Mercredi 7 décembre 2005

- Audition de Mme Bernadette MURGUE et de M. Vincent ROBERT, chargés de mission au département « sociétés et santé » de l'Institut de recherche et de développement (IRD)

(Compte rendu de la réunion du 7 décembre 2005)

Présidence de M. Jean-Marie LE GUEN, Président,

puis de Mme Bérangère POLETTI, Vice-Présidente

M. le Président : Notre mission d'information s'est d'abord penchée sur la question des moyens médicaux disponibles en cas de pandémie grippale, qui fera l'objet d'un premier rapport courant janvier. Nous poursuivons nos travaux par un deuxième cycle d'auditions consacrées à l'épizootie grippe aviaire, afin d'être « au rendez-vous » des problèmes qui pourraient se poser lors du retour des migrations. Nous aimerions connaître le regard que, fort de sa position sur le plan mondial et particulièrement en Afrique, l'IRD porte sur cette question.

Mme Bernadette MURGUE : Rappelons au préalable que la mission principale de l'IRD est d'aider les pays du Sud à développer leur recherche et que, dans ce cadre, il se préoccupe essentiellement de santé humaine. La santé animale au sens strict est du ressort d'autres organismes tels que le CIRAD, avec lequel nous collaborons, de même qu'avec plusieurs équipes de l'Institut Pasteur.

Établissement public à caractère scientifique et technique, placé sous la double tutelle des ministères chargés de la recherche et de la coopération, l'IRD conduit des programmes scientifiques centrés sur les relations entre l'homme et son environnement, et dont l'objectif est de contribuer au développement durable des pays du Sud. Doté d'un budget de 200 millions d'euros, employant plus de 1 600 chercheurs, ingénieurs et techniciens, dont plus de la moitié sont affectés dans 90 unités de recherche et de service, l'IRD est présent dans une quarantaine de pays. Ses activités scientifiques se répartissent entre trois départements de recherche : « Milieux et environnement », « Ressources vivantes », « Sociétés et santé ».

Ce dernier département compte une quinzaine d'unités de recherche, dont l'objectif général vise la sécurité sanitaire et la lutte contre les maladies liées à la pauvreté. Elle s'organise en trois domaines principaux : la lutte contre les grandes maladies liées à la pauvreté - VIH-sida, paludisme, tuberculose -, l'environnement et les maladies émergentes, ce qui nous amène à nous intéresser à la grippe aviaire, et enfin la santé de la mère et de l'enfant. L'accès aux soins, dimension transversale et sociale, est incorporé systématiquement dans toutes ces recherches.

Si la santé humaine constitue le cœur de nos activités, le département Sociétés et santé s'intéresse également aux zoonoses, en particulier à certaines affections à arbovirus, dont le virus « West Nile », affectant également les oiseaux, la fièvre jaune, la dengue, la fièvre de la vallée du Rift, certaines fièvres hémorragiques virales - Ebola, Hantan -, les rétrovirus, notamment le HIV, les trypanosomoses africaines et américaines, ou encore la leishmaniose contre laquelle nous avons mis au point un vaccin canin.

M. Vincent ROBERT : L'IRD n'est probablement pas l'interlocuteur le mieux placé pour vous parler du problème vétérinaire posé par la grippe aviaire. Ce sont le CIRAD et l'AFSSA qui, avec leurs vétérinaires et leurs épidémiologistes de haut niveau, pourront vous apporter des réponses plus précises. Cela dit, l'IRD peut vous intéresser pour sa connaissance des problèmes spécifiques du Sud.

Nous avons cru comprendre que vous étiez « à niveau » en matière de connaissances sur la grippe humaine et le risque pandémique...

M. le Président : Tout cela est effectivement acquis. Nous sommes relativement préoccupés par la persistance de foyers importants de grippe aviaire dans le Sud-Est asiatique, porteurs tout à la fois d'une menace de développement de l'épizootie et d'un risque croissant de passage à la pandémie : ce matin encore, la presse faisait état de nouveaux cas de transmission humaine en Chine. Certaines informations qui, jusqu'à présent, ne nous étaient pas parvenues commencent à filtrer. Autrement dit, sans pouvoir savoir tout ce qui se passe à l'intérieur, dans certains pays on devine bien qu'il y a un problème dans le Sud-Est asiatique.

