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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

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DIXIÈME SESSION

DE LA GRANDE COMMISSION PARLEMENTAIRE

FRANCE-RUSSIE

Paris, 13-15 mai 2004

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SOMMAIRE

Allocution de M. Boris gryzlov, Président de la Douma d'état 5

Allocution de M. Jean-Louis Debré, Président de l'Assemblée nationale 11

_ Premier thème : Le rôle des parlements dans la lutte contre le terrorisme 17

_ Deuxième thème : La possible participation de la Russie à la politique européenne de sécurité et de défense (PESD) 31

_ Troisième thème : L'élargissement de l'Union européenne à dix nouveaux Etats membres et ses conséquences pour la Russie et la coopération européenne 45

ANNEXE : liste des participants à la dixième session de la Grande Commission parlementaire France-Russie 57

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Allocution de M. Boris gryzlov,
Président de la Douma d'état

Monsieur le Président de l'Assemblée nationale française,

Mesdames et Messieurs,

Chers collègues,

C'est pour moi un grand honneur que d'inaugurer aujourd'hui la dixième session de la Grande Commission parlementaire France-Russie. Nous sommes heureux d'accueillir nos hôtes français au sein de ce magnifique ensemble architectural du Palais Constantin, restauré et réouvert à l'occasion du tricentenaire de Saint-Pétersbourg dans le but d'y organiser d'importantes manifestations socio-politiques et de grandes rencontres internationales.

Cette session s'inscrit dans la continuité des contacts interparlementaires réguliers entre la Russie et la France, et du développement des accords obtenus dans le cadre de la dernière rencontre au sommet entre les Présidents V. V. Poutine et J. Chirac, le 3 avril de cette année.

Le climat propice de notre réunion s'explique avant tout par le caractère de partenariat privilégié des relations russo-françaises, fondé sur une coopération étroite tant sur la scène internationale que dans le règlement des questions bilatérales. Cette compréhension mutuelle repose sur un attachement commun à la primauté du droit international, ainsi qu'au rôle fondamental de l'ONU et de son Conseil de Sécurité dans la gestion des problèmes et conflits internationaux.

La composante interparlementaire représente un facteur majeur dans la conception des approches communes de la Russie et de la France sur le plan international. La contribution des députés russes et français dans la réalisation des missions de politique extérieure revêt une importance croissante.

L'ordre du jour proposé de la dixième session de la Grande Commission atteste la portée du dialogue interparlementaire actuel. Des thèmes tels que le rôle des parlements dans la lutte contre le terrorisme international, les conséquences de l'élargissement de l'Union européenne pour la Russie et la coopération européenne, la participation possible de la Russie à la mise en œuvre de la politique européenne de sécurité et de défense sont vraiment d'actualité.

Nous pouvons nous féliciter de constater qu'il existe, entre la Russie et la France, un haut degré de compréhension mutuelle s'agissant de la lutte contre les nouveaux défis et menaces, en premier lieu le terrorisme international. La vague d'actes terroristes dans les régions les plus diverses témoigne du fait qu'il ne subsiste pratiquement aucun endroit dans le monde qui ne soit concerné par le danger, réel ou potentiel, du terrorisme.

Nous partageons avec vous l'idée que le terrorisme ne peut bénéficier d'aucune justification, et qu'il convient de le combattre de manière cohérente et intransigeante. Si tous les États doivent s'impliquer dans cette lutte, ils ne sont pas les seuls. Il est également nécessaire d'exploiter activement le fort potentiel des instances de la société civile des différents pays. Ainsi que l'a souligné dans son discours, le 9 mai - jour de la commémoration de la Victoire de la Grande Guerre Patriotique -, le Président de la Fédération de Russie V. V. Poutine, la mission qui incombe à l'ensemble de la communauté mondiale est d'infliger une riposte méritée aux terroristes et de délivrer le monde de ce fléau.

Il n'est guère aisé de réévaluer le rôle des organes législatifs dans l'organisation d'une riposte efficace au terrorisme. Seul un travail des parlementaires, à la fois intense, pertinent et tenant compte de l'expérience mondiale dans sa totalité, est à même de garantir les efforts anti-terroristes de la communauté internationale par une base normative appropriée, un instrument juridique de répression des crimes terroristes opérant. Si cette base normative doit exclure toute possibilité d'aller au-delà du nécessaire dans la lutte contre le terrorisme, elle doit par ailleurs être en adéquation avec le niveau des menaces qui se manifestent.

Au sein de la Douma d'État, nous avons ces dernières années procédé à l'examen et l'adoption de toute une série d'initiatives législatives visant à accentuer la lutte contre le terrorisme international. En particulier, a été étoffée dans le cadre législatif la liste des actes de nature terroriste passibles de poursuites pénales sévères. Il y a un mois, les deux chambres du Parlement fédéral ont adopté une loi, déjà signée par le Président russe, qui prolonge le délai de notification de l'inculpation lors de l'instruction d'un certain nombre de crimes à caractère terroriste. En outre, les parlementaires de Russie ont ratifié les conventions internationales suivantes : Convention européenne pour la répression du terrorisme, Convention internationale pour la répression des actes terroristes à l'explosif, Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme, Convention relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime, Convention de Shanghai sur la lutte contre le terrorisme, le séparatisme et l'extrémisme. En mars de cette année, la Douma d'État a procédé à la ratification du Protocole d'Approbation des Dispositions relatives aux modalités d'organisation et de mise en œuvre des mesures anti-terroristes conjointes sur le territoire des pays membres de la Communauté des États Indépendants.

Nous voyons dans la coopération internationale et l'échange d'expériences innovantes entre les parlements nationaux le principal moyen d'éliminer les divergences d'interprétation dans les législations des différents États qui permettent aux terroristes et à leurs complices d'échapper au châtiment qu'ils méritent.

Les relations entre la Russie et l'Union européenne sont appelées à figurer au premier rang des thèmes de nos débats. C'est en particulier le cas des moyens d'application des décisions du sommet Union européenne - Russie, qui s'est déroulé en mai 2003 à Saint-Pétersbourg, relatives à la création de quatre espaces européens communs dans les domaines de l'économie et du commerce, de la sécurité intérieure et extérieure, de la liberté et la justice, de la science et de la culture. A la fin du mois dernier, a été signée, au Luxembourg, en séance du Conseil permanent de partenariat Russie - Union européenne une déclaration commune, qui fixe les obligations politiques de l'Union européenne visant à minimiser les répercussions négatives de son élargissement pour la Russie en matière d'échanges économiques et commerciaux. La Douma d'État a à sont tour adopté une déclaration sur l'élargissement de l'Union européenne. Globalement, les parlementaires russes entendent accorder à l'avenir une attention particulière au problème de l'élargissement de l'Union européenne du point de vue de la sauvegarde des intérêts économiques et politiques de la Russie.

Nous espérons que nos homologues français s'accorderont avec nous sur le fait qu'il convient, aux fins de conférer à la coopération Russie - Union européenne une qualité nouvelle, de mettre en place un dialogue égal et ouvert, et de développer et renouveler les mécanismes bilatéraux et multilatéraux de coopération conformément aux décisions du sommet de Saint-Pétersbourg et aux autres accords internationaux.

Je souhaiterais également mettre l'accent sur l'existence de perspectives significatives de développement des relations Russie - Union européenne en matière de mise en œuvre de la politique européenne de sécurité et de défense. Nous voyons de telles possibilités dans les domaines, entre autres, de l'intervention de crise, de la protection civile et de la liquidation des conséquences des catastrophes d'origine naturelle et technologique. Les parlementaires russes sont sur le point de créer, sur la base de la déclaration commune de Rome relative au renforcement du dialogue et de la coopération en matière de politique et de sécurité, la base normative de la coopération avec l'Union européenne dans ces domaines.

Outre l'ordre du jour proposé, nous sommes ouverts à l'examen de toutes autres questions d'actualité pour la Russie et la France, dont le règlement des situations de crise dans les différentes régions du monde.

Mesdames et Messieurs les participants,

Les relations russo-françaises ont pris cette année un nouvel élan. Le dialogue politique entre nos pays s'est considérablement intensifié. Les rencontres régulières, de haut niveau, ont aussi permis de conforter les tendances positives esquissées dans les relations économiques et commerciales. L'existence de projets à moyen terme prometteurs dans l'industrie aérospatiale et le secteur de l'énergie vient renforcer notre optimisme quant à l'évolution de l'ensemble du système de coopération économique bilatéral entre la Russie et la France.

Les relations entre les parlementaires russes et français font partie intégrante du système de coopération russo-français. Le calendrier chargé des contacts entre les représentants de l'Assemblée nationale et de la Douma d'État témoigne du potentiel important de la coopération bilatérale. Les parlementaires des deux pays peuvent faire beaucoup pour le développement harmonieux de la coopération non seulement interétatique, mais également interrégionale. Il existe en l'occurrence un potentiel non négligeable pour la consolidation des liens économiques et culturels, ainsi que pour la création d'un climat d'investissement favorable.

Permettez-moi d'exprimer ma conviction que la séance anniversaire de notre Commission nous offrira l'occasion de débattre le bilan d'une collaboration de dix années, mais aussi de tracer les perspectives réelles de coopération future des deux grands états européens que sont la Russie et la France.

Je voudrais en conclusion souhaiter à tous les participants à la dixième séance de la Grande Commission parlementaire France-Russie des travaux fructueux et constructifs.

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Allocution de M. Jean-Louis Debré,
Président de l'Assemblée nationale

Monsieur le Président,

Mesdames et Messieurs les Députés,

Je vous remercie de l'accueil très chaleureux que vous nous avez réservé ; nous y sommes particulièrement sensibles et je salue à mon tour les membres de votre délégation, tout particulièrement l'amabilité active de notre collègue Léonid Sloutsky. Je souhaite également vous dire combien nous apprécions de célébrer ensemble, dans cette ville somptueuse de Saint-Petersbourg, le dixième anniversaire de cette institution originale qui lie nos deux parlements. Voici dix ans en effet que la Chambre des députés russe et l'Assemblée nationale française décidaient de créer un cadre institutionnel pour échanger leurs analyses sur les grandes questions internationales et évoquer nos relations bilatérales ; nos deux assemblées apportent ainsi une contribution nécessaire, en s'appuyant sur des relations directes entre parlementaires russes et français, au développement croissant des relations que nos deux pays entretiennent directement et dans le cadre européen.

Depuis notre dernière réunion d'octobre 2003 à Paris, la Russie a connu deux échéances politiques majeures avec les élections législatives du 7 décembre suivies de l'élection présidentielle de mars de cette année. Permettez-moi, Monsieur le Président, de vous renouveler mes félicitations pour votre élection à la présidence de la Douma d'Etat le 29 décembre dernier.

