Mercredi 16 novembre 2005

- Audition de M. Didier Hoch, Président de Sanofi Pasteur MSD, M. Jacques Berger, directeur général délégué de Sanofi Pasteur,et Mme Catherine Gerdil, chef de projet Sanofi Pasteur

(Compte rendu de la réunion du 16 novembre 2005)

Présidence de M. Jean-Marie LE GUEN, Président

M. le Président : Madame, Messieurs, je vous remercie d'être venus devant notre mission, qui poursuit un double objectif : exercer un contrôle de l'action gouvernementale en ce qui concerne la préparation du plan « Pandémie », et garantir la transparence de l'information vis-à-vis de nos concitoyens.

Nous avons décidé de commencer par ce qui nous est apparu le plus urgent : l'examen des moyens médicaux mobilisables en cas de pandémie. Nous évoquerons avec vous la question de la vaccination. Vous rappellerez d'abord les principales données d'ordre scientifique, puis vous aborderez les problèmes d'ordre industriel, voire économique, qui se posent en ce domaine.

M. Didier HOCH : Je voudrais préciser d'emblée que nous ne travaillons pas sur la grippe aviaire, dont nous ne sommes d'ailleurs pas spécialistes, car il s'agit d'une épizootie.

L'outil vaccinal s'intègre dans le dispositif de prévention et de réduction de l'impact d'une pandémie. Outre les mesures de protection, comme le port de masques ou la quarantaine, il y a les anti-viraux et le vaccin. Les anti-viraux interviendraient lors de la première partie de la pandémie, les vaccins lors de la seconde, car le vaccin ne peut être fabriqué que lorsqu'on a identifié le virus - un virus pandémique, passant de l'homme à l'homme. Le virus est identifié par les experts des différents laboratoires et certifié par l'OMS. A partir de ce moment-là, nous pouvons produire le vaccin pandémique.

Cela dit, nous n'attendons pas de connaître le virus pour commencer à travailler. Depuis des années, à la demande initiale de l'OMS, puis de certains États membres et de la Commission européenne, nous avons anticipé la préparation des vaccins pandémiques. Nous avons à mener une course de vitesse contre la propagation du virus et, pour cela, il faut anticiper, au niveau de la recherche et du développement, mais aussi au niveau des capacités de production.

Puisqu'on ne disposera du vrai virus qu'au moment de la pandémie elle-même, nous essayons de définir un « vaccin prototype pandémique », c'est-à-dire d'identifier le véhicule dans lequel on placera, le moment venu, le vrai virus identifié et certifié. Nous le faisons à partir des virus sauvages comme le H5N1, le H7N7, etc.

Je fais, ici, une digression à propos du « vaccin interpandémique ». Les vaccins grippaux sont très spécifiques dans la mesure où il faut les renouveler tous les ans. L'OMS nous donne chaque année trois souches d'antigènes de référence, à partir desquelles on construit le vaccin. Pour l'hémisphère nord, à partir de février, on fabrique et on produit le vaccin jusqu'en juillet ; en parallèle, on fait les études cliniques et on dépose un enregistrement. On arrête la production en juillet, et les vaccins sont sur le marché entre septembre et novembre. Pour l'hémisphère sud, on refait la même chose de septembre à janvier. Ainsi, chaque année, nous faisons deux vaccins trivalents. Ce sont deux produits différents, qui ont vocation à être utilisés dans une période donnée et qui ne seront pas stockés.

Ce mécanisme interpandémique est important à comprendre, car on va le retrouver pour le vaccin pandémique, dans la mesure où l'on va mettre au point un véhicule de base, dans lequel on placera les souches pour produire le vaccin. Il a l'avantage d'entraîner nos équipes à travailler vite et de façon renouvelée.

Aujourd'hui, la capacité de production au niveau mondial est de l'ordre de 300 millions de doses par an, s'agissant des vaccins trivalents.

M. le Président : Pouvez-vous préciser les notions de dose et de traitement ?

M. Didier HOCH : Une dose, c'est une injection. Les vaccins interpandémiques sont des vaccins trivalents, c'est-à-dire à trois valences, mais avec une seule dose. Les vaccins pandémiques sont des vaccins monovalents, à une ou deux doses. Les experts pensent qu'il faudra utiliser deux doses de vaccin, dans la mesure où l'on va vacciner des populations naïves. Mais il faudra aussi attendre le résultat des études cliniques menées à partir des différentes formulations. Un élément entrera également en ligne de compte : si on n'injecte qu'une seule dose, on pourra vacciner plus de monde. Ces choix nous échappent : ils appartiennent à la communauté scientifique et à l'OMS.

Le vaccin prototype est un élément primordial de notre fonctionnement : on gagne du temps pour plus tard et, en plus, on teste ainsi, au plan industriel, la production d'un vaccin sauvage.

M. le Président : Précisez bien : le « vaccin prototype », c'est ce que l'on appelle aussi « vaccin prépandémique » ou « vaccin H5N1 » ?

M. Didier HOCH : oui.

Revenons-en à la capacité de production. Je vous ai dit qu'on pouvait évaluer à 300 millions de doses environ la capacité mondiale de production du vaccin interpandémique trivalent. Cette capacité de production mondiale, qui est évolutive, correspond aujourd'hui à l'utilisation qui est faite des vaccins. Elle est basée sur la consommation et les demandes faites au niveau interpandémique. Mais comment répondre au mieux aux besoins et comment les anticiper ?

Voilà pourquoi nous avons demandé, dans le cadre de l'Association des fabricants de vaccins européens, dont je suis le Président, à avoir le plus d'informations possibles sur ce que serait la demande potentielle des différents États membres, afin de déterminer à quel niveau il faudrait adapter l'outil industriel. Une augmentation de la capacité de production demande du temps.

