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Troisième séance du mardi 1er juin 2004

237e séance de la session ordinaire 2003-2004



PRÉSIDENCE DE M. RUDY SALLES,

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)

    1

DROITS DES PERSONNES HANDICAPÉES

Suite de la discussion d'un projet de loi adopté par le Sénat

M. le président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées (nos 1465, 1599).

Question préalable

M. le président. J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une question préalable, déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.

La parole est à Mme Martine Carrillon-Couvreur.

Mme Martine Carrillon-Couvreur. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État aux personnes handicapées, mes chers collègues, le débat qui s'ouvre aujourd'hui devant la représentation nationale est la suite d'un marathon législatif qui a débuté il y a trente ans et qui, peu à peu, a transformé le regard de notre société sur le handicap.

Cependant, la vie quotidienne des personnes touchées par le handicap ressemble encore trop souvent, pour beaucoup d'entre elles, à une spirale de l'exclusion dans laquelle elles sont enfermées, sans espoir d'en sortir.

C'est donc un honneur pour moi de défendre, au nom du groupe socialiste, une question préalable sur un sujet aussi capital.

Dans un domaine dont je veux souligner l'importance puisqu'il concerne plus de trois millions de Français, pouvons-nous nous permettre une approche aussi parcellaire que celle du projet de loi que nous propose le Gouvernement ? En effet, au fil des semaines, il nous soumet des textes qui traitent de manière partielle des mêmes sujets.

Séparer les éléments d'une même politique en de multiples textes n'est pas faire preuve de respect envers la représentation nationale. Le Parlement doit pouvoir apporter une réponse globale à de tels problèmes.

Nous avons examiné en première lecture un texte sur la décentralisation qui concerne les départements et leur importante responsabilité envers les personnes en situation de handicap, mais on sait d'ores et déjà que la deuxième lecture le bouleversera.

Nous venons d'examiner un texte sur l'autonomie des personnes âgées ou en situation de handicap, tout en sachant qu'il convient d'attendre les conclusions imminentes de la mission de préfiguration de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, conduite par Raoul Briet et Pierre Jamet.

Enfin, nous entamons aujourd'hui l'examen du projet de loi pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, alors que la réforme de l'assurance maladie devrait nous être proposée dans les prochaines semaines.

Présenter quatre textes sur un même sujet, c'est démultiplier les outils juridiques pour les rendre illisibles. C'est profondément regrettable, car la réforme de la loi de 1975 sur le handicap est d'une impérieuse nécessité. D'ailleurs, madame la secrétaire d'État, votre projet de présenter un texte en ce sens avait suscité de nombreux espoirs, comme l'ont montré les auditions de plus de cent cinquante associations.

Malheureusement, le résultat n'est pas à la hauteur de cet enjeu national. Ce texte suscite de nombreuses réactions, sur la forme comme sur le fond.

En effet, si la lecture de l'exposé des motifs pouvait laisser croire que le Gouvernement avait effectivement pris conscience des enjeux, des problèmes et des solutions à apporter, la lecture du projet de loi suscite une profonde déception.

Sur la forme, il est regrettable que ce texte soit renvoyé à de nombreux décrets d'application que l'on risque d'attendre très longtemps. Pour mémoire, laissez-moi vous rappeler qu'une partie seulement des décrets d'application de la loi de janvier 2002 vient d'être publiée et que l'on attend toujours la publication de certains décrets d'application de la loi de 1975. Vous reconnaissez qu'il faudra mener pied à pied un combat contre la technostructure, mais quels moyens concrets allez-vous vous y consacrer ? Vous nous avez fait part tout à l'heure de quelques avancées sur ce sujet ; nous espérons qu'elles se confirmeront dans les prochains jours.

Sur le fond, on peut regretter l'absence de prise en charge interministérielle du problème, ainsi que le manque d'actions concrètes, comme en témoignent les nombreux amendements déposés sur ce texte et les vives réactions émises par les associations et les fédérations œuvrant dans ce domaine.

Alors que l'année 2003 a été l'année européenne du handicap, certaines directives communautaires ne sont toujours pas transposées en droit français. Mais votre projet de loi n'en tient pas compte.

Sur un tel sujet, il faudrait évidemment avoir le courage de dépasser les divergences entre la majorité et l'opposition pour bousculer la technostructure car les personnes en situation de handicap, leurs familles, les associations et les établissements qui les accompagnent attendaient des réponses fortes et dignes de notre pays.

Mais rien ne nous garantit que vous débloquerez les moyens nécessaires pour relever ce défi.

De nombreux points de votre projet de loi doivent être améliorés. Il s'agit notamment de la prestation de compensation, qui devra être large et universelle mais dont votre texte contraint réduit la portée. Sur ce point, madame la secrétaire d'État, nous avons entendu vos propositions.

Il s'agit de la prise en compte de la prévention, du dépistage, de l'action précoce et de la recherche, qui sont très insuffisantes, alors que la France accuse un énorme retard dans ces domaines.

Il s'agit ensuite de la reconnaissance du polyhandicap, qui reste insuffisante alors que de nombreux enfants vivent sans qu'aucune solution ne leur soit proposée.

Il s'agit encore de l'AGEFIPH, dont le fonctionnement demeure opaque, donc incompréhensible, et qui, malgré d'importants moyens financiers, annonce des réductions de crédits pour les actions de placement des demandeurs d'emploi réservés sans fournir la moindre justification.

J'arrête là cette liste qui est encore bien longue et que vous connaissez parfaitement car nombreux sont les organismes et associations qui se sont fait l'écho de ces insuffisances. Référons-nous simplement aux avis rendus par le Conseil national consultatif des personnes handicapées, par l'ANPIHM, l'UNAFAM, l'UNIOPSS, l'AFM, l'APF ou l'UNAPEI, pour ne citer que ceux-ci. Toutes et tous regrettent que le texte qui nous est proposé maintienne la personne handicapée dans une politique encore trop ancrée dans l'assistanat.

Pourtant, il y avait un consensus autour de l'idée de réformer de façon globale la loi de 1975 afin de passer d'une logique de protection, puis d'intégration, à une dynamique d'appartenance pour tous.

Sans refaire l'histoire de la construction de la politique du handicap, je voudrais rappeler les avancées que notre pays a connues, mais aussi les retards qu'il est temps de rattraper.

Au fil des ans, les familles regroupées en associations ont œuvré pour que soit reconnue la légitime solidarité en direction de leurs enfants, leurs parents, leurs amis handicapés. A ce titre, je voudrais à mon tour saluer le travail qu'effectuent les nombreuses associations ainsi que les professionnels.

Ces associations ont joué un rôle fondamental dans l'affirmation de l'identité des personnes handicapées et leur détermination a beaucoup contribué à vaincre les résistances politiques et à faire tomber les barrières derrière lesquelles la société avait enfermé les personnes handicapées.

L'apport fondamental de la loi d'orientation de 1975 se trouve dans son article 1er, qui fait de la promotion des personnes handicapées une « obligation nationale », quels que soient leur âge et la nature de leur handicap. Toutefois, cette loi d'orientation ne proposait pas de nouvelle définition de la notion de handicap et pérennisait la multiplicité des dispositifs existants selon l'origine du handicap. De plus, elle renforçait l'idée selon laquelle la politique en faveur des personnes handicapées relève de l'aide sociale.

Les législations successives sur le handicap, notamment sa prise en charge, ont privilégié la réparation puis la réadaptation des personnes handicapées à un environnement économique et social conçu par et pour des personnes valides.

Cependant, sous la pression permanente des associations et l'influence de l'Organisation mondiale de la santé, la conception du handicap a peu à peu évolué. La classification, réformée en 2001 par l'OMS, propose de prendre en compte l'impact de l'environnement social et physique sur le fonctionnement de la personne. Il s'agit alors d'une démarche politique, dans la mesure où elle implique des choix et des priorités à mettre en œuvre afin de favoriser la citoyenneté des personnes en situation de handicap.

Pour illustrer mon propos, permettez-moi de reprendre l'exemple cité par un médecin de santé publique chercheur à l'INSERM, Jean-François Ravaud, sur les problèmes d'accessibilité d'une personne en fauteuil roulant empêchée de se rendre dans un bureau de poste à cause d'un escalier qu'elle ne peut franchir :

« Quand on demande classiquement à des personnes naïves pourquoi cette personne ne peut pas aller au bureau de poste, on a schématiquement quatre types de réponses : cette personne ne peut pas aller au bureau de poste parce qu'elle est paraplégique - c'est la version la plus médicale de la chose  - ; cette personne ne peut pas aller au bureau de poste parce qu'elle ne peut pas marcher - c'est une vision plus fonctionnelle - ; elle ne peut pas y aller parce qu'il y a des escaliers - c'est la vision environnementale - ; elle ne peut pas y aller parce que l'on ne se préoccupe pas de l'accès à tous les bureaux de poste - c'est une vision plus politique. »

Cette histoire pourrait s'appliquer à toutes les formes de handicap. On voit bien que la prise en compte des facteurs environnementaux est fondamentale ; elle doit conduire à une transformation de l'approche sociale du phénomène. Cela relève d'un vrai choix politique.

Or la définition du handicap que vous nous proposez ne met pas suffisamment l'accent sur les interactions entre les deux dimensions, personne et société.

En ce sens, l'article 1er présente une conception personnaliste et non environnementaliste. L'action sur la société aurait dû être conduite au même niveau que l'action sur la personne. C'est pour nous le premier point sur lequel le texte doit marquer une inflexion forte. C'est le point clé de ce projet en termes d'enjeu pour les décennies à venir.

Ainsi, le texte que vous nous présentez manque de modernité. D'ailleurs, le Conseil économique et social a clairement exprimé son point de vue sur cette question en considérant que « loin de minimiser les conséquences invalidantes de telle ou telle pathologie, le CES a jugé au contraire utile de mettre l'accent sur la nature des barrières environnementales, culturelles, sociales, voire réglementaires qui créent autour de la personne porteuse de déficiences des situations de handicap marginalisantes et parfois génératrices d'exclusion ».

Votre projet ne tient pas compte de ces évolutions, et l'énoncé même de son titre vient confirmer cette analyse : retenant la seule définition médicale, vous parlez de « personnes handicapées » et non de « personnes en situation de handicap ».

Ainsi, vous limitez le champ d'intervention de votre projet de loi, même si vous avez reconnu tout à l'heure qu'il fallait davantage prendre en compte les situations d'environnement.

Pourtant, force est d'admettre que l'autonomie de la personne en situation de handicap et ses chances de participation à la citoyenneté restent largement tributaires de son cadre de vie.

Je le redis, il s'agit d'un vrai choix politique. De cette question découlent toutes les dispositions dont nous allons débattre. Il nous appartient donc d'y répondre et de prendre toutes les mesures visant à supprimer, réduire, ou compenser les situations de handicap.

C'est ce message fort et symbolique que la loi doit faire passer à la nation : notre société a le devoir de garantir à chacun la capacité de dépasser ses déficiences, ses handicaps pour exercer sa citoyenneté.

Ainsi, l'ensemble de la société bénéficiera des compétences et des potentialités de ces personnes, quels que soient la nature et le degré de leur handicap.

Pour cela, le monde du handicap doit être regardé à la lumière du principe de dignité de la personne humaine, conformément au préambule de la Constitution.

Il nous appartient de tout mettre en œuvre pour que les personnes handicapées soient considérées dignement et égalitairement. À ce titre, la loi de janvier 2002 a constitué une étape importante dans la prise en considération des besoins et de la dignité des personnes.

Dans le prolongement de cette avancée, nous attendions l'étape suivante qui aurait pris en compte l'évolution de la société, l'évolution de ces besoins, l'évolution des aspirations individuelles. Malheureusement, tel n'est pas le cas.

M. Patrice Martin-Lalande. Qu'est-ce qu'il ne faut pas entendre !

Mme Martine Carrillon-Couvreur. Trop souvent, le texte que vous nous proposez se limite à mettre à plat et à aménager les dispositions existantes, à poser des principes dont nous craignons malheureusement qu'ils restent sans application.

M. Patrice Martin-Lalande. Qu'avez-vous fait pendant cinq ans ?

Mme Martine Carrillon-Couvreur. Et pourtant, nous nous accordons sur les principales dispositions de ce texte, qui traduisent trois priorités : le droit à compensation, le renforcement de l'accessibilité et la simplification de l'accès aux droits.

Le principe du droit à compensation nous donne l'occasion de rappeler le travail législatif mené par le gouvernement de Lionel Jospin. Voilà ce que nous avons fait pendant cinq ans !

M. Patrice Martin-Lalande. Cinq ans de retard !

Mme Martine Carrillon-Couvreur. Ainsi, la loi du 17 janvier 2002, dite loi de modernisation sociale, a profondément modifié la loi d'orientation de 1975 en reconnaissant que « la personne handicapée a droit à la compensation des conséquences de son handicap quels que soient l'origine et la nature de sa déficience, son âge ou son mode de vie, et à la garantie d'un minimum de ressources lui permettant de couvrir la totalité des besoins essentiels de la vie courante ».

Depuis 2002, la compensation du handicap est donc prévue par la loi.

En modifiant la loi d'orientation de 1975, la loi de modernisation sociale a engagé le principe d'une compensation du handicap, quel que soit l'âge de la personne et a ainsi marqué le début d'un changement de frontières entre les différents champs de notre protection sociale. Elle a en outre admis que le handicap pouvait s'accroître avec l'âge.

Si votre projet s'appuie sur la définition inscrite dans la loi de modernisation sociale, il est regrettable de constater, une fois de plus, qu'il vient restreindre la portée d'une avancée issue d'une loi adoptée sous la précédente législature.

M. Patrice Martin-Lalande. Quel culot !

Mme Martine Carrillon-Couvreur. Alors que la prestation de compensation devrait être intégralement à la charge de la solidarité nationale, comme l'affirme l'article 1er de la loi de 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, son financement par la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie est encore très incertain. A ce financement incertain s'ajoute une définition très restrictive.

M. Patrice Martin-Lalande. Voulez-vous que nous parlions de l'APA ?

Mme Martine Carrillon-Couvreur. Pourtant, il est nécessaire d'effacer les barrières administratives d'âge qui conduisent à des ruptures de prise en charge et à une discrimination.

Or votre projet de loi prévoit la coexistence de trois prestations de compensation accordées selon l'âge. Vous avez toutefois déclaré, madame la secrétaire d'État, que les barrières d'âge seraient levées. Nous en prenons acte. M. le rapporteur s'en était fait l'écho durant les travaux de la commission.

J'espère que cette proposition sera retenue car la prestation de compensation devrait être large et universelle et être versée à chaque personne handicapée, sans condition d'âge, ni de nature de handicap.

En limitant la définition du handicap, en réduisant le champ de la prestation de compensation, vous mettez en place les fondements d'une politique qui reposerait sur le retrait de l'État dans ce qui relevait jusqu'ici de la solidarité nationale. J'en veux pour preuve l'articulation de votre projet avec la loi du 2 janvier 2002 rénovant l'organisation de l'action sociale et médico-sociale.

Vous le savez, le développement du champ médico-social a constitué un moment important pour l'évolution du secteur du handicap. Rappelons pour mémoire que ce secteur représentait déjà en 2002, tous établissements confondus, 22 000 établissements, 1,2 million places, 400 000 salariés et 412 000 bénévoles.

La loi du 2 janvier 2002 s'est en effet efforcée de combler les lacunes de la loi du 30 juin 1975 qui ne définissait pas l'action sociale et médico-sociale, n'établissait pas de véritables schémas d'organisation et ne fixait pas non plus un cadre pour affirmer les droits des personnes et de leur entourage.

La loi du 2 janvier 2002 a, d'une part, pris en compte les profondes évolutions intervenues depuis le vote de la loi de 1975, avec en particulier l'application des lois de décentralisation et l'évolution des modes d'accompagnement et de prise en charge des personnes.

Elle a, d'autre part, apporté un certain nombre d'améliorations aux dispositifs en place.

Alors que la loi de 1975 était centrée sur l'organisation des institutions du secteur social et médico-social, celle de 2002 a mis l'usager, c'est-à-dire les personnes fragilisées, notamment les personnes handicapées et les personnes âgées, au cœur du dispositif, en réaffirmant leurs droits, comme le respect de la dignité, de la vie privée, de l'intimité ainsi que le droit à l'accompagnement individualisé.

Le texte que vous nous présentez ne s'articule pas avec les dispositions de la loi du 2 janvier 2002, qui propose pourtant un cadre d'actions, des outils et des solutions sur lesquelles il serait très utile de s'appuyer pour progresser.

Certes, nous y sommes préparés puisque votre projet ne s'articule pas non plus avec la réforme programmée de l'assurance maladie, ni avec la loi de santé publique, ni encore avec la loi de décentralisation, dans laquelle vous supprimez l'obligation faite aux collectivités d'établir le schéma départemental qui permettait d'assurer, entre autres, la répartition des équipements sociaux et médico-sociaux.

Avec ce projet, il est à craindre un développement des inégalités qui tiendrait au fait que certains départements disposent de recettes plus importantes, indépendamment du nombre de personnes en situation de handicap qu'ils auraient à prendre en charge, d'autant qu'il n'est nullement prévu que l'État procède au préalable à un rééquilibrage entre les différents besoins constatés aujourd'hui dans les départements en matière de structures d'accueil pour personnes handicapées.

On le voit, ce transfert de compétences et de responsabilités de l'État vers les conseils généraux relève de choix politiques qui n'ont rien à voir avec le souci de mieux répondre aux besoins des personnes. Ce projet reste rivé sur votre unique objectif : le désengagement de l'État.

M. Patrice Martin-Lalande. L'APA !

Mme Martine Carrillon-Couvreur. Et c'est bien cette obsession qui limite considérablement la portée de votre texte.

De même, rien n'est prévu pour les aides à domicile, dont le nombre est pourtant largement insuffisant. Rien non plus n'est inscrit en matière de formation ou de moyens accordés aux personnes en perte d'autonomie pour obtenir un nombre d'heures correspondant réellement à leurs besoins.

Que va devenir, par exemple, le fonds de modernisation sociale de l'aide à domicile, qui accompagnait jusqu'à présent l'APA et aidait à la formation et à la professionnalisation ?

Ces questions qui demeurent sans réponse montrent que votre projet ne couvre pas, ni en qualité ni en quantité, les besoins des personnes handicapées, quel que soit leur âge.

M. Gaëtan Gorce. C'est vrai !

Mme Martine Carrillon-Couvreur. Il en est de même du renforcement de l'accessibilité. L'accès à l'école, à l'emploi, aux transports, aux bâtiments privés et publics est un impératif pour que la personne handicapée puisse exercer pleinement sa citoyenneté.

Vous rappelez avec justesse le principe de l'obligation scolaire des enfants et des adolescents handicapés. L'accès à l'éducation revêt pour chaque enfant une importance vitale, a fortiori s'il est atteint de déficiences, et la société doit être en mesure de lui offrir les moyens de réussir au mieux son parcours de vie.

La présence d'enfants en situation de handicap à l'école doit devenir la règle, et leur absence l'exception.

La Déclaration des droits de l'enfant pose d'ailleurs trois principes, intéressant directement celui-ci lorsqu'il est porteur d'un handicap. Il vous appartenait de prendre en compte ces principes reconnus au niveau international : le refus de toute discrimination, le droit à la dignité, à l'égalité, aux soins et à l'intégration, et enfin le droit à l'éducation.

Par ailleurs, l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme pose l'interdiction de toute forme de discrimination.

C'est cet environnement juridique qui doit guider votre texte.

Mais la scolarisation ne peut être effective qu'à la condition que les moyens, les aides et les accompagnements, comme les auxiliaires de vie scolaire, soient mis à disposition.

Il en est de même pour la mise aux normes des bâtiments scolaires et équipements publics, ainsi que pour la formation initiale et continue des enseignants et des personnels.

Or, sur ce point, vous ne dites rien, et ce n'est pas le rappel du principe de la non-opposition entre éducation ordinaire et éducation spécialisée qui pourra répondre à cette exigence, d'autant que l'égalité de traitement sur l'ensemble du territoire concernant l'accueil, l'encadrement et la scolarisation des enfants n'est pas assuré.

Le plan Handiscol, présenté en 1999 par le ministre de l'éducation et le ministre de l'emploi et de la solidarité du gouvernement Jospin, avait déjà pour ambition de doubler le nombre d'enfants et adolescents en situation de handicap accueillis dans les établissements scolaires et d'améliorer leur scolarisation.

Ce plan comportait vingt mesures concrètes, dont le financement d'outils pédagogiques, la mise en place de groupes de coordination et l'élaboration de schémas départementaux et pédagogiques de scolarisation.

Aussi, plus qu'une déclaration de bonnes intentions, le projet de loi que vous nous présentez devrait donner les moyens concrets de faire appliquer les textes actuels relatifs à l'obligation scolaire pour les enfants handicapés. Pour que la scolarisation soit effective, il importe que priorité soit donnée à la résorption du nombre d'enfants handicapés non scolarisés par manque de places dans les classes adaptées, qu'il s'agisse de classes d'intégration scolaire, d'unités pédagogiques d'intégration ou d'autres classes.

La mise en place effective d'un partenariat national et déconcentré entre le ministère de l'éducation nationale et le ministère de la santé et des personnes handicapées s'impose, mais vous n'en parlez pas.

Enfin, on ne peut faire référence à l'obligation scolaire des enfants handicapés sans évoquer les conditions d'encadrement pédagogique. Vous ne faites allusion ni au renforcement et au développement de la formation initiale des enseignants à l'accueil des enfants en situation de handicap, ni à l'augmentation indispensable du nombre d'enseignants spécialisés. De même, il aurait été nécessaire de prendre en compte dans le calcul des effectifs des classes la présence d'enfants nécessitant un soutien particulier.

