Mardi 10 janvier 2006

- Audition de M. Pascal LAMY, Directeur général de l'Organisation mondiale du commerce (en visio-conférence depuis Genève)

(Compte rendu de la réunion du 10 janvier 2006 )

Présidence de M. Jean-Marie LE GUEN, Président

M. le Président : Monsieur le Directeur général, je vous remercie d'avoir accepté de vous entretenir avec nous dans le cadre de cette visio-conférence, une méthode de travail encore peu répandue au Parlement mais qui a bien des avantages.

Notre mission d'information sur la grippe aviaire a comme fonction, non seulement d'exercer un contrôle parlementaire sur l'action du gouvernement, mais également de transmettre en toute transparence des informations à nos concitoyens, d'où la publicité donnée à nos travaux ; c'est, à nos yeux, un élément essentiel de la gestion du risque.

La première partie de nos travaux a été consacrée aux moyens médicaux dont disposent le Gouvernement français, mais également l'ensemble des États pour se protéger - tout en sachant que les dispositifs médicaux ne sont pas, loin s'en faut, les seuls moyens de lutte contre l'épizootie et le risque de pandémie. Le Tamiflu et le vaccin apparaissent comme les moyens potentiellement les plus efficaces ; mais une polémique a surgi sur la question de savoir si tous les pays auront les moyens de disposer des instruments médicaux nécessaires, ce qui pose des problèmes de divers ordres : problèmes de disponibilité générale, problèmes commerciaux, problèmes industriels, autant d'éléments du débat public international sur lesquels nous aimerions vous interroger.

Mais auparavant, pourriez-vous nous indiquer comment l'OMC appréhende le risque de pandémie, qui aura, évidemment, des conséquences sur le commerce international ? Êtes-vous en contact avec l'OMS ?

M. Pascal LAMY : Pardonnez-moi, tout d'abord, de ne pas être physiquement parmi vous, mais la technologie nous permet effectivement de multiplier des contacts qui, sans elle, ne seraient pas toujours possibles. C'est bien volontiers que j'essaierai de contribuer à vos travaux.

Ce problème qui, de potentiel, est devenu probablement réel, au carrefour entre une épizootie avérée et une possible pandémie, a effectivement de multiples dimensions ; l'OMC n'en appréhende qu'une petite part, l'essentiel étant traité, au plan international, par l'Organisation mondiale de la santé, l'Office international des épizooties et quelques autres institutions.

On pourrait légitimement se demander en quoi l'OMC, censée s'occuper des échanges commerciaux internationaux, est concernée par cette affaire : après tout, le commerce des médicaments est un commerce comme les autres. Il existe, en fait, un système de protection de la propriété intellectuelle, y compris dans le domaine pharmaceutique, et ce dispositif relève de la compétence juridique de l'OMC, depuis la signature de l'accord ADPIC sur les aspects des droits de la propriété intellectuelle qui touchent au commerce, voilà une dizaine d'années. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, ce n'est pas seulement dans le cadre de l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), mais aussi bien dans celui de l'OMC que sont traitées les questions de propriété intellectuelle en matière de brevets, notamment sur les médicaments.

Se pose dès lors la question de savoir si les règles régissant l'obtention et la gestion des brevets en matière de médicaments font ou non obstacle à la disponibilité des médicaments en question, étant entendu que ce n'est pas parce que les médicaments seraient « juridiquement disponibles » qu'ils le seraient effectivement : encore faut-il pouvoir les acheminer, les distribuer, etc. Mais, à la question : le fait que des formulations médicamenteuses et combinaisons de molécules soient la propriété intellectuelle d'entreprises privées peut-il constituer un obstacle à la mise à disposition de ces médicaments en cas d'urgence médicale, la réponse est non. Aucun obstacle juridique, à l'intérieur du périmètre OMC, lié à l'existence de brevets n'existe, qui serait de nature à empêcher la mise à disposition de médicaments en cas d'urgence - par exemple en cas de pandémie de grippe aviaire