Nous avons connu cet été la problématique de la grippe aviaire ; on nous parle aujourd'hui de migrations d'oiseaux, susceptibles d'être porteurs du virus, vers l'Afrique de l'Est et peut-être vers l'Afrique des grands lacs et l'Afrique centrale. Vous qui êtes sur le terrain, pressentez-vous un risque de contamination humaine dans ces zones ? La problématique africaine au regard du risque épizootique comme du risque pandémique nous est encore totalement inconnue. Présentez-la nous. Etes-vous en alerte ? Avez-vous des dispositifs sur place ? Estimez-vous le risque moins grand que dans le Sud-Est asiatique où les concentrations humaines sont telles que les relations entre l'homme, le poulet, le porc et le canard sont beaucoup plus étroites ?

M. Vincent ROBERT : Vous avez raison d'aborder le problème sous l'angle du risque. Tout le monde pressent l'existence d'un risque croissant, mais personne n'est capable de le mesurer alors qu'un risque est normalement quantifiable. Cela reste pour l'heure une inquiétude, une éventualité, non mesurables. Là est toute la difficulté du problème. Bon nombre d'informations sur ce qui se passe en Asie du Sud-Est vont dans le sens d'un risque croissant, notamment de dissémination du problème vétérinaire vers l'Europe, mais personne ne sait situer le seuil de risque intolérable ou, à l'inverse, supportable.

C'est un fait que la grippe est causée par la circulation de virus chez les oiseaux. Ce phénomène existe probablement depuis toujours, avant même l'apparition de l'homme sur la Terre. Il faut savoir vivre avec. Nous avons tous des peurs, des inquiétudes, et parfois même nous aimons à les rechercher : il y a des cinémas pour cela...

Malheureusement, nos sociétés sont redoutablement inefficaces en matière de gestion des craintes collectives. Se préparer au pire est certainement inenvisageable : le pire n'est jamais sûr et vous entendrez probablement des réponses très contrastées, davantage dictées par l'affectif et la philosophie personnelle que par des données objectives.

Il y a malgré tout deux façons de voir le problème : sous l'angle de la santé animale et sous l'angle de la santé humaine. Pour ce qui est du premier, nous sommes en plein dedans ; pour ce qui est du second - je parle évidemment de la grippe « aviaire humaine », non de la grippe saisonnière habituelle -, même si l'on sait que la grippe se manifeste tous les dix ou vingt ans par des bouffées épidémiques exceptionnelles entraînant une augmentation du nombre de cas et, donc, de la mortalité, dans les pays développés comme dans la zone tropicale, nous ne sommes pas du tout dedans. Je n'ai pas encore eu vent des suspicions dont vous faites état en Asie du Sud-Est...

M. le Président : On a signalé des cas de transmission humaine. Mais comment voyez-vous la situation en Afrique des grands lacs ?

M. Vincent ROBERT : Il n'y a pas que l'Afrique des grands lacs. Les grands couloirs de migration d'oiseaux sont bien connus : la vallée du Nil, les grands lacs qui ouvrent l'accès vers l'Afrique de l'Est et du Sud, les zones humides d'estivage du Sahel : le Sénégal, le delta intérieur du fleuve Niger, le lac Tchad, etc., qui déterminent les voies de passage à travers le Sahara. À ces grandes migrations Nord-Sud viennent s'ajouter, en fonction des espèces d'oiseaux, des migrations beaucoup plus locales et qui permettent d'envisager tous les scénarios possibles. Autrement dit, compte tenu de ce melting pot, on ne peut partir du fait que l'Asie du Sud-Est se trouve ainsi reliée principalement avec l'Est de l'Afrique pour exclure a priori une remontée de l'Afrique centrale vers l'Europe au prochain printemps. Les risques sont réels, ils existent mais personne ne pourra les chiffrer.