M. le Président : Plusieurs questions. Quel est le temps de latence entre l'identification par l'OMS des antigènes et l'apparition industrielle des vaccins ? Quel est, en moyenne, le temps nécessaire pour la création d'une chaîne supplémentaire ? De quand date la demande d'informations de l'Association des fabricants de vaccins ?

M. Didier HOCH : A partir du moment où une souche est identifiée et que l'OMS nous fournit les éléments nécessaires, on peut commencer la production effective du vaccin au bout de treize à quatorze semaines. Il faut donc à peu près trois mois. Cette période peut être légèrement antérieure à la déclaration de pandémie. Il est possible que nous ayons la souche et les réassortants avant la déclaration officielle de pandémie.

Si on veut augmenter la capacité de production, la création d'un nouveau site de production réclame quatre à cinq ans. Dans cette période, il y des phases de construction et des phases réglementaires.

Enfin, l'Association des fabricants de vaccins européens, après avoir travaillé sur le sujet à la fin de 2003, avait établi un plan pour la préparation à la pandémie, qui a été publié en février 2004, discuté avec la Commission européenne, présenté à l'OMS et envoyé aux États membres.

Nous avions demandé des éléments très précis concernant l'aide au développement de vaccins prototypes à court terme et long terme, et l'évaluation des besoins en termes de pandémie et de couverture interpandémique. Nous avions également demandé une règle du jeu concernant la distribution équitable et, enfin, des mesures pour sécuriser les activités des firmes elles-mêmes : l'approvisionnement en œufs, les matériels d'injection, le site de production lui-même, la réponse à certains risques juridiques liés à une vaccination de masse.

Nous avons obtenu des réponses dans la mesure où, progressivement, la plupart des éléments ont commencé à être pris en compte. Je pense notamment à la nécessité d'augmenter la couverture interpandémique et donc les capacités de production.

Nous avons beaucoup plus de mal s'agissant de la recherche et du développement des vaccins prototypes. Il faut préciser que la responsabilité de la santé publique incombe aux États membres et que la Commission européenne n'a qu'un rôle de coordination.

Il en est de même s'agissant des aides : la Commission européenne n'a pas forcément les outils qu'il faut. Elle soutient la recherche-développement à très long terme. Nous ne sommes pas parvenus à ce jour à une solution simple et efficace pour les prototypes vaccins. Mais les discussions ne sont pas finies. Nous aurons une réunion avec le commissaire européen Kyprianou et les principaux fabricants le 29 novembre.

M. le Président : Vous avez dit que vous aviez été aidés au niveau de l'interpandémique. Que s'est-il passé ?

M. Didier HOCH : On a repris l'idée qui avait été développée par l'OMS, à savoir que les États membres devaient augmenter leur couverture interpandémique en respectant la couverture des populations à risque, telles que définie dans les recommandations françaises ou d'autres pays et par l'OMS.

M. le Président : Il est évident que les capacités de production du vaccin pandémique sont liées aux capacités de production du vaccin interpandémique. Pouvez-vous faire le point sur la situation européenne, nord-américaine et mondiale en la matière ?

M. Didier HOCH : Aujourd'hui, avec 240 millions, la capacité de production de l'Europe représente les deux tiers de la capacité mondiale. 50 % de cette production est exportée hors d'Europe et couvre tous les autres pays, à l'exception des Etats-Unis, du Canada, du Japon et de l'Australie. D'où l'importance stratégique de l'Europe en la matière.

Ces dernières années, les États-Unis avaient perdu presque tous les producteurs, en dehors de Sanofi-Pasteur, parce que le prix des vaccins grippaux était tombé trop bas. La plupart des fabricants s'étaient retirés du marché et ils reviennent seulement maintenant.

M. le Président : Quand vous dites que le prix des vaccins était tombé très bas, vous voulez dire que les industriels ne trouvaient pas une source de profits suffisants ?

M. Didier HOCH : Oui.

M. Pierre HELLIER : Les vaccins expérimentaux sont produits selon la même technique que le vaccin interpandémique, le vaccin grippal. Mais ne faut-il se méfier d'une certaine toxicité liée à l'œuf ?

M. Jacques BERGER : Il sera sûrement avantageux, à terme, de travailler avec d'autres technologies. Mais elles sont complexes, et ont besoin d'être testées. Comme pour tous les vaccins, il est nécessaire d'en passer par un processus d'acceptation par les autorités réglementaires. On sait que de nombreuses années vont encore s'écouler avant que la culture cellulaire ne soit disponible. Nous y travaillons très activement, parce que c'est un moyen de se passer de l'œuf. Mais en cas de pandémie, il faudra répondre avec la technologie existante qui est parfaitement éprouvée et solide, même s'il faut passer par l'œuf.

M. le Président : Avez-vous eu une commande des États-Unis pour travailler sur cette culture cellulaire ? Pour quel montant ?

M. Jacques BERGER : Oui, pour une centaine de millions de dollars.

M. Pierre HELLIER : Vous ne travaillez pas du tout sur des vaccins animaux ?

M. Jacques BERGER : C'est Merial qui le fait.

M. Pierre HELLIER : Ni sur des vaccins pour les éleveurs, à partir du virus H5N1 ?

M. Jacques BERGER : Nous travaillons sur le vaccin H5N1.

M. Didier HOCH : Je voudrais revenir sur les œufs. Aujourd'hui, il existe une technique, la reverse génétique, qui permet de maîtriser les virus sauvages et les rendre compatibles avec les œufs. Ce problème de toxicité du virus sur l'œuf n'existe plus en tant que tel : c'est l'une des grandes avancées de ces dernières années.

