Mercredi 11 janvier 2006

- Audition de M. Xavier BERTRAND, ministre de la santé et des solidarités

(Compte rendu de la réunion du 11 janvier 2006)

Présidence de M. Jean-Marie LE GUEN, Président

M. le Président : Monsieur le ministre, nous vous remercions de nous présenter en avant-première la nouvelle version du plan de lutte contre le risque de pandémie, dans le cadre de cette audition ouverte à la presse. Notre mission d'information aura aussi à cœur, évidemment, de vous interroger sur l'actualité de ces derniers jours, s'agissant notamment de ce qui se passe en Turquie.

M. Xavier BERTRAND : Je tiens tout d'abord à remercier la mission d'information de me permettre de m'exprimer à nouveau devant vous, après une première rencontre le 29 novembre dernier, pour vous exposer, comme je m'y étais engagé, le plan gouvernemental actualisé de prévention et de lutte contre la grippe aviaire. Une première version a été présentée en octobre 2004, mais le Gouvernement a choisi de l'actualiser en permanence : aussi le document que je vous présente aujourd'hui n'a pas vocation à être un plan définitif. Il sera amélioré à chaque fois que de besoin. Pourquoi est-il actualisé ?

Les enseignements tirés de l'exercice national de juin dernier, que j'avais présidé pour partie, et du Common Ground, l'exercice européen de novembre, mais également l'évolution de la situation internationale, ont montré qu'il était nécessaire d'actualiser le plan de 2004 et de le rendre plus opérationnel : en se conformant tout d'abord aux niveaux d'alerte préconisés par l'OMS - il est important d'être bien en phase - , tout le monde n'a pas fait ce choix, mais nous entendons pour notre part nous y tenir ; en développant les mesures de prévention et de lutte contre l'épizootie ; en renforçant les aspects de coordination nationale et internationale ; en accentuant la nécessité d'un programme de formation, d'information et de communication ; et, enfin, en faisant du plan un véritable outil de gestion de crise, avec un tableau d'ensemble des mesures.

Je vous indique que ce plan gouvernemental, dont j'ai tenu à vous réserver la primeur, sera mis en ligne sur Internet dès cet après-midi.

J'insiste sur le fait qu'il ne s'agit en aucun cas d'un document figé qui ne souffrirait aucune modification. Bien au contraire, ce plan comme ses annexes ont vocation à évoluer, notamment en fonction de l'état des connaissances scientifiques et de nos capacités à le rendre plus opérationnel.

Les récents événements de Turquie nous montrent que la menace doit être prise avec le plus grand sérieux et que nous devons continuer à nous préparer de manière adéquate. Une quinzaine de cas humains ont été diagnostiqués par les autorités turques, dont quatre ont été confirmés par l'OMS. Toutes ces personnes avaient été en contact très rapproché avec des animaux infectés. Les grands froids qui sévissent dans ces régions favorisent la promiscuité entre les hommes et les animaux plus que dans les autres pays touchés, ce qui peut expliquer en partie à la fois la contamination et le nombre de cas observés en si peu de temps. Mais, en tout état de cause, selon l'OMS, le virus H5N1 n'a pas muté et aucune contamination interhumaine n'a été constatée à ce jour.

Permettez-moi un bref rappel sur la situation épidémiologique internationale.

À la date du 11 janvier 2006, et depuis le début de l'épizootie H5N1 en décembre 2003, seize pays ont été touchés. En Asie du sud-est : Cambodge, Chine, Corée du Sud, Indonésie, Japon, Laos, Malaisie, Mongolie, Thaïlande et Vietnam. En Asie centrale : Kazakhstan, Russie - Sibérie et région de Tula. Et enfin en Europe : Croatie, Roumanie, Ukraine et bien sûr la Turquie.

À noter que certaines analyses peuvent faire état de dix-sept pays touchés et non de seize, si elles distinguent la Chine et Hong-Kong.

Les foyers les plus récents ont été identifiés en Chine - onze provinces affectées -, en Thaïlande, au Vietnam, en Indonésie, en Roumanie, en Croatie, en Russie - régions de Tula et de Tambov, au sud de Moscou - et en Turquie, où une dizaine de provinces sur 81 sont touchées.

À ce jour, selon l'OMS, 147 cas humains de grippe H5N1 ont été identifiés, dont 78 mortels - ce sont des cas confirmés biologiquement sur PCR ou isolement viral. Les cas humains sont survenus en Asie - Thaïlande, Vietnam, Cambodge, Indonésie et Chine - et, depuis le début de cette année 2006, en Turquie. Plusieurs cas de contamination groupée ou familiale ont été relevés, que ce soit en Thaïlande, au Vietnam, au Cambodge et en Turquie ; mais à ce jour, je le répète, d'après l'OMS, aucun cas avéré de transmission interhumaine n'a été mis en évidence. Il s'agit donc de co-exposition et non de contamination interhumaine, même interfamiliale, la contamination ayant eu pour origine des contacts avec des animaux malades ou morts, ou avec leurs déjections.

La stratégie générale du plan s'inscrit dans la continuité du précédent, dont je vous rappelle la philosophie :

- Prévenir l'apparition et le développement de foyers de virus aviaire sur le territoire national en les détectant au plus tôt et en les éradiquant.

- Freiner l'apparition et la diffusion sur le territoire national d'un nouveau virus adapté à l'homme, par des mesures de santé publique précoces et adaptées à chaque situation.

- Organiser et adapter le système de santé par une prise en charge ambulatoire proportionnée à l'état des malades, en privilégiant le traitement à domicile et en réservant l'hospitalisation aux formes graves.

- Mobiliser tous les établissements de santé au maximum de leurs capacités avec un circuit spécifique pour les patients grippés.

- Maintenir un approvisionnement en matériels médicaux et équipements de protection.

- Organiser, enfin, la continuité de l'État et de la vie économique et sociale : actions de proximité et de solidarité, notamment en direction des personnes âgées dépendantes et isolées -, maintien des activités essentielles pour la sécurité et la vie de la population - nourriture, eau, électricité, etc. - et accompagnement de toute cette stratégie par un large effort de communication, d'information et de formation, afin de préparer le pays à la gestion de la crise si la pandémie venait à éclater.

Conformément aux phases de l'OMS, la version actualisée de notre plan distingue six situations. De la situation 2 à la situation 5, on distingue deux possibilités, selon que les faits observés se produisent à l'étranger ou en France. À titre d'exemple, nous sommes actuellement en situation 3A, correspondant à des cas humains observés à l'étranger sans transmission interhumaine ; l'observation en France d'une contamination humaine à partir de volailles infectées nous ferait passer en situation 3B.

Je voudrais vous détailler ces différentes étapes.

