie exacte de la situation sociale dans notre pays.
    Peut-être, d'une part, parce que son maire est ausi membre du triumvirat qui dirige l'UMP,...
    M. Yves Jego. Il a été élu !
    M. Bernard Roman. Et alors ?
    M. Christophe Masse. ...et qu'il ne s'est pas grandi en interdisant récemment la tenue d'une manifestation républicaine, dans une enceinte publique, dans la ville dont il est maire.
    Et, d'autre part, parce que cette ville et ce département connaissent depuis un an maintenant des plans sociaux très importants, qui mettent en danger le périlleux équilibre entre actifs et non-actifs.
    Monsieur le ministre, loin d'assurer l'avenir du régime par répartition, votre projet aura malheureusement pour conséquence la baisse du niveau des pensions,...
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. C'est faux !
    M. Christophe Masse. ... ce qui accroîtra l'inégalité entres les Français.
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. C'est la première fois qu'on le voit dans ce débat, et il dit des bêtises !
    M. Christophe Masse. Loin de vouloir un projet équilibré en faisant partager l'effort par tous, vous persistez à ne mobiliser qu'un seul levier de financement, c'est-à-dire la durée de cotisation. Votre texte repose donc sur des fondements bien trop fragiles, et, surtout, trop aléatoires. Les nombreux amendements que nous avons déposés, monsieur le ministre, seront pour nous l'occasion de vous le démontrer. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à  M. Gérard Bapt.
    M. Gérard Bapt. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'article 1er, qui affirme le principe général de la répartition, pourrait constituer l'acte fondateur d'une réforme des retraites. J'ai pu, cette semaine, au congrès de la Mutualité française, écouter le Président de la République...
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Très bien !
    M. Gérard Bapt. ... qui, je dois le dire, a excellemment rappelé les principes,...
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Comme toujours !
    M. Jean-Pierre Brard. Sur les principes, il est le meilleur ! Pour la pratique, il doit persévérer !
    M. Gérard Bapt. ... auxquels fait référence l'article 1er : le pacte social, l'engagement de la nation.
    Ce pacte social, il est né après la Libération, sur la base du programme du Conseil national de la Résistance, et notamment sous la direction d'un certain général de Gaulle.
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Très bien !
    M. Gérard Bapt. Et je pense que c'est sans doute, pour ceux qui, dans la majorité, se réfèrent encore à ce que fut la pensée du général de Gaulle, ce qui a fondé la rédaction de l'article 1er : la nation, la répartition et la solidarité, celle qui était née dans la Résistance et qu'on allait promouvoir dans la reconstruction de la nation. Et puis, il y a cette notion de pacte, le pacte de tous ces patriotes, ces résistants, qui, au nom d'une certaine idée de la France, s'étaient battus pour un système de liberté et de solidarité.
    M. Jean Le Garrec. Très juste !
    M. Gérard Bapt. Sur les principes, donc, le président de la République a été très clair. Et votre article 1er, s'il était détaché du reste de votre texte, aurait lui aussi le mérite de la clarté sur cette question qui préoccupe l'ensemble des Français.
    Vous critiquez le gouvernement de Lionel Jospin pour son inaction. Pourtant, il a posé les bases d'une réforme grâce à la mise en place du Conseil d'orientation des retraites, grâce à la création d'un fonds de réserve pour les retraites pour amortir la moitié des effets du choc démographique, grâce enfin à une politique volontariste pour l'emploi, la création d'emplois étant bien entendu la meilleure des garanties du maintien d'un système par répartition.
    Les travaux du Conseil d'orientation des retraites avaient contribué à apaiser un climat particulièrement tendu après le plan Juppé de 1995. Il ont permis de disposer de données objectives et de diagnostics partagés et ont mis en évidence les conditions nécessaires à la garantie du système de retraite par répartition. En outre, ils ont permis de mettre en oeuvre une réforme fondée sur les principes rappelés par le Président de la République lui-même : justice et solidarité entre les générations et entre tous nos concitoyens, quels que soient le niveau de pénibilité de leur travail, leur niveau de qualification ou leur niveau de handicap.
    Malheureusement, monsieur le ministre, de ces travaux fondés sur la recherche d'un consensus, vous n'avez tiré aucune conclusion, puisque vous avez présenté votre réforme comme celle de la dernière chance et comme la seule qui vaille. Or, comme l'ont montré les inquiétudes et les oppositions qui se sont manifestées, il aurait fallu présenter les objectifs et les moyens de votre réforme de manière beaucoup plus fouillée et engager des concertations et des négociations beaucoup plus longues et approfondies.
    Le Gouvernement a choisi de ne présenter qu'une seule voie, en expliquant qu'il n'y avait pas d'alternative. Il a choisi d'enfermer le débat dans la seule question de la durée d'activité en omettant de répondre à d'autres questions essentielles aux yeux des Français, comme l'âge de départ en retraite et le montant des pensions. Ainsi, il a transformé la perspective de la retraite en une période d'incertitude, ce qui explique les inquiétudes de nos compatriotes.
    Monsieur le ministre, même si cet article 1er peut être amélioré - et à cet égard, j'ai présenté au nom du groupe socialiste, en commission des finances, quelques amendements de fond, qui, malheureusement, ont été repoussés par la majorité de la commission -, je tiens à dire que cette réforme aurait pu être fondée sur la recherche d'un consensus.
    Il est clair que lorsqu'on arrive aux tout derniers de votre projet de loi, ceux qui sont contenus dans le titre V - articles 79, 80, 81 -, on se dit que si vous ne garantissez pas le niveau des pensions par rapport à l'évolution de la richesse nationale, par rapport au SMIC, par rapport à l'évolution moyenne des salaires, c'est bien parce que dans votre tête, il y a toujours ce qui a été voulu par la frange libérale de votre majorité, c'est-à-dire les fonds de pension, c'est-à-dire la loi Thomas,...
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Encore ! Mais c'est pas vrai !
    M. Gérard Bapt. ... qui, en quelque sorte, subrepticement, revient dans le débat.
    M. Denis Jacquat. Mais c'est du délire ! Du délire obsessionnel !
    M. Gérard Bapt. Mais si vous pouvez nous rassurer pendant le débat, mes chers collègues, vous le ferez !
    M. le président. Monsieur Bapt, veuillez conclure.
    M. Gérard Bapt. Je termine en répondant à mon excellent collègue M. Jacquat, qui croit que je suis inquiet indûment. Pourquoi, dans ce cas, ne pas avoir accepté nos deux modestes et pourtant fondamentaux amendements à l'article 1er en commission des finances...
    M. le président. Merci, monsieur Bapt.
    M. Gérard Bapt. ... affirmant que la répartition avait aussi pour objectif de garantir un niveau élevé de pension pour chacun...
    M. le président. Votre temps de parole est épuisé, monsieur Bapt. C'est terminé.
    Plusieurs députés du groupe socialiste. C'est pourtant une excellente intervention !
    M. le président. La parole est à M. Bernard Roman.
    M. Bernard Roman. Monsieur le ministre, certains ironisent sur le fait que les représentants de la gauche soient si nombreux à intervenir sur l'article 1er, alors que, sur le fond, ils devraient être d'accord, puisque le texte du projet de loi réaffirme que la répartition doit se trouver au coeur du pacte social.
    Toutefois, la véritable question qui se pose est de savoir ce qui est réparti et dans quelles conditions cela se fait. En effet, en décidant de ne jouer que sur la durée de cotisation, vous renoncez délibérément, au nom d'un dogme libéral, voire ultralibéral - mais c'est une idéologie que vous êtes en droit de revendiquer -, à une augmentation des ressources nécessaires à cette répartition.
    M. Denis Jacquat. Des pays socialistes ont, eux aussi, allongé la durée de cotisation.
    M. Jean-Pierre Brard. Quels pays socialistes ?
    M. M. Xavier Bertrand, rapporteur pour avis de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan. C'est vrai qu'il y en a de moins en moins !
    M. Jean-Pierre Brard. M. Jacquat doit penser à celui que dirige M. Blair !
    M. Bernard Roman. La vraie question qui se pose - et c'est celle que se posent les citoyens -, c'est de savoir ce que l'on va répartir.
    Pour ma part, j'ai le sentiment, monsieur le ministre, en examinant votre texte ainsi que les différentes projections qui sont faites et - pas seulement celles qui figurent dans le rapport de M. Accoyer - que, à terme, ce texte se soldera, en guise de répartition, par le minimum vieillesse pour tous et, au-delà, par l'application du principe « à chacun selon ses moyens ».
    M. Denis Jacquat. C'est du Zola !
    M. Bernard Roman. Non, ce n'est pas du Zola !
    M. Jean-Pierre Brard. Qu'avez-vous contre Zola ?
    M. Bernard Roman. Pour illustrer mon propos, je pourrais citer un certain nombre d'exemples.
    C'est la première fois en quarante ans, que, dans un pays qui est la cinquième puissance économique mondiale,...
    M. Franck Gilard. Qui était !
    M. Bernard Roman. ... qui s'enrichit chaque année, qu'un projet de loi, présenté au nom de la solidarité et dont le coeur repose sur la répartition, envisage de faire régresser la situation sociale des personnes âgées, de ceux à qui nous devons justement d'être la cinquième puissance économique du monde ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Vous pouvez ironiser sur Zola, mais c'est la première fois depuis quarante ans, depuis ce qui fait la fierté de notre République - et qui correspond à la conception que nous avons de celle-ci -, que nous allons faire régresser la situation sociale des Français, en commençant par celle des personnes âgées ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Franck Gilard. Contrevérité !
    M. Denis Jacquat. Mensonge !
    M. Bernard Roman. Vous allez nous rétorquer, monsieur Fillon, que des garanties sont prévues. Ainsi - et je me prendrai qu'un seul exemple pour respecter mon temps de parole -, les retraités seraient assurés, même si vous n'étiez pas prêt à procéder vous-même à cette avancée, de partir en retraite avec au moins 85 % du SMIC. Toutefois, comme il est proposé, parallèlement, que les retraites soient indexées sur les prix,...
    M. Pascal Terrasse. Quel scandale !
    M. Bernard Roman. ... si votre réforme entrait en application le 1er juillet prochain - mais il y a peu de chances que ce soit le cas (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) -, les retraites n'augmenteraient que de 1,8 %, alors que le SMIC, lui, progressera à cette date de 5,5 %, comme vous ne manquez pas de vous en vanter. Le décalage de pouvoir d'achat serait alors de plus de 3 % - ce qui est colossal - entre les retraités, qui, à vos yeux, ne méritent pas de profiter de l'enrichissement national (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), et les salariés qui gagnent le moins dans notre pays.
    M. Yves Jego. Quelle honte de dire cela !
    M. Denis Jacquat. C'est un mauvais roman !
    M. Bernard Roman. Monsieur le ministre, on peut estimer qu'un retraité profitera de sa retraite entre vingt-cinq et trente ans.
    M. le président. Monsieur Roman, concluez !
    M. Bernard Roman. Or il y a un décalage de pouvoir d'achat d'environ 50 % entre l'indexation sur les prix et celle sur les salaires.
    M. Pascal Terrasse. C'est la vérité vraie !
    M. Bernard Roman. Eh bien, avec ce projet de loi, la paupérisation des personnes âgées est en marche !
    M. le président. Monsieur Roman, vous n'avez plus la parole !
    M. Bernard Roman. Vous m'empêcher de parler, monsieur le président ! Il faut pourtant que le Gouvernement réponde ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. Je suis saisi de sept amendements identiques, n°s 3304 à 3310, déposés par Mme Buffet et des membres du groupe des député-e-s communistes et républicains.
    L'amendement n° 3304 est présenté par Mme Buffet, M. Sandrier et M. Lefort ; l'amendement n° 3305, par MM. Bocquet, Biessy, Desallangre et Braouezec ; l'amendement n° 3306, par MM. Dutoit, Asensi et Gerin ; l'amendement n° 3307, par Mme Fraysse, M. Chassaigne et M. Brunhes ; l'amendement n° 3308, par Mme Jacquaint, M. Vaxès et M. Hage ; l'amendement n° 3309, par M. Gremetz, M. Daniel Paul et Mme Jambu ; l'amendement n° 3310, par MM. Liberti, Goldberg et Brard.
    Ces amendements sont ainsi rédigés :
    « Supprimer l'article 1er. »
    La parole est à M. Maxime Gremetz, pour soutenir l'amendement n° 3309.
    M. Maxime Gremetz. Monsieur le président, nous avons demandé tout à l'heure à M. Fillon si le Gouvernement allait, oui ou non, prendre en compte le souhait de 65 % des hommes et des femmes de ce pays, c'est-à-dire une forte majorité de Français de voir rouvrir les négociations avec les organisations syndicales. Ne pense-t-il pas qu'un changement doit intervenir dans le déroulement de ce débat. Aussi, pour laisser au ministre le temps de réfléchir à la réponse qu'il va nous apporter, nous demandons une suspension de séance.
    M. le président. La suspension est de droit. La séance est suspendue pour quelques minutes.

