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Première séance du jeudi 4 mars 2004

179e séance de la session ordinaire 2003-2004



PRÉSIDENCE DE M. MARC-PHILIPPE DAUBRESSE,

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

1

PRÉCARITÉ DE L'EMPLOI

Discussion d'une proposition de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi contre la précarité de l'emploi (n°s 1191, 1460).

La parole est à M. le rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

M. Daniel Paul, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité, mes chers collègues, faisant écho à l'annonce faite par le Président de la République que 2004 serait l'année de l'emploi, la proposition de loi qui vous est soumise ce matin donne la possibilité à la majorité actuelle de passer de l'effet d'annonce à l'action.

Dans la droite ligne de la proposition de loi défendue mardi dernier pour lutter contre les délocalisations, le groupe communiste propose ce matin de continuer à faire entendre la voix du monde du travail en formulant des propositions concrètes.

Monsieur le ministre, je reconnais comme vous que la précarité n'est pas un phénomène nouveau. L'emploi précaire se présente sous de nombreuses formes - recours au contrat à durée déterminée, à l'intérim, au temps partiel subi - mais surtout se traduit par un profond malaise et une souffrance quotidienne de ceux qui en sont les victimes, faisant de certaines personnes en situation précaire des citoyens aux droits limités.

S'il n'est pas nouveau, le phénomène ne cesse de prendre de l'ampleur et va en s'accélérant : c'est la conséquence logique des choix opérés par le Gouvernement en matière de politique de l'emploi et de l'écoute toujours plus attentive par celui-ci du discours patronal sur les vertus de la flexibilité et de la souplesse.

La remise en cause de l'emploi stable est devenue, pour les entreprises, le principal outil d'ajustement et une variable de gestion, sans aucun égard pour les femmes et les hommes concernés. C'est l'absence de réelle politique de l'emploi qui favorise la précarité.

Face à la déferlante de celle-ci dans notre société, je regrette que l'action de la majorité actuelle ne soit toujours pas au rendez-vous. Au contraire, elle poursuit le démantèlement de notre législation sociale et l'atomisation de notre code du travail, remettant en cause l'emploi et la sécurité professionnelle. Je m'interroge sur votre capacité à vous préoccuper de la précarisation galopante quand je vois que, dans le même temps, vous légitimez les décisions qui la favorisent. C'est pour le moins contradictoire !

Depuis juin 2002, Le Gouvernement a combiné apathie face à la dégradation du marché de l'emploi - renonçant à toute politique active en la matière - et décisions de régression sociale.

Dès votre arrivée, vous avez fait le choix de réduire les moyens de la politique de l'emploi au service des publics les plus vulnérables en diminuant de manière drastique les contrats emploi solidarité. Comme chacun sait, les moyens consacrés aux dispositifs d'insertion des publics les plus en difficulté - chômeurs de longue durée, allocataires du RMI - ont perdu plus d'un milliard d'euros. Il est vrai que ces dispositifs n'ont par pour but principal de promouvoir l'emploi dit « marchand ». Le profit n'est sans doute pas assez grand ni assez rapide pour que la solidarité nationale continue de jouer en leur faveur.

D'autres crédits ont en revanche augmenté : avec la loi de démantèlement des trente-cinq heures, ce sont plusieurs milliards d'euros supplémentaires qui seront, par le biais d'exonérations de cotisations sociales patronales, versés chaque année aux entreprises afin « d'alléger le coût du travail » sans que la moindre contrepartie en termes de création ou même de stabilité de l'emploi ne soit exigée et sans que le moindre contrôle ne soit exercé puisque le Gouvernement s'est empressé, dès son arrivée, de supprimer la commission nationale de contrôle des aides publiques. Au total : moins de solidarité nationale, plus de solidarité patronale !

M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Et le SMIC ?

M. Daniel Paul, rapporteur. Il en va de même pour l'emploi des jeunes : on supprime les programmes TRACE et les bourses d'accès à l'emploi et on crée en parallèle des contrats jeunes en entreprise pour lesquels la seule obligation de l'employeur est d'engager - conformément aux règles du code du travail - les jeunes en CDI. Encore convient-il d'observer que cette obligation ne court pas au-delà de vingt-quatre mois.

M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Si !

M. Daniel Paul, rapporteur. En contrepartie de cette obligation - qui ne va pas jusqu'à leur fournir une formation - les entreprises bénéficient d'une exonération totale de charges, cotisations et contributions sociales, au niveau du SMIC. On passe ainsi de « la promotion de l'emploi marchand » à « l'emploi marchandé » avec l'entreprise, ce qui tend à faire du patronat un véritable assisté.

Je rappellerai quelques mesures prises par l'UNEDIC et le Gouvernement qui ont encore accéléré la précarisation rampante d'un nombre considérable de nos concitoyens.

La première est la décision de durcir les conditions d'indemnisation du chômage : augmentation de la durée d'affiliation exigée, réduction de la durée de l'indemnisation, renforcement des exigences à l'encontre des chômeurs par le biais du PARE et d'une politique vigoureuse de radiation des chômeurs qui ne sont pas jugés assez « dynamiques » dans leur recherche d'emploi.

La deuxième est la décision de réduire la durée de versement de l'allocation de solidarité spécifique - l'ASS - pour les chômeurs en fin de droit, une trop longue durée de celui-ci étant considérée comme un facteur de désincitation au retour à l'emploi. Comment peut-on sérieusement penser que le montant de l'ASS puisse satisfaire des salariés au chômage depuis plusieurs années et leur faire préférer l'assistance à un véritable emploi ? Mais il fallait bien - pour ne prendre que cet exemple - amortir la réduction de l'impôt de solidarité sur la fortune consentie pour les plus riches !

La troisième décision est le durcissement du RMI : renforcement de l'exigence d'une insertion professionnelle et octroi du pouvoir de suspension aux départements sans garantie d'un traitement équitable sur l'ensemble du territoire.

Je citerai enfin la mise en place du revenu minimum d'activité, sous-contrat à durée déterminée et à temps partiel d'un nouveau genre, revenant pour l'entreprise à moins de 40 % du coût ordinaire du travail et n'ouvrant droit au salarié qu'à une protection sociale de seconde zone. En fait de contrat d'insertion, il s'agit en réalité d'un contrat d'installation durable dans la précarité.

Si l'on résume la politique mise en œuvre à ce jour, le constat - saisissant - que l'on fait est qu'il y a moins d'emploi, que le droit à l'assurance chômage est restreint, que l'indemnisation minimale au titre de la solidarité est raccourcie et que le minimum social est susceptible d'être supprimé si l'on n'accepte pas d'entrer, par le RMA, dans le statut le plus précaire que la France ait connu depuis longtemps.

Et je n'ose songer à ce que va nous réserver l'avenir proche : la création de « contrats de mission » sans limitation de durée, préconisée par le rapport de M. de Virville et applaudie par avance par le MEDEF, constituerait l'aboutissement logique d'une politique de destruction de toutes les garanties sociales en étendant à l'ensemble des salariés la situation de précarité qui n'en concerne pour l'instant « que » sept millions.


Alors que la France s'était engagée durablement dans un mouvement de création d'emplois, pour la première fois depuis 1993, 30 000 emplois ont été détruits dans notre pays en 2003.

A l'examen des motifs d'entrée dans le chômage, on mesure l'incertitude dans laquelle vivent les salariés employés en contrats précaires, puisque la survenance du terme de leurs contrats est à l'origine de 40 % des entrées à l'ANPE.

Encore convient-il d'observer que tous ne se signalent pas nécessairement, notamment du fait des conditions d'indemnisation qui excluent nombre d'entre eux. La précarité, ce n'est pas seulement un statut de deuxième zone, c'est surtout la perspective de ne plus avoir de statut social du tout. On constate d'ailleurs que les intérimaires et les CDD sont les premières victimes des variations de la conjoncture, les salariés dont on se sépare en premier.

Enfin, il faut rappeler que la sortie du chômage se fait le plus souvent sur des emplois précaires, deux fois plus souvent à temps partiel que la moyenne nationale, et sur des emplois peu rémunérés.

Indéniablement, on se trouve de façon croissante, face à un engrenage de la précarité.

Les contrats à durée déterminée et l'intérim représentent désormais plus de 10 % de l'emploi total. Le chômage, lui, ne cesse de s'inscrire dans une courbe ascendante : l'augmentation du nombre des demandeurs d'emploi a atteint 6 % sur les douze mois de l'an passé, soit environ 140 000 personnes de plus en un an et une population totale se situant aux alentours de 2,5 millions de personnes. Les principales catégories frappées sont les jeunes - plus 7,2 % pour les moins de vingt-cinq ans - et les chômeurs de longue durée - plus 8 %.

Le recours à l'intérim continue de caractériser prioritairement l'industrie, qui emploie 48,2 % des intérimaires. Les secteurs où leur nombre est le plus important par rapport à l'effectif total sont l'automobile, 11,9 %, voire plus de 20 % comme à Renault Sandouville, qui a compté 1 800 intérimaires parmi ses 8 000 salariés ; les industries agricoles et alimentaires, plus de 9 %, et la construction, 8,8 %. De plus, sur les douze derniers mois, la progression de l'intérim a été fortement marquée dans le secteur de l'éducation, de la santé et de l'action sociale : 6,6 %.

C'est pourquoi il est urgent d'agir pour sortir de la précarité un nombre croissant de salariés, en renforçant la législation existante. Mais aussi, et surtout, pour ne pas les y faire rentrer. Cela passe bien sûr par des réformes structurelles assurant sécurité de l'emploi et de la formation, par la suppression de la modération salariale, par l'octroi de droits nouveaux pour les salariés.

Mais cela passe aussi par l'arrêt du recours abusif à ce qui crée la précarité dans le travail : le recours non justifié aux contrats à durée déterminée et autres intérim.

Nous connaissons tous des jeunes, des femmes, des hommes, chargés de famille, qui souffrent de ce type de contrat, se succédant sans perspectives durables, avec le sentiment qu'ils pourraient l'occuper à plein temps, de façon stable, plutôt que par mission temporaire.

Mais pour cela, notre législation devrait être plus contraignante à l'égard de l'employeur. Ce dernier, préfère garder ses salariés en contrats précaires, pour exiger d'eux plus de flexibilité et jouer plus facilement avec sa masse salariale, alors que rien ne justifie que leur tâche relève d'un emploi précaire. Nous défendons cette proposition de loi, pour éviter ces abus, pour en finir avec les excès les plus criants du recours à l'emploi précaire. Une attitude patronale qui se répand, comme l'a encore révélé une récente décision de justice concernant la condamnation de la SOVAB, filiale de Renault. Celle-ci a compté, jusqu'à 900 intérimaires, sur un effectif de 2 700 personnes, entre 1997 et 2000, dont déjà 150 ont été reconnus injustifiés par la Cour de cassation.

La proposition de loi entend tout d'abord encadrer strictement le recours au travail précaire, conformément aux récentes décisions de justice rendues par les conseils de prud'hommes et la chambre sociale de la Cour de cassation, par un plafonnement à 5 % du nombre des travailleurs précaires par rapport à l'effectif de l'entreprise qui pourrait, sous certaines conditions, être atteint de façon progressive par les entreprises ; par un resserrement des cas de recours au CDD et à l'intérim pour en limiter les abus ; par une amélioration de la procédure de requalification pour permettre aux salariés, abusivement maintenus dans l'emploi précaire, de passer en CDI ; par une protection du salarié en cas de survenance du terme d'un contrat précaire devant en principe être requalifié ; par le versement d'une indemnité de précarité pour tous les contrats précaires sans considération du motif de recours et de celui de la rupture.

S'inscrivant dans une démarche positive, la proposition de loi souhaite également offrir aux travailleurs précaires un dispositif qui leur permettrait de s'émanciper de leur situation, en bénéficiant à la fois d'une sécurité économique et d'une sécurité emploi-formation qu'il conviendrait d'ailleurs d'étendre à l'ensemble des salariés.