M. François GUILLAUME : La mutation des virus est-elle si rapide qu'elle rende l'adaptation difficile ? Estimez-vous que la vaccination des cheptels avicoles pourrait éradiquer tout virus susceptible de toucher les humains ?

M. Didier HOCH : Je suis incompétent sur la question de la vaccination animale.

En revanche, nous savons que la rapidité de mutation est très difficile à apprécier. Aujourd'hui, le virus H5N1 est un virus aviaire, relativement stable. Mais l'expérience montre que les virus mutent régulièrement, et qu'ils peuvent muter en se croisant avec un virus humain et en se recombinant. On ne peut pas dire avec certitude quand cela va arriver ni où. Peut-être même n'y aura-t-il pas de pandémie avec un H5N1.

Mme Catherine GERDIL : Aujourd'hui, le rôle de l'OMS est important. Un lien très étroit s'est établi entre les laboratoires de l'OMS, qui isolent le virus et suivent son épidémiologie, et les fabricants. Il s'agit de réagir le plus rapidement possible.

M. le Président : Venons-en maintenant à l'aspect production et distribution.

M. Jacques BERGER : Sanofi-Pasteur représente environ 40 % du marché mondial pour la grippe interpandémique. Notre responsabilité est d'être particulièrement performants si une pandémie se déclare. C'est pourquoi des équipes dédiées y travaillent à 100 % de leur activité.

Pour la grippe, nous avons un site de production près de New York et un autre en France. Nous avons fait le choix stratégique de doubler nos chances, et nous travaillons de façon équivalente sur les deux sites. Bien sûr, les équipes se coordonnent, mais elles doublent aussi certaines opérations.

J'ajoute que les autorités américaines nous ont beaucoup aidés : par le biais des RFP, ou request for proposal, c'est-à-dire des appels d'offres, elles se sont adressées aux différents producteurs sur des sujets spécifiques. Ce ne fut pas le cas en Europe, et c'est pourquoi nous avons décidé, de notre propre chef, de mener des opérations un peu similaires.

M. le Président : A quel moment cela s'est-il passé ?

M. Jacques BERGER : Les premiers appels d'offres américains ont été lancés en mars-avril 2004, et le processus se poursuit, le gouvernement américain ayant mis de côté les fonds nécessaires au financement de ces recherches. Je ne peux pas dire que nous ayons été à l'origine de ces demandes.

M. le Président : De quand date votre interpellation des autorités européennes ?

M. Didier HOCH : Nous avons interpellé les autorités des pays européens en février 2004. Mais nous n'avons pas obtenu ce que nous voulions. Alors que nous n'avions rien demandé aux États-Unis...

M. Jacques BERGER : Quand on se prépare à une pandémie, on est un peu comme le sportif de haut niveau qui sait qu'il va avoir à faire une course, mais qui ne sait pas quand, dans quel stade ni sur quelle distance. Cela ne veut pas dire qu'on ne peut pas faire beaucoup de choses pour s'y préparer.

L'élément de base sur lequel nous travaillons, c'est le fameux H5N1. Nous savons qu'une souche pandémique va se comporter d'une façon différente d'une souche interpandémique. Le H5N1 est considéré comme l'une des souches les plus proches de celle qui pourrait être, un jour ou l'autre, pandémique. D'où l'idée de l'utiliser pour travailler sur un vaccin prototype.

Nous allons tester notre système industriel sous toutes ses formes, avec ce vaccin prototype. On fabriquera d'abord des vaccins en petite quantité, qui nous serviront éventuellement à faire des études cliniques. Ensuite, il y aura une montée en puissance : nous travaillerons sur un ou deux millions de doses, puis sur dix millions de doses ou plus. Ainsi, le jour venu, lorsque la souche pandémique aura été identifiée par l'OMS, souche dont nous pensons que le comportement devrait être relativement proche de celle du H5N1, nous serons dans les meilleures conditions pour produire le vaccin. Pour autant, il faudra que l'efficacité de ce vaccin soit prouvée.

En période interpandémique, il suffit de fabriquer des doses dans des quantités qu'on sait évaluer. En cas de pandémie, il faudra multiplier nos efforts de façon considérable. Notre première responsabilité sera de travailler vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept et d'être capables de fabriquer le maximum de doses dans le minimum de temps.

Il sera important de déterminer la dose qui sera suffisante pour bien vacciner tout en étant parfaitement tolérée, mais qui pourra être fabriquée en grandes quantités. Voilà pourquoi nous avons commencé à fabriquer de petits lots de H5N1, qui nous semble proche de la future souche pandémique, et qui nous ont permis de faire des tests cliniques, actuellement effectués en France et aux Etats-Unis.

Lorsque nous aurons ces informations, nous disposerons d'un certain nombre d'éléments, sur la tolérance du vaccin et sur son efficacité. C'est alors que nous pourrons déterminer s'il faudra une ou deux doses et quelle sera la charge antigénique à mettre dans chacune des doses. Cela nous permettra d'ajuster la formulation du produit, laquelle nous renseignera sur notre capacité industrielle le moment venu.

Voilà pourquoi nous ne saurions répondre aujourd'hui de notre capacité industrielle au niveau pandémique. Cela dépendra de la souche. Encore une fois, notre responsabilité de professionnels de la vaccination est de nous mettre en situation de pouvoir, le moment venu, nous adapter le plus vite possible.

