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transfert des joueurs professionnels de football

 

17 janvier 2007

- Table ronde n° 2, ouverte à la presse :
débat sur les voies d’amélioration de la pratique des transferts et de l’exercice de la profession d’agent sportif

10 janvier 2007

- Table ronde n° 1, ouverte à la presse :
le contrôle du respect des réglementations nationales et internationales est-il suffisant pour mettre fin aux dérives constatées dans les transferts de joueurs professionnels de football et l’exercice du métier d’agent sportif ?


Table ronde n° 2, ouverte à la presse :
débat sur les voies d’amélioration de la pratique des transferts et de l’exercice de la profession d’agent sportif
réunissant :

M. Fabrice Rizzo et M. Jean-Michel Marmayou, directeurs du centre de droit du sport de la faculté d’Aix-Marseille ;

M. Philippe Piat, président de l’Union nationale des footballeurs professionnels (UNFP)
et M. Bernard Gardon, Eurosport management, ;
M. Frédéric Thiriez, président de la Ligue de football professionnel (LFP)
et M. Arnaud Rouger, directeur des activités sportives de la LFP  (excusés) ;
M. Christophe Drouvroy, directeur juridique adjoint à la Fédération française de football (FFF), (excusé) ;

M. Jacques Lagnier, secrétaire général de la commission des clubs professionnels à la Direction nationale du contrôle de gestion (DNCG), (excusé) ;

M. Phillippe Diallo, directeur de l’Union des clubs professionnels de football (UCPF), (excusé)

M. Laurent Davenas, avocat général près la Cour de cassation, président de la commission d’appel de la Ligue de football professionnel, accompagné de M. Jean-Pierre Klein ;

M. Bertrand Cauly, agent, président du Collectif agents 2006, accompagné de M Tanguy Debladis  ;
M. Philippe Flavier, agent, co-président de l’Union des agents sportifs de football (UASF) ;

M. António Campinos, représentant M. José-Luis Arnaut, auteur de l’Étude indépendante sur le football européen, ;

M. Gianni Infantino, directeur juridique de l’Union of European Football Association (UEFA) ;

M. Patrick Mendelewitsch juriste et analyste financier, agent de la Fédération française de football (FFF), et M. Jean-Christophe Lapouble, universitaire à l’Université de Bordeaux II et avocat (représentant la société Bridge Asset) ;

M. Serge Agreke, membre de la direction des sports du ministère de la jeunesse et des sports ;

M. Jérôme Jessel, journaliste au magazine VSD.

 

 

(extrait du procès-verbal de la séance du 17 janvier 2007)

 

Présidence de M. Dominique JUILLOT, président et rapporteur

 

M. le Président : Merci à tous d’avoir répondu à notre invitation.

Comme vous pouvez le constater, certains acteurs importants du football français n’ont pas souhaité assister à cette deuxième table ronde. S’il ne m’appartient pas de porter un jugement sur cette attitude, je la regrette néanmoins car j’aurais aimé que nous entendions les arguments des uns et des autres et que chacun puisse s’exprimer, avec son histoire, son rôle, mais aussi avec ses méthodes, dont certaines ont pu choquer la semaine dernière. Pour notre part, nous n’avons eu à aucun moment l’envie que ce débat tourne mal et je répète donc que je regrette l’absence des représentants de la Fédération française de football, de la Ligue de football professionnel  et, par solidarité, de la Direction nationale du contrôle de gestion. Si l’on parle d’indépendance dans le football, force est ici de constater que c’est un bloc qui s’est ainsi affirmé. Je souhaite que ceux qui jouent un rôle majeur, car ils sont les dirigeants du football en France, reviennent à cette table et nous éclairent de leur expérience car nous avons besoin de l’avis de tous pour rendre nos conclusions.

Bien évidemment, ceci ne va pas nous empêcher de débattre aujourd’hui, l’objet de cette seconde table ronde étant d’examiner les voies d’amélioration à proposer.

Je rappelle que nous nous sommes demandés la semaine dernière s’il était possible de conserver l’encadrement juridique actuel applicable aux transferts et à l’exercice de la profession d’agent sportif, sous réserve d’en améliorer l’application et le contrôle ou de réformer le dispositif actuel, et que la réponse a été claire : il faut aménager sensiblement les règles en vigueur car le dispositif est encore très insuffisant, au niveau tant national qu’international.

En effet, les débats ont confirmé que les difficultés rencontrées ont surtout une dimension internationale dans la mesure où ce sont en général les opérations de transfert comportant un élément étranger qui posent problème, plutôt que les opérations franco- françaises. C’est pourquoi nous avons aujourd’hui parmi nous un représentant de l’Union européenne des associations de football (UEFA). Depuis la semaine dernière, nous avons également entendu la Commission européenne et nous sommes en contact avec la FIFA, qui n’a pas souhaité être présente aujourd’hui car elle n’a pas encore avancé suffisamment dans ses propositions.

Mais nous sommes tous d’accord pour dire que ce n’est pas parce que l’on n’a pas encore trouvé de solution en dehors de nos frontières que nous devons attendre pour prendre, sur le territoire national, des mesures qui pourront peut-être servir d’exemple : nous sommes suffisamment inventifs et nous avons assez d’expérience pour cela.

Je souhaite rappeler rapidement ce qu’ont été nos débats de la semaine dernière.

Nous avons tout d’abord constaté que la transparence des opérations de transfert n’est pas complètement assurée aujourd’hui, ni sur plan contractuel, ni sur le plan financier ; qu’on ne connaissait pas les agents d’un grand nombre de joueurs, parce que souvent les mandats ne sont pas déposés auprès de la Fédération française de football (FFF) comme ils devraient l’être. On ignore aussi fréquemment quelle est la mission de l’agent, qui est parfois à la fois conseil et intermédiaire, et l’on observe que certains contrats sont anti-datés.

La réglementation actuelle n’a par ailleurs pas permis d’assurer la transparence des flux, pourtant indispensable au regard de l’importance des enjeux financiers. De ce point de vue, les travaux de la FIFA sont encore très embryonnaires.

Nous avons également observé qu’une pluralité des acteurs intervenait dans les opérations de transferts, dont les conditions juridiques sont ambiguës. Cela tient en premier lieu au fait que la réglementation n’est pas toujours très claire et que sa transcription par la Fédération française ne lève pas toutes les ambiguïtés. Ainsi, on ignore si un joueur ou un club peut faire appel à plusieurs agents sportifs et les rémunérer dans le cadre d’une opération de transfert. Par ailleurs, le régime juridique des personnes collaborant à l’activité des agents est imprécis. On constate aussi qu’un grand nombre d’agents sont aujourd’hui titulaires d’une licence et l’on peut se demander s’il faut limiter ou laisser ouvert l’accès à cette profession.

En ce qui concerne l’activité des agents historiques, certains ont regretté qu’une centaine d’entre eux, soit la moitié des d’agents en exercice, aient pu régulariser leur situation sans examen de connaissances, dans le cadre du dispositif dérogatoire d’octroi de la licence d’agent sportif.

Il est aussi apparu que le régime des incompatibilités est incomplet. Ainsi on n’a pas exclu la possibilité d’être directeur de club après avoir été l’agent du même club, ou d’être à la fois agent sportif et actionnaire de club.

Si, comme je viens de le rappeler, il n’y a pas d’harmonisation des règles internationales, force est aussi de constater que les textes français ne sont pas clairs en ce qui concerne les aspects internationaux, notamment le champ d’application territorial de la règle française et le régime des équivalences pour les agents étrangers.

On nous a aussi indiqué que le contrôle disciplinaire exercé par la commission des agents sportifs n’était pas toujours efficace et que celle-ci ne disposait ni des moyens juridiques ni d’une autonomie de décision suffisants.

Nous avons aussi abordé la question de l’indépendance des organes de contrôle dans l’exécution de leur mission. Si la DNCG s’acquitte consciencieusement de sa tâche, ses missions semblent mal définies au regard des enjeux. Est-elle suffisamment indépendante ? Faut-il que le contrôle soit exercé uniquement par les instances sportives ou dans le cadre d’un contrôle régalien plus indépendant ?

Même s’il nous faudra bien sûr y revenir, je considère que nous avons passé trop de temps sur le problème de la rémunération des agents. C’est un sujet important mais ce n’est pas le seul et il est sans doute lié à des décisions plus importantes en matière d’organisation et de sécurisation.

Les objectifs qui nous rassemblent sont clairs : comment assurer une meilleure transparence des opérations de transfert et de l’activité des agents sportifs ? Quels dispositifs permettraient d’améliorer la traçabilité des flux financiers lors de ces opérations ? Faut-il envisager une centralisation des indemnités de transferts, voire de la rémunération des agents ? Dans la mesure où la DNCG n’a pas toujours les moyens de contrôler les clubs, quelles nouvelles règles de gestion prudentielle, comptables ou financières, devraient être instaurées pour les acteurs concernés, clubs et agents ?

Comment par ailleurs mieux contrôler l’activité des agents ? Comment éviter que la réglementation ne soit contournée par des personnes non licenciées ? Quel statut faut-il prévoir pour encadrer efficacement l’action des personnes détentrices d’une licence et, le cas échéant, des autres intermédiaires ?

Sur tous ces points, que vous connaissez parfaitement, je propose que chacun présente, de façon concise et dans le respect de tous les participants, les propositions qui lui paraissent les plus pertinentes.

M. Philippe FLAVIER : Je déplore moi aussi le climat un peu difficile de la table ronde de la semaine passée et j’indique d’emblée que je ne resterais pas si les choses devaient se passer aujourd’hui la même façon. Je crois en effet que nous sommes ici pour débattre de façon générale et fondatrice et non pour jeter l’opprobre sur tel ou tel acteur.

Je vous rejoins, Monsieur le président, sur le fait que nous avons trop parlé la semaine dernière de la rémunération des agents. Aujourd’hui, nous devons nous concentrer sur les mesures qu’il convient de mettre effectivement en œuvre pour éviter que ces affaires qui nous peinent tous ne perdurent.

Dans la mesure où nous avions remarqué que la très grande majorité des affaires étaient liées aux transferts internationaux, la première chose à faire est sans doute d’obtenir que la Fédération française et le ministère exercent une pression sur la FIFA pour qu’elle modifie ses textes afin que les mêmes règles soient appliquées aux agents du monde entier. En effet, tant que l’on permettra qu’au Brésil, en Suisse ou au Portugal, que des agents soient copropriétaires des joueurs, on ne mettra pas un terme aux difficultés que nous rencontrons.

Par ailleurs, dès lors qu’il est dans la nature des hommes de chercher à contourner les règlements, il convient de renforcer fortement les sanctions. Ainsi, s’agissant des incompatibilités, il est indispensable que des personnes condamnées pour des malversations dans le domaine du football soient véritablement empêchées d’exercer, qu’il s’agisse d’ailleurs d’agents, mais aussi d’entraîneurs, de directeurs sportifs, de présidents de club. Comment s’étonner qu’il y ait encore des affaires quand on retrouve les mêmes noms depuis des années ? Veut-on, oui ou non, faire le ménage ?

Il faut aussi renforcer les sanctions au sein de la commission des agents car je sais, pour en faire partie, que ce qui s’y passe n’est pas à la hauteur des enjeux. Ainsi, des interdictions temporaires de licence sont appliquées en dehors de la période des transferts… En quoi une suspension intervenant au mois de mars gênerait-elle un agent, puisqu’il est en vacances ? Je rappelle que cette commission a été instituée à la demande du ministère de la jeunesse et sports, qu’elle est composée de représentants de l’ensemble des familles du football : Fédération, Union des clubs professionnels, agents, entraîneurs, administratifs, etc. mais qu’elle ne dispose d’aucun pouvoir de dissuasion. Il faut donc prévoir des exclusions temporaires adaptées ainsi que des exclusions définitives en cas de récidive.

Il y a par ailleurs de plus en plus de collaborateurs et il faut donc leur donner un vrai statut. Nous considérons qu’ils doivent être salariés de l’agent pour lequel ils travaillent, afin que l’on ne voie plus de collaborateurs travaillant une semaine pour un agent et la semaine suivante pour un autre. Il faudrait aussi ouvrir cette profession aux anciens joueurs professionnels, qui mettraient de la sorte leur expérience à profit pour se reconvertir et pour bénéficier d’un vrai statut. Dès lors, je ne vois pas pourquoi l’on continuerait à cantonner les collaborateurs dans des tâches administratives.

Il faudrait aussi régler la question des agents étrangers. Pour ma part, je considère que s’ils travaillent en France leurs commissions doivent être versées sur un compte ouvert dans notre pays, afin que l’on puisse contrôler le cheminement financier. Cela doit aussi être appliqué dans le cas où ils prennent un postulant français, afin que ce dernier n’ait pas à supporter la responsabilité des flux financiers et qu’on ne lui reproche pas d’avoir envoyé de l’argent à l’étranger. C’est pour cela que la centralisation des paiements nous convient.

Enfin, il me semble que si l’on supprimait la possibilité d’être agent de club, ce rôle serait repris par des société de conseil extérieures, qui ne seraient soumises à aucune disposition réglementaire ni à aucun contrôle.

M. le Président : Ce qui me gêne, c’est le mélange des genres et le fait que les missions ne sont pas clairement définies. Je ne pense pas qu’un agent puisse être présent à la fois dans l’élaboration et dans la négociation du contrat.

M. Philippe FLAVIER : La loi ne permet à un agent que d’être rémunéré par une seule des parties à une même transaction. Qui plus est, une rémunération portant à la fois sur la négociation du contrat et sur le montant du transfert amènerait à dépasser les 10 %. Mais il convient sans doute de renforcer les contrôles.

M. Fabrice RIZZO : Le texte est mal rédigé et l’on ne peut pas exclure qu’un agent intervienne dans la négociation du contrat de transfert, soit rémunéré pour cela, touche 10 % du montant du transfert, et qu’il intervienne aussi dans la négociation du contrat de travail et qu’il touche 10 % du montant de ce dernier.

M. le Président : Il nous faudra donc bien répondre à la question « peut-il y avoir double rôle de l’agent ? ».

M. Philippe FLAVIER : Il faut évidemment l’éviter.

M. Alain NÉRI : Nous avons pour tâche, au sein de cette mission, de dresser le constat de ce qui se passe aujourd’hui dans la réalité et de faire des propositions pour que la loi en tienne compte. Mais nous avons bien évidemment aussi le devoir de faire en sorte que la loi soit respectée. Or on nous explique que, alors que la loi prévoit que l’agent est rémunéré par le joueur, tout le monde s’en fiche et que c’est le club qui paie quand même !

M. Philippe FLAVIER : Cela montre bien que le vrai problème tient aux sanctions : il faut en finir avec l’impunité de ceux qui ne respectent pas la loi.

M. le Président : Nous prenons acte que votre syndicat est d’accord pour qu’un agent n’ait pas un double rôle dans la même affaire.

M. Philippe FLAVIER : Sur la question de la rémunération des agents, notre position n’est pas fermée. Nous demandons seulement, dans la mesure où on nous demande d’être plus transparents, que des garanties nous soient apportées quant au paiement de nos honoraires, afin d’éviter que nous ne les percevions qu’au bout de deux ans de procédure.

Nous soutenons l’idée « un club, un agent, un joueur » qui sous-tend le Livre blanc de M. Thiriez, d’autant que le contrôle serait aisé. Je n’ai pas d’opposition de principe vis-à-vis de la proposition de M. Piat que les joueurs payent leurs agents. Je souhaiterais toutefois dans ce cas que, comme en Angleterre, les clubs aient la possibilité de régler l’agent en effectuant un prélèvement sur les salaires des joueurs. Il faudrait aussi harmoniser la durée des contrats signés d’une part entre les clubs et les joueurs, d’autre part entre les agents et les joueurs. Il ne faudrait pas que la nouvelle règle soit à l’origine de multiples contentieux.

M. le Président : Je partage votre avis. Mais c’est peut-être parce que la réglementation est floue que le joueur peut céder à d’autres sirènes.

M. Philippe PIAT : Nous allons quand même avoir du mal à progresser vraiment sans réglementation internationale. Si, comme vient de nous le dire Philippe Flavier, la grande majorité des affaires ont pour origine des transferts internationaux, à quoi bon renforcer les sanctions à l’encontre des agents français si les agents étrangers sont intouchables ?

M. le Président : Quand le transfert a lieu entre un club étranger et un club français, que l’intermédiaire soit étranger ou non, il y a bien à un moment donné un responsable français qui prend une décision. Mais peut-être faudrait-il se demander si un agent étranger peut exercer sur le territoire français, avec des clubs français, sans relever de la réglementation française. On pourrait tout simplement interdire aux clubs de passer par un agent étranger.

M. Jean Michel MARMAYOU : Quand un club participe à une opération avec un agent qui n’a pas l’autorisation – même si la loi n’est pas très claire sur les autorisations –, il se rend complice d’exercice illicite de la profession d’agent et encourt une sanction pénale. Quant à l’agent étranger directement coupable, il ne relève pas du pouvoir disciplinaire de la Fédération ou de la Ligue mais du pouvoir régalien dans le cadre pénal.

M. Philippe PIAT : En ce qui concerne les collaborateurs, nous considérons que pour agir ils doivent avoir une licence, même s’ils sont salariés, car à défaut on aurait bien du mal à exercer un véritable contrôle.

M. le Président : Cela pose la question du rôle de l’agent lors d’un transfert car les compétences requises dans ce cadre sont celles d’un courtier, alors que c’est le métier de conseil que l’on exerce lorsqu’on suit un joueur.

M. Philippe PIAT : Il ne faut pas se bercer d’illusions : un collaborateur jouera le même rôle que l’agent lors des tractations, même si c’est au bout du compte ce dernier qui signe le contrat. Un agent qui a cinquante joueurs sous contrat ne peut pas être avec tout le monde en même temps.

M. le Président : Il me semble qu’il faut prendre garde à ne pas empêcher d’exercer tous les intermédiaires qui agissent par exemple au sein de sociétés de conseil en transactions financières et qui peuvent avoir leur place dans la mesure où les clubs peuvent être considérés comme une société ayant besoin de conseils en transaction à l’occasion d’une opération de transfert.

M. Henri NAYROU : Pour revenir à la comparaison avec les cabinets d’avocats et les études de notaires, j’observe que le collaborateur d’un avocat ne plaide pas et que le clerc de notaire ne signe pas les actes. La différence tient surtout au fait que les flux financiers sont certifiés par des actes authentiques, ce qui n’est pas le cas dans le football. Il faut aussi savoir si l’on parle vraiment de collaborateurs ou plutôt de prête-noms. Ne cherchons donc pas à régler les problèmes par quelques artifices mais efforçons-nous de combiner nos efforts pour trouver de véritables solutions.

M. Bernard GARDON : Il serait quand même paradoxal d’ouvrir grande la porte aux collaborateurs tout en fixant un numerus clausus pour les agents…

M. Philippe PIAT : Je suis persuadé que la rémunération par le joueur éradiquerait la plupart des problèmes. Nous pensons que, pour qu’il n’y ait pas de conflit d’intérêts, le joueur doit payer son agent ; qu’il est normal de sécuriser le paiement de l’agent ; qu’il faut reconnaître aux joueurs le bénéfice des dispositions fiscales relatives aux bénéfices non commerciaux pour les frais liés à la commission de l’agent. Cela répondrait à l’argument selon lequel c’est pour éviter de supporter des charges sociales et fiscales que le club se trouve obligé de rémunérer l’agent à la place du joueur.

Des mesures d’accompagnement doivent également être prévues, dont bon nombre sont énoncées dans le livre blanc de la LFP.

Enfin, les acteurs du football ont à définir des normes mais aussi à décider qui en contrôlera l’application.

M. Jean-Christophe LAPOUBLE : Avant même de parler de sanctions, il faut s’intéresser à la prévention. Ainsi le contrat doit être homologué afin notamment de vérifier, avant le paiement, si les parties ont bien la capacité. Si, en théorie, la Fédération homologue le contrat après avis de la DNCG, dans les faits les délais sont tellement courts que les contrats ne sont pas examinés comme ils le devraient.

M. le Président : Ce n’est pas acceptable ! Il faut se donner plus de temps.

M. Alain NÉRI : Nous sommes tous d’accord, me semble-t-il, pour considérer que l’agent doit être rémunéré par le joueur à partir du moment où il effectue une prestation pour celui-ci. Nous considérons qu’il faut également, sauf à accepter la fraude, s’assurer que l’agent est bien lié au joueur et que le contrat n’est pas antidaté pour régler la situation. Que les contrats soient homologués me paraît la moindre des choses. Il me paraît aussi logique que les agents souhaitent avoir l’assurance d’être payés. Mais le problème du paiement se pose pour toutes les professions : ne voit-on pas écrit dans les cafés : « Crédit est mort, les mauvais payeurs l’ont tué » ? On peut donc appliquer la sanction pénale encourue par tous ceux qui ne s’acquittent pas de ce qu’ils doivent. Mais on pourrait aussi réfléchir à une sanction sportive : à partir du moment où l’on a la preuve que l’agent n’a pas été rémunéré par le joueur, celui-ci ne devrait tout simplement pas pouvoir jouer.

M. Philippe PIAT : Notre objectif unique et d’assainir le système et nous soutiendrons toutes les solutions qui peuvent y contribuer. Nous sommes donc d’accord pour que l’on sanctionne le joueur qui ne paierait pas, sous réserve que l’on discute préalablement la grille de rémunérations.

M. le Président : Cela signifierait qu’un agent ne pourrait être rémunéré a priori, mais au fur et à mesure de l’exécution du contrat, ce qui me semblerait d’ailleurs logique.

M. Philippe FLAVIER : C’est ce qui se pratique déjà, en dehors des agents qui sont payés en une seule fois sur les transferts. Nous avons fait des efforts considérables pour accepter d’être payés année après année de présence du joueur dans le club. Évidemment, il y a des magouilles, mais nous, nous efforçons de nous rapprocher de la vérité du contrat. Et c’est bien pour cela que nous ne pouvons accepter un système plus transparent mais dans lequel nous n’aurions pas la garantie d’être payés.

M. Alain NÉRI : J’essaie de proposer une solution simple, qui serait ainsi facile à comprendre mais aussi à contrôler. Prévoir une sanction sportive à côté de la sanction pénale responsabiliserait le joueur.