M. le Président : Mais avez-vous des équipes sur place ? L'OMS est-elle présente ? Etes-vous en alerte ?

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Etes-vous intégrés à des réseaux sur place ?

Mme Bernadette MURGUE : Nous sommes impliqués a minima dans un programme sur le rôle des oiseaux migrateur au Sénégal, où il existe une grande zone de réserve ornithologique et où une équipe de recherche de l'IRD travaille aux côtés du CIRAD et d'un institut sénégalais de recherche agronomique, pour essayer d'évaluer la possibilité d'un transport de virus par les oiseaux migrateurs de cette zone. Si le besoin d'une réponse inter-institutionnelle est manifeste, aucune demande n'a pour l'heure été formulée par les pays du Sud eux-mêmes. Ils sont concernés, ils essaient de s'organiser mais c'est difficile.

À lire les documents de l'OMS, de la FAO et d'autres organisations, il pourrait y avoir deux types de risques : un risque accru de transmission du virus de l'oiseau à l'homme en Afrique, dans des zones à forte concentration humaine, mais ce qui paraît peu probable, et une transmission interhumaine, mais dans ce cas, le risque est le même qu'en Asie du Sud-Est ; le second risque serait de voir les oiseaux migrateurs infectés ramener au printemps prochain le virus en Europe, créant une situation relativement dangereuse. Mais le danger pour les pays du Sud eux-mêmes est difficile à estimer, d'autant que les moyens de surveillance et de diagnostic manquent. Certains pays ont interdit l'importation de volailles et tentent de s'organiser ; il nous appartient d'essayer, dans le cadre de partenariats, de mettre au point une réponse. Nous avons des perspectives...

M. le Président : J'avais entendu parler d'une conférence des ministres de la santé en Afrique centrale, et je pensais qu'ils avaient pris conscience du problème ; or vous êtes en train de nous laisser entendre qu'ils sont dépourvus de moyens et ont d'autres préoccupations !

Mme Bernadette MURGUE : C'est un peu plus nuancé... Les pays africains ne sont pas tous identiques. Certains ont les moyens de répondre, pas tous.

M. Pierre HELLIER : Existe-t-il actuellement sur place un dispositif de surveillance des oiseaux migrateurs et notamment de leur mortalité ?

Mme Bernadette MURGUE : Je ne peux vous répondre pour tout le continent africain. Au Sénégal en tout cas, l'IRD est impliqué, à la demande du ministère de la santé, dans une recherche sur l'évaluation du transport de virus par les oiseaux migrateurs.

M. Pierre HELLIER : Mais a-t-on noté une surmortalité, des signes d'infestation ?

Mme Bernadette MURGUE : Je ne peux vous répondre avec certitude.

M. le Rapporteur : Dans quels pays africains êtes-vous implantés ?

Mme Bernadette MURGUE : Dans les pays d'Afrique francophone essentiellement.

M. le Président : Donc, ni au Rwanda ni en Ouganda.

M. le Rapporteur : À vous entendre, la mobilisation avec les Etats africains n'est pas ce qu'elle devrait être...

Mme Bernadette MURGUE : Le risque étant très difficile à évaluer et le continent africain soumis à d'autres risques épidémiques, on peut légitimement se demander s'il faut dépenser je ne sais combien de millions d'euros dans un programme de surveillance pour une menace dont personne ne peut dire le niveau.

M. le Rapporteur : Mais on pourrait concevoir une surveillance très intense à un endroit stratégique...

Mme Bernadette MURGUE : Il y a deux types de surveillance. La surveillance passive consiste à observer ce qui se passe et, en cas de mortalité aviaire, à en déterminer la cause - il arrive aux volailles de mourir d'autre chose que du virus influenza. La surveillance active consiste à chercher en amont s'il existe véritablement un risque ; mais cela exige d'autres moyens. Même en Europe, on n'est pas capable de mettre cette surveillance active en œuvre partout.

M. Vincent ROBERT : Distinguons bien la surveillance entre les faunes sauvages et domestiques. S'agissant des oiseaux sauvages, il faut mentionner le rôle de nos collègues du Muséum National d'Histoire Naturelle, très impliqués dans le baguage et le suivi migratoire, et désormais très sensibilisés à cette question. Il pourrait être intéressant pour vous de les auditionner.

