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ASSEMBLÉE NATIONALE
DÉBATS PARLEMENTAIRES


JOURNAL OFFICIEL DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE DU JEUDI 8 JANVIER 2004

COMPTE RENDU INTÉGRAL
1re séance du mercredi 7 janvier 2004


SOMMAIRE
PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LOUIS DEBRÉ

1.  Questions au Gouvernement «...».

EUROPE DE LA CULTURE «...»

MM. Frédéric Dutoit, Jean-Jacques Aillagon, ministre de la culture et de la communication.

QUOTAS DE PÊCHE «...»

MM. Christophe Priou, Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales.

CONSÉQUENCES DE LA FAILLITE DE PARMALAT «...»

MM. Henri Nayrou, Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales.

ADHÉSION DE LA BULGARIE ET DE LA ROUMANIE
À L'UNION EUROPÉENNE «...»

M. Gilbert Gantier, Mme Noëlle Lenoir, ministre déléguée aux affaires européennes.

ASSISTANCE FRANÇAISE APRÈS LE SÉISME DE BAM «...»

MM. Jacques Barrot, Renaud Muselier, secrétaire d'Etat aux affaires étrangères.

DÉBAT NATIONAL SUR L'AVENIR DE L'ÉCOLE «...»

Mme Marie-Jo Zimmermann, M. Luc Ferry, ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche.

TAXE PROFESSIONNELLE «...»

MM. Augustin Bonrepaux, Francis Mer, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

SITUATION À HAÏTI «...»

MM. Eric Raoult, Pierre-André Wiltzer, ministre délégué à la coopération et à la francophonie.

ZONES AGRICOLES INTERMÉDIAIRES «...»

MM. Luc-Marie Chatel, Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales.

SITUATION DES FINANCES PUBLIQUES «...»

MM. Alain Néri, Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre.

CARTE SCOLAIRE «...»

MM. Jean Auclair, Xavier Darcos, ministre délégué à l'enseignement scolaire.

FILIÈRE PORCINE «...»

MM. Gérard Lorgeoux, Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales.

Suspension et reprise de la séance «...»
PRÉSIDENCE DE M. RUDY SALLES

2.  Deuxième paquet ferroviaire. - Discussion d'une proposition de résolution «...».
M. Dominique Le Mèner, rapporteur de la commission des affaires économiques.
M. Pierre Lequiller, président de la délégation pour l'Union européenne, suppléant M. Christian Philip, rapporteur au nom de cette délégation.

DISCUSSION GÉNÉRALE «...»

MM.
Gilbert Biessy,
François-Michel Gonnot,
Mme
Odile Saugues,
M.
Gilbert Gantier.
Clôture de la discussion générale.
M. Dominique Bussereau, secrétaire d'Etat aux transports et à la mer.

Article unique. - Adoption «...»

3.  Protocole d'accord France-Luxembourg relatif au raccordement du Luxembourg au TGV Est-européen. - Discussion, selon la procédure d'examen simplifiée, d'un projet de loi adopté par le Sénat «...».
M. Bruno Bourg-Broc, rapporteur de la commission des affaires étrangères.

DISCUSSION GÉNÉRALE «...»

M. Bernard Schreiner.
Clôture de la discussion générale.
M. Dominique Bussereau, secrétaire d'Etat aux transports et à la mer.

Article unique. - Adoption «...»

4.  Accord France-Belgique relatif à la coopération transfrontalière en matière policière et douanière. - Discussion, selon la procédure d'examen simplifiée, d'un projet de loi «...».
Mme Nicole Fontaine, ministre déléguée à l'industrie.
M. Marc Reymann, suppléant M. André Schneider, rapporteur de la commission des affaires étrangères.

DISCUSSION GÉNÉRALE «...»

M. Patrick Delnatte.
Clôture de la discussion générale.

Article unique. - Adoption «...»

5.  Conventions de l'Organisation internationale du travail relatives aux gens de mer. - Discussion, selon la procédure d'examen simplifiée, d'un projet de loi «...».
Mme Nicole Fontaine, ministre déléguée à l'industrie.
M. Guy Lengagne, rapporteur de la commission des affaires étrangères.

DISCUSSION GÉNÉRALE «...»

MM.
Daniel Paul,
Jean-Yves Besselat.
Clôture de la discussion générale.

Après l'article 1er «...»

Amendement n° 1 de M. Lengagne : M. le rapporteur, Mme la ministre. - Adoption.

Après l'article 5 «...»

Amendement n° 2 de M. Lengagne : M. le rapporteur. - Adoption.

Titre «...»

Amendement n° 3 de M. Lengagne : M. le rapporteur. - Adoption.
Mme la ministre.

VOTE SUR L'ENSEMBLE «...»

Adoption de l'ensemble du projet de loi.
6.  Economie numérique. - Discussion, en deuxième lecture, d'un projet de loi «...».
Mme Nicole Fontaine, ministre déléguée à l'industrie.
M. Jean Dionis du Séjour, rapporteur de la commission des affaires économiques.

QUESTION PRÉALABLE «...»

Question préalable de M. Jean-Marc Ayrault : MM. Christian Paul, le rapporteur. - Rejet.
Renvoi de la suite de la discussion à la prochaine séance.
7.  Ordre du jour de la prochaine séance «...».

COMPTE RENDU INTÉGRAL
PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LOUIS DEBRÉ

    M. le président. La séance est ouverte.
    (La séance est ouverte à quinze heures.)

1

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

    M. le président. L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.
    Comme chaque premier mercredi de chaque mois, les quatre premières questions seront réservées à des thèmes européens.

EUROPE DE LA CULTURE

    M. le président. La parole est à M. Frédéric Dutoit, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.
    M. Frédéric Dutoit. Monsieur le ministre de la culture, à l'heure où la Conférence intergouvernementale est confrontée à une certaine paralysie, permettez-moi de relever combien le projet de traité instituant une constitution pour l'Europe esquisse une Europe de la culture à l'accent libéral prononcé. (Murmures sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Pourtant, ce texte affirme solennellement que « l'Union respecte la richesse de sa diversité culturelle et linguistique et veille à la sauvegarde et au développement du patrimoine culturel européen. »
    Or cette assertion apparaît rapidement comme un leurre. En effet, ce texte est d'essence fondamentalement libérale et consacre à nouveau les dogmes du libre-échange et de la libre-concurrence. De tels principes directeurs constituent de vrais dangers pour la diversité culturelle en Europe et dans le monde. A l'inverse, le principe de l'exception culturelle marque une volonté politique qui, refusant d'assimiler les oeuvres de l'esprit à des marchandises, légitime une pratique propre à faire prévaloir cette singularité à travers le maintien du vote à l'unanimité en la matière et l'instauration d'un régime dérogatoire pour les biens et services culturels.
    Cette proposition découle de l'idée selon laquelle les biens et services culturels ne doivent pas être considérés comme des marchandises ordinaires, dans le sens où le droit à la diversité culturelle est un impératif éthique, inséparable du respect de la dignité de la personne humaine.
    Etes-vous prêt, monsieur le ministre, à défendre cette conception et ces propositions au sein de la Conférence intergouvernementale, en vue de promouvoir une certaine idée de la culture comme chose publique, comme patrimoine et comme projet commun, ou, à l'inverse, suivrez-vous la logique gouvernementale dans le domaine de la culture qui a conduit à l'instauration d'un nouveau régime indemnitaire des intermittents du spectacle particulièrement inique et contraire à l'esprit du principe de l'exception culturelle ?
    M. le président. La parole est à M. le ministre de la culture et de la communication.
    M. Jean-Jacques Aillagon, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le député, vous le savez, la France n'a cessé de faire de la défense de la diversité culturelle et de l'exception culturelle son combat. C'est le combat du Président de la République, c'est le combat du Gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, du ministre des affaires étrangères et du ministre chargé des affaires européennes, et c'est mon propre combat.
    M. Arnaud Montebourg. Misérables ministres ! (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le ministre de la culture et de la communication. Je ne suis pas de votre avis !
    Ce combat, nous le menons dans toutes les enceintes internationales : à l'UNESCO, dont la conférence générale a décidé le 17 octobre dernier la mise en oeuvre d'une convention sur la diversité culturelle, mais aussi dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce, où la France, entraînant toute l'Europe, s'oppose à une nouvelle offre de libéralisation des services culturels et audiovisuels.
    M. Yves Bur. Très bien !
    M. le ministre de la culture et de la communication. Ce combat, nous le menons aussi, naturellement, dans le cadre européen. Chacun sait la part décisive que la France a prise dans l'élaboration du projet de traité en pesant de façon décisive dans les travaux de la Convention sur l'avenir de l'Europe. Elle l'a fait pour maintenir la règle de l'unanimité pour toutes les décisions concernant le commerce des biens et des services culturels et audiovisuels et pour que le principe de diversité culturelle figure clairement parmi les objectifs de l'Union.
    Ce bilan, monsieur le député, honore l'engagement de la France et celui du Gouvernement. Aujourd'hui, à l'heure de l'élargissement, il nous appartient de transformer ce réflexe défensif en un réflexe dynamique. C'est la raison pour laquelle, avec l'appui du Premier ministre, j'ai élaboré un mémorandum pour le développement culturel de l'Europe que je remettrai au cours des prochains jours à la représentation nationale. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

QUOTAS DE PÊCHE

    M. le président. La parole est à M. Christophe Priou, pour le groupe UMP.
    M. Christophe Priou. Monsieur le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales, en décembre 2003 ont eu lieu au niveau européen les traditionnelles discussions sur les quotas de pêche et la gestion des ressources halieutiques. En novembre 2002, outre des négociations sur les quotas, vous aviez obtenu, avec le groupe des pays « amis de la pêche », un ambitieux plan de modernisation de la flotte de pêche.
    Ce plan permettra, en 2004, 2005 et 2006, grâce à la construction de nouvelles unités de pêche, d'améliorer considérablement les conditions de travail à bord et la sécurité des équipages en mer. Votre détermination tranche avec celle affichée en d'autres temps et sur d'autres bancs, notamment en décembre 1999, où nous n'avions pas été habitués à autant de pugnacité. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Monsieur le ministre, à l'aube de 2004, quelles sont les perspectives pour nos marins pêcheurs français en termes d'exploitation de la ressource halieutique ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales.
    M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales. C'est vrai, monsieur le député : en décembre 2002, nous avons dû mener à Bruxelles un combat difficile, notamment en vue de poursuivre la modernisation et la sécurisation de notre flotte. Nous avons obtenu gain de cause, et j'ai pu annoncer, début décembre, un plan de modernisation de la pêche française, accompagné des financements correspondants, qui était ardemment attendu par les pêcheurs de notre pays.
    Il y a quelques semaines s'est tenu, à Bruxelles, un deuxième round, également traditionnel, consacré au plan de restauration du cabillaud et du merlu et aux quotas de pêche.
    Sur le premier point, face aux prétentions de la Commission européenne, nous avons obtenu satisfaction avec l'exclusion de la zone Manche ouest. S'agissant de la Manche est, nous avons obtenu des dispositions techniques, en termes de jours de mer, qui permettront aux chalutiers et aux fileyeurs de maintenir leur activité.
    S'agissant du deuxième point, après une négociation âpre, difficile, les quotas de poissons qui ont été établis permettront à nos pêcheurs de poursuivre une activité normale en 2004, en particulier dans un port qui vous est cher, celui de La Turballe. Vous savez que, pour l'anchois, nous avons obtenu 33 000 tonnes au lieu des 11 000 tonnes initialement proposées. De même, nous avons obtenu, s'agissant de la pêche au gangui, un prolongement de la dérogation qui était très attendu par les pêcheurs méditerranéens.
    Pour résumer, nous souhaitons maintenir l'équilibre entre l'activité économique sur nos zones littorales et une gestion durable de la ressource halieutique à laquelle sont associés les marins, en liaison avec les scientifiques de l'IFREMER. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

CONSÉQUENCES DE LA FAILLITE DE PARMALAT

    M. le président. La parole est à M. Henri Nayrou, pour le groupe socialiste.
    M. Henri Nayrou. Ma question, à laquelle j'associe le député lorrain François Dosé, s'adresse à M. le Premier ministre.
    Elle concerne le naufrage frauduleux de Parmalat, les conséquences sur la filière lait de France et les leçons que l'Europe devra tirer d'un tel scandale financier. Subissent durement cette faillite les producteurs de Franche-Comté, de Lorraine et surtout de Midi-Pyrénées, où 120 agriculteurs du Groupement laitier des Pyrénées, situé sur le site de Rieucros, en Ariège, sont aujourd'hui spoliés de plus de un million d'euros.
    Loin, très loin de l'Italie, le tribunal de commerce de Foix a placé lundi le GLP en redressement judiciaire. Le temps presse. Pour ne pas sombrer avec Parmalat, les producteurs doivent obtenir du gouvernement français le report des prélèvements fiscaux et sociaux, des prêts bonifiés dits « sécheresse » à 2 %, mais aussi des garanties bancaires adaptées.
    Monsieur le Premier ministre, vous pouvez même faire plus, puisque l'Italie a sollicité une dérogation à Bruxelles pour pouvoir verser des aides directes à ses 120 000 producteurs victimes de Parmalat. Il serait choquant que nos agriculteurs soient moins bien indemnisés que leurs collègues du pays où a éclaté la faillite.
    Mais que fait l'Europe dans cette affaire qui n'est désormais plus strictement italienne ? La nature des marversations, ses prolongements douloureux vers plusieurs pays et la disparité des aides à prévoir doivent convaincre l'Union européenne qu'il est désormais de sa responsabilité d'agir face aux pratiques sans scrupules des grands groupes industriels et financiers.
    Pour s'attaquer aux voyous des mers, il aura fallu les naufrages de l'Erika, puis du Prestige. Le crash de Charm el-Cheikh vient de poser à nouveau le problème de la sécurité dans les airs. Faudra-t-il donc encore des scandales comme celui d'Enron ou de Parmalat pour qu'enfin l'Europe se réveille ? Monsieur le Premier ministre, la représentation nationale tout comme les victimes d'hier, d'aujourd'hui et peut-être de demain attendent de vous des réponses fortes. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales.
    M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, monsieur Nayrou, le scandale Parmalat a deux dimensions. La première, économique et financière, rappelle évidemment un certain nombre d'affaires liées à l'audit et à la sécurité financière. En ce qui concerne cet aspect, Francis Mer prend en charge ce dossier en liaison avec les autorités européennes.
    M. Daniel Vaillant. Nous sommes sauvés !
    M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales. Mais il y a une deuxième dimension proprement agricole : une quinzaine d'entreprises et de coopératives sont touchées en France, dont quatre, situées dans l'Ariège, le Lot, le Rhône et la Meurthe-et-Moselle, n'étaient pas assurées. En Ariège, la coopérative de Rieucros réunit 138 sociétaires et 18 salariés, et sa créance s'élève à deux millions d'euros, les mensualités de novembre et de décembre n'ayant pas été versées.
    Comme vous l'avez rappelé, monsieur le député, le tribunal de commerce de Foix, le 5 janvier, vient d'autoriser la poursuite de l'activité pour les six mois qui viennent, avec un plan de redressement qui sera annoncé le 2 février prochain.
    Face à ce dossier, le Gouvernement a immédiatement réagi auprès du gouvernement italien : j'ai saisi dès le 30 décembre M. Giovanni Alemanno, mon homologue, pour lui dire que la France ne pourrait être en deçà des indemnisations et des mesures de solidarité financière que mettrait en place le Gouvernement italien. Je lui transmettrai dès la semaine prochaine l'état exact des créances dont nous sommes en train de faire le bilan.
    De plus, il va de soi - je l'ai déjà dit mais je le répète bien volontiers  - que tous les mécanismes de solidarité, y compris en matière d'aides directes, comme vous l'avez dit, monsieur le député, joueront pour aider les producteurs qui se trouvent dans cette situation dramatique. Solidarité nationale, solidarité interprofessionnelle : nous sommes tous derrière les producteurs de lait spoliés par le scandale Parmalat. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

ADHÉSION DE LA BULGARIE
ET DE LA ROUMANIE À L'UNION EUROPÉENNE

    M. le président. La parole est à M. Gilbert Gantier, pour le groupe UDF.
    M. Gilbert Gantier. Ma question s'adresse à Mme la ministre déléguée aux affaires européennes.
    Madame la ministre, le sommet de Bruxelles des 12 et 13 décembre a témoigné de l'incapacité des gouvernements européens à se mettre d'accord sur le projet d'une constitution européenne. Ce malheureux échec a étouffé les autres conclusions du sommet et, pourtant, il en est une qui nous préoccupe grandement, je veux parler de l'élargissement de l'Union à la Bulgarie et à la Roumanie, prévu pour janvier 2007. Il est même parfois indiqué que le traité d'adhésion de ces deux pays pourrait être signé dès 2005, c'est-à-dire l'année prochaine.
    Pour tous ces pays de l'Est européen qui ont subi durant cinquante ans la régression démocratique et économique du communisme, l'effort qui est demandé est considérable. Ce fut vrai pour l'Allemagne de l'Est dont le poids pèse d'ailleurs toujours sur l'économie allemande. C'est toujours le cas pour les nouveaux adhérents de cette année et ce le sera encore davantage pour la Bulgarie et pour la Roumanie, dont chacun connaît les difficultés intérieures.
    J'ajoute qu'il y a également une contradiction inquiétante entre cette volonté de poursuivre l'élargissement et le souhait, exprimé notamment par la France, de geler le budget européen à 1 % d'augmentation du PIB à partir de 2007.
    Madame la ministre, pourquoi les chefs d'Etat et de gouvernement de l'Union ont-ils fixé un échéancier aussi précis pour l'adhésion de ces pays ? Quelles raisons vous poussent-elles à penser que la Roumanie et la Bulgarie seront totalement aptes à intégrer l'Union dès 2007 ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée aux affaires européennes.
    Mme Noëlle Lenoir, ministre déléguée aux affaires européennes. Monsieur le député, je puis vous l'assurer, la France maintient le cap et nous avons toujours comme objectif d'adopter la Constitution européenne en 2004 sur la base des travaux de la Convention.
    M. Jacques Desallangre. Fluctuat nec mergitur !
    Mme la ministre déléguée aux affaires européennes. Par ailleurs, vous le savez, le traité de Nice doit, en tout état de cause, s'appliquer jusqu'en 2009. Il prévoit déjà l'adhésion de la Bulgaire et de la Roumanie, ce qui est selon nous tout à fait compatible avec notre souci, très présent, de rigueur budgétaire.
    Nous avons tout intérêt à aider ces pays sur la voie de l'adhésion. Vous le savez, nous avons avec la Bulgarie et la Roumanie des liens culturels traditionnels très forts, notamment en matière de francophonie. Un Roumain sur quatre parle français. Nous entretenons également des liens économiques très étroits : nous sommes les premiers investisseurs en Roumanie. Ces liens ont été encore renforcés lors des visites récentes des chefs d'Etat et de gouvernement de ces deux pays. La France est aussi parmi les pays les plus impliqués, en matière de jumelage, avec ceux-ci. C'est pourquoi nous avons soutenu l'objectif de leur adhésion en janvier 2007, qui n'est qu'une précision par rapport à la décision du Conseil européen de Copenhague.
    Nous souhaitons - et j'insiste sur ce point - que ces pays soient prêts et qu'ils puissent finaliser leurs négociations d'adhésion. C'est leur intérêt, bien sûr, mais aussi celui de l'Europe et, je le crois très fermement, c'est également l'intérêt bien compris de notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur plusieurs bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

ASSISTANCE FRANÇAISE APRÈS LE SÉISME DE BAM

    M. le président. La parole est à M. Jacques Barrot, pour le groupe UMP.
    M. Jacques Barrot. Ma question s'adresse à M. le ministre des affaires étrangères. Dans la nuit du 25 décembre, un tremblement de terre a complètement détruit le centre de la cité de Bam en Iran, faisant plus de 30 000 morts.
    En me rendant sur les lieux, j'ai découvert une ville littéralement enfouie sous le sable et les pierres. J'ai pu mesurer les besoins d'une cité de plus de 100 000 habitants, frappée par un tel sinistre.
    Certes, des sauveteurs, venus de nombreux pays, étaient sur place. Mais certaines interventions, parfois désordonnées, n'avaient pas toute l'efficacité souhaitable.
    En revanche, nos équipes françaises avec leur hôpital de campagne ont rendu de grands services, très appréciés des autorités iraniennes. Nous pouvons rendre hommage à nos compatriotes, qui étaient présents dès le lendemain du sinistre. Visiblement, les efforts que vous avez entrepris pour accroître l'efficacité de notre aide humanitaire d'urgence ont porté leurs fruits.
    Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous préciser à cet égard les progrès de notre logistique en matière de secours sur ces grands sinistres internationaux ? Ne peut-on pas envisager d'accroître encore son efficacité en associant plus étroitement les services de l'armée et ceux de nos sapeurs-pompiers professionnels et volontaires.
    Il va maintenant falloir reconstruire. Les autorités iraniennes comptent beaucoup sur le partenariat français et européen, notamment pour édifier un nouvel hôpital et si possible pour reconstruire la cité de Bam qui est inscrite au patrimoine mondial de l'humanité.
    Pouvez-vous nous confirmer l'engagement du gouvernement français en ce sens et surtout sa volonté de faire partager à tous nos partenaires européens cette volonté pour dégager les aides nécessaires ?
    Un effort significatif de solidarité peut être un encouragement précieux pour un peuple iranien qui, dans sa grande majorité, souhaite aujourd'hui coopérer avec la communauté internationale pour lutter contre le terrorisme et construire la paix dans la région. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat aux affaires étrangères.
    M. Renaud Muselier, secrétaire d'Etat aux affaires étrangères. Je vous prie d'excuser M. Dominique de Villepin qui est en ce moment en Egypte avec les familles des victimes de Charm-el-Cheikh.
    Le Premier ministre m'avait confié, il y a quelque temps, l'organisation d'un comité interministériel sur l'aide humanitaire d'urgence. Cette année, nous avons rencontré beaucoup de difficultés. Ce sont près de trente-neuf interventions qui ont été diligentées à travers le monde - à peu près trois par mois - dans des conditions difficiles, aussi bien en Algérie qu'au Libéria ou en Côte d'Ivoire.
    Pour ce qui est de l'organisation, je tiens à saluer les différents ministres compétents qui, avec l'accord du Premier ministre, ont fait en sorte qu'un comité interministériel permette au ministère des affaires étrangères de se faire en quelque sorte le « régulateur du SAMU », afin d'intervenir le plus vite possible, un peu partout dans le monde, quand c'est nécessaire. (Murmures sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Gilbert Meyer. Ecoutez donc la réponse !
    M. le secrétaire d'Etat aux affaires étrangères. Près de 130 millions d'euros ont ainsi été investis l'an passé.
    S'agissant de la catastrophe de Bam, la réponse a été rapide, massive et cohérente.
    Rapide, parce que nous étions présents, avec un hôpital, en moins de soixante-douze heures ; nous soignons sans discontinuer et nous resterons là-bas tant que ce sera nécessaire. Rapide, parce que, en moins d'une semaine, près de six avions étaient sur place, affrétés par l'Etat, les ONG ou des entreprises.
    Massive, parce que plus de six millions d'euros ont été investis sur place, ce qui fait de notre pays l'un des tout premiers contributeurs en matière d'aide internationale.
    Cohérente, parce que, pour la première fois, une réunion nous a permis d'organiser un déplacement sur place avec les ONG, les pouvoirs publics et les collectivités locales, ainsi que des entreprises.
    Aujourd'hui le gouvernement iranien demande qu'on l'aide à reconstruire cette partie de son territoire. Nous lui apportons à cet égard une réponse concertée, puisque nous travaillons avec les entreprises et tous les ministères concernés. Il est très important pour la diplomatie française que notre pays apporte une aide aux populations qui souffrent à travers le monde. La France y a consacré les moyens nécessaires et rayonne sur toute la planète grâce à ce volet de sa diplomatie qu'est l'humanitaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

DÉBAT NATIONAL SUR L'AVENIR DE L'ÉCOLE

    M. le président. La parole est à Mme Marie-Jo Zimmermann, pour le groupe UMP.
    Mme Marie-Jo Zimmermann. Monsieur le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche, le grand débat national sur l'avenir de l'école, voulu par le Président de la République, a été lancé en novembre dernier à Lille. Le 17 janvier, ce seront près de 15 000 réunions publiques qui auront été organisées sur l'ensemble du territoire. Ce débat a pour but non seulement d'établir un diagnostic, mais surtout de dégager les grands axes qui guideront la construction de l'école de demain. Tous les citoyens ont été invités à y participer et, aujourd'hui, près d'un million de personnes ont apporté leurs contributions. Ainsi, toutes les questions qui se posent, de la maternelle à l'entrée dans l'enseignement supérieur, auront pu être abordées.
    Nous sommes à quelques jours de la fin de la première phase de ce débat national et la commission que vous avez mise en place, monsieur le ministre, devra en tirer une première synthèse. Aujourd'hui, pouvez-vous préciser à la représentation nationale les enseignements que vous tirez de cette consultation et dans quel état d'esprit vous abordez la deuxième phase, qui devra aboutir à la loi d'orientation sur l'école ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche.
    M. Luc Ferry, ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche. Madame Zimmermann, je voudrais rappeler que le Président de la République et le Premier ministre avaient souhaité, en effet, que le débat national sur l'école se fixe deux priorités : parvenir à un diagnostic sur l'état de notre système éducatif qui soit le mieux partagé possible, et indiquer, dans chaque débat sur le terrain, les trois priorités qui devaient être retenues par les participants.
    Comme vous l'avez rappelé, 15 000 débats ont déjà réuni plus d'un million de personnes. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Les chiffres sont fournis par un institut de sondage indépendant, la SOFRES, et non par les services du ministère, qui en ont sans aucun doute les compétences mais certains les mettent parfois en doutent ! Il est intéressant de souligner que 85 % des participants à ce débat ont le sentiment que leur message a été entendu (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), et que 54 % d'entre eux en attendent beaucoup.
    Mais, pour répondre à votre question de fond, à savoir quels enseignements on peut tirer de ce débat, il faut d'abord souligner que le choix des thèmes retenus prioritairement par les participants - plus d'un million, je le répète, selon ce sondage,...
    M. François Loncle. Selon la police !
    M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche. ... ce choix est extrêmement significatif.
    D'abord, et très largement devant les autres, vient le thème : comment motiver les élèves ? Ensuite, comment lutter contre la violence dans les établissements scolaires, puis comment lutter contre l'échec scolaire et, enfin, comment diversifier les parcours - ce qui revient, au fond, à poser la question du collège unique ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    On le voit, ce débat ne se situe pas dans l'anecdotique, ni dans les paillettes. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Le sujet est lourd et nous sommes face à une demande de la part des Français, celle d'un véritable changement de cap par rapport à ce qui s'est fait au ministère de l'éducation nationale dans les années précédentes. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire).
    La commission Thélot va poursuivre son travail et les auditions vont continuer - je signale que tous les anciens ministres de l'éducation nationale sauf un ont accepté d'y participer.
    De toute évidence, la conclusion à tirer est que la loi d'orientation que nous allons rédiger devra opérer le recentrage sur les fondamentaux et fournir des formulations nouvelles sur un certain nombre de sujets, comme la scolarité obligatoire ou le collège unique, mais aussi, probablement, une dizaine d'autres.