A l'opposé de la volonté de démantèlement du service public de l'emploi qui est à l'œuvre aujourd'hui, le meilleur instrument pour parvenir à cette fin est la mise en place d'un grand établissement public national dédié à l'emploi, à la formation et à la sécurisation des travailleurs précaires.

Tous les élus, sur tous les bancs, sont confrontés au problème de la précarité de l'emploi, qui a des incidences manifestes sur la vie sociale, qui la gangrène. Il est frappant de constater, à la lecture des questions écrites formulées au cours des derniers mois, le nombre de celles qui appellent à une limitation du recours à cette forme d'emploi ou qui attirent l'attention des différents ministres du Gouvernement sur les conséquences de cette précarité, en termes de vie, tout simplement, dans les quartiers, dans la ville, dans le pays.

Il est donc urgent de mettre un terme à cette forme d'exploitation moderne que nombre de nos collègues, y compris sur les bancs de la majorité, ont d'ailleurs dénoncée en commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

Je ne peux donc que m'étonner et regretter que si nous sommes unanimes quant à la nécessité de mettre fin aux dérives de l'emploi précaire, nous ne puissions pas examiner ensemble les moyens d'y parvenir. La proposition de loi qui vous est soumise a été nourrie, depuis dix-huit mois, de la réflexion de salariés en CDD, en intérim, d'acteurs sociaux, de responsables syndicaux et de juristes à travers toute la France, mais aussi inspirées de décisions de justice qui ont conforté le rapporteur et les auteurs de la proposition de loi dans leur volonté de légiférer sur le sujet. Cette proposition de loi est donc le fruit de ce que l'on appelle une initiative citoyenne.

Nous sommes prêts à en discuter et à l'améliorer. Encore faut-il pouvoir discuter concrètement des propositions des uns et des autres, en passant à l'examen des articles, ce que je vous invite à faire à l'issue de la discussion générale. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité.

M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Monsieur le président, madame, messieurs les députés, la proposition de loi qui vous est soumise ce matin a deux objets principaux : fixer un niveau maximal de recours aux CDD et à l'intérim et créer une agence nationale pour l'emploi et la formation des travailleurs pour les salariés concernés par ces contrats.

Je partage, monsieur le rapporteur, votre souci de sécuriser les parcours professionnels. Mais si je comprends votre préoccupation, je n'adhère pas à vos solutions.

M. Alain Bocquet. C'est dommage !

M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Elles s'inscrivent de façon cohérente dans le cadre de la pensée qui anime le parti communiste, une pensée qui se caractérise par un dirigisme économique que je juge trop prononcé et contre-productif. (Protestations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

J'ai déjà eu l'occasion de dire que je ne serai pas le ministre de la précarité. (« C'est fait ! » sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Daniel Paul, rapporteur. Il faut l'accepter !

M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. J'estime, en effet, que la force économique d'un pays ne peut être durablement assise sur un émiettement professionnel et social généralisé. L'extension des CDD et de l'intérim n'est donc pas une solution. Le CDI est, et doit demeurer, la norme de référence.

Vous conviendrez, monsieur Paul, que c'est bien le choix qu'a fait le Gouvernement, en mettant en place s'agissant des contrats-jeunes des contrats à durée indéterminée. Vous me permettrez de vous faire remarquer qu'il est inexact de dire qu'il n'y a plus, au bout de vingt-quatre mois, d'obligation pour l'employeur. En effet, lorsqu'on est en contrat à durée indéterminée, par définition, l'obligation est indéterminée.

D'ailleurs, les CDD et l'intérim ne représentent, aujourd'hui, que 9 % de l'emploi salarié dans notre pays, ce chiffre nous situant exactement dans la moyenne européenne. Il est vrai, monsieur Paul, que ce pourcentage a augmenté de plus de 2 % entre 1997 et 2002.

Pour autant, nul ne peut sous-estimer les mutations et les mouvements de l'économie contemporaine. Face aux défis posés par les évolutions des entreprises et du salariat, rien ne sert d'inventer de nouvelles lignes Maginot, en recourant à des solutions démesurément réglementaristes. Ces solutions se retournent toujours contre les créations d'emplois.

M. Alain Bocquet. Et aujourd'hui !

M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. A cet égard, j'attire l'attention de votre assemblée sur la relation qui existe entre le degré de réglementation du marché du travail et l'extension de la précarité professionnelle.

Plus les réglementations sont fortes, tatillonnes et complexes, plus la précarité est élevée sur les marges de ce marché du travail !

Plus l'emploi durable est « cadenassé », plus les entreprises sont tentées de trouver des solutions alternatives et flexibles dans leur recrutement, lorsqu'elles ne délocalisent pas carrément leurs activités !

Cet axiome explique assez largement l'un des échecs de la gauche, dont on sait qu'elle a connu entre 1997 et 2002 une explosion du nombre des intérimaires, plus exactement un doublement ; en sur-réglementant l'emploi des uns, elle a, du même coup, amplifié la dérégulation de l'emploi des autres.

Mesdames et messieurs les députés, sur tous ces bancs, nous voulons favoriser la création d'emplois et lutter contre le chômage. Pour y parvenir, le Gouvernement et sa majorité estiment nécessaire de trouver un cadre propice à la création d'entreprises et de desserrer les freins de l'emploi.

C'est ici, monsieur Paul, que nous divergeons. Je crois, très sincèrement, que vos solutions ne s'attaquent pas au cœur du problème. J'ai même le sentiment qu'elles l'aggraveraient.

A la véritable question de la sécurité de l'emploi, votre proposition de loi apporte, selon moi, une mauvaise réponse. Une entreprise est une structure vivante, qui opère dans un marché concurrentiel. Son horizon est parfois même mondial. Elle doit défendre sa compétitivité. Elle doit investir et s'adapter aux évolutions des consommateurs et aux attentes des clients.

C'est ainsi que naissent l'innovation, la croissance, mais aussi les nouveaux emplois.

La question qui se pose à nous n'est pas de mettre en accusation - comme le fait avec assiduité le parti communiste - le capitalisme...

M. Alain Bocquet. Pourtant !

M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité.... dont nous connaissons les défauts qu'il convient de mieux maîtriser, mais aussi et surtout les potentialités.

La question est de savoir comment on utilise, de façon optimale, les virtualités de ce système économique. En 2003, s'est tenue à Paris, une réunion des ministres du travail de l'OCDE sur le thème : « Vers des emplois plus nombreux et meilleurs ».

Je sais bien que cette instance vous paraîtra trop libérale, mais en écoutant mes collègues anglais et allemands, suédois et italiens,

M. Alain Bocquet. Ce ne sont pas de bonnes références !

M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité.... espagnols et grecs, polonais et hongrois, je n'ai pas eu le sentiment qu'ils voulaient rigidifier le fonctionnement de leur marché du travail. Je ne crois pas qu'ils retiendraient les pistes que vous proposez aujourd'hui, pour une raison simple qui n'est pas idéologique, mais empirique.

La logique très défensive qui préside vos propositions a été, plus ou moins, - je le reconnais - testée en France pendant des années. Ses résultats n'ont pas été suffisamment exemplaires pour pouvoir prétendre faire école ailleurs.

Je me permets de rappeler que, lorsque nous sommes arrivés aux responsabilités, la France se situait au onzième rang européen sur quinze, en termes de lutte contre le chômage. Malgré quatre années de croissance, malgré un gouvernement socialiste qui se prétendait « compétent et exhaustif » en matière d'emploi...

M. Gaëtan Gorce. Vous prenez toujours les statistiques qui vous arrangent !

M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité.... malgré une loi de modernisation sociale, dont on nous disait qu'elle devait dissuader les licenciements, ce onzième rang ne milite pas en faveur de la reconnaissance d'une stratégie qui ne s'attaque pas à l'essentiel, c'est-à-dire aux conditions structurelles du développement de l'emploi.

M. Gaëtan Gorce. Assumez votre bilan !

M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. J'en viens, monsieur le député, aux deux propositions de votre projet.

Vous souhaitez instaurer un quota de CDD et d'intérimaires. Je n'y suis pas favorable, car cela se ferait au mépris des variations d'activités qui peuvent concerner de nombreux secteurs et de multiples entreprises.

M. Daniel Paul, rapporteur. Non !

M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Imaginez les conséquences d'un tel seuil pour les petites entreprises ? Imaginez les conséquences lorsque l'entreprise doit rapidement s'adapter à de nouveaux marchés, sans avoir la certitude de les conserver ? Devrait-elle refuser de nouveaux marchés par peur de devoir s'engager sur le maintien d'emplois inadaptés à sa productivité réelle ?

Utilisés à bon escient, CDD et intérim sont un moyen d'assurer cette souplesse nécessaire à la vie des entreprises. Ils sont également un moyen de lutter contre l'exclusion du marché du travail et sont souvent un tremplin vers l'emploi durable.

Je crois que cela n'a pas de sens d'opposer, de façon systématique, CDD et intérim au CDI. La véritable opposition est celle qui sépare l'activité du chômage. Livrer la bataille contre certains types de contrats courts, c'est délaisser la véritable guerre qui est celle qui doit être menée pour l'emploi.

En fait, l'enjeu principal est d'offrir aux CDD et aux intérimaires - là peut-être pourrait-on se rejoindre - un accès à la formation, afin de ne pas voir ces salariés enfermés, de façon permanente, dans une voie parallèle, voire marginale. Il s'agit également de prévoir des mesures de prévention renforcée en matière de santé et de sécurité au travail.

La façon dont l'intérim a su s'organiser, depuis les années 1980, est plutôt exemplaire. Il y a, dans cette branche, une véritable vie contractuelle qui a permis de négocier une convention collective protectrice, de reconnaître la possibilité d'une formation en alternance et l'existence de droits sociaux propres à l'entreprise d'intérim.


Bien entendu, je ne l'ignore pas, il peut y avoir des abus dans le recours aux intérimaires.

M. Daniel Paul, rapporteur. Et il y en a !

M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Certaines entreprises ont ainsi tendance à faire appel à des intérimaires pour pourvoir des emplois liés à leur activité normale.

Mais est-il nécessaire de légiférer pour autant ?

Je ne le pense pas. La loi est suffisante. Elle permet au juge de sanctionner les abus. La Cour de cassation vient ainsi de rappeler que les entreprises ne peuvent pas faire appel à l'intérim pour pourvoir durablement des emplois liés à leur activité normale et permanente. Cette jurisprudence amène maintenant les sociétés utilisatrices - et ceci sous le regard de leurs organisations syndicales, et je m'en félicite - à définir précisément les cas de recours ainsi que le nombre et la durée des missions.

Dans le rapport sur l'emploi en Europe qu'il a récemment remis au Conseil européen, M. Wim Kok insiste sur la nécessité de donner aux entreprises « un haut degré de flexibilité du marché du travail grâce à une organisation moderne du travail et à la diversité des modalités contractuelles et de travail ». Il recommande en outre de supprimer les obstacles à la création et au développement d'agences de travail temporaires. Et M. Kok, ancien premier ministre socialiste des Pays-Bas,...

M. Alain Bocquet. Nous ne sommes pas socialistes !

M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. ...et ancien responsable du principal syndicat de son pays, n'est pas un « chauffard du social que je sache.

M. Daniel Paul, rapporteur. Je retiens l'expression !

M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Ne diabolisons donc pas le travail intérimaire. Laissons les entreprises y recourir lorsque cela est nécessaire et sanctionnons sans faiblesse les abus lorsqu'il y en a.

J'en viens à votre seconde proposition : créer une agence nationale qui aurait pour objet de garantir aux travailleurs précaires un statut et une transition vers les emplois stables.

Je reconnais que je ne vois ni la finalité, ni les modalités de cette proposition. Est-il vraiment utile d'ajouter une nouvelle institution dans un système où coexistent déjà l'ANPE pour la recherche d'emploi, l'UNEDIC pour l'indemnisation des demandeurs d'emploi, l'AFPA qui organise des formations qualifiantes.

