Mercredi 22 février 2006

- Audition de M. Michel PRUGUE, secrétaire général de la Confédération française de l'aviculture

(Compte rendu de la réunion du 22 février 2006)

Présidence de M. Jean-Marie LE GUEN, Président

M. le Président : La mission d'information a souhaité vous rencontrer pour faire le point, avec vous, sur les conséquences de la crise actuelle liée à la grippe aviaire sur la filière avicole, et connaître les mesures que vous préconisez tant sur le plan économique que sur le plan sanitaire et réglementaire.

M. Michel PRUGUE : Représentant des aviculteurs, je suis moi-même producteur de poulets jaunes des Landes, le premier label qui fut agréé en France, en 1965, mais également président d'une coopérative agricole ayant une activité de production de volailles. Vous comprendrez que je sois très sensible au sujet... Vos connaissances en la matière étant, je suppose, déjà très complètes, je vais aborder directement le cœur du sujet, en vous exposant notre sentiment avant de vous faire part de nos attentes.

Au fil des décennies, notre filière s'est construite à partir de plusieurs débouchés, sur le marché national avec des produits standard et labellisés, et à l'exportation, toutes espèces confondues. Grâce à la compétence de ses éleveurs, de ses industriels, mais également de ses services publics et de son environnement vétérinaire, la France a su résister à une concurrence exacerbée. Dès les années soixante, bien avant que l'on ne parle de traçabilité et de sécurité sanitaire, nous avons mis au point des systèmes de cahiers des charges et de contrôle, dont beaucoup rêvent encore. La transparence est quasi totale et nous pouvons répondre à pratiquement toutes les questions ; or, nous avons l'impression que c'est précisément cela qui nous porte préjudice aujourd'hui. Les informations précises que nous demandent politiques et médias se transforment en autant de messages anxiogènes pour la population, pèsent lourdement sur la consommation et en viennent à pénaliser les bons élèves, ceux-là mêmes qui apportent toutes les garanties. D'où certaines réactions, parfois épidermiques et désordonnées, chez les éleveurs.

Depuis que l'alerte a été donnée en novembre 2005, la distribution annonce une chute de la consommation et les industriels enregistrent, à leur tour, des baisses d'activité qui se ressentent encore plus aujourd'hui dans la mesure où ils avaient, dans un premier temps, stocké. Les éleveurs, eux aussi, ont commencé à souffrir, mais le véritable choc pour eux arrive seulement aujourd'hui, car les congélateurs des entreprises sont désormais pleins et elles n'achètent plus ; le coût économique des stocks va d'ailleurs vite atteindre un niveau insupportable. Des dispositions ont été prises en leur temps pour permettre d'absorber les productions en cours - il faut entre deux mois et demi et quatre mois selon les produits. Mais, aujourd'hui, le choc est là. On sait qu'une baisse d'activité de 30 à 40 % va immanquablement conduire à transformer le faible bénéfice résiduel en perte.

Des accords internationaux ayant notablement limité nos possibilités à l'exportation, notre filière était déjà structurellement en situation de surcapacité. Nous avions réagi en fermant 1,5 million de mètres carrés, grâce à des aides de l'État. De surcroît, la consommation évolue et tend à délaisser la carcasse entière pour des produits élaborés dont la matière première provient souvent d'autres régions du monde. Dès lors, on peut se demander s'il ne faudrait pas intervenir à deux niveaux : au niveau structurel, analyser les tendances lourdes en matière de vente et de consommation pour la décennie qui vient, afin - ce n'est pas agréable à dire pour un représentant syndical - d'adapter notre capacité de production ; au niveau conjoncturel, estimer le poids de l'influenza aviaire et de ses conséquences pour les mois à venir, afin d'appliquer une logique de gel d'ateliers tout en indemnisant les éleveurs, dans le but de préserver ce potentiel de production. Ma coopérative, par exemple, a d'ores et déjà décidé d'affecter 1 million d'euros au gel temporaire de bâtiments ; nous n'avons pas voulu aller jusqu'à la suppression pure et simple, qui relève à notre avis de décisions collectives dépassant le cadre d'une entreprise.