M. Jérôme BIGNON : Nous entendrons, la semaine prochaine, M. Raymond Pouget, président de l'association nationale des chasseurs de gibier d'eau, également président de l'OMPO - Oiseaux Migrateurs du Paléarctique Occidental. Les chasseurs de gibier d'eau, évidemment très sensibilisés à la question, ont déjà mis en place des réseaux d'observateurs, avec des ornithologues, dans toutes les zones d'estivage d'Afrique. Très motivés, ils demandent à faire davantage encore et sont prêts à trouver de l'argent afin d'aider à la mise en place de protocoles associant les États africains et les instituts scientifiques. Il serait dommage de se priver de l'apport de ces personnes, qui agissent, par exemple, très efficacement dans la baie de Somme, et dans le cadre, évidemment, d'une coopération scientifique intelligemment construite.

M. François GUILLAUME : J'espérais entendre que votre organisation permettait une véritable observation dans les pays d'Afrique francophone... N'allons pas tabler sur les organisations locales et les observations remontant des villageois ! Quand on connaît l'Afrique, où les carcasses des chameaux crevés restent pendant des mois sur le bord des routes, qui peut imaginer que les gens s'intéresseront à un oiseau mort ? La surveillance ne peut reposer que sur des relations sérieuses entre équipes scientifiques des pays développés et des pays africains - ce qui limitera nécessairement le champ de l'observation, ne nous leurrons pas.

M. le Président : Vous êtes plutôt axés sur la santé humaine, soit. Et plutôt sur l'Afrique francophone, d'accord. Que l'Afrique ait d'autres fléaux sanitaires à combattre, « d'autres chats à fouetter », si je puis dire, que de s'occuper des oiseaux morts, on peut le comprendre. Mais je vous imaginais davantage mobilisés que vous ne l'êtes apparemment, en liaison avec l'OMS, l'OIE, etc., partenariats privés compris, sur l'étude de la santé animale et l'alerte éventuellement à donner au regard de la santé humaine, dans l'intérêt même des pays du Nord ! Mis à part une tentative au Sénégal, vous n'êtes pas impliqués dans les réseaux santé humaine, santé animale, détection, alerte, études, recherches, dans les territoires où vous travaillez.

M. Vincent ROBERT : Nous nous sommes précisément posé cette question en interne tout récemment, sous la pression des événements. Face à une demande sociale énorme - y compris dans cette salle -, l'IRD a clairement l'intention de faire davantage dans le domaine de la grippe aviaire et du risque potentiel d'une pandémie grippale. La direction de l'IRD est tout à fait disposée à y consacrer des moyens et à mettre en place une politique incitative afin d'aider à un redéploiement de nos équipes de recherche. Contrairement à ce que nous pourrions croire, l'élaboration d'une politique de recherche prend du temps. Un institut de recherche est par nature peu réactif : les chercheurs sont des gens qui travaillent sur le long terme et un programme de recherche n'apporte pas de réponse avant trois à cinq ans à partir du démarrage ; encore faut-il, avant qu'il ne démarre, trouver les crédits, constituer les équipes, mettre en forme les collaborations, assurer les complémentarités scientifiques, organiser les partenariats avec les nationaux des pays concernés car nous ne sommes pas complètement maîtres de nos recherches. Tout cela n'est pas facile, sauf dans les DOM-TOM où une culture administrative commune facilite quelque peu les choses.

L'IRD est donc tout à fait mobilisé en interne pour proposer un programme « affichable », mais qui n'apportera pas de solution dans l'immédiat. Nous sommes clairement centrés sur le Sud et nous nous efforçons de mobiliser nos partenaires pour les sensibiliser à un risque que nous craignons tous. S'il reste de nature strictement vétérinaire pour le moment, ses conséquences économiques sérieuses n'affecteront guère que la filière avicole, et l'Afrique est déjà passée au travers de problèmes autrement plus graves...

