Mercredi 16 novembre 2005

- Audition de M. Gérard Dumont, haut fonctionnaire de défense au ministère de la santé et des solidarités, en charge de la question des masques de protection

(Compte-rendu de la réunion du 16 novembre 2005)

Présidence de M. Jean-Marie LE GUEN, Président

M. le Président : Notre mission, monsieur Dumont, a l'habitude de travailler devant la presse. Mais il se trouve que nous attendons la publication du plan gouvernemental et que nous ne voulons pas vous mettre en porte-à-faux. Notre réunion se déroulera donc à huis clos.

Le but de notre travail est à la fois d'exercer un contrôle parlementaire sur la préparation du plan pandémie et de jouer un rôle de médiation vis-à-vis de l'opinion publique.

En ce moment, nous travaillons sur les moyens médicaux disponibles et sur leur stockage, qu'il s'agisse des vaccins, des vaccins, des anti-viraux et des masques. C'est sur ce dernier point que portera votre audition, puisque vous êtes en charge de cette question auprès du Ministre de la santé et des solidarités.

Cette audition se déroulera en deux temps : l'état de la technique et la stratégie d'emploi, puis les problèmes industriels et logistiques.

Nous avons bien compris qu'il existait différentes catégories de masques. Je vous poserai donc d'emblée plusieurs questions. Pourquoi choisir telle catégorie de masques plutôt qu'une autre ? Le FFP 2 - présenté comme le « haut de gamme » - n'est-il vraiment utilisable que trois heures ? Quelle en est la doctrine d'emploi ?

M. Gérard DUMONT : Il existe en effet deux grandes catégories de masques : les masques filtrants et les masques anti-projections.

Les premiers filtrent dans les deux sens et permettent d'éviter tout contact avec les malades. Il y a trois niveaux de filtration : FFP 1, FFP 2 et FFP 3. Les experts recommandent, dans le domaine de la santé, les FFP 2, a fortiori les FFP 3 et, à défaut, les FFP 1. L'usage de ces masques est limité dans le temps : les règles européennes d'homologation, appliquées en France, prévoient qu'au bout de huit heures, un masque doit être jeté.

M. le Président : Pour quelle raison ?

M. Gérard DUMONT : Comme il n'y a pas de soupape sur les masques utilisés dans le domaine de la santé, il y a saturation du filtrage et la respiration devient très désagréable. Ces masques deviennent, en plus, humides et dangereux. On conseille aux médecins de les jeter plus souvent et de les manipuler avec précaution : il ne faut ni les toucher ni les retirer puis les remettre pendant qu'ils sont posés sur la bouche ; sinon, il faut les jeter et en changer. A défaut, on risque de disperser les microbes. Ce ne sont pas des masques « tout public ». Ils nécessitent une formation préalable et une grande vigilance. Ils sont recommandés pour les professionnels de santé qui approchent les malades et par tous les professionnels qui approchent des publics nombreux et non triés : les pompiers, et tous ceux en contact avec du public.

M. Pierre HELLIER : Pour jeter le masque, il faudra donc faire comme en salle d'opération, c'est-à-dire le prendre par l'arrière, ne pas toucher l'avant et le jeter très précautionneusement dans un conteneur spécifique. Mais je ne comprends pas pourquoi on n'utilise pas le même type de masque pour le malade. Il est prévu que ce dernier porte un masque beaucoup plus simple et léger mais à mon avis moins efficace, avec, en plus, une certaine perméabilité sur les côtés.

M. Gérard DUMONT : Pour les malades, on préconise les masques dits chirurgicaux, anti-projections, les meilleurs protégeant à hauteur de 95 à 98 % des projections du malade. Il s'agit en l'occurrence de protéger l'environnement du malade, son médecin, ceux qui le soignent, sa famille. A condition de ne pas s'approcher de trop près, il est suffisant pour prévenir la propagation du virus, même s'il est sûr qu'on n'échappera pas à quelques contaminations. L'expérience du SRAS au Canada a montré qu'un masque anti-projections éliminait une très grande part des contaminations.