Nous devons aussi nous intéresser à la question de la durée du contrat qui lie l’agent au joueur. Si le joueur signe avec le club un contrat sur quatre ans, l’agent doit être rémunéré pour chaque année pendant laquelle le joueur joue effectivement ; une fois qu’il ne joue plus, la rémunération cesse.

M. Philippe FLAVIER : Si ce n’est que la FIFA prévoit de passer d’un contrat de deux ans maximum –ce qui est très favorable au joueur – à un mécanisme de droit de suite, en vertu duquel le joueur qui aura signé un contrat de quatre ans devra rémunérer son agent pour l’ensemble de la période.

M. le Président : La règle devrait être que les durées des contrats coïncident, sauf à ce que l’agent accepte que la durée de son contrat avec le joueur soit inférieure à celle du contrat qu’il a fait passer au club et au joueur. Et ce n’est pas parce que la FIFA dit le contraire que l’on est obligé d’être d’accord avec elle à partir du moment où nous adoptons un dispositif qui apporte clarté et transparence.

M. Laurent DAVENAS : Il faut passer par le statut de profession réglementée, comme il en existe différents types en France. Il convient aussi de redonner aux pouvoirs publics l’habilitation de la profession d’agent : n’oublions pas qu’un simple négociateur financier chez Carrefour doit être habilité par le procureur de la République. Dans la mesure où toute réglementation est contournée, il faut aussi prévoir des sanctions exemplaires.

Quant aux agents étrangers, il faut les obliger à postuler par l’intermédiaire d’un agent français et à ouvrir un compte professionnel, avec des sous-comptes transaction par transaction, que l’on puisse contrôler facilement. Les choses sont simples !

M. Philippe FLAVIER : Nous sommes tout à fait d’accord pour tout centraliser. Mais la malversation n’est pas là : demandons-nous pourquoi et à qui certains agents rétrocèdent de l’argent. Or, on n’y changera rien si cet argent vient du joueur plutôt que du club.

M. Philippe PIAT : C’est impossible ! Un joueur ne va pas payer de sa poche un agent pour qu’il y ait des rétro commissions, ça n’aurait aucun sens…

M. Philippe FLAVIER : Vous plaisantez…

M. Jean-Pierre KLEIN : Vous paraissez vous inquiéter du risque d’impunité si un agent étranger commet une irrégularité. Mais il le fait obligatoirement avec la complicité d’un dirigeant de club, qui assumera le cas échéant ses responsabilités et qui pourra être sanctionné. Dans chacune des affaires que j’ai eues à connaître, un dirigeant était impliqué.

M. Philippe FLAVIER : Merci pour cette intervention qui modifiera sans doute le regard que le public porte sur les agents : s’ils ne sont sans doute pas parfaits, vous rappelez opportunément qu’ils ne sont que des courroies de transmission et non les donneurs d’ordres. Si les sanctions sont aggravées, nous souhaitons donc que cela concerne tous les fraudeurs, qu’ils soient dirigeants, entraîneurs, agents ou joueurs et que l’on ne braque pas les projecteurs sur les seuls agents.

M. Jean-Pierre KLEIN : Il serait sans doute nécessaire que les dirigeants reçoivent une formation car ils sont parfois pris pour des imbéciles par des agents plus malins qu’eux…

M. le Président : Voilà qui atténue la portée de votre intervention précédente…

M. Laurent DAVENAS : On a vu aussi, notamment pour des joueurs africains, le cas d’agents peu scrupuleux, qui était en réalité ceux des clubs et qui laissaient croire aux joueurs qu’ils défendaient leurs intérêts, alors qu’ils défendaient ceux du club, de façon scandaleuse. On a même vu des agents retenir le salaire que versait le club et ne pas le donner aux joueurs.

M. Bertrand CAULY : Nous ne pouvons bien sûr pas cautionner cela, mais que pouvons nous y faire ?

Si nous avons créé un syndicat d’agents, c’est parce que nous estimions que nous n’étions pas défendus et représentés. L’agent est systématiquement montré comme le responsable de toutes les turpitudes du monde du football, en particulier à l’occasion des transferts. Or, les agents dont les pratiques sont dénoncées ne représentent qu’une infime minorité de la profession ; ils agissent toujours à l’initiative de certains dirigeants de clubs, il faut le dire afin de ne pas laisser croire à la culpabilité de l’ensemble des professionnels.

Certains ont loué le Livre blanc. Mais n’oublions pas que celui-ci impute la responsabilité des affaires au fait que les agents seraient en trop grand nombre. Veut-on appliquer la double peine en retirant leur licence à ceux qui rencontrent le plus de difficultés ? Il est évident que la FFF et la LFP ne garantissent pas le libre jeu de la concurrence entre agents.

On a bien vu la semaine dernière que si l’on veut véritablement savoir à qui incombe la rémunération de l’agent, il faut s’intéresser à ce qui fait l’essence du métier : la défense du joueur. C’est pour cela que nous voulons la disparition du mandat de club tel qu’il se pratique aujourd’hui car il conduit à une concurrence sauvage entre les agents.

Que le joueur paie son agent permettrait : de mettre fin à la double représentation et au détournement de la loi ; de responsabiliser le joueur, qui doit savoir quel est le coût de son agent ; de rétablir une véritable concurrence entre les agents ; d’empêcher un agent introduit dans un club de « doubler » l’agent détenteur d’un contrat de médiation déposé dans le respect de la loi.

Bien évidemment, il faut aussi que le paiement soit garanti et sécurisé.

Il conviendrait par ailleurs que chaque événement de la vie d’un joueur en centre de formation ou professionnel soit obligatoirement accompagné par un agent. Cela impliquerait pour les agents d’importantes obligations de participation obligatoire à des sessions de formation continue, de certification de comptes auprès d’instances indépendantes de la FFF et de la LFP, de publication de la liste de tous les mandats. Certains secteurs de services confrontés aux mêmes difficultés y ont répondu en imposant des contrats et des prestataires exclusifs, des durées de contrats fixes, des clauses de résiliation des contrats très strictement encadrées.

Par ailleurs, des mécanismes doivent empêcher qu’un agent puisse, par les mandats qu’il détient, occuper une position dominante vis-à-vis d’un club.

S’agissant enfin des collaborateurs, et afin de montrer à quel point la loi n’est pas respectée, je vous ai apporté une annonce parue pendant tout le mois de novembre dans France Football, dans laquelle une « importante société de management spécialisée dans le milieu des transferts en France et à l’étranger depuis plus de quinze ans recherche pour élargir sa structure, plusieurs collaborateurs dans les régions suivantes (…) pour des postes d’agents commerciaux proposés à des personnes dynamiques et ambitieuses. Importantes commissions ».

M. Jean-Christophe LAPOUBLE : Je rappelle que la profession d’intermédiaire a existé de 1992 à 2000 et qu’elle était gérée par le ministère des sports. Ce peut être une solution dès lors que l’on s’assure que les moyens humains permettent un contrôle effectif, ce qui suppose une analyse en profondeur des flux financiers. Est-on assuré que le ministère disposera à l’avenir de tels moyens ?

M. Serge AGREKE : Ce n’est pas son métier !

M. Jean-Pierre KLEIN : Si l’on décide que le joueur paie son agent, cela ne risque-t-il pas de l’inciter à renégocier le pourcentage ?

M. Philippe PIAT : C’est bien pour cela qu’il faut lier grille des rémunérations, avantage fiscal et sanctions financières et sportives en cas de non-paiement.

M. Alain NÉRI : Il me semblait que nous étions d’accord sur le fait que les pourcentages devaient être dégressifs…

M. Philippe PIAT : C’est précisément l’utilité de la grille.

M. le Président : Tout ceci me paraît relever davantage du règlement intérieur que de l’organisation générale à laquelle nous réfléchissons aujourd’hui.

M. Jean-Michel MARMAYOU : Parmi les propositions qui paraissent séduisantes, notamment en termes de contrôle, certaines, comme le numerus clausus, la postulation et toutes celles qui touchent à la liberté des prix et à la liberté d’entreprendre, me paraissent contraires au droit communautaire.

En ce qui concerne la durée des contrats, on oublie, il me semble, que ceux qui sont passés entre l’agent et le joueur ou le club sont naturellement fondés sur la confiance et par voie de conséquence résiliables à tout moment, ad nutum. Cela pose évidemment problème pour l’agent, qui peut avoir investi beaucoup d’efforts et beaucoup de temps et être subitement « écarté ». Mais il ne faut pas oublier qu’il exerce un rôle de conseil et que lorsque le joueur n’a plus confiance en lui, le droit lui permet de rompre leurs relations. Il existe toutefois des mécanismes contractuels par lesquels le joueur renonce quelque peu à ce droit, mais nous devons être conscients qu’en fixant un délai, la loi irait à l’encontre de tous les grands principes du Code civil et du droit des contrats, ce qui me paraît un peu délicat.

M. le Président : Vous nous dites en fait qu’il est impossible de sécuriser la relation contractuelle entre un agent et un joueur…

M. Jean-Michel MARMAYOU : C’est possible, mais cela ne peut se faire ni par la loi ni par le décret, mais seulement de manière contractuelle, si le joueur renonce à son droit légal, d’ordre public.

M. Patrick MENDELEWITSCH : Mais alors qu’est-ce qu’un « mandat d’intérêt commun » ?

M. Jean-Michel MARMAYOU : Certains juristes se trompent sur ce point, mais la jurisprudence est unanime : le mandat d’intérêt commun n’empêche pas les parties de sortir du contrat, elles peuvent le faire à tout moment, contre une indemnité couvrant simplement la reconversion de l’autre partie, ce qui est parfois égal à zéro.

M. Laurent DAVENAS : Dans mon esprit, la postulation ne vise pas à empêcher un agent étranger de travailler en France mais à l’obliger à avoir à ses côtés un agent français, afin que la réglementation nationale s’impose à lui, dans l’attente d’une réglementation internationale.

M. Jean-Michel MARMAYOU : L’idée est bonne, mais s’agissant des agents artistiques, le tribunal de première instance des Communautés européennes, le TPICE, a récemment sanctionné le système de postulation français, auquel nous venions d’ailleurs de renoncer car la Commission ne l’avait pas trouvé conforme au droit communautaire.

M. Jean-Christophe LAPOUBLE : Il appartient quand même au législateur de modifier le code civil s’il le souhaite.

Il convient sans doute d’éviter le numerus clausus qui poserait problème au regard du droit européen, mais ce dernier ne nous interdit en rien d’instituer une profession réglementée, pourvu que l’on reconnaisse les compétences des autres ressortissants de l’Union. Il faut donc se situer dans le cadre des directives de 1988, 1992 et 2005.

M. Henri NAYROU : Quand un joueur dénonce le contrat avec son agent à la veille de signer dans un club qui rémunèrera un autre agent, c’est bien de confiance qu’il s’agit, comme vient de le souligner M. Marmayou.

Il faudra prévoir des dispositions pour garantir la traçabilité, par exemple par le dépôt d’une liste permettant de savoir avec quel agent un joueur est sous contrat. Mais si le joueur dénonce ce contrat, il prendra ses responsabilités, la loi ou le règlement intérieur lui laissant bien évidemment cette liberté tout en en précisant les conséquences.

M. Alain NÉRI : Ne surmonterait-on pas aisément cet écueil si chaque agent et chaque joueur étaient obligés de déposer le contrat bien avant la transaction ? Nous nous sommes quelques peu étonnés d’entendre un agent nous dire qu’il s’occupait d’une quinzaine de joueurs internationaux et qu’il n’avait aucun contrat avec eux. Ne faut-il pas tout simplement imposer qu’il y ait un contrat et que celui-ci soit déposé ?

M. Philippe FLAVIER : Si un joueur résilie de façon illégitime son contrat avec un agent, l’agent qui se tourne vers un tribunal va gagner, même si son contrat n’est pas déposé à la Fédération : les tribunaux considèrent en effet que la réglementation de la FIFA, comme celle de la FFF, sont des réglementations sportives qui n’ont pas valeur normative d’ordre public. Mais cela prendra trois ans, ce qui est insupportable pour les agents.

M. Laurent DAVENAS : Il suffit d’interdire au joueur qui n’a pas payé de jouer et de prévoir une règle comme celle qui interdit déontologiquement à un avocat de prendre un client qui n’en a pas payé un autre.

M. Philippe PIAT : Il faut imposer une certaine antériorité du contrat pour éviter les contrats de circonstance au moment de la signature du joueur.

Pour lever les objections de Philippe Flavier, il faut aussi trouver les moyens de sécuriser le paiement de l’agent.

M. le Président : Il existe en effet des moyens pour apporter un peu de sécurité.

M. Alain NÉRI : C’est pour cela que je proposais de prévoir une sanction sportive en empêchant un joueur d’exercer sa profession s’il n’est pas en règle.

M. Henri NAYROU : La sanction sportive ne relève pas de la loi. Il faut garantir la traçabilité des flux financiers comme des contrats.

M. le Président : La liberté du travail ne ferait-elle pas obstacle à l’application d’une telle sanction sportive ?

M. Jean-Michel MARMAYOU : En effet, faire obstacle à la liberté du travail d’un joueur au motif qu’il ne paye pas son agent ne serait pas simple juridiquement.

M. le Président : Cette objection n’empêche pas l’application d’une suspension à un joueur qui enfreint les règles sur le terrain…

M. Bertrand CAULY : Dans le secteur des services, où les durées de contrats sont souvent irrévocables, on n’a même pas besoin de faire appel à la déontologie pour qu’une entreprise refuse de prendre comme client une personne qui a résilié un autre contrat de façon non conforme.

M. Philippe FLAVIER : Je pense que les parlementaires et Philippe Piat ont bien noté que j’avais fait un grand pas vers eux en admettant que le joueur pouvait payer son agent. J’aurais aimé qu’ils fassent aussi un pas vers moi afin d’autoriser, comme en Angleterre, les clubs à être les payeurs en imputant la commission sur le salaire du joueur. On aurait ainsi tout réglé et nous n’aurions plus besoin d’aller au tribunal pour nous faire payer.

M. Laurent DAVENAS : Il me semble que la proposition de M. Néri va aussi dans le sens que vous souhaitez : si le joueur qui ne vous a pas payé ne peut plus jouer, vous pouvez être assuré que le club qui continue à lui verser son salaire l’incitera fortement à se mettre en règle.

M. le Président : Nous avons bien entendu la proposition de Philippe Flavier et nous allons nous efforcer de trouver la solution la plus simple.

M. Gianni INFANTINO : Je vous remercie de m’avoir invité à participer à ce débat très intéressant, qui me permet de mesurer à quel point la France est en avance sur les autres pays européens.

Dans nos efforts pour essayer d’établir des règles avec l’ensemble des instances européennes, nous sommes confrontés, au-delà des affaires, au problème de la sécurité juridique et de la spécificité du monde du sport.

En ce qui concerne la possibilité qui vient d’être invoquée de sanctionner sportivement ou financièrement des joueurs, des agents ou des clubs, il me semble que dans la mesure où certains contacts autour des transferts peuvent fausser la vérité sportive et menacer ainsi la régularité des compétitions, il doit être effectivement possible de prononcer de telles sanctions.

Au niveau national, c’est bien évidemment à vous, législateurs, qu’il appartient de faire évoluer les textes. Nous, instances sportives, avons à prendre nos responsabilités au niveau sportif. Mais nos chemins doivent bien sûr être parallèles et nous devons même rechercher ensemble les solutions les plus adaptées.

Cela étant, vous l’avez souligné, même si vous adoptez la meilleure législation possible dans votre pays, vous resterez confrontés aux problèmes liés aux transferts internationaux. S’il n’existe aucun Parlement mondial qui pourrait édicter une règle valant dans tous les pays, nous, Européens, avons la chance de disposer du droit communautaire. Je suis donc persuadé que des solutions européennes doivent être trouvées, qui pourraient d’ailleurs avoir une influence sur la réflexion des autres pays et de la FIFA. Cette dernière a engagé un travail sur la question des transferts et nous nous efforçons de l’aider.

S’agissant précisément des transferts, il me semble qu’il faudrait veiller plus strictement à ce que les transferts de fonds ne puissent intervenir qu’entre deux clubs et non en direction d’une partie tierce.

Pour les transferts comme pour l’ensemble de l’activité des agents, la transparence doit être le maître mot. Il faut obliger les joueurs, les clubs, les agents à être plus transparents. Nous nous y efforçons grâce au système des licences que nous avons introduit il y a un an dans les 52 pays européens du ressort de l’UEFA. Ce n’est pas chose facile. Un nouveau système entrera en vigueur en 2008-2009, qui visera précisément à renforcer la transparence des transferts : afin de pouvoir exercer un véritable contrôle, nous demanderons à l’ensemble des clubs de dresser la liste de tous les transferts.

Certains clubs aimeraient se soustraire à cette obligation en invoquant leur statut de société commerciale, considérant qu’ils dépendent ainsi des textes régissant l’activité économique dans leur pays et que la certification de leurs comptes par un commissaire aux comptes offre une garantie suffisante. Nous devrons donc nous efforcer de trouver la solution qui offre le plus de sécurité juridique : à quoi bon adopter des textes si n’importe quel club peut les contester devant un tribunal ?

M. le Président : À ceci près que votre société ne peut pas jouer au football toute seule… Si elle est marginalisée par le milieu, elle aura beau avoir les meilleurs joueurs du monde, ils devront jouer entre eux ! La FIFA est garante de l’organisation et de la pérennité du championnat. Ajoutons que la vieille Europe gère à elle seule 80 % du marché mondial du football, et que les cinq pays principalement concernés n’ont rien d’États exotiques…

M. Gianni INFANTINO : Mais certains de ces pays sont bien décidés à attaquer le règlement des licences.

M. le Président : Ce qui aboutirait à des ligues fermées…

M. Gianni INFANTINO : Précisément : est-ce cela que nous voulons ?

M. le Président : C’est à vous de régler ce problème…

M. Gianni INFANTINO : Effectivement, mais nous avons besoin de vous.

Il est important de spécifier que les transactions financières liées aux transferts doivent se passer uniquement de club à club et non par l’intermédiaire d’un tiers. Nous pouvons l’exiger par un règlement ou une loi, mais également en imposant la publication des comptes en toute transparence. On peut également reprendre le système anglais où les paiements passent obligatoirement par la fédération nationale pour les transferts intra‑nationaux, ou par la FIFA ou l’UEFA pour les transferts européens ou internationaux.

S’agissant plus spécifiquement des agents, le problème se pose des conditions d’accès à la profession. Le système d’examen actuel est-il suffisant ? Faut-il prévoir des examens réguliers ? Comment régler le cas des collaborateurs ? Ils existent, il faut bien s’en occuper. En posant le principe qu’un agent est responsable de ses collaborateurs, une bonne part du problème serait résolue.

Il faut également assumer la responsabilité du contrôle de l’activité des agents et sanctionner les éventuelles dérives.

M. le Président : Il n’existe pas de commission européenne des agents…

M. Gianni INFANTINO : Non, cela relève de la FIFA. Malheureusement, nos moyens d’investigation sont très limités. Si nous pouvions collaborer avec les autorités publiques – forces de police, Europol, Interpol –, nous pourrions prendre des sanctions sportives.

M. le Président : Je suis un peu gêné d’entendre dire que l’on est incapable de mettre en place les dispositifs de contrôle interne qui permettraient de régler 80 ou 90 % du problème. Les derniers 10 % relèvent des investigations policières et du « grand banditisme, soit ; cela arrive partout. Mais les 90 % qui restent ? N’est-il pas possible d’y « désécuriser » les dérives ?

M. Gianni INFANTINO : Nous parvenons précisément à contrôler 80 % des cas. À partir de l’année prochaine, nous allons mettre en place trois échelons de contrôle des licences des clubs : un premier au niveau de la fédération nationale qui les attribuera sur la base de critères fixés par l’UEFA ; un deuxième au niveau d’un département spécialisé de l’UEFA qui effectuera des spot checks, autrement dit des contrôles inopinés avec l’aide d’auditeurs extérieurs dans dix fédérations par an pour vérifier si elles appliquent correctement le dispositif et éventuellement prendre des sanctions…

M. le Président : Y en a-t-il déjà eu ?

M. Gianni INFANTINO : Nous commençons l’année prochaine. Nous en avons fait un en France l’an dernier, mais nous sommes encore en phase-test.

Troisièmement, nous avons mandaté la Société générale de surveillance, qui délivre les certifications ISO, pour contrôler les cinquante-deux fédérations et certifier leurs procédures. Nous accomplirons notre tâche au mieux de notre côté, mais nous devons travailler ensemble.

Pour ce qui est enfin des agents sans licence, le seul moyen de les attraper est d’intervenir au niveau des clubs et des joueurs. La mise en place de sanctions pénales et administratives nous aiderait grandement.

M. Philippe PIAT : Il sera difficile de faire le distinguo entre le collaborateur et l’agent licencié habilité à négocier…

M. Philippe FLAVIER : À partir du moment où un agent a clairement un collaborateur salarié, si celui-ci est pris en train de négocier, ce sera la responsabilité de son employeur. Il faut responsabiliser les gens…

M. Gianni INFANTINO : Se pose également le problème, peut-être plus spécifiquement italien, des conflits d’intérêt et des rapports familiaux entre agents et dirigeants, voire entraîneurs.

M. Bernard GARDON : Il commence à se poser en France…

M. Philippe PIAT : Nous étions en retard sur ce plan !

M. Gianni INFANTINO : Des règles très fermes ont été introduites en Italie, qui interdisent à un agent de traiter avec un club où travaille un membre de sa famille. Se pose également le problème des incompatibilités de mandats. La nouvelle réglementation italienne prévoit que si un agent a présenté un joueur à un club, il ne peut prétendre à aucun mandat ni rémunération de la part de ce club durant les douze mois qui suivent. Il n’a pas le droit d’être en même temps agent de ce joueur et conseiller du club. Le but est de couper court à tout conflit d’intérêts.

M. Philippe PIAT : C’est une autre approche.

M. Philippe FLAVIER : Je prévois toujours le mal… Un agent peut-il être tout à la fois actionnaire de deux sociétés, la première étant une société d’agents de joueur, la seconde ayant vocation d’être conseil de clubs ? Si aucune incompatibilité n’est prévue, certains individus intelligents ne manqueront pas de créer immédiatement deux sociétés d’agents distinctes, l’une s’occupant des joueurs et l’autre des clubs.