TAXE PROFESSIONNELLE

    M. le président. La parole est à M. Augustin Bonrepaux, pour le groupe socialiste.
    M. Augustin Bonrepaux. Ma question s'adresse à M. le Premier ministre.
    Le Président de la République propose de supprimer la taxe professionnelle. Il lui aura donc fallu trente ans pour reconnaître une erreur de jeunesse. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Cette erreur, le gouvernement Jospin a commencé à la corriger (Huées sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) en supprimant la part de la taxe professionnelle assise sur les salaires. C'était une mesure directement favorable à l'emploi. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Nous avons voulu poursuivre cette réforme dans la loi de finances pour 2004, à la demande des entreprises à fort taux de main-d'oeuvre, comme le textile et l'habillement. Votre gouvernement s'est opposé à nos propositions. Pouvez-vous nous dire pourquoi l'emploi n'était pas alors une priorité ? En quoi l'annonce d'une loi de mobilisation pour l'emploi, imprécise et lointaine, pourrait-elle être plus efficace que les mesures concrètes que nous avons proposées pour 2004 ?
    Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Comme les 35 heures ?
    M. Augustin Bonrepaux. Aujourd'hui, la promesse présidentielle n'est-elle pas une nouvelle mystification, puisque son impact serait reporté à 2007 ou 2008 ?
    Plusieurs députés du groupe socialiste. Après les élections !
    M. Augustin Bonrepaux. C'est une mesure qui paraît totalement improvisée, puisque, pour le moment, elle n'est pas financée.
    M. Edouard Landrain. Comme les trente-cinq heures !
    M. Augustin Bonrepaux. C'est une mesure qui peut aussi se révéler très dangereuse si elle prive les collectivités locales de moyens. Que signifie la décentralisation dans ces conditions ? Il y aura inévitablement une hausse de la taxe d'habitation !
    Ma dernière question est beaucoup plus simple, monsieur le Premier ministre : faut-il désormais attendre les voeux présidentiels pour que le Gouvernement découvre les problèmes et soit attentif aux propositions du Parlement ? Ou, plus simplement, Jacques Chirac n'est-il pas en campagne électorale ? (Applaudissements et rires sur les bancs du groupe socialiste. - Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
    M. Francis Mer, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Monsieur Bonrepaux, effectivement, la taxe professionnelle est une préoccupation que nous partageons depuis trente ans, avec des hauts et des bas. Si le précédent gouvernement a eu la détermination d'en réduire l'assiette, pour ce qui est de la masse salariale,...
    Mme Martine David. Eh oui !
    M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. ... nous avons dû continuer parce qu'il n'avait pas tout à fait achevé sa tâche !
    Nous sommes donc tous d'accord, depuis longtemps, pour reconnaître que cette taxe, qui doit bien entendu préserver les ressources des collectivités locales, quelle que soit son évolution, présente peut-être quelques avantages, mais aussi beaucoup d'inconvénients, le principal étant, pour l'industrie, au sens large du terme, qu'elle joue sur les coûts et non pas seulement sur les résultats comme l'impôt sur les sociétés. C'est effectivement le reproche majeur qui lui est fait dans beaucoup de domaines, surtout lorsqu'on parle de l'attractivité relative du territoire français par rapport à d'autres implantations internationales pour ce que l'on appelle les « investissements mobiles ».
    Il est donc, depuis un certain temps déjà, à l'ordre du jour, non seulement de réfléchir, mais d'agir sur ladite taxe professionnelle.
    M. Augustin Bonrepaux. Il serait temps !
    M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Nous avons dorénavant une obligation de résultat, puisque le Président de la République nous a demandé (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), après la phase transitoire des dix-huit prochains mois, d'aboutir à une réforme, non seulement d'ailleurs de la taxe professionnelle, mais de l'ensemble de nos assiettes fiscales pour en faire un outil plus adapté à la dynamique économique de demain qu'à celle d'hier.
    Le pari, je ne vous le cache pas, est très ambitieux. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Mais, après tout, il est normal, dans le cadre des réformes nécessaires, que nous ayons suffisamment d'ambition, y compris pour traiter des problèmes qui n'ont pas été résolus jusqu'à présent.
    C'est dans ce contexte que le ministère des finances a la tâche, bien lourde, je ne le cache pas non plus (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), mais aussi la forte ambition, mesdames et messieurs les députés, de vous apporter, dans les dix-huit prochains mois, une solution valable pour tous les prélèvements fiscaux touchant les entreprises. Et nous le ferons ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

SITUATION À HAÏTI

    M. le président. La parole est à M. Eric Raoult, pour le groupe UMP.
    M. Eric Raoult. Ma question s'adresse à M. le ministre des affaires étrangères ou à M. le ministre de la francophonie et concerne un petit, mais très beau pays, qui fête le bicentenaire de son indépendance, l'île d'Haïti. Je souhaite y associer mes amis et collègues Edouard Landrain et Jean-Louis Bernard, qui étaient à Haïti pour cette occasion.
    Vous le savez, Haïti a plus que des liens étroits avec la France. Elle partage un passé commun au nôtre, fait de liberté et d'indépendance.
    Indépendant depuis 1804, son bicentenaire officiel, il y a quelques jours, a été marqué par des manifestations populaires qui rappellent que cette crise politique a déjà fait, depuis septembre dernier, quarante morts et cent blessés. Ces violences politiques semblent à la fois contester le pouvoir en place et revendiquer l'application d'un réel état de droit et le respect absolu des droits de l'homme pour les citoyens haïtiens.
    Ces soulèvements marquent une nouvelle crise pour Haïti, proche des Antilles françaises, là où la France est observée, plus que tout autre Etat, par sa symbolique historique et humanitaire. Hélas, cette crise semble devoir non pas s'éteindre mais plutôt s'aggraver. En outre, cette situation handicape gravement les relations entre Haïti et les départements français de la zone Antilles et Guyane. Comme Mme la ministre de l'outre-mer le sait, toute coopération est devenue impossible. L'immigration de nombreux Haïtiens vers les Antilles et la Guyane ne fait que s'accroître.
    La communauté internationale est inquiète, à juste raison, de l'évolution de la situation d'un Etat qui semble alterner, depuis deux cents ans, entre l'espoir du progrès et une certaine fatalité de l'échec.
    Aussi, eu égard aux difficultés que connaît Haïti, ma question sera double : quelles actions bilatérales et multilatérales la France peut-elle mener afin de renouer des liens positifs et constructifs avec ce pays ? Quelle influence notre pays peut-il déployer afin de faire respecter les principes universels de l'état de droit, de la démocratie et du respect des droits de l'homme ? Monsieur le ministre de la francophonie, pouvez-vous éclairer l'Assemblée nationale mais aussi les originaires de Haïti, qu'ils vivent aux Antilles ou en métropole, sur les intentions de la France quant à l'action médiatrice qu'elle compte mener à Haïti ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Edouard Landrain. Très bien !
    M. le président. La parole est à M. le ministre délégué à la coopération et à la francophonie.
    M. Pierre-André Wiltzer, ministre délégué à la coopération et à la francophonie. Monsieur le député, la situation en Haïti est très préoccupante, deux membres de votre assemblée, M. Landrain et M. Bernard, qui étaient sur place il y a quelques jours, ont pu le constater.
    Ce pays connaît une situation de crise politique et institutionnelle très aiguë, qui s'est manifestée par des violences qui ont fait un certain nombre de victimes et qui aggravent les conditions de vie déjà extrêmement dégradées de la population haïtienne. Cette situation pousse beaucoup d'Haïtiens à quitter leur pays, et nos départements de Guadeloupe et de Martinique en particulier sont confrontés en ce moment à une immigration clandestine importante qui pose beaucoup de problèmes.
    La France n'est pas et ne peut pas être indifférente devant la situation de ce pays, qui est un pays francophone, avec lequel nous avons des relations historiques, culturelles, artistiques très anciennes, un pays pour lequel nous avons une grande sympathie et auquel nous avons apporté depuis des années une aide importante.
    En étroite concertation avec les partenaires et amis d'Haïti - je pense aux Américains et aux Canadiens qui en sont proches géographiquement, je pense à l'organisation des Etats d'Amérique et aux Etats européens -, nous recherchons activement les moyens de faciliter une issue politique à la crise actuelle. Nous encourageons les forces en présence, c'est-à-dire le gouvernement haïtien du président Aristide, les partis d'opposition et les mouvements de la société civile, à accepter un dialogue politique, soit directement, soit avec la médiation que les églises, par exemple, ont proposée.
    Ce dialogue peut, seul, ramener la paix civile, permettre de rétablir les droits et libertés et de définir un calendrier débouchant sur des élections libres. Parallèlement à la réalisation de ce calendrier, nous proposons que les partenaires d'Haïti, dont nous sommes, renforcent puissamment leur aide.
    Le Gouvernement est également soucieux, monsieur le député, des relations bilatérales entre la France et Haïti. Vous le savez, un comité de réflexion et de proposition a été mis en place, sous la direction de Régis Debray, par Dominique de Villepin ; il doit remettre ses conclusions d'ici à la fin du mois et nous en tirerons toutes les leçons. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

ZONES AGRICOLES INTERMÉDIAIRES

    M. le président. La parole est à M. Luc-Marie Chatel, pour le groupe UMP.
    M. Luc-Marie Chatel. Monsieur le président, mes chers collègues, ma question s'adresse à M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales.
    Monsieur le ministre, je souhaite appeler votre attention sur les zones agricoles intermédiaires, qui se caractérisent, comme vous le savez, à la fois par une forte proportion d'oléagineux et par la présence de nombreuses exploitations sociétaires de polyculture et d'élevage. Elles concernent une vingtaine de nos départements et représentent 26 % de la surface agricole utile nationale et plus de 20 % de nos agriculteurs.
    La situation de ces zones intermédiaires se traduit par une forte dépendance aux soutiens directs, les aides y représentant globalement 109 % du revenu, contre 77 % au niveau national. Dans mon département, ce chiffre atteint même le montant extravagant de 223 % !
    De ces handicaps naturels ou économiques et de l'absence de cultures à forte valeur ajoutée découle, bien entendu, un faible niveau de revenu. Sa constante diminution doit tous nous préoccuper.
    J'ajoute que les règlements d'application du compromis agricole de Luxembourg accroissent l'inquiétude des paysans des zones intermédiaires, et plus particulièrement les producteurs d'oléagineux
    Pour toutes ces raisons, et au nom de tous mes collègues élus de zones agricoles intermédiaires, je vous demande, monsieur le ministre, quelles dispositions le Gouvernement entend prendre dans ce domaine. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales.
    M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales. Monsieur Chatel, vous avez parfaitement décrit la situation particulière des zones intermédiaires qui forment une grande diagonale traversant une vingtaine de départements français.
    M. Christian Bataille. Il aura le tableau d'honneur !
    M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales. C'est d'ailleurs après m'être rendu dans plusieurs de ces départements que j'ai acquis la conviction que la proposition de la Commission européenne de totalement découpler les aides de la production serait catastrophique pour ces zones. Les simulations que nous avons faites montrent en effet qu'à horizon de cinq ans, elles auraient connu une déprise agricole maximale. Les Espagnols, d'ailleurs, pour leur propre territoire, étaient arrivés aux mêmes conclusions.
    Avec l'accord de Luxembourg du mois de juin, nous avons la possibilité de mettre en place un découplage partiel. J'aurai l'occasion de m'exprimer sur ce sujet dans les prochaines semaines, mais je peux d'ores et déjà vous dire que, dans le choix que je ferai, je tiendrai le plus grand compte de la situation particulière de ces zones intermédiaires.
    Par ailleurs, il faut renforcer un certain nombre de mesures agro-environnementales. Je pense notamment aux mesures rotationnelles, qui concernent déjà un certain nombre de régions en France et que nous allons étendre en 2004 à d'autres régions du territoire, j'aurai aussi l'occasion de l'annoncer dans les prochaines semaines.
    Enfin, sur les oléoprotéagineux, des dispositifs sont à l'étude pour favoriser leur production et leur utilisation, y compris non alimentaire : c'est le sens des décisions que nous avons prises à la fin de l'année dernière.
    Tels sont, monsieur le député, les quelques éléments que je peux vous donner. Je vous confirme tout l'intérêt du Gouvernement pour la défense et la promotion de l'agriculture dans les zones intermédiaires. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

SITUATION DES FINANCES PUBLIQUES

    M. le président. La parole est à M. Alain Néri, pour le groupe socialiste.
    M. Alain Néri. Je voudrais tout d'abord saluer la certaine sincérité de la réponse de M. Mer, qui tranche avec le flou artistique des réponses auxquelles nous sommes habitués. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste. - Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Ma question s'adresse à M. le Premier ministre, dont le rôle, de jour en jour, se réduit à la simple exécution des directives présidentielles. (Exclamations sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Et alors ?
    M. le président. Je vous en prie, cela se passait bien jusqu'à présent !
    M. Alain Néri. Cette question concerne chaque Français et porte sur la situation dramatique de nos finances publiques. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Monsieur le Premier ministre, par ses promesses électoralistes répétées, le Président de la République, éternel candidat, et dès maintenant en campagne électorale, vous impose un exercice de magicien, que vous êtes à l'évidence dans l'incapacité d'accomplir. (Protestations sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Les comptes publics sont, en effet, très dégradés,...
    Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. La faute à qui ?
    M. Alain Néri. ... 65 milliards d'euros de déficit pour l'Etat et 50 milliards d'euros de déficit sociaux cumulés. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Bernard Deflesselles. Ce sont les vôtres !
    M. Alain Néri. La note est lourde.
    Cette réalité, vous la cachez aux Français. Aujourd'hui, comme par hasard, à la veille des élections cantonales et régionales, vous leur entonnez l'air bien connu de « Tout va très bien, madame la marquise ! » (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Vous voulez leur faire croire que les impôts baissent...
    Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Ils baissent !
    M. Alain Néri. ... et vous leur promettez même qu'ils vont encore baisser. (« Eh oui ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) En réalité, et vous le savez bien, ils ne baissent pas, sauf pour quelques privilégiés. (Protestations sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste.) Au contraire, les taxes augmentent, et ce n'est rien à côté de ce qui attend chacun d'entre nous.
    Vos annonces alléchantes mais non financées (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) visent à tromper les citoyens qui vous écoutent. Chacun doit bien avoir conscience des mesures douloureuses que vous préparez. Le pire est à venir, et le réveil sera brutal.
    Ma question est donc précise, monsieur le Premier ministre : quand allez-vous annoncer aux Français les nouvelles hausses de prélèvement et la nouvelle réduction des droits sociaux...
    M. Bernard Accoyer. Ça, c'est les socialistes !
    M. Alain Néri. ... que votre politique rend inéluctables ? Allez-vous attendre le lendemain des élections régionales et cantonales pour présenter l'addition aux Français ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
    M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. Mesdames, messieurs les députés, M. Mer a été complet tout à l'heure et ce n'est pas la peine qu'il se répète. Je vais donc vous faire part d'une vraie fierté.
    Plusieurs députés du groupe socialiste. Censure !
    M. le Premier ministre. Vous savez, les fêtes ne m'ont pas rendu agressif et vous me trouverez aussi serein qu'avant. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    C'est la fierté d'un Premier ministre de travailler dans la ligne tracée par le Président de la République, et je trouve étonnant que trouviez cela incongru.
    Le Président de la République fixe les orientations. A la tête du Gouvernement, j'applique ses orientations avec confiance, sérénité et détermination. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) C'est pour cela que les engagements du Président de la République seront tenus ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    A l'occasion de ses voeux (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), ce qui a l'air de vous étonner, mais c'est une rencontre naturelle entre le chef de l'Etat et les Français, le Président a précisé notre programme de travail, permettant d'avoir une visibilité que vous êtes souvent si nombreux à réclamer.
    Il y a deux grandes étapes. La première a été franchie.
    M. François Hollande. Le chômage !
    M. le Premier ministre. Il s'agissait de tout faire pour voir revenir la croissance. Nous avons agi pour que notre pays soit parmi les premiers au sein de la zone euro à retrouver la croissance,...
    M. François Hollande. Ce n'est pas le cas !
    M. le Premier ministre. ... en allégeant les charges et en diminuant les impôts, mais aussi en proposant les réformes sociales...
    M. François Hollande. Lesquelles ?
    M. le Premier ministre. ... qui n'avaient pas été engagées quand la croissance était présente. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Quel est maintenant notre défi ?
    Mme Martine David. La démolition sociale !
    M. le Premier ministre. C'est que cette croissance profite à toutes les Françaises et à tous les Français. Ce que nous voulons, c'est un partage de la croissance. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Je comprends que ça vous inquiète !
    M. Gilbert Biessy. Ça, oui !
    M. le Premier ministre. Les Français seront en effet d'accord avec nous pour que cette croissance soit partagée, comme nous l'avons fait pour le SMIC, comme nous le ferons grâce à la politique de l'emploi...
    M. François Hollande. Laquelle ?
    M. le Premier ministre. ... qui sera au coeur de notre action en 2004 ! C'est une politique...
    Plusieurs députés du groupe socialiste. Electorale !
    M. le Premier ministre. ... qui vise à faire en sorte que les salariés aient dans l'entreprise une carrière qui corresponde à leurs aspirations et que les revenus du travail soient à la hauteur de leurs aspirations, et que tous ceux qui sont exclus (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)...
    Mme Martine David. C'est une politique de démolition sociale !
    M. le Premier ministre. Votre bilan ne vous autorise pas à tant d'arrogance ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste.) On n'a pas attendu le printemps 2002 pour trouver la pauvreté et l'exclusion dans notre pays, et vous feriez mieux de faire preuve d'attention...
    Mme Martine David. Vous aussi !
    M. le Premier ministre. ... vis-à-vis de toutes ces Françaises et de tous ces Français que votre politique a mis dans la difficulté ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Christian Bataille. Raffarin, chômage !
    M. le Premier ministre. Comme l'a décidé le Président de la République, notre politique sera efficace parce qu'elle fera de l'emploi sa priorité, parce qu'elle est juste, parce qu'elle est destinée à toutes les Françaises et à tous les Français. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

CARTE SCOLAIRE

    M. le président. La parole est à M. Jean Auclair, pour le groupe UMP.
    M. Jean Auclair. Ma question s'adresse à M. le ministre délégué à l'enseignement scolaire.
    Lors du CIADT du 18 décembre 2003, le Gouvernement a montré son attachement à l'aménagement du territoire. Nous mesurons concrètement la différence entre un gouvernement comme le précédent, qui n'a que promis, et un gouvernement responsable, qui agit. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Pour preuve, à la place du fantomatique POLT, le train TEOZ est enfin sur les rails sans qu'il en coûte un euro à la région, et les aménagements de la RCEA vont passer à la vitesse supérieure.
    A quelques jours du vote de la loi sur le développement des territoires ruraux, un autre sujet, qui a de fortes conséquences en termes d'aménagement du territoire, me préoccupe tout particulièrement : il s'agit de la carte scolaire. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Monsieur le ministre, il est urgent de sortir de la politique voulue par la gauche. Je pense, en particulier, à la création des pôles de compétence, peut-être profitables aux zones urbaines mais difficilement envisageables dans les zones peu peuplées comme la Creuse.
    M. Christian Bataille. Vous supprimez des postes partout !
    M. Alain Néri. C'est vrai !
    M. Jean Auclair. A titre d'exemple, il est vraiment illogique de vider les lycées du sud de la Creuse au profit des établissements plus fréquentés de la préfecture ou de la capitale régionale. Cela se traduit par l'accentuation des inégalités et par un surcoût lié à l'internat à la charge des familles, ou même par la dissolution de l'enseignement professionnel alors que le Gouvernement annonce la valorisation de cette voie.
    M. Yves Durand. Vous supprimez des postes !
    M. Jean Auclair. Il est primordial que l'administration relaie parfaitement sur le terrain les volontés gouvernementales, et pas seulement dans l'éducation nationale, j'en parlerai bientôt à M. Mer et à M. Lambert. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Plusieurs députés du groupe des député-e-s communistes et républicains. La question !
    M. Jean Auclair. Alors que la gauche réclame sans arrêt plus pour l'éducation nationale, la région Limousin, de gauche bien sûr, vient de réduire ses investissements en faveur des lycées. (« Hou ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. Posez votre question, monsieur Auclair.
    M. Jean Auclair. Les autorisations de programme passent de 45 à 25 millions d'euros. Pourtant, les lycées permettent l'accès à la formation pour tous. Leur maintien est indispensable parce qu'ils assurent un maillage cohérent et un équilibre du territoire, une offre de proximité et de qualité. Et je tiens à rendre hommage à tous les enseignants qui, hyper-motivés, oeuvrent dans ces établissements où les élèves obtiennent de très bons résultats.
    Pouvez-vous nous préciser les intentions du Gouvernement, notamment dans les zones de revitalisation rurale ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre délégué à l'enseignement scolaire.
    M. Xavier Darcos, ministre délégué à l'enseignement scolaire. Monsieur le député, l'une des priorités du Gouvernement de Jean-Pierre Raffarin est en effet une politique d'aménagement du territoire équilibrée et juste.
    Plusieurs députés du groupe socialiste. De déménagement !
    M. le ministre délégué à l'enseignement scolaire. A cet égard, nous avons fait un certain nombre de propositions, notamment les réseaux d'écoles, qui, sur la base du volontariat des élus, permettent de sauvegarder l'école rurale.
    J'ajoute que le budget de l'enseignement scolaire, qui augmentera cette année de 2,8 %, assurera plus d'équité et permettra de répondre aux besoins ici ou là.
    M. Marcel Dehoux. Combien de postes supprimez-vous ?
    M. le ministre délégué à l'enseignement scolaire. Cependant, il ne faut pas l'ignorer, il y a des évolutions démographiques, des changements de population. Dans certains endroits, ce ne sont pas les professeurs qui s'en vont ou les établissements qui ferment mais les élèves qui partent et nous devons en tenir compte.
    Il est vrai aussi qu'il ne faut pas avoir une simple gestion comptable de ces phénomènes. La carte scolaire doit permettre d'encourager et de favoriser les régions qui en ont le plus besoin.
    Vous parlez plus spécifiquement de la Creuse. Dans l'académie de Limoges, le recul de la démographie scolaire est très sensible. Pour vous donner simplement deux chiffres, 107 sections de lycée professionnel et 298 sections de langues vivantes ou d'options ont moins de huit élèves. Evidemment, il faut essayer de les sauvegarder, mais est-ce vraiment dans l'intérêt des élèves que les effectifs soient si faibles ? Il est plutôt souhaitable de les regrouper dans de plus grandes sections.
    Dans le sud de la Creuse, trois établissements vous préoccupent particulièrement. Le lycée du bâtiment de Felletin sera maintenu comme pôle d'excellence. Il a une grande tradition. Le lycée professionnel d'Aubusson va se spécialiser dans le commerce, la vente et les services.
    M. François Hollande. On ne va pas parler que d'Aubusson tout de même ! Et celui de Tulle ?
    M. le ministre délégué à l'enseignement scolaire. Enfin, le lycée Eugène-Jamot gardera toutes ses filières avec quelques ajustements.
    M. François Hollande. Et celui de Brive-la-Gaillarde ? Celui de Limoges ?
    M. le ministre délégué à l'enseignement scolaire. Je vous rassure donc, monsieur Auclair, le Gouvernement ne souhaite pas accentuer les déficits de service public dans le milieu rural, et il sera toujours du côté des élus. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

FILIÈRE PORCINE

    M. le président. La parole est à M. Gérard Lorgeoux, pour le groupe UMP.
    M. Gérard Lorgeoux. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales. S'y associent bien sûr Marc Le Fur, député des Côtes d'Armor, et mes amis parlementaires UMP de Bretagne.
    Monsieur le ministre, la filière porcine connaît une situation très préoccupante depuis plus d'un an. Le premier semestre 2003 a en effet été marqué par un cours de la viande de porc proche ou en dessous d'un euro le kilo. Depuis la mi-septembre, on a observé à nouveau une chute des cours. C'est certes habituel tous les ans à cette même période mais jamais encore avec tant de brutalité. Les cours sont aujourd'hui bloqués aux environs de 0,85 euro par kilo, et cette situation est dramatique pour nos éleveurs.
    Face à cette crise, vous avez multiplié les démarches, mais les mesures que vous avez obtenues à Bruxelles - stockage privé, augmentation de 10 % des restitutions sur les produits transformés - et celles que vous avez mises en place au niveau national - soutien à la trésorerie, mobilisation du fonds d'allégement des charges, campagne de promotion de la viande de porc - n'ont malheureusement pas permis de rétablir de manière durable l'équilibre du marché.
    Le 12 décembre dernier, vous avez demandé à la Commission européenne de prendre très rapidement des mesures pour rétablir la situation sur le marché européen du porc. Parallèlement, vous avez multiplié les contacts avec nos partenaires européens et en particulier les pays producteurs de porc. Pouvez-vous nous dire si la Commission européenne a répondu favorablement à votre demande ? Plus généralement, quelles seront vos initiatives pour soutenir nos éleveurs porcins ? (Applaudissements sur plusiers bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales.
    M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales. Oui, monsieur le député, les producteurs de porc de notre pays sont dans une situation de grande détresse ainsi que j'ai pu le constater le 23 décembre dernier en rencontrant les éleveurs en Bretagne.
    Il y a trente ans, on a choisi collectivement de ne pas organiser le marché du porc. Nous sommes donc dans une logique purement libérale avec ce que l'on appelle le cycle du porc. Il y a des périodes où ça marche en gros et d'autres où ça ne va pas du tout. Le problème, c'est que, depuis deux ans, on est en bas de cycle, ce qui veut dire que l'on n'a pas seulement une crise conjoncturelle mais également une crise structurelle.
    Depuis dix-huit mois, nous avons apporté un certain nombre de réponses conjoncturelles : réouverture du marché coréen et japonais ; mise en place de 7 millions d'euros de mesures d'allégements de charges, mise en place de 7 millions d'euros pour la restructuration des exploitations, augmentation des restitutions de 10 % sur les produits transformés et, enfin, deux mesures de stockage privé, l'une que j'ai obtenue en décembre 2002 et l'autre que j'ai obtenue à la fin du mois de décembre de l'année dernière.
    Nous avons, c'est vrai, une autre mesure conjoncturelle à obtenir, les restitutions aux exportations. Le comité de gestion les a refusées au mois de décembre à Bruxelles. Nous en aurons un autre prochainement. J'ai mis ce sujet sur la table au Conseil de l'agriculture, le 20 décembre dernier, et j'espère bien que l'ensemble des Etats membres prendront la décision qui s'impose pour laisser respirer le marché.
    Au-delà de ces mesures conjoncturelles, il faut un véritable plan structurel pour l'avenir de la filière porcine. Hier, M. Pory m'a remis un rapport, que j'avais commandé l'année dernière, en présence des professionnels. Ce rapport est maintenant en débat. Je ne veux pas que ce soit trop long, car cela fait trop longtemps que l'on en parle. Dès la fin du mois de janvier, je serai en mesure d'annoncer un plan d'actions structurelles pour la filière porcine. Nous devons, sans tabous et sans états d'âme, aborder tous les sujets pour régler durablement cette question lancinante. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance

    M. le président. La séance est suspendue.
    (La séance, suspendue à seize heures, est reprise à seize heures vingt, sous la présidence de M. Rudy Salles.)