Cette réponse est claire, totale et désormais exhaustive depuis que les cas de figure non prévus à l'origine dans les principes juridiques de l'OMC ont été réglés, à la suite d'une série de négociations. Le système mis en place il y a dix ans permettait aux pays développés, dotés d'une capacité de production pharmaceutique, de recourir, sous certaines conditions, à un système dit de licence obligatoire, par exemple, au cas où une firme pharmaceutique proposerait son médicament à un prix inacceptable ou refuserait purement et simplement le fournir. N'était toutefois pas couvert le cas, très complexe, des pays pauvres ne disposant pas de capacités de production pharmaceutique : il fallait adapter le système afin qu'ils puissent importer, par le biais d'une licence obligatoire dans le pays exportateur, des médicaments génériques. Le problème a été réglé au terme de négociations dont le point final a été mis à Genève juste avant la conférence ministérielle qui s'est réunie à Hong Kong au mois de décembre dernier. L'accord permet désormais des dérogations dans les cas où celles-ci apparaissent nécessaires. Il n'y a donc plus d'obstacle, et dans aucun pays, à la mise en œuvre du système de licence obligatoire dès lors que la situation la justifie. Autrement dit, un pays comme la France a la possibilité de discuter avec une entreprise détentrice d'un brevet - celui sur le Tamiflu, par exemple - les prix et les quantités. Si les prix proposés par l'entreprise correspondent à ceux que les autorités françaises sont prêtes à payer, il n'y a pas de problème ; mais si tel n'est pas le cas, les pouvoirs publics français, comme n'importe quel État souverain membre de l'OMC, ont la possibilité d'émettre une licence obligatoire . Sur ce point, qui n'est qu'un des multiples aspects du problème que vous étudiez, les choses sont désormais parfaitement claires et sans ambiguïté.

M. le Président : Merci d'avoir rappelé les principes en la matière et insisté sur les substantielles avancées de ces dernières années. Il reste que nous sommes toujours devant une double difficulté. D'une part, les États sont amenés à prendre des décisions - fabrication, stockage - alors même que le risque n'est pas avéré et dont certains, dans l'opinion publique, se demandent encore s'il se réalisera. D'autre part, le problème, en tout cas pour des pays comme le nôtre, se pose finalement moins au niveau du prix qu'au niveau du processus industriel. À entendre les fabricants, la demande dépassant les capacités d'offre, on ne peut que faire la queue en attendant son tour ; et lorsque nous suggérons de multiplier les chaînes de production, on nous répond, dans un premier temps, que le processus de fabrication est très compliqué, accessible seulement à quelques grands spécialistes mondiaux de la chimie fine, mais dans un second temps, que des licences seront accordées. Les États sont-ils en droit de faire jouer dès à présent la notion de licence obligatoire ? La question se posant moins en termes de prix qu'en termes de processus industriel, n'y a-t-il pas là matière à interrogation, y compris sur le plan juridique et sur celui du fonctionnement de l'OMC ?

M. Pascal LAMY : Notre business, si je puis dire, se limite au cadre juridique des échanges commerciaux internationaux - négociation des règles applicables, adoption, surveillance, éventuellement contentieux ; nous ne sommes pas compétents sur les questions de production. Sur le plan juridique, ma réponse est parfaitement claire : la République française a les moyens juridiques de se procurer les médicaments dont il est question à des prix qui lui conviennent, que ceux-ci soient produits sur le sol national, soit par le détenteur des brevets, soit par le biais d'une licence obligatoire, ou qu'ils soient importés, à une petite restriction près, applicable aux pays développés : la production étrangère à laquelle on fait appel doit être principalement utilisée pour l'approvisionnement du marché intérieur du pays étranger en question. La France peut aussi - je crois avoir lu dans la presse qu'un laboratoire pharmaceutique l'aurait conseillé - importer librement un médicament d'un pays où il n'existe pas de brevet pour le produit en question, autrement dit où il existerait des génériques disponibles. Enfin, cas extrême et marginal, la France pourrait aussi importer des génériques d'un pays non membre de l'Organisation mondiale du commerce - il en reste quelques-uns.

J'ai bien conscience que ma réponse laisse de côté la question des contraintes de production, qui peuvent effectivement constituer un problème, surtout pour le Tamiflu dont le principe actif est extrait d'une plante dont la disponibilité est assez limitée. Mais il s'agit d'un problème pratique et non plus juridique.

M. François GUILLAUME : La fabrication du Tamiflu connaîtrait, semble-t-il, un problème d'approvisionnement en matière première. Laissera-t-on jouer la règle du libre commerce, et les États se livrer à une surenchère pour tenter de s'approvisionner au mieux et récupérer l'essentiel du potentiel de production ? Par ailleurs, certains États peuvent être tentés de se servir de l'épizootie comme prétexte pour fermer leurs frontières et se protéger plus ou moins abusivement. Quelle serait, dans ce cas, la position de l'OMC ?