Je souhaiterais ensuite vous présenter les députés membres de la délégation qui m'accompagne : Madame Hélène Mignon, vice-Présidente de l'Assemblée nationale, qui participe pour la première fois aux travaux de la Grande Commission ; M. René André, président du groupe d'amitié France-Russie et fidèle co-président délégué de la Grande Commission, dont il n'a pas manqué une seule réunion ; M. Jacques Brunhes, Secrétaire du Bureau de l'Assemblée ; M. Loïc Bouvard, vice-président du groupe d'amitié et membre de la délégation française à l'Assemblée parlementaire de l'OTAN ; M. Bernard Schreiner, président de la délégation française à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe ; M. Michel Voisin, président de la délégation française à l'Assemblée parlementaire de l'Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe ; M. Jean-Jacques Guillet, membre de la commission des Affaires étrangères ; M. Jean-Marie Geveaux, secrétaire parlementaire du groupe d'amitié et membre de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales ; M. Alain Marsaud, secrétaire de la Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République ; M. Thierry Mariani, vice-président du groupe d'amitié et membre de la délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne ; et M. Michel Lefait, vice-président du groupe d'amitié et membre de la commission des Finances.

Chacun d'entre eux pourra intervenir avec compétence et précision sur l'un ou l'autre des trois thèmes que nous avons choisis pour nos échanges de vues : la lutte contre le terrorisme international ; la Russie et l'Union européenne après l'élargissement ; la Russie et la politique européenne de sécurité et de défense. Trois thèmes qui ont en effet connu des développements significatifs depuis notre réunion d'octobre 2003 et sur lesquels je souhaiterais faire quelques remarques générales.

Le terrorisme international n'est pas un phénomène nouveau et, qu'il ait été d'inspiration idéologique, régionale ou religieuse, nombre de démocraties d'Europe y ont été confrontées il n'y a pas si longtemps et y ont survécu. Mais les évènements du 11 septembre lui ont donné une dimension tout à fait nouvelle et, après la Tunisie, Bali ou le Kenya, des évènements dramatiques récents : l'attaque du 6 février dans le métro de Moscou, les attentats du 11 mars à Madrid, qui apparaissent clairement comme une réplique du 11 septembre, les attaques terroristes récurrentes en Arabie Saoudite ou, il y a quelques jours, le violent attentat de Grozny, confirment que la menace reste générale et permanente.

Par leur ampleur, leurs objectifs et leur extrême médiatisation, ces actes, même s'ils sont le fait de groupes minoritaires, placent le terrorisme au coeur du débat politique et nous posent à tous des défis majeurs qu'il faut relever ; car ne pas y répondre serait admettre que la démocratie ne peut pas être protégée.

Je souhaite donc souligner la totale solidarité de la France avec les Etats victimes d'actes de terrorisme. Parce que nos valeurs fondamentales sont en cause, et parce que nous sommes directement concernés par la menace principale d'aujourd'hui, celle de l'islamisme radical, dont la France fut une des premières victimes au début des années 90 et dont les déclarations d'un des principaux responsables d'Al Qaïda nous rappelaient récemment la permanence. Pour autant, nous devons nous refuser à tout amalgame entre Islam et terrorisme, amalgame qui serait sans doute le meilleur service à rendre à l'islamisme radical et nourrirait ses visions apocalyptiques.

A ce fléau universel qui ne connaît aucune frontière, nous devons apporter une réponse globale fondée sur une coopération internationale aussi étroite que possible. La France y prend toute sa part et se félicite à cet égard de la qualité de la coopération que nos deux pays ont su développer entre polices et services spécialisés ; elle devrait franchir une nouvelle étape significative avec la première réunion, que nous espérons prochaine, du groupe de travail bilatéral constitué sous l'égide des deux ministères des affaires étrangères : nous en attendons de nouveaux progrès concrets de notre coopération dans ce domaine.

Toutefois, si la lutte contre le terrorisme repose avant tout sur l'efficacité des services de police et de renseignement et sur une coopération aussi étroite que possible, la réponse ne peut pas être exclusivement sécuritaire et répressive : il importe également de travailler à rendre plus efficaces nos politiques d'intégration, à réduire les inégalités entre le Nord et le Sud, à réduire les tensions politiques et les injustices qui nourrissent les violences, constituent une caisse de résonance pour les terroristes et leur donnent une base de recrutement. Il est clair en effet que le terrorisme prospère sur les crises régionales non résolues. De ce point de vue, il apparaît donc plus que jamais impératif de sortir de la situation de blocage que connaît le conflit israélo-palestinien et d'œuvrer à une restitution rapide de leur souveraineté aux Irakiens ; l'on peut avoir en effet aujourd'hui toutes les raisons de craindre que l'Irak ne devienne à son tour une base de recrutement et de départ du terrorisme international.

Dernier point, et qui nous concerne directement en tant que parlementaires, la lutte contre le terrorisme doit se faire dans le respect de l'Etat de droit. Nous sommes là au cœur d'un paradoxe : si les terroristes agissent hors des lois et ne respectent aucune des valeurs fondamentales qui fondent nos régimes démocratiques, c'est néanmoins dans le cadre démocratique que nous devons lutter contre eux. La réponse n'est donc pas facile, mais elle doit être positive. C'est là où nos parlements ont un rôle essentiel à jouer : nous devons veiller à ce que la lutte contre les terroristes n'aboutisse pas à la négation des libertés fondamentales sans lesquelles la démocratie ne saurait exister. Les démocraties ont été amenées à prendre, depuis le 11 septembre, des mesures énergiques de renforcement de leur sécurité intérieure et à accroître leur coopération. Ces mesures peuvent poser des interrogations en termes d'exercice des libertés individuelles et publiques. Des débats parlementaires approfondis sont donc nécessaires afin que l'opinion publique adhère à ces mesures exceptionnelles. Il est nécessaire que nos Parlements s'assurent que l'équilibre entre les impératifs d'ordre public et le maintien d'une société démocratique n'est pas rompu. Il est nécessaire qu'ils s'assurent de l'adéquation des mesures prises et contrôlent l'application qui en est faite. Il serait donc opportun d'échanger nos analyses et nos expériences sur ces questions, dont deux, me semble-t-il, devraient focaliser notre attention : les ramifications internationales de la mouvance islamiste radicale active en Asie centrale, et le problème de la lutte contre le financement du terrorisme notamment à travers les fonds caritatifs et les systèmes informels de transfert de fonds.

Les deux autres parties de notre ordre du jour ont l'Union européenne et la Russie pour thème.

De fait, l'Union européenne vient de connaître un développement majeur par son ampleur et par sa signification historique, l'élargissement avec l'entrée effective de dix nouveaux Etats membres le 1er mai.

Nous sommes tout à fait conscients que, de même que les précédents, ce nouvel élargissement a pu poser des problèmes d'ajustement entre l'Union européenne et ses partenaires, et plus spécifiquement avec la Russie ; nous savons que la Russie craignait des effets négatifs sur la liberté de circulation des biens, des personnes et des capitaux avec l'Union, et plus spécifiquement avec ses nouveaux membres.

Loin d'être indifférente à ces problèmes, la France avait au contraire souligné, par la voix du Président de la République, la nécessité de trouver des solutions tenant compte des intérêts légitimes de la Russie.

C'est donc un sujet de grande satisfaction que le Conseil de Partenariat permanent ait pu arrêter le 27 avril des solutions agréées en commun, qui ont permis l'adoption d'une déclaration conjointe sur l'élargissement et la signature du protocole d'extension de l'Accord de partenariat et de coopération de 1997, autorisant son application provisoire aux dix nouveaux Etats membres dès le 1er mai.

Plusieurs des points ainsi réglés étaient certes sensibles : nous nous félicitons qu'un compromis équilibré ait pu être trouvé qui préserve les intérêts légitimes des uns et des autres, respecte l'unicité de l'Union européenne, apporte des garanties aux Etats membres concernés et ouvre la voie à des relations apaisées entre l'Union et la Russie.

Il est donc souhaitable que ces textes fassent rapidement l'objet d'une approbation définitive pour passer de son application provisoire à son entrée en vigueur formelle et définitive.

Union européenne et Russie, nous sommes aujourd'hui des voisins directs : il faut désormais donner corps aux perspectives très favorables que la proximité géographique et d'intérêts nous offrent.

La très prochaine et importante échéance sera la réunion du Sommet Union européenne - Russie, qui doit se tenir la semaine prochaine à Moscou. Il aura pour objet de valider un plan d'action pour mettre en œuvre les quatre espaces communs choisis pour structurer le partenariat russo-européen lors du précédent Sommet tenu le 31 mai 2003 à Saint-Petersbourg. La France et l'Allemagne, vous le savez, ont fait des propositions à cet effet. Nous espérons donc que les grandes lignes des feuilles de route pour chacun de ces espaces pourront être arrêtées à cette occasion : nous Français sommes en effet convaincus que le Partenariat stratégique entre l'Union européenne et la Russie, qui s'est si courageusement engagée sur la voie de la réforme, de la modernisation et de la démocratie, est essentiel pour l'Europe, essentiel pour la Russie et essentiel pour l'équilibre et la stabilité dans le monde.

Nous devrions ainsi nous donner de meilleurs instruments pour accroître la coopération sur un sujet qui, je crois, vous tient à cœur, et qui concerne la politique européenne de sécurité et de défense. Celle-ci a connu en effet des progrès importants en 2003, c'est peut-être même l'un des domaines où la construction européenne a le plus progressé et pourrait encore progresser avec l'adoption du projet de traité constitutionnel actuellement négocié au sein de la Conférence intergouvernementale : en témoignent concrètement, entre autres exemples, les opérations intervenues en Afrique ou encore les missions conduites ou à venir dans les Balkans, en Macédoine et en Bosnie-Herzégovine.

Le champ des consultations et de la coopération devrait donc se développer et soyez sûrs que la France s'y emploie au sein de l'Union européenne.

Toutes ces questions devraient donner matière à des échanges fructueux entre nos deux délégations et nous permettre de mieux comprendre nos perceptions respectives. Il me reste donc, Monsieur le Président, à vous remercier de la qualité de votre accueil, au nom de l'ensemble de la délégation française et en mon nom personnel.

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_ Premier thème :

Le rôle des parlements dans la lutte
contre le terrorisme

M. Léonid SLOUTSKY, président du groupe d'amitié Russie-France, co-président délégué de la Grande Commission  : Je remercie nos deux présidents pour leurs interventions qui ont brillamment ouvert les travaux de la Grande Commission France-Russie.

La Grande Commission est une institution de coopération importante qui permet à la Douma et à l'Assemblée nationale d'entretenir un dialogue régulier sur les grands problèmes de la société internationale et qui a incontestablement permis, sur plusieurs questions, un rapprochement des points de vue et une meilleure compréhension de nos approches respectives. Cela a notamment été le cas en ce qui concerne le sujet qui nous occupe ce matin : la lutte contre le terrorisme.

M. René ANDRÉ, président du groupe d'amitié France-Russie, co-président délégué de la Grande Commission, vice-président de commission des affaires étrangères et de la délégation à l'Union européenne : Je tiens à remercier la délégation russe pour la qualité de son accueil. Cette réunion de la Grande Commission à Saint-Pétersbourg marquera incontestablement les esprits et les cœurs de ceux qui y auront participé.