Je précise par ailleurs qu'il n'est techniquement pas possible de construire une usine qui ne servirait à rien, du moins pendant de nombreuses années. En effet, une usine de vaccins nécessite d'être utilisée quotidiennement, notamment pour que les personnels restent opérationnels continuellement. Nous devons donc essayer d'optimiser les différentes étapes de la production pour être capables, le jour venu, de sortir le maximum de doses en un minimum de temps. Et si nous travaillons des deux côtés de l'Atlantique, c'est pour optimiser nos expériences.

Tout cela ne serait pas possible sans deux conditions essentielles, que nous remplissons heureusement.

D'abord, une volonté de dialogue avec des structures comme l'OMS, avec laquelle nous avons des contacts réguliers. Lorsque la pandémie sera avérée, nous devrons arrêter la production de vaccins interpandémiques. Ce sera une décision très importante. D'où l'intérêt de pouvoir réfléchir avec ces structures sur la façon de se préparer.

Ensuite, de très bonnes relations avec les autorités nationales. Elles sont absolument essentielles à notre bon fonctionnement et pour notre préparation à une éventuelle pandémie.

S'agissant des délais, on a parlé de trois mois. Mais il ne faut pas se tromper de point de départ. A partir du moment où la pandémie est déclarée, il faudra attendre entre quatre ou six mois. Car il faudra que l'OMS soit en situation de nous fournir la souche correspondante.

M. le Président : Supposons que nous soyons en période de pandémie. Parlez nous production française, production mondiale, production équitable.

M. Jacques BERGER : Depuis de nombreuses années, notre activité grippe est concentrée sur le site du Val-de-Reuil, à une trentaine de kilomètres de Rouen. C'est l'ancien site de l'Institut Pasteur Production. Il est très expérimenté dans le domaine de la vaccination. La totalité de la production « vrac » - c'est-à-dire la matière de base qui sera ultérieurement formulée, contrôlée et répartie - est assurée sur ce site.

Nous menons une réflexion, qui est très avancée, pour tenter de préparer l'ensemble de nos sites, y compris le Val-de-Reuil, à répondre à la situation. Le jour venu, une grande partie des forces actives du site et des sites de production vont devoir se consacrer à cette pandémie. Nous devrons avoir prévu comment gérer la production des autres vaccins qui nous seront demandés.

M. le Président : Mettons que nous soyons en période de pandémie. Au bout de quatre mois, combien sortez-vous de vaccins ?

M. Jacques BERGER : Je suis incapable de vous le dire.

M. le Président : Pourtant, le Gouvernement donne des chiffres.

M. Jacques BERGER : Il faut savoir que nous aurons à produire des vaccins monovalents et non trivalents. Par ailleurs, nous consacrerons la totalité de l'année à fabriquer cette souche, alors que nous fabriquons actuellement deux vaccins équivalents, l'un pour l'hémisphère nord, l'autre pour l'hémisphère sud. Tant que nous n'aurons pas terminé nos premières estimations et testé les premiers produits issus de ces productions, il nous sera difficile de vous dire ce que cela devrait donner.

M. le Président : Pourtant, je n'ai pas rêvé : vous avez bien passé un contrat avec le gouvernement ! Dans votre contrat, vous vous êtes engagés sur des chiffres. Donnez-les nous !

M. Jacques BERGER : Heureusement, notre capacité doit être bien supérieure à celle-ci.

M. le Président : Donnez-nous les chiffres, et indiquez-nous une fourchette au plan mondial.

M. Jacques BERGER. Globalement, au plan mondial, nous avons une capacité d'environ 165 millions de doses trivalentes - deux tiers en Europe et un tiers aux États-Unis.

M. Jean-Pierre DOOR, rapporteur : Avez-vous passé des accords avec d'autres pays ?

M. Jacques BERGER : En effet, d'autres pays nous ont sollicités pour conclure des accords.

M. Pierre HELLIER : Et avec quels pays en avez-vous signé ?

M. Jacques BERGER : Avec la France et les États-Unis. Nous avons été sollicités par un autre pays européen, la signature est imminente.

M. le Président : Sur quoi portent ces accords ? Vous avez des contrats avec les États-Unis, pour fabriquer du H5N1, c'est-à-dire du prépandémique, et pour travailler sur les nouveaux modes de production. Mais nous voudrions connaître quels contrats vous avez passés s'agissant du vaccin pandémique.

M. Jacques BERGER : Nous avons passé des accords qui portent sur la fourniture de certaines quantités de H5N1 et qui nous engagent à fournir au gouvernement français l'équivalent de 28 millions de traitements - une ou deux doses par traitement, nous ne le savons pas encore. Le gouvernement s'est par ailleurs adressé à d'autres fournisseurs pour compléter ses besoins.

M. Pierre HELLIER : Il n'y a pas de délai ?

M. Jacques BERGER : Non.

M. Didier HOCH : Je voudrais ajouter que nous avons eu beaucoup de contacts avec les autorités de différents pays européens. Certains pays nous ont demandé du H5N1 avec, à la clé, un engagement pour un vaccin pandémique. C'est le cas de la France. Deux ou trois autres pays sont en train de faire la même chose. D'autres pays ont demandé un engagement pandémique, sans rien d'autre. Notre politique est de ne pas y répondre. D'autres encore lient, dans leur contrat, interpandémie et pandémie. Un dernier pays a passé un contrat de recherche-développement pure, nous demandant de produire tel type de vaccin dans le pays et accordant, à la clé, un contrat de couverture.

Nous avons lancé nos programmes H5N1 aux États-Unis et en France fin 2003. Nous avons eu du mal à trouver une forme d'aide simple et logique. Les autorités françaises ont décidé de nous aider dans notre démarche de produire à échelle réelle le H5N1. Un des moyens de nous aider a été de conclure ce fameux contrat couplé avec un peu de H5N1 et avec une assurance de couverture.