M. Alain CLAEYS : La difficulté, aujourd'hui, pour la fabrication du Tamiflu, se situe principalement au niveau de l'approvisionnement en matière première, avec un risque de pénurie. Le brevet vous paraît-il en la circonstance un outil adapté, dans la mesure où la difficulté réside précisément dans la maîtrise du processus de production ? Votre organisation, l'OMS ou d'autres ont-elles déjà mené une réflexion sur ce sujet ?

M. Pascal LAMY : M. François Guillaume se demande, en fait, si la survenance d'une épizootie et a fortiori d'une pandémie, pourrait amener à envisager des restrictions au commerce international ? Réponse : oui. En cas de menace sur la santé, les règles de l'OMC laissent aux États membres une grande liberté pour instaurer des contrôles et des obstacles aux échanges s'ils estiment que ces échanges présentent une menace pour la santé de leurs populations. Cette primauté de la protection de la santé publique sur la liberté des échanges fait partie des principes de bases de l'OMC, même s'il n'est pas le plus connu. On a parfois tendance à considérer que la liberté des échanges primerait sur tout autre principe... Tel n'est pas le cas. L'Union européenne peut fort bien installer des obstacles aux échanges, avec une très grande liberté d'appréciation, que ses partenaires peuvent remettre en cause s'ils estiment sa position abusive. Il faut que ces obstacles restent proportionnés aux risques encourus et ne constituent pas de restrictions déguisées ou non justifiées.

Ainsi, vous pouvez interdire l'importation de volailles ou de produits dérivés si vous avez de bonnes raisons de penser que les volailles en question pourraient être malades et faire peser un risque sur vos populations. Mais, par exemple, si l'Union décidait d'interdire l'importation tout à la fois de volailles, de porc et de bœuf, sans doute serions-nous amenés à réagir, et bon nombre de vos partenaires commerciaux avec nous, et à trouver que vous exagérez quelque peu ! Voilà le cadre dans lequel vous pouvez parfaitement ériger des obstacles aux échanges, dès lors qu'ils ne se transforment pas en opérations de protection indue de vos producteurs nationaux.

Alain Claeys a posé une question plus générale, plus politique, sur laquelle j'ai eu l'occasion de réfléchir dans le cadre de mes précédentes fonctions de commissaire européen et aujourd'hui, comme directeur général de l'OMC : celle de savoir s'il faut des brevets ou une protection de la propriété intellectuelle dans le domaine des médicaments. Deux thèses s'opposent. Si l'on suit la première, pour avoir des médicaments, il faut des molécules, donc de la recherche ; et pour investir dans la recherche, encore faut-il être assuré d'en tirer profit, dans la logique du système de capitalisme de marché qui domine actuellement. Quand on sait les sommes qu'il faut dépenser pour découvrir une nouvelle molécule, il paraît naturel de chercher à protéger le produit de la recherche. Mais une thèse inverse soutient que la protection de la santé, et particulièrement la lutte contre les pandémies - sida, malaria, tuberculose - est trop importante pour être abandonnée aux lois du système capitaliste et qu'elle doit être prise en charge sous une forme collective. Cette thèse se défend parfaitement sur le plan théorique ; il reste toutefois à trouver les ressources publiques qui le permettraient, et force est de constater qu'elles n'existent pas. Et si par miracle ce pouvait être le cas, encore faudrait-il se mettre d'accord sur leur répartition et leurs bénéficiaires. En dehors de quelques cas sur lesquels se sont focalisés les systèmes de recherche publique, en particulier les maladies dites rares ou orphelines, pour lesquelles le faible nombre de malades interdit tout espoir d'amortissement de la recherche, la plupart des maladies sont suffisamment répandues pour constituer un marché intéressant pour la recherche privée.

M. Alain CLAEYS : Je voudrais préciser ma question. Loin de nous l'idée de remettre en cause les brevets d'une façon générale. Le problème est que la possible pénurie est liée à la difficulté à maîtriser le processus de production. Avez-vous abordé ce sujet ?

M. Pascal LAMY : Non, du fait que les attributions de l'OMC se bornent aux règles juridiques. Nous n'intervenons pas sur les problèmes de production en tant que tels, ni sur les stratégies que peuvent poursuivre les Etats membres de l'Organisation mondiale de la santé en matière de capacités de production ou de stockage, en cas de besoin, comme on le fait dans le domaine de la sécurité énergétique ou militaire, par exemple. Cela dépasse le périmètre d'action de l'OMC.