Le programme de la journée étant particulièrement chargé avec trois thèmes importants : la lutte contre le terrorisme, les rapports entre la Russie et l'Union européenne et la politique de défense et de sécurité commune, il convient de commencer sans tarder nos travaux et d'entamer les discussions sur la lutte contre le terrorisme, sujet sur lequel le premier intervenant français est M. Alain Marsaud.

M. Alain MARSAUD, secrétaire de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République : Messieurs les Présidents de la Douma d'Etat et de l'Assemblée nationale française, Mesdames et Messieurs les Députés,

Depuis notre dernière rencontre, au sein de notre Grande Commission, à Paris, en Octobre 2003, je dois vous dire que j'ai beaucoup de plaisir à vous retrouver et je salue tous les Députés de la Douma qui nous ont rejoints depuis vos élections.

Le monde du terrorisme et de l'action violente a changé fondamentalement depuis le début de nos travaux, puisque la violence politique donne l'impression de s'exercer en tout lieu, elle n'est plus réservée à quelques zones géographiques que nous connaissions bien.

Le conflit Israël-Palestine n'est plus que l'un des éléments d'une violence planétaire.

Certains dans votre pays, mais aussi chez nous, réfutent le terme de choc des civilisations, mais j'ai l'impression, hélas qu'à force de refuser d'examiner ce phénomène, il ne fait que se renforcer.

Il ne faudrait pas qu'en réfutant, pour des raisons purement idéologiques le terme, on fasse le lit d'un affrontement futur.

Ce n'est pas l'opposition entre le monde occidental, voire le reste du monde et le monde islamique, c'est l'opposition entre nos formes de cultures politiques, démocratiques, économiques, sociales et une minorité qui les rejette en bloc.

Existe-t-il aujourd'hui une possibilité de sortir de ce qui risque d'être un affrontement, peut être plus violent, sur le plan idéologique au moins, que ne l'était la guerre froide.

Il nous faut à coup sûr nous préparer à faire face à des opérations qui ne seront plus de simples attentats par explosifs, même extrêmement violents, mais des opérations de masse, menées avec du chimique, peut-être du bactériologique, et sans doute un jour du sous-nucléaire.

Je pense que la prolifération de ce type d'armes est pour nous tous, pour vous Russes, comme pour nous Français, le problème numéro un qui nous arrive hélas parfois d'éluder par paresse intellectuelle ou peut être pire, par refus de voir la vérité.

Je puis vous révéler que nos services ont clairement identifié une série d'instructions en provenance d'Azerbaïdjan et de Géorgie et sur la zone du Caucase en général, ces instructions ont pour finalité de réaliser des attentats en matière chimique ou toxique, dans globalement trois pays d'Europe, l'Allemagne, la Grande-Bretagne et la France.

Les liens avec le réseau Al Qaïda sont établis puisqu'il est fait référence dans ces instructions à Abou Moussab Al Zarkaoui.

Il est vraisemblable que ce dernier a au moins quelques lieutenants sur la zone caucasienne.

On assiste à une montée en puissance des projets qui sont de plus en plus sophistiqués dans le domaine technique et on l'a bien vu d'ailleurs dans l'attentat commis contre le Président tchétchène et qui a causé d'importantes blessures sur des citoyens russes, puisqu'il s'agissait d'un engin intégré dans la construction et déclenché à distance sans doute par téléphone mobile. On peut dire que l'on assiste là à des opérations de « terrorisme préventif ».

Je peux vous confirmer qu'un réseau qui a été interpellé en France à Noël 2002 préparait bien un attentat contre votre ambassade à Paris.

Des interpellations ont encore eu lieu cette semaine au sein de cette organisation composée principalement de Maghrébins ayant transité par l'Afghanistan et le Caucase.

Notre parlement vient de voter la loi de ratification relative à la coopération policière entre la France et la Fédération de Russie dans le domaine de la sécurité intérieure et de la lutte contre la criminalité.

Le moment est peut être venu que nous nous inspirions de ce texte pour le transposer dans le domaine du terrorisme car il est vraisemblable que les menaces auxquelles nous avons à faire face sont de la même nature et que nos expériences méritent sans doute d'être mises en commun.

Le rôle de nos parlements au sein de cette Grande Commission est peut être l'occasion d'inciter nos deux gouvernements à engager ce type de réflexion d'autant qu'il semble y avoir urgence si on en croit l'actualité.

Le Parlement doit se sentir tout autant concerné par le phénomène du terrorisme, que le pouvoir exécutif. Cette activité, et le contre-terrorisme ne sont pas ou ne doivent pas être le privilège de l'exécutif.

Peut-être pourrions-nous, au sein de notre Grande Commission qui comprend de nombreux spécialistes de ces questions, constituer un groupe pilote qui servirait d'aiguillon voire d'inspirateur à nos gouvernements.

Cette passerelle de coopération reliant Paris à Moscou, jetée en quelque sorte sur l'Europe, dans son entier, serait le symbole de notre détermination à œuvrer pour la sécurité future de nos concitoyens.

M. René ANDRÉ : Cette proposition est intéressante.

M. Léonid SLOUTSKY : J'accepte cette proposition ; l'Assemblée nationale pourrait formuler un projet détaillé. Ce groupe pilote pourrait se réunir entre deux sessions de la Grande Commission.

Je passe la parole à Nikolaï Kovalev qui a été directeur des services fédéraux de sécurité avant d'être élu à la Douma et qui est maintenant président de la commission des vétérans.

M. Nikolaï KOVALEV, président de la commission des vétérans à la Douma : Notre rencontre ne peut être que chaleureuse si l'on considère tous les points communs entre nos deux pays. Nos drapeaux sont si semblables que j'ai eu du mal à trouver ma place à cette table... La France a souvent soutenu la Russie sur des questions clés ; par exemple, elle partage le point de vue de la Russie selon lequel le rôle de l'OTAN est désormais la lutte contre le terrorisme.

Je soutiens l'idée de la création d'un groupe pilote ; j'ai d'ailleurs fait une proposition semblable dans le passé. Il conviendrait de définir la composition de ce groupe.

Nous devons avoir une vision large de ce problème du terrorisme. Les démocraties ont commencé à prendre des mesures après le 11 septembre 2001, mais la Russie avait antérieurement formulé des mises en garde contre cet ennemi commun. Les experts fournissent des rapports épais dépourvus d'idées nouvelles et la multiplication des textes de loi n'a pas d'efficacité.

Sans solution pratique aux problèmes globaux, il n'y aura aucune solution satisfaisante au problème du terrorisme. La France et la Russie ont eu une position commune sur l'Irak et partagent la même conception quant au rôle du Conseil de sécurité avant tout recours à la force. Beaucoup de pays pensent également que l'hégémonie américaine pose de sérieux problèmes.

Au cours des dernières années, il y a eu beaucoup de discussions sur des concepts fondamentaux comme la définition du terrorisme. Le groupe pilote pourrait réfléchir à une définition commune.

Il conviendrait aussi d'être attentif à certaines évolutions. A propos des derniers attentats à Grozny, on a vu apparaître une nouvelle expression, celle d'attentat « ajourné ». En effet, les explosifs qui ont tué le président tchétchène ont été positionnés longtemps à l'avance. Le président tchétchène a décidé au tout dernier moment de se rendre dans ce stade où une bombe l'attendait depuis la construction de la tribune.

Je voudrais conclure par la présentation de quelques sujets sur lesquels nous pourrions avoir des échanges.

Il n'existe pas d'organisation qui lutte contre l'idéologie terroriste. Peut-être pourrait-on réfléchir à la création d'un mouvement international ?

L'indemnisation des victimes est très variable d'un pays à l'autre comme l'ont mis en évidence les attentats de Madrid.

Le terrorisme a, parmi ses objectifs, la déstabilisation du système financier international. Peut-être pourrait-on créer une organisation internationale ad hoc ?

L'extradition des membres d'une organisation terroriste n'est pas toujours possible lorsque des membres ont joué un rôle marginal. Ainsi, M. Ahmed Zakaiev a pris part à des attentats mais la Russie n'a pu obtenir son extradition. La création d'un tribunal indépendant chargé d'établir la responsabilité d'untel ou untel et de formuler des recommandations pourrait être une solution.

M. René ANDRÉ : Je constate que la création d'un groupe de travail fait l'objet d'un consensus. Je comprends le point de vue de M. Kovalev sur la nécessité d'une meilleure prévention et d'une plus grande répression. Cependant, prenons garde à ne pas prendre des mesures excessives, attentatoires aux droits de l'Homme, car elles nourriraient le terrorisme.

M. Jacques BRUNHES, Secrétaire du Bureau de l'Assemblée nationale  : L'idée d'un groupe de travail est intéressante mais, tout à l'heure, le Président Jean-louis Debré exposait qu'on ne pouvait traiter ce problème en termes exclusivement sécuritaires mais que l'on devait également prendre en compte la fracture entre les pays développés et les autres. Je partage entièrement ce point de vue. Le groupe de travail devra intégrer cette dimension sous peine de courir à l'échec.

M. Léonid SLOUTSKY : Votre remarque est tout à fait pertinente.

M. Nikolaï KOVALEV : Il faut en effet étudier cet aspect car il existe deux catégories de terroristes : les fanatiques qu'il faut exterminer et ceux qui peuvent être influencés par une approche prenant en compte les inégalités croissantes entre les peuples.

Nos relations avec la France sont précieuses ; elles ont d'ailleurs permis en Tchétchénie que des vies françaises soient sauvées par des Russes.

M. Thierry MARIANI, vice-président du groupe d'amitié France-Russie, membre de la délégation de l'assemblée nationale pour l'Union européenne : L'Assemblée nationale française n'intervient pas directement de manière importante en matière de lutte contre le terrorisme. Son rôle dans ce domaine n'est toutefois pas négligeable et s'exerce à travers les deux prérogatives parlementaires traditionnelles que sont le contrôle du gouvernement et le vote des lois.

S'agissant du contrôle du gouvernement, on peut relever que les questions relatives au terrorisme sont fréquentes. Cela a notamment été le cas récemment après l'expulsion du territoire français d'un immam exerçant à Vénissieux.

Mais l'activité de contrôle des députés ne se limite pas aux questions.

Ainsi, la commission de la défense a-t-elle adopté un rapport d'information de M. Pierre Lang sur le bioterrorisme qui a mis en évidence à la fois l'importance de la menace et le retard pris par notre pays dans la lutte contre ce phénomène.

En tant que rapporteur pour avis sur le budget de la sécurité civile, je ne peux que confirmer que les lacunes de la France dans ce secteur sont réelles. Un projet de loi sur la protection civile sera prochainement soumis à l'examen du parlement français et on ne peut que déplorer qu'il ne comporte aucune disposition concernant le terrorisme.