M. Patrick MENDELEWITSCH : L’UEFA a-t-elle une position explicite à l’égard de la détention de droits « bizarres » sur des joueurs non par des clubs, mais par des sociétés à vocation commerciale ? On a déjà évoqué l’existence de certaines filières sud-américaines où l’utilisation de tels droits permet de développer des mécanismes de fraude plus ou moins astucieux. Une société commerciale, fiduciaire, off shore, peu importe, peut-elle légalement détenir des droits sur des joueurs ?

M. Gianni INFANTINO : Le règlement FIFA indique clairement que les transferts ne peuvent s’opérer que de club à club. Autrement dit, il ne saurait y avoir de paiement à une société tierce. Si de tels faits se produisent, ils sont contraires au règlement.

M. Philippe FLAVIER : Mais si le club sert de réceptacle et reverse ensuite l’argent aux copropriétaires ?

M. Jérôme JESSEL : Certaines sociétés off shore sont détentrices à 100 % des droits dits fédératifs de joueurs. Plusieurs enquêtes en France l’ont montré, et ont donc mis en évidence le décalage entre le règlement et la réalité.

M. Philippe FLAVIER : Les lois des autres pays ne nous concernent pas… Nous aurons beau essayer de laver plus blanc que blanc, nous trouverons rapidement nos limites si les pays hors Union européenne ne font pas comme nous.

M. Patrick MENDELEWITSCH : La question n’était pas innocente, a fortiori dans un débat sur le meilleur moyen de garantir éthique et transparence. M. Infantino nous affirme que, à sa connaissance, les seules dispositions qui prévalent en la matière sont celles du règlement FIFA, selon lesquelles un club ne peut vendre qu’à un club. Dispositions que corrobore notre propre réglementation, laquelle n’a pas davantage été appliquée par les instances en charge de l’homologation des contrats de transfert… S’il n’est pas possible de mettre des rustines à notre niveau, peut-on penser qu’en agissant à un niveau plus élevé en termes de jeu comme d’enjeux économiques – en suggérant clairement à toutes les associations nationales de ne pas homologuer des contrats de transfert dans lesquels le vendeur serait une lamaserie tibétaine, par exemple – certaines déviances pourraient être évitées ?

M. le Président : Nous avons bien compris que l’UEFA envisageait de ne plus accepter de transferts autrement que de club à club…

M. Gianni INFANTINO : C’est l’actuelle réglementation FIFA. L’UEFA n’est pas compétente en matière de transfert. Nous ne pouvons que conseiller la FIFA. Celle-ci a mis en place un groupe de travail, auquel participe Philippe Piat, sur la révision de la réglementation relative aux agents de joueurs.

M. Philippe PIAT : Le travail a commencé, mais n’est pas encore terminé.

M. Alain NÉRI : Nous sommes tous d’accord pour améliorer la loi. La France, il est vrai, est en avance par rapport aux autres pays, mais nous avons connu cette situation lors de la loi antidopage. Une fois la loi votée en France, nous avons pu poursuivre la démarche au niveau européen et jusqu’au niveau mondial avec la création de l’AMA. Certes, tous les problèmes ne sont pas réglés pour autant, mais les choses avancent. Pourquoi nous limiter a priori ?

M. Philippe FLAVIER : Je suis bien évidemment d’accord, mais ne nous masquons pas les yeux pour autant : nombre de problèmes viennent de l’extérieur de notre beau pays, que nous ne pourrons gérer.

M. le Président : Mais une bonne part provient de l’intérieur de notre beau pays, et des beaux pays voisins ! Qu’ils s’appellent Inter de Milan, PSG ou Arsenal, tous ces clubs sont dans le même système.

M. Philippe FLAVIER : Pas tout à fait…

M. le Président : Ils sont en Europe, pour commencer…

M. Philippe FLAVIER : Précisément, l’Europe présente de fortes disparités. Ainsi, en Espagne, à trente kilomètres de chez moi, les clubs peuvent rémunérer les joueurs en partie avec des droits d’image. C’est désormais possible en France, à ceci près que les Espagnols peuvent payer lesdits droits au Luxembourg ou via un compte off shore… Je suis d’accord pour que nous soyons les plus pointus possible, mais reconnaissons que nous ne pourrons pas mettre tout le monde au même pas.

M. le Président : Rien n’interdit une directive future sur la question…

M. António CAMPINOS : Bon nombre de vos réflexions – qui ne sont pas si éloignées les unes des autres – auraient pu être reprises dans notre rapport. Je m’éloignerai quelque peu du débat franco-français pour m’en tenir à des considérations plus générales.

Selon nous, les règles applicables aux agents devraient être aménagées en premier lieu par les organisations du mouvement sportif, en application du principe de subsidiarité et dans le respect de la pyramide sportive, comme l’a du reste reconnu la Cour de justice elle-même dans un arrêt récent. Toutefois, la réglementation FIFA n’est manifestement pas suffisante – c’est effectivement la FIFA qui a la responsabilité des questions relatives aux transferts des joueurs. C’est tout le sens d’une des recommandations de l’étude : au niveau national, les fédérations devraient être responsables, tout comme la fédération internationale au niveau international et la fédération européenne au niveau européen. Aussi l’UEFA devrait-elle tirer les conséquences des réglementations qu’elle approuve et dans le cadre desquelles elle a été mandatée par les fédérations nationales pour réglementer le sport en Europe. Autrement dit, il y a encore beaucoup à faire dans ce domaine au niveau européen.

C’est également la raison pour laquelle nous avons recommandé, comme l’a souhaité M. Flavier, la création d’une chambre de compensation qui garantirait la traçabilité et la transparence des mouvements financiers et qui pourrait être rattachée au club licensing system évoqué par M. Infantino. Mais pour l’heure, le rapport Arnaut conclut que l’insuffisance des réglementations applicables doit amener les pouvoirs publics à intervenir. Encore tout récemment, au Portugal, le fisc s’est intéressé à la question de savoir où sont passés les 4 millions qu’aurait reçus Joao Pinto[1]… Ne serait-ce que du point de vue fiscal, les gouvernements ont tout intérêt à essayer de comprendre l’origine et la destination de ces mouvements financiers. Cela dit, comme M. Piat, je persiste à penser que la plupart des problèmes sont de nature internationale, qu’ils appellent une réglementation internationale et plus encore une harmonisation des droits nationaux, dans l’espace communautaire pour commencer, où les règles devraient être plus exigeantes qu’ailleurs. Une directive serait tout à fait possible, à l’image de ce qui a été fait pour les agents commerciaux [2].

Je suis d’accord avec vous, monsieur le président, comme avec bon nombre de personnes ici présentes… Peut-être pas sur tout, mais probablement sur l’essentiel… Peut-être voyons-nous la réalité différemment, en fonction de la grosseur et de la couleur de nos verres de lunettes, mais nous savons en tout cas qu’il y a un problème et qu’il faut le régler, sans attendre davantage le Livre blanc de la Commission.

M. Philippe PIAT : Le Livre blanc dont nous parlions tout à l’heure était celui de la Ligue…

M. António CAMPINOS : J’avais bien compris. Mais nous n’allons pas attendre que la Commission présente le sien au Conseil et que celui-ci l’approuve pour commencer à réglementer…

M. le Président : D’autant qu’il porte un regard beaucoup plus général sur le sport.

M. António CAMPINOS : …alors même que la question des agents commence à faire consensus et que la France, en légiférant, pourra influencer le droit européen : c’est là un avantage non négligeable, et donc un premier pas très important.

M. Alain NÉRI : C’est bien ce que nous espérons.

M. António CAMPINOS : Sur le fond, M. Flavier a assez bien posé le problème. En tout état de cause, Monsieur Piat, vos positions ne sont pas aussi éloignées qu’il n’y paraît. Le rapport Arnaut pointe les mêmes questions, qu’il s’agisse de la centralisation des paiements, de la double représentation, des conflits d’intérêts, de la durée des contrats, des conditions d’accès à la profession d’agent ou des incompatibilités – où l’exemple anglais mériterait d’être exploré. Quoi qu’il en soit, ma jeune expérience m’aura appris que, même lorsqu’on fait une loi spectaculaire, la clé réside dans ce que les Anglais appellent l’inforcement. Il faut certes des lois bien rédigées, simples et applicables mais la question finale reste de savoir qui en assure l’application.

M. Philippe PIAT : Je ne suis pas en désaccord avec Philippe Flavier, et encore moins avec le rapport Arnaut qui, à sa page 24, préconise un système basé sur le paiement des agents par les joueurs…

M. Alain NÉRI : Le plus intéressant aujourd’hui est de constater que nous sommes pratiquement tombés d’accord sur le bien-fondé du paiement des agents par les joueurs, comme le prévoit la loi actuelle. Reste à trouver les conditions propres à le sécuriser, mais cela relève de l’application ; commençons par tracer le cadre général.

M. le Président : Venons-en au contrôle. Peut-on le laisser s’exercer par la famille elle-même ou faut-il mettre en place les outils ad hoc ?

M. Philippe PIAT : Je suis à ce propos mécontent de l’absence de la DNCG…

M. le Président : Nous aussi !

M. Philippe PIAT : Que la fédération et la ligue estiment ne pas devoir venir pour des raisons qui leur sont propres, soit. Mais que la DNCG décide d’en faire autant laisse planer un soupçon de collusion, en contradiction avec l’indépendance dont elle se targue – et à laquelle je croyais. Cela m’interpelle quelque part…

M. Philippe FLAVIER : Ce doit être une particularité du football : tout ce qui s’y fait prête à soupçon. L’ordre des médecins est géré par des médecins sans que personne n’y trouve à redire et ne crie à la confusion des rôles… Que la famille, au besoin avec le concours d’autres intervenants, se gère elle-même, où est le mal ? Tout secteur professionnel est géré et contrôlé par les professionnels…

M. le Président : Il est parfaitement légitime que la famille mette en place ses propres règles de fonctionnement et de discipline. Mais en matière de contrôle, notamment financier, est-ce la bonne méthode ? Est-il réellement confortable pour le président d’une ligue professionnelle de contrôler les clubs qui l’ont élu ? Où est l’intérêt pour la ligue et la fédération ?

M. Jérôme JESSEL : La « famille » – le terme m’a toujours paru bizarre – n’a pas tenu son rôle jusqu’à présent. Pourquoi le tiendrait-elle à l’avenir ?

M. le Président : Le but n’est pas de montrer du doigt et de remettre en cause toute la réglementation au motif qu’elle n’est pas toujours efficace, mais de trouver des voies d’amélioration. Vous partez du principe que chaque club aurait volontairement transgressé la loi ; c’est parfois vrai, mais pas toujours, et cela tient également au fait que la réglementation n’est pas toujours adaptée à la pratique quotidienne. Vous n’aimez pas le mot « famille », mais si je parle du « milieu », ce sera pire…

M. Laurent DAVENAS : Je n’aime pas non plus le mot « famille »… Je partage le sentiment de M. Piat : le problème dans le football est que celui qui a posé la règle est en général celui qui la viole ! D’où l’intérêt d’avoir des commissions indépendantes et insoupçonnables. Nous avons préconisé dans notre rapport que la surveillance et la sanction des agents reviennent à la ligue, et non plus à la fédération. Que celle-ci habilite et fasse passer les concours, soit ; mais c’est à la ligue de créer une commission des agents pour sanctionner ceux qui ne respectent pas les règlements.

M. Jean-Christophe LAPOUBLE : Si l’on a externalisé le contrôle et la sanction dans le cas du dopage, c’est parce que le système en interne ne régulait rien. Si l’on en est réduit à cela pour le football ce n’est pas parce que le milieu est plus mauvais, mais tout simplement parce que c’est un milieu humain. Comme le disait un doyen célèbre, les constitutions sont d’autant plus belles que l’on a envie de les violer par la suite…

M. Bertrand CAULY : Dire que le milieu du football doit continuer à contrôler ce qu’il n’a absolument pas réussi à contrôler dans le passé me paraît assez surprenant. Pour nous, la ligue ne peut à l’évidence contrôler les agents ni les circuits financiers liés aux transferts par le fait qu’elle est juge et partie. Vous savez comme moi que le président de la LFP est élu par les présidents de club…

M. le Président : Le but n’est pas de soupçonner qui que ce soit, mais de trouver des systèmes qui permettront aux dirigeants d’assurer leur mission dans les meilleures conditions de confort. Or cette mission n’est-elle pas devenue trop large ? Les sociétés commerciales ont-elles leurs propres contrôleurs fiscaux ? Une organisation reposant sur un système déclaratif nécessite forcément des contrôles extérieurs : cela sécurise tout le monde, y compris les principaux intéressés. Qu’y a-t-il de gênant là-dedans ?

M. Philippe FLAVIER : Pour ce qui est des agents, le manque de moyens est énorme : lorsque vous envoyez votre mandat à la fédération, vous ne recevez même pas de récépissé !

M. Bertrand CAULY : Effectivement.

M. Jean-Christophe LAPOUBLE : En totale contradiction avec la loi du 12 avril 2000, laquelle dispose que les fédérations doivent automatiquement accuser réception.

M. Philippe FLAVIER : Je n’ai pour ma part aucun a priori contre la fédération : c’est elle qui donne les licences, mais c’est avec les clubs que nos joueurs signent des contrats. Au quotidien, c’est la ligue qui les enregistre ; elle a donc toutes les pièces en main pour effectuer des vérifications. Que la profession soit gérée à la ligue ou à la fédération, cela ne change rien ; l’important est que l’une ou l’autre ait des moyens humains en rapport.

M. le Président : Les dérives financières sont essentiellement liées aux transferts, et non à l’intervention d’un agent sur un contrat spécifique à un joueur. Les sommes en jeu sont sans commune mesure.

M. Philippe FLAVIER : Nous sommes bien d’accord.

M. le Président : La DNCG a-t-elle les moyens de contrôler ces flux financiers ? Apparemment non.

M. Philippe FLAVIER : L’agence mondiale antidopage elle-même contrôle avec énormément de retard : il a fallu attendre un mois et demi, après fin du tour de France, pour apprendre que Landis était peut-être dopé… Attendez la fin du mois de janvier : vous verrez le nombre de transactions intervenues entre le 27 et le 30 dans le football ! Vous ne pouvez pas demander aux gens de contrôler en direct une opération le 28 janvier.

M. le Président : Je connais très bien cette situation. Si vous obligez à déposer les documents non pas soixante-douze heures avant la période de mutation, mais le double ou le triple, les clubs s’organiseront en conséquence et les négociations de dernière minute se feront huit jours avant, et non plus deux. Cela ne changera rien au fond.

M. Henri NAYROU : Personne ne reproche à l’AMA un retard lié à la complexité des procédés scientifiques permettant une analyse fiable. Lorsque la loi de 1999 a donné le pouvoir de contrôle antidopage et de sanction aux fédérations, qu’a-t-on vu ? Au premier contrôle positif, on écopait d’un avertissement et au bout de quarante-trois avertissements d’un blâme ! On a finalement admis la nécessité d’une autorité indépendante. Il en est de même dans le cas qui nous occupe : les pouvoirs publics ont été compréhensifs, mais les mauvaises habitudes ont perduré. On a laissé le pouvoir de contrôle et de sanction aux fédérations, mais celles-ci ne s’en sont manifestement pas servies.

M. le Président : Le grand mérite de l’AMA est d’avoir autorité sur les contrôles à diligenter dans n’importe quel territoire, sitôt qu’une compétition internationale y est organisée, sans attendre la décision des fédérations concernées. On pourrait imaginer, à chaque fois qu’est organisée une compétition européenne, que l’UEFA ait autorité pour contrôler les clubs participants. Et comme ce sont les plus importants et donc ceux qui manipulent le plus d’argent, tout porte à croire que cela aurait un effet déstabilisateur.

M. Laurent DAVENAS : Ne confondons pas le respect du règlement sportif, contrôlé par une commission, et la violation de la loi pénale, fiscale et commerciale qui relève des pouvoirs publics. Il faut en finir avec cette propension française à vouloir tout contrôler, pénaliser, et jeter continuellement la suspicion sur les pratiques de nos concitoyens. Il y a une règle, celui qui la viole est sanctionné, éliminé, point final !

M. Bertrand CAULY : Pour l’instant, seuls les agents sont montrés du doigt… Nous n’en sommes qu’au début du débat.

M. Gianni INFANTINO : Nous ne sommes pas ici pour critiquer qui que ce soit, mais pour améliorer les choses. S’il fallait changer de gouvernement à chaque fois qu’une loi ne marche pas du premier coup, on ne s’en sortirait jamais… Rappelons au passage qu’en matière de dopage, ce n’est pas l’AMA qui contrôle et sanctionne dans les compétitions de l’UEFA, mais l’UEFA elle-même.

M. le Président : Pourquoi ?

M. Gianni INFANTINO : Parce que l’AMA se borne à un règlement cadre dont l’application relève des différentes fédérations. L’intégrité et la régularité de l’activité sportive doivent être contrôlées, et au besoin sanctionnées, par les autorités sportives. Je suis d’accord avec M. Davenas : le viol d’un règlement sportif doit être sanctionné par les instances disciplinaires sportives. Si l’on part du principe que les instances de la fédération, de la ligue ou de l’UEFA ne sont pas indépendantes au motif qu’elles sont élues, il n’y a même plus d’arbitres… N’allons pas mêler les sanctions pénales, administratives, fiscales et sportives.

M. le Président : Y compris sur les flux financiers ?

M. Gianni INFANTINO : Y compris sur les flux financiers. C’est pour cela qu’a été mis en place le système des licences.

M. Philippe PIAT : Allons jusqu’au bout de la comparaison : l’AMA a la possibilité de faire appel au Tribunal arbitral du sport (TAS) des sanctions prononcées.

M. le Président : L’AMA sous-traite à l’organisateur des compétitions, mais elle peut pratiquer elle-même les contrôles si elle estime qu’ils n’ont pas été correctement diligentés sur le terrain.

M. Jean-Christophe LAPOUBLE : À ma connaissance, jamais la FIFA n’a autorisé la présence d’observateurs de l’AMA dans une compétition de football…

M. le Président : Les choses sont en train de se régulariser.

M. Jean-Christophe LAPOUBLE : M. Infantino a parlé de certification ISO. Comment cela se traduit-il pour les fédérations ?

M. Gianni INFANTINO : La fédération est toujours responsable – les Anglais parlent de sport governance board, « organisme de gouvernance du sport ». C’est à nous de mettre en place un système de contrôle fédéral efficace et exempt de toute suspicion, grâce à différents moyens : certification, indépendance, etc. Nous avons imposé aux 718 clubs européens de faire certifier leurs comptes par un auditeur externe et indépendant, affilié à la fédération internationale des auditeurs : pour la majorité d’entre eux, c’était une nouveauté.

M. Jean-Christophe LAPOUBLE : Avez-vous avancé sur la norme ISO 9001 ?

M. Gianni INFANTINO : À partir de 2008-2009, les fédérations auront la possibilité d’avoir ou bien une certification « licences » normale, ou bien une certification ISO.

M. Laurent DAVENAS : À propos du dopage, rappelons que le principe de la peine automatique a été censuré par le Conseil constitutionnel – nous verrons ce qu’en dira le Conseil d’État. Autrement dit, le problème est loin d’être réglé. En tant que membre de l’agence, je passe tous mes jeudis matin à sanctionner des fumeurs de joints qui font du sport alors que la société civile ne le fait plus… Évitons de basculer d’un excès dans l’autre.

M. Fabrice RIZZO : Si le problème des flux financiers et des agents s’inscrit dans la problématique plus générale de l’intégrité et de l’équilibre des compétitions, la logique veut que les fédérations et les ligues s’occupent du contrôle, voire des sanctions. Mais ne devraient-elles pas avoir la possibilité de déléguer cette mission à un organisme externe ? Le contrôle de la profession d’agent relève-t-il réellement de l’organisation des compétitions ? On peut en discuter. Pour ma part, je ne suis pas hostile à l’idée d’un contrôle externe de la profession, voire des flux financiers. Certains nous ont qualifiés la semaine dernière de partenaires des représentants du foot-business ; je réfute d’autant plus cette accusation que j’ai été un des premiers universitaires à admettre, sur le plan conceptuel, l’idée d’un contrôle externe dans la mesure ou, force est de le constater, celui effectué jusqu’à présent par les fédérations a échoué. Cela ne signifie pas que celles-ci n’auraient pas le pouvoir…

M. Philippe PIAT : Mais elles pourraient décider de l’externaliser.

M. Fabrice RIZZO : Exactement. L’idée du contrôle externe ne doit pas être rejetée par principe : non seulement elle est bonne en elle-même, et utilisée dans d’autres professions, mais le système actuel aboutit à un constat d’échec. Je suis donc disposé à la défendre, sous certaines conditions.

M. António CAMPINOS : L’indépendance et l’intégrité d’une entité quelconque ne dépendent pas du fait que celle-ci soit interne ou externe à une organisation, mais de ses statuts et de la qualité des membres qui la composent. Nous avons, au Portugal comme chez vous, des autorités, dont les membres sont nommés qui par la Président de la République, qui par l’Assemblée, qui par le Gouvernement, sans mandat renouvelable, et qui fonctionnent en parfaite indépendance.

M. le Président : Une ligue n’est finalement rien d’autre qu’une assemblée des présidents de club qui se réunissent, avec un conseil d’administration et une assistance administrative. À défaut de pouvoir s’occuper eux-mêmes du contrôle des contrats ou des flux financiers, ils le délégueront à une administration. Le problème est qu’une administration interne hésitera naturellement à mettre en difficulté son donneur d’ordre…

M. António CAMPINOS : Je suis bien d’accord. Reste que notre autorité de la concurrence vient de prendre des décisions contraires à la volonté du Gouvernement portugais ; et pourtant, son président avait été nommé par ce même gouvernement. L’essentiel est qu’il n’y ait pas de lien hiérarchique entre l’un et l’autre.