M. le Président : Vous parlez de fermeture de bâtiments, alors que les volailles des Landes ne sont pas confinées...

M. Michel PRUGUE : En fait de bâtiments, il faut comprendre « capacités de production ». Nos volailles sont élevées dans des bâtiments seulement le temps de « faire la plume » ; ensuite, elles galopent en plein air et n'ont plus que des abris pour dormir la nuit, se restaurer et boire. De ce fait, il nous est impossible de totalement les confiner pendant toute la durée de leur vie. Nous pouvons, à la rigueur, allonger la durée de confinement initial, mais nous sommes obligés de les lâcher dans les dernières semaines, faute de quoi elles se griffent, se piquent et s'entretuent. C'est une particularité de ces races, que nous avons sélectionnées pour leurs qualités gustatives ; il ne faudrait pas que ce choix, qui répondait aux attentes du consommateur, nous porte à présent préjudice.

Cela dit, il sera difficile d'expliquer aux producteurs français, qui ont su être compétitifs à l'export, qu'ils ne le sont plus aujourd'hui en raison de coûts de main-d'œuvre, de taux de change, de critères de bien-être animal et de contraintes sanitaires que le Brésil, par exemple, n'a pas à supporter, et qu'ils devront fermer des mètres carrés de bâtiments pour voir des viandes d'importation remplacer les leurs dans les préparations élaborées ! A cet égard, je trouve parfaitement anormal que le consommateur ne soit jamais informé de la provenance de la matière première principale d'un produit transformé. Ce ne serait, ni de la distorsion de concurrence, ni du protectionnisme...

M. le Président : Quel est le facteur bloquant ? Une réglementation européenne ?

M. Michel PRUGUE : Je ne suis pas un spécialiste de ces questions... J'ai cru comprendre que cela tenait aux positions de l'Union européenne dans les négociations internationales et faisait partie des règles sur lesquelles il n'est pas possible de revenir.

M. le Président : Vous nous avez finalement moins parlé de la grippe aviaire en tant que telle que de l'évolution de la production. Si je comprends bien, cette crise sanitaire et ses conséquences économiques sont intervenues à un moment où la filière connaissait déjà une profonde mutation : la consommation s'orientant de plus en plus vers des produits préparés - on peut du reste se demander si les pouvoirs publics doivent favoriser une telle évolution, qui n'est pas sans conséquences, y compris sur la santé publique du fait notamment de leurs propriétés caloriques -, vous vous retrouvez victimes de règles injustes en matière d'étiquetage et de provenance. C'est un point qu'il faut souligner...

M. Michel PRUGUE : Cette question de l'origine est essentielle pour la profession, et désormais revendiquée dans tous les bassins de production. Les labels rouges bénéficiaient de l'avantage de pouvoir faire état de l'origine de leur production, en contrepartie d'un cahier des charges spécifique. Aussi, la profession a-t-elle souvent hésité à parler de provenance de matières premières pour éviter toute confusion à cet égard chez le consommateur. Mais dès lors qu'il s'agit de produits élaborés, la provenance des principaux ingrédients devrait être mentionnée, sans pour autant devenir un argument commercial, afin de préserver l'avantage reconnu aux labels rouges, IGP et AOC, plus coûteux mais qui garantissent une meilleure relation entre le producteur et ses clients.

Le secteur de la volaille était depuis longtemps entré dans une phase de reflux. L'épisode de l'ESB, en détournant le consommateur de la viande rouge, avait « boosté » la consommation de volaille et, par le fait, contrecarré ce mouvement structurel en retardant l'échéance.

M. le Président : C'est très honnête de votre part de le reconnaître.

M. Michel PRUGUE : Il est d'autres endroits où nous serions plus réticents à nous exprimer ainsi ; mais le peuple vous a confié un mandat et nous nous devons de vous donner toutes les informations.

Quelques restructurations avaient déjà eu lieu, mais nous avons profité d'un marché quelque peu artificiel, d'autant que les épizooties survenues en Hollande et en Italie nous avaient permis de préserver certains débouchés.