Pour en venir maintenant aux initiatives de l'Assemblée nationale découlant de sa fonction législative, il faut souligner que plusieurs modifications législatives ont abouti à ce que les personnes suspectées de terrorisme soient traitées plus sévèrement que les autres. Il en va notamment ainsi en matière de délais de garde à vue, de peines encourues et de pouvoirs d'investigation accordés aux enquêteurs. Ainsi, depuis septembre 2001, les policiers peuvent, dans le cadre d'enquêtes concernant le terrorisme, procéder à la fouille de véhicules privés, ce qui était jusqu'alors impossible.

Au-delà des mesures nationales, il me semble que les principales mesures de lutte contre le terrorisme doivent désormais concerner l'échelon européen, ne serait-ce que parce que les frontières sont largement ouvertes au sein de l'Union européenne.

Les questions de justice et d'affaires intérieures sont traitées par l'Union européenne depuis le sommet de Tampere en novembre 1999.

Deux grands domaines méritent, à ce niveau, de retenir notre attention.

D'une part, il convient de renforcer la coopération européenne en matière de contrôle des migrations. Plusieurs pistes pourraient être suivies et, en particulier, la généralisation de l'utilisation des éléments biométriques et la mise en commun des informations disponibles dans une base de données ouverte aux différents pays concernés.

D'autre part, il faudra savoir tirer parti de la mise en place d'un procureur européen. Les missions de ce dernier seront, dans un premier temps, limitées au fraudes dans le domaine communautaire mais il serait souhaitable d'étendre ses compétences en matière de terrorisme, ne serait-ce que pour faciliter les choses en matière d'extradition.

Les renforcements à venir de l'Union européenne doivent avant tout concerner les questions de sécurité. La lutte contre le terrorisme exige une action commune au niveau de l'Union européenne. Dans l'attente de progrès sur ce plan, le niveau national garde, bien entendu, toute son importance et, pour conclure, je voudrais répéter que la France a beaucoup de retard en matière de protection civile et doit déployer de nombreux efforts, ce qu'elle ne pourra véritablement faire que si une prise de conscience de la gravité des menaces pesant sur notre pays intervient.

M. Léonid SLOUTSKY : Je donne maintenant la parole à mon collègue Vladimir Vassiliev, ancien vice-ministre de l'intérieur et président de la commission pour la sécurité de la Douma.

M. Vladimir VASSILIEV, ancien vice ministre de l'Intérieur, président de la Commission pour la sécurité : Je tiens à indiquer pour commencer que les échanges entre les délégations russes et françaises ont débuté dès hier, lors du dîner organisé par M. Boris Gryzlov.

Les conversations que j'ai pu avoir à cette occasion montrent que nous sommes assez proches dans la formulation des problèmes. Il est évident que les événements en Irak, dans les Balkans ou en Tchétchénie retiennent notre attention et appellent de nombreuses interrogations.

Il m'apparaît également que la médiatisation croissante du terrorisme mérite d'être examinée car les médias grossissent beaucoup l'importance de certains événements et les journalistes déforment souvent l'avis des politiques.

Aujourd'hui on ne peut que constater que la menace terroriste augmente, que de nouveaux problèmes apparaissent, notamment en Irak où les « non-succès » des Etats-Unis sont à la source de nombreuses difficultés. Les récents attentats de Madrid ont également montré comment le terrorisme peut chercher à peser sur les démocraties.

Face à ces constats, que pouvons-nous faire ? Il me semble que notre première responsabilité à nous parlementaires est d'agir à travers la législation. Sur ce plan, nous avons regardé avec beaucoup d'attention la législation française qui comporte beaucoup d'éléments intéressants et, notamment, la gradation des mesures prévues dans le cadre du plan Vigipirate en fonction de l'intensité des menaces et les dispositifs d'indemnisation des victimes.

De l'examen de la situation française, je retiens également qu'à côté du pouvoir exécutif, la société civile, qui est en train de s'affirmer en Russie, a un grand rôle à jouer.

Sur un plan plus concret, plus technique, le gouvernement nous a demandé d'examiner plusieurs questions relatives à la sécurité dans le métro : l'adaptation des systèmes de ventilation, les procédures d'évacuation des victimes en cas d'attentat ou encore le choix d'un type de rame susceptible de limiter les phénomènes de panique et donc le nombre d'éventuelles victimes (voitures séparées ou reliées entre elles comme dans les nouvelles rames du métro parisien). Sur tous ces sujets, nous travaillons étroitement avec les autorités moscovites et je suis persuadé qu'un échange avec nos homologues français serait particulièrement profitable.

Notre rôle doit également concerner la sensibilisation de la population et, en particulier, des jeunes. Les médias ont créé un syndrome de la terreur, il nous revient de mettre en place une volonté populaire de lutter contre le terrorisme.

Dans ce contexte, la création, dans le cadre de la Grande Commission, d'un « groupe pilote » pour les questions de terrorisme, comme l'a suggéré tout à l'heure M. Marsaud, me paraît particulièrement opportune.

Nous restons également très intéressés par une étude approfondie des mesures prises en France en matière de prévention de et de répression du terrorisme.

M. Léonid SLOUTSKY : Je rappelle que MM. Vassiliev et Kovalev ont joué un rôle important dans la lutte contre le terrorisme. M. Vassiliev, lorsqu'il était l'adjoint de M. Gryzlov, a été le coordonnateur de l'évacuation des otages du théâtre de Moscou.

Nos débats ont permis de dégager deux pistes de réflexion : l'approfondissement de la collaboration entre nos assemblées avec la création d'un groupe de travail et un échange sur la terminologie qui pourrait déboucher sur une définition commune.

Nous avons parlé de l'islamisation de l'Europe. L'islamisme radical ne peut être assimilé à ce phénomène ; néanmoins, il ne lui est pas étranger.

Je passe la parole à Mme Natalia Narotchnitskaya qui est l'un de nos meilleurs experts en géopolitique.

Mme Natalia Narotchnitskaya, membre de la Commission des Affaires étrangères : Je suis convaincue que la lutte contre le terrorisme est vouée à l'échec si nous nous voilons la face. En tant que scientifique et présidente d'une fondation, je n'ai pas pour habitude de sacrifier au politiquement correct.

La solidarité internationale contre le terrorisme est un cliché convenu. En réalité, les objectifs du terrorisme sont différents selon qu'il s'attaque aux Etats-Unis ou à la Russie. Al Qaïda est une organisation mondiale qui a pour but la non-intervention des Etats-Unis dans le monde arabo-musulman. La Russie, quant à elle, affronte un mouvement terroriste remettant en cause le statut d'un territoire conquis voici deux siècles. De la même façon, le terrorisme au Kosovo avait et a pour objectif la réalisation de la « grande Albanie ». Cette forme de terrorisme est donc une menace pour l'Europe tout entière.

Par ailleurs, l'intervention militaire préventive en Irak se fait au détriment des valeurs occidentales et provoque en Orient un vif ressentiment qui nourrit le terrorisme.

Enfin, l'évolution des armes conventionnelles a accru la vulnérabilité de beaucoup de pays ; le terrorisme est devenu le seul moyen de résister à l'occupation.

M. René ANDRÉ : Je vous remercie, Madame, pour votre intervention. Nous sommes très attentifs à l'Assemblée nationale à la situation en Serbie et au Kosovo. S'il y a effectivement un problème de terrorisme albanais, cette question n'est pas la seule qui doit être prise en compte. Elle mérite d'être replacée dans son contexte et, à ce titre, il est évident que la dureté du régime de M. Milosevic n'a pas, pour parler par euphémisme, contribué à favoriser l'expression de la minorité albanaise.

Concernant la proposition « Marsaud-Kovalev » de créer un groupe de travail centré sur le terrorisme, les membres de la délégation française y sont a priori favorables et pensent que cette suggestion doit maintenant être soumise aux présidents de nos deux assemblées.

Je suggère que nous passions maintenant aux questions concernant la politique européenne en matière de sécurité et de défense.

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_ Deuxième thème :

La possible participation de la Russie
à la politique européenne de sécurité et de défense (PESD)

M. Léonid SLOUTSKY : La délégation russe est également favorable à la proposition visant à créer un « groupe pilote » sur les questions de terrorisme qui pourrait prolonger les travaux de la Grande Commission.

Il nous faut maintenant aborder la politique européenne en matière de défense et de sécurité commune. Pour introduire ce sujet, je passe la parole à M. Iouri Kwissinski qui, après une carrière diplomatique, est premier vice-président de la commission des affaires étrangères.

M. Iouri KWISSINSKI, premier vice président de la Commission des affaires étrangères : Il n'est pas question pour moi de traiter dans son ensemble de la politique européenne de sécurité et de défense, ce qui serait un sujet bien trop vaste. Je vais centrer mon intervention sur les liens entre cette politique et la Russie.

Il s'agit d'un thème classique qui a été abordé lors de plusieurs sommets européens (comme à Paris en octobre 2000 ou à Nice en décembre 2000). Force est de constater que, sur le plan militaire, les choses ont peu évolué depuis le sommet de Paris. On peut tout au plus mentionner l'envoi d'experts russes de déminage en Bosnie-Herzégovine ou le développement de la coopération avec la Russie en matière de transport aérien.

S'agissant de la coopération dans des situations extrêmes, plusieurs projets sont sur la table, comme la création d'un centre européen de lutte contre les catastrophes mais, globalement, on peut dire que si les projets ne manquent pas, les réalisations concrètes sont peu nombreuses.

Aujourd'hui, de nombreuses incertitudes pèsent sur l'avenir de la politique européenne de sécurité et de défense qui dépendra, en particulier, de l'évolution de la situation internationale et de la manière dont seront gérées les conséquences de l'élargissement de l'Union européenne aux pays de l'Europe centrale et orientale.

La future Constitution européenne va donner une dimension juridique et politique différente à cette politique. Cette perspective éveille de l'intérêt mais aussi des craintes chez les pays non membres de l'Union européenne. Les Etats-Unis s'interrogent sur les relations entre la nouvelle Union européenne et l'OTAN et s'inquiètent d'un possible relâchement des liens entre leur pays et les pays membres de l'Union européenne.

On ne peut toutefois que constater que les frictions entre l'OTAN et l'Union européenne tendent à se résoudre de manière positive car la plupart des pays membres de l'Union européenne sont également membres de l'OTAN et ont des opinions proches sur bon nombre de questions comme la guerre préventive ou les interventions humanitaires. L'adoption, en décembre 2003 à Rome, d'une stratégie européenne de sécurité va dans le sens de ce constat.

Par rapport à la politique européenne de sécurité et de défense, la Russie est ouverte aux évolutions en cours mais est également consciente des possibilités limitées de l'Union européenne dans ce domaine.

La Russie part du principe que la composante militaire et politique de l'Union européenne doit être véritablement européenne et que les relations avec l'Union européenne doivent se développer sur un pied d'égalité et en respectant les statuts de l'ONU.