En situation 1, il ne circule chez l'animal aucun virus aviaire "hautement pathogène", c'est-à-dire occasionnant un risque substantiel de maladie humaine.

En situation 2, un virus hautement pathogène provoque une épizootie à l'étranger - situation 2A - ou en France - situation 2B.

La situation 3, évoquée précédemment, correspond à la contamination de l'animal à l'homme sans transmission interhumaine - 3A si ces cas sont à l'étranger, 3B s'ils sont en France.

En situation 4, il existe une transmission interhumaine limitée, due à un virus encore mal adapté à l'homme, qui provoque des cas humains groupés et limités géographiquement.

En situation 5, ces foyers de cas humains groupés s'étendent géographiquement et ne sont plus maîtrisables.

La situation 6 est la situation « pandémique » à proprement parler. Elle correspond à une forte transmission interhumaine et à une extension géographique rapide et massive.

Pour chaque situation, des objectifs sont définis et renvoient à un choix de mesures à examiner et mettre en œuvre au cas par cas. J'illustrerai ce propos en évoquant la situation turque un peu plus loin.

Ce plan présente aussi une évolution notable : il est plus pratique, facile à utiliser en conditions opérationnelles par les acteurs concernés, au niveau tant ministériel que territorial. Le tableau de synthèse des mesures, qui figure à la fin du document, permet immédiatement à tous les décideurs d'identifier les différentes mesures proposées en fonction de la situation dans laquelle on se trouve, et permet aussi d'anticiper sur les mesures à prendre en cas d'évolution.

En termes de contenu, le plan définit, selon chaque niveau d'alerte, les différents acteurs de l'action gouvernementale : Premier ministre, ministre de l'intérieur, ministre de la santé ou ministre de l'agriculture. Il détermine les structures interministérielles de gestion de crise en cas de franchissement d'un seuil critique ainsi que les principales chaînes opérationnelles. Une cellule interministérielle de crise à vocation décisionnelle est mise en place auprès du ministre chargé de l'action gouvernementale en fonction des différentes phases.

Le plan traite également de l'aspect européen et international de la gestion de la crise. L'OMS assure la veille épidémiologique, l'analyse des données virologiques et, au vu de ces éléments, déclare les situations d'alerte. Elle coordonne aussi l'assistance technique aux pays touchés et la mobilisation de l'expertise internationale. C'est elle qui isolera la souche virale pandémique et la transmettra aux producteurs de vaccins. Elle constitue enfin un stock d'intervention d'urgence, notamment d'antiviraux, comme annoncé il y a quelques mois. Sur le plan européen, la Commission ne détient pas de compétences sanitaires propres, mais chaque État membre doit l'informer des mesures qu'il met en place.

Le plan définit une stratégie de communication claire et transparente. Son succès repose sur un lien de confiance à tisser entre les autorités, à quelque niveau que ce soit, et la population. La communication doit donc être pédagogique, notamment sur les comportements à adopter, et informative sur la préparation du pays. Le délégué interministériel réunit chaque semaine un comité de pilotage sur la communication pour travailler sur l'ensemble de ces aspects.

Enfin, le plan présente les principes de l'action sanitaire. En période pandémique, il prévoit la répartition optimale des patients, l'objectif étant - et je voudrais le rappeler - de soigner le plus possible de malades à domicile afin de ne pas surcharger les hôpitaux, réservés aux situations d'urgence les plus graves. Ce dispositif repose donc sur la mobilisation en première ligne des médecins libéraux, renforcés éventuellement par d'autres professionnels de santé, avec, en cas de besoin, un relais hospitalier sur régulation des SAMU-centres 15.

Il y a également la question de la protection individuelle de chacun d'entre nous, qui repose, en cas de pandémie, sur trois moyens d'action prioritaires. Premièrement : les masques ; on en distingue deux types : les masques de protection individuelle, dits FFP2, pour les professionnels en contact avec les malades, et les masques dits chirurgicaux ou anti-projections, portés par les malades afin de protéger leur entourage. Deuxièmement : les médicaments antiviraux ; il en existe deux de la même famille, le Tamiflu et le Relenza. Troisièmement : les vaccins ; on distingue le vaccin dit prépandémique, fabriqué à partir de la souche H5N1, et le vaccin dit pandémique qui ne pourra être fabriqué qu'après isolement du virus une fois muté ou réassorti.

Des fiches techniques opérationnelles compléteront le plan. Ces annexes définiront précisément l'organisation des soins et la prise en charge des malades. Elles présenteront également les mesures logistiques à adopter dans chaque secteur d'activité en cas de pandémie, afin d'éviter une désorganisation de la société en raison, notamment, de l'absentéisme du personnel lié aux problèmes de garde des enfants pour cause de fermeture de crèches ou de ralentissement des transports collectifs. Se pose, de ce fait, la question de l'organisation des services de l'État ou de la mise en place de systèmes de télé-travail - en phase pandémique s'entend. Ces annexes seront présentées dans les prochaines semaines, car nous voulons engager une concertation avec les acteurs du terrain dès la présentation de ce plan. Nous avons besoin de leur contribution pour aller au plus près de la réalité d'une situation que nous ne pouvons qu'anticiper. Aussi multiplions-nous les rencontres, qui vont bien au-delà des seuls professionnels de santé.

Je voudrais aborder l'utilisation concrète de ce plan, à la lumière de la situation turque. Depuis l'apparition des premiers cas humains à l'étranger, nous sommes en situation 3A. La survenue de cas en Turquie ne modifie pas ce niveau d'alerte. Cependant, il est nécessaire de reprendre les mesures préconisées par le plan au niveau 3A pour intégrer, le cas échéant, ce nouveau pays dans les actions à mettre en œuvre. Vous pouvez vous reporter à la page 30 du plan. Nous avons notamment réalisé l'information réciproque des partenaires des ministères de la santé et de l'agriculture (mesure Org 13), j'ai réuni lundi matin la cellule d'aide à la décision du ministère de la santé (mesure Org 6), vérifié l'embargo mis en place depuis octobre 2005 sur les importations de volailles turques et produits dérivés (mesure Zoo 4), alerté notre poste diplomatique en nous assurant de la disponibilité locale en masques et antiviraux pour nos ressortissants, comme nous l'avions fait en Asie du Sud-Est, en demandant de renforcer le recensement des résidants et l'information des touristes et résidants immatriculés sur les mesures de protection, ainsi que la surveillance de l'évolution épizootique et sanitaire locale (anticipation de la mesure Fre 1). J'ai également proposé à l'OIE et à la Commission Européenne l'envoi d'experts sur place (mesure Zoo 2). Nous avons diffusé un message d'alerte et d'information aux services d'urgences, SAMU-Centres 15, aux centres nationaux de référence grippe et aux services médicaux des treize aéroports offrant des liaisons avec la Turquie et aux 13 DDASS concernées (mesure Det 2), actualisé la mise en alerte des réseaux de surveillance GROG et sentinelles (mesure Det 3), informé la presse par communiqués (mesures Inf 1, Inf 2), et veillé à ce que l'information des voyageurs en partance pour la Turquie ou en revenant, comme de ceux partant pour d'autres pays ayant déclaré des cas de contamination humaine - Thaïlande, Cambodge, Indonésie, Chine - ou en revenant, soit renforcée dans les aéroports, par voie d'affichage et par la distribution de dépliants laissée aux soins des compagnies aériennes concernées (mesures Inf 11 et 12) ; ces mêmes mesures étant applicables aux voyageurs utilisant les transports terrestres, notamment les autocars. C'est pourquoi une réunion est organisée aujourd'hui même au ministère de la santé avec les ministères des transports et du tourisme, pour informer les compagnies aériennes et leur personnel navigant, les autocaristes et les voyagistes sur le renforcement des mesures de précaution et surtout d'information. Par la voie diplomatique, nous avons également souhaité que des contacts soient pris avec la communauté turque résidant en France.