Cela dit, il n'est pas question de sombrer dans le fatalisme et de nous dire que, face à la pression des opérateurs internationaux, nous n'aurions plus qu'à fermer nos bâtiments... Les éleveurs français ont l'avantage de disposer d'une production céréalière sur leur territoire, ils ont fait tous les efforts possibles en matière sanitaire, en matière de différenciation des produits comme en matière de segmentation des marchés. Pourquoi devraient-ils baisser pavillon au motif que les différentiels monétaires, sociaux et autres leur seraient défavorables ? Je ne suis pas partisan d'une économie artificielle, mais une identification précise des distorsions de coûts et de concurrence devrait permettre de pallier ces différentiels. C'est ce qui se produit, nous dit-on, par le jeu des restitutions à l'exportation : c'est vrai, mais pour partie seulement.

Il faut également prendre en considération les intérêts particuliers de chacun, à tous les niveaux. Commençons par celui du consommateur, à qui l'on explique sans cesse qu'il paie trop cher son alimentation, et que l'on fera pression sur les vilains industriels et ces méchantes marques qui lui prennent trop d'argent... N'est-ce pas un peu abuser de la crédulité des citoyens ?

M. le Président : Très juste...

M. Michel PRUGUE : Du coup, la pression est mise sur le deuxième échelon, les industriels, amenés à s'organiser afin de préserver leurs comptes d'exploitation. Et au bout de la chaîne, on trouve le producteur. Ne versons pas pour autant dans le misérabilisme : ce secteur sait se défendre, mais quand on lui en laisse les moyens. Or, ce n'est pas lui qui décide des mises en production, ou si peu : il s'adapte, dans le cadre des partenariats contractuels qu'il a bâtis avec les coopératives, les industriels, voire la distribution. Encore faut-il que le contrat soit équilibré et qu'en cas de sinistre, les difficultés soient partagées. Voilà pour la partie structurelle.

Pour ce qui est de l'aspect conjoncturel, autrement dit de la grippe aviaire, le facteur le plus perturbant, pour nous, tient à ce que j'appellerai le voyeurisme des médias, et le comportement des politiques. On veut convaincre le public que le dispositif de sécurité sanitaire français est parfaitement fiable, qu'il démontre régulièrement son efficacité, y compris s'agissant de la volaille, mais, en même temps, on ne veut pas trop en parler, afin de ne pas affoler le bon peuple. Les médias, et parfois les élus, insuffisamment au fait de la réalité du monde agricole, développent des thèses si techniquement compliquées qu'elles en deviennent incompréhensibles et anxiogènes pour nos concitoyens. Je salue les efforts financiers du ministère de l'agriculture pour développer une communication grand public ; il n'en reste pas moins que nous sommes débordés. Comme me le faisait observer hier l'un de mes collègues à propos de la vaccination éventuelle des canards, la seule chose qui va intéresser les médias, c'est de savoir à quelle heure arriveront les vaccins en gare de Dax pour que les caméras ne manquent pas les premières injections ! Qu'est-ce que cela apporte au consommateur français ? L'important n'est-il pas de savoir que nous avons un système rationnel, efficace, et que les efforts de notre gouvernement comme des parlementaires visent à ce qu'il en toujours soit ainsi ?

M. le Président : Malheureusement, ni vous ni nous ne pouvons rien à cet état de choses. De surcroît, tout le monde s'accorde à constater que les médias font preuve d'une attitude plus rationnelle depuis quelques jours. Il nous faut faire avec l'exigence de transparence et la médiatisation, à défaut de pouvoir desserrer l'étau.

M. Michel PRUGUE : J'en conviens, monsieur le Président, mais ce serait une bonne chose si nous pouvions expliquer aux médias les limites à ne pas franchir, et convaincre les consommateurs de l'efficacité de notre système.

M. le Président : Très juste.

M. Michel PRUGUE : Nous pourrions également intervenir en direction des collectivités : pour le moment, personne ne songe à interdire la volaille dans les cantines...

M. Gérard CHARASSE : Vous êtes bien optimiste !

M. le Président : J'aimerais partager votre optimisme et nous ferons tout pour éviter un tel phénomène. Malheureusement, il faut nous attendre à un choc dans les prochaines semaines, et à des attitudes qui n'ont aucune raison d'être.