L'accord passé porte sur 28 millions de traitements, mais il est à géométrie variable : il tient compte de la productivité possible. Il assure une couverture adéquate à la population française, en tenant compte des contraintes de production, et il respecte l'idée d'une distribution équitable. En livrant la France de cette manière, nous ne pénalisons pas, ou relativement peu, les autres pays. C'est aussi pour cela que nous avons signé ce contrat.

Voilà pourquoi Jacques Berger a eu du mal à vous répondre. Il y a trois hypothèses de timing en fonction de la productivité. Nous nous adapterons au fur et à mesure de l'avancée de la science et du résultat des études cliniques qui auront lieu à la fin de cette année et au début de l'année prochaine.

M. Pierre HELLIER : Des retards sont possibles. Dans les contrats, vous n'avez pas de date de mise sur le marché du vaccin définitif ?

M. Didier HOCH : Le vaccin définitif commencera à être sur le marché treize semaines après l'obtention de la souche.

M. le Président : Vous êtes-vous engagés sur ce délai de treize semaines ?

M. Didier HOCH : Dans le contrat français, oui.

M. le Président : Par contre, vous ne savez pas si, pour les 28 millions de traitements, il faudra 28 ou 56 millions de doses ?

M. Didier HOCH : Exactement.

Mme Catherine GERDIL : Il est très difficile de s'engager sur un délai ferme parce qu'on a besoin d'éléments, ce que nous appelons des « réactifs », pour standardiser notre vaccin. C'est quelque chose que nous ne maîtrisons pas.

M. le Président. Combien de temps faut-il compter entre la fourniture de la première dose et la fourniture de la 28 millionième ?

M. Didier HOCH : Avec une productivité égale à celle d'un vaccin normal, quatre ou cinq mois à partir de la première dose. Nous sommes partis de l'hypothèse de vaccins interpandémiques à 15 microgrammes. Mais d'autres schémas sont possibles.

M. Alain CLAEYS : Quelle ont été les contreparties, pour votre groupe, des aides apportées par le gouvernement américain à la recherche ?

M. Jacques BERGER : Une seule, venue du gouvernement français : l'achat d'un certain nombre de doses de vaccin H5N1.

M. Alain CLAEYS : D'accord, mais les contreparties du côté américain ?

M. Jacques BERGER : Initialement, il nous a été demandé de faire des lots cliniques destinés justement à lancer des études cliniques permettant d'en savoir plus. La fabrication de ces lots cliniques a fait l'objet du premier appel d'offres. Il nous a été demandé, ensuite, de monter en puissance jusqu'à deux millions de doses, et une première commande de deux millions de doses a été passée au cours de l'année dernière. Puis on nous a demandé de monter encore davantage en puissance, avec des quantités antigéniques, pour un volume équivalent à plusieurs dizaines de millions de doses. Il y a donc eu un troisième appel d'offres, que nous avons également remporté.

Nous nous trouvons ainsi en situation industrielle, ce qui nous permet de tester l'outil sous toutes formes.

M. le Président : Construisez-vous une nouvelle usine ?

M. Jacques BERGER : Nous en sommes seulement au niveau d'une commande de vaccins H5N1, mais c'est un niveau tel que cela nous met en situation industrielle.

Autre problème : l'approvisionnement en œufs, à partir desquels sont fabriquées les doses de vaccin. Nous devons nous assurer que nous aurons des œufs en quantité suffisante. En période de pandémie, la production d'œufs risque d'être insuffisante. Un quatrième appel d'offres a donc été lancé. Le gouvernement américain a ainsi financé la sécurisation de l'approvisionnement en œufs. Ce qui implique de choisir la répartition géographique des endroits où on les fabrique, d'assurer un niveau qualitatif suffisant, une surveillance, et garantir une quantité d'œufs supplémentaire par rapport à ce qui est nécessaire.

M. le Président : Est-ce que cela existe en France ?

M. Jacques BERGER : L'équivalent de ce système de sécurisation de l'approvisionnement en œufs n'existe pas en France. C'est un sujet que nous aimerions bien aborder.

M. le Président : Est-il au moins en discussion ?

M. Jacques BERGER : Il a été évoqué, mais sans nous...

Enfin, dernier point : nous souhaitons, à terme, utiliser une autre technologie que celle des œufs : la technologie de culture cellulaire. Là encore, aux USA, un appel d'offres supplémentaire a été passé. Nous l'avons également remporté. Il nous aide à développer cette culture cellulaire et à concevoir ce que serait une usine de culture cellulaire.

M. Alain CLAEYS : De son côté, quels appels d'offres l'Europe a-t-elle lancés ? Quels sujets a-t-elle traités ?

M. Jacques BERGER : L'Europe nous a sollicités pour fabriquer des lots cliniques à partir d'une souche un peu différente, la souche H7N1.

M. Pierre HELLIER : Le vaccin H5N1 que vous êtes en train de préparer pourrait-il servir aux éleveurs ?

M. Didier HOCH : Il faudra attendre le résultat des études cliniques. Le choix de vacciner ou non des éleveurs se posera, s'il s'avère que la souche circulante H5N1 reste stable et que le vaccin protège.

M. Pierre HELLIER : Ce n'est pas dans ce but là qu'on vous l'a commandé ?

M. Didier HOCH : Les éleveurs n'étaient pas spécifiquement visés. Le but était de circonscrire éventuellement un foyer naissant de H5N1 s'il s'avérait que la souche restait stable.