M. Daniel Paul, rapporteur. Ces structures sont menacées !

M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Je crains que votre proposition, dont je comprends le sens, aboutisse à créer une sorte de « superstructure bureaucratique » qui serait surtout chargée d'attribuer des quotas de CDD et d'intérimaires aux entreprises.

Cela s'appelle l'économie administrée. Ce n'est pas notre conception de ce que doit être un marché du travail dynamique. Je ne rejoins pas non plus votre conception du comité d'entreprise, car celui-ci doit rester un organisme consultatif. Il faut respecter le pouvoir de gestion du chef d'entreprise et les responsabilités qui y sont liées.

Dans l'hypothèse où votre agence de pilotage serait instituée, faudrait-il alors encadrer, voire supprimer, toute initiative individuelle comme vous le laissez implicitement entendre ?

Je ne crois pas qu'il faille assister et ordonner de cette manière le parcours de chacun de nos concitoyens. Au contraire, il est temps de rompre avec une logique économique et sociale qui, depuis trop longtemps en France, affaiblit la prise de responsabilité et la vitalité de notre peuple.

Si j'en crois l'exemple de tous nos partenaires européens avec qui nous partageons une stratégie commune pour l'emploi, approuvée par la majorité à laquelle vous apparteniez, à Barcelone puis à Lisbonne, l'heure est plutôt au rapprochement des différents organismes.

II s'agit d'assurer le meilleur suivi possible au demandeur d'emploi dans sa recherche d'emploi, en se gardant de confondre indemnisation et assistance. Tout doit être fait, dans l'intérêt de la personne, pour faciliter un retour rapide à l'emploi et éviter l'engrenage de l'exclusion.

La protection contre l'insécurité professionnelle que vous recherchez, monsieur le député, ne passe pas, selon nous, par des réponses bureaucratiques ou même hiérarchiques. Cette approche a déjà été largement éprouvée par le passé, quelle que soit la couleur des gouvernements. Il est temps de changer de philosophie et de tester de nouvelles méthodes.

La protection contre l'insécurité professionnelle doit maintenant passer par une action des partenaires sociaux pour promouvoir la formation professionnelle tout au long de la vie, par une mobilisation du service public de l'emploi au service des demandeurs d'emplois et par une coordination des acteurs au niveau territorial, notamment pour anticiper et mieux gérer les restructurations.

En réalité, au regard des conditions de l'économie moderne et des exigences de notre pacte social, nous devons imaginer un modèle permettant de concilier sécurité et flexibilité au travail.

Vos solutions ne répondent pas à cet objectif. Elles sont, pourrais-je dire, tout à fait cohérentes avec l'idée du monde économique révolutionné dont vous rêvez et pour lequel vous poursuivez votre engagement politique. Mais ce rêve n'est pas le nôtre. Dans les pays où il a été mis en pratique, les résultats économiques et sociaux n'ont pas été à la hauteur des résultats escomptés.

Votre démarche a quelque chose de solitaire et même d'un peu poignant. Elle n'est visiblement pas partagée par ceux qui siègent à vos côtés. Toutes vos idées, toutes vos propositions, pourquoi n'ont-elles pas été mises en œuvre par le gouvernement de Lionel Jospin ? Il s'en est bien gardé.

M. Alain Bocquet. Mais nous étions minoritaires !

M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Je le reconnais.

A l'époque, ses ministres du travail parlaient de « souplesse négociée », ils ouvraient le capital des entreprises publiques comme France Télécom,....

M. Daniel Paul, rapporteur. Ca, c'est vous qui l'avez fait !

M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. ...et ne semblaient pas s'offusquer de voir le recours à l'intérim s'envoler.

Depuis, les Français ont choisi de changer de majorité. Nous n'avons pas été élus pour reproduire une politique battue dans les urnes mais pour tenter d'en conduire une nouvelle.

Monsieur le député, je l'ai indiqué à l'instant : je crois à la nécessité d'imaginer un modèle mariant sécurité et flexibilité afin de relancer l'emploi dans notre pays.

Le retour de la croissance est un préalable indispensable. Mais il faut, d'une part, faire en sorte que celle-ci soit durable et créatrice d'emplois, et, d'autre part, renforcer les régulations qui sont indispensables. Nous sommes ici au carrefour de l'économique et du social.

La sécurisation des parcours professionnels suppose avant tout de développer la formation tout au long de la vie. La formation, c'est la meilleure arme contre le chômage, la meilleure arme pour accompagner les transitions professionnelles et garantir le retour à l'emploi.

M. Jean-Yves Cousin. Très juste !

M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Il faut mettre l'accent sur des garanties collectives disponibles pour chaque salarié dans le cadre de la formation professionnelle. Tel a bien été l'objet de la loi sur la formation tout au long de la vie avec la création du droit individuel à la formation ou la mise en œuvre d'une véritable coresponsabilité entre l'employeur et le salarié en matière de formation.

Car il ne s'agit pas de décréter ou de commander. Non, il faut inciter les entreprises à développer la formation et à investir dans le capital humain. Il faut parallèlement que tous les salariés prennent conscience de leur propre responsabilité individuelle à ce sujet.

Bien d'autres éléments de la loi sur la formation tout au long de la vie déclinent cette assurance-emploi qui figurait parmi les engagements du Président de la République : le passeport-formation, l'accent mis sur la validation des acquis de l'expérience, les observatoires de l'évolution des métiers, la période de professionnalisation.

Je n'insiste pas sur ces points, mais vous aurez compris que cet investissement dans la formation m'apparaît bien comme la première réponse à la sécurité des parcours professionnels.

La seconde réponse, c'est l'anticipation des restructurations et de leurs conséquences. Nous sommes ici au cœur de la négociation actuellement en cours entre les partenaires sociaux.

Nous ne pouvons empêcher notre économie de s'adapter et de préserver ou de conquérir des marchés. En contrepartie, il s'agit de faire face à des restructurations industrielles et, par conséquent, de trouver une méthode d'accompagnement.

Pour cela, il faut avoir une capacité collective d'anticipation, notamment au niveau des territoires et des bassins d'emploi. Il faut par ailleurs offrir aux salariés des outils performants de reclassement.

C'est pour cela que j'ai créé la mission interministérielle sur les mutations économiques.

M. Gaëtan Gorce. Pour quels résultats ?

M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. C'est pour cela que j'ai demandé aux partenaires sociaux d'engager une négociation, à la suite de la suspension de la loi dite de modernisation sociale.

M. Gaëtan Gorce. Pour quels débouchés ?

M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Nous allons en parler de ces débouchés, monsieur Gorce ! Il est certain qu'il ne peut y avoir de débouchés si on ne demande pas aux partenaires sociaux de négocier. Nous, nous le faisons et au printemps, sur la base de la négociation que ces derniers conduisent, nous soumettrons à votre examen un projet de loi de mobilisation pour l'emploi.

Ses lignes directrices sont claires : nous voulons installer le mécanisme d'une deuxième chance pour tous les jeunes sortis sans qualification du système scolaire ; nous voulons rénover le service public de l'emploi pour offrir un meilleur accompagnement aux demandeurs d'emploi ; nous voulons lever les freins à l'emploi dans notre droit du travail ; nous voulons prendre en compte les résultats de la négociation sur les restructurations afin d'offrir de meilleures conditions de reclassement aux salariés, et tout particulièrement à ceux des PME.

Toutes ces orientations sont actuellement en train d'être débattues et approfondies chaque jour par les groupes de travail que j'ai mis en place dans mon ministère et auxquels participe l'ensemble des partenaire sociaux.

Enfin, en matière de protection des salariés, je crois nécessaire d'insister sur les nouvelles règles qui régiront notre démocratie sociale. En mettant l'accent sur la responsabilité des partenaires sociaux, je mise sur leur volonté et leur devoir à être plus proche des salariés et plus présent dans le secteur privé. J'en ai la conviction, la rénovation de notre démocratie sociale revitalisera les outils de la régulation sociale.

Mesdames et messieurs les députés, pour être efficace, il convient d'aborder la question de l'emploi avec pragmatisme et imagination. Les dogmes et la peur du changement ont établi puis cimenté le chômage de masse en France. Plus de réalisme et plus d'audace peuvent, a contrario, nous sortir de l'impasse en nous réconciliant enfin avec un objectif qu'aucun d'entre nous sur ces bancs n'ose plus réellement afficher depuis deux décennies, celui du plein emploi.

M. Jean-Yves Cousin. Très bien !

M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Monsieur Paul, au nom de cette conception réaliste et offensive ...

M. Daniel Paul, rapporteur. Libérale !

M. Jean-Yves Cousin. Sociale !

M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. ... en faveur de l'emploi, j'invite l'Assemblée à ne pas adopter cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Christian Kert.

M. Christian Kert. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'aimerais rappeler que la commission a tenu à souligner l'importance du sujet dont traite la proposition de loi pour la cohésion de notre société. Mais, comme l'a indiqué le ministre, le thème de la précarité de l'emploi sera abordé à de multiples reprises dans les prochains mois, notamment dans le cadre de la discussion du projet de loi de mobilisation pour l'emploi. Aussi la commission n'a-t-elle pas présenté de conclusions et a proposé de ne pas voter le passage aux articles, ce qui n'exclut ni la publication du rapport de M. Paul ni la discussion en séance publique. Et M. le ministre vient de nous apporter dans ce cadre des précisions importantes.

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Marie-George Buffet.

Mme Marie-George Buffet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la précarité est un fléau : un fléau pour les individus qui la subissent et pour leurs proches ; un fléau pour le développement économique de notre pays. En effet, celui-ci a besoin d'emplois stables et qualifiés, de conditions de travail et de rémunérations qui soient autant de sources de rapports nouveaux et d'efficacité dans l'entreprise, l'innovation économique ne pouvant aller sans l'innovation sociale. Le développement économique nécessite que, dans chaque entreprise, le savoir-faire soit transmis aux jeunes.

Soucieux de l'intérêt des salariés comme d'un développement économique efficace et respectueux des individus, les députés communistes et républicains ont donc pris l'initiative de cette proposition de loi.

La précarité de l'emploi est insupportable parce qu'elle crée l'insécurité dans la vie quotidienne d'hommes, de femmes et de familles. Comment faire des projets quand on n'a pas d'emploi stable ? Comment faire des projets quand on doit chaque jour chercher comment gagner de quoi manger pour le lendemain ? Comment entrer dans la vie lorsqu'on est jeune et que les seuls emplois proposés sont précaires ? Comment faire des projets lorsqu'on est pris dans la spirale des petits boulots, privés de formation qualifiante ? Comment faire des projets lorsqu'on est ainsi pris dans les mailles de la logique capitaliste et abandonné à son propre sort par le reste de la société ?

Monsieur le ministre, vous venez de parler de réponses étatistes. Ce ne sont pas les nôtres. Nous voulons simplement, à travers cette proposition de loi, faire respecter les droits des individus. Par contre, la politique qui est la vôtre est marquée par le recul des missions de l'Etat, par la casse de toutes les garanties et de tous les statuts. Elle donne toute liberté au patronat de licencier. On en connaît les résultats : plus de chômage, plus de délocalisations, plus de précarité et, bien sûr, plus de profits. Mais vous venez de nous dire tout le bien que vous pensez de la logique capitaliste.

Sur les 535 milliards d'euros de ressources nouvelles des entreprises - profits et fonds publics cumulés -, 51 % vont aux placements financiers et aux dividendes pour les actionnaires.

C'est vrai, monsieur le ministre, nous ne partageons pas les mêmes rêves.

M. Alain Bocquet. Absolument, nous n'avons pas les mêmes valeurs !

Mme Marie-George Buffet. Moi, je rêve d'une société qui respecte les droits des salariés. Vous, vous nous parlez de profits !