En un mot, de nombreuses lacunes subsistent dans votre projet alors même que le plan Handiscol, qui constituait une avancée importante dans ce domaine, est freiné dans sa mise en œuvre. Vous avez rappelé tout à l'heure que l'obligation administrative doit permettre à tous les enfants de fréquenter l'école. Nous espérons que cette obligation sera effective, et que chaque enfant porteur de handicap pourra bénéficier d'une scolarité.

Qu'il s'agisse, donc, de la définition du handicap, du droit à compensation ou de la scolarisation, rien n'échappe, malheureusement, à la déception exprimée par l'ensemble des professionnels intervenant dans le domaine du handicap.

Même déception pour ce qui est de l'emploi des personnes en situation de handicap. Votre projet prévoit des dispositions qui manquent, là encore, d'ambition par rapport aux actions engagées en la matière, et qui risquent d'atténuer la portée de l'obligation d'emploi de 6 % de personnes en situation de handicap dans les entreprises d'au moins vingt salariés.

La loi de modernisation sociale comprenait des dispositions concrètes. Or, pour parvenir à mobiliser les employeurs pour l'embauche des personnes handicapées dans les entreprises du milieu ordinaire, votre projet de loi ne prévoit aucune mesure incitative et ne renforce que très légèrement les sanctions. Une fois encore, le résultat risque de ne pas être à la hauteur de vos déclarations d'intention.

Il en va de même de l'accessibilité des bâtiments et des transports. Vous avez rappelé vous-même que notre cadre de vie ordinaire est mal adapté aux difficultés des personnes en situation de handicap.

Dans le domaine de l'urbanisme et du logement, de très grandes difficultés perdurent. La conception et l'équipement des établissements recevant du public, même construits récemment, mérite de nombreuses critiques. Nous ne pouvons que déplorer l'application aléatoire et mal contrôlée des textes, eux-mêmes publiés tardivement. Quant aux logements, qu'ils soient anciens ou récents - c'est encore trop fréquent dans ce dernier cas -, leur conception n'intègre pas assez les normes correspondant à la perte d'autonomie que peuvent connaître certaines personnes au cours de leur vie.

De même, dans le domaine des transports, le principe d'accessibilité affirmé en 1982 par la loi d'orientation sur les transports n'a, en pratique, quasiment jamais été appliqué.

M. Patrice Martin-Lalande. Après quinze ans de socialisme !

Mme Martine Carrillon-Couvreur. Cette situation est un calvaire pour les personnes handicapées, et elle appelait un texte de loi offensif et ambitieux. Mais, là encore, c'est la déception ! La multiplication des dérogations pour des motifs techniques, architecturaux et économiques laisse à penser que l'accessibilité sera encore plus facultative pour les nouvelles constructions.

Il en va de même pour les moyens financiers qui seront, on le sait, insuffisants. Que penser, alors, de principes et d'obligations nouvelles dont on sait qu'ils ne seront pas respectés, puisque les moyens financiers débloqués ne sont pas à la hauteur des enjeux ?

Les maisons départementales des personnes handicapées, très attendues, suscitent, elle aussi, de nombreuses interrogations. La création d'un dispositif unique d'accueil et d'information pourrait faciliter les démarches et le quotidien des personnes handicapées et de leurs familles, à condition toutefois qu'il soit doté de moyens suffisants. Comme c'est le cas pour la prestation de compensation, le financement des maisons départementales d'accueil est renvoyé aux missions, encore floues, de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie.

Par ailleurs, le dispositif dit « de proximité » ne prévoit pas que les équipes pluridisciplinaires se déplacent, comme le font les équipes des sites pour la vie autonome.

Le budget de la nation pour 2003 a supprimé de nombreux crédits, destinés notamment au renforcement des COTOREP, ce qui est très significatif des intentions de votre gouvernement et contraste avec les actions du gouvernement Jospin dans ce domaine. (Rires sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

La loi de modernisation sociale avait prévu l'instauration des conseils départementaux consultatifs des personnes handicapées, chargés de missions de dialogue, d'information, de réflexion et de proposition en vue d'actions en faveur des personnes handicapées. De plus, la loi du 2 janvier 2002 a permis à certains établissements de se moderniser, de s'adapter et d'améliorer l'accueil des personnes fragilisées.

Malgré des avancées, 1e chemin à parcourir est, malheureusement, encore très long.

M. Patrice Martin-Lalande. Vous avez pourtant eu cinq ans !

Mme Martine Carrillon-Couvreur. La création des maisons des personnes handicapées que vous proposez semble viser à fusionner les commissions départementales d'éducation spéciale et les COTOREP. De nombreux rapports ont démontré la nécessité, pour ces deux structures, d'un renforcement en personnels, et donc en moyens financiers. Le gouvernement de Lionel Jospin avait prévu 2,6 millions d'euros par an sur trois ans, soit 17 millions de francs, pour le renforcement des COTOREP.

M. Patrice Martin-Lalande. Rendez-nous Jospin !

Mme Martine Carrillon-Couvreur. Or, le budget de 2003 a vu la suppression de ces financements et aucun nouveau crédit n'a été inscrit au titre de l'année 2004.

On peut donc s'interroger sur la capacité de ces maisons des personnes handicapées à offrir un meilleur service, alors qu'aucun financement n'a été inscrit et qu'aucune formation du personnel n'a été prévue.

On peut s'interroger aussi sur la capacité d'une seule équipe pluridisciplinaire par département à évaluer l'ensemble des besoins. Déjà, certains dispositifs d'aide à la vie autonome qui expérimentent le guichet unique sont engorgés et le délai d'attente pour l'obtention des droits s'allonge de façon inquiétante.

Il est à craindre que l'évaluation des besoins de compensation ne se fasse uniquement sur dossier et que les équipes ne se contentent d'appliquer un barème fixé à partir d'une grille, comme c'est le cas pour les personnes âgées. De ce fait, la prise en compte du choix de vie, de l'environnement et des spécificités de la personne en situation de handicap risque de rester lettre morte. Comment, dans ces conditions, laisser croire que le parcours du combattant que connaissent les personnes touchées par le handicap et leurs familles va enfin s'achever ?

C'est bien là toute l'ambiguïté de votre texte, pétri, sans nul doute, de bonnes intentions, mais qui ne va pas au bout des réflexions entamées, faute de se donner les moyens de ses ambitions.

Pourquoi, par exemple, ne faites-vous aucun lien entre le texte relatif à la formation professionnelle tout au long de la vie et ce projet à propos des travailleurs handicapés ? Pourquoi maintenez-vous l'allocation aux adultes handicapés au niveau d'un minimum social, tout en sachant qu'elle ne constitue nullement un revenu de remplacement ? Cela signifie que l'on ne peut pas sortir de cette logique d'assistance, et implique que la citoyenneté restera un vain mot pour de longues années encore.

Pourquoi n'avez-vous pas abordé les dispositifs de protection juridique pour les personnes qui en ont besoin ? Comment prendrez-vous en compte la situation des aidants familiaux, dont nous connaissons les difficultés pour conserver une vie sociale et professionnelle ? Il faut répondre à toutes ces questions. Or votre projet de loi ne reflète pas l'exposé des motifs : il faut le repenser dans sa globalité et l'améliorer.

Cette analyse est encore aggravée par l'examen du volet financier de votre texte. Vous avez annoncé une « réforme historique » avec la création d'un nouveau risque, celui de la dépendance, destiné à mieux prendre en charge les conséquences tant du grand âge que du handicap et avez décidé de financer vos mesures en supprimant un jour férié, dénommé « journée de solidarité ».

Malgré les études économiques selon lesquelles il n'est pas même sûr que l'on produirait ce jour-là la richesse supplémentaire que vous escomptez, vous avez voté cette journée de solidarité malgré le risque réel qu'elle comporte de détruire des emplois. Comme l'a indiqué ma collègue Danièle Hoffman-Rispal lors du débat sur la dépendance, le financement prévu est donc bien aléatoire, pour les personnes âgées comme pour les personnes en situation de handicap.

D'autre part, cette « solidarité » pèsera essentiellement sur les salariés. Pourtant, je le rappelle, la loi du 4 mars 2002, relative aux droits des malades, spécifie que toute personne handicapée a droit à la solidarité de l'ensemble de la collectivité nationale. Or votre dispositif, qui fait reposer l'essentiel des financements sur les salariés et pour une faible part sur les revenus du patrimoine, ne se réfère pas à la conception d'une solidarité fondée sur l'universalité du financement des risques et sur la contribution de chacun en fonction de ses moyens.

Le rapport du Conseil économique et social consacré à la prise en charge des personnes en situation de handicap analyse très précisément les limites de ce financement. La qualité de cette étude aurait pu remettre sur un autre chemin votre projet de loi, mais ce n'est pas le cas.

Grâce à ce jour de travail supplémentaire non rémunéré, le Gouvernement escompte une recette de 1,7 à 1,9 milliard d'euros, alors que la baisse de l'impôt sur le revenu et de l'ISF inscrite dans le projet de loi de finances pour 2004 fait perdre, dans le même temps, 1,8 milliard d'euros. Le calcul est simple : mieux aurait valu ne pas diminuer un impôt juste et redistributif, dont l'objet est précisément de contribuer à la solidarité nationale.

M. Gaëtan Gorce. Eh oui !

Mme Martine Carrillon-Couvreur. C'est, d'ailleurs, ce choix que les Français ont exprimé lors des dernières consultations électorales. (Approbations sur les bancs du groupe socialiste.) Ils ont très bien compris que la baisse de l'impôt sur le revenu ne leur profitait aucunement et ont clairement affirmé qu'ils n'acceptaient pas ces réformes injustes.

Or, en voici encore une ! En proposant une loi qui ne répond pas aux attentes des personnes concernées, vous atteignez progressivement l'objectif que vous vous êtes fixé : l'allongement du temps de travail. En portant la durée annuelle légale du travail de 1 600 à 1 607 heures, vous inversez pour la première fois la tendance séculaire à la baisse de la durée du travail. C'est donc bien, en ce sens, une réforme historique que vous soumettez à l'examen de la représentation nationale !

Une multiplicité de projets de textes législatifs qui traitent de manière parcellaire du même sujet, sans cohérence apparente entre eux ; une définition du handicap trop limitative ; une prestation de compensation qui n'est pas universelle ; un renforcement de l'accessibilité certes affiché, mais soumis à de multiples dérogations ; la création de maisons des personnes handicapées dont les fonctions et les moyens ne sont pas précisément définis ; enfin, un budget aléatoire et insuffisant pour répondre aux besoins existants : voilà, pour conclure en quelques mots, les raisons qui nous amènent à poser cette question préalable.

M. Patrice Martin-Lalande. De mauvaises raisons !

Mme Martine Carrillon-Couvreur. De nombreuses associations ont fait des propositions : il faut les reprendre pour bâtir une loi qui soit à la hauteur des espérances de toutes les personnes handicapées.

Je ne pense pas trahir leur pensée en rapportant qu'elles-mêmes et toutes les associations qui les représentent, demandent que soit élaborée une loi réellement nouvelle, qui prenne en compte les changements radicaux survenus dans notre société depuis maintenant trente ans.

M. Patrice Martin-Lalande. Pourquoi ne l'avez-vous pas fait en quinze ans de socialisme ?

Mme Martine Carrillon-Couvreur. Nous devons créer une loi à la hauteur des ambitions d'une société moderne, pour toutes les personnes en situation de handicap. Cette loi ne doit plus s'inscrire dans une approche d'aide sociale, mais être garantie par la solidarité nationale.

L'éthique de cette nouvelle loi devrait reposer sur un concept d'appartenance permettant de donner aux personnes en situation de handicap les moyens d'accéder à une participation sociale pleine et entière.

M. Patrice Martin-Lalande. On se demande pourquoi vous ne l'avez pas permis !

Mme Martine Carrillon-Couvreur. Depuis 1975, tous les gouvernements qui se sont succédé ont adopté des réglementations et des mesures concernant les personnes handicapées. Pourtant, cet effort n'a pas permis de satisfaire totalement aux objectifs fixés...

M. Patrice Martin-Lalande. C'est pourquoi on fait cette loi !

Mme Martine Carrillon-Couvreur. ...et nombre de personnes frappées de déficience ne trouvent pas les réponses qui leur seraient nécessaires.

Le constat est d'autant plus sévère que nos voisins de l'Europe du Nord offrent des exemples d'intégration sociale très réussie. Notre pays reste souvent prisonnier de schémas culturels...

M. Patrice Martin-Lalande. Vous en donnez un bel exemple !

Mme Martine Carrillon-Couvreur. ...qui ne prennent pas suffisamment en compte l'évolution du concept de situation de handicap. Il est évident que le handicap recouvre une diversité de degrés et de situations qui demande souvent une réponse personnalisée.

Il nous appartient donc de mettre en oeuvre toutes les dispositions visant à supprimer, à réduire ou à compenser ces situations de handicap. Le désir de vie doit pouvoir s'exprimer à tout âge, quel que soit le degré du handicap. Ne pas faciliter l'expression de ce désir reviendrait à exclure de notre environnement un grand nombre de personnes.

C'est pourquoi il conviendrait de mettre en place cette nouvelle loi dont l'objectif principal serait de garantir cette naturelle appartenance à la société, de la faire reconnaître, de la sauvegarder, de la consolider, d'en assurer l'effectivité dans la vie quotidienne.

Il faut bâtir un texte qui intègre cet objectif car, derrière cette refonte de la loi de 1975, se dessine un enjeu de taille : la place pour les prochaines décennies, dans notre société, des personnes touchées par les handicaps.

Je terminerai sur un rappel important : les lois de 1975, comme celle de 2002, ont été adoptées à la quasi-unanimité. C'est la preuve que ce sujet dépasse tous les clivages politiques (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) et que les préoccupations qui nous animent peuvent nous rassembler quand il s'agit de garantir dans notre société la reconnaissance des personnes en situation de handicap.

Aujourd'hui, les handicapés prennent eux-mêmes la parole pour exiger la reconnaissance de leurs droits fondamentaux. A entendre leurs réactions, rien ne nous montre que votre projet de loi soit porteur, en l'état, d'une telle unanimité.

Pourtant, nous savons que, lorsqu'un grand nombre de personnes handicapées pourra pleinement exercer ses responsabilités civique, sociale et politique, nous aurons alors véritablement franchi une étape de modernisation dans la reconnaissance de la personne au-delà de son handicap.

Pour y parvenir, il faut une volonté politique forte qui privilégie la reconnaissance de la différence, la considération des besoins et de la dignité des individus, l'accès à une vie autonome et aux droits fondamentaux de la personne.

Une personne en situation de handicap, c'est d'abord une personne.

Le troisième millénaire doit être celui de l'évolution, de la révolution culturelle qui permettra le droit à compensation des personnes souffrant d'une incapacité, quelle qu'en soit la cause.

M. Patrice Martin-Lalande. C'est ce qu'a très bien dit la secrétaire d'État tout à l'heure !

Mme Martine Carrillon-Couvreur. Votre projet de loi aurait dû marquer cette inflexion.

Aussi, en raison du décalage important entre les principes ambitieux affichés dans l'exposé des motifs, auxquels nous adhérons, et leur traduction dans le texte qui nous est soumis, je vous propose, chers collègues, d'adopter cette question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État aux personnes handicapées.

Mme Marie-Anne Montchamp, secrétaire d'État aux personnes handicapées. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, l'antagonisme qui existerait entre le projet de loi et ses décrets d'application a été évoqué dans la défense de la question préalable. Je n'ai pas bien compris, madame Carillon-Couvreur, ce que vous vouliez dire car j'ai du mal à imaginer ce que pourrait être un texte de loi sans ses décrets.

M. Christian Paul. Mme Carillon-Couvreur l'a expliqué !

Mme la secrétaire d'État aux personnes handicapées. Dès lors que le projet de loi est complet et fixe un objectif ambitieux, il y a urgence à se préoccuper des décrets d'application pour assurer son effectivité.

Vous évoquez également, à juste titre, le caractère interministériel de ce sujet. Mais je vous rappelle qu'il existe déjà une délégation interministérielle. Il faut souligner l'importance du travail qu'elle effectue et la qualité de ses apports à ce domaine complexe.

Vous semblez revenir régulièrement à ce mythe que, depuis quelques semaines, j'entends évoquer sur certains bancs : le mythe de la construction législative, unique et monolithique d'un texte de solidarité qui, d'un coup, réglerait toutes les questions posées à notre société si complexe.

Ma position est tout à fait différente. Je crois qu'il faut admettre la progressivité, l'itération législative, remettre son ouvrage sur le métier et avancer pas à pas pour progresser et améliorer les textes les uns par rapport aux autres. Ce serait vaine gloire que de prétendre réussir d'un coup, pour trente ans, dans un domaine aussi délicat que celui du handicap.

De plus, vous prétendez que certains sujets ont été minimisés alors que vous reprenez l'articulation et l'ossature même du texte pour en parler, notamment en ce qui concerne la prestation de compensation. Vous avez regretté que le texte l'élude alors que je vous ai précisé que ce droit faisait l'objet d'un titre entier. Le projet de loi n'ignore pas non plus l'accès aux soins, la recherche, la prévention, l'innovation dans le domaine thérapeutique pour le handicap. S'agissant de ce dernier point, je n'ai pas saisi à quoi vous faisiez allusion. Il nous faut bien sûr en débattre, mais le texte a de toute façon été conçu pour ne pas éluder cette question tout à fait centrale.

Par ailleurs, vous feignez de ne pas reconnaître en ce domaine les efforts sans précédents réalisés par le Gouvernement.

Mme Danièle Hoffman-Rispal. Les mesures ne sont pas financées !

Mme la secrétaire d'État aux personnes handicapées. Je pense aux efforts en matière de création de places, à la prise en compte du financement de ce dispositif sans lequel, mesdames et messieurs les députés, nous serions en train d'évoquer le droit à compensation sans disposer du moindre euro pour le financer. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Christian Paul. Mais c'est la réalité !

Mme la secrétaire d'État aux personnes handicapées. Quelle posture prendrions-nous vis-à-vis des personnes handicapées qui sont précisément en attente de novations en ce domaine ?

Enfin, madame la députée, vous évoquez régulièrement le gouvernement Jospin - je peux le comprendre. Vous vous y êtes référée abondamment en mentionnant la loi de janvier 2002. Mais je vous rappelle qu'il a fallu de nombreuses années d'efforts et d'incitations pour que ce texte soit débattu à l'Assemblée nationale. Il avait d'ailleurs pour origine les idées extrêmement novatrices de Jacques Barrot. Si je reprends votre raisonnement, je n'arrive pas à comprendre pourquoi le choix, à l'époque, a été de débattre d'abord des moyens sans poser les droits. Car si les droits avaient été définis, nous parlerions ce soir d'autres sujets en aval de la future loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) C'est pourquoi je ne peux souscrire à votre proposition et j'invite vos collègues à repousser la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. Sur la question préalable, je suis saisi de plusieurs demandes d'explication de vote.

La parole est à M. Jean-Pierre Door, pour le groupe UMP.

M. Jean-Pierre Door. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mesdames, messieurs, j'ai bien écouté notre collègue.

M. Patrice Martin-Lalande. Quel courage !

M. Jean-Pierre Door. J'ai bien essayé, chère collègue, de comprendre pourquoi vous défendez l'indéfendable avec cette question préalable.

Vos propos et vos arguments ne sont ni bons, ni crédibles, surtout lorsque vous qualifiez la réforme d'injuste.

Pourquoi donc chercher à freiner ou à contrarier l'attente de nombre de nos concitoyens : ceux qui n'ont pas la même chance que nous ? Ils sont nombreux à nous voir et à nous entendre. Peut-être d'ailleurs sont-ils toujours présents dans la salle Lamartine. Ils attendent que nous leur répondions positivement et non comme vous venez de le faire.

Vous avez reconnu que l'attente est très forte depuis la loi de 1975. Il y a non seulement nécessité de débattre, mais surtout urgence : tant de temps a passé depuis cette loi. La densité de la discussion au Sénat et le nombre d'amendements présentés à notre commission confirment que ce nouveau texte était très attendu.

Ce projet de loi, contrairement à ce que vous dites, est aussi très ambitieux.

Les handicapés attendent aujourd'hui de la représentation nationale qu'elle assure avec sérénité et solennité la priorité de protection qui leur est due et leur intégration dans toutes les composantes de notre société. Pensons à celles et à ceux qui se battent chaque jour pour que leur enfant soit intégré et trouve sa place dans la société ; pensons aux parents d'autistes, de polyhandicapés et aux familles des traumatisés crâniens ; pensons aux handicapés eux-mêmes.

Déjà en 1975, l'opposition évoquait la faiblesse et l'insuffisance des moyens.

Mme Martine David. Eh oui ! Et on a vu les résultats !

M. Jean-Pierre Door. Or chacun s'accorde à dire que cette loi était un texte fondateur et qu'elle a permis des avancées considérables.

Depuis, trente années ont passé et c'est à nouveau notre majorité qui prend la responsabilité d'une réforme sociale sans précédent. (« Tout à fait ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Gaëtan Gorce. L'autosatisfaction, on sait où ça mène !

M. Jean-Pierre Door. Faisons l'économie, madame Carillon-Couvreur, des discours convenus ou polémiques et agissons. Car celles et ceux qui nous écoutent et nous regardent sont dans l'attente. Ils jugeront notre assemblée à la manière dont elle traitera le problème du handicap.

Alors, de grâce, reconnaissez que le projet de loi présenté par Mme la secrétaire d'État est sans conteste un réel progrès qui va changer la vie de beaucoup d'handicapés. Il est très attendu et porteur d'espoirs qu'il ne faudrait pas décevoir : droit à compensation, accessibilité, reconnaissance de toutes les formes de handicap. Le texte présenté a été élaboré en concertation avec les personnes handicapées, les associations et les organisations professionnelles ; de nombreuses auditions ont été menées ; le rapporteur a accompli un travail remarquable et apprécié, procédant d'un regard nouveau sur la différence.

Ce texte aurait dû faire l'unanimité. Relevons donc ensemble le défi du handicap.

Pour sa part, le groupe UMP relèvera ce défi et ne votera pas la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Paul, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.