PRÉSIDENCE DE M. RUDY SALLES,
vice-président

    M. le président. La séance est reprise.

2

DEUXIÈME PAQUET FERROVIAIRE

Discussion d'une proposition de résolution

    M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de résolution de M. Christian Philip sur le deuxième paquet ferroviaire (documents E 1932, E 1936, E 1937 et E 1941) (n°s 712, 897).
    La parole est à M. le rapporteur de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire.
    M. Dominique Le Mèner, rapporteur de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat aux transports et à la mer, mes chers collègues, alors que la France a des transports ferroviaires pour voyageurs développés et appréciés, le rail accuse un retard persistant par rapport à la route pour le transport des marchandises. Ainsi, en 2001, le transport routier représentait plus de 70 % des parts de marchés pour les marchandises, contre seulement 18 % pour le transport ferroviaire - alors que la part de ce dernier atteignait environ 30 % il y a trente ans.
    Pourtant, le transport ferroviaire reste de loin le mode de transport le plus sûr et le moins polluant. Tout ce qui peut contribuer à renforcer la compétitivité du fret ferroviaire doit donc logiquement être encouragé.
    La première phase de libéralisation du fret ferroviaire, entrée en vigueur en France le 15 mars dernier, a permis d'ouvrir à la concurrence 50 000 kilomètres de lignes internationales de fret. Les quatre projets de textes communautaires regroupés sous l'intitulé « Deuxième paquet ferroviaire » poursuivent cette démarche de modernisation des chemins de fer et visent à favoriser l'émergence d'un espace ferroviaire européen unifié.
    Votre rapporteur estime que la France doit, pour éviter tout isolement diplomatique, accepter le principe d'une libéralisation maîtrisée du fret ferroviaire, dont elle peut attendre un surcroît d'activité et de productivité. Toutefois, l'ouverture complète à la concurrence de ce mode de transport doit s'accompagner de garanties sociales et sécuritaires suffisantes, afin de ne pas niveler par le bas les différents modèles existant en Europe.
    Enfin, la réalisation d'un véritable espace ferroviaire européen est subordonnée à la mise en place de mécanismes de coordination adaptés, en ce qui concerne tant l'Agence ferroviaire européenne que l'interopérabilité.
    Permettez-moi tout d'abord de rappeler ce que la France peut attendre d'une libéralisation maîtrisée du transport de fret ferroviaire.
    Le développement du fret ferroviaire s'impose comme une évidente nécessité : ce mode de transport, comparé au transport routier ou aérien, est en effet de loin le plus sûr puisque les accidents y sont moins fréquents, et le plus respectueux de l'environnement puisqu'il ne dépend que d'une production électrique qui, en France, est bien maîtrisée. Non seulement le transport par rail des marchandises a moins d'impacts négatifs pour la collectivité que les autres modes de transport, mais il peut aussi être le plus rentable économiquement s'il est correctement organisé.
    La libéralisation, encadrée par l'ensemble des règles et contrôles proposés dans les quatre textes que nous examinons aujourd'hui, permettra d'accroître fortement la compétitivité du rail par rapport à la route. En effet, dans le domaine ferroviaire comme dans d'autres, la simple menace d'arrivée d'une nouvelle entreprise sur le marché des prestataires de service conduira naturellement l'opérateur historique à améliorer l'efficience de son offre.
    Ainsi que le souligne à juste titre le rapport de la délégation pour l'Union européenne, dans les Etats de l'Union européenne ayant procédé à une libéralisation du fret ferroviaire « l'ouverture du réseau [...] n'a pas sérieusement entamé la position dominante des opérateurs historiques ». Il n'en demeure pas moins que les entreprises ayant recours au rail pour transporter leurs marchandises bénéficieront inévitablement de ce processus mêlant flexibilité, diversification des services proposés et baisse des prix. Même si, en pratique, la SNCF conserve la quasi-totalité du marché, ce processus jouera à condition que l'entrée de nouveaux opérateurs de transport de fret ferroviaire reste possible sans coût fixe irrécupérable.
    Les autorités de régulation du marché, et notamment Réseau ferré de France, auront la charge de veiller à ce bon fonctionnement du marché. Dans ces conditions, l'ouverture à la concurrence du marché européen de transport de fret ferroviaire devrait permettre de développer ce mode de transport sans remettre sensiblement en cause la position favorable de l'opérateur historique. Ce processus peut donc être accepté, la date du 1er janvier 2006 semblant appropriée pour ce qui concerne les services de fret international.
    S'agissant du transport de fret national, l'ouverture à la concurrence semble moins urgente pour l'unification de l'espace ferroviaire européen. La date du 1er janvier 2008, retenue par le Conseil des ministres de l'Union européenne en première lecture, semble donc plus appropriée que celle du 1er janvier 2006, proposée par le Parlement européen. Le délai de deux ans ainsi accordé permettra à la SNCF de disposer du temps nécessaire pour adapter son équipement et ses méthodes au défi de la concurrence.
    D'une manière générale, il faudra tout de même veiller à ce que la séparation entre, d'une part, le régulateur, Réseau ferré de France, qui est aussi le gestionnaire des infrastructures, et, d'autre part, la SNCF, qui est aujourd'hui l'opérateur unique, devienne plus effective. Si ce n'était pas le cas, RFF pourrait être accusé de privilégier la SNCF, ce qui créerait des difficultés considérables sur le plan communautaire.
    Par ailleurs, il faut garder à l'esprit que l'opposition de la France à la nouvelle étape de libéralisation du transport ferroviaire a trouvé ses limites dans le fonctionnement des institutions communautaires. La France a été isolée lors du vote sur le deuxième paquet ferroviaire au Conseil des ministres de l'Union européenne des 27 et 28 mars 2003, l'hostilité de la Belgique et du Luxembourg n'empêchant pas l'adoption des textes à la majorité qualifiée.
    Face à un processus que nous savons inéluctable et prometteur, ne faut-il pas désormais rechercher l'efficacité en influant de l'intérieur sur le processus de libéralisation pour l'améliorer, plutôt que de le subir ?
    L'opposition frontale et minoritaire présente l'inconvénient de « maintenir l'image d'une France fermée », comme le souligne très justement le rapport de la délégation pour l'Union européenne. Il n'y a pas lieu de craindre une libéralisation limitée au seul fret ferroviaire et qui s'accompagnera d'un contrôle fort, fondé sur un organe régulateur et des normes exigeantes, sur lesquelles je reviendrai.
    La SNCF, qui dispose d'une expérience inégalée et de personnels dont la compétence est unanimement reconnue, est largement en mesure de relever ce modeste défi.
    Il n'en demeure pas moins que cette libéralisation doit être assortie de garanties sociales et sécuritaires suffisantes.
    En premier lieu, l'harmonisation des conditions de sécurité doit être plus exigeante. Le maintien d'un haut niveau de sécurité, limitant le plus possible les risques d'accidents, constitue un atout du rail à valoriser. En effet, une vigilance insuffisante en la matière pourrait perturber l'ensemble de la démarche d'ouverture à la concurrence.
    Ainsi, les dysfonctionnements des chemins de fer britanniques, habituellement invoqués par les opposants au processus de libéralisation,...
    Mme Odile Saugues. Avec raison !
    M. Dominique Le Mèner, rapporteur de la commission des affaires économiques. ... s'expliquent certes par une insuffisance durable d'investissements sur le réseau, mais surtout par la faiblesse des normes de sécurité et de leur contrôle. En Grande-Bretagne, l'utilité des standards de sécurité est comparée au surinvestissement qu'ils peuvent impliquer.
    A l'inverse, l'une des principales spécificités du modèle français en matière de sécurité ferroviaire est la fixation d'un niveau très élevé des coefficients de sécurité, qui reflètent le rapport entre la résistance maximale d'un ouvrage et les forces s'exerçant sur lui en temps ordinaire.
    Ce surinvestissement, qui permet de faire face aux événements exceptionnels, tend à minimiser le nombre des victimes d'accidents mais pourrait être considéré par la Commission européenne, dans une logique coût-bénéfices, comme exagéré.
    La France doit convaincre dès à présent les instances communautaires de ne pas raisonner en termes de rentabilité financière pour les questions touchant à la sécurité des usagers.
    Mme Odile Saugues et M. François-Michel Gonnot. Très bien !
    M. Dominique Le Mèner, rapporteur de la commission des affaires économiques. L'effort pour définir et faire respecter des normes sécuritaires exigeantes par l'ensemble des entreprises concernées apparaît donc comme l'un des enjeux centraux de la négociation en cours sur l'adoption du deuxième paquet ferroviaire.
    La présentation générale du dispositif envisagé par la proposition de directive sur la sécurité semble conforme à cette ambition.
    Ainsi, la nécessité pour chaque entreprise de disposer d'un certificat de sécurité pour accéder au réseau et la faculté de réviser ou de retirer ce certificat semblent apporter des garanties utiles.
    J'approuve également les dispositions relatives à la formation des personnels ainsi que les procédures décrites pour les enquêtes et sanctions en cas de dysfonctionnements.
    En revanche, certaines modalités prévues pour l'harmonisation des règles de sécurité entre Etats membres ne sont pas entièrement satisfaisantes.
    Ainsi, il conviendrait d'améliorer la rédaction de l'article 5 de la proposition de directive, aux termes duquel les objectifs de sécurité communs sont élaborés en fonction des « critères d'acceptation des risques », alors que tous les risques doivent être combattus sans qu'aucun puisse être considéré par avance comme acceptable.
    De même, ces objectifs ne doivent pas définir des « niveaux de sécurité minimaux devant être atteints », mais des niveaux correspondant à un optimal contraignant : il ne s'agit pas d'aligner les modèles nationaux les plus exigeants en matière de sécurité ferroviaire sur les modèles les plus souples.
    Surtout, l'obligation de transmission préalable à la Commission européenne de tout projet de règle nationale de sécurité, telle qu'elle résulterait de l'article 8 de la proposition de directive, ne favoriserait pas une amélioration des conditions de sécurité. Cette disposition pourrait en effet conduire la Commission européenne à empêcher un Etat membre de mettre en place des normes de sécurité plus élevées sous prétexte d'éviter tout protectionnisme.
    J'estime donc qu'il convient plutôt d'éviter les procès d'intention et j'estime préférable de permettre aux Etats de prendre toutes les mesures sécuritaires qu'ils jugeraient utiles, à charge pour les opérateurs de s'y conformer. D'une manière générale, le droit de la concurrence ne doit pas empêcher certains Etats d'aller au-delà du socle européen de sécurité.
    En second lieu, la réflexion sur les conditions d'activité des personnels doit s'engager. Les personnels chargés de la circulation des trains et de la gestion du réseau ferroviaire bénéficient actuellement d'un statut social variable d'un Etat membre à l'autre. Je regrette que le deuxième paquet ferroviaire tel qu'il est proposé par la Commission européenne n'aborde pas davantage les pistes d'harmonisation des formations et des conditions de travail dans ce secteur.
    Les cheminots de la SNCF disposent d'un niveau de formation très élevé, puisque la SNCF consacre chaque année à cette formation 45 000 euros par agent. Or, sans un cadre social commun, l'accélération de l'ouverture du rail à la concurrence au niveau européen pourrait inciter quelques compagnies à assumer le moins possible par elles-mêmes la formation des personnels, qu'elles chercheraient à débaucher chez leurs concurrents.
    Mme Odile Saugues. Très juste !
    M. Dominique Le Mèner, rapporteur de la commission des affaires économiques. Il faut donc soutenir toute initiative visant à instaurer un volet social dans les textes proposés par la Commission européenne. Ce volet pourrait consister, comme le proposent plusieurs amendements du Parlement européen, à harmoniser les temps de travail et de repos des conducteurs et personnels de bord effectuant des tâches essentielles à la sécurité du transport, ou encore à instaurer un permis de conducteur de train assurant des services transfrontaliers.
    Je juge également utiles les amendements du Parlement européen chargeant les Etats membres de veiller à ce que les personnels concernés maîtrisent correctement les moyens - codes, terminologie et langue - requis pour les communications opérationnelles. Mais ces propositions doivent encore être développées et renforcées afin qu'un socle social commun puisse être élaboré au niveau européen pour l'ensemble des personnels ferroviaires.
    Par ailleurs, l'émergence d'un espace ferroviaire européen suppose que l'on mette en place des mécanismes de coordination adaptés. Pour ce faire, les textes qui nous sont soumis proposent de créer une Agence ferroviaire européenne.
    Si la définition des objectifs et des modalités d'intervention de l'AFE sont satisfaisantes, on ne peut en dire autant de la composition de cette institution. On peut en particulier regretter que la Commission dispose d'une telle emprise sur cette agence, dont elle nomme le directeur et la moitié des membres du conseil d'administration ainsi que les experts indépendants. De même, il pourrait être utile d'accorder aux experts le droit de vote, ainsi que d'ouvrir le conseil d'administration à des représentants du Parlement européen et de l'Association européenne pour le développement de l'interopérabilité ferroviaire, dont l'expérience est officiellement reconnue et qui regroupe un panel représentatif d'industriels du secteur ferroviaire au niveau européen.
    Sur l'ensemble de ces questions relatives à la composition de l'AFE, dont l'institution répond à une nécessité incontestée, le texte proposé par la Commission européenne pourrait donc encore faire l'objet d'ajustements utiles.
    Mme Odile Saugues. C'est vrai !
    M. Dominique Le Mèner, rapporteur de la commission des affaires économiques. Enfin, l'interopérabilité, dont les enjeux techniques sont bien pris en compte par la proposition de directive qui lui est consacrée, requiert un financement européen spécifique. Il faudra en effet engager des travaux importants pour que les trains circulent sans entrave d'un Etat membre à l'autre, et pour améliorer les liaisons transnationales.
    Afin de bien mesurer l'importance de l'effort financier requis par l'objectif d'interopérabilité, il convient de rappeler que le coût total de la construction de la ligne TGV Paris-Strasbourg a été accru de 7 % du seul fait de cette nouvelle exigence. L'extension du système de commande ERTMS au réseau français coûterait, selon la SNCF, 600 millions d'euros environ.
    Puisque l'enjeu est européen, il serait souhaitable de prévoir l'engagement sur ces projets de financements et d'aides communautaires spécifiques, s'ajoutant aux budgets actuellement consacrés aux transports. L'idée, formulée dans le rapport de la délégation pour l'Union européenne, de proposer l'émission par l'Union européenne d'un emprunt destiné à financer les grands projets d'infrastructure ferroviaire paraît donc pertinente. En revanche, la publication d'un mémorandum demandant « l'instauration d'une taxe sur les poids lourds pour l'utilisation des routes et autoroutes », évoquée dans la résolution proposée, ne semble pas envisageable dès à présent. Ce nouvel impôt viendrait en effet alourdir les charges pesant sur les entreprises de transport, alors même que le rail ne constitue pas encore pour elles une solution rentable, compte tenu du coût et des rigidités de ce mode de transport. L'instauration d'une telle taxe, dont le produit devrait être utilisé au profit du rail, ne saurait donc intervenir sans une amélioration parallèle de l'offre ferroviaire. Dans ces conditions, l'incitation financière au rééquilibrage entre les différents modes de transport pourra prendre tout son sens.
    Il est donc possible d'améliorer la proposition de résolution qui nous est soumise. Pour tenir compte de toutes ces observations, je vous présenterai des amendements qui permettront de mieux préciser les conditions sociales et sécuritaires dont la libéralisation doit être assortie. Il vous sera aussi proposé de supprimer la référence à l'ouverture à la concurrence du transport des voyageurs, celle-ci semblant prématurée et ne figurant pas dans les textes dont nous sommes saisis.
    Avant d'envisager, le cas échéant, une nouvelle étape, il faudra s'assurer que l'ouverture à la concurrence pour le fret ferroviaire a été concluante. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à M. le président de la délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne, suppléant M. Christian Philip, rapporteur au nom de cette délégation.
    M. Pierre Lequiller, président de la délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne, suppléant M. Christian Philip, rapporteur au nom de cette délégation. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, en préambule, je vous demande de bien vouloir excuser l'absence de Christian Philip, qui a été malheureusement retenu par une obligation. Il a beaucoup travaillé sur ce texte, et je voudrais, à cette occasion, lui rendre hommage.
    Je me féliciterai d'abord que le débat que nous avons eu hier sur la proposition de résolution relative à la diversité linguistique dans l'Union européenne soit suivi aujourd'hui de la discussion sur le deuxième paquet ferroviaire. L'une et l'autre confirment les vertus de l'article 88-4 de la Constitution et montrent la volonté du Parlement de placer, comme il se doit, l'Europe au centre de nos débats.
    Cette exigence s'impose avec d'autant plus de force que, jusqu'à présent, la France s'est méprise sur la portée réelle des réformes proposées par la Commission européenne en vue d'ouvrir le fret ferroviaire à la concurrence. Notre pays s'y est en effet déclaré le plus souvent hostile, y voyant une menace pour notre conception du service public et un risque de dégradation des normes de sécurité, l'exemple de la Grande-Bretagne ayant été cité très fréquemment. D'où, comme on le sait, la situation singulière de la France qui, du fait d'une transposition a minima de la directive 91/440, a donné l'impression d'être un pays protectionniste alors que, dans le même temps, la SNCF profitait de l'ouverture des réseaux d'autres Etats membres pour s'y implanter.
    Toutefois - et c'est mon deuxième motif de satisfaction -, tant le Gouvernement que l'Assemblée nationale se sont finalement départis de ces critiques. Il est ainsi important que la France ait procédé à la transposition du premier paquet ferroviaire avant l'expiration de la date limite de la transposition fixée au 15 mars 2003. Ce souci de ne plus passer pour le mauvais élève de l'Europe, pour reprendre vos propres termes, monsieur le secrétaire d'Etat, est d'autant plus méritoire qu'en l'espèce la France figure parmi les premiers Etats à avoir effectué la transposition.
    En ce qui concerne l'Assemblée nationale, la proposition de résolution de Christian Philip approuve l'objectif d'ouverture à la concurrence des services internationaux et nationaux de fret visé par le deuxième paquet ferroviaire.
    Ce changement remarquable de nos positions tient, à mon avis, au fait que nous considérions que la démarche proposée par la Commission est un pas décisif vers une politique commune des transports et qu'elle n'est pas incompatible avec les intérêts de la France.
    C'est bien dans le cadre de la politique commune des transports, dont le principe est consacré à l'article 70 du traité, que s'inscrivent les deux paquets ferroviaires. Au travers de ces derniers, la Commission a souhaité revitaliser le rail, c'est-à-dire enrayer la diminution continue des parts du marché du fret ferroviaire dans le transport de marchandises, puisqu'elles n'atteignaient plus en moyenne, dans les Etats membres, que 14 % en 2001, contre 74 % pour la route. En vue d'y porter remède, la Commission a estimé que l'introduction de la concurrence dans les réseaux, organisés pour la plupart en monopoles jusqu'à présent, serait de nature à améliorer les prestations offertes par le fret ferroviaire et à inciter les opérateurs à y transférer une part croissante du transport de marchandises assuré par la route.
    L'objectif visant à instaurer un espace ferroviaire européen doit d'autant plus être soutenu que, tout en alignant le secteur ferroviaire sur le même régime que les autres modes de transport, ouverts à la concurrence depuis plusieurs années déjà, il concourt à l'achèvement du marché intérieur. Mais il importe de voir que cette évolution n'est pas incompatible, loin de là, avec les intérêts de la France. Il y a à cela deux séries de raisons.
    D'abord, conformément à des propositions qui ont été formulées par la France, le deuxième paquet ferroviaire comprend des volets concernant la sécurité et l'interopérabilité. Si je me félicite que la position commune du Conseil du 26 juin 2003 ait tenu à souligner que « les efforts visant à une plus grande efficacité du système ferroviaire communautaire ne doivent, en aucun cas, compromettre les niveaux de sécurité élevés qui existent », je suis préoccupé par le fait que, à la différence de la position commune du Conseil, qui a admis la possibilité pour les Etats membres d'instaurer un niveau de sécurité plus élevé que les normes communes, le Parlement européen ait, en seconde lecture, adopté des amendements qui tendent à limiter une telle faculté. Cela va à l'encontre du souhait exprimé dans la proposition de résolution en faveur d'un cadre souple en la matière.
    En ce qui concerne les dispositions relatives à l'interopérabilité, je ne peux à mon tour que souligner l'excellente qualité des travaux du Parlement européen qui, au cours des première et deuxième lectures, a introduit d'importantes et utiles améliorations.
    La seconde raison qui doit nous conduire à envisager positivement les perspectives ouvertes par le deuxième paquet ferroviaire réside dans des décisions intervenues récemment sur le plan communautaire et qui, tout en répondant à certaines préoccupations de la France, monsieur le secrétaire d'Etat, renforcent l'idée d'espace ferroviaire européen.
    Il s'agit d'abord de l'accord politique auquel est parvenu le Conseil « Transports » sur les nouvelles orientations communautaires pour le développement du réseau transeuropéen de transport. Les projets prioritaires recensés dans ces orientations, dont plusieurs concernent notre pays, sont des éléments essentiels pour renforcer la cohésion du marché intérieur, notamment dans la perspective de l'élargissement de l'Union européenne.
    De plus, comme l'a rappelé le rapporteur, Dominique Le Mèner, si le conseil Ecofin du 25 novembre 2003 n'a pas repris l'idée d'un emprunt européen formulée dans la proposition de résolution, le conseil écofin du 25 novembre 2003 est parvenu à un accord politique portant de 10 à 20 % le plafond de la contribution financière de l'Union européenne aux projets transfrontaliers.
    En conclusion, les mesures préconisées par la Commission dans le cadre du deuxième paquet ferroviaire et du réseau transeuropéen de transport sont, certes, nécessaires à la construction de l'espace ferroviaire européen, mais elles ne peuvent être considérées comme suffisantes. Comme l'a souligné Christian Philip dans son rapport, il importe que la Commission réfléchisse à l'élaboration d'un volet social et à l'instauration d'un cadre adéquat permettant le financement des investissements. En tout état de cause, comme le montre d'ailleurs la politique de grands travaux conçue par le Gouvernement, l'effort de l'Union devra être complété et relayé par les Etats membres, et nous apportons bien entendu tout notre soutien à la proposition de résolution qui nous est soumise. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Discussion générale