M. le Président : Il y en a forcément un si l’on reste dans l’organisation actuelle, et si on en est le salarié…

M. António CAMPINOS : Comment sont rémunérés les membres des hautes autorités en France, si ce n’est par l’État ?

M. le Président. Il y a tout de même une différence entre l’État, pris dans sa globalité, et une ligue professionnelle de football, de basket ou de rugby…

M. Jean-Christophe LAPOUBLE : Après tout, les magistrats sont payés par la République…

M. Philippe PIAT : Je fais moi-même partie du conseil d’administration de la ligue. Les commissions indépendantes n’ont d’indépendance que celle que l’on veut bien qu’elles aient ! Si Jacques Lagnier vient, au nom de la DNCG, faire son rapport au conseil d’administration devant Gervais Martel ou Jean-Michel Aulas, je me doute qu’il fera attention à ce qu’il dira s’il entend les critiquer…

M. le Président : C’est humain !

M. Laurent DAVENAS : Un commissaire aux comptes est payé par l’entreprise qu’il contrôle…

M. le Président : À ceci près qu’il est lui-même contrôlé derrière.

M. Laurent DAVENAS : Nous avions proposé un système d’échevinage, c’est-à-dire une commission de contrôle composée d’agents faisant autorité dans leur profession et de personnalités extérieures au football.

M. Philippe FLAVIER : Philippe Piat siège au conseil d’administration ; j’observe que les agents sont la seule corporation à n’être représentée dans aucune instance de la fédération ni de la ligue. Nous ne sommes pas plus bêtes que les autres pour essayer de trouver des solutions ; il ne serait pas neutre, y compris vis-à-vis du grand public, de montrer que les agents font eux aussi partie du football.

M. Jean-Pierre KLEIN : Nous-mêmes avons proposé la création d’une commission des agents au sein même de la ligue… Et pour ce qui est de l’indépendance, la commission d’appel, dans laquelle je siège avec M. Davenas, a souvent pris le contre-pied de décisions prises par la ligue, y compris contre l’avis de Jean-Michel Aulas et d’autres. Nous ne sommes « cornaqués » par personne.

M. Bertrand CAULY : Reste que les conflits d’intérêts potentiels sont permanents…

M. Jean-Pierre KLEIN : Peut-être, mais nous n’avons d’intérêts dans aucun club. Le fait d’être Marseillais ne m’a pas empêché de juger des affaires de l’OM et même de le condamner. Je vous invite à lire les réquisitions des procureurs dans les affaires du football français. Elles sont édifiantes… Plusieurs clubs français, parmi les plus grands, sont ou seront bientôt impliqués dans des affaires particulièrement sérieuses.

M. Jean-Michel MARMAYOU : Si cette mission s’intéresse essentiellement au football, ce ne sera pas le cas de la loi : seront tout aussi bien concernés le rugby que le handball, le basket et même les agents intervenant dans le golf, l’athlétisme, des disciplines individuelles où le transfert n’existe pas – encore que l’on en voie dans les échecs… Il faudra en tenir compte. Peut-être pourrait-on trouver une autorité indépendante unique qui permettrait, en regroupant les moyens, de contrôler les agents dans toutes les disciplines ; non seulement les sports où cela va un peu mieux participeraient à l’assainissement de ceux ou cela va un peu moins bien, mais l’élargissement, en diluant les situations de conflits d’intérêts, permettrait d’avancer dans le sens de l’indépendance.

M. le Président : Il y a finalement assez peu de différences entre les sports collectifs professionnels où, si les chiffres diffèrent, les règles sont les mêmes. Dans le cas des sports individuels, la démarche de l’agent s’apparente à celle d’un agent du monde du spectacle : il ne s’agit pas de gérer une relation contractuelle avec un club sur quelques années, mais de chercher les tournois les plus intéressants, avec les meilleurs partenaires.

M. Jean-Michel MARMAYOU : Il est à noter que le problème du paiement de l’agent par le club, dans le cas du rugby, provoquerait une véritable levée de boucliers : les clubs de rugby ont l’habitude d’avoir des agents car ils sont obligés d’aller chercher leurs joueurs souvent très loin, aux Fidji ou en Nouvelle-Zélande. La discussion aurait tourné très différemment…

M. le Président : Je pourrais aussi vous parler d’un milieu que je connais bien, où il arrive fréquemment de travailler avec les États-Unis. On y retrouve les statistiques, les cassettes qui circulent, etc., et aussi les erreurs de recrutement…

M. Jean-Christophe LAPOUBLE : On s’interroge sur la nécessité de créer une autorité administrative indépendante, mais le nombre d’agents concernés en vaut-il la chandelle ? J’aimerais également que l’on aborde la question des mineurs, pour lesquels les pratiques en matière de transfert s’apparentent à un véritable esclavage.

M. le Président : On peut se demander si un joueur, y compris en centre de formation, ne devrait pas avoir systématiquement un agent – ce qui pose le problème de sa rémunération tant que le joueur n’a pas de contrat professionnel. Ajoutons qu’en l’état actuel des choses, un agent ne peut être contractualisé avec un joueur que pour une durée de deux ans…

M. Fabrice RIZZO : Ce n’est pas la loi qui l’impose, mais la FIFA.

M. Jean-Christophe LAPOUBLE : Le système actuel, qui exclut toute rémunération pour les transferts de mineurs, mais également toute sanction, doit être repensé. Après tout, il vaut mieux qu’un mineur ait un bon agent rémunéré comme tel, plutôt que d’en avoir un non officiel, avec un système de rémunération retardé ou un sous la table… Encore faudra-t-il un dispositif particulièrement encadré. Non que je jette la pierre aux agents : je sais que les parents eux-mêmes sont souvent les premiers fautifs. Pour une voiture neuve, certains feraient n’importe quoi !

M. Bertrand CAULY : D’où des effets pervers : on voit des enfants envoyés au fin fond de l’Europe, où la législation est différente, pour être rémunérés.

M. le Président : Encore faudra-t-il déterminer sur quoi repose la rémunération : le travail en amont, sa valorisation, sans oublier le repérage ou le scouting… Comment rémunérer tout cela, et sous quelle forme, sachant que cela ne donne pas normalement lieu à transaction financière ?

M. Philippe FLAVIER : Normalement, il n’y a pas de rémunération. Il faudrait également prendre en compte une profession qui se répand de plus en plus dans les clubs : les recruteurs, dont le statut est pour le moins ambigu.

M. le Président : Ils sont normalement des salariés du club.

M. Patrick MENDELEWITSCH : C’est une autre catégorie de collaborateurs.

M. le Président : C’est le principe même de la NBA (National Basket Association – la Ligue nationale de basket aux Etats-Unis), qui envoie dans le monde entier des personnes pour observer les joueurs. C’est un métier…

M. Tanguy DEBLADIS : Mais la plupart de ces recruteurs ne sont pas salariés. Ils sont payés sur la base de défraiements, d’indemnités kilométriques…

M. le Président : Comment réglementer tout cela ?

M. Philippe FLAVIER : Par le salariat. De la même façon que nous proposons de salarier nos collaborateurs, les recruteurs ou les scouts des clubs doivent être salariés par les clubs, ce qui évitera la tentation de se faire défrayer tout à la fois par les clubs et par les agents.

M. le Président : Mais s’il n’y a plus d’agents de club ?

M. Philippe PIAT : C’est bien le sens de notre proposition : il n’y a plus d’agents que de joueurs, et les clubs ont des salariés pour les missions qu’ils veulent leur faire faire.

M. le Président : Cela ira dans le football, où les clubs ont les moyens, mais certainement pas dans les autres sports. Les clubs de rugby ou de basket ne peuvent se permettre d’envoyer en permanence des salariés en Nouvelle-Zélande ou en Australie pour repérer les talents…

M. Philippe PIAT : Il s’agit en fait d’indépendants, non de salariés au sens strict du terme. Ils touchent un honoraire pour leur travail, mais il n’y a aucune raison qu’ils perçoivent un pourcentage sur la transaction.

M. le Président : Je suis d’accord.

M. Henri NAYROU : J’admets pour ma part qu’il puisse exister des agents de club pour remplir des missions ponctuelles de recherche répondant à un besoin bien précis. Un club même remarquablement structuré pour « cueillir » des enfants à l’âge de douze-treize ans n’est pas nécessairement outillé pour trouver un joueur argentin libre de vingt et un ans et de nationalité française…

M. Philippe PIAT : La fonction ne disparaîtra pas, mais ne sera plus confiée à un agent : ce sera un collaborateur, salarié ou non, chargé d’une mission précise et payé pour cela, mais sans relation avec le montant de la transaction ni du salaire du recruté.

M. Alain NÉRI : Pourquoi réinventer l’eau chaude ? Dans toute activité commerciale ou industrielle, il arrive de confier une mission à durée déterminée, avec une lettre de mission précise, un cahier des charges et une rémunération clairement identifiée. Il n’y a pas besoin de licence pour cela.

M. Philippe FLAVIER : On a déjà du mal à rendre les choses transparentes, mais si vous voulez autoriser un club à passer un contrat d’entreprise avec un individu qui n’est pas un agent pour aller chercher un joueur, nous aurons du mal ! Comment allez-vous le contrôler ? Vous avez déjà du mal avec ceux qui ont une licence…

M. Philippe PIAT : Ceux qui ont une licence sont des agents de joueurs, chargés de défendre les intérêts du joueur.

M. Serge AGREKE : Le ministère tenait à laisser les acteurs directs du terrain dialoguer librement avec les parlementaires avant de vous faire part de son point de vue, qui recoupe au demeurant la position de plusieurs intervenants.

En premier lieu, évoluant dans un contexte européen et international, il convient de se garder de réponses par trop franco-françaises ; l’expérience récente a montré que cela pouvait obliger par la suite à reprendre des dossiers, voire à reconsidérer des positions trop tranchées. L’objectif reste évidemment de corriger les dysfonctionnements observés, mais en s’inscrivant dans le droit sportif international et peut-être en préfigurant, comme l’a souhaité M. Infantino, une réponse que l’Europe, dans un deuxième temps, pourrait apporter. Le ministre souhaite à cet égard que la réflexion s’inscrive dans la perspective d’une démarche au niveau de la FIFA ou de l’UEFA, quitte à pousser ces organismes à réfléchir davantage sur les positions à prendre.

Deuxièmement, la fédération tient évidemment, aux yeux du ministère, une place essentielle. Probablement y a-t-il des points à améliorer, des dispositifs de contrôle à construire, une indépendance et des pouvoirs à conforter dans certaines instances : je pense notamment à la commission des agents dont la composition pourrait être ouverte à des autorités extérieures au monde « footballo-footballistique », suivant l’exemple de la DNCG. Elle pourrait ainsi servir d’organe de première instance en cas de contestations de décisions, le comité directeur de la fédération se réservant les appels. Quoi qu’il en soit, les fédérations, délégataires des crédits publics, doivent garder toute leur place dans le modèle sportif français.

Troisièmement, force est de tirer les conséquences de la montée en puissance généralisée du sport professionnel, dans les grands sports collectifs comme dans des disciplines individuelles où l’on ne s’y attendait pas, et où surgissent dorénavant les mêmes problématiques. Nous serons amenés d’ici à quelques mois à modifier le décret relatif aux ligues professionnelles afin de permettre à l’ensemble des disciplines individuelles de pouvoir constituer leurs propres ligues et garantir leur fonctionnement. Ainsi, les dispositions régissant les centres de formation, souvent pensées « football », la discipline phare, et assez facilement transposables au basket, handball ou autres, deviennent franchement handicapantes dans le cas de disciplines comme le cyclisme, impérativement contraint d’intégrer dans sa ligue professionnelle les organisateurs de compétitions sportives.

Quatrièmement, le ministère des sports n’était pas loin de faire sienne les conclusions de l’étude indépendante ; il regrette en tout cas que l’ensemble des pays européens n’ait pas saisi l’occasion de prendre ce dossier à bras-le-corps et souhaite que le débat se poursuive.

Enfin, le ministre a réaffirmé que la liaison agent-joueur restait à ses yeux une relation essentielle et incontournable, que le paiement de l’agent devait rester l’affaire du joueur ; toutes les propositions visant à garantir l’effectivité de cette rétribution, sous des formes techniquement et juridiquement à préciser, ne peuvent que rencontrer son aval.

M. Philippe PIAT : Nous en prenons acte, mais encore faudra-t-il en tirer les conséquences sur le plan fiscal : s’il s’agit seulement de transférer la charge de l’un à l’autre, nous aurons été pour les joueurs de bien piètres avocats…

M. le Président : Je vais demander que l’on prenne un cas bien précis afin d’en examiner les conséquences.

M. Philippe PIAT : Cela devrait être relativement simple : les joueurs français étant payés à hauteur de 30 % en droits d’image, assimilables à des bénéfices non commerciaux, ils doivent pouvoir imputer les dépenses correspondant au paiement de leur agent en frais dans leur quote-part BNC.

M. Jean-Christophe LAPOUBLE : Je veux à nouveau insister sur la nécessité de poursuivre la réflexion sur le cas des mineurs, qui peut donner lieu à des situations dramatiques.

M. Bertrand CAULY : Qu’on ne se méprenne pas sur le sens de mes propos : tout le monde s’accorde à reconnaître le travail remarquable que la LFP et la FFF réalisent au niveau de l’organisation des compétitions, et c’est précisément pour cette raison que nous regrettons de voir leur image brouillée par des affaires par trop récurrentes.

M. le Président : C’est justement pour cela que j’appelais à les mettre dans les meilleures conditions de confort possible pour exercer leur mission principale…

M. Bertrand CAULY : Exactement.

M. Philippe FLAVIER : Je veux tous vous remercier pour ce débat serein, alors que nous avions souvent l’habitude d’être au bout du fusil… Les jugements se relativisent et la réflexion a avancé. Je remercie également le représentant du ministère d’avoir compris l’importance de la question des sanctions – sanctions sportives, mais également légales. Nous aurons fait grandement évoluer les choses lorsque les gens commenceront à avoir peur de se livrer à des malversations.

M. Laurent DAVENAS : Lorsque le milieu naturel ne règle pas les problèmes, c’est malheureusement le juge pénal qui les règle pour lui… Et c’est catastrophique.

M. Gianni INFANTINO : Tout en vous remerciant pour ce débat, je veux moi aussi souligner l’importance du problème des mineurs.

M. Henri NAYROU : Je saisis l’occasion pour inviter le représentant de l’UEFA à inciter, comme nous le ferons de notre propre côté, la Commission européenne à se saisir d’un problème qu’elle avait quelque mal à appréhender. L’Europe, qui ne se prive pas de faire de l’excès de zèle dans certaines questions de détail, serait bien inspirée de s’occuper de celle-ci, autrement plus importante. Le football n’est que du sport, me dira-t-on ; mais l’ampleur des flux financiers en cause et des malversations qui s’y attachent mériteraient qu’elle se départisse de sa prude réserve…

M. António CAMPINOS : Je vous remercie de nous avoir invités en insistant, à mon tour, sur la nécessité de nous pencher sur la question de la protection des mineurs dans le cadre des transferts internationaux.

M. le Président : Mesdames, Messieurs, il ne nous reste plus qu’à nous féliciter de cette table ronde et de vos contributions très riches, et à souhaiter bon vent au sport français.


 

[1] Accusé de fausses déclarations et fraude fiscale liées à son transfert du Benfica Lisbonne vers le Sporting Portugal en 2000, l’ancien international portugais Joao Pinto a été mis en examen le 3 janvier 2007 après avoir été entendu par la police judiciaire.

[2] Directive 86/653/CEE du Conseil du 18 décembre 1986 relative à la coordination des droits des États membres concernant les agents commerciaux indépendants

 http://admi.net/eur/loi/leg_euro/fr_386L0653.html


Table ronde n° 1, ouverte à la presse :
le contrôle du respect des réglementations nationales et internationales est-il suffisant pour mettre fin aux dérives constatées dans les transferts de joueurs professionnels de football et l’exercice du métier d’agent sportif ?
réunissant :

 

M. Fabrice Rizzo et M. Jean-Michel Marmayou, directeurs du centre de droit du sport de la faculté d’Aix-Marseille ;

M. Philippe Piat, président de l’Union nationale des footballeurs professionnels (UNFP)
et M. Bernard Gardon, Eurosport management, ;
M. Frédéric Thiriez, président de la Ligue de football professionnel (LFP)
et M. Arnaud Rouger, directeur des activités sportives de la LFP ;
M. Laurent Davenas, avocat général près la Cour de cassation, président de la commission d’appel de la Ligue de football professionnel ;

M. Jacques Lagnier, secrétaire général de la commission des clubs professionnels à la Direction nationale du contrôle de gestion (DNCG) ;

M. Christophe Drouvroy, directeur juridique adjoint à la Fédération française de football (FFF) ; 

M. Philippe Diallo, directeur de l’Union des clubs professionnels de football (UCPF) ;
M. Bertrand Cauly, agent, président du Collectif agents 2006,
accompagné de MM. Éric Compi, Jean-Philippe Soubeyre et Tanguy Debladis ;

M. Philippe Flavier, agent, co-président de l’Union des agents sportifs de football (UASF) ;

M. Jean-Luc Bennahmias, député européen ;

Mme Sabine Foucher, direction des sports, ministère des sports ;

M. Patrick Mendelewitsch, agent, et M. François Raud, directeur de la société Bridge Asset ;

M. Alain Vernon, journaliste à France Télévisions ;
M. Jérôme Jessel, journaliste au magazine VSD.

 

(extrait du procès-verbal de la séance du 10 janvier 2007)

 

Présidence de M. Dominique JUILLOT, président et rapporteur

 

M. le Président : Je vous souhaite à tous, la bienvenue ainsi qu’une très bonne année 2007.

Notre mission d’information sur les conditions de transfert des joueurs professionnels de football et le rôle des agents sportifs a été constituée le 25 octobre dernier par la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l’Assemblée nationale. Elle est composée de dix membres, représentant tous les groupes de l’Assemblée et elle doit rendre ses conclusions le 21 février prochain.

Après avoir procédé, depuis le 14 novembre 2006, à 24 auditions individuelles, il nous reste à entendre la Commission européenne ainsi que les représentants de la Fédération internationale de football association (FIFA). Nous rencontrerons aussi le ministre des sports, M. Jean‑François Lamour, le 31 janvier.

Le but de notre mission est de réfléchir à l’amélioration des conditions de transfert des joueurs et à une meilleure définition du rôle des agents dans ces opérations. Elle dépasse donc le cadre du football et les solutions que nous pourrions être amenés à proposer devront autant que possible être adaptées à tous les autres sports.

Même si nous abordons parfois d’autres problèmes comme les paris, le dopage et l’arbitrage, le périmètre d’investigation de notre mission est bien celui des transferts et de la profession d’agent sportif. Nos auditions nous ont permis de faire un certain nombre de constats.

Tout d’abord, la manne des droits audiovisuels a provoqué une envolée du montant des transferts, donc une multiplication des opérations de transferts et l’arrivée de multiples intervenants.

En second lieu, l’arrêt Bosman, en libéralisant le marché du travail pour les joueurs de football professionnel, a placé les clubs en situation de surenchère pour acquérir les meilleurs joueurs.

Troisièmement, le football s’est incontestablement mondialisé dans toutes ses composantes, qu’il s’agisse de l’audience des compétitions, de la taille des entreprises sponsors, de la carrière des joueurs ou des circuits financiers.

Quatrièmement, dans ce contexte, et du fait des masses financières considérables qui sont en jeu, les risques de dérives, voire de pratiques mafieuses portant atteinte à l’éthique sportive ont augmenté. On a ainsi le sentiment que le football est désormais moins un spectacle qu’un business.

Cinquièmement, il existe pourtant de nombreuses réglementations, nationales, européennes et internationales, mais elles ne sont ni de même nature ni de même force juridique, ni exhaustives, ni appliquées, ni contrôlées.

S’agissant enfin de l’encadrement de la profession d’agent sportif, la France peut être considérée comme leader puisqu’elle est le seul État à avoir adopté une réglementation sur ce point. Mais l’application de cette réglementation pose aujourd’hui problème, au point que beaucoup s’interrogent sur sa pertinence, notamment en ce qui concerne les modalités de rémunération des agents.

Nombre des personnes que nous avons auditionnées nous ont expliqué que ces questions faisaient actuellement l’objet de réflexions, tant au niveau des différents pays qu’au niveau international. Je souhaite que vous nous indiquiez ce matin l’état de ces réflexions et si elles vous paraissent complémentaires les unes des autres.

Au vu de tous ces éléments, il était légitime que le Parlement français se saisisse du problème. Cette première table ronde est destinée à examiner si le cadre juridique actuel est adapté aux transferts et à l’activité des agents, sous réserve d’une meilleure application et d’un meilleur contrôle et si cela constitue un objectif réalisable et suffisant au vu de l’évolution rapide et parfois incontrôlée du football international.

Lors de notre table ronde du 17 janvier prochain, nous nous interrogerons sur les réformes nécessaires et sur les moyens de les mener à bien.

Il nous a semblé utile que cette réunion débute par un rappel du cadre juridique actuel ; c’est pourquoi MM. Fabrice Rizzo et Jean Michel Marmayou, maîtres de conférence au centre de droit du sport de l’université d’Aix-en-Provence, vont nous présenter l’état du droit positif sur la question du rôle des agents dans les opérations de transfert des footballeurs et les voies d’amélioration possibles.

Je souhaite que nous ayons ensuite le débat le plus ouvert possible. Je rappelle que cette mission n’a pas pour objectif de se mêler des affaires en cours ou déjà jugées mais bien de trouver les voies d’une amélioration à laquelle chacun a intérêt.

M. Fabrice RIZZO : L’activité d’intermédiaire consiste à rapprocher les parties pour qu’elles signent des conventions. Dans le monde du football, les agents interviennent au profit des joueurs, ils les déchargent de toutes les contraintes matérielles et juridiques, ils les aident à signer des contrats de travail avec les clubs. Ils peuvent également intervenir au profit des clubs, sous la forme de mandats de recherche et de missions de prospection et de rapprochement avec des joueurs.

Dans le football, l’agent est un courtier, mais il n’a pas de mandat de représentation et il n’est donc pas un mandataire, le joueur étant toujours libre de ne pas contracter. À mon sens, c’est donc par erreur de qualification juridique que les textes parlent de « mandat ».