Quatre millions de personnes sont aujourd'hui soumises au régime précaire, notamment par l'intérim et le contrat à durée déterminée. Des entreprises entières ne fonctionnent qu'au contrat précaire. « Maintenant, ceux qui ont de l'ancienneté, c'est la minorité, les perles rares. Les salariés des grands magasins sont pour la plus grande part des hommes et des femmes sous contrat à durée déterminée ou en intérim, qui viennent et qui repartent », me confiait récemment un salarié du Printemps. Et de me décrire la dégradation du climat dans le magasin : « Avant, on était de la boutique, donc la boutique, quelque part, nous appartenait. » Mais la mode est désormais au salarié Kleenex...

Cette situation est également le lot de nombre de salariés du secteur automobile. J'ai également eu l'occasion de rencontrer ces milliers de jeunes intérimaires qui travaillent, souvent en équipes de nuit, dans ces grandes entreprises, débauchés sitôt que les affaires ralentissent. Et que dire des salariés de McDonald's ou du Pizza Hut, qui ont su faire entendre fortement leur voix face au sort inacceptable qui leur était réservé ? Car la précarité est un moyen de pression terrible pour les salariés précaires eux-mêmes, mais aussi pour tous les autres. Elle est devenue un des rouages du mécanisme d'exploitation par le travail dont le patronat de notre pays use et abuse sous la bénédiction du MEDEF : lorsque l'on craint le non-renouvellement de son contrat, il est difficile de ne pas subir...

On pourrait également parler des entreprises du secteur informatique ou encore de La Poste qui ne se prive pas de recourir massivement aux contrats précaires. Les logiques du capitalisme ont de tout temps cherché à contenir et à réduire les droits des travailleurs et des travailleuses. Au-delà de l'aspect contre-productif du procédé, de son inefficacité sociale et économique - on sait qu'un salarié bien dans sa vie est bien dans son travail -, une société ne peut pas traiter ainsi les hommes et les femmes qui la composent. Notre ambition est de mettre un coup d'arrêt à ces pratiques et de sécuriser les parcours de vie.

Mais, plus largement, je voudrais évoquer la situation de détresse dans laquelle sont plongés celles et ceux qui perdent leur emploi, qui connaissent le licenciement. Oui, la sécurisation de l'emploi apparaît aujourd'hui comme un chantier social majeur. Je sais que l'air du temps n'est pas aux grandes avancées sociales, mais il devient urgent de mettre en œuvre pour l'emploi une avancée de la même ampleur que celle qui avait conduit à la création de la sécurité sociale. Il s'agit d'un choix de civilisation : s'enfoncer dans la précarité en poursuivant sur la voie du RMA et autres contrats de mission, ou bien trouver des solutions à ce fléau qui pèse sur le monde du travail.

C'est précisément l'objectif de la proposition de loi - et je veux ici remercier notre collègue Daniel Paul pour la qualité du travail qu'il a réalisé en liaison étroite avec des syndicalistes et des salariés - que nous vous présentons aujourd'hui. Elle se présente en deux volets. Le premier vise à limiter le recours aux emplois précaires dans les entreprises à 5 % de l'effectif total ; ce seuil leur permettra de faire face aux surcroîts d'activité. Ne seraient pas pris en compte dans ce contingent les contrats d'apprentissage, les contrats à durée déterminée pour remplacement d'une personne absente, non plus que les emplois à caractère saisonnier dans certains secteurs d'activité définis par décret.

Ces dispositions visent à prolonger et à rendre efficace une loi qui, pour l'heure, est dans son principe largement enfreinte par les entreprises. Celle-ci prévoit en effet que les contrats précaires ne peuvent être utilisés que pour subvenir à des charges de travail exceptionnelles. Malheureusement, ce n'est un secret pour personne, il en va tout autrement dans la réalité.

Ainsi, dans une entreprise qui ne respecterait pas cette règle à concurrence de 5 %, les contrats, par ordre d'ancienneté, seraient réputés à durée indéterminée. Cette mesure permettrait de régulariser la situation des trois quarts des précaires en les titularisant de fait, comme cela devrait être le cas. La loi deviendrait ainsi applicable et efficace.

Le deuxième volet de la proposition de loi vise à créer une Agence nationale pour l'emploi et la formation des travailleurs intermittents. Cette agence aurait pour mission de garantir la stabilité des revenus des personnes aujourd'hui touchées par la précarité en leur proposant, par l'alternance entre la formation, les activités à utilité sociale et l'emploi temporaire, de retrouver le chemin d'un emploi stable. Les contrats passés dans une entreprise sous l'égide de l'Agence nationale pour l'emploi et la formation des travailleurs intermittents entreraient bien évidemment dans le contingent des 5 % d'emplois temporaires autorisés mais, du fait même de leur nature et des objectifs de l'agence, ils se différencieraient très positivement des contrats à durée indéterminée et des contrats d'intérim. Cette mesure, en somme, vise à éradiquer progressivement le chômage en plaçant chacune et chacun dans une dynamique tout à la fois positive et choisie.

Permettez-moi d'insister sur la novation que constituerait cette loi qui engagerait notre pays sur la voie d'une véritable sécurité d'emploi, de formation et de revenu. C'est bien de cette audace-là dont notre peuple a besoin pour sortir des difficultés dans lesquelles il se voit aujourd'hui plongé. Cette proposition pourrait préfigurer un dépassement du marché actuel du travail et permettrait à l'adage selon lequel les hommes et les femmes ne sont pas des marchandises de se traduire en actes.

Ces dispositions devraient pouvoir s'articuler avec d'autres, notamment l'attribution de pouvoirs accrus aux salariés au sein des entreprises. Des conflits récents nous ont montré qu'ils avaient des projets pour leurs entreprises et leur développement, face aux tentatives de casse industrielle et économique impulsées par les sirènes de la rentabilité financière et la gourmandise des actionnaires.

Mes chers collègues, je souhaite, au nom des députés du groupe communiste et républicain, au nom des salariés de ce pays, au nom de tous ceux qui connaissent la précarité, et par respect pour eux, que notre proposition soit réellement étudiée par la représentation nationale. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. Yves Boisseau, pour le groupe de l'UMP.

M. Daniel Paul, rapporteur. Cela ne va pas être pareil !

M. Yves Boisseau. Les auteurs de la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui partent de deux affirmations : la première, de nature idéologique, voudrait que le capitalisme engendre la précarité de l'emploi ; la seconde pose comme postulat que notre pays compterait 1 500 000 intérimaires auxquels viendraient s'ajouter les contrats à durée déterminée, les CES, les emplois-jeunes, les contrats de qualification, etc.

La première affirmation s'appuie sur une philosophie politique dont on connaît les résultats. M. le rapporteur nous a présenté en commission cette proposition de loi comme la concrétisation d'une utopie : réaliser dans le domaine de remploi ce qui s'est fait en 1945 dans le domaine de la sécurité sociale. Comparaison bien audacieuse, car ni le sujet ni le contexte ne sont semblables.

Quant à la deuxième affirmation, elle mérite d'être révisée à la lumière de quelques chiffres. Une étude de la DARES portant sur l'année 2002 fait état de 500 000 personnes en contrats intérimaires auxquels s'ajoutent 900 000 titulaires de contrats à durée déterminée, soit un total d'environ 1 400 000 contrats courts.

Ces formes d'emploi représentent 9 % de l'emploi marchand, hors contrats aidés. Comment en déterminer le niveau souhaitable ?

L'étude de la DARES que j'évoquais souligne que l'essor de ces contrats, observé en période de chômage élevé, se poursuit même en période de reprise. On a pu le constater entre 1997 et 2002, autrement dit sous le gouvernement auquel vous apparteniez, monsieur le rapporteur : leur nombre avait alors sensiblement augmenté.

En 2000, le nombre d'intérimaires s'est accru de 25 % et celui des CDD de 6,7 % quand les CDI ne progressaient que de 1 %. On notera au passage que le précédent gouvernement n'avait pas renoncé au principe des CDD avec la création des emplois-jeunes...

Pourquoi ces contrats courts se sont-ils développés ? Certains types d'activité y ont recours du fait de leur caractère saisonnier : c'est le cas de l'agriculture où 40 % de CDD sont en fait des contrats saisonniers. Le tertiaire fait également appel aux contrats à durée déterminée, particulièrement dans les secteurs récréatifs, culturels et sportifs dans lesquels 28 % des salariés sont embauchés sous CDD.

Le recours à l'intérim est quant à lui essentiellement le fait d'entreprises industrielles et du BTP. L'industrie emploie 48 % des intérimaires alors qu'elle ne représente que 23 % des salariés.

Les auteurs de la proposition de loi qualifient ces contrats de « précaires ». Il est vrai que la tradition dans notre pays lie la qualité du contrat de travail à son caractère à durée indéterminée. On pense encore ainsi à une garantie d'emploi à vie, ce qui est loin d'être le cas aujourd'hui.

Il faut effectivement, monsieur le ministre, promouvoir autant que possible l'emploi durable et personne ici ne défendra les abus parfois constatés dans le recours aux CDD - du reste, dans la majeure partie de ces cas, le contrat est alors immédiatement requalifié en CDI par la justice. Rappelons également qu'un CDD a l'avantage de ne pouvoir être rompu par l'employeur, sauf en cas de faute grave.

Faut-il brider davantage les employeurs dans l'utilisation de ces contrats, devenue nécessaire pour adapter de notre économie aux exigences de la mondialisation ?

L'organisation du travail a beaucoup évolué ces dernières années. Les méthodes d'embauche ont sensiblement changé et nombre d'entreprises ont externalisé cette fonction en la confiant, par exemple, à des agences d'intérim. Ces agences apportent leurs connaissances très précises du marché de l'emploi à l'entreprise pour repérer et former des candidats les mieux adaptés aux postes offerts.

Selon l'étude de la DARES, les trois quarts des personnes qui étaient en contrat temporaire en mars 2001 étaient toujours en activité un an plus tard alors que, sur la même période, deux tiers des chômeurs n'avaient pas retrouvé d'emploi.

Ces contrats courts peuvent ainsi jouer un rôle de tremplin vers l'emploi stable. Les chiffres le prouvent : un quart des intérimaires et un tiers des salariés en CDD en mars 2001 avaient obtenu un CDI un an plus tard.

Le CDD et l'intérim permettent d'acquérir une expérience et une connaissance du monde de l'entreprise particulièrement précieuses pour un public généralement jeune et peu qualifié - les deux tiers des intérimaires ont moins de trente ans. On ne saurait donc nier que les contrats à durée limitée ont une réelle capacité d'insertion.

II ne faut pas non plus négliger l'évolution des mœurs. Un nombre croissant de nos concitoyens souhaite pouvoir maîtriser leur temps de travail et de loisir. On estime ainsi que 20 % des intérimaires ont délibérément choisi ce mode d'organisation du travail.

Mais la raison de l'embauche de personnes en contrats courts tient essentiellement et avant tout à la nécessité de faire face aux variations de la charge des carnets de commandes.

Les auteurs de la proposition de loi reprochent essentiellement au système actuel ses excès.

Le premier volet du texte qui nous est soumis instaure un plafond de 5 % pour le recours aux contrats courts par rapport à l'effectif occupé en moyenne au cours de l'année civile précédente.

Premier inconvénient : cette proposition de loi impose - encore ! - de nouvelles contraintes de gestion administrative. Deuxième inconvénient, la règle du taux de 5 % s'appliquerait de façon identique à toutes les entreprises. Une société informatique, un fabricant industriel et une entreprise de distribution commerciale, par exemple, n'ont pas les mêmes exigences et le recours au travail à durée déterminée pour accroissement d'activité varie dans de larges proportions selon le produit, le service assuré et le marché desservi.

Troisième inconvénient, l'introduction d'un nouveau seuil dans la réglementation du travail ne manquerait pas de produire des effets pervers - nous ne les connaissons que trop. Faudrait-il qu'une entreprise en surcroît temporaire d'activité limite ses prises de commandes au volume permis par l'embauche de ces 5 % réglementaires ?

Mais le dernier et principal inconvénient de cette proposition de loi serait l'effet psychologique néfaste produit sur les employeurs déjà soumis à de multiples contraintes administratives et réglementaires de plus en plus complexes. Les entreprises ont plus besoin de souplesse que de nouvelles rigidités.