M. Pierre HELLIER : Une question pratique : qui décide de la mise en œuvre de la procédure des licences obligatoires ? Sur quels critères ? Un État peut-il en décider tout seul ? Ou bien la décision revient-elle à l'OMC ?

M. Pascal LAMY : Ce sont les États membres de l'OMC qui décident eux-mêmes de l'émission de licences obligatoires, moyennant le respect des critères prévus dans l'accord, et notamment de l'obligation de notification préalable à l'Organisation et à ses membres dans les cas couvert par les négociations conclues avant la Conférence ministérielle. C'est donc une décision souveraine ; évidemment, si un État membre considérait que cette décision n'a pas été prise dans le respect des règles de procédure prévues, il pourrait faire valoir ses objections ; un éventuel contentieux pourrait s'ensuivre.

M. Pierre HELLIER : C'est donc l'État qui décide lui-même de s'attribuer une licence obligatoire ?

M. Pascal LAMY :Absolument.

Mme Geneviève GAILLARD : En amont de la possible pandémie humaine, il y a l'épizootie, dont nous connaissons l'étendue en Asie du Sud-Est et qui, tout récemment, a touché la Turquie. Il y a un pays sur lequel nous disposons de peu d'informations, alors même qu'il semble concentrer toutes les conditions d'une expansion de la grippe aviaire : la Chine, qui reste imperméable à toute coopération internationale. L'OMC a-t-elle ou non les moyens de « faire pression » sur ce pays pour qu'il prenne des mesures susceptibles de nous rassurer ?

M. Pascal LAMY : Je n'ai pas de réponse à cette question, pour la bonne raison qu'elle outrepasse totalement le périmètre de nos activités, sauf à vous conseiller de la poser à mon collègue directeur de l'OMS, voisine de quelques centaines de mètres, ici... La Chine, en tant qu'État membre, est tenue à un certain nombre d'obligations vis-à-vis de l'OMS. C'est à l'OMS et à ses membres d'en assurer le respect.

Cela dit, votre question est parfaitement légitime. En réalité, nous vivons dans un système international toujours régi par le traité de Westphalie, qui accuse quelque trois cent cinquante ans d'âge. Les États, souverains, ont exercé leur volonté westphalienne en créant ici ou là, selon une géométrie parfaitement non-cartésienne, une sorte d'archipel d'institutions internationales dédiées, certaines au commerce, d'autres à la santé, d'autres encore aux droits des travailleurs, à l'aide alimentaire, à la poste, ou aux télécommunications, sans liens de gouvernance entre elles autres que celui, parfois assez théorique, du substrat formé par tous les États qui en sont membres. Il y a, certes, quelques exceptions, des cas dans lesquels les membres des organisations concernées, dont l'OMC, ont clairement manifesté la volonté d'établir un lien entre, par exemple, le commerce et l'environnement en traitant du commerce des espèces protégées. Le cas qui vous préoccupe aujourd'hui n'en fait pas partie et reste donc une affaire interne à l'Organisation mondiale de la santé. La volonté politique du monde westphalien n'est pas allée jusqu'à créer un lien de conditionnalité entre les obligations contractées par les États membres dans le cadre de l'OMC et celles auxquelles les mêmes auraient souscrit dans celui de l'OMS.

Mme Geneviève GAILLARD : Imaginons que l'État français décide, dans l'attente d'informations précises, d'interrompre totalement ses échanges avec la Chine. Je suppose que celle-ci saisira immédiatement l'Organe de règlement des différends, l'ORD. Quant à l'OMS, elle répondra que ce n'est pas de son ressort tant que ce n'est pas un problème de santé publique. Cette affaire, très grave et internationale, pourrait être réglée par des contrôles très stricts des populations aviaires et avicoles ; or personne ne peut s'en occuper. C'est tout de même dramatique...

M. Pascal LAMY : Je n'ai pas dit cela, j'ai même dit le contraire : si l'Union européenne - car c'est elle qui, pour la France, est compétente en matière de commerce internationale depuis 1957 - décidait de mettre des obstacles au commerce avec la Chine, au motif que la limitation du risque de pandémie passe par une restriction des échanges commerciaux sino-européens, elle serait parfaitement en droit de le faire, à supposer que cette mesure soit proportionnée au risque encouru. Si la Chine considère que, ce faisant, l'Union européenne a outrepassé ce que lui permettent les règles en vigueur, elle fera appel au mécanisme de règlement : d'abord des consultations, puis une décision en première instance, voire en appel, comme cela s'est déjà produit à maintes reprises lors d'affaires similaires.