Dans ce cadre, les négociations en cours pour l'accord-cadre entre l'Union européenne et la Russie pour la résolution des crises ont valeur de test. En l'état actuel des choses, le contenu de cet accord n'est pas satisfaisant et doit être retravaillé. Il est en particulier indispensable que la Russie participe de plein droit à tous les stades de la préparation des interventions et que le respect des statuts de l'ONU soit expressément mentionné.

Pour conclure, je souhaiterais poser quelques questions à la délégation française relatives à la création d'une unité militaire de réaction rapide regroupant la France, l'Allemagne et le Royaume-Uni :

- Que feront ces forces si l'un des grands pays européens refuse d'agir ?

- De quels pouvoirs disposera l'Union européenne en matière de planification des opération ?

- L'Union européenne pourra-t-elle respecter le principe de consensus ?

- Pendant combien de temps les troupes pourront-elles rester à l'étranger ?

- Qu'en est-il des rumeurs selon lesquelles il a été envisagé « d'essayer » ces forces en Europe et, notamment, en Moldavie ?

M. René ANDRÉ : Permettez-moi juste une observation : la force de réaction rapide n'est pas une force d'invasion mais d'intervention pour résoudre des conflits ponctuels. Par ailleurs, l'Union européenne subordonne l'emploi de cette force à un mandat de l'ONU. Je vous rassure, Iouri, nous n'irons pas sauter sur Tiraspol ! !

M. Jacques BRUNHES : En ce qui concerne la possible association de la Russie à la politique européenne de sécurité et de défense, je partirai d'un constat : depuis la fin du conflit Est-Ouest, la problématique de la sécurité régionale en Europe se pose de façon radicalement nouvelle. Aux menaces d'une guerre d'envergure entre les deux blocs se déroulant sur le théâtre européen, se sont substitués de nouveaux risques liés au terrorisme, à la multiplication des conflits régionaux et à la prolifération des armes de destruction massive. Parallèlement à l'évolution des menaces, l'architecture de sécurité et de défense en Europe s'est transformée.

Je relève d'abord le rôle de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), organe régional de l'ONU, dans la sécurité européenne, dont parlera mieux que moi Michel Voisin, président de la délégation française à l'Assemblée parlementaire de l'OSCE. Je note simplement que c'est la seule organisation pan-européenne qui regroupe 55 Etats du vieux continent, de l'Amérique du Nord et de l'Asie centrale, la seule où la Russie côtoie les Etats-Unis et le Canada. Au cours de la dernière décennie, cette organisation a atteint une certaine maturité et a vu son rôle réaffirmé dans sa triple fonction :

- normative (la stabilité par la démocratie et l'Etat de droit, l'indivisibilité de la sécurité, en Europe par le dialogue et la coopération),

- de traitement du cycle complet des conflits-prévention des crises, gestion des crises, réhabilitation post-conflit,

- et de maîtrise des armements.

Mais elle demeure, comme disent les Anglais, un organisme « sans dents ».

Ensuite l'OTAN qui, née de la guerre froide et pilier de la défense collective de ses membres en Europe et en Amérique du Nord, ne s'est pas dissoute avec la fin du conflit Est-Ouest. Elle aurait pu se transformer en une organisation essentiellement politique, ayant pour vocation de veiller au respect des principes de sécurité collective sur le continent européen, sous l'autorité de l'ONU. Cela aurait eu l'avantage de faire d'elle « une OSCE avec des dents », c'est-à-dire un instrument militaire de la sécurité collective régionale, conformément au chapitre VIII de la Charte des Nations unies. Cela n'a pas été la voie choisie. L'OTAN s'est transformée en une organisation ayant vocation à intervenir dans le monde entier sur l'ensemble des questions liées à la sécurité, sous direction politique américaine, éventuellement affranchie de tout contrôle de l'ONU.

C'est dans ce contexte qu'intervient son élargissement aux sept nouveaux pays européens, après l'adhésion en 1999 de la Hongrie, de la Pologne et de la République tchèque. Cet élargissement apporte non seulement le soutien politique de ces alliés à ses nouvelles missions mais accroît les possibilités de déploiement de ses forces en Europe de l'Est et du Sud-Est. Cela ne peut que soulever des interrogations chez nos amis russes. Permettez-moi de remarquer que les forces de l'OTAN seront désormais à la porte de la Russie, alors que le traité de réunification de l'Allemagne avait exclu le stationnement des forces de l'Alliance à la frontière russe. Certes, la mise en place du Conseil OTAN-Russie auquel les Russes participent sur une base d'égalité avec les alliés, au sommet de Rome en mai 2002, peut aplanir les difficultés et consolider la reprise des relations entre l'OTAN et la Russie, gelées lors de la crise du Kosovo. Mais les réticences russes ont été soulignées lors de notre rencontre à Paris en octobre 2003, à la fois par Vassili Iver et par Loïc Bouvard.

Je voudrais pour ma part souligner l'impérieuse nécessité d'approfondir le dialogue de sécurité avec la Russie dont le concours dans tout projet de sécurité collective en Europe est incontournable tout en étant une condition sine qua non pour mettre un terme aux fractures héritées de la guerre froide.

C'est dans cette perspective qu'il importe d'envisager l'association de la Russie à la politique européenne de sécurité et de défense (PESD). Les avancées non-négligeables ont été faites dans le domaine de la PESD ces dernières années. Les 60.000 hommes de l'Eurocorps sont opérationnels ; les premières missions de l'Union ont lieu en Afrique et dans les Balkans, certains organes de décision politico-militaires, y compris une capacité commune de planification, sont mis sur pied, une « stratégie européenne de sécurité » a été approuvée au Conseil européen de Rome. Cette dernière est une approche spécifique qui se démarque de l'actuelle stratégie de sécurité nationale des Etats-Unis et trouve des points d'accord avec la politique russe notamment dans sa gestion de la crise et de la guerre d'Irak (choix de l'ONU et du multilatéralisme ; refus de guerres préventives, volonté d'utiliser les moyens pacifiques de prévention des conflits et de résolution des crises avant de recourir à la force).

Mais au-delà de cette similitude de vue stratégique, la place de la Russie en Europe, la géopolitique pour ainsi dire, commande un partenariat stratégique entre l'Union européenne et ce pays en matière de sécurité, afin de contribuer à la stabilité sur le continent européen. En mai 2002, la Russie a formulé des propositions pour un plan d'action dans le domaine de la politique européenne de sécurité et de coopération (PESC) pour la gestion commune des crises et en avril 2003, elle s'est déclarée prête à s'investir dans la future PESD en tant qu'Etat souverain et indépendant. De même, une résolution du Parlement européen, à laquelle je souscris, souligne l'importance d'une « coopération concrète avec la Russie en matière de sécurité » et la nécessité de mettre « au premier plan les questions liées... à la participation de la Russie aux interventions militaires menées par l'Union européenne en cas de crise ». Tels sont les faits. Pour conclure, j'exprime à titre personnel un regret, c'est que cette coopération n'en soit encore qu'à ses prémices, et un souhait : que nos travaux et nos deux parlements contribuent à améliorer notre coopération concrète en matière de sécurité.

M. Léonid SLOUTSKY : Votre intervention est intéressante car elle rend compte des positions de l'Union européenne. Depuis quelques années, l'Union européenne restructure ses forces militaires. Cette aspiration à l'autonomie par rapport aux Etats-Unis est observée d'un œil favorable par la Russie. Toutefois, cette dernière demande à être davantage associée à l'élaboration de cette politique.

M. Michel VOISIN, président de la délégation française à l'Assemblée parlementaire de l'Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE) : Comme l'a dit M. Jacques Brunhes, je préside la délégation française à l'Assemblée parlementaire de l'OSCE. Je suis même candidat à la présidence de cette assemblée parlementaire et souhaiterais que la délégation russe me soutienne.

La politique européenne de sécurité et de défense aura connu, en 2003 et 2004, d'importants développements. Elle renforce sa cohérence et acquiert progressivement une dimension active et militairement opérationnelle.

Le Conseil européen de Bruxelles de décembre dernier a proposé plusieurs avancées pour l'Europe de la sécurité et de la défense. Une agence de l'armement va être mise en place dans le courant de l'année 2004. La future Constitution devrait comporter une clause de solidarité et une option de garantie mutuelle entre Etats européens ; un ministre des affaires étrangères de l'Union serait notamment chargé de la politique de sécurité et de défense ; la possibilité de coopérations structurées est instaurée ; enfin, l'état-major de l'Union européenne sera doté de capacités nouvelles de planification.

Cette évolution vers une capacité d'action plus solide se fait alors même que l'Union européenne s'élargit, pour trouver désormais des frontières communes avec la Russie.

Cette évolution combinée amène naturellement à se poser la question de l'impact à attendre de ces changements sur les relations entre l'Union européenne et la Russie. A mon sens, l'ensemble de ces avancées ne conforte rien d'autre que le statut de puissance solide, mais pacifique dont l'Europe veut se doter. Il y a aussi là des occasions nouvelles de coopération, y compris opérationnelles.

Les clauses constitutionnelles conforteront d'abord l'organisation de l'Europe contre la lutte antiterroriste. En effet, celle-ci suppose une coordination non seulement entre les armées des Etats de l'Union européenne, mais aussi entre leurs polices, leurs services de douanes, la protection civile, les services hospitaliers, les administrations territoriales. Pour cela, des fondements juridiques clairs sont indispensables. La sécurité de l'Europe au sein de ses frontières est le seul objet de ces clauses nouvelles. Et l'instauration d'une telle coopération interne est indispensable pour l'efficacité des coopérations à instaurer avec des Etats partenaires.

Qui pourra se plaindre aussi que l'Europe souhaite se doter d'une capacité intégrée et autonome d'élaboration et d'expression de ses volontés diplomatiques et d'un solide instrument militaire de gestion de crise ? Ne faut-il pas se réjouir au contraire des efforts faits pour créer une telle capacité nouvelle d'intervention dans les questions très difficiles du Proche ou du Moyen-Orient, de l'Afrique, et même de certaines zones circonscrites de notre continent ?

Sur ce dernier point, il existe déjà une coopération opérationnelle effective entre forces de l'Union européenne et forces russes. La Russie a longtemps entretenu un détachement en Bosnie-Herzégovine, au sein de la SFOR et continue d'en entretenir un au sein de la KFOR, au Kosovo. Nul doute que le développement d'une capacité militaire autonome de l'Union européenne pour la gestion des crises permettra d'accroître ce type de coopérations opérationnelles, dès lors que l'analyse politique sera similaire.

Enfin, l'émergence d'une capacité européenne plus intégrée de définition et production d'équipements militaires au sein de l'Union européenne ne saurait être une mauvaise nouvelle pour la Russie.

L'agence européenne de l'armement doit pouvoir permettre une meilleure rationalité des commandes, mais aussi conforter le développement des industries européennes ; or, celles-ci seront tôt ou tard demandeuses de coopération avec l'industrie russe. Les récentes discussions entre EADS et IRKUT en attestent. Les accords passés dans le domaine spatial, avec la présence de la fusée SOYOUZ en Guyane, traduisent déjà la montée en puissance de cette coopération.

