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le 25 juin 2004

N° 1700

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 23 juin 2004.

PROJET DE LOI

relatif à la lutte contre les propos discriminatoires

à caractère sexiste ou homophobe

(Renvoyé à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale

de la République, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais

prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

PRÉSENTÉ

AU NOM DE M. JEAN-PIERRE RAFFARIN,

Premier ministre,

PAR M. Dominique PERBEN,

Garde des sceaux, ministre de la justice.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Les comportements discriminatoires constituent dans une société démocratique des atteintes qui ne sauraient être tolérées parce qu'elles mettent directement en cause la dignité de la personne humaine dans ce qu'elle a de plus sacré.

Les violences et les discriminations qu'ils génèrent entraînent des préjudices individuels conséquents avec un coût social non négligeable.

Des réformes récentes sont venues très sensiblement améliorer l'arsenal législatif permettant de sanctionner de telles atteintes. Ainsi, la loi du 3 février 2003 a créé pour de nombreuses infractions d'atteinte aux personnes ou aux biens, comme les violences volontaires et les destructions et dégradations, la circonstance aggravante de racisme.

De même, la loi du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure a créé, pour ces mêmes infractions, la circonstance aggravante d'homophobie.

Enfin, la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité a étendu les cas d'application des circonstances aggravantes de racisme ou d'homophobie à de nouvelles infractions (comme les menaces, les vols et les extorsions) et a porté de trois mois à un an le délai de prescription des délits prévus par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse en matière de racisme et d'antisémitisme.

Ces dispositions doivent toutefois être complétées afin de mieux réprimer, au delà des actes discriminatoires et violents, la diffusion de propos ou messages de même nature, qui présente en effet un caractère d'autant plus odieux que ces messages peuvent inciter à commettre de tels actes.

Or notre droit, en l'espèce la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, comporte à cet égard une évidente lacune.

En effet, la provocation à la discrimination, à la haine et à la violence, qui constitue évidemment l'infraction la plus grave, de même que les diffamations et les injures commises envers un groupe de personnes -et non envers une ou plusieurs personnes identifiées de façon individuelle- ne tombent aujourd'hui sous le coup de la loi que si elles présentent un caractère raciste ou antisémite.

Ainsi, des propos ou des messages provocateurs, diffamatoires ou injurieux concernant l'ensemble des homosexuels ne peuvent pas être actuellement réprimés, de même que des propos ou des messages qui provoqueraient à la discrimination ou à la violence sexiste.

Il est donc nécessaire, comme le Gouvernement s'y était engagé, de modifier la loi de 1881 au vu d'une réflexion approfondie réalisée à la fin de l'année 2003 et au début de l'année 2004 au sein d'un groupe de travail composé de représentants des différents ministères concernés qui a longuement auditionné, d'une part, les représentants de diverses associations de lutte contre les discriminations et, d'autre part, les représentants des organes de la presse écrite ou audiovisuelle.

Le présent projet de loi propose en conséquence de compléter à la fois l'article 24 de la loi de 1881 réprimant les provocations et les articles 32 et 33 réprimant les diffamations et injures publiques, tout en procédant aux coordinations législatives nécessitées par la réforme.

Pour le délit de provocation à la violence, à la haine ou à la discrimination, il est ainsi prévu de réprimer de la même manière que les provocations racistes ou antisémites, les provocations commises soit à raison du sexe de la victime, soit à raison de son orientation sexuelle (article 1er).

Les peines encourues seront alors d'un an d'emprisonnement et de 45 000 € d'amende. La peine d'affichage ou de diffusion de la condamnation pourra être prononcée, de même que la peine d'interdiction des droits civiques (sauf à l'égard des responsables des entreprises de presse écrite ou audiovisuelle, une telle exception étant déjà prévue en matière de racisme ou d'antisémitisme).

Pour les diffamations et injures publiques, est ajoutée la circonstance d'homophobie qui aura ainsi les mêmes effets que la circonstance de racisme ou d'antisémitisme en permettant (articles 2 et 3) :

- de réprimer plus sévèrement les diffamations et les injures commises envers un personne en raison de son orientation sexuelle (un an d'emprisonnement et 45 000 € d'amende ou six mois d'emprisonnement et 22 500 € d'amende, au lieu d'une simple peine d'amende de 12 000 €) ;

- de réprimer des mêmes peines les diffamations et injures homophobes adressées à un groupe de personnes non déterminées.

Les diffamations et injures sexistes continueront évidemment de tomber sous le coup des diffamations et injures de droit commun afin de permettre la conciliation entre le principe constitutionnel de la liberté d'expression et les nécessités de la lutte contre les discriminations.