M. Pierre HELLIER : En cas de déclaration de pandémie par l'OMS, on vous donnera la souche et vous vous mettrez à travailler le plus rapidement possible. Vous subirez une énorme pression pour raccourcir les périodes d'expérimentation. Mais vous aurez à tenir compte du risque médico-légal, que vous prendrez en travaillant vite. Vous risquez des procès.

M. Didier HOCH : Ce serait la mort assurée de l'entreprise.

M. le Président : De qui attendez-vous des réponses ? Du gouvernement français, de la Commission européenne, du gouvernement américain ?

M. Didier HOCH : Il faut que la Commission européenne et les États membres acceptent de couvrir ce risque.

M. le Président : Est-ce une condition sine qua non ?

M. Jacques BERGER : Oui, c'est impératif.

M. le Président : Est-ce que le contrat passé avec la France pour 28 millions de traitement prévoit de transférer la responsabilité au gouvernement français ?

M. Jacques BERGER : Oui.

M. le Président : Il semble que vous ayez choisi de construire aux Etats-Unis une nouvelle usine, ou une nouvelle chaîne de production, en plus de celle que vous possédez déjà aux États-Unis.

M. Jacques BERGER : Nous avons besoin d'ajuster nos productions américaines. Notre usine date déjà d'un certain nombre d'années et il nous faut tenir compte des réglementations. Nous allons donc construire une nouvelle usine de culture sur œufs.

M. le Président : C'est le gouvernement américain qui l'a financée ?

M. Jacques BERGER : Non, c'est nous. Le Gouvernement américain s'est engagé, lui, pour l'engineering du projet d'usine de culture cellulaire.

M. le Président : Le choix de construire une nouvelle usine est-il un choix interne à l'entreprise, indépendamment des commandes extérieures ?

M. Jacques BERGER : Absolument. Le gouvernement américain ne nous a pas aidés pour cela.

M. Alain CLAEYS : Le dernier appel d'offres lancé par l'administration américaine porte sur la sécurisation de l'approvisionnement en œufs, c'est une question importante.

M. Jacques BERGER : Le sujet est en effet important, et nous sommes prêts à en rediscuter. Il faudra qu'en interne, nous finalisions notre projet, qui est très avancé.

M. Pierre HELLIER : Parlez-nous de cette sécurisation, qui me paraît essentielle. Et dites-nous si le fait que l'on vaccine les animaux peut vous poser des problèmes - les œufs d'une poule vaccinée peuvent-ils encore vous servir ?

Mme Catherine GERDIL : Oui, cette vaccination pourrait nous gêner dans la mesure où l'on ne sait pas si cela ne peut pas interférer avec la croissance du virus en question.

Revenons à la sécurisation de l'approvisionnement en œufs. Celui-ci se fait en plusieurs étapes. D'abord, nous mettons en place un approvisionnement annuel, pour être capable de produire quelle que soit la période de l'année. Il faut donc réfléchir en termes de nombre de fermes, de couvoirs... et de sécurisation de ces installations. Ensuite, nous devons prévoir des systèmes de stocks de sécurité supplémentaires, pour palier les éventuels problèmes d'un de nos fournisseurs d'oeufs. Nous avons estimé qu'il fallait un stock supplémentaire de l'ordre de 20 %. Enfin, nous devons diversifier géographiquement cet approvisionnement en œufs, pour diminuer l'impact d'épizooties localisées en France. En raison de la migration des oiseaux, nous risquons d'y être confrontés dès cette année ou dès le printemps prochain.

M. Pierre HELLIER : Avec qui faut-il discuter ? Qui vous donnera cette assurance ? Comment faire ?

M. Jacques BERGER : Nous allons essayer d'identifier les personnes qui pourraient nous assurer ce surplus d'œufs. Nous travaillons en interne, car il nous faut bien réfléchir. Nous bénéficions de l'expérience américaine, même s'il n'est pas possible de la transposer telle quelle. Cela dit, nous sommes maintenant prêts à en discuter.

M. le Président : Comment se présente la demande mondiale ? Pensez-vous que vous serez à même de répondre à la demande européenne ? Que se passe-t-il pour les clients traditionnels de votre industrie en France ? J'exclus ceux qui se trouvent dans la partie riche de l'Asie et aux États-Unis.

M. Jacques BERGER : Nous ne sommes pas les seuls - puisque nous ne représentons que 40 %. D'autres producteurs réfléchissent au problème. La plupart d'entre eux essaient de monter en puissance en prévision d'un épisode pandémique.

Il est exact que l'ensemble des producteurs européens approvisionne une bonne partie des pays qui ne sont pas en Amérique du Nord, en Australie et au Japon. Il y a aussi des pays qui n'utilisent pas actuellement de vaccins anti-grippe et qui, le jour venu, en auront besoin.

Notre responsabilité est de fournir le plus grand nombre de doses possibles dans un minimum de temps. Mais il est également indispensable de parvenir à une distribution équitable. Il faut donc mettre en place une coordination entre États et mener des réflexions, auxquels les industriels doivent participer, mais dont ils ne doivent pas être l'élément moteur.

M. le Président : Je n'ai pas de reproche à faire à votre entreprise. Vous êtes connus pour avoir continué à investir dans le vaccin, alors que la pharmacie mondiale désinvestissait. Mais parlons clair : à qui va-t-on fournir, et comment ?

Il y a peut-être des conclusions à tirer. Tout à l'heure, vous nous avez dit qu'il fallait quatre ans pour construire une usine. La pandémie ne se déclarera pas forcément immédiatement, mais ne serait-il pas temps d'essayer de raccourci ces délais, d'envisager des formules économiques et financières pour la fabrication des vaccins ?