J'en viens à la constitution de stocks de masques, de médicaments antiviraux et de vaccins. Je souhaiterais en faire un point précis devant la mission parlementaire.

En ce qui concerne les masques, un premier stock de 397 conteneurs, soit 49,6 millions de masques, a bien été livré dans 272 établissements de santé, en commençant par les services d'urgence recevant plus de 19.000 passages, les préfets assurant la répartition entre les autres établissements dans le cadre de la déclinaison locale du plan. Deux autres commandes correspondant à 148 millions de masques ont d'ores et déjà été passées : 68,5 millions de masques sont en cours de livraison d'ici fin février 2006 - une vingtaine de millions sont déjà livrés et stockés dans des lieux ad hoc -, et 80 millions seront livrés de mars à fin mai 2006.

Au total, ce sont donc plus de 200 millions de masques qui ont été commandés pour le système de santé. Trente millions de masques l'ont également été pour les autres professionnels susceptibles d'être en contact avec des malades, et relevant d'autres ministères ; 13 millions sont livrés et des commandes supplémentaires sont en cours.

Ces 200 millions de masques pour le système de santé correspondent au tiers de la production mondiale annuelle. C'est pourquoi nous avons choisi de nous doter d'une capacité nationale de production de masques. Depuis le début du mois de janvier, un premier atelier a débuté sa production dans le Nord, avec une cadence de près de 3 masques par seconde ; de nouvelles machines seront installées au fur et à mesure. Trois autres ateliers suivront dans le courant de l'année, en Bretagne, en Midi-Pyrénées et en Rhône-Alpes, avec le souci de garantir une bonne répartition géographique. Ainsi, 140 millions de masques pourraient être produits en 2006 et 300 à 400 millions par an à partir de 2007.

Ces masques sont destinés aux professionnels de santé hospitaliers et libéraux. Ils leur seront bien sûr délivrés gratuitement en cas de pandémie.

500 millions de masques anti-projections destinés aux malades ont été initialement commandés. Il nous est aujourd'hui possible de doubler ce stock et d'en commander un milliard. Ces masques seront disponibles d'ici à la fin de l'année au rythme de 250 millions environ par trimestre. Eux aussi seront délivrés gratuitement en cas de pandémie.

S'agissant de la constitution de stocks de médicaments antiviraux, 13,8 millions de traitements antiviraux Tamiflu ont été livrés à ce jour, en plus des 200.000 traitements de Relenza. Ils sont donc sur le territoire français. J'ai souhaité porter ces réserves de médicaments antiviraux à un niveau supérieur pour traiter, dans l'attente de la fabrication d'un vaccin, les personnes qui pourraient être atteintes par la maladie ou y être directement exposées. Nous avons donc commandé 10 millions de traitements de Tamiflu supplémentaires et 9 millions de traitements de Relenza, qui seront livrés entre 2006 et 2007. Si nous avons pu nous doter plus rapidement que d'autres pays d'un tel niveau de protection, cela tient au fait qu'une partie du stock de Tamiflu est en vrac, transformable en gélules en moins de deux mois par la Pharmacie centrale des Armées, le délai de péremption de ces stocks de vrac étant de dix ans. J'ai eu l'occasion de visiter la zone de stockage et je crois que la mission a effectué la même démarche en janvier.

Avec 33 millions de traitements antiviraux en 2007, la couverture de 25 % de la population préconisée par l'OMS sera ainsi largement dépassée. Ce choix nous permettra d'anticiper et de prévenir des risques de résistance en augmentant les posologies au besoin, mais également d'être plus souple, plus adaptable dans les stratégies mises en œuvre, en fonction des caractéristiques du virus et de la pandémie. Il ne sera probablement pas possible, compte tenu des circonstances, de distinguer un patient atteint de grippe aviaire d'un grippé ordinaire. Il n'est pas alors question de contingenter ces traitements. Par ailleurs, de nouvelles recommandations pourraient être émises en fonction des caractéristiques du virus et de l'évolution du risque pandémique. Là encore, en cas de pandémie, les antiviraux seront délivrés gratuitement.

S'agissant enfin des vaccins, outre les 2 millions de doses de vaccin prépandémique H5N1 commandées en février 2005, 40 millions de doses de vaccin pandémique à fabriquer ont été réservés en cas de crise sanitaire. Mais je souhaite aller au-delà, de façon à pouvoir réserver 63 millions de vaccins et assurer ainsi la vaccination de l'ensemble de nos concitoyens ; nous avons donc saisi cinq laboratoires pharmaceutiques pour obtenir leurs propositions.

Je vous sais attachés, tout comme moi, à la gestion internationale de la crise. La pandémie ne connaissant pas les frontières, il s'agit donc d'amplifier notre coordination européenne et nos initiatives internationales.

En ce qui concerne notre coordination européenne, la France a proposé, lors du Conseil EPSCO du 9 décembre 2005, que chaque État membre participe à la constitution d'un stock européen d'antiviraux, en plus de ses stocks nationaux, pour aider les pays les plus démunis à lutter contre le début d'une pandémie, mais également pour pouvoir protéger les ressortissants d'un État européen pour le cas où il ne pourrait faire face par lui-même, ou encore - c'est une question de doctrine d'utilisation à définir - pour apporter notre soutien à l'OMS si le besoin s'en faisait sentir. La constitution de ce stock reposerait sur la mise à disposition financière ou en nature de 1 à 3 % de l'objectif du stock d'antiviraux de chaque État membre pour couvrir 25 % de sa population.