Avec l'extension des frontières de l'Union européenne et l'approfondissement de l'Europe de la défense, ce sont les bases d'un développement nouveau de la coopération entre l'Union européenne et la Russie en matière de sécurité qui se mettent en place. Au double titre de vice-président de la commission de la défense de l'Assemblée nationale et de président de la délégation française à l'Assemblée parlementaire de l'OSCE, je ne peux que m'en réjouir.

M. Loïc BOUVARD, vice-Président du groupe d'amitié France-Russie, membre de la délégation française à l'Assemblée parlementaire de l'OTAN : J'ai été, dans le passé, président de l'assemblée parlementaire de l'OTAN ; aussi je consacrerai mon intervention aux relations entre l'OTAN et la Russie. Nous nous félicitons de la prodigieuse évolution des relations entre la Russie et l'OTAN qui ont connu ces dernières années de nouveaux développements très prometteurs.

Ce fut d'abord, en 1997, la signature de l'Acte fondateur qui posa les bases de la coopération entre l'OTAN et la Russie. Cependant, sa mise en œuvre a été décevante, les relations entre la Russie et l'OTAN ayant connu un spectaculaire refroidissement à la suite de l'intervention de l'Alliance au Kosovo en 1999.

Ce fut ensuite une tentative plus ambitieuse, lors du sommet de Rome en mai 2002 dans un contexte stratégique profondément modifié par les attentats du 11 septembre. Une nouvelle enceinte était créée, le Conseil OTAN/Russie, dit « Conseil à 20 », par opposition à l'ancienne configuration « 19+1 ». Cette modification sémantique signifie que la Russie est sur un pied d'égalité avec les membres de l'OTAN, et qu'il n'y a pas de coordination préalable entre Alliés. Le premier bilan des activités du Conseil OTAN-Russie est positif : une quinzaine de groupes de travail ont été mis en place autour de projets concrets (évaluation de la menace terroriste, études conjointes sur la prolifération, projet de coopération en matière de défense anti-missile de théâtre, coopération en matière de plans civils d'urgence).

La France est particulièrement intéressée par le développement de coopérations proprement militaires afin de ménager un espace pour la relation Union européenne - Russie et pour la coopération bilatérale.

La coopération avec l'OTAN ne peut signifier un alignement sur la politique étrangère de telle ou telle grande puissance. Le fait que la France et la Russie, tout comme d'autres grands pays européens comme l'Allemagne, se soient retrouvés sur la même ligne avant la guerre en Irak est de ce point de vue aussi une évolution majeure.

Cette coopération entre l'OTAN et la Russie doit se concentrer sur les coopérations concrètes, notamment afin de contribuer à la modernisation des forces russes.

Notre réunion se déroule à un moment très important pour les relations entre l'OTAN et la Russie puisque l'acquis des dernières années pourrait souffrir du récent élargissement de l'Alliance atlantique. Si la Russie a accueilli cet élargissement avec calme, il n'en demeure pas moins qu'elle le désapprouve et en critique certains aspects pratiques. Cette réunion est l'occasion d'écouter votre point de vue.

Nous nous félicitons que la réaction de la Russie soit si modérée alors que l'élargissement met l'Alliance atlantique aux portes de la Russie. En effet, si l'on excepte le cas particulier de Kaliningrad qui a une frontière avec la Pologne, l'élargissement de 1999 s'était concentré sur des pays d'Europe centrale. Après ce deuxième élargissement, l'Alliance s'étend sur des territoires anciennement soviétiques, entrant ainsi de plain-pied dans une zone d'influence traditionnelle de votre pays.

L'attitude de la Russie vis-à-vis de cet élargissement est pourtant très différente de celle qu'elle avait adoptée avant celui de 1999. A l'époque, l'élargissement avait été accueilli par de très vives protestations qui s'expliquaient notamment par le caractère très imparfait du dialogue OTAN-Russie. Aujourd'hui, on enregistre des critiques certes, mais sur un ton nettement plus propice au dialogue.

Cette modération s'explique par la sagesse des responsables russes qui placent le dialogue et la coopération nécessaire contre les nouvelles menaces de sécurité au-dessus de leurs autres considérations. Quelles que soient les critiques et les réserves que l'on peut formuler, il est clair que cet élargissement ne menace pas la Russie. La guerre froide est terminée et l'apport militaire des nouveaux membres est marginal. En revanche, la Russie et l'OTAN ont un intérêt commun dans la lutte contre le terrorisme. Le Président Poutine, dès le lendemain du 11 septembre 2001, l'a parfaitement compris.

Néanmoins, il convient d'écouter les objections que vous soulevez car si l'élargissement de l'OTAN avait pour conséquence de tendre les relations avec la Russie, cela ne serait pas positif pour la stabilité du continent.

La Douma a adopté a une très large majorité une résolution critiquant l'élargissement vers l'Est de l'OTAN en demandant notamment au président russe d'étudier les moyens de renforcer la défense de votre pays. Cette résolution accuse notamment l'Alliance de « ne pas prendre en compte les inquiétudes de la Russie sur l'établissement en Europe d'une zone exclue du régime de contrôle des armements ».

En effet, quatre des pays admis officiellement dans l'OTAN ne sont pas signataires du traité sur les forces conventionnelles en Europe : la Slovénie et les trois Etats baltes. Cette préoccupation est partagée par l'Exécutif russe qui demande à l'Alliance une déclaration de retenue jusqu'à l'adhésion des ces Etats au traité FCE. Ces derniers se sont d'ailleurs engagés à le faire.

Nous souhaitons régler ces préalables et que le Président Poutine assiste au sommet de l'OTAN d'Istanbul.

Par ailleurs, afin d'établir une relation de confiance durable entre l'OTAN et la Russie, je suggèrerai deux idées. L'émergence d'un pilier européen au sein de l'Alliance atlantique peut rééquilibrer l'organisation. Nous devons aussi être conscients qu'il n'y a pas d'avenir en dehors de l'Alliance « nouveau style ». L'Alliance devient une organisation politique qui doit s'élargir et comporter trois piliers : les Etats-Unis, l'Union européenne et la Russie. C'est à cette condition que nous pourrons relever les défis de demain comme celui de l'émergence de la Chine.

M. Vladimir VASSILIEV : J'aimerais que vous m'aidiez à répondre à une question simple que me posent mes électeurs : comment expliquez-vous que dans les années 1990 la frontière de l'OTAN était éloignée alors que les relations étaient mauvaises et qu'elle soit aujourd'hui si proche alors que le dialogue s'est établi ? Les gens sont très inquiets. Comment leur expliquer que cet élargissement n'est pas dangereux ?

M. Loïc BOUVARD : Nous ne parlons pas de la même frontière. Avant 1989, cette frontière était un mur ; des plans de bataille étaient élaborés de part et d'autre et d'importantes forces étaient pré-positionnées. Aujourd'hui, le mur a été remplacé par des passerelles. Les présidents Bush et Poutine ont compris qu'on entrait dans une ère nouvelle. Les craintes de vos électeurs proviennent d'une mauvaise information.

M. Bernard SCHREINER, président de la délégation française à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, vice-président de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe : Je souhaiterais intervenir pour faire une remarque rapide par rapport à la possibilité de modifier les rapports entre nations qui vient d'être mise en doute par plusieurs intervenants qui ont notamment fait état de craintes de citoyens russes face à l'élargissement de l'OTAN.

L'exemple des relations franco-allemandes montre que, dans ce domaine, rien n'est intangible et que les ennemis d'hier peuvent, par la volonté des hommes, devenir des alliés sûrs et développer des relations de confiance et d'amitié.

Il faut garder l'espoir : la présence de pays membres de l'OTAN à proximité des frontières russes doit être vue comme une nouvelle passerelle vers un monde de paix.

M. Léonid SLOUTSKY : Merci pour ces remarques. Je remercie aussi M. Schreiner pour la qualité des relations entre nos deux délégations à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe et son soutien au rapport que j'ai présenté à propos de la principauté de Monaco.

M. Vladimir VASSILIEV : On ne peut que remercier M. Bernard Schreiner pour cette note d'espoir mais, sans mettre en doute la sincérité de son intervention, je ferais trois observations :

- la volonté des hommes ne suffit pas toujours, comme le démontre l'affaire irakienne où l'opposition de certains pays européens n'a pas empêché l'intervention américaine ;

- le rapprochement entre l'Allemagne et la France a pris plusieurs décennies. Que se serait-il passé si l'on avait obligé ces deux pays à se rapprocher en quelques années ? C'est pourtant ce que l'on demande aujourd'hui à la Russie et, dès lors, on peut se demander pourquoi aller si vite dans l'élargissement de l'OTAN ;

- l'OTAN demeure une organisation à dominante militaire, ce n'est pas une organisation politique, ce qui peut expliquer certaines inquiétudes russes.

Mme Natalia NAROTCHNITSKAYA : Je ne me considère pas comme quelqu'un d'agressif mais je tiens à souligner que le besoin de sécurité de mon pays doit être pris en compte. Or l'élargissement de l'OTAN va accroître l'accès de cette organisation à la mer Baltique qui est stratégique pour la Russie. Par ailleurs, il faut comprendre que Saint-Pétersbourg peut être atteinte depuis l'Estonie.

Nous sommes en train de vivre une transition vers un monde multipolaire et, pour moi, il n'est pas question de développer une alliance Russie-Union européenne contre les Etats-Unis. Ces trois ensembles doivent rester indépendants et constituer trois des pôles de la future société internationale.

M. René ANDRÉ : Il est certain que l'Union européenne devra travailler avec l'OTAN mais il est nécessaire de développer un pilier européen au sein de cette organisation.

Si l'Union européenne veut exister politiquement, elle doit pouvoir développer une politique européenne de défense avec des pays non membres comme la Russie.

M. Jean-Jacques GUILLET, membre de la commission des affaires étrangères  : On ne peut que comprendre les inquiétudes exprimées par plusieurs membres de la délégation russe sur le plan géostratégique. Il est certain que la Russie a toujours eu vocation à intervenir dans les affaires européennes et que l'évolution des pays baltes peut poser problème quant à l'accès à la mer Baltique qui, pour la Russie, est une fenêtre sur l'Europe. Mais il faut souligner que ce qui fait véritablement problème ce n'est pas tant l'OTAN que les Etats-Unis dans l'OTAN, surtout en considération de la politique étrangère de l'actuelle administration américaine.

Il est, par ailleurs, peu contestable que l'influence des Etats-Unis a crû dans bon nombre de zones d'influence traditionnelles de la Russie comme l'Asie centrale.