Le texte prévoit une disposition spécifique aux contrats de travail à caractère saisonnier. Actuellement, la clause contractuelle de reconduction pour la saison suivante a simplement pour effet d'imposer à l'employeur une priorité d'emploi en faveur du salarié. Une disposition qui obligerait tout employeur à proposer au salarié un emploi pour la saison suivante n'est ni réaliste ni raisonnable compte tenu de l'impossibilité de faire une prévision d'activité un an à l'avance.

Quant à l'article 16 qui prévoit de renforcer les pouvoirs d'intervention du comité d'entreprise, il alourdit lui aussi la réglementation. Le comité d'entreprise dispose déjà d'un droit de regard sur les motifs de l'augmentation de l'emploi temporaire, avec possibilité de saisie de l'inspection du travail.

L'Agence nationale pour l'emploi et la formation des travailleurs intermittents, dont la proposition de loi prévoit la création, aurait pour mission de faciliter le passage d'un contrat court à un emploi durable. Remarquons pour commencer qu'il s'agit là d'un mélange de fonctions assumées actuellement par l'ANPE et les sociétés d'intérim.

Sur le fond, tout le monde souhaite le développement de l'emploi à durée indéterminée, qui serait le signe d'une croissance retrouvée. Malheureusement, cette nouvelle structure n'y contribuerait en rien ; tout au contraire, elle alourdirait davantage encore les dispositifs administratifs.

Sur les conditions offertes par l'ANEFTI aux salariés et la possibilité pour eux de choisir éventuellement les règles actuelles d'indemnisation ASSEDIC, on ne voit pas bien ce qui les inciterait à choisir la formule ASSEDIC. Les charges des employeurs seraient une nouvelle fois alourdies, compte tenu du système de financement proposé pour l'ANEFTI, à rebours de la politique aujourd'hui nécessaire pour faire face à la concurrence des pays à bas coût de revient.

En conclusion, la législation en matière de recours aux emplois temporaires est déjà très contraignante en France, et le problème fondamental n'est pas la mise en place de nouvelles contraintes. Plutôt que de recourir à des dispositifs restrictifs inefficaces, la stratégie du Gouvernement met l'accent sur l'accès à l'emploi durable par la mise en œuvre de dispositifs incitatifs, comme l'allégement des charges sociales et la formation professionnelle.

Il est particulièrement significatif que le premier texte adopté en matière d'emploi ait été la mise en place des contrats jeunes. Mis en œuvre à partir du deuxième semestre de l'année 2002, ce dispositif, qui offre aux jeunes peu qualifiés la possibilité d'accéder à un CDI, a rencontré un succès significatif puisque près de 140 000 contrats ont été signés, avec un objectif de 250 000 contrats fin 2006.

A ces contrats jeunes en entreprise, il convient également d'ajouter d'autres dispositifs - contrat initiative emploi, RMA -, qui visent à favoriser l'activité des personnes éloignées depuis longtemps du marché du travail.

Autre élément de cette politique, la baisse des charges sur les bas salaires est destinée à faciliter l'emploi durable des personnes faiblement qualifiées. Elle concerne à terme toutes les rémunérations inférieures à 1,7 SMIC et représente un effort financier de 7 milliards d'euros à l'horizon 2006.

L'accent mis sur la formation professionnelle constitue l'autre grand axe de la politique du Gouvernement en faveur de l'emploi durable. Pour la première fois, un droit individuel à la formation est mis en place. Chaque salarié pourra ainsi mieux préserver son employabilité tout au long de sa carrière, ce qui constitue la meilleure protection contre le chômage.

Par ailleurs, le projet de loi de mobilisation pour l'emploi que le Gouvernement prépare en concertation avec les partenaires sociaux répond à un triple objectif :

Premièrement, proposer à chaque demandeur d'emploi une formule personnalisée selon son âge et son niveau de qualification ;

Deuxièmement, aider les entreprises qui créent des emplois en simplifiant les procédures ;

Troisièmement, protéger les salariés en luttant contre les abus et en veillant au respect du droit du travail.

Parmi les mesures prévues devrait ainsi figurer un dispositif de la deuxième chance afin d'aider les jeunes qui sortent du système éducatif sans qualifications.

Après deux années difficiles en matière d'emploi, les perspectives d'évolution du marché s'améliorent. Il est donc impératif de mettre l'accent sur l'amélioration de l'environnement de la création d'entreprise et d'emplois en luttant notamment contre les freins à l'embauche.

L'allégement des contraintes qui pèsent sur les employeurs, la modernisation et la simplification du droit du travail, les différentes mesures d'ordre économique, fiscal et réglementaire prises par le Gouvernement permettront à la France de saisir la reprise de manière optimale afin que la croissance soit riche en emplois.

Les mesures prévues dans la proposition de loi discutée ce matin n'apportant pas de réponse pertinente en vue d'atteindre ces objectifs de création d'emplois durables, le groupe de l'UMP ne la votera pas. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Gaëtan Gorce.

M. Gaëtan Gorce. Jean-Jacques Rousseau disait qu'il vaut mieux être homme à paradoxes qu'à préjugés !

Ce qui est impressionnant avec vous, monsieur le ministre, c'est que vos paradoxes, nombreux, masquent en réalité vos préjugés.

Les paradoxes, quels sont-ils ? Nous vous entendons, parfois, avec plaisir, afficher votre volonté de favoriser l'emploi. Mais au regard de la réalité, nous devons faire le constat que, depuis deux ans, le chômage n'a cessé d'augmenter et l'emploi réel, l'emploi marchand auquel vous êtes attaché, de diminuer.

Vous nous dites que votre Gouvernement est préoccupé par la précarité : nous ne pouvons que nous en réjouir. Mais toutes les mesures politiques que vous avez prises depuis deux ans ne font que l'aggraver.

M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Absolument faux !

M. Gaëtan Gorce. Ces paradoxes, non assumés, entretiennent la confusion dans l'opinion, et le décalage entre le discours affiché et la politique pratiquée conduit à décrédibiliser l'action politique. De plus, sur un sujet humainement aussi sensible, ces paradoxes risquent de nourrir les extrêmes.

Au-delà des commentaires que vous nous prodiguez, qu'avez-vous fait depuis deux ans ? Vous avez exclu en janvier près de 230 000 salariés de l'indemnisation chômage. Vous avez avalisé la réforme du régime d'indemnisation qui augmente le temps nécessaire pour bénéficier d'une première indemnisation, pénalisant ainsi les salariés précaires, ceux qui sont en CDD ou en intérim. Vous avez aussi, mesure que nous avons dénoncée sur ces bancs, exclu du champ de l'allocation spécifique de solidarité un nombre croissant de chômeurs jusqu'alors pris en charge par ce dispositif, 35 000 au moins en ce début d'année, ce qui a d'ailleurs contribué à faire baisser artificiellement les statistiques du chômage puisque leur réinscription n'intervient pas automatiquement.

Ces réalités vous poursuivent, monsieur le ministre, vous et votre Gouvernement. Elles traduisent le décalage entre le discours que vous tenez et la réalité.

Par ailleurs, vous avez diminué les moyens budgétaires consacrés à la politique de l'emploi au moment où le chômage augmentait en commençant par vous attaquer au dispositif visant les chômeurs de longue durée, et en particulier les femmes. Or ce sont les salariés les plus précaires qui sont concernés par ces dispositifs. Quant aux emplois aidés, vous avez diminué leurs crédits au cours de ces derniers mois.

Que penser de la réforme du RMI ou du RMA ? Vous proposez un dispositif susceptible de favoriser le retour à l'emploi de ceux qui en sont éloignés depuis longtemps. Mais l'on sait bien qu'il s'agit d'un dispositif hybride, hypocrite. Car comment imaginer que ces personnes puissent revenir directement dans l'entreprise ? En fait, ce dispositif ne s'adresse ni aux exclus ni aux plus précaires, mais à ceux qui ont été exclus des dispositifs d'indemnisation chômage, des salariés qui pouvaient parfaitement reprendre un emploi stable et garanti et auxquels on n'offre comme seule perspective qu'une nouvelle précarisation, car le RMA ne présente aucune des garanties d'un emploi stable, notamment en matière de protection sociale et de retraite.

Telle est la réalité qu'il nous faut dénoncer. Vous parlez d'or, monsieur le ministre, mais vous nous payez de petite monnaie. Nous ne pouvons l'accepter plus longtemps. Aussi bien dans cet hémicycle qu'à l'extérieur, nombreux sont ceux qui ont l'intention de l'exprimer dans les semaines qui viennent !

Vos paradoxes masquent vos préjugés, disais-je. Mais ces préjugés sont bien présents dans votre discours et vous l'avez parfaitement illustré tout à l'heure, en parlant de sécurité professionnelle. Vous vous êtes déclaré favorable à une économie et à un système social garantissant la sécurité et avez dit que vous ne voyiez pas d'avenir dans la précarité. Mais, dans le même temps, vous nous expliquez que la montée du chômage et de la précarité tient à la rigidité de notre droit du travail, en clair, les garanties sociales dont bénéficient les salariés.

Ce préjugé en masque d'autres. Nous les avons vus fleurir au cours du débat sur le RMI, et nous les reverrons dans la loi de mobilisation sur l'emploi. Un de ces préjugés consiste à expliquer qu'il faut remettre les RMIstes au travail, ce qui sous-entend qu'ils n'en ont pas la volonté.

Comme vous l'avez expliqué l'autre jour en termes vifs, il faut inciter les chômeurs à reprendre un travail, car ils ne peuvent pas être indemnisés ad vitam æternam, laissant supposer ainsi qu'ils seraient réticents à le faire. C'est oublier, monsieur le ministre, que nous sommes dans une situation où le marché du travail n'offre à ceux qui ont le plus de difficultés, aucune perspective réelle ! Et les lois que vous avez fait voter ont encore réduit les protections, en favorisant, par exemple, les licenciements et les plans sociaux par le biais de la suspension de la loi de modernisation sociale.

Ce double discours, monsieur le ministre, n'est pas satisfaisant. Si je devais me montrer polémique, mais vous savez que ce n'est pas mon tempérament, je dirais que vous êtes le ministre des bonnes paroles, mais des mauvais coups ! Les bonnes paroles, vous nous les prodiguez sur l'emploi depuis deux ans ; les mauvais coups, vous les multipliez au fil des lois que vous faites adopter. Telle est la vérité !

En fait, vous cherchez à masquer votre échec sur lequel je n'ai pas besoin de m'étendre car les chiffres et les données sont là pour le confirmer. Cet échec est le vôtre, même si vous si vous rendez la gauche responsable de la précarité et de la flexibilité.

Je n'aurai pas la cruauté de vous rappeler les diatribes enflammées que vous avez prononcées contre la réduction du temps de travail, qui a pourtant permis de créer des centaines de milliers d'emplois, pour l'essentiel des CDI, et a contribué à la stabilité de l'emploi.

Lorsque vous évoquez la progression de l'intérim et des CDD au cours de la période 1997-2002, vous oubliez de les mettre en parallèle avec l'augmentation de l'emploi : nous avons créé plus de deux millions d'emplois pendant cette période et réduit de 900 000 le nombre des chômeurs.

M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. L'augmentation du nombre de CDI a été de 1 % !

M. Gaëtan Gorce. Vous savez que l'augmentation des CDD est nécessairement plus importante en valeur absolue en période de création d'emplois, qu'en période de récession de l'activité économique et de l'emploi comme aujourd'hui.

Vous évoquez la question de la flexibilité dont vous seriez l'un des artisans, modéré, en faisant référence aux discussions qui ont lieu dans les enceintes européennes sur ce thème. Epargnez-nous, monsieur le ministre, l'hypocrisie, le discours des apparences. Car lorsque dans les enceintes européennes, nos collègues, y compris socio-démocrates, évoquent ces sujets, ils parlent de systèmes sociaux qui n'ont rien à voir avec le nôtre. Leurs systèmes de protection ou d'indemnisation sont autrement plus solides que ceux que vous contribuez à fragiliser.