Il importe à cet égard de souligner que le Gouvernement a en effet engagé depuis deux ans un dialogue avec le monde de la presse qui s'est concrétisé par la signature d'un protocole d'accord avec le Bureau de vérification de la publicité, axé sur l'autodiscipline des professionnels et qui donne des résultats positifs.

Ces différents délits pourront être poursuivis à l'initiative du parquet et des associations de lutte contre les discriminations homophobes ou fondées sur le sexe ou de lutte contre les violences faites aux femmes, et leur prescription sera d'un an, comme en matière de racisme (articles 4, 5 et 6).

PROJET DE LOI

Le Premier ministre,

Sur le rapport du Garde des sceaux, ministre de la justice,

Vu l'article 39 de la Constitution,

Décrète :

Le présent projet de loi relatif à la lutte contre les propos discriminatoires à caractère sexiste ou homophobe, délibéré en Conseil des ministres après avis du Conseil d'Etat, sera présenté à l'Assemblée nationale par le Garde des sceaux, ministre de la justice, qui est chargé d'en exposer les motifs et d'en soutenir la discussion.

Article 1er

Il est inséré, après le huitième alinéa de l'article 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, un alinéa ainsi rédigé :

« Seront punis des peines prévues à l'alinéa précédent ceux qui, par ces mêmes moyens, auront provoqué à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur sexe ou de leur orientation sexuelle. »

Article 2

Il est inséré, après le deuxième alinéa de l'article 32 de la loi précitée, un alinéa ainsi rédigé :

« Sera punie des peines prévues à l'alinéa précédent la diffamation commise par les mêmes moyens envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur orientation sexuelle. »

Article 3

Il est inséré, après le troisième alinéa de l'article 33 de la loi précitée, un alinéa ainsi rédigé :

« Sera punie des peines prévues à l'alinéa précédent l'injure commise dans les mêmes conditions envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur orientation sexuelle. »

Article 4

La deuxième phrase du 6° de l'article 48 de la loi précitée est ainsi rédigée :

« Toutefois, la poursuite pourra être exercée d'office par le ministère public dans les cas prévus par le deuxième et le troisième alinéas de l'article 32 et par le troisième et le quatrième alinéas de l'article 33. »

Article 5

Il est inséré, après l'article 48-3 de la loi précitée, deux articles ainsi rédigés :

« Art. 48-4.- Toute association, régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans à la date des faits, se proposant, par ses statuts, de combattre les discriminations fondées sur l'orientation sexuelle ou d'assister les victimes de ces discriminations peut exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les délits prévus par le neuvième alinéa de l'article 24, le troisième alinéa de l'article 32 et le quatrième alinéa de l'article 33.

« Toutefois, quand l'infraction aura été commise envers des personnes considérées individuellement, l'association ne sera recevable dans son action que si elle justifie avoir reçu l'accord de ces personnes.

« Art. 48-5.- Toute association, régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans à la date des faits, se proposant, par ses statuts, de combattre les violences ou les discriminations fondées sur le sexe ou d'assister les victimes de ces discriminations peut exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne le délit prévu par le neuvième alinéa de l'article 24.

« Toutefois, quand l'infraction aura été commise envers des personnes considérées individuellement, l'association ne sera recevable dans son action que si elle justifie avoir reçu l'accord de ces personnes. »

Article 6

I.- Au dixième alinéa de l'article 24, au troisième alinéa de l'article 32 et au quatrième alinéa de l'article 33 de la loi précitée, les mots : « par l'alinéa précédent » sont remplacés par les mots : « par les deux alinéas précédents »

II.- Au premier alinéa de l'article 63 de la loi précitée, les mots : « alinéa 5 », « alinéa 2 » et « alinéa 3 » sont respectivement remplacés par les mots : « alinéas 8 et 9 », « alinéas 2 et 3 » et « alinéas 3 et 4 ».

III.- A l'article 65-3 de la même loi, les mots : « le huitième alinéa », « le deuxième alinéa » et « le troisième alinéa » sont respectivement remplacés par les mots : « le huitième et le neuvième alinéas », « le deuxième et le troisième alinéas » et « le troisième et le quatrième alinéas ».

Article 7

La présente loi est applicable en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française, dans les îles Wallis et Futuna et dans les Terres australes et antarctiques françaises.

Fait à Paris, le 23 juin 2003.

Signé : JEAN-PIERRE RAFFARIN

Par le Premier ministre :

Le Garde des sceaux, ministre de la justice,

Signé : DOMINIQUE PERBEN

N° 1700 - Projet de loi relatif à la lutte contre les propos discriminatoires à caractère sexiste ou homophobe


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