    M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Gilbert Biessy.
    M. Gilbert Biessy. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je commencerai mon propos en soulignant le caractère exceptionnel de cette discussion. En effet, alors même que le décret d'application du premier paquet ferroviaire a été publié, pour la France, le 7 mars 2003, la Commission, afin d'accélérer l'ouverture à la concurrence du fret ferroviaire, nous impose une modification importante des principales dispositions des directives européennes de 2001.
    Sans doute dans le but de faire passer la pilule, le deuxième paquet ferroviaire comprend trois autres projets plus consensuels : deux propositions de directive, demandées depuis des années, tendant à améliorer la sécurité et les conditions d'interopérabilité sur les réseaux, et une proposition de règlement créant un organisme européen chargé de centraliser et de coordonner ces différents dispositifs, mais j'y reviendrai.
    Face à ce deuxième paquet ferroviaire, la délégation pour l'Union européenne ainsi que la commission des affaires économiques ont rendu leurs avis : hormis quelques réserves, toutes les modifications proposées semblent convenir. L'exposé des motifs, tout comme le projet de résolution, se félicite de cette accélération des procédures de libéralisation, allant jusqu'à anticiper de futures directives relatives à l'ouverture à la concurrence du transport de voyageurs.
    Alors que le Gouvernement a maintenu le cap de la position française en refusant d'approuver ces directives lors du Conseil des ministres européens des 27 et 28 mars 2003,...
    Mme Odile Saugues. Il a eu raison !
    M. Gilbert Biessy. ... les parlementaires UMP cèdent, au mépris de la démarche pragmatique qui nous a toujours guidés, aux sirènes de l'ultralibéralisme débridé.
    M. François-Michel Gonnot. Ça y est ! C'est parti !
    M. Gilbert Biessy. Eh oui, c'est la vérité ! Libéralisons à tour de bras ! Refusons la moindre évaluation de l'ouverture progressive à la concurrence prévue ! Prenons le risque de voir se dégrader les réseaux et les conditions de sécurité ! Et qu'importe si les infrastructures ne permettent pas encore de réaliser concrètement le dogme du tout privé.
    Cette position est en totale cohérence avec la politique que vous menez : suppression de grands projets d'infrastructure ferroviaire utiles pour l'aménagement du territoire au profit d'investissements tendant à développer plus encore le secteur routier,...
    M. François-Michel Gonnot. Mais non !
    M. Pierre Lequiller, président de la délégation pour l'Union européenne. C'est l'inverse !
    M. Gilbert Biessy. ... étranglement de la SNCF par l'augmentation des péages...
    M. Dominique Bussereau, secrétaire d'Etat aux transports et à la mer. C'est pour désengorger RFF !
    M. Gilbert Biessy. ... ou encore hausse de la TIPP sur le gazole à la seule charge des particuliers.
    Alors même que le débat relatif à l'instauration d'une taxe sur les poids lourds pour l'utilisation des routes et autoroutes avait été abordé lors de l'examen du printemps dernier sur les grands projets d'infrastructure, vous enterrez, au niveau national, cette mesure de bon sens pour demander à la Commission de l'examiner.
    Ces quelques exemples montrent les contradictions de votre majorité, qui n'hésite pourtant pas à se présenter comme la championne du développement durable.
    Face à cette politique de casse méthodique du service public des transports, le groupe des député-e-s communistes et républicains est une force de proposition. Contrairement à vous, nous n'effectuons pas de volte-face et restons fidèles à l'orientation adoptée précédemment. A l'époque, déjà, nous émettions des réserves sur la politique du précédent gouvernement. Mais force est de constater que l'ouverture totale à la concurrence prônée par la Commission européenne a été freinée grâce au premier paquet ferroviaire, qui permettait une mise en oeuvre contrôlée, progressive et basée sur des évaluations de l'impact réel de la libéralisation du fret ferroviaire.
    Plutôt qu'une ouverture à la concurrence sauvage, nous voulons que soient confortés les grands opérateurs nationaux du service public ferroviaire. Permettez-moi, à cet égard, de vous rappeler quelques mots qui ont été prononcés dans cet hémicycle lors du débat sur la résolution française soutenant le Gouvernement dans les négociations entamées avec Bruxelles, lesquelles aboutirent à modifiers puis à adopter le premier paquet ferroviaire : « Pas plus aujourd'hui qu'hier, notre groupe ne considère que les propositions de la Commission tendant à déréglementer le transport ferroviaire soient une solution d'avenir. Notre préférence va à des accords de réseau à réseau(...). La coopération entre réseaux et opérateurs ferroviaires nous paraît en effet, compte tenu des traditions de chaque Etat, du coût des infrastructures ferroviaires, de la nécessité d'une péréquation des ressources compatible avec l'aménagement du territoire, la meilleure solution possible. » Aussi étonnant que cela puisse paraître à la lecture de la proposition de résolution qui nous est soumise , telle était la position du groupe RPR, exprimée par la voix, à l'époque, de notre collègue Michel Bouvard.
    Le gouvernement précédent, je vous le rappelle, avait été mandaté par notre assemblée, exception faite - eh oui ! monsieur Bussereau - du groupe Démocratie libérale, pour porter auprès de la Commission la position de la France que vous stigmatisez aujourd'hui, la qualifiant de « fermée et timorée ». Vous incitez le Gouvernement à montrer que la France « accepte le principe de l'ouverture à la concurrence ». Afin d'influer, peut-être, sur la position de M. le ministre Gilles de Robien, vous approuvez « l'objectif d'ouverture à la concurrence des services internationaux de fret poursuivi par la proposition de directive concernée ».
    Vous allez même plus loin, demandant que la libéralisation du transport de voyageurs soit initiée sur les TER et les transports périurbains, alors même, comme un amendement de la commission vous le fait remarquer, que tel n'est pas l'objet du deuxième paquet ferroviaire. Certes vu votre projet de loi de décentralisation, cette proposition ne nous étonne pas. Que faites-vous des services publics et de la notion même d'égalité qui étaient défendus dans la loi solidarité et renouvellement urbains ?
    Peut-être vous êtes-vous converti à l'opinion que M. Dominique Bussereau, alors député, exprimait à la tribune de l'Assemblée en 1999. Je vous cite de nouveau afin de ne pas me tromper :...
    M. le secrétaire d'Etat aux transports et à la mer. C'est un honneur !
    M. Gilbert Biessy. « Si vous bridez la SNCF dans un corset étatique et dans une notion de service public dépassée, le rail ne se développera pas. »
    M. Dominique Le Mèner, rapporteur de la commission des affaires économiques. Il avait raison !
    M. Pierre Lequiller, président de la délégation pour l'Union européenne. Tout à fait !
    M. Gilbert Biessy. Ou encore : « Mieux vaut des prix en baisse pour les consommateurs que d'affirmer la notion de service public. » Ou toujours : « Le service public ferroviaire sur les grandes lignes n'a plus de sens, et pour le fret il est devenu une notion désuète. »
    La majorité avait alors eu le courage de rejeter ces déclarations, et je me permets de lui rappeler son vote unanime soutenant une résolution qui contrecarrait explicitement la Commission européenne dans sa hâte d'ouvrir à la concurrence sauvage l'ensemble du réseau ferroviaire.
    Comment expliquez-vous aujourd'hui aux usagers, aux cheminots, à l'ensemble de la population française, à nos collègues belges et luxembourgeois, avec qui nous avions développé des expériences alternatives, un tel renversement de perspectives ? A l'instar de notre groupe, vous aviez, sur ce dossier, adopté une position pragmatique, que votre gouvernement semblait poursuivre. Nous vous demandons de revenir sur ces bases communes et de modifier la proposition de résolution, en réclamant la suppression de la proposition de directive COM (2002) 25 final/E 1941, qui vise à modifier de nouveau la directive 91/440/CEE.
    De la même manière, soyez cohérent et n'acceptez pas sans aucune critique la mise en place de l'Agence ferroviaire européenne. Vous disiez naguère, à juste titre, je vous cite à nouveau : « L'atomisation des lieux de décision et de gestion du système entre la traction, l'exploitation commerciale des sillons, la répartition des sillons et de la tarification, et les instances indépendantes en charge de la sécurité et de l'application des règles d'attribution des sillons me paraît très dangereuse. Ce serait une source de complexité et de contentieux, mais aussi une faiblesse par rapport à une gestion optimale des infrastructures, qui suppose que l'on puisse agir au sein d'un même organisme sur les investissements de développement, la tarification et la répartition des capacités. »
    L'Agence, vous le savez aussi bien que moi, vide les entreprises ferroviaires et les gestionnaires d'infrastructure de cette capacité d'intervention. La SNCF vous a interpellé sur le sujet, et la seule réponse que vous apportez est de dénoncer ironiquement son manque de confiance en ses capacités. Ce n'est pas très sérieux.
    Quant aux autres projets qui nous sont soumis, permettez-moi de remarquer le manque de travail de fond réalisé par la délégation à l'Union européenne.
    M. Pierre Lequiller, président de la délégation pour l'Union européenne. Tout à l'heure, c'était le secrétaire d'Etat, maintenant, c'est moi...
    M. Gilbert Biessy. Nous ne remettons pas en cause la finalité des textes concernant la sécurité ferroviaire et la mise en oeuvre concrète de l'interopérabilité des réseaux, mais vous ne pouvez vous limiter aux préconisations générales contenues dans la résolution. De nombreux points méritent d'être précisés, améliorés, et nous avions, en d'autres temps, préparé des amendements en ce sens, qui n'avaient hélas ! pu être déposés, malgré nos demandes, dans les délais si particuliers qui régissent ce type de débat.
    M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
    M. Gilbert Biessy. J'en termine, monsieur le président.
    Malgré les quelques avancées observées dans les propositions de directive E 1932 et E 1936, le deuxième paquet ferroviaire ne répond pas aux enjeux vitaux pour l'avenir du service public ferroviaire, pour la SNCF, pour la sécurité des voyageurs, pour rééquilibrer le rapport rail/route.
    Le développement du fret ferroviaire et la mise en oeuvre urgente, au niveau national et européen, d'une politique d'investissements massifs permettant une interopérabilité concrète des réseaux sont fondamentaux. Si vous demeurez figé dans votre posture idéologique ultralibérale, nous voterons contre la proposition de résolution.
    M. le président. La parole est à M. François-Michel Gonnot.
    M. François-Michel Gonnot. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, j'interviens ici au nom du groupe UMP. Nous regrettons un peu qu'une terminologie européenne quelque peu obscure occulte, derrière un « paquet ferroviaire », des enjeux importants, l'ensemble de nos collègues l'ont rappelé, pour l'économie française, notamment pour tout le secteur des transports et, bien évidemment, la SNCF.
    J'aurais préféré la formule « deuxième wagon de la réforme ferroviaire »...
    M. le secrétaire d'Etat aux transports et à la mer. Très bien !
    Mme Odile Saugues. Attention qu'il ne se détache pas...
    M. François-Michel Gonnot. ... ou toute autre donnant une meilleure idée du contenu du débat.
    Je tiens à replacer celui-ci dans l'ensemble des positions que la majorité, aux côtés du Gouvernement, défend depuis plusieurs mois.
    Ce débat est d'abord l'illustration - les deux rapporteurs l'ont souligné à juste titre - que la France ne doit pas avoir peur des réformes, notamment européennes. La France est bien défendue et gagne au niveau européen quand elle sait faire preuve d'audace, mais aussi quand elle sait défendre ses intérêts, dans le cadre d'un vrai dialogue, plutôt que d'adopter des positions fermées et bloquées qui aboutissent à ce que les réformes se fassent malgré elle, souvent au détriment de ses intérêts.
    La libéralisation des transports - qui n'est aucunement débridée, chers collègues -, notamment des transports ferroviaires, et l'ouverture à la concurrence doivent être considérées comme des chances formidables, pour nos opérateurs dits « historiques », dans l'Europe de demain, mais aussi des opportunités pour l'ensemble de l'industrie et de l'économie françaises.
    D'autres réformes ont pu faire peur hier et ont été difficiles à mener, dans le secteur des télécommunications ou du transport aérien, qu'il a aussi fallu libéraliser et déréglementer, mais, après quelques années ou quelques mois d'expérience, on s'aperçoit que la France a su s'en tirer au mieux des intérêts de ses opérateurs France Télécom et Air France, et surtout de l'ensemble de leurs collaborateurs. Je tenais à l'affirmer au nom du groupe UMP, il faut avoir une vision volontaire et non pas étriquée de la réforme et de la construction européenne.
    Deuxièmement - cela vient, en quelque sorte, d'être rappelé -, la France, sous l'ancienne majorité, n'avait pas de politique des transports. Il y avait des promesses, beaucoup de faire semblant, mais le nouveau gouvernement a pu constater combien les dossiers n'étaient pas des projets et combien les promesses ne risquaient pas d'être réalisées.
    M. Gilbert Biessy. C'est incroyable !
    M. Jacques Floch. Quelle bande de feignants, quand même, le précédent gouvernement ! (Sourires sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. François-Michel Gonnot. Le débat doit être resitué dans tout ce qui a été fait depuis deux ans, au regard de l'audit des infrastructures qui a été évoqué et du débat national qui a été voulu par le Gouvernement, notamment devant le Parlement. Tout cela a permis de faire émerger, parfois, un certain consensus pour fonder la nouvelle politique des transports du Gouvernement.
    Il faut aussi évoquer les décisions historiques prises il y a quelques jours lors du CIADT. Au-delà des promesses, elles constituent une véritable feuille de route, pour le Gouvernement, en vue de relancer les infrastructures, avec une belle part consacrée au ferroviaire, contrairement à ce qui a été dit par mon prédécesseur.
    Mme Odile Saugues. Pour cela, il faudrait des moyens !
    M. François-Michel Gonnot. Troisièmement, cette nouvelle politique est fondée sur un principe simple, celui de la complémentarité entre les modes de transport. Nous devons relancer le fret ferroviaire, tout le monde en convient, ce qui implique de véritables décisions en matière d'organisation, de fonctionnement et d'infrastructures du fret ferroviaire, mais aussi de vraies réformes au sein de la SNCF. S'agissant des infrastructures dédiées au fret, ces décisions ont été prises, au moins dans leur principe, lors du récent CIADT.
    Il faut privilégier le transport ferroviaire, moyen de transport le plus sûr et le moins polluant, comme l'ont rappelé mes collègues Le Mèner et Lequiller. Mais il ne suffit pas de le dire, il faut aussi le faire, et la libéralisation, l'ouverture à la concurrence peut être une façon de rectifier une évolution des choses dont il a été rappelé tout à l'heure combien elle paraissait dangereuse.
    Le transport ferroviaire des marchandises, qui représentait 30 % des parts de marché il y a trente ans, est tombé à 18 % aujourd'hui, quand bien même l'ambition était de maintenir ce niveau de part de marché. Mais nous pensons et nous espérons pouvoir aller beaucoup plus loin.
    La création d'un espace ferroviaire européen unifié doit être vue comme une chance, au moment où nous avons la volonté de redonner une vraie place au transport ferroviaire de fret. Elle peut constituer, en quelque sorte, un accélérateur des mutations nécessaires, même si celles-ci sont souvent difficiles.
    C'est la raison pour laquelle le groupe UMP votera la proposition de résolution, aux conditions qui y ont clairement été indiquées, à l'initiative de la délégation et avec l'apport de la commission des affaires économiques, mais aussi aux conditions qui seront introduites par voie d'amendements.
    Première condition, la France, pas plus demain qu'hier, ne devra transiger sur la sécurité des transports ferroviaires. Le droit à la concurrence ne doit pas limiter le devoir de sécurité des Etats membres, que la France a défini au plus haut niveau.
    Deuxième condition, l'ouverture ne doit pas se faire contre le corps social de la SNCF. La libéralisation doit être accompagnée d'un certain nombre de garanties sociales, voire d'un nouveau volet social, inexistant, à ce stade, dans les propositions de la Commission.
    Troisième condition, le Gouvernement doit être attentif à l'impact qu'aura l'ouverture à la concurrence du fret ferroviaire sur l'ensemble du marché des transports en France. La France avait demandé un bilan de l'application des mesures contenues dans le premier paquet ferroviaire ; c'était le bon sens et la demande avait été reprise lors du Conseil européen de Barcelone. Nous attendons malheureusement toujours ce bilan de la Commission.
    Quatrième condition, il faudra prendre le temps nécessaire avant d'évoquer le troisième wagon de la réforme ferroviaire, qui sera relatif à la libéralisation du transport des passagers.
    C'est à ces conditions que le groupe UMP estime que la libéralisation du transport ferroviaire sera un succès en France. Le processus, bien entendu, doit être maîtrisé, et nous comptons sur le Gouvernement pour être intransigeant à cet égard. Il doit être volontaire et nous avons compris que c'était le souhait du Gouvernement. Il doit être soucieux des spécificités et des atouts de la SNCF, ainsi que des intérêts économiques de la France.
    Le groupe UMP espère que le Gouvernement entendra ces conditions et nos remarques, et qu'il en tiendra compte dans la suite des négociations qu'il va devoir conduire à la fois avec la Commission et le Parlement européen. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire. Très bien !
    M. le président. La parole est à Mme Odile Saugues.
    Mme Odile Saugues. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, l'examen de ce projet de résolution était nécessaire et je me félicite que le groupe socialiste ait demandé son inscription à l'ordre du jour de notre assemblée. Cette discussion avait été programmée le 21 octobre, jour choisi pour l'examen en seconde lecture du « second paquet ferroviaire » par nos collègues députés européens.
    Il est regrettable que la modification de l'ordre du jour de notre assemblée ne nous ait pas permis d'adresser un message politique clair à ce moment précis. Et le gouvernement français n'est pas en mesure d'aborder dans les meilleures conditions possibles les négociations à venir au cours du premier trimestre de cette année 2004 dont nous savons qu'elles seront très difficiles.
    Avant de vous donner mon sentiment sur ce projet de résolution, je souhaite que ce débat soit, pour la représentation nationale, l'occasion de plaider en faveur du fret ferroviaire et de l'urgente réorientation de nos politiques en matière de transports de marchandises, en France et en Europe. Pour cela, il faut dépasser le stade des incantations.
    En effet, un constat s'impose : depuis les années 70, nous assistons à un recul inexorable du fret ferroviaire français et européen. En 1974, le fret représentait 46 % du volume des marchandises transportées, contre 18 % aujourd'hui - d'autres avant moi ont pointé ce défaut. Dans ce tableau, la France n'est pas une exception. Les tendances se retrouvent dans toute l'Europe de l'Ouest. Elles ont alimenté depuis beaucoup d'études et de rapports, celui des sénateurs Haenel et Gerbaud n'étant pas le moins intéressant.
    Face aux difficultés actuelles, il est de bon ton de pointer du doigt la SNCF, qui ferait figure de coupable idéal. Sa responsabilité est réelle et il n'est pas dans mes intentions de la passer sous silence. Oui, elle a indiscutablement privilégié le transport de voyageurs, pour des raisons commerciales certes compréhensibles, et n'a pas réalisé les investissements suffisants en matière de matériel roulant. Les conséquences de ce choix stratégique sont à l'esprit de chacun d'entre nous. Elles apparaissent, c'est vrai, lors de longs conflits sociaux. Mais nous avons pu les constater également lors d'événements exceptionnels. Je pense aux ravages de la tempête sur la filière bois ou encore, tout récemment, à la longue période de sécheresse et aux stocks de fourrages qui attendaient d'être embarqués dans le nord de la France alors que tant d'exploitations agricoles étaient en difficulté.
    Gardons-nous cependant des effets de manche faciles et de toute démagogie qui consisterait à faire porter à la seule SNCF la responsabilité du déclin du fret ferroviaire. Ainsi, comment pourrait-on passer sous silence la responsabilité de l'Etat ? Le précédent ministre des transports avait fixé pour objectif un doublement du volume de fret ferroviaire en dix ans et un triplement du trafic pour le transport combiné rail-route. Avec les prévisions de croissance du trafic de marchandises, ces objectifs auraient dû permettre de maintenir à son niveau actuel la part du fret ferroviaire, ce qui n'aurait déjà pas été si mal !
    Aujourd'hui, nous pouvons dire que ces objectifs ne seront pas atteints. En tout état de cause, les choix budgétaires retenus pour 2003 et ceux entérinés pour 2004 n'offrent aucune perspective réelle de développement du fret ferroviaire. Certains projets comme la modernisation de la ligne Clermont-Ferrand - Neussargues - Béziers, qui devait faire émerger un axe nord-sud consacré au fret, ont été abandonnés et leurs crédits ont été détournés, vers des projets routiers.
    M. le secrétaire d'Etat aux transports et à la mer. Heureusement !
    Mme Odile Saugues. Au même moment, M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer, devant cette assemblée, nous assurait qu'aucun projet d'infrastructure ne serait remis en cause...
    M. le secrétaire d'État aux transports et à la mer. Aucun projet sérieux !
    Mme Odile Saugues. ... malgré la cure d'austérité dont sont victimes les politiques publiques de transport.
    Enfin, mes chers collègues, on ne saurait taire ici la responsabilité de l'Europe elle-même. Le vent ultra-libéral qui conduit les politiques communautaires a livré le transport routier de marchandises aux pires lois du marché et du dumping social incarnées par quelques gros transporteurs européens. Aucune politique de régulation et d'encadrement n'a vu le jour et les mesures tardivement adoptées sont rarement appliquées. Surtout, cette libéralisation a été enclenchée avant même de réfléchir à une orientation européenne en matière de fret ferroviaire. L'Europe a fait le choix du tout-camion, au détriment de l'environnement, de la sécurité routière, du progrès social et de l'aménagement équilibré du territoire, et ce choix du tout-camion s'explique par la nature même de notre orientation économique, la gestion des stocks et les politiques de flux tendus. Dès lors, les règles de concurrence établies par ce deuxième paquet ferroviaire sont-elles de nature à dessiner l'Europe des transports que nous voulons ? Personnellement, je formulerai quelques nuances.
    Naturellement, chacun sait que le transport de voyageurs et de marchandises en Europe est un élément clé de la croissance économique. La SNCF elle-même l'a bien compris, qui réalise 50 % de son trafic à l'international. Nous devons donc résolument saisir cette opportunité, mais nous ne pouvons le faire sans règles ni garanties. A cet égard, certains amendements adoptés par la commission des affaires économiques de notre assemblée me paraissent tout à fait pertinents.
    M. François-Michel Gonnot. Très bien !
    Mme Odile Saugues. Je regrette néanmoins que le discours de M. le rapporteur sur la place qu'il conviendrait d'accorder aux organisations syndicales au sein de l'Agence ne se concrétise pas par des amendements à ce texte.
    Les amendements votés sont, à mon sens, de nature à contribuer utilement à l'édification d'une Europe du rail que dessinent notamment trois directives présentes dans ce deuxième paquet ferroviaire, sur la sécurité ferroviaire, l'interopérabilité des chemins de fer à grande vitesse et conventionnels et la création de l'Agence européenne ferroviaire. Mais l'équilibre trouvé est mis à mal par la réunion du conseil des ministres des transports et par l'activisme acharné du rapporteur du Parlement européen sur la proposition de directive visant à accélérer l'accès aux réseaux dans le domaine du fret et à ouvrir les réseaux à des candidats autorisés. La position commune du conseil des ministres repose sur un calendrier différent de celui proposé par la Commision européenne et de celui adopté par le Parlement européen en seconde lecture.
    De son côté, la commission transports du Parlement européen a adopté un amendement accélérant l'ouverture du fret international et national au 1er janvier 2006 et un autre relatif à l'ouverture du trafic passagers national et international au 1er janvier 2008. Cette dernière proposition se retrouvait d'ailleurs dans le projet initial de résolution que nous examinons aujourd'hui, alors qu'en commission transports du Parlement européen l'UMP s'y était opposée !
    Ainsi, les positions ultralibérales du député européen Jarzembowski ont trouvé un écho favorable dans notre assemblée, mettant le gouvernement français dans une situation encore plus critique. Il s'agit d'un signal politique extrêmement préjudiciable, atténué, certes, par l'examen du projet de résolution en commission des affaires économiques. Ce débat, mes chers collègues, nous ne pouvons l'éluder ici.
    Dans un tel contexte, la suppression de toute référence à l'ouverture du trafic passager dans le cadre de ce « deuxième paquet ferroviaire » reste pour nous une exigence absolue. Il faudra donc que, sur ce point, la France parle d'une même voix et résiste à la fièvre libérale qui saisit le Parlement européen. C'est pourquoi les députés socialistes souhaitent que notre assemblée transmette au gouvernement français le message clair de continuer à s'opposer très fermement à toute initiative visant à l'ouverture du trafic passagers national et international dans le cadre de ces directives.
    Je reviendrai brièvement sur le calendrier retenu par le conseil des ministres européens et celui proposé par le Parlement de Strasbourg. Naturellement, la construction de l'Europe du rail est urgente. Nous avons trop tardé à la mettre en oeuvre et nous devons aujourd'hui lui donner les moyens de s'exprimer pleinement. Toutefois, nous devons être en mesure de relever ce défi dans les meilleures conditions possibles et, pour ma part, je ne suis pas en mesure d'affirmer que l'accélération du calendrier telle qu'elle est envisagée soit réellement une chance pour la réussite de l'Europe ferroviaire que nous voulons. Néanmoins, comment ne pas s'inquiéter de l'isolement diplomatique de la France dans le cadre de ces négociations actuelles ?
    Avouons, monsieur le ministre, que votre position serait plus forte, plus crédible, si vous étiez en mesure de dire à nos partenaires européens que le délai supplémentaire que vous réclamez nous permettra de mobiliser les acteurs du transport ferroviaire ! Or, cette mobilisation, je ne la perçois ni dans les faits ni dans les choix opérés par les pouvoirs publics depuis 2002. Et le vote des crédits de transports du budget 2004 n'a pas été de nature à nous rassurer sur ce point.
    De fait, c'est vrai, la position gouvernementale paraît attentiste, impuissante, voire « réfractaire » comme le souligne le rapporteur UMP de la commission des affaires économiques. Pour le moins, elle semble relever d'une simple posture adoptée dans une période sociale tendue dans notre pays.
    Au moment où nous devrions faire preuve d'une détermination à toute épreuve pour aborder ces négociations européennes en position de force, la France semble hésiter et vous ne parvenez même pas à obtenir l'appui de votre propre majorité. Pouvait-on se retrouver en posture plus délicate ? Voudrait-on que l'Europe du rail se fasse sur notre dos que l'on ne s'y prendrait pas autrement !
    Ce débat, monsieur le ministre, est donc l'occasion, pour les députés socialistes, de vous interpeller sur les difficultés majeures que traverse le fret ferroviaire en France, difficultés qui risquent de s'accroître demain, non pas du fait de ces directives ou d'une résolution, mais en raison des manques de moyens financiers qui lui sont alloués et de la remise en cause, sur notre territoire, de projets essentiels pour permettre son essor. Comment ne pas rappeler ici les atermoiements du Gouvernement sur le Lyon - Turin qui sont tout à fait révélateurs d'un manque de moyens, voire d'un manque de conviction ?
    Vous réclamez à vos partenaires européens le respect du délai initial, voire un délai supplémentaire. Soit ! Mais comment le mettrez-vous à profit pour que le fret ferroviaire ne soit plus le parent pauvre du budget de l'Etat et de votre politique d'aménagement du territoire ? Nous attendons, monsieur le secrétaire d'Etat, vos réponses et des engagements. Je vous précise que mon groupe s'abstiendra sur ce vote. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à M. Gilbert Gantier.
    M. Gilbert Gantier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je tiens tout d'abord à remercier l'auteur de cette proposition de résolution, notre collègue Christian Philip, qui replace au coeur de nos débats les choix communautaires fondamentaux concernant l'avenir du transport ferroviaire. Les enjeux sont de taille tant pour la SNCF, qui a adopté, le 19 novembre dernier, un plan très attendu de réorganisation et de redressement de son activité fret, que pour notre politique nationale de développement des infrastructures de transport. Ce sera aussi l'occasion, quelques mois après le débat parlementaire sur les infrastructures de transport et quelques semaines avant l'examen par notre assemblée du projet de loi relatif aux responsabilités locales, de connaître les projets du Gouvernement sur ces sujets qui nous concernent tous, à savoir la définition des grandes orientations stratégiques de la SNCF et les financements qui seront consacrés aux grandes infrastructures de transport, notamment dans le domaine ferroviaire.
    Avant d'examiner les différents points de cette proposition de résolution, je rappellerai brièvement les positions et les objectifs que l'UDF a toujours défendus sur ces sujets. Pour des raisons environnementales aujourd'hui partagées par tous, l'UDF a toujours considéré le ferroutage comme une priorité nationale avec un objectif volontariste qui est non seulement de maintenir la par de marché du fret, mais aussi de parvenir au « doublement » du fret ferroviaire en dix ans. Il faut dire que le précédent gouvernement, qui comptait pourtant en son sein des ministres Verts, n'a rien fait pour faire décoller le ferroutage.
    Je me permettrai néanmoins une remarque sur le volet environnemental du développement du ferroutage. En effet, alors que la ministre de l'écologie a présenté un plan national de lutte contre le bruit, il serait pour le moins paradoxal que le développement du ferroutage soit à l'origine de nouvelles nuisances sonores !
    Mme Odile Saugues. Ce n'est pas la seule cause de nuisances sonores !
    M. Gilbert Gantier. Ainsi, pour ce qui est du bassin parisien, auquel je m'intéresse particulièrement, il conviendrait de détourner sur la Picardie le transit de marchandises entre le port du Havre et les régions de l'Est de la France et de l'Europe. Ce respect de l'environnement urbain est essentiel pour que nos concitoyens, déjà excédés par les pollutions des gaz d'échappement, ne soient pas aussi dégoûtés par le bruit des trains de marchandises. Il s'agit également - c'est une autre préoccupation - de libérer des voies pour le transport de voyageurs.
    Au-delà de la confusion française entre « service public » et entreprise publique, l'UDF a toujours été favorable au principe de la libéralisation du transport ferroviaire. Comme l'ont très tôt compris les écologistes allemands, la concurrence est la seule garantie du développement de ce mode de transport, car si le ferroutage doit être une affaire d'Etat, ce n'est pas seulement l'affaire de l'Etat. Le gouvernement français aurait donc tout à perdre à refuser une telle évolution et à « maintenir l'image d'une France fermée » comme l'indique très justement le rapport de la Délégation pour l'Union européenne.
    Vous comprendrez que notre groupe ne puisse qu'être favorable aux propositions de directives de la Commission européenne, car le développement de la concurrence internationale et nationale dans le domaine du fret apparaît comme une excellente chose. Il convient d'ailleurs de rappeler qu'il s'agit d'une activité par essence concurrentielle, et non d'un service public. Cette ouverture est d'ailleurs une nécessité pour la SNCF dont personne ne comprendrait qu'elle prenne des parts de marché en Europe, ce qu'elle fait très bien grâce à ses compétences en Allemagne ou en Grande-Bretagne par exemple, sans que le marché national soit à son tour ouvert. Elle n'a d'ailleurs pas à être craintive compte tenu de son savoir-faire. Il serait donc paradoxal que nos concitoyens soient les seuls à ne pas profiter des efforts et de la compétitivité que la SNCF est capable de déployer pour conquérir des marchés à l'étranger.
    Il apparaît néanmoins que la Commission veut bousculer les échéances prévues dans le premier paquet, puisque paquet il y a. Cette anticipation des échéances initiales est sans doute nécessaire dans la mesure où le transport ferroviaire apparaît comme toujours plus menacé par la route, mais il faut alors une cohérence avec d'autres mesures réglementaires et financières.
    Le deuxième point fait apparaître une exigence louable de transparence et d'égalité d'accès aux infrastructures ferroviaires françaises pour les « candidats autorisés ». Cela est essentiel, car il faut bien reconnaître que la France ne dispose pas encore d'un véritable organe régulateur indépendant de la SNCF. M. le ministre des transports pourra certainement nous indiquer pourquoi, deux ans après l'adoption du premier paquet ferroviaire, c'est toujours d'une certaine manière la SNCF qui, en tant que gestionnaire délégué d'infrastructure, procède à l'attribution des sillons. Quelles sont les actions engagées qui permettront à la France de remplir ses obligations de transparence et de neutralité vis-à-vis de la mise à disposition de ses réseaux ferroviaires ? La France est-elle vouée à être le mauvais élève de l'Union en ce qui concerne l'application du principe communautaire de « libre prestation de services », comme en témoignent les contentieux avec certains de nos voisins européens dans le domaine énergétique et notamment gazier ?
    En revanche, la mise en concurrence du transport de voyageurs, qui peut constituer un projet à terme, ne devrait sans doute pas être abordée avant que la concurrence dans le domaine du fret ne soit parvenue à maturité et n'ait fait l'objet d'un bilan complet.
    M. Dominique Le Mèner, rapporteur de la commission des affaires économiques. Tout à fait !
    M. Gilbert Gantier. Or, début novembre, un vote est intervenu au Parlement européen qui propose une libéralisation dès 2008 du transport de voyageurs. Pourtant, les premières communications de la Commission sur ce sujet appellent bien des questions. Ainsi l'utilisation du matériel roulant et la formation des agents de conduite doivent-elles être considérées comme des « facilités essentielles », c'est-à-dire comme des prestations que les entreprises doivent obligatoirement accorder à des concurrents ? On touche là au coeur du métier d'exploitant ferroviaire. Il faut donc envisager avec prudence le point 3 du IV sur l'ouverture à la concurrence du transport de voyageurs, même si nous souhaitons que, à terme, les régions puissent, comme les Länder allemands, lancer des appels d'offres pour choisir leur transporteur. Sur ce point, nous rejoignons les déclarations du président de la SNCF qui a demandé en commission davantage de clarté et de lisibilité dans la mise en oeuvre de la concurrence du trafic de voyageurs.
    Vous proposez par ailleurs, dans le troisième point, que les directives européennes définissent des normes sociales élevées pour renforcer la crédibilité de l'espace ferroviaire. Cette démarche est effectivement souhaitable et nécessaire. Mais permettez-moi d'insister sur le fait que cette recherche de normes sociales élevées dans le domaine ferroviaire doit également être engagée dans le domaine des transports routiers, faute de quoi les entreprises continueraient à choisir encore plus la route pour des raisons de moindre coût ! Pour que la concurrence entre le rail et la route soit équilibrée, il convient en effet de mettre la réglementation au même niveau d'exigence dans les deux secteurs, le ferroviaire et le routier. Notre collègue UDF Francis Hillmeyer a été missionné par le ministère des transports pour faire le point sur les problèmes et les demandes du secteur des transports routiers. Ses propositions devront être discutées au niveau européen dans la perspective d'une harmonisation des réglementations nationales.
    En conclusion, le groupe UDF votera cette proposition de résolution qui cerne bien les problèmes du transport ferroviaire français. Avec l'ouverture des marchés européens, nos entreprises publiques vivent une véritable révolution culturelle. Au lieu de freiner cette évolution, qui nous paraît inéluctable, elles doivent saisir cette chance et se réorganiser pour mettre leur savoir-faire incontestable au service de leurs clients. Je vous remercie. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La discussion générale est close.
    La parole est à M. le secrétaire d'Etat aux transports et à la mer.
    M. Dominique Bussereau, secrétaire d'Etat aux transports et à la mer. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, je tiens tout d'abord à remercier les rapporteurs et la délégation pour la qualité du travail effectué sur ce sujet important pour l'avenir du transport ferroviaire en Europe. Je remercie également les orateurs, Mme Saugues, M. Biessy, M. Gonnot et M. Gantier, qui viennent d'apporter leur contribution au débat.
    L'ensemble de propositions qu'il est convenu d'appeler le « deuxième paquet ferroviaire » - je reconnais comme M. Lequiller et M. Gonnot que le terme est affreux, mais c'est la phraséologie européenne ! - a été adopté par la Commission il y a presque deux ans. Le Parlement européen et le Conseil y ont apporté des amendements substantiels, sans parvenir à ce jour à un accord. Nous en sommes maintenant à la fameuse phase de conciliation, qui est difficile, ainsi que l'a prouvé récemment l'échec de cette procédure pour la directive portuaire.
    Je reprendrai les différents points évoqués, avant de répondre aux questions plus globales posées par les différents orateurs sur le système ferroviaire.
    Pour ce qui est, d'abord, de la proposition de directive sur la sécurité, la France - le gouvernement précédent comme celui-ci - a joué un rôle important, en insistant toujours sur la nécessité impérieuse de maintenir - au moins - et d'améliorer le niveau existant. Cela a permis d'écarter tout risque de dérive et a ramené à de plus justes proportions le rôle des méthodes et des objectifs communs de sécurité. Je rappelle que ces méthodes et objectifs n'auront pas un caractère normatif, ce qui permet - c'est très important pour la France - aux Etats membres qui le souhaitent de maintenir ou d'adopter - dans notre cas, au moins de maintenir - des règles nationales de sécurité supérieures aux objectifs communautaires.
    M. François-Michel Gonnot. Très bien !
    M. le secrétaire d'Etat aux transports et à la mer. Le Gouvernement partage pleinement l'analyse exprimée dans cette assemblée sur le caractère contestable et peu utile de l'obligation de notification préalable.
    Vous avez exprimé des préoccupations tout à fait légitimes sur le financement de l'interopérabilité ferroviaire. Dans son livre blanc sur La Politique européenne des transports à l'horizon 2010 : l'heure des choix, la Commission européenne avait envisagé d'adopter une « directive cadre sur les redevances d'infrastructures ». Elle n'a, jusqu'à présent, produit qu'une seule proposition de directive dans ce domaine : celle qui modifie la directive de 1999 sur les péages routiers pour les poids lourds. Il est clair que le financement de l'interopérabilité, comme la réalisation de nouvelles infrastructures, peut - et doit - bénéficier d'un soutien communautaire, en particulier dans le cadre des réseaux transeuropéens.
    Il est vrai que, jusqu'à ce jour, la participation de la Communauté demeure modeste. C'est pourquoi une démarche commune et volontariste est indispensable. Nous évoquerons tout à l'heure, dans un autre débat, la ratification d'un accord avec le Luxembourg - sur lequel M. Schreiner s'exprimera - relatif au TGV Est, qui bénéficiera d'un financement européen. Certains des projets adoptés par le CIADT - notamment vers l'Espagne et l'Italie - sont de dimension européenne. En l'occurrence, madame Saugues, nous comptons également sur des financements européens qui ne devraient pas se limiter à 10 % de l'investissement ; nous espérons atteindre 20 %.
    La liste de ces projets, établie à la suite du travail de M. Van Miert - et, pour la France, de Claude Martinand, qui a été, en quelque sorte, notre négociateur - a été arrêtée au Conseil Transports du 5 décembre dernier.
    Pour notre pays, le CIADT du 18 décembre a permis de préciser les projets retenus et les mécanismes de financement.
    Il ne faut pas, madame Saugues et monsieur Biessy, nous raconter d'histoires : lors de ce CIADT, le Gouvernement de la France a pris des décisions historiques en matière ferroviaire.
    M. François-Michel Gonnot. Tout à fait !
    Mme Odile Saugues. Lesquelles ?
    M. le secrétaire d'Etat aux transports et à la mer. Nous aurions aimé que le gouvernement précédent fasse de même au lieu de s'amuser avec la liaison Béziers-Neussargues-Clermont-Ferrand. Cette fois-ci, nous avons vu passer de vrais projets d'intérêt national pour l'Aquitaine, les pays de Loire et la Bretagne, ainsi que le TGV Rhin-Rhône. Et j'ai bien noté que tous les élus de Rhin-Rhône, de Franche-Comté et d'ailleurs étaient heureux des décisions historiques que nous avons prises en faveur du fer.
    Les financements restent, certes, à trouver, mais il a aussi été décidé, par l'arbitrage du Premier ministre, d'affecter à ce financement les bénéfices des sociétés d'autoroute ; nous devons maintenant trouver d'autres financements, notamment européens.
    Quel Gouvernement a pris en même temps autant de décisions favorables au ferroviaire que celui-ci, lors du Conseil interministériel d'aménagement du territoire du 18 décembre ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    L'interopérabilité soulève, notamment, des problèmes de signalisation, qui ont été évoqués par M. le rapporteur de la commission des affaires économiques. Il est vrai que nous avons hérité des guerres et des passions techniques des ingénieurs européens le réseau ferroviaire le plus compliqué du monde. Ainsi, l'écartement des rails est différent entre les pays européens d'une part, et l'Espagne, les anciens pays de l'Est ou la Russie, d'autre part. Ne serait-ce qu'en France, plusieurs systèmes d'électrification et de signalisation coexistent. A l'échelle des Vingt-cinq, le fer présente une grande faiblesse : le coût des mécanismes nécessaires pour disposer de locomotives poly-courants ou de systèmes de signalisation interopérables.
    A cet égard, l'Europe a pris une grande décision en adoptant le Real Time Monitoring System : le RTMS. Ce dispositif est fondé sur le positionnement par satellite, à la différence des systèmes actuels qui sont fondés sur un lien entre la machine et la voie. Nous l'expérimenterons en grandeur nature sur la ligne à grande vitesse Est. Il a été enfin décidé que, à l'avenir, toutes les lignes qui seront construites en bénéficieront. Ainsi, messieurs les élus de l'Alsace et de la Lorraine, la ligne de TGV Est pourra accueillir aussi bien des ICE allemands que des TGV, ce qui n'est pas possible sur nos lignes à grande vitesse actuelles.
    Vous avez également évoqué l'harmonisation sociale dans le domaine ferroviaire. Le Conseil et le Parlement européens ont introduit des références aux conditions de travail. Citons la possibilité, pour chaque Etat membre, de faire appliquer par toutes les entreprises sur son territoire les règles sociales nationales, les missions confiées à l'Agence ou encore le champ donné aux directives interopérabilité. Je précise - M. Lequiller le sait et Christian Philip l'avait souligné - que la France a été à l'origine de plusieurs de ces amendements.
    Un pas important a été accompli vers cette harmonisation sociale - que vous avez aussi évoquée, monsieur Gonnot - par la conférence européenne du rail et par les représentants des travailleurs du secteur ferroviaire dans la fédération des travailleurs européens, qui ont conclu, au mois d'octobre, un accord sur les conditions sociales. Cet accord porte notamment sur les conditions de travail du personnel employé dans les services transfrontaliers de transport ferroviaire. Les deux parties considèrent que cet accord doit maintenant être intégré dans le droit communautaire en vertu de l'article 139 du traité. Je l'indique à la représentation nationale, car vous avez tous été très attentifs aux conditions sociales lors de la conciliation, la France soutiendra l'essentiel des amendements adoptés en seconde lecture par le Parlement européen sur la directive interopérabilité.
    Passons à l'Agence ferroviaire européenne. C'est une bonne nouvelle pour la France. Monsieur Biessy, vos collègues communistes du conseil régional du Nord - Pas-de-Calais ont approuvé la mesure qui la concernait. Peut-être devriez-vous en parler avec eux, car vous n'avez pas l'air d'être sur la même longueur « de rail ». (Sourires.)
    La France a donc obtenu du Conseil européen d'accueillir, sur son territoire, le siège de l'Agence ferroviaire européenne. Nous avons obtenu qu'il soit situé à Valenciennes, grâce à un travail commun avec l'ensemble des installations ferroviaires, de recherche et industrielles du Nord - Pas-de-Calais.
    Cela devrait représenter une centaine d'emplois.
    Il est très important que la France, le pays le plus fort, le plus compétent historiquement et techniquement sur le plan ferroviaire, puisse accueillir le siège de l'Agence ferroviaire. D'autant que nous aurions pu accueillir le siège de l'Agence maritime, mais qu'il en a été décidé autrement par le Conseil européen.
    Souhaitée par les parlementaires européens, l'ouverture de droits d'accès pour le transport de voyageurs a focalisé l'attention de nombreux acteurs du monde économique ou politique. Les Etats membres sont unanimes dans leur volonté de ne pas traiter de ce sujet dans ce deuxième paquet ferroviaire. Cette nouvelle étape - Gilles de Robien l'a affirmé à plusieurs reprises, tout comme moi-même au cours des conseils des ministres des transports - doit faire l'objet d'un troisième paquet ferroviaire, pour lequel la Commission européenne a déjà lancé des consultations et prévu d'adopter des propositions dans le courant du mois de février 2004. La présidence irlandaise a confirmé les intentions de la Commission dès le 1er janvier de cette année.
    Selon les services de la Commission européenne, il s'agirait d'établir, après la mise en oeuvre des étapes du deuxième paquet pour le fret, des droits d'accès pour le transport international de voyageurs, incluant le cabotage. La proposition de la Commission ne couvrirait pas les services régionaux ou locaux qui ont été évoqués par M. Gantier, lesquels sont visés par un autre texte auquel les maires de toutes les grandes villes de France sont attentifs : le « Règlement sur les obligations de service public ». La Commission et la France souhaiteraient faire de nouvelles propositions à propos de ce règlement en tenant compte des derniers développements de la jurisprudence en matière d'aides d'Etat.
    Nous sommes - et cela nous différencie fortement, il est vrai, du gouvernement précédent - prêts à participer de façon constructive aux débats pour l'élaboration d'un tel projet, de façon constructive et dans le but d'aboutir au meilleur texte possible. Mais sans préjuger des futures propositions de la Commission européenne, c'est actuellement pour le deuxième paquet ferroviaire, celui qui est en cause aujourd'hui, qu'il faut trouver un accord entre le Conseil et le Parlement européen dans les semaines qui viennent.
    Je terminerai sur la politique du fret ferroviaire, que M. Gantier vient d'évoquer après les autres orateurs. Ce n'est un secret pour personne, et le rappel des parts de marché l'a bien montré, le fret ferroviaire se porte assez mal dans l'ensemble de la zone européenne. Les raisons en sont connues : les méthodes de production ne correspondent pas aux besoins du marché et engendrent des coûts très différents de ceux des modes concurrents, ainsi qu'une qualité et une régularité aléatoires.
    Certes, madame Saugues, le gouvernement précédent avait prévu de doubler le trafic mais, au fil des mois, sous ce même gouvernement, celui-ci a baissé. Il est facile de dire qu'on va doubler le trafic, mais la réalité s'impose.
    La SNCF n'en est pas responsable. C'est le système qui est compliqué. M. Gantier a rappelé, à juste titre, la différence de coût social d'un conducteur routier français par rapport à un conducteur routier lituanien ou hongrois, demain. Il existe un problème de concurrence entre le secteur routier et le secteur ferroviaire. Gilles de Robien a confié une mission à votre collègue Francis Hillmeyer, qui nous rendra ses conclusions dans quelques semaines. Nous verrons comment nous pouvons essayer d'améliorer les conditions du transport routier.
    Monsieur Gantier, nous avons une occasion pour le faire par le biais d'une directive qu'il nous appartient, jusqu'à avril 2005, de ratifier. Nous pourrons alors essayer de discuter avec la profession des moyens d'adapter les conditions sociales du monde routier.
    Du côté français, la SNCF n'est pas restée inactive. Il ne vous a pas échappé, mesdames et messieurs les députés, que M. Gallois, président de la SNCF, a récemment présenté un plan de relance du fret ferroviaire à l'origine duquel est M. Véron - un ancien collaborateur de votre collègue Christian Blanc à Air France.
    Nous ne pouvons pas accepter la baisse continue du fret ferroviaire dans notre pays. Le phénomène est d'ailleurs paradoxal, puisque nos entreprises - petites, moyennes et grandes - demandent davantage de fret ferroviaire, à la SNCF, qui leur répond qu'elle ne peut pas l'assurer parce qu'elle n'est pas organisée pour cela.
    Le Gouvernement est en train d'examiner ce plan, qui est extrêmement ambitieux, pour apprécier la part de financement que l'Etat peut lui apporter. Nous souhaitons naturellement que ce plan réussisse. Le fret ferroviaire a d'autant plus d'avenir que l'Europe s'élargit.
    M. François-Michel Gonnot. Bien sûr !
    M. le secrétaire d'Etat aux transports et à la mer. Le fret ferroviaire a toute sa pertinence sur les grands espaces. Dans l'Europe qui s'élargit, il doit y avoir une place beaucoup plus importante pour le fret ferroviaire.
    Il peut subsister des « niches », voire des segments entiers où des entreprises plus petites et plus souples assureront des services adaptés. C'est ce que les Américains appellent les short lines, qui se sont beaucoup développées aux Etats-Unis et qui apportent beaucoup de trafic au réseau ferroviaire majeur. De telles innovations sont à même de redynamiser ce secteur. Nous réfléchissons à ce que nous pouvons apporter à la SNCF.
    Depuis le 15 mars de l'année dernière, les entreprises autres que la SNCF en France, ou autres que la DB en Allemagne ou la SNCB en Belgique peuvent intervenir sur le réseau international.
    A M. Gantier qui s'inquiétait, je répondrai que nous avons fait en sorte que la SNCF ne soit pas juge et partie. Nous avons confié à Réseau ferré de France la capacité d'attribuer des sillons. Nous aurions pu instituer, à cette fin, une nouvelle haute autorité, sur le modèle de l'ART. Mais plutôt que de créer de nouvelles structures publiques ou parapubliques, nous avons préféré conforter RFF en lui donnant cette mission. Et pour ce faire, il a reçu plusieurs des grands horairistes de la SNCF.
    Pour l'instant, personne n'est venu. Mais c'est un peu normal : les choses sont nouvelles. Des opérateurs sont prêts à se positionner - Eurotunnel ou des entreprises européennes. La SNCF, dont l'attitude est extrêmement intelligente, se dit favorable à la concurrence. Pour être bonne dans le domaine du fret, il lui faut en effet avoir des concurrents.
    C'est au cours de 2004 que cette concurrence va se mettre en place. Si nous voulons développer le fret ferroviaire, il nous faut des opérateurs à côté de l'opérateur historique, lequel peut avoir intérêt à se porter sur les marchés européens qui nous sont proches.
    Telles sont, mesdames, messieurs les députés, les quelques réflexions que je voulais vous livrer. Nous partageons pleinement les propos des deux rapporteurs sur le contenu de cette directive. Le gouvernement français, dans les périodes de négociations qui se poursuivent, agira dans le sens souhaité par la représentation nationale. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour le démocratie française.)
    M. le président. J'appelle maintenant l'article unique de la proposition de résolution dans le texte de la commission.
    Je ne suis saisi d'aucune demande d'explication de vote. Je mets aux voix l'article unique de la proposition de résolution.
    (L'article unique de la proposition de résolution est adopté.)