M. Pierre HELLIER : Je me méfie des protections latérales de ces masques et des risques de fuites vers le bas comme vers le haut. N'est-il pas possible d'équiper des mêmes masques FFP2 les personnes susceptibles d'être contaminées et celles susceptibles de contaminer ?

M. Gérard DUMONT : Le masque FFP 2 est assez inconfortable, alors que le masque chirurgical se porte plus facilement et plus longtemps ; en outre, le malade n'a pas besoin d'être protégé des autres puisqu'il est déjà porteur du virus. Enfin, la différence de prix est considérable : moins de 4 centimes d'euros l'unité pour les masques chirurgicaux, contre environ 42 centimes pour les masques filtrants. Équiper tout le monde de masques filtrants entraînerait une dépense considérable pour un bénéfice faible.

M. Gérard CHARASSE : Peut-on réutiliser les masques ?

M. Gérard DUMONT : Certains experts pensent qu'on peut les réutiliser après les avoir placés au micro-ondes, mais nous n'avons aucune garantie sur la qualité du produit après son passage au micro-ondes.

Nous sommes en train d'examiner avec l'industrie textile comment fabriquer des masques lavables, pour tous publics, dont le niveau de protection soit suffisant pour des personnes qui ne sont pas malades et qui veulent sortir en période de pandémie, sur le modèle de ce qui se fait en Asie, où les gens portent des masques lorsqu'ils sortent.

M. Rudy SALLES : Quelle est la durée de vie du masque chirurgical ?

M. Gérard DUMONT : Une journée au maximum.

M. Pierre HELLIER : Dans l'hypothèse où le malade peut contaminer son environnement, on ne devra rentrer dans sa chambre qu'équipé. Car sur l'oreiller, par exemple, il reste des virus.

M. Gérard DUBRAC : Comment va-t-on gérer le circuit des masques usagés ?

M. Gérard DUMONT : Dans un premier temps, il sera conseillé aux médecins et aux familles de les jeter dans des sacs fermés hermétiquement. Mais un problème se poserait si le volume des déchets usagés devenait important. On n'a pas aujourd'hui de solution toute prête. Il faudra sans doute prévoir de les incinérer, mais les produits chimiques qui entrent dans leur fabrication constituent un facteur de risque.

M. Gérard DUBRAC : Le plan pandémie prévoit-il un circuit de ramassage particulier ?

M. Gérard DUMONT : Pas pour l'instant. Ce sera dans une annexe du plan, qu'il reste à élaborer.

Mme Bérengère POLETTI : Vous envisagez, au moment de la pandémie, de faire porter, dans les hôpitaux, des masques chirurgicaux aux malades touchés de manière avérée, et des masques filtrants aux soignants a priori sains. Il me semble qu'on devrait faire porter aussi aux malades des masques efficaces.

M. Gérard DUMONT : Le masque chirurgical est considéré comme efficace. Les chirurgiens le portent quand ils se penchent sur des plaies ouvertes, et ils n'infectent pas les malades.

M. Gérard DUBRAC : Mais les chirurgiens ne toussent pas et n'ont pas 40° de fièvre !

Mme Bérangère POLETTI : On demandera aux soignants de changer leur masque, qui est plus cher et plus efficace, toutes les trois heures, alors que les malades ne changeront le leur qu'une fois par jour.

M. Gérard DUBRAC : Si les patients toussent toute la journée, leur masque risque d'exploser !

M. Gérard DUMONT : Le masque chirurgical sera changé plus souvent si nécessaire, mais le fait qu'il soit légèrement infecté ne posera pas de problème au malade, puisqu'il est déjà atteint par le virus.

M. Gérard DUBRAC : Peut-on envisager le port du masque dans la rue, en prévention ?

M. Gérard DUMONT : Ce sera également recommandé. Mais il s'agira d'un troisième type de masque : un masque anti-projections, qui pourra être stérilisé et réutilisé. En effet, si on voulait donner à tous les Français des masques jetables, il en faudrait 8 à 10 milliards, et on produirait des montagnes de déchets ! Ne créons pas un problème que nous ne saurions pas résoudre !

L'usage de masques réutilisables, comme ceux que portent les Asiatiques pour se promener, aller travailler et faire leurs courses, est à encourager. Les industriels du textile travaillent sur des prototypes de masques bon marché, facilement stérilisables et vendus partout.