M. le Président : Quelle est la part de la protéine avicole dans la nourriture en Afrique ?

M. Vincent ROBERT : Elle n'est pas aussi importante qu'on pourrait le penser. Si la production d'œufs et de poulets de chair se développe rapidement autour des villes, le critère reste le prix de la viande. Or le poulet reste une viande chère dans pratiquement tous les pays d'Afrique. La moins chère est le bœuf, suivie par la chèvre et le mouton.

M. le Rapporteur : C'est le contraire de ce qui se passe chez nous !

M. Vincent ROBERT : Sur le plan de la santé humaine, tout porte à croire qu'un début de transmission interhumaine, prélude à une pandémie, se produira non pas en Afrique, mais en Asie du Sud-Est. Il en a toujours été ainsi, du fait de la promiscuité entre l'homme et les élevages d'oiseaux, sans oublier le rôle du porc, qui peut être un agent de transmission favorable.

M. le Président : J'entends bien que les problématiques de recherche sont structurées et régies par des procédures et des échéances assez longues. Estimez-vous pour autant que vous ne pourriez pas avoir une action favorisant, notamment, la surveillance épidémiologique dans les pays concernés ? Sans vouloir vous faire tout prendre en charge, on pourrait, à tout le moins, envisager que vous assuriez une transmission d'un savoir-faire ou, même moins encore, une sensibilisation. On comprend que les autorités administratives des pays concernés ne se préoccupent pas spontanément de noter les évolutions des taux de létalité. Un début d'approche épidémiologique, d'alerte, de veille sanitaire, n'entre peut-être pas forcément dans vos attributions, mais qui d'autre que vous, sinon, pourrait s'en charger ? Après tout, une centaine de personnes sont déjà mortes, avec des passages de l'homme à l'homme, décrits à l'OMS comme « non efficaces ». Il reste que ces passages ont bien eu lieu. Quand bien même le risque d'un déclenchement de la pandémie en Afrique est effectivement peu probable, qui peut y installer un système de veille sanitaire et épidémiologique ?

M. Vincent ROBERT : Outre l'orientation de recherche dont j'ai déjà parlé, une deuxième perspective a été dessinée la semaine dernière, à l'IRD, à la suite d'une réunion organisée au ministère des affaires étrangères et rassemblant tous les intervenants français impliqués dans la recherche sur la grippe aviaire. La question posée était de savoir comment aider nos partenaires du Sud. À la suite d'un premier tour de table peu fructueux, l'IRD a décidé, par souci de rapidité, de recourir à la procédure dite d'expertise collégiale, procédé en marge de la recherche et qui consiste à organiser des consultations internes dans le cadre d'un groupe de travail. Le but est d'apporter à nos partenaires africains une réponse rapide qui leur donnera une conduite à tenir et un premier plan d'action s'ils devaient se trouver brutalement face à une menace majeure sur le plan vétérinaire ou de transmission inter-humaine. La France est incontestablement un des pays du monde les plus en avance dans ce domaine. Elargissons notre réflexion, au mois sur le plan prospectif, au-delà de nos frontières, afin d'être en mesure de répondre aux besoins de pays historiquement frères, très liés à la France, en Afrique francophone notamment, si du jour au lendemain le besoin s'en faisait sentir.

(Mme Bérengère Poletti remplace M. Jean-Marie Le Guen à la présidence)

Mme Bernadette MURGUE : N'oublions pas non plus que les scientifiques de l'IRD peuvent intervenir en mettant des experts à la disposition de l'OMS.

M. Vincent ROBERT : Enfin, l'intervention de l'IRD dans le domaine de la grippe aviaire doit être intégrée dans une problématique plus large qui viserait l'ensemble des maladies émergentes infectieuses.

Mme Bernadette MURGUE : Dans le cadre de la recherche sur les maladies infectieuses, et suite aux recommandations du CICID, un comité d'initiative a été créé en juin 2005 afin de stimuler une réflexion française sur le thème des maladies d'émergentes, et de proposer à l'Agence nationale de la recherche (ANR) la mise en place d'un programme spécifique en 2006. Il n'a cessé, depuis, de s'enrichir de nouveaux membres, pour rassembler la plupart des acteurs français, publics et privés, de la recherche : l'AFSSA, le CEA, le CIRAD, le CNRS, l'IFREMER, l'INRA, l'INSERM, l'Institut Pasteur, l'IRD, l'InVS, le service de santé des armées, mais également des ONG comme Epicentre, et des partenaires privés comme SANOFI, etc.