Suspension et reprise de la séance

    M. le président. La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures vingt-cinq, est reprise à seize heures trente-cinq.)
    M. le président. La séance est reprise.
    En attendant le retour de ses collègues, la parole est à M. Jean-Pierre Brard, pour défendre l'amendement n° 3310.
    M. Jean-Pierre Brard. En effet, monsieur le président, mes collègues poursuivent leur réunion.
    M. Jean-Claude Lenoir. Je les ai croisés à la buvette !
    M. Jean-Pierre Brard. Monsieur le ministre, vous avez les félicitations de M. Jean-Louis Thomas, qui a déclaré sur France-Info : « le Gouvernement est courageux et va dans le bon sens, parce que ma loi avait été annulée par le gouvernement précédent. »
    M. Gilles Carrez. Il s'agit non de Jean-Louis Thomas, mais de Jean-Pierre Thomas ! Vous devez confondre avec l'ancien maire de Champigny !
    M. Jean-Pierre Brard. Je vous remercie, monsieur Carrez, d'avoir corrigé mon erreur.
    M. le président. M. Carrez est la mémoire de notre hémicycle !
    M. Jean-Pierre Brard. C'est la mémoire collective de l'hémicycle !
    M. Xavier Bertrand, rapporteur pour avis de la commission des finances. Quel tropisme !
    M. Jean-Pierre Brard. Comment imaginer que Jean-Pierre Thomas, qui fait aujourd'hui fructifier son savoir-faire dans un grand établissement bancaire, vous délivre ces lauriers de manière indue, alors que, pour lui, il n'y a plus de bénéfice politique à habiller des décisions bien réelles sous des atours trompeurs ?
    Monsieur le ministre, vous essayez de faire prendre des vessies pour des lanternes - ce qui n'est d'ailleurs pas exceptionnel dans le champ politique -, parce que vous savez bien que, pour les Français, la répartition est un bien auquel il ne faut pas toucher ! Il faut reconnaître que vous avez géré la présentation de ce projet de loi de façon remarquable, ainsi que le calendrier en jouant sur les week-ends et la proximité des vacances. Toutefois, il ne faut jamais sous-estimer ses adversaires, même quand on est fort habile comme comme vous, monsieur le ministre.
    Vous avez dû faire vôtre cette citation de Marcel Achard : « Oui, je t'ai trompée, c'est pour cela que je t'aime ». (Sourires.) Vous aimez tellement vos électeurs que vous allez même les priver des fonds de pension par répartition. Si nous demandons la suppression de l'article 1er, c'est pour vous permettre de ne pas vous identifier à Janus, c'est-à-dire pour vous empêcher de dire une chose et d'en faire une autre. Vous savez en effet parfaitement, monsieur le ministre, que les Français n'auront pas le choix si, par malheur, votre loi, une fois votée, s'appliquait. J'ai fait le compte pour mon petit garçon qui a treize ans.
    M. Jean-Claude Lenoir. A-t-il fêté la fête des pères, hier ?
    M. le président. Absolument, c'est un petit garçon qui est à l'image de son papa !
    M. Jean-Claude Lenoir. Cela promet ! (Sourires.)
    M. Jean-Pierre Brard. Cela promet, je ne vous le fais pas dire !
    Il y a une déclaration de vous, monsieur le ministre, à laquelle les médias et l'opinion n'ont pas été très sensibles - sans doute parce que, bien que prononcée en des termes forts délicats, elle était inaccessible à un auditoire non initié -, celle dans laquelle vous disiez avoir prévu de confisquer l'essentiel de l'allongement de l'espérance de vie.
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. De partager !
    M. Jean-Pierre Brard. Pour vous, partager, c'est 90 % pour moi, 10 % pour toi.
    En essayant d'anticiper les prévisions de M. Fillon, qu'il a prévu de mettre à jour de temps en temps, je me disais que si, par malheur, la loi qu'il s'apprête à faire voter s'appliquait - mais j'imagine qu'un gouvernement de gauche revenant au pouvoir l'annulera -, mon petit garçon travaillerait jusqu'à soixante et onze ans ! Chacun sait évidemment que ce n'est pas possible.
    Votre ambition, c'est que, avec le temps, le taux de remplacement, indexé sur les prix et non sur les salaires, « passe à l'essoreuse » afin que nos concitoyens, inquiets pour leur futur, se dirigent spontanément, librement, vers les fonds de pension, que vous, vous appelez « épargne salariale-retraite. »
    D'ailleurs vos amis, comme M. Kessler, coauteur avec l'un de vos anciens collègues au Gouvernement d'un livre fameux, ou M. Bébéar, sont en embuscade. On ne les entend pas.
    M. le président. Monsieur Brard, il faut conclure !
    M. Jean-Pierre Brard. Oui, monsieur le président.
    Vous avez les mains dans le cambouis et ils ne veulent pas altérer vos chances de succès pour pouvoir ensuite remplir leur cassette. Nous dénonçons cette duplicité.
    M. le président. Monsieur Brard !
    M. Jean-Pierre Brard. Une phrase, si vous le permettez, monsieur le président...
    M. le président. Une phrase et c'est terminé.
    M. Jean-Pierre Brard. Je vais essayer de ne pas faire une phrase à la Proust. (Sourires.)
    J'ai déjà dit au cours de ce débat, que vous méritiez de recevoir sur un plateau le trophée Pinocchio. Mais je propose, pour respecter L'esprit des lois de Montesquieu, de séparer l'exécutif du législatif. M. Fillon aurait de bonnes chances de le recevoir pour le volet exécutif et M. Jacquat pour le volet législatif.
    M. Denis Jacquat. Je suis très fier de me trouver avec M. Fillon !
    M. le président. La parole est à M. Maxime Gremetz, pour soutenir l'amendement n° 3309.
    M. Maxime Gremetz. Cet amendement a pour objet de supprimer l'article 1er qui contredit complètement la philosophie du projet gouvernemental. Je l'ai souligné en intervenant sur l'article mais je voudrais prolonger la réflexion.
    Monsieur le ministre, votre réforme du système des retraites qui, selon vous, sauvegarde la répartition, n'est pas financée, et vous le savez.
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Oh !
    M. Maxime Gremetz. Et le seul financement qu'elle prévoit est supporté à 91 % par les salariés...
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Et les entreprises.
    M. Maxime Gremetz. ... et non par les revenus du capital et les revenus financiers.
    Des théoriciens, qui conseillaient naguère d'autres gouvernements, expliquent, reprenant votre argument, que cette réforme est bonne. Je veux bien que la réalité soit complexe, mais quand même. Ces conseilleurs qui, hier, nous ont emmenés dans le mur, vous proposent aujourd'hui la même chose et ils vous emmenent aussi dans le mur. Ils sont nombreux. J'ai notamment entendu hier M. Piketty : bien qu'ayant fait il y a quelque temps une analyse intéressante, il vient de changer d'avis subitement en disant que les revenus du capital n'existaient pas !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Il a raison !
    M. Maxime Gremetz. Très bien. Puisque vous dites que ça n'existe pas, je prends ma fiche. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    C'est trop facile de parler toujours des bas salaires, plutôt, pour ce qui vous concerne, des salaires, de l'augmentation des retraites et d'affirmer que les principaux groupes sont en déficit. Permettez-moi de vous donner quelques résultats que j'ai trouvés dans les comptes de la nation, tout le monde peut donc en prendre connaissance :
    Carrefour, plus 8,5 %...
    M. Yves Jego. Ça fait de l'emploi !
    M. Maxime Gremetz. Ça vous gêne que je ne parle pas encore de Mme Bettencourt ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    ... PPR, plus 111,3 % ; Arcelor, plus 121 % ; Casino, plus 17,4 %, alors que les salaires baissent ; Bouygues, votre ami Bouygues, plus 93,6 % ; Aventis, plus 38,9 % ; Michelin, plus 96,2 % ; LVMH plus 5460 %. N'est-ce pas extraordinaire ?
    M. Franck Gilard. Et Vivendi, combien ?
    M. Gérard Dubrac. Et l'Humanité ? Moins 15 % ?
    M. Maxime Gremetz. Et après, on nous dit qu'il n'y a pas de capital, pas de profits, pas de placements financiers de centaines de milliards d'euros ?
    La répartition ne peut être sauvée qu'en se fondant sur les cotisations assises sur la production de richesse. Pourtant, vous accordez dans le budget 16,6 milliards d'euros d'exonérations de cotisations patronales. Alors même que toutes les études, vous le savez bien, indiquent qu'il n'est plus temps d'espérer créer des emplois avec des exonérations.
    Par ailleurs, vous baissez l'impôt sur les sociétés et refusez d'élargir l'assiette des cotisations et de moduler celles-ci, ce qui rapporterait plus de 18 milliards d'euros.
    Quant à la politique de l'emploi, je rappelle que créer un million d'emplois représente un apport de 20 milliards de francs, soit plus de 4 milliards d'euros.
    M. le président. Veuillez conclure, monsieur Gremetz.
    M. Maxime Gremetz. Ce n'est donc pas la répartition que vous visez, mais bien la baisse du revenu des pensions, l'allongement de la durée de cotisation et la capitalisation. Mais la capitalisation des fonds de pension, telle qu'elle fonctionne aujourd'hui, on l'a vu, entre autres exemples, avec Enron, est une catastrophe. Elle introduit une insécurité sociale plus grande encore.
    M. le président. La parole est à Mme Muguette Jacquaint, pour défendre l'amendement n° 3308.
    Mme Muguette Jacquaint. Lorsque mon collègue Maxime Gremetz citait les profits réalisés par le groupe Carrefour, j'entendais un député de la majorité crier que ça créait de l'emploi. Mais quels sont les emplois créés chez Carrefour et Auchan ?
    M. Yves Jego. Ce ne sont pas des fonctionnaires !
    Mme Muguette Jacquaint. Nous aurons l'occasion d'y revenir. En tout cas, l'importance du travail à temps partiel imposé et le niveau des salaires des employés de Carrefour et Auchan devraient vous inciter à faire preuve d'un peu plus de modestie sur cette question.
    M. Yves Jego. Quelle honte !
    Mme Muguette Jacquaint. Devant ces amendements de suppression de l'article, vous devez vous demander, monsieur le ministre, comment le groupe communiste peut-il demander la suppression d'un article qui réaffirme la volonté de la retraite par répartition. Vous pouvez bien l'affirmer, mais le texte de cet article, qui reconnaît la retraite par répartition comme l'élément fondateur de la solidarité intergénérationnelle, est quelque peu audacieux quand on sait ce que le Gouvernement veut faire de la répartition !
    En effet, le présent projet de loi, je l'ai dit, et mes collègues y sont revenus plusieurs fois, loin de revenir sur la réforme Balladur de 1993 s'inscrit au contraire dans sa filiation directe et aggrave ses dispositions. Il s'agit, sous les prétextes les plus divers et les plus fallacieux, d'augmenter le niveau des cotisations acquittées par les salariés, d'allonger la durée de cotisation nécessaire pour bénéficier d'une retraite à taux plein, et de minorer sensiblement le niveau des pensions, pourtant déjà peu élevé aujourd'hui. Savez-vous, mes chers collègues, que 60 %, c'est-à-dire la majeure partie, des retraités de ce pays sont non imposables au titre de l'impôt sur les revenus ? C'est dire le taux des pensions !
    Les fondements de ce projet de loi sont clairs : on affirme dans l'article 1er, de façon tautologique, que la répartition est le fondement du pacte social, et on met en oeuvre toutes les mesures qui en vident le sens, créant une forme d'appel d'air pour toutes les formules de capitalisation, d'individualisation de la retraite en détériorant le niveau des prestations fournies par la voie de la solidarité entre générations.
    Vous avez beau réaffirmer que vous êtes pour la répartition, nous, nous décelons les dangers de ce projet de loi - nous ne sommes d'ailleurs pas les seuls puisque 52 % des Français se déclarent défavorables à cette réforme.
    M. Maxime Gremetz. Ils sont 53 %.
    Mme Muguette Jacquaint. Non qu'ils soient contre toute réforme, mais parce qu'ils souhaitent une autre réforme, qui aille dans le sens du progrès, et qui assure à tous une retraite convenable, pour permettre à chacun de vivre dans la dignité et non, comme cela se passe aujourd'hui, au milieu de grandes difficultés.
    M. Maxime Gremetz. Très bien !
    M. le président. La parole est à M. le rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales pour donner l'avis de la commission sur ces sept amendements de suppression.
    M. Maxime Gremetz. Courage !
    M. Franck Gilard. On va enfin entendre quelque chose d'intelligent !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. Les auteurs de ces amendements de suppression remettent en cause en définitive le principe même autour duquel s'articule toute la réforme, c'est-à-dire la volonté de sauver le régime par répartition. Or cette volonté résulte d'un consensus politique, sur tous les bancs de cette assemblée, mais également chez tous les partenaires sociaux. Il ne saurait par conséquent être question de supprimer cet article.
    On pourrait malgré tout s'interroger sur le bien-fondé de cet article dans la mesure où il permet à nos collègues du parti communiste de marquer quelque réserve vis-à-vis du système par répartition.
    M. Maxime Gremetz. Farceur !
    Mme Muguette Jacquaint. Je n'ai pas cessé de dire le contraire !
    M. Maxime Gremetz. Il oublie l'article 40 !
    M. le président. Seul M. le rapporteur a la parole.
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Il est vrai qu'il n'est pas évident pour le parti communiste d'accepter les principes mêmes d'une économie de marché, qui reste une économie très ouverte, dans laquelle il n'existe, malheureusement pas, pour financer la solidarité, de ressources miraculeuses, de ressources cachées, comme le parti communiste l'espère, avec sincérité certainement mais aussi beaucoup d'irréalisme. Ce n'est pas en taxant davantage certains contribuables, qu'il s'agisse des entreprises ou de nos concitoyens, que l'on pourra permettre aux premiers de faire face à la concurrence internationale et, aux seconds, de garder un pouvoir d'achat à même de garantir la croissance.
    Quand bien même existerait-il une alternative, on sait bien qu'elle ne serait pas à la hauteur du défi et que le seul moyen pour sauver la répartition est de voter la réforme qui nous est proposée, qui prévoit l'allongement de la durée des cotisations. Autrement dit, il s'agit, d'une part, de prolonger la réforme entreprise en 1993...
    M. Pierre Goldberg. Quel aveu !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. ... sans laquelle, d'ailleurs, la branche vieillesse serait largement en déficit, ce que l'on oublie trop souvent de dire, d'autre part de ne pas croire qu'une autre solution pourrait être mise en place.
    M. Maxime Gremetz. Si ! Et 53 % des Français le pensent !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Pour toutes ces raisons, la commission a rejeté ces amendements.
    M. le président. La parole est à M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité pour donner l'avis du Gouvernement.
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, vous conviendrez avec moi qu'il faut une certaine perversité pour proposer la suppression de l'article 1er qui affirme que l'ensemble de notre système des retraites est fondé sur le principe de la répartition au prétexte qu'on voudrait mieux défendre cette répartition.
    Cet article exprime un choix politique fondamental que le Gouvernement et la majorité ont souhaité voir figurer dès l'entrée de ce texte.
    M. François Liberti. Qui est démenti par tous les autres articles !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Ce choix politique fondamental a fait l'objet d'un grand débat avec les partenaires sociaux et vous avez pu constater que les trois premiers articles du projet de loi reprennent les grandes lignes de la déclaration élaborée par le groupe qui réunissait l'ensemble des confédérations syndicales. Ce choix politique et philosophique recueille un consensus dans notre pays depuis - vous l'avez rappelé tout à l'heure - le Conseil national de la Résistance et le gouvernement provisoire dont il était issu. Il est d'ailleurs dommage qu'on se soit aussi vite éloigné des principes que le Conseil national de la Résistance et le gouvernement provisoire que présidait le général de Gaulle avaient émis sur ce sujet, notamment pour l'organisation des régimes de retraite des fonctions publiques.
    En tout cas, ce choix constitue l'architecture du texte qui vous est soumis.
    M. Maxime Gremetz. Non !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Nous aurions pu choisir d'autres voies. L'UDF proposait celle de la réforme par points, qui répond à une autre logique. Il y avait surtout le choix, que la gauche avait fait, de l'immobilisme (Exclamations sur les bans du groupe socialiste et sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains), qui conduit à laisser se dégrader le niveau des pensions, d'aggraver les déficits pour constater ensuite qu'il n'y a pas d'autre solution que de recourir à la capitalisation dans les pires conditions.
    M. Pascal Terrasse. Vous nous cherchez, monsieur le ministre !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Le groupe communiste s'est appuyé, à plusieurs reprises depuis le début de cette séance, sur des sondages.
    M. Maxime Gremetz. Non, pas sur les sondages !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Je suis étonné que le groupe communiste, qui a une grande expérience de la fiabilité des sondages (Sourires sur les divers bancs), pense que le Gouvernement a préparé l'ensemble de sa réforme en s'appuyant sur des sondages.
    M. Maxime Gremetz. Nous posons toujours la même question et vous n'y répondez toujours pas !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Nous, nous nous appuyons sur l'intérêt général pour présenter cette réforme.
    M. Pascal Terrasse. Je croyais que c'était sur les manifestations de dimanche !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Et l'intérêt général impose de réformer les retraites en allongeant la durée de cotisations, en augmentant les cotisations vieillesse tout en essayant de préserver un équilibre dans les prélèvements obligatoires.
    En réalité, et j'imagine que notre débat sera dominé par ce discours, la capitalisation est un fantasme, une sorte de drapeau rouge que l'opposition agite pour essayer de dissimuler son absence de propositions concrètes.
    M. Jean-Claude Lenoir. Voilà.
    M. Pascal Terrasse. Il faut dire ça à M. de Charrette !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. La vérité sur la capitalisation, c'est Dominique Strauss-Kahn qui écrit un ouvrage pour nous expliquer les bienfaits de la capitalisation, c'est Laurent Fabius qui explique, en 1999, pourquoi il faut introduire la capitalisation dans nos régimes de retraite.
    M. Pascal Terrasse. Non, ce n'est pas cela !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Je l'ai cité au début de ce débat.
    M. François Liberti. Et Madelin ?
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. C'est, me semble-t-il, Gaëtan Gorce qui, samedi dernier, dans un journal du soir, explique qu'il faut une dose de capitalisation obligatoire pour sauver nos régimes de retraites.
    M. Maxime Gremetz. C'est ce qui nous fait peur précisément !
    M. Pascal Terrasse. C'est pour cela qu'il n'est plus là aujourd'hui, on l'a brûlé ! (Sourires.)
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Ça, c'est vous qui le dites !
    L'Assemblée nationale, mesdames, messieurs les députés, mesurera la vigueur de l'opposition du parti socialiste à la loi Thomas quand elle saura que la loi Thomas n'a été abrogée que par la loi de modernisation sociale de janvier 2002.
    M. Maxime Gremetz. Et après beaucoup d'insistance !
    M. François-Michel Gonnot. Il a fallu cinq ans !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Pourtant, l'abrogation de la loi Thomas était un engagement de Lionel Jospin, dans sa déclaration de politique générale de juin 1997.
    M. Bernard Roman. Mais on a bloqué les décrets !
    M. René Dosière. C'était inapplicable !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Il a fallu cinq ans pour abroger une loi aussi nocive. Et les décrets d'application de la loi de modernisation sociale n'ont jamais été publiés.
    M. Bernard Roman. Bien sûr, on avait bloqué les décrets !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Non, vraiment, mesdames, messieurs les députés, il n'y a aucun risque de voir la capitalisation déstabiliser notre régime par répartition. En revanche, il y a urgence à voter l'article 1er de ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Brard.
    M. Jean-Pierre Brard. Fénelon disait (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire)...
    M. Charles Cova. Après Sénèque, Fénelon !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. C'est mieux que Marx ou Robespierre !
    M. Jean-Pierre Brard. « Quiconque est capable de mentir est indigne d'être compté au nombre des hommes et quiconque ne sait pas se taire est indigne de gou-verner. »
    M. Balladur, ici présent, a quant à lui assumé, quand il a organisé le début de la régression. Vous, pour faire ce bond qualitatif en arrière, vous essayez d'enrober votre pratique derrière des discours qui cachent la réalité.
    Quand vous parlez du taux de remplacement à 85 %, vous dites vrai, à condition d'avoir la chance de mourir l'année du départ en retraite.
    M. Bernard Roman. Bien sûr !
    M. Jean-Pierre Brard. Si, par malheur, vous vivez plus longtemps, vous perdez, du fait de l'indexation des retraites sur les prix et non plus sur les salaires, au moins 1 % par an, vous le savez bien.
    Quand vous parlez de perversité - je ne sais au demeurant si celle-ci est intrinsèque, comme on dit au Vatican -, vous parlez en orfèvre car, précisément, vous utilisez le langage pour essayer de faire avaler la pilule !
    Vous affirmez ne pas vous appuyer sur les sondages pour faire passer votre loi. C'est vrai puisque les sondages vous sont défavorables. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Vous vous appuyez en revanche sur la détermination des puissants et des possédants, qui vous font confiance et dont vous êtes les fondés de pouvoir (Exclamations sur les mêmes bancs.)
    M. Charles Cova. Et c'est reparti ! Il va nous reparler de Seillière !
    M. Jean-Pierre Brard. Vous ne voulez pas prendre l'argent là où il est - Dieu sait pourtant que de l'argent, il y en a. A la cassette de ceux qui vous font confiance, vous ne voulez pas toucher !
    Vous êtes fidèle à ce vieux précepte qui a toujours fait florès dans les rangs de la droite : il vaut mieux tondre les pauvres parce qu'ils sont plus nombreux que les riches. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Si nous proposons de supprimer l'article 1er, ce n'est par perversité,...
    M. Jean-Claude Mignon. Si !
    M. Jean-Pierre Brard. ... mais par souci de transparence car nous voulons faire tomber les masques.
    M. le président. Je mets aux voix par un seul vote les amendements n°s 3308, 3309 et 3310.
    (Ces amendements ne sont pas adoptés.)
    M. le président. Nous en venons maintenant aux amendements de rédaction globale.
    MM. Terrasse, Gorce, Le Garrec, Bartolone, Beauchaud, Mmes Clergeau, David, M. Durand, Mmes Génisson, Guinchard-Kunstler, Hoffman-Rispal, MM. Masse, Mathus, Mme Mignon, MM. Nayrou, Néri, Mme Oget et les membres du groupe socialiste ont présenté un amendement n° 3027, ainsi libellé :
    « Rédiger ainsi l'article 1er :
    « La nation affirme solennellement le choix de la retraite par répartition, élément du contrat social entre les générations. Elle apporte les ressources nécessaires à la pérennité du système de retraite par répartition pour faire face aux évolutions démographiques et à l'allongement de l'espérance de vie. »
    La parole est à M. Pascal Terrasse.
    M. Pascal Terrasse. Nous souscrivons entièrement à l'idée énoncée dans l'article 1er et sur laquelle il est nécessaire de conforter notre régime par répartition.
    Cet article, qui ne compte que quelques lignes, dispose que « la Nation réaffirme solennellement [...] le choix de la retraite par répartition », qui est un élément du contrat social qui lie les générations. Nous souhaitons ajouter que la Nation « apporte les ressources nécessaires à la pérennité du système de retraite par répartition pour faire face aux évolutions démographiques et à l'allongement de la durée de l'espérance de vie ».
    M. le ministre soutient que les fonds de capitalisation ne sont pas prévus dans le texte et que rien ne peut laisser penser que l'épargne retraite se substituerait à terme à la répartition.
    Je lui rappelle que le titre V du projet de loi porte sur la capitalisation, même si son intitulé ne fait référence qu'à l'« épargne retraite ». On peut donc imaginer que, petit à petit, un tel dispositif se mettra en place.
    Que l'on se réfère aux propositions du candidat Chirac concernant les rertaites : M. Chirac a clairement, pour ce qui le concerne, indiqué que les systèmes par capitalisation devraient permettre de compléter les régimes par répartition. C'est une réalité !
    Dans la discussion générale, M. de Charette nous a dit qu'il fallait aller plus loin. Quant à M. Thomas, il a déclaré il y a quelques jours - ses propos figurent dans les pages économiques du Figaro -, qu'il fallait agir vite et aller plus loin.
    M. Claude Goasguen. Et M. Fabius ?
    M. Pascal Terrasse. Ce faisant, M. Thomas nous a fait le parfait résumé des souhaits des députés de la majorité, depuis M. Novelli jusqu'à M. Xavier Bertrand : on perçoit l'engagement d'aller progressivement vers la capitalisation.
    M. Claude Goasguen. Et Fabius ?
    M. Pascal Terrasse. On m'objecte : « Et Fabius ? » Je n'aurai pas la prétention de faire un cours d'économie à nos collègues, mais il y a une différence entre l'épargne salariale et l'épargne retraite !
    M. Bernard Roman. Une différence fondamentale !
    M. Pascal Terrasse. L'épargne retraite permet en effet de mieux répartir les fruits de la croissance par le biais de ce que le général de Gaulle lui-même considérait comme deux éléments essentiels : la répartition et l'intéressement.
    Le texte de M. Fabius permettait quant à lui de mieux répartir et de rendre plus transparente l'épargne salariale, et surtout de la rendre accessible aux salariés des petites et moyennes entreprises, qui en étaient privés jusqu'alors.
    Aujourd'hui, le contexte est fondamentalement différent.
    La France a le taux d'épargne le plus élevé d'Europe : plus de 15 % de son PIB. Et l'on sait que les véhicules de l'épargne ne sont pas suffisamment productifs. On peut s'interroger sur la manière de rendre l'épargne salariale plus active, si je puis dire, en l'orientant vers les actions. Pourquoi pas ? On peut en débattre. Mais il s'agit ici de l'épargne retraite.
    Si l'on veut pousser la réflexion jusqu'au bout, que l'on se pose la question de l'assurance vie qui, pour le coup, pose un réel problème.
    M. le président. Monsieur Terrasse !
    M. Pascal Terrasse. Pour en terminer...
    M. le président. Monsieur Terrasse, vous avez disposé de cinq minutes pour exposer vos arguments.
    Quel est l'avis de la commission sur l'amendement en discussion ?
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Nous avons déjà entendu à plusieurs reprises les arguments de M. Terrasse !
    M. Pascal Terrasse. Mais nous n'avons pas obtenu de réponses !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Je vais vous les donner, cher collègue !
    Vous souhaitez que l'on écrive dans le projet de loi que « la nation affirme solennellement le choix de la retraite par répartition », ce qui est l'axe principal de la réforme, laquelle a pour mérite d'apporter des réponses à une situation qui, si elle n'était pas corrigée, aboutirait à la faillite de notre système.
    Je rappelle que, si en 1993, une courageuse réforme n'était pas intervenue, nous connaîtrions actuellement un déséquilibre grave de la branche vieillesse.
    Monsieur Terrasse, les erreurs que comportent vos propos mises à part, je ne comprends pas comment on peut être favorable au régime de retraite par répartition - conviction que nous partageons tous ici -, lequel suppose que ce soit le travail des actifs qui paie les pensions des inactifs, et écrire que c'est la nation qui « apporte les ressources nécessaires à la pérennité du système ».
    M. Pascal Terrasse. Et alors ?
    M. Bernard Roman. Tout dépend de ce qu'on répartit ! Cela s'appelle la solidarité nationale !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. On pourrait d'ailleurs revenir sur la valeur que vous donnez au travail, d'autant qu'à cet égard nos priorités ne sont pas les mêmes...
    M. Pascal Terrasse. On l'a vu !
    M. Gérard Bapt. C'est un postulat !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Vous avez constamment dévalorisé la valeur du travail, au point de placer la France dans une situation qu'il nous faut maintenant analyser pour y remédier : je parle des conséquences de la réduction obligatoire et généralisée de 11 % du temps de travail laquelle, mécaniquement, diminue la quantité de travail produite et, par conséquent, les moyens pour dégager des ressources. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Bernard Roman. La mesure a tout de même créé 400 000 emplois !
    M. Gérard Bapt. Et elle dégage deux milliards d'heures de travail par an !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. On peut repérer des erreurs importantes dans l'exposé des motifs de l'amendement. Elles expliquent peut-être que le texte de l'amendement lui-même soit irrationnel.
    Dans cet exposé des motifs, monsieur Terrasse, vous écrivez que c'est à partir de l'année 2020 que les générations du baby boom partiront à la retraite. C'est là une erreur majeure !
    Quant au fonds de réserve, vous savez très bien, et j'aurai l'occasion d'y revenir, qu'il n'est pas autre chose qu'un fonds de lissage modeste, qui pourra tout au plus fonctionner pendant trois années si la réforme présentée aujourd'hui n'est pas appliquée.
    D'après les prévisions initiales, le montant du fonds de réserve avait été estimé à 152 milliards d'euros à l'échéance de 2020. Or vous savez très bien que, en dépit des surestimations grossières auxquelles s'était livré le gouvernement précédent, notamment quant au produit de la vente des licences UMTS, on ne pourra atteindre la moitié du montant attendu.
    M. François-Michel Gonnot et M. Jean-Claude Lenoir. Eh oui !
    M. Bernard Roman. C'est de la mauvaise foi !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Et cela alors même que le Gouvernement a décidé de jouer la carte de la bonne volonté à cet égard en abondant de 500 millions d'euros le fonds de réserve lors de la privatisation du Crédit lyonnais.
    M. Pascal Terrasse. Oh la la ! C'est énorme !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Pour toutes ces raisons, la commission a rejeté l'amendement.
    M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Cet amendement, qui mélange les principes fondamentaux et les moyens, nous montre que le groupe socialiste a fait le choix, comme on nous l'a répété toute la semaine dernière, du recours exclusif aux prélèvements obligatoires,...
    M. Jean Glavany. Ce recours n'est pas du tout exclusif !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. ... refusant par là même l'allongement de la durée de cotisation.
    Tel n'est pas notre choix. Nous pensons, en ce qui nous concerne, qu'il faut agir et sur l'allongement de la durée de cotisation et sur le niveau des cotisations pour pérenniser notre régime par répartition. C'est la réforme que nous proposons.
    Par ailleurs, j'ai trop de respect pour Laurent Fabius pour laisser déformer ses propos, comme cela a été fait tout à l'heure.
    Et comme je ne voudrais pas laisser croire que nous pourrions lui faire dire des choses qu'il n'aurait pas dites, je reprendrai la même citation que la semaine dernière.
    M. Claude Goasguen. Merci, monsieur le ministre !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. En octobre 1999, Laurent Fabius estimait qu'« il serait bon qu'il y ait une possibilité de souscrire à des fonds de partenariat retraite ouvert à tous, mais aussi qu'obligation soit faite à ces fonds de pension » - je dis bien : « ces fonds de pension»  - « que 50 % de leurs avoirs soient investis en actions françaises. » (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Fabius ajoutait : « Chaque année, notre espérance de vie augmente de trois mois. Donc les actifs doivent financer chaque année des retraités qui vivront trois mois de plus. Comment voulez-vous qu'il n'y ait pas un ajustement ? » (Applaudissements sur les mêmes bancs.)
    M. Bernard Roman. Ce n'est pas contradictoire !
    M. Jean-Claude Lenoir. Fabius a raison !
    M. Bernard Roman. Vous sélectionnez vos références !
    M. Pascal Terrasse. Vous ne citez que la gauche !
    M. Claude Goasguen. Fabius est une référence de droite, c'est sûr ! (Sourires.)
    M. Pascal Terrasse. Vous n'avez donc plus d'intellectuels, à droite ?
    M. le président. La parole est à M. Jean Le Garrec.
    M. Jean Le Garrec. Je ne prolongerai pas le débat que j'ai eu pendant des heures avec notre rapporteur, M. Accoyer, sur la valeur du travail. Il le sait très bien, j'ai à cet égard des idées très précises.
    Je ne citerai pour preuve que le fait qu'à l'usine Toyota, située près de Valenciennes, le rapport temps de travail sur salaire donne l'un des meilleurs coefficients de productivité d'Europe, reconnu par les Japonais eux-mêmes.
    Alors, arrêtons ce débat, qui n'a pas beaucoup de sens ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Monsieur le ministre, nous ne sommes pas pervers. Nous sommes plutôt transparents. La preuve : certains d'entre nous peuvent s'exprimer à titre personnel et défendre des positions que notre groupe ne partage pas.
    Quoi qu'il en soit, je vous reconnais de l'habileté. Votre texte reprend, dans ses trois premiers articles, une partie de la déclaration de principe adoptée par les organisations syndicales. Mais ces articles n'ont de valeur qu'à l'aune du reste du projet de loi, dont le texte tend à contredire la déclaration de principe. C'est en cela que nous contestons votre démarche.
    Le mot le plus important de l'amendement, défendu avec talent par M. Terrasse, est celui de « ressources », la répartition étant liée à l'affectation de « ressources ».
    Nous avons fait à ce sujet un certain nombre de propositions, dont toutes ne peuvent être présentées par amendement. Nous avons par exemple proposé d'affecter au fonds de réserve les sommes économisées en renonçant à une nouvelle baisse des impôts, ou d'augmenter la contribution sociale sur les revenus du capital et du patrimoine. Voilà des propositions aussi simples que précises !
    Je vous ai fait une autre suggestion.
    En accord avec la CFDT, vous vous préparez quant à vous à augmenter les cotisations en 2006. Très bien ! Vous avez vous-même compris qu'il faudrait en passer par là. Eh bien, décidons d'apprécier en 2006 les résultats de votre politique de l'emploi et de voir ce qu'il en sera alors de l'évolution positive du taux d'activité, en faveur duquel vous sommez le patronat de faire des efforts. Sur la table seront alors posés deux chiffres essentiels, celui de l'emploi et le taux d'activité. Décidons de relancer en 2006 une négociation d'ensemble avec les partenaires sociaux après avoir constaté si les injonctions que vous avez adressées au patronat - que je soutiens -, ainsi que mes propositions concernant l'emploi auront été, ou ou non, suivies d'effet.
    Nous examinerons à ce moment-là les nouvelles dispositions qui pourront être prises.
    Il me semble que c'est le philosophe chinois Lao Tseu qui disait en substance qu'il n'y a pas de principe qui ne tienne s'il n'est pas l'aune des moyens mis pour le mettre en application.
    M. François-Michel Gonnot. Ce n'est pas Lao Tseu : c'est Confucius !
    M. Jean Le Garrec. Les principes sont posés. Soit ! Mesurons-les à l'aune de ce que sera l'évolution des ressources, des moyens de l'emploi, du taux d'activité, des résultats de la pression exercée sur le patronat.
    A la faveur d'une grande négociation, nous créerons ce dont nous avons besoin, ce dont vous avez besoin aussi, monsieur le ministre : le climat de confiance pour le monde compliqué, difficile, qui ne lit pas dans l'avenir et qui est celui des actifs du secteur privé.
    M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Brard.
    M. Jean-Pierre Brard. En vous écoutant, monsieur le ministre, on se demande si Voltaire n'avait pas raison. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Claude Goasguen. Le dictionnaire des citations est très utilisé, ces temps-ci !
    M. Jean-Pierre Brard. Nos collègues de droite nous gourmandent. Il est vrai que, hormis quelques exceptions, ils préfèrent les valeurs boursières aux valeurs intellectuelles ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Voltaire disait que « la politique a sa source dans la perversité, plus que dans la grandeur de l'esprit humain ».
    Monsieur le ministre, à qui allez-vous faire croire que vous ferez cotiser plus longtemps nos compatriotes alors que vos amis du MEDEF les font partir en retraite bien avant qu'ils n'atteignent l'âge de soixante ans ? Les Françaises et les Français sont armés de bon sens et ils ne sont pas aussi idiots que certains voudraient le croire.
    En fin de compte, au jour d'aujourd'hui, il n'est pas nécessaire de dramatiser, de donner une vision catastrophiste de la situation.
    Vous n'invoquez la démographie que pour parler des personnes les plus âgées. Moi, je voudrais qu'on parle plutôt des naissances.
    Selon les statistiques d'Eurostat, que vous ne citez jamais, « la génération 60 a une fécondité plus faible. Elle n'a toutefois pas terminé sa vie féconde, mais on observe en son sein la persistance de différences marquées de comportement - fécondité de 1,63 en Allemagne et en Italie, contre 2,36 en Irlande - et, dans plusieurs pays, le nombre d'enfants par femme est supérieur à deux ». Et quels sont les exemples cités par Eurostat ? La France, la Norvège et la Suède.
    Qu'en est-il chez nous ? Nous en sommes à 2,18 pour ce qui concerne la descendance finale.
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. On n'en est pas à 2,18 mais à 1,85 !
    M. Jean-Pierre Brard. Vous nous avez écrit un scénario-catastrophe, qui commence en 2006, qui s'aggrave en 2012 et qui devient apocalyptique en 2020, pour sombrer dans l'enfer en 2040. Or vous ne dites pas la vérité !
    De nouveau, vous méritez le trophée Pinocchio puisque la courbe démographique s'est redressée dans notre pays à partir de 1996.
    Les enfants nés à apartir de 1996 seront actifs autour des années 2020, entraînant un vrai redressement des cotisations pour les caisses de retraite. Toutefois, il faudrait que ceux qui seront aux responsabilités à ce moment-là ne conduisent pas la même politique que celle que vous menez aujourd'hui en empêchant les gens de travailler alors même qu'ils n'ont pas atteint l'âge de la retraite. Or, quand on empêche de travailler, on empêche de cotiser et on favorise les fonds de pension que vous voulez cacher à la façon de Tartuffe qui ne voulait voir ce sein qu'évoquait Molière.
    Aujourd'hui, monsieur le ministre, le spécialiste de la perversité, c'est vous ! (Sourires.)
    Un député du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Et le Tartuffe, c'est qui ?
    M. Jean-Pierre Brard. C'est vous !
    M. Jean Glavany. Et les Tartuffe se portent « à merveille, gros et gras, le teint frais et la bouche vermeille » ! (Sourires.)
    M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 3027.
    (L'amendement n'est pas adopté.)