M. Pierre HELLIER : J'aurais préféré que les masques FFP 2 soient utilisés à la fois par les soignants et par les malades. Quant aux masques de la rue, ils devront, en effet, être assez simples et pouvoir être désinfectés sommairement.

M. Gérard DUMONT : Les médecins consultés nous disent que la double protection - celle du malade, d'une part, celle du médecin et de l'entourage du malade, d'autre part - sera efficace. Je précise que la plupart des malades seront soignés chez eux, et non à l'hôpital.

Vous suggérez que médecins et malades portent le même masque filtrant. Le problème est que son utilisation n'est pas simple et qu'on n'en aura pas assez : la production mondiale de masques est de l'ordre de 600 millions. Sachez aussi qu'un masque FFP 2 mal porté est moins efficace qu'un masque chirurgical.

Mme Bérengère POLETTI : Pourriez-vous nous parler stockage et logistique ? Comment envisagez-vous l'acheminement de ces masques ? Quel sera leur mode de distribution ?

M. Gérard DUMONT : L'approvisionnement en masques pose des problèmes assez complexes.

Le ministère de la santé a commandé à ce jour 200 millions de masques filtrants, qui sont pour l'essentiel importés, et 250 millions de masques chirurgicaux. Les livraisons son en cours. Jusqu'ici, l'industrie mondiale produisait environ 600 millions de masques filtrants par an. La France, à elle seule, en a commandé 200 millions sur le marché international. Malgré tout, les prix ont baissé.

Tous les établissements de soins ont été sollicités pour stocker des quantités importantes de masques, 100 millions environ. Par ailleurs, nous travaillons avec le ministère de la défense pour stocker des masques sur une dizaine de sites militaires, et avec le ministère de l'intérieur, qui dispose de quelques lieux de stockage.

Les acheteurs publics autres que le ministère de la santé, ou gérant des services publics, peuvent évidemment s'approvisionner auprès de l'UGAP1 aux mêmes prix que ceux consentis au ministère de la santé. Mais chacun, que ce soit l'armée, la police ou les pompiers, stockera des masques pour son propre compte.

Nous avons commencé à discuter avec les associations d'élus locaux pour utiliser le réseau des écoles. Celles-ci, qui seront fermées en cas de pandémie, pourraient servir de lieux de stockage de masques dans chaque quartier, au plus près des médecins qui pourront ainsi se procurer, sans trop de déplacements, les masques nécessaires à leur protection lors de leurs visites. Dans les hôpitaux, la distribution se fera à l'intérieur du système hospitalier lui-même ; elle ne devrait pas poser de problèmes.

Pour les masques chirurgicaux, il y aura à la fois un stockage hospitalier, stratégique, et une mise à disposition à travers le réseau des pharmacies, qui pourront être alimentées par les grossistes répartiteurs. En même temps qu'ils distribueront le Tamiflu, ils distribueront les masques chirurgicaux. Encore faut-il qu'il n'y ait pas de mouvements rendant nécessaire une protection policière accrue : dans ce cas, il faudra trouver un autre système de distribution.

M. Gérard DUBRAC : Il existe, autour des centrales nucléaires, des réseaux de distribution de comprimés d'iode. Ne pourrait-on pas les utiliser ?

M. Gérard DUMONT : Des plans, en effet, ont été mis en place autour des centrales nucléaires. Sur le reste du territoire, les préfets ont été chargés d'élaborer des plans de distribution, mais tous ne l'ont pas fait. Remarquez, au surplus, qu'entre la distribution d'un comprimé, un jour donné, et la distribution de masques pendant douze semaines, la logistique n'est pas la même.

Il faudra éviter à tout prix le gaspillage pour tenir sur la durée. L'année dernière, nous avons procédé à des simulations et nous nous sommes aperçus qu'en quelques semaines, il n'y avait plus de masques et que les médecins travaillaient sans aucune protection.

Nous devrions avoir des quantités suffisantes, sauf mauvaises surprises, en 2006 ou en 2007. Si la pandémie se produit plus tôt, il y aura un rationnement. Tous les achats effectués par le ministère de la santé sont livrables pour l'été prochain. Les autres administrations ont à peine commencé leurs achats.