Tous les pays sont censés avoir constitué des stocks d'antiviraux ; quelques-uns - rares - ont déjà atteint les 25 % préconisés par l'OMS. La France est certainement, avec un ou deux pays nordiques, un des seuls pays d'Europe à en être à 22 ou 23 % dès maintenant, sans parler des commandes à venir. Nous sommes disposés à consacrer 3 % de notre objectif pour constituer des stocks d'antiviraux supplémentaires permettant de couvrir les situations d'urgence. L'obligation, prioritaire, de protection de la population nationale va de pair avec une nécessaire solidarité internationale. J'ai prévenu hier matin, par téléphone, le commissaire européen Markos Kyprianou que la France continuerait à appuyer toute initiative en la matière afin que cette idée puisse voir le jour dans les meilleurs délais - et ce devrait être le cas très prochainement.

En ce qui concerne nos initiatives internationales, je représenterai notre pays à la conférence des donateurs à Pékin le 18 janvier prochain et j'y concrétiserai l'engagement de la France à verser à elle seule 15 % des besoins immédiats de l'aide d'urgence demandée par les organisations internationales - 12 millions de dollars soit 10 millions d'euros répartis entre l'OMS, la FAO et l'OIE. Nous ferons également des propositions d'aide sur le moyen terme. J'en profiterai pour me rendre à Phnom Penh au Cambodge et rencontrer les sept directeurs des instituts Pasteur de la zone Asie afin de faire le point dans chacune des zones qu'ils représentent. Le Gouvernement français a en effet décidé de renforcer leurs moyens techniques en finançant tout d'abord la construction d'un laboratoire de niveau de biosécurité P3 au Cambodge, et également la création d'une vingtaine de postes de chercheurs et techniciens sur Hong-Kong, Phnom Penh et Shanghai, conformément aux besoins que les instituts Pasteur avaient exprimés sur le terrain, lors de ma visite en Asie du Sud-Est en novembre dernier, afin de renforcer la surveillance épidémiologique et favoriser la recherche et le développement d'outils diagnostics, de médicaments antiviraux et de vaccins. Cette aide supplémentaire de la France aux Instituts Pasteurs s'élèvera à 2,6 millions d'euros.

Je veux, pour terminer, insister sur la question de la communication, de la formation et de l'information. Le plan que nous présentons n'est pas définitif, nous avons encore beaucoup à faire en la matière. La communication est un volet capital de la gestion de crise, tant en amont que pendant celle-ci. Nous avons donc d'ores et déjà créé des outils de formation et d'information adaptés aussi bien aux professionnels de santé qu'au grand public.

La stratégie de communication sur la grippe aviaire repose sur des principes de transparence, de réactivité et de continuité. Elle suppose également une gestion interministérielle de la formation comme de l'information afin de garantir sa cohérence et son efficacité. L'organisation de la communication se structure autour de la délégation interministérielle à la lutte contre la grippe aviaire et le service d'information du Gouvernement. Chaque semaine, un comité de pilotage interministériel se réunit autour du DILGA et du SIG pour élaborer les outils de communication sur la grippe aviaire.

La communication sur la grippe aviaire a pour but d'informer la population sur ce qu'est une pandémie grippale d'origine aviaire, son évolution possible et les moyens de s'en protéger. Elle est aujourd'hui mise en œuvre à travers les outils suivants :

- La plateforme téléphonique Info'Grippe Aviaire (0 825 302 302) à destination du grand public, des voyageurs et des médecins, fonctionnant sept jours sur sept, de huit heures à vingt-deux heures. Depuis sa création, elle a géré environ 5.000 appels ;

- La création par le SIG du site interministériel www.grippeaviaire.gouv.fr permettant la mise en ligne de l'ensemble des informations sur les volets « information » et « action du gouvernement » ;

- Les points presse bimensuels du DILGA sur l'état de la situation ;

- Enfin, trois modules vidéo de l'Institut national de prévention et d'éducation à la santé (INPES), consultables en ligne (www.inpes.sante.fr) : un premier, d'information générale sur la grippe aviaire, un second sur les modes de prévention, un troisième sur la pandémie grippale. Il y a aussi des dépliants, affiches d'information et bandeaux défilant en anglais et en français à destination des voyageurs en provenance et à destination des pays touchés : 1,3 million d'exemplaires ont été édités à ce jour. Tous ces documents sont consultables sur www.sante.gouv.fr.

Le Comité de pilotage « communication sur la grippe aviaire » travaille aussi sur d'autres outils en cours d'élaboration et/ou de production : un dépliant grand public en cas de pandémie, avec des explications pédagogiques sur « les gestes barrières » et nommant les mesures d'hygiène élémentaire, la rédaction de messages clés pour le grand public à la fois sur le volet santé animale et sur le volet santé humaine. L'objectif est également d'habituer la population à la préparation d'une gestion de crise et de la préparer à la crise elle-même. Cela nécessite aussi d'anticiper sur les outils et les dispositifs d'information afin de pouvoir en disposer sans délai en cas de crise : C'est pourquoi un marché public spécifique relatif aux risques sanitaires liés à des événements exceptionnels a été mis en place par l'INPES. Il vise à concevoir et mettre en œuvre des dispositifs, des outils et des actions de communication média et hors média pour la prévention des risques sanitaires.

Enfin, le ministère de la santé a également la charge de la formation et de l'information des professionnels de santé et, sur ce plan également, il est décidé à améliorer leur état de préparation. L'objectif affiché doit être d'intégrer les relais en amont de la stratégie de formation, afin que les outils leur soient vraiment adaptés, qu'ils puissent se les approprier et les mettre efficacement en œuvre.

C'est pourquoi j'ai entamé un premier cycle de rencontres avec les professionnels de santé au niveau national. À la suite de la diffusion de la brochure « Repères pour votre pratique professionnelle », une première réunion d'information a été organisée au ministère de la santé le 10 novembre dernier avec une partie des professionnels de santé. Une autre a été organisée le 5 décembre. Des rencontres ont également eu lieu avec les professionnels de santé, le 12 décembre, et avec le Haut Comité de défense civile, le 20 décembre.

J'ai par ailleurs rencontré des médecins, pharmaciens, biologistes, infirmiers, kinésithérapeutes, hospitaliers à travers leurs divers représentants. Chacune de ces rencontres a donné lieu à la création de groupes de contact. Il en existe cinq à ce jour : « Prise en charge à domicile », « Recours aux établissements de santé », « Délivrance des produits et rôle des médecins et des pharmaciens », « Information et communication vers le grand public » et « Outils de formation ». Tous ces groupes de contact ont vocation à nous faire rapidement des propositions que l'on doit pouvoir décliner au plus près du terrain.