Rappel au règlement

    M. le président. La parole est à M. Pascal Terrasse, pour un rappel au règlement.
    M. Pascal Terrasse. Monsieur le président, vous avez pu constater que, pour le bon déroulement de nos travaux, un seul membre du groupe socialiste est intervenu sur l'amendement n° 3027, quand bien même ses nombreux signataires auraient pu prendre la parole.
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Mais ils ne sont pas là !
    M. Pascal Terrasse. Nous aurions au moins souhaité répondre à la commission et au Gouvernement, ce qui n'a pas été possible. Je vous demande par conséquent une suspension de séance d'un quart d'heure, de manière à réunir mon groupe. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. Monsieur Terrasse, la suspension est de droit. Je tiens simplement à vous rappeler que, en vertu du règlement, un amendement est défendu par un seul de ses cosignataires, puis qu'un orateur peut répondre à la commission et un autre au Gouvernement - ce n'est d'ailleurs pas une obligation, mais un simple droit de réponse, M. Le Garrec, que j'aperçois, vous le confirmera.
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Absolument ! C'est une tolérance de la présidence !
    M. le président. Or il se trouve que M. Le Garrec et M. Brard avaient demandé à répondre en premier. Si Mme Royal avait réagi avant M. Brard, c'est elle qui aurait été invitée à s'exprimer en réponse au Gouvernement. Cette suspension de séance ne sera donc pas inutile à votre groupe pour s'accorder avec ses partenaires de l'opposition...

Suspension et reprise de la séance

    M. le président. La séance est suspendue.
    (La séance, suspendue à dix-sept heures vingt, est reprise à dix-sept heures trente-cinq.)
    M. le président. La séance est reprise.