A partir du mois de janvier, nous allons développer la production, en France, de masques filtrants comme de masques chirurgicaux. En effet, il va de soi qu'en cas d'événements infectieux graves à l'échelle mondiale, les exportations s'arrêteront. Or, la production française étant traditionnellement très faible, de l'ordre de quelques mois de consommation en période très calme, il faut mettre en place une industrie française du masque. Nous avons donc contacté quelques industriels qui commenceront à fabriquer massivement des masques. L'objectif est de parvenir, dans l'année 2006, à produire en France 400 000 masques filtrants - en travail continu, sept jours sur sept, 24 heures sur 24. Les usines ouvriront les unes après les autres.

M. Pierre HELLIER : Les communes, les conseils généraux ou les maisons de retraite se demandent si on leur fournira des masques ou si elles devront en acheter. Quelle est la procédure prévue ?

M. Gérard DUMONT : Tous les services publics et les structures privées assurant des services au public ont exprimé leurs besoins. Globalement, il faudrait un stock national de 600 millions de masques filtrants. On est en train de le constituer, moitié par des importations, moitié par des fabrications françaises. Cela dit, il est probable que d'autres besoins vont apparaître. Ainsi, il me semble, pour avoir été secrétaire général d'une ville, que les besoins des collectivités locales ont été sous-estimés. Il ne s'agit pas d'équiper toute la population, car ce serait un gaspillage ruineux, mais de protéger ceux qui ont besoin de l'être en raison de leur métier - contact avec un public nombreux et non trié, contact avec des personnes malades.

L'industrie française sera rapidement en mesure de fabriquer des masques à des prix raisonnables en quantités suffisantes : si la pandémie n'arrive pas trop vite, on sera capable d'équiper tous ceux qui auront besoin de masques filtrants.

M. Gérard CHARASSE : Qui réglera l'addition ? L'État ? Demandera-t-on à chacune des administrations de participer au financement de l'opération ?

M. Gérard DUMONT : Le principe adopté est que l'utilisateur est le payeur. Notez cependant que le principal utilisateur sera le monde de la santé, pour qui le payeur sera l'assurance maladie. In fine, c'est elle qui aura la charge d'équiper les médecins, les infirmières, les ambulanciers. C'est d'ailleurs par l'intermédiaire du fonds de concours de l'assurance maladie que sont financés les stocks du ministère de la santé.

Chacun des autres ministères paiera pour son compte. Il en sera de même des entreprises, privées, publiques ou semi-publiques qui achèteront les masques sur leur propre budget.

Le monde de la santé devrait consommer environ 300 millions de masques filtrants, et sans doute plus de 500 millions de masques chirurgicaux. Il restera donc 300 millions de masques filtrants disponibles, même si ce chiffre devrait rapidement augmenter au fur et à mesure que les entreprises ou les collectivités locales prendront conscience qu'un peu de protection ne fait pas de mal.

M. Pierre HELLIER : Si pandémie il y a, elle se produira dans une zone circonscrite, qui sera isolée. A l'intérieur de cette zone, la distribution de masques devra être rapide et massive, comme d'ailleurs celle de Tamiflu. Or, il y aura en même temps des mesures sévères de restriction des déplacements. Comment fera-t-on ?

M. Gérard DUMONT : C'est pour cette raison que nous avons prévu un stockage décentralisé important.

M. Gérard DUBRAC : Est-il prévu de désinfecter les locaux ?

M. Gérard DUMONT : Non, pas pour la grippe, car, d'après les experts, le virus n'aurait pas une durée de vie très longue. On a conseillé néanmoins aux médecins d'aérer soigneusement leur cabinet, de nettoyer leur matériel et de se laver les mains le plus souvent possible.

Mme Bérangère POLETTI : Comment sont informés les professionnels de la santé sur le terrain ? J'imagine qu'ils doivent déjà disposer de certains éléments dans leur presse spécialisée. Ont-ils demandé à disposer de stocks ? Se sont-ils renseignés pour obtenir des masques ou des antiviraux ?