Le plan de mobilisation et les fiches techniques devront en permanence être réactualisés. Le plan grippe aviaire a naturellement vocation à être actualisé en fonction de l'évolution des connaissances médicales, de la situation internationale, mais également des propositions des uns et des autres. C'est dans cet esprit de concertation et de transparence que votre président et votre rapporteur feront partie de la délégation officielle à la conférence des pays donateurs de Pékin. Il faut toutefois être conscient qu'un certain nombre de paramètres ne seront ou ne seraient connus qu'au moment de la survenue de la pandémie, et que même si les efforts déjà réalisés sont considérables, la préparation à une telle éventualité devra toujours être complétée.

Pour ce faire, je suis en contact régulier avec mes homologues, plus étroitement avec ceux de Hong Kong et du Canada afin d'échanger nos informations, ces deux pays étant particulièrement en pointe sur le plan de la préparation après avoir été en première ligne lors de la crise du SRAS. Nous avons besoin de bénéficier de cette vision empirique, comme c'est le cas pour les exercices, qui nous permettent de tirer en permanence des enseignements supplémentaires : le prochain aura lieu au mois de mars.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Depuis octobre, notre mission a beaucoup travaillé, tenu de nombreuses réunions, effectué des visites sur le terrain ; dans quelques jours, nous vous accompagnerons en Asie. Notre réunion de ce matin aurait dû être l'occasion d'examiner une première ébauche de notre rapport, mais nous avons préféré attendre une quinzaine de jours : l'actualité en Turquie nous rattrape et la menace d'une pandémie se dessine, dépassant le seul aspect de la santé animale. L'information via les médias devient une nécessité impérative pour les voyages et les échanges avec la Turquie et l'Europe centrale. Les Français attendent d'autant plus une réponse claire de votre part que des voix discordantes se sont élevées du côté de nos collègues allemands, même s'il faut éviter de stigmatiser nos voisins.

Sur un plan plus politique et européen - mais vous y avez répondu - nous souhaiterions des décisions un peu plus uniformes, et qu'une seule voix s'exprime sur la prévention de la pandémie, plutôt que tout un chacun puisse tenir des propos parfois contradictoires.

Au cours de nos auditions, il est apparu que des informations en provenance de certains pays étaient peu réalistes. L'idée a été lancée ce matin par la mission d'un droit d'ingérence sanitaire donné à l'OMS. La France peut-elle aller dans cette direction afin que soit mieux connue la réalité des faits dans certains pays ? Même s'il n'est pas question de stigmatiser qui que ce soit, il est plus que probable que certains États ne sont pas disposés à communiquer les chiffres réels.

La communication doit être considérablement renforcée, de manière permanente, en direction du public comme de tous les acteurs de terrain concernés. Il s'agit, vous l'avez dit vous-même, d'un enjeu capital.

Parlez-nous enfin de l'Afrique. Les oiseaux migrateurs sont actuellement là-bas. Que fait la France, avec le CIRAD, l'IRD, les experts sur place, pour améliorer les moyens de surveillance ?

M. François GUILLAUME : Monsieur le ministre, je veux d'abord vous remercier de nous avoir donné la primeur de cette communication ; le fait n'est pas si fréquent... Nous avions déjà noté votre rapidité de réaction lorsque vous nous avez présenté le premier plan ; aujourd'hui, vous revenez avec une nouvelle mouture, qui tient compte de la situation nouvelle. Cela dit, mais ce n'est pas de votre responsabilité, nous sommes surpris de constater tant de différences dans les dispositifs mis en œuvre dans les États membres. Il s'ensuit immédiatement nombre d'interrogations, comme à chaque fois qu'une mesure de précaution est prise dans un État et non chez son voisin, chacun craignant d'être moins protégé que lui.

Pour dissiper toute confusion dans l'esprit du public, il faut, me semble-t-il, bien distinguer l'épizootie, d'une part, et la pandémie, d'autre part, qui peut survenir dans un pays indemne de l'épizootie. Rappelons également que la France est un pays remarquablement bien protégé et capable de réactions très rapides - on l'a vu lors de l'épizootie de fièvre aphteuse - contrairement à d'autres pays européens comme la Grande-Bretagne, qui ne maîtrisait pas bien la situation. Mais il ne faudrait pas que votre collègue de l'agriculture prenne des mesures disproportionnées, au risque de porter gravement et inutilement préjudice aux éleveurs.

S'agissant de la pandémie, nous n'en sommes, fort heureusement, pour l'instant qu'à la prévention, puisqu'il n'y a encore eu aucune mutation du virus. Les mesures que vous nous avez annoncées, notamment en direction des établissements et des personnels de santé, nous paraissent pour l'instant suffisantes et de nature à rassurer le public.

M. Alain CLAEYS : Le plan que vous venez de nous présenter, sur le plan qualitatif comme sur le plan quantitatif, me paraît une réponse de bon niveau face aux enjeux. Le Gouvernement a, de surcroît, raison de tenir à tisser un lien privilégié avec les organismes internationaux.

Contrairement à ce qui se passe à l'OMC, chaque pays de l'Union européenne est représenté en tant que tel à l'OMS, et non pas, collectivement, par l'Union elle-même. Nous sommes aujourd'hui, avez-vous dit, en situation dite 3A. Or, force est de constater que les organismes internationaux, en particulier l'OMS, qui fait office de bras séculier dans cette affaire, n'ont pas, pour l'heure, une totale maîtrise de l'information. Peut-être le moment est-il venu pour la France, qui a déjà prouvé sa capacité de mobilisation, de défendre assez fermement devant l'OMS le principe d'une véritable ingérence sanitaire, devenue indispensable. Cette ingérence complèterait le dispositif que vous nous avez décrit. Faute de quoi, si, par malheur, le processus venait à s'aggraver, chaque pays serait tenté de suivre sa propre logique, et cela pourrait avoir des conséquences dramatiques. Or si l'Union européenne peut coordonner certaines actions, elle n'a pas compétence pour parler devant l'OMS : le droit de parole appartient à chacun des Etats membres. Par rapport aux choix qui ont été faits de privilégier les organismes internationaux, il faut instaurer un devoir d'ingérence sanitaire et notre gouvernement pourrait adresser à l'OMS un message fort en ce sens.

M. Jérôme BIGNON : Je rejoins tout à fait la ligne que vient de défendre Alain Claeys, mais avant de parler d'ingérence sanitaire, ne devrait-on pas commencer par parler de gouvernance mondiale, à l'instar de ce qui se fait en matière d'environnement, de catastrophes climatiques, etc. ? Les grands pays ne devraient-ils pas s'attacher à instaurer progressivement une gouvernance sanitaire qui prévoira, le moment venu et dans des conditions à déterminer, un devoir d'ingérence ? L'ingérence n'est finalement que la conséquence d'une organisation intergouvernementale ; or la complexité de la situation et des problématiques dans certains pays - l'Indonésie, par exemple - justifie tout à la fois une gouvernance et un devoir d'ingérence. Pardonnez-moi d'avoir voulu chercher à enrichir la pertinente intervention d'Alain Claeys...