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_ Troisième thème :

L'élargissement de l'Union européenne à dix nouveaux Etats membres et ses conséquences pour la Russie et la coopération européenne

M. Léonid SLOUTSKY : Pour aborder ce thème, je donne la parole à Natalia Narotchnitskaya.

Mme Natalia NAROTCHNITSKAYA : Je vais ajouter un peu de poivre à mon intervention afin de mieux vous faire comprendre les interrogations et les craintes de la Russie. Il me semble que nous devons nous poser la question suivante : quelle direction le processus européen va-t-il emprunter ? S'agit-il de s'intégrer dans un monde unipolaire ou de faire de l'Europe un facteur d'équilibre favorisant un nouvel élan de coopération ?

La pression exercée sur la Russie est beaucoup plus forte que celle qu'elle subissait à l'époque de l'Union soviétique. Au cours du XIXe siècle, les grandes puissances cherchaient à empêcher la Russie d'accéder à la mer Baltique et à la mer Noire. La Pologne a soutenu les séparatistes tchéchènes pendant la guerre de 1834 et certains Polonais sont partis se battre contre les Russes pendant la guerre de Crimée. Songeons aussi à l'intérêt que les Balkans ont eu dans le passé pour la stratégie ottomane.

Aujourd'hui, il apparaît que de vieux projets ressuscitent. Dans le fond, la guerre froide n'était pas si spéciale ; il n'y avait pas de divergence fondamentale de style entre les communistes et les « boys » du Texas. La Russie n'a pas d'ambition impériale, contrairement aux Etats-Unis. Lorsque Condoleezza Rice explique que des pays qui ne se plient pas à l'économie de marché sont voués à la marginalisation, son propos n'est guère différent de ceux qu'a pu tenir Khrouchtchev à propos du modèle communiste. Comme les communistes, les Américains identifient leur propres intérêts à l'intérêt universel.

Nous devons distinguer la mondialisation, qui est une réalité, et le mondialisme qui est une idéologie n'admettant aucune résistance. Défendre l'ONU est nécessaire, mais sans excès. Par exemple, on nous dit que l'ONU, en donnant une légitimité à l'action de la communauté internationale, pourrait résoudre la crise irakienne. Cette opinion est excessive ; elle sous-entend d'ailleurs que l'ONU serait fautive, qu'elle aurait dû légitimer l'action des Américains dès le débu

Nous devons savoir si le processus européen va dans le sens du mondialisme ou s'il va faire contrepoids et favoriser une Europe slave, latine et byzantine et non une Europe cosmopolite. Pour ma part, j'adhère à cette pensée de Jacques Le Goff : « la tâche principale des Européens de l'Ouest et des Européens de l'Est est de réunir ces deux moitiés tout en respectant leurs différences ».

M. Alain MARSAUD : Un élément important me paraît absent de nos débats : l'initiative américaine de grand Moyen-orient. Quelle que soit la position que l'on ait par rapport à cette initiative, il est évident que son échec ou sa réussite aura des conséquences importantes sur la société internationale.

Je voudrais maintenant vous donner lecture de l'intervention qu'avait préparée M. René André, qui n'a malheureusement pas pu rester avec nous cet après-midi, au sujet des relations entre l'Union européenne et la Russie.

L'élargissement de l'Union européenne, qui a eu lieu le 1er mai, a rapproché géographiquement un peu plus la Russie de l'Union européenne.

Ce rapprochement ne peut pas se limiter à la géographie car, ainsi que l'a rappelé Jean Monnet, « nous ne coalisons pas des États, nous unissons des hommes ».

La période dite de « préadhésion » des dix nouveaux États-membres a été difficile pour nos relations.

La Russie a pu craindre qu'un nouveau rideau de fer tombe sur l'Europe, et ce pour plusieurs raisons :

- l'enclavement de Kaliningrad en raison de l'adhésion de la Lituanie,

- la présence de minorités russophones dans les pays baltes,

- la question de la liberté de circulation des biens et des personnes.

La France a joué avec d'autres pays fondateurs de l'Union européenne, comme l'Allemagne et l'Italie, un rôle de premier plan afin de permettre que la Russie soit autant que possible préservée des contraintes liées à l'élargissement et à l'application des règles communautaires aux nouveaux États-membres voisins de celle-ci. Le président Jacques Chirac s'est prononcé devant ses partenaires européens pour une libéralisation des régimes de visas afin d'éviter tout sentiment d'humiliation des populations.

Les négociations, parfois difficiles parce que touchant à la vie quotidienne des Russes, qu'ils habitent Kaliningrad ou Moscou, ont pu aboutir fin avril à un accord entre la Russie et l'Union européenne, chacun ayant essayé de mettre en avant l'intérêt du partenariat entre la Russie et l'Union européenne, et non pas uniquement ses propres intérêts.

En soi, cet accord est déjà une avancée pour la coopération en Europe. Le fait que la signature du traité d'adhésion des nouveaux États à Athènes le 17 avril 2003 ait coïncidé avec la Conférence européenne élargie (39 pays) montre que l'Union européenne prend également en compte ses nouveaux voisins de l'Europe élargie.

On assiste ces derniers temps à un apaisement des relations entre la Russie et l'Union européenne.

Certains ont pu croire qu'il n'y aurait pas d'accord, mais le pragmatisme de chacun a permis ce que j'appellerai une victoire de l'Europe.

Je retiendrai pour ma part de la déclaration conjointe sur l'élargissement de l'Union européenne et les relations entre l'Union européenne et la Russie du 27 avril 2004 la détermination à faire en sorte que l'élargissement rapproche l'Union européenne et la Russie « dans une Europe dépourvue de lignes de partage, en créant un espace commun de liberté, de sécurité et de justice ». Et peut-être, à titre personnel, j'insisterai, comme cela a été fait lors de ce conseil Union européenne-Russie, sur l'importance des contacts entre populations si l'on veut favoriser la compréhension mutuelle entre nos citoyens.

Je ne reprendrai pas tous les points sur lesquels un accord a été obtenu entre votre pays et l'Union européenne. Je m'attacherai principalement à quelques aspects.

D'une part, bien sûr, car c'est l'élément le plus important, l'extension de l'accord de partenariat et de coopération aux dix nouveaux États membres de l'Union. Votre vice-présidente, Mme Sliska, a annoncé que la Douma comptait ratifier un protocole sur l'application de cet accord en septembre prochain. Je serais heureux d'entendre votre position sur ce sujet.

Cette extension posait problème car elle risquait d'entraîner des conséquences économiques pour la Russie, représentant une perte de 300 millions d'euros chaque année.

Plusieurs mesures d'accompagnement ont ainsi été prévues, qu'il s'agisse d'augmenter à terme les quotas d'exportation d'acier russe, ou de mettre en place des dispositions spéciales concernant les mesures anti-dumping européennes. De même, concernant une question qui vous concerne et qui nous concerne particulièrement en tant que Français, et qui touche au commerce agricole, l'Union européenne prend en compte le désir de la Russie d'adhérer à terme à l'OMC, l'idée générale étant de tenir compte des exportations traditionnelles de la Russie vers certains pays adhérents.

Un deuxième élément important est la résolution des questions liées à Kaliningrad, qui avaient déjà été en partie réglées avec la mise en place, dès juillet 2003, des nouveaux documents de transit pour les personnes, dont la circulation sera encore facilitée avec le projet d'étude de faisabilité à moyen terme d'une connexion ferroviaire à grande vitesse entre l'enclave de Kaliningrad et le reste de la Russie. Par ailleurs, en ce qui concerne le transit des marchandises, il est clair que la volonté de l'Union européenne de développer une coopération douanière accrue avec la Russie dans son ensemble ne peut qu'améliorer la situation et faciliter la recherche d'un consensus final.

Il convient d'ailleurs de rappeler que l'énergie, en particulier l'électricité, n'est pas soumise aux règles communautaires régissant le transit douanier, en particulier entre la région de Kaliningrad et le reste de la Russie.

D'autre part, un élément qui me semble essentiel et qui répond au souhait de la France, en particulier, de ne pas voir un nouveau rideau de fer s'abattre sur l'Europe, est la question des visas. Les citoyens russes pouvaient autrefois voyager très facilement dans les pays voisins qui font aujourd'hui partie de l'Union européenne. Aujourd'hui, l'élargissement de l'espace Schengen entraîne pour les citoyens russes la nécessité d'obtenir un visa pour se rendre dans ces pays.

L'accord trouvé entre la Russie et l'Union européenne prévoit non seulement de faciliter sur une base de réciprocité la délivrance de visas pour les citoyens non seulement russes, mais aussi européens ; mais également, à long terme, comme l'a proposé votre président Vladimir Poutine, d'examiner les conditions qui permettraient aux ressortissants de voyager sans visa. Une coopération accrue dans les domaines de la sécurité des frontières est bien entendu nécessaire, mais la liberté de circulation est une liberté qui, je le sais, vous est chère. J'ai conscience de l'amertume que certains citoyens russes peuvent ressentir en se voyant obligés de demander un visa Schengen parfois difficile à obtenir pour venir visiter notre pays, mais vous devez aussi concevoir que l'absence de frontières à l'intérieur de l'Union européenne nous oblige à mieux contrôler notre frontière extérieure.

Enfin, pour aborder un thème dont, j'en suis sûr, vous nous reparlerez, je voudrais insister sur le fait que l'entrée dans l'Union européenne de certains pays où vivent des populations russophones importantes est une garantie de leur protection. L'adhésion à l'Union européenne ne peut se faire, je vous le rappelle, que si le pays accepte les critères de Copenhague, dont l'un des plus importants est le respect des droits des minorités.

Avec l'élargissement, la frontière orientale de l'Union avec ses nouveaux voisins européens s'étendra sur plus de 5000 kilomètres, de la mer de Barents à la mer Noire. Cette frontière physique traverse des zones où l'histoire tourmentée de l'Europe a créé, par les mouvements de populations, des liens familiaux, culturels, mais aussi économiques, forts. L'Union européenne a décidé de prendre en compte cette dimension à travers une initiative qui me paraît essentielle pour la coopération en Europe : l'initiative « Europe élargie-nouveaux voisins ».

L'Union européenne a proposé, à travers cette initiative, de permettre que l'entrée de dix nouveaux États ne soit pas seulement bénéfique pour ces seuls États, mais permette aussi de créer une dynamique avec les États voisins. Cette initiative porte sur plusieurs points.

- La promotion du développement économique et social durable dans les régions frontalières.

Je citerai à cet effet deux exemples. D'abord, la région frontalière entre la Russie et l'Estonie, de Narva et Ivangorod. Dans cette région, des liens familiaux et économiques existent depuis toujours. Un pont sépare à cet endroit la Russie de l'Estonie. L'Union européenne y a donc une frontière extérieure, mais pour les populations locales, le lien avec l'autre côté de la frontière est essentiel. En effet, Narva, en Estonie, est peuplée à plus de 90% de russophones (de citoyenneté estonienne ou pas) et le lien avec la Russie est fondamental pour la vie économique de cette ville, mais aussi de la ville d'Ivangorod, en Russie.