M. Daniel Paul. Nous aussi, monsieur Door, aurions souhaité que ce texte fasse l'unanimité. Mais il aurait fallu qu'il soit différent de celui qui nous est présenté. Comme vous, nous avons rencontré la plus grande partie des associations représentatives du milieu du handicap et les personnes concernées, dans des établissements, dans des quartiers, dans leurs foyers, dans leurs logements personnels quelquefois. Nous pouvons confirmer tout ce qu'a dit notre collègue qui a défendu la question préalable concernant l'insuffisance du texte. Mais insuffisance par rapport à quoi ?

M. Patrice Martin-Lalande. Par rapport à ce que vous n'avez pas fait !

M. Daniel Paul. D'abord, il y a insuffisance par rapport aux attentes des personnes en situation de handicap. Il est vrai que la loi de 1975 a été un évènement. Mais nous ne pouvons plus nous contenter aujourd'hui de poursuivre sur sa lancée : il faut franchir un pas qualitatif beaucoup plus important.

M. Patrice Martin-Lalande. C'est pourquoi on fait une nouvelle loi !

M. Daniel Paul. Certains d'entre vous critiquent, à juste titre, l'insuffisance des mesures prises depuis vingt-neuf ans. Désormais, les personnes handicapées ou en situation de handicap, ainsi que leurs associations, en ont assez de la « retenue » des pouvoirs publics devant leurs problèmes quotidiens. Elles demandent non pas de faire en 2004 un bis repetita d'une loi de 1975, mais d'élaborer une loi du XXIe siècle propre à leur permettre d'être de plain-pied dans le monde actuel.

Or, madame la secrétaire d'État, votre projet de loi n'accomplit pas cette évolution. Vous restez en deçà des besoins de notre société et des personnes en situation de handicap. Certes, il y a quelques progrès. Encore heureux ! Que serait une loi nouvelle qui n'apporterait aucune évolution positive ?

Mais, dans le même temps, nous savons combien vos moyens sont étriqués. C'est un facteur d'immense incertitude sur les financements.

Madame la secrétaire d'Etat, vous avez dit que vous ne compreniez pas en quoi les décrets d'application constituaient un problème par rapport à la loi. Lors de mon explication de vote sur l'exception d'irrecevabilité, j'ai rappelé que la loi de 1975 n'avait pas été suivie de tous ses décrets d'application. Vingt-neuf ans plus tard, on peut craindre qu'une grande partie des décrets d'application de la loi de 2004 ne soit pas pris non plus. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Ce serait de bonne guerre pour un gouvernement qui n'a pas l'intention d'aller jusqu'au bout de ses ambitions affichées. Il suffit de voir comment sont construits les budgets que le Gouvernement nous présente dans le domaine social.

Il aura donc fallu attendre longtemps, disais-je, vingt-neuf ans. Mais nous souhaitons, tout en appelant bien évidemment nos collègues à voter cette question préalable, que ce débat aboutisse à une amélioration du texte. Oui, mes chers collègues, je souhaiterais qu'un tel projet de loi puisse être voté à l'unanimité, parce que c'est ce que demandent sans doute les personnes qui nous écoutent ici même ou dans la salle Lamartine, comme les 6 millions de personnes qui souffrent de handicaps lourds et les 30 millions de personnes qui sont, à un moment ou à un autre, dans leur vie quotidienne, confrontées à une forme de handicap. C'est à toutes ces personnes que nous devons penser aujourd'hui. (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Claude Leteurtre, pour le groupe Union pour la démocratie française.

M. Claude Leteurtre. Je crois que Mme Carrillon-Couvreur a démontré avec talent qu'elle veut une grande loi, une loi qui soit à la hauteur de l'exposé des motifs qui précède ce texte. Elle l'a fait avec force, avec conviction et avec beaucoup d'humanité. Comme elle, nous avons beaucoup d'interrogations, notamment sur le financement. Lors de la discussion sur la journée de solidarité et sur la création d'une Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, nous avions exprimé notre réserve pour ne pas dire notre hostilité à cette journée telle qu'elle était conçue. Pourquoi ? Parce que si l'on peut dire qu'un financement va être assuré, il reste qu'on aurait peut-être pu l'optimiser.

D'autre part, pourquoi l'État revient-il d'un seul coup au centre du dispositif - peut-être de manière temporaire -, et quid de la place du département ? Car on sait qu'il est au cœur de la politique du handicap.

M. Pascal Terrasse. C'est vrai que l'ADF n'a pas été consulté ! M. Cazeau attend toujours de l'être !

M. Claude Leteurtre. De même, le groupe UDF regrette que cette loi ne soit pas une loi d'orientation, qui aurait permis de constituer un corpus administratif extrêmement fort et de bien poser les principes. Après cette loi d'orientation, une loi de programmation aurait sans doute pu donner lieu à un débat plus calme, plus fourni, plus charnu.

Mais les choses sont ce qu'elles sont. Il y a maintenant vingt-neuf ans que la loi sur le handicap vit, et elle montre ses insuffisances. Nous avons tous reçu les associations, et nous avons perçu leur attente et leur espoir, qui sont aussi ceux du monde du handicap en général. Cet espoir, il ne faut pas le décevoir. C'est à nous qu'il appartiendra de le faire vivre durant la discussion. Il ne faut pas oublier que le handicap est toujours synonyme de citoyenneté, et bien souvent d'une grande dignité et d'une grande pudeur, lesquelles s'accompagnent, je l'ai dit, de beaucoup d'espoir. Dans ces conditions, au stade où on en est, je crois qu'il faut avancer. Il y a une volonté de construire. Celle-ci s'est manifestée en commission, où beaucoup d'avancées ont été faites par rapport à un texte qui avait déjà été enrichi par le Sénat. Il faut continuer à avancer, il faut faire des propositions. À nous d'être attentifs à ce que les financements programmés suivent les engagements. Le groupe UDF ne votera pas cette question préalable, car il n'est pas possible d'attendre plus longtemps. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Renée Oget, pour le groupe socialiste.

Mme Marie-Renée Oget. Il est évident que les personnes handicapées sont au cœur des préoccupations des députés socialistes.

M. Jean-François Chossy, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. Et des autres !

Mme Marie-Renée Oget. Mais je pense que nous n'avons pas la même approche.

Madame la secrétaire d'État, la notion de handicap et la notion de situation de handicap, ce n'est pas la même chose. Ce n'est pas une question de sémantique, et Martine Carrillon-Couvreur nous l'a bien rappelé tout à l'heure, comme Hélène Mignon l'avait fait avant elle.

Le droit à compensation, dans le cadre de la loi de 2002, est une notion importante. Or il nous semble que ce projet de loi ne répond pas à ce droit universel à compensation. Par contre, il suscite, et je ne suis pas la seule à le souligner, un certain nombre d'interrogations qui correspondent à autant de lacunes. En particulier, il renvoie constamment à des décrets d'application, ce qui laisse certains objectifs dans le flou. C'est notamment le cas pour tout ce qui concerne la scolarisation, l'emploi, l'accessibilité, ou encore les maisons du handicap.

Martine Carrillon-Couvreur a également mis en évidence le désengagement de l'État et les gels de crédits récents, qui nous laissent penser que cette loi n'aura pas les moyens de se traduire dans les faits. Nous ne pouvons qu'être d'accord sur les principes affichés, mais il nous semble que la volonté forte de les faire vivre n'est pas au rendez-vous.

De plus, cette réforme nous semble injuste. Elle ne nous paraît pas s'inscrire dans le cadre de la solidarité, mais dans celui d'une logique d'assistance.

M. Patrice Martin-Lalande. C'est scandaleux d'entendre des choses pareilles !

Mme Marie-Renée Oget. Aussi, il est évident que le groupe socialiste, même s'il espère que la discussion permettra d'améliorer ce texte, tient à voter cette question préalable, dont l'adoption rendrait possible une loi à la mesure des attentes des personnes en situation de handicap, une loi qui, surtout, les reconnaîtrait en tant que citoyens. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. Je mets aux voix la question préalable.

(La question préalable n'est pas adoptée.)

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Claude Leteurtre, premier orateur inscrit.

M. Claude Leteurtre. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, la loi d'orientation de 1975 sur le handicap a marqué son époque. Elle a été le point de départ d'une première étape de la reconnaissance et de la prise en charge du handicap dans notre pays. Depuis, beaucoup de choses ont été faites. Mais tout le monde s'accorde à admettre qu'il y a encore beaucoup à faire. De trop nombreux enfants et adultes en situation de handicap ne bénéficient d'aucune prise en charge, ou d'une prise en charge mal adaptée aux spécificités de leurs handicaps. Je pense bien sûr tout particulièrement aux polyhandicapés. La compensation du handicap reste bien en deçà de ce qu'elle devrait être, qu'il s'agisse des ressources des personnes ou du montant des remboursements des aides techniques, humaines ou animalières. Les progrès de la prise en charge nous confrontent également au défi du vieillissement des handicapés. Il nous faut donc franchir une nouvelle étape. Trente ans après la loi d'orientation de 1975, il faut assurer un nouvel élan aux actions menées par notre société pour les personnes en situation de handicap. Il est plus que temps de leur donner les moyens d'exercer leur pleine citoyenneté, comme tous les autres membres de la nation. Nous ne pouvons plus accepter qu'il puisse exister une ségrégation du seul fait du handicap.

Le texte que vous nous proposez, madame la secrétaire d'État, marquera-t-il les trente prochaines années comme l'a fait la loi de 1975 ? Vous avez choisi la voie d'une simple loi plutôt que celle d'une nouvelle loi d'orientation et de programmation. Nous pensons, à l'UDF, que la réforme de la loi de 1975 le méritait. Une telle entreprise aurait eu le mérite de constituer un véritable « corpus » des principes qui doivent présider aux actions menées dans notre pays en faveur des personnes en situation de handicap. Vous avez d'ailleurs bien senti cette nécessité, si je me fie à la lecture de l'exposé des motifs de votre projet tel qu'il figure dans le texte déposé au Sénat. Une loi de programmation aurait également été opportune parce que votre texte est muet sur les financements qu'il va nécessiter. J'entends dire ici ou là que cette réforme est financée avant même d'être votée grâce aux moyens que la journée de solidarité va permettre de dégager.

M. François Sauvadet. Ah ça !

M. Claude Leteurtre. C'est franchement irréaliste. De quoi parle-t-on exactement ? D'une prévision de recettes supplémentaires d'environ 850 millions d'euros chaque année. Ce n'est certes pas une somme négligeable, mais il faut la comparer au budget réel du handicap, pour lequel nous ne disposons d'ailleurs que d'estimations. Quelles sont-elles ? En 2001, les prestations sociales consacrées au handicap étaient estimées à 25,6 milliards d'euros. À celles-ci, il faut bien évidemment ajouter les financements AGEFIPH, les prestations vieillesse versées au titre du handicap, les autres prestations d'assurance maladie engagées au titre du handicap, les dépenses prises en charge par les collectivités territoriales et, enfin, les dispositions fiscales visant la compensation du handicap. Au total, on peut donc raisonnablement estimer que le budget du handicap s'élève à 40 milliards d'euros. À comparer aux 850 millions d'euros que la journée de solidarité permettrait de dégager.

II est en outre intéressant de noter qu'au sein de ce budget, les dépenses d'aide sociale ne cessent de prendre plus de place tandis que, depuis plusieurs années, celles relatives aux assurances sociales ne cessent de régresser. C'est ce mouvement qu'il faut impérativement inverser. Aider les personnes en situation de handicap, ce ne doit pas être leur faire la charité mais bien plutôt faire s'exprimer la solidarité nationale. C'est pour cela que nous plaidons pour la reconnaissance d'un véritable cinquième risque,...

M. Daniel Paul. Bravo !

M. Claude Leteurtre. ...qui couvrirait l'ensemble des problématiques de la dépendance, quelle qu'en soit l'origine : handicap ou vieillissement. À l'évidence, on en est encore très loin avec la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie.

M. Daniel Paul. Très juste !

M. Claude Leteurtre. Faut-il rappeler que 850 millions d'euros pour le handicap, c'est trois fois moins que la réduction de TVA accordée aux restaurateurs !

Il y a donc une très forte interrogation sur les financements, d'autant plus que la lettre de cadrage budgétaire pour 2005 de M. le Premier ministre n'indique nullement que les crédits consacrés aux politiques du handicap, dans les différents ministères concernés, doivent faire l'objet d'une sanctuarisation pourtant indispensable. Mais j'espère, madame la secrétaire d'État, que vous pourrez nous rassurer.

Le texte dont nous allons entreprendre la discussion comporte un certain nombre d'avancées. Nous en sommes tous bien d'accord. Nombre d'entre elles ont d'ailleurs été introduites par nos collègues du Sénat, qu'il faut saluer pour la pertinence du travail qu'ils ont accompli sur ce texte. Mais il faut aller au bout de la logique qui préside à ce projet de loi.

Par exemple, le droit à compensation doit être universel, c'est-à-dire déconnecté de l'âge du bénéficiaire et indépendant de ses ressources. Si tel n'était pas le cas, il ne s'agirait plus d'un véritable droit à compensation. L'accessibilité doit être réelle et ne pas souffrir d'exception. Le guichet unique institué par les maisons départementales du handicap doit être une réalité et non pas simplement un nouvel habit dans lequel viendraient se glisser sans changement les actuelles institutions, CDES et COTOREP entre autres, qui ont montré leurs limites. Le droit à la scolarisation doit aussi être un droit à l'éducation, dont doivent bénéficier les enfants qui, malheureusement, ne peuvent aller à l'école. Ce droit doit également pouvoir s'exercer tout au long de la vie, en conformité avec l'article 15 de la Charte sociale européenne. Il faut d'ailleurs rappeler ici que le Comité européen des droits sociaux du Conseil de l'Europe a conclu, en novembre 2003, à la violation par la France du principe de non-discrimination en ce domaine.

Mon collègue, Yvan Lachaud abordera plus particulièrement ce point dans son intervention, car il a été le premier, dans son excellent rapport, à parler de scolarisation.

M. Jean-François Chossy, rapporteur. C'est tout à fait exact !

M. François Sauvadet. Très juste !

M. Claude Leteurtre. Autre insuffisance du projet, celui de la définition du handicap. Il est vrai que c'est la première fois qu'une définition du handicap est inscrite dans la loi. Mais pourquoi refuser, dans le même temps, sous de fallacieux prétextes, de recourir à l'expression « personne en situation de handicap » ? C'est une position archaïque. Le débat n'est pas purement linguistique, comme le rappelle la nouvelle classification internationale du fonctionnement du handicap et de la santé de l'OMS. Parler de « personne en situation de handicap », c'est reconnaître que le handicap n'est pas un état par nature, mais qu'il résulte de la rencontre entre une déficience des fonctions de la personne et des entraves environnementales.

Enfin, un point fondamental doit être traité : celui de la recherche. Chaque année, 8 000 enfants naissent handicapés malgré les programmes de périnatalité porteurs d'espoirs. Ces 8 000 enfants sont les oubliés de la recherche. Il n'y a pour ainsi dire aucune recherche publique dans le domaine du handicap, notamment du handicap mental où, dans les cas aigus, la camisole physique ou chimique reste malheureusement la seule solution. Il est indispensable que des programmes de recherche soient élaborés, coordonnés et financés par l'État. Une loi qui se veut fondatrice ne peut faire l'impasse sur une telle carence et doit donc définir clairement les modalités, le but et les financements d'un institut de recherche sur le handicap.

Le groupe UDF, qui aborde la discussion avec espoir et fermeté, considère qu'en l'état le projet n'est pas encore satisfaisant : il présente trop de lacunes et ne comporte pas assez d'avancées. Le rapporteur de notre commission a repris à son compte bon nombre de nos amendements, ce qui va dans le bon sens. Mais il reste encore plusieurs points qui méritent d'être améliorés. Je ne doute pas un instant de la volonté du Gouvernement, car cette loi doit marquer une véritable avancée dans la politique du handicap. C'est pour nous un devoir, lorsque nous connaissons l'ampleur du travail des associations qui œuvrent tant au quotidien et qui espèrent beaucoup de cette loi.

Les personnes en situation de handicap nous demandent simplement justice, exigeant d'être enfin considérées comme n'importe quel citoyen. Si nous faisons droit à cette légitime revendication, c'est une véritable réforme de la loi de 1975 que nous aurons réussie. Sinon, nous ne ferions qu'un replâtrage qui masquerait les lézardes, mais qui laisserait l'injustice l'emporter sur l'égalité et la fraternité dont la République est garante pour chacun de ses membres. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Paul.

M. Daniel Paul. Madame la secrétaire d'État, votre projet de loi pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées était pour le moins attendu. Il prétend traduire dans la loi le troisième grand chantier du Président de la République et concrétiser les réflexions nées au cours de l'année européenne du handicap ; il entend aussi s'inscrire dans la continuité de la loi de modernisation sociale de janvier 2002 et rénover la loi fondatrice et protectrice de 1975. Mais nous ne sommes plus en 1975 !

Précisément parce que les acquis emmagasinés depuis vingt-neuf ans nous le permettent, notre ambition devrait être de franchir de nouvelles étapes, de répondre aux aspirations et de faire entrer, de plein droit, les personnes en situation de handicap dans tous les aspects de la vie économique et sociale. Cela concerne le droit à la formation, à l'exercice d'une activité professionnelle, mais aussi aux loisirs, aux vacances, au logement, à la citoyenneté. L'exercice de ces droits implique des moyens financiers, techniques, humains, permettant aux six millions de personnes concernées dans notre pays d'avoir accès à tout, selon leur propre formule. Pourtant, dans mon département, il manque dès aujourd'hui de 500 à 600 places en CAT pour répondre aux seules attentes recensées actuellement et les annonces, fort maigres, qui sont faites ne répondront pas aux attentes. Vous avez, sur ce point, dans votre intervention, cité des chiffres hors du temps et, on peut le craindre, hors de vos moyens.

Nous connaissons tous des personnes, en situation de lourd handicap qui ne peuvent faire face à leurs dépenses. Elles doivent faire appel à leur famille et entreprendre un vrai chemin de croix pour solliciter des aides complémentaires, humaines ou techniques, justifiant, chaque fois, leurs difficultés, quémandant, en quelque sorte, leurs droits, pour s'entendre souvent répondre qu'il n'y a plus de budget, qu'elles ne peuvent y prétendre, qu'elles n'en bénéficieront qu'à titre tout à fait exceptionnel ou que leurs parents pourraient les aider davantage. Au-delà des améliorations que nous espérons introduire dans la loi concernant la prise en charge, les maisons départementales pourraient répondre, tout au moins en partie, à cet inadmissible parcours du combattant.

Nous connaissons tous aussi des personnes dont les allocations sont réduites ou supprimées parce que leur conjoint dispose d'un revenu, d'un salaire, souvent modeste. C'est leur dignité même qui est mise en cause par le maintien de telles dispositions rétrogrades qui font supporter aux familles une responsabilité qui incombe à la société.

La commission des affaires culturelles a accepté de faire sauter les seuils que constituaient les paliers de vingt et de soixante ans. Nous serons vigilants à ce sujet. Tous, qu'ils aient moins de vingt ans ou plus de soixante ans doivent bénéficier pleinement de la prestation de compensation, afin que l'insuffisance notoire de l'allocation d'éducation spéciale soit compensée, autant que de besoin, par une intervention complémentaire, financière, humaine ou technique.

Le taux de chômage des personnes en situation de handicap ne cesse d'augmenter et, dans une société poussée vers la rentabilité financière rapide et élevée, elles risquent d'avoir de plus en plus de mal à trouver leur place.

Si nous apprécions qu'enfin les fonctions publiques devront respecter le même quota que les entreprises privées, nous souhaitons que l'on prenne aussi en compte les non-titulaires, dont le nombre grandit.

Ces questions, parmi bien d'autres, assaillent la vie des familles, avec les lancinants problèmes du vieillissement des personnes en situation de handicap, de l'insuffisance des structures d'accueil, des financements que toutes les associations auraient souhaité voir pérennisés au sein de notre système de sécurité sociale dans le cadre d'un cinquième risque et non dans ce que vous appelez une « agence », disloquant encore plus notre protection sociale en caisses autonomes. Nos amendements reviendront sur ces divers points.

Un nouveau texte, dans la lignée de 1975, de l'année européenne et d'un chantier présidentiel aurait dû se donner pour objectifs de régler ces manques immédiats et de tracer des perspectives plus fortes, tant on sait combien le « vivre ensemble » et le « tout pour tous » que revendiquent les associations nécessitent d'efforts persévérants. Certains décrets d'application de la loi de 1975, je l'ai rappelé ce soir, ne sont toujours pas publiés vingt-neuf ans plus tard.

M. Daniel Mach. Vous ne les avez pas publiés non plus !

M. Richard Mallié. En vingt-neuf ans, combien de gouvernements de gauche ?

M. Daniel Paul. Ne peut-on craindre qu'il en soit de même pour votre texte ? Plus de cinquante décrets seront nécessaires ; et c'est là un moyen facile pour retarder des mesures en fonction d'aléas budgétaires ou politiques. Nous défendrons un amendement à ce sujet, visant à accélérer la publication des textes d'application.

A la lecture de votre projet, nous restons donc sur notre faim, avec le sentiment d'un manque de souffle, d'ambition, en deçà des espoirs nés des déclarations des plus hauts responsables de l'État. Ce projet, dans sa mouture actuelle, est loin de se situer dans la lignée du grand texte de Mme Veil voté à l'unanimité en 1975.

Vingt-neuf ans d'attente pour ce résultat, pour un texte déjà en retard et plombé par un manque de moyens budgétaires, englué dans un financement par une CNSA contestée et contestable !