Ce comité d'initiative s'est réuni à trois reprises en 2005, la première fois à l'IRD, la deuxième au CIRAD et la troisième à l'Institut Pasteur, pour finaliser une proposition de programme sur les maladies émergentes à soumettre à l'ANR.

La première tâche a été de définir son périmètre : à l'issue de nombreuses discussions, nous sommes arrivés à la conclusion qu'il fallait élaborer un programme sur les maladies émergentes infectieuses uniquement, mais prenant en compte la santé humaine, animale et celle des plantes, dans la mesure où il peut se produire des phénomènes communs, tout en préservant une dimension interdisciplinaire par une collaboration équilibrée des sciences du vivant et des sciences humaines et sociales, ainsi que la dimension internationale, incluant nécessairement la zone tropicale.

Le projet arrêté, après avoir été abondamment amendé par tous les participants, a recueilli le consensus. Le conseil d'administration et le directeur de l'ANR devraient prendre leur décision avant la fin de l'année. Nous ne savons pas encore s'il s'agira d'un programme « maladies émergentes infectieuses » à part entière ou s'il s'intégrera dans un programme existant. Les recherches sur la grippe aviaire pourraient trouver leur place dans ce cadre-là. Nous préférerions une solution autonome, qui nous permettrait de mettre en place des projets de recherche interdisciplinaires intégrateurs, prenant en compte tant les aspects économiques que les conditions d'émergence d'une maladie. Il perdrait, à notre sens, une grande part de son intérêt s'il devait être intégré à un programme existant, type « santé-environnement ». L'IRD se retrouve ainsi indirectement engagé dans la problématique de la grippe aviaire qui, rappelons-le, n'était pas, en mai et juin, d'une actualité aussi brûlante qu'aujourd'hui.

M. Pierre HELLIER : C'est une excellente idée, mais cela me paraît bien compliqué...

Mme Paulette GUINCHARD : En effet !

M. Pierre HELLIER : Toutes nos structures devront se mobiliser. Construire des programmes, je veux bien ; mais s'il survient une contamination interhumaine, il faudra bien que toutes les parties prenantes se coordonnent en urgence, sans attendre d'avoir élaboré un programme d'ensemble.

Mme Bernadette MURGUE : Je suis bien de cet avis, mais vous soulevez deux problèmes différents. L'IRD est un institut de recherche, non de surveillance.

M. Pierre HELLIER : Regardez les médecins : on leur demandera de se mobiliser pour la grippe, quelle que soit leur spécialité, et d'interrompre leurs pratiques classiques.

Mme Bernadette MURGUE : Le personnel « santé » de l'IRD n'est pas majoritairement composé de médecins...

M. le Président : Il n'est pas interdit de réfléchir aux maladies émergentes, nonobstant le problème actuel.

Mme Bernadette MURGUE : Exactement.

Mme Paulette GUINCHARD : Vous avez des gens sur le terrain, en Afrique francophone notamment. Si la pandémie y éclate, resterez-vous dans votre logique de recherche ? Il se posera des problèmes humains, y compris pour vos ressortissants. Que feront-ils ? Reviendront-ils tous ou participeront-ils à l'aide sur place ? Soutiendront-ils les efforts des États concernés ?

Mme Bernadette MURGUE : Si un début de transmission interhumaine était avéré et se mettait à dépasser un certain seuil, la réflexion s'instaurerait à l'évidence très rapidement, mais sous l'égide d'instances chargées de la surveillance, et avec lesquelles l'IRD collaborera en apportant le concours de ses chercheurs. Encore faut-il qu'une organisation de surveillance se mette en place, qui passera forcément par l'OMS, et ne peut être le fait d'un seul organisme.