M. Gérard DUMONT : Ils sont informés à la fois par l'Ordre de médecins, par l'INPES2 qui a diffusé un document intitulé « Repères pour votre pratique » et par la presse spécialisée, qui publie quasi quotidiennement toutes les informations nécessaires. Nous recevons aussi beaucoup de coups de téléphone ou de méls. Le site Internet du ministère donnera le plan de lutte, les conseils pratiques et les adresses des fournisseurs.

L'Ordre des médecins et le directeur général de la santé ont recommandé aux médecins, en dehors même du cadre de la pandémie grippale, de prendre l'habitude de mieux se protéger, et de stocker des kits de protection permettant d'intervenir au début d'un épisode infectieux quel qu'il soit, par exemple une alerte SRAS. Le rapport de Didier Raoult sur le bioterrorisme3 a établi qu'un problème infectieux majeur ne manquera pas de survenir dans le monde dans les années qui viennent ; mais on ne sait ni quand, ni où, ni à partir de quels virus.

Lorsque l'on passera au stade de la pandémie, les stocks constitués par le ministère de la santé seront distribués gratuitement à tous les professionnels.

M. Pierre HELLIER : Pourrait-on avoir les documents qui ont été envoyés aux médecins ?

M. Gérard DUMONT : Je vous les remettrai en partant.

Mme Bérengère POLETTI : Quel est le niveau d'information des élus locaux sur ces questions ?

M. Gérard DUMONT : Nous avons commencé à prendre des contacts avec eux afin de leur donner les informations nécessaires. Nos contacts n'ont pas toujours été fructueux avec les associations nationales, mais cela se corrigera très vite. Il faut absolument que le réseau des collectivités locales participe activement à la mise en œuvre du plan : il y a des moyens logistiques, des moyens humains - les milliers de fonctionnaires municipaux, départementaux et régionaux ont une grande capacité de dévouement - dont les fonctionnaires parisiens n'apprécient pas toujours très bien l'importance.

M. Pierre HELLIER : Les préfets connaissent bien, eux, ce réseau local. Il faudrait aussi penser aux différentes structures, comme les coordinations gérontologiques, qui sont très présentes sur le terrain et capables de diffuser rapidement informations et matériels, ou comme les services de soins infirmiers à domicile. Les préfets sont en train de recenser toutes les mesures à prendre et l'information passera vers les élus locaux. Mais actuellement, elle n'est pas passée.

M. Gérard DUMONT : Pas très bien, en effet.

M. Jérôme BIGNON : Pour le moment, c'est zéro ! Mais, pour avoir abordé le sujet au sein de mon conseil municipal, j'ai la conviction que les élus locaux ne veulent pas savoir. Il faut donc que les préfets s'impliquent et informent les associations et les maires. Il y a tout de même 500 000 élus locaux en France. Dans les petites communes de moins de 500 habitants, on ne compte pas beaucoup de fonctionnaires territoriaux et il faudra utiliser le réseau des élus de base pour « irriguer » tout le territoire.

M. Gérard DUBRAC : Comment se fera la distribution des médicaments ? Par prescription médicale et à travers le circuit pharmaceutique ?

M. Gérard DUMONT : Pour l'instant, les négociations ont eu lieu avec les représentants du réseau des officines et avec les distributeurs de médicaments, qui se déclarent prêts à jouer leur rôle en période pandémique.

Cela dit, on peut penser que ce réseau aura quelques problèmes si des convoitises très fortes s'exercent sur les stocks d'antiviraux. Même si nous en avons suffisamment en France, il faut savoir que nous sommes entourés de très nombreuses populations, à l'Est et au Sud, qui en seront totalement dépourvues. Des personnes mal intentionnées et bien équipées pourraient tenter de s'emparer d'une partie du stock pour l'exporter sauvagement. On a donc prévu un « plan B », qui restera confidentiel, et dont l'objectif sera de renforcer la protection existante. On peut craindre que la société n'évolue vite vers un grand désordre.