3

PROTOCOLE D'ACCORD
FRANCE-LUXEMBOURG
RELATIF AU RACCORDEMENT
DU LUXEMBOURG
AU TGV EST-EUROPÉEN

Discussion selon la procédure d'examen simplifiée
d'un projet de loi adopté par le Sénat

    M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation du protocole d'accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement du Grand-Duché de Luxembourg relatif au raccordement du Grand-Duché de Luxembourg au TGV Est-européen (ensemble trois annexes) (n°s 650, 980).
    Je rappelle que ce texte fait l'objet d'une procédure d'examen simplifiée, dans les conditions prévues à l'article 106 du règlement.
    La parole est à M. le rapporteur de la commission des affaires étrangères.
    M. Bruno Bourg-Broc, rapporteur de la commission des affaires étrangères. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le protocole d'accord soumis aujourd'hui à votre examen a été conclu le 28 janvier 2002 entre la France et le Luxembourg. Son objet est triple : préciser les conditions de raccordement du Grand-Duché au TGV Est-européen, déterminer la consistance des dessertes qui seront mises en place entre les deux pays ; enfin, fixer les modalités de la participation financière du Luxembourg à la réalisation du TGV Est-européen.
    Avant d'examiner plus précisément ce dispositif, il me semble nécessaire de revenir brièvement sur le projet du TGV Est-européen. Déclaré d'utilité publique en mai 1996, celui-ci consiste à réaliser une nouvelle ligne de 406 kilomètres entre l'Ile-de-France et l'Est de la France, mettant par exemple Strasbourg à 1 h 50 de Paris, contre 3 h 50 actuellement.
    Il a été décidé de procéder à sa réalisation en deux phases. Les travaux de la première phase, entre Vaires-sur-Marne, en Seine-et-Marne et Baudrecourt, en Moselle, ont débuté le jour même de la signature du protocole d'accord, le 28 janvier 2002 et devraient s'achever au début de l'année 2007. La seconde phase verra le prolongement de cette nouvelle ligne sur une centaine de kilomètres, et ce jusqu'à Vendenheim, dans le Bas-Rhin, à une douzaine de kilomètres au nord de Strasbourg. Trois gares nouvelles seront érigées sur le premier tronçon.
    Le projet devrait permettre de raccourcir considérablement les temps de parcours sur les liaisons vers l'Est de la France et les pays voisins.
    Une inquiétude est récemment apparue s'agissant de la réalisation de la seconde phase, puisque le rapport d'audit sur les grands projets d'infrastructures de transport de l'inspection générale des finances et du Conseil général des ponts et chaussées, rendu public il y a près d'un an, est quelque peu critique quant à la poursuite du programme du TGV Est-européen. Ses auteurs ont en effet estimé ne pas être en mesure de retenir comme prioritaire la deuxième phase du TGV Est et ont émis le souhait que les pouvoirs publics diffèrent sa réalisation de tout ou en partie. Le rapport recommande alors, comme pour le projet Lyon-Turin, une mise en oeuvre progressive en fonction des trafics constatés.
    Il conviendra d'être attentif et de veiller à ce que la deuxième phase du TGV Est-européen ne soit pas remise en cause. Par son caractère international prononcé, ce dernier apparaît comme vital pour l'Est de la France, en particulier, pour Strasbourg, qui, sans cette liaison ferroviaire à grande vitesse, risque de voir se préciser la menace qui pèse régulièrement sur son statut de siège du Parlement européen.
    Par ailleurs, quel sens y aurait-il à voir la ligne Paris-Strasbourg coupée en deux ? Nous aurions alors une première portion, jusqu'en Moselle, se faisant à vitesse maximale, et sur le reste du trajet les TGV, qui devront utiliser les voies normales, ne pourront pas exploiter leur pleine capacité.
    Nous avons néanmoins été rassurés par les développements intervenus au cours des derniers mois.
    En premier lieu, dans le cadre des consultations entre la France et l'Allemagne qui ont eu lieu à Berlin, les 5 et 6 mai 2003. Les deux parties ont à cette occasion réaffirmé le caractère prioritaire de la liaison à grande vitesse entre Paris, l'Est de la France et le sud-ouest de l'Allemagne. La France a confirmé que les travaux actuellement en cours sur le premier tronçon de la ligne entre Paris et Baudrecourt seraient terminés mi-2007 et il a été décidé que ceux relatifs à l'ouverture de la ligne vers le nord entre Baudrecourt, Sarrebruck et Mannheim seraient poursuivis comme prévus.
    En second lieu, et plus récemment, le comité interministériel d'aménagement du territoire, qui s'est tenu le 18 décembre dernier à l'Hôtel Matignon, a décidé que seraient poursuivies les études et les acquisitions foncières en vue de la réalisation de la seconde phase du TGV Est afin d'en lancer les travaux en 2010 seulement !
    L'année 2003 aura donc vu les partisans du TGV Est partagés entre deux sentiments : l'inquiétude et l'espoir.
    Aussi, soyez assuré, monsieur le secrétaire d'Etat, que la représentation nationale apportera une attention toute particulière à ce sujet. Une date a été fixée : 2010. Elle est tardive mais elle a le mérite d'exister. Nous veillerons à ce que le prolongement du TGV Est-européen vers Strasbourg n'ait pas à être décidé par nos petits-enfants.
    Ayant rappelé le contenu et les enjeux du programme du TGV Est-européen, je souhaite à présent évoquer plus précisément le raccordement du Luxembourg à celui-ci.
    Ce sont les autorités luxembourgeoises qui ont voulu ce raccordement. En effet, au moment où s'élabore, en Europe, un réseau ferroviaire à grande vitesse de plus en plus développé, le Luxembourg ne pouvait rester en dehors de celui-ci sans mettre en péril ses bonnes performances économiques.
    Des 1989, la Chambre des députés votait une motion soulignant l'intérêt vital d'un raccordement à ce réseau et envisageait la possibilité de participer financièrement à des projets situés hors des frontières luxembourgeoises, en vue, notamment, d'influencer les choix de tracés dans un sens favorable au Grand-Duché. Un premier protocole a été signé à Metz, en septembre 1992, entre les deux pays, se fixant comme objectif de conforter le réseau ferroviaire entre la France et le Luxembourg.
    Le protocole de 2002 est donc la traduction concrète d'objectifs fixés dès 1992.
    En premier lieu, il détermine les conditions de raccordement du Luxembourg au TGV Est-européen en prévoyant la réalisation d'aménagements de la ligne Metz - Luxembourg tant sur le territoire français que sur son secteur luxembourgeois. Toutefois, la circulation des TGV entre Metz et Luxembourg se fera sur la ligne existante à vitesse conventionnelle, de l'ordre de 140 à 150 kilomètres à l'heure, et non à grande vitesse, c'est-à-dire à plus de 300 kilomètres à l'heure.
    En second lieu, le protocole d'accord précise les durées de parcours, les fréquences et les horaires des liaisons qui seront mises en place dans le cadre du TGV Est européen entre la France et le Luxembourg. Dès la réalisation de la première phase, le temps de parcours pour les quatre allers-retours quotidiens entre Paris et Luxembourg ne devra pas excéder deux heures quinze contre trois heures trente-cinq aujourd'hui.
    S'agissant des modalités d'exploitation, celles-ci sont évoquées à l'article 4 du protocole d'accord. Pour les relations Paris - Luxembourg et Strasbourg - Luxembourg, la même politique tarifaire, et notamment le même niveau tarifiaire que pour les autres trajets du TGV Est-européen s'appliqueront, comme si le tronçon luxembourgeois de la ligne Metz - Luxembourg faisait partie intégrante du réseau français.
    La gestion des places à bord des trains TGV concernés sera assurée selon les mêmes règles que pour les relations intérieures françaises.
    Par ailleurs, le risque commercial de l'exploitation du TGV Est-européen sera intégralement supporté par la partie française, laquelle devra également assumer la responsabilité des dommages résultant de l'exploitation des TGV. Le Luxembourg assumera, lui, celle des dommages imputables à la gestion de l'infrastructure ferroviaire.
    En dernier lieu, le protocole d'accord fixe le montant et les modalités de versement de la participation financière du grand-duché à la réalisation du TGV Est-européen. Cette participation sera de 117 386 millions d'euros, ce qui correspond à 3,76 % du coût total des investissements nécessaires à la réalisation de la première phase.
    Par ailleurs, cette somme est forfaitaire pour l'ensemble du projet, et la France renonce expressément à demander au Luxembourg une quelconque contribution supplémentaire. Je ne vous cacherai pas que cette clause du protocole d'accord a quelque peu intrigué votre rapporteur et étonné les membres de la commission des affaires étrangères. Dans quel but une telle facilité a-t-elle été accordée aux autorités luxembourgeoises ? Le Grand-Duché n'était-il pas mieux traité que nos collectivités locales, qu'il s'agisse des régions Champagne-Ardenne, Lorraine ou Alsace ?
    Vos services, monsieur le secrétaire d'Etat, nous ont quelque peu rassurés sur ce point. En effet, c'est dans un souci de responsabilisation des maîtres d'ouvrage de l'opération qu'il a été précisé, de la même manière que dans la convention de financement signé entre l'Etat, Réseau ferré de France, la SNCF et les collectivités locales, que les éventuels dépassements du coût du projet seraient laissés à la charge des seuls maîtres d'ouvrage.
    D'ailleurs, cette clause a vite trouvé à s'appliquer pour les collectivités locales. Des surcoûts sont apparus après le début des travaux de la première phase : le coût prévisionnel du projet, qui était initialement fixé à 3 125 milliards d'euros, est désormais de 3 405 milliards d'euros. La stricte application des conventions passées par Réseau ferré de France pour la réalisation du projet voudrait que le surcoût soit intégralement porté à sa charge, mais des réflexions sont en cours sur la prise en charge du surcoût. Je me réjouis en tout cas, à titre personnel et au nom des membres de la commission des affaires étrangères, que le Premier ministre ait indiqué que ces surcoûts ne relèveraient pas, en tout état de cause, des collectivités locales qui financent déjà le projet. C'est une première dans l'histoire !
    M. Dominique Bussereau, secrétaire d'Etat aux transports et à la mer. Mais pas une dernière ! (Sourires.)
    M. Bruno Bourg-Broc, rapporteur. Hélas !
    Comme j'ai eu l'occasion de le dire, il aurait été difficilement acceptable que ces dernières soient moins bien traitées que le Luxembourg.
    Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le protocole d'accord dont il vous est demandé d'autoriser l'approbation concrétise la volonté des gouvernements français et luxembourgeois de favoriser le développement des échanges entre les deux pays. Son entrée en vigueur, dans les meilleurs délais, est nécessaire à l'équilibre financier du projet eu égard à son état d'avancement. Aussi, c'est au bénéfice de ces observations que je vous invite à adopter le présent projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Discussion générale

    M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Bernard Schreiner.
    M. Bernard Schreiner. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le 4 mars 2003, le Sénat, dans sa grande sagesse, a adopté à l'unanimité le protocole d'accord entre la République française et le Grand-Duché du Luxembourg relatif au raccordement du Grand-Duché au TGV Est-européen, signé à Remilly, en Moselle, le 28 janvier 2002.
    Pratiquement deux ans après cette signature, il revient à notre assemblée d'approuver ce texte et je suis convaincu que nous le ferons sans état d'âme.
    Pour ce raccordement, le Luxembourg consent une participation financière à la réalisation de cette ligne à grande vitesse - d'ailleurs déjà en phase de travaux entre Paris et Metz - de 117,4 millions d'euros, soit 770 millions de francs.
    Ajoutons que cette participation librement consentie par le Luxembourg concerne une liaison ferroviaire à grande vitesse entièrement implantée sur notre territoire national. Nous ne pouvons que nous réjouir de cette participation généreuse de nos voisins et saluer aussi et surtout cette vision d'avenir qu'ont exprimée les autorités luxembourgeoises. Elles ont parfaitement compris l'importance de cette nouvelle ligne à grande vitesse et on ne peut que regretter, nous Français, notre engagement tardif pour la réalisation du TGV Est-européen.
    Il s'agit non pas seulement d'un problème purement hexagonal mais de la construction d'une voie de communication fondamentale pour l'Europe que nous construisons et qui, dès cette année, va s'élargir à l'Est.
    Cette ligne, grâce au raccordement du Luxembourg, mettra cette ville, siège d'importantes institutions européennes, à deux heures quinze de Paris, contre trois heures trente-cinq aujourd'hui, et ce dès le début de 2007, date de mise en service du premier tronçon du TGV Est qui ira de Paris à Baudricourt, en Moselle, tronçon dont les travaux sont en cours et avancent de façon très satisfaisante, ce dont nous nous félicitons.
    Mais ce raccordement du Luxembourg à la ligne à grande vitesse Paris-Strasbourg aura aussi une vocation très européenne car il se situe sur la liaison à grande vitesse qui devra, à terme, relier les trois capitales européennes que sont Bruxelles, Luxembourg et Strasbourg. Strasbourg enfin, ville où s'est concrétisée il y a plus de cinquante ans la volonté de construire une Europe de paix et de progrès. Strasbourg qu'il nous faut impérativement conforter dans son rôle de capitale européenne.
    Strasbourg, je tiens à le rappeler, où se réunit le Parlement européen. C'est aussi le siège du Conseil de l'Europe qui regroupe à ce jour quarante-cinq pays s'étendant de l'Atlantique à Vladivostok, du cercle arctique jusqu'au Caucase et à la Méditerrannée - le Conseil de l'Europe avec son assemblée parlementaire, sa Cour européenne des droits de l'homme, son congrès des pouvoirs locaux et régionaux, sa pharmacopée, son centre européen pour la jeunesse.
    Alors oui à l'approbation de ce protocole que vous nous soumettez aujourd'hui. Mais oui, aussi et surtout, à la deuxième phase du TGV Est-européen entre Baudricourt et Strasbourg, réalisation d'ailleurs confirmée par le comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire du 18 décembre dernier dont nous demandons la mise en chantier dès 2007 et non 2010. Cette deuxième phase mettra Paris à une heure cinquante de Strasbourg, contre quasiment quatre heures aujourd'hui, et le Luxembourg à une heure vingt-cinq de Strasbourg, contre deux heures cinq minutes actuellement.
    D'ores et déjà, les accords pour une liaison ferroviaire à grande vitesse entre la France et l'Allemagne sont en passe d'aboutir pour relier par delà le Rhin le futur TGV à l'ICE allemand.
    Monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous approuverons dans un instant le protocole d'accord pour le raccordement du Luxembourg au TGV Est-européen, conscients de son importance stratégique pour la construction de la grande Europe, une Europe forte, dynamique et pacifique. Mais nous comptons sur le gouvernement français pour accélérer la deuxième phase, c'est-à-dire la traversée des Vosges jusqu'à Strasbourg.
    L'Alsace, province au coeur de l'Europe, et qui a l'Europe à coeur, l1'attend impatiemment. L'Alsace, mes chers collègues, n'a-t-elle pas consenti une participation de 282 millions d'euros pour cette réalisation - soit près de 2 milliards de francs -, participation jamais acceptée par aucune autre région de France ?
    Monsieur le secrétaire d'Etat, votre gouvernement ne saurait nous décevoir ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La discussion générale est close.
    La parole est à M. le secrétaire d'Etat aux transports et à la mer.
    M. Dominique Bussereau, secrétaire d'Etat aux transports et à la mer. Monsieur le président, madame la ministre déléguée à l'industrie, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, comme l'ont souligné M. Schreiner et M. Bourg-Broc, le financement du TGV Est-européen est une première. Ce projet de TGV, financé par l'Etat, par le biais de Réseau ferré de France, par la SNCF et par de très nombreuses collectivités - les régions Ile-de-France, Champagne-Ardenne, Lorraine, Alsace, des départements et des villes, telle Reims - est en effet, pour la première fois, financé aussi par l'Europe. Nous attendons d'ailleurs des financements de même nature pour les autres projets arrêtés au CIADT de décembre dernier. Il est également financé pour la première fois également - c'est l'objet de ce protocole d'accord - grâce à une participation d'un gouvernement étranger ou plus exactement ami puisque, en Europe, nous ne sommes plus avec des étrangers.
    M. Bourg-Broc l'a rappelé, le présent protocole d'accord, qui fait suite à un premier protocole signé à Metz, en 1992, a été signé le 28 janvier 2002. Lors du voyage que M. le Premier ministre a effectué au Luxembourg le 11 juillet dernier, si ma mémoire est bonne, nous avons naturellement beaucoup évoqué avec les autorités luxembourgeoises ce projet dont on mesure l'importance pour nos voisins et amis.
    J'ai d'ailleurs eu l'occasion, au mois de septembre dernier, alors que je visitais ce magnifique chantier avec Mme le maire de Strasbourg, M. Schreiner et les élus lorrains et de Champagne-Ardenne, de proposer à M. Grethen, ministre luxembourgeois de l'économie et des transports, de se joindre à nous pour constater la progression des travaux en cours.
    Le premier protocole de septembre 1992 avait pour objectif la construction d'une ligne nouvelle et la modernisation des lignes existantes, en vue, comme cela a été rappelé par le rapporteur, de faire passer la durée du trajet Paris-Luxembourg de trois heures trente à deux heures quinze, et le trajet Luxembourg-Strasbourg de deux heures cinq à une heure vingt-cinq. Le protocole du 28 janvier 2002 est donc la traduction concrète des objectifs fixés par le protocole de 1992.
    N'oublions pas que le projet de TGV Est-européen consiste à réaliser 406 kilomètres de ligne nouvelle entre Vaires-sur-Marne, c'est-à-dire la banlieue de Paris, et Vandenheim. Du reste, lorsqu'on atterrit à Roissy, on est frappé par l'ampleur du chantier vu d'avion. Ces travaux, qui incluent les raccordements aux TGV Atlantique, Sud-Est et Nord, sont gigantesques et très proches de Paris.
    Le projet de TGV Est-européen prévoit en outre la réalisation de trois gares nouvelles, importantes pour l'aménagement du territoire - on a vu d'ailleurs que les gares nouvelles fonctionnaient très bien sur le réseau du TGV sud-est. C'est un des quatorze projets prioritaires, décidé à Essen et réaffirmé ensuite par l'Europe.
    La première phase de travaux, aujourd'hui en cours, a conduit à la signature d'une convention de réalisation et de financement entre tous les partenaires. Le protocole d'accord du 28 janvier 2002 vient, en particulier, confirmer la participation financière luxembourgeoise de 117 millions d'euros. L'accord a fixé également les modalités techniques de raccordement et d'exploitation des lignes Paris-Luxembourg et Luxembourg-Strasbourg.
    Je tiens à souligner l'intérêt de cet accord dans la mesure où ce financement luxembourgeois porte sur un projet situé intégralement sur le territoire français. Nous aurons d'ailleurs bientôt un autre exemple du même type car nos amis suisses sont prêts eux aussi, pour favoriser le projet Rhin-Rhône, à participer au financement de ce dernier. Et pour la desserte de Genève, l'aménagement de la ligne des Carpates, la ligne du Haut-Bugey, la Suisse est également prête à participer au financement d'un projet situé intégralement en territoire français. Voilà de bons exemples de coopération.
    Je confirme par ailleurs que les délais sont pour l'instant tenus. Nous avons eu quelques difficultés dues à l'argile au départ, car les terres de l'est sont difficiles, messieurs les députés. (Sourires.) Mais, aujourd'hui, les travaux se poursuivent normalement. Nous pourrons donc tenir l'échéance de la première phase pour le premier semestre 2007. Cela a été rappelé par le Comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire du 18 décembre 2003.
    A l'issue de la seconde phase, monsieur Schreiner, les deux capitales européennes que sont Strasbourg et Luxembourg ne seront plus qu'à une heure vingt-cinq l'une de l'autre, soit un gain de temps de quarante minutes.
    Conscient de l'importance des enjeux, le CIADT du 18 décembre a pris deux décisions : si la première a beaucoup frappé les esprits, la seconde est passée un peu inaperçue. Oui, nous avons très clairement arrêté la poursuite du projet alsacien pour 2010 et je conçois que cet horizon puisse paraître lointain. Mais le temps de lancer l'ensemble des procédures, cela signifie en fait que nous engagerons la deuxième phase presque immédiatement après la mise en service de la première. En revanche, et cela n'a pas été souvent relevé, nous avons également décidé, et je le dis devant Mme Fontaine qui a été présidente du Parlement européen, de pousser le lien avec le réseau allemand. Au-delà de la gare de Strasbourg, il faut en effet se donner les moyens de passer le pont de Kehl à 160 kilomètres-heure, ce qui n'est pas le cas actuellement, pour aller à la gare d'Appenweier et retrouver là le réseau ICE allemand.
    Et pour Strasbourg, site du Parlement européen, l'enjeu est particulièrement important.
    M. Bernard Schreiner. En effet.
    M. le secrétaire d'Etat aux transports et à la mer. En effet, la ville se trouvera ainsi à une heure de Francfort, dont l'aéroport participera à la desserte aérienne du Parlement européen, en plus de ceux de Strasbourg et de Bâle-Mulhouse, ce qui est capital.
    L'ensemble de ce projet se présente donc bien. L'accord qui nous est proposé, monsieur le rapporteur, a fait l'objet d'un examen favorable au Sénat. Le Luxembourg nous a transmis, le 10 octobre 2003, l'instrument de son approbation. Si ce débat se termine positivement, ce que nous souhaitons tous, la France sera en position de procéder de même, ce qui permettra au protocole d'entrer en vigueur.
    Un texte qui peut paraître extrêmement technique cache ainsi une avancée sur le plan de la construction de l'Europe. Nous voyons en effet un Etat ami participer à un projet français et européen qui apportera à l'Est de la France et à l'Europe une véritable dynamique.
    Pour ce faire, je vous propose, mesdames et messieurs les députés, de bien vouloir accepter le protocole d'accord tel qu'il vous a été présenté par M. le rapporteur. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. J'appelle maintenant l'article unique du projet de loi.
    Je ne suis saisi d'aucune demande d'explication de vote.
    Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.
    (L'article unique du projet de loi est adopté.)