Reprise de la séance

    M. le président. MM. Gorce, Terrasse, Le Garrec, Bartolone, Beauchaud, Mme Clergeau, MM. David, Durand, Mmes Génisson, Guinchard-Kunstler, Hoffman-Rispal, MM. Masse, Mathus, Mme Mignon, M. Nayrou, M. Néri, Mme Oget et les membres du groupe socialiste ont présenté un amendement, n° 3023, ainsi libellé :
    « Rédiger ainsi l'article 1er :
    « La nation affirme solennellement le choix de la retraite par répartition. Elle définit des mesures adaptées et spécifiques pour prendre en compte les inégalités d'espérance de vie. »
    La parole est à M. Pascal Terrasse.
    M. Pascal Terrasse. En principe, c'est mon collègue Masse qui devait défendre cet amendement.
    M. Dominique Caillaud et M. Patrick Ollier. Il n'est pas là !
    M. Pascal Terrasse. Mais il ne devrait pas tarder à nous rejoindre.
    Il s'agit de prendre en compte les inégalités face à l'espérance de vie. Tous les salariés n'ont pas la même espérance de vie à trente ans ou à soixante ans, et la différence vaut aussi pour l'allongement de la durée de vie. Contrairement aux idées reçues, il est prouvé que cet allongement n'est pas d'un trimestre par an pour tout le monde. Quand on examine le problème de près, on constate, et ce n'est pas nouveau, que la pénibilité de certains emplois entraîne une usure prématurée : dans des secteurs comme le textile, le bâtiment ou la sidérurgie, la durée de vie de ceux qui occupent des emplois difficiles est évidemment beaucoup plus faible que celle du cadre supérieur ou du directeur d'établissement.
    Nous estimons qu'il faudrait mettre en évidence - d'une manière ou d'une autre, et nous y reviendrons avec la série d'amendements suivante - cette inégalité d'espérance de vie entre bénéficiaires d'une pension de retraite. Dans la mesure où vous voulez allonger la durée de cotisation à quarante-deux ou quarante-trois ans, il serait nécessaire de tenir compte de cette hétérogénéité, qui prend tout son sens après soixante ans.
    Le Gouvernement, dans l'exposé des motifs du projet, invite les partenaires sociaux à réfléchir à la notion de pénibilité. Nous préférerions qu'elle soit intégrée dans la loi et traitée immédiatement, car nous craignons que cette invitation aux partenaires sociaux, s'agissant des organisations patronales, ne tourne court.
    D'ailleurs, le texte de loi met en évidence le fait que, pour certains salariés - les enseignants ou encore les militaires et les policiers -, toutes formes de bonifications existent. Par conséquent, le Gouvernement reconnaît lui-même, mais de manière très limitée, la pénibilité du travail de certaines catégories professionnelles. Nous aurions souhaité ouvrir plus largement le débat. Nous pensons notamment à toutes celles et ceux qui travaillent dans le secteur libéral de santé, en particulier les infirmières libérales, mais également dans l'industrie et le bâtiment, secteurs qui, malheureusement, ne sont pas suffisamment pris en compte.
    M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. La commission n'a pas accepté cet amendement qui affirme solennellement le choix de la retraite par répartition. Cette première phrase est redondante, puisque tel est précisément l'objet de l'article 1er du projet de loi.
    J'observe d'ailleurs, que selon l'exposé sommaire, la retraite par répartition est « un système d'assurance collective où les salariés, par leurs cotisations, financent les retraites d'aujourd'hui et acquièrent des droits pour leur propre retraite ». Cette définition est exactement contraire au principe posé dans l'amendement précédent, qui précisait que la solidarité nationale devait financer la retraite par répartition. C'est bien là l'illustration qu'il n'y a pas de projet alternatif à celui proposé par le Gouvernement, qui est consubstantiel à l'idée même de répartition, à savoir que le travail des actifs finance la retraite des inactifs.
    La deuxième phrase de l'amendement tend à la prise en compte de l'espérance de vie. On peut penser qu'il s'agit d'avancer l'âge de liquidation de la retraite à taux plein pour certaines catégories. Mais rien n'est indiqué à ce sujet. D'ailleurs, nulle part au monde cette notion n'a été, ni ne pourrait concrètement être prise en compte.
    S'il s'agit plus simplement de la pénibilité, il faut souligner que toutes les initiatives prises en ce domaine figurent déjà dans le projet. Pour la première fois, en effet, un texte de loi fait référence à la pénibilité, qui n'est prise en compte dans aucun système de retraite existant.
    Si, d'ailleurs, l'espérance de vie était prise en compte - disons au-delà de soixante ans - que pourrait bien répondre M. Terrasse à ceux qui, avec son soutien, ont été si nombreux à manifester dans les rues : je veux parler des enseignants, catégorie professionnelle qui a, et avec un écart significatif, la plus longue espérance de vie ?
    Mme Catherine Génisson. Arrêtez ! C'est lamentable !
    M. Jean-Claude Lenoir. Non, c'est ainsi !
    M. Patrick Ollier. Ce sont les statistiques !
    Mme Catherine Génisson. Et les femmes ? Elles ont une espérance de vie plus grande que les hommes, et après !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Pour d'autres catégories professionnelles ayant une espérance de vie assez longue, par exemple les professions libérales, il est intéressant de noter que la réforme ramène l'âge légal, si l'on peut dire, de la retraite de soixante-cinq à soixante ans, mais que leur sera également appliqué le système de la décote. Cela signifie que cette réforme est fondée sur l'équité et que tout le monde sera placé dans les mêmes conditions, au regard de ses devoirs comme au regard de ses droits. C'est cela, la répartition, et c'est pourquoi la commission n'a pas accepté cet amendement. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Patrick Ollier. Très bien !
    M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, il s'agit là, si je me souviens bien, d'une des quatre pistes que le parti socialiste nous a dit vouloir explorer : la prise en compte de l'espérance de vie.
    J'ai déjà eu l'occasion, dans la discussion générale, de souligner que, d'une part, l'espérance de vie n'a jamais été prise en compte dans aucun système de retraite, ni en Europe, ni dans le monde, et que, d'autre part, ce serait contraire aux principes de la répartition et de la solidarité qui caractérisent nos systèmes de retraite, puisque la répartition est basée précisément sur la mutualisation des espérances de vie. D'ailleurs, lorsque le gouvernement socialiste, en 1982, a décidé d'abaisser l'âge de la retraite à soixante ans, il l'a fait pour tout le monde de la même manière, sans tenir compte, en quoi que ce soit, des différences d'espérance de vie.
    Vouloir faire entrer ce paramètre dans le calcul des retraites, c'est ouvrir un débat extraordinairement dangereux. Premièrement, sur la différence de durée de vie entre les hommes et les femmes : doit-on pénaliser les femmes au motif qu'elles vivent plus longtemps ?
    Mme Catherine Génisson et Mme Ségolène Royal. Elles sont déjà pénalisées !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Faudrait-il alors les pénaliser davantage ?
    Deuxièmement, sur les différences en matière d'espérance de vie entre les régions françaises : faut-il en tenir compte dans le calcul des retraites ?
    M. Dominique Tian. Pourquoi pas entre les fumeurs et les non-fumeurs ?
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Troisièment, enfin, sur les écarts entre catégories professionnelles. Cela signifie qu'il faudrait allonger notamment la durée de cotisation des personnels des fonctions publiques, puisqu'ils figurent, dans les études du COR, parmi les catégories socioprofessionnelles qui ont l'espérance de vie la plus longue.
    On voit à quel point cette fausse bonne idée cache, en réalité, l'absence de projet du parti socialiste sur la question des retraites. (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. Denis Jacquat, contre l'amendement.
    M. Denis Jacquat. A plusieurs reprises, les orateurs du parti socialiste nous ont reproché de ne pas parler de la pénibilité. Pourtant, j'avais indiqué moi-même à cette tribune qu'il fallait aller vers une meilleure prise en compte de la pénibilité, alors même que le projet de loi y fait déjà référence, ce qui est une première mondiale. Aucun pays dans le monde - combien de fois faudra-t-il le répéter ? - ne prend en compte la pénibilité.
    En second lieu, et c'est le plus important, selon quels critères objectifs doit être appréciée la pénibilité ? L'exposé sommaire de l'amendement précise que « dans de nombreuses professions, les salariés sont victimes d'une usure prématurée ». Et quand nous-mêmes, nous interrogeons des personnes qui travaillent, toutes nous disent que leur métier est pénible et qu'il faut en tenir compte pour la retraite. Dès lors, la volonté du Gouvernement de proposer une prise en compte de la pénibilité, mais d'en renvoyer les modalités au dialogue social, à la négociation entre les partenaires sociaux, semble la meilleure solution. Les personnes qui travaillent sont celles qui connaissent le mieux leur métier et elles sauront distinguer le mieux possible le vrai du faux. En ce domaine, vous le savez, le subjectif tient une grande place et il nous faut des critères objectifs.
    Pour toutes ces raisons, l'amendement ne peut qu'être rejeté.
    M. Jean-Pierre Brard. C'est Seillière qui appréciera !
    M. Denis Jacquat. Cela n'a rien à voir avec Seillière !
    M. le président. La parole est à Mme Ségolène Royal.
    Mme Ségolène Royal. Je saisirai une nouvelle fois l'occasion que m'offre cet amendement pour intervenir sur la situation des femmes, et en particulier des mères de famille. D'ailleurs, monsieur le ministre, toutes mes interventions porteront sur ce sujet jusqu'à ce que vous me répondiez.
    Vous vous êtes pris dans vos propres contradictions en déclarant qu'en aucun cas il n'était question de prendre en compte la différence d'espérance de vie entre les hommes et les femmes. Alors, peut-être allez-vous nous expliquer pourquoi vous aggravez comparativement la situation des femmes avec votre réforme ? M. Balladur, ici présent, n'avait pas osé, lui, s'en prendre aux mères de famille et aux avantages familiaux. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Jean-Pierre Brard. C'est l'ancienne génération ! Il respectait les mères !
    Mme Ségolène Royal. C'est dire que vous allez encore plus loin que lui. Pourtant, il avait pris ses textes en plein été, au mois d'août ! Il aurait donc pu le faire en catimini, mais il s'y est refusé et, pour le reste, il a assumé sa réforme.
    Vous, ce qui est grave, monsieur le ministre, c'est que vous n'assumez même pas vos décisions.
    M. Dominique Tian. Quelle mauvaise foi !
    Mme Ségolène Royal. Ce qui est encore plus choquant, ce qui révolte encore plus les femmes, c'est que vous tenez des discours sur le choc démographique - le Premier ministre est même allé chercher Alfred Sauvy à la rescousse - et que cela ne vous empêche pas de revenir sur les avantages familiaux et ceux des femmes en particulier.
    M. Franck Gilard. Vous n'êtes pas le porte-parole des femmes !
    Mme Ségolène Royal. Vous prétendez que c'est à cause de la réglementation européenne que vous devez réduire les droits des femmes et vous cherchez, dites-vous, une solution élégante pour répondre aux instances de l'Union. Eh bien, je vais vous en suggérer une, monsieur Fillon.
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Faites un amendement !
    Mme Ségolène Royal. Actuellement, dans notre pays, l'écart de salaire entre les hommes et les femmes est en moyenne de 30 %...
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Pas dans la fonction publique !
    Mme Ségolène Royal. ... et l'écart des retraites, comme l'indique le Conseil d'orientation, atteint en moyenne 49 %. Vous pourriez fort bien dire aux instances européennes que, tant que ce retard ne sera pas rattrapé, il est hors de question de remettre en cause des avantages familiaux qui tiennent compte de la double journée de travail des femmes et du fait qu'elles sont souvent obligées d'interrompre leur activité professionnelle pour élever leurs enfants.
    A propos des avantages familiaux, la Cour des comptes, dans son excellent rapport publié en 2003, montre les effets induits par le changement de la proratisation du nombre de trimestres, c'est-à-dire le passage de 150 à 160 trimestres. Les principales victimes seront les femmes, dont 25 % aujourd'hui n'ont pas validé 160 trimestres de cotisation entre soixante et soixante-cinq ans. L'allongement de la durée de cotisation jusqu'à quarante-deux ans pour bénéficier d'une retraite à taux plein frappera très directement les femmes, aggravant l'écart entre le niveau des pensions des hommes et des femmes. Aujourd'hui 59 % des femmes retraitées ne parviennent pas à comptabiliser les trente-sept ans et demi de cotisation, monsieur le ministre. Comment voulez-vous que demain elles atteignent les quarante-deux ans ?
    La suppression de la bonification d'une année par enfant, prévue dans l'article 27 de votre projet de loi, va encore diminuer le niveau des retraites des femmes. Quant à la condition d'arrêt de travail que vous imposez pour bénéficier, non plus de la bonification mais de la validation, vous la dissimulez derrière un écran de fumée en disant que la mesure sera étendue aux hommes. L'intention est bonne, mais combien d'hommes interrompent leur activité professionnelle, si ce n'est pour le congé de paternité que j'ai l'honneur d'avoir créé ? Aucun.
    M. Denis Jacquat. Au contraire, ils sont de plus en plus nombreux !
    Mme Ségolène Royal. Ce sont les femmes qui arrêtent de travailler. Quant aux femmes divorcées ou séparées qui élèvent seules leurs enfants, vous croyez qu'elles peuvent se priver de leur salaire ?
    M. Dominique Tian. Et la garde alternée ?
    Mme Ségolène Royal. Monsieur le ministre, la politique du Gouvernement a au moins le mérite de la cohérence. Le ministre délégué à la famille a en effet supprimé le plan de création de places en crèche. Ainsi les femmes n'auront plus le choix : puisque vous supprimez les structures d'accueil de la petite enfance tout en exigeant d'elles qu'elles interrompent leur activité professionnelle pour bénéficier de la validation, vous êtes sûrs qu'elles n'y auront pas droit et vous portez atteinte au principe de la conciliation entre la vie familiale et la vie professionnelle, déjà si difficile pour les femmes.
    M. le président. Merci, madame Royal, votre temps de parole est écoulé.
    Mme Ségolène Royal. Monsieur le ministre, nous voudrions une évaluation de toutes ces mesures, s'agissant de la baisse du niveau des retraites des femmes en général et des mères de famille en particulier. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Dominique Tian. La nouvelle Gisèle Halimi !
    M. le président. La parole est à M. Gérard Bapt.
    M. Gérard Bapt. Je n'ajouterai rien à l'excellente démonstration de Ségolène Royal.
    M. Dominique Tian. La femme du chef !
    M. Gérard Bapt. Mais je voudrais répondre à notre rapporteur, qui s'est montré très désagréable, voire insultant, pour les enseignants, et plus particulièrement, monsieur Brard, pour les instituteurs, ces hussards de la République. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Croyez-vous, monsieur Accoyer, que, lorsqu'ils portaient les valeurs de la République, de la laïcité et de l'enseignement pour tous, ils ne faisaient pas déjà preuve de solidarité ? Croyez-vous que tous ceux qui, aux heures sombres de notre histoire, se sont engagés dans la Résistance...
    M. Dominique Tian. Et le pacte germano-soviétique ?
    M. Gérard Bapt. ... et ont défendu l'idéal républicain, lequel, par l'intermédiaire du Conseil national de la Résistance, a permis de mettre en oeuvre le programme de solidarité, et notamment la retraite par répartition, croyez-vous que ceux-là méritent des propos aussi désobligeants ?
    M. Dominique Tian. Ce ne sont plus les mêmes !
    M. Gérard Bapt. Les inégalités d'espérance de vie, monsieur le ministre, méritent une réflexion approfondie. Les inégalités territoriales sont bien réelles, mais elles tiennent aussi au fait que, dans certains territoires, certaines branches professionnelles sont plus représentées que d'autres. Il y a aussi des inégalités en matière de santé au travail ou de santé environnementale. Ne serait-il pas normal de tenir compte du fait que certains salariés ont travaillé dans des branches où ils ont été plus particulièrement exposés à des produits toxiques et à des risques sanitaires ?
    Vous nous avez inquiétés lorsque vous sembliez opposer les notions de répartition et de solidarité. En ce qui concerne l'espérance de vie, vous vous mettez en contradiction, en refusant d'explorer cette piste, avec votre propre article 5, qui évoque le niveau et la durée des retraites. La durée de la retraite ne dépend-elle pas de l'espérance de vie ? Ainsi, implicitement, vous introduisez vous-même, parce que c'est inévitable, la notion de durée de vie ou d'espérance de vie. Voilà pourquoi nous pensons pas que notre amendement soit incompatible avec la retraite par répartition. Il ouvre au contraire le champ au dialogue social, à la discussion entre les partenaires sociaux, branche professionnelle par branche professionnelle, sur les inégalités d'espérance de vie entre les professions.
    M. le président. La parole est à M. le ministre.
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Depuis le début de la discussion - et même avant -, Mme Royal a choisi de mentir sur la question des avantages familiaux (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire - Protestations sur les bancs du groupe socialiste), pour des raisons politiques que chacun aura bien comprises.
    M. Manuel Valls. C'est peut-être vous qui trompez les Français !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. J'ai déjà eu l'occasion de dire que, pour le régime général, les avantages familiaux étaient intégralement maintenus et que, pour les fonctions publiques, il nous fallait trouver, sans modifier le statut de la fonction publique, une manière de répondre à la fois à la décision de la Cour européenne de justice et à la demande des fonctionnaires.
    Nous avons proposé un dispositif qui permet de ne rien changer pour les femmes qui ont eu un enfant avant le 1er janvier 2004. Mme Royal a évoqué le cas, peu fréquent mais réel, des enfants nés pendant les études de leur mère, qui pourraient ne plus être pris en compte si le texte restait en l'état. Cette difficulté n'avait échappé ni à la commission ni au Gouvernement, et un amendement permettra de la corriger.
    Pour les femmes qui auront des enfants au-delà du 1er janvier 2004, et qui prendront donc leur retraite dans vingt-cinq ou trente ans, nous avons mis en place un dispositif qui répond aux exigences de la jurisprudence européenne, et que nous avons amélioré en portant la référence à trois années. Naturellement, si, d'ici à trente ans, des modifications, notamment du statut de la fonction publique, permettent de régler la question, elle le sera.
    Mais si je dis que Mme Royal ment, c'est parce que, essayant d'étayer son argumentation, elle nous a proposé, pour répondre à la décision de la Cour de justice européenne sur l'égalité hommes-femmes dans la fonction publique, de mettre en avant les différences de salaires entre les hommes et les femmes. Or comme vous le savez, il n'y a pas de différences de salaires entre les hommes et les femmes dans la fonction publique, car ce serait contraire aux principes qui la fondent. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Mme Ségolène Royal. Je demande la parole pour un fait personnel, monsieur le président. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. Non, madame Royal !
    Mme Ségolène Royal. J'ai été prise à partie par le ministre !
    M. le président. Vous connaissez le règlement : pour un fait personnel, je ne peux vous donner la parole qu'en fin de séance.
    M. Bernard Roman. Quand quelqu'un a été mis en cause, on lui donne la parole !
    M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 3023.
    (L'amendement n'est pas adopté.)
    M. le président. Je suis saisi d'amendements identiques, n°s 697 à 845, déposés respectivement par les membres du groupe socialiste et apparentés.
    Ces amendements sont ainsi libellés :
    Rédiger ainsi l'article 1er :
    « La Nation affirme solennellement le choix de la retraite par répartition, élément essentiel du contrat social entre les générations. Elle définit des mesures adaptées et spécifiques pour prendre en compte la pénibilité des métiers. »
    Ceux d'entre vous qui souhaitent défendre leur amendement sont priés de se faire connaître.
    La parole est à M. Pascal Terrasse, pour défendre l'amendement n° 837.
    M. Pascal Terrasse. Puisque nous en restons, avec cet amendement, au débat sur la pénibilité, je voudrais dire à notre rapporteur qu'il la confond allègrement avec la morbidité...
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Fait personnel, monsieur le président ! Mais je parlerai après Mme Royal : honneur aux dames !
    M. Pascal Terrasse. ... puisqu'il nous rabâche qu'on ne devrait tenir compte que des différences de durée de vie des salariés pour mesurer la pénibilité de leur métier.
    Je ne crois pas que la pénibilité doive s'apprécier ainsi. La durée de vie n'est pas le seul critère à prendre en compte. On doit également retenir, dans la carrière professionnelle de certains salariés, des difficultés qui sont aujourd'hui reconnues. Cela pose, le cas échéant, la question de l'adaptation des postes de travail, mais également celle de l'octroi de bonifications.
    Ces bonifications me paraissent justifiées. Le Conseil d'orientation des retraites a régulièrement travaillé sur ce thème et nous avons connaissance de ses travaux. Il est aujourd'hui reconnu, notamment grâce aux recherches d'un médecin du travail, que certains salariés vieillissent prématurément.
    Sommes-nous aujourd'hui à même de tenir compte, dans la mesure du possible, de cette pénibilité ? Je pense notamment à celles et ceux qui effectuent des travaux physiquement pénibles, mais également à celles et ceux qui travaillent à la chaîne, notamment sous contrainte. L'organisation des horaires, la nuit et le week-end, pose aussi des problèmes. Mentionnons également l'exposition aux poussières, au bruit, avec les risques de surdité qui en découlent, ou encore aux produits toxiques.
    Il est évident que, pour ces salariés, la pénibilité provoque, notamment en fin de carrière professionnelle, une véritable usure prématurée. Or, que se passe-t-il ? Très souvent, les chefs d'entreprise les mettent à la porte. On sait d'ailleurs qu'actuellement, dans leur majorité, les salariés liquident leurs droits à pension bien avant soixante ans.
    Se pose donc également la question de l'adaptation au poste de travail après cinquante ans. Pourquoi un salarié devrait-il impérativement faire les trois huit jusqu'à l'usure définitive ?
    Nous pensons que le débat sur la réforme des retraites aurait pu inclure le problème de la pénibilité. Ainsi, un médecin du travail, qui a participé aux travaux du Conseil d'orientation des retraites, estime que l'exercice de travaux pénibles s'accommode mal avec le principe d'une retraite couperet et que, dans certains métiers, comme ceux du bâtiment, par exemple, les médecins du travail devraient pouvoir permettre aux salariés vieillissants d'adapter leur métier à des usures connues et prématurées. Sur ce point en particulier, on ne peut pas simplement répondre : morbidité, comme l'a fait à l'instant, avec une certaine désinvolture du reste, notre rapporteur.
    Comme je le disais, le projet de loi invite les partenaires sociaux à négocier. Nous, nous avons déposé cet amendement parce que nous pensons qu'une invitation à négocier ne suffit pas et qu'il faut faire en sorte que le débat puisse avoir lieu avec les partenaires sociaux au niveau, non pas des branches, mais des métiers. En effet, prenons l'exemple des infirmières : la pénibilité de leur travail n'est pas le même selon qu'elles sont derrière un bureau huit heures par jour ou qu'elles travaillent les week-ends, aux urgences ou la nuit. La pénibilité doit donc s'apprécier au regard des métiers, car dans chaque branche, ceux-ci sont évidemment très différents.
    Notre amendement vise à inscrire dans le marbre de la loi cette orientation forte. M. le ministre a rappelé que nous avions annoncé plusieurs propositions. En voilà une qui diffère de celles de la majorité.
    C'est un sujet sur lequel nous insistons particulièrement. L'actuelle majorité, elle, n'a pas souhaité le prendre en compte. Nous le regrettons d'autant plus qu'elle n'a qu'un argument à avancer : les autres pays ne l'ont pas fait. Je trouve cette réponse un peu courte. Ce n'est pas parce que les autres ne l'ont pas fait que nous ne pourrions pas le faire. Sinon, à quoi sert de faire de la politique ? Autant attendre de voir ce qui se passe chez nos partenaires européens ou chez d'autres et leur coller à la roue. On aurait pu être innovant, avoir de l'audace. Le travail qui a été mené au COR démontre, s'il en est besoin, que la prise en compte de la pénibilité est une nécessité. Nous regrettons que sur ce point particulier, le Gouvernement ne nous entende pas.
    M. le président. La parole est à M. Christian Bataille, pour soutenir l'amendement n° 707.
    M. Christian Bataille. Monsieur le président, j'insisterai surtout sur la première partie de cet amendement : « La Nation affirme solennellement le choix de la retraite par répartition. »
    En effet, un article fondamental de notre Constitution, l'article 1er, dispose que « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ». Il faut y ajouter le préambule de la Constitution de 1946, cet acte fondateur qui, à l'issue de la Deuxième Guerre mondiale et dans la foulée des propositions du Conseil national de la Résistance, réaffirma un certain nombre de principes qui fondent la solidarité de la nation. Or, le système des retraites relève de ces principes. Aussi, remettre en cause le régime par répartition, c'est toucher implicitement à une affirmation solennelle de notre Constitution et remettre en cause la solidarité qui lie les citoyens, comme d'autres principes qui sont affirmés de façon prééminente dans notre Constitution.
    C'est pourquoi nous proposons de réaffirmer de façon solennelle le choix de la retraite par répartition. Bien évidemment, si notre assemblée devait faire un choix contraire, cela signifierait d'une certaine façon qu'elle tourne le dos à l'article 1er de notre Constitution.
    M. le président. La parole est à M. Jean Le Garrec, pour soutenir l'amendement n° 789.
    M. Jean Le Garrec. Monsieur le ministre, au fur et à mesure que se déroule notre débat la nécessité du grand rendez-vous que je vous propose pour 2006 - date à laquelle vous commencerez à augmenter les cotisations - se renforce. Je vous proposais en effet d'y aborder le problème de l'emploi et celui de l'évolution du taux d'activité. J'y ajoute maintenant celui de la pénibilité.
    En 2006, vous serez encore au pouvoir...
    M. Jean-Pierre Brard. Le pire n'est jamais certain : il est des dissolutions hasardeuses !
    M. Jean Le Garrec. ... ce qui vous garantit la maîtrise de ce grand rendez-vous. Peut-être même serez-vous Premier ministre, car vous en avez les qualités (« Ah ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) A moins que ce ne soit M. Balladur.
    M. Jean-Pierre Brard. Ce n'était pas le pire !
    M. Jean Le Garrec. Certes, ce n'est pas à moi qu'il revient de choisir le Premier ministre, mais on sait qu'il y aura assurément un changement.
    Quoi qu'il en soit, ce rendez-vous est en train de se préciser. Néanmoins, il reste un point sur lequel je voulais attirer votre attention, monsieur le ministre. Vous venez de dire qu'il n'était pas question de mutualiser la durée de vie.
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité C'est l'inverse. J'ai dit qu'il fallait la mutualiser !
    M. Jean Le Garrec. Or, à l'article 5, vous faites référence à l'espérance de vie.
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Oui, c'est pour cela qu'il faut la mutualiser !
    M. Jean Le Garrec. Vous y faites même deux fois référence. Vous indiquez notamment, page 13 : « La durée d'assurance sera ajustée en fonction des gains d'espérance de vie, afin de permettre la stabilisation, à sa valeur de 2003, du rapport ainsi défini. » Vous êtes donc bien conscient qu'il y a un problème d'espérance de vie, lequel est lié, évidemment, à la pénibilité. Mais vous faites également référence à la durée moyenne de vie, concept nouveau que vous introduisez dans la loi et qui gomme les inégalités, et notamment celles qui sont liées à la difficulté du travail.
    Dans la région dont je suis l'élu, la durée de vie moyenne est inférieure de quatre ans à la moyenne nationale. Pour certains bassins d'emploi, elle est de dix ans. Or, cette inégalité est à l'évidence liée aux efforts énormes consentis par les salariés. Vous avez pu d'ailleurs vous en rendre compte à l'occasion des conflits sociaux de ces derniers mois.
    Donc ne récusez pas cette référence à la pénibilité et à ses conséquences sur la durée de vie, monsieur le minisitre, alors que vous-même la réintroduisez de manière la plus explicite qui soit, à l'article 5 de votre propre projet de loi - je me réfère à ce que vous avez très clairement énoncé dans l'exposé des motifs de cet article.
    Si nous voulons obtenir une adhésion sociale à votre projet de loi, ce grand rendez-vous de 2006 que je vous propose est absolument nécessaire. Il doit réunir l'ensemble des partenaires sociaux - y compris bien entendu le patronat, s'il daigne venir - mais aussi, pourquoi pas, des représentants du Parlement, afin que les problèmes clés pour les années à venir, tels que le taux d'emploi, la pénibilité, l'employabilité, soient évoqués avant que l'on n'engage mécaniquement l'allongement uniforme de la durée de cotisation, que vous avez prévu à partir de l'année 2008.
    M. le président. La parole est à M. Bernard Roman, pour soutenir l'amendement n° 827.
    M. Bernard Roman. L'un des défauts de votre logique, monsieur le ministre, c'est que vous feignez de penser qu'une réponse uniforme puisse permettre la mise en oeuvre d'une réforme équitable. Or, en choisissant délibérément une seule clé d'accès dans cette réforme des retraites - l'allongement uniforme de la durée de cotisation -, vous ne faites que renforcer, voire amplifier les inégalités existantes - en l'occurrence les inégalités d'espérance de vie - et vous créez une injustice supplémentaire.
    En choisissant de porter uniformément la durée de cotisation à quarante et un ans d'ici à 2012, voire à quarante-deux ans, et plus encore, si l'on écoute le MEDEF, vous ignorez en effet complètement les inégalités d'espérance de vie selon les professions, la pénibilité des métiers et l'usure prématurée qui en résulte. Votre réforme ne tient pas compte, en particulier, - et je soutiens entièrement ce qu'a dit Mme Royal il y a quelques minutes - de la situation des femmes qui subissent davantage de périodes de travail à temps partiel que les hommes et qui doivent cesser leur activité à l'occasion des maternités. Il faudrait, monsieur le ministre, que vous expliquiez à la représentation nationale aux et aux Français - peut-être M. Raffarin pourrait-il le faire dans la lettre qu'il s'apprête à leur envoyer - comment une femme pourra prendre sa retraite à taux plein dans notre pays à partir de 2008. C'est impossible !
    Outre la situation des femmes, votre réforme ignore les difficultés d'accès à l'emploi des jeunes et le sort réservé aux salariés âgés qui sont aujourd'hui jetés par leurs entreprises, souvent avant d'avoir atteint cinquante-cinq ans, et plus facilement depuis que vous avez suspendu, monsieur le ministre, un certain nombre de dispositions de la loi de modernisation sociale qui rendaient plus difficiles ces licenciements souvent financiers. Mais votre projet oublie également les périodes de chômage non indemnisés et les temps de formation. Tout cela aura pour conséquence une dégradation massive du niveau des pensions.
    Puisqu'il nous faut illustrer nos propositions, monsieur le ministre, je vais vous citer un exemple tiré de la vie quotidienne : celui des éboueurs.
    M. Jean Le Garrec. Excellent exemple !
    M. Bernard Roman. Regardez-les travailler : qu'ils relèvent de régies publiques ou d'entreprises privées, pensez-vous sérieusement qu'ils seront capables d'exercer ce métier jusqu'à soixante-cinq ans ? Dans le secteur public, les collectivités essaient de proposer à leurs employés des postes de substitution après un certain âge. Comment ce problème est-il géré actuellement ? Dans le secteur privé, ils sont massivement mis à la retraite anticipée à partir de 53, 54, 55 ans, profitent d'un certain nombre de dispositifs et cessent de travailler jusqu'à l'âge auquel ils pourront prendre leur retraite. Cette période était de trois, quatre, cinq ans jusqu'à présent ; avec votre réforme elle sera de dix ans, monsieur le ministre.
    Vous pouvez continuer à nous expliquer qu'il ne faut pas prendre en compte la pénibilité et l'espérance de vie. Mais la réalité s'impose à nous et il faut que sur ce point également les Français entendent, derrière les discours lénifiants, la réalité d'une réforme qui ne fera que renforcer les injustices. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à Mme Ségolène Royal pour soutenir l'amendement n° 830.
    Mme Ségolène Royal. Non, monsieur le ministre, je ne mens pas !
    Au-delà du caractère particulièrement discourtois de votre affirmation (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire)...
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Parce que vous n'êtes pas discourtoise vous ?
    Mme Ségolène Royal. ... je vous rappelle que si tout ce qui est écrit dans la loi était effectivement appliqué, l'égalité des salaires existerait aussi dans le secteur privé...
    M. Charles Cova. Le ministre a parlé de la fonction publique, pas du privé !
    M. Franck Gilard. Au Parlement, elle existe, madame !
    Mme Ségolène Royal. ... puisqu'une loi y sanctionne les inégalités salariales. Pourtant, la réalité est là.
    Mme Marie-Jo Zimmermann. Qu'avez-vous fait ?
    Mme Ségolène Royal. Vous pourriez aussi prétendre qu'il n'y a pas de chômeurs en France, puisque le droit au travail est inscrit dans la Constitution. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

