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Première séance du vendredi 4 juin 2004

243e séance de la session ordinaire 2003-2004


PRÉSIDENCE DE M. ÉRIC RAOULT,

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente-cinq.)

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OCTROI DE MER

Discussion, après déclaration d'urgence, d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi relatif à l'octroi de mer (nos 1518, 1612).

La parole est à Mme la ministre de l'outre-mer.

Mme Brigitte Girardin, ministre de l'outre-mer. Monsieur le président, monsieur le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, mesdames et messieurs les députés, le projet de loi relatif à l'octroi de mer que j'ai l'honneur de présenter devant votre assemblée constitue sans aucun doute un texte très important pour nos quatre départements d'outre-mer. C'est aussi - et c'est le corollaire de son importance - un texte particulièrement attendu. C'est enfin un texte d'un abord un peu difficile où se mêlent des compétences de différents niveaux : niveau communautaire, niveau national et niveau décentralisé.

Il est important parce qu'il assure des ressources aux budgets des collectivités, en particulier pour les communes, et qu'en même temps, il favorise le développement des entreprises locales en instaurant des possibilités d'exonérations.

Il est très attendu parce que cela fait, en réalité, plus de deux ans qu'un tel texte aurait dû être présenté au Parlement.

Sa bonne compréhension, enfin, ne peut se faire sans que soit exposé le rôle joué par les autorités communautaires - Commission et Conseil - dans sa mise au point.

Aussi, avant de vous préciser les principaux objectifs poursuivis par le Gouvernement à travers ce texte, permettez-moi de faire un bref rappel sur l'origine et les fonctions de l'octroi de mer, tout en le replaçant dans le contexte du droit communautaire.

Qu'est-ce que l'octroi de mer ?

L'octroi de mer est une imposition spécifique aux départements d'outre-mer. Il s'agit d'un droit de consommation très ancien, perçu depuis le XVIIe siècle, qui relève aujourd'hui de la compétence des conseils régionaux. Son produit alimente les budgets des communes des DOM, ainsi que celui du département de la Guyane. Les budgets des régions d'outre-mer sont également bénéficiaires, depuis 1984, d'un droit additionnel à l'octroi de mer.

En 2003, le produit total de l'octroi de mer pour les quatre DOM s'élevait à 615 millions d'euros et celui du droit additionnel à l'octroi de mer à 140 millions d'euros. Autant dire que cette ressource tient une place déterminante au sein des budgets des collectivités.

Il s'agit d'une ressource essentielle pour les communes : elle représente de 25 % à 30 % en moyenne de leurs recettes réelles de fonctionnement suivant les DOM.

L'octroi de mer a aussi pour objet d'apporter un soutien aux entreprises des DOM à travers la possibilité d'exonérations totales ou partielles d'octroi de mer des productions locales, sous certaines conditions, tandis que les importations de produits de même nature peuvent rester taxées.

À cet égard, il apparaît que l'octroi de mer contribue à améliorer la valeur ajoutée des entreprises dans les secteurs agricoles et industriels à hauteur de 22 % à La Réunion et jusqu'à 32 % en Martinique.

Sans la mise en place des différentiels d'octroi de mer, la plupart des entreprises des DOM ne pourraient atteindre un seuil de rentabilité économique compte tenu des handicaps auxquels elles sont confrontées.

Toutefois, le maintien de cette forme de soutien économique - dérogatoire au traité instituant la Communauté européenne - suppose l'accord des autorités communautaires sous la forme d'une décision du Conseil européen sur proposition de la Commission. Cette dernière repose, quant à elle, sur une demande de la France sur la base de l'article 299,paragraphe 2, du traité d'Amsterdam. Cet article reconnaît les handicaps structurels auxquels sont confrontés les producteurs des régions « ultra-périphériques » de l'Union européenne, et donc des DOM.

Quel est le contexte communautaire de ce projet ?

Le régime d'exonérations en vigueur est issu de la loi de 1992 et trouvait son origine dans la décision du Conseil européen de 1989. Il arrivait à échéance le 31 décembre 2002.

Ce n'est qu'en mars 2002 que le gouvernement socialiste avait déposé à la Commission européenne une demande relative au maintien de l'octroi de mer. Cette demande visait à reconduire à l'identique le régime existant.

La Commission, jugeant cette demande insuffisamment étayée, l'avait rejetée. L'existence du régime d'exonérations de l'octroi de mer se trouvait en conséquence gravement menacée au-delà du 31 décembre 2002.

En mai 2002, ce dossier a donc été pour nous prioritaire et a consisté à obtenir de Bruxelles, en urgence, la prorogation d'un an du régime, jusqu'à fin 2003. En contrepartie, une nouvelle demande circonstanciée devait être présentée par la France, dans des délais compatibles avec la prise de décision au plan européen.

Le « sursis » ainsi obtenu a été mis à profit pour préparer, en étroite concertation avec les exécutifs régionaux et les acteurs économiques locaux, une nouvelle demande circonstanciée, remise au commissaire Bolkestein en avril 2003.

Sur cette base, cette fois convaincante, des discussions intenses ont eu lieu avec les services de la Commission pour lui permettre de faire sienne, pour une très large part, la demande de la France et présenter, le 17 décembre 2003, une proposition au Conseil et au Parlement européen.

Ainsi, le Conseil a pu adopter, en février dernier, une décision favorable à la France.

Est ainsi instaurée dans les DOM, jusqu'au 1er juillet 2014, un régime permettant de faire bénéficier une liste de produits locaux d'écarts de taux d'octroi de mer dans des limites précisément définies. La totalité des productions qui avaient été recensées dans la demande française d'avril 2003 ont été prises en compte. Le Conseil, à la demande de la France, a même accepté d'ajouter les produits dérivés du rhum dans la liste bénéficiant du maximum d'écart de taux.

Ce faisant, la décision du Conseil prévoit que le nouveau régime doit être en place le 1er août 2004. Ce calendrier explique la demande d'examen en urgence par le Parlement du projet de loi relatif à l'octroi de mer, qui a principalement pour objet de transposer dans le droit national le nouveau dispositif d'exonérations.

Enfin, pour être complet sur ce volet communautaire, il reste à préciser que, à la demande de la Commission et, en particulier, de la Direction générale de la concurrence, le projet de loi a été notifié au titre des aides d'État. Cette notification, intervenue au début du mois de mars, a donné lieu à quelques questions de la Commission auxquelles le Gouvernement a répondu sans délai. Ainsi, la Commission a pu confirmer la semaine dernière la compatibilité du présent projet de loi avec la réglementation communautaire relative aux aides d'État.

C'est donc à l'issue d'un très long processus, au cours duquel se sont tenues onze réunions à Bruxelles, que le volet communautaire de ce dossier a pu être conclu.

Le projet de loi poursuit trois objectifs principaux : le maintien du soutien économique apporté aux entreprises des DOM à travers l'outil fiscal qu'est l'octroi de mer ; une meilleure utilisation budgétaire du produit de cette taxe ; une simplification administrative.

En matière économique, le premier objectif du projet est de transposer dans le droit national le nouveau dispositif d'exonérations autorisé par la décision du Conseil. Ce nouveau dispositif repose sur la définition de trois listes de produits, dans chaque DOM, auxquelles sont associés des écarts maximums de taxation entre les produits locaux et les produits importés identiques. L'avantage ainsi conféré aux productions locales doit rester dans une limite de 10, 20 ou 30 points. Les listes A, B et C de produits correspondant à ces écarts de 10, 20 ou 30 points se réfèrent à la nomenclature douanière et forment l'annexe à la décision du Conseil.

Ainsi, par exemple, en Guadeloupe les eaux minérales produites localement figurent à l'annexe B de la décision du Conseil sous le code 22 01 10. De ce fait, elles peuvent bénéficier d'un écart de taux de 20 points au maximum en leur faveur. Si la région décide de taxer cette production locale à 5 %, la taxation des importations d'eaux minérales ne peut excéder 25 % pour respecter l'écart maximum de 20 points autorisé par le Conseil.

La décision du Conseil prévoit également que les petites entreprises, c'est-à-dire celles dont le chiffre d'affaires est inférieur à 550 000 euros, continuent à être exonérées d'octroi de mer. Cette disposition est bien reprise dans le projet de loi. En outre, un supplément de protection leur est apporté sous la forme d'une majoration de 5 points des écarts de taux maximums.

Ainsi, pour reprendre mon exemple, une eau minérale guadeloupéenne produite par une petite entreprise sera exonérée d'octroi de mer. L'eau minérale importée sera, quant à elle, taxée à 25 %.

Dans le cas d'un produit ne figurant sur aucune des listes, et pour lequel aucun écart de taux n'est par conséquent fixé, un maximum de 5 points de taxation pourra être appliqué.

Cette dernière disposition permettra de conserver une gestion de la taxe proche de celle qui a prévalu jusque-là et qui laissait ces petites entreprises hors du champ de l'octroi de mer.

Ainsi, à la différence du dispositif actuel qui repose sur un système de taux plafonnés à 30 %, pouvant donner lieu à des réductions de taxation au bénéfice de toute production locale, sous réserve d'une justification du besoin économique, le nouveau dispositif instaure un système où les taux sont a priori libres sous réserve du respect des écarts de taxation autorisés, au bénéfice des productions locales, pour une liste de produits précisée par la décision du Conseil.

Cette nouvelle approche, qui résulte d'une exigence communautaire, a nécessité un effort important de la part des régions et des socioprofessionnels, qu'il convient de saluer, pour disposer d'une meilleure connaissance des productions locales et de leurs besoins en terme de soutien. En effet, ces écarts et ces listes ont été élaborés avec les acteurs locaux pour rester au plus près des pratiques existantes.

Pour le reste, en matière économique, le projet reconduit l'existant. Le marché unique antillais, destiné à accroître et à améliorer les échanges entre la Guadeloupe et la Martinique est maintenu. Le chapitre IX regroupe des dispositions éparses de la loi du 17 juillet 1992 concernant le document d'accompagnement qui couvre la circulation des biens sur ce marché, le régime du versement annuel de la taxe d'octroi de mer dans le département de destination et le régime des sanctions applicables aux irrégularités.

Le dispositif antillo-guyanais qui prévoit, pour la circulation des marchandises entre la Guyane et le marché antillais, une perception de l'octroi de mer dans le département d'origine et une exonération dans le département d'arrivée est également inchangé. Les « régimes suspensifs », comme le placement de marchandises importées sous entrepôt, sont maintenant explicitement reconnus. Ils permettent de différer le paiement de l'octroi de mer et améliorent en conséquence la trésorerie des entreprises. Ainsi, le dispositif prévu a pour objet de permettre aux opérateurs locaux de ne pas supporter l'octroi de mer sur les biens qu'ils importent et conservent en stock avant de les revendre sur les marchés locaux des départements d'outre-mer. Le dispositif proposé s'appuie sur les régimes suspensifs douaniers tels qu'ils résultent de la réglementation douanière actuelle. Toutefois, pour ne pas diminuer la recette, le dispositif de suspension de l'octroi de mer ne concerne que l'octroi de mer externe.

En matière budgétaire, le seul véritable changement introduit par le projet de loi vise à porter remède à une consommation insuffisante, dans certains DOM, des « fonds régionaux pour le développement et l'emploi ». Les FRDE ont été institués pour permettre aux régions d'apporter aux communes, sur des ressources d'octroi de mer, des subventions d'investissement destinées à faciliter l'installation d'entreprises et à développer l'emploi.

Pour ce faire, et dans le prolongement d'une première extension apportée pour la Réunion dans le cadre de la loi de programme pour l'outre-mer, il est proposé que l'utilisation du FRDE soit élargie dans tous les DOM.

Je sais par ailleurs que certains d'entre vous ont déposé un amendement visant à retenir une autre logique d'utilisation des FRDE. Nous aurons l'occasion de l'examiner.

Autre modification à noter, le droit additionnel à l'octroi de mer devient l'octroi de mer régional. Comme pour le droit additionnel à l'octroi de mer, le taux maximum de l'octroi de mer régional est de 2,5 %. Ce droit régional, s'ajoutant à l'octroi de mer, devra néanmoins respecter la décision du Conseil en matière d'écarts maximums de taux.

Enfin, en matière administrative, la principale simplification concerne l'organisation de la gestion de l'octroi de mer. Les entreprises locales n'auront plus qu'un seul et même interlocuteur, à savoir les services de la douane, dorénavant compétents pour gérer l'ensemble de l'octroi de mer. Les services de la douane reprennent en effet les attributions des services fiscaux en ce qui concerne l'assiette et le contrôle de la taxe pour les productions locales.

En conclusion, le projet de loi qui vous est présenté conforte un instrument fiscal original et essentiel pour les départements d'outre-mer, permettant d'assurer un niveau pertinent de recettes aux collectivités bénéficiaires et constituant un soutien adapté aux entreprises productives. Ce projet de loi préserve ainsi l'existence du régime de l'octroi de mer, tout en le modernisant et en le simplifiant. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

M. Didier Quentin, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je n'ai pas l'intention de reprendre devant vous l'excellente présentation que vient de faire Mme la ministre de l'outre-mer. Je me limiterai donc à quelques considérations générales destinées à rappeler l'importance de l'octroi de mer pour les départements d'outre-mer, ainsi que le contexte dans lequel est intervenue la réforme, notamment au regard des prescriptions communautaires, puis de vous présenter brièvement l'économie générale du texte.

L'octroi de mer est une imposition spécifique aux départements d'outre-mer et, compte tenu de son ancienneté, il n'est pas faux de parler à son sujet d'un véritable « patrimoine fiscal », essentiel aux économies de ces départements. Il s'agit d'un impôt assis sur la consommation, dont le produit alimente les budgets des communes, ainsi que celui du département de Guyane. En 2003, le produit total de l'octroi de mer pour les quatre DOM s'élevait à 615 millions d'euros, et celui du droit additionnel à l'octroi de mer à 140 millions d'euros.

L'octroi de mer constitue un apport essentiel pour les collectivités locales : pour les régions d'outre-mer, le droit additionnel à l'octroi de mer représente ainsi entre 11 et 48 % de leurs recettes fiscales ; pour les communes, le poids de l'octroi de mer est encore plus déterminant puisqu'il représente de 41 à 47 % des recettes fiscales.

Mais l'octroi de mer n'est pas qu'un simple outil de fiscalité locale. Il apporte également un réel soutien aux économies des DOM, dont vous connaissez comme moi les difficultés et les handicaps. Dans des marchés confrontés au surenchérissement du coût des intrants, l'octroi de mer a permis aux entreprises des DOM de faire face à la concurrence externe, à travers la possibilité d'exonérations totales ou partielles d'octroi de mer des productions locales, tandis que les importations de produits de même nature peuvent rester taxées.

Mis en place par une loi du 17 juillet 1992 faisant suite à la décision du Conseil des communautés européennes en date du 22 décembre 1989, le régime de l'octroi de mer arrivait à échéance, selon la décision des autorités européennes, le 31 décembre 2002. Sa prorogation à l'identique était loin d'être acquise : certes, depuis le traité d'Amsterdam qui a reconnu, à l'article 299, paragraphe 2, la spécificité des régions ultrapériphériques au sein de l'Union européenne, des possibilités d'adaptation générales aux normes communautaires sont admises pour tenir compte des handicaps structurels dont souffrent ces régions. Mais ces possibilités d'adaptation ne sont pas sans limites, puisque le dernier alinéa de l'article 299, paragraphe 2, précise que « les mesures particulières ne doivent pas nuire à l'intégrité et à la cohérence de l'ordre juridique communautaire ».