Le concours de l’agent intervient dans la phase de négociation du contrat de travail, mais il peut aussi intervenir dans le cadre d’une opération de transfert, même si, en droit français, aucun texte ne l’exige et si l’on applique au transfert le droit commun des contrats et du travail. L’opération de transfert est celle par laquelle un club accepte de libérer par anticipation un joueur de ses obligations contractuelles, ce qui permet à ce dernier de s’engager au profit d’un autre club. Il peut y avoir à cette occasion entre les deux clubs la conclusion d’une convention commerciale qui fixe le principe et le montant de l’indemnité de transfert. Cela signifie que la cause du paiement de l’indemnité est finalement le consentement de l’actuel employeur de libérer le joueur de ses obligations et d’annoncer aux fédérations qu’il peut s’engager auprès d’un autre club. L’indemnité de transfert est donc le prix du consentement du club qui libère le joueur, ce qui correspond d’ailleurs au nouveau traitement comptable de ces indemnités.

L’opération de transfert est purement contractuelle. Les textes qui régissent l’activité d’agent sont le code civil, le code du commerce et le code du sport – puisque la loi de 1984 et l’ensemble des textes qui régissent les activités sportives ont été codifiés en 2006 –, ainsi éventuellement que la convention de La Haye de 1978 sur les intermédiaires. Mais il faut aussi parler de la réglementation de la FIFA et de sa portée juridique, puisqu’une décision du tribunal de première instance des Communautés européennes du 26 janvier 2005 l’a déclarée conforme au droit communautaire, et en particulier au droit de la concurrence. Cela étant, cet arrêt manifeste un certain scepticisme quant à la légitimité d’une fédération internationale pour prendre une telle réglementation de police économique. Le tribunal s’est en particulier interrogé sur le pouvoir normatif de la FIFA et il a paru considérer qu’elle portait atteinte à un certain nombre de libertés fondamentales du droit communautaire : liberté de prestation de services, liberté d’entreprendre ou liberté d’établissement. Il me semble en effet que cette question mérite d’être posée car la FIFA n’est finalement qu’une association de droit privé suisse dont je vois mal de quoi elle tirerait le pouvoir normatif de prendre des réglementations qui s’imposeraient aux citoyens français ou qui, pour le moins, porteraient atteinte à leurs libertés économiques.

Ces rappels effectués, nous allons nous efforcer de mesurer les enjeux juridiques de l’exercice de la profession dans le cadre des opérations de transfert. Jean-Michel Marmayou vous parlera tout d’abord de l’accès à la profession d’agent sportif, puis je reviendrai sur la question du paiement de la commission et de son traitement juridique.

M. Jean Michel MARMAYOU : Je ne chercherai pas à dresser un tableau de l’ensemble des problèmes rencontrés mais plutôt à traiter les principales questions qui se posent en droit français au regard de l’accès à la profession d’agent sportif et à mettre en évidence les corrections qui pourraient être apportées.

La première question est celle du champ d’application de la règle. Celle-ci est constituée des articles L. 222-5 et suivants du code du sport ainsi que du décret d’application et des arrêtés qui ont suivi. Mais on ne sait pas précisément comment, à qui et où elle s’applique. On peut tout d’abord se demander quelles sont les opérations et les activités visées – c’est ce qu’on appelle le champ d’application matériel. La particularité de ces articles tient au fait qu’ils visent trois contrats : le contrat de mandat, le contrat de courtage, qui est en fait la mise en rapport, et le contrat de travail conclu par le sportif. Or, les contrats visés ne sont pas très précis, ils ne recouvrent pas la réalité des opérations, surtout, ils oublient la question du transfert, comme si le législateur avait eu davantage à l’esprit les sports individuels que les sports collectifs où des transferts interviennent. Et quand la qualification ne correspond pas exactement à la réalité, on laisse la place à l’ingénierie juridique, puisqu’il suffit de passer des contrats qui ne correspondent pas aux qualifications données dans le code du sport. Si, pour une activité presque équivalente, on passe un contrat d’entreprise au lieu d’un contrat de courtage, on relève des articles 1789 et suivants du code civil, et non plus du code du sport… Cela n’a rien de frauduleux, mais on voit bien qu’il est aisé de contourner la loi, tout simplement parce que son champ d’application matériel est très restreint.

Le champ d’application territorial pose également problème, car on peut se demander comment cette réglementation peut s’appliquer à des opérations qui sont souvent à caractère international. En effet, le marché étant international, on a finalement assez rarement un joueur français, un agent français et deux clubs français, et les opérations de transfert font souvent intervenir des joueurs étrangers, des agents étrangers et des mouvements entre des clubs français et étrangers. On est donc logiquement amené à se demander quelle est la loi applicable : est-ce la loi française quand un agent français est missionné par un joueur étranger pour organiser un transfert entre deux clubs étrangers ? Et quand un agent français est chargé du transfert d’un joueur français entre deux clubs étrangers, a-t-il besoin d’une licence et doit-il respecter la réglementation française ?

Le code du sport ne définit pas le champ d’application territorial de la réglementation. Or, quand un texte est muet, deux méthodes contradictoires peuvent être appliquées. La première est celle des conflits de loi, qui laisse une grande partie du règlement au choix des personnes, ce qui les conduit à opter pour la loi la plus souple, celle qui s’adapte le mieux à la situation de l’agent et des parties. La deuxième méthode consiste à dire que la loi française est une loi de police, au sens du droit international privé, c’est-à-dire qu’on n’a pas le choix et qu’elle s’applique à partir du moment où il y a un critère de rattachement fort au territoire français. Encore faut-il bien sûr définir ce critère de rattachement : s’agit-il de la nationalité de l’agent ou du joueur, du siège social de l’agent… ?

La doctrine penche majoritairement pour la loi de police, mais la jurisprudence est particulièrement divisée. En effet, la Cour de cassation semble dire le contraire – mais sans l’affirmer de façon absolue – tandis que les juridictions du fond préconisent l’une ou l’autre méthode. Si l’on voulait être certain des cas dans lesquels cette loi s’applique, il faudrait donc que le texte lui-même le dise et que le législateur affirme sa préférence.

Si l’on considérait qu’il s’agit d’une loi de police, on élargirait le champ d’application, mais on ouvrirait aussi la porte à l’application de lois étrangères, l’agent pouvant être soumis à plusieurs lois en fonction du territoire sur lequel il intervient. Les choses seraient donc un peu compliquées, mais elles le sont déjà, puisque les juristes professionnels ne parviennent pas à déterminer le champ d’application territorial et que cela est encore plus difficile pour les joueurs, les agents et les clubs.

La deuxième grande question a trait à la licence. Le législateur français a choisi, comme pour d’autres professions, de créer une autorisation administrative et il a laissé le choix des modalités de contrôle aux fédérations, qui ont une délégation de service public. Mais la licence obligatoire pose un certain nombre de problèmes. En premier lieu, elle est délivrée par la fédération, après l’intervention de la commission des agents, dont la composition peut être à l’origine de conflits d’intérêts puisqu’on y trouve des représentants non seulement des agents, mais aussi des clubs et des joueurs, qui sont tous concernés par les activités des agents. La commission qui statue sur l’accès à la profession est donc composée de personnes potentiellement parties prenantes dans des opérations éventuellement litigieuses, et qui peuvent même être amenées à se prononcer sur des opérations les concernant directement.

Le système des équivalences paraît par ailleurs particulièrement ambigu et incomplet. L’examen se compose d’une partie générale, qui est en fait juridique, et d’une partie spécifique sur le football. Or, en l’état des textes, si un candidat se présente avec un doctorat en droit, il n’est pas exempté de la partie générale, à la différence d’un ressortissant européen qui a passé la licence FIFA, dépourvue de contrôle des connaissances en droit français… Définir un système d’équivalence permettrait peut-être, en outre, d’attirer vers la profession des personnes disposant déjà d’une certaine culture juridique.

Une autre difficulté tient à l’absence de formation continue, alors qu’une actualisation des connaissances, en particulier juridiques, paraît indispensable.

Sans entrer dans le détail, je mentionne également le problème relatif aux incompatibilités, qui ne présentent pas de caractère universel et qui sont ambiguës, faute par exemple de préciser ce qu’on entend par « encadrement sportif ». On peut ainsi se demander si un entraîneur en activité mais ne disposant pas des diplômes requis serait concerné.

Par ailleurs, la loi française autorise la délivrance de licences à des personnes morales, alors qu’un arrêté de 2000 semble réserver cette délivrance aux représentants des personnes morales, ce qui est différent, et restreint la notion de personnes morales aux sociétés commerciales, alors que la loi n’interdit pas à une association loi de 1901 d’exercer une activité d’agent. En outre, la FIFA ne reconnaît pas la possibilité de délivrer une licence à une personne morale. En la suivant, la Fédération française de football semble d’ailleurs se conformer à une norme privée de droit suisse plutôt qu’à la législation française…

Enfin, la situation des collaborateurs n’est pas réglée. Les textes étant muets, on ne sait pas s’ils peuvent être salariés et on ignore comment les rémunérer : en salaires, en honoraires, en commissions, en partage de commissions ? On ignore aussi si un collaborateur peut agir pour plusieurs agents et s’il doit être contrôlé. Tout ceci n’est pas sans effet, car l’on rencontre dans ce milieu un très grand nombre d’intervenants qui n’ont pas véritablement de statut. Il existe un certain nombre de solutions à cette question.

Les textes sont aussi extrêmement flous et ambigus en ce qui concerne la situation des étrangers, ce qui empêche de déterminer la situation juridique de ressortissants de l’Union européenne comme d’États tiers. On ignore ainsi si l’on doit exiger une licence française d’agents étrangers domiciliés sur le territoire français ou de ressortissants français ou étrangers qui ont obtenu une licence FIFA dans un autre pays. Doit-on leur donner une équivalence totale ou partielle ? Bien que le contrôle des connaissances ne soit pas organisé de la même façon La FFF a opté pour une équivalence totale, tout simplement parce que la FIFA oblige les fédérations nationales à reconnaître sa propre licence.

S’agissant enfin des sanctions, force est de reconnaître que les sanctions disciplinaires ne sont pas efficaces dans la mesure où elles sont de la compétence des fédérations qui n’ont pas forcément les moyens de contrôler une profession et qui sont confrontées aux conflits d’intérêts que j’ai précédemment mentionnés. Il y a par ailleurs de graves ambiguïtés dans les textes en ce qui concerne les pouvoirs des commissions compétentes. On peut également se demander sur quelles bases juridiques la FIFA inflige des amendes à certains agents, dans la mesure où ces derniers ne sont absolument pas membres, ès qualités, de la FIFA, qui leur délivre simplement, sous la forme d’une licence, une sorte d’autorisation d’exercice. Il est donc hors de question de considérer que la FIFA dispose d’un pouvoir disciplinaire sur les agents : elle n’a normalement ce pouvoir que sur ses adhérents.

Un certain flou règne également dans le code du sport en ce qui concerne les sanctions civiles. Il dispose simplement que les contrats passés en dehors de ses prescriptions sont nuls, mais il ne précise absolument pas les conditions juridiques de cette nullité. On ignore ainsi si elle peut être soulevée uniquement par le joueur ou par tout un chacun, si elle est automatique ou facultative pour le juge, si elle est totale ou partielle. Tout ceci ne concourt par à instaurer une sécurité juridique. Or, quand il n’y a pas de sécurité juridique sur les sanctions, celles-ci sont discutables et ne sont donc pas dissuasives.

Il y a sans doute moins à dire sur les sanctions pénales, si ce n’est que la peine d’un an de prison est bien plus dissuasive que celle de 15 000 euros d’amende.

De façon plus générale, j’observe que seuls les agents sont visés par les sanctions. Pourtant, réguler la profession d’agent suppose de réguler les opérations auxquelles ils participent. Et, dans la mesure où ils ne sont pas seuls, pourquoi ne pas étendre les sanctions aux joueurs et aux clubs, ce qui inciterait peut-être ces derniers à mieux vérifier le respect des normes avant de procéder au paiement.

M. Fabrice RIZZO : J’en viens au paiement, qui est régi par article L. 222-10 du code du sport, texte qui pose problème car il n’envisage pas l’opération de transfert et pose des difficultés d’interprétation.

Si l’on s’intéresse aux parties concernées par le paiement de la commission, on doit d’abord se demander qui est le débiteur. Le texte nous dit que l’agent n’intervient que pour une seule partie au contrat et que c’est cette partie qui doit le payer. Dans la majeure partie des cas c’est donc le joueur qui devrait payer l’agent. Mais dans la pratique, les choses ne se passent pas comme cela : le joueur ne veut pas payer son agent et c’est le club qui le rémunère. Un autre schéma serait antiéconomique car il faudrait payer des charges sociales et des impôts sur la commission. C’est pour cela que le club mandate l’agent pour une recherche et le paye sur le fondement de ce contrat de mandat. Il me paraît indispensable de réformer ce système : autoriser les clubs à payer les agents serait une mesure de transparence. Il est pour moi évident qu’il convient d’aligner le régime des agents sportifs sur celui des agents artistiques et des agents immobiliers.

En ce qui concerne le contrat de référence, on parle de 10 % du montant du contrat conclu, mais sur quel contrat va-t-on appliquer ce pourcentage ? Les textes ne font référence qu’au contrat de travail et l’on devrait donc payer les agents au plus à hauteur de 10 % de la rémunération des joueurs. Si ce n’est que dans le football, en matière de transferts payants, l’agent peut très bien intervenir uniquement pour négocier le contrat de transfert et pas du tout dans la négociation du contrat d’embauche. Comment le rémunérer dans ce cas ? Une lecture pragmatique du texte devrait amener à considérer que le contrat de référence est celui dans la négociation duquel l’agent est intervenu, contrat de transfert, contrat de travail, voire les deux, à condition qu’il ait réalisé un travail effectif à chaque fois.

Je rappelle par ailleurs que le juge a le pouvoir de diminuer le montant pour tous les agents d’affaires, y compris les agents sportifs, même si le pourcentage n’atteint pas 10 %.

Les textes n’interdisent ni que plusieurs agents interviennent dans une opération de transfert ni même que plusieurs agents interviennent pour une seule personne. Il conviendrait donc de prendre une disposition permettant d’éviter la pluralité des agents.

Enfin, on interdit la rémunération des agents lorsqu’ils interviennent pour des mineurs, mais le texte ne vise que la négociation des contrats de transfert et de travail. Paradoxalement on n’interdit pas à un agent d’être rémunéré lorsque le mineur signe des contrats d’image.

M. Henri NAYROU : Je souhaite rappeler dans quel esprit le groupe socialiste a demandé la création d’une commission d’enquête sur ce sujet. Même si nous n’avons pas obtenu pleinement satisfaction, nous avons apprécié que la commission des affaires culturelles, familiales et sociales ait accepté de créer cette mission d’information, la seule différence tenant finalement au fait que les personnes auditionnées n’ont pas à prêter serment.

Nous avons souhaité que l’on crée cette mission parce que nous avons observé le glissement du traitement médiatique du football des colonnes sportives vers celles des faits divers et, surtout, parce que nous avons constaté que la loi n’est ni appliquée ni respectée. C’est pourquoi nous avons concentré nos travaux sur les conditions dans lesquelles s’effectuent les transferts et sur le rôle des agents.

Je l’ai dit lors des précédentes auditions, nous ne sommes ni policiers ni juges, nous intervenons simplement dans le cadre de la mission de contrôle du Parlement et de ce que l’on appelle désormais le « service après-vote » de la loi.

Notre mission a déjà beaucoup écouté, elle continuera à le faire et elle jugera ensuite s’il convient de faire des propositions. Mais il est bien difficile de dire si le Parlement légifèrera ou pas car l’on entre dans une période un peu particulière, avec deux « compétitions » à la fin de cette saison…

M. Frédéric THIRIEZ : Nous avons considéré que la constitution de cette mission d’information était une bonne nouvelle. Mais je rappelle que ses travaux ne partent pas de rien, puisque le chantier de la moralisation et de la transparence des transferts et du rôle des agents a été ouvert par la Ligue de football professionnel en janvier 2004, avec l’aide de la Fédération française de football, des syndicats d’agents, du syndicat des joueurs, du syndicat des présidents de club. Cette réflexion a abouti à des propositions très précises qui ont été soumises au ministre dès septembre 2004.

Ce dernier a travaillé ensuite de manière très approfondie, puisqu’il a demandé une enquête à l’Inspection générale de la jeunesse et des sports et à l’Inspection générale des finances. Leur rapport, qui a été publié le 1er avril 2005, a repris à peu près l’esprit de nos propositions. Une proposition de loi a même été déposée à l’Assemblée nationale.

Bien sûr, nous rencontrons un certain nombre de blocages, notamment sur la question de la rémunération des agents, mais peut-être vos travaux nous donneront-ils l’occasion d’éclaircir ce point et de montrer qu’il s’agit finalement d’un faux débat.

J’insiste également sur le fait qu’il ne faut pas attendre que d’autres prennent position, en particulier l’UEFA et la FIFA, pour agir de notre côté car nous y serions encore dans dix ans... La France est suffisamment intelligente, inventive et compétente pour adopter des solutions nationales. J’ai foi pour cela dans le travail de votre mission.

M. Philippe PIAT : Si nous avons travaillé avec la Ligue nationale, nous ne sommes toutefois pas arrivés aux mêmes conclusions, et nous étions même en total désaccord sur la rémunération des agents.

Par ailleurs, je ne pense pas qu’il faille encore attendre dix ans pour que la FIFA prenne position : la task force qu’elle a créée il y a quelques mois a énoncé l’idée que « pour éviter un conflit d’intérêts, l’agent doit être rémunéré par le mandant, et non par un club ». Par ailleurs, l’étude dite indépendante du vice-premier ministre portugais José Luis Arnaut a préconisé « l’interdiction de la double représentation et d’autres conflits d’intérêts, et un système basé sur le paiement des agents par les joueurs ». Enfin, le président de la FIFA m’a écrit ceci : « « En ma qualité de président de la FIFA je tiens à vous confirmer que la position de la FIFA consiste en ce que les agents de joueurs doivent être rémunéré par les joueurs eux-mêmes et non par les clubs. Elle sera également rappelée par écrit aux présidents de la FFF et de la LFP, MM. Escalette et Thiriez, en réponse à leur courrier du 31 juillet 2006. »

On n’a donc plus besoin d’attendre : on sait que les pouvoirs sportifs internationaux sont d’accord pour dire que ce sont les joueurs qui doivent payer leur agent, afin d’éviter des conflits d’intérêts.

C’est pour cela que j’ai été stupéfait que M. Rizzo affirme qu’il fallait obligatoirement que les clubs soient autorisés à payer les agents de joueurs. Si cette mission a été créée à la suite d’un certain nombre de faits divers, j’aimerais savoir comment, en autorisant les clubs à payer les agents – ce qu’ils ont déjà fait au mépris de la loi –, on mettrait fin aux égarements que ce système a précisément favorisés.

M. François RAUD : Je m’étonne que les principaux dirigeants élus de la Fédération française de football, en particulier le président de la commission des agents, ne soient pas présents ce matin car ce sont bien eux qui sont le plus concernés par la non-application des règlements.

M. Philippe FLAVIER : Bien que je sois concerné au premier chef par la question de la rémunération des agents, je souhaite tempérer quelque peu ce qui a été dit.

Si la lecture de la presse a été à l’origine de la création de cette mission, elle nous montre aussi que la majorité des problèmes interviennent à l’occasion de transferts internationaux. En revanche, dans un cadre strictement français, le travail des agents représentants des joueurs et les transferts de joueurs français ne posent pratiquement pas de problème. Si l’on rencontre des difficultés dans les transferts internationaux, c’est parce que les clubs qui souhaitent recruter des joueurs étrangers augmentent le prix de transfert, pour des raisons fiscales. Dans la mesure où peu d’agents l’acceptent, on retrouve en fait toujours les mêmes, d’autant que les sanctions sont insuffisantes. Il est en effet incroyable, alors que l’on affirme vouloir rendre la profession plus transparente, que des agents ayant été reconnus coupables de malversations dans l’exercice de leur profession et condamnés en première instance et en appel, puissent continuer à l’exercer ! Considère-t-on que seuls les criminels doivent être interdits d’exercice ?

Le monde du football est très compliqué et les cas de figure sont multiples : agents français, agents étrangers, joueurs français, joueurs étrangers, clubs français, clubs étrangers. Si l’on n’adapte pas la réglementation à toutes ces situations concrètes, la nature humaine est ainsi faite qu’il y aura toujours des abus.

S’agissant du paiement, tout le monde est convaincu d’un point de vue intellectuel que le joueur doit payer son agent. Mais en pratique, aucun joueur ne peut et ne souhaite le faire.

Par ailleurs, si la réglementation de la Fédération française et de la FIFA impose aux agents un grand nombre de devoirs, ces instances ne leur sont d’aucun secours lorsqu’ils rencontrent un problème, par exemple de paiement de la part d’un joueur, et elles se contentent de leur conseiller de se tourner vers la justice. Pourtant, si l’on demande aux agents d’être plus transparents et de mieux travailler, on ne peut pas aussi leur demander d’accepter d’être payés par les tribunaux, au bout de trois ou quatre ans, voire jamais si le joueur est insolvable ! Il faut parvenir à un système dans lequel chacun puisse travailler. À défaut, si les agents continuent à ne pas pouvoir être payés, on va assister à une véritable épuration et l’on n’en comptera bientôt plus qu’une dizaine.

M. le Président : Tout le monde s’accorde à dire que la pratique n’est pas conforme à l’esprit de la loi ? On pourrait donc faciliter le paiement des agents par les joueurs. L’argument de la fiscalité et des charges sociales ne me paraît pas recevable car elles sont les mêmes pour tout le monde. C’est donc surtout sur la façon dont la rémunération de l’agent s’effectue dans le cadre du contrat que nous devons travailler.

Par ailleurs, qu’un agent puisse intervenir à la fois dans la recherche du meilleur contrat possible pour le joueur et dans un éventuel transfert ne paraît pas vous choquer, alors qu’il s’agit pour moi de deux choses totalement différentes.

M. Philippe FLAVIER : Cette question relève largement du fantasme : dans un cadre strictement français, bien peu d’agents ont touché une commission sur le montant d’un transfert car les clubs gèrent les transferts entre eux et n’ont besoin de personne. Quant aux transferts internationaux, ils représentent bien peu dans notre activité : nous sommes essentiellement rémunérés sur les négociations de contrats.