    Oui, monsieur le ministre, il y a des inégalités salariales dans la fonction publique.
    M. Maurice Leroy. C'est grandiose !
    Mme Ségolène Royal. D'abord, la masse des bas et des moyens salaires est représentée par les femmes. Ensuite, la rémunération des fonctionnaires comprend des primes. Or je vous invite à lire les excellents rapports qui font état de l'écart qui existe entre les hommes et les femmes de ce point de vue. On sait bien, par exemple, que les métiers techniques et financiers de la fonction publique - où l'on trouve les primes les plus élevées - sont majoritairement exercés par des hommes alors que les métiers sociaux et éducatifs - où il n'y a pas ou peu de primes - le sont essentiellement par des femmes.
    M. Dominique Tian. Il fallait corriger cette situation lorsque vous étiez au pouvoir !
    Mme Ségolène Royal. Oui, monsieur le minsitre, il y a des inégalités salariales dans la fonction publique, parce que les femmes sont moins disponibles pour la formation professionnelle et qu'elles sont moins nombreuses à passer les concours internes. Pour cette raison et parce que leurs durées de cotisation sont incomplètes, elles seront, je le répète, les premières victimes de cette réforme. Alors au lieu de dire que ce n'est pas exact, nous aimerions que vous apportiez des explications, que vous amélioriez votre texte...,
    M. Franck Gilard. Qu'avez-vous fait pendant cinq ans ?
    M. Dominique Tian. Donneurs de leçons !
    Mme Ségolène Royal. ...et que vous évaluiez, comme le Conseil d'orientation des retraites l'avait recommandé, l'impact de ces réformes sur les femmes, en particulier sur les mères de famille. (Protestations sur les bancs du groupe de l' Union pour un mouvement populaire.)
    M. Charles Cova. Assez, les donneurs de leçons !
    Mme Ségolène Royal. Pour terminer, je vais vous citer quelques-uns des très nombreux courriers de femmes que j'ai reçus.
    M. Dominique Tian. Et voilà du Zola féministe !
    Mme Ségolène Royal. Vous m'interromprez, monsieur le président, quand mes cinq minutes seront écoulées.
    M. Claude Goasguen. Merci d'y penser, monsieur le président !
    Mme Ségolène Royal. De Mme Arlette Comte : « Je suis une mère de famille et je suis en colère. Je me sens bafouée, spoliée par la réforme concernant les retraites. J'ai trois enfants, et je cumule pour cette raison une quinzaine d'années de temps partiel ou d'arrêt total de travail. Toutes les mères de trois enfants que je connais ont, soit cessé complètement le travail, soit travaillé à temps partiel, pour assurer un rythme de vie correct à toute la famille, mari y compris. Dans toutes ces familles nombreuses, pas un seul père n'a diminué son temps de travail...
    La décote de 5 % par année manquante de cotisation touchera de plein fouet toutes ces mères qui auront déjà une retraite partielle. Alors ne me parlez pas de l'égalité des sexes devant la loi !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité Parce que 10 % c'était mieux ?
    M. Maurice Leroy. C'était 10 % avant !
    M. Franck Gilard. A quelle section appartient-elle ?
    Mme Ségolène Royal. Mme Catherine Biegala, institutrice et mère de quatre enfants, m'écrit : « J'ai fait mes calculs. Après la réforme de M. Fillon, si je pars en 2007, à 55 ans, sans la réforme ma retraite s'élève à 1 014,95 euros. »
    M. Claude Goasguen. Vous auriez pu y penser avant, madame Royal !
    M. Jean-Pierre Brard. Ecoutez, monsieur Goasguen !
    M. Claude Goasguen. L'opposition, cela sert à apprendre !
    Mme Ségolène Royal. « Si la réforme est appliquée, le montant de ma retraite, compte tenu de mes années de temps partiel et d'arrêt, s'élèvera à 601,48 euros, soit une baisse de 40,7 % » !
    M. Jean-Luc Warsmann. Affirmer des choses fausses ne les rend pas vraies !
    Mme Ségolène Royal. « Les mères de famille sont les principales victimes de cette réforme. Leur rôle social n'est pas reconnu.
    « Je ne comprends pas le bien-fondé de ces dispositions qui sanctionnent les mères de famille qui ont priviligié leur famille et qui ont consacré une partie de leur vie à leurs enfants.
    « C'est pourquoi je sollicite de votre part une intervention afin de supprimer ces mesures anti-natalistes et injustes envers les mères de famille et qui touchent particulièrement les faibles retraites. »
    Mme Marie-Jo Zimmermann. C'est incroyable !
    M. Jean-Luc Warsmann. Vous pouvez asséner des choses fausses pendant dix heures, pendant quinze heures, elles n'en seront pas moins fausses ! C'est d'une tristesse !
    Mme Ségolène Royal. De Mme Annie Eloy :...
    (Prostestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Jean-Pierre Brard. Il y en a 30 millions !
    M. Claude Goasguen. C'est Ménie Royal !
    Mme Ségolène Royal. ... « Si je comprends la nécessité d'une réforme [...] je suis très choquée par l'injustice faite aux mères de famille fonctionnaires. En effet, elles n'avaient qu'une seule année de bonification par enfant et ce droit leur est dorénavant dénié. »
    Je trouve particulièrement scandaleux votre argument selon lequel cela ne jouera que dans trente ans.
    M. Claude Goasguen. Il fallait le faire, madame Royal !
    Mme Ségolène Royal. Non, monsieur le ministre, cela jouera pour les enfants qui naîtront à partir du 1er janvier prochain. En effet le renouvellement des générations commencera forcément avec les enfants qui naissent maintenant et qui auront trente ans dans trente ans ! Votre remarque est donc absurde !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Elle n'a que cinq minutes et elle parle depuis dix minutes !
    Mme Ségolène Royal. Vos propos sont absurdes, injustes, scandaleux et choquants ! (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Claude Goasguen. Il fallait le faire avant !
    M. le président. La parole est à M. le ministre.
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. De deux choses l'une : ou bien la personne dont on vient de nous lire la lettre est fonctionnaire, ou bien elle est affiliée au régime général. Dans ce dernier cas, et compte tenu de sa situation, elle est menacée d'une décote de 10 %.
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Voilà !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Or le texte que nous proposons ramènera cette décote à 5 %.
    Si elle est fonctionnaire, ce qui est probable, compte tenu de ce que je viens d'entendre, elle bénéficie, puisqu'elle a trois enfants, d'un droit au départ après quinze ans d'activité, ce qui n'existe nulle part ailleurs dans le régime général.
    Mme Ségolène Royal. Mais cela existe déjà !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Ce droit sera bien sûr maintenu ! Nous améliorerons même le dispositif en permettant désormais la prise en compte du temps partiel, ce qui n'est pas prévu actuellement : grâce à notre texte, on pourra valoriser des années de temps partiel comme des années à temps complet. Il s'agit donc d'une amélioration par rapport à ce qui existait lorsque vous étiez au pouvoir. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Mme Ségolène Royal. Ce n'est pas bonifié !
    M. Pascal Terrasse. Elle devra s'arrêter de travailler ! C'est justement ce que l'on vous reproche !
    M. le président. La parole est à M. Michel Charzat, pour soutenir l'amendement n° 730.
    M. Michel Charzat. Monsieur le ministre, mes chers collègues, cet amendement affirme très clairement qu'une réforme des retraites juste et négociée doit prendre en compte, pour les personnes, les phénomènes d'usure liés à la pénibilité des métiers. En effet votre méthode porte en elle une coupable négligence à l'égard de la France laborieuse. Ainsi, allonger de manière inconsidérée, comme vous le faites, la durée de cotisation, sans tenir compte ni des spécificités de certains métiers, ni des évolutions des conditions de travail, ni des conséquences prévisibles sur la santé, ni de l'aptitude à l'exercice de certaines activités à partir d'un certain âge, c'est méconnaître le monde du travail et lui accorder bien peu de considération. C'est même remettre en cause l'équité de traitement entre nos concitoyens que l'abaissement de l'âge de la retraite à soixante ans avait fait grandement progresser.
    Comment pouvez-vous aborder la réforme des retraites, sans évoquer l'usure prématurée de certaines catégories de travailleurs ? En effet, ce sont souvent ceux qui ont commencé à travailler le plus tôt, qui perçoivent les pensions de retraite les plus modestes et qui, malheureusement, en profitent le moins longtemps.
    La pénibilité physique ou psychologique qui résulte de conditions de travail particulier - travail à la chaîne, travail de nuit et posté, exposition aux bruits, à la poussière, à l'humidité, etc. - génèrent un risque grave sur la santé et, par voie de conséquence, sur la durée de vie de certaines catégories sociales. Rien dans votre projet ne paraît tenir compte de cette terrible réalité !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Mais si, justement !
    M. Michel Charzat. Nous savons tous que l'espérance de vie dépend de l'appartenance à telle ou telle catégorie de métier ou de responsabilité. Ainsi, les études de l'INSEE montrent une différence d'espérance de vie de six ans et six mois à trente-cinq ans entre un ouvrier et son directeur. Les risques de décès entre trente-cinq et soixante cinq ans sont du simple au double en fonction des postes occupés, aussi bien dans le secteur public que dans le secteur privé. Cette même analyse vaut après soixante ans : la durée de vie passée à la retraite est très nettement inférieure suivant les emplois occupés tout au long de la vie.
    Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, demandez, par exemple, à un chauffeur de poids lourd ce qu'il pense d'un départ à la retraite à soixante-deux, soixante-trois, soixante-quatre ans, alors qu'il effectue des temps de conduite la nuit, le week-end, dans le froid et les intempéries ! A l'instar de ce qui est possible pour les militaires et les fonctionnaires de police, nous pensons - nous l'avons répété à plusieurs reprises - qu'il serait judicieux de renvoyer à la négociation par fonction publique et par branche professionnelle du secteur privé la possibilité de bénéficier de bonifications trimestrielles. Or vous n'offrez cette possibilité qu'aux seules infirmières alors que, pour les militaires, la bonification est d'un an tous les cinq ans. Y aurait-il, en quelque sorte, plusieurs catégories d'emplois pénibles ? Que proposez-vous aux autres ? En particulier aux enseignants en zone sensible, aux ouvriers de catégorie C, aux chauffeurs de poids lourd dont j'ai parlé ? Rien !
    Nous pensons donc que la négociation était possible et que, en l'absence de négociation, la loi doit inscrire dans le marbre le principe d'un traitement équitable en fonction de l'espérance de vie. La notion de pénibilité n'apparaît qu'une seule fois dans votre texte et seulement pour être renvoyée à d'hypothétiques discussions. Cette lacune traduit la nature profondément inégalitaire de votre projet. Plutôt qu'un véritable débat avec les organisations syndicales, vous avez préféré la fuite en avant et fermé la porte au dialogue social.
    M. Richard Mallié. Pour vous, c'est plutôt la fuite en arrière !
    M. Michel Charzat. Monsieur le ministre, la pénibilité est un sujet décisif que vous devez prendre en compte en acceptant cet amendement, sauf à confirmer votre incapacité à répondre à un fait de société majeur : l'inégalité de durée de vie en fonction des métiers. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à  M. Manuel Valls, pour présenter l'amendement n° 841
    M. Manuel Valls. Votre projet, monsieur le ministre, renvoie la prise en compte de la pénibilité du travail pour le calcul des retraites à la négociation sociale dans un délai de trois ans. Nous pensons, au contraire, et nous essayons de le démontrer avec ces amendements utiles au débat, que la pénibilité doit être placée au centre du nouveau contrat social entre les générations. C'est l'occasion aussi d'ouvrir un autre débat et de prolonger la réflexion sur le fait que votre projet ne prend pas en considération les différentes formes de travail.
    A cet égard, il est assez étonnant que vous nous ayez reproché d'avoir voulu, pendant les cinq ans de la législature précédente, d'avoir voulu organiser la réduction du temps de travail de manière uniforme par la loi et standardiser la retraite de tous les Français en la fixant uniformément à soixante ans. En effet, votre projet rigidifie bien davantage puisqu'il ne tient aucun compte des nouvelles formes de travail. Or, depuis la crise économique des années 70, la précarité est devenue la règle pour le plus grand nombre.
    Presque plus personne ne connaît une vie professionnelle sans incident de parcours : périodes de chômage, contrats à durée déterminée,... Cette précarité, touche plus particulièrement les femmes, pour d'autres raisons que Mme Royal a rappelées. Rien de tout cela n'est pris en considération dans votre texte. Pourtant la vie professionnelle ne correspond pratiquement plus jamais au modèle qui avait fondé l'ossature de notre système de retraite par répartition après la guerre. Certes, les salariés se sont adaptés, mais la précarité a très souvent miné l'attachement porté au travail. Aussi, nombre d'entre eux remettent-ils désormais en cause le principe d'une vie professionnelle à laquelle on sacrifie tout, pour mieux valoriser leur vie personnelle et familiale. En effet, pourquoi tout miser sur le travail quand, du jour au lendemain, on peut se retrouver au chômage ou dans une situation de précarité ?
    Les trente-cinq heures - c'est l'un de leurs aspects positifs - ont accéléré ce mouvement. De plus en plus de jeunes qui entrent sur le marché du travail n'hésitent pas à faire des pauses, à ralentir leur progression professionnelle pour mener à bien des projets personnels. Or, cette évolution n'est évidemment pas prise en compte dans votre projet. Malgré cette évolution profonde de notre société, dont nous avons tenu compte notamment en instaurant les trente-cinq heures, vous décidez de rallonger la durée de cotisation. Nous demeurons évidemment ouverts à un débat par la négociation sur ce sujet, mais nous ne pouvons manquer de souligner que, avec votre projet, vous tournez le dos à cette évolution de la société.
    Ainsi que plusieurs de mes collègues l'ont déjà rappelé, votre texte ne tient aucun compte de la pénibilité professionnelle. J'ai d'ailleurs été profondément choqué par les propos du rapporteur qui reviennent à ignorer la situation que connaissent certaines catégories de salariés. Mon collègue Michel Charzat a pris l'exemple concret des chauffeurs de poids lourd, mais il y en a bien d'autres. Tel est aussi le cas des professeurs. Compte tenu, tant de problèmes d'aptitude physique et mentale que des difficultés d'exercice et de pénibilité du métiers, peu de professeurs imaginent pouvoir continuer à faire cours au-delà de soixante ans.
    Nous devons donc absolument intégrer le découplage entre la vie active et la retraite dans nos réflexions pour travailler autour de l'idée même d'une retraite à la carte qui ne pénalise pas les salariés les plus fragiles. Pourtant, votre projet n'intègre pas cet aspect de la question, préfèrant renvoyer à la négociation sociale. Or nous savons que le véritable inspirateur de ce projet de loi, c'est-à-dire le MEDEF, s'opposera à la prise en compte de la question de la pénibilité dans les négociations.
    M. Jean-Luc Warsmann. Oh !
    M. Manuel Valls. Nous aurions pu avoir un débat sur l'évolution du travail, mais vous le refusez en caricaturant nos positions et en n'acceptant pas nos amendements.
    M. le président. Monsieur Valls !
    M. Manuel Valls. C'est la raison pour laquelle il me semble important que cet amendement soit adopté. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Jean-Luc Warsmann. Vous ne l'avez jamais fait ! C'est la première fois que la notion de pénibilité est prise en compte ! Ayez un minimum de décence !
    M. le président. La parole est à  M. Gérard Bapt pour défendre l'amendement n° 704.
    M. Gérard Bapt. J'aimerais prolonger...
    M. Maurice Leroy. « Prolonger », le mot est faible !
    M. Manuel Valls. Disons « approfondir » !
    M. Gérard Bapt. ... le débat engagé à propos de l'amendement n° 3023, M. le rapporteur et M. le ministre ont en effet rejeté la prise en compte de la notion d'espérance de vie, laquelle rejoint la question de la pénibilité.
    Après avoir précédemment lu l'article 5, je vais citer un passage de l'exposé des motifs le concernant : « La durée moyenne de retraite, pour une année donnée, est définie à partir de l'espérance de vie à soixante ans telle qu'estimée cinq ans auparavant, afin d'utiliser des données constatées et publiées par l'INSEE et de donner la visibilité nécessaire aux assurés », sous entendu évidemment, par branche professionnelle et par type de métier. Il poursuit : « La durée d'assurance sera ajustée en fonction des gains d'espérance de vie, afin de permettre la stabilisation, à sa valeur de 2003, du rapport ainsi défini. »
    Par ailleurs, on peut lire en titre, page 15, du rapport de M. Accoyer : « Des inégalités persistent entre retraités en fonction des carrières accomplies au cours des périodes d'activité. » M. Accoyer, qui le niait tout à l'heure, poursuit : « La première inégalité réside dans l'espérance de vie après soixante ans puisque des différences sont constatées en fonction de la catégorie socioprofessionnelle dont relèvent les individus. Pour mémoire, il est rappelé que l'espérance de vie à soixante ans d'un ouvrier est de 17 ans, celle d'un cadre est de 22,5 ans, et celle d'un enseignant de 23,5 ans. »
    Il est donc bien clair que la pénibilité est un facteur de l'espérance de vie et qu'elle joue un rôle primordial dans les inégalités au regard de la retraite.
    Cet article 5 définit - nous en reparlerons lorsque nous y reviendrons - la notion de durée moyenne de la retraite. Pour une année civile donnée, il s'agira de l'espérance de vie à soixante ans telle qu'estimée cinq ans auparavant - en 2003 pour 2008, par exemple - par les données de l'INSEE et dont est retranché l'écart existant entre la durée d'assurance ou la durée des services et les bonifications nécessaires au service d'une retraite.
    Vous constatez donc que tant l'exposé des motifs du projet de loi que le rapport de M. Accoyer donnent une place fondamentale à la notion de pénibilité et à celle d'égalité devant l'espérance de vie.
    Malgré cela, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, vous vous accrochez à cette réforme qui consiste essentiellement à allonger la durée de cotisation alors qu'une telle démarche aggravera ces injustices, que vous reconnaissez, mais vous apportez une réponse trop uniforme.
    Une récente enquête de l'IFOP, réalisée pourtant pour votre ministère de l'emploi et de la solidarité, confirme l'exigence de lien pénibilité au travail et retraite. Il en ressort que 94 % des personnes interrogées sont d'accord avec la proposition selon laquelle « les salariés ayant exercé des métiers pénibles devraient avoir le droit de partir plus tôt à la retraite ».
    Bon nombre de quinquagénaires ont commencé leur activité professionnelle très tôt et ont été exposés de manière durable aux contraintes imposées par le travail industriel des trente glorieuses, mais, loin d'être révolue avec le déclin du taylorisme et de la grande manufacture, la pénibilité du travail persiste même si elle est modifiée.
    M. Pascal Terrasse. Quel talent ! Quel exposé !
    M. Gérard Bapt. Elle se diffuse et prend aujourd'hui de nouvelles formes, liées notamment - j'en parle en connaissance de cause car en qualité de cardiologue je sais l'importance de ces facteurs - au stress, au rythme de vie, et à celui du travail dans la morbidité cardiovasculaire. Dailleurs, les facteurs de pénibilité se concentrent sur des groupes spécifiques de salariés, parmi lesquels figurent en première ligne les ouvriers, les employés peu qualifiés et les artisans.
    Toute action visant à lier pénibilité du travail et âge de la retraite ne saurait donc faire l'économie d'une action efficace pour réduire la pénibilité du travail et organiser une gestion prévisionnelle des emplois.
    M. le président. Merci, monsieur Bapt !
    M. Gérard Bapt. Le succès d'un tel dispositif implique la reconnaissance de la notion de pénibilité...
    M. le président. C'est terminé !
    M. Gérard Bapt. ... et l'ouverture d'un dialogue social par branche. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à Mme Génisson, pour soutenir l'amendement n° 763.
    Mme Catherine Génisson. Après Ségolène Royal, je veux revenir sur les questions du travail des femmes et de la pénibilité.
    Je tiens d'abord à souligner que si, dans la fonction publique, on ne constate pas de différences de salaires à fonctions égales, on relève cependant les mêmes différences de revenus qu'ailleurs entre les femmes et les hommes. J'appuie mon affirmation sur un excellent rapport de Anne-Marie Colmou paru en 1999, qui traitait de la haute fonction publique. Il en ressort notamment que l'écart résulte non d'inégalités salariales, mais de la réalité des accès à la formation et aux promotions. Comparez par exemple le nombre des institutrices avec celui des inspectrices d'académie ou des femmes recteurs, par exemple.
    M. Jean Ueberschlag. Elles travaillent à temps partiel ! (Sourires.)
    Mme Catherine Génisson. M. le ministre, en nous présentant le projet, a indiqué qu'il apportait des améliorations substantielles aux femmes employées à temps partiel dans la fonction publique. Il est vrai que le texte comporte une disposition qui permet aux femmes travaillant à temps partiel de cotiser commes si elles étaient à temps plein pour bénéficier d'une durée d'activité correspondant à celle qu'elles auraient eu si elles avaient travaillé à temps plein. Mais comment bénéficier de cette mesure quand on gagne 250 euros par mois ? Or je vous rappelle que 80 % de ceux qui gagnent 250 euros par mois dans le secteur public sont des femmes, et que 10 % des femmes qui travaillent vivent en dessous du seuil de pauvreté. La mesure proposée est peut-être excellente, mais combien de femmes pourront-elles en bénéficier ?
    Mme Royal a souligné fort justement ce qui se passait pour les compensations familiales. A ce propos je me contente de rappeler l'excellente recommandation faite par la délégation aux droits des femmes dans sa préconisation n° 5 : « Dans le régime de la fonction publique, la bonification d'une année d'assurance attribuée aux hommes et aux femmes pour les enfants nés avant 2004, sous réserve d'une interruption d'activité, devrait être maintenue pour les enfants nés après 2004, afin que continuent à en bénéficier toutes les femmes fonctionnaires, en particulier celles qui assument à la fois la charge des enfants et celle de la vie professionnelle. »
    Certes, monsieur le ministre, votre dispositif valide le temps pendant lequel les femmes ont interrompu leur activité après avoir eu un enfant, jusqu'à la troisième année de l'enfant en tout cas, mais ce dispositif est pénalisant pour celles qui, dans la fonction publique, ont choisi de continuer à travailler après avoir eu des enfants. Vous invoquez la jurisprudence européenne, mais vous ne l'appliquez pas de la même façon pour cette mesure et pour une autre, que vous avez citée tout à l'heure, et qui offre aux femmes travaillant dans la fonction publique la possibilité de partir après quinze ans de carrière lorsqu'elles ont trois enfants - excellente disposition sur laquelle je ne vous demande pas de revenir, mais dont nous savons qu'il sera difficile de la maintenir en l'état.
    Vous avez donc une interprétation discriminatoire lorsqu'il s'agit de prendre en compte l'activité des femmes dans la fonction publique.
    Le sujet de la pénibilité est transversal, concernant aussi bien la fonction publique que le secteur privé, et doit être traité comme tel. Et je m'insurge contre les propos de nos collègues de la majorité qui affirment que nous sommes les seuls à inscrire la pénibilité dans la loi. Je voudrais quand même rappeler l'importance des régimes spéciaux, qui ont précisément pris en compte cette pénibilité.
    M. Franck Gilard. Eh oui, les conducteurs de locomotive !
    Mme Catherine Génisson. Tout à l'heure, monsieur le ministre, vous évoquiez la différence d'espérance de vie d'une région de France à une autre. Ma région du Nord-Pas-de-Calais est tristement lotie en la matière, puisque l'espérance de vie y est en moyenne inférieure de quatre ans à celle des habitants du Midi. Je ne pense pas que ce soit pour des raison climatiques. L'explication doit plutôt être recherchée dans les métiers qu'ont exercés les salariés de cette région, qui travaillent dans la sidérurgie, la chimie, le textile, mais surtout dans la mine. Le régime minier prenait en compte la malheureuse spécificité de ceux qui ne bénéficiaient souvent de leur retraite que pendant quelques mois, puisque l'anthrace et la silicose les faisaient décéder très rapidement.
    Le rapport entre la pénibilité et la durée du temps de cotisation est un sujet majeur, que vous ne prenez en compte que très partiellement à propos de la fonction publique. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. Merci, madame Génisson. Votre temps de parole est écoulé.
    La parole est à M. Christophe Masse, pour défendre l'amendement n° 805.
    M. Christophe Masse. Les problèmes de pénibilité sont très variés selon les professions, mais ils doivent être reconnus. Or, monsieur le ministre, la position du groupe socialiste, que vous caricaturez régulièrement, a, au travers de cet amendement, le mérite de proposer une véritable alternative à votre démarche d'uniformisation.
    En effet, Manuel Valls l'a dit, nous sommes soucieux d'instaurer un véritable débat sur l'emploi, sur la pénibilité, branche par branche, métier par métier. Vous feignez de ne pas entendre ce que nous vous disons et préférez choisir d'autres partenaires, mais personne n'est dupe.
    Il y a en effet, dans chaque corporation, des travaux plus pénibles que d'autres, des travaux à la chaîne, des travaux de nuit ou de week-end, des travaux liés à des expositions particulières, qu'il convient d'étudier au cas par cas.
    M. Franck Gilard. Les travaux de la majorité, en ce moment !
    M. Christophe Masse. Il y a en effet des usures prématurées.
    M. Dominique Tian. Allez, faites semblant d'y croire, monsieur Masse, et nous vous encouragerons ! Il faut l'encourager, c'est un survivant : il ne reste pas beaucoup de socialistes à Marseille !
    M. Christophe Masse. L'amendement que je défends ne propose pas de mettre en place une hypothétique négociation, mais, au contraire, de légiférer sur l'obligation de traiter la question de la pénibilité branche par branche et métier par métier. Cette nécessité doit être gravée dans le marbre de la loi, pour reprendre l'expression de mon collègue Michel Charzat. Cette démarche ne peut pas être renvoyée aux calendes grecques...
    M. Dominique Tian. Aux calanques grecques ? (Sourires.)
    M. Christophe Masse. ... pour d'éventuelles négociations. La confiance fait défaut, monsieur le ministre, et cela vous interdit de compter sur la négociation pour régler ce problème.
    On ne peut pas uniformiser la durée de cotisation et ignorer que l'espérance de vie varie selon la pénibilité des tâches accomplies. Votre projet est donc purement comptable et arithmétique. A aucun moment, il n'affirme la volonté de prendre en compte toutes les branches du monde du travail. C'est à croire, monsieur le ministre, que vous ignorez ce monde, qu'il vous est lointain, inconnu.
    M. Jean-Luc Warsmann. Pas de sectarisme !
    M. Christophe Masse. Vous voulez traiter ce dossier avec une telle rapidité que cela s'apparente à un passage en force, on l'a souligné à plusieurs reprises. C'est aussi un déni de concertation et une méconnaissance des conditions de travail en France.
    M. Jean-Luc Warsmann. Ne donnez donc pas de leçons ! Un peu d'humilité ! Soyez plus constructif et moins critique !
    M. Christophe Masse. Nous voulons un vrai débat sur les risques et sur la pénibilité. Voilà pourquoi nous vous demandons d'accepter cet amendement, même si nous connaissons, monsieur le ministre, votre volonté d'agir rapidement et de passer en force. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Jean-Luc Warsmann. C'est vraiment la polémique pour la polémique !
    M. Christophe Masse. Nous souhaitons, quant à nous, prendre le temps de la réflexion afin d'étudier, avec tous les partenaires sociaux, la définition de la pénibilité du travail.
    M. Jean Le Garrec. Très bien !
    M. Jean-Luc Warsmann. Mais vous n'avez rien fait pendant cinq ans ! Un peu de pudeur !
    M. le président. La parole est à Mme Elisabeth Guigou, pour défendre l'amendement n° 769. (« Ah ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Est-ce que les caméras tournent ?
    Mme Elisabeth Guigou. Je constate, pour m'en réjouir, que nos interventions suscitent de l'intérêt sur les bancs de la majorité ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Nous sommes, en effet, dans un grand débat de société dont j'ai dit tout à l'heure qu'il aurait dû être mené de façon beaucoup plus approfondie (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) pour que la réforme ait une chance d'être acceptée.
    M. François-Michel Gonnot. Oui, vous avez raison, pendant cinq ans !
    Mme Elisabeth Guigou. Nous le savons, en effet, nous vivons dans des sociétés complexes. Si nous voulons qu'une réforme des retraite aboutisse - et cette réforme est certainement nécessaire pour faire face au choc démographique - il est essentiel de s'assurer des conditions de l'adhésion de la plus grande partie de nos concitoyens. Depuis que ce débat est ouvert, monsieur le ministre, nous posons des questions de fond, qui constituent d'ailleurs autant de propositions, sur les graves lacunes de votre projet. Si nous vous donnons parfois le sentiment de nous répéter, c'est que nous avons l'impression de n'être pas entendus. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Charles Cova. On n'a pas ce sentiment !
    Mme Elisabeth Guigou. Première question : pourquoi ne pas tracer les perspectives du financement jusqu'en 2020 ? Comment voulez-vous une adhésion du plus grand nombre si l'on doit se dire, en permanence, que l'on n'est pas près de voir la fin du tunnel ?
    M. Richard Mallié. Vous, vous n'avez pas encore trouvé l'entrée !
    Mme Elisabeth Guigou. Voilà pourquoi nous vous disons avec insistance, certes, qu'il eût en effet été plus judicieux, pour obtenir la confiance, de déterminer le niveau des retraites, de tracer l'ensemble des perspectives de financement jusqu'en 2020. Aujourd'hui, avec un financement qui, sur la base de votre projet, n'est assuré qu'à moins de 40 %, on peut légitimement penser que les efforts qu'on demande, déjà très importants, le seront encore plus dans l'avenir.
    Deuxième question : pourquoi ne faire appel qu'à l'allongement de la durée de cotisations, qui est source de très graves injustices ? Les Français n'accepteront la réforme que s'ils ont le sentiment que les efforts sont équitablement répartis.
    M. Jean-Luc Warsmann. C'est un peu contradictoire ! Tantôt ça ne finance que 40 %, tantôt ça finance tout ! L'argumentation est floue !
    Mme Elisabeth Guigou. Une réforme des retraites demandera des sacrifices, qui seront d'autant mieux acceptés qu'ils seront répartis de façon équitable, c'est-à-dire qu'ils ne toucheront pas seulement les salariés, pas seulement les personnes qui souffrent le plus des inégalités.
    Certes, ce n'est pas vous qui avez créé ces inégalités, mais elles existent bel et bien, et nous avons dû, nous aussi, les affronter.
    M. Dominique Tian. Vous ne les avez pas corrigées, en tout cas !
    Mme Elisabeth Guigou. Peut-être (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et des groupes Union pour la démocratie française.)
    M. François-Michel Gonnot. Quel aveu !
    Mme Elisabeth Guigou. En tout cas, ce qui est terrible, c'est que votre projet va les aggraver, surtout pour les plus petites pensions. Nous nous sommes longuement exprimés. J'ai encore en tête ce qu'on pu dire Jean Le Garrec et d'autres.
    M. Manuel Valls. C'était remarquable !
    Mme Elisabeth Guigou. Ségolène Royal et Catherine Génisson ont parlé de la double pénalisation au détriment des femmes. Celles qui, aujourd'hui, travaillent à temps partiel, ont déjà du mal à obtenir trente-sept annuités et demie ; qu'en sera-t-il lorsqu'elles devront travailler quarante, quarante et un ou quarante-deux ans, et qu'elles auront choisi d'interrompre leur activité pour élever leurs enfants ? Il faut répondre à cette question.
    La question de la pénibilité est également très importante. Nous l'avons dit et répété et l'excellent rapport de M. Yves Struillou, au Conseil d'orientation des retraites a dressé le même constat ; l'INSEE évalue que les ouvriers sont deux foix plus nombreux à mourir au cours de leur période d'activité, c'est-à-dire avant soixante ans, que les cadres. Il est donc important que s'ouvre une négociation sur cette question et vous l'avez vous-même souhaité, monsieur le ministre. Encore faut-il que l'Etat fixe le cahier des charges de la négociation. S'en remettre simplement à la négociation sur un sujet aussi important est insuffisant.
    Cette question de la pénibilité recoupe celle de l'espérance de vie, sur laquelle nombre de nos collègues ont insisté.
    Pour traiter de manière vraiment utile cette question de la pénibilité, on peut envisager différents scénarios, comme le fait le rapport du Conseil d'orientation des retraites. Mais, quel que soit le scénario choisi, il est important que nous ayons une double impulsion, une impulsion législative et une négociation professionnelle. Pour cela, il me semble que nous pourrions prévoir plusieurs étages - mais encore faudrait-il le mentionner dans la loi.
    M. le président. Merci, madame Guigou.
    Mme Elisabeth Guigou. C'est ainsi qu'il faudrait essayer de traiter...
    M. le président. Quel est l'avis de la commission ? (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. François Hollande. Laissez-la parler !
    Mme Elisabeth Guigou. ... ce problème de la pénibilité du travail. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Nos collègues du groupe socialiste continuent à présenter 149 fois le même amendement.
    M. Jean-Luc Warsmann. A faire de l'obstruction !
    M. Pascal Terrasse. Nous sommes majoritaires !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Comme ils répètent beaucoup de choses qui n'ont pas grand rapport avec le texte de l'amendement qu'ils ont déposé...
    M. François Hollande. Si !
    Mme Ségolène Royal. Vous n'avez pas bien écouté !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. ... il me semble nécessaire de rappeler le texte de cet amendement : « La Nation affirme solennellement le choix de la retraite par répartition » - ce qui est évidemment l'objet central du projet de loi - « élément essentiel du contrat social entre les générations. Elle définit les mesures adaptées et spécifiques pour prendre en compte la pénibilité des métiers. »
    M. Bernard Roman. Excellent !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Mes chers collègues, j'ai attentivement écouté vos interventions, et vous avez tous répété que rien, dans le texte du Gouvernement, ne concernait la pénibilité.
    Mme Elisabeth Guigou. Très peu !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Malheureusement, la commission ne partage pas cet avis, pour la simple raison que le texte évoque souvent la pénibilité,...
    M. François Hollande et M. Pascal Terrasse. Un seul mot !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. ... ce qui constitue une importante avancée, puisque, pour la première fois dans un système de retraites, sont mises en place des dispositions en faveur de la pénibilité.
    M. Pascal Terrasse. Ce n'est pas dans la loi, c'est dans l'exposé des motifs !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Monsieur Terrasse, si vous voulez bien me prêter un instant d'attention, vous verrez que c'est bien dans la loi.
    Mme Ségolène Royal. Dans quel article ?
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Je vous renvoie à l'article 12, qui traite des cessations anticipées d'activité et stipule, dans ses alinéas 4 et 5, qu'il limite les exonérations de charges aux dispositifs de cessation anticipée d'activité s'adressant à certains travailleurs salariés ayant exercé des travaux pénibles.
    M. Pascal Terrasse. Ce n'est pas dans la loi : c'est l'exposé des motifs !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Vous trouverez le détail page 137. Nous sommes ici au coeur de la mise en application de dispositions touchant à la pénibilité.
    M. François Hollande. Ce n'est pas dans la loi !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Si vous aviez lu le rapport, vous auriez observé que l'excellent rapporteur pour avis de la commission des finances a également introduit avant l'article 16, un amendement qui met en lumière les dispositions relatives à la prise en compte de la pénibilité.
    M. Charles Cova. Ils n'ont pas lu le projet !
    M. Richard Mallié. Ils ne savent pas lire !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Vous conviendrez que, dans le texte lui-même, à l'article 16, les dispositions sur les très longues carrières concernent très souvent, sinon toujours, la pénibilité et ce que vous avez désigné tout à l'heure comme l'usure. Il s'agit là d'une avancée considérable.
    M. Jean-Luc Warsmann. Le problème est réel et grave !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Madame Guigou, lorsque vous étiez ministre des affaires sociales, vous aviez, à cette tribune - je m'en souviens comme si c'était hier -, refusé à nos collègues du groupe communiste, qui avaient présenté une proposition de loi dans le cadre des niches parlementaires, de prendre en compte ces situations. Or, cette avancée relative aux salariés qui ont commencé à travailler à quatorze, quinze et seize ans, et que vous avez refusée, figure bien dans le texte.
    A l'article 54, il s'agit, cher collègue Terrasse, de dispositions bien concrètes, qui concernent la pénibilité dans certains corps de la fonction publique, confrontés à des conditions de travail particulièrement difficiles. Aussi tard soit-il pour le faire, vous pourrez en prendre connaissance à la page 252 du rapport, qui analyse cet article 54.
    M. François Hollande. Le rapport, c'est pour les archives !
    M. Jean-Pierre Brard. Le rapport, ce n'est pas la foi ! C'est pour les étudiants !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Mais c'est écrit dans la loi !
    M. Jean-Luc Warsmann. C'est vraiment de la mauvaise loi !
    M. François Hollande. Au fond du lac, le rapport !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Donc, mes chers collègues, sans même parler de la méconnaissance un peu inquiétante du texte, dont vous faites preuve à la puissance 149,...
    M. Jean-Pierre Brard. Ce n'est pas très mathématique !
    M. Bruno Gilles. Au lieu d'amender, lisez un peu !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. ... et compte tenu du fait que la pénibilité est prise en compte dans le texte tel qu'il est présenté aux parlementaires, il apparaît bien évident que la commission a décidé de rejeter cet amendement.
    Mme Ségolène Royal. C'est laborieux !
    M. François Hollande. Je dirais même plus : c'est pénible !
    M. le président. Sur l'amendement n° 837 et les amendements identiques qui ont été défendus, je suis saisi, par le groupe socialiste, d'une demande de scrutin public.
    Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
    Quel est l'avis du Gouvernement ?
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, la très importante question de la pénibilité mérite mieux que des invectives. Elle a fait l'objet de nombreux débats au sein du Conseil d'orientation des retraites et du groupe de travail que nous avions mis en place avec les partenaires sociaux. Nous sommes arrivés à la conclusion - à laquelle sont parvenus tous les pays européens - que la notion de pénibilité, qui est évolutive, devait, pour l'essentiel, faire l'objet de discussions entre les partenaires sociaux.
    Tous les schémas sont possibles : elle peut se dérouler au niveau des branches ou au plan interprofessionnel. Ce qui compte, c'est que la définition des emplois pénibles soit réalisée par ceux qui peuvent le faire, c'est-à-dire les partenaires sociaux, et en aucun cas par le législateur.
    C'est d'autant plus important que notre objectif ne doit pas être seulement de mutualiser le coût du départ en retraite anticipée en raison de la pénibilité du travail, mais d'essayer de réduire cette pénibilité. Et, pour cela, il n'y a pas de meilleure méthode que d'inciter les entreprises, par des biais financiers, à cotiser plus pour permettre le départ anticipé de ceux qui occupent des postes de travail pénibles. C'est ce que propose notre texte ; or c'est ce que la totalité de nos interlocuteurs, syndicaux et patronaux nous ont dit souhaiter aux cours des discussions que nous avons eues à ce sujet.
    M. le rapporteur de la commission des finances, à la suite de discussions menées en commission et avec les partenaires sociaux, a souhaité préciser le texte par un amendement que le Gouvernement soutiendra, parce qu'il permet de fixer plus précisément, comme le souhaitent certains sur les bancs du groupe socialiste, les conditions dans lesquelles s'engagera la discussion entre les partenaires sociaux. Il faut une date butoir, et il faut qu'il soit clair que, si les partenaires sociaux ne parvenaient pas à s'entendre dans le délai fixé, le législateur serait fondé à prendre de nouvelles dispositions tenant compte de la pénibilité.
    Au-delà de cette argumentation, que chacun connaît et qui est très largement acceptée par les partenaires sociaux, je voudrais ajouter que, si le groupe socialiste tient à être crédible sur cette question de la pénibilité, dont il a fait un des points essentiels de son opposition,...
    M. Pascal Terrasse. Attention, monsieur le ministre : jusqu'à présent, vous avez été bon !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. ... il faut qu'il nous donne des explications sur la façon dont il entend faire progresser ce dossier. Il ne suffit pas de déposer un amendement disant que la pénibilité sera prise en compte dans le calcul des retraites pour que cela devienne une réalité. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. François Hollande. Il aurait fallu négocier !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. D'autant que, dans ce domaine, vous avez un passé...
    M. Bernard Roman. Et vous, un passif !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. ... et que, si vous voulez à présent convaincre les Français, il faut leur donner des indications précises sur la manière dont vous voulez que la pénibilité soit prise en compte. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Rappel au règlement