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ACCORD FRANCE-BELGIQUE
RELATIF À LA COOPÉRATION
TRANSFRONTALIÈRE
EN MATIÈRE POLICIÈRE ET DOUANIÈRE

Discussion, selon la procédure d'examen simplifiée,
d'un projet de loi

    M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume de Belgique relatif à la coopération transfrontalière en matière policière et douanière (ensemble un échange de lettres) (n°s 756, 954).
    Je rappelle que ce texte fait l'objet d'une procédure d'examen simplifiée, dans les conditions prévues à l'article 10 % du règlement.
    La parole est à Mme la ministre déléguée à l'industrie.
    Mme Nicole Fontaine, ministre déléguée à l'industrie. Monsieur le président, monsieur le rapporteur de la commission des affaires étrangères, mesdames et messieurs les députés, la coopération Schengen initiée le 14 juin 1985 entre cinq membres de la Communauté européenne - la France, la Belgique, l'Allemagne, les Pays-Bas et le Luxembourg -, mais en dehors du cadre communautaire, a été progressivement élargie à tous les autres Etats membres à l'exception du Royaume-Uni et de l'Irlande, avant que le traité d'Amsterdam, dans son protocole n° 3, ne l'intègre dans le cadre institutionnel de l'Union européenne, sous la forme d'une coopération renforcée.
    L'acquis Schengen est ainsi devenu acquis de l'Union et devra, en ce sens, être intégralement repris par les pays candidats. Aujourd'hui, la liberté de circulation des personnes est totalement effective entre les quinze pays signataires de Schengen, dont l'Islande et la Norvège.
    L'article 39 de cette convention impose aux Etats parties un devoir d'assistance entre les services de police, aux fins de la prévention et de la recherche de faits punissables. Afin de développer la coopération policière avec les Etats membres voisins et parties aux accords de Schengen, la France a signé les accords de coopération, notamment avec l'Italie - le 3 octobre 1997 -, l'Allemagne - le 9 octobre 1997 - et le Luxembourg - le 15 octobre 2001.
    Aujourd'hui, c'est l'accord avec la Belgique qui est soumis à votre approbation. Cet accord a été signé à Tournai le 5 mars 2001 et complété par un échange de lettres du 10 juin 2002. Il est l'aboutissement d'une longue tradition de coopération entre les Etats dans ce domaine. Je pense, notamment, à la convention du 30 mars 1962 relative aux contrôles à la frontière franco-belge et aux gares communes d'échange.
    L'objectif poursuivi est d'organiser une coopération directe entre tous les services répressifs : - police, douane, gendarmerie - opérant dans la zone frontalière, notamment par la création de centres de coopération policière et douanière. Est également confirmée la création d'un de ces centres à Tournai. Annoncée par les accords d'Ypres du 16 mars 1995 et décidée par les ministres de l'intérieur belge et français lors du conseil des ministres du 28 septembre 2000, elle est notamment un moyen de régler les difficultés en matière d'immigration sur la frontière intérieure.
    Ces centres de coopération policière et douanière sont installés à proximité de la frontière commune des deux parties - ce qui est le cas de Tournai, ville belge de la province du Hainaut - et financés selon des modalités à définir entre les deux ministres, leur nombre et leur localisation pouvant être fixés par un simple échange de notes. Ils fournissent toute information utile aux services compétents de la police et des douanes afin de favoriser la coopération transfrontalière en matière policière et douanière. Ils participent à la coordination des mesures conjointes de surveillance en vue d'une lutte plus efficace contre la criminalité, notamment dans le domaine de l'immigration irrégulière, de la délinquance transfrontalière, des trafics illicites ainsi que de la prévention des menaces à l'ordre public.
    Le titre II de l'accord organise la coopération directe dans les zones frontalières qu'il définit. Les unités territoriales compétentes en matière de police et de douane sont : la police nationale, la gendarmerie nationale et la douane du côté français et la police locale, la police fédérale et l'administration des douanes et accises, du côté belge. Les missions et la durée du détachement de ces agents sont définies d'un commun accord dans l'acte de détachement. Ils ne sont en aucun cas compétents pour exécuter de manière autonome des mesures de police. Des réunions des responsables des unités territoriales concernées sont prévues, à échéance régulière et en fonction des besoins opérationnels, pour dresser le bilan de la coopération bilatérale, préparer les interventions et les recherches communes, organiser des patrouilles et des exercices frontaliers communs, s'accorder sur les besoins de coopération prévisibles et échanger des informations d'ordre statistique.
    L'échange de lettres du 10 juin 2002 entre les deux ministres de l'intérieur précise les conditions de mise en oeuvre des patrouilles mixtes dans la zone frontalière. Les agents de l'Etat sur le territoire duquel se déroule la patrouille conjointe peuvent naturellement procéder à des contrôles et interpellations ; les agents de l'autre Etat sont présents en qualité d'observateurs et porteurs de leur uniforme et arme individuelle de service dont ils pourront faire usage, bien évidemment dans le strict respect de la légitime défense. Conformément aux articles 42 et 43 de la convention de Schengen, ces agents seront soumis au régime de responsabilité civile et pénale de la partie sur le territoire de laquelle ils se trouvent.
    Telles sont, monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, les principales dispositions de l'accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement du Royaume de Belgique relatif à la coopération transfrontalière en matière policière et douanière, signé à Tournai le 5 mars 2001, et de l'échange de lettres du 10 juin 2002, qui font l'objet du projet de loi aujourd'hui proposé à votre approbation. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à M. Marc Reymann, suppléant M. André Schneider, rapporteur de la commission des affaires étrangères.
    M. Marc Reymann, suppléant M. André Schneider, rapporteur de la commission des affaires étrangères. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je supplée, pour ce rapport, M. André Schneider, retenu par un deuil.
    L'accord franco-belge relatif à la coopération transfrontalière en matière policière et douanière prend place dans une suite d'accords bilatéraux conclus par la France avec les Etats voisins. Ces accords s'inscrivent dans le mouvement de renforcement de la coopération policière et judiciaire dans l'espace Schengen, corollaire de la suppression des contrôles aux frontières intérieures et de leur report aux frontières extérieures de cet espace.
    Le présent accord se fonde sur l'article 39 de la convention de Schengen de 1990, en vertu duquel les services de police des pays parties s'accordent, pour la prévention et la recherche des infractions, toute l'assistance prévue par le droit national. Cet article prévoit que dans les régions frontalières, des accords bilatéraux plus complets peuvent être signés entre Etats limitrophes.
    La coopération Schengen réunit aujourd'hui treize Etats de l'Union européenne. La France a, quant à elle, progressivement conclu des accords de coopération avec la plupart de ses voisins : avec l'Italie et l'Allemagne en 1997, mais aussi avec la Suisse, bien que cette dernière n'appartienne pas à l'espace Schengen, puis avec l'Espagne en 1998.
    La coopération bilatérale dans la région frontalière entre la Belgique et la France concerne principalement la lutte contre le trafic de drogues et contre l'immigration clandestine. En effet, les deux départements de la région Nord - Pas-de-Calais sont, de par leur position géographique, une zone sensible de transit des produits stupéfiants acheminés en provenance ou à destination des Pays-Bas, qui restent une véritable plaque tournante européenne de la drogue.
    Le rapport annuel de l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime, publié en juin 2003, indique que les Pays-Bas, la Belgique, mais également la Pologne, sont les principaux centres de production au monde de drogues de synthèse : ectasy, amphétamines et ses dérivés. Ces produits ont donc la particularité, contrairement à l'héroïne, à la cocaïne ou au cannabis, d'être fabriqués dans les pays de consommation. Et les pays producteurs n'ont pas, cette fois, l'excuse de la pauvreté. Cette production européenne alimente un trafic qui s'est fortement structuré au cours des années 1990, toujours en hausse. Le rapporteur a appelé le Gouvernement à faire pression sur nos partenaires européens pour que ce phénomène alarmant soit combattu avec plus de vigueur.
    La lutte contre le trafic des stupéfiants dans le Nord - Pas-de-Calais conduit les autorités françaises à entretenir des relations étroites avec les services répressifs belges afin de contrôler les voies d'acheminement tant terrestres que maritimes. L'augmentation continue de la consommation de stupéfiants dans les pays de l'Europe du Nord, la détection d'unités de fabrication de drogues de synthèse en Belgique forment un contexte qui appelle la coopération la plus poussée entre les deux pays.
    Du fait de cette caractéristique particulière de la région, la frontière franco-belge est la seule frontière intérieure pour laquelle la France n'a jamais levé les contrôles fixes, en application de la clause de sauvegarde de l'article 2, paragraphe 2 de la convention d'application de l'accord de Schengen.
    Par ailleurs, la Belgique est depuis plusieurs années une cible pour les candidats à l'immigration clandestine ou une destination de rebond à destination du Royaume-Uni. C'est pourquoi la pression migratoire en provenance de Belgique vers la France est constante.
    L'organisation des contrôles dans cette région frontalière est difficile. La frontière peut être franchie en quelque 200 points de passage carrossables non surveillés. D'autre part, cette frontière est dépourvue d'obstacle naturel : elle compte quatre autoroutes, parmi lesquelles l'A 16, construite aux normes Schengen, c'est-à-dire sans infrastructure de contrôle frontalier. Cette configuration rend difficile le travail des douaniers français, qui demandent plusieurs années l'aménagement d'aires pour stopper et contrôler les véhicules.
    L'accord bilatéral prévoit la mise en place de centres de coopération policière et douanière. Un premier centre a été inauguré en septembre 2002 à Douai. Son activité d'échange d'informations et de renseignements opérationnels est importante : il répond à 10 000 interrogations en moyenne et à 600 demandes par mois. La France a rempli ses engagements et affecté, de façon stable, l'ensemble des personnels prévus. La partie belge doit encore compléter ses effectifs, ce qui permettra d'atteindre le chiffre total d'une quarantaine d'agents des deux Etats.
    Le centre fonctionne bien, et la coopération entre services des deux Etats a gagné en efficacité et en volume ; le travail des différentes unités au sein de la même structure permet d'aplanir de nombreuses difficultés. Cependant, des obstacles subsistent, qui rendent difficile l'accomplissement des missions de police et de douane.
    La première question, déjà mentionnée, est celle de l'aménagement de points de contrôle pour les douanes. Une deuxième concerne le bon déroulement des procédures de réadmission : en ce domaine, la commission des affaires étrangères appelle le Gouvernement à obtenir des autorités belges la pleine application des accords. Celles-ci opposent, en effet, des difficultés à la réadmission des étrangers interpellés sur le territoire français en provenance de Belgique. Les chiffres sont parlants : les autorités belges ont réadmis 96 étrangers en 2002, alors que la France a réadmis 16 000 personnes pour la même année. Il faut souhaiter que les deux pays trouvent une solution à ces difficultés.
    De leur côté, les autorités belges souhaitent une évolution du droit français vers la reconnaissance d'un droit d'interpellation pour les agents de l'autre pays dans le cas de la poursuite transfrontalière. Il ne s'agit pas d'un cas d'école, car la poursuite transfrontalière est devenue fréquente, sinon quotidienne. La plupart des pays voisins admettent déjà ce droit, notamment l'Allemagne, qui l'admet en faveur des policiers et douaniers français même sans réciprocité.
    Il serait souhaitable que des travaux soient engagés sur cette question du côté français, car notre position est mal comprise de nos partenaires, et, par ailleurs, l'approfondissement de la coopération au quotidien a créé le cadre et le climat propices à une telle évolution. L'impossibilité opposée par la jurisprudence française à l'interpellation de malfaiteurs sur notre territoire par les policiers belges dans le cas d'une poursuite est mal comprise des autorités belges, qui ont déjà admis ce droit.
    Le ministre de l'intérieur a annoncé, en septembre, une réflexion sur ce sujet. Les besoins de la sécurité dans les régions frontalières exigent une évolution de notre part, car notre système a pour effet d'opposer une frontière infranchissable aux policiers, ce dont profitent les malfaiteurs.
    De plus, l'interdiction d'interpeller est difficile à faire respecter dans les conurbations de la région frontalière belge, où l'on peut franchir la frontière sans s'en rendre compte, aucune délimitation ou espace frontalier ne séparant un quartier urbain français du quartier urbain voisin belge.
    Enfin, les agents français relèvent une dernière difficulté, dont la solution aurait pu être apportée par le présent accord. L'accord de Tournai n'a pas prévu la possibilité, tant pour les agents des CRS ou de la PAF que pour les douaniers, de pouvoir, lorsqu'ils ont emprunté l'autoroute A 16 pour les besoins du service, faire demi-tour en Belgique pour revenir en France, en dehors des cas de patrouille mixte ou de poursuite déjà prévus. Or ces agents empruntent quotidiennement une portion belge de l'autoroute pour se rendre sur une aire de repos située en territoire français où les contrôles routiers peuvent être effectués.
    Une disposition adéquate avait été prévue dans l'accord de Mondorf, conclu en 1997 avec l'Allemagne, afin de répondre à un tel problème. Une solution semblable doit être mise au point pour éviter que les agents ne se trouvent en situation d'irrégularité sur le territoire belge avec leur arme de service, hors les cas prévus par les accords bilatéraux.
    Enfin, il importe de garder à la région Nord - Pas-de-Calais des effectifs policiers et douaniers suffisants. Cette région, comme l'Alsace d'ailleurs, reste le lieu de passage de nombreux réseaux criminels - immigration clandestine, alcools, tabac, stupéfiants - en provenance des pays de l'Est et à destination du Royaume-Uni. Or si la police aux frontières a été renforcée, les douanes devraient perdre plusieurs centaines d'agents.
    Sous réserve de ces observations, la commission des affaires étrangères a donné un avis favorable au présent projet de loi. (Applaudissements sur les bancs de l'Union pour un mouvement populaire.)

Discussion générale

    M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Patrick Delnatte.
    M. Patrick Delnatte. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, en tant qu'élu d'une circonscription frontalière à la Belgique et en ma qualité de président du groupe d'amitié France-Belgique, je ne peux que me réjouir de voir notre assemblée examiner enfin cet accord de coopération policière et douanière entre la France et la Belgique, qui répond à une réelle nécessité de part et d'autre de la frontière.
    Pour les habitants de cette zone frontalière qui s'étend de Dunkerque à Longwy, la frontière devient chaque jour plus immatérielle. Le Grand Lille, par exemple, représente un tissu urbain qui s'étend sans rupture de l'agglomération lilloise jusqu'aux régions de Tournai et de Courtrai. Mais comme toute médaille a son revers, cette perméabilité dans les échanges quotidiens a favorisé le développement d'une certaine délinquance transfrontalière, en particulier dans la métropole lilloise, où l'intensité des échanges est la plus forte. La lutte contre les trafics illicites et la lutte contre l'immigration clandestine sont évidemment parmi les principaux domaines de coopération bilatérale, du fait de la proximité géographique avec les Pays-Bas et le Royaume-Uni.
    Je me permettrai d'insister sur l'importance de la lutte contre la délinquance transfrontalière au quotidien, car c'est cette délinquance qui participe pour l'essentiel au sentiment d'insécurité. Davantage de délits sont commis en France qu'en Belgique, et la part des Français délinquants qui sévissent en Belgique est plus importante. Cette délinquance ne diffère en rien de celle que l'on rencontre ailleurs, à ceci près que la frontière a trop longtemps servi de protection aux auteurs. Il faut mettre fin à cette situation et cet accord de coopération va le permettre.
    Cela dit, certaines situations sont spécifiques au Nord. Je pense en particulier aux situations d'insécurité provoquées par la concentration en Belgique de nombreux « méga-dancings », ouverts sans interruption tout le week-end et fréquentés majoritairement par des jeunes Français. Ces établissements induisent parfois des phénomènes de consommation addictive, des trafics de stupéfiants ou encore des situations de violence. Ces comportements ont malheureusement des conséquences dramatiques en termes de sécurité routière.
    La coopération est donc une nécessité. Certes, elle existait déjà mais elle avait besoin de nouvelles possibilités, que vient de lui donner l'accord de Tournai.
    Ainsi, des patrouilles mixtes transfrontalières sont mises en place. Elles ont vocation à être généralisées, comme l'a dernièrement annoncé le ministre de l'intérieur. La mise en place d'un centre de coopération policière et douanière constitue une autre innovation, et je tiens à souligner, pour l'avoir constaté sur place, que ce système fonctionne bien. C'est un outil de « facilitation » au service des unités de terrain. Grâce au recul dont il dispose, ce centre a une vue plus large des réalités, ce qui lui permet de pointer les difficultés. Trop souvent, en effet, l'application des textes internationaux bute sur des détails. Le CCPD est là pour mettre en lumière les problèmes qui subsistent.
    Parmi eux, celui du port d'armes est enfin résolu. En ratifiant cet accord, nous levons toute incertitude quant au port d'armes qui, jusqu'à présent, n'était accordé que pour un temps déterminé, souvent pour une opération donnée et suite à un échange de lettres dont la valeur juridique n'était pas très forte. Avec cet accord, le problème est bien réglé.
    D'autres problèmes importants restent, en revanche, à résoudre, en particulier en matière de droit de poursuite et d'interpellation. A ce jour, le droit de poursuite d'un délinquant au-delà de la frontière ne s'applique pas à tous les actes de délinquance, ce qui ne manque pas de poser problème dans la lutte contre la petite délinquance. De même, la France n'accepte pas qu'un policier poursuivant un étranger puisse procéder à une interpellation sur son territoire. D'autres pays s'accordent mutuellement ce droit et la Belgique est prête à le faire. Tant que nous maintiendrons l'interdiction, ce pays n'acceptera pas, par réciprocité, d'accorder ce droit aux policiers français. Cette situation est mal vécue par les forces de l'ordre, mal comprise par nos voisins et reste un obstacle important à l'efficacité de la coopération.
    Lors de la séance des questions d'actualité du 5 novembre dernier, en réponse à une question que je lui posais à ce sujet, le ministre de l'intérieur avait eu cette formule qui résume bien le problème : « Les frontières n'arrêtent plus aujourd'hui que la police. »
    Le Gouvernement a interrogé le Conseil d'Etat sur la possibilité juridique d'un droit d'interpellation réciproque. Il est hautement souhaitable que des avancées puissent être obtenues dans ce domaine.
    Je ne doute cependant pas que la forte volonté politique qui anime nos deux pays permettra d'aplanir ces difficultés pour rendre notre coopération policière et douanière toujours plus réactive et plus efficace.
    Le Premier ministre a affirmé la volonté d'inscrire dans les lois de décentralisation la possibilité d'expérimentation pour les collectivités territoriales en citant en exemple la coopération transfrontalière entre la France et la Belgique. Après la visite d'Etat du roi des Belges à Paris et à Lille sur le même et après la décision du dernier CIADT de mettre en place une mission parlementaire franco-belge pour lever les obstacles juridiques, le groupe UMP se félicite de ces avancées et approuve ce projet de loi.
    Le Sénat ayant ratifié hier la convention de coopération transfrontalière pour les collectivités territoriales, je souhaite, madame la ministre, que le Gouvernement l'inscrive rapidement à l'ordre du jour de notre assemblée. C'est un complément indispensable pour améliorer la vie des habitants frontaliers et saisir toutes les possibilités de développement. Croyez-moi, madame la ministre, le Nord et les autres départements frontaliers en ont bien besoin ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La discussion générale est close.
    J'appelle maintenant l'article unique du projet de loi.
    Je ne suis saisi d'aucune demande d'explication de vote.
    Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.
    (L'article unique du projet de loi est adopté.)

5

CONVENTIONS DE L'ORGANISATION
INTERNATIONALE DU TRAVAIL
RELATIVES AUX GENS DE MER

Discussion, selon la procédure d'examen simplifiée,
d'un projet de loi

    M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi autorisant la ratification des conventions de l'Organisation internationale du travail n° 163 concernant le bien-être des gens de mer, en mer et dans les ports, n° 166 concernant le rapatriement des marins, n° 178 concernant l'inspection des conditions de travail et de vie des gens de mer, n° 179 concernant le recrutement et le placement des gens de mer, n° 180 concernant la durée du travail des gens de mer et les effectifs de navires, et du protocole relatif à la convention n° 147 concernant les normes minima à observer sur les navires marchands (n°s 453, 759).
    Je rappelle que ce texte fait l'objet d'une procédure d'examen simplifiée, dans les conditions prévues à l'article 106 du règlement.
    La parole est à Mme la ministre déléguée à l'industrie.
    Mme Nicole Fontaine, ministre déléguée à l'industrie. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, le Gouvernement a la volonté de mieux assurer la sécurité maritime. La prise en compte de l'élément humain dans le renforcement de cette sécurité et la nécessité de favoriser le développement de meilleurs règles sociales au profit des gens de mer apparaissent comme des éléments essentiels à la réalisation de cet objectif.
    Puis-je rappeler ici que 80 % des accidents maritimes dans le monde sont dus au facteur humain, car ils sont liés aux mauvaises conditions de vie et de travail des marins et qu'un nombre encore trop important de navires sont abandonnés dans les ports avec des conséquences sociales et humaines souvent désastreuses pour les équipages laissés-pour-compte ?
    Compte tenu du caractère international des activités de commerce maritime, ces préoccupations ne peuvent avoir de sens que si elles trouvent une dimension internationale et si elles sont partagées, portées et contrôlées par les instances compétentes, notamment au sein de l'Union européenne et à l'Organisation internationale du travail. Cette dernière, particulièrement intéressée par le domaine maritime, y a consacré environ 45 % de son activité normative. Sous son égide, des séries de conventions ont été adoptées en matière maritime depuis 1926, et notre pays est de ceux qui en ont ratifié le plus grand nombre.
    Elaborées en assemblée tripartite, réunissant gens de mer, armateurs et gouvernements, ces conventions fixent les normes minimales que les pays employeurs et fournisseurs de main-d'oeuvre maritime s'engagent à respecter après ratification.
    Les six instruments juridiques internationaux que je vous propose aujourd'hui ont pour objet de renforcer la promotion d'un travail décent dans le transport maritime. Permettez-moi de vous en donner la teneur.
    Tout d'abord, la convention n° 163 vise à favoriser la mise à disposition des gens de mer, des moyens ou service de bien-être en mer et dans les ports, dans le domaine de la culture, des loisirs et de l'information. Elle interdit toute discrimination, notamment en fonction de la race ou de la nationalité, dans l'accès à ces moyens et à ces services et elle prévoit que leur adaptation fera l'objet d'un examen périodique.
    La convention n° 166 organise le rapatriement des marins, notamment ceux qui sont abandonnés dans les ports, et règle la prise en charge des frais afférents. Elle fixe le principe de la responsabilité de l'armateur pour l'organisation du rapatriement, obligation qui incombe par défaut à l'Etat d'immatriculation du navire. La ratification de ce texte par la France contribuera à la prévention et au règlement de situations souvent dramatiques, et constituera, à n'en pas douter, un signal fort pour le secteur maritime, notamment dans la perspective des travaux menés, sous présidence française, à l'OMI et à l'OIT sur l'abandon des marins.
    La convention n° 178 prévoit l'organisation et les conditions d'intervention de l'inspection des conditions de travail et de vie des gens de mer et remplace la recommandation sur l'inspection du travail des gens de mer de 1926. Désormais, les Etats membres veillent à ce que tous les navires immatriculés sur leur territoire soient inspectés à des intervalles n'excédant pas trois ans, ou bien en cas de plainte ou de preuve qu'un navire immatriculé sur leur territoire ne se conforme pas à la législation nationale.
    La convention n° 179 fixe les normes encadrant le fonctionnement des sociétés assurant les services de recrutement et de placement des gens de mer. Elle a pour objet de moraliser et de mieux gérer le recours aux prestataires de main-d'oeuvre maritime, ainsi que de sensibiliser les pays fournisseurs de main-d'oeuvre maritime à la nécessité de mieux contrôler les recrutements.
    La convention n° 180, obtenue principalement, je le rappelle, à l'initiative de la France, établit les règles applicables en matière de temps de travail des marins. Elle précise les limites des durées quotidienne et hebdomadaire de travail ainsi que le nombre minimal d'heures de repos. Elle impose l'obligation d'un effectif embarqué suffisant, en nombre comme en qualité, pour garantir la sécurité de l'expédition maritime, et elle prévoit à cet égard la responsabilité de l'armateur et du capitaine.
    Le protocole à la convention n° 147 est un instrument d'une construction complexe. Il complète la convention n° 147, qui prévoyait déjà l'adhésion à onze conventions antérieures et permettait ainsi de faire respecter des normes sociales minimales aux navires marchands faisant escale dans les ports.
    Le protocole ajoute à ce socle minimum six nouvelles conventions : deux de manière obligatoire - la 133, sur le logement des équipages et la 180, dont je viens de parler -, ainsi que quatre autres facultatives - la 108, sur les pièces d'identité des gens de mer, la 135, relative aux représentants des travailleurs, la 164, sur la protection de la santé et les soins médicaux des gens de mer, et la 166, que j'ai évoquée également.
    Au sein de l'Union européenne, les pays concernés se sont engagés à mettre en oeuvre les conventions internationales ayant pour objet, notamment, d'harmoniser par le haut les conditions sociales dans la navigation maritime. Différentes directives du Conseil, du Parlement européen, ou recommandations de la Commission, ont demandé aux Etats membres d'engager les procédures de ratification de ces conventions, notamment de la convention n° 180 et du protocole à la convention n° 147.
    Les dispositions de ces conventions sont généralement conformes au droit français existant. Toutefois, certaines modifications de notre droit interne seront nécessaires, en particulier l'adaptation du décret n° 83-793, pris en application de l'article 25 du code du travail maritime, relatif à la durée du travail. Ce même code devra faire l'objet de modifications législatives touchant à la durée du travail, aux conditions de rapatriement des marins, aux dispositions sur le placement des marins. Quant à l'inspection du travail maritime, des dispositions législatives devront compléter l'étendue de ses missions et instaurer des sanctions pénales pour obstruction à l'exercice des fonctions des inspecteurs. La mise en oeuvre de la convention sur le bien-être des marins en mer et dans les ports conduira à la modification du décret du 17 janvier 1977 relatif à l'hygiène et à la prévention des accidents du travail des gens de mer, ainsi qu'à la mise en place d'un conseil national du bien-être des gens de mer.
    Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, la ratification de cet ensemble de conventions et du protocole concernant le secteur maritime correspond au souci, fortement affirmé par notre pays, de la nécessaire prise en compte de l'élément humain dans la sécurité maritime, et se double d'une volonté de l'Union européenne de faire progresser l'harmonisation sociale, particulièrement dans ce domaine. Elle permettra également à notre pays de contribuer à la modernisation du droit social international et lui donnera l'occasion de conforter sa position au sein de l'OIT entre les gouvernements, les représentants des armateurs et des gens de mer, en faveur d'une convention unique sur le travail décent dans l'industrie maritime, convention dont l'actualité montre l'urgence et la nécessité.
    Il me semble utile de souligner que ces travaux sont soutenus financièrement par la France, qui assume la présidence du groupe de travail constitué à cet effet.
    Telles sont, monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, les principales dispositions des conventions n°s 163, 166, 178, 179, 180, et du protocole à la convention n° 147 de l'OIT qui font l'objet du projet de loi aujourd'hui proposé à votre approbation. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à M. le rapporteur de la commission des affaires étrangères.
    M. Guy Lengagne, rapporteur de la commission des affaires étrangères. Madame la ministre, vous avez très rapidement, mais de façon suffisamment claire, évoqué les six conventions. Cela me permettra de ne pas y revenir.
    Ces textes auraient dû être présentés dans notre hémicycle au mois de mars. Or il nous a fallu procéder à une petite révolution de palais pour contourner un obstacle que je vais exposer en quelques mots, surtout à l'intention de ceux qui ne sont pas spécialistes des problèmes maritimes. En effet, le règlement de notre assemblée nous interdisait - on comprend pourquoi - d'amender les projets de loi autorisant la ratification de traités ou de conventions. Le Gouvernement nous mettait en situation délicate en nous présentant un projet contenant six conventions, puisqu'il nous était impossible d'en approuver certaines et pas d'autres : nous devions voter sur le « paquet ».
    Lors de la réunion de la commission des affaires étrangères, j'avais évoqué cette difficulté et j'avais dit - bien que je sois pour la paix dans les ménages ! - que je trouvais cela d'autant plus anormal que le Sénat, lui, avait le privilège de pouvoir amender ces textes. Nous avons donc demandé l'ajournement.
    Parallèlement, le président de la commission des affaires étrangères et celui de la commission des lois se sont mis d'accord pour proposer une modification de notre règlement, qui était d'ailleurs à l'époque en cours de révision. Désormais, nous pouvons amender ces projets : aujourd'hui est une première à cet égard !
    Voilà pourquoi l'examen de ce texte a quelque peu traîné, mais le Gouvernement devrait nous en remercier, car cela nous permettra, grâce à un amendement que je présenterai tout à l'heure, d'ajouter un petit morceau de texte qui avait été oublié. De surcroît, nous pourrons montrer que la France est à l'avant-garde, en ratifiant aussi rapidement un texte élaboré au mois de juin !
    Sur le fond, je n'avais pas contesté, pas plus que la commission, l'utilité des conventions de l'OIT soumises à notre examen. Sans faire l'historique de toute l'évolution du trafic maritime, je rappelle que les chocs pétroliers et la crise économique des années 70 ont réduit fortement le besoin de transports maritimes pendant une quinzaine d'années, ce qui a entraîné une surcapacité de la flotte mondiale et, en conséquence, une chute des rémunérations. Comme toujours dans ce genre d'affaires, c'est le personnel, donc les marins qui en ont fait les frais ! Puis, les immatriculations sous pavillon de complaisance se sont multipliées - un certain nombre d'armateurs français ont ainsi fait fuir leur flotte - et les flottes de pavillon national des pays développés, qui avaient massivement dominé jusque-là le transport maritime mondial, se sont progressivement réduites.
    C'est dire que la libéralisation des marchés et leur déréglementation se sont accompagnées de la déstabilisation du transport maritime alors même que la faillite d'une entreprise laissait disponible sur le marché la capacité de transport qu'elle représentait, reprise mais sous un autre régime d'exploitation - la main-d'oeuvre constituant la principale variable d'ajustement tant en termes de salaires, que de protection sociale ou de niveau de qualification.
    On a assisté alors à un vieillissement de la flotte, un mauvais entretien des navires, et surtout à l'apparition d'équipages composites et souvent sous-qualifiés.
    Les organisations internationales concernées ont d'abord réagi en élevant les standards, puis ont été confrontées aux questions de leur applicabilité, ou du moins du contrôle de leur application, questions qu'affrontent encore, d'ailleurs, tant l'OMI - Organisation maritime internationale - que l'OIT pour ce qui concerne les marins.
    L'OIT a cherché à harmoniser les règles sociales applicables aux marins, afin d'assurer un minimum de protection et de droits sociaux - vous l'avez dit, madame la ministre - et de limiter le dumping social, qui favorise les flottes sous pavillon de complaisance et qui pose par ailleurs des problèmes de sécurité maritime.
    Les conventions que nous examinons aujourd'hui ont donc pour objet d'imposer des règles minimales, je vous renvoie sur ce sujet à l'exposé de Mme la ministre et à mon rapport écrit.
    Madame la ministre, je me permettrai de développer un point que vous avez évoqué, en indiquant qu'un certain nombre de textes que nous allons approuver sont déjà appliqués en France. On peut même affirmer que notre pays est à l'avant-garde en ce domaine. Mais - et je répondrai sur ce point à l'un de mes collègues - que les choses soient claires, la réglementation qui s'applique est la réglementation française. Il n'est aucunement question - et je m'insurgerais si ce n'était pas le cas - d'abaisser le niveau de protection des gens de mer. Gardons ce qu'il y a de mieux chez nous !
    M. Jean-Yves Besselat. Bien sûr !
    M. Guy Lengagne, rapporteur. Cela dit, vous avez reconnu, madame la ministre, que, sur certains points, nous devions encore réaliser des avancées, dès l'instant que ces textes seraient ratifiés.
    Certains points n'avaient pas été évoqués au mois de mars. C'est pourquoi la commission a adopté cet après-midi deux amendements qui permettront au Gouvernement de ratifier les conventions n°s 164 et 185, qui concernent également les normes applicables aux gens de mer.
    Je voudrais maintenant vous interroger, madame la ministre, sur un point qui préoccupe toutes celles et tous ceux qui s'intéressent aux problèmes maritimes.
    Vous savez qu'une proposition de loi de M. Henri de Richemont créant un registre international français a été adoptée par le Sénat et devrait venir en débat devant notre assemblée dans quelques semaines. Je souhaite très clairement que les conventions dont nous venons d'approuver la ratification s'appliquent à tous les marins sans exception qui travailleront sur les bateaux inscrits au registre international français. Il me paraîtrait tout à fait scandaleux que le Gouvernement accepte, pour des raisons qui lui appartiendra d'expliquer, la création d'un tel registre et qu'on n'oblige pas les armateurs à appliquer ces conventions sur les navires qui y sont inscrits.
    Je souhaiterais que vous nous apportiez des explications très positives sur ce sujet.
    En conclusion, lors d'une séance tenue en début d'après-midi, la commission des affaires étrangères a finalement donné un avis favorable à l'adoption du présent projet de loi complété par les trois amendements que j'aurai tout à l'heure l'honneur de vous présenter.