Il y avait donc fort à craindre que, compte tenu de cette restriction, le régime de l'octroi de mer vienne à être modifié sur demande des autorités communautaires, en raison de son caractère protectionniste. En dépit de ces craintes, le Gouvernement de M. Lionel Jospin avait déposé auprès de la Commission européenne, en mars 2002, une demande de reconduction à l'identique du régime existant. La Commission, jugeant cette demande insuffisamment étayée, l'avait rejetée. La menace pesant sur le régime de l'octroi de mer était donc réelle puisque rien n'était prévu au-delà du 31 décembre 2002. Conscient du caractère prioritaire du dossier, le Gouvernement de M. Jean-Pierre Raffarin a obtenu, en urgence, la prorogation de un an du régime jusqu'à la fin de 2003, afin de laisser au ministère de l'outre-mer le temps d'élaborer, en étroite collaboration avec les conseils régionaux concernés, une demande circonstanciée et, cette fois-ci, bien argumentée. Celle-ci, déposée en avril 2003, a été suffisamment convaincante pour que le Conseil adopte, le 10 février dernier, une décision favorable à la France, lui permettant d'instituer un nouveau régime de l'octroi de mer. Certes, on aurait pu souhaiter qu'il soit d'une durée de quinze ans, analogue à celle prévue pour la mise en place de la loi de programmation pour l'outre-mer. En fait, l'autorisation ainsi accordée vaut pour dix ans, soit tout de même jusqu'en 2014.

La décision du Conseil prévoit que le nouveau régime doit être mis en place dès le 1er août 2004, ce qui justifie le caractère d'urgence du projet de loi présenté aujourd'hui par le Gouvernement.

Les principaux objectifs de la loi sont au nombre de trois : le maintien du soutien économique apporté aux entreprises des DOM à travers l'outil fiscal qu'est l'octroi de mer ; une meilleure utilisation budgétaire de cette taxe, par la réforme de la répartition de son produit ; une simplification administrative.

Le maintien du soutien économique constitue le premier objectif.

Par la transposition en droit national de la décision communautaire, il est instauré un dispositif reposant non plus sur un plafonnement des taux, mais sur l'obligation de respecter un écart de taux maximal entre les productions locales et les importations, pour une liste de produits figurant en annexe de la décision du Conseil. Ainsi, les produits locaux bénéficient, à défaut d'une exonération totale, d'une moindre taxation à l'octroi de mer par rapport à un produit identique importé. L'avantage ainsi conféré aux productions locales doit toutefois rester dans la limite de 10, 20, ou 30 points de pourcentage, selon le niveau de soutien nécessaire.

Il est également prévu par la décision du Conseil que, pour permettre l'exonération des entreprises dont le chiffre d'affaires de production est inférieur à 550 000 euros, ces taux puissent être majorés de 5 points pour les produits figurant dans les listes, tandis que, pour les produits non listés, un écart de 5 points de pourcentage est un maximum. Ainsi, alors que le système actuel repose sur un ensemble de taux plafonnés à 30 % - 50 % pour les alcools - pouvant donner lieu à des réductions de taxation au bénéfice de toute production locale, le nouveau dispositif instaure un système où les taux sont libres, mais où les réductions de taxation des productions locales ne sont autorisées que pour une liste de produits précise et dans le respect d'écarts fixés par la décision du Conseil. Ces écarts et ces listes ont été élaborés, il importe de le souligner, avec les acteurs locaux pour demeurer au plus près des pratiques existantes.

Pour le reste, le projet reconduit les dispositions issues de la loi du 17 juillet 1992 concernant l'instauration d'un marché unique antillais et le système dérogatoire régissant la circulation de marchandises dans l'espace géographique des départements français d'Amérique, à savoir la perception de l'octroi de mer dans le département d'origine et son exonération dans le département d'arrivée.

En matière budgétaire, le projet de loi s'emploie à modifier le fonctionnement des fonds régionaux pour le développement de l'emploi.

Les FRDE sont alimentés par le solde du produit de l'octroi de mer, une fois répartie la dotation globale garantie aux communes et au département de la Guyane. Ils ont été institués pour permettre aux régions d'apporter aux communes, sur des ressources d'octroi de mer, des subventions d'investissement destinées à faciliter l'installation d'entreprises et développer l'emploi.

Afin de dynamiser ces fonds, qui souffrent à l'heure actuelle d'une sous-utilisation de leurs crédits, le projet de loi propose d'élargir les projets pouvant être éligibles au financement du FRDE, sur le modèle de ce qui a été instauré à La Réunion dans la loi de programmation pour l'outre-mer. Il s'agit de permettre à des communes de financer des projets dont elles sont maîtres d'œuvre, sans imposer un critère lié au développement de l'emploi.

Enfin, en matière de simplification administrative, la principale innovation consiste à unifier la gestion de l'octroi de mer en confiant l'ensemble des opérations de recouvrement aux services des douanes. Les entreprises n'auront ainsi désormais qu'un seul interlocuteur alors qu'elles devaient auparavant s'adresser aux douanes pour l'octroi de mer externe et aux directions des impôts pour l'octroi de mer interne.

J'ai bien conscience que la présentation que je viens de vous faire est essentiellement technique, mais tel est l'esprit du projet de loi. Compte tenu de l'importance de cette question pour les départements d'outre-mer, j'espère que ce texte recueillera l'assentiment de tous.

Des améliorations peuvent sans doute y être apportées et je suis certain que la discussion des amendements permettra un large débat, concernant notamment les modalités de répartition du produit de l'octroi de mer et des crédits du fonds régional pour le développement de l'emploi. Mme la ministre a déjà annoncé lors de son audition devant la commission des lois, et nous la remercions, qu'elle serait attentive à toutes les initiatives parlementaires ayant pour objectif d'améliorer le taux de consommation des crédits du FRDE.

Je tiens, pour terminer, à saluer l'action de Mme Brigitte Girardin, qui est parvenue, à la suite d'un travail acharné auprès des autorités de Bruxelles, à préserver l'existence même du régime de l'octroi de mer, tout en le modernisant et le simplifiant.

Je vous invite, mes chers collègues, à voter cette réforme de manière franche et massive. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Michel Vaxès.

M. Michel Vaxès. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, chacun ici connaît l'importance de l'octroi de mer pour les DOM. Essentiel pour la protection de l'économie locale, qui doit faire face à la fois aux handicaps structurels et au dumping social, il l'est aussi pour les ressources des collectivités locales de l'outre-mer. En d'autres termes, l'octroi de mer est un élément primordial du développement de ces régions. Les conditions de sa reconduction par l'Union européenne constituent donc un enjeu crucial.

L'octroi de mer fournit une part non négligeable des recettes des collectivités locales d'outre-mer. Le produit total de cette taxe pour les quatre DOM s'élevait, en 2003, à 615 millions d'euros. Quant au droit additionnel de l'octroi de mer, qui alimente les budgets des régions d'outre-mer, il représentait, pour la même année, 140 millions d'euros.

Cela représente entre 13 et 39 % des recettes fiscales des régions d'outre-mer et entre 8% et 28 % des recettes de fonctionnement. Pour les communes, l'octroi de mer représente entre 38% et 56% des recettes fiscales et entre 24% et 35% des recettes de fonctionnement. Pour certaines communes, l'octroi de mer et les dotations de l'État constituent l'essentiel de leurs ressources.

La sauvegarde des productions locales qu'il permet atténue les handicaps structurels des DOM, améliorant ainsi leur situation économique et sociale très préoccupante et qui, sans lui, serait tout simplement dramatique.

Imaginez le danger pour les économies d'outre-mer si nous laissions les autorités européennes remettre en cause ce régime fiscal ! Ce régime dérogatoire au traité instituant la Communauté européenne suppose, en effet, l'accord des autorités communautaires sous la forme d'une décision du conseil des ministres de l'Union européenne sur proposition de la Commission.

Dans ce contexte, la préoccupation des élus et des populations de l'outre-mer concernant la prorogation de ce régime d'exonération, qui expirait le 31 décembre 2002 en application de la loi du 17 juillet 1992, était compréhensible.

Il est donc positif qu'après une prorogation temporaire d'une année, le Conseil européen ait, le 10 février dernier, autorisé la France à prolonger l'octroi de mer pour une durée de dix ans.

Cet accord a été obtenu sur la base de l'article 299, paragraphe 2, du traité de l'Union qui reconnaît les spécificités des régions ultrapériphériques, dont les DOM, tels leur éloignement, insularité, relief et climat difficiles, dépendance économique vis-à-vis d'un petit nombre de produits, taille réduite des marchés, environnement concurrentiel et difficultés socio-économiques. Autant de facteurs dont la permanence et la combinaison nuisent gravement à leur développement.

Toutefois, et contrairement aux satisfactions affichées par le Gouvernement, cette autorisation du conseil des ministres est en deçà de ses demandes initiales et des besoins de nos régions d'outre-mer. En effet, le Gouvernement français s'était engagé, auprès des conseils régionaux d'outre-mer, à obtenir de la Commission des garanties sur la durée avec une reconduction de ce régime fiscal pour quinze ans. Finalement, dans sa grande magnanimité, la Commission a accordé un sursis de dix ans.

Qu'adviendra-t-il donc de ce régime en 2014 ? Les conseils régionaux d'outre-mer devront-ils trembler tous les dix ans, en espérant que le régime sera reconduit ?

En outre, ce nouveau régime détermine précisément les différentiels de taxation maximums autorisés et les produits concernés, à la différence du précédent régime qui ne fixait que des principes généraux, dont celui de l'exonération de la production locale. Il impose donc que toute production nouvelle ou toute déstabilisation d'une production locale par des pratiques de dumping fasse l'objet d'une nouvelle décision du Conseil de l'Union. Les délais de réactivité risquent, par conséquent, d'augmenter considérablement.

Il faut savoir enfin que toute décision d'exonération prise par une région d'outre-mer sera soumise à l'appréciation des instances européennes. Ces dernières approuveront donc cette exonération au regard des dispositions de l'article 299, paragraphe 2, du traité instituant la Communauté européenne. Il est à craindre que Bruxelles veillera surtout à faire respecter un principe fondamental du marché unique européen : la libre circulation des biens et des marchandises. La mise en application de ce principe risque, en effet, d'être, à ses yeux, et dans de nombreux cas, en contradiction avec la prise en compte des spécificités des régions ultrapériphériques.

Avec ce projet de loi, la mise sous tutelle des collectivités régionales d'outre-mer par l'autorité de Bruxelles est encore plus flagrante.

Quelle sera, dans ce contexte, la marge de manœuvre de ces collectivités ? Ne risque-t-on pas de voir les principes de la libre circulation des biens et des marchandises primer de manière systématique sur les visions et les conceptions de développement des régions d'outre-mer ?

Autant de remarques et d'interrogations qui nous amènent à penser que si le régime de l'octroi de mer est maintenu, c'est au prix de l'affaiblissement de son caractère protecteur pour la production et l'économie locales.

Ce projet de loi comporte également, au-delà de la transposition dans notre droit de ce nouveau dispositif d'exonérations autorisé par la décision du Conseil, des dispositions concernant les fonds régionaux pour le développement et l'emploi.

En effet, ces fonds qui ont été créés en 1992 pour permettre aux régions d'apporter aux communes, sur des ressources d'octroi de mer, des subventions d'investissement destinées à faciliter l'installation d'entreprises et développer l'emploi, sont actuellement sous-utilisés dans certains DOM.

Cela n'est évidemment pas acceptable lorsque l'on connaît, précisément, les besoins dans ce domaine.

Vous nous avez informé, madame la ministre, lors de votre audition, qu'une expertise était actuellement en cours sur cette sous-consommation des crédits de ce fonds, et nous attendons avec impatience ses résultats. Néanmoins, nous restons circonspects quant à l'efficacité des dispositions prévues par l'article 48 pour remédier à cette sous-consommation.

Enfin, je souhaiterais ajouter quelques mots, alors que nous nous apprêtons à voter un texte émanant de Bruxelles, sur l'actuel article III-326 du projet de Constitution européenne, qui reprend les dispositions du fameux article 299, paragraphe 2, du traité.

Dans le contexte nouveau de l'élargissement, cet article mériterait d'être revu pour offrir plus de garanties de prise en compte du retard de développement des régions dites ultrapériphériques européennes. Aussi, la France, l'Espagne et le Portugal ont-ils adressé le 2 juin 2003 aux autorités européennes un nouveau mémorandum sur la mise en œuvre de cet article. A ma connaissance, l'Union européenne n'a toujours pas répondu à ce mémorandum. Pourtant, en passant de quinze à vingt-cinq, les sept régions ultrapériphériques risquent de ne plus être éligibles aux fonds européens destinés aux régions en retard de développement ou tout au moins de voir leurs fonds diminuer considérablement à partir de 2006.

L'aide européenne dont bénéficie actuellement l'outre-mer permet à peine de compenser les effets négatifs de la concurrence et du désengagement de l'État. C'est pourquoi il serait indispensable que le traité instituant une Constitution européenne en tienne compte.

L'enjeu est donc, aujourd'hui, pour les DOM l'obtention d'un véritable statut particulier instaurant des relations nouvelles de partenariat avec l'Union européenne et respectant l'exigence d'un développement durable et endogène.

En l'état actuel du texte, le groupe des député-e-s communistes et républicains s'abstiendra. Le sort qui sera fait notamment aux amendements que nous soutenons de nos collègues Huguette Bello et Alfred Marie-Jeanne conditionnera notre vote définitif en dernière lecture.

M. le président. La parole est à M. René-Paul Victoria.

M. René-Paul Victoria. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi consacré à l'octroi de mer, et le débat qu'il suscite au sein de notre assemblée ont pour vertu première de montrer qu'en matière d'autonomie fiscale, les régions d'outre-mer ont une longue expérience.

Cela mérite d'être souligné au moment même où, au plan national, des interrogations se font jour quant à la pertinence des nouvelles lois décentralisatrices vis-à-vis des outils de gestion de l'autonomie fiscale des collectivités locales.

Applicable dans les anciennes colonies des Antilles et de La Réunion depuis le sénatus-consulte du 4 juillet 1866, l'octroi de mer a survécu à la départementalisation de nos territoires, en 1946, et à leur transformation progressive en régions européennes ultrapériphériques, depuis l'arrêt Hansen de 1979, consacrée par l'article 299, paragraphe 2, du traité de l'Union.

L'octroi de mer a deux fonctions essentielles : d'une part, contribuer au développement économique et social de nos territoires ; d'autre part, alimenter le budget de fonctionnement de nos communes.

Les opérateurs économiques ont toujours souhaité que l'on fasse la part des choses entre ces deux fonctions.

Cette demande me paraît recevable dans la mesure où l'octroi de mer a permis l'émergence d'une industrialisation locale, génératrice de nombreux emplois. En effet, c'est grâce à une application judicieuse du dispositif de l'octroi de mer que notre département, La Réunion, a pu se doter dès le début des années 60 d'un tissu industriel opérant dans le domaine de l'import substitution, notamment dans les activités agroalimentaires. En mettant, par exemple, à faible coût des produits laitiers au service des cantines scolaires, cette petite industrie a grandement contribué à l'amélioration de l'état de santé de nos plus jeunes compatriotes.