M. Daniel Mach. Quel culot !

M. Daniel Paul. La déception est grande parmi les responsables des associations, comme parmi les personnes en situation de handicap, qui espéraient que les grandes déclarations et les promesses se situeraient dans la trajectoire de leurs espoirs et de leurs exigences. Nous dénoncerons donc ce décalage entre les principes ambitieux affichés dans l'exposé des motifs et leur traduction dans le projet de loi. Au-delà des associations, les instances consultatives ainsi que les organismes de protection sociale ont très largement exprimé leur déception devant le manque d'envergure du texte. Si l'on se souvient que ce projet est en préparation depuis deux ans, il faut conclure que ce décalage est l'expression de réticences politiques, d'une conception dépassée du rapport entre société et handicap, mais sans doute aussi de difficiles choix budgétaires incompatibles avec les besoins des personnes concernées.

M. Daniel Mach. Il faut oser !

M. Daniel Paul. Le Conseil économique et social a évalué les besoins de financement à 6 milliards d'euros. Nous en sommes loin ! Il n'est pas trop tard pour corriger le tir. Mme Jacquaint, au nom du groupe des député-e-s communistes et républicains le proposera en défendant notre motion de renvoi en commission.

M. Richard Mallié. Quel culot !

M. Daniel Paul. Le manque de soutien ambitieux aux personnes en situation de handicap fait peser les responsabilités sur les familles. C'est le cas notamment des personnes très dépendantes, des polyhandicapées, pour lesquelles l'absence de soutien entraîne souvent le placement en institution ou des situations très difficiles, lorsqu'un membre de la famille doit quitter son travail pour se consacrer à la garde de la personne concernée. Mais, dans ce cas, cet aidant familial pourra être rémunéré. S'il s'agit du conjoint, cette rémunération sera intégrée dans les revenus du ménage et interviendra dans le calcul de l'AAH ! Ne convient-il pas de décider que, rémunéré ou pas, l'aidant familial doit être affilié ? Reconnaissez, madame la secrétaire d'État, que ces points méritent d'être revus !

L'insuffisante prise en compte du nécessaire développement et de la prise en charge des aides humaines est éloquente et lourde de conséquences pour ces familles et beaucoup s'interrogent sur le sens de la compensation dans le cas des personnes en situation de handicap mental et, bien évidemment, des polyhandicapées. Cela pose la question des ressources, des structures et des services adéquats. L'enjeu est de permettre aux familles de concilier leur vie de famille et leur travail, mais aussi parfois de « souffler » en sachant que l'enfant ou l'adulte est bien pris en charge. Si les coûts supplémentaires liés au handicap ne sont pas couverts par la solidarité nationale, ils le sont par les familles, avec toutes les difficultés que cela entraîne. Or votre texte reste timoré à ce sujet.

Il s'appuie, par ailleurs, sur une conception étriquée, car individuelle, du handicap en refusant de s'inscrire dans les références et concepts européens et internationaux actuels. Ainsi donc, votre texte, si vous en restiez à la définition du handicap qu'il affiche, serait en retard sur les grandes institutions internationales.

Nous souhaitons, comme l'immense majorité des associations représentatives et nombre d'entre nous sur ces bancs quelles que soient les sensibilités politiques, que le handicap soit défini comme le résultat d'une déficience, d'une perte de capacité en interaction avec des facteurs environnementaux. Le handicap crée une discrimination de fait. S'il est évident que la suppression des obstacles liés à ces facteurs externes ne gommera pas les déficiences, elle permettra en revanche, si certaines conditions sont réunies, de mieux circuler à travers la cité, de se rendre plus facilement à son travail, à son école ou dans n'importe quel lieu de sociabilité. C'est pourquoi il faut parler des « personnes en situation de handicap » plutôt que des « personnes handicapées ».

Promouvoir la participation des personnes en situation de handicap à la société se révélera également positive d'un point de vue économique, comme l'ont montré diverses études sur les coûts de l'exclusion et de la discrimination. Au rebours de cette évidence, la prise en compte des situations de handicap reste encore, dans votre texte, cantonnée dans le champ de l'assistance et de l'aide sociale, alors qu'elle devrait s'ancrer solidement dans une autre dynamique, ce qui aboutit à faire de l'accès au « tout pour tous » un principe secondaire et à placer le droit à compensation au cœur de la réforme ; et encore, sans instaurer une allocation compensatrice indépendante des conditions de ressources, d'âge, de seuil d'invalidité, en fonction de besoins individualisés.

Vous êtes incapable de rompre avec cette logique d'aide et d'assistance.

La discussion en commission avait permis d'avancer en ce domaine, mais nous continuons à demander l'inscription claire dans la loi d'une réelle évaluation des besoins en aides humaines, par des équipes pluridisciplinaires suffisamment disponibles pour traiter correctement les demandes, ainsi que la totale prise en charge financière de ces besoins en aides humaines et techniques, grâce à des décrets d'application pris rapidement afin que cesse des attentes difficiles à vivre. La compensation des incapacités devrait être universelle et intégralement à la charge de la solidarité nationale, comme l'affirme l'article 1er de la loi relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé.

Une telle conception de la compensation permettrait de prendre en compte et de couvrir la diversité des situations et de faire face à des investissements importants, comme l'achat d'un fauteuil roulant électrique ou de tout autre appareil facilitant la vie des intéressés.

À cet égard, je l'ai rappelé en commission, pourquoi ne pas s'inspirer de ce qu'un département comme le Calvados a su mettre en œuvre depuis plusieurs années en sortant des rails pour entendre enfin les besoins liés à la grande dépendance et mieux prendre en charge les spécificités de chaque personne atteinte de handicap ?

Mais la logique assistancielle est constante : vous vous obstinez dans votre refus, réitéré ce soir, de faire de l'allocation aux adultes handicapés un véritable revenu d'existence et non plus de simple subsistance. C'est injuste car cela confine les personnes concernées dans une précarité de moyens indigne de notre pays. Notons que, pendant ce temps, c'est tous les jours Noël pour certaines couches de notre société ; prélever légèrement sur ces privilégiés permettrait sans difficulté de répondre aux besoins que vous refusez de couvrir.

M. Daniel Mach. De répondre aux besoins que vous n'avez pas couverts !

M. Daniel Paul. Croyez-moi, madame la secrétaire d'État : lorsqu'une personne vit seule, sans famille pour lui venir en aide, et que, avec l'allocation compensatrice et l'AAH actuelles, elle doit faire face à tous ses besoins de compensation et de vie, on est loin de l'objectif d'accession à une pleine et entière citoyenneté, de participation digne et autonome à la vie sociale, tout simplement.

L'éducation constitue, pour les personnes en situation de handicap comme pour les autres citoyens, un élément déterminant en matière d'emploi et d'intégration sociale en général. Nous adhérons au modèle éducatif dit de l' « éducation inclusive », qui permet d'appréhender le droit des personnes handicapées à occuper la place qui leur revient dans une société diversifiée et tolérante.

Mais, pour que l'éducation inclusive réussisse, les enfants et les jeunes handicapés doivent bénéficier du soutien adéquat requis par leur handicap spécifique. Sur ce point précis, dans le contexte actuel de mise à mal de notre service public d'éducation, marqué par des opérations de carte scolaire visant à récupérer des postes coûte que coûte, comment ne pas ressentir de fortes inquiétudes ? Nous vous demanderons, là aussi, des engagements budgétaires clairs.

Concernant l'emploi, l'insertion professionnelle et le droit à la formation continue, votre texte demeure bien frileux. Pourtant la grande majorité des personnes en situation de handicap et en âge de travailler souhaitent le faire. L'augmentation de leur taux d'emploi serait un élément fondamental pour leur intégration sociale. Nous insistons donc sur la nécessité d'atteindre cet objectif, sur l'utilisation de la diversité des outils existant en ce domaine, sur le nécessaire développement des CAT, sur l'augmentation des ressources des travailleurs handicapés employés dans ces structures et notamment sur l'amélioration des règles de cumul, sur les problèmes rencontrés par les CAT pour accéder aux marchés publics comme sur le respect des dispositions du code du travail.

M. le président. Monsieur Paul, je vous prie de conclure !

M. Daniel Paul. Il convient aussi de transposer réellement la directive européenne et de renforcer les sanctions à l'égard des entreprises qui n'emploient aucun travailleur handicapé - 37 % d'entre elles sont concernées. Nous souhaitons que le montant des amendes auxquelles elles s'exposent augmente et que l'accès aux marchés publics leur soit interdit.

Et que dire de l'accessibilité ?

M. le président. Veuillez conclure, monsieur Paul !

M. Daniel Paul. Je termine, monsieur le président.

Comment admettre que, dans le cadre de constructions neuves ou de rénovations lourdes de logements bénéficiant d'aides publiques, on néglige d'adapter tous les logements pour faciliter leur mise en accessibilité ultérieure en fonction des besoins propres à chaque handicap ? On éviterait ainsi les listes d'attente comme les déménagements souvent pénalisants, lorsque, dans le foyer, arrive une personne en situation de handicap. Nous vous proposerons d'avancer dans ce sens.

M. le président. Monsieur Paul, abrégez !

M. Daniel Paul. Je l'ai dit au début de mon propos : votre texte est plombé par une logique d'aide sociale en décalage avec les aspirations à une véritable justice sociale exprimées par les personnes en situation de handicap. Il ne sort pas, et pour cause, des réalités lourdes de votre politique économique et sociale, du libéralisme, tout simplement, qui la caractérise. (« Que de clichés ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Daniel Mach. Quel culot !

M. Daniel Paul. Votre réforme de la protection sociale n'épargnera pas les personnes en situation de handicap et votre refus d'augmenter l'AAH ne leur permettra pas de vivre mieux.

Mais comment une société profondément inégalitaire pourrait-elle élaborer un projet, dans les faits et non pas dans les mots, visant l'égalité et la citoyenneté des personnes fragilisées ?

Notre logique est autre.

M. le président. Monsieur Paul...

M. Daniel Paul. Les associations représentatives ont obtenu des avancées ; nous voulons poursuivre dans le sens qu'elles préconisent et utiliser toutes les possibilités du débat parlementaire pour progresser. Ce n'est qu'au terme de ce débat que nous nous déterminerons sur un texte qui, en son état actuel, ne saurait recevoir d'autre réponse que négative. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

M. le président. Mes chers collègues, il est prévu que la discussion générale dure trois heures quinze. J'aimerais que chacun respecte son temps de parole car nous ne pouvons pas nous permettre de dépassement d'horaire. Je vois d'ailleurs que Mme Mignon m'approuve.

La parole est à Mme Geneviève Levy.

Mme Geneviève Levy. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, qu'est-ce qu'un projet sinon l'expression de perspectives nouvelles ? C'est bien dans la volonté d'engager la compensation du handicap sur des logiques nouvelles que réside la philosophie du texte que nous allons examiner.

L'objet du projet de loi est de transformer une personne actuellement assistée ou aidée, une personne handicapée, en citoyen responsable et autonome. Même si certaines d'entre elles ne peuvent atteindre cet objectif, il est du devoir de la société de tout mettre en œuvre pour y parvenir.

Mais il ne s'agit pas de poser la première pierre du cadre législatif en faveur des personnes handicapées. Le texte fondateur, la loi du 30 juin 1975, avait engagé la France dans la voie de la solidarité et institué des droits, des services, des procédures. Quant à la loi du 10 juillet 1987, elle instituait une obligation d'emploi de 6 % dans les entreprises de plus de vingt salariés et elle créait l'Association nationale de gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des personnes handicapées. Ces deux grandes lois consacrées aux personnes handicapées furent initiées par M. Jacques Chirac, alors Premier ministre.

Le Président de la République a fait de l'intégration pleine et entière des personnes handicapées dans notre société une des trois priorités du quinquennat, et ce texte en est l'une des traductions.

Ceux qui formulent des critiques à l'encontre de ce projet de loi, certes perfectible, auraient été bien inspirés de se préoccuper, eux aussi, de l'amélioration de la situation des personnes handicapées et de leurs familles !

M. Bernard Accoyer et M. Richard Mallié. Très bien !

M. Daniel Mach. Il fallait le dire !

Mme Geneviève Levy. Oui, ce texte porte sur l'ensemble des aspects de la vie quotidienne et de la vie sociale des personnes handicapées : prendre en compte les conséquences du handicap dès le plus jeune âge et jusqu'à la fin de la vie, garantir aux personnes handicapées le libre choix de leur projet de vie, sous la forme d'une prestation universelle attribuée individuellement, améliorer la participation des personnes handicapées à la vie sociale, placer les personnes handicapées au cœur des dispositifs qui les concernent, dans une perspective plus humaine et plus efficace, en créant les maisons départementales des personnes handicapées, telles sont quelques-unes des principales ambitions de cette loi, qui institue des droits nouveaux et modifie notre vision du handicap.

Permettez-moi, monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, de m'arrêter quelques instants sur la question de l'accessibilité.

Les difficultés rencontrées par les personnes handicapées pour participer à la vie sociale et le rôle que l'environnement peut jouer dans l'aggravation ou l'atténuation de ces difficultés constituent un maillon de la chaîne d'accessibilité.

Or le texte répond aux problématiques de cette chaîne, notamment par deux mesures : pour le cadre bâti, le principe général d'accessibilité est affirmé à l'article 21 ; le texte prévoit que les services de transports collectifs seront accessibles à tous. Ces deux mesures sont assorties de délais et de sanctions.

Il convient également de rappeler que l'adoption, il y a quelques jours, du projet de loi relatif à la solidarité pour l'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées assurera le financement de la compensation par l'intermédiaire de la Caisse nationale pour l'autonomie.

En terminant mon propos, je voudrais saluer le travail de M. le rapporteur et de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale, qui a adopté plusieurs amendements complétant le texte et répondant à des attentes légitimes des associations.

Je pense particulièrement à l'amendement n° 102 du rapporteur, visant à supprimer les barrières d'âge limitant le champ des bénéficiaires de la prestation de compensation du handicap.

Je pense aussi à l'article additionnel après l'article 49, qui fait obligation de publier les textes réglementaires d'application du projet de loi dans les six mois suivant la promulgation de celui-ci.

Plusieurs amendements de députés du groupe UMP méritent l'attention du Gouvernement, même si nous sommes conscients que le financement de ces mesures n'est pas, dans le contexte économique actuel, chose aisée.

M. Daniel Paul. Ah !

Mme Geneviève Levy. Ce projet, issu d'une longue et large concertation, constitue un signe fort. Le groupe UMP de l'Assemblée nationale le votera. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Renée Oget.

Mme Marie-Renée Oget. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, notre République, par sa devise « Liberté, Égalité, Fraternité », consacre trois grands principes qui obligent chaque citoyen et, à un degré plus affirmé, obligent les représentants élus que nous sommes. Ces valeurs fondatrices de notre République astreignent ceux qui ont été démocratiquement désignés pour représenter nos concitoyens et gouverner notre pays à orienter constamment leur action en vue de parfaire l'exercice de la liberté de chacun, de renforcer l'égalité entre tous et d'inciter chacun à adopter l'esprit de fraternité envers tous. Il en résulte aussi que les citoyens de la République ont le droit de revendiquer et d'attendre de leurs dirigeants la consécration de ces principes dans la loi.

Pour les personnes confrontées dans leur quotidien à des situations de handicap, nos trois grands principes républicains se déclinent ainsi : pouvoir jouir de la liberté d'effectuer un choix de vie ; disposer d'une égalité des chances corrigeant l'injustice qui les frappe ; bénéficier de la solidarité de la nation comme expression de la fraternité.

Je me permets d'insister sur l'expression « situations de handicap », malheureusement refusée par la commission pour définir la notion de handicap dans l'article 1er du texte, bien qu'elle ait été retenue par l'Organisation mondiale de la santé dans sa définition du handicap, pour souligner l'origine des difficultés rencontrées par les personnes handicapées, dues à un environnement insuffisamment adapté à leur situation.

Il est donc à la fois naturel et légitime que les attentes exprimées en ce sens par les personnes en situation de handicap et leurs familles soient considérables. Or force est de constater que le projet de loi, tel qu'il nous est présenté, après avoir été plusieurs fois ajourné depuis le printemps 2003,...

M. Céleste Lett. Et vous, vous l'avez ajourné pendant vingt ans !

Mme Marie-Renée Oget. ...suscite une déception quasi unanime de la part du monde associatif.

Pourtant les déclarations du Président de la République, qui a affirmé vouloir faire du handicap une des trois grandes causes nationales à défendre durant le quinquennat, avec la lutte contre les accidents de la route et la lutte contre le cancer, avaient suscité beaucoup d'espoir chez les personnes concernées.

Les incertitudes budgétaires et le renvoi de la mise en œuvre de nombreuses dispositions à des décrets gouvernementaux ne font qu'accroître le doute qui plane sur la réalisation des droits qui y sont proclamés dans un délai raisonnable et dans des conditions répondant aux besoins constatés.

Toutefois, les droits proclamés ou réaffirmés dans ce texte peuvent, bien entendu, dans leur grande majorité, être approuvés dans leur principe.

Mais il en est tout autrement des moyens alloués à leur mise en œuvre qui ne laissent rien augurer de bon, d'autant qu'a été adopté un premier texte instituant un dispositif dit « de solidarité envers les personnes âgées et handicapées », plus connu sous la désignation de « loi supprimant un jour férié pour les seuls salariés ». Un texte dont même le Gouvernement et la majorité donnent, à présent, l'impression de douter de l'opportunité et du bien-fondé !

Comme vous le savez, les députés socialistes ont voté contre ce dispositif. Ils auraient préféré que la dépendance - due au handicap ou à l'âge - soit prise en charge plus globalement, en débattant prioritairement de la réforme de la sécurité sociale.

De même, préalablement au nécessaire toilettage de la loi de 1975, il aurait été judicieux de procéder à une évaluation des besoins en matière de compensation du handicap. Celle-ci n'ayant pas été effectuée, il y a tout lieu de s'interroger sur la capacité de ce texte à répondre à des besoins non évalués.

Malgré les critiques nombreuses formulées par les députés socialistes à l'encontre des carences de ce texte ou de certaines différences d'approches sur des points majeurs tels que la définition du handicap ou du droit à compensation, nous avons néanmoins abordé son examen dans un esprit constructif. Nous avons ainsi déposé un nombre important d'amendements dont certains ont été adoptés par la commission. Nous avons également apporté notre soutien à certains amendements présentés par M. le rapporteur qui rejoignait l'esprit de nos propositions.

M. Jean-François Chossy, rapporteur. Je vous en remercie !

Mme Marie-Renée Oget. Nous nous félicitons des améliorations apportées par la commission à ce projet de loi, tout en réaffirmant notre déception face aux nombreuses carences et incertitudes qui y persistent.

M. Bernard Accoyer. Qu'avez-vous fait ?

Mme Marie-Renée Oget. D'ailleurs, les nombreuses lettres que nous adressent des associations, des professionnels ou des particuliers portent le même message de déception quant au contenu du texte, et la même indignation de ne pas avoir été entendus.

M. Daniel Mach. Vous vous êtes contentés de les recevoir pendant vingt ans !

Mme Marie-Renée Oget. L'appel à manifester devant la représentation nationale aujourd'hui même, lancé par plusieurs associations de soutien aux personnes handicapées, vient d'ailleurs illustrer ce malaise et en donner confirmation à ceux qui, au Gouvernement et au sein de la majorité parlementaire, feignaient de croire le contraire et présentaient ce texte comme un acte majeur de l'affirmation des droits des personnes en situation de handicap.

Je profite donc de cette prise de parole pour saluer celles et ceux qui, chaque jour, se battent pour assurer aux personnes handicapées l'égalité à laquelle notre Constitution et nos lois leur donnent droit et qui, malheureusement, n'est pas au rendez-vous de ce texte.

Cette déception serait d'autant plus grande que la question du handicap viendrait à apparaître comme instrumentalisée à des fins d'affichage électoral, sans que l'on réponde aux préoccupations et aux besoins exprimés. Il en va, sur ce point, de la crédibilité de la démocratie et des institutions.

Mme Danièle Hoffman-Rispal. Tout à fait !

Mme Marie-Renée Oget. Ainsi, le titre prometteur de ce texte pourrait se révéler trompeur, tant il semble porteur d'une noble ambition visant à assurer l'égalité des droits et des chances et à favoriser une réelle participation citoyenne des personnes handicapées à la vie de la société. Mais, comme 1es résultats des dernières élections ont pu le montrer, sur bien des sujets, les effets d'annonce ne suffisent pas à endormir nos concitoyens et à leur faire oublier les choix qui sont ceux du Gouvernement et de la majorité et qui consistent à consacrer toujours moins de moyens à ceux qui en ont le plus besoin.

En tenant ces propos, mon intention n'est en rien de polémiquer sur un sujet qui a vocation à rassembler autour d'un objectif commun, à savoir, pour tous dans notre société, l'égalité des droits et des chances et la dignité.

Parce que ce thème est ce qu'il est, il ne peut donner lieu à une instrumentalisation d'aucune sorte, sous peine d'accentuer le sentiment d'abandon de ceux de nos concitoyens qui ont la sensation - souvent justifiée, hélas ! - que la société ignore leurs problèmes et finit par les ignorer eux-mêmes.

Nous avons donc la responsabilité majeure de ne pas laisser perdurer la déception, au risque d'accentuer le fossé qui se creuse entre certains de nos concitoyens et nos institutions.

Car le droit à l'égalité des chances et à la dignité commence par la possibilité de suivre une scolarité, d'accéder à l'autonomie et à la reconnaissance sociale à travers un emploi correspondant à ses compétences, d'accéder aussi aux loisirs et à l'information à travers des droits aussi simples que celui de pouvoir se déplacer, regarder ou écouter la télévision, ou aller au cinéma, le droit de pratiquer un sport, mais surtout de mener un projet personnel dans des conditions adaptées à sa situation.

Or, avec ce projet de loi, nous sommes encore bien loin du compte, lorsque l'on constate la modestie des engagements du Gouvernement sur certains aspects de la vie courante comme le sous-titrage des émissions télévisées et son peu d'empressement à imposer aux grands groupes audiovisuels privés comme au service public des contraintes suffisantes à cet égard.