Ils ne parlent pas de précarité, comme vous semblez vouloir le faire croire, mais d'un mode de négociation et d'organisation du travail dans l'entreprise par la négociation. Leur but est de développer l'emploi et non de précariser les salariés.

Naturellement, je comprends bien, monsieur le ministre, que vous soyez tenté de vous couvrir, parce que cela vous arrange, du voile socio-démocrate quand vous menez des négociations avec vos homologues. Mais la réalité est tout autre et la politique que vous menez n'a rien à voir avec celle qui peut être conduite ailleurs, dans un autre contexte social et avec une volonté politique sensiblement différente de celle que vous exprimez.

La réalité, monsieur le ministre, c'est que votre discours tourne à vide sur ces sujets, alors que la précarité, elle, tourne à plein ! Le principal reproche que l'on peut vous faire, c'est qu'au-delà des mots, il n'y a aucune politique concrète et efficace qui se mette en place. Cette politique supposerait un réel soutien à l'emploi et à la croissance qui, aujourd'hui, fait totalement défaut. En effet, comment lutter efficacement contre la précarité, avec des bouts de ficelles, sans politique active consistant à créer de l'emploi et à le soutenir dans le secteur des services et le secteur industriel ?

Comment conduire une politique active pour lutter contre la précarité, si cette volonté n'inspire pas tous les actes du Gouvernement ? C'est très exactement au contraire que nous assistons. Le grand reproche que l'on peut vous faire aussi, monsieur le ministre, c'est de manquer de volonté politique, ce qui tranche singulièrement avec ce que nous avons connu entre 1997 et 2002. Où est le discours en faveur de l'emploi en dehors de cet hémicycle, lorsque vous y êtes contraint ?

Il est intéressant de noter que, sur un sujet aussi grave que la montée de la précarité, il a fallu attendre l'initiative de la gauche et de nos collègues communistes, pour que ce débat entre dans l'hémicycle. A aucun moment, vous n'en avez pris vous-même l'initiative ou fait des propositions en ce sens.

Cela montre à quel point, derrière le discours, les réalités sont différentes et que la volonté fait défaut. Vous évoquiez pour stigmatiser les propositions de notre collègue communiste, la ligne Maginot. Je vous reprocherai de lui préférer le désarmement unilatéral.

Face au chômage, vous baissez les bras. Vous ne misez que sur l'évolution démographique et sur un éventuel rebond de la croissance. Vous ne vous dotez d'aucun des moyens nécessaires, ni budgétaires, ni législatifs, ni techniques qui permettraient de concrétiser votre discours en faveur de l'emploi.


Outre une politique de l'emploi et une politique active de croissance, fers de lance d'une politique efficace en la matière, il conviendrait d'envisager des mesures allant au-delà d'une loi de mobilisation pour l'emploi, dont on peut penser que, maniant encore paradoxes et préjugés, elle culpabilisera de nouveau les chômeurs en tentant d'activer la recherche d'emploi et en augmentant la dépense publique.

Lutter contre la précarité, c'est encourager la négociation entre les partenaires sociaux, là où précisément les contrats précaires sont les plus nombreux. Le problème n'est pas tant qu'il y ait des contrats d'intérim ou à durée déterminée, sanctionnés par la négociation sociale puis par la loi, mais que la loi et les droits qui les accompagnent ne soient pas respectés. Le problème, c'est qu'ils sont toujours occupés par les mêmes et que, au lieu d'être une transition et de déboucher vers des emplois stables, ils enferment dans un cercle infernal les mêmes catégories de salariés et les mêmes classes d'âges.

Le problème, ce n'est pas tant qu'il y ait des contrats à durée déterminée ou des contrats d'intérim, mais qu'aucun droit particulier ne s'attache à la situation de ces salariés, non seulement en matière de formation, mais aussi en matière de chômage et de protection sociale. Certains de nos collègues ont évoqué la sécurité sociale professionnelle. Il convient d'engager la discussion et d'ouvrir le chantier en vue de garantir à ces salariés, en dépit des aléas qu'ils peuvent rencontrer dans leur vie professionnelle, des droits équivalents ou une continuité de leurs droits. Il importe de leur éviter d'être traités comme des parias, avec les conséquences qui en résultent sur le plan humain et sur le plan social, et de leur permettre d'accéder aux garanties normales qui s'attachent au monde du travail. Même si, dans une économie qui change et des entreprises qui doivent s'adapter, ces droits peuvent évoluer, ils doivent être garantis.

Face à la compétition mondiale, à la concurrence exacerbée entre les économies, il convient non pas de réduire les droits, comme vous le dites souvent, mais au contraire d'adapter et de renforcer les garanties. Je doute en effet que l'on puisse espérer une forte implication des salariés, à tous les niveaux de l'entreprise, si les seules réponses qu'on leur apporte sont la précarisation, l'exclusion, la mise sur la touche à la première difficulté ou, même, le maintien dans des situations d'emplois précaires, difficiles et aux statuts atypiques.

Telle est la réalité à laquelle nous sommes malheureusement confrontés et que vous refusez de traiter. Monsieur le ministre, comment pouvez-vous avoir le front d'évoquer le plein-emploi, abordé par Lionel Jospin dans la période 1997-2002, alors que vous êtes le ministre du plein chômage qui grimpe à plein régime ? Comment tenir un tel discours sans avoir la volonté politique de vous donner les moyens d'apporter des réponses concrètes, sauf à considérer, comme je le pense depuis longtemps, que vous traitez des problèmes de manière exclusivement politique ?

En conclusion, monsieur le ministre, cette question de la lutte contre la précarité, pour laquelle des pistes de travail existent, mais qui exige une véritable volonté, sera une des plus importantes que nous aurons à régler dans les prochaines années. Croire que l'on pourrait s'en remettre aux seules évolutions économique et démographique, ce qui semble être votre stratégie, sans se poser la question des outils et des moyens, des droits et des garanties, serait une erreur politique, une erreur sociale et une erreur économique, car il n'y a pas d'efficacité économique sans garanties ni protection sociale.

J'indiquais tout à l'heure que, refusant d'édifier une ligne Maginot, vous avez choisi le désarmement unilatéral. Nous sommes quelques-uns à penser, dans cet hémicycle et en dehors, que le Gouvernement a choisi de jouer de la « ARPE », pendant que la précarité augmente. Je ne suis pas sûr que c'est ainsi que vous réconcilierez les Français avec la République et la politique. Je vous incite à faire suivre vos discours par des actes, en faisant en sorte que la précarité devienne non seulement un sujet de discours pour ce Gouvernement, mais aussi un sujet d'action et d'initiatives. (Applaudissements sur les bancs des député-e-s communistes et républicains.)

M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Il n'a jamais évoqué votre proposition de loi, et vous l'applaudissez !

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Préel, pour le groupe UDF.

M. Jean-Luc Préel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au nom du groupe UDF, je me réjouis de l'occasion qui est aujourd'hui offerte à la représentation nationale, par l'examen de la proposition de loi présentée par les membres du groupe des député-e-s communistes et républicains, de débattre de la précarisation de l'emploi dans notre pays.

Notre collègue Daniel Paul, qui est l'auteur de cette proposition de loi, a dressé un constat sombre mais lucide des inégalités sociales du marché du travail entre les « privilégiés », de moins en moins nombreux mais toujours majoritaires, qui bénéficient des protections de plus en plus larges offertes par le contrat à durée indéterminée, et les autres, exclus de ces avantages acquis par le recours accru des entreprises au travail précaire sous toutes ses formes : intérim, travail saisonnier, remplacement, temps partiel.

Cinquante ans après l'hiver 1954, alors que l'abbé Pierre lance un nouvel appel contre la paupérisation grandissante au sein même de notre société, il est salutaire de poser cette question devant notre assemblée. Encore faut-il s'entendre sur ses termes. Ceux-ci ont le mérite d'être posés, mais ils sont mal posés.

Cette proposition de loi souffre d'un double défaut. Sur la forme, son manque de rigueur sur un concept aussi difficile à définir que la précarité nuit à la lisibilité des mesures préconisées. Sur le fond, elle est inspirée d'une philosophie du travail et de la question sociale qui nous semble erronée, celle d'une économie administrée figeant les situations alors que, vivante, elle doit s'adapter en permanence.

Sur la forme, la proposition de loi laisse planer le flou sur la notion de précarité. Daniel Paul en propose une définition si large - emploi intérimaire, CDD, CES, emplois-jeunes, contrats de qualification et d'adaptation, temps partiel subi - que celle-ci concernerait quatre millions de salariés en situation d'emploi précaire. S'il ne faut pas sous-estimer le phénomène, à gonfler artificiellement les voyants d'alarme, on décrédibilise la cause et on fausse son propre raisonnement et, donc, la pertinence des mesures que l'on préconise. Confondre les notions d'emploi précaire, d'emploi intérimaire, d'emploi à durée limitée ou déterminée, comme le font les députés du groupe communiste, n'est pas anodin.

Je relèverai ainsi deux incohérences, parmi d'autres, qui entachent la lisibilité de cette proposition de loi.

Tout d'abord, il est curieux de noter que l'exposé des motifs évoque comme l'une des deux mesures phares du projet le plafonnement à 5 % de l'utilisation d'emplois précaires au sein de l'entreprise. On pourrait donc s'attendre à ce que le dispositif législatif présenté corresponde à la lettre de l'exposé des motifs. Il n'en est rien. L'article 1er modifie bien les critères de recours à l'emploi temporaire au sein de l'entreprise en fixant un plafond de 5 %, mais celui-ci ne concerne pas les quatre cas de recours à l'emploi intérimaire prévus par le code du travail, à savoir : le remplacement en cas d'absence, l'accroissement temporaire de l'activité de l'entreprise, le travail saisonnier et les contrats d'apprentissage. Après vérification, ce plafond ne concerne que l'accroissement temporaire de l'activité de l'entreprise, au motif sans doute que seul ce critère est réellement contourné par les fraudeurs, ce qui reste à prouver.

On peut légitimement se demander quelle serait l'efficacité d'une telle mesure, limitée à un des quatre cas de recours à l'intérim. Dès lors, l'objectif affiché de diminuer de 75 % l'utilisation de travailleurs intérimaires par les entreprises apparaît pour le moins utopique.

Seconde incohérence, l'article 9 de la proposition de loi dispose que les contrats à durée déterminée dépassant le plafond seront considérés, de facto, comme des contrats à durée indéterminée, ce qui induit que la survenance de l'échéance de ces contrats sera alors considérée comme un licenciement au sens du code du travail. Les procédures seront donc plus lourdes pour les entreprises. En outre, il n'est pas précisé si ce seuil de 5 % s'applique au seul recours à l'intérim pour cause d'accroissement de l'activité ou au nombre total d'emplois intérimaires dans la société.

La méthode utilisée par les députés communistes et par le rédacteur du texte, M. Daniel Paul, est donc contestable. Elle n'est pas la nôtre. Parce qu'elle n'apporte pas une définition claire de la précarité, elle est impuissante à forger les instruments pour la résoudre. Parce qu'elle confond les différentes catégories d'emploi précaire, elle propose des solutions incohérentes qui ne visent qu'un pan de la précarisation de l'emploi en France.

Mme Muguette Jacquaint. Amendez donc notre texte !

M. Jean-Luc Préel. Et parce qu'elle s'inspire d'une philosophie négative du travail et du salariat, elle est injuste et frappe les populations les plus fragiles qu'elle entend protéger.

M. Pierre Morange. C'est vrai !

M. Jean-Luc Préel. C'est sur le fond, en effet, que nos critiques sur ce texte sont les plus vives.

Cette proposition de loi provoque un triple malaise, parce qu'elle symbolise une conception étatisée et autoritaire des relations de travail que l'on croyait révolue, parce qu'elle frappe les populations les plus fragilisées qui en seront les premières victimes plutôt qu'elle ne les aide et parce qu'elle sanctuarise la précarité plutôt qu'elle ne la résorbe. Les entreprises ne sont pas statiques, elles sont vivantes et doivent donc s'adapter en permanence.