    M. Pascal Terrasse. Je demande la parole pour un rappel au règlement, monsieur le président.
    M. le président. La parole est à M. Pascal Terrasse, pour un rappel au règlement.
    M. Pascal Terrasse. Mon rappel au règlement a pour but de contribuer au bon déroulement de la séance.
    Je vois à peu près, monsieur le président, comment les choses s'organisent sous votre présidence, et je n'ai absolument rien à y redire. Simplement, il semblait que lorsque nous défendions un amendement, au moins l'un des nôtres aurait pu répondre, soit à la commission, soit au Gouvernement. Tel n'a pas été votre choix, en raison du fait que d'autres ont levé la main avant nous.
    Je demande donc, au nom de mon groupe, une suspension de séance de dix minutes (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française), afin que nous puissions nous réunir pour savoir comment aborder la suite de ce débat.
    Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Le scrutin a été annoncé !
    M. le président. Monsieur Terrasse, je crois que depuis le début de l'après-midi, chacun a pu librement et largement s'exprimer dans cette enceinte. Simplement,...
    M. Pascal Terrasse. Monsieur le président...
    M. le président. Monsieur Terrasse, je vous ai donné la parole ; maintenant ne m'interrompez pas, et écoutez-moi.
    A chaque fois que vous avez demandé la parole et que cela entrait dans le cadre du règlement, vous l'avez obtenue. Il se trouve que sur cet amendement, il y a eu deux demandes de parole émanant du groupe communiste et républicain. Il serait bon que vous vous arrangiez avec les membres de ce groupe, puisque vous êtes ensemble des partenaires de l'opposition.
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Oui !
    M. le président. J'ai interrogé le groupe communiste et républicain, qui m'a dit souhaiter s'exprimer par les voix de M. Brard et de Mme Jacquaint, qui n'ont pas souhaité vous céder leur temps de parole.
    M. Jean-Claude Lenoir. Le torchon brûle !
    M. le président. Il faut être les premiers à lever la main pour demander à répondre au Gouvernement et à la commission. Je vous rappelle, en outre, qu'il s'agit là d'une faculté laissée à l'appréciation du président et non pas d'un droit.
    Telle est la règle du jeu. Elle est fixée par le règlement de notre assemblée. On ne peut pas y déroger parce que tel ou tel député souhaiterait qu'il en soit autrement, monsieur Terrasse. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    La parole est à M. Pascal Terrasse.
    M. Pascal Terrasse. C'est bien pourquoi nous allons nous réunir avec nos collègues communistes...
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Sur un ring !
    M. Pascal Terrasse. ... pour voir comment nous allons nous organiser dans la suite de ce débat.
    M. le président. Monsieur Terrasse, vous m'avez demandé tout à l'heure une suspension de séance pour les mêmes raisons. Je me rends compte que, finalement, vous vous réunissez pour rien puisque vous n'arrivez pas à régler vos problèmes. (Applaudissements et rires sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Claude Goasguen. Au vote !
    M. Pascal Terrasse. Tout à l'heure, nous avons réuni le groupe socialiste. Là, il s'agit d'un rencontre que nous pourrions avoir avec nos collègues communistes.
    M. le président. Très bien.
    Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Et le scrutin ? Il a été annoncé !

Suspension et reprise de la séance

    M. le président. La séance est suspendue.
    (La séance, suspendue à dix-neuf heures, est reprise à dix-neuf heures quinze.)
    M. le président. La séance est reprise.