Un autre problème nous préoccupe, c'est celui du fonctionnement, en mode très dégradé, de l'ensemble des services à la population. Avec un nombre important de malades, qui pourrait atteindre 10 à 12 millions au pic de la pandémie, il n'y aura plus d'école, les transports seront perturbés et de nombreuses personnes ne pourront plus aller travailler. Sans compter tous ceux qui auront peur, même parmi les médecins. On l'a vu pour le SRAS.

Il faudra s'organiser avec des taux d'absentéisme qui pourront atteindre les deux tiers. Personne ne sait vraiment comment faire. C'est ça, le problème de la pandémie : tout le monde est touché en même temps. Ceux qui ont connu la grippe espagnole de 1918 le disent bien. Et ceux qui d'habitude répondent présents, quelles que soient les circonstances, risquent de faire défaut : pompiers, médecins, infirmières, policiers...

Mme Catherine GENISSON : Cela suppose d'être très économes lorsqu'on mettra en place le plan et qu'on prévoira la mise à disposition de personnels supplémentaires. Il faudra trouver des réserves.

M. le Président : Savez-vous où nous en sommes pour ce qui est des stocks d'antibiotiques, de bouteilles d'oxygène, de vaccins pneumocoques, etc. ?

M. Gérard DUMONT : Cette question sort de mon domaine de compétence. Je peux malgré tout vous dire que, dans le cadre du plan Biotox, nous avons fortement développé le nombre de respirateurs et les stockages d'oxygène pour faire face à des évènements terroristes. Ces moyens sont disponibles pour la réanimation en cas d'évènements sanitaires classiques.

M. le Président : Deux questions, Monsieur, par lesquelles nous aurions dû commencer, veuillez nous excuser : quelle est votre formation ? Comment travaillez-vous avec les autres ministères ?

M. Gérard DUMONT : Je suis issu du corps préfectoral. J'ai travaillé comme sous-préfet, comme secrétaire général d'une grande ville, comme directeur d'agence régionale de l'hospitalisation dans une grande région pendant six ans et demi. Depuis deux ans et demi, je suis chargé des questions de défense civile auprès de deux ministres, celui de la santé et celui du travail. La coordination des hauts fonctionnaires de défense est assurée par le secrétaire général de la défense nationale. Nous sommes en contact quasi quotidien avec les différents ministères et les services du Premier ministre.

M. le Président : Pour mettre au point le plan pandémie ?

M. Gérard DUMONT : Non, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et pour préparer les plans de défense en général. Le plan pandémie est tout à fait particulier, dans la mesure où il n'est lié ni à la défense ni au terrorisme. Mais le ministre de la santé de l'époque avait souhaité que la coordination ministérielle soit assurée par le secrétaire général de la défense nationale en raison de ses compétences en matière de planification et de l'importance des problèmes d'ordre public dans le cadre d'un plan pandémie.

M. Pierre HELLIER : En dehors des masques, est-il prévu de doter les professionnels de santé de blouses, de gants, etc. ?

M. Gérard DUMONT : L'UGAP a provisionné certains produits accessoires de ce type. Les masques posaient un problème un peu particulier dans la mesure où il faut tout importer de très loin et où il est urgent d'en fabriquer en France. Ce n'est pas le cas des autres produits, dont la plupart sont récupérables et stérilisables. Mais il faudra penser également aux solutions de stérilisation.

M. le Président : Avez-vous organisé l'équivalent d'un concours Lépine pour la mise au point de systèmes D susceptibles d'assurer un minimum de protection ? Dans la presse américaine, j'ai vu des photos montrant des personnes munies de ponchos et de masques qui ressemblaient à des masques de plongée. De telles solutions, simples, seraient à même de rassurer la population.

M. Gérard DUMONT : Les industriels du textile sont imaginatifs et sont en train de mettre au point des prototypes de masques en tissu, d'un usage très simple, à des coûts de fabrication très faibles et surtout qu'on pourrait fabriquer avec des matériels de production qui existent en France.

M. le Président : Pourrait-on avoir des contacts avec eux ?

M. Gérard DUMONT : Oui, mais nous n'en sommes qu'à la qualification technique de ces prototypes. Les masques en tissu existent en Asie. Mais si on pouvait les produire en France avec des machines françaises, ce serait mieux. On pourrait ainsi garantir l'approvisionnement, ainsi qu'un niveau de qualité constant.