Nos communes tiennent en outre-mer, elles aussi, un rôle social éminent, comme employeurs de milliers d'agents. Malgré les progrès de nos économies locales, chacun sait combien la situation de l'emploi reste dégradée dans nos régions, avec des taux de chômage de trois à quatre fois supérieurs à la moyenne nationale et européenne. Certes, il s'agit souvent d'emplois de non- titulaires, mais c'est là un autre débat sur lequel nous souhaitons progresser avec le soutien du Gouvernement.

Prenant en compte ces impératifs de développement économique, le conseil des ministres de l'Union, grâce à une forte mobilisation de notre gouvernement et plus particulièrement de Mme Girardin, dont je salue l'action déterminante, a décidé le 10 février dernier de proroger pour une période de dix ans le dispositif de l'octroi de mer, en lui donnant une base juridique plus solide. Cette décision nous satisfait et lève bien des ambiguïtés quant à l'existence même de cet agrégat de la fiscalité locale dans les départements d'outre-mer.

Néanmoins, le conseil a assorti sa décision de contraintes nouvelles qui obèrent l'autonomie de gestion locale, alourdissent les procédures administratives et freinent les possibilités de réactivité, par exemple en cas d'attaque brutale des importations ou de lancement de nouveaux produits sur les marchés locaux.

C'est pourquoi il est important, madame la ministre, et vous l'avez compris, que le futur régime de l'octroi de mer réponde aux principales attentes de nos opérateurs économiques, et ce malgré la faible marge de manœuvre dont nous disposons au regard de ces contraintes communautaires, à savoir que les mêmes productions locales soient exonérées et que de nouveaux produits puissent être admis au bénéfice de l'exonération, que les différentiels puissent être adaptés en fonction des changements du marché ou des politiques communautaires régulant nos productions.

Je viens d'évoquer la nécessaire possibilité de réactivité que devra introduire le projet de loi dans la gestion au quotidien de l'octroi de mer. Il s'agit de faire face immédiatement à toute tentative de déstabilisation du marché et de ne pas pénaliser de nouveaux investisseurs. Le risque n'est, en effet, pas négligeable et il concerne en particulier des productions sensibles comme le ciment et la tôle dont dépend notre industrie du bâtiment et des travaux publics qui emploie près de 15 000 personnes. L'augmentation du coût de l'acier, sur le marché mondial, accroît au demeurant ce risque vu la modestie de notre production locale de tôles.

Par ailleurs, il conviendrait d'élargir l'affectation des ressources du fonds régional pour le développement et l'emploi à l'aide directe aux entreprises, notamment au niveau de l'immobilier d'entreprise et de la continuité territoriale. C'est le sens des amendements que j'ai déposés avec quelques uns de mes collègues et qui seront débattus tout à l'heure.

Je souscris pleinement à la volonté du Gouvernement de simplifier le fonctionnement de l'administration et je plaide pour un allégement des obligations déclaratives concernant l'octroi de mer. Simplifier est gage d'efficacité.

A ce moment de notre débat, je voudrais insister sur le caractère exemplaire de la mise en œuvre du dispositif de l'octroi de mer à La Réunion par les élus locaux et les opérateurs économiques. Plusieurs études indépendantes ont d'ailleurs souligné que cette taxe a, chez nous, toujours été utilisée à bon escient. Aucun effet pervers n'a été enregistré. Le dispositif complète bien les mesures d'accompagnement du DOCUP. La conjugaison de ces deux dispositifs a rendu viable un grand nombre de nos entreprises et a permis la diversification et la densification de notre tissu de très petites entreprises.

Cette architecture, qui s'est consolidée au fil des années, ne doit pas être remise en cause et je me félicite que le projet de loi présenté par le Gouvernement aille dans la bonne direction, sous réserve des propositions que nous formulons et qui n'excèdent pas les contraintes imposées au niveau communautaire.

Pour conclure, je dirai que malgré son grand âge, l'octroi de mer est un outil de fiscalité locale bien adapté à la situation des départements d'outre-mer et aux retards de développement économique et social qu'ils doivent surmonter, avec le soutien de l'État et de l'Union européenne. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. Victorin Lurel.

M. Victorin Lurel. Nous vous remercions, madame la ministre, d'avoir accepté de reporter à aujourd'hui l'examen de ce texte qui était initialement prévu le 27 mai, date de commémoration de l'abolition de l'esclavage en Guadeloupe. Néanmoins, il aurait été préférable de trouver un autre jour que le vendredi, jour traditionnellement non siégé dans le cadre de la session unique. Nous nous retrouvons donc presque exclusivement entre élus ultra- marins, auxquels se joignent quelques passionnés de l'outre-mer.

Une fois n'est pas coutume, c'est un bon projet de loi pour l'outre-mer dont nous entamons la discussion. En effet, son objet principal est de transcrire dans notre droit national le dispositif national d'exonérations totales ou partielles prévu par la décision du 10 février 2004 du conseil des ministres de l'Union européenne.

Dès lors que ce projet de loi permet de proroger, dans le respect des règles communautaires, pour une période de dix ans, le système de l'octroi de mer de façon certes aménagée et encadrée par rapport à celui existant, il recevra naturellement le soutien du groupe socialiste dont j'ai l'honneur aujourd'hui d'être le porte- parole. Vous le voyez, madame la ministre, loin du sectarisme dont nous sommes parfois injustement taxés, lorsque l'on nous présente un bon texte pour l'outre-mer, nous sommes les premiers à le reconnaître, et donc à vous accompagner.

Ce texte est bon parce que, obtenu et élaboré grâce à une bonne méthode de travail, il permet de sauvegarder pour une période de dix ans, tout en l'aménageant et en l'améliorant sur certains points, le système de l'octroi de mer. Cependant, il ne faudrait pas que nous nous endormions sur nos lauriers : un système alternatif doit être, dès aujourd'hui, construit pour 2014 puisque l'octroi de mer sera amené à disparaître à cette date et le contexte, communautaire et national, appelle à la plus grande vigilance.

Ce projet de loi, en l'état ou, si possible, avec les quelques améliorations que nous vous proposerons, recevra notre agrément et celui de notre groupe. En effet, il a été élaboré en étroite collaboration entre le Gouvernement, et singulièrement vous-même, madame la ministre, et les collectivités régionales concernées. Cette bonne méthode de travail a permis de parler d'une seule et même voix à la Commission européenne pour défendre les intérêts de nos collectivités. Madame la ministre, monsieur le président de la région Martinique, soyez-en félicités. En tant que nouveau président de la région Guadeloupe, mes félicitations vont aussi à mes collègues de la Guyane et de la Réunion, ainsi, naturellement, qu'à mon prédécesseur et aux fonctionnaires des ces collectivités, singulièrement ceux de l'île de la Réunion et de la région Guadeloupe, en particulier M. Romney et M. Chevry qui ont grandement contribué à l'obtention de ce bon accord que nous nous apprêtons à traduire dans notre législation.

Cet accord permet de sauvegarder, pour une période de dix ans, le système de l'octroi de mer, même si celui-ci est aménagé par rapport au système existant. L'octroi de mer est essentiel pour l' outre-mer lorsque l'on connaît l'état de la situation financière de nos collectivités locales. L'importance de la part de l'octroi de mer dans les finances des collectivités locales d'outre-mer est étroitement liée à la faiblesse du rendement des quatre taxes locales traditionnelles dans 1'outre-mer, résultat d'un recensement souvent insuffisant des bases fiscales et de la faiblesse des bases d'imposition elles-mêmes.

Le système antérieur, issu de la décision du 22 décembre 1989 et de la loi du 17 juillet 1992, étant arrivé à expiration le 31 décembre 2002, vos prédécesseurs, madame la ministre, ont introduit, le 12 mars 2002, une demande de prorogation de ce dispositif. Cette demande ayant été jugée insuffisante par la Commission, il est revenu à leur successeur, nommé moins de deux mois après - vous-même, madame la ministre -, de traiter ce dossier urgent. Après une prolongation de ce dispositif d'une année, jusqu'à la fin 2003, et grâce à la concertation avec l'ensemble des régions d'outre-mer, le conseil des ministres de l'Union européenne décidait, le 10 février 2004, sur proposition de la Commission, d'autoriser à titre dérogatoire pour une période de dix ans, et non de quinze ans comme le souhaitaient les régions et vous-même, madame la ministre, une reconduction du système de l'octroi de mer, avec des aménagements d'importance.

Le fondement de la nouvelle dérogation est la reconnaissance des handicaps structurels de l'outre-mer. En effet, par une conciliation des articles 299, paragraphe 2, et 90, prohibant les aides d'État, du traité, le conseil, sur proposition de la Commission, reconnaît dans cette décision que l'ensemble des handicaps supportés par le RUP se traduit financièrement par une augmentation du prix de revient des produits fabriqués localement qui, en l'absence de mesures spécifiques, ne pourraient pas être compétitifs par rapport à ceux provenant de l'extérieur et ne souffrant pas de ces handicaps.

Dès lors, le conseil autorisait la mise en œuvre d'une taxe applicable à une liste de produits pour lesquels des exonérations ou des réductions de taxe peuvent être envisagées en faveur des productions locales. En transposant cette décision dans notre droit, ce projet de loi permet une reconduction du principe de l'octroi de mer - soutien à la production locale - au prix d'encadrement important par rapport au système précédent. Le principal changement est naturellement le passage à un système d'écart maximum - de dix, vingt ou trente points - de taxation entre les produits extérieurs et les produits locaux, prévu aux articles 28 et 29 de ce projet.

Ce texte apparaît donc satisfaisant dans son principe même et en ce qu'il reconnaît l'existence d'une production locale régionale. De plus, il réalise des progrès par rapport au droit existant. Je pense à la non- limitation du nombre de taux, limité à huit auparavant, ce qui laisse une marge d'appréciation aux collectivités régionales, au non- plafonnement des taux et à la simplification proposée par l'article 41 instituant une perception, un contrôle et un recouvrement par une seule administration, celle des douanes. J'insisterai sur deux dispositions importantes de ce projet.

Tout d'abord, le maintien des possibilités d'exonération autorisé par l'article 1er de la décision du conseil lorsque celles-ci sont nécessaires pour maintenir et assurer une production locale au regard des handicaps, proportionnelles aux handicaps subis et précisément déterminées, ce qui est la raison d'être de l'annexe fixant la liste des produits.

Ensuite, la qualification juridique de l'octroi de mer que l'on peut déduire de l'article 44 de ce projet de loi. En effet, en excluant l'octroi de mer de la base d'imposition de la TVA, on reconnaît qu'il n'est ni un droit de douane ni une taxe d'effet équivalent au droit de douane, mais que c'est bien une taxe locale. Cette reconnaissance, cette consécration juridique est non seulement importante dans son principe, mais elle devrait également avoir une répercussion sur les prix à la consommation. Une vigilance toute particulière devra s'exercer en la matière.

En effet, si le projet de loi est indéniablement un bon texte, la vigilance - la vôtre, madame la ministre, et la nôtre, c'est-à-dire celle des parlementaires de l'outre-mer, de l'exécutif local ou de nos futurs représentants au Parlement européen - ne doit surtout pas se relâcher. On ne peut en effet oublier les menaces européennes et, hélas, nationales qui pèsent sur l'existence même des dispositifs spécifiques à l'outre-mer.

S'agissant du seul octroi de mer, ce texte n'est malheureusement pas parfait. Nous aurons l'occasion de vous présenter nos amendements au cours de l'examen du texte. Mais nous devons d'ores et déjà souligner le problème des productions nouvelles qu'un écart de taxation provisoire trop faible, dans l'attente de la décision européenne, risquerait de condamner. La lourdeur du nouveau mécanisme de décision - je veux parler du système de co-décision - peut faire craindre une perte de temps qui nous serait préjudiciable. En cas de renchérissement du coût de la vie, la réforme se ferait in fine au détriment des consommateurs locaux ou des finances des collectivités locales. Sur ce point, l'acceptation de notre amendement n° 34, qui propose, à l'article 43 du projet de loi, de diminuer de 2,5 % à 1,5 % le taux du prélèvement opéré par l'État, serait indéniablement de nature à emporter notre adhésion.

Mais nos craintes se portent également sur le court terme, car la vigilance doit s'exercer aussi à l'égard du processus de décision communautaire. L'avis de la direction générale de la concurrence sur ce texte ne nous est toujours pas parvenu. Pourriez-vous donc nous transmettre vos informations sur ce point, madame la ministre, et, je l'espère, nous rassurer ? D'autre part, un nouveau règlement sur les aides d'État devra être élaboré par la Commission en 2007, date à laquelle sera remis le rapport d'étape. Quelles garanties existe-t-il sur la compatibilité du système que nous nous apprêtons à voter avec ce nouveau règlement ? Là encore, la vigilance s'impose, notamment de la part de nos futurs représentants au Parlement européen.

Mais n'oublions surtout pas que ce texte, qui tire les conséquences des décisions européennes, programme la disparition de l'octroi de mer pour 2014. Il est donc d'ores et déjà nécessaire de travailler, dans la plus large concertation et dans le même état d'esprit que celui qui a présidé à l'élaboration du présent accord, à l'élaboration d'un système alternatif eurocompatible qui permette de tirer parti de toutes les potentialités qu'offre l'Europe à nos collectivités.

Ici plus qu'ailleurs, l'intérêt général de nos pays doit prendre le pas sur toute autre considération. Si vous me le permettez, je dirai que seule une alliance pour l'outre-mer dans le cadre d'une Europe élargie - vous voyez à quoi je fais allusion - peut nous permettre d'élaborer un système pérenne qui aide nos productions locales, garantisse un niveau de financement suffisant à nos collectivités locales et tire tout le parti du futur « partenariat renforcé pour les régions ultrapériphériques », annoncé par la Commission le 26 mai dernier.

Sur le plan national, nous sommes menacés par des coupes budgétaires drastiques dans le budget de l'outre-mer, ainsi que dans les budgets sociaux et d'intervention publique. La décentralisation des déficits est dramatique et la lettre de cadrage pour 2005 s'annonce menaçante. Ne nous payons pas de mots : le Gouvernement entreprend de remettre en cause les niches fiscales spécifiques à l'outre-mer. Enfin, des menaces semblent peser même sur la nouvelle loi de programmation qui vient à peine d'entrer en vigueur.

Un appel à la mobilisation a été lancé afin de soutenir votre action. Vous le voyez : nous savons parfois former un consensus quand il y a péril en la demeure. Le groupe socialiste serait heureux que vous acceptiez les quelques amendements qu'il propose, comme ceux que présentent d'autres membres de l'opposition. Cela étant, il votera votre texte.

M. Louis-Joseph Manscour. Bravo !

M. Philippe Edmond-Mariette. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Comparini.

Mme Anne-Marie Comparini. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, n'étant pas députée d'une circonscription d'outre-mer, je dois à l'absence d'un de mes collègues, que je remplace, de m'être passionnée pour l'octroi de mer.

Institué au cours du XIXe siècle, celui-ci revêt - nous le mesurons ce matin - une importance capitale pour les populations d'outre-mer et leurs collectivités. Par ailleurs, un de mes collègues l'a signalé : il représente, avant la lettre, une forme originale d'autonomie fiscale.