Discussion générale

    M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Daniel Paul.
    M. Daniel Paul. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce projet de loi de ratification de plusieurs conventions est important. Selon le compte rendu du conseil des ministres, « ces textes traduisent l'adaptation de la législation internationale aux nouvelles méthodes de gestion et à l'évolution des techniques maritimes et portuaires ». Ces conventions sont également censées prendre en compte les changements observés dans les conditions d'emploi, les qualifications exigées, la taille et la composition des équipages.
    Selon vous, la ratification de cet ensemble de textes aurait pour objet de permettre à notre pays de contribuer à la modernisation du droit social maritime international et d'oeuvrer en faveur de conditions de travail décentes dans l'industrie maritime. Or force est de constater que cette ratification, venant sept à treize ans après les négociations des textes, rend pour le moins difficile leur lisibilité.
    Aujourd'hui, la question qui nous est posée est ambiguë. Certes, sur le plan international, la ratification, même tardive, de ces conventions, constitue une avancée. Elle crée des minima à l'échelle mondiale. Par contre, dans les traités fondateurs de la Communauté européenne, il n'était pas question de faire référence aux conventions élaborées au niveau de l'OIT. Le risque existe dès lors que ces textes servent de base, de prétexte, pour tirer vers le bas le statut des marins français.
    Est-ce un hasard de calendrier ? Le projet de ratification soumis à notre approbation arrive seulement quelques jours après que le Gouvernement a officiellement présenté son projet de registre international français, le RIF, qui constitue en fait un pavillon de complaisance, avec un vernis français. L'argument qui consiste à prévoir un retour massif, sous le RIF, de navires actuellement sous pavillon tiers, est balayé par les acteurs sociaux qui se souviennent qu'on leur avait promis la même chose à propos du pavillon du TAAF et que l'on ne compte plus que 9 500 marins aujourd'hui.
    Sans entrer dans les détails, car ce n'est pas notre ordre du jour, même si cela doit venir en discussion, soyez convaincu de notre opposition totale au projet de RIF qui nous inquiète sur de nombreux points : l'exigence minimale limitée à un capitaine et un suppléant de nationalité française, l'abandon de toute contrainte quant au quota de navigants communautaires, les exonérations des charges sociales patronales.
    Au-delà d'une remarque d'ordre général sur la ratification très tardive, les conventions 163 et 166 n'entraînent pas de remarque particulière. Notons que cette dernière a le mérite de manifester sa volonté de prévenir et de régler les situations de marins abandonnés dans les ports nationaux. Pour être élu du Havre, je sais, comme d'autres élus portuaires ici, les souffrances de ces marins.
    La convention n° 178 sur l'inspection du travail des gens de mer édicte, elle aussi, les règles minimales d'inspection des conditions de travail et de vie des gens de mer au niveau international.
    En France, c'est un décret du 7 juin 1999 qui prévoyait la mise en place des inspecteurs maritimes du travail. Elle n'a commencé, faute de moyens financiers, qu'au début de 2003, et n'est à ce jour par encore achevée sur l'ensemble de notre littoral.
    L'essentiel nous semble être dans la convention n° 179 qui, selon l'exposé des motifs, « fixe les normes encadrant le fonctionnement des sociétés assurant les services de recrutement et de placement des gens de mer ». Le verbe est relativement abondant mais, derrière les mots, on cherche en vain les contraintes qui encadreraient réellement concrètement cette pratique. Pourtant, ce texte devrait permettre « de limiter le démembrement de la fonction d'armateur qui contribuerait à rendre opaque la chaîne du transport maritime et à diluer les responsabilités ».
    A l'origine, en 1920, les sociétés de main-d'oeuvre étaient interdites, mais, en 1996, à Genève, les syndicats du nord de l'Europe, constatant que, dans les faits, les marchands d'hommes s'en donnaient à coeur joie, ont proposé de revenir sur l'interdiction stricte pour que l'on tolère cette pratique tout en l'encadrant.
    Par exemple, les services de recrutement devront disposer d'un agrément de l'Etat. On touche là à l'importante question des pavillons de complaisance. D'ailleurs, le texte nous invite à ne pas nous faire trop d'illusions, puisqu'il est ajouté dans l'article 2 : « La prolifération excessive de ces services de recrutement et de placement privés ne devra pas être encouragée ». On ajoute plus loin qu'il conviendra d'obliger les services de recrutement à prendre des dispositions pour s'assurer, dans la mesure où cela est réalisable, que l'employeur a les moyens d'éviter l'abandon des gens de mer dans un port étranger.
    M. le président. Je vous demande de bien vouloir conclure, monsieur Paul.
    M. Daniel Paul. Je conclus, monsieur le président.
    La convention n° 180 porte sur la durée du travail des gens de mer et les effectifs des navires. Elle a, dit-on, été obtenue à l'initiative de la France.
    Elle révise, comme vous le savez, une convention de 1958 qui, en plus de ces deux sujets, portait sur les salaires. Or, sur cette question, silence radio, alors que, depuis la fin des années 1990, le syndicat patronal s'en tient à de simples recommandations, renvoyant les accords au niveau des entreprises et trop souvent aux calendes grecques.
    Pour conclure sur un plan plus général et à partir des inquiétudes légitimes et de l'opposition qu'entraîne le projet de création du RIF, si vous persistez dans ce mauvais projet, cela revient à mettre en place un registre de non-droit pour le pavillon français. Il n'y aura que les ferries passagers qui demeureront au premier registre. Pour de prétendus objectifs de rentabilité, faisant fi de toutes les problématiques de sécurité et de préservation de l'environnement, les armateurs rêvent de se référer aux normes minimales internationales évoquées aujourd'hui.
    Or ce qui constitue une avancée significative et souhaitable pour des marins issus de certains pays en voie de développement représente un risque de recul sans précédent pour un pays comme le nôtre. Désormais, alors que l'on pouvait s'attendre à ce que, dans le cadre européen, on bâtisse des règles communautaires maritimes à partir du mieux-disant social, l'Europe, votre Europe, ne joue pas son rôle en proposant d'aligner les conditions de vie des marins et des gens de mer sur les plus bas niveaux. C'est la logique du RIF, même si celui-ci fait référence aux normes ITF.
    Nous nous opposons à cette logique libérale. C'est pour cette raison que nous voterons contre la ratification de ces conventions, conscients qu'elles représentent un progrès sensible pour les marins étrangers, mais conscients également des risques qu'elles comportent pour l'ensemble des marins français et communautaires, notamment au moment où vous vous entêtez, contre l'avis unanime de la communauté maritime, à attaquer le pavillon français avec la création du RIF.
    M. Frédéric Dutoit. Très bien !
    M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Besselat.
    M. Jean-Yves Besselat. Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, nous sommes invités, cet après-midi, à autoriser la ratification de six conventions de l'OIT sur le bien-être des gens de mer, en mer et dans les ports, sur le rapatriement des marins, sur l'inspection des conditions de travail et de vie des gens de mer, sur le recrutement et le placement des gens de mer, sur la durée du travail de ces mêmes marins et les effectifs de navires ainsi que sur le protocole à la convention portant minima en matière de marine marchande.
    Ces conventions ont toutes pour objectif de consacrer des normes minimales applicables dans le secteur de la marine marchande afin de favoriser le développement des règles sociales au profit des gens de mer. Cette démarche, et cela vient d'être souligné, correspond au souci fortement affirmé par la France de la nécessité de prendre en compte l'élément humain dans la sécurité maritime et se double d'une volonté de l'Union européenne de faire progresser l'harmonisation sociale. Je suis de votre avis, monsieur Lengagne : quand la France est au-dessus des minima européens sur lesquels nous allons nous prononcer par cette ratification, elle doit conserver sa primeur et sa qualité en la matière,...
    M. Guy Lengagne, rapporteur. Très bien !
    M. Jean-Yves Besselat. ... et c'est le cas.
    Ces ratifications n'entraîneront que des modifications marginales de notre législation. La première, la convention 163, sur le bien-être des gens de mer, vise à mettre à la disposition des marins des moyens ou des services relatifs à l'hébergement, la restauration, la fourniture de loisirs ou des biens culturels, par exemple. En France, deux structures associatives remplissent déjà ce rôle. Cette ratification ne doit pas engendrer des transformation majeure dans la vie des marins, au sein du système français.
    La convention 166 présente l'intérêt d'organiser en un seul texte le rapatriement des marins employés sur les navires immatriculés sous pavillon français. Je pense que la ratification de cet article est également positive.
    La convention 178, sans doute l'une des plus importantes, sur l'inspection du travail des gens de mer, édicte les règles minimales d'inspection des conditions de travail et de vie des gens de mer. Il existe depuis 1996 une inspection du travail spécifique pour les marins, qui doit compter actuellement quinze agents. Ils ont notamment à traiter des conséquences humaines et sociales des crises que peuvent traverser certains secteurs d'activité comme la pêche.
    La convention 179, quant à elle, fixe les normes encadrant le fonctionnement des sociétés assurant les services de recrutement et de placement des gens de mer. C'est un encadrement positif, même si certains l'ont trouvé insuffisant.
    La convention 180, obtenue à l'initiative de la France, établit les règles applicables en matière de temps de travail des marins et précise les limites des durées quotidiennes et hebdomadaires du temps de travail, ainsi que le nombre minimal des heures de repos. Là encore, quoi de plus naturel que de protéger le travail des marins ?
    Enfin, le protocole additif à la convention 147 de 1976 sur la marine marchande contient les dispositions des conventions de l'Organisation maritime internationale en matière de sécurité et de formation. L'importance de ce point n'est pas à souligner.
    Sans doute ces conventions n'apportent-elles pas, je le répète, de réelles nouveautés à la législation française sur les gens de mer. Il est néanmoins important d'autoriser leur ratification, afin de permettre à la France de conforter sa position dans le suivi des travaux menés au sein du BIT.
    Le groupe UMP, madame la ministre, approuvera naturellement la ratification de l'ensemble de ce texte.
    Je voudrais, d'un mot, terminer sur un sujet qui a été évoqué, même s'il n'est pas à l'ordre du jour, le Registre international français.
    La flotte française, il y a vingt-cinq ans, comportait 900 navires sous pavillon français, elle en a 214 aujourd'hui. Nous étions la quatrième nation pour le nombre des navires et le tonnage. Nous sommes vingt-huitième. Nous sommes le cinquième exportateur mondial. La France avait-elle une stratégie de développement de la marine marchande ? Hier, elle n'en avait pas. Aujourd'hui, sous l'impulsion de notre gouvernement, de Dominique Bussereau et de vous-même, madame la ministre, nous en avons une. Il faut en discuter. Je pense que c'est un projet salvateur. Ce que j'ai entendu mérite débat naturellement, mais je tiens à m'inscrire en faux sur ce qui a pu être dit sur certains bancs de l'hémicycle, simplement pour prendre position sur l'avenir. (Applaudissement sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

    M. le président. La discussion générale est close.
    Conformément à l'article 106 du règlement, je n'appellerai pas les articles qui ne font l'objet d'aucun amendement.
    Nous en venons donc directement à deux amendements portant article additionnel.

Après l'article 1er

    M. le président. Je suis saisi de l'amendement n° 1.
    La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir cet amendement.
    M. Guy Lengagne, rapporteur. Tout d'abord une petite remarque : c'est au fond le premier passage aux travaux pratiques, après modification du règlement de notre assemblée, puisque ce doit être la première fois que l'on va amender une loi de ratification d'une convention ou d'un traité, en l'occurrence de plusieurs conventions.
    Il s'agit d'autoriser la ratification d'une convention supplémentaire, la convention n° 164 de l'OIT sur la protection de la santé et les soins médicaux des gens de mer. En effet, le présent projet de loi autorise la ratification de l'ensemble des conventions de l'OIT relatives aux gens de mer signées par la France en 1987 et en 1996. L'absence de celle-ci ne résulte nullement d'une volonté de ne pas ratifier une convention difficilement séparable des autres. D'ailleurs, le protocole à la convention n° 147 que nous examinons dans le cadre du présent projet de loi renvoie à un certain nombre de conventions dont la convention n° 164. Il semble donc indispensable d'autoriser le Gouvernement à procéder à la ratification de cette convention, signée depuis déjà seize ans, en même temps que les autres. La France pourra ainsi mieux combler son retard en matière de ratification des conventions de l'OIT.
    Je précise que cet amendement a été adopté à l'unanimité par la commission des affaires étrangères.
    M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
    Mme la ministre déléguée à l'industrie. Il est vrai que, d'une façon générale, le Gouvernement n'est pas favorable à l'utilisation de la procédure d'amendement pour approuver un accord international en cours de débat parlementaire, et il ne souhaite pas créer un précédent. Toutefois, compte tenu des excellentes relations entretenues avec la commission des affaires étrangères, du fait que les partenaires sociaux se sont prononcés le 23 septembre dernier en faveur de l'approbation de ces deux conventions et en raison de l'existence d'un lien logique entre l'objet des six conventions initiales et celui des conventions n°s 164 et 185, je puis donner mon accord aux trois amendements de la commission présentés par votre rapporteur, M. Guy Lengagne.
    M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 1.
    (L'amendement est adopté.)

Après l'article 5

    M. le président. Je suis saisi de l'amendement n° 2.
    La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir cet amendement.
    M. Guy Lengagne, rapporteur. Cet amendement vise à autoriser la ratification de la convention n° 185 de l'OIT concernant les pièces d'identité des gens de mer. Je renvoie mes collègues à la lecture du texte, mais je vais essayer de le résumer pour montrer son intérêt. Cette convention révise la convention n° 108 adoptée en 1958 et devenue en partie obsolète.
    La question des pièces d'identité des marins est, en effet, fondamentale. Pour des raisons humaines évidentes, il est indispensable de permettre aux marins en escale de se déplacer sur la terre ferme. Un marin qui n'a pas de pièce d'identité ne pourra pas débarquer. En particulier lorsqu'il s'agit de pavillons de complaisance ou de pavillons à la limite de la complaisance, des marins dont le bateau longe un quai regardent la terre et n'ont pas le droit de descendre parce qu'ils n'ont pas de pièce d'identité. On comprend toutefois les raisons pour lesquelles on les empêche de descendre dans la mesure où on veut éviter ainsi l'immigration clandestine.
    Cette convention, que je vous conseille de lire, est extrêmement précise. On parle même de la nature du papier de la carte d'identité, de sa dimension. Les détails sont extraordinaires. Si nous l'adoptons, la France sera à l'avant-garde, puisque ce texte a été élaboré en juin 2003.
    C'est encore un ajout. La commission des affaires étrangères a également adopté cet amendement à l'unanimité.
    M. le président. Le Gouvernement a donné un avis favorable à cet amendement.
    Je mets aux voix l'amendement n° 2.
    (L'amendement est adopté.)

Titre

    M. le président. Sur le titre du projet de loi, je suis saisi de l'amendement n° 3.
    La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir cet amendement.
    M. Guy Lengagne, rapporteur. Le titre initial du projet de loi fait référence à six conventions. Dès lors que la ratification de deux conventions supplémentaires est autorisée du fait de l'adoption des deux amendements précédents, il convient de modifier le titre du projet de loi. Tel est l'objet de l'amendement.
    M. le président. Le Gouvernement a émis un avis favorable.
    Je mets aux voix l'amendement n° 3.
    (L'amendement est adopté.)
    M. le président. La parole est à Mme la ministre.
    Mme la ministre déléguée à l'industrie. Je souhaite répondre à la question que m'ont posée M. le rapporteur Guy Lengagne et M. Daniel Paul sur la portée de ces ratifications.
    Les conventions du BIT ratifiées par la France sont, bien sûr, toutes applicables de plein droit à nos navires inscrits au premier registre, comme à ceux qui le seront au futur registre international français.
    En revanche, s'agissant des navires contrôlés par des armements français, mais battant pavillon étranger, c'est la loi du pavillon qui s'applique. Dès lors, ces conventions ne sont applicables que si l'Etat en question les a ratifiées.
    Notre objectif est de faciliter ces ratifications et de promouvoir les normes sociales de l'OIT qui font l'objet d'un consensus international partagé par les partenaires sociaux. C'est pourquoi nous soutenons le programme du BIT pour un travail décent dans l'industrie maritime.
    M. Guy Lengagne, rapporteur. Merci de ces précisions !
    M. le président. Je ne suis saisi d'aucune demande d'explication de vote.
    Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi.
    (L'ensemble du projet de loi est adopté.)
    M. Guy Lengagne, rapporteur. A l'unanimité !