M. le Président : A l'occasion de la menace de pandémie grippale, ces questions d'ingérence et de gouvernance mondiale, jusqu'alors très utopiques et posées dans des cénacles très restreints, sont devenues d'une grande actualité. Les questions de santé internationale, notamment, doivent désormais être clairement posées dans le débat international. On a parlé de gouvernance mondiale ; l'Europe n'est pas encore à la hauteur de ce que nous souhaiterions en termes de capacité interne et externe d'intervention. Mais plus généralement, si le cas de l'Afrique, voire de l'Indonésie, appelle à l'évidence de raisonner suivant une logique d'aide au développement, force est de constater que bon nombre des pays infestés dégagent du commerce international d'énormes ressources financières, qu'ils n'affectent pas à la protection de la santé animale et humaine, ce dont ils auraient le plus grand besoin. On peut se demander si ce déséquilibre dans la croissance de ces pays n'en vient pas à déséquilibrer les échanges politiques, économiques et humains à l'échelle internationale et si la simple compassion à l'égard des peuples concernés ne doit pas céder le pas à une véritable exigence de transparence de la part de leurs dirigeants. Nous ne pourrons plus longtemps accepter que certains pays ne consacrent pas les bénéfices qu'ils dégagent à l'amélioration de l'état sanitaire de leur population. Il en va de notre propre santé et de l'équilibre des échanges commerciaux internationaux. Ne sommes-nous pas en train de changer de paradigme sur ces sujets ?

M. Xavier BERTRAND : Nous avons, à l'évidence, besoin de coordonner nos actions au niveau européen. Si l'Allemagne s'est lancée dans une initiative bilatérale, c'est son choix, et elle l'a fait probablement en raison de l'importance de la communauté turque sur son territoire. L'OMS, l'OIE et la FAO aimeraient que l'on joue davantage la carte des organisations internationales. C'est le choix qu'a fait très tôt la France, en indiquant qu'elle répondrait à l'appel des donateurs, mais également en multipliant les contacts : le Président de la République a reçu cet été le directeur général de l'OMS, et ce lundi encore, j'ai moi-même fait part au docteur Lee Jong-Wook de notre proposition d'affecter des moyens humains en Turquie par l'intermédiaire de l'OMS. Les initiatives bilatérales n'apporteront rien de plus que ce dont les organisations internationales sont capables. Cela dit, la dimension européenne peut et doit prendre une place plus importante encore.

Vous entendrez prochainement le ministre de l'agriculture, mais François Guillaume a insisté avec raison sur l'importance de la communication. Or, force est de constater que les médias ont su, particulièrement dans les dernières semaines, traiter de la question de la grippe aviaire avec beaucoup de pédagogie, et montrer, à l'aide de force dessins, schémas et avec la participation de différents experts, la différence entre l'épizootie, la transmission à l'homme et la transmission interhumaine, rappelant à chaque fois que celle-ci n'a jamais été constatée jusqu'à présent. Cela est précisé à chaque fois. Il faut leur rendre cette justice.

La question de la communication se pose tout à la fois en termes d'intensité et de phasage. Communiquer, dès à présent, sur les mesures à prendre en cas de pandémie alors qu'aucune transmission interhumaine n'a été constatée nulle part, c'est prendre le risque d'affaiblir le message le jour où nous serons réellement face à un début de pandémie. Nous avons déjà développé les outils de communication, nous continuerons à monter en puissance, d'autant qu'il n'est pas question d'attendre que la pandémie se déclenche pour nous préoccuper de la forme et des modalités de distribution de nos documents grand public... Il nous faut anticiper, mais le moment n'est pas encore venu de changer complètement notre fusil d'épaule, alors même que les médias relatent le sujet avec un sérieux indiscutable.

S'agissant de l'Afrique, j'ai pressé à plusieurs reprises les organisations internationales de mettre concrètement en place des dispositifs de détection et de veille sur le terrain, via différents acteurs - OIE, FAO, CIRAD -, en prévenant qu'il y avait urgence et qu'il ne servirait à rien d'attendre que les oiseaux soient repartis pour envoyer des équipes. Les opérations de terrain débuteront la semaine prochaine. Trois agents du CIRAD partiront au Sénégal, au Tchad, au Mali et en Éthiopie dès ce dimanche 15 janvier. Le CIRAD coordonne cinq projets techniques de coopération de la FAO dans cinq régions - Europe de l'Est, Afrique de l'Est, Afrique de l'Ouest, Afrique du Nord et Moyen-Orient - pour des actions de formation à la surveillance, à la détection et au contrôle d'éventuels foyers de grippe aviaire. Si nous passons par ces organisations, c'est aussi parce que nous pouvons compter sur un retour d'informations - ce qui n'est pas forcément dans la culture de tous les autres acteurs. Je veux savoir ce qui se passe là-bas, s'il y a des risques, des foyers, de la mortalité, car ces oiseaux seront bientôt amenés à survoler de nouveau notre territoire. Il est désormais établi que les contaminations en Turquie résultent du passage de certains migrateurs qui revenaient du Nord de la Russie. Parmi les facteurs de contamination, les experts nous indiquent que c'est l'un des facteurs probables.

S'agissant des ressources, la France a très tôt fait connaître le montant de sa contribution, pour éviter, précisément, tout problème d'ordre financier. La FAO consacre 800.000 dollars, sur ses fonds d'urgence, à cette opération ; le CIRAD a recruté trois chercheurs - un écologue santé, un épidémiologiste et un virologiste - et mobilisé en plus une dizaine d'agents. Sa participation atteint au total 500.000 euros. Ces opérations, pour l'instant limitées à deux lacs, seront étendues à la fois dans l'espace et dans le temps, grâce à un crédit supplémentaire français de 750.000 euros.

La question, essentielle, a été posée de ce que vous appelez le devoir ou le droit d'ingérence sanitaire. Mais tout n'est pas à inventer en la matière : un outil existe d'ores et déjà, c'est le RSI, le règlement sanitaire international. On en parle depuis longtemps ; il faut maintenant entrer dans une phase concrète, en le dotant financièrement. La France a décidé une première participation de 100.000 euros, pour que nous soyons les premiers à ouvrir la voie. Le RSI sera discuté le 23 janvier par le conseil scientifique de l'OMS. Il faut aller vite. Les échanges d'informations et les possibilités d'interaction entre pays sont possibles grâce à cet outil qui n'a pas besoin d'être créé. Encore faut-il le mettre en place et le faire partager par tous les pays. Le RSI est une bonne réponse.