M. François GUILLAUME : Mais n'existe-t-il pas une procédure plus rapide de règlement du contentieux ? On sait bien que tout cela peut prendre beaucoup de temps, sans oublier que l'État qui s'estime lésé peut mettre en place des mesures de rétorsion ou de compensation. Cela peut durer des années ; espérons que la pandémie sera passée...

M. Jean-Pierre DOOR, rapporteur : À vous entendre, aucun obstacle ne s'oppose à la délivrance d'une licence obligatoire dès l'instant où il y a urgence médicale. L'OMS a-t-elle, comme les Etats, la possibilité de déclencher le processus d'obtention d'une licence obligatoire ? Ne serait-il pas plus simple de lui confier le soin de déclarer l'urgence sanitaire, plutôt que de laisser cette prérogative aux Etats ?

M. Pascal LAMY : Les choses peuvent aller très rapidement, monsieur Guillaume : si des restrictions aux échanges sont estimées nécessaires, ce sont les mesures nationales de protection qui priment ; et tant qu'elles n'auront pas été jugées illégitimes et condamnées par l'ORD, elles resteront en vigueur. Pour ce qui est des délais de règlement, la justice de l'OMC se compare très favorablement à des systèmes nationaux qui comportent deux degrés de juridiction. Le délai est de l'ordre de deux ans ; je ne connais pas beaucoup de cas en France où l'ensemble de la procédure, appel compris, tienne dans ce délai.

M. le Rapporteur, vous me demandez si l'OMS ne pourrait pas elle-même déclarer l'urgence. La réponse est négative. Je le sais d'autant mieux que l'Union européenne avait, il fut un temps, proposé par ma bouche une solution de ce genre, estimant qu'il aurait été plus simple, plutôt que de mettre en place des procédures applicables dans le cadre de l'accord ADPIC, de prévoir des dérogations aux règles sur la propriété intellectuelle dès lors qu'il y aurait urgence, constatée par l'OMS. Cela n'a pas été accepté, pour des raisons qui nous ramènent au traité de Westphalie : les États membres de l'OMC n'ont pas accepté l'idée d'un « pont » établissant un lien de gouvernance entre ce qui se passe à l'OMC et à l'OMS. C'est ainsi, et je ne peux, en tant que directeur général, qu'en prendre acte.

Est-ce que l'OMS, l'UNICEF, ou l'ONU-Sida pourrait recourir elle-même au système de licence obligatoire ? La réponse est également non à ma connaissance. Seuls des États souverains en ont la possibilité. Les organisations internationales ont simplement pour elles leur puissance d'acheteur, ce qui, dans certains cas, revient au même que les licences obligatoires pour influer sur les prix. Il reste que, sur le plan juridique, une barrière demeure, qui mérite sans doute réflexion.

M. le Président : L'un des laboratoires travaillant sur les vaccins a proposé une sorte d'union sacrée avec tous ses homologues afin de pouvoir répondre à la menace de pandémie, ce qui n'a pas manqué d'interpeller les autorités des États. L'OMC serait-elle choquée par l'existence momentanée, sur un sujet déterminé, d'un tel phénomène de concentration mondiale ?

M. Pascal LAMY : Bonne question ! Mais l'OMC n'a pas compétence en matière de concurrence internationale... Aucun accord n'a jamais porté sur ces questions. Il existe des systèmes nationaux, aux États-Unis, au sein de l'Union européenne et au Japon, mais pas de système international. Au début du cycle de négociation de Doha, l'Europe avait proposé de mettre sur pied un accord en matière de concurrence, mais cette proposition a été écartée. Il n'y a donc aucune règle internationale, et, donc, aucune autorité internationale ni a fortiori de compétences de l'OMC en matière de régulation de la concurrence hors des périmètres de souveraineté nationale. Les États peuvent passer des accords bilatéraux en la matière, mais il n'existe aucune norme mondiale en la matière. Peut-être en verrons-nous une un jour... Mais rien qu'en disant cela, je vais au-delà de ce que les États membres de l'OMC ont pour l'instant accepté.

M. le Président : Je vous remercie pour de cet échange très intéressant..

M. Pascal LAMY : C'est moi qui vous remercie d'être venus jusqu'à Genève par ce moyen de la visio-conférence : le fait est trop rare, au Parlement français, pour ne pas prendre le risque politique de vous en féliciter. Plus souvent nous l'utiliserons, mieux nous pourrons expliquer ce que nous faisons... et ce que nous ne faisons pas!


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