M. Michel PRUGUE : Un dernier point sur l'organisation de notre profession : nous militons depuis des années pour la création d'une interprofession avicole qui rassemblerait toutes les familles professionnelles ; elles pourraient ainsi débattre ensemble des mêmes problèmes, en évitant les contrevérités.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Est-ce à dire que le climat actuel n'est pas à favorable à une discussion sereine ?

M. Michel PRUGUE : Nous essayons d'y travailler, mais il est difficile d'aller contre certaines habitudes tenaces...

M. le Rapporteur : Pouvez-vous nous en donner un exemple ?

M. Michel PRUGUE : Par exemple, tant que nous ne pourrons pas débattre avec nos partenaires qui se situent en aval de la chaîne des prospectives de marché et des mesures d'adaptation qui en découleront pour les industriels comme pour les producteurs, comment pourrons-nous mener, même avec l'aide de l'État, une réelle communication grand public ? C'est pourtant ce qu'a réussi à faire la filière viande bovine...

M. François GUILLAUME : Précisons que Bruxelles ne reconnaît pas encore les interprofessions, pourtant mises en place en France par la loi de 1975, et qu'elle persiste à les considérer comme des ententes.

M. Michel PRUGUE : Vous avez raison, mais aucun système n'a vocation à durer ad vitam aeternam. Il faut savoir s'adapter à chaque période. Face à la mondialisation des échanges, il devrait être possible de dessiner des perspectives sur les futurs débouchés et d'organiser en conséquence nos productions à l'échelle du territoire français, sinon européen.

Le confinement ne pose pas de problème pour la production de volailles standard, naturellement confinées. N'oublions pas, cependant, que les virus sont dans l'air ambiant et peuvent s'introduire dans les bâtiments. Le secteur des labels rouges, plus particulièrement touché, voit coexister deux systèmes d'élevage. Le premier, qui concerne la plus grande partie de la production, utilise des bâtiments assez grands, avec des taux de chargement relativement faibles, et d'où les volailles sortent de temps en temps. Les éleveurs qui ont confiné leurs animaux sitôt l'arrêté publié ont assez rapidement rencontré certaines difficultés - piquage, mortalité accrue - bien que le raccourcissement des jours en hiver fasse normalement baisser l'agressivité chez les animaux. Inversement, l'arrivée du printemps marque le retour d'une phase dite ascendante, d'où une recrudescence des problèmes liés à l'enfermement. Toutefois, certains éleveurs pensent pouvoir les maîtriser.

Il n'en est pas de même avec l'autre système d'élevage, celui en plein air, qui concerne la volaille de Bresse, ou en liberté pour le poulet des Landes et les palmipèdes. Dans ces élevages, les souches ont été sélectionnées pour rester en contact de la nature. Sitôt passée la période d'emplumement, les animaux vivent à l'extérieur et ne peuvent être confinés : non seulement nous ne disposons pas des bâtiments nécessaires, mais ces variétés de volailles ne supportent pas le confinement. La première réaction des éleveurs a été d'envisager la vaccination des volailles, mais ils attendent l'avis des scientifiques sur cette possible solution. Il faudrait aussi évoquer les conséquences prévisibles de la vaccination sur les exportations.

Si la vaccination est impossible, que faire ? Ces éleveurs sont tous identifiés au sein des groupements de producteurs, leur production est planifiée, leurs bâtiments sont localisés, leurs effectifs d'animaux et les taux de mortalité sont connus au jour le jour, le moindre incident est systématiquement consigné dans des documents techniques quotidiennement tenus à jour ; et il y a, sur le terrain, en permanence, les techniciens des structures, les vétérinaires privés et ceux des services départementaux. Nous sommes persuadés que, par une surveillance visuelle permanente et une remontée d'informations quotidienne, nous sommes parfaitement capables de détecter un élevage suspect en temps réel et de prendre immédiatement les mesures adaptées - comme nous le faisons du reste pour toutes les autres maladies. Ceux qui ne connaissent pas le monde agricole peuvent être surpris d'une telle rapidité de réaction : mais c'est notre lot quotidien. Nous sommes surpris que cela surprenne...