En attendant, il nous faut disposer beaucoup plus rapidement de l'information. Le problème se pose en termes de communication à l'OMS des informations dont disposent les pays en cause, puis de transmission par l'OMS de ces informations aux autres pays. Et, sur ce point, nous avons d'autant plus besoin de travailler en confiance que le déclenchement des phases s'effectue au vu des informations dont l'OMS dispose. J'entends, lors du sommet de Pékin, obtenir des garanties sur la transmission de l'information. L'Europe a fait des progrès en la matière ; lors du sommet informel des ministres de la santé de Herefordshire, je m'étais élevé contre le fait qu'un trop grand nombre d'acteurs européens communiquaient, estimant que s'il n'en fallait qu'un seul, en l'occurrence l'ECDC. Aujourd'hui, les choses vont mieux au niveau européen. Je souhaite qu'il en soit de même au niveau international. L'OMS doit pouvoir disposer d'informations fiables, précises et rapides pour qu'elle puisse les répercuter de façon tout aussi fiable, rapide et précise à l'ensemble de la communauté internationale. Nos niveaux d'engagement et de préparation dépendront de ces informations. Cette conférence en Asie sera un moment important : il ne s'agira pas seulement de fournir des moyens, nous devons aussi pouvoir poser des règles du jeu en matière d'information sanitaire internationale. Cela crédibilisera d'autant plus notre choix de privilégier les liens avec les organisations internationales : le docteur Lee comme le docteur Chan sont suffisamment au fait du dossier de la grippe aviaire. Encore faut-il que leurs agents aient toute facilité pour se rendre sur les lieux où l'on rencontre de la grippe aviaire et que l'information soit facilitée au maximum.

Je vais même aller plus loin : si la France répond aux besoins de ces pays alors que nous sommes de ceux qui ont le mieux pris la mesure du risque, c'est évidemment pour des raisons de solidarité à l'égard des pays qui sont en première ligne, mais également pour mieux nous protéger nous-mêmes. Si j'ai décidé de renforcer considérablement les moyens du réseau Pasteur, c'est pour que les instituts sachent plus tôt ce qui se passe et se lancent plus rapidement dans les recherches nécessaires : cela nous sera également utile si une pandémie se déclenchait. Consacrer des moyens à une action internationale, c'est faire œuvre de solidarité, mais c'est aussi protéger notre territoire et nos populations. Je le dis et je l'assume.

M. Pierre HELLIER : Je vous remercie de nous avoir rassurés sur ce qui va se passer en Afrique : c'était pour nous un gros sujet de préoccupation, car nous avions l'impression de n'en avoir aucune nouvelle.

Mme Catherine GÉNISSON : Le dernier exercice vous a-t-il permis d'apprécier le niveau de formation et d'information des acteurs concernés, au premier chef les professionnels de santé, et surtout leur niveau de motivation et d'implication ?

M. Gérard BAPT : Nous apprécions positivement, toutes sensibilités politiques confondues, l'action que déploie le Gouvernement sur le plan tant national qu'européen et international en matière de santé publique. Membres de cette mission, nous sommes également au contact de la population ; et dans les territoires agricoles comme dans les zones urbaines, nous sommes assaillis de questions. Lors de l'extension de l'épizootie dans le Sud-Est asiatique, les interrogations portaient souvent sur de possibles restrictions des déplacements professionnels ou touristiques ; nul doute qu'on nous les reposera à l'occasion des prochaines vacances. En l'état actuel des connaissances, et dans la mesure où les déplacements se font au niveau européen, - il faut voir combien de nationalités se côtoient dans les charters ! -, est-il possible d'apporter à nos concitoyens une réponse précise et responsable prenant en compte tant le principe de précaution que le niveau réel de gravité de la situation, plus particulièrement en Turquie ?

M. Xavier BERTRAND : Oui, Madame Génisson, les acteurs sont motivés ; oui, ils sont impliqués ; oui, ils ont besoin d'être formés et informés encore et encore. Peut-être nous faudra-t-il multiplier les exercices, même si certaines régions en ont déjà connu un grand nombre... Force est de reconnaître qu'ils sont d'une très grande utilité dans le cas de crises sanitaires comme celle-ci. J'ai lu avec beaucoup d'attention le rapport de l'agent de la DILGA qui avait été envoyé à La Réunion après une suspicion de cas de grippe aviaire : il montre qu'il s'est produit un moment de flottement parmi les agents lorsqu'un deuxième cas a été présenté comme suspicieux. Or, il faut à tout prix éviter les périodes de flottement.

Nous pouvons compter sur la motivation des personnels de santé - et j'ai pu m'en rendre compte lors d'un colloque qui s'est tenu à l'Institut Pasteur à l'initiative de la Direction de l'hospitalisation et de l'organisation des soins - à condition d'avoir réglé au préalable un certain nombre de questions. Pour qu'ils soient motivés et impliqués, il faut qu'ils soient présents ; autrement dit, il faut avoir anticipé et résolu, dans la logique des plans blancs et même au-delà, la question de la garde des enfants des personnels soignants, en particulier lorsque ce personnel est très féminisé. Il faut également avoir anticipé le problème des déplacements pour le cas où la pandémie entraînerait un ralentissement, voire un arrêt des transports collectifs, et prévoir d'autres possibilités de déplacement et des systèmes de circulation prioritaires. Les groupes de contact que nous avons mis en place sont chargé de formuler des propositions très concrètes, de même que les agents hospitaliers, les syndicats de médecins généralistes, les spécialistes et autres professionnels de santé, mais également les réseaux GROG et Sentinelles. D'autres questions pourront se poser par la suite ; pour l'instant, réglons au moins celles que nous avons pu anticiper.

Mme Catherine GÉNISSON : Vous avez été très précis. Mais au-delà des considérations de logistique, peut-être les personnels aimeraient-ils également voir les aspects de sécurité sanitaire pris en compte, dans la mesure où il ne s'agit pas seulement d'eux-mêmes, mais également de leur famille et de leur entourage.

M. Xavier BERTRAND : Pardonnez-moi : j'ai parlé de former et d'informer, j'ai oublié de parler de protéger. Les professionnels de santé, précisément parce qu'ils sont en première ligne, doivent bien évidemment bénéficier d'une protection systématique.

Les cas humains recensés jusqu'à présent, Monsieur Bapt, résultent clairement d'une transmission de l'animal à l'homme favorisée par la promiscuité animal-homme, en Asie du Sud-Est comme en Turquie orientale, qu'au surplus, le froid n'a fait qu'aggraver : on fait entrer les volailles dans les habitations pour les réchauffer. On a vu également des enfants jouer avec des têtes de poulets très probablement contaminés. Il n'est pas question de dissuader les gens d'aller dans ces pays pour affaires ou en voyage touristique ; il y a seulement des conseils et consignes de sécurité sanitaire : se méfier des marchés de volailles, éviter de consommer de la volaille crue, sachant que le virus est détruit par la cuisson à 70°. Il faut en permanence donner et rappeler ces consignes. C'est ce qui est fait dans les aéroports, et non seulement à Roissy, la Turquie nous ayant amené à prendre en compte treize aéroports, en renforçant notre partenariat avec la Direction générale de l'aviation civile, ainsi que les transports par autocars. Il en irait évidemment tout autrement si nous étions en situation prépandémique avérée ou pandémique, qui obligerait à revoir notre logique de transports et à faire d'autres recommandations.