Hélas, ce volet n'est pas un exemple isolé : le projet souffre de bien d'autres carences. Ainsi, le Conseil national consultatif des personnes handicapées, dans son avis du 13 janvier dernier, exprimait le souhait de voir évoluer ce texte « afin de permettre une plus grande adéquation entre les intentions fortes indiquées dans l'exposé des motifs et le projet de loi lui-même ».

Alors qu'une grande loi de programmation était attendue, avec une vision à long terme, le présent texte ne propose pas une réforme d'envergure de la loi d'orientation de 1975. Il semble notamment tout ignorer des acquis de la loi de modernisation sociale de 2002, adoptée par la gauche, et relative aux droits des usagers des établissements médico-sociaux.

Il en est de même pour la définition du droit à compensation, déjà affirmé par l'article 53 de la loi de 2000 relative aux établissements médico-sociaux, et reconnu comme un droit à l'adaptation des besoins de la personne, quels que soient son âge, la nature ou l'origine du handicap.

Si certains amendements adoptés par la commission semblent aller dans le sens de l'affirmation de ce droit, nous aurions souhaité que soient également supprimées les deux barrières d'âge de vingt comme de soixante ans, mais la commission n'a retenu que la suppression de la première.

M. Jean-François Chossy, rapporteur. C'est faux !

Mme Marie-Renée Oget. De même, si le principe de l'accessibilité des transports et du cadre bâti est louable, les dérogations à l'obligation d'adapter les constructions qui figurent dans le texte risquent de réduire la portée de ces dispositions, voire de les annihiler dans certains cas, et surtout on risque d'ouvrir la voie à un contentieux croissant devant les tribunaux, faute d'instituer des règles et des critères plus stricts et plus clairs.

En outre, le principe de l'accès de tous à tout ne doit pas connaître de rupture. Ce principe ne se résume pas à la seule accessibilité motrice mais couvre aussi l'accessibilité sensorielle dont le texte ne fait pas état.

L'incertitude sur les moyens et les choix budgétaires vient également remettre en cause la pleine affirmation du principe de l'obligation scolaire des enfants et adolescents handicapés. Celle-ci est pourtant proclamée par l'article 6 du texte, lequel rend possible l'inscription des enfants handicapés dans l'établissement ordinaire de référence, qui serait l'établissement public le plus proche de leur domicile. Mais comment croire que la scolarisation puisse être effective alors que ce gouvernement a, depuis deux ans, considérablement réduit le nombre de postes et la dotation budgétaire des aides et accompagnements, tels les auxiliaires de vie scolaire (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), ainsi que les programmes de formation initiale et continue du personnel scolaire ?

M. Céleste Lett. On ne peut pas laisser dire ça !

Mme Marie-Renée Oget. La formation des personnels éducatifs est pourtant indispensable à l'accueil, dans des conditions normales de sécurité, des enfants touchés par un handicap.

Or, ce volet budgétaire, comme chacun sait, ne dépend pas du Parlement - et encore moins de l'opposition - mais uniquement du Gouvernement, dont les choix jusque-là n'incitent pas à l'optimisme.

Enfin, le projet ne donne pas plus de garanties quant à l'égalité de traitement sur l'ensemble du territoire pour ce qui est de l'accueil, de l'encadrement et de la scolarisation des enfants.

À titre de comparaison, le plan Handiscol, présenté en 1999 par la gauche, avait prévu, avec moins d'effets d'annonce, vingt mesures concrètes, dont le financement d'outils pédagogiques, la mise en place de groupes de coordination et l'élaboration de schémas départementaux et pédagogiques de scolarisation.

Mme Muriel Marland-Militello. Mesures jamais financées ! C'est une supercherie ! Quelle honte !

M. Daniel Mach. L'opposition se paye de mots !

Mme Marie-Renée Oget. Il s'accompagnait aussi de la réforme de l'allocation d'éducation spéciale en vigueur depuis le 1er avril 2002, qui a permis de verser aux familles des aides plus adaptées, tenant compte de la diversité des situations de handicap.

Mme Muriel Marland-Militello. Il est scandaleux d'oser mentir ainsi !

Mme Marie-Renée Oget. Quant aux perspectives en matière d'emploi des personnes handicapées, celles-ci ne font pas non plus ressortir une réelle ambition de la part du Gouvernement. Au contraire, la prétendue simplification du décompte des travailleurs handicapés dans l'entreprise, faute de prendre en compte la diversité des situations, risque d'atténuer considérablement l'effet des dispositions de la loi de 1987, qui, elle, tenait compte de la déficience, de l'âge, mais aussi de l'expérience du salarié handicapé. Ce système de calcul risque ainsi de réduire considérablement la portée du dispositif actuel, lequel impose aux entreprises d'employer une proportion de 6 % de salariés handicapés. Ce sera au détriment des personnes les plus lourdement handicapées.

Plus généralement, ces principes et ces nouvelles obligations ne seront respectés qu'à condition que les moyens financiers soient à la hauteur des enjeux. Et le compte n'y est toujours pas. Il n'y est pas non plus pour ce qui concerne la formation et la qualification professionnelles, dont le texte ne dit mot.

Pour ce qui est des nouveaux dispositifs créés par le texte, une question demeure : quel contenu précis entendez-vous donner aux maisons du handicap et quel financement comptez-vous leur allouer ? Aucune clarification n'est d'ailleurs apportée, bien au contraire puisque les modalités de mise en œuvre de ces structures dépendent, de surcroît, du dispositif, encore plus flou, de la Caisse de solidarité pour l'autonomie.

Sur l'efficacité de ce dispositif dit de proximité que représentent les maisons du handicap, planent de sérieux doutes puisque le déplacement d'équipes pluridisciplinaires n'est pas prévu.

Nous aurions également souhaité que ces maisons soient pleinement intégrées aux services des conseils généraux et que l'on tienne mieux compte des données géographiques propres aux départements, afin d'en faciliter l'accessibilité aux personnes concernées, en tenant compte des distances à parcourir, notamment dans des départements ruraux à faible densité de population et à la superficie étendue. Pourtant, l'expérience des CLIC et des sites de la vie autonomes, outils qui ont fait la preuve de leur utilité en matière de coordination des différents acteurs impliqués dans la prise en charge de la dépendance, aurait dû être évaluée et prise en compte. Nous avons d'ailleurs du mal à comprendre la raison d'une telle impasse !

En outre, la suppression, dans le budget 2003, de nombreux crédits, notamment ceux destinés au renforcement des COTOREP, ne laisse rien augurer de bon quant à la création de ces structures.

Enfin, la prise en charge des situations de polyhandicap pourrait recevoir « la palme d'or de l'oubli », comme en témoigne la déception exprimée par les associations de parents d'enfants polyhandicapés. L'effort prévu pour les personnes concernées n'est pas à la hauteur de leurs attentes ni de celles des familles.

La déception des associations rejoint celle des députés du groupe socialiste, qui étaient pourtant disposés à travailler dans un esprit constructif (Rires sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire)...

M. Daniel Mach. Comme en 1999 !

M. Éric Besson. Ne riez pas ! C'est vrai !

Mme Marie-Renée Oget. ...afin de dépasser la simple réaffirmation des principes et des droits fondamentaux et de répondre aux attentes, nombreuses et légitimes, exprimées par les associations, les familles et les personnes confrontées aux situations de handicap.

Ce projet de loi fait davantage appel à des réponses caritatives, fondées sur l'assistance et non sur la solidarité et le droit universel des personnes en situation de handicap. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. Yvan Lachaud.

M. Yvan Lachaud. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, chers collègues, on ne redira jamais assez à quel point cette loi a été souhaitée, espérée, attendue, tant par les personnes handicapées que par leurs familles, mais aussi par toutes celles et ceux - et ils sont nombreux - qui se préoccupent depuis des années de leurs conditions de travail et de leur participation à la vie de la société et à la citoyenneté.

L'attente de toutes ces personnes a été longue. Trop longue. Enfin, un projet de loi a été rédigé. Ce gouvernement a osé. (« Très bien ! »sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Mais les espoirs étaient tels que, bien souvent, la lecture du projet initial n'a pas, dans un premier temps, donné satisfaction aux associations nationales.

Fort heureusement, des amendements importants ont déjà été adoptés au Sénat et je voudrais saluer ici le travail de nos collègues sénateurs, en particulier celui de Nicolas About et de Paul Blanc.

C'est donc un texte déjà sensiblement modifié que nous allons aujourd'hui étudier. Les députés du groupe UDF ont ainsi déposé plus d'une soixantaine d'amendements sur des points précis.

Je voudrais revenir sur les plus importants à mes yeux. Le point essentiel porte sur l'universalité de la prestation de compensation.

Comment peut-on parler d'un droit à compensation quand celle-ci est soumise à des critères d'âge et de ressources ? D'ailleurs, vous en parliez tout à l'heure, madame la secrétaire d'État. Et surtout, s'agit-il dans ce cas d'une réelle compensation d'un handicap, ou d'une aide sociale ?

L'intégration scolaire, ou plutôt la scolarisation des jeunes handicapés, est également un sujet qui me touche et le projet de loi comporte dans ce domaine des avancées notables.

J'avais remis au mois d'octobre 2003 un rapport parlementaire sur ce thème à M. le ministre de l'éducation nationale et à Mme la secrétaire d'État aux personnes handicapées.

M. Jean-François Chossy, rapporteur. Excellent rapport !

M. Yvan Lachaud. Un certain nombre de propositions en matière de « scolarisation » y ont trouvé leur source et j'en suis très heureux. Je suis également satisfait que M. le rapporteur ait repris le terme de « scolarisation », et non celui d'« intégration »,...

M. Jean-François Chossy, rapporteur. C'est un si beau terme !

M. Yvan Lachaud. ...car on parle de l'intégration d'une personne lorsqu'elle n'appartient pas à la communauté. Or un enfant handicapé appartient à notre communauté.

M. Claude Leteurtre. C'est vrai !

M. Yvan Lachaud. C'est un grand pas en avant que de considérer désormais la scolarisation en milieu ordinaire comme la règle générale et la priorité.

Ainsi ne seront orientés en établissements spécialisés que les enfants dont la scolarisation est quasi impossible ; mais, même dans ce cas, la formation devra relever de l'éducation nationale.

Il est absolument essentiel que cesse le parcours du combattant que vivent depuis de trop nombreuses années les parents d'enfants handicapés. En outre, rappelons ici que, pour tous ceux qui l'ont vécue, la cohabitation entre enfants handicapés et enfants ordinaires est une chance. Une chance que notre société n'a pas le droit de laisser passer.

Pour l'avoir vécu personnellement depuis quinze ans en tant que chef d'établissement scolaire, en ayant scolarisé en milieu ordinaire de très nombreux enfants trisomiques, je peux dire ici que la vie d'un établissement se trouve profondément modifiée lorsque cohabitent enfants ordinaires et enfants handicapés.

Je reste convaincu que les jeunes qui vivront cette cohabitation créeront une génération d'adultes qui auront demain un autre regard, nécessaire dans notre société, sur le handicap.

Le groupe UDF a donc travaillé sur plusieurs sujets : l'affirmation du libre choix de la personne handicapée pour le recours à l'aide humaine ; l'exclusion des marchés publics des entreprises ne respectant pas l'obligation d'emploi ; une forte augmentation de la contribution due par les entreprises ; la fixation d'un délai maximal pour la mise en conformité des établissements recevant du public ; la réduction des dérogations à l'accessibilité des bâtiments existants.

Depuis la loi de 1975 - qui était déjà une belle loi et avait permis des avancées essentielles -, aucun texte n'avait eu l'ambition de réformer les dispositifs d'aide et de soutien aux personnes handicapées. (« Eh oui ! sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) II est donc de notre devoir de répondre aujourd'hui à l'espoir des personnes handicapées.

Le groupe UDF entend tout faire pour que ce texte de loi assure dans les faits l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.

Il est en effet grand temps que notre société fasse évoluer le regard qu'elle porte sur les personnes souffrant d'un handicap, car la France accuse un retard certain dans ce domaine, à la différence de ses voisins européens.

C'est pourquoi le groupe UDF estime que le texte va dans le bon sens, mais il compte cependant beaucoup sur la discussion des amendements pour l'améliorer encore.

Notre vision sur le handicap doit changer. A n'en pas douter, ce projet de loi nous y aidera. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme Huguette Bello.

Mme Huguette Bello. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, s'il fallait établir un palmarès des textes les plus attendus de cette législature, le projet de loi pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées figurerait certainement parmi les premiers. Le décalage qui existe entre l'ampleur des changements intervenus depuis la loi fondatrice de 1975 et les modestes avancées législatives enregistrées par la suite explique, pour une bonne part, cette forte attente. En effet, peu de textes ont été adoptés sur ce sujet depuis la loi de 1975, qui, la première, a posé une obligation nationale de solidarité à l'égard des handicapés.

Il est donc impératif que, dans la discussion qui s'ouvre aujourd'hui, nous ne nous contentions pas de principes et que nous nous attachions à améliorer les points encore en suspens. C'est à cette condition que la logique ambitieuse et généreuse qu'exprime l'exposé des motifs trouvera sa juste traduction dans les mesures qui seront appliquées.

La non-discrimination et l'égalité des droits et des chances sont les deux grands principes proclamés par ce texte. Chacun se décline dans un certain nombre de mesures regroupées en deux volets : d'une part, le droit à compensation ; d'autre part, l'accessibilité. Dans les deux cas, la première lecture au Sénat a permis des améliorations et des précisions. Beaucoup reste pourtant à faire.

On se souvient des conditions douloureuses dans lesquelles l'idée de la compensation des conséquences du handicap est apparue. Des parents en désarroi n'avaient trouvé d'autre moyen pour envisager l'avenir de leur enfant handicapé que de rechercher, devant les tribunaux, une indemnisation pour faute.

La nouvelle prestation de compensation est réputée universelle, mais les conditions d'accès basées sur les critères restrictifs de l'âge, des ressources et du taux d'incapacité contredisent d'emblée cette affirmation. Au lieu d'essayer d'arranger les choses par petites touches, il faut, au contraire, dans un même mouvement, rendre cette compensation accessible à tous ceux qui se trouvent en situation de handicap, quels que soient leur âge, leurs ressources ou leurs besoins. Sans doute faudra-t-il prévoir, sur quelques années, l'extension de cette prestation à tous. Il faut, en tout cas, d'ores et déjà supprimer toutes les conditions restrictives qui figurent encore dans ce texte.

De la même façon, il est incompréhensible que rien ne soit prévu pour la revalorisation de l'allocation versée aux adultes handicapés. Les principes d'égalité et de non-discrimination ont-ils encore un sens quand on doit vivre avec 587 euros par mois, et que les portes de l'emploi, du fait d'un lourd handicap, restent définitivement fermées ? Permettez-moi, madame la secrétaire d'État, de souligner à quel point il est choquant de prétendre qu'au bout du compte, les bénéficiaires de l'AAH, notamment par le biais des avantages fiscaux, disposeraient d'un revenu voisin du SMIC. Au nom de quelle logique un tel raisonnement, ou plutôt une telle soustraction, s'appliquerait-elle seulement aux personnes en situation de handicap ? Tout cela ressemble à du chipotage ! La revalorisation de cette allocation à hauteur du salaire minimum doit figurer parmi les objectifs de la loi.

Par ailleurs, il est grand temps que la CMU soit automatiquement accordée aux bénéficiaires de l'AAH et que leur accès aux soins ne se joue plus à une dizaine d'euros près.

M. Daniel Paul. Très bien !

Mme Huguette Bello. La réponse à ces demandes ne peut pas être seulement fondée sur des critères budgétaires. Les enjeux sont trop graves. Si j'insiste sur ce point, c'est qu'il s'agit d'une revendication forte des handicapés et de leurs familles, lesquelles sont souvent obligées de suppléer aux carences de la solidarité nationale. J'insiste d'autant plus que, dans mon département de la Réunion, dont le taux de chômage est le plus élevé de France, l'insertion professionnelle des handicapés se fait dans des conditions très défavorables. Les taux d'embauche fixés par la loi de 1987 sont rarement atteints. Ainsi, un établissement hospitalier de la Réunion, où travaillent un millier d'agents, n'emploie qu'une seule personne handicapée.

M. Jean-François Chossy, rapporteur. Quelle honte !

Mme Huguette Bello. Il va de soi que l'accès à l'éducation et l'accès à l'emploi sont largement liés. J'ai eu l'occasion, lors de la discussion budgétaire, d'attirer l'attention du ministre de l'éducation nationale sur la scolarisation des enfants et des adolescents handicapés qui vivent à la Réunion. L'état des lieux est dramatique. Certes, des efforts incontestables sont accomplis depuis ces dernières années, mais les retards et les listes d'attente concernent un si grand nombre d'enfants qu'il faudrait que les moyens mis à la disposition de cette académie correspondent aux besoins réels, tant pour les structures d'accueil que pour les auxiliaires de vie scolaire et les enseignants spécialisés. Faut-il redire, une fois de plus, que l'accès des adolescents handicapés à l'enseignement supérieur est encore plus problématique ? Pour eux, la continuité des parcours scolaires, de la maternelle à l'université, s'apparente le plus souvent à une course d'obstacles, à moins qu'elle ne se résume à un simple effet de langage.

Autre difficulté, que je ne peux passer sous silence, le déficit de places très important dans les structures destinées aux personnes handicapées de la Réunion. Au total, toutes structures confondues, la capacité d'accueil dépasserait à peine le millier de places. Pouvez-vous, madame la secrétaire d'État, nous indiquer combien en seront créées à la Réunion dans le cadre du plan de création de places en établissement et en service programmé sur cinq ans ?

Dans un tel contexte, le rôle des familles est primordial. Avec abnégation et discrétion, elles font face. Mais sans doute pourrait-on les aider un peu en développant largement, et de la façon la plus souple possible, la formule de l'accueil temporaire.

M. Jean-François Chossy, rapporteur. Absolument !

Mme Huguette Bello. Un décret devrait très prochainement en fixer les modalités. Madame la secrétaire d'État, pouvez-vous nous confirmer la mise en œuvre rapide de ce dispositif et préciser s'il s'appliquera aussi aux départements d'outre-mer ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Dupont.

M. Jean-Pierre Dupont. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, c'est avec une certaine émotion que j'interviens dans ce débat consacré à la place des personnes handicapées dans notre société.

Près de trente ans après l'adoption de la loi fondatrice du 30 juin 1975 à l'initiative de Jacques Chirac, alors Premier ministre, je tiens à saluer le projet de loi qui est soumis aujourd'hui à notre assemblée. Traduction législative du troisième chantier prioritaire du Président de la République, il est porteur d'espoir et d'un réel progrès pour toutes les personnes handicapées et leurs familles.

Ce texte témoigne de l'ambition constante d'un homme, celle de faire avancer cette grande cause nationale. Déjà en tant que fondateur et président de l'Association des centres éducatifs du Limousin, Jacques Chirac avait impulsé une politique innovante et volontariste dans ce domaine en Corrèze, qui a d'ailleurs fait école dans de nombreux départements. Il illustre aussi la volonté forte d'un gouvernement, celui de Jean-Pierre Raffarin, de concrétiser cet engagement, après la loi sur l'autonomie des personnes dépendantes. Il est, enfin et surtout, une impérieuse nécessité pour les personnes handicapées dans notre pays. Car, malgré les avancées des lois de 1975 et de 1987, beaucoup reste encore à faire, qui n'a pas été fait par une autre majorité,...

M. Bernard Accoyer. C'est vrai !

M. Jean-Pierre Dupont. ...pour qu'en France, les personnes atteintes d'un handicap, qu'il soit psychique, mental, sensoriel ou moteur, aient toute leur place. Tel est l'objectif de la grande loi de solidarité que nous examinons aujourd'hui et à laquelle je souscris totalement.

Dans un but synthétique, et pour tenir dans les cinq minutes qui me sont imparties, je voudrais aborder succinctement trois points : d'abord, la nouvelle prestation de compensation ; ensuite, les maisons départementales des personnes handicapées ; enfin, l'insertion professionnelle.

À la faveur de ce projet de loi, le droit à compensation des conséquences du handicap, dont le principe est inscrit dans la loi de modernisation sociale, va enfin devenir une réalité. Cette nouvelle prestation, qui sera désormais versée sans limite d'âge, permettra de compenser le handicap par diverses aides : aides humaines, aides techniques, aides à l'aménagement du logement, aides aux aidants, mais aussi aides animalières.

À propos de ces dernières, je veux souligner, en tant que vétérinaire, toute l'importance que prennent les animaux dans l'autonomie des personnes handicapées, qu'il s'agisse des chiens guides d'aveugles, bien sûr, mais aussi des chiens d'assistance, qui sont un peu moins connus.

M. Jean-François Chossy, rapporteur. C'est vrai.

M. Jean-Pierre Dupont. Cet aspect ne me semble pas suffisamment pris en compte dans l'actuelle rédaction du texte.

M. Jean-François Chossy, rapporteur. Nous faisons pourtant beaucoup !

M. Jean-Pierre Dupont. J'ai donc déposé sur ce sujet un amendement qui va au-delà des propositions de la commission. Il vise, d'une part, à opérer une distinction claire entre les aides animalières et les autres aides et, d'autre part, à donner un statut officiel aux chiens d'assistance, comme c'est déjà le cas pour les chiens guides d'aveugle. Il importe en effet de mieux reconnaître l'importance de la présence des animaux, et notamment des chiens, qui ont un rôle de médiateur essentiel dans la prise en charge du handicap.

Ensuite, le projet de loi crée les maisons départementales des personnes handicapées, qui se verront ainsi dédier un véritable « guichet unique ».

Le handicap est encore trop souvent un parcours du combattant semé d'embûches. L'instauration d'un guichet unique répond à une attente forte et légitime des personnes handicapées et de leur famille, qui recherchent une simplification de leurs démarches. Il sera à la fois un lieu d'accueil, d'information et de conseil et un lieu de ressource grâce à la présence d'une équipe d'évaluation pluridisciplinaire.