Le deuxième exemple ne concerne pas la Russie mais sa voisine, l'Ukraine, et concerne la zone frontalière avec la Hongrie. Il existe en Transcarpathie de fortes minorités magyares qui ont gardé des relations culturelles fortes avec la Hongrie. Ce pays, l'un des principaux investisseurs dans cette région, va sans aucun doute renforcer ses investissements après son entrée dans l'Union européenne.

- La coopération dans les domaines de l'environnement, de la santé publique et de la lutte contre la criminalité organisée.

Cette dimension est tout à fait d'actualité puisque, mardi dernier, l'Assemblée nationale a ratifié plusieurs conventions sur la coopération policière et le contrôle des frontières entre la France d'une part, la Russie et l'Ukraine d'autre part, ainsi que la création d'une agence spécialisée sur la question des frontières extérieures au sein de l'Union européenne. Loïc Bouvard et Thierry Mariani ayant été rapporteurs sur ces conventions, je n'entrerai pas dans le détail.

Au-delà de cet aspect, il y a l'environnement et la santé publique. La France est depuis 2002 observateur à l'Assemblée de la mer Noire, dont la prochaine session aura lieu dans quelques semaines à Saint-Petersbourg. Les dossiers abordés recouvrent les domaines de la coopération souhaitée par l'Union européenne. La question du tourisme, sur lequel l'Union européenne, et en particulier la France, ont une expérience qui, je crois, peut être utile non seulement à la Russie mais aussi aux autres États membres ; la question du droit des handicapés, deuxième thème qui sera abordé, une préoccupation qui constitue une priorité du président Chirac et dont Mme Mignon, ici présente, est une de nos meilleures spécialistes à l'Assemblée nationale.

- Le contrôle des frontières.

Là, encore, ce sujet est tout à fait d'actualité à l'Assemblée nationale car, prochainement, dans le cadre des travaux de la Délégation à l'Union européenne, Thierry Mariani se rendra sur la frontière entre la Pologne et l'Ukraine afin de mieux appréhender les problèmes liés au contrôle des frontières.

- Enfin, un point auquel je suis sensible en tant que président d'une communauté de communes frontalière par la mer : la promotion des actions locales « intercommunauté ».

La coopération transrégionale entre régions Union européenne et non-Union européenne me paraît essentielle au développement économique des deux côtés de la frontière. Il ne s'agit pas de donner des leçons mais de retirer de l'expérience de chacune des parties le maximum d'avantages pour chacun. Dans le domaine du transport, notamment, un effort doit être fait pour permettre des liaisons plus simples, plus rapides. Les divers projets, comme TRACECA, le développement d'autoroutes paneuropéennes ou de connexions par trains à grande vitesse font partie de ce que j'appellerais « l'aménagement du territoire européen », qui ne peut s'arrêter à la frontière extérieure de l'Union puisque les hommes, comme les marchandises, sont amenés à circuler dans l'Europe.

Ce grand projet de l'Europe élargie va se construire, comme c'est souvent le cas dans la politique européenne, par étapes.

- de 2004 à 2006, introduction de programmes de voisinage. Pour votre pays, cela concernera des programmes avec la Finlande, les pays baltes et la Pologne. Ces programmes s'appuieront sur les programmes « interreg » existant. Par ailleurs, TACIS et PHARE seront renforcés et je souhaite que ce soit aussi vrai pour leurs volets parlementaires.

- Après 2006, ces programmes devraient s'accentuer et tenir compte non seulement des liens entre voisins Union européenne et non-Union européenne, mais aussi, de façon plus large, entre voisins non-Union européenne, par exemple, avec des dimensions Russie/Ukraine/Pologne, ou Russie/pays baltes/Pologne. Le rôle des assemblées interparlementaires sous-régionales telles que celle de l'Initiative centre-européenne ou de l'Assemblée parlementaire de la mer Noire, doit être mieux pris en compte car ces assemblées permettent en leur sein des échanges entre représentants de parlements d'États membres de l'Union européenne, d'États candidats et de nouveaux voisins.

Pour conclure, j'aimerais vous dire que la construction européenne est un beau projet, mais que l'Europe n'existe pas que dans l'Union européenne. Votre présence et votre rôle actif, notamment au sein de l'Assemblée du Conseil de l'Europe, rappelle que la Russie est bien un Etat européen. A ce titre, l'Europe élargie doit aussi tenir compte de la Russie et des autres voisins européens, qu'ils soient ou non candidats à l'entrée dans l'Union européenne.

Dans cette ville de Saint-Pétersbourg, où chaque coin de rue rappelle un lien avec un des pays européens, qu'il s'agisse des architectes italiens, du goût de Pierre Ier pour les techniques militaires des Pays-Bas, les liens privilégiés de Catherine II et de nos penseurs des lumières, je serais presque tenté de dire : « nous sommes tous des saint-petersbourgeois ».

M. Léonid SLOUTSKY : S'agissant de Kaliningrad, on voit se développer aujourd'hui de nombreux problèmes que l'on avait identifiés dès la fin des années 1990 et beaucoup d'éléments restent encore à préciser.

Ainsi, les accords de Schengen interdisent le passage d'un pays à l'autre à travers le territoire d'un troisième : que va-t-il advenir pour ceux qui veulent rejoindre Kaliningrad depuis la Russie ?

De même, les problèmes de transit vont se multiplier. Concernant les visas, l'adhésion des pays baltes à l'Union européenne n'est pas en soi un facteur aggravant. Cette adhésion doit notamment aider la Lettonie à libéraliser sa politique, en particulier pour les visas.

Sur un autre plan, traditionnellement beaucoup de liens unissaient l'Estonie à Saint-Pétersbourg : aujourd'hui, beaucoup d'entre eux se sont rompus et il nous faut maintenant agir pour les renouer et pour organiser des échanges. L'OSCE peut nous y aider.

Je voudrais enfin souligner un élément qui me paraît important : la dernière session de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a permis de mettre en évidence une identité de vues entre les membres des délégations françaises et russes, concernant de nombreux problèmes liés à l'élargissement de l'Union européenne. Cela est positif pour nos futurs travaux.

M. Alain MARSAUD : Nous devons trouver une solution à un dilemme : comment garantir la liberté de circulation des citoyens russes tout en protégeant l'Union européenne de certaines menaces ?

Mme Hélène MIGNON, vice-Présidente de l'Assemblée nationale  : Comme c'est la première fois que je participe aux travaux de la Grande Commission, je me suis contentée d'écouter les uns et les autres. Nous avons parlé de l'ONU, de l'OTAN, de l'Union européenne et des craintes que ces institutions suscitaient en Russie. Une partie de la population d'Europe de l'Ouest a aussi des craintes.

Cependant, l'avenir fait toujours peur. Nous devons maîtriser ces craintes, ne pas nous laisser hanter par l'Histoire, le passé, et regarder au-delà, vers l'avenir.

M. Valeri IAZIEV, président de la Commission pour l'énergie, le transport et les communications : Je voudrais évoquer un dossier sur lequel il existe de sérieuses différences d'approche entre la Russie et l'Union européenne.

L'Union européenne voudrait que la Russie adopte la Charte sur l'énergie, mais la Douma refuse de ratifier ce texte en dépit des pressions très fortes de l'Union européenne qui en fait une condition pour l'adhésion de la Russie à l'OMC.

La ratification de cette charte occasionnerait des pertes énormes à Gazprom et se traduirait par son éviction au profit du gaz d'Asie centrale. Le prix du gaz en Russie augmente et sera bientôt au-dessus du coût de production comme le demande cette charte. En revanche, il n'est pas question de mettre en cause la souveraineté russe sur la construction des gazoducs et des oléoducs.

Les Européens doivent prendre en considération le fait que la Russie va se hisser au rang de premier producteur d'hydrocarbures. La France, d'ailleurs, a bien compris cet enjeu. Gaz de France a conclu des accords intéressants qui concernent aussi bien la livraison que l'exploration-production. A Kola, on est en train de construire une usine de condensation de gaz pour le marché américain car les Etats-Unis sont disposés à payer le juste prix. Les Européens ne doivent pas espérer obtenir un gaz à bon marché.

M. Alain MARSAUD : Il me reste à vous remercier cordialement pour votre accueil. Grâce à nos échanges, nous nous comprenons mieux.

M. Léonid SLOUTSKY : Nos échanges n'ont pas été polémiques mais ont pris en compte les questions à résoudre. Nous apprécions le soutien de la France.

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ANNEXE :
liste des participants à la dixième session de la
Grande Commission parlementaire
France-Russie

Parlementaires russes

M. Boris GRYZLOV, député « Russie Unie », Président de la Douma

M. Oleg MOROZOV, député « Russie Unie », vice-président de la Douma

M. Leonid SLOUTSKY, député LDPR, président du groupe d'amitié Russie-France

M. Vladimir VASSILIEV, député « Russie Unie », ancien vice ministre de l'Intérieur (et donc proche collaborateur de B. Gryzlov), président de la Commission pour la sécurité

M. Nikolai KOVALEV, député « Russie Unie », ancien directeur du FSB, président de la Commission des vétérans

M. Valeri IAZIEV, député « Russie Unie », président de la Commission pour l'énergie, le transport et les communications

M. Iouri KWISSINSKI, député du Parti communiste, premier vice président de la Commission des affaires étrangères

Mme Natalia NAROTCHNITSKAYA, députée « Rodina », membre de la Commission des Affaires étrangères

M. Viktor ELTSOV, député « Russie Unie », Commission de l'industrie, de la construction et des technologies scientifiques

Parlementaires français

M. Jean-Louis DEBRÉ (UMP), Président de l'Assemblée nationale, co-président de la Grande Commission

M. René ANDRÉ (UMP), président du groupe d'amitié France-Russie, co-président délégué de la Grande Commission, vice-président de commission des affaires étrangères et de la délégation à l'Union européenne

Mme Hélène MIGNON (SOC), vice-présidente de l'Assemblée nationale

M. Jacques BRUNHES (CR), secrétaire du Bureau de l'Assemblée nationale

M. Loïc BOUVARD (UMP), vice-Président du groupe d'amitié France-Russie, membre de la délégation française à l'Assemblée parlementaire de l'OTAN

M. Bernard SCHREINER (UMP), président de la délégation française à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, vice-président de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe

M. Michel VOISIN (UMP), président de la délégation française à l'Assemblée parlementaire de l'Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE)

M. Jean-Jacques GUILLET (UMP), membre de la commission des affaires étrangères

M. Jean-Marie GEVEAUX (UMP), secrétaire parlementaire du groupe d'amitié France-Russie, membre de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales

M. Alain MARSAUD (UMP), secrétaire de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République

M. Thierry MARIANI (UMP), vice-président du groupe d'amitié France-Russie, membre de la délégation de l'assemblée nationale pour l'Union européenne

M. Michel LEFAIT (SOC), vice-président du groupe d'amitié France-Russie, membre de la commission des finances

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DIAN n° 44-2004 - Dixième session de la Grande commission parlementaire France-Russie (Paris, 13-15 mai 2004)


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