M. Rudy SALLES : Nous n'en sommes pour l'instant qu'au stade de l'information des passagers dans les aéroports. Les contrôles ont-ils été renforcés ?

M. Xavier BERTRAND : Les contrôles douaniers et vétérinaires ont été évidemment renforcés - j'ai moi-même pu le constater cet été sur la plate-forme de Roissy, et je le ferai dans d'autres aéroports. Les personnels des compagnies aériennes, les personnels au sol comme les navigants, font également l'objet d'une sensibilisation accrue. C'est le rôle des gestionnaires des aéroports, et j'ai insisté sur ce point auprès de Pierre Graff, le président d'Aéroports de Paris. Cela se fait par des nouveaux documents d'information et un nouveau module vidéo. Enfin, il est important de sensibiliser les personnels à la conduite à tenir sur les lignes desservant les zones à risques : que faire, par exemple, en présence d'un passager présentant tous les symptômes d'une grippe ? On peut d'ores et déjà penser à l'isoler dans l'avion même, entre autres mesures particulières. Mais ces précautions ne doivent plus se limiter au transport aérien compte tenu de ce qui vient de se produire en Turquie.

M. le Rapporteur : Pourriez-vous me donner la réponse à fournir aux élus locaux, notamment ceux qui sont impliqués dans les centres hospitaliers ou dans les services départementaux d'incendie et de secours, lorsqu'il leur faudra s'équiper en matériels ? Vous avez certes parlé des masques, mais il faudra d'autres matériels : blouses, gants, etc. Ces dépenses seront-elles supportées par l'État ?

M. Xavier BERTRAND : Absolument. Je vous ai parlé de trois moyens de protection - masques, Tamiflu et Relenza, vaccins -, mais on ne saurait pour autant oublier les règles élémentaires d'hygiènes, ce qui se traduira par des moyens accrus en blouses, gants, produits antiseptiques dont nous avons tout lieu d'anticiper une consommation plus importante. A cet égard, j'aurai l'occasion de vous présenter prochainement de nouvelles propositions sur les maladies nosocomiales. Nous devrons également renforcer nos capacités en appareils respiratoires ; s'il nous faut aller au-delà de ce qui était prévu, ce sera également de la responsabilité de l'État.

Cela dit, tous ces efforts et ces investissements ne serviront pas seulement pour la grippe aviaire : ils nous permettront également de mieux réagir en cas d'autres difficultés ou catastrophes sanitaires. La logique d'anticipation que nous suivons dans le cas de la grippe aviaire peut nous être utile pour n'importe quelle autre crise sanitaire.

M. le Président : Sur les questions internationales, la position globale du gouvernement français répond à des considérations que nous comprenons. Il reste que les parlementaires doivent pouvoir dire ce qu'ils pensent de certaines déclarations ou situations. Les déclarations faussement alarmistes de tel responsable de santé allemand visant à empêcher l'organisation de voyages vers certains pays sont parfaitement condamnables. Ce sont des prises de position unilatérales et manifestement exagérées. A contrario, ayons également le courage, et c'est le rôle des parlementaires, de dire que certains pays ne se sont pas dotés des capacités de surveillance et d'analyse qu'on est en droit d'attendre d'eux : c'est sans doute le cas de la Turquie, et peut-être d'autres pays de la région, mais également de plusieurs États asiatiques. Nous avons tout lieu de nous interroger sur la situation réelle en Chine ; l'Indonésie soulève d'autres interrogations, même si l'on devine que la situation de ce pays ne lui permet pas de mettre en œuvre les éléments de gouvernance et les moyens techniques qui seraient nécessaires. Mais, si nous nous devons de porter des actions de solidarité internationale et de défendre un droit d'ingérence sanitaire qui apparaît de plus en plus indispensable à une bonne coopération internationale, nous ne devons pas pour autant hésiter à interpeller les responsables politiques de pays qui ne nous paraissent pas à la hauteur des besoins.

M. Rudy SALLES : On a parlé des deux types de masques, pour les personnels de santé et les malades, mais pas du troisième, le « masque promenade » en cas de pandémie.

M. Xavier BERTRAND : J'ai pu constater, au Cambodge, qu'à la suite du SRAS et à cause notamment de la pollution automobile, beaucoup de gens utilisaient un masque en tissu - j'ai même demandé à la femme de notre ambassadeur de me donner le sien. J'ai demandé au Laboratoire National d'Essais (LNE) de vérifier si ces masques en tissu étaient efficaces ou non, et plus ou moins efficaces que les masques anti-projections. La réponse tarde un peu à mon goût... J'ai fait savoir au délégué interministériel que je voulais une réponse du LNE dans les meilleurs délais. Si ces masques en tissu présentent un avantage en termes de protection, nous aurons des industriels pour les produire sur notre territoire. J'attends donc une réponse sur cette efficacité, l'esthétique ne m'intéressant guère.

À noter que si nous avons besoin de protéger les professionnels de santé, il faudrait également pouvoir en faire de même pour les aidants familiaux qui s'occuperont des malades soignés à domicile. En contact permanent avec les malades, ils auront le même statut que les professionnels de santé. Voilà pourquoi je n'entends pas me contenter, en matière de production de masques, d'un niveau ne permettant qu'une protection a minima de la population. On imagine mal, dans une situation de ce genre, refuser des masques au motif que l'on n'y avait pas pensé... Autant anticiper et faire bénéficier les membres de la famille, lorsqu'ils s'occupent d'un malade, d'une protection identique.

M. Rudy SALLES : Une protection de ce genre s'avérerait indispensable pour l'ensemble de la population en cas de pandémie, ne serait-ce que pour éviter les contaminations dans le bus ou le métro.

M. Xavier BERTRAND : À ceci près qu'en cas de pandémie déclarée, on s'efforcerait de diminuer les contacts publics - c'est ce que l'on a fait à Hong Kong, au moment du SRAS, où les masques ont surtout été utilisés dans les lieux publics. C'est également la raison pour laquelle nous préconisons le maintien à domicile. Il nous faudra très rapidement, dans cette perspective logique d'anticipation, nous tourner vers des logiques de télé-enseignement et de télé-travail - dans le cas d'une pandémie déclarée, s'entend.

M. le Président. Monsieur le ministre, nous vous remercions.


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