M. Christophe DROUVROY : La question de la rémunération est essentielle dans ce débat, mais il ne faut pas se focaliser sur ce sujet. La proposition de M. Rizzo que les clubs puissent payer les agents ne pose pas problème dans la mesure où c’est d’ores et déjà ce qui se passe, près de 90 % des commissions étant versées par des clubs à des agents.

M. Alain NÉRI : Vous nous expliquez qu’il est normal de ne pas respecter la loi. C’est scandaleux !

M. Christophe DROUVROY : Je réponds simplement au président, qui s’est demandé tout à l’heure si le dispositif législatif était applicable, qu’il est parfaitement appliqué en ce qui concerne la rémunération dans la mesure où, au moment de l’homologation du contrat, 90 % des joueurs déclarent – car nous sommes dans un système déclaratif – ne pas avoir eu recours à un agent. La loi est ainsi respectée, puisque l’agent n’intervient que pour une seule des parties. Ce n’est donc pas par rapport au texte mais par rapport à l’esprit de la loi que l’on peut parler de détournement.

M. le Président : Convenez que l’on ne peut rester avec un tel dispositif.

M. Christophe DROUVROY : En effet. Mais ne dites pas qu’il faut changer la loi pour que les clubs puissent payer les agents, puisque c’est déjà ce qui se passe. Sans doute est-ce scandaleux mais, alors que la loi parle d’« intermédiaire », la Fédération française de football a abandonné la notion d’agent de joueur, parce qu’officiellement aucun joueur n’en avait, et parle d’« agent sportif ».

M. le Président : Mais la conséquence est que M. Lagnier à la DNCG ne peut pas faire son travail correctement parce qu’il est saisi d’un contrat dont il n’a pas toutes les composantes.

M. Alain NÉRI : Ce qui est inacceptable, c’est qu’on ait affaire à des contrats antidatés. Où est alors la transparence ?

M. Henri NAYROU : Je trouve anormal et amoral que vous veniez expliquer à l’Assemblée nationale, là où s’élabore la loi, que celle-ci n’est absolument pas respectée.

M. Christophe DROUVROY : Je répète qu’en ce qui concerne la rémunération, la loi est respectée : elle n’interdit pas qu’un club mandate un agent pour négocier un contrat

M. Bertrand CAULY : Nous avons créé un syndicat d’agents dont la voix est un peu discordante par rapport aux travaux effectués précédemment, notamment ceux de la mission Davenas. N’oublions pas en outre que bien peu d’agents s’expriment vraiment, puisqu’au total nos syndicats n’en comptent guère plus d’une trentaine.

Si l’on s’intéresse à la question du débiteur de la commission de l’agent, il me paraît nécessaire de revenir à ce qui fait l’essence de notre métier, qui consiste en premier lieu à défendre et à représenter des joueurs entre 16 et 30 ans face à des dirigeants d’entreprise fort habiles en affaires. Nous sommes donc agents de joueurs et nous défendons les joueurs. Le problème est qu’aux yeux de la FIFA on peut être à la fois agent de joueur et agent de club. Nous sommes pour notre part partisans de la suppression du mandat par les clubs, qui aboutit bien souvent à ce que l’agent qui a effectivement réalisé le travail, qui suit un jeune depuis plusieurs années, se le fasse « piquer » au dernier moment, quand les choses deviennent intéressantes.

Vouloir par ailleurs, comme le propose M. Rizzo, assimiler l’agent sportif à un agent artistique revient à oublier que les transferts sont exceptionnels dans le milieu artistique, et que c’est sans doute la possibilité de gagner beaucoup d’argent en peu de temps qui a amené des gens peu recommandables à investir le milieu du football.

Quant à la comparaison avec les agents immobiliers, avancée au motif que l’acheteur paie la commission, elle se heurte au fait que toutes les transactions immobilières sont soumises à la vérification des notaires. Mais peut-être est-ce cette vérification qui devrait finalement nous être confiée…

Enfin, invoquer le fait que le joueur n’acceptera jamais de payer l’agent et l’impôt pour prôner le statu quo ne me paraît à la hauteur ni des enjeux ni de la crise actuelle. Surtout, cela traduit la volonté d’infantiliser le joueur, qui ignore déjà souvent tout des transactions qui sont menées en son nom.

Pour notre part, nous préconisons que le joueur paie son agent, mais aussi que l’on prévoie, comme dans bien d’autres domaines commerciaux, une durée minimale d’engagement d’un an, assortie de clauses de résiliation très strictes. Sans doute faudra-t-il aussi aller vers l’obligation de contracter.

M. Philippe DIALLO : Les clubs professionnels sont bien évidemment des acteurs importants de ce dossier. Ils ont entrepris depuis plusieurs années un travail de transparence, notamment financière, et se sont efforcés de se professionnaliser. C’est dans ce dernier cadre que se pose la question des agents. Pour notre part, nous souhaitons que l’on renforce la sécurité de tous les acteurs, clubs, joueurs et agents ; que l’on adopte des dispositifs les plus proches possibles de la réalité qu’ils vivent ; que l’on veille à ce que chaque disposition législative tienne compte du fait que le sport français, au-delà du seul football, est aujourd’hui inséré dans un contexte international. Les clubs français sont prêts à la transparence et la professionnalisation, mais ils souhaitent jouer avec les mêmes armes que leurs compétiteurs étrangers. Cette dimension est d’autant plus importante que 40 % des joueurs qui évoluent dans le championnat de France sont étrangers.

Un certain nombre de questions importantes se posent dans la pratique quotidienne des clubs, sur lesquelles votre mission sera sans doute appelée à insister, qu’il s’agisse de l’identification des collaborateurs, des agents étrangers, des équivalences ou du contrôle, notamment par le biais de la commission des agents.

En ce qui concerne la rémunération, je rejoins ce qu’a dit Christophe Drouvroy quant au caractère hypocrite du respect de la législation actuelle. En outre, affirmer que le joueur doit payer son agent signifie-t-il la disparition des agents de clubs ? Ces derniers jouent pourtant une véritable fonction, par exemple quand un club souhaite trouver un débouché à l’étranger à un joueur qui n’a plus sa place dans son effectif. Il faudrait donc prévoir des mesures d’accompagnement.

M. le Président : Il ne me semble pas que l’on ait évoqué la suppression des agents de club. Je me suis simplement demandé s’il était normal que le même agent intervienne à la fois dans l’élaboration du contrat du joueur et dans la négociation entre deux clubs. Le fait qu’il n’y ait pas d’agent de joueur amplifie le flou entre sa fonction d’accompagnement du joueur et celle d’intermédiaire entre les deux clubs. Il est d’autant plus difficile d’identifier le rôle d’un intervenant qu’on ne le connaissait pas en amont de l’opération. Or, tel est bien le cas quand le joueur n’a pas lui-même déposé le nom de son agent officiel. C’est aussi ce qui pose problème à la DNCG. Il ne s’agit donc pas simplement de faire payer le joueur mais de rendre le dispositif plus transparent.

M. Philippe DIALLO : Je m’étonne qu’on demande que l’agent soit payé uniquement par le joueur dans la mesure où c’est ce que prévoient déjà  les textes et où tout le monde reconnaît que ce n’est pas satisfaisant. Je n’avais pas compris que l’objectif de votre mission était de conserver un système qui ne donne pas satisfaction…

M. Alain NÉRI : Mais on ne peut pas non plus nous demander de nous contenter d’entériner un état de fait. Et je suis stupéfait que vous jugiez excessif que nous demandions simplement aux joueurs de dire à la Fédération qui est leur agent !

M. Philippe PIAT : Je représente les syndicats mondiaux de joueurs, lesquels disent tous qu’il appartient aux joueurs de payer leurs agents. Nous n’adoptons pas cette position par masochisme mais parce que nous considérons que l’assainissement du système est à ce prix. Pour que cela entre dans les faits, il suffirait d’une incitation fiscale adaptée, par exemple par le biais des 30 % de droit d’image.

J’ajoute que nous n’avons pas besoin d’agents de club : quand Manchester United veut vendre Ruud van Nistelrooy au Real Madrid, il suffit d’un coup de téléphone entre les dirigeants des deux clubs, et la discussion se fait directement. Quant au club qui souhaite faire une recherche de joueur, il lui suffit de prendre un intermédiaire, de lui donner mission de trouver celui dont il a besoin et de le rémunérer pour cela, sans qu’il soit besoin d’indexer aussi son indemnité sur le montant du transfert et du salaire du joueur.

Tout ceci me paraît donc fort simple, même si, comme l’a observé Philippe Diallo, régler le problème en France ne permettra pas de le traiter aussi au niveau international.

J’indique enfin que nous disposons d’une structure qui s’occupe des joueurs professionnels à la recherche d’un club et que nous avons sous contrat, dans ce cadre, deux joueurs importants, Matthieu Delpierre, qui joue à Stuttgart, et Martin Djetou. J’ai apporté les factures et les chèques qui montrent que ces deux joueurs ont payé eux-mêmes leur agent, ce qui ne les a pas empêchés de renouveler récemment leurs contrats.

M. François RAUD : Le club de Newcastle a été épinglé pour entente illicite par le tribunal après avoir passé avec certains agents de joueurs des accords assortis d’objectifs financiers : plus l’agent s’en rapprochait, autrement dit moins son joueur avait d’argent, plus lui en touchait… L’agent du joueur était devenu complice du club. Je propose moi aussi de faire disparaître la fonction d’agent de club. Les clubs ont des directeurs sportifs, des cellules de recrutement ; ils n’ont pas besoin d’agent.

M. Jean-Luc BENNAHMIAS : Si une commission parlementaire a été constituée, c’est pour parler de ce qui pose problème. On nous répond que les transferts franco-français n’en posent pas ; c’est totalement évident. S’il y a des problèmes, relevés comme tels par la presse et les médias, c’est au niveau des transferts internationaux, c’est-à-dire entre la France et les pays étrangers ou vice et versa, et ils sont énormes. Or ce sont bien des problèmes de gestion et de transparence financière, et pas autre chose.

La première proposition que j’ai faite au Parlement européen tend à créer une agence de transparence et de contrôle financier de l’ensemble des clubs européens, créée non dans le cadre de l’Union européenne, mais au niveau de l’ensemble des clubs de football européens – autrement dit, de l’UEFA. Aurons-nous réglé le problème pour autant ? Évidemment non. Et il n’est pas question d’attendre que tout ce monde se bouge pour commencer à réglementer.

Voyez l’agence mondiale antidopage. Ce n’est pas parce qu’on l’a créée que tous les problèmes de dopage ont été réglés, et la France ne l’a pas attendue pour réglementer cette question davantage qu’ailleurs. Et pourtant, non seulement on a fortement réglementé en France, mais l’Agence mondiale antidopage (AMA) commence à prendre de plus en plus de pouvoir. Il suffit de s’inspirer de sa composition : l’ensemble des fédérations, les ligues professionnelles, les grandes instances du football, les États, les députés de l’Union européenne seraient représentés dans un organisme capable de faire appel à ses propres experts et d’agir dans une réelle indépendance au niveau tant de l’esprit que du contrôle financier.

Cela dit, je ne suis pas dupe : pas plus que l’Agence mondiale antidopage, la mise en place d’une agence européenne de contrôle financier ne garantira que les clubs professionnels seront tous contrôlés et que tout deviendra transparent. Mais au moins une chose sera-t-elle certaine : ceux qui ne respecteront pas les règles et se prêteront, disons-le, aux mécanismes de blanchiment d’argent, à défaut d’être toujours pris, sauront qu’ils risquent de l’être. Pour les agents notamment, la nouvelle institution devrait jouer un rôle majeur.

Le rapport pour avis que j’ai fait voter préconise également une réelle certification européenne des agents – régie par une directive, s’entend. Car si le football professionnel et le sport professionnel en général dans l’Union européenne ne sont pas réglementés au niveau sportif, ils le sont au niveau économique. Or c’est en fonction des règles de libre concurrence que la Cour européenne de justice arrête ses décisions, qu’il s’agisse des agents ou du reste – le président Thiriez en sait quelque chose.

Bien sûr, c’est le travail des parlementaires de poser des règles, de faire que les règles soient respectables et respectées afin d’éviter toutes ces affaires. Mais, et le président Thiriez le sait aussi bien que moi, cela ne saurait suffire. On aura beau être vertueux en France, cela ne changera pas grand-chose si, dans le reste de l’Europe, d’autres États-nations le sont moins, à plus forte raison lorsque des dizaines, sinon des centaines de joueurs français jouent dans des clubs étrangers. Sans une réglementation européenne, non seulement nous reverrons toujours les mêmes affaires, mais nos clubs ne pourront affronter le marché dans des conditions de concurrence loyale face à leurs homologues européens.

M. le Président : D’autant que ce sont les ligues européennes les plus influentes sur le marché du football.

M. Frédéric THIRIEZ : Nous poursuivons tous ici le même objectif : la transparence dans les transferts comme dans l’exercice du métier d’agent. Il y a deux manières de l’atteindre : soit le système préconisé par Philippe Piat, où le joueur paie son agent, soit celui que je défends, où les clubs sont autorisés à rémunérer l’agent.

Osons le dire : le premier ne marchera jamais, car il exigerait des textes fiscaux et sociaux dérogatoires que j’imagine mal notre pays prendre en faveur des agents et des footballeurs professionnels… Mieux vaut sincèrement l’oublier.

La deuxième formule est tout aussi transparente que la première, sinon plus, car toute simple : on autorise le club à supporter la charge financière de la commission d’agent, mais à la condition que le mandat liant le joueur audit agent ait été préalablement déposé à la fédération ou à la ligue.

M. Alain NÉRI : Nous sommes au moins d’accord sur ce point.

M. Frédéric THIRIEZ : C’est parfaitement simple et transparent. On sait exactement qui fait quoi : un agent égale un joueur. La charge financière finale serait supportée par le club, mais je ne vois pas ce que cela peut avoir de dérogatoire ni de choquant. Ajoutons que la ligue centraliserait évidemment les transferts et les commissions.

Mme Sabine FOUCHER : Je remercie mon ministre d’avoir délégué une femme pour le représenter dans cet aréopage d’hommes… Le premier décret d’application de la loi étant paru en 2002, nous n’avons que quatre ans de recul pour apprécier le fonctionnement du dispositif. Nous sommes conscients que des rectifications s’imposent au niveau des cumuls, des incompatibilités, de la compétence de la commission, voire de sa composition. Pour avoir participé au précédent projet avec Mme Marie-George Buffet, je peux attester que, sur la question de la délivrance même de la licence, les fédérations ont bien travaillé, dans le football comme ailleurs. Nous avons d’ores et déjà dans nos cartons des projets de modification, mais le rôle du ministre l’oblige au préalable à consulter toutes les parties ; or c’est précisément sur la question du contrôle des mandats et de la rémunération de l’agent que nous achoppons et c’est ce qui nous empêche, faute de consensus, de vous présenter un projet pour l’instant. Le travail de votre mission est bien venu en ce qu’il aidera le ministre à se forger une conviction.

M. Jérôme JESSEL : J’ai rencontré M. Jean-François Lamour à plusieurs reprises, et il m’avait semblé convaincu que les agents devaient désormais être payés par les joueurs.

M. Alain VERNON : Je le confirme au nom de France Télévisions : le ministre m’a dit la même chose, et même publiquement.

Mme Sabine FOUCHER : Il ne l’a certainement pas dit dans ces termes. Je ne vous permets pas de mettre ma parole en doute !

M. le Président : Nous le recevrons et il s’exprimera.

M. Laurent DAVENAS : J’étais venu avec des idées claires ; les voilà brouillées… Rappelons que ce sont les transferts sans véritable finalité sportive qui posent problème : le meilleur club français ne fait pas plus de quatre ou cinq transferts par an, contre dix ou quinze pour ceux qui ont affaire au juge pénal !

En revanche, la profession d’agent a tout à gagner en termes de respectabilité à devenir une profession réglementée. Les modèles ne manquent pas en France, à commencer par les notaires – ce qui règle le problème de la rémunération : une transaction immobilière confiée à deux notaires ne multiplie pas la rémunération par deux, mais la divise entre les deux intervenants –, ou les avocats, avec le compte professionnel CARPA contrôlé et la postulation obligatoire : ainsi, un agent brésilien serait obligé de faire appel à un agent français pour négocier avec un club français.

Entre la solution de Philippe Piat et celle du président Thiriez, il existe peut-être une troisième voie, sur laquelle ma commission a réfléchi, et qui consisterait à dissocier le droit de jouer du contrat de travail. Les clubs professionnels, via des agents de club, négocieraient l’achat de la licence, qui donne le droit de jouer ; ensuite le joueur, accompagné de son agent personnel, négocierait avec le club son contrat de travail. Ce qui, juridiquement, réglerait assez facilement les problèmes qui vous agitent.

M. Philippe FLAVIER : Cela ferait tout de même trois agents au lieu d’un…

Malgré tout le respect que je dois à Philippe Piat et au travail qu’il réalise, je maintiens que l’on ne peut pas éliminer la profession d’agent de club en ne fondant que l’exemple de Van Nistelrooy. Ce serait simplissime…

M. Philippe PIAT : C’est là que l’on trouve les plus grosses commissions.

M. Philippe FLAVIER : Il ne faut pas tout ramener à l’argent… Nous recevons quotidiennement des appels de clubs qui ont des difficultés pour recaser un joueur trop cher après une erreur de recrutement et qui demandent notre assistance. Cette part de notre activité est bien réelle. En revanche, si un agent de joueurs s’occupe de clubs et en même temps d’un Van Nistelrooy, il peut y avoir doute : celui-ci est mondialement connu, il n’en a pas besoin. Quant aux deux factures que Philippe Piat nous a présentées, sur les deux cent cinquante, sinon trois cents contrats signés chaque année, c’est bien peu : c’est une chance que les deux joueurs les lui aient payées, mais n’en faisons pas une règle générale : cela ne marche pas.

M. Alain NÉRI : C’est fabuleux d’entendre une chose pareille !

M. Philippe PIAT : Sur deux joueurs, les deux ont payé !

M. Philippe FLAVIER : Pourquoi fabuleux ? Je suis exactement sur la même longueur d’onde que vous : je ne veux pas qu’il y ait deux agents sur une même affaire, je ne veux pas que la commission soit multipliée par deux, mais bien divisée, je veux aller dans le sens d’une plus grande transparence. Vous voulez que nous déposions les contrats passés avec nos joueurs et que ceux-ci nous paient ; soit, mais dites-moi comment vous allez vérifier que je n’ai pas réclamé à mon joueur 20 % de plus ! Allez-vous contrôler le joueur, alors qu’il serait aussi simple de vérifier auprès de la ligue nationale l’ensemble des agents qui ont travaillé, avec les contrats déposés ? M. Lagnier, à la DNCG, aura la liste exacte de toutes les commissions versées et, en cas de doute, pourra vérifier qui est intervenu, et si le mandat a bien été déposé à la fédération : c’est beaucoup plus simple…

M. Philippe PIAT : Pourquoi n’est-ce pas fait dès à présent ?

M. Philippe FLAVIER : Nous sommes seulement en train d’essayer d’évoluer…

M. Alain NÉRI : C’est tout de même extraordinaire. Quand on joue au football, on est censé respecter des règles du jeu. Or, on nous propose de nous en remettre non pas aux règles, mais à des us et coutumes totalement contraires à la loi, et de changer la loi !

M. Philippe FLAVIER : Je ne veux pas changer la loi…

M. Alain NÉRI : Si je suis un joueur et que je prends un agent, c’est pour qu’il me rende un service et qu’il travaille pour moi. Or vous voudriez que ce quelqu’un qui travaille pour moi soit payé par un autre ! M. Flavier dit que la proposition de M. l’avocat général Davenas multipliera le nombre d’agents. Mais lorsque, dans une vente, chacun vient avec son notaire, la commission est partagée entre les notaires !

M. Philippe FLAVIER : C’est bien ce que j’ai dit : si c’est partagé, cela me va très bien. Si c’est multiplié, cela ne va pas.

M. Alain NÉRI : Il suffit de répartir la commission entre les trois agents qui ont travaillé : cela me paraît d’une simplicité biblique. Je suis là pour faire la loi, non pour faire en sorte que l’illicite reste la règle commune !

M. le Président : Ne nous attardons pas trop sur la question de la rémunération de l’agent et venons-en à celle de la transparence financière lors des transferts. D’où vient l’argent, où va l’argent, par qui les sommes sont-elles négociées et comment profite-t-il à l’ensemble du football français, européen et international ?

M. Jean-Michel MARMAYOU : Ma remarque servira peut-être de transition. Faut-il ou non changer la loi ? Si la loi actuelle n’est pas appliquée, pourquoi ne l’est-elle pas ?

M. Alain NÉRI : Elle doit s’appliquer, un point c’est tout ! Et vous êtes professeur à la fac ? Voilà une curieuse façon de considérer le droit !

M. Jean-Michel MARMAYOU : C’est précisément parce que je suis professeur à la fac que je suis capable de prendre un peu de distance… Dans le domaine du droit, il faut impérativement conjuguer deux visions en observant les moyens qui permettent de l’appliquer, mais également son application effective. Le législateur lui-même ne s’est-il pas doté de missions d’évaluation et de contrôle pour vérifier si les lois promulguées sont applicables, efficaces, pas trop nombreuses, bien écrites ? Tout de même, ce sont là des questions importantes ! Je suis professeur de droit, mais je ne suis pas bête !

Ma mission, et l’État me paie pour cela, est de regarder si la loi est applicable, si elle mérite, parce qu’elle est bonne dans l’esprit, d’être durcie, d’être rendue plus efficace. Mais dans la mesure où la loi est la loi d’une société, la loi d’usage, la loi d’une profession, il faut s’interroger à partir du moment où un milieu rejette un texte. Peu importe la réponse, je pose seulement une question : est-il normal qu’une loi ne soit pas appliquée par le secteur concerné ? Dès lors, ne faut-il pas se demander si elle ne doit pas être changée, peut-être parce que certains intérêts y sont mal défendus ? Oui, il faut appliquer la loi ; mais il est un moment où ce n’est plus possible, où cela devient même contre-productif. On voit des lois ineffectives à 90 % – et c’est bien le cas de celle-ci –, parce qu’économiquement ou politiquement illégitimes, devenir de véritables pousse-au-crime : les gens, se sentant en quelque sorte absous du fait de cette illégitimité, s’habituent à la contourner ; et lorsque l’on commence à contourner une loi avec l’excuse de l’illégitimité, on en vient à contourner les autres, où l’excuse ne tient plus.