On comprend dès lors qu'il soit extrêmement difficile de supprimer cet élément du patrimoine fiscal ancré dans l'économie ultramarine traditionnelle. Parallèlement, on comprend aussi les raisons qui, dès 1989, ont poussé le Conseil de la Communauté européenne à demander à la France de revoir cette taxation qui lui semblait relever d'un certain protectionnisme.

De décision en décision, le Conseil a accepté, par chance, de proroger ce régime jusqu'en 2014. Aujourd'hui, il s'agit donc de transcrire dans la loi sa dernière décision. Ne boudons pas notre plaisir. La menace est éloignée et nous nous en réjouissons. Nous connaissons trop les particularités structurelles, démographiques et géographiques des DOM, imposant à leurs collectivités une charge spécifique à laquelle celles-ci peuvent difficilement faire face. À ce titre, l'octroi de mer constitue pour elles une ressource indispensable à leur fonctionnement comme à leurs investissements publics. Elles en ont réellement besoin pour assurer le développement de l'économie et de l'emploi, dans des régions où le nombre de jeunes est si élevé.

Au fil des ans, les différents gouvernements français ont bien compris qu'il fallait rechercher un équilibre subtil entre l'évolution du droit communautaire et le légitime accompagnement de la croissance dans les DOM. C'était l'objet de la loi de 1992 qui, afin de ne pas créer de discrimination, corrige et étend aux produits locaux le dispositif de l'octroi de mer ne frappant jusqu'alors que les importations. C'est également l'objet du projet de loi que nous examinons aujourd'hui, qui actualise la précédente législation au vu de la décision prise par le Conseil le 10 février dernier.

À mes yeux, les changements phares sont clairs. Il s'agit d'abord - et je m'en réjouis - de maintenir, par le biais de la fiscalité, le soutien à l'économie des territoires d'outre-mer et surtout de favoriser leurs productions locales. Dans le cheminement que représente l'évolution du droit communautaire, il est intéressant que, en lien avec les acteurs économiques des TOM, une taxation allégée puisse être établie en fonction des différentiels que vous évoquiez, madame la ministre, dans votre propos liminaire.

Il s'agit aussi, ce qui représente un changement important, d'améliorer la consommation des fonds régionaux pour l'emploi. À cet égard, je suis perplexe. Comment peut-on arriver à une situation aussi paradoxale ? La France réclame la prolongation de l'octroi de mer alors même que nous sommes dans l'incapacité de consommer la totalité des crédits.

Le rapporteur a proposé une piste. En écoutant M. Victoria à l'instant, je me demandais si l'heure n'était pas venue de procéder aux évaluations qui s'imposent et, comme le font les régions de métropole pour utiliser plus rapidement les fonds européens, de revoir les modes de gestion des fonds régionaux pour le développement de l'emploi. Dans cette optique, les pistes liées à tout l'environnement qui porte le développement de l'emploi me paraissent judicieuses.

Enfin, il s'agit de simplifier l'organisation de la gestion, en donnant aux entreprises un interlocuteur unique. Élus de métropole ou des territoires d'outre-mer, nous le disons tous : pour les entreprises existantes ou à naître, l'existence d'un seul guichet est un gage de progrès indispensable.

Certes, le projet de loi ne bouleversera pas le paysage économique de l'outre-mer. Pour autant, même si la marge de manœuvre est réduite, une remarque s'impose. À la lecture du texte, et, plus encore, au vu du processus historique dont il est l'aboutissement, il apparaît que l'Union européenne n'acceptera pas indéfiniment le dispositif particulier qu'est l'octroi de mer, contraire au libre-échange et porteur d'un protectionnisme que ne saurait tolérer l'Union.

Il convient dès lors de s'employer rapidement à rechercher une solution de substitution. Au vu de l'importance de l'octroi de mer dans les budgets et de son incidence sur la vie économique, il est essentiel de trouver une nouvelle recette. Le Gouvernement travaille-t-il à une solution de remplacement ? Je sais, madame la ministre, que la question vous a déjà été posée en commission. La prolongation ayant été accordée pour dix ans, je comprendrais que certains pensent avoir encore le temps de réfléchir. Néanmoins, attendre le dernier moment, comme nous l'avons fait dans le cadre de la décentralisation, ne relève certainement pas de la meilleure méthode de travail. Lançons-nous donc dans la réflexion pour trouver une source de financement moderne et adaptée aux besoins des collectivités des TOM.

En tout état de cause, le groupe UDF votera le projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Éric Jalton.

M. Éric Jalton. Monsieur le président, madame la ministre, mesdames et messieurs les députés, le projet de loi sur le nouveau régime de l'octroi de mer est d'une importance capitale pour nos économies insulaires, ainsi que pour nos collectivités locales.

Tous les acteurs locaux attendaient avec la plus grande impatience ce texte qui, reconnaissons-le, constitue une avancée certaine pour les régions d'outre-mer. En outre, il s'inscrit dans la durée, même si celle-ci est limitée à dix ans et qu'il faille dès maintenant prévoir ce qui se passera après 2014.

On ne cessera jamais de le répéter : l'octroi de mer est indispensable au développement de nos économies. Sans lui, comment nos fragiles toutes petites entreprises pourraient-elles survivre dans une économie mondialisée, dominée par de grands groupes puissants qui disposent de structures internationalisées ?

Les règles fondamentales de la libre concurrence ne peuvent guère s'appliquer en raison du grand déséquilibre de la taille des entreprises, des surcoûts à la production, de la dimension réduite des marchés domestiques et de l'éloignement des grands centres commerciaux.

À juste titre, le Conseil a accepté de reconduire le dispositif sur la base des arguments que vous avez présentés, madame la ministre, en prenant soin de consulter les milieux économiques locaux pour vous assurer de leurs attentes. À cette occasion, nous avons apprécié toute l'énergie que vous avez déployée pour convaincre les commissaires du bien-fondé de nos demandes, et la diligence dont vous avez fait preuve pour accélérer les procédures et obtenir gain de cause.

Le projet de loi s'attache ainsi à mettre en conformité le régime d'octroi de mer avec la décision du Conseil en substituant au dispositif de plafonnement des taux un système fondé sur des écarts de taxation maximum entre produits locaux et produits importés.

Est-il besoin de rappeler le poids de l'octroi de mer dans les résultats de nos entreprises et son rôle dans la préservation, voire la création d'emplois, notamment dans le secteur agroalimentaire ? Sa disparition aurait entraîné, dans les secteurs primaires et secondaires, de graves désordres, tels que des faillites ou des licenciements en masse, et une complète déstructuration de notre tissu économique.

Nos entreprises ont donc besoin de l'octroi de mer pour continuer à exister, à créer de la valeur ajoutée et de l'emploi en faveur de nos populations qui en ont le plus grand besoin. En réalité, il permet de rétablir en partie l'égalité de concurrence entre produits locaux et produits importés, en rééquilibrant les charges de production, afin de limiter les écarts dus à nos conditions et contraintes particulières, lesquelles sont reconnues par la Communauté et désormais inscrites dans notre Constitution. La prorogation du dispositif apparaît, dans cet esprit, comme un acte de justice envers des entrepreneurs et une économie qui, bien que placée dans un contexte défavorable, réussit à créer de la richesse.

Toutefois, il revient à l'autorité publique de mettre en œuvre des politiques publiques adaptées en vue d'améliorer ou de créer des conditions plus favorables à la pérennité des entreprises ou à la création de nouvelles unités. Pour remplir cette mission, nos collectivités ont besoin de ressources importantes, compte tenu des retards importants enregistrés dans le domaine des équipements publics, de la forte croissance démographique et des aléas climatiques. Or, si les chiffres démontrent que, dans chaque région, la progression du FRDE est importante sur le moyen terme, on constate que sa consommation reste très insuffisante. En conséquence, il convient, selon moi, de redonner, dans chaque DOM, sa vocation au fonds régional pour le développement et l'emploi en constituant, à partir de ce fonds, une dotation globale affectée en section d'investissement du budget des communes au prorata de leur population. Ainsi, 90 % des ressources du fonds seraient attribuées directement aux communes et 10 % par décision du conseil régional pour financer les investissements contribuant au développement sous maîtrise d'ouvrage de la région ou de syndicats mixtes. L'attribution directe des 90 % des FRDE aux communes leur permettrait de mieux financer leurs investissements avec une ressource stable complétant leur autofinancement. Tels sont les principaux éléments de l'unique amendement que j'ai déposé.

En raison de l'importance des charges spécifiques et de la faiblesse des bases d'imposition, l'octroi de mer représente une part essentielle des recettes de fonctionnement des budgets de la région et des communes. Sa prorogation est donc salutaire pour nos collectivités locales.

En ce qui concerne les communes, je m'attacherai plus particulièrement à souligner la situation préoccupante de celles des îles du sud de la Guadeloupe : Marie-Galante, les Saintes et la Désirade. Ces îles, qui pourraient être qualifiées de territoires ruraux de double insularité, sont doublement pénalisées et nos efforts pour les intégrer en zone de revitalisation rurale n'ont jusqu'ici pas eu d'écho favorable.

Les trois communes Marie-Galante ont créé la première communauté de communes d'outre-mer, afin de capter le bénéfice des politiques publiques en faveur de leur territoire et sont en passe de créer un pays de Marie-Galante, sur la base d'un projet territorial ambitieux. Mais des difficultés conjoncturelles ont provoqué un exode tel qu'elles se sont peu à peu vidées d'une part importante - et c'est un euphémisme - de leur population, entrant ainsi dans un cercle vicieux de déclin. Ces communes ont besoin d'un octroi de mer non seulement garanti, mais aussi substantiellement majoré, pour poursuivre et conforter leur projet territorial commun, et rattraper, ce faisant, leur retard sur les autres communes de l'archipel guadeloupéen. Mon amendement consacre, en Guadeloupe, une part du FRDE au financement de cet acte de solidarité envers des communes qui subissent un triple handicap par rapport au « continent » guadeloupéen - je pense essentiellement à la Grande Terre et à la Basse Terre.

Marie-Galante et les autres îles du sud ont besoin d'équipements structurants pour favoriser leur développement économique, créer de l'emploi et faire revenir la population qu'elles ont perdue au cours des dernières décennies. Vous vous êtes récemment engagée à étudier avec la plus grande attention les demandes formulées par les milieux économiques de ces îles. J'apprécie l'écoute que ceux-ci trouvent auprès des services de votre ministère, mais « un "tiens" vaut mieux que deux "tu l'auras" ».

L'occasion nous est offerte, avec l'examen de ce projet de loi, de répondre en partie aux attentes justifiées et légitimes des populations des îles du sud de la Guadeloupe. À défaut, ces îles, déclaration d'intention ou pas, demeureront une fois de plus les grandes oubliées des politiques publiques nationales, tous gouvernements et toutes majorités parlementaires confondus.

En espérant que vous y remédierez, nous voterons ce projet de loi qui s'impose à tous ceux qui sont attachés au développement des départements d'outre-mer. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme Juliana Rimane.

Mme Juliana Rimane. Monsieur le président, permettez-moi, tout d'abord, de souhaiter la bienvenue aux députés juniors de l'école Jacques Lony de Matoury, en Guyane, qui sont présents dans les tribunes. (Applaudissements.)

Je voudrais saluer l'engagement de tous les acteurs institutionnels intervenus dans le délicat dossier de l'octroi de mer et tout particulièrement le vôtre, madame la ministre. Votre ténacité et votre capacité de persuasion ont permis à la France d'obtenir de l'Union européenne une prorogation de dix ans du régime particulier de l'octroi de mer. Le présent projet de loi n'est autre que la concrétisation de cet heureux résultat. Il conduit à transposer, dans notre droit national, le nouveau dispositif d'exonération d'octroi de mer, totale ou partielle, approuvé par le Conseil européen le 10 février 2004. Je me félicite que le soutien économique aux entreprises des DOM soit maintenu et que la simplification administrative ait été prévue.

L'octroi de mer constitue, en effet, une ressource essentielle pour les collectivités locales, en tout premier lieu pour les communes, confrontées, pour une grande partie d'entre elles, à des retards d'équipements et à la faiblesse de leurs recettes fiscales. Elles doivent aussi faire face à une pression démographique importante, à des surcoûts liés à l'éloignement et, pour certaines, à un enclavement de leur territoire et à des situations sociales et sanitaires dégradées. Jusqu'à présent, les gouvernements successifs n'ont pas réussi à apporter des réponses appropriées et satisfaisantes à ces défis. Or, au cours de la même période, l'Union européenne a su prendre les mesures adaptées en faveur de nos territoires pour compenser leurs handicaps structurels, en particulier par le biais des fonds structurels et des programmes spécifiques.

La Guyane, pour sa part, doit faire face à une situation exceptionnelle, que dis-je, unique. Elle est le département qui possède les frontières terrestres les plus longues de France avec des pays non-membres de l'Union européenne : le Brésil et le Surinam, dont les niveaux de développement sont moins élevés et les politiques économiques et sociales moins généreuses. Son territoire s'étend sur près de 84 000 km2, superficie pratiquement équivalente à celle du Portugal et près de deux fois plus importante que celle de l'Estonie. Elle se caractérise également par le faible nombre de ses communes, vingt-deux, marquées, à bien des égards, par de très fortes disparités. Ainsi, le territoire de la ville de Cayenne - 24 km2 - est 765 fois moins important que celui de Maripa-Soula, la plus vaste commune de France. De plus, nombreuses sont les communes victimes d'isolement et d'enclavement. Aujourd'hui, seules treize d'entre elles sont accessibles par la route et plus de 90 % de la superficie du territoire guyanais continue de faire partie du domaine privé de l'Etat, ce qui explique évidemment la faiblesse structurelle de leurs ressources fiscales.

Par ailleurs, les aides sociales disponibles en Guyane favorisent des flux migratoires considérables, trop souvent incontrôlables et très souvent incontrôlés. Dès lors, comment s'étonner de la croissance démographique de ce département, près de treize fois supérieure à celle enregistrée en métropole ? Cette situation a pour effet d'obérer très lourdement non seulement les budgets de la politique sociale conduite par la France, mais également ceux des communes de cette France d'Amérique Latine.

Ces communes, confrontées à une accumulation de handicaps que ne connaît aucune autre région, ne peuvent assurer pleinement leur mission, d'autant qu'elles subissent, depuis longtemps, la « confiscation partielle » de leurs légitimes ressources financières provenant de l'octroi de mer.

Il est vrai qu'aujourd'hui, notre assemblée doit simplement transposer en droit français une décision communautaire, mais il m'est difficile de ne pas évoquer, d'un mot au moins, les critères d'attribution des dotations versées par l'État aux collectivités locales, guyanaises en particulier, au titre de la décentralisation.

Je me réjouis que vous ayez chargé un groupe de travail d'étudier les modalités de révision du mode de calcul des dotations versées aux collectivités locales qui, soit dit en passant, le sont souvent avec retard. En effet, ce mode de calcul est basé, pour l'instant, sur des critères exclusivement démographiques, fondés sur les résultats du dernier recensement général de la population de 1999. Or, de nombreux experts démographes contestent ces résultats, qui donnent une image inexacte de la population et de sa localisation sur le territoire. Ils critiquent également le nouveau mode de recensement de la population qui va aggraver l'inexactitude des résultats publiés. En Guyane, la marge d'erreur est particulièrement importante, de l'ordre de 40 000 personnes, en raison notamment des forts mouvements de population liés à l'immigration. Les collectivités locales doivent donc assurer les besoins de ces 40 000 personnes, non pris en compte par l'État.