M. le Président : À vous entendre, la vaccination pose des interrogations d'ordre économique - nous en avons déjà débattu - mais également d'ordre scientifique, que nous partageons. Et je ne doute pas de l'excellence de votre système de surveillance. Mais ne craignez-vous pas que l'infection par la faune sauvage d'un, de deux puis de trois élevages ne provoque une véritable déstabilisation stratégique de la filière, surtout si les caméras de télévision relaient l'événement ? Ne peut-on envisager une forme de confinement intermédiaire, à l'aide de filets par exemple ? Le ministre semblait ouvert à cette idée. Au moins éviterait-elle les mauvaises rencontres avec la faune sauvage.

M. Michel PRUGUE : La question n'est pas simple, car nous aurions effectivement à gérer une crise d'image si, par malheur, un de nos élevages était infecté. Il s'agit donc bien d'un problème de communication : quel message voulons-nous envoyer ? Nous avons indiqué aux pouvoirs publics que nous pourrions porter la durée de confinement de nos jeunes animaux de quatre à huit semaines maximum.

M. le Président : Sur une durée totale de combien ?

M. Michel PRUGUE : Huit semaines sur treize. Cependant, plus les jours s'allongeront, plus il sera difficile de tenir les animaux enfermés. Les filets empêcheront les oiseaux sauvages de s'approcher des élevages par le haut, mais pas de passer à côté. Jamais on ne voit un oiseau sauvage se poser au milieu de nos élevages dès lors qu'il n'y trouve pas d'alimentation ou d'abreuvement. Cela ne signifie pas que le risque soit exclu, mais tout est question de probabilité : un sur mille ou sur cinq mille, ce n'est pas pareil qu'un sur dix ou sur cent. Nous sommes comme vous : nous savons qu'un accident serait dramatique pour notre filière. Mais en prenant des mesures inadaptées ou de simple affichage, nous ne ferons qu'amplifier le phénomène et, finalement, précipiter les problèmes économiques. La solution la plus simple, si nous disposions de toutes les garanties scientifiques, serait la vaccination. Il doit être possible d'expliquer à nos concitoyens que nous vaccinons nos animaux contre l'influenza aviaire comme nous le faisons depuis longtemps contre la maladie de Newcastle ou de Gumboro. Pourquoi inquiéterions-nous ainsi le consommateur ? Confirmons-lui que nous vaccinons les volailles depuis des décennies contre d'autres maladies, et que c'est précisément cette mesure qui lui permet de trouver une alimentation saine dans les magasins. Pourquoi le cacher ? La vaccination est un moyen de protéger les populations humaines ; il en est exactement de même pour les animaux. Encore faut-il que les pouvoirs publics prennent la décision de vacciner en connaissance de cause, et donc que les scientifiques apportent toutes les garanties. Si tel est le cas, nous l'appellerons de nos vœux.

M. le Rapporteur : J'apprécie vos propos. L'OIE elle-même estime que la vaccination est nécessaire dès lors que les défenses sont enfoncées. Du reste, plusieurs expériences étrangères en ont démontré le bien-fondé. Tout dépendra effectivement de l'expertise scientifique.

Vous serez très prochainement reçus par le ministre. Que pensez-vous des dispositifs d'aide annoncés ? Quelles propositions présenterez-vous en retour au Gouvernement ?

M. Gérard CHARASSE : J'ai particulièrement apprécié votre intervention. Mais le prolongement de trois semaines du confinement initial ne remet-il pas en cause le cahier des charges associé au label ?

M. François GUILLAUME : La vaccination ne comporte-t-elle pas un risque au niveau du commerce international ? Certains pays ne manqueront pas d'en tirer prétexte ; et le temps de prouver l'innocuité du vaccin, nous aurons perdu des marchés, que nous ne récupérerons jamais.

M. Marc JOULAUD : Vous avez évoqué la difficulté des acteurs de la filière à s'entendre sur un discours commun dans le cadre d'une interprofession. Croyez-vous que la vaccination soit un sujet de nature à les réunir ?