Peut-être faut-il déshabituer le milieu à contourner les lois. Or celle-ci, de mon avis d’analyste non impliqué dans le milieu, je la considère comme illégitime, économiquement lourde, ineffective, et aucun des arguments avancés à l’appui de son renforcement ne tient la route. Dans d’autres secteurs intéressant autrement plus de monde – après tout, on ne compte que 150 ou 160 agents sportifs dans le football en France, et en tout trois cents individus au grand maximum –, comme les agents immobiliers ou les agents artistiques, la situation était rigoureusement la même. On a libéralisé, tout est contrôlé par le préfet et cela marche – en tout cas à peu près bien : sans prétendre que l’on ait éradiqué tous les malfrats et les esprits malsains, tout est devenu beaucoup plus transparent. Si l’objectif recherché est la transparence, il faut réfléchir à ce qui est le plus efficace pour y parvenir ; or l’adhésion du secteur, de ceux qui se retrouveront à devoir appliquer la loi est une condition essentielle, surtout si l’on raisonne en termes de légistique. Le législateur doit se poser la question de savoir comment son texte sera reçu. Je veux bien que l’on oblige le joueur à payer l’agent ; mais il va falloir le trouver.

M. Philippe PIAT : Je trouve ce raisonnement totalement vicié. Certes, il peut arriver qu’une loi totalement inapplicable oblige à faire autrement. Encore faut-il que ce soit pour la bonne cause ! Si nous sommes réunis ici, c’est bien parce que l’on n’applique pas la loi et que l’application d’un usage différent aboutit à toutes ces malversations, rétrocommissions, surcommissions et autres aberrations.

M. le Président : Ces dysfonctionnements sont-ils la conséquence du seul mode de rémunération des agents ? Je ne suis pas sûr que le lien soit aussi direct…

M. Henri NAYROU : Le représentant de la FFF et M. Marmayou ont beau jeu d’arguer que la loi est respectée, puisque le mandant est rétribué conformément à un mandat signé la veille ; mais c’est oublier que le mandant du départ n’est pas le mandant à l’arrivée… C’est une pratique de tartuffe ! Qui plus est, admettre qu’une partie paie le conseil de l’autre, c’est ouvrir la porte à tous les arrangements et dissimulations possibles. Sortons du football : où accepterait-on que l’avocat du salarié soit payé par l’employeur ?

M. Philippe PIAT : On imagine ce que cela donnerait dans un divorce…

M. Jean-Michel MARMAYOU : Cela se voit tous les jours : simplement, c’est le juge qui décide. Article 700 du nouveau code de procédure civile…

M. Henri NAYROU : Monsieur Davenas, est-il dit quelque part que l’avocat d’un salarié plaignant doit être payé par son employeur ? Ce doit être assez rare !

M. Laurent DAVENAS : Certains contrats de travail prévoient, en cas d’accident de la circulation, que l’avocat soit pris en charge et rétribué par l’employeur.

M. Henri NAYROU : Quant à l’analogie avec l’agent artistique, soyons clairs : l’agent artistique est chargé de négocier un contrat, de trouver un organisateur et un lieu. La différence, c’est qu’il n’y a pas de transferts, mais un cachet…

M. Philippe FLAVIER : Mais nous ne sommes pas payés sur les transferts !

M. Henri NAYROU : … qui peut être assimilé à un salaire. À cet égard, la dissociation proposée par M. Davenas peut être une très bonne proposition. Et pour couper court au procédé du mandat signé la veille, il suffit d’exiger une information a priori, c’est-à-dire le dépôt à la fédération ou à la ligue d’une liste répertoriant, en deux colonnes, chaque joueur et chaque agent, avec un système de numéros. On éviterait ainsi des manipulations où les mandants changent à la dernière minute. M. Flavier ne manquera pas de faire remarquer que les joueurs…

M. Philippe FLAVIER : Sont volatiles, en effet ! Vous aurez beau déposer vos listes trois mois à l’avance, si, quinze jours avant, alors que vous êtes en contact avec un club, un autre agent passe et vous prend votre joueur, que se passera-t-il ? On aura beau essayer d’aller dans le bon sens, on ne résoudra pas le problème. Le football est malheureusement une succession de petits problèmes…

M. Philippe PIAT : Qui font qu’on ne respecte rien !

M. Henri NAYROU : Comprenez qu’il est difficile de vous entendre demander avec insistance que le joueur soit rémunéré par le club…

M. Philippe FLAVIER : Moyennant un contrat préalablement déposé.

M. Henri NAYROU : …au motif que vous n’êtes pas sûr d’être payé par celui qui vous a commandité !

M. Philippe FLAVIER : Il n’y a pas que cela…

M. Henri NAYROU : Sur le plan législatif, l’argument ne tient pas.

Le président Thiriez s’engage sur la transparence ; il faut le prendre au mot. Cela suppose que, au-delà de la DNCG, un organisme au sein de la FFF ou de la Ligue soit en mesure de vérifier, pour chaque transaction, que la somme du départ coïncide avec la somme à l’arrivée. On peut s’inspirer de l’exemple de la caisse des notaires ; certains – qui, par peur, ont préféré quitter le milieu des transferts – ont suggéré de passer par un acte notarié…

M. Philippe FLAVIER : Nous sommes d’accord.

M. Henri NAYROU : Le joueur qui se serait ainsi engagé serait contraint de vous payer, conformément aux termes du contrat. La CARPA peut être également une solution.

M. Alain NÉRI : Tout le monde peut être contraint de payer. Est-ce à dire que je peux aller chez l’épicier du coin et ne pas payer ce que je lui ai acheté ?

M. le Président : Si nous sommes à discuter aujourd’hui, c’est bien qu’il se pose un problème d’application de la loi. Encore faut-il savoir pourquoi, et surtout en mesurer les conséquences.

Passons maintenant au deuxième volet : la question des transferts et le rôle que peuvent jouer les agents à cette occasion, et surtout la question de la transparence financière. Comment mettre fin aux dérives dont nous entendons pratiquement chaque jour parler dans les tribunaux ? Le livre blanc du président Thiriez a tracé quelques pistes ; d’autres solutions ont également été évoquées. Est-il possible de les mettre en application au niveau français, sans attendre une décision européenne ? Peut-on contrôler les flux financiers en amont, ou au moment de l’opération ? Par qui l’opération est-elle conduite ? Les plus grosses opérations sont relevées, on le sait, pendant les transferts.

M. Frédéric THIRIEZ : Notre proposition dans ce domaine est liée à la précédente – les deux sujets, quoi qu’on dise, ne sont pas sans interférences. Nous proposons de mettre en place un système de centralisation, au niveau de la ligue professionnelle, des versements liés aux transferts. Ainsi, au lieu de passer directement du club A au club B, l’argent serait versé par le club A à la ligue qui le reverserait au club B. C’est parfaitement concevable et faisable au plan national. Pour ce qui est des transferts internationaux, nous proposons, comme le font déjà les Anglais, d’obliger à une centralisation pour les achats de joueurs étrangers par les clubs français. L’argent n’irait plus directement du club français au club anglais, par exemple, mais transiterait par la ligue française qui paierait soit le club, soit la ligue anglaise. Cela ne marche évidemment que pour les achats, dans la mesure où le président de la Ligue française ne peut imposer d’obligation que sur les clubs français ; mais si tous les pays d’Europe appliquaient progressivement ce système sur les achats, nous aboutirions à un contrôle croisé complet au niveau européen dans la mesure où les achats… sont aussi les ventes.

M. le Président : Mais la Ligue a-t-elle l’autorité morale suffisante pour centraliser des flux financiers émanant des clubs qui sont précisément les décideurs en son sein ?

M. Frédéric THIRIEZ : Le principe de cette centralisation a déjà été adopté par le conseil d’administration.

M. le Président : Le problème dans un tel système est que l’on se contrôle soi-même…

M. Frédéric THIRIEZ : Au-delà du problème des commissions…

M. François RAUD : Il ne s’agit pas des commissions !

M. le Président : Nous ne parlons pas des commissions, mais des flux financiers entre clubs qui, en tant que membres du conseil d’administration de la ligue, vont s’autocontrôler. Sans porter de jugement de valeur…

M. Frédéric THIRIEZ : Soyons clairs : nous n’entendons pas donner 1 % du montant des transferts à la société de droit suisse Bridge Asset International ! La ligue dispose en son sein d’instances qui ont fait la preuve de leur indépendance et de leur compétence, et le fait que les clubs disposent de douze sièges sur vingt-cinq au conseil d’administration ne saurait amener à émettre quelque soupçon que ce soit à cet égard.

M. le Président : Je ne soupçonne rien, j’anticipe sur des remarques qui ne manqueront pas de fuser !

M. François RAUD : Ayant été directement pris à partie, je ferai remarquer que le président Thiriez s’appuie sur le système anglais, système que la presse de ce pays vient de critiquer très durement en soulignant la « complaisance » des institutions anglaises…

M. Philippe DIALLO : Rappelons, au risque de paraître à contre-courant, que les choses se passent parfaitement bien au niveau des sommes de transferts en France. Depuis plus de dix ans, chaque club publie individuellement l’ensemble de ses comptes et tout un chacun peut les consulter sur le site de la ligue et connaître la totalité des mouvements financiers. Ce que je souhaite, dans un souci de structuration et de prise en compte de l’international, c’est la mise en place d’un dispositif de centralisation de ces flux financiers par les ligues. Qui plus est, le président Thiriez est membre du Board, une association de ligues européennes, qui peut être l’amorce d’une coopération au niveau international ou à tout le moins européen afin de mieux identifier les flux financiers. Non seulement les montants des transferts ne posent pas problème, mais les questions évoquées par les tribunaux montrent seulement que le football n’est pas à l’écart de la société : il s’agit ni plus ni moins que de malversations, et le législateur que vous êtes sait bien que toute législation suscite ses fraudeurs. Ceux qui fraudent doivent être condamnés ; la responsabilité des dirigeants sportifs est de mettre en place les outils propres à garantir un contrôle dans de bonnes conditions. Mais pour ce qui est des sommes en jeu dans les transferts, toutes les conditions sont réunies pour garantir une grande transparence, et des initiatives sont prises pour aller au-delà, en prenant également en compte la question de la rémunération des agents, les deux sujets étant parfaitement liés.

M. le Président : M. Lagnier nous a expliqué qu’il n’avait pas les moyens techniques de porter un jugement transfert par transfert, contrat par contrat. Il a indiqué que la situation d’un club était jugée la plupart du temps sur le plan exclusivement financier, et a posteriori, le contrôle s’effectuant au vu de la masse salariale budgétée et des lignes budgétaires affectées aux transferts et à la rémunération d’agents, d’où on pouvait déduire in fine si l’on avait dérapé ou pas. Le problème est qu’à ce stade, le mal est déjà fait…

M. Philippe DIALLO : Les dérapages, j’y insiste, sont le fait de malversations qui, indépendamment du contexte législatif, se seraient de toute façon produites. Qui plus est, au-delà des moyens de contrôle mis en place par les instances sportives, l’administration fiscale et l’URSSAF ne se privent pas de contrôler en permanence pratiquement un club sur deux ou trois. Les premiers éléments que réclame un enquêteur sont évidemment les montants des transferts et les mandats d’agent… Or ces aspects – et c’est heureux – ne donnent pratiquement jamais lieu à redressement ; c’est bien la preuve que les choses se passent correctement.

M. le Président : Sans oublier le contrôle effectué par les commissaires aux comptes.

M. Philippe DIALLO : Absolument.

M. Jacques LAGNIER : Le débat montre que l’on a affaire à deux types de problèmes de nature différente : les problèmes internationaux et les problèmes internes. En France, les clubs sont soumis à de nombreux contrôles, en plus de celui de la DNCG. Leur gestion tant administrative que fiscale et sociale s’est considérablement améliorée au fil du temps. La DNCG s’appuie également sur les commissaires aux comptes, très présents dans les clubs et qui ont accès à tous les éléments. N’oublions pas non plus que bon nombre d’intervenants ne sont pas nécessairement des agents sportifs et que l’on ne saurait interdire à une société de s’entourer des conseils qu’elle estime nécessaires ; d’où parfois une certaine ambiguïté entre l’agent proprement dit et d’autres acteurs appelés à intervenir. L’information ne saurait être complète si l’on s’intéresse aux seuls agents sportifs. Il est essentiel de pouvoir accéder à toutes les pièces relatives à une transaction ou à un contexte particulier.

M. le Président : Votre tâche serait bien évidemment facilitée si vous aviez communication de tous les éléments financiers bien identifiés, joueur par joueur. Or vous nous avez indiqué que vous ne les observiez que globalement et a posteriori.

M. Jacques LAGNIER : Tout à fait.

M. le Président : Vous ne pouvez donc en tirer une vision très claire des transferts individuels. Comment dans ces conditions être assuré de la pérennité de la situation financière d’un club, ce qui est pourtant le but premier de la DNCG… ? Le système actuel ne vous permet pas de disposer de tous les éléments du dossier.

M. Alain NÉRI : Et pour ce qui est des mandats, vous n’avez accès qu’à un document antidaté, autrement dit un faux.

M. le Président : Avec un agent bien identifié, capable de vous avertir en amont d’une transaction, et avec toutes les pièces de cette transaction en main, vous pourriez valablement juger de la pérennité d’un club. Ce serait un élément de transparence et de sécurité, y compris pour le club et la ligue.

M. Frédéric THIRIEZ : C’est exactement ce que nous vous proposons.

M. le Président : Mais la DNCG, indépendante, a-t-elle le temps et les moyens nécessaires ?

M. Jérôme JESSEL : La DNCG n’est pas indépendante, puisque c’est une émanation de la ligue !

M. Jacques LAGNIER : Vous connaissez mal le football et mal la DNCG…

M. Jérôme JESSEL : Votre président a lui-même avoué, lors du procès de Marseille, qu’il n’avait pas de moyens d’investigation et qu’il ne connaissait même pas le système des primes à la signature !

M. Jacques LAGNIER : Il ne faisait pas partie de la DNCG à cette époque…

M. Jérôme JESSEL : Il connaît encore moins le football que moi !

M. Frédéric THIRIEZ : Je ne peux accepter de tels propos !

M. Jérôme JESSEL : Qui plus est, un mal semble se répandre : par le biais des fameux droits fédératifs, des sociétés privées peuvent devenir propriétaires de joueurs de football en Amérique du Sud. Quelle est la position de la ligue et de la DNCG sur cette question ? Les droits fédératifs, parfois détenus par des sociétés off shore, permettent également de détourner énormément d’argent.

M. Jacques LAGNIER : C’est précisément une des grosses difficultés que posent les transferts internationaux ; c’est à l’extérieur que se rencontrent les plus grands risques de dérives. Parallèlement au travail à mener pour améliorer le droit interne français, il faudra agir au niveau international pour obtenir de meilleures garanties. Le contrôle financier a déjà été renforcé au niveau européen, mais il faudra amplifier les efforts d’ores et déjà engagés par l’Union des associations européennes de football (UEFA) pour améliorer les choses.

Le système des sociétés de joueurs, en cours dans certains pays, est une pratique effectivement inquiétante. À ma connaissance, en dépit de quelques velléités, elle n’est pas répandue en France, où elle a finalement été interdite par la réglementation du football. Encore faudrait-il que les instances européennes et mondiales fassent de même.

M. Jérôme JESSEL : Le transfert de Christian du PSG à Bordeaux a précisément mis en lumière l’existence d’une société propriétaire de joueurs…

M. Jacques LAGNIER : Nous n’en avons pas eu connaissance.

M. Alain VERNON : Pour observer le monde du sport, et en particulier du football, depuis vingt-cinq ans, j’ai l’impression de revivre ce qui s’est passé dans le vélo, où l’on a fait semblant pendant des années d’ignorer le dopage et toutes les dérives qui y sévissaient. Il semble en être de même dans le football ; il suffit pourtant de se référer aux notes du ministère de la justice pour s’apercevoir que plusieurs clubs professionnels font l’objet de procédures – ce qui, au passage, montre l’inefficacité des instances censées les sanctionner… Les affaires de Marseille, bientôt de Paris, Strasbourg, Saint-Étienne et autres, témoignent à l’évidence d’une faillite des instances de contrôle. La DNCG elle-même, un de ses membres ici présent me l’a confié, ne va jamais à Marseille… Pour quelle raison ?

Comme pour le vélo, on feint de croire qu’il n’y a pas de corruption dans le football. Et que suggèrent les instances dirigeantes ? Imaginez que les équipes cyclistes professionnelles vous aient proposé de s’occuper du dopage ! Lorsque autant d’affaires secouent un sport professionnel, on est obligé de faire appel à des instances européennes et internationales indépendantes – ainsi l’AMA dans le domaine du dopage. Il doit en être de même pour le football, avec des organismes indépendants, compétents, sans « casseroles », capables de prendre de nouvelles décisions. Demandez-vous pourquoi nous sommes réunis aujourd’hui : le système qui permet aux clubs de rémunérer des agents est générateur de corruption et c’est cela qu’il faut corriger.

M. Jacques LAGNIER : La DNCG vient d’être attaquée alors que je la croyais respectée et appréciée. Au demeurant, votre information doit être mauvaise, car si elle n’a effectivement pas pour politique de diligenter des missions d’expertise dans les clubs, ce qui est l’affaire des commissaires aux comptes, une mission lourde d’audit a bel et bien bel et bien été menée à Marseille. Il ne faut pas dire n’importe quoi…

M. Alain VERNON : Et apparemment, elle a eu de bons résultats…

M. Laurent DAVENAS : Le contrôle de la DNCG et de la ligue a d’abord pour finalité de préserver l’équité de la compétition ; la lutte contre les dérives mafieuses et les actes de délinquance commis dans le football relève de la responsabilité des seuls pouvoirs publics. La dernière affaire de Marseille montre du reste qu’il conviendrait de modifier la loi qui interdit à une fédération de se constituer partie civile en cas de poursuite pour abus de biens sociaux mettant en cause un club. La fédération et la ligue ont été déboutées, et à juste titre, en application de la jurisprudence de la chambre criminelle, la loi sur le sport ne leur permettant de se constituer partie civile qu’en cas de violence et d’acte de racisme ou d’antisémitisme. Il faudrait songer à étendre cette possibilité aux dérives financières pénalement sanctionnables.

M. le Président : D’autres ligues se sont portées partie civile…

M. Laurent DAVENAS : Parce que la loi le leur permettait, ce qui n’est pas le cas dans le football. Quoi qu’il en soit, la lutte contre ces dérives relève de la responsabilité des pouvoirs publics.

M. Philippe FLAVIER : Les malversations – tous ceux qui ont à peu près compris le système en sont d’accord – sont des problèmes internationaux.

M. Jérôme JESSEL : Dus au fait que les agents sont payés par les clubs !

M. Philippe FLAVIER : Ce sont des problèmes internationaux et c’est cela l’essentiel.

M. Jérôme JESSEL : Non !

M. Philippe FLAVIER : Ne faites pas porter aux agents européens et français un chapeau trop grand pour eux. La FIFA devrait s’attacher à harmoniser la profession. En France, les agents n’ont pas le droit d’être propriétaires de joueurs et nous ne le voulons surtout pas, mais les Brésiliens et les Suisses le peuvent : comment une même profession peut-elle ne pas avoir les mêmes règles dans un système mondialisé ? Que la FIFA fasse en sorte que le Brésil et la Suisse ne l’autorisent plus, mais qu’on n’aille pas nous reprocher des dérives dont nous ne sommes pas responsables ! Les dérives sont essentiellement liées aux transferts internationaux avec des pays où les agents peuvent être propriétaires. Cela ne me concerne pas, et je vous demande de faire en sorte que cela n’existe pas ; or cela relève des instances internationales. Mais, de grâce, n’allez pas imputer ces affaires au fonctionnement des agents français en France !

M. le Président : Ce n’est pas la philosophie de cette mission.

M. Philippe FLAVIER : Tout le monde ne fait pas cette distinction ; pour beaucoup, un agent est un agent. Ce qui nous importe, c’est que l’on puisse travailler en France dans la transparence, sans affaires, et que l’on règle les problèmes internationaux. Nous sommes prêts à y participer, dans la mesure de nos moyens.

M. François RAUD : Les agents ne sont pas responsables de tous les maux, nous en sommes bien d’accord.

M. Bertrand CAULY : Peut-être suis-je naïf, mais je crois savoir que le ministère des sports a donné délégation à la Fédération française de football (FFF), qui elle-même la donne à la Ligue de football professionnel… Jusqu’à preuve du contraire, c’est la FFF qui s’occupe – pour faire simple – des agents, et c’est la Ligue qui a produit un livre blanc, à l’origine des tentatives observées depuis deux ans. Comment le ministère et la fédération jugent-ils cette situation ? Je lis dans la synthèse du schéma proposé à l’annexe III du livre blanc : « 2. L’agent transmet le contrat de mandat à la FFF (ou à la LFP) » Mais dans tout ce qui suit, il n’est plus fait mention que de la LFP ; la FFF a disparu. Est-ce un oubli ?

Il est clair que le contrôle a failli. Pour notre part, nous souhaiterions qu’une autorité administrative indépendante s’occupe des agents, et non plus la FFF ni la LFP.

M. Patrick MENDELEWITSCH : Si les juristes ont pour mission d’organiser le doute en termes de droit, ils y ont parfaitement réussi… Ainsi M. Rizzo, en préambule de son intervention, a affirmé, non sans raison, que l’agent n’était pas un mandataire, mais un courtier. De là procède tout ce à quoi nous assistons : le courtier intervient tantôt en faveur du joueur, tantôt en faveur du club, tantôt en faveur des deux, et, de fil en aiguille, on en arrive à la situation telle que rapportée par l’actualité.

Quelqu’un a dit que la situation était finalement assez simple ; effectivement, elle l’est. Lors d’une réunion de la commission des agents de joueurs à laquelle j’avais été convié, j’avais soulevé en présence de M. Drouvroy un point à mes yeux enfantin : le joueur qui aurait lui-même payé sa commission – comme le font tous ceux dont je m’occupe – a parfaitement la possibilité, sans qu’il soit besoin de réécrire le code général des impôts, de la déduire au titre des frais professionnels.