Rappel au règlement

    Mme Elisabeth Guigou. Je demande la parole pour un rappel au règlement, monsieur le président. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à Mme Elisabeth Guigou, pour un rappel au règlement.
    M. Charles Cova. Et pourquoi pas le quorum encore ?
    Mme Elisabeth Guigou. Monsieur le président, mon rappel au règlement se fonde sur l'article 58, alinéa 1, que je viens de relire.
    Je souhaiterais simplement faire une brève observation. Pour le bon déroulement de nos travaux et pour la sérénité de nos débats, sur un sujet aussi important que celui-ci, qui est un grand problème de société, je crois qu'il serait important, d'abord, que nous nous écoutions davantage ... (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Charles Cova. Nous ne faisons que ça !
    Mme Elisabeth Guigou. ... et, ensuite, que nous évitions de caricaturer les positions des uns et des autres.
    M. Richard Mallié. Vous êtes bien placés pour dire ça ! Ça vous va bien ! Dans ce domaine, vous êtes les meilleurs !
    M. Claude Goasguen. Amnésiques !
    Mme Elisabeth Guigou. Je dis à M. Accoyer, puisque c'est de lui qu'il s'agit, que s'il avait fait preuve tout à l'heure de son sens légendaire de la nuance, il n'aurait pas omis de dire, s'exprimant sur la proposition de loi communiste concernant la prise en compte de la pénibilité et des personnes qui ont cotisé quarante annuités, que lorsque ce débat a eu lieu, j'avais souligné, exerçant alors les responsablilités qui étaient les miennes, que premièrement, ce débat était tout à fait légitime, que, deuxièmement, il avait sa place dans un débat général sur les retraites - et nous y sommes : ...
    M. Bernard Roman. Eh oui ! Nous y voilà !
    Mme Elisabeth Guigou. ... c'est la raison pour laquelle nous évoquons ce sujet - et que, troisièmement, c'était une question que nous ne saurions résoudre sans obtenir des partenaires sociaux l'assurance que les retraites complémentaires ne seraient pas, elles, abaissées du fait du départ en retraite avant soixante ans. J'observe d'ailleurs que sur ce sujet, nous attendons toujours des éclaircissements, et du rapporteur et du ministre, sur l'issue de la négociation qui a été prorogée et qui n'est toujours pas conclue...
    M. Manuel Valls. Très juste !
    M. Patrice Martin-Lalande. En quoi est-ce un rappel au règlement, monsieur le président ?
    Mme Elisabeth Guigou. ... négociation qui visait, je le rappelle, à garantir que les personnes qui partent en retraite dans le privé avant soixante-cinq ans ne se voient pas pénalisées.
    Voilà ce que je voulais dire, monsieur le président.
    M. Jean-Pierre Brard. Je demande la parole pour un rappel au règlement, monsieur le président.
    M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Brard, pour un rappel au règlement.
    M. Jean-Pierre Brard. Monsieur le président, vous nous avez donné dix minutes pour nous mettre d'accord sur une position commune. D'un côté, il y a le groupe des député-e-s communistes et républicains... Je vois que vous froncez le sourcil, monsieur le président...
    M. le président. Pas du tout, monsieur Brard !
    M. Jean-Pierre Brard. ... mais vous allez comprendre où je veux en venir.
    De l'autre côté, il y a les députés socialistes et apparentés. Moi, je ne suis plus membre du parti communiste, mais je suis fidèle à mes convictions, et j'ai donc un regard un peu extérieur...
    M. le président. Mais vous êtes membre du groupe, monsieur Brard.
    M. Jean-Pierre Brard. Je suis membre du groupe.
    M. le président. Voilà ! Parce qu'ici il n'y a pas de partis politiques, il y a des groupes.
    M. Jean-Pierre Brard. Absolument, monsieur le président. Vous avez tout à fait raison.
    Cela étant, monsieur le président, comment voulez-vous régler en dix minutes une affaire qui dure depuis quatre-vingt-trois ans ? (Sourires.) Il faut un peu de temps ! Et donc, vous voyez bien que c'était la quadrature du cercle. Aussi bien nous sommes-nous mis d'accord pour mieux partager le temps de parole.
    M. François Hollande. On en revient toujours à la question du partage !
    M. Jean-Pierre Brard. Parce que, précisément, nous sommes des adeptes du partage, surtout du partage entre ceux qui ont et ceux qui n'ont rien. Et de ce point de vue, nous avons bien une difficulté pour convaincre le ministre de faire contribuer ceux qui vivent de leurs rentes et qui ne sont pas soumis au régime des annuités à proprement parler, sauf quand ils bénéficient - et je pense aux cinq cents plus grandes fortunes du pays - d'emplois qui ne sont pas attestés par une activité concrète et qui pourtant ouvrent droit à des rémunérations.
    M. François Hollande. Ils ne sont pas touchés par la pénurie, eux !
    M. Jean-Pierre Brard. Parfois, on appelle même cela des emplois fictifs, je crois.
    M. le président. Bon, monsieur Brard,...
    M. Jean-Pierre Brard. Alors vous voyez, monsieur le président, dix minutes ne sauraient suffire. Et la prochaine fois, sans exiger un délai trop long, je crois qu'il faudra nous donner plus de temps.
    M. le président. Monsieur Brard, est-ce-que vous vous inscrivez pour répondre au Gouvernement ou à la commission, ou est-ce-que vous accordez votre temps de parole au groupe socialiste ?
    M. Jean-Pierre Brard. Nous leur céderons notre temps de parole pour les amendements qui suivent.
    M. le président. Bien. En tout cas, j'avais peur que vous me demandiez une suspension de séance de quatre-vingt-trois ans. Elle aurait été refusée. (Sourires.)

Reprise de la discussion

    M. le président. La parole est à  M. Denis Jacquat, pour s'exprimer contre les amendements.
    M. Denis Jacquat. Monsieur le président, mes chers collègues, le débat que nous avons est légitime, et j'avoue être un peu étonné, depuis le début de l'après-midi, comme je l'ai été la semaine dernière, par ces tentatives de ralentissement volontaire.
    M. Claude Goasguen. Cela s'appelle de l'obstruction !
    M. Denis Jacquat. Et je crois de plus en plus - je le disais la semaine dernière dans les coulisses, je le dis aujourd'hui publiquement - qu'un certain nombre de collègues sont embêtés par le fait que le Président de la République pourrait annoncer le 14 juillet prochain que la réforme a été votée. Ils le supportent difficilement, ce qui explique cette volonté de ralentissement. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. Maxime Gremetz. C'est une démarche politicienne qui n'est pas la nôtre !
    M. François Liberti. Ce que nous demandons, c'est la renégociation !
    M. Denis Jacquat. Que ce texte ait une portée générale, il suffit de le lire pour s'en rendre compte. Un texte qui relève de la politique sociale est un texte général.
    Tout à l'heure, certains d'entre vous ont dit qu'en matière de pénibilité, nous nous contentions de vagues incantations. Je tiens à rappeler que ce mot figure dans le texte - et le rapporteur, Bernard Accoyer, en a parlé tout à l'heure. On le trouve à l'article 12, page 62 du projet de loi ; à l'article 16, page 63 ; à l'article 54, page 96. A chaque fois, nous retrouvons des dispositions concernant la pénibilité. Nous ne pouvons donc pas admettre d'entendre dire que nous ne prenons pas en compte la pénibilité. (Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. François Hollande. Ne soyez pas pénible !
    M. Denis Jacquat. D'un autre côté, comme je l'ai dit tout à l'heure - mais à cet égard, nous avons aussi un travail de pédagogie à faire -, la pénibilité doit être mesurée par des critères objectifs. Et ceux-ci ne peuvent être définis qu'en concertation avec les partenaires sociaux.
    M. Maxime Gremetz. C'est pas possible de dire des choses pareilles ! Les patrons ne prennent pas en compte la pénibilité !
    M. Denis Jacquat. Le ministre l'a fort bien dit tout à l'heure, les critères objectifs de pénibilité ne doivent pas dépendre directement du Parlement.
    Autre question qu'il est possible de se poser : pourquoi les autres pays ont-il allongé la durée de cotisation, sans intégrer la notion de pénibilité ?
    Nous sommes dans un pays de progrès social, nous le démontrons.
    M. François Hollande. Nous étions !
    M. Denis Jacquat. J'avoue que je ne comprends absolument pas ces tentatives répétées de ralentir la discussion de ce texte (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) , qui est un bon texte, qui est attendu par tous les Français et qui doit être voté le plus rapidement possible. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à Mme Muguette Jacquaint, pour répondre à la commission.
    Mme Muguette Jacquaint. M. Accoyer nous a dit tout à l'heure que parler de la pénibilité nous faisait sortir du sujet qui nous occupe, c'est-à-dire la retraite par répartition. Au contraire, en en parlant, nous sommes au coeur de la question des retraites par répartition,...
    M. Bernard Roman. Bien sûr !
    Mme Muguette Jacquaint. ... comme je vais tenter de le démontrer
    Tout le monde dit : « Nous sommes pour la répartition. » Soit ! Toutefois, la grande question qui se pose c'est de savoir de quelle retraite bénéficieront les salariés et quel en sera le taux.
    On ne peut pas me rétorquer que la question de la pénibilité du travail est éloignée de celle de la répartition. Je reviens sur les inégalités dont sont victimes les femmes, mais pensez-vous que celles qui travaillent dans l'agroalimentaire, dans les abattoirs, dans la grande distribution, dans le secteur du nettoyage, dans les entreprises de blanchisserie pourront travailler quarante ans, voire quarante-deux ? Elles cesseront obligatoirement leur activité avant.

    M. Bernard Roman. Bien sûr !
    Mme Muguette Jacquaint. Et dès lors, quel sera le montant de leur retraite. D'où le lien ténu entre ce montant et la pénibilité du travail.
    On me répond : « C'est dans le projet de loi. »
    M. François Hollande. Mais non !
    Mme Muguette Jacquaint. Il est en effet fait allusion à la pénibilité,...
    M. Pascal Terrasse. Pour la retraite progressive !
    Mme Muguette Jacquaint. ... mais le texte ne définit pas en quoi consiste les travaux pénibles !
    Certains imaginent que les accords entre les partenaires sociaux vont permettre de régler les choses. Mais comme l'a rappelé mon ami Maxime Gremetz, c'est la loi qui a permis de résoudre le problème posé par la présence d'amiante dans certains bâtiments.
    M. Bernard Roman. Exactement !
    Mme Muguette Jacquaint. Aucun patron ne voulait reconnaître les méfaits de l'amiante.
    M. François Liberti. Très juste !
    Mme Muguette Jacquaint. Certes, monsieur le ministre, monsieur Accoyer, nous passons beaucoup de temps sur la question de la pénibilité, mais elle est au coeur du débat sur la retraite par répartition. (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Brard.
    M. Jean-Pierre Brard. Au xixe siècle, Jules de Goncourt écrivait : « Les masques à la longue collent à la peau, l'hypocrisie finit par être de bonne foi. » (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Eh bien, nous ne voudrions pas que nos collègues de droite puissent faire étalage de ce qui pourrait apparaître comme de la bonne foi. Il faut que les masques tombent ! Et quand M. Jacquat dit que nous voulons faire durer le débat, c'est faux. Nous estimons seulement que nous prenons le temps nécessaire à la pédagogie...
    M. Charles Cova. Vous ne risquez pas de nous convaincre !
    M. Jean-Pierre Brard. ... pour que vous apparaissiez ce que vous êtes réellement, c'est-à-dire comme les fossoyeurs de notre système ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Denis Jacquat. Mais non !
    M. Jean-Pierre Brard. A cet égard, je vais citer deux exemples très précis. Le premier concerne Jean-Luc, trente-trois ans, professeur des écoles à l'école Jean-Zay de Lille. Après une licence d'histoire et des stages, les contacts qu'il a pu avoir avec les enfants dans des centres aérés et dans un club sportif l'amènent à choisir l'enseignement. Il débute à vingt-six ans, l'âge moyen de sa promotion. Aujourd'hui, il hésite entre devenir directeur d'école ou demander un stage de formation spécialisée pour s'occuper des enfants en difficulté. Pour bénéficier d'une retraite à taux plein, il devrait travailler jusqu'à l'âge de soixante-six ans.
    Monsieur le président, je renonce au deuxième exemple, parce que je sens que j'abuserais de votre patience, mais le premier exemple montre que les métiers difficiles, les métiers pénibles, posent problème.
    M. Accoyer met en exergue le fait que la question de la pénibilité est évoquée dans le rapport. Toutefois, tout cela n'est que bla-bla platonique (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) dans la mesure où vous proposez, monsieur le ministre, de substituer au pouvoir de la loi le bon plaisir de M. de Sellière de Laborde, comme si nous étions encore avant 1789 !
    M. Marc Le Fur. Ridicule !
    M. Jean-Pierre Brard. Quand on connaît l'aptitude au dialogue de M. de Seillière de Laborde, on voit bien que, pour vous, c'est un faux nez - et là, je ne parle plus de Pinocchio, mais plutôt de Cyrano (« Ridicule » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) -, qui vous sert d'alibi pour évacuer la question de la pénibilité en vous abritant derrière le dialogue, en sachant que vous êtes couvert, si j'ose dire,...
    M. François Hollande. Par le nez !
    M. Jean-Pierre Brard. ... par l'arrogance et par la brutalité de M. de Seillières de Laborde. (« Ridicule ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. Je vais mettre aux voix par un seul vote les amendements n°s 837, 707, 789, 827, 830, 730, 841, 704, 763, 805 et 769.
    Je vous prie de bien vouloir regagner vos places.
    Je rappelle que le vote est personnel et que chacun ne doit exprimer son vote que pour lui-même et, le cas échéant, pour son délégant, les boîtiers ayant été couplés à cet effet.
    Le scrutin est ouvert.
    M. le président. Le scrutin est clos.
    Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants   131
Nombre de suffrages exprimés   131
Majorité absolue   66
Pour l'adoption   34
Contre   97