Je me garderai bien d'évoquer ici l'histoire de l'octroi de mer. Elle pourrait, sans difficulté, faire l'objet d'un roman policier à rebondissements qui obtiendrait sans réserve le premier prix « Amazone » du roman-fleuve. En effet, l'octroi de mer a fait l'objet d'innombrables travaux, non seulement nationaux, de la part du Parlement ou des administrations - de l'inspection générale des finances et du ministère de l'intérieur en particulier -, mais aussi européens, sans omettre les partenaires sociaux. Il s'agit d'un vrai serpent de mer !

Mais je reviens à la situation de la Guyane. Si celle-ci est à l'évidence une exception française, elle est aussi et surtout une « exception domienne ». En effet, le conseil général de Guyane, confronté à de graves difficultés financières liées à une gestion insuffisamment rigoureuse, a bénéficié d'une disposition, aussi exceptionnelle que prétendument transitoire, prise par le Gouvernement en 1974. Pour replacer le département dans une situation financière normale, celui-ci a préféré, plutôt que de prendre les mesures adaptées relevant de la solidarité nationale, faire appel aux impécunieuses communes de Guyane en leur demandant de supporter un prélèvement de 35 % du produit de l'octroi de mer, qui leur est pourtant légalement attribué, afin de résorber le déficit du conseil général. Cette mesure, toujours applicable aujourd'hui, continue malheureusement de pénaliser très lourdement les communes les plus pauvres de France, sans permettre pour autant d'assainir significativement les finances du département.

Pour corriger cette injustice, je souhaite inviter chaque partenaire concerné à apporter sa contribution dans une juste mesure. Je conçois aisément que la conjoncture économique actuelle ne soit pas favorable à une telle démarche, mais nos concitoyens guyanais auraient vivement et chaleureusement apprécié une attitude plus solidaire, si modeste soit-elle. Pourquoi un effort national ne pourrait-il être consenti en faveur du conseil général, comme cela fut le cas, en son temps, pour le conseil régional ? Quelles mesures compensatoires pourraient être prises en faveur des communes ?

En tout état de cause, j'ai déposé un amendement visant à figer la recette du département à 35 % de la dotation globale garantie de 2003. Cela permettra de réduire progressivement les effets de cette singularité guyanaise.

S'agissant du FRDE, une fois de plus, les communes sont pénalisées, soumises quasiment à la tutelle du Conseil régional, notamment dans le choix des projets. Les communes perdant ainsi leur autonomie sont confrontées de surcroît à de graves difficultés pour monter et cofinancer un projet. Or, un volume très important de crédits affectés reste encore non consommé.

Je propose dans un amendement déposé avec plusieurs de mes collègues de verser 10 % de l'octroi de mer au FRDE, et 90 % directement aux communes. Les crédits non utilisés seront redistribués aux communes.

Je souhaite enfin que la région Guyane, à l'instar des autres régions d'outre-mer, dans un souci de solidarité, reconsidère les critères de répartition de l'octroi de mer. En effet, alors que les trois régions insulaires d'outre-mer ont mis en place un mécanisme permettant de compenser les disparités entre les communes, la région Guyane se base uniquement sur le critère de population.

Ces situations ont été régulièrement dénoncées, à la fois par mon prédécesseur à l'Assemblée nationale et par l'ensemble des maires de Guyane, malheureusement sans trouver un écho favorable. J'ose espérer, madame la ministre, que l'examen de ce texte sur l'octroi de mer soit l'occasion d'y apporter un début de réponse.

C'est grâce à un effort partagé et au sens des responsabilités de chaque partenaire que la Guyane pourra réellement s'engager sur la voie du développement (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Louis-Joseph Manscour.

M. Louis-Joseph Manscour. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ne voulant pas ménager un faux suspense, je vous dis dès à présent que je voterai le projet de loi que soumet Mme la ministre à la représentation nationale. Ce projet venant proroger l'octroi de mer dans un contexte socio-économique difficile, on ne s'étonnera pas, dès lors, qu'un élu domien soucieux de l'avenir de sa région adopte cette position.

Je souhaite, avant tout, rappeler que l'octroi de mer est, dans sa philosophie, un dispositif juste et équitable, et l'on en vient aujourd'hui à se réjouir d'obtenir ce qui nous est pourtant si légitiment, et si justement dû. Bien que les premières traces de l'octroi de mer remontent au xviie siècle, les handicaps structurels de nos régions n'ont cessé de justifier des règles spécifiques, tenant compte de nos caractéristiques et de nos contraintes particulières. Il suffit pour s'en convaincre de se référer au climat socio-économique tendu qui existe actuellement dans nos régions d'outre-mer, notamment à la Martinique. Les faillites et liquidations d'exploitations agricoles, d'entreprises commerciales, artisanales et touristiques se succèdent au tribunal de commerce de Fort-de-France, avec leurs cortèges de licenciements. De plus, de-ci, de-là, des mécontentements s'expriment, face à certaines réformes et certaines restrictions budgétaires, et les collectivités décentralisées elles-mêmes connaissent des difficultés croissantes.

Dans ce contexte difficile, l'octroi de mer nous permet, d'un côté de compenser dans les DOM la non-compétitivité de nos très petites entreprises, et de l'autre de donner à nos collectivités des ressources leur permettant de parvenir à leur équilibre budgétaire. Ainsi, l'octroi de mer représente pour nos départements un régulateur économique - en protégeant notre production locale - mais également la ressource principale de nos collectivités territoriales. Ainsi, en Martinique, l'octroi de mer représente en moyenne 45 % des recettes fiscales de nos communes. Vous comprendrez donc, madame la ministre, mes chers collègues, que l'on ne puisse que se réjouir de la prorogation de l'octroi de mer.

Mais peut-on pour autant s'en satisfaire ? Je ne le crois pas, et pour plusieurs raisons. Je voterai, certes, ce projet de loi mais je le ferai en exprimant certains regrets, et en espérant certaines évolutions. S'il faut saluer, madame la ministre, le travail que vous avez effectué en concertation avec les présidents de région, pour que soit maintenu l'octroi de mer en faveur de nos régions, je voudrais aussi rendre hommage à l'un de vos prédécesseurs, Louis Le Pensec, ministre des DOM-TOM de 1988 à 1993.

Aujourd'hui, il ne nous est pas proposé d'améliorer le dispositif sur l'octroi de mer, mais simplement de le prolonger, et donc d'agir sur le moyen terme. Au moment de l'intégration de nouveaux États dans l'Union européenne, il eût été souhaitable de mener une réflexion plus approfondie sur la fiscalité applicable en outre-mer.

D'autant que les dispositions du traité d'Amsterdam nous le permettent. En effet, ce traité reconnaît expressément, en son article 299, paragraphe 2, l'existence de handicaps propres aux régions ultrapériphériques. Cette reconnaissance a d'ailleurs été consacrée dans le projet de traité établissant une Constitution pour l'Europe, à l'article III-330 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union : « Compte tenu de la situation économique et sociale structurelle des départements français d'outre-mer, qui est aggravée par leur éloignement, l'insularité et leur faible superficie, le relief et le climat difficiles, leur dépendance économique vis-à-vis d'un petit nombre de produits, facteurs dont la permanence et la combinaison nuisent gravement à leur développement (...) ». L'Union européenne admet ainsi qu'elle est tenue d'adapter, notamment en matière fiscale, ses politiques à ces mêmes régions et ce aussi longtemps que leurs handicaps structurels de développement seraient constatés. Par conséquent, l'article 299, paragraphe 2, qui ne nous enferme dans aucune temporalité, est plus favorable que la prorogation pour dix ans du dispositif sur l'octroi de mer.

Il eût peut-être été bon de faire mention de l'article 299-2 du traité d'Amsterdam dans le préambule et dans les visas de la loi qui nous est proposée. L'enjeu est, en effet, considérable, puisque ces dispositifs ont le mérite d'enrichir une doctrine européenne pour le développement des DOM-TOM et, au-delà, des RUP de l'Union européenne. Et c'est bien de développement constant qu'ont besoin ces territoires, et non de « coups de pouce » périodiques.

Sur le fond, madame la ministre, je note des améliorations sensibles touchant à la codification de l'octroi de mer et à l'harmonisation d'un territoire fiscal regroupant la Martinique et la Guadeloupe, qui forment désormais, un « marché antillais », ce que j'approuve. Cependant, je ne peux passer sous silence les dispositions de l'article 43, qui permet à l'État de prélever 2,5 % des recettes d'octroi de mer pour, dit-on en jargon fiscal, « frais d'assiette et de recouvrement ». En d'autres termes, ce prélèvement automatique et mécanique permet de payer les services des douanes de l'État. Ces dispositions sont, à mon sens, critiquables sur deux points. D'abord parce que les sommes en question, qui s'élèvent pour 2003 à 19 millions d'euros, dépassent largement lesdits « frais d'assiette et de recouvrement » et que, de la sorte, l'État se sert - pardonnez-moi l'expression - sur le dos des collectivités d'outre-mer. De plus, le taux de 2,5 % n'a pas été modifié entre la loi de 1992 et le projet de loi de 2004, alors que de nouvelles charges ont été, comme vous le savez, transférées aux collectivités locales et que des ressources supplémentaires seront donc nécessaires pour leur permettre de faire face à ces nouvelles charges.

Mes collègues Victorin Lurel, Christophe Payet et moi-même avons déposé un amendement en ce sens, proposant de porter ce taux 1,5 %, permettant ainsi aux collectivités locales de récupérer des fonds pour faire face à leurs nouvelles responsabilités.

En conclusion, madame la ministre, je voterai ce texte, car il y va du développement même de nos régions et de leur capacité à faire face aux nouveaux défis qui pointent à l'horizon, tant pour nos entreprises que pour nos collectivités.

M. Victorin Lurel. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Alfred Marie-Jeanne.

M. Alfred Marie-Jeanne. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, face à la détermination intransigeante de la Commission européenne de modifier coûte que coûte le régime de l'octroi de mer, il a fallu décréter la mobilisation générale, pour éviter le démantèlement qui était à craindre.

Ce régime, sensible au regard du droit européen, complexe dans son application, est par contre vital pour les régions concernées, car source de ressources et de protection légitime pour elles.

Aussi mon intervention abordera-t-elle deux volets : le principe de l'octroi de mer d'une part, sa mise en œuvre en raison du contexte juridique d'autre part.

Pour ce qui est du principe, le 10 février 2004, le conseil des ministres de l'Union européenne a décidé de maintenir le dispositif existant, globalement réaménagé. Cette décision confirme enfin la reconnaissance de cette fiscalité comme un instrument clé du développement des micro-économies de Guadeloupe, de Guyane, de Martinique, et de la Réunion. C'est la prise en compte a minima de nos réalités face aux contraintes européennes.

En effet, les différentes études réalisées ont démontré que l'octroi de mer n'a pas ralenti le développement du flux de marchandises à destination de la Martinique. Sur les dix dernières années, les importations en provenance singulièrement de la France et des autres pays de l'Union ont augmenté en moyenne de 5 % en volume par an. Sur cette période, et en dépit du maintien de nos productions, le déficit de la balance commerciale s'est aggravé.

Concernant la Martinique, sa superficie est équivalente à 0,2 % de celle de la France alors que son produit intérieur brut ne représente que trois millièmes de celui de cette dernière. Ces données infinitésimales concernent une comparaison avec un seul État membre. Qu'en serait-il alors si le comparatif était rapporté à la totalité des pays membres de l'Union Européenne ? L'octroi de mer n'a pas altéré les échanges en défaveur de l'Europe, loin de là, et l'argument tiré de l'entrave au commerce intracommunautaire n'emporte donc plus la conviction, eu égard à la modestie de l'économie de nos régions.

Le poids relatif de l'octroi de mer dans le prix de vente au détail était également incriminé. Or, l'évolution des prix demeure bien souvent en deçà des niveaux observés en France. Sur l'année 2002, par exemple, les prix ont augmenté de 2,2 % en Martinique, et de 2,3 % en France. L'octroi de mer n'est donc pas facteur systématique d'inflation. Cette deuxième critique tombe également d'elle-même, à mon grand soulagement.

En outre, confrontées à de nombreux surcoûts - fret, équipement, stockage -, les petites unités, représentant plus de 94 % des entreprises, succomberaient sans l'existence des différentiels de taux.

Dans certains cas, ces différentiels ne rétablissent qu'en partie les conditions de concurrence. L'octroi de mer ne génère donc pas forcément des situations de rente pour la production.

De surcroît, le taux de valeur ajoutée des entreprises serait, en l'absence de l'octroi de mer, nettement inférieur à celui de la France. Il ressort que la part de soutien effectif lié à l'octroi de mer dans la valeur ajoutée des entreprises martiniquaises serait de l'ordre de 31,81 %.

L'octroi de mer est donc indispensable à l'existence d'un tissu productif.

Enfin, la politique d'exonération ciblée de l'octroi de mer pour les productions joue un rôle non négligeable dans le développement et le maintien de certaines activités.

Venons-en à présent à la mise en œuvre. Devant de telles réalités, le bien-fondé de cette fiscalité dérogatoire n'aurait jamais dû être contesté, vu son incidence dérisoire sur le commerce intracommunautaire.

Cette fiscalité dérogatoire inoffensive était parfaitement adaptée à nos besoins. Pourquoi alors fallait-il impérativement la transformer une fois de plus ? En somme, on nous a demandé de nous conformer au lieu de confirmer nos spécificités, qui demeureront immuables.

En sus, ce certificat de conformité du 10 février 2004 n'est valable que pour dix ans. Plus le temps passe et plus l'octroi de mer est dénaturé. En effet, les transformations juridiques, depuis la décision du Conseil des Communautés européennes du 22 décembre 1989, ont servi à fortement moduler la fonction initiale de l'octroi de mer, qui était de soutenir la production endogène.

D'une taxe indirecte touchant les produits importés, on est passé insensiblement à une fiscalité frappant, depuis 1992, les produits fabriqués sur place.

Ce basculement d'une logique dite douanière à une logique purement fiscale n'a pas été sans conséquence sur l'économie des régions intéressées.

C'est ainsi qu'au plan politique, la marge de manœuvre des conseils régionaux s'est considérablement réduite au fil du temps. Cette érosion de leur autonomie fiscale, ajoutée aux incertitudes et aux ambiguïtés permanentes sur le régime, a nourri un contentieux abondant.

Dans ce contexte, certains opérateurs économiques sans scrupules n'ont pas hésité à réclamer le remboursement de la taxe.

Aujourd'hui, plusieurs millions d'euros seraient en jeu alors même que la preuve de la répercussion de l'octroi de mer sur le consommateur serait avérée.

À cet égard, dois-je rappeler que, conformément à l'arrêt Comateb du 14 janvier 1997, un État membre peut s'opposer au remboursement d'une taxe perçue en violation du droit communautaire, lorsqu'il est établi que la totalité de la charge de la taxe a été supportée par une autre personne. Ce remboursement constituerait un enrichissement sans cause pour le réclamant qui se verrait rembourser deux fois.

Dans un autre cas, l'opérateur peut décider de son plein gré de ne pas répercuter la taxe qu'il juge indue, préférant saisir directement la justice pour remboursement.

Ces situations méritaient d'être évoquées pour clarification.