Enfin, je repose ma question : que prévoyez-vous pour l'Europe ? Que prévoyez-vous pour vos clients traditionnels ?

M. Didier HOCH : C'est ce que nous essayons de savoir. Notre association a interrogé les États membres et la Commission sur les perspectives attendues. Il faut que les pays fassent connaître leurs besoins.

M. le Président : Mais vous connaissez les besoins d'un pays appartenant aux Vingt-Cinq ! En tant que scientifique, vous savez que l'indice souhaitable de protection des populations se situe à tel ou tel niveau, quel que soit le pays. L'Union européenne vous a-t-elle interrogés sur les taux de protection nécessaires de la population ? A-t-elle consulté les différents pays qui, inévitablement, viendront frapper à sa porte en cas de crise ? On ne peut pas attendre qu'ils le fassent.

M. Didier HOCH : Pour notre part, nous n'avons pas attendu. En interpandémie, nous avons évalué le taux de couverture de la population européenne à 30 ou 33 %, soit 150 millions d'habitants, afin d'être tranquilles en cas de pandémie.

M. le Président : Actuellement, où en est-on ?

M. Didier HOCH : Nous en sommes à 90 millions.

Nous nous plaçons dans une perspective de distribution équitable. Nous montons en production globale en Europe et dans le monde, et nous continuons à servir tout le monde. Ce sera utile à tous, et pas seulement aux pays européens. Telle est la logique de laquelle nous sommes partis. Mais aujourd'hui, nous n'avons pas encore d'engagements en ce sens.

Dans le même esprit, nous essayons de faire que les pays dans lesquels il y a des producteurs de vaccins acceptent de ne pas fermer leurs frontières. Or ce n'est pas facile, certains pays européens préférant couvrir d'abord leur population.

M. le Président : De quels pays parlez-vous ?

M. Didier HOCH : Je ne peux pas vous dire lesquels. Mais on sait que certains pays ont fait des appels d'offres ou des demandes visant à protéger uniquement leur population, quoi qu'il arrive.

M. le Président : La France aussi a lancé un appel d'offres.

M. Didier HOCH. Si ce n'est que le gouvernement français, lui, tient compte du fait que nous produisons aussi pour d'autres Etats, en Europe et en dehors d'Europe. D'autres pays producteurs ne se sont pas posé les mêmes questions...

M. le Président : Dites-nous lesquels...

M. Didier HOCH : Vous le savez !

M. le Président : Vous êtes président de l'Association européenne des producteurs de vaccins ! Rappelez-nous donc les pays qui produisent.

M. Didier HOCH : A cette question, évidemment sans lien avec la précédente... je répondrai : la France, l'Italie, l'Allemagne, les Pays-Bas, le Royaume-Uni et la Suisse.

M. Pierre HELLIER : Vous avez parlé d'un taux de couverture de 33 %. Avec un tel taux en interpandémie, a-t-on l'espoir de juguler ainsi la pandémie ?

M. Didier HOCH : Une couverture de 33 % en interpandémie permettrait de couvrir 50 à 100 % de la population totale en cas de pandémie.

M. le Président : Nous avons auditionné un représentant du laboratoire Roche, qui fabrique un antiviral. Il y a quatre mois, ce laboratoire déclarait qu'il y aurait, en cas de pandémie, un problème de production, qu'il était le seul à pouvoir le résoudre et que, pour construire une nouvelle chaîne de production, il fallait dix-huit mois. La pression mondiale évoluant, ce laboratoire ne considère plus aujourd'hui qu'il est le seul à pouvoir produire, mais que des usines ailleurs dans le monde, au Vietnam notamment, en seraient capables, sous licence.

Le même phénomène va-t-il se produire pour vous ? Vous nous dites qu'il faut quatre ans pour produire une nouvelle usine, vous insistez sur le fait qu'il existe un lien très direct entre la vaccination habituelle, régulière, et la vaccination pandémique, et vous déclarez que les usines ne doivent pas être seulement des chaînes de production en état de veille, mais qu'elles doivent fonctionner. D'accord. Mais nous voudrions que vous nous disiez si, selon vous, on doit créer d'autres chaînes de production pour fournir la demande mondiale en vaccin. J'exclus bien sûr le cas où la pandémie se déclarerait cette année ou l'année prochaine.

M. Jacques BERGER : Ce qui est délicat, c'est que nous sommes pour quelques années encore à la fin d'un cycle d'une technologie de production et au début d'un autre. Il y a en effet deux types d'usines : celles qui fabriquent des vaccins à partir d'œufs et celles qui en fabriquent à partir de la culture cellulaire. Or les technologies qui y sont utilisées n'ont rien à voir entre elles.

Il faut y réfléchir de manière approfondie, surtout dans la mesure où les montants en jeu sont considérables, de l'ordre de centaines de millions d'euros. Les Américains nous ont demandé d'estimer l'engineering d'une unité de culture cellulaire. Cela représente beaucoup d'argent pour des industriels comme nous.

M. le Président : Pour vous, certes. Mais s'il s'agit de protéger la population mondiale, ce n'est pas beaucoup.

M. Jacques BERGER : Nous ne sommes pas encore capables de passer à la production sur culture cellulaire. Nous pouvons y réfléchir, mais la technologie n'est pas au point. Elle le sera d'ici à quelques années.

M. le Président : Quel est l'intérêt de la technologie cellulaire par rapport à la technologie précédente ?

M. Jacques BERGER : Elle permet l'élimination de l'utilisation des œufs. Mais elle ne permet pas de produire plus.

Mme Catherine GERDIL : Le système de culture cellulaire n'est pas aussi performant en termes de productivité que le système de culture sur œufs.