M. Pierre HELLIER : A-t-on prévu quelque chose contre la contamination oculaire des professionnels de santé ?

M Gérard DUMONT : Oui. Le port de lunettes, quelles qu'elles soient, est chaudement recommandé dans le document qui a été distribué aux médecins. Certaines, peu chères, se trouvent chez tous les fournisseurs et ont l'avantage d'être quotidiennement stérilisables. Il faudra également développer les solutions hydro-alcooliques, de préférence au port de gants, qui peuvent être source de contamination : il est rare que les médecins lavent leurs gants entre deux malades...

M. le Président : Cela contribuera à la lutte contre les maladies nosocomiales !

Mme Catherine GENISSON : Ma question concerne la réanimation. On sait que les atteintes pulmonaires sont une des complications dramatiques de la grippe aviaire et nécessitent le plus souvent une hospitalisation en service de réanimation. Or on ne s'improvise pas réanimateur. A-t-on prévu des formations, des exercices ?

M. Gérard DUMONT : Tous les plans de défense prévoient, en cas de catastrophe, le déclenchement du « plan blanc ». Les blocs opératoires seront alors fermés, sauf pour les urgences absolues, et toutes les salles de réveil se transformeront en salles de réanimation avec l'assistance d'anesthésistes. L'essentiel du système chirurgical sera affecté à la réanimation.

M. Rudy SALLES : On a trop rapidement évoqué les masques de promenade. Or ce type de masque me semble très important, dans la mesure où la contamination sera causée par des gens qui ne se savent pas encore atteints et par d'autres qui ne savent pas qu'ils ont en face d'eux des malades en puissance. Ne pensez-vous pas qu'il faudrait généraliser ces masques ? Est-on d'ailleurs en mesure de le faire ?

M. Gérard DUMONT : Sur le plan industriel, il est possible de fabriquer rapidement assez de masques stérilisables en tissu pour tous les Français. Nous allons mettre en contact les réseaux de la grande distribution avec les quelques fabricants français de masques en tissu, afin qu'ils prévoient un dispositif commode de mise à disposition du public : concrètement, à chaque caisse de supermarché, un présentoir de masques bon marché permettant de protéger une famille pendant une semaine. L'idée, c'est : « une famille, une semaine, un euro ».

Pour le moment, je l'ai déjà dit, nous en sommes au stade de la qualification médicale. Les experts nous diront si les prototypes ont un niveau de protection convenable. D'après les premiers éléments, il vaut mieux porter ces masques que de ne pas les porter. Si on obtient une filtration de 90 % et si les gens respectent un éloignement minimum les uns des autres - un principe de base de la prophylaxie : rester à deux mètres les uns des autres - on réduira fortement le problème sans produire de déchets.

M. Jérôme BIGNON : Quand cela sera-t-il prêt ?

M. Gérard DUMONT : A mon avis, certains industriels disposeront des machines nécessaires à partir de janvier prochain.

M. le Président : On relancera ainsi notre industrie textile !

M. Gérard DUMONT : Les masques filtrants fabriqués en France seront au même prix que les masques chinois, le coût de la main d'œuvre étant quasiment négligeable : tout est presque automatisé.

Un industriel qui s'apprête à fabriquer 40 millions de masques nous a dit qu'il embaucherait 120 personnes. Si on fait une projection, avec 400 millions de masques, 1 200 emplois pourraient donc être créés. Et je parle uniquement des masques filtrants.

M. Gérard CHARASSE : On n'a pas parlé de la réaction des individus, sur le plan psychologique notamment. Imaginez que les passants croisent quelqu'un qui se promène sans son masque...

M. Gérard DUMONT : Je ne sais pas...

Mme Catherine GENISSON : La personne pourrait être prise à parti, je ne plaisante pas !

M. le Président : La distance sociale, soit deux mètres, devrait suffira à écarter tout danger. On s'éloignera de celui qui ne porte pas de masque.

Monsieur Dumont, je vous remercie.

1 Union des groupements d'achats publics

2 Institut national de prévention et d'éducation pour la santé

3 Juillet 2003


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