En conclusion, il était de mon devoir d'émettre quelques réserves sur la politique mouvante de la Commission européenne sur ce dossier. Il est temps de ne plus y toucher si chaque retouche consiste à déposséder un peu plus l'institution régionale de ce qui constituait au départ son attribut essentiel de développement.

Grâce à l'effort conjugué de tous, l'essentiel semble avoir été sauvegardé pour un temps. Madame la ministre, j'apporterai mon soutien à ce projet, qui mérite toutefois d'être amendé.(Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Mme Huguette Bello. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Alfred Almont.

M. Alfred Almont. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi qui est aujourd'hui soumis à l'examen de l'Assemblée me paraît dans l'ensemble très satisfaisant. De mon point de vue, il répond tant aux attentes des collectivités locales des départements d'outre-mer qu'à celles des milieux économiques locaux avec lesquels j'ai eu à m'entretenir longuement de l'évolution de cette question.

L'octroi de mer est d'une importance considérable, en effet, pour le développement de l'outre-mer, caractérisé, on le sait, par la faiblesse des bases d'imposition et le poids des charges spécifiques. Il est important notamment en ce qu'il procure aux collectivités locales les moyens de réduire leur dépendance grâce à des outils financiers désormais reconnus leur permettant d'intervenir directement et de manière autonome au service de ce développement.

Ce dispositif substantiel est de nouveau maintenu grâce à la vigilance de la France à l'heure où l'on sait qu'elle n'est pas seule à décider. Nous voilà donc au terme d'une procédure qui aura duré plus d'une année, la décision nationale devant maintenant intervenir et être actée aussi rapidement que possible sur un sujet dont chacun aura pu mesurer à la fois l'importance mais aussi la difficulté de le faire aboutir au plan communautaire.

Ce projet de loi porte application de la décision du Conseil des ministres des Communautés européennes du 10 février 2004, qui proroge la décision du 22 décembre 1989.

La décision du Conseil du 10 février dernier reconduit pour dix ans le régime de l'octroi de mer en confirmant les possibilités pour les productions des départements d'outre-mer, répertoriées dans les annexes de la décision, de bénéficier de l'exonération totale ou partielle de l'octroi de mer en compensation des surcoûts qui caractérisent nos régions et, naturellement, pénalisent leurs productions.

Cette décision consacre bien - faut-il le souligner ? - un nouveau régime d'exonération basé sur une logique de compensation des surcoûts de la production des DOM, par des écarts de taux d'octroi de mer entre produits importés et produits locaux.

Ces surcoûts résultent à l'évidence des handicaps structurels, et donc invariables, qui pèsent sur nos économies ultrapériphériques et dont les principaux sont très précisément mentionnés à l'article 299, paragraphe 2, du traité d'Amsterdam. Ils ont été clairement rappelés tout à l'heure et ce n'était pas inutile à l'heure de l'élargissement.

Une description détaillée et objective des conséquences de ces handicaps pour les entreprises des DOM est donnée dans les considérants 7 à 13 de la décision du Conseil, considérants qui constituent en eux-mêmes un véritable plaidoyer pour qu'interviennent des mesures de compensation de nature à permettre de rétablir une certaine compétitivité des productions des DOM par rapport aux productions d'autres origines non exposées à ces handicaps.

Madame la ministre, j'entends saisir l'occasion de cette discussion pour me réjouir de la clairvoyance que manifeste ainsi le Conseil de l'Union européenne dans la reconnaissance effective des difficultés spécifiques qui contraignent les économies des départements d'outre-mer, tendance qui d'ailleurs s'affirme fort heureusement au fil du temps. Nous serons attentifs à cette indispensable évolution qui suppose la vigilance du gouvernement de la France. Il s'agit de faire en sorte que l'article 299, paragraphe 2, du traité d'Amsterdam soit vraiment pour nos régions d'outre-mer le droit commun permettant de réelles exceptions au droit communautaire tant que ces régions n'auront pas atteint le niveau moyen de développement de l'Union. Il faut donc retenir l'utilisation de critères qui correspondent davantage à leurs réalités profondes que celui purement statistique du PIB par habitant.

C'est d'ailleurs la démarche qui a été impulsée au plan national avec la loi de programme pour l'outre-mer, une démarche à laquelle il conviendra de faire généralement référence lorsque, le moment venu, il s'agira de prendre ou de maintenir des mesures spécifiques, différenciées, pouvant permettre à nos régions d'outre-mer de rattraper, dans les meilleures conditions, leur retard en matière de développement économique et social.

Le présent texte vise en conséquence à adapter la loi du 17 juillet 1992 à cette nouvelle décision du Conseil, en instaurant un régime rénové de l'octroi de mer dans les départements d'outre-mer tout en confortant la double fonction économique qu'il revêt et qui consiste, d'une part, à assurer une recette fiscale locale essentielle aux collectivités des départements d'outre-mer, et, d'autre part, à favoriser le développement du secteur productif des départements d'outre-mer en compensant, par la mise en œuvre d'un différentiel de taxation entre produits importés et produits locaux, les surcoûts qui affectent lourdement leurs productions.

Le titre Ier du projet de loi décrit parfaitement les conditions d'application du régime de taxation de l'octroi de mer quant au champ d'application, à l'assiette, aux taux et aux modalités de recouvrement.

Les possibilités pour les conseils régionaux d'exonérer de l'octroi de mer les productions locales sont conservées en ce qui concerne tant l'exonération des matières premières et des équipements industriels que celle des produits finis. À cet égard, rappelons que seule l'exonération des produits finis fabriqués dans les DOM est concernée par la nouvelle décision du Conseil.

L'article 1er, paragraphes 2 et suivants, de la décision, qui constitue le cœur même du nouveau principe d'exonération totale ou partielle de la production des départements d'outre-mer agréée par Bruxelles, est repris dans les articles 28 et 29 du texte que nous examinons. Ces articles traduisent la nouveauté essentielle apportée par la réforme à la loi précédente de juillet 1992. En particulier, la liste des produits résultant d'une production locale et pouvant bénéficier d'une exonération d'octroi de mer est prédéterminée et répartie en trois groupes. L'article 28, notamment, qui concerne les entreprises de production locale dont le chiffre d'affaires est égal ou supérieur à 550 000 euros, retranscrit assez fidèlement l'article 1er, paragraphe 2, de la décision qui définit trois listes de produits d'ailleurs repris dans les annexes A, B et C de cette décision.

Pour chacun des produits figurant dans ces annexes sont autorisés des écarts de taux d'octroi de mer maximum entre produits importés et produits locaux équivalents, soit 10 % pour les produits de la liste A, 20 % pour les produits de la liste B, 30 % pour les produits de la liste C.

S'agissant de ce titre Ier du projet de loi, je voudrais cependant formuler deux observations.

D'abord, on peut constater que pour ce qui est de l'assiette de taxation des produits locaux, la réfaction de 15 % d'assiette qui existe dans la loi de juillet 1992 est supprimée. Cela ne présente d'inconvénient pour les entreprises locales qu'à condition naturellement que les conseils régionaux des DOM acceptent de diminuer le taux de taxation des produits locaux pour compenser la disparition de la réfaction de 15 % de l'assiette. Dans le cas contraire, la suppression de cette réfaction d'assiette conduirait à un surcoût fiscal pour l'entreprise par rapport à la situation actuelle.

Par ailleurs, l'article 30 instaure l'obligation pour les conseils régionaux, d'une part, de déterminer les taux de taxation « en fonction des handicaps que supportent les productions locales » et, d'autre part, d'adresser chaque année au représentant de l'État un rapport sur « la mise en œuvre des exonérations pendant l'année précédente ».

Cela constitue une exigence nationale qui peut paraître contraignante par rapport à la décision du Conseil, qui ne prévoit, dans son article 4, qu'un rapport au 31 juillet 2008, c'est-à-dire au bout de quatre ans, cela alors même qu'un important travail de contrôle des mesures a été fait conjointement entre notre gouvernement et les autorités communautaires. Par ailleurs, les listes de produits répertoriées dans les annexes de la décision et les écarts maximaux de taux autorisés pour chaque produit fournissant par eux-mêmes « les règles du jeu » dans la détermination des taux d'octroi de mer, il ne paraît guère utile que le texte national aille, à ce point, au-delà des exigences communautaires.

Le titre II du projet de loi définit, quant à lui, l'affectation du produit de l'octroi de mer dont les modalités restent assez semblables aux modalités actuelles, à l'exception du FRDE dont le principe est conservé mais dont la liste des attributaires possibles est élargie pour améliorer encore la consommation de ce fonds. Il paraît en effet souhaitable de favoriser davantage l'investissement des communes pour mieux atteindre les objectifs en termes de développement et d'emploi portés par ce fonds, et garantir ainsi la rigueur qui doit prévaloir quant à son affectation. N'oublions pas qu'il s'agit avant tout, à travers le FRDE, de promouvoir l'implantation d'entreprises et, au-delà, l'emploi pour nos populations qui en ont tant besoin.

Enfin, le titre III du projet de loi consacré aux « dispositions finales » ne soulève pas d'observations particulières de ma part.

Dans ces conditions, madame la ministre, je voudrais insister sur l'intérêt d'adopter sans délai ce texte, que nous allons enrichir encore par nos amendements. Il s'agit d'assurer l'entrée en vigueur du dispositif dès le 1er août prochain, comme le prescrit la décision du Conseil.

J'entends naturellement exprimer ici ma gratitude pour le travail réalisé au cours des derniers mois, en liaison avec les conseils régionaux des DOM certes, mais sous l'impulsion énergique du Gouvernement et du ministre. Ils ont su faire valoir la référence à la notion de « handicaps permanents » pour aboutir au résultat obtenu aujourd'hui à travers un dispositif qui satisfait très largement les acteurs politiques et économiques régionaux. Ce dispositif ne protège pas contre la concurrence de produits importés mais compense des surcoûts afin de favoriser, par la production, le vrai développement économique et social qui, pour longtemps encore, va constituer pour nos régions d'outre-mer le véritable enjeu. Je voterai, bien évidemment, ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Edmond-Mariette.

M. Philippe Edmond-Mariette. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la taxe baptisée octroi a une histoire, qui n'est pas que domienne.

Nous sommes en 1785 et les fermiers généraux font édifier les murs permettant de constituer barrière pour mieux percevoir l'octroi de Paris. Beaucoup de parisiens se répandent en critiques et en murmures, et cela se résume en une boutade : « Le mur murant Paris rend Paris murmurant ». (Sourires.)

Supprimée un temps, rétablie en un autre, cette taxe était perçue par la ville de Paris sur certains biens et marchandises de consommation courante et ensuite répercutée sur le prix de vente aux particuliers.

Le syndic Vialatte, chargé de présenter requête à l'Évêque de Cahors, revenant de Paris, allait tenir ce propos : « Ils mangent avant de rentrer en ville pour ne pas payer l'octroi ». (Sourires.)

Cette fiscalité fit la fortune des entrepreneurs de guinguettes, et ce d'autant qu'à l'annexion des communes suburbaines, en 1860, la limite fut repoussée aux fortifications, et la zone de perception des droits Nation - Étoile s'en trouva considérablement agrandie.

En dépit des fraudes des négociants et des critiques très vives des économistes, l'octroi qui apportait une contribution significative au budget de la commune se perpétua jusqu'en 1943.

On comprend mieux dès lors pourquoi, dans les DOM, cette taxe tire son origine d'un « droit de poids », existant depuis 1670, transformé par l'ordonnance coloniale du 1er mars 1819, puis par le sénatus-consulte de 1866, en « octroi aux portes de mer », à caractère d'imposition coloniale.

Ce droit de consommation est maintenu par la loi de départementalisation de 1946, puis consacré par la loi du 2 août 1984.

Mais au contraire de sa définition première, l'octroi dont nous débattons ne constitue ni une concession, ni une faveur, encore moins une grâce pour l'outre-mer.

En réalité, si cette taxe a résisté à toutes les attaques, c'est parce que son fondement économique s'impose naturellement et dépasse par son impérieuse nécessité les clivages habituels de notre hémicycle.

En effet, comment apporter des ressources aux collectivités locales ultramarines et soutenir les entreprises locales d'une économie dépendante sans l'octroi de mer ?

Aujourd'hui plus qu'hier, nous connaissons les difficultés de trésorerie de l'État et les contraintes budgétaires qui pèseront de nouveau lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2005. Quelques voix ici ou là récidivent dans la recherche de niches fiscales, persuadées que les chandelles - même consumées - brûlent encore, donnant ainsi d'économes ressources.

Pour tous et plus particulièrement pour ceux-là, il convient de rappeler que la Commission européenne a depuis longtemps fait le constat de la situation économique dégradée des DOM et a ainsi justifié le soutien qu'il convient d'apporter aux économies domiennes.

Aux contraintes géographiques des DOM, liées à l'insularité, à la situation archipélagique de certains, aux problèmes de densité de population, de climat, de sismologie, il convient d'ajouter les handicaps économiques liés à l'étroitesse du marché, à la faiblesse de l'activité industrielle, au surcoût des intrants, des matières premières et de la maintenance ainsi qu'à l'obligation de maintenir des stocks élevés.

Dès lors, l'octroi de mer constitue un dispositif indispensable, qui vient alimenter le budget des collectivités locales et qui contribue au développement économique des DOM, sans pour autant nuire à l'équilibre du marché intérieur.

Force est de reconnaître que l'octroi est souvent la première ressource financière d'un grand nombre de communes et que son produit dépasse largement celui de la taxe d'habitation.

Enfin, son importance économique ne peut être niée puisque qu'il est directement injecté dans l'économie locale, notamment par la commande publique, au bénéfice pour une grande part des entreprises locales, mais aussi et surtout des communes, dont la plupart sont aujourd'hui dans une situation financière difficile, voire quelquefois critique, surtout au titre de leur fonctionnement, du fait d'une difficulté majeure que nous connaissons tous, la titularisation des agents communaux. J'ajoute que la balance commerciale des DOM est structurellement déficitaire.

En outre, les DOM constituent un marché idéal d'exportation et sont très souvent le lieu d'écoulement privilégié de stocks ou de fins de série, vendus à prix bradés, facilitant ainsi une très vive concurrence qui met à mal les producteurs locaux.

Il me plaît de citer à cette tribune un ancien Premier ministre de la République, actuellement député européen, qui indiquait à propos des DOM-TOM : « Mon sentiment profond est que l'avenir des DOM-TOM dépend de leur capacité d'autonomie économique ». Il ajoutait : « A ce propos, il y a une bataille à mener contre les "gangs des importateurs" qui empêchent le développement local. Par exemple, des jus de fruits sont importés, ce qui décourage les industries de transformation locale. C'est un assassinat méthodique des DOM-TOM ».

Enfin, puisque tous ici nous sommes conscients de l'importance de l'épineuse question de la continuité territoriale, il convient de rappeler que le transport pour les entreprises des DOM se traduit par un surcoût, de sorte que le ratio coût du transport - valeur de la marchandise impose un supplément de près de 25 % sur le prix de vente.

Dès lors, nul ne peut nier l'intérêt et l'obligation de tout faire pour que soit maintenu l'octroi de mer au profit des régions ultramarines.

Trois critiques ont de tout temps été relevées à l'encontre de cette taxe : on craignait qu'elle soit équivalente à un droit de douane ; le droit additionnel à l'octroi de mer avait été mis en place et instauré sans que le Conseil européen ne se prononce ; enfin, la faiblesse des vérifications et contrôles de l'État rendait difficile la gestion et le contrôle du prélèvement.