    L'Assemblée nationale n'a pas adopté.
    MM. Beauchaud, Terrasse, Gorce, Le Garrec, Bartolone, Mmes Clergeau, David, M. Durand, Mmes Génisson, Guinchard Kunstler, Hoffman-Rispal, MM. Masse, Mathus, Mme Mignon, MM. Nayrou, Néri, Mme Oget et les membres du groupe socialiste ont présenté un amendement, n° 3018, ainsi libellé :
    « Rédiger ainsi l'article 1er :
    « La nation affirme solennellement le choix de la retraite par répartition, élément essentiel du contrat social entre les générations. Elle définit des mesures adaptées et spécifiques pour prendre en compte les inégalités entre les hommes et les femmes. »
    La parole est à Mme Catherine Génisson.
    Mme Catherine Génisson. Nous avons très largement évoqué la nécessité de faire de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes une réalité, en appliquant la loi du 9 mai 2001 qui se fixe cet objectif. Cette question relève en effet du débat politique sur l'emploi, indissociable de celui consacré aux retraites.
    Sans revenir sur les longues discussions que nous avons eues la semaine dernière, je noterai, en cette deuxième semaine de débat, que la majorité a la possibilité de se racheter (Rires sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) en votant cet amendement qui reprend la proposition 14 de la délégation aux droits des femmes.
    M. Franck Gilard. N'est-ce pas une femme, en l'occurrence Mme Bettencourt, qui est la première fortune de France ?
    Mme Catherine Génisson. Nul ne peut nier que l'égalité professionnelle conditionne l'égalité au moment de la retraite. Dès lors, je pense que cet amendement pourrait être voté par tous les membres de cette assemblée. En le faisant, ils s'honoreraient, car cet amendement me semble tout à fait digne de ce que nous représentons et de ce pour quoi nous avons été élus.
    M. Bernard Roman. Les femmes nous regardent et nous écoutent !
    M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
    M. Jean-Pierre Brard. M. Accoyer va avoir du mal à cacher sa misogynie ! (Protestations sur certains bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Il me paraît de nouveau nécessaire de rappeler les conditions dans lesquelles la commission a été conduite à ne pas accepter cet amendement.
    Nous examinons un texte sur les retraites, et notre objectif est de répondre à un défi qui n'avait pas été relevé par le précédent gouvernement : celui de sauver l'avenir des régimes de retraite.
    M. Pascal Terrasse. Comme vous avez « sauvé » l'APA !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Toute démarche consistant à détourner l'attention par des amendements de cette nature...
    M. Bernard Roman. Les femmes apprécieront !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. ... ne va évidemment pas dans le sens de l'enrichissment du texte, ce que la commission n'a pu que regretter.
    On observera que le texte apporte un certain nombre d'améliorations à la situation des femmes, laquelle, au demeurant, n'a pas été modifiée durant la dernière législature.
    Mme Marie-Jo Zimmermann. En effet !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. On peut donc se demander pourquoi vous voulez mettre aujourd'hui l'accent sur un thème qui, il y a encore un peu plus d'un an, n'était pas mis en avant !
    Ce projet de loi comporte, quant à lui, des avancées considérables, en particulier pour ce qui concerne les conjoints survivants. Il réforme profondément le système de réversion, avec un souci de réel progrès social en direction des veuves - puisque les conjoints survivants sont plus souvent des femmes. Chacun peut en convenir, la suppression de la condition d'âge ou de celle du remariage ainsi que les dispositions qui élargissent considérablement les conditions d'accès à la réversion représentent des avancées importantes en faveur des femmes.
    Le projet de loi comporte également des dispositions particulièrement importantes en matière de temps partiel, et pour ce qui est des polypensionnés.
    Mme Muguette Jacquaint. Ils vont devoir travailler au-delà de soixante ans !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Ces dispositions sont très favorables par rapport à la situation antérieure. Bien sûr, il faut toujours améliorer un certain nombre de situations, mais personne ne peut nier que ce texte comporte toute une série de dispositions qui vont permettre des progrès, ce qui est une différence avec l'absence d'initiative des années passées.
    J'ajoute que l'égalité hommes-femmes est mise en application dans la partie du texte relative à la fonction publique (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) et qui prend en compte la jurisprudence européenne en la matière. Sur ce point, la commission avait adopté un amendement qui visait à améliorer le dispositif proposé, mais, malheureusement, celui-ci est tombé sous le coup de l'article 40.
    En conclusion, la commission n'a pas retenu l'amendement n° 3018, qui n'apporte strictement rien de concret au texte, pas plus que de déposer 149 fois le même amendement. Une fois de plus, le groupe socialiste montre qu'il n'a pas la moindre solution alternative à proposer. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Bernard Roman. Il vaut mieux entendre ça que d'être sourd !
    M. Pascal Terrasse. Espérons que le Gouvernement va relever le niveau !
    M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Le Gouvernement partage évidemment le souci de la délégation aux droits des femmes de réduire les inégalités entre les hommes et les femmes. Mais de quelles inégalités s'agit-il ? Si ce sont celles qui portent sur le montant des pensions, elles sont pour l'essentiel liées au travail. Et nous savons que ces inégalités vont considérablement se réduire compte tenu de l'importance du travail féminin, dans les plus jeunes générations.
    Restera à régler - et il faut reconnaître que la question est aujourd'hui posée - la différence de rémunération dans le secteur privé. Cet écart doit être combattu pendant la vie active, et non à la retraite. La question est posée à la société française et nous devons agir ensemble. Ce n'est pas en introduisant une disposition vague dans le texte sur les retraites que cette inégalité sera corrigée.
    Enfin, tel qu'il est rédigé, cet amendement risquerait de conduire à prendre également en compte les inégalités d'espérance de vie, ce qui ne serait pas favorable aux femmes.
    M. le président. La parole est à M. Jean Glavany.
    M. Jean Glavany. Monsieur le ministre, je vous écoute depuis quelques heures décliner avec beaucoup d'insistance le thème selon lequel, au fond, la gauche en général, le parti socialiste en particulier, n'aurait rien à proposer et n'aurait pas de solution alternative. (« C'est vrai ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Marc Laffineur. C'est malheureusement la vérité !
    M. Jean Glavany. Et cette analyse est soutenue par votre majorité.
    Mais vous devez sans doute vous souvenir, monsieur le ministre, d'une émission à laquelle nous avons participé tous les deux sur une radio périphérique, quelques jours après le 21 avril, où, parmi les leçons que vous tiriez avec moi du premier tour de l'élection présidentielle - et, à l'époque, votre ton était beaucoup plus grave qu'aujourd'hui, et j'avais d'ailleurs apprécié le sens républicain qui était le vôtre -, se trouvait celle selon laquelle la société française tout entière, sa classe politique, les médias et les commentateurs s'étaient beaucoup laissés aller à chanter le refrain selon lequel la droite et la gauche, c'était pareil, que leurs projets politiques étaient les mêmes, qu'il n'y avait pas de véritables différences, alors que ces différences existaient, que tout le monde les connaissait mais que trop de gens les avaient gommées artificiellement. Vous savez donc très bien que le discours selon lequel la droite et la gauche, c'est pareil, qu'il n'y aurait pas de politique alternative, qu'il n'y aurait qu'une politique possible, qu'il n'y aurait qu'une réforme des retraites possible - la vôtre -, fait le jeu des extrêmes et de l'abstention ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Marc Laffineur. Mais il n'y a pas de projet alternatif !
    M. Bruno Gilles. La réforme des retraites ferait monter la cote du Front national ! On aura vraiment tout entendu !
    M. Jean Glavany. Mes chers collègues, quand on raconte à la France entière qu'une solution est possible, pourquoi voulez-vous que nos concitoyens aillent voter ? Pourquoi voulez-vous qu'ils se réfugient dans autre chose que l'abstention ou qu'ils votent pour d'autres candidats que ceux des extrêmes ? La réalité, c'est qu'il existe deux projets !
    M. Denis Jacquat. M. le ministre l'a dit samedi !
    M. Jean Glavany. Il ne sert à rien de le nier, les Français, eux, l'ont compris, toutes les enquêtes d'opinion le montrent. Du reste, monsieur le ministre, vous avez vous-même fait allusion à cette autre solution, dont vous savez bien qu'elle existe, même si vous ne voulez pas le reconnaître.
    M. Denis Jacquat. Elle n'existe pas !
    M. Jean Glavany. Quand cesserez-vous de chanter ce refrain selon lequel il n'y aurait qu'une seule solution : la vôtre ? Quand accepterez-vous qu'une confrontation des projets pour nourrir le débat démocratique, contribuant ainsi à lutter contre l'abstentionnisme ou le vote pour les extrêmes ? Voilà pour ma première question.
    M. Manuel Valls. Très juste !
    M. Jean Glavany. Ma deuxième question sera une question citoyenne.
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Qu'est-ce que ça veut dire ?
    M. Jean Glavany. Pourquoi n'avez-vous jamais demandé aux Français qu'ils se prononcent sur un tel sujet par référendum. Après tout, certains d'entre vous, y compris au plus haut niveau de l'Etat, avaient estimé qu'un tel sujet de société le méritait. Tous les Français sachant que la conjonction de l'accroissement de l'espérance de vie et la dégradation du rapport entre actifs et inactifs fait que les retraites vont coûter plus cher à l'avenir, pourquoi ne leur demandez-vous pas s'ils sont prêts à payer ce prix supplémentaire ?
    A cette question, les Français nous répondent tous les jours, dans la rue ou dans nos permanences : « oui, à condition que l'effort demandé soit justement réparti,...
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Justement !
    M. Jean Glavany. ... notamment en fonction des capacités contributives de chacun, de la pénibilité du travail ou des rapports hommes-femmes.
    M. François-Michel Gonnot. Et aussi de l'égalité public-privé !
    M. Jean Glavany. Pourquoi vous entêtez-vous à nier qu'il y a d'autres solutions que la vôtre ? Elles ne sont pas forcément parfaites, sûrement très critiquables, mais elle ont le droit d'exister.
    Sachant que la retraite va coûter plus cher, pourquoi refusez-vous de demander aux Français s'ils sont prêts, oui ou non, à payer ce prix supplémentaire ?
    Ce serait préférable au mutisme dans lequel vous vous réfugiez, et surtout à la dégradation du niveau des retraites, ce que justement les Français refusent. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Bernard Roman. Excellente intervention !
    M. le président. La parole est à M. le ministre.
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Les niveaux d'informations sur le débat qui se déroule à l'Assemblée sont différents suivant qu'on y a passé une semaine ou qu'on découvre celui-ci, comme c'est le cas de M. Glavany. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Jean-Claude Lenoir. Eh oui !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. S'il avait été présent la semaine dernière, il saurait que je n'ai jamais prétendu qu'il n'existait qu'une solution pour régler la question des retraites. J'ai même largement expliqué dans mon discours introductif, puis en répondant aux orateurs, qu'il y avait d'autres solutions : la retraite par points proposée par l'UDF, solution à l'égard de laquelle j'ai formulé plusieurs critiques ; les solutions consistent à mélanger la capitalisation obligatoire et la répartition, pratiquées dans nombre de pays européens et dont j'ai cru comprendre qu'elles avaient la faveur de Gaëtan Gorce ; les propositions du parti communiste, dont j'ai dit le mal que j'en pensais sur le plan financier mais qui ont le mérite d'exister.
    La difficulté avec le parti socialiste, c'est qu'il n'a pas de propositions à faire. (« Très juste ! » et applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) En vérité, ses membres ne sont pas d'accord entre eux sur la question de savoir si les fonctionnaires doivent cotiser trente-sept annuités et demie ou quarante.
    M. Jean Glavany. Et ça continue !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Vous n'avez jamais répondu à cette question fondamentale.
    M. Manuel Valls. Cela suffit !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Vous n'avez pas de projet alternatif. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Denis Jacquat. C'est la réalité !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Vous essayez, en brandissant quelques généralités sur la pénibilité ou sur l'espérance de vie, de faire croire que vous avez un projet. En fait, vous n'en avez pas ! Et c'est pour cela que, dans ces conditions, il est difficile de discuter projet contre projet avec le parti socialiste ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. François-Michel Gonnot. Ça fait mal, mais ils l'ont cherché !
    M. le président. La parole est à M. Jean Le Garrec.
    M. Jean Le Garrec. Monsieur le ministre, vous ne pouvez pas dire cela.
    M. Jean-Claude Lenoir. Si !
    M. Jean Le Garrec. Nous sommes plusieurs à vous avoir fait, lors du débat général, des propositions extrêmement précises tant sur la nécessité de conduire une négociation préalable...
    M. Denis Jacquat. C'est ce qui a été fait.
    M. Jean Le Garrec. ... pour parvenir à un véritable pacte social - j'y reviendrai - que sur l'alimentation du fonds de réserve, l'évolution de la base des cotisations ou la capacité d'agir sur la valeur ajoutée.
    Ces propositions ont été exposées de la manière la plus claire qui soit. Nous pouvons nous tromper mais ne faites pas comme si ces propositions n'existaient pas.
    M. Jean Glavany. C'est politicien en diable !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Non !
    M. Bernard Roman. Ça les arrange de faire semblant.
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. M. Gorce a été clair : « nous n'avons pas de projet alternatif ! »
    M. Jean Le Garrec. Ces propositions ont été développées au nom du groupe socialiste à l'occasion de la discussion générale et de la défense de deux motions de procédure. Vous avez parfaitement le droit de ne pas les approuver, vous avez le droit de les contester, mais vous devez en tenir compte dans votre argumentation, vous ne pouvez pas nous accuser de ne pas faire de propositions précises.
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Mais non ! Vous n'avez pas de projet alternatif !
    M. Jean Le Garrec. Simplement, nous ne les avons pas traduites dans des amendements, sachant que ceux-ci tomberaient sous le coup de l'article 40 et ne seraient pas venus en discussion. Mais, nous explicitons, au fur et à mesure du débat, les propositions sur lesquelles nous nous sommes appuyés.
    M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 3018.
    (L'amendement n'est pas adopté.)
    M. le président. MM. Le Garrec, Terrasse, Gorce, Bartolone, Beauchaud, Mmes Clergeau, David, M. Durand, Mmes Génisson, Guinchard-Kunstler, Danièle Hoffman-Rispal, MM. Masse, Mathus, Mme Mignon, MM. Nayrou, Néri, Mme Renée Oget et les membres du groupe socialiste ont présenté un amendement, n° 3025, ainsi libellé :
    « Rédiger ainsi l'article 1er :
    « La Nation affirme solennellement le choix de la retraite par répartition, élément essentiel du contrat social entre les générations. Elle définit des mesures adaptées et spécifiques pour prendre en compte les temps de formation et les périodes d'inactivité. »
    La parole est à M. Jean Le Garrec.
    M. Jean Le Garrec. Monsieur le ministre, nous ne ralentissons pas le débat.
    M. Jean-Claude Lenoir. Si peu !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Ils l'accélèrent ! (Sourires.)
    M. Jean Le Garrec. Nous essayons, au travers de nos questions, de dégager une véritable pédagogie politique des conséquences de la loi que vous nous soumettez.
    M. Bruno Gilles. Non, vous faites de l'obstruction !
    M. Jean Le Garrec. Bien sûr, cela prend du temps. Mais vous avez pu remarquer que nous intervenons avec sérieux, sur un ton mesuré, en essayant de bien cerner les problèmes. D'ailleurs, vous-même, et c'est extrêmement intéressant, vous apportez, au fil de nos questions - l'expression n'est peut-être pas très juste, c'est celle qui me vient en tête -, de l'eau à notre moulin.
    M. Jean-Claude Lenoir. A vent !
    M. Jean Le Garrec. Ainsi, il y a quelques instants, vous avez indiqué que la définition des emplois pénibles ne pouvait s'élaborer qu'à travers une négociation avec les partenaires sociaux. Je suis tout à fait d'accord avec vous ! Comme le faisait remarquer Mme Jacquaint, la pénibilité est une réalité. Je me souviens du débat que nous avons eu sur l'amiante et de la fierté que j'ai éprouvée lors du vote des lois sur la sécurité sociale, avec Mme Aubry et Mme Guigou, d'apporter des réponses très précises à des salariés qui travaillaient dans des conditions extrêmement pénibles.
    Nous avons évoqué le problème de la durée d'activité. Vous-même avez parlé, il y a encore quelques instants, de la nécessité d'utiliser, si besoin était, des armes vis-à-vis du patronat, c'est-à-dire des taux de cotisations plus élevés. Vous voyez bien que nous progressons, monsieur le ministre !
    De la même manière, nous pourrions évoquer, et c'est l'objet de l'amendement n° 3025, le problème de laformation professionnelle. Comment peut-on envisager d'allonger la durée d'activité si, parallèlement, on ne propose pas de faire un effort pour la formation, dont on connaît les lacunes actuelles ? Ce débat est engagé entre le patronat et les organisations syndicales depuis plusieurs années. Mais il ne débouche pas.
    Et que dire de la grande réforme sur la validation des acquis que nous avions engagée ? On ne peut pas imaginer des carrières plus longues, adaptées aux nouvelles conditions de travail, si on ne valide pas les acquis.
    Tous ces aspects sont au coeur du débat. Leur prise en compte est un préalable indispensable à l'examen de l'article 5, article par lequel vous introduisez mécaniquement, à partir de 2008, une prolongation de la durée de cotisation.
    Tous ces problèmes que nous soulevons sont réels. On ne peut y apporter de réponse sans une grande concertation, sans un face-à-face organisations syndicales et organisations patronales. L'emploi, la durée d'activité, la pénibilité, la formation, tous ces sujets doivent être traités au préalable, sinon, votre projet ne pourra pas être accepté par une grande majorité des salariés qui, eux, vivent des conditions de travail difficiles.
    Vous reconnaissez vous-même que cette négociation est indispensable. Je vous en donne acte. Nous considérons, nous, qu'elle est un préalable incontournable à l'adoption de l'article 5 de votre loi si nous voulons qu'il soit compris par l'ensemble des actifs, en particulier par ceux qui occupent des emplois industriels et qui subissent ces dures conditions de travail.
    M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Cet amendement, qui, lui aussi, a été déposé 149 fois,...
    Mme Catherine Génisson. Non, ce n'est pas vrai !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. ... vise à prendre en compte les temps de formation et les périodes d'inactivité.
    M. Jean Le Garrec. Il est déposé une seule fois ! Nous sommes des gens sérieux !
    M. Pascal Terrasse. Il est signé par plusieurs, mais n'est déposé qu'une fois ! Un mensonge de plus !
    M. Jean-Luc Warsmann. Merci, monsieur Le Garrec, de dire que, pour une fois, vous êtes des gens sérieux !
    M. le président. L'amendement n° 3025 est cosigné par les membres du groupe socialiste.
    M. Jean-Pierre Brard. C'est la fatigue ! M. le rapporteur manque de résistance physique !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Monsieur le président, nos collègues socialistes qui protestent n'ont qu'à s'en prendre à leur méthode de travail ! Ils ne sont peut-être pas cent quarante-neuf, mais ils sont très nombreux à avoir signé cet amendement.
    M. Pascal Terrasse. Il faut suivre !
    M. Jean-Pierre Brard. Le ministre suit, lui !
    M. le président. Monsieur Brard !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. D'ailleurs, je ne suis pas sûr qu'ils aient raison de protester, parce qu'à la suite des noms figure la mention « et les membres du groupe socialiste ».
    Mme Catherine Génisson. Ce n'est pas du tout pareil !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Sur le fond, parce que c'est cela qui nous intéresse, je voudrais expliquer les raisons qui ont conduit la commission à ne pas accepter cet amendement.
    M. Manuel Valls. Oui ! Parlons du fond !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Deux questions sont évoquées : le temps de formation et la période d'activité.
    Quels revenus doivent financer la retraite des retraités ? Si l'on est favorable au maintien - donc au sauvetage - du système de retraite par répartition, on accepte le principe que ce sont les revenus du travail qui financent la retraite des inactifs.
    M. Jean Le Garrec. Attention !
    M. Xavier Bertrand, rapporteur pour avis. Tout à fait !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Pour ce qui est de la période des études, je me tourne à nouveau vers mes collègues du groupe socialiste, qui, un peu plus tôt dans ce débat et pendant près d'une heure et demie, nous ont expliqué qu'il fallait prendre en compte la longueur de l'espérance de vie dans le traitement de la question des retraites.
    M. Manuel Valls. On est perdu dans votre explication !
    M. Bernard Accoyer. rapporteur. De deux choses l'une : ou vous acceptez ce constat qui ressort de toutes les statistiques, à savoir que l'espérance de vie est globalement proportionnelle à la longueur des études...
    Mme Catherine Génisson. Quoi ?
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. ... ou alors vous le refusez. Mais à ce moment-là, pourquoi aviez-vous présenté l'amendement précédent sur l'espérance de vie ?
    M. Jean Le Garrec. Nous ne parlions pas de ça ! M. le rapporteur fait de l'obstruction ! Relisez l'amendement !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. C'est une question de fond, qui montre bien qu'en réalité, vous n'avez pas d'alternative à proposer à ce projet.
    J'ajoute d'ailleurs, pour poursuivre ces réflexions, que vous avez fait figurer dans vos suggestions - ou vos pistes, pour utiliser le terme que vous avez choisi - le rachat des années d'études sur un mode actuariellement neutre, ce qui est, là, parfaitement logique avec le principe de la répartition. Un amendement a été déposé - je sais qu'il a franchi le cap de l'article 40, nous verrons s'il sera retenu en séance - qui propose même une exonération de ces années de l'assiette des cotisations fiscales, ou plutôt des prélèvements fiscaux sur ce rachat.
    Pour ce qui est de la formation continue, qui appartient par définition au temps de travail, elle donne naturellement droit à cotisation.
    Enfin, en ce qui concerne les périodes d'inactivités, ce texte comporte des avancées importantes. Il prévoit par exemple, à l'intérieur des régimes de la fonction publique, qu'un parent, homme ou femme, qui choisit de s'arrêter pour élever son enfant puisse cotiser pour une période allant jusqu'à trois ans.
    Je voudrais également préciser - je vous renvoie à l'article 27 - que les périodes chômées donnent évidemment lieu à cotisation par le canal du fonds de solidarité vieillesse. Cela me donne l'occasion, mes chers collègues de l'opposition, de vous rappeler que vous aviez tous voté l'assèchement du fonds de solidarité en créant le FOREC, qui a capté les recettes du fonds de solidarité vieillesse, la taxe sur les tabacs et alcools et une partie des ressources de la fiscalité de l'épargne !
    M. Eric Raoult. Eh oui !
    M. Jean Le Garrec. Non !
    M. Dominique Caillaud. Ils l'ont oublié !
    M. Jean Le Garrec. N'importe quoi !
    M. Bernard Accoyer. rapporteur. La solidarité, surtout s'agissant de la répartition, est fondée sur les partages des fruits et des revenus du travail. Dès lors que vous aviez choisi de prélever une partie des revenus du travail pour financer votre politique de l'emploi que vous pensiez être efficace, vous avez fait un choix dont nous mesurons aujourd'hui les conséquences avec l'assèchement du fonds de solidarité vieillesse qu'il faudra bien, et c'est une grande difficulté, à nouveau financer.
    Pour toutes ces raisons, la commission a rejeté cet amendement.
    M. François-Michel Gonnot. Très bien !
    M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Même avis.
    M. le président. La parole est à M. Jean Glavany.
    M. Jean Glavany. Monsieur le ministre, tout d'abord, je voudrais balayer d'un revers de la main votre remarque hautaine et, comme d'habitude, un peu méprisante, sur ceux qui découvrent le débat en cours de route. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Je reconnais que la commission des affaires étrangères, dont je suis membre, n'a pas été saisie pour avis de ce projet.
    M. Manuel Valls. C'est dommage !
    M. Jean Glavany. Je reconnais aussi que je prends mon tour dans le débat, comme d'autres le feront après moi pendant les semaines qui viennent. Il va falloir vous y habituer.
    Pour en revenir au débat, si je comprends bien, l'UDF aurait un contre-projet, la retraite par points, critiquable, le groupe des député-e-s communistes et républicains aurait un contre-projet, bref tout le monde aurait des contre-projets sauf...
    M. Jean-Claude Lenoir. Sauf vous !
    M. Jean Glavany. ... le parti socialiste. («Eh oui ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Le voilà ! (M. Glavany brandit un document.) Il est diffusé à des milliers d'exemplaires dans tous les foyers français. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Xavier Bertrand, rapporteur pour avis. Il était temps !
    M. Manuel Valls. Il est moins cher que celui de M. Raffarin !
    M. Jean Glavany. Nous le distribuons d'une manière militante, cela ne coûtera rien au contribuable, à l'inverse de la communication de M. Raffarin. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. Mes chers collègues, maîtrisez votre enthousiasme !
    M. Jean Glavany. Monsieur le ministre, je prends l'engagement, au nom du groupe socialiste, qu'un paquet vous sera livré à votre cabinet...
    M. Manuel Valls. Dès ce soir !
    M. Jean Glavany. ... de façon que vous-même et vos collaborateurs puissiez vous en inspirer.
    M. Manuel Valls. On ne le cache pas !
    M. Jean Glavany. Les jours où je n'étais pas ici, je me trouvais dans ma circonscription, dans ma permanence, comme beaucoup d'entre nous, j'imagine, sur tous les bancs, je ne donnerai pas de leçons ! Que nous disent nos concitoyens, jour après jour, au-delà de leur mécontentement ?
    Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Tenez bon !
    M. Jean Glavany. Renégociation ! Renégociation ! Les Françaises et les Français ne comprennent pas pourquoi cette négociation a été interrompue.
    M. Bruno Gilles. Vous êtes élu d'une vraie circonscription de gauche, alors !
    M. Jean Glavany. Au risque de casser une unité syndicale que nous réclamons tous sur un sujet aussi essentiel, les Français, dans une très grande majorité, pas seulement dans les enquêtes d'opinions et les sondages, qui ne valent que ce qu'ils valent, mais aussi dans nos permanences, les Français nous disent : « renégociation » (« Non ! ils disent "Tenez bon ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Bruno Gilles. Je ne sais pas qui vient vous voir dans vos circonscriptions !
    M. Jean Glavany. Le sujet est grave et sérieux ! Il est essentiel pour notre société, il faut renégocier ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.) C'est ce que nous proposons sur un certain nombre de sujets !
    Tout à l'heure nous évoquions la pénibilité, maintenant nous débattons de la prise en compte des années de formation. « Renégocier », c'est le débat qui le veut, ce sont les Français qui le veulent et nous, à notre manière, qui le proposons dans cet hémicycle à coup d'amendements. Il n'y a là rien que de très naturel. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Jean-Pierre Brard. Très bien !
    M. le président. La parole est à M. Pascal Terrasse.
    M. Pascal Terrasse. Nous considérons, en effet - c'est l'objet des deux derniers amendements, dont celui-ci que vient de défendre Jean Le Garrec -, qu'il serait nécessaire de permettre à un certain nombre de salariés de bénéficier de ce qu'on appelle des bonifications.
    Comment permettre aux salariés qui ont des métiers pénibles, aux étudiants ou au jeunes en formation de bénéficier de bonifications c'est-à-dire de compléments de trimestres pour valider leur durée de cotisation ? Voilà un point sur lequel nous sommes profondément en désaccord avec le Gouvernement.
    Le rapporteur de la commission estime que s'ils ne cotisent pas, il n'y a pas d'effort contributif. Là encore, il existe une alternative : nous considérons que, dans certains cas, des efforts non contributifs doivent être possibles, comme cela existe déjà aujourd'hui. Ainsi, le rapporteur a eu raison de rappeler que la FSV est financé pour une partie par des fonds non contributifs.
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Oui, mais vous les avez volés ! Ils les ont servi à financer les 35 heures !
    M. Pascal Terrasse. Notre rapporteur se trompe lorqu'il dit que nous avons asséché le FSV. Je le renvoie à l'excellent rapport présenté par M. Descours sur le FOREC. Si le FSV a été ponctionné de 850 millions d'euros l'année passée, l'excellent rapport de M. Denis Jacquat sur le budget de l'assurance vieillesse, à la lecture duquel je le renvoie également, montre très clairement que le FSV sera cette année en grande difficulté, en raison notamment de la montée du chômage et bien entendu de la faiblesse des contributions complémentaires.
    M. Denis Jacquat. Et de son affaiblissement préalable !
    M. Pascal Terrasse. Cette nécessité d'introduire la notion de bonification ne veut pas être prise en compte le Gouvernement. Pourtant, pour certaines catégories sociales, une validation de trimestres en fonction de la pénibilité, de la formation, pourrait être prévue, qui serait payée non par l'effort contributif mais par les efforts non contributifs. Nous avons évoqué la contribution sociale généralisée, mais nous aurions pu tout aussi bien évoquer la baisse de l'impôt sur les revenus voulue par ce gouvernement. Cela aurait évité aux étudiants le rachat de trimestres qui sont particulièrement coûteux, vous en conviendrez.
    M. le président. La parole est à M. le ministre.
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Mesdames, messieurs les députés, je suis désolé si j'ai blessé M. Glavany et s'il a pu avoir le sentiment que je lui infligeais une leçon.
    M. François-Michel Gonnot. Il est blindé !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Il faut dire que depuis une semaine j'en ai moi-même reçu tellement...
    M. Jean-Pierre Brard. En recevoir est une chose, les retenir en est une autre !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. ... que je me prenais à m'exprimer comme certains orateurs du groupe socialiste. Je vous le promets, je vais me reprendre et je ne recommencerai pas. (Sourires).
    M. Le Garrec, qui, lui, ne s'exprime jamais comme un donneur de leçons (Rires sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française) -  c'est vrai, je le pense ! - a évoqué les pistes du groupe socialiste en matière de réforme des retraites. Les suggestions de procédures qu'il a faites sont très importantes, mais ne font pas un projet, il en conviendra avec moi, mais surtout il a évoqué le financement d'un déficit croissant par des impôts, des charges supplémentaires qui ne peuvent pas constituer un projet de réforme des retraites, sinon la défense impossible du statu quo.
    La véritable difficulté à laquelle vous vous heurtez, c'est votre impossibilité à assumer vos choix face à des exigeances contradictoires. Or gouverner, c'est faire ce type de choix !
    Le groupe communiste demande le retour aux trente-sept annuités et demie et le calcul sur les dix meilleures années.
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. Voilà !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Vous, vous ne réclamez ni les trente-sept annuités et demie, ni les quarante annuités !
    M. Bernard Accoyer, rapporteur. C'est fou !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Comment voulez-vous dans ces conditions que nous puissions donner du sens à votre projet ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Pascal Terrasse. On renvoie à la négociation !
    M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 3025.
    (L'amendement n'est pas adopté.)
    M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

4

ORDRE DU JOUR DE LA PROCHAINE SÉANCE

    M. le président. Ce soir, à vingt et une heures trente, deuxième séance publique :
    Suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi, n° 885, portant réforme des retraites :
    M. Bernard Accoyer, rapporteur au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales (rapport n° 898) ;
    M. François Calvet, rapporteur pour avis au nom de la commission de la défense nationale et des forces armées (avis n° 895) ;
    M. Xavier Bertrand, rapporteur pour avis au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan (avis n° 899) ;
    Mme Claude Greff, rapporteure au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes (rapport d'information n° 892).
    La séance est levée.
    (La séance est levée à vingt heures.)

Le Directeur du service du compte rendu intégralde l'Assemblée nationale,
JEAN PINCHOT
annexe au procès-verbal
de la 1re séance
du lundi 16 juin 2003
SCRUTIN (n° 176)


sur les amendements n° 704 de M. Bapt, n° 707 de M. Bataille, n° 730 de M. Charzat, n° 763 de Mme Génisson, n° 769 de Mme Guigou, n° 789 de M. Le Garrec, n° 805 de M. Masse, n° 827 de M. Roman, n° 830 de Mme Royal, n° 837 de M. Terrasse et n° 841 de M. Valls à l'article premier du projet de loi portant réforme des retraites (prise en compte de la pénibilité des métiers).

Nombre de votants

131


Nombre de suffrages exprimés

131


Majorité absolue

66


Pour l'adoption

34


Contre

97

    L'Assemblée nationale n'a pas adopté.

ANALYSE DU SCRUTIN

Groupe UMP (364) :
    Contre : 95 membres du groupe, présents ou ayant délégué leur droit de vote.
    Non-votants : M. Jean-Louis Debré (président de l'Assemblée nationale).
Groupe socialiste (149) :
    Pour : 26 membres du groupe, présents ou ayant délégué leur droit de vote.
    Contre : 2. - M. Yves Durand et Mme Ségolène Royal.
Groupe Union pour la démocratie française (30) :
    Non-votants : M. Rudy Salles (président de séance).
Groupe communistes et républicains (22) :
    Pour : 8 membres du groupe, présents ou ayant délégué leur droit de vote.
Non-inscrits (12).