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ÉCONOMIE NUMÉRIQUE

Discussion, en deuxième lecture, d'un projet de loi

    M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion, en deuxième lecture, du projet de loi pour la confiance dans l'économie numérique (n°s 991, 1282).
    La parole est à Mme la ministre déléguée à l'industrie.
    Mme Nicole Fontaine, ministre déléguée à l'industrie. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, nous entamons aujourd'hui l'examen en deuxième lecture du projet de loi pour la confiance dans l'économie numérique, lequel a fait l'objet d'une première lecture devant l'Assemblée nationale en février dernier et devant le Sénat en juin.
    Vous savez l'importance que le Gouvernement accorde aux nouvelles technologies et à leurs usages. Ainsi, en présentant, dès le mois de novembre 2002, le plan RESO 2007, le Premier ministre a lancé la France dans la dynamique numérique. Cette impulsion était nécessaire et salutaire. Nous vivons en effet une véritable révolution et, chaque jour, nous en voyons de nouvelles manifestations. L'explosion de la bulle financière de l'Internet et des télécommunications ne doit pas occulter le développement fulgurant des usages réels du numérique, qui s'impose comme un phénomène mondial majeur.
    Or, dans ce contexte de révolution numérique, la France accuse un retard. Selon l'étude annuelle de l'Union internationale des télécommunications de décembre 2003, notre pays figure seulement à la vingtième place des pays les plus avancés sur le plan de la diffusion et de l'utilisation des technologies de l'information et de la communication.
    Dès lors, il convient d'agir le plus efficacement et le plus rapidement possible, en dégageant les leviers économiques et technologiques propres à mobiliser, dans les technologies de l'information et de la communication, la reprise de l'investissement et de la consommation dans ce secteur d'activité. Toute une série d'initiatives en ce domaine ont d'ores et déjà porté leurs fruits.
    Dès l'été 2002, j'ai suscité une baisse des tarifs de revente en gros de l'ADSL. Cette initiative a marqué un tournant majeur dans le développement du marché français, en permettant d'abaisser, avant la fin de cette même année, le tarif de l'abonnement mensuel grand public à trente euros par mois. Le résultat est là : la France connaît depuis une croissance fulgurante, la plus forte d'Europe. Le marché français de l'Internet haut débit croît, en effet, de 150 % en rythme annuel. Les décisions prises en vue d'une nouvelle baisse des tarifs, applicable en ce début d'année 2004, conforteront la croissance que nous constatons.
    En 2002, le montant des transactions sur Internet a connu un développement de 61 %. Ce rythme s'est accéléré en 2003, pour atteindre 70 %. Des secteurs entiers ont vu leur activité transformée : dans la vente à distance, plus de 10 % des commandes se font aujourd'hui par Internet ; dans le secteur des voyages, ce chiffre atteint près de 20 %.
    Le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie n'est pas en reste : en 2003, plus de 600 000 personnes ont fait leur déclaration d'impôt par Internet, soit cinq fois plus qu'en 2002, où l'on comptait 120 000 télédéclarants. Le Parlement vient, en outre, d'adopter, dans la loi de finances rectificative pour 2003, une réduction d'impôt de dix euros, à partir de 2005, pour tous les télédéclarants électroniques. A n'en pas douter, cette mesure contribuera à accroître encore le succès de ce service.
    La France est bien engagée dans une dynamique associant équipements et services. Le développement rapide des infrastructures ADSL a incité certains acteurs à proposer une offre de services audiovisuels, telle que la télévision sur ADSL, dont le lancement commercial a eu lieu en décembre dernier.
    Dans le domaine des technologies de l'information et de la communication et dans celui de l'économie numérique, le Gouvernement a choisi de sortir de la logique des grands plans et des grandes lois, grandes lois qui mettent tant de temps à être votées qu'elles sont parfois en décalage avec les technologies et les pratiques lorsqu'elles entrent en vigueur.
    Je rappelle que le projet de loi pour la confiance dans l'économie numérique est le premier texte français d'ensemble sur l'Internet. Son adoption est nécessaire pour créer un climat de confiance résultant de la fixation de règles du jeu claires pour les fournisseurs et d'une protection efficace des utilisateurs.
    Je suis certaine que cette loi contribuera, notamment, à atteindre deux objectifs essentiels pour le développement de l'économie numérique : la confiance des utilisateurs dans le réseau Internet, par la protection des mineurs et par la lutte contre les spam, cette publicité électronique intrusive et non sollicitée qui constitue aujourd'hui un problème majeur à l'échelle mondiale ; la lutte contre les contenus illicites et les atteintes aux droits de propriété intellectuelle, à laquelle il convient d'accorder, à juste titre, la plus grande attention.
    Plusieurs dispositions concernant les télécommunications ont été intégrées à ce texte. Elles sont à analyser en complément de deux autres textes : celui que j'aurai l'honneur de vous présenter à la fin de ce mois de janvier, qui vise à transposer les directives sur les communications électroniques - dans le jargon communautaire, le « paquet télécoms » -, et celui qui a été adopté récemment par le Parlement sur les obligations de service public des télécommunications et sur France Télécom.
    Je rappelle aussi que la directive du 8 juin 2000 sur le commerce électronique aurait dû être transposée avant le 17 janvier 2002. Le projet de loi que je vous présente mettra fin à ce retard pour lequel la France a reçu un avis motivé de la Commission européenne.
    Avant d'entrer dans le détail du projet de loi, je souhaite remercier tout particulièrement la commission des affaires économiques, son président, Patrick Ollier, et votre rapporteur, Jean Dionis du Séjour, qui s'est particulièrement investi dans ce dossier, pour le travail tout à fait remarquable qui a d'ores et déjà été accompli.
    Conformément aux orientations définies par le Conseil d'Etat dans son rapport de 1998 sur Internet, le projet de loi n'a pas cherché à créer un droit spécifique pour l'économie numérique, mais plutôt à l'insérer dans les textes existants en les adaptant. C'est ainsi qu'il modifie de nombreux codes : communication, consommation, commerce, civil, pénal, poste et télécommunications.
    Le projet de loi traite de plusieurs grands sujets : le cadre d'exercice de la communication en ligne, le commerce électronique et la publicité, la sécurité - en particulier la cryptologie et la cybercriminalité -, les télécommunications et plus particulièrement l'intervention des collectivités territoriales et la régulation.
    Le projet de loi définit pour la première fois la communication publique en ligne. Cette notion était utilisée, mais non définie, dans la loi du 1er août 2000 relative à la liberté de la communication. Les dispositions la concernant s'inséraient dans les chapitres relatifs à l'audiovisuel, rendant de fait le CSA compétent en matière d'Internet, ce qui était inadapté. Lors de l'examen du texte par le Sénat, en juin dernier, il a donc été décidé de conserver en l'état la définition de la communication publique en ligne, mais de limiter les pouvoirs de régulation du CSA au champ des services de radio et de télévision. Naturellement, cette limitation a été introduite en plein accord avec le CSA.
    Ainsi, le Gouvernement, guidé par la philosophie de ne pas bouleverser l'architecture légale actuelle, a choisi de conserver ce rattachement à la communication audiovisuelle en en précisant les limites. Vous vous en souvenez certainement, ce sujet avait fait l'objet de débats passionnés à l'Assemblée nationale en première lecture. Sans préjuger l'issue de la discussion, je gage que l'amendement que la commission des affaires économiques a adopté et qui vise à redéfinir la communication publique en ligne en créant un droit spécifique pour celle-ci sera l'une des grandes questions qui retiendront largement notre attention. (Sourires.)
    Depuis la sanction partielle par le Conseil constitutionnel de la loi du 1er août 2000, une incertitude juridique demeurait sur la responsabilité des opérateurs de l'Internet. La directive sur le commerce électronique intègre aussi des dispositions sur leur régime de responsabilité. La solution proposée se devait d'être conforme à la fois aux exigences de la directive et à la décision du Conseil constitutionnel. A cet égard, le projet de loi pose un principe général de limitation des responsabilités civiles et pénales des prestataires de l'économie numérique du fait des contenus qu'ils hébergent, stockent ou transmettent.
    S'agissant des prestataires d'hébergement et de stockage, la mise en cause de leur responsabilité est limitée au seul cas où, ayant effectivement connaissance d'activités ou d'informations illicites hébergées, ils n'auraient pas agi promptement pour en rendre l'accès impossible. Le dispositif retenu est conforme au code pénal, qui renvoie la responsabilité du contenu sur celui qui le crée et qui doit en assumer les conséquences. Toutefois, les intermédiaires hébergeant ou transmettant un contenu ne doivent pas, de leur côté, être complices de la diffusion d'un contenu illicite : leur responsabilité serait aussi engagée, le cas échéant.
    Pour lutter contre la diffusion de contenus illicites, notamment en cas de piratage, le projet de loi autorise le juge des référés à prendre toute mesure, y compris en ordonnant le filtrage au fournisseur d'accès à l'Internet, pour faire cesser l'accès à des contenus contrefaisant ou illicites.
    Rappelons que le commerce électronique a crû de 60 % en 2002 et qu'il semble avoir progressé de 70 % en 2003. Malgré tout, il ne représente encore qu'une faible part du commerce. Il ne pourra se développer massivement que si les consommateurs ont une entière confiance dans les procédures électroniques associées. Le projet de loi définit donc le cadre juridique applicable aux commerçants électroniques.
    Faut-il pour autant créer un régime spécifique de responsabilité pour le commerce électronique, d'autant plus que la définition communautaire inclut également des activités effectuées à titre gratuit ? Telle est l'une des questions que nous aurons à traiter lors de ce débat, au moment de l'examen d'un amendement adopté par la commission des affaires économiques.
    Pour l'essentiel, le projet de loi renforce la protection des consommateurs, qui doivent être largement et complètement renseignés sur l'identité des marchands électroniques. Les informations - nom, adresse, capital social, entre autres - devront être accessibles facilement et en permanence au cours des transactions.
    Parmi les grands problèmes épineux auxquels sont confrontés les internautes, il y a celui posé par les spam, c'est-à-dire ces millions, voir ces milliards de courriers électroniques publicitaires non sollicités. Il s'agit d'un phénomène de grande ampleur, générateur de nombreuses plaintes auprès de la CNIL. Je note aussi que le Congrès américain vient de voter une loi qui, bien que proposant une solution différente de celle retenue par l'Europe, a aussi pour objet de réprimer durement les spameurs.
    Pour autant, la publicité par voie électronique est aussi un moteur essentiel du commerce électronique. Il nous fallait donc trouver un dispositif équilibré et respectant ces différents contraintes. A cet effet, des règles de transparence et de protection des consommateurs sont instaurées. L'envoi de courriers électroniques ayant pour but la prospection commerciale directe est désormais interdit dans l'accord préalable des consommateurs. De plus, lorsque ces derniers reçoivent ces courriers électroniques à caractère publicitaire, ils doivent pouvoir en identifier facilement l'émetteur et avoir la faculté, à tout moment, de s'opposer à tout envoi ultérieur.
    M. Patrice Martin-Lalande. Très bien !
    Mme la ministre déléguée à l'industrie. En revanche, conformément à la directive européenne, la publicité électronique sans consentement préalable, à l'exception de celle faite par fax, est autorisée quand elle est destinée aux entreprises. La question qui se pose est de savoir s'il faut étendre ou non cette autorisation aux professionnels.
    Enfin, le projet de loi modifiant le régime applicable aux publicités par voie électronique, le mode d'utilisation des bases de données existantes des commerçants reste à définir.
    Pour accroître la confiance des consommateurs, les transactions et les contrats de commerce électronique utilisent des outils cryptographiques de signature électronique et de confidentialité des échanges. Ce sont des usages civils, alors qu'auparavant la cryptographie était assimilée à une arme de guerre et faisant l'objet d'une réglementation très encadrée.
    Je rappelle que le projet de loi rend désormais complètement libre l'utilisation de tout moyen de cryptologie. Il rend également libre la fourniture, l'importation et l'exportation des moyens de cryptologie n'assurant que des fonctions de signature. La fourniture et l'importation de moyens de cryptologie assurant des fonctions de confidentialité sont maintenant soumises à simple déclaration. L'exportation des moyens de cryptologie assurant des fonctions de confidentialité est soumise à autorisation conformément au règlement européen du Conseil de juin 2000.
    Le développement de l'économie numérique va de pair avec le souci de la sécurité de nos concitoyens. C'est pourquoi les moyens des pouvoirs publics pour lutter contre la cybercriminalité sont renforcés. Ainsi, les sanctions pénales en cas d'accès frauduleux à un système informatique ou de modification de ces données sont doublées. De plus, un délit est instauré en cas de diffusion intentionnelle de virus informatique.
    Ce texte est également l'occasion de modifier de façon substantielle le droit des télécommunications. Dans ce domaine, l'objectif du Gouvernement est de stimuler l'innovation et la concurrence entre les opérateurs afin qu'ils apportent plus de services et au meilleur prix pour tous nos concitoyens. Les débats que nous aurons sur ce sujet se concentreront principalement sur deux dispositions essentielles : le rôle des collectivités territoriales et la régulation des tarifs de France Télécom.
    S'agissant tout d'abord du rôle des collectivités territoriales, j'avais, lors de la première lecture devant votre assemblée, déposé au nom du Gouvernement un amendement tendant à autoriser ces collectivités à devenir opérateurs de télécommunications selon un champ et des modalités à préciser. Souhaitant que les collectivités soient un aiguillon de la concurrence, et non des perturbateurs de celle-ci, le Sénat a modifié en première lecture certaines de ces modalités.
    Le dispositif général repose sur la distinction entre l'établissement de réseaux et l'activité d'opérateur de télécommunications proprement dite, c'est-à-dire l'exploitation d'un réseau ouvert au public, ou la fourniture de services de communication.
    Ainsi, en l'état actuel du texte, la collectivité sera libre d'établir un réseau de communications. En revanche, pour exercer une activité d'opérateur, elle devra avoir constaté une insuffisance d'initiatives privées propres à satisfaire les besoins des utilisateurs et en avoir informé l'ART.
    Cela étant, les annonces récentes de France Télécom changent quelque peu les données du problème, et nous pourrons avoir un débat très ouvert sur ce point.
    En fin de compte, il y a un large consensus sur l'objectif suivant : amener le haut débit, le plus vite possible, à tous nos concitoyens. La question est de savoir comment partager initiative publique et initiative privée afin que personne ne soit laissé sur le bord des autoroutes de la communication.
    Au cours du débat sur le changement de statut de France Télécom, M. Francis Mer a pris devant vous l'engagement que cette question serait abordée lors de la présente discussion.
    M. Jean Dionis du Séjour, rapporteur de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire. C'est vrai !
    Mme la ministre déléguée à l'industrie. A cette occasion, votre commission souhaite modifier le dispositif français de régulation en le faisant passer d'un mode a priori à un mode a posteriori. Une telle évolution est justifiée pour trois raisons : tout d'abord par un souci de cohérence européenne car la refonte du mode de régulation est prévue par la directive du « paquet télécoms » ; ensuite, en matière de services innovants, la nouveauté et la création doivent pouvoir être diffusées très rapidement dans notre pays et, parce qu'elles sont sans concurrence, il n'y a pas lieu de les soumettre à une procédure d'agrément préalable ; enfin, en matière tarifaire, beaucoup de propositions concernant France Télécom ne soulèvent aucune difficulté et il n'y a pas d'obstacle à ce que leur mise en oeuvre soit contrôlée par une simple procédure a posteriori.
    En revanche, il peut aussi se présenter des cas où la mise en oeuvre immédiate d'offres tarifaires perturbe de façon irréversible les données du marché et le jeu de la concurrence. Dans de tels cas, un pouvoir d'opposition conserve tout son sens pour prévenir les comportements éventuellement prédateurs de l'opérateur dominant.
    De même, l'innovation, dès qu'elle a créé son marché, doit relever d'une régulation spécifique, adaptée à ces marchés émergents.
    Je tiens à dire devant vous que l'orientation favorable à donner à ces amendements ne doit pas être interprétée comme un recul de la régulation, qui est et qui doit rester une chose importante. L'ART fait un très bon travail de régulation et le Gouvernement a d'excellentes relations avec elle. La marque de cette confiance sera d'ailleurs confirmée dans le projet de loi sur la régulation postale, dans lequel nous vous proposerons d'étendre les compétences de l'ART au monde postal.
    Je suis convaincue que nos débats sur cette loi ainsi que sur le paquet télécoms nous permettront de refonder le mode de régulation des télécoms dans le sens d'une plus grande efficacité, pour instaurer une concurrence saine et loyale, de manière compatible, c'est-à-dire harmonisée, avec celle des autres régulateurs.
    Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, vous l'avez compris, au cours de ce débat dont l'enjeu est de construire le droit français de l'Internet, nous aborderons des questions majeures pour le développement de l'économie numérique. Je suis pour ma part convaincue que nous saurons ensemble élaborer un projet de loi équilibré, adapté, porteur d'avenir et de croissance pour les Français comme pour nos entreprises. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. le rapporteur de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire.
    M. Jean Dionis du Séjour, rapporteur de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire. Monsieur le président, madame la ministre, mesdames, messieurs, nous pouvons être fiers d'avoir eu et de continuer à avoir un vrai débat de parlementaires, où nous tenons toute notre place de législateurs.
    Permettez-moi d'abord de remercier mes collègues de la commission des affaires économiques, quelle que soit leur famille politique, pour la qualité de leur travail, pour leur audace réformatrice, si j'ose dire, et pour leur indépendance d'esprit.
    Je veux saluer personnellement le président Ollier pour l'esprit très parlementaire qu'il insuffle à notre commission, ainsi que nos collègues de la commission des lois, notamment Michèle Tabarot (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) avec qui j'ai eu le plaisir de partager lors de la première lecture le travail de rapporteur.
    Enfin, je vous remercie, madame la ministre, pour votre écoute et celle de vos services. Vous avez la fibre parlementaire, on le sait, et vous venez encore de nous le prouver ce soir, même si nous regrettons, à la commission des affaires économiques, de n'avoir pu, jusqu'à présent vous convaincre sur des points fondamentaux. Mais nous aurons tout à l'heure un débat libre et vigoureux pour promouvoir le point de vue de la commission.
    Le projet de loi qui nous est soumis est d'une grande importance. Ce texte a en effet une dimension fondatrice : nous espérons le voir fonder de fait dans la législation française à la fois l'Internet et le commerce électronique, lui donnant ainsi une grande portée symbolique.
    Les choix qui vont être faits ici, dans cet hémicycle, vont donc orienter l'évolution du développement de l'économie numérique pour l'avenir. Nous n'en sommes plus à l'étonnement qu'a provoqué l'irruption d'Internet dans les années 90 : nous savons aujourd'hui que l'Internet est un outil puissant en passe de devenir omniprésent dans notre vie quotidienne. Notre travail de législateur, ce soir et demain, est d'écrire un droit français adapté aux caractéristiques de l'Internet, donc très réactif, rapide et efficace.
    Bien sûr, nous devons, d'autre part, tenir compte des contraintes juridiques issues des directives communautaires et, d'autre part, rester cohérents avec le cadre juridique français. Mais, surtout, nous devons garder en mémoire l'enjeu fondamental du texte, qui est de renforcer la confiance des Français dans l'économie numérique pour allumer ce qui peut être, suivant la qualité de notre travail, un des moteurs de la croissance du en ce début de xxie siècle.
    Si nous restons frileux et immobiles, l'économie numérique française le restera aussi. Si nous savons être audacieux et ambitieux, l'économie numérique française connaîtra des taux de croissance « asiatiques » tels que ceux que vous nous avez cités, madame la ministre.
    C'est dans cette logique d'audace et d'ambition nationale pour le développement de la confiance dans l'économie numérique que la commission des affaires économiques a inscrit son travail d'amélioration du projet de loi.
    Outre des modifications de fond, la première préoccupation de la commission a d'abord consisté à restructurer le texte, afin de lui rendre une lisibilité et une véritable force.
    En effet, le champ du projet de loi a évolué à l'occasion de son examen en première lecture par l'Assemblée nationale, puis par le Sénat. Ainsi, le texte comprend désormais des dispositions relatives à l'intervention des collectivités dans le secteur des télécommunications. Ces questions sont d'une importance incontestable, mais elles ne constituent pas pour nous le coeur de la problématique du projet de loi, dont l'objet central reste la définition d'un cadre juridique sécurisant l'économie numérique et favorisant ainsi son développement.
    Notre commission, mes chers collègues, vous proposera de commencer notre débat par ce choix fondamental qu'est l'affirmation de l'autonomie et de la liberté de la communication publique en ligne, support de l'économie numérique, par rapport à la communication audiovisuelle.
    Nous devons nous prononcer aujourd'hui sur le cadre juridique de rattachement de la législation des activités de l'internet.
    Comme en première lecture, la commission souhaite que cette législation ne soit pas placée dans la loi du 30 septembre 1986 sur la liberté de communication, mais qu'elle figure dans la loi issue du présent projet, qui sera appelé à devenir un texte fondateur.
    Je détaillerai, au nom de la commission, l'argumentaire qui nous a amenés à nous prononcer, à l'unanimité, en faveur de l'autonomie de la communication publique en ligne.
    Mes chers collègues, osons ce soir être à la hauteur de l'enjeu ! Osons, en toute indépendance, affirmer que la communication publique en ligne est libre et qu'elle relève d'un droit moderne et adapté !
    J'ai confiance dans la décision de notre assemblée lorsqu'elle assume le coeur du mandat qui lui a été confié : produire de bonnes lois dans l'intérêt général de notre pays.
    M. Christian Paul. Belle déclaration !
    M. Jean Dionis du Séjour, rapporteur. A la faveur des évolutions intervenues dans le droit des télécoms, les autres enjeux du texte ont été modifiées par rapport à ceux de la première lecture. Permettez-moi de vous les présenter rapidement.
    Premièrement, il s'agit de souligner l'importance du contrôle des comportements illicites dans l'espace de l'Internet.
    Deuxièmement, il convient de revenir au texte adopté en première lecture à l'Assemblée nationale en ce qui concerne le commerce électronique afin d'instaurer un véritable climat de confiance pour le développement de l'économie numérique. Il importe de revenir à une définition précise de cette activité spécifique car la rédaction du Sénat ne nous paraît pas pleinement satisfaisante. En outre, elle ne prévoit pas d'instituer une responsabilité globale du vendeur en ligne à toutes les étapes de la prestation, ce qui est pourtant nécessaire pour conforter la confiance des consommateurs, conformément à l'objectif général du projet de loi.
    Nous vous proposerons de décider de faire exister le commerce électronique dans ce texte fondateur, ainsi que dans le code de la consommation français.
    Troisièmement, la commission vous propose, partageant largement le point de vue de Mme la ministre en ce qui concerne la lutte contre les messages non sollicités, autrement dit le spamming ou « pollu-postage », de préciser l'équilibre entre la protection de personnes et le besoin de laisser sur Internet un espace de liberté indispensable au déploiement de l'activité commerciale des entreprises. Il s'agit dans cet esprit de rendre plus efficace la répression des infractions aux règles encadrant la prospection directe, en donnant plus de pouvoirs à la CNIL, notamment celui de transmettre au parquet les plaintes dont elle pourrait être saisie en matière de spamming, et en satisfaisant à une demande des opérateurs de service de communication électronique : ceux dont les équipements auraient été utilisés à l'occasion d'une infraction pourraient exercer les droits reconnus à la partie civile lorsque l'action publique aura été mise en mouvement par le ministère public ou la partie lésée.
    Quatrièmement, cette seconde lecture doit nous permettre de fixer les outils juridiques de l'intervention des collectivités locales au service de la réduction de la fracture numérique.
    L'essentiel de cet effort repose sur la proposition d'insertion d'un nouvel article L. 1425-1 dans le code général des collectivités territoriales. A cet égard, nous vous proposerons un texte raisonnable - j'ai enregistré avec satisfaction l'orientation de la position gouvernementale - en vertu duquel les collectivités locales pourront étendre leurs interventions aux infrastructures « actives », c'est-à-dire aux équipements électroniques, les interventions sur les infrastructures « passives » étant déjà autorisées par l'article L. 1511-6 du même code. Les collectivités pourront ainsi jouer un rôle d'opérateur et donner une impulsion majeure au développement numérique de notre pays.
    Le projet de loi introduit un autre outil juridique d'intervention des collectivités locales pour la couverture des « zones blanches » de téléphonie mobile : le dispositif d'« itinérance locale ». Cet outil législatif se révélera utile pour stimuler tout le monde - Etat, collectivités locales, opérateurs de téléphonie mobile - afin de mettre en oeuvre rapidement les décisions des derniers CIADT en la matière.
    Il est en outre nécessaire de rendre pérenne l'instrument de couverture des zones blanches. En effet, après l'achèvement du programme de couverture organisé sur la base de la convention du 15 juillet 2003, de nouvelles étapes de résorption des zones blanches pourront ultérieurement, si le Gouvernement le souhaite, être entreprises eu égard aux évolutions démographiques et aux modifications des réseaux de transport terrestre.
    Cinquièmement, le débat portera sur des amendements relatifs à l'organisation de la liberté concurrentielle dans le secteur des télécommunications, dont l'examen a été transféré au présent projet de loi à la demande du Gouvernement lors du débat sur le projet de loi relatif à France Télécom.
    Il s'agit en premier lieu de deux amendements visant à desserrer le carcan tarifaire qui pèse sur l'opérateur national.
    M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire. Très bien !
    M. Jean Dionis du Séjour, rapporteur. Ils prévoient une adaptation d'allégements différenciés selon que les tarifs concernés s'appliquent dans le champ ou en dehors du service universel. Je me permets d'insister à cet égard sur la détermination de notre commission, derrière son président, pour décider de l'assouplissement du carcan tarifaire dès ce soir, comme le ministre des finances s'y était engagé lors du débat concernant France Télécom, ce que je vous remercie, madame la ministre, d'avoir rappelé.
    Sixièmement, il nous faut clarifier la tarification de la téléphonie mobile. Nous avons pour ce faire tenu à introduire le principe de la tarification à la seconde, revendication juste et légitime de tous les utilisateurs des téléphones mobiles, et notamment de ceux qui détiennent des cartes prépayées.
    Mes chers collègues, mettons-nous une petite minute à la place des millions d'utilisateurs des cartes prépayées : ils achètent une carte vendue pour trente minutes, mais ils ne disposent bien souvent que d'un peu plus de vingt minutes, selon les statistiques établies sur la base d'un panel extrêmement large. Ce n'est pas admissible ! Je compte sur vous pour changer les choses dès ce soir, à l'instar de nos collègues de plusieurs pays européens !
    M. Patrice Martin-Lalande. Très bien ! Il y a urgence !
    M. Jean Dionis du Séjour, rapporteur. Mes chers collègues, je pressens que nous aurons ce soir un bon débat,...
    M. Christian Paul. Nous l'espérons tous !
    M. Jean Dionis du Séjour, rapporteur. ... un vrai débat, libre et constructif.
    M. Patrick Bloche. Cela dépend du Gouvernement !
    M. Jean Dionis du Séjour, rapporteur. Permettez-moi une confidence.
    Je savais en entrant dans cet hémicycle que chacun avait bien fait son travail, que le Gouvernement avait bien fait le sien et la commission aussi. Je savais également que nous avons des opinions différentes sur des points majeurs du texte.
    Je pressens un débat libre,...
    M. Patrice Martin-Lalande. Il n'y a que des débats libres, ici !
    M. Jean Dionis du Séjour, rapporteur. ... où, s'agissant d'un enjeu d'avenir, nos clivages politiques ont peu de sens. Chacun saura écouter et aura la liberté de se décider en conscience pour que nous déterminions ensemble la manière de faire de la France le champion incontesté en Europe de l'économie numérique.
    La commission des affaires économiques espère pour sa part vous faire partager sa vision d'avenir, d'ambition et de modernité pour notre économie numérique.
    Bon débat à chacun de vous, mes chers collègues ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Question préalable

    M. le président. J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une question préalable, déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.
    La parole est à M. Christian Paul.
    M. Christian Paul. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, notre groupe a choisi d'interpeller le Gouvernement par cette question préalable, mais surtout d'alerter le Parlement et l'opinion publique sur quelques risques majeurs qui sont apparus au fil des discussions sur ce texte, un texte qui était au départ consacré à l'économie numérique et qui est aujourd'hui ouvert à beaucoup d'autres sujets. Et si je partage le souhait du rapporteur que notre débat soit libre et constructif,...
    M. Patrice Martin-Lalande. Nous sommes toujours libres !
    M. Christian Paul. ... je suis loin, instruit par l'expérience de la première lecture et par l'examen au Sénat, de partager son optimisme.
    En effet, d'autres sujets sont venus en discussion. Ces sujets, madame la ministre - ne voyez pas malice dans mes propos -, excèdent très largement votre champ ministériel, puisqu'il ne s'agit de rien de moins que de la liberté de communication, de la liberté d'expression, de l'aménagement du territoire. Excusez du peu ! Autant de sujets qui auront, si l'on suit un certain nombre de points de vue, des conséquences graves pour l'Internet français, lesquelles n'auront été ni véritablement discutées, ni même anticipées. Autant de sujets qui mettront en jeu, mes chers collègues, des principes et des intérêts.
    Nous souhaitons que les principes républicains soient rappelés et que le législateur ne courbe pas l'échine devant la vigueur de quelques-uns des intérêts en présence. Je souhaite donc, à travers cette question préalable, faire en quelque sorte un rappel au sens de l'intérêt général.
    Je suis de ceux, avec beaucoup d'entre vous, dont Patrick Bloche et d'autres siégeant sur les bancs de la majorité, qui, depuis 1997, invitent régulièrement le Parlement à exercer toute sa responsabilité sur les questions difficiles, complexes, nouvelles que soulèvent le passage à la société de l'information et le développement des technologies de l'information et de la communication.
    Pour autant, l'élaboration de la loi sur l'économie numérique mijote dans l'improvisation la plus totale. Si l'on se réfère à l'ensemble des débats au fil des derniers mois, on mesure bien l'ampleur de cette improvisation. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Je veux donc vous alerter brièvement sur trois questions très sensibles, pour lesquelles on s'apprête, mais le pire peut toujours être évité, à prendre de mauvaises directions et de mauvaises décisions.
    J'évoquerai d'abord la régulation de l'Internet.
    Le texte de loi qui nous est soumis, madame la ministre, était et est peut-être encore l'occasion de rappeler quelques principes fondamentaux. L'Internet n'est pas une zone de non-droit. Nos lois s'y appliquent dans leur intégralité sous le contrôle de l'autorité judiciaire. (« Absolument ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)
    Cela ne signifie évidemment pas que la mise en oeuvre du droit français soit aisée. L'Internet n'a pas de frontières, nous le savons tous, mais il n'est pas nécessaire pour autant de créer un droit spécial. En revanche, il est utile de prévoir des dispositions spécifiques, et c'est à cela que la loi sur l'économie numérique devait servir, par exemple pour s'opposer à des pratiques particulières, telles que le spamming.
    Il est tout autant nécessaire de rappeler - et le rapporteur l'a fait, à sa manière, avec une certaine audace - le principe d'autonomie de la régulation de l'Internet par le juge, par rapport à la régulation de l'audiovisuel, qui incombe au CSA. Voilà pour les principes.
    Je le regrette, mais tout indique, depuis la première lecture, madame Fontaine, que le Gouvernement, comme, d'ailleurs, un certain nombre de sénateurs, tente de faire prévaloir une vision différente, très éloignée de la réalité de l'Internet d'aujourd'hui et de demain. La confusion entre la communication audiovisuelle, télévisée ou radiophonique, et la communication en ligne est préjudiciable.
    Le rapporteur a déployé de grands efforts d'imagination, et son compromis, sans être totalement satisfaisant, mérite néanmoins notre intérêt.
    Sur le fond, comment accepter que l'on transpose sur le commerce électronique un type de régulation et une autorité, le CSA, dont la mission a été conçue pour l'univers audiovisuel historique, marqué par la rareté des fréquences et la nécessité de faire prévaloir des principes comme la diversité culturelle ou le pluralisme ? Ceux-ci, bien sûr, restent tout à fait d'actualité, mais il ne s'agit pas là du même univers.
    Outre que la nouvelle régulation que vous voulez mettre en oeuvre n'est ni crédible, ni opératoire d'un point de vue technique, on peut se demander quelle mouche a piqué le Gouvernement pour qu'il persiste dans cette erreur. Et je me demande si on ne cherche pas à traiter subrepticement des problèmes importants qui doivent être réglés par ailleurs, comme celui de la musique en ligne. Résistons donc à la tentation de bâtir à la va-vite une régulation contre nature.
    La deuxième question concerne la responsabilité des acteurs de l'Internet. Là encore, il s'agit non seulement de liberté d'expression mais aussi du respect des équilibres qui fondent notre Etat de droit. Chaque fois, madame la ministre, que l'on s'écarte du principe simple du rôle naturel du juge, cela conduit à des constructions contestables, qui pourraient, de dérive en dérive, aller jusqu'à la mise en place d'une justice ou d'une censure privées. Il ne s'agit en rien d'exonérer de leurs responsabilités les acteurs techniques de l'Internet, qu'ils soient hébergeurs, fournisseurs d'accès, portails ou opérateurs de réseau, mais tout simplement de confirmer le juge dans son rôle pour déclencher la suppression d'un contenu.
    Nous avons maintenant, sur ces questions, des années d'expérience. Que nous ont-elles appris ?
    Tout d'abord, la justice française n'est pas saturée par des plaintes portant sur les contenus de l'Internet. Et puis les juges, heureusement, ont appris à surfer et aussi à juger les crimes et les délits commis sur l'Internet.
    Second enseignement, le juge, quand il est appelé à apprécier ces litiges, procède à des suppressions de contenu plutôt chirurgicales, alors qu'il lui est souvent demandé - à lui comme, auparavant, aux intermédiaires, notamment les hébergeurs - des suppressions totales. Je songe, par exemple, au contentieux qui était né de l'appel au boycott de Danone.
    Alors, n'en doutez pas : les positions, mes chers collègues, que vous prendrez ce soir et demain engageront pour longtemps la réalité de la liberté d'expression, en France, sur l'Internet.
    Le même danger existe d'ailleurs dès lors qu'on évoque la possibilité de réclamer le filtrage de contenus, en particulier aux fournisseurs d'accès. Il est notoire que cette tentation de corseter l'Internet est totalement irréaliste et même dangereuse, car techniquement impossible et, il faut le dire, politiquement détestable. On construit des lignes Maginot numériques pour se dispenser d'affronter sérieusement des problèmes qui relèvent, pour certains, de la propriété intellectuelle ou du droit d'auteur.
    Espérons qu'il ne prendra pas au Gouvernement l'envie de transposer par ordonnance la directive européenne sur les droits d'auteur et les droits voisins.
    M. Patrice Martin-Lalande. Ce ne serait pas le premier ! Souvenez-vous du gouvernement précédent !
    M. Christian Paul. Pour ma part, cela m'inquiéterait. Mais nous aurons l'occasion d'en reparler.
    D'autres questions, enfin, relèvent davantage de l'effort de coopération policière et judiciaire internationale. Le groupe socialiste voit, dans tout cela, la marque d'une fébrilité répressive qui masque mal votre impuissance publique.
    M. Yves Simon. Oh !
    M. Christian Paul. Enfin, la troisième question qui nous conduit à alerter nos collègues concerne le financement des réseaux à haut débit. Nous soutiendrons, bien sûr, le principe de l'intervention publique des collectivités locales au profit des réseaux à haut débit. Plusieurs d'entre nous, dans les responsabilités locales qu'ils exercent dans leur département, entendent participer activement à cette démarche. Il s'agit en effet de créer un nouveau service public local de réseau permettant l'accès de tous les Français à l'Internet à haut débit.
    Nous reviendrons dans le détail, si le débat se déroule comme il se doit, sur les modalités juridiques qui fixeront le cadre de cette intervention des collectivités locales, en particulier sur la frontière à établir entre les fonctions d'opérateur de réseau - « opérateur d'opérateurs », comme on dit dans le jargon - et de fournisseur direct de services de télécommunications, celle-ci ne relevant pas forcément de la responsabilité des collectivités locales.
    Mais mon propos a essentiellement pour objet d'alerter - pour certains d'entre vous, qui suivent ces questions depuis longtemps, ce n'est qu'un rappel - sur l'absence dramatique d'engagement de l'Etat et de votre gouvernement, madame la ministre, dans le financement du déploiement du haut débit sur le territoire français...
    M. Patrick Bloche. C'est dramatique !
    M. Yves Simon. Vous avez la mémoire courte !
    M. Christian Paul. ... ainsi que l'absence de péréquation nationale dans le monde que vous nous proposez, ce sont les départements les plus pauvres qui financeront le haut débit des territoires ruraux. Les promesses du Gouvernement dans ce domaine sont tout à fait pathétiques. Je pense, en particulier, aux malheureux 100 millions d'euros de fonds européens que vous envisagez de rapatrier à cet effet. C'est totalement hors d'échelle avec les nécessités du territoire national. Le coût de la boucle départementale haut débit du département de la Nièvre, par exemple, dont je suis l'élu, est évalué à 45 millions d'euros. Au rythme que vous proposez, près de trente ans seront nécessaires pour couvrir tout le territoire national !
    M. Alain Joyandet. Vous auriez dû commencer il y a cinq ans !
    M. Patrick Bloche. A l'époque, les CIADT étaient financés !
    M. Alain Gouriou. Et nous avions commencé par injecter 9 milliards !
    M. Yves Simon. Toujours des paroles !
    M. le président. Je vous en prie, mes chers collègues !
    M. Christian Paul. Nous avons commencé à oeuvrer dans ce sens pendant cinq ans. Un certain nombre de dossiers arrivent aujourd'hui à maturité et il est de votre responsabilité de les prendre en charge. Je m'adresse en particulier au Gouvernement : vous ne le faites pas et, encore une fois, en le dénonçant, nous sommes dans notre rôle.
    Nous combattons donc un choix politique injuste et incompatible avec toute recherche d'égalité entre les territoires. Avant que ne s'engage le débat, devait s'exprimer notre opposition à des choix dangereux, à une politique improvisée qui ne servira ni l'Internet ni la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Patrick Bloche. Excellent !
    M. le président. Souhaitez-vous intervenir, madame la ministre ?
    Mme la ministre délégué à l'industrie. Non, monsieur le président.
    M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
    M. Jean Dionis du Séjour, rapporteur. Trois points ont été soulevés.
    Sur le premier, qui concerne la problématique de l'autonomie, chacun s'est situé et nous pourrons en reparler longuement. Je remercie notre collègue d'avoir pris, sur ce sujet, le parti de l'audace.
    M. Christian Paul. Ce n'est pas la première fois !
    M. Jean Dionis du Séjour, rapporteur. Sur le deuxième point, en revanche, nos avis divergent vraiment : il s'agit du régime de responsabilité. Nous pensons, pour notre part, que le système de responsabilité européen est rustique, rapide, efficace et qu'il a fait ses preuves dans pas mal de pays européens. Voilà pourquoi nous proposons tout simplement de le transposer. Mais nous aurons également l'occasion d'y revenir.
    Troisièmement, dans le débat relatif à la péréquation, l'enjeu porte sur les collectivités locales. C'est en effet toujours mieux lorsque l'Etat a de l'argent à apporter.
    Quoi qu'il en soit, nous sommes au pied du mur, alors entrons dans le débat ! Voilà pourquoi, outre les divergences que j'ai évoquées à propos du deuxième point, je vous propose de voter contre la question préalable.
    M. le président. Je mets aux voix la question préalable.
    (La question préalable n'est pas adoptée.)
    M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

7

ORDRE DU JOUR
DE LA PROCHAINE SÉANCE

    M. le président. Ce soir, à vingt et une heures trente, deuxième séance publique :
    Suite de la discussion, en deuxième lecture, du projet de loi, n° 991, pour la confiance dans l'économie numérique :
    M. Jean Dionis du Séjour, rapporteur au nom de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire (rapport n° 1282).
    La séance est levée.
    (La séance est levée à dix-neuf heures cinquante.)

Le Directeur du service du compte rendu intégralde l'Assemblée nationale,
JEAN PINCHOT