M. Michel PRUGUE : Pour ce qui est des aides publiques, laissons de côté le plafonnement à 3 000 euros par exploitation, en application de la règle de minimis. Je ne vous donnerai qu'un exemple : notre coopérative - 600 producteurs - a décidé d'affecter 600 000 euros, plus 200 000 euros de cotisations sur les éleveurs, à un fonds qui devrait permettre, pour peu que la consommation ne s'effondre pas davantage, de limiter pour 2006 la baisse de résultat dans les élevages à 15 ou 20 % - autrement dit de parer au plus pressé. Les 5 millions d'euros annoncés par le Gouvernement, s'ils sont répartis comme prévu, permettront seulement de prendre en charge la cotisation de l'éleveur... De notre côté, nous aurons consacré pratiquement 30 % de nos moyens financiers à geler des mètres carrés. Mais si nos résultats s'effondrent à moins 30, moins 40 %, nous ne saurons plus faire. Nous devrons demander à l'État et à l'Europe beaucoup plus d'argent pour soutenir les producteurs.

M. le Rapporteur : Vous avez entendu la réponse de l'Europe...

M. Michel PRUGUE : Et nous connaissons la situation de l'État !

M. le Rapporteur : Qu'allez-vous dire au Ministre ?

M. Michel PRUGUE : Je reviens à ce que je disais tout à l'heure : adaptation structurelle et mesures conjoncturelles. La question est de savoir, dans le cadre plus général du débat sur l'avenir de l'agriculture française, ce que l'on veut faire de notre industrie avicole et des producteurs, et si l'on est décidé à mettre en œuvre un véritable plan de réorganisation, avec les moyens financiers appropriés, comme on a su le faire pour d'autres secteurs d'activité. Pour ce qui est du soutien aux éleveurs, nous avons à notre disposition la panoplie classique - report d'annuités, prise en charge des cotisations sociales, aide aux vides sanitaires en élevage, dégagement de volailles des élevages en vif, etc. - pour assurer aux éleveurs un peu de trésorerie et les aider à passer cette période difficile, en espérant que la crise s'estompe rapidement, que la pression médiatique retombe et que le consommateur reprenne ses habitudes alimentaires. Mais si la crise s'accentue, il faudra d'autres mesures structurelles.

Les obligations du cahier des charges pour les élevages labellisés ne se limitent pas au parcours extérieur : sont également définies les souches, la durée de l'élevage, l'alimentation, etc. Dès lors que nous pourrons démontrer que le produit ne subira pas d'atteintes qualitatives majeures, l'allongement du confinement me semble gérable. Nos collègues de Bresse, dont la situation est encore plus critique, partagent cet avis. S'il fallait tenir ainsi dix ans, il y aurait effectivement un problème ; mais pendant trois, six, voire douze mois, le consommateur ne sera pas lésé, d'autant que nous adapterons l'alimentation des animaux en conséquence.

Quelles seront les conséquences de la vaccination sur le commerce international ? Nous sommes de gros exportateurs en génétique, en accouvage et en produits entiers. C'est vrai que les producteurs doivent s'attendre à une baisse des exportations si des pays en profitaient pour fermer leurs frontières. Je suis toutefois surpris que personne n'ait jamais parlé du H5N2 qui a sévi aux États-Unis, et que les crises en Italie et en Hollande n'aient pas affolé outre mesure les populations...

L'intérêt d'une interprofession tient au fait que l'on obligerait ainsi les familles professionnelles concernées à se mettre d'accord ; ce faisant, la décision collective, une fois validée par les pouvoirs publics, deviendrait la règle. Sans interprofession, tout le monde peut dire oui en réunion, et faire le contraire ensuite... L'interprofession aurait effectivement été une instance tout à fait appropriée pour discuter de la pertinence de la vaccination par rapport à l'export. Mais, actuellement, les intérêts sont contradictoires dans toute la filière.

M. Daniel PRÉVOST : La question de l'interprofession est fondamentale. J'en discutais hier encore avec le Président de la FNSEA, M. Lemétayer, qui appelle la filière avicole à suivre l'exemple de la filière porcine.