Le texte qui nous est proposé aujourd'hui est un texte de transposition. Compte tenu de l'obligation imposée par le calendrier et de l'intérêt de ce dispositif vital pour nos régions, je suis prêt à voter ce texte qui préserve l'existence même, le dynamisme, voire l'ingéniosité de la production locale.

Ce texte est indispensable pour apporter un nouveau souffle aux collectivités locales, car il faut veiller à ce que les communes dont la ressource financière est quasi inexistante et les capacités d'autofinancement faibles retrouvent leur équilibre et des crédits budgétaires satisfaisants.

Toutefois, j'attends de ce débat qu'il apporte ajustements et améliorations au dispositif pour assurer à nos communes un développement durable.

Il nous faut, dans les DOM, préserver le fragile équilibre entre le rural et l'urbain et veiller à conserver les équipements des communes les moins peuplées pour répondre aux objectifs de cohésion sociale.

Dès lors, pour nous les ultramarins, cet outil fiscal renouvelé renforcera la construction de nos économies et confortera l'idée que nos entreprises industrielles locales ont un véritable avenir, car demain, lorsque le texte sera adopté, elles ne prendront pas l'eau mais pourront être pérennes grâce à l'octroi de mer.

J'attends de ce débat que chacun fasse preuve non seulement de détermination, mais aussi d'humilité quant aux choix qui devront être faits, car comme l'écrivait Jules Renard dans son Journal : « Le projet est le brouillon de l'avenir. Parfois il faut à l'avenir des centaines de brouillons ». (Applaudissements sur divers bancs.)

M. le président. Bravo, monsieur Edmond-Mariette.

La parole est à Mme Gabrielle Louis-Carabin.

Mme Gabrielle Louis-Carabin. Madame la ministre, monsieur le président, mes chers collègues, la réforme de l'octroi de mer qui vient en discussion aujourd'hui vise à maintenir un régime fiscal essentiel pour la Guadeloupe et les trois autres départements d'outre-mer.

Avant de poursuivre, je voudrais rendre hommage à l'ancien exécutif de la Guadeloupe et le féliciter, ainsi que les fonctionnaires qui étaient chargés de ce dossier.

La réforme de l'octroi de mer transcrit dans le droit national français le dispositif établi au mois de février 2004 par le Conseil européen.

Ce dispositif correspond à une volonté du Gouvernement de M. Jean-Pierre Raffarin, et il a été initié par vous, madame la ministre. Je salue ici la large concertation menée entre le ministère de l'outre-mer, celui des finances, les présidents des conseils régionaux et les acteurs socio-professionnels. Cette concertation traduit la volonté affirmée d'établir le meilleur compromis, dans l'intérêt des nos compatriotes.

Ce projet de loi va permettre de préserver une source de recettes indispensable pour les collectivités de la Guadeloupe et des autres départements. Il met fin à l'incertitude qui pesait depuis 2002 sur l'avenir du régime de l'octroi de mer, que le précédent gouvernement s'était contenté de reconduire, préférant certainement ne rien faire plutôt que rechercher l'efficacité. L'année 2002 annonçait la mort d'un outil efficace de développement, qui méritait d'être optimisé plutôt que supprimé.

Une fois de plus, madame la ministre, votre action le prouve, l'efficacité a pris le pas sur l'immobilisme. Un nouveau cadre juridique clarifié est défini, qui conforte pour dix ans la sécurité juridique d'un dispositif qui a déjà souffert d'un important contentieux, portant notamment sur sa nature juridique. Je regrette que la durée d'existence du régime d'octroi de mer ne soit pas la même que celle de la loi programme, car les effets couplés de ces deux dispositifs sur une même durée auraient été bénéfiques.

Il paraît souhaitable de pérenniser ce dispositif, car les handicaps structurels importants de la Guadeloupe, liés en particulier à l'éloignement de nos régions et à leur caractère archipélagique, handicaps qui créent une certaine dépendance économique, existeront toujours.

Outil de fiscalité locale, l'octroi de mer constitue un soutien économique pragmatique au développement de la Guadeloupe. Sa suppression aurait des conséquences néfastes sur le tissu économique de l'ensemble des départements, sur lesquels pèsent des handicaps structurels importants reconnus par l'Union européenne.

Si certains ne perçoivent l'octroi de mer que comme un instrument protectionniste, il est important de rappeler son poids dans l'économie des départements de l'outre-mer : le produit de l'octroi de mer, en 2003, représente à lui seul 615 millions d'euros ; quant au droit additionnel à l'octroi, il atteint 140 millions d'euros. Comme le montrent ces chiffres, il s'agit donc bien d'une ressource essentielle. Elle est indispensable, pour nos collectivités locales comme pour nos entreprises.

En représentant 41 à 47 % des recettes fiscales du budget des communes, l'octroi de mer leur permet de participer activement à la dynamisation du tissu économique et social. En Guadeloupe, les communes assument ainsi un rôle important dans l'économie locale, rôle qu'il convient de renforcer en améliorant le dispositif du fonds régional pour le développement et l'emploi prévu à l'article 48 du projet de loi.

L'octroi de mer représente également un soutien important pour la production locale, en permettant aux entreprises de faire face à la concurrence externe par le biais d'exonérations totales ou partielles d'octroi de mer pour les produits locaux, les importations de produits de même nature restant taxées.

L'appui de l'octroi de mer s'avère nécessaire dans les secteurs moteurs pour l'économie de la Guadeloupe, tout particulièrement les secteurs qui sont créateurs d'emplois. Au-delà de sa dimension fiscale, l'octroi prend donc une dimension sociale importante.

Madame la ministre, optimiser ce dispositif c'est aussi faire du « sur-mesure », pour des communes de Guadeloupe particulièrement touchées par les inconvénients de l'insularité, telles la Désirade, Marie-Galante ou les Saintes. II s'agit de les doter d'une partie du produit de l'octroi de mer dont bénéficient déjà d'autres collectivités insulaires soumises à un régime d'exonération fiscale particulier et qui ont choisi, le 7 décembre 2003, de faire évoluer leur statut : comme on le sait, Saint-Martin et Saint-Barthélémy bénéficient du produit de l'octroi de mer alors qu'elles sont exonérées de cette taxe. Mon collègue Beaugendre et moi-même aurons l'occasion de revenir sur le sujet lors de l'examen des articles du projet de loi qui doit régir ces nouvelles collectivités.

Madame la ministre, les efforts entrepris pour maintenir le régime de l'octroi de mer sont l'illustration vivante de votre courage, de votre efficacité, et de votre volonté d'œuvrer de manière efficace à la défense des intérêts de mes compatriotes. Sachez, madame la ministre, que mon soutien vous est acquis. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme Huguette Bello.

Mme Huguette Bello. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, une fois de plus ce vieil impôt qu'est l'octroi de mer va être réformé. « Droit de poids » en 1670, « octroi aux portes de mer » à partir de 1819, « octroi de mer » enfin depuis le milieu du xixsiècle, cet impôt, survivant aux vicissitudes de l'histoire, a traversé tous les régimes politiques sous des appellations différentes, et constitue désormais le dernier impôt communal indirect du système fiscal français.

Mais depuis 1989, il se trouve constamment menacé par les institutions européennes, qui voient en lui une entrave au principe de la libre circulation des marchandises et une atteinte à l'unicité du territoire douanier communautaire. L'octroi de mer fait l'objet de plaintes récurrentes devant la Cour de justice des Communautés européennes ; ces plaintes ont fourni au juge communautaire l'occasion de développer la notion de « frontière régionale douanière ».

A une logique de protection de plus en plus dénoncée, le Conseil, par sa décision du 10 février 2004, a souhaité substituer celle de compensation des surcoûts engendrés par l'ultrapériphéricité, telle qu'elle est reconnue par l'article 299, paragraphe 2, du traité de l'Union.

Impôt le plus ancien, l'octroi de mer est sans doute aussi celui qui a le plus d'incidence sur l'ensemble des départements d'outre-mer. Du fait de ses modalités de prélèvement et en raison des affectations de la ressource collectée, cet impôt, d'une façon ou d'une autre, concerne tout le monde.

Et d'abord les collectivités locales. En effet, conformément à l'objectif qui lui a été assigné il y a plus de deux siècles, le produit de l'octroi de mer alimente les budgets des communes des départements d'outre-mer, dont il constitue même la recette principale. La loi du 17 juillet 1992, qui modifie le régime juridique de l'octroi de mer en étendant son application aux biens produits localement, a affecté le produit de la taxe non distribué aux communes à une nouvelle destination. Elle sert aussi désormais à financer le fonds régional pour le développement et l'emploi, le FRDE, créé dans chacune des régions d'outre-mer. Inscrites au budget des régions, les sommes collectées sont destinées, selon les termes de l'article 18, alinéa 2, « aux aides des communes en faveur du développement économique et de l'emploi dans le secteur productif et réservées aux investissements ». Depuis plusieurs années l'utilisation de ces fonds fait régulièrement débat : les comptes rendus des débats des collectivités concernées, voire de notre assemblée, en rendent largement compte. On verra que l'examen de ce projet de loi n'y échappe pas.

À côté des communes et des régions, les entreprises locales sont tout aussi concernées, puisque, en ne frappant que les produits importés et en exonérant les produits locaux depuis 1992, cet impôt a pour objectif de protéger la production locale. Il est d'ailleurs admis que c'est grâce à cet impôt que l'ensemble du tissu industriel des départements d'outre-mer résiste, pour une large part, à la concurrence des produits importés. C'est précisément ce rôle d'instrument de protection qui est constamment critiqué et qui est à l'origine des différentes réformes.

Moyen de développement des collectivités territoriales et de protection des économies locales, l'octroi de mer concerne aussi directement les populations des départements d'outre-mer. A l'image de la TVA, il s'agit en effet d'un impôt supporté au bout du compte par le consommateur final, quel que soit son niveau de revenus. Ainsi une modification du taux de l'octroi de mer a un impact direct sur le niveau des prix et sur le pouvoir d'achat des ménages.

On aura compris que, loin de se résumer à un problème de spécialistes et de techniciens, la réforme de l'octroi de mer conduit à intervenir au cœur même du fonctionnement des sociétés ultramarines. Et c'est précisément parce que cet impôt est un enjeu politique, économique et social que je souhaite, madame la ministre, vous poser un certain nombre de questions sur le projet de loi qui nous est proposé. Cela étant, j'ai bien conscience de la faible marge de manœuvre de notre assemblée, puisqu'il s'agit surtout de la transcription dans le droit national d'une décision du Conseil européen, et que, de plus, le temps nous est compté, puisque la réforme doit entrer en vigueur le 1er août.

Ma première interrogation porte sur le nouveau dispositif qui sera appliqué aux entreprises de production dont le chiffre d'affaires annuel est inférieur à 550 000 euros ; celles-ci représentent, on le sait, la grande majorité des entreprises d'outre-mer. Or, contrairement à ce qui se passe actuellement, elles seront désormais assujetties sans exception à l'octroi de mer et devront, pour être exonérées, se déclarer auprès des douanes. Ces nouvelles formalités risquent de compliquer singulièrement le fonctionnement de ces petites structures, notamment dans le secteur agricole ou artisanal. Est-il envisagé de leur apporter une assistance, ou de réduire, autant qu'il est possible, les démarches qu'elles devront exécuter, dans la logique de la réforme en vue de la simplification administrative ?

Ma deuxième interrogation porte sur les écarts de taux, particulièrement lorsqu'il s'agit de productions non listées. Il est à craindre que l'écart de taxation de cinq points ne soit pas suffisant pour que ces produits, dont on ignore même le nombre aujourd'hui, puissent faire face à une éventuelle concurrence extérieure.

Par ailleurs, ce faible écart ne risque-t-il pas aussi d'entraver l'apparition et surtout la production de nouveaux produits ? Ce risque est d'autant plus fort que la nouvelle procédure prévue par l'article 3 de la décision du Conseil est moins souple et moins rapide que celle qui est en vigueur aujourd'hui. En effet, au terme de la décision de 1989, les projets d'exonération devaient être soumis à la Commission. Celle-ci devait se prononcer dans un délai de deux mois, à défaut de quoi le projet était réputé approuvé. Avec le nouveau dispositif, la procédure d'actualisation des listes est plus complexe et devrait se dérouler selon un processus qui fait intervenir davantage d'acteurs et d'institutions : région, préfet, Commission, Conseil.

Ma troisième interrogation concerne le taux de l'octroi de mer régional créé par ce texte en remplacement du droit additionnel à l'octroi de mer, le DAOM, prévu par la loi de 1992. Ce DAOM est collecté au bénéfice exclusif des conseils régionaux. Peut-on envisager une application variable de ce taux en fonction des produits, dans la limite du maximum autorisé, qui est fixé à 2,5 % ? Des taux variables selon les productions seraient une façon d'harmoniser l'octroi de mer régional avec les trois écarts de taux prévus par la réforme. Aux différentes catégories de l'octroi de mer de base pourrait par exemple correspondre une modulation de l'octroi de mer régional. J'ai déposé un amendement en ce sens.

Avant de conclure, je souhaiterais avoir des précisions sur l'articulation de ce nouveau dispositif d'octroi de mer avec deux grandes réformes européennes. J'ai bien noté que ce dispositif a été notifié, à la demande de la Commission, au titre des « Aides d'État », et que la décision est prévue aux alentours du 16 juin prochain. Mais doit-on s'attendre à un nouvel examen, voire à une remise en cause de l'octroi de mer après l'adoption, en 2007, du nouveau règlement sur les aides d'État, qui sont actuellement en cours de réforme ? À cet égard, les prochaines délibérations que vont prendre les conseils régionaux pour fixer les taux devront-elles, à leur tour, faire l'objet d'une nouvelle notification à la Commission au titre des aides d'État ?

Sont attendus également, au titre des grandes réformes européennes, les accords de partenariat économique régionaux - les APER - dont la création est encouragée par l'Union, notamment dans les environnements des départements d'outre-mer. Ces accords doivent être conclus d'ici à 2008. Quelle incidence auront-ils sur l'octroi de mer ? Il est d'autant plus légitime de s'interroger à la lumière des conditions proposées par l'Union aux pays ACP, en particulier aux pays dits les moins avancés, les PMA.

On le voit, le défi lancé par le statut de l'octroi de mer de concilier le développement économique des départements d'outre-mer avec le principe, de plus en plus affirmé, de libre circulation des marchandises est plus que jamais d'actualité. Cette réforme ouvre une nouvelle piste pour les dix prochaines années. Elle nous incite aussi à engager, ou à poursuivre, la réflexion sur le devenir de cette taxe séculaire.

M. le président. La parole est à M. Joël Beaugendre, dernier orateur inscrit dans la discussion générale.

M. Joël Beaugendre. Monsieur le président, madame la ministre, mesdames et messieurs les députés, le projet de loi qui nous est présenté vise à transposer, dans l'urgence, une directive du Conseil européen en date du 10 février 2004 et à redynamiser un régime fiscal utile au développement des départements d'outre-mer.