Je me félicite, en tant que président de conseil général, de cette mesure importante qui s'inscrit dans le prolongement d'un certain nombre d'expérimentations menées avec succès en Corrèze. En effet, depuis plusieurs années, le département a mis en œuvre des dispositifs innovants en direction des personnes handicapées et de leurs familles, et je me réjouis qu'ils puissent être étendus au plan national. C'est ainsi que, dès les années quatre-vingt-dix, un poste de coordonnateur pour le handicap et une équipe pluridisciplinaire ont été créés et financés par le conseil général. Par ailleurs, un réseau d'accompagnement à la vie sociale - RAVS - et un centre d'information, de documentation et de recherche sur les aides techniques - CIDRAT - ont été mis en place avec succès.

L'ensemble de ces initiatives se retrouvent dans le cadre du schéma départemental du handicap mis en place en 2003. Il me semble donc très positif de voir le présent projet de loi confier au département le pilotage de ces maisons, consacrant ainsi le rôle majeur du conseil général dans le domaine de l'aide aux personnes handicapées. C'était là une revendication forte d'une majorité des présidents de conseils généraux.

M. le président. Veuillez conclure, monsieur Dupont.

M. Jean-Pierre Dupont. Je termine, monsieur le président.

Je tiens, enfin, à évoquer la question de l'insertion professionnelle des travailleurs handicapés, et plus particulièrement la nécessité d'établir des passerelles entre milieux du travail ordinaire et milieux protégés.

On le constate, le travail en milieu protégé ne constitue pas aujourd'hui un tremplin vers le milieu ordinaire. C'est un problème que je connais bien en tant que président d'une association qui regroupe dix centres d'aide par le travail et accueille donc de nombreuses personnes handicapées. Pour pallier ces insuffisances, le projet de loi prévoit la mise en place de mécanismes incitatifs et de mesures d'accompagnement. Je souhaite néanmoins que son examen soit l'occasion d'aller encore plus loin.

En ce qui concerne la formation, tout d'abord, si le projet de loi reconnaît aux travailleurs accueillis en CAT des droits sociaux se rapprochant de ceux des salariés, il pourrait se montrer encore plus ambitieux. Les travailleurs handicapés doivent en effet pouvoir bénéficier, comme tous les salariés, d'un droit individuel à la formation tout au long de la vie.

M. le président. Monsieur Dupont...

M. Jean-Pierre Dupont. En termes d'accompagnement social, ensuite, il est important de proposer aux travailleurs handicapés, à côté des mécanismes déjà prévus dans le projet de loi tels que le « droit au retour » en milieu protégé, un meilleur suivi lors de l'insertion en entreprise.

En conclusion - et afin de raccourcir mon intervention, monsieur le président -, nous pouvons dire que, dans la continuité de la loi de 1975 qui a fait de la solidarité envers les personnes handicapées une obligation nationale, ce texte marque une avancée majeure pour les personnes handicapées et leurs familles. L'examen du texte en première lecture par le Sénat a permis d'apporter de nombreuses améliorations ; je suis persuadé que notre assemblée saura également, par ce projet de loi, répondre au plus près aux besoins des personnes handicapées et de leurs familles et aux attentes des associations qui se battent au quotidien en faveur de cette cause. C'est à elles que cette grande loi de solidarité est dédiée. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Mes chers collègues, j'insiste à nouveau pour que vos interventions soient calibrées en fonction du temps de parole qui vous a été attribué.

La parole est à M. Jacques Bobe, pour cinq minutes.

M. Jacques Bobe. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, dans cette brève intervention sur un projet de loi très attendu et essentiel pour l'intégration des personnes handicapées dans notre société, je souhaite aborder trois points particuliers. Ils sont relatifs aux principales étapes de la vie : la scolarité, la vie professionnelle et la vieillesse.

En effet, quand doit commencer l'intégration sociale ?

M. Jean-François Chossy, rapporteur. Le plus tôt possible !

M. Jacques Bobe. Sans aucun doute dès la vie scolaire, car celle-ci constitue, au-delà du cercle familial, la première intégration à un milieu communautaire. Je crois donc qu'il est absolument essentiel de scolariser tous les enfants handicapés en milieu scolaire ordinaire dès lors que la nature de leur handicap le permet.

On considère souvent, à tort, que le handicap est forcément exclusif. À cet égard, la définition très large du handicap proposée par ce texte permettra d'avancer dans la bonne direction. Par ailleurs, l'obligation d'inscription dans l'établissement de référence le plus proche du domicile de l'enfant et le droit de retour dans celui-ci faciliteront la reconnaissance de l'enfant handicapé et celle de sa famille. Cela implique que les enfants non handicapés apprennent dès le plus jeune âge le partage et la tolérance, en accueillant la différence, et que les enseignants, premiers à participer à l'intégration de l'enfant, reçoivent une formation et une aide adéquates. Cela n'exclut pas, bien au contraire, de poursuivre impérativement les efforts déjà engagés par l'État afin d'augmenter de manière significative les places en établissements spécialisés et la formation des personnels. Un système n'écarte pas l'autre, chacun étant complémentaire et réversible.

Deuxième étape, la vie professionnelle. En ce qui concerne l'obligation qui, depuis 1987, est faite aux entreprises d'employer 6 % de personnes handicapées, le constat est que les entreprises acceptent trop souvent de payer une contribution financière plutôt que de se soumettre à cette exigence.

M. Bernard Accoyer. Et ne parlons pas des administrations !

M. Jacques Bobe. Moduler la contribution en fonction d'un certain nombre de critères n'apportera pas, me semble-t-il, une solution suffisante à ce problème. Si l'on peut comprendre certaines difficultés techniques ou impossibilités concernant des postes spécifiques, il faut souligner que la contribution financière est une solution souvent trop facile. Aussi proposerai-je que cette contribution ne soit admise que pour la moitié seulement du pourcentage légal, soit 3 % des effectifs. Cela obligerait les employeurs, secteurs privé et public confondus, à réfléchir à ce problème et à créer ou transformer des postes de travail au bénéfice des personnes handicapées, ce qui constituerait leur participation à l'intégration souhaitée. C'est d'ailleurs, monsieur le rapporteur, un point que j'avais abordé à l'occasion d'une réunion de la commission ouverte à d'autres personnes que ses membres.

La vie professionnelle, quand elle est possible, est pour les personnes handicapées une voie de reconnaissance et, comme pour tout citoyen, elle occupe une grande partie de leur vie. Faisons donc en sorte qu'elle soit vécue avec le sentiment d'être utile et non plus une source de coût pour la société.

Enfin, à la dernière étape de leur vie de citoyen, les personnes handicapées pourront, selon le projet de loi, choisir entre continuer à percevoir l'indemnité compensatrice ou percevoir l'APA. Je pense qu'une telle disposition, si elle souhaitable, n'est pas suffisante, parce qu'elle ne répond pas entièrement au problème que rencontrent les personnes handicapées vieillissantes, qui n'ont plus ni parents ni famille ou ne peuvent pas être épaulées par eux. Leur souci est l'accompagnement quotidien. Exigeant une prise en charge physique, le handicap nécessite presque toujours une présence tierce, importante, voire très importante dans la durée. L'indemnité compensatrice ne sera peut-être pas suffisante pour couvrir les frais et maintenir une personne à demeure. Or les besoins augmentant avec l'âge, il faut particulièrement s'attacher à ce problème. C'est pourquoi il me semble nécessaire de créer ou d'aménager pour les personnes handicapées de plus de soixante ans des maisons de retraite adaptées techniquement et dotées de personnels spécialisés.

Les différentes interventions dans cet hémicycle le confirment : ce texte, dont l'objectif est ambitieux, a besoin non seulement de précisions et d'aménagements - ce que vous proposez d'ailleurs vous-même, madame la secrétaire d'État -, mais surtout d'un changement des mentalités. Nous le savons, l'égalité en soi n'existe pas dans la vie. Les handicaps sont si variés, d'importances si différentes et vécus de manières si diverses par les personnes handicapées elles-mêmes, par leurs familles, par leur entourage et par la société, que l'égalité des chances et la citoyenneté pleine et entière peuvent encore paraître une utopie. Et pourtant, si chaque étape de la vie fait l'objet de nettes améliorations, si l'on fait évoluer les mentalités dès l'école, notre pays pourra effectivement assurer aux personnes handicapées une vraie réforme et une vraie place, en toute citoyenneté. C'est la raison pour laquelle nous appuierons et nous voterons ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Emmanuel Hamelin.

M. Emmanuel Hamelin. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mesdames et messieurs les députés, le projet de loi pour l'égalité des droits et des chances des personnes handicapées a déjà été examiné et enrichi au Sénat. Il a de nouveau été enrichi lors de son passage devant la commission des affaires sociales de notre assemblée, sous l'efficace impulsion de son président Jean-Michel Dubernard (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) et du rapporteur du texte, Jean-François Chossy, qui a accompli un remarquable travail d'audition et de synthèse. (Mêmes mouvements.)

Il convient maintenant de traduire ces améliorations dans le cadre de l'examen de ce projet de loi devant l'Assemblée.

On estime généralement qu'en France, une personne handicapée sur trois ne trouve pas de solution à ses problèmes. Et encore, pour celles qui la trouvent, cette solution ne correspond pas forcément à leurs besoins.

Les personnes handicapées ne sont pas une catégorie à part, isolée du reste de la société ; elles aspirent, comme tout citoyen, à profiter des progrès scientifiques et, comme toute personne, elles souhaitent que leur vie se déroule dans les meilleures conditions possibles, dans les domaines de la santé, de l'éducation, des transports, du travail ou des loisirs.

Ce projet de loi introduit des améliorations incontestables, comme la création d'un guichet unique d'accueil, d'information, d'évaluation et d'orientation des personnes handicapées, la reconnaissance des ateliers protégés comme entreprises ordinaires, ou la compensation du handicap.

Cette loi permettra donc de simplifier les démarches et les procédures, de rendre les droits plus lisibles et de favoriser la cohérence entre tous les acteurs.

Par ailleurs, les prestations et aides actuelles ne permettent pas à suffisamment de personnes handicapées de faire face à l'intégralité des dépenses liées à la compensation de leur handicap. Il faut mettre un terme au véritable parcours du combattant que suivent de nombreuses familles dans le but d'obtenir, afin de faire face à la dureté du quotidien, des allocations complémentaires, des aides de la part des organismes sociaux et des collectivités, ou une simple main tendue.

Il convient de mettre en place un accompagnement à la carte, respectueux des choix des personnes handicapées, et susceptible de leur proposer une réponse adaptée à leur état et à leur situation, afin de construire un véritable projet de vie, dans lequel les familles seront pleinement associées.

Alors que par le monde la valeur humaine régresse à grand pas, bâtissons en France une cité plus digne, plus grande, plus humaine, dans laquelle chaque personne pourra trouver toute sa place.

Pour cela, notre pays doit davantage encore tenir compte des personnes les plus fragiles.

Il y a dans notre société trois catégories de personnes : celles et ceux qui peuvent participer à une vie sociale et citoyenne, et qui réussissent à s'intégrer pleinement sur le marché du travail ; celles et ceux qui peuvent participer à la vie sociale et citoyenne mais qui ont momentanément ou plus longuement échoué ; et, enfin, celles et ceux qui, du fait de la maladie ou du handicap, ne peuvent pas pleinement y participer.

Pour la deuxième catégorie, la société doit mettre en place les instruments solidaires qui permettent au plus grand nombre de se retrouver sur le marché du travail.

Pour la troisième catégorie, la société tout entière a un devoir de solidarité. En cette année de la fraternité, elle en sortira grandie, j'en suis convaincu. La solidarité, c'est la voie d'accès à la citoyenneté, et c'est ce que nous voulons faire car, depuis 1975, la loi avait besoin d'être réadaptée afin de faire face aux situations présentes.

Il reste bien sûr des améliorations à apporter dans le cadre de notre discussion. À titre d'exemple, il ne me paraît pas très pertinent de distinguer des prises en charge variant selon les âges.

Le projet de loi présenté par le Gouvernement instituant la compensation prévoit trois catégories de personnes handicapées, la première jusqu'à vingt ans, la deuxième de vingt à soixante ans, la troisième à partir de soixante ans. Chaque catégorie bénéficie d'allocations spécifiques gérées par des organismes différents. Il convient qu'une prestation unique de compensation soit ouverte à tous, quel que soit l'âge. Le handicap ne disparaît pas ou ne se modifie pas forcément avec le franchissement de la barrière des soixante ans.

Par contre, la décision de créer un guichet unique regroupant l'ensemble des services susceptibles d'apporter des réponses adaptées aux demandes des personnes handicapées est une très bonne évolution. Cette disposition devrait apporter plus de cohérence, d'efficacité et, j'en suis certain, plus d'humanité.

Quelques questions cependant demeurent. Quel sera le statut juridique des maisons départementales, comment seront-elles financées, quand seront-elles créées, de quels moyens techniques et humains disposeront-elles ?

Nous ne pouvons que regretter que tout cela ne repose que sur des décrets. Nous espérons néanmoins que leur parution sera rapide. C'est dans ces conditions que je soutiendrai le projet de loi du Gouvernement. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme Martine David.

Mme Martine David. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, à mon grand regret, nous devons tous convenir que nous vivons dans une société qui a été construite et qui évolue par et pour des personnes ayant la chance de ne souffrir d'aucun handicap.

Certes, les choses se sont améliorées dans le domaine au cours des dernières années et je ne reviendrai pas sur les mesures qui ont déjà été citées. Pour autant, trop de personnes atteintes d'un handicap, physique, sensoriel, mental ou psychique, mènent encore aujourd'hui un exténuant combat dans leur vie quotidienne. Une grande loi de solidarité envers les individus et les familles concernées est donc indispensable.

De nombreuses auditions de responsables associatifs ont été menées pour préparer ce projet de loi. Ce travail n'a hélas pas évité les insatisfactions des associations, certaines nous ont sollicités dans nos circonscriptions ou au niveau national. Je dois rapporter ici leur déception et avouer la mienne devant le contenu du projet de loi, qui ne répond que partiellement aux attentes. J'ai malheureusement constaté qu'il se limitait généralement à aménager les dispositifs existants, se contentant d'apporter ponctuellement certaines améliorations. Ne pouvant me consacrer à chacun des problèmes, j'ai choisi d'évoquer plus spécialement la question de l'insertion professionnelle.

Depuis quelques années, la situation a évolué sur le marché du travail, mais l'insertion professionnelle des personnes en situation de handicap se heurte toujours à de nombreux obstacles, leur taux d'emploi par les entreprises demeurant trop faible. Ainsi, un quart des entreprises préfèrent opter pour le versement d'une contribution financière annuelle à l'AGEFIPH plutôt que de faire preuve de volontarisme et de chercher à les accueillir.

Effectivement, l'accès à l'emploi relève souvent pour les handicapés de l'impossible : rejet des candidatures avant même le premier entretien, propositions d'emplois déqualifiés et de contrats précaires... Inutile de dire que la France a accumulé du retard dans ce domaine, contrairement à bon nombre de pays européens, comme le Danemark, où les handicapés bénéficient par exemple d'une priorité d'emploi dans le secteur public.

Afin de remédier à cette situation, vous annoncez, madame la secrétaire d'État, quelques mesures tendant à faciliter l'accès à l'emploi, l'exercice professionnel ou le maintien dans l'emploi des travailleurs handicapés. Néanmoins, ce projet de loi, relativement généreux en apparence, ne mentionne pas quels moyens de financement sont prévus pour permettre l'application de ces mesures. Vous comprendrez dès lors qu'on doute du bien-fondé de votre détermination à assurer aux personnes handicapées un accès réel à l'emploi.

J'en appelle à vous pour que vous acceptiez d'examiner objectivement quelques propositions.

Ainsi, ne serait-il pas judicieux d'améliorer l'accès à la qualification des travailleurs handicapés ? Votre texte fait l'impasse sur ce point, en dépit de la nécessité de programmer un plan ambitieux afin que la population active en situation de handicap soit en mesure de répondre aux exigences actuelles du marché du travail. Des politiques concertées spécifiques d'accès à la formation professionnelle et des modalités d'aménagement et de validation de cette formation seraient donc à envisager pour faciliter l'embauche des personnes en situation de handicap.

De même, encore une fois pour limiter leur marginalisation sur le marché du travail, pourquoi ne pas renforcer les sanctions des entreprises qui, systématiquement, n'embauchent aucun bénéficiaire de l'obligation d'emploi ? Les sociétés dont les efforts consentis demeurent insuffisants ou inexistants devraient être pénalisées plus lourdement, notamment par la majoration du plafond de la contribution annuelle à l'AGEFIPH. Il faudrait d'ailleurs vérifier exactement la situation de l'AGEFIPH et contrôler son mode de fonctionnement.

A contrario, dans l'optique de mobiliser les employeurs pour l'embauche des personnes en situation de handicap dans les entreprises du milieu ordinaire, ne serait-il pas pertinent, parallèlement aux mesures proposées pour les entreprises de plus de vingt salariés, d'accorder aussi à celles de moins de vingt salariés des aides rendant économiquement intéressant l'emploi des travailleurs handicapés ? On sait en effet que ce sont ces entreprises qui disposent du principal gisement d'emplois et qu'elles sont de fait à taille humaine et sans doute plus accueillantes.

Enfin, et je terminerai par cette proposition, ne serait-il pas opportun d'envisager un abondement plus important du fonds commun déjà existant qui contribue à financer l'aménagement des postes de travail, lesquels sont encore trop souvent inadaptés aux besoins des personnes atteintes d'un handicap ? Il y a là beaucoup à faire !

C'est donc bien l'adoption de mesures concrètes et réellement financées qui sera à même de faciliter l'intégration des personnes handicapées dans notre société, et non pas une simple énumération de bonnes intentions.

Je suis persuadée que, si de telles mesures, déterminantes pour l'emploi des personnes en situation de handicap, étaient adoptées, notre assemblée contribuerait à améliorer concrètement et sensiblement votre projet de loi, car le droit à l'emploi est pour chaque individu une part de dignité gagnée. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Arlette Grosskost.

Mme Arlette Grosskost. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, dans sa déclaration du 14 juillet 2002, le Président de la République faisait de l'intégration des personnes handicapées une priorité nationale et, ce faisant, l'un des trois grands chantiers de son quinquennat. Il répondait ainsi à une attente légitime : celle du droit à la compensation, pleine et entière, du handicap.

Le projet de loi concrétise cette préoccupation et correspond finalement à un véritable choix de société : le choix d'une société de partage, du respect et de la solidarité, synonyme de cohésion collective et de dignité individuelle.

II était en effet urgent en la matière de sortir d'une simple logique d'assistance pour entrer pleinement dans une logique de socialisation et de citoyenneté.

Pour ce faire, le texte nous donne l'occasion de nous inscrire dans une politique volontariste qui doit nous amener à une véritable obligation de résultat. Nous nous devons de rompre avec une logique de progressivité. En effet, la loi de 1975 a montré ses limites au regard des nombreuses défaillances constatées.

Pour construire ce nouveau texte, nous avons tous reçu de nombreux courriers et rencontrés de nombreux acteurs de terrain dans nos permanences respectives. Ces rencontres ont donné lieu à la rédaction d'amendements, j'en ai déposé quelques-uns en concertation avec mon collègue Antoine Herth.

Les préoccupations majeures issues des concertations peuvent se regrouper autour de trois thématiques essentielles, existentielles, devrais-je presque dire.

II s'agit tout d'abord de la question des ressources et de la compensation du handicap. À ce sujet, il a été souhaité une prise en charge sans conditions d'âge ou de ressources et adaptée aux besoins individuels. Un autre souhait est la reconnaissance d'un véritable statut aux aidants familiaux, qu'il s'agisse de l'accès à la formation ou de la valorisation des acquis de l'expérience. Ces mêmes aidants familiaux entendent voir pris en compte le « besoin de répit », notamment dans le cas des handicaps lourds.

Permettez-moi de rappeler ici la proposition de loi récemment déposée par mon collègue Yves Bur, que j'ai cosignée avec de nombreux collègues d'Alsace-Moselle, visant à permettre aux bénéficiaires de l'allocation adulte handicapé de relever du régime local alsacien-mosellan.

Quant à la deuxième préoccupation, il s'agit de l'accessibilité et de la sécurité.

Il nous faut d'abord reconnaître que la question de l'accessibilité reste encore largement en chantier aujourd'hui, en dépit des efforts qui ont pu être réalisés ici ou là par l'État ou les collectivités locales.

À cet effet, je voudrais citer notamment la politique volontariste menée par la région Alsace dans le domaine du transport public de voyageurs, avec le lancement d'une étude visant à définir un véritable schéma régional de l'accessibilité, ou bien encore dans le domaine du tourisme, avec aujourd'hui près d'une centaine de sites labellisés « tourisme et handicap ».

Mais l'accessibilité, c'est aussi porter une attention toute particulière aux moyens pour tout citoyen handicapé d'accéder aux services publics et aux bureaux de vote. Les dernières élections ont encore été le témoin concret, et bien souvent muet, de difficultés persistantes à ce niveau élémentaire de l'exercice du droit de vote et du respect du principe d'égalité.

À mon sens, c'est le plus en amont possible qu'il importe de mieux associer la personne handicapée et de mieux prendre en compte la diversité du handicap. Je pense ici à une meilleure participation dans l'élaboration du cahier des charges des grands équipements de transport collectif, ou bien à une meilleure représentation au sein de la commission départementale d'accessibilité. Ne pourrait-on pas, à côté des efforts réalisés en termes de réglementation pour la construction de bâtiments neufs, porter le même effort pour les bâtiments anciens ? À ce titre, un financement est-il d'ores et déjà prévu ? Et pourquoi pas une prise en compte du handicap dans le programme d'enseignement des écoles d'architecture ?

N'oublions pas la question de la sécurité des personnes handicapées, notamment pour les personnes sourdes et malentendantes, qu'il s'agisse de leur déplacement ou de leur présence dans les bâtiments publics, car les seules alarmes sont nettement insuffisantes.