M. Pierre Morange. Très bien !

M. Jean-Luc Préel. Ce texte vise à imposer d'en haut et unilatéralement une nouvelle régulation du travail sans concertation préalable. S'il était voté en l'état, ce dispositif contribuerait à durcir un peu plus les conditions d'embauche dans notre pays.

Au moment où il apparaît nécessaire d'assouplir le code du travail pour lutter contre les rigidités qui pénalisent l'emploi, il est difficile de ne pas percevoir les effets pervers de cette mesure. La proposition de loi de Daniel Paul ne participe donc pas d'un droit du travail rénové tel que nous l'envisageons.

M. Daniel Paul, rapporteur. Tel que vous l'envisagez !

M. Jean-Luc Préel. Alors que la France souffre de la dévalorisation du travail, il faut libérer les capacités productives afin de créer de la richesse et de l'emploi.

M. Pierre Morange. Très bien !

M. Jean-Luc Préel. Ce n'est pas en complexifiant encore un peu plus notre code du travail que cet objectif sera atteint, ni d'ailleurs celui que vous vous fixez et que nous partageons, visant à lutter contre la précarité dans notre pays. C'est la seconde critique de forme de votre proposition de loi que je voudrais développer.

Votre vision des relations sociales au sein du monde du travail relève de considérations moralement recevables. Mais leur concrétisation est frappée du sceau de l'injustice sociale.

En effet, que propose ce texte ? L'idée initiale est de protéger les travailleurs précaires par la création d'un statut temporaire leur garantissant une transition d'un emploi précaire à un emploi stable. L'intention est louable, mais une telle mesure ne peut qu'avoir des conséquences néfastes. L'effet le plus immédiat, le plus évident, le plus visible, sera, contrairement à ce qu'en attendent les promoteurs de cette proposition de loi, non pas une diminution du nombre d'emplois précaires, qu'on espère limiter par la fixation d'un plafond et la création d'un statut garanti de transit vers un emploi stable, mais une « sanctuarisation » de la précarité.

Sanctuarisation, parce que la création d'une agence nationale chargée de mettre en place ce statut et les conventions qui seront signées avec les différents partenaires n'assureront pas aux travailleurs qui en feraient la demande un emploi stable au terme de la période envisagée. Au contraire, ces conventions, renouvelables, conduiront à une pérennisation quasiment automatique de ce dispositif. On aboutit ainsi à légitimer par des conventions signées avec l'Etat le recours à l'emploi précaire, à le sanctuariser au lieu de le combattre.

M. Daniel Paul, rapporteur. Ce n'est pas sérieux !

M. Jean-Luc Préel. Enfin, cette proposition de loi est injuste car elle frappe les populations les plus fragiles. En plafonnant le recours à l'intérim, elle risque de dissuader des entreprises d'embaucher. Les principales victimes de cette mesure seraient donc les chômeurs.

Notre droit du travail est marqué par la volonté constante de protéger le salarié bénéficiant d'un contrat à durée indéterminée. Elle répond au souci logique de rééquilibrage des rapports de force au sein de l'entreprise au profit de la partie la plus faible et reconnue comme telle depuis 1907, et de reconnaissance de la sujétion de l'employé à l'employeur dans le cadre du contrat de travail.

Cette préoccupation est ancienne et elle est légitime. En revanche, prendre acte de la précarisation croissante de l'emploi dans notre pays pour accorder aux salariés précaires une protection équivalente à celle dont bénéficient la grande majorité des salariés serait dommageable. Obéissant à un souci apparent de justice sociale et de défense du salariat, une telle conception conduirait à dévaloriser la norme que doit rester le CDI et, plus grave, à augmenter le nombre d'emplois précaires dans notre pays.

Une loi répondant à une logique autoritaire, qui sanctuarise l'emploi précaire et en frappe injustement les premières victimes...

Mme Muguette Jacquaint. Il n'y a pas besoin de loi pour cela. Cela s'aggrave !

M. Jean-Luc Préel. ...voilà ce que nous ne voulons pas, et voilà ce qui justifie l'opposition du groupe UDF à la proposition du groupe des députés communistes et républicains.

La question cruciale de la précarité dans notre société reste posée. Elle mérite un autre débat, dans des termes autres que ceux qui sont proposés aujourd'hui.

Mme Muguette Jacquaint. Pourquoi pas maintenant ? Amendez ce texte !

M. Jean-Luc Préel. La réponse s'articule autour de cinq axes qui constituent, aux yeux du groupe UDF, cinq priorités majeures.

Premièrement, l'accent doit être mis sur la baisse des charges sociales et la limitation de la hausse du coût du travail sur les bas salaires.

Mme Muguette Jacquaint. Tout à fait !

M. Jean-Luc Préel. Rendre l'emploi des travailleurs peu qualifiés moins cher pour inciter les entreprises à embaucher doit être notre premier levier de lutte contre la précarité.

Deuxièmement, l'Etat doit mener parallèlement une politique d'insertion plus volontariste...

Mme Muguette Jacquaint. Très bien !

M. Jean-Luc Préel. ...en facilitant les modalités d'accès aux dispositifs d'aide. Il est à cet effet primordial d'unifier les mesures existantes pour favoriser la création d'un guichet social unique qui facilitera les démarches des demandeurs d'emploi et leurs relations avec les organismes de sécurité sociale.

Troisièmement, l'Etat doit développer ses aides aux contrats aidés dans le secteur marchand, notamment en faveur des chômeurs de moins de six mois qui sont encore en contact avec les réalités du monde du travail. Les aides au secteur marchand doivent prendre le pas sur l'insertion dans les secteurs non marchands de type emplois-jeunes, qui ont montré leurs limites sous la législature précédente.

Quatrièmement, pour faire face à une conjoncture difficile et à une population de chômeurs de longue durée déconnectée du marché du travail, l'Etat doit cependant maintenir un volant d'aides aux contrats dans le secteur non marchand, en le ciblant sur les chômeurs de plus de six mois.


Cinquièmement, les pouvoirs publics doivent favoriser la création d'emplois. François Bayrou a ainsi proposé de créer le « contrat premier emploi » dans un cadre régional, mais qui pourrait également être étendu sur le plan national. Il s'adresserait, contrairement aux emplois-jeunes, au secteur marchand et permettrait de dynamiser durablement l'emploi dans notre pays.

Alors que les licenciements économiques se succèdent, la question de la précarité du travail doit être une priorité nationale. Gageons que les prochains mois nous donnerons l'occasion d'en débattre avec toute la volonté qu'elle mérite. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Mme Muguette Jacquaint. Les travailleurs vont apprécier !

M. le président. La discussion générale est close.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Daniel Paul, rapporteur. Si j'en crois tous les orateurs qui se sont exprimés ce matin, il faut se féliciter de l'initiative que constitue la présente proposition de loi.

Je ne doute pas que la plupart d'entre nous déplorent la situation de nombre de salariés dans leur circonscription. Mais, entre le constat de la misère, les problèmes qu'elle engendre et les exigences patronales qui en sont la cause, vous choisissez de donner la priorité à ces dernières.

Lorsque, suite à la tempête de 1999, une entreprise du bâtiment recrute deux fois ses effectifs en intérimaires, que deux ans plus tard la moitié de ses personnels sont intérimaires et que rien ne bouge, et qu'on nous explique que c'est le seul moyen de faire face aux difficultés, je dis qu'on donne la priorité aux exigences patronales laissant ainsi de côté la situation des salariés.

Mme Muguette Jacquaint. Très bien !

M. Daniel Paul, rapporteur. L'usine de Sandouville du groupe Renault comptait, il y a un an, 8 000 salariés, dont 1 800 intérimaires. C'est illégal.

Mme Muguette Jacquaint. Tout à fait, et c'est le même topo chez Citroën !

M. Daniel Paul, rapporteur. Toutes les lois qui ont été votées dans cette enceinte depuis une trentaine d'années rendent illégale cette situation.

Les chefs d'entreprise, les responsables administratifs nous expliquent que c'est le moyen pour cette entreprise de faire face à une conjoncture difficile. A qui donne-t-on la priorité ? Aux exigences patronales ou aux problèmes des salariés ? Mes camarades et moi donnons la priorité aux exigences des salariés.

A la Libération, et le programme d'action du Conseil national de la Résistance le prévoyait, la France en reconstruction a mis sur le devant de la scène la nécessité de bâtir une sécurité sociale. Bien évidemment, c'était alors une utopie, un rêve de salarié d'être protégé contre les aléas de la vieillesse et de la maladie. Aujourd'hui, alors que vous êtes en train de casser les retraites et la sécurité sociale, nous rêvons que les salariés soient protégés tout au long de leur vie. Appelons cela comme on voudra, « sécurité professionnelle » ou « sécurité emploi formation », nous, nous voulons tout simplement qu'il n'y ait plus de rupture dans la vie des salariés, qu'ils aient une garantie. Cela ne veut pas dire n'importe quoi, il faut en discuter. Voilà l'objectif.

Vous connaissez certainement la dernière réplique de l'excellent film de Visconti, Le Guépard :...

M. Alain Bocquet et Mme Muguette Jacquaint. Excellent film, en effet !

M. Daniel Paul, rapporteur.  ...« Comment changer pour que ça reste toujours la même chose ? »

M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. C'est le maintien du modèle social !

M. Daniel Paul, rapporteur. Voilà ce que vous recherchez : comment adapter en permanence ce qui est, pour vous, le cœur de notre société, le capitalisme, en le rendant toujours plus dur pour les salariés, tout en donnant le sentiment que vous vous préoccupez de leur situation.

Monsieur le ministre, vous avez dit vouloir combattre les « chauffards du social ». Nous aussi, mais le capitalisme, dans sa nature même ...

M. Alain Bocquet. Est intrinsèquement pervers !

M. Daniel Paul, rapporteur. ...génère des chauffards du social.

M. Richard Cazenave. Le communisme a été le naufrage du social !

Mme Muguette Jacquaint. Il faut toujours passer à la vitesse supérieure en matière de profits !

M. Daniel Paul, rapporteur. Nous ne partageons pas les mêmes valeurs. Nous, nous avons comme priorité ancrée au plus profond de nous-mêmes : la défense des salariés. Vous, vous avez une autre priorité. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Je voudrais, à l'issue de la discussion générale, remercier les orateurs de l'UMP et de l'UDF qui ont montré combien ils adhèrent pour l'essentiel à la philosophie du Gouvernement s'agissant de la lutte contre le chômage.

Je veux remercier également M. Paul qui a eu le mérite, en déposant cette proposition de loi, de permettre qu'ait lieu ce débat. Même si nous sommes en désaccord sur nombre de points ...

M. Alain Bocquet. Les valeurs boursières et les valeurs humaines !

M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. ...car nous n'avons pas la même vision du monde et nous ne défendons pas les mêmes valeurs, nous sommes tombés d'accord sur l'idée de l'assurance emploi formation, qui est au cœur de la politique du Gouvernement et sur laquelle nous sommes prêts à discuter à l'avenir.

Le meilleur moyen de répondre à la question de M. Paul ne consiste pas à multiplier les textes pour encadrer de manière administrative et hiérarchisée les entreprises qui ont à faire face à un monde qui change, mais à mettre en place des dispositifs peut-être encore plus poussés que ceux que nous avons commencé à esquisser en matière d'assurance emploi formation.

En revanche, je considère que le discours de M. Gorce était une double insulte : à l'intelligence, d'une part, à l'union de la gauche, d'autre part.

A l'intelligence, car on ne peut pas débattre sérieusement de telles questions en travestissant, comme il le fait constamment la réalité économique et sociale de notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Richard Cazenave. Les propos sont scandaleux !

M. Gaëtan Gorce. Cette réalité vous gêne !

M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Ainsi, il participe très activement au dévoiement, à l'affaiblissement de la politique et du débat démocratique.