M. le Président : Si j'ai bien compris, cette nouvelle technologie ne pose plus de problèmes de recherche, mais des problèmes de développement et d'industrialisation. Est-ce qu'un coup de « booster » financier vous permettrait d'accélérer les choses ?

M. Jacques BERGER : Je ne le pense pas. En revanche nous souhaiterions réfléchir avec les autorités françaises sur l'approvisionnement en œufs.

M. le Président : En tant qu'industriels, vous réfléchissez en fonction des intérêts de votre entreprise, et c'est normal. Il reste que, de notre côté, nous sommes confrontés à une question de santé publique de dimension mondiale. Il nous faudra bien, à un moment, faire des choix. Si nous décidons de ne pas mettre en place maintenant de nouvelles chaînes de production, nous manquerons de vaccins au moment où, éventuellement, la pandémie se déclarera.

Savez-vous si, au niveau gouvernemental ou intergouvernemental, on s'est interrogé sur l'intérêt qu'il y aurait à choisir une formule plutôt qu'une autre ? Un jour ou l'autre, on nous interpellera, et on vous interpellera, à juste titre, sur ce que nous n'aurons pas fait au moment où il était encore temps d'agir, et alors que nous étions parfaitement conscients du problème.

Vous nous avez dit que, pour vous, des centaines de millions d'euros représentaient beaucoup. Bien sûr. Mais ce n'est pas hors de proportion pour un Etat européen ou pour les Etats-Unis ; on sait dépenser beaucoup dans d'autres secteurs. Y a-t-il eu débat sur les capacités de production au niveau mondial, sur les choix à faire en matière d'investissements dans de nouvelles structures de production ?

M. Pierre HELLIER : Pour compléter cette question : actuellement, si on décide de construire une nouvelle usine, ce ne peut être que pour produire à partir des œufs ?

M. Jacques BERGER : En effet.

M. Didier HOCH : Oui, le débat sur les capacités de production a lieu. Il a commencé avec l'OMS. Il va se prolonger, à la fin du mois, avec la rencontre avec le commissaire Kyprianou. En janvier ou février, une grande réunion est prévue avec l'OMS.

Aujourd'hui, nous n'avons certainement pas, au niveau mondial, les capacités de production suffisantes. C'est un fait, inutile d'en discuter pendant des heures. Mais il faut savoir si ce qu'ont déjà prévu les fabricants, qui ont quand même un peu anticipé sur la pandémie, suffira à couvrir les besoins, ou s'il faut faire davantage.

Nous sommes confrontés à des questions de santé publique. Le problème n'est pas de choisir entre le cellulaire et la culture sur œufs. Il faut faire les deux : le cellulaire est peut-être l'avenir, dans la mesure où il nous affranchirait de cette contrainte d'approvisionnement en œufs. Mais en même temps, il faut continuer à travailler sur les œufs et aider les industriels à prendre des risques pour produire davantage d'œufs.

M. Jean-Pierre DOOR, rapporteur : Quel type de collaboration attendez-vous des pouvoirs publics, français et européens ? Que souhaiteriez vous, au-delà des accords que vous avez déjà passés ?

M. Didier HOCH : Le problème, pour un industriel, n'est pas tant d'investir que de risquer de construire des usines qu'on ne pourrait pas faire tourner. Il faut que les vaccins produits soient utilisés. On peut penser à la constitution d'un fonds d'achat européen pour assurer la couverture « grippe » des populations des pays en voie de développement. Ce ne serait pas très compliqué.

M. le Président : Est-ce que cela représente beaucoup d'argent ?

M. Didier HOCH : Une unité de production nouvelle d'œufs coûte 200 millions d'euros. Cela permet de fabriquer une centaine de millions de doses de vaccins trivalents. Idéalement, il en faudrait une ou deux de plus.

M. Jacques BERGER : Je tiens à revenir sur les propos précédents : il est impossible qu'une usine ne tourne pas. Nous le constatons dans nos propres bâtiments : la « cuisine » biologique est une cuisine fine et pour la fabriquer, on ne trouve pas tout dans les livres ; l'ancienneté et le savoir-faire sont tout aussi essentiels.

M. le Président : Ne peut-on faire que des vaccins grippaux dans vos usines ? Ne pourrait-on pas, demain, les convertir en unités de fabrication de vaccins contre le paludisme ou la polio ?

M. Didier HOCH : Non.

M. le Président : Combien de temps faut-il pour construire une nouvelle usine ?

M. Didier HOCH : De quatre à cinq ans.

M. le Président : Ne pourrait-on réduire ce laps de temps ?

M. Jacques BERGER : Nous le souhaiterions. Le problème est d'ordre réglementaire, et c'est donc sur la phase réglementaire qu'on pourrait gagner du temps. En gros, il faut compter six à huit mois pour la conception et l'obtention des autorisations locales. Ensuite, à peu près deux ans pour construire l'usine, commander les équipements et les incorporer. Enfin dix-huit mois à deux ans pour la validation réglementaire de l'ensemble. Nous tentons désespérément de réduire ces délais.

M. le Président : Je reconnais que nous sommes les premiers à vous empêcher d'aller vite : après tout, notre métier est de fixer des normes ! Mais il se trouve, en l'occurrence, que nos souhaits respectifs iraient dans le même sens.

M. Jacques BERGER : Actuellement, et a fortiori en cas de pandémie, les relations avec les autorités de tutelle sont essentielles. Si la situation se présentait, nous serions amenés à les solliciter.

M. Pierre HELLIER : Il faut malgré tout trouver rapidement des interlocuteurs pour sécuriser votre filière « œufs ».

M. le Président : Madame, Messieurs, je vous remercie.


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