M. Michel PRUGUE : L'interprofession ne réglera évidemment pas tous les problèmes du jour au lendemain, mais elle donnera au moins l'occasion à tous les acteurs de la filière de parler des mêmes problèmes en même temps. Dès l'instant où toutes les familles parviendraient à un consensus, il deviendrait possible de demander aux pouvoirs publics d'en faire une règle qui prenne force de loi pour tout le monde, et ce d'autant plus facilement qu'elle serait d'origine professionnelle. La filière palmipèdes s'est d'ores et déjà dotée d'une interprofession ; le débat sur l'influenza aviaire est désormais traité dans ce cadre, et cela marche. Qu'il s'agisse de gérer les volumes de production ou de modifier les règles de commercialisation, on ne demande pas à l'État d'intervenir, mais seulement d'adapter les règles en conséquence, une fois que les familles professionnelles se sont mises d'accord, et de les faire respecter. Dans ce mode de fonctionnement moderne, l'État jouerait son rôle d'orientation et de décision, et les professionnels assumeraient eux-mêmes leur avenir.

L'Europe, on le sait, n'est pas favorable aux interprofessions. Mais plus nous irons vers la mondialisation, plus nous aurons besoin d'organisations capables de déterminer des marchés pertinents et les productions correspondantes à assurer. Évidemment, il pourrait y avoir des entraves à la concurrence : je fais confiance à la Commission et à certains grands cabinets d'avocats pour intenter les procès appropriés ! Mais pourquoi interdirait-on aux producteurs et entreprises du bassin « poulet jaune des Landes » de se mettre d'accord pour définir des volumes et des prix pour un seul produit, alors que nous en aurions parfaitement le droit si nous n'avions qu'une marque et un seul opérateur économique ? Pensez-vous que le consommateur soit lésé lorsqu'il trouve sur les rayons à la fois du poulet jaune des Lande, du poulet du Gers, du poulet de Loué, etc., concurrents depuis toujours ?

M. le Rapporteur : Quelle part représente la filière avicole à l'exportation ?

M. Michel PRUGUE : Nous exportons 40 %, soit 715 000 tonnes sur un total de deux millions de tonnes, produit par 20 000 éleveurs. Sur les 60 % restant pour le marché intérieur, 60 % vont aux ménages via les GMS - les grandes et moyennes surfaces - et les circuits traditionnels, 18 % dans la restauration hors domicile et 22 % dans la transformation, produits élaborés et autres.

M. le Rapporteur : Nous vous remercions de votre franchise et de votre honnêteté intellectuelle. Nous vous souhaitons bonne chance dans vos discussions avec le Gouvernement, qui lui-même aura fort à faire à Bruxelles... La coopération communautaire n'a pas été à la hauteur de nos attentes.

M. Michel PRUGUE : Monsieur le rapporteur, je vous remercie au nom de tous les aviculteurs. Pour une grande partie des producteurs, les enjeux s'analysent moins en termes d'exportation ou de chiffre d'affaires qu'en termes de maintien d'une vie sociale dans nos zones rurales. Deux tiers d'éleveurs élèvent des volailles standard et un tiers de producteurs des volailles sous label ou bio et se répartissent à peu près harmonieusement sur le territoire national où, avec l'industrie agro-alimentaire, ils génèrent un nombre considérable d'emplois. C'est précisément ce souci de maintenir à tout prix, non pas des paysans en tant que tels, mais la vie sociale liée à l'activité avicole qui explique notre discours parfois passionné...

M. le Rapporteur : J'étais, il y a quelques jours, en Turquie avec plusieurs de mes collègues. Nous avons pu prendre la mesure des difficultés de la filière avicole là-bas, avant même que nous n'apprenions l'arrivée du H5N1 en France. Je me suis aussi rendu sur le terrain en France, avec le Ministre de l'agriculture, pour écouter les éleveurs de ma circonscription et nous avons eu, avec eux comme avec vous aujourd'hui, un dialogue tout à fait constructif. Je vous souhaite bonne chance. Et mangeons de la volaille !

M. Michel PRUGUE : Parfaitement !


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