M. Gaëtan Gorce. Les chiffres sont là !

M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. La réalité en matière de double langage, c'est d'abord celle d'un gouvernement de gauche qui a été le champion toutes catégories des privatisations.

C'est ensuite celle d'un gouvernement de gauche qui nous faisait de grands discours sur la nécessité de lutter contre les licenciements boursiers, mais qui a couvert une période où les profits boursiers ont augmenté comme jamais dans l'histoire récente de notre pays.

M. Gaëtan Gorce. Agissez au lieu de parler de vos prédécesseurs ! Sortez du ministère de la parole !

M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. C'est enfin celle d'un gouvernement de gauche qui nous donnait des leçons en matière de dialogue social, mais qui n'a signé aucun grand accord interprofessionnel alors qu'il était au pouvoir.

M. Loïc Bouvard. Exact !

M. Gaëtan Gorce. Assumez plutôt votre bilan !

M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Quant au bilan du Gouvernement, monsieur Gorce, c'est un péché contre l'avenir de notre pays que de dissimuler aux Français -et vous brûlez les derniers matériaux qui sont encore à votre disposition car vous savez qu'il sera bientôt trop tard- que nous sommes entrés dans une phase de réduction du chômage dans notre pays. Pour la majorité, il s'agit de savoir comment aller au-delà des effets de la politique économique du Gouvernement et du résultat de la croissance mondiale pour améliorer de manière structurelle les performances de notre pays en matière d'emploi.

M. Loïc Bouvard. Très bien !

Mme Muguette Jacquaint. Personne n'y croit !

M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Votre discours était aussi une insulte à l'union de la gauche. Quel mépris pour le groupe communiste et sa proposition de loi que vous n'avez abordée à aucun moment ! C'est pratique de concentrer le tir sur la politique du Gouvernement. Cela permet au parti socialiste à la fois d'éviter de reconnaître que ce que propose aujourd'hui le parti communiste n'était pas à l'ordre du jour de la majorité précédente et de ne pas prendre position sur les propositions qui sont aujourd'hui celles de ses alliés. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. Gaëtan Gorce. Monsieur le président, je demande la parole pour fait personnel.

M. le président. Le règlement prévoit que le fait personnel intervient en fin de séance.

Vote sur le passage à la discussion des articles

M. le président. La commission des affaires culturelles, familiales et sociales n'ayant pas présenté de conclusions, l'Assemblée, conformément à l'article 94, alinéa 3, du règlement, est appelée à statuer sur le passage à la discussion des articles du texte initial de la proposition de loi.

Conformément aux dispositions du même article du règlement, si l'Assemblée vote contre le passage à la discussion des articles, la proposition de loi ne sera pas adoptée.

Dans les explications de vote, la parole est à M. Michel Vaxès, pour le groupe communiste.

M. Michel Vaxès. Monsieur le ministre, vous nous reprochez de mettre le capitalisme en accusation.

M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Je ne vous le reproche pas, je le constate !

M. Michel Vaxès. Nous assumons ce reproche qui nous honore.

Vous nous reprochez de contester un système de gestion qui se traduit par des dégâts sociaux que chacun ici dit regretter mais que, depuis vingt mois, votre gouvernement et votre majorité refusent de combattre, comme le propose notre texte dont vous ne souhaitez pas discuter le contenu.

Vous nous reprochez des réponses étatistes quand nous défendons simplement des réponses humaines.

M. Alain Bocquet et Mme Muguette Jacquaint. Très bien !

M. Michel Vaxès. Vous nous reprochez de rêver à un monde qui libère l'homme, un monde plus humain, une civilisation pour l'homme. Quel aveu ! Que vous nous contestiez, à nous communistes, ce droit de rêver, passe encore, ce reproche aussi nous honore. Mais ce qui nous révolte c'est que vous contestiez ce droit à des millions d'hommes et de femmes de ce pays. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Comme l'ont si bien montré dans leurs interventions Marie-George Buffet et Daniel Paul, la précarité leur interdit tout projet. Vous leur interdisez l'espérance.

Vous nous reprochez un prétendu irréalisme pour mieux vanter ce qui, chez vous, relèverait d'un pragmatisme garant de l'efficacité économique et sociale.

Tous ces reproches sont de mauvais prétextes à laisser au pouvoir de l'argent de tout maîtriser, de tout dominer. Et tant pis pour les dégâts sociaux que ces choix contribuent à aggraver !

Un seul exemple suffit à illustrer le cynisme de l'attitude prédatrice des adeptes de l'économie que vous servez et que M. Jean-Luc Préel a mis toute son énergie à défendre, montrant ainsi que, pour l'essentiel, il n'y a qu'une droite bien homogène.

Mme Muguette Jacquaint. Très bien !

M. Michel Vaxès. Et ce n'est que pour tromper ses victimes qu'elle veut donner l'illusion de la différence.

Dans ma circonscription, un groupe industriel important a réalisé, l'année dernière, un peu plus de 2,8 milliards de dollars de bénéfices nets après ajustement, soit une augmentation de 24,6 % par rapport à l'année précédente. Il prévoit, pour cette année, 60 millions d'euros d'investissements nouveaux. Il utilise de plus en plus d'emplois précaires permanents pour développer son activité. A qui ferons-nous croire que ce groupe...

Mme Muguette Jacquaint. Et combien d'autres ?

M. Michel Vaxès. ...n'a pas la possibilité de donner un emploi stable à ses salariés, permettant ainsi à des centaines de travailleurs d'espérer ?


Mais le comble du cynisme va plus loin. Ce groupe - j'aurai l'occasion d'y revenir dans les jours qui viennent - a réussi, en modifiant le contrat de location qui le lie à sa maison mère, l'exploit de priver de 5 millions d'euros les 60 000 habitants de l'agglomération dont les travailleurs et la population lui permettent de déployer son activité.

Mme Muguette Jacquaint. En plus !

M. Richard Cazenave. Cette histoire rappelle celle de Wilvorde !

M. Michel Vaxès. Vous nous rétorquerez peut-être que nous n'avons pas le monopole du cœur. Sans doute ! Mais, au-delà de nos bancs, et des vôtres sur lesquels nous n'avons guère d'illusion, notre contribution peut éclairer le débat de société...

M. Richard Cazenave. Vous n'avez même pas réussi à éclairer vos amis !

M. Michel Vaxès. ...sur les choix qu'il convient de faire aujourd'hui et sur le réalisme de cette proposition de loi. Mais vous n'en voulez pas ! C'est la raison pour laquelle vous refusez le passage à l'examen des articles.

Evidemment, en ce qui nous concerne, nous voterons pour aller jusqu'au bout d'un débat qui mérite toute l'attention de notre assemblée.

M. Alain Bocquet. Bien entendu !

M. Michel Vaxès. Nous regrettons que ce ne soit la conviction que de ce côté-ci de l'hémicycle. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. Gaëtan Gorce, pour le groupe socialiste.

M. Gaëtan Gorce. Par ma seule intervention, monsieur le ministre, je ne pensais pas toucher si juste, au point de susciter de votre part une réaction aussi vive, pour ne pas dire violente, en tout état de cause déplacée. Dès qu'on critique votre politique, monsieur le ministre, ce qui est le droit de l'opposition, et même son devoir compte tenu des résultats qui sont les vôtres, en s'appuyant sur des faits précis - la montée du chômage, la suppression d'emplois pour la première fois depuis 1993, la progression de la précarité, la mise à l'écart des régimes d'indemnisation de centaines de milliers de chômeurs jusqu'alors couverts soit par l'UNEDIC, soit par l'ASS -, vous considérez qu'il s'agit d'une insulte qui vous est adressée,...

M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Une insulte à l'intelligence !

M. Gaëtan Gorce. Pardonnez-moi, une insulte à l'intelligence, que vous représenteriez. En effet, le travail de l'opposition s'annonce difficile !

Pour ma part, je considère que c'est une insulte à l'intelligence des Français que de répondre, comme vous l'avez fait, en ne traitant jamais du fond, en n'évoquant jamais les moyens que vous comptez mettre en œuvre. Vous vous payez de mots, mais les actes ne suivent pas. Sur la question de l'emploi et de la précarité, vous n'avez d'autre souci, comme nous l'avons indiqué sur les bancs de l'opposition, que de maintenir les apparences le plus longtemps possible, pour tenter de masquer à la fois les résultats de votre politique et la faiblesse des moyens que vous y consacrez.

Si vous voulez avoir un véritable débat au fond, monsieur le ministre, il faudrait éviter de perdre votre sang-froid et même votre vocabulaire - cela vous arrive, nous l'avons constaté - et commencer par respecter les faits et ceux qui s'expriment. J'espère que ce sera le cas aujourd'hui, mais il est certain que, par-delà les mots, vous avez un problème de passage à l'acte, ce qui risque de nous empêcher de d'aller jusqu'à la discussion des articles. Pourtant, c'est bien là ce qui compte !

La mise en cause de vos prédécesseurs ne saurait vous servir en permanence de couverture. Il semblerait que vous n'acceptiez pas dans votre for intérieur que vos prédécesseurs, Mme Guigou et Mme Aubry, aient contribué à créer en cinq ans 2 millions d'emplois dans ce pays ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Face à votre bilan, vous ne parvenez pas à admettre que le chômage a baissé pendant cette période de 900 000 personnes, et que le chômage de longue durée et le nombre de Rmistes ont suivi la même tendance ! Bref, le contraire de la politique que vous conduisez et des résultats que vous obtenez !

Si nous devions vous juger à l'aune de vos résultats, monsieur le ministre,...

M. Emile Blessig. Les Français ont jugé les vôtres !

M. Gaëtan Gorce. ...nous ne pourrions que vous inciter à plus de modestie dans les paroles et à plus d'ambition dans les actes ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Serge Poignant, pour le groupe de l'UMP.

M. Serge Poignant. A écouter nos collègues du parti communiste et du parti socialiste, on ne peut que constater que les premiers ne nous apportent rien de nouveau.

Mme Muguette Jacquaint. Et vous donc ! Quelles sont vos idées nouvelles ?

Mme Marie-George Buffet. Mais si, justement, nous avons des propositions !

M. Serge Poignant. Mais non !

Quant aux seconds, ils ont tout bonnement esquivé le sujet. M. Gorce oublie toujours qu'il y a eu une période de croissance. C'était à ce moment-là qu'il aurait fallu conduire des réformes ! Aujourd'hui, il ne cesse de demander au ministre et au Gouvernement ce qu'ils font. Eh bien, ils font ce que lui et ses amis auraient dû faire !

M. Jérôme Lambert. Certainement pas !

M. Serge Poignant. Pourquoi les Français vous ont-ils sanctionnés ? Justement parce que vous n'avez pas agi en faveur de la croissance et des emplois durables. Vous n'avez pas pris les mesures pour faire en sorte que les entreprises créent de la richesse,...

M. Alain Bocquet. Les salariés aussi !

M. Serge Poignant. ...préalable nécessaire avant de pouvoir faire du social.

C'est pourquoi le groupe de l'UMP votera contre le passage à la discussion des articles. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Je mets aux voix le passage à la discussion des articles de la proposition de loi.

(Le passage à la discussion des articles n'est pas adopté.)

M. le président. L'Assemblée ayant décidé de ne pas passer à la discussion des articles, la proposition de loi n'est pas adoptée.

2

ORDRE DU JOUR DES PROCHAINES SEANCES

M. le président. Cet après-midi, à quinze heures, deuxième séance publique :

Communication du Médiateur de la République ;

Suite de la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, n° 1218, relatif aux responsabilités locales :

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République (rapport n° 1435) ;

M. Dominique Tian, rapporteur pour avis au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales (avis n° 1434) ;

M. Serge Poignant, rapporteur pour avis au nom de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire (avis n° 1423) ;

M. Laurent Hénart, rapporteur pour avis au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan (avis n° 1432).

A vingt et une heures trente, troisième séance publique :

Suite de l'ordre du jour de la deuxième séance.

La séance est levée.

(La séance est levée à onze heures vingt.)

      Le Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,

      jean pinchot