Enfin, accessibilité rime souvent avec proximité, et je salue ici l'idée du guichet unique, qui pourrait même évoluer en caisses-pivots.

La troisième préoccupation concerne l'intégration scolaire et professionnelle.

L'accession au statut de citoyen à part entière passe par le libre accès au monde de l'éducation, de la formation et du travail. Il s'agit ici tout à la fois de développer les passerelles entre milieu protégé et milieu ordinaire, d'augmenter le nombre de places en CAT tout en sensibilisant les donneurs d'ordre pour accroître la charge de travail qui peut être confiée aux personnes handicapées, au nom de ce que j'appellerai une économie solidaire de proximité, de développer le niveau général de formation tant initiale, en luttant contre l'illettrisme et en renforçant le soutien aux élèves en difficulté, que continue.

L'intégration professionnelle est tout aussi cruciale. Certes, l'emploi des personnes handicapées est une obligation légale, mais c'est aussi un impératif d'insertion et un atout pour l'entreprise. Réveillons les consciences. Dans ce domaine aussi, substituons à l'obligation de moyen une véritable obligation de résultat, dont la fonction publique serait l'exemple.

Autant de raisons, madame la secrétaire d'État, qui motivent mon intervention pour une pleine et entière reconnaissance des personnes handicapée. Je salue votre texte, que j'estime très ambitieux, et j'aurai évidemment grand plaisir à le voter avec mes collègues. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Ghislain Bray.

M. Ghislain Bray. Madame la secrétaire d'État, permettez-moi en préambule de rendre un hommage particulier à Marie-Thérèse Boisseau, qui était en charge de ce dossier et qui a façonné en partie le projet de loi que vous défendez aujourd'hui avec détermination. Je tiens également à remercier notre rapporteur pour la manière dont il a mené les débats sur un texte aussi délicat et important.

Le Président de la République a fait de l'intégration des personnes handicapées un des trois chantiers prioritaires de son quinquennat, suscitant ainsi un immense espoir. Ce texte, tant attendu par les personnes handicapées, par leurs familles et par les associations, est d'une portée considérable puisqu'il inverse deux logiques : il transforme une logique de protection en une logique d'intégration, et une logique d'anonymat et d'uniformité en une logique de compensation individuelle sur un véritable projet de vie. Le monde bouge, le monde change, il était grand temps de faire évoluer cette loi du 30 juin 1975 ! Elle fut, certes, une loi fondatrice puisqu'elle a modifié le regard que portait notre société sur le handicap. Il n'en reste pas moins qu'il fallait réviser cette loi pour prendre en compte les conditions de vie actuelles, les aspirations à l'autonomie, à la liberté de choix du mode de vie, les nouvelles conditions environnementales. En un mot il fallait faire en sorte que les personnes handicapées puissent enfin, tout simplement, vivre comme les autres. Il apparaissait également urgent d'adapter ce texte au vieillissement des personnes handicapées et aux progrès de la médecine.

Ce projet de loi repose sur trois piliers fondamentaux : la compensation, l'intégration, la simplification et l'organisation de proximité. Chacun sur ces bancs compte dans son entourage un parent, un ami, un voisin que le handicap pénalise lourdement. Chacun sur ces bancs a eu l'occasion de recevoir dans sa permanence des parents venus expliquer leurs difficultés à trouver un établissement d'accueil, si possible à proximité du domicile. Nous le savons tous : au-delà du handicap, c'est un parcours du combattant permanent que vivent ces personnes déjà fragilisées.

Il faut connaître le coût social d'une telle situation : vivre là où on a trouvé une structure d'accueil, alors que dans le même temps la mère - c'est le cas le plus fréquent - doit renoncer à toute activité professionnelle, tandis que le père est retenu loin du domicile par les exigences de sa profession. Dans ces conditions, la famille doit mener une existence décalée, en dehors des standards de la vie en société, tels que les loisirs, les voyages, un travail épanouissant, la liberté de choix. Elle est par conséquent conduite à un retrait social majeur, condamnée à un nombre d'heures de travail considérable pour faire face aux contraintes du handicap. Quid des 35 heures ? Quid des congés ?Aujourd'hui, l'ampleur de l'investissement réalisé par les familles n'est ni reconnue, ni prise en compte. Ces quelques mots sont inspirés du témoignage d'une mère et responsable d'association que nous avons auditionnée, mais beaucoup de familles pourraient reprendre à leur compte ces observations.

Vous avez déclaré, madame la secrétaire d'État, que « la compensation intégrale du handicap est juste ». II est tout à l'honneur de ce gouvernement d'apporter enfin des réponses à ces familles, en particulier à la question majeure de la compensation intégrale du handicap, qui doit tenir compte à la fois de la personne handicapée et de son entourage. Comme le faisait très justement remarquer notre collègue René Couanau, la définition du droit à compensation n'est pas aisée, et la contrainte financière n'est pas niable.

Je pense aussi, comme notre rapporteur, qu'il est souhaitable de ne pas définir ce droit de manière négative en fonction des moyens disponibles. Il faut avoir également le souci de l'équilibre entre dispositifs incitatifs et sanctions permettant une prise en compte systématique de l'accessibilité. À ce sujet, il serait souhaitable et légitime que les différentes collectivités locales et administrations publiques montrent l'exemple en participant davantage à l'effort de solidarité nationale, même si l'on constate d'ores et déjà certains progrès .

Notons par ailleurs que ce projet de loi se propose de pénaliser les entreprises qui détournent l'obligation d'emploi de son esprit. Enfin, la création de maisons départementales des personnes handicapées, qui serviront de guichet unique, permettra d'être au plus près de la personne handicapée grâce à une prise en compte individualisée de ses besoins.

Madame la secrétaire d'État, le projet de loi que nous abordons aujourd'hui doit donc répondre aux trois objectifs que j'ai cités en préambule : compensation, intégration, et simplification. Loin d'être un simple toilettage, ce texte exprime une volonté très nette de solidarité envers nos concitoyens les plus fragilisés, qu'il considère comme des citoyens à part entière. Ce projet de loi, dont le financement a été prévu par avance, doit, à travers une démarche individualisée, permettre à la personne handicapée d'occuper, au fil de l'âge, une place centrale dans la prise en charge de son propre handicap, avec la possibilité d'exercer ses droits de citoyen.

Je me réjouis enfin de l'amendement de notre rapporteur, qui vise à ce que les décrets d'application soient publiés dans les six mois suivant la publication de la loi.

Pour toutes ces raisons, madame la secrétaire d'État, vous pouvez compter sur notre total soutien dans ce débat et lors du vote de ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Louis Cosyns.

M. Louis Cosyns. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, le projet de loi soumis aujourd'hui à notre examen est très attendu par nos concitoyens handicapés et leur famille, et il est très important de ne pas les décevoir.

Ce texte aborde un champ extrêmement vaste de problématiques. J'en évoquerai deux : l'emploi des personnes handicapées et le domaine des handicaps mental et psychique.

Dans la société d'aujourd'hui, le travail est facteur d'intégration sociale pour tout un chacun, et il devrait l'être également pour les personnes handicapées. Je me réjouis que ce texte vise à renforcer les dispositifs spécifiques d'incitation à l'insertion professionnelle des personnes handicapées. Mais la loi, aussi adaptée soit-elle, n'y suffira pas. J'illustrerai mon propos d'une anecdote. Il s'agit d'un certain Michel X., malvoyant, homme dynamique, vice-champion du monde de ski nautique, mais sans-emploi, et inscrit à ce titre à l'ANPE. Un jour, un appel téléphonique de son agence locale lui apprend qu'ils ont un emploi à lui proposer. Vous pouvez vous représenter sa joie. Une fois sur place, il découvre qu'on lui propose un poste de chauffeur livreur, qu'il ne peut bien évidemment pas occuper. Vous imaginez la déception, la peine, le sentiment de mépris qu'a pu ressentir cet homme !

Il ne s'agit pas seulement aujourd'hui d'inscrire dans la loi des objectifs ambitieux, mais de révolutionner la perception des personnes handicapées dans notre société. Il s'agit de faire prendre conscience à chacun, et ce dès le plus jeune âge, des difficultés supplémentaires que rencontrent, dans leur vie quotidienne, nos concitoyens atteints d'un handicap, quelle que soit sa nature. C'est l'objectif de l'amendement présenté par notre collègue Bérengère Poletti et adopté par la commission : il vise à prévoir, dans le cadre du cours d'éducation civique, tant à l'école primaire qu'au collège, une formation consacrée aux problèmes des personnes handicapées et à leur intégration dans la société. C'est là un objectif auquel chacun de nous doit s'attacher.

Par ailleurs, en matière d'emploi, les textes d'application devront prendre en compte la spécificité du handicap psychique, qui se caractérise par la diversité de la population concernée en termes de qualification, et par la variabilité de l'état de santé, s'agissant de définir la nature des activités offertes dans le cadre du travail protégé - une plus grande diversification est indiscutablement nécessaire -, mais aussi les modalités d'accompagnement à assurer en milieu ordinaire du travail.

Le deuxième point qui me tient à cœur a trait à la question des handicaps mental et psychique. Président d'un centre hospitalier spécialisé en psychiatrie, je sais à quel point le sujet est négligé. Ce sont des handicaps qui font peur, en grande partie parce qu'ils sont encore mal connus. De plus, ils constituent des handicaps sociaux autant que médicaux. Il est encore difficile aujourd'hui de détecter les personnes qui en souffrent, d'autant que, même quand elles sont conscientes de leur situation, elles n'osent pas toujours faire le premier pas. Il est pourtant indispensable que nous développions des lieux d'accueil des personnes souffrant de ces handicaps.

Le problème du manque de places dans les établissements accueillant des personnes handicapées mentales est récurrent en France. Quels que soient l'âge et le degré de handicap, les personnes handicapées mentales rencontrent encore trop souvent d'importantes difficultés pour trouver les services adaptés à leurs besoins. Celles-ci compromettent leurs conditions d'hébergement et leurs possibilités de recevoir des soins appropriés. La Belgique accueille quelque 4 000 personnes handicapées de nationalité française, dont bon nombre de déficientes intellectuelles. Certaines viennent de l'Ile-de-France, où le nombre de places est très largement insuffisant. Les capacités d'accueil des régions Centre et Auvergne permettraient d'en accueillir une grande part. Mais, aujourd'hui, la régionalisation de l'hospitalisation y fait obstacle. Il faut dès aujourd'hui prévoir un décloisonnement géographique, à l'échelon national, afin de préserver au maximum la proximité entre la personne handicapée et sa famille.

Le handicap est au cœur d'une articulation nécessaire entre les secteurs sanitaire et médico-social, que les personnes soient atteintes d'un handicap psychique ou physique.

Les énormes progrès de la médecine, notamment les techniques de réanimation, permettent de sauver chaque jour de la mort des accidentés de la route, mais ces derniers conservent des séquelles traumatologiques importantes. Chaque année, 155 000 personnes, dont 80 % sont des accidentés de la route, sont soignées à l'hôpital pour un traumatisme crânien. 8 500 en garderont des séquelles plus ou moins graves. Pour en mesurer les conséquences, il serait bon de demander à l'INSERM une étude épidémiologique portant sur l'ensemble du territoire national. À côté des soins et d'une rééducation souvent longue, il faut penser à la vie quotidienne de ces personnes à mobilité réduite. La création de foyers de vie spécifiques à côté des unités de soins est nécessaire.

Il en va de même pour les troubles psychiques. Il faut tout d'abord cesser d'opposer maladie et handicap mental, et sortir des schémas qui appréhendent la maladie comme durable et le handicap comme stable et permanent. Le schéma conçu par le docteur Wood, qui, à partir d'un diagnostic, constatant une déficience des fonctions et des organes, nomme comme une incapacité la limitation des gestes et actes élémentaires de la vie quotidienne, le tout constituant un désavantage social, est une vision beaucoup plus dynamique. En effet, médecins, rééducateurs, services sociaux, acteurs de la vie associative et culturelle peuvent s'inscrire dans cette logique pour fournir une prestation unique à la personne handicapée, que le handicap soit psychique ou physique. À partir de cette conception, les personnes handicapées mentales peuvent être usagers en fonction de leur état de structures hospitalières de soin, de foyers de vie, mais aussi participer à la vie associative de leur environnement.

Je regrette par ailleurs que la question du retour à l'autonomie des personnes handicapées mentales ou psychiques n'ait pas été abordée ; je pense en particulier aux dispositifs relatifs à l'accueil familial thérapeutique, et au travail fantastique accompli par les familles d'accueil, en liaison avec les centres hospitaliers spécialisés dont elles dépendent.

Ce texte marque d'incontestables avancées, mais, mes chers collègues, un texte seul ne peut aborder dans sa globalité une question aussi complexe et variée que le handicap. C'est une véritable révolution dans la perception des handicaps que chacun d'entre nous se doit d'accomplir. J'en appelle solennellement au Gouvernement pour que les handicaps mental et psychique fassent l'objet d'un ensemble cohérent de mesures adapté à leur spécificité.

Je vous félicite, madame la secrétaire d'État, pour votre texte, dont je ne doute pas qu'il sera encore amélioré, et j'aurai le plaisir de le voter. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Génisson.

Mme Catherine Génisson. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, je souhaite, à ce moment de la discussion générale, centrer mon propos autour de ce handicap particulier que constitue la surdité.

Je m'attacherai à décrire les difficultés de vie et d'épanouissement que notre société oppose à la personne sourde. Ainsi, elle ne l'autorise pas toujours à être citoyenne à part entière, et à vivre parmi les autres. Elle ne lui permet pas toujours de disposer des moyens d'information, notamment audiovisuels. Elles connaissent aussi des difficultés à partager des moments de rencontre et de discussion. Je ne retiendrai qu'un exemple : alors que nous sommes en plein débat politique à l'occasion des élections européennes, y a-t-il une formation politique, tous partis confondus, qui leur donne la place qui leur revient légitimement ? Je pourrais citer maints autres exemples.

Votre texte est en la matière très en deçà de notre attente, madame la secrétaire d'État. Il s'inscrit beaucoup plus en effet dans une logique d'assistance que d'intégration. Je limiterai mon propos au sujet des enfants sourds.

J'insisterai d'abord sur la nécessité d'un dépistage précoce de ce handicap, dès le premier examen du nouveau-né en maternité. Il doit être effectué par le médecin traitant ou par le service de la protection maternelle et infantile à l'occasion de l'examen au neuvième ou au vingt-quatrième mois. Il doit pouvoir être effectué également dans les crèches et les écoles maternelles. Je veux citer à ce propos l'initiative de la région Nord-Pas-de-Calais : les caisses primaires d'assurance maladie et cinq mutuelles ont constitué une association chargée d'assurer le dépistage de la surdité dans les écoles maternelles et les crèches. Grâce à cette initiative, 90 % des enfants de quatre ans de notre région ont été examinés. Ce dépistage précoce est une condition d'une prise en charge digne du handicap, qui me semble insuffisamment assurée par votre texte.

Vient ensuite la question de la scolarité des enfants sourds. Plus de 80 % des enfants souffrant d'une anomalie auditive sont scolarisés à temps plein, dans le cadre d'une scolarité normale, sans autre soutien que les séances d'orthophonie.

Parmi ces enfants, ceux qui ont les plus grandes difficultés scolaires ont souvent des antécédents familiaux de surdité. Cela doit nous faire prendre conscience de l'importance et de la problématique de l'accompagnement des parents face au handicap.

Pour les autres enfants, deux types de solution sont possibles.

L'accueil en établissement : une école, un collège, un lycée ou une classe spécialisée  - CLIS pour les écoles, UPI pour les collèges. La nature de l'aide est faite d'un accompagnement sur le temps scolaire et d'un soutien en dehors du temps scolaire.

Enfin, il y a les enfants qui vont en établissements spécialisés. Il en existe deux types actuellement. D'une part, les instituts nationaux de jeunes sourds, qui sont au nombre de quatre : Bordeaux, Chambéry, Metz et Paris. D'autre part, les établissements médico-sociaux privés.

Bien évidemment, personne ne conteste la place de l'éducation nationale, qui reste la référence. L'article 6 de cette loi pose d'ailleurs ce principe sous forme de convention entre les autorités académiques et les établissements médico-sociaux.

Mais s'agit-il d'une simple clarification et d'une précision sur les passerelles qui existent déjà ou, au contraire, d'un changement plus profond du fonctionnement de la prise en charge de la surdité en France et du fonctionnement des centres spécialisés en particulier ?

L'article 8 de la loi semble indiquer qu'il s'agit d'un changement plus profond du fonctionnement de ces établissements spécialisés. En effet, les personnels enseignant dans les centres et qui, pour la plupart d'entre eux, relèvent du ministère de la santé se verraient ainsi progressivement transférés sous la tutelle de l'éducation nationale. C'est d'ailleurs ce que confirme le rapport du sénateur Blanc sur ce projet de loi.

Cet article suscite de légitimes inquiétudes car ces deux catégories de personnels n'ont ni les mêmes statuts, ni les mêmes formations, ni les mêmes modalités de recrutement.

Mais c'est aussi l'illustration d'un changement dans la nature et le fonctionnement même de ces centres.

Or, et je l'ai déjà dit, si le cadre doit être l'éducation nationale, il n'en demeure pas moins que la spécificité des enseignements délivrés par les centres spécialisés est certaine, nécessaire et utile. Cette revendication n'est pas corporatiste.

Ces centres ne doivent pas être opposés à l'éducation nationale, ils en sont complémentaires. Ils font partie de ce qu'on peut appeler tout simplement l'école. Cette école qui dépasse les statuts et les tutelles pour assurer l'égalité des chances et l'intégration de tous. Nous défendrons un amendement en ce sens à l'article 6 du projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Irène Tharin.

Mme Irène Tharin. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, le projet de loi dont notre assemblée va débattre revêt un sens particulier et appelle de notre part à tous un surcroît d'engagement et de responsabilité.

Le sujet du handicap doit nous interpeller au-delà, bien évidemment, de nos différentes sensibilités politiques.

Face au handicap, nous ressentons, plus qu'en d'autres circonstances, ce que notre société peut parfois avoir d'inhumain.

C'est notre rôle à nous élus, responsables de collectivités locales, et je pense en particulier aux maires, de faire maintenant l'économie des discours de bonnes intentions, et de passer à l'action.

Agir sans tarder pour améliorer la vie quotidienne des personnes handicapées, c'est la mission confiée par le Président de la République au Gouvernement. Cette mission est prioritaire : c'est l'un des trois chantiers présidentiels du quinquennat avec celui de la lutte contre le cancer et celui de la lutte contre l'insécurité routière.

Je tiens à saluer cette volonté sans faille du Président de la République.

II était temps, car, depuis le vote de la loi du 30 juin 1975, qui a favorisé en particulier l'intégration sociale des personnes handicapées, et celle du 10 juillet 1987 en faveur de l'emploi des personnes handicapées, peu d'initiatives fortes ont permis de combler le fossé trop large qui sépare encore nos concitoyens atteints d'un handicap du reste de la population.

C'est pour réduire cette fracture intolérable que nous sommes réunis aujourd'hui : nous débattons d'un texte ambitieux, dont le droit à compensation est la clé de voûte.

Je voudrais insister sur trois points qui me semblent devoir être au centre de nos préoccupations. Il s'agit d'abord de simplifier les procédures d'aides et de rapprocher l'administration des personnes handicapées. Le second point dont je parlerai et qui me paraît capital est celui consistant à améliorer l'insertion scolaire et professionnelle. Il nous faut aussi, c'est très important, améliorer les partenariats entre l'État, les collectivités locales et les associations d'aide aux personnes handicapées, qui sont au centre du projet sur lequel nous devons nous prononcer.

Premier point, rapprocher les personnes handicapées et leur famille de l'administration.

C'est pour répondre à ce défi que Jacques Chirac a proposé, dès le 3 décembre 2002, devant le Conseil national consultatif des personnes handicapées, la création de «maisons départementales des personnes handicapées». Votre prédécesseur, madame la ministre, avait confié à notre regretté collègue Claude Girard une mission sur ce sujet. Je tiens, ce soir, à lui rendre hommage au moment où nous débattons de ce texte.

M. Jean-François Chossy, rapporteur. Très bien !

Mme Irène Tharin. Cette Maison départementale des personnes handicapées est une vraie « révolution ». Elle va permettre de mettre un terme à l'indécent « parcours du combattant » des familles.

Ces maisons pourront disposer d'antennes locales dans les départements et auront trois missions principales. D'une part, l'information et le conseil. D'autre part, l'évaluation des besoins, l'élaboration d'un plan personnalisé de compensation pour les personnes handicapées. Enfin, ces maisons assureront le suivi de la mise en œuvre des décisions avec un interlocuteur unique, quel que soit le handicap, quelle que soit sa nature ou l'âge de la personne.

Deuxième point, améliorer la vie quotidienne des personnes handicapées passe également par des progrès dans l'insertion scolaire et professionnelle.

La ligne directrice des mesures contenues dans ce texte consiste à favoriser « la complémentarité des interventions au bénéfice de l'enfant ou de l'adolescent handicapé ». Je me réjouis d'ailleurs que des amendements aient été retenus par notre commission pour permettre en particulier les partenariats entre l'éducation nationale et les acteurs qualifiés qui interviennent dans les établissements scolaires.

A cette occasion, je voudrais saluer l'excellent travail du rapporteur et celui du président de la commission des affaires sociales, que je remercie pour leur écoute attentive et constructive.

S'agissant de l'insertion professionnelle, un amendement que j'ai cosigné avec notre rapporteur permet de renforcer le statut juridique des services d'insertion professionnelle. La mission de ces associations est stratégique : elle consiste à préparer, à accompagner et à suivre durablement le parcours d'insertion des personnes handicapées. Grâce à elles, plus de 46 000 contrats de travail ont été signés par des personnes handicapées.

Pour conclure, je ne voudrais pas oublier d'évoquer le rôle des associations. On ne le dira jamais assez : elles sont au cœur de notre pacte social. Et c'est dans l'aide aux personnes handicapées qu'elles s'illustrent avec le plus d'abnégation. Le projet de loi que nous examinons consacre leur rôle et leur donne des moyens nouveaux.