Il trouve sa pleine justification dans la fragilité de nos économies, soumises à des handicaps structurels permanents, conséquences, il faut le rappeler, de 1'éloignement, de 1'insularité - dont l'effet est double, voire triple s'agissant de la Guadeloupe -, de l'étroitesse des marchés, du chômage endémique, de la concurrence exacerbée, du sous-développement du réseau bancaire et financier, marqué par une offre de crédit peu abondante et des taux d'intérêt bancaire beaucoup plus élevés que dans l'hexagone.

Dans ce contexte, l'octroi de mer, perçu par certains comme un instrument protectionniste, est plus qu'un patrimoine fiscal : il est un véritable outil de développement local, qui prend toute sa dimension sociale de par ses retombées significatives en termes d'emplois. Il doit par conséquent être optimisé en faveur des entreprises qui, sans la valeur ajoutée que crée l'octroi de mer, seraient conduites à réduire leurs charges salariales, voire à disparaître purement et simplement.

Cette ressource, que je qualifierai de communale, est indispensable pour les communes d'outre-mer, dont elle représente 41 à 47 % des recettes fiscales incluses dans leur budget. Elle vient compenser les charges spécifiques de ces collectivités. Elle leur permet d'assurer activement leur rôle dans l'économie locale en participant de façon substantielle au financement d'investissements publics.

De plus, le champ d'intervention des collectivités ultramarines est très spécifique en raison des conditions climatiques qu'elles connaissent, faites de cyclones et d'ouragans très destructeurs, accélérant l'érosion des bâtiments, nécessitant un entretien et un rythme de renouvellement plus soutenus qu'en métropole. Il en résulte des charges exceptionnelles pour ces collectivités.

Dois-je rappeler que l'octroi de mer est traditionnellement une recette communale ? En outre, comme il est basé sur la consommation des ménages, il est, pour les finances locales, la seule ressource susceptible d'évoluer favorablement. Or, depuis la loi du 17 juillet 1992 portant création du FRDE, la progression de la part versée aux communes est plafonnée par l'application d'un indice composé du PIB et de l'inflation. De ce fait, l'augmentation de nos recettes a du mal à suivre celle de nos dépenses, sauf à alourdir sensiblement la pression fiscale pesant sur les ménages. C'est la raison pour laquelle le deuxième alinéa de l'article 46 devrait être revu pour éviter une stagnation, voire une diminution de la dotation globale garantie.

L'octroi de mer profite aussi aux conseils régionaux, qui perçoivent un droit additionnel d'octroi de mer, rebaptisé « octroi de mer régional », qui se chiffrait en 2003 à 140 millions d'euros.

Madame la ministre, vous donnez l'occasion aux députés de se prononcer sur un dispositif qui devrait permettre une optimisation de la consommation des crédits et représenter, à ce titre, un gain d'efficacité certain.

On ne peut que regretter le temps perdu par le précédent gouvernement, qui, on le constatera une fois de plus, accordait peu d'intérêt au développement des départements d'outre-mer, en particulier de la Guadeloupe. En vertu du principe de continuité territoriale, ils font pourtant partie intégrante de la France. Demander une reconduction pure et simple de l'octroi de mer, en négligeant sa portée réelle, révélait un désintérêt manifeste, sinon la volonté inavouée de voir la Communauté européenne le supprimer.

Madame la ministre, votre comportement, que traduit ce nouveau texte, rompt avec ce mépris. Vous avez su mettre à profit la prorogation d'un an que vous avez obtenue, en rassemblant tous les éléments économiques et statistiques pertinents pour justifier auprès des instances européennes l'utilité de l'octroi de mer, dont la disparition emporterait une détérioration d'un tissu économique déjà fragilisé. La large concertation que vous avez établie avec les acteurs locaux et les présidents de régions - ces derniers sont même allés avec vous à Bruxelles - conforte le maintien de cet instrument fiscal essentiel.

Le Conseil européen n'a autorisé le nouveau régime de l'octroi de mer que pour dix ans. Il aurait été souhaitable qu'il le fasse pour quinze ans, par alignement sur la loi-programme, de manière à coupler leurs effets sur l'économie de la Guadeloupe.

Madame la ministre, les dispositions de l'article 48 attestent de votre pragmatisme. Elles permettront sûrement, en optimisant le mécanisme prévu, d'attribuer aux communes des sommes affectées à l'investissement pour équipement. Elles participeront ainsi efficacement au développement économique et social de la Guadeloupe.

J'ai cosigné avec des collègues de l'outre-mer un amendement visant à verser aux communes, sur le FRDE, une dotation d'investissement proportionnelle à leur population. Ce souci d'optimiser l'utilisation des recettes de l'octroi de mer doit, à mon sens, profiter à des communes en mal de développement à cause de leur situation dans l'archipel : je pense à Marie-Galante, aux Saintes, à La Désirade où l'octroi de mer est applicable, contrairement à d'autres îles qui, bien qu'ayant un régime fiscal différent, en perçoivent le produit. Je souhaite évoquer ce problème lors de la discussion des articles, afin que soient revues les conditions de versement de l'octroi de mer à Saint-Martin et Saint-Barthélémy, qui bénéficient d'un régime fiscal et douanier particulièrement avantageux. L'évolution statutaire choisie le 7 décembre 2003 devrait nous donner l'occasion de rétablir l'équité.

Ce projet de loi a le mérite d'exister et de porter un coup d'arrêt à la disparition de l'octroi de mer que certains semblaient avoir programmée. Mais l'octroi de mer ne risque-t-il pas d'être une fois de plus remis en cause en raison de la compétence que vous attribuez aux services des douanes ? Ne risque-t-il pas à nouveau de souffrir de sa nature juridique ?

Les intérêts des Guadeloupéens ont été pris en compte et reconnus, madame la ministre. Aussi me paraît-il important de soutenir votre démarche pragmatique pour un développement optimal de l'outre-mer. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La discussion générale est close.

La parole est à Mme la ministre.

Mme la ministre de l'outre-mer. Mesdames et messieurs les députés, même si la plupart d'entre vous ont évoqué des sujets que nous aurons l'occasion d'approfondir lors de l'examen des articles, je voudrais vous dire quelques mots à l'issue de la discussion générale.

Je tiens tout d'abord à remercier l'ensemble des orateurs qui ont souligné le caractère très consensuel du projet de loi et salué la méthode utilisée par le Gouvernement pour préparer le texte. J'adresse également mes remerciements à tous les élus des exécutifs régionaux qui m'ont beaucoup aidée. Je rappelle que nous sommes allés ensemble plaider le dossier auprès du commissaire Bolkestein. La concertation qui a précédé l'élaboration de ce texte a duré plus d'une année et a été saluée positivement par tous. Y ont participé non seulement les élus mais aussi tous les milieux socioprofessionnels qui, dans cette tâche technique difficile, nous ont apporté conseil et assistance pour recueillir l'information nécessaire sur l'ensemble des entreprises concernées. Que chacun reçoive mes sincères remerciements.

Cette méthode, déjà retenue pour l'élaboration de la loi-programme, est une constante pour moi...

M. René Dosière. Et pour la Polynésie ?

Mme la ministre de l'outre-mer. ...car les bonnes réformes ne peuvent se faire qu'en contact avec le terrain, en concertation avec les élus, les milieux socioprofessionnels et, plus généralement, avec les forces vives des collectivités.

Comme certains d'entre vous l'ont souligné, le projet de loi consiste essentiellement à transposer en droit national une décision communautaire. Aussi ma marge de manœuvre est-elle étroite, et je n'aurai pas, sur le plan juridique, la possibilité d'accepter plusieurs amendements. Néanmoins, je prendrai l'initiative d'un amendement qui, je l'espère, répondra à de bon nombre des préoccupations exprimées dans la discussion générale. Il s'agira d'introduire une clause de souplesse, qui devrait permettre l'actualisation des listes de produits. Il sera ainsi possible de faire face à des situations d'urgence, de procéder à des modifications qui nous paraîtraient indispensables, voire de combler des oublis. Je tiens à prévenir dès maintenant les députés qui voudraient allonger ou modifier les listes que je ne pourrai pas leur répondre favorablement. Mais cet amendement devrait répondre à leurs attentes.

Vous avez toutes et tous souligné un problème récurrent, celui de la sous-consommation des crédits du FRDE. Les premiers éléments de l'étude que j'avais annoncée il y a quelques jours mettent en évidence que, ailleurs qu'en Guadeloupe où le taux de consommation est excellent, les crédits non consommés s'élèvent à 140 millions d'euros pour les trois autres DOM. Il faut absolument régler ce problème et parvenir à une meilleure utilisation des fonds, notamment pour les communes. Nous aurons l'occasion d'en reparler lors de l'examen des articles.

Certains d'entre vous, en particulier les députés de la Guadeloupe Éric Jalton et Joël Beaugendre, ont évoqué le cas des îles du sud qui souffrent pour ainsi dire d'une double insularité. Je suis déterminée à mettre en place des solutions d'accompagnement et une stratégie de développement pour ces îles, mais ce n'est pas uniquement dans le cadre de ce projet de loi que nous pourrons le faire. Au-delà des dispositifs généraux, des mesures spécifiques et ciblées devront être décidées pour compenser leurs handicaps.

Gabrielle Louis-Carabin, quant à elle, a parlé des îles du nord. À Saint-Martin et Saint-Barthélémy, le régime de l'octroi de mer est pour le moins original. Je souhaiterais régler cette question dans le cadre du projet de loi statutaire que je vous soumettrai dans quelques mois. Vous le savez, les populations de Saint-Martin et Saint-Barthélémy ont souhaité, lors de la consultation de décembre dernier, une transformation de leur statut. Nous y travaillons, et les principales modifications statutaires que nous préparons comportent évidemment un important volet fiscal.

Je souhaite répondre plus ponctuellement à certaines questions qui m'ont été posées, voire faire quelques rectifications.

Monsieur Lurel et madame Bello, vous m'avez interrogée sur la compatibilité du texte avec le système des aides d'État. Sans doute n'avez-vous pas bien entendu ce que j'ai dit dans mon exposé, mais je rappelle que nous avons notifié l'octroi de mer au titre des aides d'État, conformément à la demande de la direction générale de la concurrence de la Commission. Nous avons obtenu, comme je l'ai dit, l'accord de conformité de ces aides, donc la validation de Bruxelles, le 28 mai dernier. Il n'y a donc plus de crainte à avoir.

Monsieur Lurel, je vous ai entendu dire que le Gouvernement voulait « s'attaquer aux niches fiscales » de l'outre-mer. Je me permets de rectifier. Tel n'est pas le cas.

M. René Dosière. Hélas !

Mme la ministre de l'outre-mer. Je conteste même le terme de « niche fiscale » car, à mes yeux, il est inadapté à l'outre-mer.

Madame Comparini, vous avez émis le vœu que l'on réfléchisse dès maintenant à un système qui se substituerait à l'octroi de mer car vous craignez que le régime actuel ne soit pas durable. Au niveau européen, tout notre combat a précisément consisté à obtenir la consolidation du dispositif de l'article 299, paragraphe 2, du traité d'Amsterdam, qui a créé la notion de région ultrapériphérique et permis d'instituer des régimes dérogatoires au droit communautaire, tel l'octroi de mer, en reconnaissant les handicaps structurels permanents dont souffrent ces régions : la plupart sont des îles et elles connaîtront toujours des difficultés de transport, des aléas climatiques, quoi que l'on fasse. Je ne suis pas pessimiste pour l'avenir dans la mesure où nous n'avons pas de raison de craindre une remise en cause de l'article 299, paragraphe 2, qui devrait être repris dans la future Constitution.

Il convient évidemment de rester vigilant mais, en dépit de l'élargissement de l'Union européenne, qui pouvait nous faire craindre des remises en cause, notamment des fonds structurels européens en faveur de nos régions ultrapériphériques, tout danger de cette nature, me semble-t-il, est désormais écarté.

Peut-être, dans dix ans, nos successeurs devront-ils revenir sur le dossier, mais, en tout cas, soyez assuré que, dans le cadre du droit communautaire, le Gouvernement veille à ce que le dispositif de l'article 299, paragraphe 2 ne soit pas mis à mal et à ce que l'Europe maintienne ce qu'elle a arrêté. Je n'ai, à l'heure actuelle, je le répète, aucune crainte en la matière.

Monsieur Almont, vous avez évoqué la suppression de la réfaction appliquée à l'assiette de calcul de l'octroi de mer. Cette suppression répond à une demande expresse de la Commission européenne, mais je tiens à vous rassurer : elle restera totalement neutre, puisque les taux d'octroi de mer seront ajustés en conséquence. Le sujet ne doit donc susciter aucune préoccupation particulière.

Madame Bello, vous avez soulevé trois points.

Le premier concerne les petites entreprises. Il va de soi que l'objectif du Gouvernement n'est pas de leur compliquer la tâche. Nous leur demandons une simple déclaration d'existence, le minimum exigible en matière de formalité. Si nous constations qu'une telle mesure soulevait des difficultés, nous essaierions évidemment de les régler, mais, en l'occurrence, il ne s'agit pas d'imposer de lourdes formalités administratives.

J'ai déjà apporté une réponse implicite au deuxième point que vous avez soulevé, relatif aux écarts de taux : la clause de souplesse que nous proposerons dans le cadre d'un amendement gouvernemental permettra de régler la question.

En ce qui concerne le droit additionnel à l'octroi de mer, votre troisième point, certains députés - je le sais - souhaitent proposer que la taxation passe de 2,5 % à 3 %. Or une telle augmentation de la taxation se traduirait par une augmentation des coûts de consommation pour les ménages. Il convient donc de rester prudent. L'octroi de mer régional en vigueur aujourd'hui à La Réunion ne dépasse pas 1 %. J'invite à la réflexion ceux qui envisageraient de telles modifications.

Telles sont les précisions que je souhaitais apporter. Nous aurons évidemment l'occasion, dans le cadre de la discussion sur les amendements, d'approfondir tous ces points.

Je souhaite, mesdames et messieurs les députés, vous adresser mes remerciements pour le soutien que vous m'avez tous apporté dans le traitement d'un dossier difficile, voire angoissant, lorsque je suis arrivée à la tête du ministère de l'outre-mer. En effet, à la fin de l'année 2002, la disparition de l'octroi de mer était programmée. Ensemble, nous avons pu relever le défi. Aucun esprit sectaire, je m'en félicite, n'est venu contrarier le soutien de l'ensemble des élus. Nous avons pu travailler dans la transparence, la concertation et dans l'union, une union que je retrouve ici aujourd'hui avec une grande satisfaction. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. René Dosière. Les socialistes ne sont donc pas toujours sectaires !

M. le président. Vous approuvez donc Mme la ministre, monsieur Dosière ?

M. René Dosière. Cela peut m'arriver. (Sourires.)

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

    2

DÉCLARATION DE L'URGENCE
D'UN PROJET DE LOI

M. le président. J'ai reçu de M. le Premier ministre une lettre m'informant que le Gouvernement déclare l'urgence du projet de loi habilitant le Gouvernement à simplifier le droit (n° 1504).

Acte est donné de cette communication.

    3

ORDRE DU JOUR DE LA PROCHAINE SÉANCE

M. le président. Cet après-midi, à quinze heures, deuxième séance publique :

Suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi, n° 1518, relatif à l'octroi de mer :

Rapport, n° 1612, de M. Didier Quentin, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

La séance est levée.

(La séance est levée à douze heures vingt.)

        Le Directeur du service du compte rendu intégral
        de l'Assemblée nationale,

        jean pinchot