Mme Paulette GUINCHARD : J'ai rencontré récemment des missionnaires habitant en République centrafricaine, originaires de ma région, et qui m'ont demandé comment elles devaient s'organiser si quelque chose arrivait... Je comprends que l'IRD est un organisme de recherche, mais vous aurez du personnel sur place. Avez-vous, dès à présent, imaginé ce que pourrait être leur participation, si, d'aventure, la pandémie survenait ?

M. Pierre HELLIER : C'était bien le sens de ma question.

M. Vincent ROBERT : Les personnels de l'IRD se comporteront comme le font traditionnellement tous les résidents français outre-mer. La France a, en la matière, une tradition constante : lorsqu'une crise survient - pour avoir travaillé pendant vingt-cinq ans en Afrique, j'en ai connu plusieurs -, on n'évacue pas. Les Français sont toujours les derniers à s'affoler et à envisager un rapatriement.

M. Pierre HELLIER : Nous n'en doutons pas.

M. Vincent ROBERT : Mais tout le monde ne le sait pas forcément ! Dans le cas qui nous préoccupe, cela se passera à l'évidence de cette façon. C'est précisément dans ces occasions que se manifeste ce qui fait notre force, c'est-à-dire la qualité de notre insertion locale, notre proximité et notre fraternité avec l'Afrique. Nous serons probablement les derniers à être rapatriés, s'il le fallait, mais je ne crois pas que cela s'imposera : face à une transmission virale, on n'est pas plus mal loti au fin fond d'un endroit d'Afrique où il ne se passe rien, qu'en première ligne, où le virus peut circuler davantage du fait des échanges internationaux et du trafic aérien. Ajoutons que la prise en charge médicale des expatriés français est souvent de bonne qualité. Nous agirons comme nous en avons l'habitude : il se produit souvent des alertes épidémiques face auxquelles nous n'avons pas toujours le médicament ou le vaccin adéquat, et l'expérience montre que les Français s'affolent beaucoup moins que les autres.

M. le Rapporteur : L'IRD n'est pas sous la tutelle du ministère de l'outre-mer...

M. Vincent ROBERT : Non. Seulement sous celle des ministères chargés de la recherche et de la coopération. Mais nous sommes présents dans tous les DOM-TOM tropicaux.

M. Jérôme BIGNON : Vous avez déclaré vouloir centrer votre action sur les maladies émergentes infectieuses. Est-ce à dire que, au-delà de la grippe aviaire, vous auriez quelque inquiétude particulière ?

M. Vincent ROBERT : Nous avons, en trois décennies, connu les épisodes du sida, puis du SRAS, aujourd'hui de la grippe aviaire ; on peut parier qu'il apparaîtra encore d'autres nouvelles maladies, à plus ou moins longue échéance. Nous ne pouvons vous les citer, puisque nous ne les connaissons pas encore, puisqu'elles n'ont pas encore émergé... C'est précisément l'ambition de ce programme de recherche, très en amont, destiné à analyser les conditions d'émergence d'une maladie. Potentiellement, les maladies infectieuses d'origine virale, bactérienne, parasitaire, liées à des champignons ou à toute autre cause ne manquent pas : les Américains en dressent régulièrement de longues listes consultables sur Internet. On y trouve, outre toutes les maladies d'ores et déjà identifiées, toutes celles qui affectent la faune sauvage et dont on pense, au motif qu'elles circulent chez les singes en Afrique, chez les gibbons en Asie ou ailleurs, qu'elles sont potentiellement capables de « prendre » un jour sur l'homme, à l'occasion de circonstances très particulières, puis de donner lieu à une transmission interhumaine.

Le programme « maladies émergentes infectieuses » représente pour nous un enjeu très important ; l'ANR, qui a désormais un an d'existence, est devenue un intervenant majeur dans le paysage français. Rien de grand en matière de recherche ne se fera sans l'ANR, dans la mesure où tous les financements passeront désormais par ce groupement d'intérêt public, à cheval sur plusieurs ministères mais auquel participent également des intérêts privés. Sa décision, qui devrait intervenir dans les semaines à venir, est très attendue.

Mme la Présidente : Madame, Monsieur, je vous remercie.


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