Ce projet de loi marque une étape décisive dans l'égal accès aux droits pour les personnes handicapées. Il constitue une avancée et un message d'espoir. C'est la raison pour laquelle je le voterai avec grand enthousiasme. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Morel-A-L'Huissier.

M. Pierre Morel-A-L'Huissier. Madame la secrétaire d'État, ce matin, j'interrogeais M. le ministre de la santé et de la protection sociale afin d'attirer son attention sur le rôle pionnier qu'a joué et qu'entend encore jouer la Lozère en matière d'accueil des personnes handicapées. Le Gouvernement, par le truchement de M. Falco, m'a rassuré en me confirmant qu'il entendait réaffirmer la vocation sanitaire et sociale de ce département. J'insiste, à titre liminaire, sur cet aspect car la Lozère a fait un choix fondamental il y a plus de trente ans, à un moment où le handicap était montré du doigt. Ce département a créé 529 places en CAT, 408 places de MAS et plus de 320 places en IME.

Ce faisant, la Lozère répondait à des besoins extra-départementaux, qui concernaient donc l'ensemble du territoire national. Aujourd'hui, il est crucial, dans un petit département rural, que le choix qui a été fait soit conforté, voire amplifié.

A cet égard, toute manifestation de votre part sera très appréciée, notamment des 800 salariés concernés en Lozère qui ont acquis une expérience et une compétence indiscutables dans le secteur du handicap, et notamment du handicap lourd.

Je sais pouvoir compter sur votre implication.

Aussi est-ce avec beaucoup de sympathie que j'aborde le projet de loi que vous défendez et sur lequel vous avez mon entier soutien, même si je me permettrai de vous demander, au cours des débats, quelques éclaircissements.

Ce texte constitue, comme l'a souligné le président Jean-Michel Dubernard, « le second volet d'un ensemble législatif consacré à la mise en œuvre du principe de solidarité ».

Il tend à simplifier la vie des personnes handicapées avec, notamment, la mise en place d'un guichet unique : les maisons départementales des personnes handicapées. C'est une bonne chose, à condition que ces maisons soient bien des espaces de socialisation pour les enfants, les adultes et leurs familles.

Madame la secrétaire d'État, avec la création d'une telle structure placée sous sa compétence, le conseil général deviendra le pilote de la politique en faveur des personnes dépendantes. J'attends donc des éclaircissements quant aux moyens alloués à ces maisons, à leurs missions par rapport aux lieux d'accueil actuels et au personnel qui les animera.

Je présenterai un amendement tendant à permettre de tenir compte des souhaits exprimés par le représentant légal de la personne handicapée. La demande de visite de l'équipe pluridisciplinaire de la maison départementale pourra ainsi être effectuée par le représentant légal de la personne handicapée.

Il convient aussi de noter la création d'une prestation de compensation accordée de manière individuelle, l'amélioration de la formation de chacun des intervenants, aidants familiaux ou professionnels. Je proposerai lors des débats, par voie d'amendement, de maintenir la prestation de compensation aux personnes handicapées résidant en MAS.

Comme le docteur Jacques Blanc en 1975, le rapporteur Jean-François Chossy a fourni un excellent travail sur ce texte. En effet, la commission des affaires sociales propose de nombreuses avancées, notamment en faveur du polyhandicap, de l'encadrement des délais de parution des décrets d'application, de la suppression des limites d'âge pour l'octroi de la prestation compensatoire. Je m'en félicite.

Le projet de loi met en avant la scolarisation des enfants handicapés. Il faut relever l'importance des mots, comme le précisait mon collègue Yvan Lachaud dans son rapport. Au-delà du regard porté sur le handicap, il s'agit de faire évoluer les mentalités et les représentations sociales.

En ce qui concerne l'emploi des personnes handicapées, il est important que le secteur privé et le secteur public fassent des efforts.

C'est tout le sens de ma proposition de loi n° 1303 relative aux exonérations en faveur de l'emploi des personnes handicapées par les communes de moins de 3 500 habitants et leurs groupements de communes.

Il convient également de mobiliser les employeurs du secteur privé sur cette problématique afin que les 6 % légaux ne restent pas lettre morte. Les mesures annoncées par le Gouvernement doivent donc tendre à plus de souplesse afin de permettre à celles et à ceux qui le souhaitent d'accéder à l'emploi malgré leur handicap.

Enfin, je soulignerai la proposition du rapporteur tendant à créer un institut de recherche sur les différents types de handicap. En effet, il est indispensable de conforter le dépistage précoce des pathologies sources de handicap. Dans le même sens, une meilleure formation des médecins généralistes à la détection de ces pathologies devrait être dispensée.

Madame la secrétaire d'État, ce texte met la personne handicapée au cœur de notre société. Il s'agit de l'accompagner tout au long de sa vie et de faciliter son insertion dans le milieu social : école, travail, culture, loisirs.

Ce panel de mesures, préparé pendant de longs mois par Mme Marie-Thérèse Boisseau, constitue une réforme majeure. Vous la portez, à votre tour, avec conviction devant la représentation nationale. Je vous accompagnerai dans ce travail législatif, tout en vous rappelant l'impérieuse nécessité de prévoir des moyens financiers - ils sont actuellement quelque peu discrets - dans ce projet qui mériterait une loi de programmation à venir. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Mach.

M. Daniel Mach. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, il faut saluer publiquement la volonté sans faille du Président de la République et du Gouvernement d'améliorer les conditions de vie des personnes handicapées, la prise en charge du handicap, et de reconnaître enfin sa place dans notre société.

Trop longtemps, les personnes en situation de handicap ou à mobilité réduite ont été oubliées et sournoisement évincées de notre société. Il est grand temps de prôner l'action pour leur intégration tant sociale que culturelle ou professionnelle. En effet, trop de dérogations sont encore possibles et la France présente un retard indéniable en ce domaine.

Si les lois en faveur du handicap font toujours naître d'immenses espoirs, surtout auprès des principaux concernés, de leurs familles et des professionnels qui les encadrent, elles se soldent malheureusement trop régulièrement par des désillusions et des déceptions. C'est ainsi, hélas, que se caractérisent les textes législatifs en vigueur, qui brillent par leur manque de concrétisation. Ainsi, la loi de 1975 prévoyait plusieurs mesures d'amélioration, mais on attend encore la parution des décrets d'application.

J'émets ici le vœu que ce projet de loi, qui donne plus d'espoirs que tout autre, soit reconnu pour son efficacité et pour la réalité de sa mise en application. Je souhaiterais qu'il s'illustre par sa concrétisation, et pas seulement par la pertinence des idées et des propositions qu'il promeut.

Si l'importance du texte et les progrès qu'il annonce ne sont en rien contestables, je tiens cependant à formuler quelques réserves et à vous faire part de certaines remarques.

Je crains tout d'abord que les garanties pour un traitement équitable de tous les handicaps sur l'ensemble du territoire national ne soient insuffisantes, et je déplore, parallèlement, un manque d'implication de la part de l'État, notamment en matière de contrôle. Nombre d'associations ont exprimé le souhait que l'État s'investisse plus fortement. Ainsi, je crois qu'il serait judicieux que l'un de ses représentants puisse siéger au sein des instances organisationnelles et décisionnelles de chacune des maisons départementales des personnes handicapées.

Je souhaite aussi aborder le sujet des moyens financiers qui sont accordés aux personnes en situation de handicap. Dire que le handicap ne naît pas à vingt ans et ne prend pas sa retraite à soixante est une évidence. À ce titre, et pour assurer l'égalité des chances, la compensation des conséquences du handicap ne doit en aucun cas être limitée par les critères d'attribution que sont l'âge, le type de handicap ou le mode de vie.

M. Jean-François Chossy, rapporteur. Très bien !

M. Daniel Mach. L'évolution du montant de l'allocation adulte handicapé n'a absolument pas suivi celle du SMIC. Elle est actuellement inférieure au seuil de pauvreté et, nous en conviendrons tous, il est fort difficile de vivre avec de si faibles revenus. Il serait donc souhaitable de garantir une variation de l'AAH calquée sur celle du SMIC.

Je souhaite également souligner l'importance de la considération que nous devons accorder aux malentendants ou aux malvoyants qui rencontrent de nombreuses difficultés dans leur vie quotidienne. Sommes-nous sûrs de pouvoir garantir à un enfant non-voyant ou malentendant l'accès à la scolarité ? Si la loi fixe les lignes d'une politique générale et impose certains dispositifs, il n'en demeure pas moins qu'elle n'est pas en mesure de faire évoluer les mentalités. Je rappelle à l'Assemblée que quelques instituteurs refusent encore d'accueillir des enfants à mobilité réduite, alors même que les structures le permettraient. La simple volonté politique peut-elle suffire à faire évoluer les choses ? La loi ne devrait-elle pas être plus incisive ?

Enfin, je souhaite aborder le sujet du polyhandicap, qui est très spécifique, en raison de l'extrême dépendance qu'il entraîne, mais aussi de l'abondance et de la particularité des soins qu'il nécessite. Ces caractéristiques ne nous permettent pas de le considérer et de l'appréhender comme les autres handicaps. Je regrette d'ailleurs que ce projet de loi n'en donne aucune définition précise et qu'aucune disposition n'en mentionne la particularité. En toute objectivité, je ne pense pas qu'il soit possible de parler de libre choix et d'autonomie pour un polyhandicapé et, dans les cas de dépendance extrême, je crains que cette loi ne soit pas du tout applicable. De graves problèmes se posent à cet égard, tels que le manque de structures adaptées aux polyhandicapés de plus de vingt ans. À cet âge, ces personnes ne sont plus susceptibles d'être maintenues en établissement et, comme il est matériellement très difficile de les garder à domicile, les directeurs d'établissements spécialisés sont dans l'obligation de les héberger, mais avec des moyens et structures a fortiori totalement inadaptés.

Au vu de ces éléments, je n'arrive pas à comprendre, pas plus que tous les membres des associations que j'ai réunis à ce sujet, qu'on n'ait pas la volonté de reconnaître deux points essentiels : d'une part, que la définition du mot polyhandicapé n'est absolument pas lisible par le commun des valides ; d'autre part, que ce projet de loi, qui a certes le mérite d'exister, n'identifie pas spécifiquement le polyhandicap.

M. Jean-François Chossy, rapporteur. On y arrive !

M. Daniel Mach. Sans pour autant le diaboliser, on ne doit surtout pas l'englober dans un texte où il ne se reconnaîtra pas. Il est impératif d'instaurer un statut pour le polyhandicap ou d'envisager que cette spécificité soit reconnue à travers une évaluation du degré de dépendance qu'elle engendre. Je suis de ceux qui, avant d'accueillir dans ma commune l'établissement spécialisé Handas Symphonie, n'avaient aucune notion de la définition ou de la situation des polyhandicapés. Ce sont des êtres humains qui ne peuvent avoir aucune expression propre, effectuer aucun geste individuel volontaire et qui ne sont pas aptes à se déplacer ou à se nourrir seuls.

M. Pierre Morel-A-L'Huissier. C'est vrai !

M. Daniel Mach. Ils sont dépendants en permanence et ont besoin d'être aidés dans les actes quotidiens les plus rudimentaires. Il est urgent d'agir pour eux, à la faveur de ce nouveau texte de loi.

J'en appelle ici à votre vigilance, à votre sens du devoir et à votre fermeté pour assurer une bonne application de ces dispositions. Les personnes en situation de handicap ont fondé de grands espoirs sur cette loi. Elles ne nous pardonneraient pas un comportement timide et l'oubli de toutes nos promesses. Je souhaite de tout cœur qu'elle puisse leur apporter les facilités et les satisfactions qu'elles méritent et attendent depuis si longtemps. À ce titre, vous pouvez, madame la secrétaire d'État, compter sur mon total soutien pour le vote de cette noble et belle loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme Conchita Lacuey.

Mme Conchita Lacuey. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, le projet de loi « pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées » est loin de répondre à l'ambition annoncée par le Président de la République et aux nécessités de faire évoluer une loi qui date de près de trente ans.

La solidarité à l'égard des personnes en situation de handicap doit être l'un des fondements de notre société. Elle traduit la volonté d'inscrire chaque citoyen dans une société ouverte aux différences, de combattre les inégalités en donnant à chacun les mêmes chances d'accéder à l'instruction, à l'emploi, à la culture, aux loisirs, ainsi qu'aux droits fondamentaux du citoyen. Quelle que soit la situation des individus, cette participation sociale est d'autant plus nécessaire que, dans notre société, les personnes en situation de handicap sont lourdement pénalisées par une série de discriminations quotidiennes.

Ainsi, notre pays accuse un retard important en termes d'accessibilité. Les dispositions introduites par ce projet de loi auraient pu renforcer le cadre législatif actuel : malheureusement, le régime des dérogations possibles en diminue fortement la portée.

Aujourd'hui, les associations revendiquent légitimement le principe de l'accès à tout pour tous, une approche qui concerne la société dans son ensemble et qui prend en compte les besoins de tous les citoyens. Il s'agit de lutter contre les discriminations en reconsidérant l'environnement, l'adaptation des services, le déplacement, le transport dans la ville au service de tous les habitants. Notre ville doit s'ouvrir à une autre approche du handicap. Dans tous les projets d'urbanisme, nous devons nous appuyer sur un véritable partenariat avec les personnes en situation de handicap, leurs familles, les professionnels, les associations, pour favoriser une fonctionnalité optimale du cadre urbain.

Plutôt que de penser les réponses en termes spécifiques pour un public ciblé, il serait plus utile de considérer que la société doit être accessible à tous, aux enfants, aux personnes âgées, aux jeunes parents, en s'appuyant sur le concept de qualité de vie.

Au-delà des obstacles architecturaux, nous le savons bien, s'ajoutent les obstacles culturels et sociaux. Nous devons nous interroger sur notre mode de vie et d'organisation, où dominent la précipitation et le stress, et dans lequel les personnes en situation de handicap ont souvent du mal à trouver toute leur place.

Comment pouvons-nous mieux respecter les personnes en situation de handicap ? Par exemple en leur laissant le temps nécessaire pour se déplacer, en faisant preuve de plus de civisme, en laissant libres les places de stationnement qui leur sont réservées. Notre regard sur les personnes en situation de handicap changera au fur et à mesure que l'environnement leur permettra de participer pleinement à l'ensemble des activités de la société.

Cette évolution sera bénéfique pour nous tous. L'intégration dans le milieu scolaire ordinaire inculque à tous les enfants les valeurs de solidarité, de respect de l'autre et d'entraide. En tant qu'adultes, nous avons également tout à gagner en vivant auprès de personnes qui, par leur courage, leur énergie, leur volonté, leur force, leur joie de vivre, nous transmettent le véritable sens de la vie.

Cette dynamique, nous voulons la retrouver en favorisant l'autonomie de la personne, quels que soient son âge et la nature de son handicap, en valorisant les potentialités de chacun, en aplanissant les obstacles et en multipliant les mesures d'accompagnement adaptées.

Les personnes en situation de handicap et leurs familles doivent être actrices de l'amélioration de leur condition de vie, de la défense de leurs droits, en tant que citoyens à part entière.

Tout en affirmant le principe qu'il n'y a pas de différence de nature fondamentale entre la personne en situation de handicap et la personne valide, nous devons respecter sa particularité en prenant en compte ses difficultés personnelles.

Restons à l'écoute, disponibles, avec la conviction qu'une société qui réussit l'intégration des personnes en situation de handicap garantit par là même la cohésion sociale et se rapproche d'un mode de gestion politique humaniste qui permet d'évoluer vers une démocratie accomplie.

Toutefois, ce projet de loi survole les difficultés et reste décevant et inachevé. Il ne correspond ni aux attentes des personnes en situation de handicap, de leurs familles et des associations, ni aux ambitions de notre pays, qui se doit de reconsidérer le handicap et de garantir à chaque citoyen les conditions de son intégration.

Pouvoir décider de son existence, être capable de construire un projet de vie, respecter la dignité de chacun, telles sont les marques d'une société juste, tolérante, ouverte. Cet objectif ne sera pas atteint avec ce projet de loi...

Mme Muriel Marland-Militello. Ben voyons !

Mme Conchita Lacuey. ...et je le regrette. Madame la secrétaire d'État, écoutez les associations, prenez en compte leurs attentes, leurs propositions, et nous réussirons à mettre en œuvre une politique qui reconnaîtra le citoyen dans tous ses droits. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Serge Roques.

M. Serge Roques. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, ce texte concernant les droits des personnes handicapés sera, j'en suis convaincu, l'un de ceux que nous revendiquerons avec le plus de fierté, l'un de ceux qui ennoblissent le rôle du législateur, car il va se traduire par des progrès réels pour ceux qui en ont le plus besoin.

Décidément, le Président de la République et la famille politique qui le soutient auront marqué d'une empreinte puissante et féconde la politique en faveur des personnes handicapées. Le texte que nous allons voter est bien digne des deux grandes lois du 30 juin 1975 et du 10 juillet 1987 que la même majorité qu'aujourd'hui avait promues et qui avaient fait de la France l'un des pays les plus avancés en la matière.

Mais, aujourd'hui, nous sollicitons la solidarité nationale et la générosité naturelle de notre peuple pour aller encore plus loin. Pour la première fois, un gouvernement a le courage civique de revenir sur un droit acquis afin de générer une ressource nouvelle en faveur des personnes âgées et handicapées. Les Français sont prêts à renoncer à ce droit, parce qu'ils sont convaincus que la cause des handicapées est bonne et juste.

Cette loi prend en compte pour la première fois tous les aspects du handicap, physique, sensoriel, mental ou psychique. Elle introduit, pour la première fois aussi, un droit à compensation et crée une prestation de compensation. Elle est universelle et prend en compte tous les besoins des handicapés, et pas seulement les aides humaines.

Le projet de loi concerne également les enfants bénéficiaires de l'allocation d'éducation spéciale et autorise le maintien d'un complément à l'allocation aux adultes handicapés, y compris aux titulaires d'une AAH à taux réduit. La rémunération garantie globale en CAT pourra atteindre 90 à 110 % du SMIC au lieu de 55 à 75 % actuellement.

Au-delà du principe du droit à l'éducation des enfants et adolescents handicapés, le texte organise une application effective de l'obligation de scolarité, de l'enseignement primaire à l'enseignement supérieur, et met fin à la non-scolarisation de 35 000 à 45 000 enfants handicapés.

C'est une avancée majeure, car l'enseignement peut et doit être l'un des moyens les plus efficaces pour dépasser le handicap.

L'accès à l'emploi est primordial et nous ne pouvons qu'approuver tout ce qui va dans le sens d'une meilleure formation ou de meilleures conditions de travail. De la même manière, la contribution plus importante demandée aux entreprises ou, nouveauté, aux fonctions publiques...

M. Alain Ferry. Très bien !

M. Serge Roques. ...ne satisfaisant pas à l'obligation légale d'emploi des personnes handicapées, renforce le dispositif.

Ne pourrait-on imaginer aussi des discriminations positives en faveur des personnes handicapées désirant, avec l'appui de collectivités ou de chambres consulaires qui auraient cette préoccupation, créer une entreprise ou s'installer dans une profession commerciale, artisanale ou libérale avec des contrats spécifiques ?

La reconnaissance de la langue des signes comme langue à part entière sera très appréciée des malentendants. Il s'agit d'une mesure forte qui les sortira de leur isolement...

Mme Catherine Génisson. Ce n'est pas forcément vrai.

M. Serge Roques. ...d'autant qu'elle pourra être choisie comme langue vivante au baccalauréat, ce qui contribuera à lui donner tous ses titres de noblesse.

La création de maisons départementales des personnes handicapées avec guichet unique ainsi que le regroupement des CDES et de la COTOREP en une commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées, constituent une avancée attendue et judicieuse.

Cependant, dans des départements très vastes comme l'Aveyron, que j'ai l'honneur de représenter, il faudra veiller, pour rester fidèle à l'esprit de la loi qui vise une meilleure accessibilité, à ce que ces guichets uniques ne soient pas ouverts dans les seules préfectures.

Le volet obligeant à une meilleure accessibilité aux lieux publics et privés et au réseau informatique, qui peut et doit être un merveilleux outil de communication faisant oublier de nombreux handicaps, est également très important.

le degré de civilisation d'une société se juge à l'attention qu'elle porte à ses membres les plus fragiles. En URSS, jusque dans les années soixante-dix, il n'y avait pas, officiellement, de handicapés et l'on peut trembler à l'idée du sort qui leur était réservé. Cette société était barbare, et elle en est morte.

Au contraire, cette loi fera franchir un degré supplémentaire de civilisation. Elle permettra à la France de mériter toujours davantage le titre de pays des Droits de l'Homme et du citoyen puisqu'elle sera parmi les premières à organiser et à financer le droit à compensation pour les personnes handicapées. Il faut souhaiter que notre exemple soit suivi par d'autres pays pour profiter à des handicapés partout dans le monde.

En faisant appel à la solidarité nationale, cette loi accentuera le sentiment d'appartenance de tous nos concitoyens à la même nation. Elle renforcera ainsi la cohésion nationale, et en cela aussi elle constitue une excellente loi.

C'est pourquoi je la voterai avec enthousiasme, car elle fait honneur à la France et aux Français ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

    2

ORDRE DU JOUR DES PROCHAINES SÉANCES

M. le président. Aujourd'hui, mercredi 2 juin, à quinze heures, première séance publique :

Questions au Gouvernement1 ;

Suite de la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, (n° 1465), pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées :

Rapport (n° 1599) de M. Jean-François Chossy, au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

À vingt et une heures trente, deuxième séance publique :

Suite de l'ordre du jour de la première séance.

La séance est levée.

(La séance est levée, le mercredi 2 juin 2004, à une heure cinq.)

        Le Directeur du service du compte rendu intégral
        de l'Assemblée nationale,

        jean pinchot

1 Les quatre premières questions porteront sur des thèmes européens.