M. Philippe PIAT : Tout à fait !

M. Patrick MENDELEWITSCH : La commission payée à l’agent répond exactement, pour un joueur, à la définition des frais professionnels où elle représente d’ailleurs le poste de dépense le plus important. Or le code général des impôts autorise d’ores et déjà la déduction des frais professionnels supportés par les joueurs, pour peu qu’ils veuillent le faire. Pourquoi échafauder des pistes de recherche et multiplier les rustines, alors que l’on a déjà les solutions sous les yeux ?

M. Philippe FLAVIER : Et le contrôle ?

M. Bernard GARDON : Parmi les deux cas de joueurs ayant eux-mêmes rémunéré leur agent, que M. Flavier ne juge pas intéressants…

M. Philippe FLAVIER : Pas significatifs.

M. Bernard GARDON : … prenons celui de Matthieu Delpierre, parti de Lille pour Stuttgart. Il nous a payé une commission de 125 000 euros ; comme il partait à l’étranger, nous lui avons fait un quitus fiscal, avec un contrôle, et nous sommes arrivés exactement au même résultat, sans aucun problème.

M. Patrick MENDELEWITSCH : M. Drouvroy connaît parfaitement cette problématique depuis au moins deux ans et demi, lorsque nous nous sommes rencontrés pour la première fois en commission des agents de joueurs. Autrement dit, la solution est facile à trouver.

Tous ceux qui se posent la question à partir d’une approche, non pas bureaucratique au sens de Max Weber, mais de la déviance, du manquement, arrivent tous à la même conclusion : il faut que le joueur paye son agent. On parle des artistes de variétés, pourquoi pas ? Mais imaginez la tête que ferait un plaignant au tribunal si l’avocat de la partie adverse venait lui dire, peu de temps avant l’audience : « Ne te fais pas de souci pour les honoraires, c’est nous qui les payons ! » C’est du simple bon sens…

Personne n’a encore parlé du contrôle très serré diligenté par la première ligue anglaise : s’il n’a pas donné lieu à des découvertes spectaculaires, il s’est accompagné de préconisations très précises, sans l’ombre d’une ambiguïté – et pourtant, on sait combien la langue anglaise s’y prête. Les agents de la société Quest, qui ne sont pas des praticiens du droit, mais des spécialistes de l’investigation, sont arrivés à la conclusion que non seulement le joueur devait impérativement payer son agent, mais que le club ne devait pas interférer dans la négociation.

M. le Président : À ceci près que ce n’est pas davantage l’usage en Angleterre…

M. Patrick MENDELEWITSCH : Je parle de ce qu’ils préconisent ; sur le constat, vous avez parfaitement raison.

M. François RAUD : On se demande pourquoi les clubs tiennent absolument à payer les agents alors que personne ne les y oblige…

M. Patrick MENDELEWITSCH : Pourquoi donc se battent-ils bec et ongles pour le faire ? Sur le plan économique, alors que l’on nous ressert immanquablement le doux refrain des charges sociales, le moins cher pour eux serait de ne rien payer du tout en laissant le joueur s’acquitter de ce qu’il doit moyennant quitus fiscal… Ce qui peut être strictement transparent. Répéter que c’est impossible ou organiser le doute juridique autour d’une problématique philosophique équivaut à peu près à se demander si, tous comptes faits, le permis de conduire est véritablement obligatoire, et pourquoi on s’échine à le passer !

M. Christophe DROUVROY : Il m’arrive souvent de me retrouver face à des enquêteurs des forces de l’ordre étonnés de me voir disposer seulement des pièces que les agents sont tenus de nous transmettre en application de la loi, alors qu’eux ont pu récupérer force documents au cours de leurs perquisitions… Si faillite il y a dans le contrôle, encore faut-il la rapporter aux compétences légales qui nous sont attribuées ! Tout notre système repose exclusivement sur des déclarations et la fédération n’a pas les moyens d’investiguer ni de lancer des commissions rogatoires au niveau international.

M. le Président : Nous l’avons bien compris ; mais il doit être possible, en interne, de mettre un dispositif en place afin d’avoir les vraies pièces du dossier.

M. Christophe DROUVROY : Encore faut-il qu’elles existent matériellement… C’est tout le débat.

M. le Président : Et c’est toute l’amélioration qu’il faut apporter au système !

M. Alain NÉRI : Un agent est venu nous expliquer très doctement qu’il avait sous sa responsabilité une quinzaine de joueurs, et non des moindres, de l’équipe de France, sans le moindre contrat écrit ! Ou je ne comprends pas bien, ou je ne comprends que trop… Je souhaite qu’il n’en soit plus ainsi, et que l’on pose des règles simples : M. X a un contrat avec M. Y, signé et déposé à l’avance !

M. Christophe DROUVROY : Je vous renvoie le ballon : pourquoi le législateur ne déciderait-il pas qu’il ne peut y avoir que des agents de joueurs, rémunérés par les seuls joueurs, point final ? La loi ne le dit pas et vous pourriez la modifier dans ce sens. Il n’y aurait plus aucune ambiguïté.

M. Alain NÉRI : C’est précisément l’objet de nos discussions.

M. Christophe DROUVROY : Je vous indique enfin que la fédération soutient totalement l’idée d’un organe de contrôle proposé par la ligue. Nous travaillons ensemble au sein de la commission des agents et nous sommes en relation constante.

M. Philippe DIALLO : Plusieurs intervenants ont stigmatisé une « faillite » des instances dans leur rôle de contrôle. Je suis ouvert à toute proposition de nature à améliorer le système. Certains prônent la création d’une agence indépendante des instances sportives. Pourquoi pas ? Nonobstant la question de l’autonomie du monde sportif qui se verra retirer une partie de ses prérogatives…

M. Alain NÉRI : C’est ce que nous avons fait pour le dopage !

M. Philippe DIALLO : Effectivement, et ce n’est pas le fond de l’affaire. Reste que cette agence indépendante aura essentiellement deux missions. Premièrement, exercer un contrôle juridique pour s’assurer que les acteurs – agents, clubs, joueurs – ont bien respecté la réglementation : cette mission est pour l’heure remplie par la ligue et la fédération, et contrôlée par plusieurs instances internes, sans à ma connaissance poser problème. Deuxièmement, exercer un contrôle financier ; mais s’il reste franco-français, qu’amènera-t-il de plus que celui de la DNCG ? S’il doit s’internationaliser, se posera inévitablement la question des moyens matériels et d’investigation, sachant que nous avons 40 % de joueurs étrangers : une agence indépendante est-elle capable d’être présente au Brésil, en Argentine, au Mali ?

M. Alain VERNON : Oui !

M. Philippe DIALLO : Comprenez que je veuille savoir comment tout cela fonctionnera ! Les pouvoirs publics et la Justice eux-mêmes ont le plus grand mal à assurer et contrôler la traçabilité financière des mouvements incriminés ; quelle garantie de moyens et de résultat pourrait apporter une agence indépendante par rapport au système en place ?

M. Philippe FLAVIER : On se retrouve toujours face au même problème : si le point B, où va l’argent, est situé au Brésil et que la législation brésilienne y autorise à en faire ce qu’on veut, vous aurez « tracé », mais sans rien empêcher pour autant.

M. Bertrand CAULY : Vous aurez empêché des prises d’intérêt potentielles.

M. le Président : Si déjà l’on pouvait résoudre une partie des problèmes français et, dans un deuxième temps, européens, une bonne part des difficultés seraient réglées…

M. Jean-Michel MARMAYOU : Premièrement, le droit fédératif, les procès en cours le montrent, pose effectivement une série de problèmes. Ce droit sur le joueur appartient non pas à un club, mais à une société, éventuellement off shore, autrement dit installée dans un pays à faible pression fiscale. La question est de savoir comment une instance française, fédération ou ligue, pourrait interdire le paiement de droits fédératifs à ce type de société, sachant que la pratique est légale en Amérique du Sud, mais également en Europe, au Portugal notamment, et qu’ils peuvent quelquefois être vendus aux enchères… Comment une fédération française, même avec une délégation de service public, peut-elle ne pas reconnaître cette réalité ? Sur quel fondement une instance de contrôle au sein de la ligue pourrait-elle refuser de payer ? De quelle compétence pourrait-elle se prévaloir ? Est-ce à dire que l’État français ne reconnaît pas le droit brésilien ? Les droits brésiliens et les droits français s’appliquent, se combinent en vertu d’une série de règles ; mais l’État français ne saurait balayer d’un revers de main un mécanisme juridique en vigueur dans un autre pays, et la FIFA encore moins.

Deuxièmement, on a cité des cas de joueurs payant eux-mêmes leur agent, mais je ne suis pas certain que ces exemples concernent des joueurs en situation de force sur le marché. Qu’il s’agisse de sport ou d’emploi, un intervenant en situation de force sur un marché donné y impose sa volonté. Si un joueur professionnel en situation de force n’a pas envie de payer son agent, il ne le paie pas.

M. Bernard GARDON : Contre la loi…

M. Alain NÉRI : Autrement dit, il ne respecte pas la loi !

M. Philippe PIAT : Ni le contrat qu’il a signé !

M. Alain NÉRI : Vous acceptez qu’on ne vous paie pas, vous ?

M. Philippe PIAT : Et le club qui accepte de payer est complice !

M. Jean-Michel MARMAYOU : Je n’accepte pas qu’on n’applique pas la loi : je me pose seulement la question de savoir pourquoi.

Qui a intérêt à ce que la loi actuelle soit contournée ? Il suffit de faire un calcul, mais tous ceux qui ont été faits jusqu’à présent n’ont pas été menés au bout. Le joueur y a un intérêt : il ne se sent pas concerné, et même s’il l’est, il ne veut pas que cela diminue son revenu net.

M. Patrick MENDELEWITSCH et M. François RAUD : Relisez le code général des impôts !

M. Jean-Michel MARMAYOU : Laissez-moi vous expliquer. Dans la réalité, un joueur qui a décidé de raisonner en « net-net »…

M. Alain VERNON : Mais c’est hallucinant !

M. Alain NÉRI : Personne n’est jamais content de payer, c’est connu ! Demain, ce joueur réclamera que l’on paie ses impôts ! C’est inconcevable !

M. le Président : Allons ! Laissez M. Marmayou achever son propos.

M. Jean-Michel MARMAYOU : C’est contraire à la loi, mais c’est un fait : un joueur en situation de force sur le marché a décidé de ne pas supporter économiquement le coût de son agent. Que dit-il au club ? « J’ai exigé une rémunération nette de 100. La commission de mon agent représente 10 ; donnez-moi donc 10 de plus. » Mais en fait, ce n’est pas 10 de plus que le club devra payer. Il va falloir intégrer…

M. Patrick MENDELEWITSCH : Ça, c’est autre chose !

M. Alain NÉRI : C’est exactement ce qui a donné l’affaire de l’AS Saint-Étienne !

M. Jean-Michel MARMAYOU : Je la connais par cœur. Mais il faut avoir les tenants et les aboutissants, et les intérêts qu’y ont tous les acteurs…

M. Alain NÉRI : Je ne peux pas accepter cela !

M. Jean-Michel MARMAYOU : Le joueur qui raisonne ainsi est peut-être un enfant mais le problème est qu’il est en position de force. Il réclame au club un supplément pour son agent ; mais pour le club, ce supplément est chargé… Tant et si bien que cette commission de 10, compte tenu des charges sociales et fiscales, se retrouve au bout du compte à coûter 40 ou 50.

M. le Président : Cela, on a compris. C’est effectivement un problème majeur.

M. Jean-Michel MARMAYOU : Tout le monde a un intérêt économique à ce mécanisme, à commencer évidemment par le club et le joueur. Le moins intéressé, c’est l’agent ; or c’est précisément à lui qu’on s’adresse…

Examinons maintenant les circuits financiers sur les contrats et les transferts internationaux…

M. Alain VERNON : Parlez une minute trente, comme tout le monde !

M. Jean-Michel MARMAYOU : On nous a demandé de venir faire une synthèse…

M. Alain VERNON : Précisément, une synthèse !

M. Jean-Michel MARMAYOU : Je renonce à poursuivre…

M. Alain VERNON : À la télévision, on a l’habitude de faire court… Premièrement, comment les instances françaises peuvent-elles laisser des transferts franco-français se faire avec des agents étrangers et dans des banques étrangères, alors qu’ils devraient normalement être invalidés ? Deuxièmement, pourquoi le foot est-il devenu un véritable commerce de « viande sur pied », pourquoi les clubs ont-ils intérêt à continuer à payer les agents, et plus que la loi ne les y autorise ? Parce qu’il y a désormais 3 500 transferts par mercato dans le monde, auxquels il faut ajouter 900 Brésiliens, et que l’explosion du système profite à certaines personnes. Si vous voulez empêcher la corruption internationale continue dans le football, il n’y a qu’une chose à faire : interdire ce que certains ici s’évertuent à défendre bec et ongles, c’est-à-dire le paiement des agents par les clubs !

M. Patrick MENDELEWITSCH : Je n’ai pas compris la remarque de M. Marmayou sur le « net-net », puisque j’y avais répondu par avance : si les clubs voulaient économiser de l’argent, ce qui est parfaitement légitime, ils ne surpaieraient pas les joueurs lors des transferts internationaux, comme l’actualité nous l’a montré à Marseille et ailleurs… L’argument de l’intérêt économique des clubs ne tient pas.

M. le Président : On parle toujours des clubs les plus riches. Gardons-nous de nous focaliser sur dix clubs français ou européens. 80 % des flux financiers en Europe sont supportés par une cinquantaine de clubs…

M. François RAUD : Dont beaucoup appliquent la loi.

M. le Président : La loi doit aussi régler le problème du plus grand nombre.

M. Patrick MENDELEWITSCH : Justement. Indépendamment de son côté économiquement discutable, la situation actuelle a surtout créé, de fait, une iniquité entre les clubs. Quand la DNCG nous dit ne pas avoir de moyens d’investigation et que sa mission fondamentale est de veiller au respect de l’équité de la compétition, c’est de la foutaise ! Sa défaillance au niveau du contrôle revient à favoriser objectivement les clubs les plus importants, capables de mettre au point des mécaniques astucieuses dans le cadre de transferts internationaux, ce que les clubs franco-français qui s’efforcent d’appliquer la loi ne peuvent évidemment pas faire.

M. Philippe PIAT : La réalité économique n’est pas celle que nous croyons. Quand ce sont les clubs qui paient, les sommes versées aux agents sont très importantes. Quand c’est un joueur, 50 000, 100 000 euros, peut-être, mais jamais la commission n’atteindra 1 ou 2 millions d’euros ! L’argument des charges sociales avancé par les clubs n’est qu’une illusion. Lorsque les joueurs seront amenés à payer, ils paieront, mais beaucoup moins. Et même si, d’aventure, les clubs étaient amenés à payer quelque chose, ils verseraient des sommes nettement inférieures à celles que l’on nous expose aujourd’hui.

Je suis étonné que M. Marmayou, dans son étude des droits fédératifs, n’ait pas étendu son analyse au système des transferts, tout aussi illégal en droit français. Normalement, lorsqu’un différend survient entre un employeur et un employé, il se règle entre les deux parties, éventuellement devant les prud’hommes, voire une cour d’appel ; mais jamais un tiers employeur ne vient débaucher pour payer le rachat du contrat ! Or c’est précisément ainsi que fonctionne aujourd’hui le système des transferts.

M. Jean-Michel MARMAYOU : Pas du tout ! Pour commencer, le droit français est muet sur la notion de transfert, ce qui ne veut pas dire qu’il l’interdit. Ensuite, un transfert n’est pas le règlement d’un différend entre un club et un joueur, où un tiers interviendrait, mais un accord tripartite…

M. Philippe PIAT : Non, c’est une rupture de contrat.

M. Jean-Michel MARMAYOU : Cela fait des années qu’on ne l’analyse plus ainsi ! Cela n’est pas une rupture conflictuelle, mais un accord entre trois où l’une des parties décide de quitter la deuxième pour rejoindre la troisième.

M. Alain NÉRI : J’ai tout de même quelques souvenirs… Autrefois, les joueurs professionnels étaient liés à leur club par un contrat à durée indéterminée – en fait, en situation de véritable esclavage. Par la suite a été mis en place le contrat à temps, dans lequel le joueur s’engageait pour quatre ans, par exemple, à l’issue desquelles il était libre de s’en aller où il voulait sans avoir à verser d’indemnité au club propriétaire du contrat. Le transfert avec paiement d’une indemnité n’intervenait qu’en cas d’interruption du contrat ; autrement dit, le transfert n’était rien d’autre qu’un dédommagement pour rupture de contrat.

M. Philippe PIAT : Versé par le « fautif » à l’origine de la rupture.

M. Alain NÉRI : Il suffit de déterminer les raisons qui ont amené à interrompre le contrat pour savoir qui indemnise.

M. Philippe PIAT : Exactement !

M. Alain NÉRI : Cela paraîtra peut-être d’une naïveté biblique, mais également d’une simplicité qui pourrait résoudre bien des problèmes ! Au demeurant, nous ne sommes pas aussi naïfs que l’on veut bien le faire croire : lorsqu’un joueur arrive en fin d’un contrat que l’on prolonge artificiellement pour justifier d’une rupture et récupérer des sommes importantes, c’est nous prendre pour des imbéciles ! Si nous sommes ici aujourd’hui, c’est bien pour réfléchir en commun et voir comment, par la loi, éviter ces dérives inacceptables.

M. Henri NAYROU : Potentiellement illégal, le système des transferts pourrait être contesté devant les tribunaux. Le Parlement européen a déjà émis des critiques sur les indemnités de transfert ; peut-être M. Bennahmias y reviendra-t-il ? Au demeurant, les transferts ne posent aucun problème de traçabilité : il est facile de retrouver ceux qui ont des contrats ad vitam aeternam comme ceux qui, un an après avoir signé, changent de club au motif que le climat ne leur convient pas…

M. Alain NÉRI : Sans même attendre le mercato d’hiver !

M. Henri NAYROU : … ou que leur épouse se plaint de ne pas trouver de magasins convenables ! Nous sommes là au cœur du problème et, hélas ! de la chronique des faits divers…

M. Jean-Luc BENNAHMIAS : Précisons que je ne suis qu’un des auteurs du rapport adopté par le Parlement européen : nous étions un Allemand, un Néerlandais, un Irlandais, un Belge flamand et un Français, cinq députés de formations très diverses, soucieux de parvenir à un consensus a minima. Je ne remets pas en cause le travail de la DNCG ; je sais qu’elle exerce en France un travail de contrôle financier que, là encore, j’appellerai a minima, sans aucun esprit péjoratif : c’est nettement mieux que dans les pays de l’Union où l’on ne fait rien du tout, mais cela ne suffit pas pour autant.

Certains s’inquiètent. Au moment de la création de l’AMA, cela a été la même chose : les ligues, les fédérations, le Comité international olympique (CIO), tout le monde voulait la prendre en charge. Nous avons réussi à mettre au point un montage qui mette ensemble toute une série de structures, capable de commencer à contrôler le dopage généralisé qui sévit dans le sport moderne. Et cela marche – par sur tout, mais cela marche. Où est le risque ?

M. Philippe DIALLO : Je ne m’inquiète pas du risque, je voudrais seulement que l’on m’explique comment cela fonctionne…

M. Alain VERNON : Ne vous inquiétez pas pour cela !

M. Philippe DIALLO : Je n’ai aucune inquiétude.

M. Alain VERNON : J’en aurais à votre place !

M. Jean-Luc BENNAHMIAS : Si je devais en avoir, j’en aurais depuis très longtemps, et les députés nationaux en auraient tout autant que les députés européens. Ce que nous essayons de faire – et dans le cadre de l’Europe, c’est encore plus compliqué –, c’est de faire en sorte que ce que nous aimons dans le sport, et particulièrement le sport de haut niveau, continue à exister, et que l’on sorte de ces affaires à répétition. Or c’est loin d’être le cas, en Espagne notamment. Dois-je rappeler que la FIFA a été la dernière fédération sportive à entrer dans le cadre de l’Agence mondiale antidopage ? Il n’est pas question d’exclure telle ou telle structure du dispositif, mais un législateur ne peut accepter que l’une d’entre elle soit seule, et juge et partie dans le contrôle financier. Si toutes sont présentes, fédérations, ligues, experts indépendants, CIO, etc., tout ira bien ; les ligues comme l’UEFA y seront de plain-pied, avec un droit de regard. Mais que l’une ou l’autre prétende à diriger le futur organisme, c’est impossible.

M. Philippe DIALLO : Je suis d’autant plus à l’aise que je crois avoir été l’un des premiers à avoir évoqué la création d’une instance indépendante de contrôle financier pour les trente-deux clubs de la ligue des champions, il y a six ou sept ans de cela. Reste que le monde n’est pas idéal : certains États, et bon nombre de fédérations, ne peuvent se prévaloir de l’encadrement juridique et législatif français, même si tout n’est pas parfait en France. D’où l’idée émise à l’époque, et suivie par l’UEFA, de commencer par contrôler les trente-deux clubs les plus puissants.

M. Alain VERNON : Je ne souhaite pas que ce soit le G14 qui s’en charge…

M. Philippe DIALLO : Pas du tout, reprenez mes propositions : prenez les trente-deux clubs qui font le marché, mettez en place un contrôle indépendant avec des personnalités reconnues, sans lien avec les instances du football, qui vérifieront, en reprenant du reste le travail de la DNCG en France, les trente-deux budgets en question. On se fera avoir la première année, un peu moins la deuxième et dès la troisième année, les choses seront cadrées… Voilà une proposition qui me semble aller dans le sens de la transparence et d’un véritable contrôle financier au niveau européen ; or l’Europe reste le continent le plus puissant en matière de football.

M. Alain VERNON : À entendre votre solution, c’est pour la semaine prochaine…

M. le Président : Excellente transition !

Mesdames, Messieurs, nous vous remercions pour cet échange parfois un peu vif – mais c’était le but de l’exercice. Nous vous invitons, si cela vous est possible, à nous retrouver mercredi prochain. D’autres intervenants seront également présents. Il ne sera pas question de reprendre le débat de fond, mais de réfléchir aux propositions.